Mercredi 31 octobre 2018

- Présidence de M. Christian Cambon, président -

La réunion est ouverte à 09 h 15.

Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et l'Autorité européenne des marchés financiers relatif au siège de l'Autorité et à ses privilèges et immunités sur le territoire français - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Jacques Le Nay, rapporteur. - Monsieur le président, mes chers collègues, nous examinons ce matin le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre la France et l'Autorité européenne des marchés financiers relatif au siège de l'Autorité et à ses privilèges et immunités sur le territoire français.

La crise financière de 2007-2008 a mis en lumière les lacunes du système européen de surveillance financière. Pour pallier ces dysfonctionnements, la Commission européenne a chargé un « groupe de haut niveau », présidé par le Français Jacques de Larosière, de formuler des recommandations. Sur la base de son rapport, la Commission a émis plusieurs propositions visant à mieux protéger les citoyens, à rétablir la confiance en notre système financier et à prévenir toute accumulation de risques susceptible de menacer sa stabilité.

En septembre 2010, le Parlement européen a adopté ces propositions, dont l'une d'elles consistait en la réforme du cadre de supervision financière existant. C'est ainsi qu'ont été institués, à compter du 1er janvier 2011, le Comité européen du risque systémique ainsi que trois autorités européennes de surveillance, à savoir :

- pour le domaine assurantiel, l'Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles, qui siège à Francfort ;

- pour le domaine bancaire, l'Autorité bancaire européenne, dont le siège est actuellement à Londres ;

- et pour le domaine des marchés financiers, l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF), située à Paris.

Cette dernière - plus connue sous son acronyme anglais ESMA (pour European Securities and Markets Authority) - poursuit trois objectifs : protéger les investisseurs, garantir le bon fonctionnement des marchés et assurer la stabilité financière. À cet égard, l'AEMF est chargée :

- d'évaluer les risques pour les investisseurs, les marchés et la stabilité financière ;

- d'établir un cadre réglementaire uniforme pour les marchés financiers de l'Union européenne ;

- d'encourager l'harmonisation des pratiques de surveillance au sein des États membres ;

- et de surveiller directement les organismes financiers spécifiques tels que les agences de notation de crédit.

Les autorités de régulation nationales - comme l'Autorité des marchés financiers (AMF) s'agissant de la France - participent aux prises de décisions politiques de l'AEMF, aux côtés notamment des deux autres autorités européennes de surveillance.

L'installation du siège de l'AEMF à Paris contribue au rayonnement de la place financière parisienne qui, en conséquence du Brexit, accueillera également l'Autorité bancaire européenne dans les tout prochains mois. Ce rapprochement géographique des deux autorités favorisera leur collaboration, essentielle à la supervision de l'activité des marchés et des entreprises d'investissement.

En outre, quelle que soit l'issue des négociations sur l'accord de sortie de l'Union, le Royaume-Uni perdra vraisemblablement le bénéfice du passeport financier européen, ce qui marquerait, pour les entreprises de la City, la fin de l'accès au marché intérieur pour la vente de leurs produits et services. Par conséquent, les sociétés financières (banques, assurances, gérants d'actifs) ayant leur siège européen à Londres seraient contraintes de délocaliser des milliers de salariés au sein de l'Union européenne ; certaines d'entre elles n'ont d'ailleurs pas attendu le 30 mars 2019 pour déménager leurs bureaux dans notre capitale, renforçant ainsi la visibilité de la place de Paris.

J'en viens à présent aux stipulations de l'accord. Ils sont conformes aux dispositions du protocole n° 7 sur les privilèges et immunités de l'Union européenne annexé au traité sur l'Union européenne et au traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; ces dispositions n'appellent aucune modification du droit interne français.

Le présent accord, de facture classique, est comparable aux accords de même nature récemment conclus par la France. Il permettra d'assurer le bon fonctionnement de l'AEMF sur le sol français ainsi que son indépendance.

L'accord prévoit les privilèges diplomatiques habituels tels que l'inviolabilité des locaux de l'Autorité, de ses archives et de ses communications. Il est important de souligner à cet égard que la France ne participe pas directement au financement de l'AEMF et n'a pas pris d'engagement quant aux coûts liés à l'installation de son siège. La location des bureaux de l'Autorité, situés rue de Grenelle dans le VIIème arrondissement, est donc supportée par son propre budget.

L'immunité de juridiction est accordée aux membres du personnel, pour lesquels l'entrée sur le territoire français est facilitée. Il est toutefois précisé que cette immunité leur est conférée ès qualités.

Sur le plan fiscal, l'Autorité est exonérée d'impôts directs et indirects et de droits de douane sur les biens destinés à son usage officiel. Enfin, les membres du personnel bénéficient, quant à eux, d'une exemption d'impôt sur le revenu et de cotisations sociales, à l'instar des fonctionnaires de l'Union européenne.

Il convient de souligner qu'en vertu du protocole n° 7 sur les privilèges et immunités de l'Union européenne, plusieurs de ces dispositions s'appliquent déjà et ce, depuis la création de l'Autorité. La France a malgré tout un intérêt majeur à le ratifier : celui d'afficher notre volonté et notre capacité d'accueillir des institutions internationales sur notre territoire, en leur offrant les meilleures conditions possibles. Cela favorisera l'attractivité de la place financière de Paris, dont les retombées en termes d'emplois, de recettes pour l'État mais aussi d'image sont relativement importantes.

En conséquence, pour l'ensemble des raisons que je viens d'évoquer, je préconise l'adoption de ce projet de loi.

L'AEMF n'a pas encore notifié l'achèvement de ses procédures internes requises pour l'entrée en vigueur du présent accord. Pour ce qui concerne la partie française, l'adoption du texte par le Sénat constituerait la première étape du processus de ratification.

L'examen en séance publique est prévu le jeudi 8 novembre prochain, selon la procédure simplifiée, ce à quoi je souscris.

M. Richard Yung. - C'est un grand pas pour la place financière de Paris qui souhaite devenir une alternative crédible à la City. Des milliers d'emploi devraient relocalisés à Paris après le Brexit, ce qui est une bonne nouvelle. En outre, la relocalisation de l'Autorité bancaire européenne est un pied-de-nez fait aux Britanniques qui ont toujours fait montre d'un grand mépris à l'égard de cette Autorité et de l'Autorité européenne des marchés financiers.

M. Robert del Picchia. - Je trouve également qu'accueillir une telle institution est une très bonne chose, notamment pour nos finances publiques. J'espère que d'autres organisations installeront leur siège à Paris. Tous les membres du personnel des organisations internationales sont exonérés d'impôt sur le revenu en France. Toutefois, dans ce cas précis, ce sont des fonctionnaires de l'Union européenne ; versent-ils un impôt à l'Union ?

M. Pierre Laurent. - Je n'ai pas de remarque sur les stipulations de l'accord de siège en tant que telles. Néanmoins, le groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste s'abstiendra en raison d'un désaccord de fond sur le rôle et la place des institutions financières au sein de l'Union européenne. Nous considérons en effet que le statut de ces Autorités - qu'il s'agisse de la Banque centrale européenne ou de l'Autorité européenne des marchés financiers - est au coeur de la crise que traverse l'Union. Certains de nos collègues considèrent que l'installation de ces Autorités en France constitue une bonne nouvelle, mais nous ne partageons pas leur enthousiasme. Il y aurait beaucoup à dire sur la situation financière de l'Union européenne, ainsi que sur le rôle des marchés financiers dans la crise qu'elle traverse actuellement. Notre abstention sera donc une marque de défiance à l'égard de l'architecture européenne dans ce domaine.

M. Ladislas Poniatowski. - L'accueil de l'Autorité bancaire européenne à Paris est une très belle opération pour notre pays. Cette Autorité s'installera dans le quartier d'affaires de La Défense, ce qui ne réjouit pas son personnel qui aurait préféré rester à Londres, le siège étant situé au coeur de la City. La France avait proposé deux sites : le premier au centre de Paris, près du palais Brongniart, et le second à La Défense. Le personnel de l'Autorité, même s'il n'a pas été consulté, a fait part de sa nette préférence pour le premier site. Mais la Commission a choisi le second pour des raisons financières...

La France n'est pas assez ambitieuse s'agissant des ouvertures d'écoles internationales destinées à accompagner l'arrivée, après le Brexit, de l'Autorité bancaire européenne et de sociétés du monde de la finance. Si nous voulons que la place financière parisienne reste une place importante et attire une part de l'activité londonienne, nous devons faire plus. L'ouverture d'une école à Courbevoie est une très bonne chose, mais il faut plus de lycées internationaux, notamment en Île-de-France. Il faut garder à l'esprit que le personnel de l'Autorité bancaire européenne ne déménage pas à Paris avec enthousiasme !

Mme Gisèle Jourda. - Bien que je partage, en partie, l'opinion positive de certains de mes collègues, je m'interroge quant au statut du personnel de l'Autorité européenne des marchés financiers, en particulier sur le plan indemnitaire. Ce sont des fonctionnaires et non des diplomates ; par conséquent, je ne m'explique pas ce statut, qui peut paraître très privilégié, alors que nous serions en droit d'attendre plus de résultats de ces Autorités. En effet, à la suite des récents scandales financiers - comme celui des « Panama Papers » -, nous aurions souhaité plus de rigueur de leur part ainsi qu'un véritable retour sur investissement. Il conviendrait donc de revoir ce statut.

M. Jacques Le Nay, rapporteur. - Selon la Banque d'Angleterre, 10 000 emplois dans les services financiers seront délocalisés après le Brexit. Paris Europlace, organisme en charge de la promotion et du développement de la place financière parisienne, estime à près de 3 500 le nombre d'emplois directs qui seront relocalisés dans la capitale.

S'agissant des fonctionnaires de l'Union européenne, il n'est pas du ressort de l'État français de revoir leur statut. Ces fonctionnaires ne paient certes pas d'impôt national, mais ils sont soumis à l'impôt européen, prélevé à la source tout comme leurs cotisations salariales.

