Mercredi 23 janvier 2019

- Présidence de M. Christian Cambon, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30 .

Projet de loi autorisant la ratification de l'accord de partenariat sur les relations et la coopération entre l'Union européenne et ses Etats membres, d'une part, et la Nouvelle-Zélande, d'autre part - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Raymond Vall, rapporteur. - Monsieur le président, mes chers collègues, nous examinons ce matin le projet de loi autorisant la ratification de l'accord de partenariat sur les relations et la coopération entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et la Nouvelle-Zélande, d'autre part.

Signé le 5 octobre 2016, cet accord est destiné à se substituer à la « Déclaration commune sur les relations et la coopération » de 2007, au caractère non contraignant, qui régissait les relations entre les États membres de l'Union européenne et la Nouvelle-Zélande.

Le présent texte est avant tout un accord de dialogue politique et de coopération ; il ne s'agit donc en aucun cas de l'accord de libre-échange, qui est en cours de négociation avec la Commission européenne. Je rappelle d'ailleurs à cet égard que le Sénat, par une résolution adoptée le 21 février 2018, a exprimé sa position quant à la directive de négociation sur l'accord de libre-échange. Notre assemblée appelait notamment les négociateurs à protéger nos indications géographiques ainsi que nos filières agricoles, en les intégrant au sein d'une enveloppe globale d'importations qui prendrait en compte l'ensemble des accords commerciaux. En outre, le Sénat a demandé que l'accord comporte un volet environnemental et social, et que le principe de réciprocité quant à l'ouverture des marchés publics soit respecté. Sur tous ces points, la position de négociation de la France est conforme à celle exprimée par notre Haute Assemblée. Notre commission assurera un suivi de ces recommandations tout au long des négociations au travers de son groupe de suivi des négociations commerciales, commun avec la commission des affaires européennes et celle des affaires économiques.

Ce n'est donc pas notre sujet aujourd'hui, même si l'un des titres de l'accord de partenariat, consacré à la coopération économique et commerciale, vise à renforcer la coopération, dans un cadre multilatéral, sur plusieurs questions telles que les normes sanitaires et phytosanitaires, le bien-être des animaux ou encore la propriété intellectuelle.

Comme je l'indiquais précédemment, cet accord est principalement un accord-cadre de nature politique. À ce titre, l'Union européenne et la Nouvelle-Zélande « réaffirment leur volonté de promouvoir la paix et la sécurité au niveau international ». Les commémorations du centenaire de la Première Guerre mondiale, qui sont essentielles pour l'identité néo-zélandaise, ont d'ailleurs été l'occasion de raviver les profonds liens d'amitié qui nous unissent.

Dans le domaine de la sécurité, la France et la Nouvelle-Zélande participent à des opérations communes dans la région Pacifique : d'une part, dans un cadre trilatéral, au travers de la déclaration FRANZ (France, Australie, Nouvelle-Zélande) en matière d'urgence en cas de catastrophe naturelle ; d'autre part, dans le cadre du QUAD (quadrilateral defence coordination group) auquel participent les États-Unis, et dont l'objectif est de coordonner l'effort de sécurité, prioritairement dans le domaine de la surveillance maritime.

En outre, les forces néo-zélandaises participent aux opérations de politique de sécurité et de défense commune (PSDC) de l'Union. La Nouvelle-Zélande est le premier État d'Asie-Pacifique à avoir signé un accord en ce sens.

La nouvelle coalition au pouvoir en Nouvelle-Zélande, conduite par Jacinda Ardern, mène actuellement une révision de la programmation militaire néo-zélandaise, appelée strategic reset, avec une attention particulière sur l'espace et la lutte contre la cybercriminalité, et des éléments plus précis sur le respect du droit de la mer et ses implications vis-à-vis de la présence chinoise. Un projet de loi devrait être déposé en 2022 ; cette perspective sera l'occasion pour nos industries de défense de se positionner sur certains marchés, notamment celui des frégates de taille intermédiaire.

Les parties réaffirment aussi leur volonté de coopérer à la prévention et à la lutte contre la criminalité organisée, la corruption, le trafic de drogues ainsi que le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.

Dans le domaine humanitaire, les parties réaffirment leur engagement en faveur du développement durable dans les pays en développement. L'Union européenne, la France, via l'Agence française de développement (AFD), la Nouvelle-Zélande et l'Australie ont ainsi alloué un peu plus de 21 millions d'euros à une initiative dédiée à la diversité biologique, au changement climatique et à la résilience dans le Pacifique. Dans une région où la Chine réalise d'importants investissements pour ses nouvelles routes de la soie, un contrôle parlementaire accru des actions menées par l'AFD est essentiel afin de mieux orienter les crédits qui lui sont alloués. La prochaine loi d'orientation et de programmation relative à la politique de développement, annoncée pour cet été, sera l'occasion de rappeler cette nécessité et d'interroger le directeur général de l'AFD sur sa stratégie dans la région Pacifique, alors que l'Accord de Cotonou expirera l'an prochain.

Cet accord de coopération consacre une place importante au développement durable, dans son acception la plus large. Cette notion recouvre tout d'abord la lutte contre le changement climatique, qui constitue l'un des socles de notre relation bilatérale, consacrée par la Déclaration conjointe du 16 avril dernier. La Nouvelle-Zélande s'est engagée à la neutralité carbone en 2050, et a entrepris plusieurs actions à cet égard comme l'arrêt de l'attribution de nouvelles licences d'exploitation d'hydrocarbures. La notion de développement durable est également abordée sous l'angle de la responsabilité sociale visant à réduire la pauvreté et lutter contre les discriminations et l'exclusion.

L'accord traite aussi du renforcement de la coopération dans les domaines de la recherche et de l'innovation à des fins pacifiques. Le Premier ministre néo-zélandais souhaite attirer de nouveaux investissements français dans son pays et renouveler les partenariats en recherche et développement dans les secteurs environnementaux et à haute valeur ajoutée, comme l'agriculture de précision et l'aéronautique. Cela constitue une formidable opportunité pour le Centre national d'études spatiales, qui aspire à trouver des applications civiles à ses imageries satellitaires et ainsi conclure de nouveaux partenariats.

Enfin, l'accord reconnaît le rôle de l'éducation et de la formation dans la vie démocratique et suggère la mise en place d'échanges de fonctionnaires et d'étudiants de troisième cycle. À cet égard, le dynamisme de la coopération culturelle entre la France et la Nouvelle-Zélande est à souligner : avec 47 000 apprenants, le français est aujourd'hui la première langue étrangère enseignée dans le système scolaire néo-zélandais. Les « visas vacances-travail », destinés aux jeunes de 15 à 30 ans, permettent aux ressortissants français et néo-zélandais de travailler ou de séjourner dans l'autre pays pour une durée maximum d'un an ; plus de 11 000 jeunes Français se rendent chaque année en Nouvelle-Zélande dans ce cadre.