Il est toujours déplaisant de devoir quitter son pays pour aller travailler ailleurs. L'État français a donc prévu d'ouvrir des écoles internationales pour accueillir les « enfants du Brexit » : outre l'école de Courbevoie citée par notre collègue Ladislas Poniatowski, deux autres lycées internationaux ouvriront d'ici la rentrée 2022 en Île-de-France, à Saclay et à Vincennes, ce qui portera à neuf le nombre de lycées internationaux situés dans la région. Notre pays a donc pris en considération cet aspect ; il est en effet important pour les fonctionnaires et les salariés qui s'établiront en France de disposer d'écoles prêtes à accueillir leurs enfants.

Je vous renvoie à mon rapport pour davantage de précisions sur les points qui viennent d'être évoqués.

Suivant l'avis du rapporteur, la commission a adopté le rapport et le projet de loi précité, les sénateurs du groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE) s'abstenant.

Proposition de résolution européenne sur l'extraterritorialité des sanctions américaines - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Jean-Paul Émorine, rapporteur. - Dans quelques jours, lundi prochain, le régime de sanctions américaines contre l'Iran reprendra toute sa vigueur. C'est la conséquence du retrait des Etats-Unis du Plan d'action global commun (JCPoA en anglais). Le retrait des Etats-Unis est motivé par trois considérations : l'idée que le JCPoA n'offre pas de protection contre les ambitions nucléaires de l'Iran, notamment parce qu'il ne prévoit qu'une suspension de l'effort iranien, avec la perspective d'une reprise de son programme nucléaire dès 2025 ; le fait que le JCPoA ne vise pas explicitement les moyens balistiques iraniens, ce que les Iraniens soulignent pour justifier le développement rapide de leur programme balistique, qui inquiète naturellement les Occidentaux, mais plus encore l'Arabie saoudite ou Israël ; le fait que le JCPoA ne traite pas de l'autre dimension de l'action de l'Iran, à savoir son ingérence dans tous les foyers de tension de la région : Liban, évidemment, avec l'emprise toujours plus forte du Hezbollah dans ce pays ; Syrie, là encore de façon de plus en plus directe et déstabilisatrice ; Iraq, avec la tentative d'y influer en s'appuyant sur la partie chiite de la population ; Yémen, avec le soutien à la faction houthie contre la coalition saoudo-émiratie. Ces différents éléments expliquent, avec naturellement le changement politique à la tête des Etats-Unis, le revirement américain.

La décision américaine pose deux problèmes distincts aux pays européens : tout d'abord, elle met en péril le JCPoA, qui est pourtant, aux yeux de l'ensemble de la communauté internationale moins les Etats-Unis, l'Arabie saoudite et Israël, un élément de désescalade dans cette région si instable. Second problème, qui nous occupe plus directement aujourd'hui : les sanctions américaines ont, par leur très large spectre, une dimension extraterritoriale. En effet, le dispositif américain fait référence à la notion cruciale d'« american nexus », qu'on peut traduire par « point de connexion avec les Etats-Unis ». Le simple fait d'utiliser le dollar pour une transaction est déjà, aux yeux des Etats-Unis, un « american nexus », qui fait tomber cette transaction dans le champ du dispositif américain. C'est ce caractère extraterritorial qui a motivé l'important travail de nos collègues de la commission des affaires européennes. En effet, cette commission suit traditionnellement avec attention les relations commerciales entre les pays de l'Union européenne et les Etats-Unis. C'est là tout l'intérêt et la difficulté de ce dossier : il mêle en permanence le diplomatique et l'économique. L'économie comme arme diplomatique ; mais aussi, ne soyons pas naïfs, les postures diplomatiques comme arme économique, pour fermer des marchés aux concurrents européens. Que l'on prenne le problème sous l'angle diplomatique ou économique, l'attitude américaine est inacceptable pour les pays européens, car elle limite de façon significative notre souveraineté.

Avant de rentrer dans les détails techniques de ce dossier, je voudrais résumer la situation en faisant appel à cette citation de Montesquieu, que je trouve assez parlante : « C'est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ; il va jusqu'à ce qu'il trouve des limites ». Et voilà bien la clef de l'attitude américaine : les Etats-Unis prennent ces sanctions extraterritoriales, parce que leur puissance et leur rôle central dans l'économie mondiale le leur permet. C'est dire déjà que la réponse européenne ne peut être définie que si on conçoit une Europe-puissance. C'est la conception française, mais nous savons bien qu'elle est loin d'être partagée par tous les Etats membres de l'Union.

De fait, l'Union européenne n'est pas restée inactive quand les Etats-Unis ont développé, à partir de 1996 (loi d'Amato-Kennedy) leur régime de sanctions extraterritoriales. Dès novembre 1996 était adopté un règlement communautaire dit « règlement de blocage », qui prévoyait l'ineffectivité des sanctions extraterritoriales américaines sur le territoire de l'Union, et même l'interdiction pour les personnes et entreprises européennes de se soumettre à ce régime de sanction dans l'Union. La Commission a entrepris d'actualiser à l'été 2018 ce règlement, mais nos collègues de la commission des affaires européennes proposent d'appeler au renforcement de ce règlement, ce qui est bienvenu.

L'autre grande idée de la Commission européenne, soutenue en cela par les Etats-membres, est d'essayer de contourner l'effet extraterritorial des sanctions, par la création d'une forme de chambre de compensation internationale, inspirée de certains instruments financiers de titrisation, et appelée SPV (Special Purpose Vehicle, ou instrument à but spécifique). L'idée est de pouvoir à la fois éviter de recourir au dollar, et aussi éviter de recourir au système bancaire iranien, frappé par les sanctions américaines. Cette solution, qui a déjà reçu le soutien de principe de la Russie et de la Chine, est ingénieuse, mais il faut aussi avoir la lucidité d'en voir les limites. Tout d'abord, elle pose de nombreuses difficultés techniques, car il est loin d'être si facile de faire l'impasse sur le système bancaire de l'Iran. Ensuite, et plus fondamentalement, les circuits financiers, qui reposent essentiellement sur le système bancaire, sont un outil essentiel pour assurer la régulation des flux financiers, la transparence des transactions, la lutte contre la corruption ou contre le financement du terrorisme. Il y a donc aussi un risque inhérent à la constitution de dispositifs de contournement des circuits traditionnels.

S'il y a donc lieu de soutenir cette idée, son application effective prendra du temps. Du reste, un tel dispositif, s'il fonctionne, dépassera naturellement le seul cas iranien.

Avant de passer à l'examen des amendements, je voudrais conclure sur une note plus politique : je l'ai dit, si les Etats-Unis nous créent aujourd'hui cette difficulté, c'est qu'ils en ont la capacité. Face à cette réalité, nous sommes confrontés aux limites de la construction européenne. Les Etats-membres de l'Union ont-ils tous le souhait de s'affranchir ainsi des Etats-Unis, voire de s'y opposer ? Quand on songe à d'autres sujets de notre commission, comme la difficile construction d'une Europe de la défense par exemple, on peut en douter.

Par conséquent, la proposition de résolution européenne qui nous est soumise est très bienvenue, mais il faut aussi avoir conscience qu'une vraie riposte européenne suppose une volonté politique partagée, et que nous n'en sommes pas encore là. Au-delà de ce projet de SPV, il faudra faire avancer le rôle de l'euro comme monnaie d'échange internationale. Du moins, ces efforts de l'Union ont déjà le mérite d'exprimer aux Etats-Unis que nous ne nous résignons pas à accepter passivement leur volonté.

M. Joël Guerriau. - Cette proposition de résolution est intéressante et je la soutiens ; l'Europe cherche à réagir d'une seule voix. Il me semble que la France est bien placée, diplomatiquement, et pourtant elle n'est que le troisième exportateur européen vers l'Iran, derrière l'Allemagne et l'Italie. La décision des Etats-Unis de se retirer du JCPoA est très grave, car en réalité elle accroît le risque que l'Iran se dote de la bombe.

M. Robert del Picchia. - Il faut soutenir cette proposition de résolution, même s'il y a peu d'espoir qu'elle fasse bouger les choses. Les Etats-Unis sont en position de force, et sur le plan pétrolier, et sur le plan du rôle du dollar. Je rappelle qu'une tentative de l'OPEP de se passer du dollar avait échoué très rapidement. Il faut également faire attention à la réaction américaine aux décisions de l'Union européenne, et en particulier pour les Français vivant ou nés aux Etats-Unis.

M. Ladislas Poniatowski. - L'idée de cette proposition de résolution est très bonne, mais il s'agit d'une action totalement symbolique ! Elle a le mérite d'adresser un message aux Etats-Unis et à l'Iran. Mais cela ne change pas la réalité des échanges. L'Europe devait livrer 100 Airbus, mais seuls 2 ont pu être livrés avant le retrait américain. De même, 5 ATR ont été livrés, pour 16 prévus. Dernier exemple : Peugeot a dû quitter le pays, alors qu'il vendait 250.000 véhicules.

M. Olivier Cadic. - Il s'agit du même problème que pour Cuba. A Cuba, des retraités français avaient été privés un temps du versement de leurs pensions en raison de la crainte des banques françaises des sanctions américaines. Cela étant, les Etats-Unis ont un poids économique considérable, et nous ne pourrons pas non plus nous fermer le marché américain.

M. Christian Cambon, président. - Nous passons maintenant à l'examen des amendements.

Article unique

M. Richard Yung. - L'amendement n° COM-1 rectifié rappelle la déclaration du groupe E3 (France, Allemagne, Royaume-Uni) du 6 août 2018.

M. Jean-Paul Émorine, rapporteur. -Il s'agit d'une précision bienvenue. Avis favorable.

L'amendement n° COM-1 rectifié est adopté.

M. Richard Yung. - L'amendement n° COM-2 rectifié souligne l'importance du JCPoA pour la stabilité de l'ensemble du monde.

M. Jean-Paul Émorine, rapporteur. - Il s'agit là encore d'un complément utile, pour souligner les répercussions du dossier iranien qui vont au-delà du seul Moyen-Orient. Avis favorable.

L'amendement n° COM-2 rectifié est adopté.

M. Jean-Paul Émorine, rapporteur. - L'amendement n°  COM-5 tend à mettre en perspective le dossier iranien, au-delà du terme du JCPoA. Le JCPoA est limité au programme nucléaire, et il est limité dans le temps. Il est donc nécessaire de faire référence, d'ores et déjà, à l'après-JCPoA, moment où il faudra que nous puissions avoir des discussions aussi sur les volets balistique et régional.

L'amendement n° COM-5 est adopté.

M. Richard Yung. - L'amendement n° COM-3 tend à exprimer plus fortement notre désapprobation du retrait américain du JCPoA.

M. Jean-Paul Émorine, rapporteur. - Nous partageons ce sentiment de nos collègues. Avis favorable.

L'amendement n° COM-3 est adopté.

M. Jean-Paul Émorine, rapporteur. - L'amendement n°  COM-4 tend à apporter une légère modification rédactionnelle, pour supprimer une formule un peu restrictive dans le projet de proposition.

L'amendement n° COM-4 est adopté.

M. Christian Cambon, président. - Je mets aux voix la proposition de résolution européenne ainsi amendée.

La proposition de résolution européenne est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Questions diverses

M. Christian Cambon, président. - Avant l'audition du directeur général de l'agence française de développement, je souhaiterais vous faire un bref compte rendu de la mission que nous venons d'effectuer au Liban, du jeudi 25 au dimanche 28 octobre derniers. L'objet de cette mission était de réaffirmer notre soutien aux autorités libanaises ; c'est la raison pour laquelle elle était composée des présidents, de sénateurs et de députés des deux commissions des affaires étrangères. À l'exception du patriarche maronite qui était absent, nous avons rencontré toutes les autorités du pays : le président de la République, M. Michel Aoun, le président du Conseil des ministres, M. Saad Hariri, le président de l'Assemblée nationale, M. Nabih Berri, ainsi que le président de la commission des affaires étrangères, M. Yassine Jaber, et des parlementaires de tous les groupes politiques.

Nous nous sommes rendus sur la blue line, dans le Sud du pays, afin d'apporter notre soutien au contingent français de la FINUL, composé de 700 soldats. Nous avons également visité un campement de réfugiés informel installé dans la région, qui accueille des Syriens en provenance d'Idlib.

Le Liban se trouve dans une situation compliquée : son gouvernement n'a toujours pas été formé - alors que les ministres devaient être nommés dimanche dernier selon le président de la République - ; par conséquent, en l'absence de ministres, les financements de la Conférence « Cèdre » initiée par la France pour aider le pays à entreprendre des réformes économiques pour faire face à la crise qu'il traverse, peuvent difficilement être mobilisés. Ce blocage n'incite pas à l'optimisme sur la situation dans laquelle se trouve le Liban.

Lors de la rencontre avec la commission des affaires étrangères du Parlement libanais était présent un député du parti Hezbollah. À la suite de notre entretien, ce député a déclaré à la presse que nous aurions fait des déclarations sur les forces militaires libanaises, ce qui était évidemment faux ! D'après nos entretiens, le Hezbollah est certes toujours conseillé et coordonné par l'Iran, mais essaye aujourd'hui de trouver son autonomie afin de devenir une force politique au Liban - ce parti a d'ailleurs déjà participé au gouvernement et sera représenté dans le prochain. La fraction armée du Hezbollah est toujours classée comme organisation terroriste, mais le parti a contribué à l'élection de Michel Aoun à la tête du pays. Il est important de se rendre sur place afin de mieux appréhender la situation libanaise, plus complexe que les analyses en France ne le laissent supposer. Toutefois, de là à dire que le Hezbollah deviendra un parti respectueux de l'autonomie du Liban, il y a un pas que je ne franchirai pas ! La vie politique libanaise est d'une grande complexité !

Mme Sylvie Goy-Chavent. - Je vais dans le sens des propos du président. Si vu d'ici, le Hezbollah est plutôt considéré comme la bête à abattre, vu du Liban, au sud du pays, nous avons pu traverser les zones qu'il contrôle sans problème, ce qui n'était pas le cas il y a quelques années. J'ajouterai que le Premier ministre Saad Hariri revenait d'Arabie Saoudite quand nous l'avons rencontré ; on sent que ce pays et l'Iran essayent de mettre la main sur le Liban. On sent une envie des Libanais d'avancer politiquement mais on constate que les Chrétiens ont des difficultés à s'unir et à se répartir les ministères, car comme vous le savez, c'est un Gouvernement d'union nationale. Je surveille la presse et j'espérais l'annonce de la formation d'un gouvernement aujourd'hui. Il est urgent que ce pays ait un gouvernement car son absence affecte sa crédibilité et de grandes réformes sont à entreprendre. Les Libanais souffrent terriblement de la présence d'un million et demi de Syriens pour quatre millions de Libanais. Cela a un impact sur les écoles, les hôpitaux et surtout sur les emplois, car les Syriens sont employés à des salaires inférieurs à ceux des Libanais. Cela pose de vrais problèmes sociaux, humains et humanitaires. Il est temps que ce gouvernement se forme réellement et il paraît primordial que la France continue de rester aux côtés de ce pays, parce que les Libanais attendent beaucoup de notre présence.

M. Christian Cambon, président. - A ce propos, je veux rendre un hommage au travail que font les forces françaises au sein de la FINUL, car c'est véritablement la France qui contribue à pacifier le Sud Liban. Nous sommes allés à la frontière. Les incidents y sont de moins en moins nombreux. Le dispositif de surveillance est absolument impressionnant. Les violations sont toutes reportées directement au Conseil de sécurité des Nations unies, comme par exemple le survol du territoire libanais par des avions de chasse et des drones israéliens - et vous le savez, le moindre incident peut dégénérer.

M. Gilbert-Luc Devinaz. - Moi aussi, je veux aller dans le sens du président. Le Hezbollah semble relativement s'autonomiser de l'Iran, mais pour aller vers où, telle est la question. Les institutions du Liban reposent sur une répartition confessionnelle entre les communautés, mais le rapport démographique entre Chrétiens et Musulmans a beaucoup changé, ce qui peut poser des problèmes. Si nous parlons de la question des migrants en France, que dire au Liban où il y a un million et demi de réfugiés, soit 30 % de la population libanaise. Cela dit, je vais reprendre à mon compte une formule que nous avons entendue sur place : « si quelqu'un prétend avoir compris le Liban, c'est qu'il n'a rien compris ! »

Projet de loi de finances pour 2019 - Audition de M. Rémy Rioux, directeur de l'Agence française de développement (AFD)

M. Christian Cambon, président. - Mes chers collègues, nous accueillons à présent Rémy Rioux, directeur général de l'agence française de développement (AFD), ce qui nous permettra de clore notre cycle d'auditions budgétaires en évoquant l'aide publique au développement et la mission budgétaire qui lui est consacrée.

Monsieur le directeur général, l'agence française de développement, qui est à la fois une banque et une agence de coopération, est l'un des principaux acteurs, si ce n'est le principal acteur, de la politique d'aide au développement française. Elle pèse aujourd'hui 40 milliards d'euros de bilan, et environ 10 milliards d'engagements nouveaux en 2017, contre seulement 7 milliards en 2012. Le Président de la République ayant annoncé que l'APD française passerait à 0,55% du revenu national brut (RNB) en 2022, l'AFD devra encore accroître son activité, pour atteindre près de 18 milliards d'euros à cette date, soit une hausse de 80% en 5 ans !

Vous connaissez la « doctrine » de la commission : concentration de l'aide sur l'Afrique subsaharienne et singulièrement francophone, participation à l'approche globale qui doit faire converger les « 3D » - diplomatie, défense et développement -, contribution à l'influence française dans le monde, lutte contre les causes profondes des migrations subies, notamment dans les domaines de l'éducation et de la santé.

J'aurai d'emblée trois interrogations : l'AFD intervient à la fois par des prêts et par des dons, à la fois dans des pays grands émergents et dans les pays les plus pauvres, à la fois pour financer des infrastructures et des programmes sociaux. Qu'est-ce qui fait aujourd'hui l'unité et l'identité de l'AFD ? Quelle est votre vision de l'agence pour les années à venir ?

2019 sera un bon « cru » budgétaire pour l'aide au développement : 130 millions d'euros supplémentaires en crédits de paiement pour la mission APD et surtout plus d'un milliard supplémentaire d'autorisations d'engagement : quelle sera la traduction concrète de ces augmentations pour l'AFD en 2019 ?

Outre les évaluations pilotées par les agences locales pour tel ou tel projet, l'AFD est dotée d'un département « Évaluation et apprentissage » qui regroupe quatorze personnes et qui doit réaliser des évaluations thématiques et stratégiques approfondies. Le département fait appel à des prestataires externes pour réaliser ces évaluations, ce qui me paraît une très bonne pratique. Nous souhaiterions même aller plus loin encore, à l'instar du modèle anglo-saxon qui confie à certains opérateurs des missions importantes. Pourriez-vous nous donner des exemples d'évaluations effectuées, nous dire qui sont ces partenaires externes et, surtout, nous dire si ces évaluations vous ont conduit à changer vos pratiques pour rendre les projets plus efficaces ? Les changements ne suivent en effet pas toujours les recommandations des évaluations, notamment celles produites par la Cour des comptes. L'objectif est d'aller vers un pilotage par les résultats, comme y avait invité le Président de la République, lors de la dernière conférence des ambassadeurs ; s'en rapproche-t-on ?