Pour conclure, cet accord renforcera le positionnement politique de l'Union européenne dans la région Asie-Pacifique où il est important qu'elle reste engagée, notamment pour répondre à la présence et à l'influence grandissante de la Chine. Le nouveau gouvernement néo-zélandais souhaite ainsi rééquilibrer ses relations diplomatiques en se rapprochant de l'Union, et plus particulièrement de Paris et de Berlin, dans un contexte d'incertitudes liées au Brexit et à la politique étrangère américaine.

En conséquence, pour l'ensemble des raisons que je viens d'évoquer, je préconise l'adoption de ce projet de loi.

L'Assemblée nationale l'a adopté en juillet dernier, et seize États membres de l'Union européenne ont d'ores et déjà ratifié cet accord.

Son examen en séance publique est prévu le 7 février 2019, selon la procédure simplifiée, ce à quoi je souscris.

M. Olivier Cadic. - Je remercie le rapporteur. Je confirme la pression exercée par la Chine, qui propose aux écoles néo-zélandaises de mettre à leur disposition des professeurs afin que les élèves apprennent le chinois dès leur plus jeune âge. Il est fondamental, dans ce contexte, pour la Nouvelle-Zélande de renforcer ses liens avec l'Union européenne.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. - Je remercie également le rapporteur : il faut effectivement faire évoluer notre stratégie en matière d'aide publique au développement dans la région Pacifique et, plus largement, en Chine. On nous dit que les retours budgétaires de l'aide publique accordée à la Chine sont bons, mais est-ce suffisant ?

Quelles préconisations pourraient être faites sur les évolutions nécessaires de notre politique d'aide publique au développement dans la zone Pacifique ?

M. Ladislas Poniatowski. - Le discours officiel du gouvernement néo-zélandais est pro-écologie. Une loi visant à arrêter la prospection gazière et pétrolière offshore a même été votée en 2018 : elle prévoit que les permis accordés iront à leur terme, mais aucune nouvelle concession ne sera accordée. C'est la raison pour laquelle j'ai été surpris d'apprendre qu'une concession venait d'être accordée dans la région de Taranaki dans l'île du Nord. Avez-vous des informations sur ce point ?

M. Raymond Vall, rapporteur. - Au travers des auditions que nous avons menées, nous avons senti la volonté des représentants néo-zélandais d'obtenir un renforcement de la coopération entre nos deux pays. N'oublions pas ce que la Nouvelle-Zélande a fait lors de la Première Guerre mondiale ! Nous avons des valeurs et une culture communes. Nous sommes maintenant face à nos responsabilités. Cet accord signé en 2016 ne sera peut-être ratifié qu'en 2020, on peut le regretter ! Seize Etats membres de l'Union européenne l'ont ratifié, dont le Royaume-Uni. Pendant ce temps, les Chinois avancent...

S'agissant de l'AFD, notre commission devrait demander quelques explications, voire davantage.

En ce qui concerne la question des nouvelles prospections, je n'ai malheureusement pas de réponse.

Suivant l'avis du rapporteur, la commission a adopté, à l'unanimité, le rapport et le projet de loi précité.

Projet de loi autorisant la ratification de l'accord de dialogue politique et de coopération entre l'Union européenne et ses Etats membres, d'une part, et Cuba, d'autre part - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Pierre Laurent, rapporteur. - Monsieur le président, mes chers collègues, nous examinons un projet de loi autorisant la ratification de l'accord de dialogue politique et de coopération entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et la République de Cuba, d'autre part. Il s'agit d'un accord inédit, le premier conclu entre l'Union européenne et Cuba, qui rompt avec la position commune prise par l'Union en 1996, laquelle nous plaçait de facto dans le sillage de l'embargo américain. De par son contenu, c'est un accord classique de dialogue politique et de coopération.

En février 2014, la Commission européenne et la Haute Représentante ont reçu mandat pour négocier cet accord, qui a finalement été signé en décembre 2016. Cette négociation a été facilitée par l'abandon progressif de la position, prise en 1996, au titre de la politique étrangère et de sécurité commune de l'Union, qui subordonnait toute coopération avec Cuba à une démocratisation du régime - cette position a été formellement abandonnée avec la signature de l'accord en décembre 2016 -, et par la déclaration conjointe de coopération et d'instauration d'un dialogue politique entre l'Union européenne et Cuba en 2008 sous présidence française de l'Union, ainsi que par la reprise des relations diplomatiques entre les États-Unis et Cuba en juillet 2015. La France a joué un rôle moteur dans cette négociation, notamment avec la visite du Président de la République française à Cuba, en mai 2015 et la réception du Président Raul Castro à Paris, en mai 2016.

Tout d'abord, quelques mots sur la situation de Cuba et ses relations avec l'Union européenne et la France. La nomination, en 2017, de Miguel Diaz-Canel à la place de Raul Castro à la tête de l'État cubain a signé l'arrivée d'une nouvelle génération au pouvoir. Le processus de réforme de la Constitution arrive à son terme avec un référendum prévu fin février. Le projet de Constitution, tout en restant dans le prolongement de l'héritage castriste, prend en compte l'ouverture économique, clarifie les rôles de chef du Gouvernement et de chef d'État et consacre un certain nombre de droits individuels, notamment liés à la lutte contre les discriminations sexuelles. Les Cubains bénéficient d'un régime de santé et d'éducation gratuit et de qualité, mais le niveau de vie reste peu élevé avec un PIB de 7 800 dollars par habitant, conséquence notamment de l'embargo américain institué unilatéralement en 1962. Les conditions de vie sont le premier sujet de préoccupation des Cubains.

Actuellement, l'économie cubaine connaît de graves difficultés en raison principalement de la crise du Venezuela, son principal partenaire économique et financier, dont Cuba est très dépendant pour les livraisons de pétrole brut et ses ressources en devises. Cuba doit ainsi faire face à une crise de liquidités, qui a provoqué, en 2016, la première récession depuis 25 ans, avec - 0,9 % de croissance.

Si les relations diplomatiques entre les États-Unis et Cuba ont été reprises en juillet 2015, sous l'ère Obama, et des mesures destinées à alléger les conséquences de l'embargo adoptées, la situation a évolué négativement ces derniers mois. L'administration Trump a manifesté, dans un mémorandum du 16 juin 2017, une position de fermeté, en réclamant notamment des progrès sur la question des droits humains et des libertés publiques, ainsi que l'expulsion de personnes recherchées par la justice américaine.

En novembre 2018, les États-Unis ont de nouveau durci le ton, en plaçant sous sanctions 26 entités liées aux services de sécurité cubains, dont 16 complexes hôteliers.