M. Rémy Rioux, directeur général de l'agence française de développement (AFD).- Je débuterai mon propos en vous présentant deux projets, choisis parmi les quelques huit cents conduits par l'Agence. Le premier, où l'AFD intervient en prêts, est d'ordre macro-économique et vise à faire du Burkina Faso le nouveau hub des énergies renouvelables. Située au sud-ouest de Ouagadougou, la centrale solaire de Zagtouli est la plus grande d'Afrique de l'Ouest. Ainsi, ce sont près de quatre cents ouvriers qui ont travaillé simultanément à la construction des structures et à la mise en place des 130 000 panneaux solaires. Cette centrale va fournir 55 GWh d'électricité chaque année, soit 4% de la consommation annuelle du pays et va améliorer l'accès à l'électricité pour de nombreuses personnes, tout en limitant les émissions de gaz à effet de serre. Le Burkina Faso entend désormais lancer une production électrique de plus en plus tournée vers l'énergie solaire, plus accessible et moins polluante, avec comme objectif que 30% de la consommation électrique nationale provienne de l'énergie solaire à l'horizon 2025.

L'autre projet, d'ordre plus micro-économique, concerne la formation professionnelle au Liban, dans le contexte de la crise syrienne et est abondé par cinq millions d'euros de dons. Suite à la crise migratoire et sociale qui sévit au Liban, l'ONG française IECD et son partenaire Semeurs d'avenir ont développé, avec l'appui de l'AFD, des formations courtes et qualifiantes dans divers domaines. Les formations proposées sont ciblées sur des métiers offrant des débouchés sur le marché du travail. Le projet inclut également la formation de 70 enseignants. Ce programme facilitera, au total, l'insertion professionnelle ou la reprise d'études de 1 600 jeunes dont de jeunes migrants d'origine syrienne qui pourront, en temps voulu, participer à la reconstruction de la Syrie.

J'en viens, à présent, au chemin parcouru depuis mon audition en mai 2016. L'AFD constitue un réseau technique de taille mondiale, qui compte désormais 2 500 collaborateurs de quatre-vingt nationalités, répartis dans 85 agences actives dans cent-dix pays. Des strates régionales ont également étoffé ce réseau. L'AFD accompagne 3 600 projets et est en mesure d'en générer près de 700 par an. La trajectoire de forte croissance doit impliquer des gains d'efficacité que l'examen de la prochaine loi d'orientation permettra d'évaluer dans une perspective pluriannuelle. Notre trajectoire a débuté, en 2014, avec 7 milliards d'euros, pour atteindre 11 milliards en 2018, soit une augmentation annuelle d'un milliard d'euros. Notre objectif est d'atteindre 14 milliards d'euros en 2019, voire 18 milliards en 2020, afin de respecter l'objectif présidentiel de 0,55% du RNB. D'ailleurs, le projet de loi de finances pour 2019 constitue une première étape en ce sens : l'AFD va disposer de moyens exceptionnels d'engagement, autant pour ses prêts que pour ses dons, avec deux milliards d'euros de subventions ; ce montant prenant en compte non seulement le budget voté en loi de finances, mais aussi l'apport des différents fonds qu'elle obtient soit à Bruxelles soit auprès d'autres instances multilatérales. Si ses ressources budgétaires françaises vont être multipliées par quatre, les fonds que l'AFD obtient auprès des organismes multilatéraux ont doublé. Ainsi, elle vient d'obtenir 240 millions de dollars du Fonds vert pour le climat en soutien d'un programme d'adaptation des pays les plus pauvres au changement climatique.

Alors que la politique de développement avait perdu 40% de ses crédits depuis la fin du mandat de Jacques Chirac, l'inversion de cette trajectoire n'a été possible qu'à la condition du renforcement de notre pilotage politique. S'inspirant du fonctionnement des conseils de défense, cette nouvelle forme de pilotage implique des réunions périodiques avec le Président de la République et une loi de programmation. Le Premier ministre est impliqué régulièrement dans le cadre des travaux du Comité interministériel de la coopération et du développement (CICID) et l'Agence est sous la tutelle de trois ministères : économie et finances, Europe et Affaires étrangères, ainsi que le ministère des Outre-mer.

Toutes les administrations, avec d'autres parties prenantes, dont les parlementaires, sont réunies et approuvent les projets de l'AFD. Nous sommes très attentifs à répondre à vos sollicitations et à vous rendre des comptes sur nos travaux, comme je le ferai prochainement devant la section du Sénat de l'Assemblée parlementaire de la francophonie. La Cour des comptes vient d'ailleurs de rendre un rapport positif sur la gestion et la stratégie de l'AFD.

Les moyens budgétaires votés sont concentrés dans les pays prioritaires : les trois-quarts des subventions doivent être employés dans les dix-neuf pays prioritaires de l'aide française, dont le Sénégal, le Mali, le Burkina Faso. Les prêts concessionnels sont destinés aux pays émergents de l'Afrique, comme la Côte d'Ivoire, le Kenya, le Congo-Brazzaville, le Nigéria et le Maroc. Il s'agit, pour l'Agence, d'y obtenir des résultats plus importants en volume en consentant à ces prêts.

En outre, avec quarante-deux milliards d'euros de bilan, l'Agence est aussi une banque qui peut accorder des prêts non concessionnels aux taux du marché, notamment à nos territoires ultramarins, de plus en plus reliés à leur environnement régional, et à d'autres pays émergents, comme la Colombie, le Brésil et le Kenya, où la France a des intérêts.

M. Christian Cambon, président. - Quel est le statut de la Turquie ? Pourquoi est-elle incluse dans la liste des pays prioritaires, alors qu'elle vient, par ailleurs, d'inaugurer le plus grand aéroport du monde ?

M. Rémy Rioux. - La Turquie figure parmi les huit premiers pays bénéficiaires de crédits de l'AFD d'origine européenne. Elle ne figure pas dans la liste de nos pays prioritaires ; c'est une coquille dans le tableau.

L'AFD intervient également dans l'ensemble des territoires ultramarins. Notre stratégie pour l'Outremer a évolué : nous y promouvons désormais le développement durable et l'intégration régionale en travaillant avec les États voisins, comme les Comores et Mayotte, Haïti et la Guyane.

Nous nous transformons en plateforme de la politique de développement. Outre le portage politique de l'exécutif, l'examen de la future loi d'orientation et de programmation pour le développement permettra de fixer les orientations et la trajectoire de l'Agence.

Le monde est divisé en deux groupes de pays : ceux qui ont un indice de développement très faible mais qui dégradent très peu l'environnement et ceux qui présentent, à l'inverse, un indice de développement très élevé avec une trajectoire environnementale insoutenable. Tous les États doivent atteindre un indice de développement humain élevé avec une empreinte écologique soutenable.

Il ne faut pas que les pays les plus pauvres nous rattrapent en termes de mode de développement, au risque d'être dans une situation globale catastrophique. Ils peuvent d'ailleurs nous inspirer, en matière de technologie frugale, pour que nous assurions notre propre transition en faveur du développement durable dont les objectifs sont notre guide depuis 2015.

L'AFD divise désormais le monde en quatre régions : la première région concerne l'ensemble de l'Afrique, confrontée à des problèmes de dimension continentale. Une seconde région « Orient » part des Balkans et inclut la Chine. Outre l'Amérique du Sud et centrale, une quatrième zone comprend les trois océans où sont implantés les territoires ultramarins et leurs voisins.

Parmi les cinq engagements de notre plan stratégique, deux vous concernent directement : le développement en 3-D dans les territoires en crise, avec les diplomates et les militaires pour mobiliser les instruments pertinents, comme au Sahel, dans le cadre de l'initiative Minka, avec le soutien de l'Alliance Sahel. La priorité est également accordée aux acteurs non souverains, comme la société civile, les collectivités locales, les établissements financiers, lorsque certains gouvernements se trouvent dans l'incapacité de recourir aux prêts. Il s'agit ainsi de toucher plus directement la population.

L'AFD est un groupe avec deux filiales : aux côtés de l'AFD, qui est la maison-mère qui s'adresse aux clients publics, se trouve, d'une part, la société Proparco, qui est devenue le point d'entrée unique du secteur privé et, d'autre part, Expertise France, que le Gouvernement a décidé d'intégrer au sein du groupe AFD en février dernier. Il faudra sans doute attendre la prochaine loi d'orientation pour que cette intégration soit menée à son terme. Une telle perspective conduit à mettre de l'expertise dans nos services financiers et à améliorer l'ensemble de notre offre, tout en respectant le métier et l'identité juridique d'Expertise France. Que l'AFD soit devenue une plateforme indique sa capacité accrue de mobilisation des acteurs français et européens, ainsi que l'extension de sa présence dans le monde, au moment où l'influence des Britanniques, auparavant premiers opérateurs de développement, tend à décroître. Il y a donc une place à prendre pour l'AFD.

Dans cette perspective, je préside l'International Development Finance Club (IDFC), qui rassemble les 24 plus grandes banques de développement du monde. Ce cadre permet, depuis sept ans, de réaliser conjointement des projets. Avec 850 milliards de dollars de capacité financière, dont 200 sont orientés vers le climat, cette instance représente un levier d'influence pour la France qui permet également d'orienter les marchés vers le développement durable.

Enfin, je reviendrai sur la responsabilité qui pèse sur notre agence, qui bénéficie d'un budget exceptionnel. Notre redevabilité doit nécessairement s'en trouver accrue. C'est pourquoi notre dispositif d'évaluation comprend désormais trois niveaux : le premier, impliquant des évaluateurs externes, concerne les projets conduits par les agences. Nous allons d'ailleurs travailler à la systématisation de ces évaluations. Le second niveau, qui comprend des évaluations plus approfondies, concerne un ensemble de programmes dans la durée, comme l'aide au développement de la France au Vietnam. Nous y associons des cabinets de conseil. Enfin, l'AFD conduit des évaluations scientifiques d'impact, conduits avec des centres de recherche comme l'Institut de recherche pour le développement (IRD) ou le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), comme au Congo, où les critères de biodiversité et de développement durable sont pris en compte.