Enfin, le 16 janvier dernier, l'administration américaine a suspendu pour 45 jours seulement, au lieu des six mois d'usage depuis 1998, l'application du titre III de la loi Helms-Burton de 1996 qui permet aux ressortissants américains, dont les biens ont été nationalisés entre 1959 et 1961, de poursuivre devant les tribunaux américains toute personne, dans le monde, se livrant à des opérations sur ces biens et de voir notamment prononcer une interdiction d'accès au territoire américain. L'administration entend passer en revue la situation de Cuba à la lumière de ses intérêts nationaux.

Compte tenu de la nomination de partisans de la ligne dure à des postes de responsabilité, comme John Bolton, le conseiller à la sécurité nationale des États-Unis, on peut raisonnablement craindre le pire pour la suite, avec les risques que cela implique pour les entreprises et les banques qui travaillent avec Cuba et tous les investisseurs en général, sans compter les actions en justice des Cubains vivant aux États-Unis pour réclamer les biens expropriés. Cette question a été évoquée en novembre dernier lors d'un dialogue entre l'Union européenne et Cuba sur les mesures coercitives et la question de l'embargo et de ses conséquences sur les relations entre les deux parties.

À cette occasion, l'Union européenne a rappelé son opposition à l'embargo américain - elle a, comme chaque année depuis 1992, soutenu la résolution sur la levée du blocus appliqué à Cuba par les États-Unis à l'Assemblée générale des Nations unies, en octobre dernier -, tandis que Cuba a indiqué que l'extraterritorialité des sanctions américaines était de plus en plus préjudiciable aux relations avec les États membres.

Nous ne savons pas encore ce que l'Union européenne ferait dans l'hypothèse d'une fin de suspension du titre III de la loi Helms-Burton, mais elle a déjà indiqué qu'elle défendrait ses intérêts et n'excluait pas un recours devant l'Organisation mondiale du commerce, ce qu'elle avait d'ailleurs fait du temps de Bill Clinton lorsqu'une application dure de la loi Helms-Burton avait déjà été envisagée. Un compromis avait alors abouti à la suspension renouvelable tous les six mois des articles les plus durs de cette loi. C'est ce que Donald Trump veut aujourd'hui remettre en cause.

Cette question pose celle, plus large, de l'extraterritorialité des lois américaines, utilisées comme une arme de guerre économique par Donald Trump. Le rétablissement des sanctions américaines à l'égard de l'Iran a récemment donné une nouvelle actualité à cette question. L'Union européenne a mis à jour son règlement de blocage en août dernier. Ce règlement avait été adopté en 1996, en réaction justement à la loi Helms-Burton. Il pourrait donc redevenir effectif à l'avenir, pour protéger les entreprises européennes ayant des relations avec Cuba. La question de l'extraterritorialité des lois américaines doit être traitée avec la plus grande fermeté par l'Union européenne. Il faut probablement renforcer l'efficacité du règlement de blocage, qui est à l'heure actuelle insuffisant. C'est un sujet de politique étrangère et commerciale de première importance pour l'Union, bien au-delà de l'accord que nous examinons aujourd'hui.

Dans ce contexte, Cuba, qui est un acteur très influent en Amérique latine et dans les Caraïbes, cherche à renforcer ses relations avec l'Union européenne pour diversifier ses partenariats. L'Union est le premier partenaire commercial, investisseur et bailleur de Cuba, même si les chiffres restent modestes : en 2015, les exportations européennes vers Cuba s'élevaient à 2,2 milliards d'euros, contre 0,54 milliard d'euros d'importations. Le montant de l'aide européenne via l'Instrument de coopération et de développement s'élève à 50 millions d'euros pour la période 2014-2020.

La France fait, quant à elle, partie des dix premiers partenaires commerciaux de Cuba avec une trentaine de bureaux de représentation dans les secteurs de la construction (Bouygues), des transports, de l'énergie, du tourisme et du négoce des produits agricoles (Pernod-Ricard). Elle a renoué ses relations d'amitié et de coopération avec Cuba depuis 2012, ce qui a débouché sur la restructuration de la dette cubaine à la fin de 2015 et la signature d'un accord bilatéral portant sur la conversion d'une partie des arriérés de la dette cubaine en un fonds de contre-valeur franco-cubain doté de 212 millions d'euros, la signature d'une feuille de route économique conjointe et l'installation de l'Agence française de développement en 2016 - l'AFD a déjà approuvé cinq projets dans les domaines de l'agriculture, des transports, de l'assainissement et de la santé publique. Le commerce bilatéral, après avoir baissé en 2015 et en 2016, est reparti à la hausse, en croissance de 33 %, pour atteindre 208,3 millions d'euros en 2018, ce qui s'explique par une forte augmentation des exportations, notamment des produits agricoles, et des importations françaises.

S'agissant du contenu, cet accord essentiellement politique ne contient aucun volet commercial tarifaire, à la différence des accords signés avec les autres États de la région. Comme c'est un accord mixte, les stipulations relevant de la compétence exclusive de l'Union s'appliquent depuis le 1er novembre 2017.

Cet accord vise à consolider et à renforcer le dialogue politique, qui se tiendra à intervalles réguliers au niveau politique et des hauts fonctionnaires. Au sein du dialogue politique, le dialogue sur les droits humains se voit réserver une place particulière. Le dialogue politique couvre les domaines classiques dans ce type d'accord.

Conformément à la pratique habituelle de l'Union européenne, la violation des stipulations essentielles que sont le respect des droits humains et des libertés fondamentales ainsi que la lutte contre la prolifération d'armes de destruction massive, peut entraîner la suspension unilatérale de cet accord.

Depuis l'application à titre provisoire du présent accord, deux dialogues politiques ont été organisés, le premier en octobre 2018 sur les droits humains, le second en novembre 2018 sur les mesures coercitives et la question de l'embargo.

L'accord vise aussi à favoriser la coopération dans tous les domaines. Il prévoit une coopération et un dialogue sur les politiques sectorielles, sous la forme notamment d'assistance technique et financière et de participation de Cuba aux programmes de coopération de l'Union. Les secteurs de coopération sont vastes : on peut citer notamment le développement économique, l'intégration et la coopération régionale, la sécurité des citoyens et les migrations ; le développement social et la cohésion sociale, ainsi que la gestion des risques de catastrophes et le changement climatique - Cuba a joué un rôle actif et positif en faveur du caractère universel de l'Accord de Paris qu'il a ratifié en 2016 ; le pays a été dévasté par l'ouragan Irma en 2017. Enfin, il instaure une coopération dans le domaine des échanges commerciaux avec l'objectif de renforcer et de favoriser l'intégration de Cuba dans l'économie mondiale, de soutenir la diversification de l'économie cubaine et d'encourager l'augmentation des flux d'investissements.