Des évaluations plus partenariales, comme avec la Kreditanstalt für Wiederaufbau (KFW), et, au sein du réseau IDFC, entre organismes bancaires, constituent autant de facteurs de progrès. Nous allons changer ainsi nos méthodes. Il nous faut augmenter le nombre de nos évaluations. Je m'engage devant vous à les rendre publiques dans leur totalité. Ainsi, au printemps prochain, nous publierons l'ensemble de nos évaluations dans un rapport public, afin d'en tirer les leçons, avec un focus sur la biodiversité. Cette publication pourrait d'ailleurs faire l'objet d'une audition. L'AFD est favorable à inclure des expertises extérieures dans ses évaluations, comme celle des parlementaires, à l'instar de la contribution de M. le sénateur Yvon Collin sur l'évaluation de l'action de l'AFD au Vietnam. Ces engagements ne manqueront pas de se matérialiser, à un moment ou un autre, au niveau législatif, à l'occasion des débats sur la loi d'orientation.

M. Christian Cambon, président. - Merci, Monsieur le directeur général, d'avoir tracé ces perspectives, d'être revenu sur l'évaluation qui reste l'une de nos priorités et d'avoir donné la mesure de l'accroissement spectaculaire de vos moyens, avec toutes les obligations afférentes.

M. Jean-Pierre Vial. - Ma première question portera sur l'aspect financier et notamment la montée en puissance correspondant aux engagements du Président de la République. Selon quel rythme les autorisations d'engagement doivent-elles se transformer en crédits de paiement au cours des prochaines années ? Si les choses se passent comme prévues, combien de crédits de paiement seront prévus au programme 209 à l'horizon 2022 ? Ma seconde question concernera la stratégie de l'AFD en Afrique : outre l'enjeu rural, pour le maintien des populations, les villes africaines ont un rôle à jouer. Sur quelle expertise sur ces questions urbaines s'appuie l'AFD ? Comment votre agence prend-elle en compte la coopération décentralisée conduite par les collectivités locales françaises ?

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. - L'année dernière, votre agence avait bénéficié d'un apport de 270 millions d'euros issus de la taxe sur les transactions financières. Dans le cadre du PLF 2019, ces montants ont été réaffectés au budget général. Des crédits d'un montant équivalent sont certes venus abonder la mission aide publique au développement, mais l'AFD, elle-même, ne bénéficiera que d'une partie de ces crédits. Est-ce un problème pour l'Agence ou cette disposition vous permet-elle, en définitive, une meilleure gestion des flux de projets et de leur financement ? Par ailleurs, l'Agence se positionne comme le leader de la lutte contre le changement climatique, conformément à l'accord de Paris et au CICID du 8 février dernier. Comment s'oriente la réalisation des deux objectifs annoncés dans le contrat d'objectifs et de moyens que nous allons examiner à l'issue de votre audition ; à savoir obtenir, d'une part, 50% de cofinancement climat et être, d'autre part, la première agence 100% en phase avec l'Accord de Paris ? Par ailleurs, l'architecture des financements en faveur du climat se caractérise par une réelle complexité. Comment l'AFD articule-t-elle son action avec celles des autres organes multilatéraux, comme le Fonds vert ou le Fonds pour l'environnement mondial ?

M. Rémy Rioux. - Des travaux antérieurs au CICID du 8 février dernier ont arrêté des trajectoires de crédits de paiement et d'autorisations d'engagement sous-jacentes à celle de l'aide publique au développement qui doit atteindre à terme 0,55% du RIB. Au-delà de son examen du projet de loi de finances pour 2019, la Représentation nationale est appelée à se prononcer sur ces éléments à l'occasion de son examen de la future loi d'orientation.

S'agissant des subventions, les projets de développement impliquent des autorisations d'engagement à l'année n ; les décaissements s'étalant en moyenne sur cinq ans, en commençant par moins de 10% la première année. Les demandes, qui vous présentées en loi de finance, sont ainsi fondées sur des règles d'écoulement des dons et de l'octroi de bonification de prêts ; le milliard d'euros d'autorisations d'engagement se traduira bien, dans les cinq années suivantes, en un milliard d'euros de crédits de paiement, avec une pression assez forte pour décaisser le plus rapidement possible, notamment dans les zones en crise, tout en demeurant dans une optique de développement à moyen et long terme.

Créée il y a soixante-dix-sept ans, l'AFD est la plus vieille institution de développement au monde.

L'Afrique connaît, de manière inouïe, une croissance simultanée de sa population rurale et urbaine. Le développement urbain représente entre 10 et 15% de notre activité annuelle, soit 1,5 milliard d'euros. L'AFD est également très présente dans les villes émergentes où l'expérience acquise est également intégrée dans les modèles de développement urbain.

La rebudgétisation de la taxe sur les transactions financières est parfaitement conforme à l'engagement souscrit, comme en témoigne le total des autorisations d'engagement soumis à votre vote. Ma perception de cette question s'avère différente cette année : alors que l'année passée, le produit de la taxe sur les transactions financières conditionnait notre capacité à fournir des dons aux produits en crise, le contexte a évolué. Néanmoins, je demeure très attaché au fait qu'une partie du produit de la taxe sur la transaction financière soit affectée au développement. Un moment viendra où les grandes banques internationales auront clarifié leur implantation et sera peut-être instaurée une taxe sur les transactions financières européennes, à laquelle la France s'est engagée, à l'inverse, pour le moment, de l'Allemagne. A cette occasion, un débat pourrait s'emparer de la question de l'usage de ces ressources : doivent-elles financer le développement de la zone Euro ou contribuer plutôt à l'aide au développement ?

La lutte contre le réchauffement climatique est notre signature internationale depuis près d'une quinzaine d'année. Tout comme l'AFD, le rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) confirme la synergie entre les objectifs de développement durable et ceux de lutte contre la pauvreté. Il faut ainsi trouver des compromis dynamiques ; tous nos projets comprennent en ce sens un bilan carbone préliminaire à notre engagement. La moitié de nos projets présente ainsi un bénéfice dans la lutte contre le changement climatique. Nos homologues ont suivi cette méthode. Lors du One Planet Summit, l'AFD a ouvert une nouvelle frontière stratégique en se revendiquant totalement en phase avec l'Accord de Paris : toutes les actions de l'AFD appuieront les trajectoires de développement bas carbone et durables, conformément à l'article 2 de l'Accord de Paris, que tous les pays du monde doivent déclarer à l'Organisation des nations unies d'ici à 2020. Au-delà de la diversité des microprojets, il nous faut désormais entrer dans un dialogue avec les pays sur les trajectoires de développement qu'ils élaborent dans leurs politiques publiques. L'AFD mobilise ainsi son expertise pour aider les pays les plus pauvres et leurs acteurs moteurs dans la lutte contre le changement climatique, comme les ministères de l'environnement et du plan, pour que les trajectoires à court terme ou à l'horizon 2050 visent la neutralité carbone. L'AFD peut ainsi concilier des activités micro, conduites par des ingénieurs, et des activités macro, où l'expertise économique permet d'influer sur le contenu des politiques publiques. Notre nouvelle architecture internationale correspond à cette double approche : nos actions impliquent de plus en plus les grands acteurs multilatéraux, comme le Fonds vert pour le climat ou encore l'IDFC qui est en mesure d'aller du global au local. Cette architecture assure la connexion de la sphère internationale à la sphère locale et domestique. L'AFD n'est ni une organisation internationale ni en compétition avec la banque mondiale : elle travaille avec le système international et apporte à la France un savoir-faire, notamment en matière de lutte contre le changement climatique.

M. André Vallini. - Je me réjouis du renforcement de cette trajectoire financière amorcée dès la fin du dernier quinquennat. Quel est le pourcentage des ONG parmi les acteurs non souverains avec lesquels l'AFD travaille ? Quelles sont vos relations actuelles avec la Caisse des dépôts et consignations (CDC) ?

M. Raymond Vall. - Si la France est très active en matière de déploiement des forces contre le terrorisme, elle dispose également en Afrique de vecteurs d'influence comme Rfi et France 24. Or, ces opérateurs connaissent de réelles restrictions budgétaires. Une contribution de l'AFD au déploiement de leurs stations et de leurs réseaux serait-elle envisageable ?

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Notre audiovisuel extérieur - France Media Monde et TV5 Monde - connaît en effet une baisse continue de ses financements. Or, ces canaux réalisent des émissions de formations essentielles au développement, à l'éducation et à la francophonie, hors des grandes villes. L'action de ces médias correspond, en outre, parfaitement aux principes du CICID et nous avons besoin de votre aide pour faire rentrer l'audiovisuel dans les mécanismes de projet de développement.

Mme Christine Prunaud. - La Turquie figure parmi les pays prioritaires de votre action. Les versements de l'Union européenne, au titre du pacte UE-Turquie sur les migrants couvrent-ils l'aide publique au développement ? Par ailleurs, quel est le rôle du Franc CFA dans le développement en Afrique ? N'obère-t-il pas la capacité des pays à être authentiquement indépendants ?

M. Hugues Saury. - Nous avons pu voir l'accompagnement très important de l'AFD au Burkina Faso, en complément des différentes actions conduites par les collectivités territoriales. Existe-t-il au sein de l'AFD une structure qui coordonne et évalue l'ensemble de ces actions ?

M. Jean-Marie Bockel. - Je salue votre engagement et celui de vos équipes. Votre impulsion a restitué sa crédibilité et son ambition à l'AFD. Si la création d'Expertise France a constitué un progrès, quelle va être son évolution au sein de l'AFD ? L'Agence peut-elle également déployer son expertise auprès des pays d'origine des migrants, tant l'examen de ce sujet, pourtant à l'agenda politique, ne semble guère donner de résultats probants.

M. Gilbert Bouchet. - Nous siégeons, avec mon collègue Jean-Marie Bockel, au conseil d'administration de l'AFD. J'ai pu constater la transparence de votre fonctionnement. Quel est le devenir d'Expertise France au sein de votre agence ?