En conclusion, je recommande l'adoption de ce projet de loi, qui a été voté à l'unanimité par nos collègues de l'Assemblée nationale. Il est temps que la France, qui a beaucoup oeuvré en faveur du rapprochement de l'Union européenne avec Cuba, et ce depuis longtemps, ratifie à son tour cet accord, qui l'a déjà été par vingt États membres.

L'examen en séance publique est prévu le jeudi 7 février 2019, selon la procédure simplifiée, ce à quoi je souscris.

M. Christian Cambon, président. - Merci pour votre rapport. Nous avons intérêt à accompagner cette évolution vers davantage d'ouverture. Des changements politiques importants ont eu lieu, notamment avec l'élection à la tête de l'État de Miguel Diaz-Canel. Les évolutions sont lentes, mais positives. La France a un rôle particulier à jouer.

M. Alain Cazabonne. - Lors d'un voyage à Cuba, j'ai remarqué qu'autant les Cubains parlaient librement à leur domicile, autant ils craignaient de le faire à l'extérieur. Par ailleurs, je rappelle que deux monnaies circulent en parallèle - l'une, internationale, est réservée aux touristes. Le pouvoir d'achat des Cubains est faible. Enfin, je n'ai pas pu envoyer, à titre individuel, des produits à Cuba en raison des contraintes imposées par l'administration cubaine.

M. Pierre Laurent, rapporteur. - Le processus de changement de la Constitution a donné lieu à un large débat public, qui participe d'une libération progressive de la parole publique, même si la nouvelle Constitution ne reconnaît pas le pluralisme politique. Une société civile active se développe dans le pays.

Les Cubains souhaitent sortir du système de la double monnaie, qui a des effets pervers.

L'accord permettra d'encourager l'assouplissement des échanges.

M. Christian Cambon, président. - L'ambassadeur de Cuba souhaite être entendu par notre commission. Son témoignage peut nous intéresser.

M. Pierre Laurent, rapporteur. - Les Cubains sont très préoccupés par la décision américaine relative à la suspension pendant 45 jours du titre III de la loi Helms-Burton. Si la suspension n'est pas renouvelée au terme de cette période, les conséquences pourraient être lourdes pour les entreprises qui commercent avec Cuba.

Suivant l'avis du rapporteur, la commission a adopté, à l'unanimité, le rapport et le projet de loi précité.

Audition de Mme Maryline Gygax Généro, directrice centrale du service de santé des armées (SSA)

M. Christian Cambon, président. - Madame la directrice centrale, médecin général des armées, chère Maryline Gygax Généro, c'est un grand plaisir de vous accueillir ce matin.

Docteur en médecine, agrégée, vous avez été directeur adjoint de l'hôpital d'instruction des armées du Val-de-Grâce à Paris, puis vous avez dirigé l'hôpital Bégin à Saint-Mandé, dont je suis bien placé pour témoigner de l'excellence. Ce parcours très complet vous permet de présider aux destinées du service de santé des armées (SSA), depuis septembre 2017, dans des conditions difficiles.

En effet, la commission est très préoccupée de la situation du service de santé des armées, qui a subi ces dernières années un effet de ciseau entre, d'une part, une réforme d'une ampleur inégalée, la réforme SSA 2020, se traduisant par des réductions de postes, par la fermeture ô combien symbolique de l'hôpital du Val-de-Grâce, et, par la diminution de 54 à 19 des infrastructures du SSA sur le territoire, et, d'autre part, un surengagement en opérations, mettant tout le service sous tension. Le SSA est à ce point surchargé qu'il ne remplit son contrat opérationnel que grâce à 20 % de réservistes à certaines périodes, contre 10 % en 2017.

Faut-il dans ce contexte craindre que les médecins ne soient plus déployés sur la même durée que les forces en OPEX ? Les unités envoyées au combat ne partent déjà plus avec « leur » médecin et « leur » infirmier, faudra-t-il à l'avenir qu'elles connaissent pendant un déploiement plusieurs référents médicaux ? Quelles seraient les répercussions d'une telle évolution ?

Où en sommes-nous aujourd'hui de la réforme du SSA ? La médecine des forces, celle qui conditionne la possibilité de faire des opérations extérieures, est-elle consolidée ? La médecine hospitalière est-elle mieux intégrée avec l'offre de soins civile ?

Vous connaissez notre fidèle soutien qui nous a conduits, lors du débat sur la loi de programmation militaire, à soutenir la remontée de vos effectifs. Quelles sont les perspectives ? Vous manque-t-il toujours une centaine de médecins ? Avez-vous toujours un problème d'attractivité par rapport au secteur privé, et comment le gérez-vous ? Êtes-vous entendue sur ces problématiques cruciales par votre ministère ? Le Président de la République a fixé une direction lors de ses voeux aux armées à Toulouse la semaine dernière ; néanmoins, on sait qu'un monde peut exister entre les mots et la réalité.

Je vous laisse la parole, avant d'entendre les questions des rapporteurs et de mes collègues.

Mme Maryline Gygax Généro, directrice centrale du Service de santé des armées. - Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d'abord de vous remercier pour votre invitation. II s'agit pour moi d'un réel honneur que de présenter devant cette commission les enjeux présents et futurs du service de santé des armées, que je dirige depuis maintenant plus d'un an. Après avoir rappelé succinctement les missions du SSA et les acquis significatifs de la transformation, je vous exposerai les grands défis que le SSA devra surmonter dans les années à venir et ma vision stratégique.

La France est l'une des rares nations occidentales à être en capacité de déployer une chaîne santé complète, autonome et réactive. C'est bien cette capacité à réaliser les gestes du damage control dès la blessure, associés à une évacuation médicalisée précoce vers le territoire national, le tout en moins de 25 heures en moyenne, qui offre les meilleures chances de survie avec le moins de séquelles fonctionnelles et/ou psychologiques à nos militaires blessés.

Le SSA est à lui seul un système de santé complet, organisé et expérimenté, qui compte 14 700 personnels, dont 70 % de militaires et 30 % de civils. Il est globalement féminisé à 60 %. Le SSA est un acteur incontournable de la réalisation des ambitions stratégiques de la France. Il constitue un système de santé cohérent et expérimenté, qui, en Europe, a la capacité unique d'assurer le soutien médical des armées en opération en tout temps, en tout lieu, partout où elles sont déployées : sur terre, dans les airs, sur et sous les mers, et ce quel que soit le mode d'intervention de nos armées, notamment l'entrée en premier. La caractéristique des soignants militaires est de savoir sauver des vies en situation isolée, en environnement extrême ou en milieu hostile. C'est cette mission première, avant, pendant et après les engagements, au plus près des armées, qui fonde le dimensionnement et l'organisation du SSA.

En 2018, le SSA a projeté 1 846 militaires dont 433 médecins, parmi lesquels 312 médecins généralistes, 77 chirurgiens, 37 anesthésistes réanimateurs et 7 psychiatres. Chaque jour, près de 2 000 personnels du SSA sont de garde, d'astreinte, d'alerte ou engagés en opérations.

Le SSA est également un acteur à part entière du système public de santé, qui prend en charge, au quotidien, dans ses hôpitaux, une large patientèle civile.

Les attentats récents sur le territoire national, l'épidémie de maladie à virus Ebola en Afrique en 2014, sont autant de situations au cours desquelles le SSA, fort de son adaptabilité et de son expérience, est venu en sus renforcer les structures civiles de la gestion de crise, concourant en cela à la résilience de la France.

Cet apport essentiel à la nation, que l'on attend d'un outil militaire, souligne bien la singularité du SSA, à la croisée des mondes de la santé et de la défense.

Le SSA est engagé dans un ambitieux plan de transformation initié en 2015 par mon prédécesseur, le médecin général des armées Jean-Marc Debonne. Cette transformation vise à garantir aux militaires un soutien santé permanent et une qualité technique optimale, face aux risques sanitaires spécifiques de toute activité opérationnelle. Elle repose sur trois grands principes de concentration, d'ouverture et de simplification.

Depuis 2015, le SSA n'a eu de cesse de se refaçonner autour du soutien opérationnel, d'améliorer la prise en charge globale du blessé de guerre, de préserver la proximité avec les armées, d'apporter une attention permanente au moral de son personnel et au climat social, de devenir un acteur à part entière du système de santé publique et un acteur majeur de la résilience de la nation, et enfin d'accroître ses performances sur les plans opérationnel, technique, organisationnel et financier pour diminuer le coût de possession. Il le fait au moyen d'une transformation systémique et synchrone de ses cinq composantes, dont le caractère indispensable, interdépendant et indissociable a été réinterrogé et réaffirmé.

S'agissant de la médecine des forces, le soutien médical de proximité des unités des trois armées et de la gendarmerie nationale a été profondément restructuré afin de dégager du temps médical. La réorganisation des centres médicaux des armées (CMA), passant de 55 à 16 en 2019, a permis de concentrer les fonctions administratives dans une portion centrale et de renforcer les activités de soins, d'expertise et de préparation opérationnelle au sein des 200 antennes médicales qui ont subsisté et restent placées au plus près des forces armées. L'équilibre fonctionnel ainsi créé, avec une moyenne de 15 antennes médicales et de 21 000 militaires soutenus par CMA, permet d'optimiser la performance au travers de mutualisations de moyens.

La réorganisation de la médecine des forces s'est achevée en septembre 2018. La chaîne de commandement repose désormais sur une direction de la médecine des forces (DMF), implantée à Tours et qui a repris les missions des six directions régionales, dissoutes à la fin du moins d'août dernier.

Pour ce qui est des hôpitaux, après redimensionnement de l'offre hospitalière au juste besoin des armées et transfert en secteur civil des spécialités ne répondant pas aux besoins du contrat opérationnel, comme la radiothérapie, la néphrologie ou l'obstétrique, le format retenu de huit établissements a permis la différenciation en deux ensembles hospitaliers militaires (EHM) et quatre ensembles hospitaliers civils et militaires (EHCM).

Les EHM, en Île-de-France et en PACA, sont détenus en propre, ce qui permet de préserver au SSA sa capacité de réponse immédiate au contrat opérationnel, par la projection avec un faible préavis d'équipes chirurgicales spécialisées, formées et entraînées. Les hôpitaux d'instruction des armées (HIA) d'Île-de-France, et bientôt ceux de PACA, reçoivent directement les blessés évacués des théâtres d'opérations. Leur labellisation en trauma center de niveau 1 par l'Agence régionale de santé (ARS), pour Percy et Sainte-Anne, atteste de leur compétence à prendre en charge les polytraumatisés les plus graves, y compris et de façon spécifique, s'ils sont brûlés ou radiocontaminés ou contaminés chimiquement.

Les EHM disposent également d'un statut de pôle référent en infectiologie, d'un panel complet de spécialités médicales ainsi que d'un pôle de rééducation et de réhabilitation destiné à la prise en charge précoce et secondaire des blessés tant physiques que psychiques. Ils ont vocation à développer des partenariats avec les groupements hospitaliers de leur territoire, tout en préservant leur autonomie dans les activités nécessaires au bon fonctionnement des spécialités projetables. La symétrie des capacités ainsi créées au nord et au sud permet de sécuriser le service rendu aux armées.

Les quatre HIA en EHCM, à Brest, Metz, Lyon et Bordeaux, sont porteurs, quant à eux, de la capacité à durer sur les théâtres, sous préavis de plusieurs mois compte tenu des conditions imposées par nos partenaires civils. Ils doivent en tout cas rester en mesure de fournir un vivier de compétences nécessaires à la relève des opérations. Ces hôpitaux, qui ont assumé une large part de la déflation de 10 % des effectifs du SSA, sont fortement intégrés dans leur territoire de santé via des partenariats innovants avec la santé publique, dont le quatrième et dernier a été signé à Lyon en décembre 2017. La réorganisation des activités et les adaptations d'infrastructures ne sont pas terminées, elles vont se poursuivre jusqu'en 2023 : ce n'est qu'à cet horizon que les partenariats seront stabilisés. À la fin de 2020, l'ensemble des équipes chirurgicales militaires sera inséré chez les partenaires avec la constitution d'équipes mixtes, civiles et militaires. Au titre de la sécurisation de la réponse au contrat opérationnel, le maintien d'un niveau significatif de personnels projetés demeure au centre du principe de la pérennisation de ces établissements. Si l'on regarde l'activité opérationnelle en 2018, les EHM ont assuré 66 % des projections de personnels hospitaliers, et donc les EHCM 34 %, ce qui est conforme à la trajectoire fixée.

Tous les HIA participent par ailleurs à la réponse aux crises sanitaires survenant sur le territoire national, ainsi qu'à la prise en charge des victimes d'attentats. Enfin, ils ont tous une mission de formation, d'expertise médicale et de recherche clinique.

S'agissant des autres composantes, le ravitaillement sanitaire et la recherche biomédicale de défense poursuivent leur restructuration engagée depuis 2008. La montée en puissance de l'Institut de recherche biomédicale des armées (IRBA) sera achevée avec la mise en service prévue à la fin de 2019 du nouveau laboratoire confiné de haute sécurité.

Enfin, la réorganisation du dispositif de formation du SSA a vu le regroupement de nos écoles de formation initiale pour les praticiens et les infirmiers sur le site de Lyon en 2018, ainsi que la structuration de la préparation technique opérationnelle et le développement de l'enseignement numérique.