Mme Hélène Conway-Mouret. - Vous allez abonder d'un milliard d'euros l'aide apportée aux PME. Quelle place comptez-vous accorder aux micro-projets qui s'adressent avant tout à des populations en très grande précarité ? Les relations de vos équipes, sur le terrain, ont-elles évolué avec les forces de sécurité et de défense? Enfin, la Chine continue-t-elle à bénéficier d'une aide au développement ?

M. Joël Guerriau. - L'Union européenne est un acteur important de l'aide au développement. Comment coordonnez-vous vos actions avec les délégations européennes sur le terrain ?

M. Gilbert Roger. - Comptez-vous ainsi dénoncer les acteurs du développement - je pense aux États-Unis - qui octroient des financements incompatibles avec l'Accord de Paris ? Par ailleurs, l'importance grandissante des projets conduits par l'AFD n'est-elle pas de nature à occulter les micro-projets ?

M. Olivier Cadic. - Quelle est la situation de l'AFD dans les Balkans ? Comme j'ai pu le constater au Mozambique - où l'AFD intervient en prenant pour base l'Ile de la Réunion -, cette nouvelle démarche permet de mettre fin à la logique de silos qui prévalait précédemment. Comment comptez-vous la généraliser ?

M. Richard Yung. - Il est toujours important de visiter l'antenne de l'AFD pour mieux connaître un pays. Quelles sont les actions du fonds d'investissement que l'AFD a créé avec la Caisse des dépôts ? L'AFD s'est-elle également intéressée aux importants flux financiers émis par les diasporas africaines, évoqués dans le rapport présenté par notre collègue de l'Assemblée nationale Hervé Berville ?

Mme Gisèle Jourda. - Le 20 juin 1990, François Mitterrand conditionnait, dans son discours de la Baule, l'aide au développement au progrès démocratique. Le 28 novembre 2017, le Président Macron déclare, à Ouagadougou : « je suis d'une génération qui ne vient pas dire à l'Afrique ce qu'elle doit faire et quelles sont les règles de l'État de droit. » En ce qui me concerne, je suis d'une génération qui ne comprend pas les accommodements qui conduisent l'AFD à octroyer un prêt au gouvernement gabonais pour rembourser sa dette intérieure. Cet argent ne contribue nullement au développement du pays ! Il conviendrait de repositionner l'aide au développement en fonction du respect élémentaire des droits de l'homme !

Mme Isabelle Raimond-Pavero. - J'interviendrai en tant que suppléante de ma collègue, Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, au sein du conseil d'administration d'Expertise France. Si le rapprochement avec cet organisme est acté, encore faut-il faire oeuvre de prudence, en développant une relation de confiance avec ses personnels et en conservant distincte son identité juridique. Quelle méthode allez-vous mettre en oeuvre pour assurer l'intégration d'Expertise France au sein de votre groupe et tirer parti de son savoir-faire ?

M. Ladislas Poniatowski. - Aucune des « routes de la soie » n'est innocente. Elles relèvent toutes d'une démarche pragmatique. L'AFD a-t-elle la même approche et, au gré de vos évaluations stratégiques, êtes-vous amené à revenir sur des engagements antérieurs ?

M. Christian Cambon, président. - A ce sujet, j'aurai une pensée pour notre collègue Pascal Allizard, qui se trouve actuellement au Pakistan, et qui, suite aux manifestations de fondamentalistes en réaction contre l'acquittement d'Asia Bibi, a dû être placé en zone de sécurité. En outre, nous venons d'inscrire la Colombie, où l'AFD s'est engagée notamment à Medellin, parmi nos thèmes d'étude pour l'année prochaine.

M. Rémy Rioux. - En Colombie, l'AFD est intervenue dans la réforme du foncier mentionnée dans les accords de paix. Nous veillons ainsi à ce que l'engagement du gouvernement colombien à réaliser cet accord soit pérennisé.

L'Agence est engagée dans une transformation très profonde. Dotée de la force d'une banque, elle devient davantage une agence. L'importance des procédures s'y est accrue comme en témoigne la nouvelle place accordée à l'évaluation. Notre positionnement et notre responsabilité vis-à-vis des autres acteurs ont évolué : après avoir été l'opérateur pivot de l'aide au développement, l'Agence est devenue la plateforme bilatérale et opérationnelle de la politique de développement. Il nous faut tourner vers le Sud un maximum d'acteurs et de créer du lien de la France avec les autres pays.

La COP21 a été un catalyseur, en débutant par le climat avant que le développement n'en renforce la dynamique. Je n'oublie pas le Président François Hollande qui est à l'origine de la recapitalisation de l'AFD et de son rapprochement avec la CDC.

En 2009, le guichet de financement de la société civile française nous a été transféré. Sa dotation, pour le moment de 80 millions d'euros, devrait être augmentée. Tout l'enjeu avec la société civile est également de sortir de la logique du guichet en réalisant des projets, comme en Jordanie, en partenariat avec elle.

Nous faisons le même métier que la Caisse des dépôts. Nous restons dans le cadre de l'alliance stratégique du 6 décembre 2015. Des échanges de personnels ont lieu : la Caisse des dépôts va trouver de l'international dans les territoires. Avec BPI France et l'AFD, ce nouveau groupe est appelé à monter en puissance. Le fonds d'investissement STOA, qui représente au total 600 millions d'euros - 500 en provenance de la CDC et 100 en provenance de l'AFD - a déjà investi, avec Engie, en Inde dans les énergies renouvelables, et s'apprête à le faire dans une dizaine de projets dans les domaines des transports et des énergies renouvelables, dont six sont en Afrique.

Être une plateforme implique de mobiliser d'autres acteurs publics en faveur du développement. Ainsi, l'AFD peut avoir besoin des experts de l'ADEME pour des projets internationaux dans le secteur énergétique. S'il n'est pas question de compenser des efforts demandés par le Gouvernement à d'autres établissements publics, il nous semble, en revanche, envisageable d'acheter, à nos conditions, du développement à d'autres acteurs.

Les médias contribuent évidemment au développement et nos collègues allemands et britanniques ont des liens avec leurs opérateurs nationaux. Dans le cadre de l'Alliance Sahel, nous soutenons des radios locales, en langue locale. Notre plateforme ne s'adresse pas qu'à France Médias Monde, mais à l'ensemble des acteurs dont les réseaux présentent de réelles potentialités de développement, et les compétences sont distinctes des nôtres. Dans le cadre des objectifs du développement durable, il importe également de repérer des innovations conduites dans les pays du Sud pour les incorporer dans nos propres pratiques.

La Turquie est reconnue comme un pays en développement par l'OCDE. Les transferts qu'elle perçoit de l'AFD sont comptabilisés à Bruxelles comme relevant de l'aide au développement. En revanche, nos prêts sont bloqués en raison des risques macroéconomiques que traverse ce pays. Nos produits n'y sont pas concessionnels.

Les trois francs CFA sont des monnaies africaines gouvernées par des Africains. Le choix de la parité fixe relève d'un choix souverain auquel la France apporte une garantie. Personne n'a jamais réellement démontré si l'appartenance à la Zone Franc représentait un avantage ou un inconvénient. Le Président, dans son discours de Ouagadougou, l'a d'ailleurs rappelé. D'ailleurs, en Europe, nous avons fait le choix d'une union monétaire ! Comparaison ne vaut certes pas raison, mais l'échange d'expériences avec nos collègues africains est toujours profitable.

L'AFD, en tant que plateforme, accueille les collectivités locales françaises. Notre guichet - la facilité de financement des collectivités locales, la FICOL - finance pour le moment une cinquantaine de projets et devrait en financer prochainement jusqu'à 150.

Le calendrier de l'intégration d'Expertise France relève de la loi d'orientation. La décision vous en incombe. Ma conviction est qu'Expertise France va davantage bénéficier de financements sur une base bilatérale française et pourra ainsi davantage se projeter vers l'extérieur. L'AFD va ainsi lui apporter une capacité de financement renouvelée. Ma crainte est plutôt qu'Expertise France ne pourra pas répondre aux demandes que le soutien de l'AFD va générer... En outre, l'entrée d'Expertise France, qui dispose d'une maîtrise d'ouvrage directe et a vocation à garder son autonomie juridique, sera bénéfique à l'AFD. D'un point de vue stratégique, il est indéniable que l'intégration d'Expertise France est positive.

L'AFD est également un instrument européen qui obtient de Bruxelles jusqu'à 500 millions d'euros de financement. Ce positionnement va donc bien au-delà d'un simple partenariat : nos chefs de projet discutent systématiquement de leurs projets avec la Commission européenne. Elle travaille également avec ses homologues européens. Je rêve d'ailleurs que chaque État membre dispose de leur propre agence de développement ; initiative que soutient la Commission européenne à notre demande. Au-delà du débat politique, les Européens s'accordent sur l'importance d'un investissement massif en Afrique. Faisons-le ! Je suis prêt, en tant que directeur général de l'AFD, à envisager avec les États membres les modalités d'une coopération européenne plus forte en Afrique.

Nous réfléchissons avec les réseaux de la Caisse des dépôts pour tourner les livrets, que détiennent notamment les membres des diasporas africaines, vers l'investissement.

Je serai heureux de revenir vous parler de migrations. L'AFD contribue au renforcement de la capacité des États africains à gérer leur population, comme au Nigéria, où le Gouvernement met en oeuvre un dispositif d'identification numérique de ses citoyens. Les États limitrophes sont toujours la première destination des migrants, et notamment la zone d'Afrique australe qui est désormais plus prospère que l'Afrique du nord. Il importe d'aider ces pays à disposer de plus de capacité d'actions pour gérer ces populations.

Les petits projets sont également importants. L'AFD en a l'expérience : il faut que nos ambassadeurs, avec l'appui des directeurs de l'AFD, puisse décider de manière déconcentrée en fonction de l'intérêt local.