Je ne serais pas complète si je n'évoquais pas également l'effort de simplification qui a présidé à la mise en oeuvre de notre nouvelle organisation depuis le 3 septembre dernier : il s'agit de mettre en oeuvre une gouvernance plus lisible et plus visible, avec davantage de subsidiarité et de responsabilisation de mes adjoints, des directeurs de chaînes et directeurs d'établissements.

Notre environnement est porteur de défis majeurs. En sus de toutes ces réalisations, nous devons poursuivre notre adaptation continue à notre environnement santé et défense, afin d'intégrer en permanence les évolutions sociétales, médicales et géostratégiques.

Quelles sont ces évolutions majeures ?

En premier lieu, il nous faut intégrer le caractère exigeant, difficile et instable qui est désormais celui du contexte opérationnel, que je ne détaillerai pas car vous le connaissez bien.

L'ambition de la France de disposer de forces capables de s'engager, y compris sur très faible préavis, en premier et en autonomie, ambition confirmée par la revue stratégique de 2017 et la vision stratégique du chef d'état-major des armées, m'oblige en tant que directrice centrale à garantir l'opérationnalité du SSA sur l'ensemble du spectre des missions.

L'autre évolution majeure que nous devons intégrer est celle de l'évolution de notre environnement santé, en particulier la réforme ambitieuse du système de santé publique annoncée par le Président de la République en septembre 2018.

Cette réforme modifiera en profondeur l'organisation et le financement de notre système de santé, ainsi que les modalités de formation et d'exercice des soignants. Il est primordial que le SSA s'inscrive pleinement dans la dynamique de cette réforme, avec une attention particulière pour la réforme des études médicales, les autorisations d'activités, et la notion de communautés professionnelles des territoires de santé.

Face à ces évolutions majeures, nous avions besoin d'une loi de programmation militaire à la hauteur des enjeux. Les ressources qui seront allouées au SSA pour les cinq prochaines années répondent objectivement à un certain nombre d'attentes et lui donnent les moyens de poursuivre son évolution et de financer ses priorités. Je vous remercie à cet égard d'avoir souligné à plusieurs reprises l'action déterminante du SSA au profit de la communauté militaire.

J'en viens à ma vision stratégique pour l'avenir du service. Au-delà de la question des ressources, afin de faire de ces nouveaux éléments de contexte que j'ai évoqués et pour en faire de véritables opportunités, le SSA a besoin de se doter d'une vision ambitieuse. C'est pourquoi j'ai identifié trois axes stratégiques pour préparer l'avenir.

Premier axe prioritaire : garantir notre efficacité opérationnelle. Cela passe par une adaptation continue de la doctrine du soutien médical en opération aux nouveaux modes d'action militaires. À ce titre, le SSA met en oeuvre une véritable démarche d'innovation continue pour adapter les capacités médicales opérationnelles aux nouvelles conditions d'engagement. Lors de vos déplacements sur les théâtres d'opérations, vous pourrez voir d'ici à quelques mois une nouvelle antenne chirurgicale, mieux adaptée aux modalités d'engagement des armées et prenant en compte les nouvelles technologies médicales.

Cette exigence d'efficacité opérationnelle s'applique aussi à la préparation du personnel projetable de la fonction santé. L'excellence des soignants militaires s'appuie sur une capacité de formation spécifique, académique et opérationnelle, et nous travaillons à toujours renforcer leurs compétences techniques et militaires. À cette fin, les nouvelles technologies nous permettront d'aller plus loin dans le caractère réaliste des entraînements. Je pense notamment à la formation, par la simulation, pour laquelle nous nourrissons de grandes ambitions et qui complète les formations sur le terrain.

Deuxième axe : conforter notre capacité de réponse aux besoins de santé des armées. Pour la première fois dans l'histoire du service, nous venons de publier notre stratégie santé de défense. Nous allons maintenant finaliser notre projet médical, tout entier tourné vers l'optimisation du parcours de prévention, de soins et d'expertise du militaire.

Autre grand projet, l'observatoire de la santé des militaires, actuellement en cours d'élaboration, permettra une connaissance approfondie de l'état de santé de ces derniers, afin de mieux répondre à leurs besoins spécifiques de santé, et de mieux ajuster le parcours de soins et d'expertise, dont toutes les étapes doivent répondre à une exigence de qualité.

Ce rôle d'opérateur santé unique du ministère des armées continuera bien évidemment de s'enrichir par le biais des partenariats interministériels, d'abord, en poursuivant notre politique d'ouverture par une inscription dans les territoires de santé, qui devrait amener les ARS à tenir compte des besoins de santé de défense, en application de l'accord interministériel santé-défense de 2017 et de l'ordonnance SSA-INI relative au service de santé des armées et à l'Institution nationale des Invalides du 17 janvier 2018.

Il s'enrichira aussi grâce aux partenariats internationaux : je viens d'assister à la réunion des chefs des services de santé des armées de l'OTAN, qui montre que les expériences de nos alliés sont riches en enseignements, notamment en termes de solutions à éviter. Je pense à l'Espagne, qui revient aujourd'hui sur la fermeture de ses écoles de formation initiale de soignants militaires. Tous ont pour point commun d'être confrontés à des difficultés en matière d'attractivité et de fidélisation, dans une situation de grande concurrence avec le secteur civil. Le Canada et le Royaume-Uni, par exemple, ont utilisé avec succès des mesures financières individuelles pour les spécialités en effectifs critiques. Tout cela alimente notre réflexion.

Enfin, troisième axe prioritaire : consolider la mise en oeuvre de notre transformation. Nous devons bien sûr veiller au moral et à la cohésion du personnel de notre service. Le SSA est une entité indivisible, riche de ceux qui le composent. Il est capital que tous puissent trouver leur place et s'épanouir. Pour cela, nous finalisons une nouvelle politique de ressources humaines, tournée vers un objectif d'adéquation quantitative et qualitative aux missions, source d'attractivité et de fidélisation. Cette politique doit inclure une valorisation des rémunérations et des parcours professionnels, mais aussi répondre à des préoccupations d'équilibre entre vie familiale et vie privée, d'aménagement de la parentalité et de reconnaissance des services rendus.

Parce qu'il est urgent de remettre nos effectifs à flot, cette politique porte également un objectif fort d'augmentation de la part de contractuels au sein du SSA, de 8 % à 20 % en 2030, afin de recapitaliser rapidement la médecine des forces ainsi que les spécialités hospitalières en déficit critique. La concrétisation des effets extrêmement positifs de stabilisation des effectifs globaux du SSA apportés par la LPM pour 2019-2025, passe ainsi par notre capacité à recruter une centaine de médecins généralistes contractuels et une vingtaine de chirurgiens orthopédiques. J'y vois également une forme de contribution du SSA à la résilience de la nation : en effet, ces médecins qui ont vocation à réintégrer le service public de santé au terme de leur contrat y apporteront les compétences qu'ils auront acquises au sein du SSA en matière de prise en charge de blessés de guerre et d'afflux de victimes.

Je n'oublie pas par ailleurs l'objectif tout aussi prégnant de renforcement de notre réserve opérationnelle avec une cible de recrutement de 300 réservistes supplémentaires cette année, d'autant que nos réservistes participent aux OPEX à hauteur de 11 % et constituent également un vivier de recrutement.

Alors que jusqu'en 2018 le SSA avait une déflation à réaliser, il nous faut désormais développer et mettre en oeuvre une chaîne de recrutement en capacité d'être efficace quasi immédiatement, ce qui n'est pas un mince défi dans l'environnement très concurrentiel de la santé publique. L'objectif est bien de redonner au SSA sa capacité de régénération et d'offrir à notre personnel les meilleures conditions d'exercice. En tant que directrice centrale du SSA, mon attention portera en priorité sur la bonne exécution de la LPM et la bonne adéquation des ressources avec les missions.

Concernant les moyens de financements, je compte inscrire le SSA dans la dynamique du plan « Ma santé 2022 » pour lui permettre d'accéder aux divers modes de financement auxquels il peut légitimement prétendre, en tant qu'acteur du service public de santé.

Dernier levier pour permettre au SSA d'atteindre son modèle cible : le développement des outils numériques, qui amélioreront au quotidien les conditions de travail du personnel et organiseront une autre proximité avec les armées, par le biais de la télémédecine. La mise en place du nouveau système d'information, le logiciel Axone, prévue cette année, est très attendue au sein des CMA. Ce n'est qu'un début. Ce virage numérique engendrera très certainement un besoin de moyens financiers nouveaux afin d'atteindre le niveau attendu.

Les enjeux sont de taille, mais je suis déterminée et mobilisée pour que le SSA puisse réaliser ses ambitions. Au-delà de leur engagement, les femmes et les hommes du SSA, à la croisée des mondes de la santé et de la défense, sont mus par une culture commune et des valeurs particulières : il s'agit de notre singularité positive, que nous devons préserver et cultiver pour continuer à en faire une force au service de nos soldats, car leur vie est notre combat.

M. Christian Cambon, président. - Merci pour ce panorama complet. À plusieurs reprises, notre commission a eu l'occasion de souligner l'importance de renforcer le SSA. Les premières expériences de télémédecine auxquelles nous avons assisté, lors de notre visite de l'HIA Bégin avec le président Larcher, sont essentielles. Je veux redire ici, pour l'avoir vu encore récemment à Gao, l'engagement extrême de ces femmes et de ces hommes qui déploient, dans des conditions extrêmement difficiles, des installations hospitalières performantes dotées de technologies et d'un savoir-faire aptes à faire face aux situations graves et urgentes. Il n'y a pas que les morts ; nos soldats subissent aussi des blessures de plus en plus terribles dues à l'utilisation de ces technologies horribles que sont les Improvised Explosive Devices (IED), ces mines artisanales qui peuvent exploser sous vos pieds ou sous votre véhicule, même s'il s'agit d'un véhicule sanitaire, comme nous l'avons vu à Gao. Vous trouverez toujours ici des avocats puissants qui veilleront à ce que les engagements de la LPM soient tenus.

M. Jean-Marie Bockel, rapporteur du programme 178. - L'an dernier, lorsque nous vous avions rencontrée dans le cadre de la préparation du budget, votre engagement, votre ténacité et vos capacités d'adaptation du dispositif aux nouvelles priorités nous avaient impressionnés. La question des moyens reste ouverte. Qu'il s'agisse du travail que vous menez sur le terrain, parfois dans des circonstances terribles, ou de la réforme de votre positionnement sur les bases de défense, tout cela vous demande des efforts considérables et nécessite des moyens supplémentaires, car le recours aux réservistes ne suffira pas. Nous souhaitons être vos alliés déterminés et efficaces. Aidez-nous, en pointant les domaines dans lesquels les moyens qui vous sont alloués sont insuffisants.

Mme Christine Prunaud, rapporteure du programme 178. - Parmi les militaires que nous avons rencontrés au cours de nos auditions, vous êtes celle qui m'a le plus impressionnée par son engagement tant dans l'action que dans l'investissement sur le terrain. Grâce à vous, une partie de l'armée a mon soutien.

Lorsque j'ai visité le service de protection radiologique de Clamart, la semaine dernière, j'ai été choquée par la vétusté des locaux, alors qu'il s'agit du premier service européen. Le budget de l'armée a considérablement augmenté avec la LPM. Nous devrions exiger une réévaluation de l'appui financier et humain dont vous avez besoin. Votre service bénéficie de tout notre soutien.

M. Ronan Le Gleut. - Existe-t-il une coopération entre les services de santé des armées européens, qu'il s'agisse d'échanges de matériel médical ou même de spécialistes ? À l'échelle internationale, nous connaissons l'existence du Comité international de médecins militaires et vous avez mentionné dans votre présentation la réunion des services de santé des armées de l'OTAN. A-t-on envisagé à l'échelle européenne une coopération des services de santé des armées dans le cadre de la politique de sécurité et de défense commune ?

M. Gilbert-Luc Devinaz. - L'attrait du secteur civil est fort dans certaines spécialités comme la chirurgie ou l'anesthésie. Comment vous assurez-vous de la stabilité de votre service face à ce défi ? Quel avenir envisager pour l'hôpital Desgenettes à Bron, dans la métropole de Lyon ?

M. Ladislas Poniatowski. - On évalue à 14 000 personnes l'effectif global des médecins militaires. Combien exercent réellement en OPEX ? Combien sont placés dans les territoires où les armées françaises sont présentes ?

M. Olivier Cigolotti. - Je suis élu de la région Auvergne-Rhône-Alpes, deuxième plus grande région après l'Île-de-France. Quelles évolutions sont envisagées pour la structure de Lyon-Desgenettes à laquelle nous sommes très attachés ? Quels liens peuvent être noués avec les hôpitaux civils de Lyon ?

M. Joël Guerriau. - Beaucoup d'OPEX interviennent dans des territoires démunis. Vous avez mentionné l'installation d'antennes chirurgicales performantes dans ce cadre. Quelle est la patientèle ? Comment se répartit l'effort entre les interventions sur des populations civiles, sur la population militaire française ou sur la population militaire d'autres pays qui ne s'investissent pas autant que nous dans le domaine médical ?