M. Christian Cambon, président. - C'est là un vrai sujet, comme nous l'ont indiqué nos représentations diplomatiques !

M. Rémy Rioux. - Il serait impossible d'inventer des instruments plus petits à la disposition des postes diplomatiques. D'ailleurs, nos directeurs appartiennent, dans les faits, aux équipes diplomatiques !

Les Balkans sont la seule région du monde où nos diplomates ne disposent pas d'opérateur de référence. Si notre engagement y a d'abord été retardé, nous allons plutôt y oeuvrer en cofinancement et notre réseau, avec les ministères techniques et les collectivités locales, y est complémentaire de celui de l'ambassadeur qui s'adresse plutôt aux autorités régaliennes et politiques.

L'équation chinoise est complexe : il faut à la fois dialoguer avec la Chine et l'associer à un projet collectif. Pour preuve, la China Development Bank participe à l'IDFC. Mais le système chinois n'est nullement monolithique ! Nous sommes à l'écoute des messages et pouvons modifier le périmètre de nos actions au gré de l'évolution des relations bilatérales. C'est la raison pour laquelle j'ai tenu à être le premier directeur d'une agence de développement à me rendre au Zimbabwe après les dernières élections.

L'AFD a une solide expérience en matière de gouvernance. Si nos aides ne sont pas conditionnées, nous ne délaissons nullement cet aspect. Les innovations dans ce domaine, comme la mission constitutionnelle du ministre du plan indonésien qui doit rappeler les enjeux de long terme à l'ensemble des candidats lors de chaque élection présidentielle, suscite d'ailleurs notre plus grand intérêt.

Le Gabon est dans un cadre international classique qui vise à stabiliser son économie avec le soutien de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international. A la demande du Trésor français, la France prend sa part à cet effort de stabilisation macroéconomique du Gabon.

M. Christian Cambon, président. - La conditionnalité de l'aide au développement au progrès de la démocratie est un sujet éternel. La mettre totalement en oeuvre ne manquerait pas de pénaliser de nombreuses populations !

M. Rémy Rioux. - Ce n'est cependant pas pour autant que nous occultons totalement ce sujet de nos préoccupations. Pour 50% de son activité, l'AFD travaille en partenariat avec la société civile, le secteur privé et les collectivités locales. Le but est d'améliorer la situation des populations, sans forcément passer par l'Etat.

M. Christian Cambon, président. - Merci, Monsieur le directeur général, pour votre intervention. N'hésitez pas à nous informer sur les différents projets que vous conduisez et dont l'ampleur va grandissante. L'évaluation est essentielle. Sur Expertise France, nous avons été quelque peu irrités par la forme prise par son absorption. D'ailleurs, un dirigeant de l'un des organismes qui résistent à leur intégration à Expertise France a contesté les assertions de nos deux rapporteurs. Le Parlement est dans son droit, puisque nous avons voté une loi de programme à cet effet. Si l'idée d'un rapprochement pouvait s'avérer pertinente, les modalités peuvent, en revanche, se révéler contestables.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Contrat d'objectifs et de moyens de l'Agence française de développement - Examen du rapport d'information

M. Jean-Pierre Vial, co-rapporteur. - L'article premier de la loi de 2010 relative à l'action extérieure de l'Etat prévoit que celui-ci conclut une convention pluriannuelle avec les établissements publics contribuant à l'action extérieure de la France.

Conformément à ce même article, le projet du troisième contrat d'objectifs et de moyens entre l'Etat et l'agence française de développement (AFD) nous a été transmis pour que nous puissions, dans un délai de six semaines, émettre un avis.

Je vais d'abord faire un point rapide sur la situation de l'AFD, qui a connu d'importantes évolutions ces dernières années.

Créée pendant la Seconde guerre mondiale, l'AFD est un établissement public industriel et commercial (EPIC) qui contribue, d'une part, à la mise en oeuvre de la politique d'aide au développement de l'Etat à l'étranger, d'autre part, au développement des départements et collectivités d'outre-mer.

L'AFD, qui est à la fois une banque de développement et une agence de coopération, est désormais le principal acteur de la politique française d'aide au développement. En effet, ses engagements financiers ont progressé de manière spectaculaire ces dernières années : de 1,8 milliard d'euros en 2004, ils sont passés à 10,3 milliards en 2017, soit quasiment une multiplication par 6 en 13 ans. Le groupe AFD a ainsi atteint une taille financière significative, puisque le total consolidé de son bilan s'élevait à près de 40 milliards d'euros à la fin de 2017, en progression de 55% par rapport au début du dernier COM, en 2013.

Cette progression considérable provient quasi-uniquement du développement de l'octroi de prêts.

En effet, les subventions et dons sont restés globalement stables, autour de 1 milliard d'euros annuels depuis 10 ans. Si l'on ne prend en compte que les « dons-projets », en excluant notamment des « contrats de désendettement et de développement » qui sont un instrument très particulier, ces dons-projets se montent à environ 280 millions d'euros annuels depuis 2013 : cela fait très peu pour chaque pays bénéficiaire ! Ces dons-projets sont toutefois passés à 400 millions d'euros en 2017 et vont encore beaucoup augmenter, nous y reviendrons.

Les prêts, pour leur part, ont progressé de 40% depuis le début du dernier COM. Plus précisément, tandis que les prêts bonifiés s'élèvent à 2,7 milliards d'euros, les prêts non bonifiés se montent à 2,9 milliards.

Or les prêts, qui plus est quand ils ne sont pas bonifiés, ne peuvent pas bénéficier aux pays les plus pauvres, mais seulement aux pays émergents.

Certes, en ce qui concerne la répartition géographique de l'activité de l'AFD, l'Afrique représente 50%. Mais si l'on va un peu plus loin dans l'analyse, l'ensemble des seize pays prioritaires définis par la France, tous situés en Afrique, ne représentaient en 2017 que 7,2% des engagements de l'AFD à l'étranger!

La liste des dix premiers pays d'intervention de l'AFD comporte ainsi surtout des émergents : ce sont dans l'ordre le Maroc, l'Indonésie, la Tunisie, le Mexique, la Colombie, l'Égypte, le Brésil, le Vietnam, le Cameroun, la Chine. L'Inde, la Turquie ou encore la Jordanie sont également bien placées.

L'AFD était donc jusqu'à aujourd'hui avant tout une banque de développement pour des pays à revenus intermédiaires. La forte remontée des dons va cependant permettre à l'agence de toucher davantage les pays pauvres, ce dont nous nous félicitons.

J'en viens au présent contrat d'objectifs et de moyens. Première remarque, on peut regretter que ce COM soit établi pour la période 2017-2019. On ne nous demande donc notre avis que pour la fin de 2018 et l'année 2019. Pourquoi cette situation paradoxale ? Deux raisons. D'abord, le nouveau Gouvernement issu des élections de juin 2017 a souhaité le modifier pour y intégrer ses nouvelles priorités. Ensuite, il a été décidé de procéder en deux temps : d'abord une mise à jour du précédent COM par le document que nous examinons aujourd'hui, puis un nouveau COM pour la période 2020-2022, qui tiendra compte de la nouvelle loi d'orientation sur le développement devant être présentée courant 2019.

Deuxième remarque, bien que nous l'ayons attendu longtemps, ce projet de COM ne semble malheureusement pas totalement abouti. Il comporte ainsi plusieurs indicateurs dénués de cible chiffrée, soit que les méthodes même d'évaluation soient encore en cours d'élaboration, soit que les chiffres ne soient pas encore arbitrés à ce jour, comme celui des effectifs de l'AFD en 2019. Enfin, la partie relative aux moyens dont disposera l'AFD de la part de l'Etat est bien trop succincte. Espérons que la discussion budgétaire nous permettra d'obtenir des éléments complémentaires !

Je souhaite enfin souligner que ce COM se présente davantage sous la forme d'une compilation un peu hétéroclite d'objectifs inspirés du consensus international sur l'aide au développement, que comme un document stratégique cohérent. Ceci vient du fait que le COM n'est en réalité que la mise en application d'autres textes, eux-mêmes peu stratégiques : la loi d'orientation et de programmation de 2014, mais surtout les conclusions du comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) du 8 mars 2018, ainsi que le plan d'orientations stratégiques de l'AFD qui vient d'être publié et qui, paradoxalement, détermine l'activité de l'agence jusqu'en 2022 alors que le COM s'arrête à 2019 !

Bref, l'exercice auquel nous nous livrons aujourd'hui est assez formel ! Espérons que l'examen de la future nouvelle loi d'orientation et de programmation soit enfin l'occasion d'élaborer une doctrine claire et solide pour l'APD française.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, co-rapporteure. - La première partie du COM est consacrée à la progression future des engagements de l'AFD. De 10,3 milliards d'euros en 2017, l'AFD devra ainsi atteindre 11 milliards en 2018 et 14 milliards en 2019. J'ajoute que le ministre Le Drian a évoqué un montant de 17,9 millions d'euros pour 2022. C'est une progression considérable : + 74% en 5 ans !

Or, nous avons identifié un certain nombre de difficultés pour atteindre cet objectif : beaucoup d'émergents, qui représentent actuellement les plus gros volumes de prêts de l'AFD, commencent à avoir des difficultés économiques ; pour d'autres gros emprunteurs souverains, l'agence va être bloquée par le ratio prudentiel « grand risque », qui lui interdit d'engager plus de 25% de ses fonds propres sur une seule contrepartie ; le développement des prêts non souverains est également limité par des doutes sur la solidité de certains emprunteurs potentiels dans les pays émergents ; enfin, les seuls pays africains en mesure d'emprunter voient actuellement leur endettement augmenter dangereusement.

Dès lors, quelles sont les solutions prévues par l'AFD pour poursuivre sa croissance ?

Premièrement une augmentation des dons, avec 1 milliard d'autorisations d'engagement supplémentaires en 2019, prévus par le PLF 2019. Nous y sommes très favorables, nous l'avons réclamé depuis longtemps, car c'est la seule manière de cibler les pays les plus pauvres. Mais, pour l'AFD, cela n'ira pas de soi car n'est plus le même métier et ce ne sont plus les mêmes secteurs : moins de projets d'infrastructures, plus de social-santé-éducation. À cet égard, nous nous félicitons de la remise au premier plan de l'éducation, avec notamment un objectif de 100 millions d'euros de subventions pour l'éducation de base sur la période 2018-2020. L'éducation était en effet paradoxalement devenue le parent pauvre de notre aide.

Deuxièmement, une augmentation des prêts non souverains, c'est-à-dire aux entreprises publiques, collectivités territoriales, organisations de la société civile, fondations, secteurs privé et financier. Cela nous parait également une bonne chose car c'est la condition d'un véritable développement économique.

Troisièmement, une extension du mandat géographique de l'AFD. Au cours des dernières années, l'AFD a obtenu de pouvoir travailler dans de nombreux pays d'Amérique du Sud, dans les Balkans ou encore dans les États du Pacifique. Il faut toutefois que ces extensions géographiques répondent à nos priorités politiques et à de réels besoins de développement, pas à la seule volonté de faire du chiffre.

Enfin, la recherche de partenaires à qui confier des financements pour « faire faire » (organismes de développement d'autres pays, ONG, etc.). Là encore, attention à ne pas se disperser dans le seul objectif de placer toujours plus de prêts.

Ainsi, la volonté d'augmenter massivement les engagements ne doit pas aller à l'encontre de la pertinence, donc de l'efficacité de l'aide. Nous devons veiller à ce que l'aide aille bien à des projets qui catalysent le développement et que les bénéficiaires s'approprient réellement, sinon nous continueront à avoir la situation qu'Hélène Conway-Mouret et Henri de Raincourt avaient décrite pour le Sahel dans leur rapport de 2016 : à savoir l'aide sans le développement !

Le deuxième aspect important de cette croissance sans précédent de l'AFD, c'est le fossé qui va encore se creuser entre la puissance de cette agence et la relative faiblesse d'un réseau diplomatique durement frappé par la rigueur budgétaire.

En quoi cela pourrait-il être un problème ?

Une aide au développement efficace, ce n'est pas une accumulation de projets, aussi réussis soient-ils. L'APD ne peut réellement peser sur le développement d'un pays que s'il existe un dialogue politique franc et direct avec les autorités de ce pays, ainsi qu'un engagement clair de celles-ci sur un certain nombre de points : appropriation de l'aide, cohérence des politiques publiques, lutte contre la corruption, vision stratégique et de long terme, etc.

Or, une AFD puissante mais avec un mandat politique insuffisant n'est pas en mesure d'engager un tel dialogue avec le pays bénéficiaire. De leur côté, les ambassades et singulièrement leurs services de coopération et d'action culturelle, avec très peu de moyens, ne le sont pas non plus !

Il est donc plus que jamais nécessaire que l'AFD travaille très en amont des projets avec le Quai d'Orsay, avec Bercy et avec les ambassades pour que les pays concernés aient bien face à eux une équipe France du développement, et pas uniquement un opérateur technique, aussi compétent soit-il.

Deux remarques complémentaires avant de repasser la parole à mon collègue. La concentration de l'activité de l'AFD sur les pays prioritaires est toujours insuffisante. Cette situation devrait s'améliorer avec la progression des dons, mais le COM ne comporte pas d'indicateur reflétant le taux d'engagement financier total de l'agence sur les pays prioritaires : il conviendrait d'y remédier. Enfin, en cohérence avec l'accord de Paris, le COM fixe des objectifs ambitieux en matière de financements climatiques, ainsi que pour la protection de la biodiversité. La notion d'une AFD « 100% Accord de Paris » doit déboucher sur une nouvelle méthode d'analyse des projets. C'est important : il a récemment été reproché à l'AFD de soutenir des programmes d'exploitation forestière très contestables en RDC ! Pour que cette notion de « 100% Accord de Paris » ne soit pas un simple label, il faut donc une véritable sélectivité sur les projets soutenus.

M. Jean-Pierre Vial, co-rapporteur. - Vous l'aurez compris, nous estimons que la forte progression des engagements de l'AFD doit aller de pair avec une grande rigueur à la fois dans le choix des projets et dans la gestion interne de l'agence.

S'agissant de cette gestion interne, il faut souligner deux aspects.

Premièrement, le COM prévoit un résultat net en forte baisse, passant de 288 millions d'euros en 2017 à 140 millions d'euros en 2018 puis seulement 90 millions d'euros en 2019. Selon le directeur général et les tutelles, cette baisse est inévitable dans un contexte de montée en puissance des effectifs et des engagements : elle représente une forme d'investissement dont le retour ne se fera que dans quelques années. Nous l'entendons bien, mais il serait de bonne gestion que l'AFD poursuive ses efforts de productivité et de maîtrise du coefficient d'exploitation pendant cette phase de croissance.

En outre, l'Etat prélève annuellement une part de ce résultat mais la part conservée par l'agence vient renforcer ses fonds propres et permet ainsi d'alimenter la croissance de ses engagements. À cet égard, il est regrettable que le COM ne fournisse aucun élément sur la part de ses résultats que l'AFD sera autorisée à garder en 2019. Nous regrettons également de ne pas disposer du nombre d'employés de l'agence prévu pour 2019, dont on nous dit qu'il serait encore en discussion. Il serait utile que ces éléments figurent dans la version définitive du COM.

Deuxièmement, le COM comporte peu d'indications sur l'évaluation de l'efficacité des projets engagés, alors qu'il s'agit selon nous d'un point crucial. Comme l'a montré la dernière « évaluation par les pairs » de l'aide au développement française au sein de l'OCDE, l'aide française se caractérise par l'existence d'une évaluation de redevabilité et de contrôle mais elle manque davantage d'un « pilotage selon les résultats ». Il s'agit de répondre aux questions suivantes : Quels sont les résultats que l'on souhaite obtenir avec un projet donné ? Est-ce que la situation globale d'un pays donné s'est améliorée ? Comment modifier les projets pour améliorer l'obtention de ces résultats ? Seul un pilotage de ce type permettrait de pleinement justifier notre aide aux yeux de nos concitoyens. Nous serons particulièrement vigilants sur cet aspect lors de l'examen de la prochaine loi d'orientation et de programmation.

Dernier point, le COM comporte un objectif 16 intitulé : « Accompagner l'action extérieure des territoires français dans les pays en développement ». Ainsi, les fonds venant en soutien à la coopération décentralisée devraient doubler d'ici 2022. Il faudra toutefois renforcer la lisibilité et l'efficacité de l'action de l'AFD dans ce domaine, afin que les collectivités puissent pleinement en bénéficier.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, co-rapporteure. - Je souhaiterais évoquer un dernier aspect du COM, qui me permettra d'aborder la question d'Expertise France : il s'agit de l'« approche globale ». Celle-ci fait l'objet, au sein du COM, d'un objectif intitulé : « Renforcer l'action de l'AFD dans les pays en situation de fragilité ». Deux initiatives sont mentionnées.

D'abord la « facilité d'atténuation des vulnérabilités et de réponse aux crises », dite « fonds MINKA », créée en 2016. Elle devra atteindre 200 millions d'euros par an d'ici 2020. L'efficacité de cet outil dépend fortement de la capacité de l'AFD à trouver des co-financeurs, afin que les projets aient une envergure suffisante pour avoir un impact réel sur les zones de crise.

Ensuite l'Alliance Sahel, précisément destinée à améliorer la coordination des bailleurs et à cibler l'aide directement sur les populations touchées par les crises.

Le COM prévoit par ailleurs qu'Expertise France sera intégrée au sein du groupe AFD au cours de l'année 2019, et que le partenariat des deux agences portera tout particulièrement sur les secteurs prioritaires identifiés par le CICID, au premier rang desquels, précisément, les zones en crise. À cet égard, nous restons quelque peu dans le flou sur la manière dont l'agence d'expertise va pouvoir continuer à exercer ses activités dans le domaine du continuum sécurité-défense après son intégration. En effet, au cours des trois dernières années, l'AFD n'est pas parvenue à coopérer de manière satisfaisante avec Expertise France et la sécurité n'est pas du tout dans ses gènes.

Selon le directeur général de l'AFD, la simple perspective du rapprochement aurait toutefois déjà dynamisé la coopération, si bien que l'objectif des 25 millions d'euros de financement d'EF par l'AFD serait enfin atteint en 2018, voire dépassé. L'AFD serait désormais convaincue de l'utilité de disposer d'une offre d'assistance technique, notamment dans les pays fragiles et en crise. Ces points demandent à être confirmés et nous suivrons attentivement le dossier du rapprochement au cours des prochains mois.

De la réussite de ce rapprochement dépendra notamment l'attractivité du nouvel ensemble pour la coopération technique encore indépendante de certains ministères, je pense en particulier à l'agriculture. Expertise France pourrait ainsi achever la réunification des opérateurs ministériels, comme nous en avons exprimé le souhait à plusieurs reprises.

En conclusion, le projet de COM qui nous est soumis contient de nombreux objectifs de valeur inégale mais il comporte des éléments qui nous semblent positifs, tels que l'augmentation importante des volumes de dons-projets, la concentration sur l'Afrique, la priorité affirmée pour le développement durable et sur l'éducation ou encore l'insistance sur les partenariats avec les entreprises, la société civile ou les collectivités.

Il comporte également d'importantes lacunes que nous vous avons signalées et dont nous souhaitons qu'elles puissent donner lieu à des modifications. En outre, sa portée est somme toute très limitée puisqu'il ne vaut que pour la fin de 2018 et 2019.

Sous ses réserves, nous vous proposons de donner un avis favorable au contrat d'objectifs et de moyens entre l'Etat et l'AFD pour la période 2017-2019.

La Commission adopte à l'unanimité l'avis présenté par les rapporteurs sur le contrat d'objectifs et de moyens 2017-2019 de l'AFD et autorise sa publication sous forme d'un rapport d'information.

La réunion est close à 12 h 15.