M. Hugues Saury. - Le SSA intervient aussi en matière de sécurité civile. Je suis sénateur du Loiret et la pharmacie centrale des armées est située dans mon territoire. Elle fabrique les comprimés d'iodure de potassium destinés à saturer la thyroïde et à prévenir l'accumulation d'iode radioactif, en cas d'accident nucléaire. Si la logique reste la prévention, le risque zéro n'existe pas. Quelle serait la capacité de réponse de cette unité en cas d'accident très grave qui toucherait une population importante ?

M. Jean-Pierre Vial. - Les jeunes médecins militaires semblent regarder avec envie la médecine privée, et les conditions pour quitter l'armée n'ont pas l'air très exigeantes. Quel effet ce phénomène a-t-il en matière de recrutement et de maintien des effectifs ?

M. Gilbert Roger. - Dans quels secteurs et dans quelles disciplines êtes-vous en déficit de personnel ? Vous prélevez 300 réservistes sur les services civils. Pour combien de temps sont-ils recrutés ?

M. Bruno Sido. - Quand on parle des OPEX, on pense davantage à l'armée de terre et à l'armée de l'air qu'à la Marine. Nous avons pourtant visité l'hôpital du porte-avions Charles-de-Gaulle qui est remarquable. Le médecin qui officiait nous a expliqué que sa mission durait trois mois, sans relève et était volontaire. Comment faites-vous pour trouver des volontaires capables de partir ainsi trois mois en mer, avec l'immense responsabilité de 2 000 personnes à soigner, sans être forcément compétent dans tous les domaines ?

Mme Gisèle Jourda. - On comptait 54 centres médicaux des armées de nouvelle génération en 2014 ; il n'y en aura plus que 19 en 2018. Dans mon territoire rural, les centres hospitaliers ferment au gré des restructurations. Je ne peux que m'interroger sur l'efficience du dispositif.

Vous nourrissez beaucoup d'espoir au sujet de la coordination avec les ARS qui devrait se développer dans le cadre de la future réforme. Or, dans ma région, les ARS peinent parfois à faire respecter certains services d'urgence, particulièrement quand il s'agit de territoires reculés. Comment leur permettre de s'impliquer dans la coordination que vous souhaitez ?

Mme Maryline Gygax Généro. - Nous devons recruter des contractuels dans des délais courts. Nous avons 760 médecins généralistes ; il nous en faudrait une centaine de plus. Nous en avons besoin immédiatement. Le volant de renforcement du nombre de places mises au concours d'entrée dans les écoles de santé militaires de Lyon prévu par la LPM, avec une augmentation à 115 postes initiaux au lieu de 100, ne produira ses effets que dans neuf ans pour les médecins généralistes et douze ans pour les spécialistes. D'où la nécessité de recruter des contractuels. Je précise que nous n'avons aucun problème d'attractivité au niveau de nos écoles initiales, puisque de 13 à 19 candidats concourent pour une seule place. De mon point de vue, la réforme des études médicales n'interférera en rien avec l'attractivité de ces écoles. Elle les recentrera au contraire sur leur singularité d'écoles militaires.

Nous disposons d'une quarantaine de chirurgiens orthopédistes, dont 33 étaient en OPEX en 2018. Tous ne sont pas forcément aptes à partir - je pense par exemple aux jeunes femmes enceintes. Nous manquons de chirurgiens viscéraux, d'anesthésistes réanimateurs, de neurochirurgiens, d'urgentistes et de psychiatres. Sur les 35 psychiatres dont nous disposons, 7 sont partis en OPEX. Nous partageons les mêmes besoins que la santé publique dans certaines disciplines, mais avec un objectif spécifiquement opérationnel.

Le recrutement de réservistes constitue une opportunité intéressante, car en les formant, nous leur donnons envie de rejoindre nos rangs. Pour renforcer notre attractivité, j'ai monté une campagne de recrutement avec l'aide de la Délégation à l'information et à la communication de la défense (Dicod). J'espère qu'elle portera ses fruits dès 2019. Il faudra pouvoir lui allouer un budget, qui est en cours d'élaboration.

Des aides financières participent aussi à l'attractivité du métier, en plus des valeurs que nous défendons. J'ai demandé à ce qu'elles soient comparables à ce qui est proposé dans la santé publique lorsqu'il s'agit de recruter des médecins dans les déserts médicaux.

Les volontaires qui exercent dans la Marine sont des réservistes. Ces missions sont très prisées. D'un point de vue général, nous souhaitons fidéliser nos réservistes en les formant puis en leur confiant des missions intéressantes. Je les considère comme des militaires à part entière et comme d'authentiques partenaires.

Les coopérations internationales sont souhaitables pour nous inscrire dans le cadre de l'Initiative européenne d'intervention (IEI) voulue par le Président de la République. Nous sommes en train d'organiser un forum des chefs opérationnels des services de santé des armées des pays européens qui le souhaitent. Dans ce cadre, nous aurons l'occasion d'échanger sur une capacité d'interopérabilité en opération extérieure. Nous travaillons aussi avec certains pays de l'OTAN sur la médicalisation des nouveaux vecteurs de l'armée de terre. Les véhicules de l'avant-blindé sanitaires (VAB SAN) devraient être renforcés et des kits de médicalisation devraient être bientôt installés dans les véhicules blindés de combat d'infanterie (VBCI) et dans les véhicules Scorpion, projet sur lequel nous travaillons en collaboration avec les Belges.

Sur les théâtres d'opérations extérieures, nous prenons en charge l'aide médicale à la population, en fonction de la demande que le commandement nous en fait. C'est un moyen d'appuyer le rayonnement de la France. Nous travaillons aussi à rendre interopérables nos méthodes et nos techniques.

À l'instant t, une cinquantaine d'équipes médicales sont à l'oeuvre sur les théâtres d'opérations extérieures. Il y en avait précisément 52, vendredi dernier. Elles sont chacune composées au moins d'un médecin, de 2 infirmiers et de 5 à 7 auxiliaires sanitaires. Nous disposons aussi de 5 à 7 équipes chirurgicales en permanence sur les théâtres d'opérations, composées de 2 chirurgiens, un anesthésiste réanimateur, un manipulateur radio et des infirmiers. Un psychiatre est également présent en permanence dans l'opération Barkhane. Au total, entre 60 et 70 médecins sont présents chaque jour en OPEX.

La durée des missions est en moyenne de 92 jours pour les médecins des forces et de 62 jours pour les hospitaliers. Les armées souhaitent en général partir avec leurs médecins. Dans la mesure où les médecins des forces sont intégrés dans les unités combattantes, il est important que la durée de leur mission soit calquée sur celle des unités avec lesquelles ils partent. Il privilégie l'accompagnement de l'unité déployée par son médecin, mais il veille également à ce que ce médecin ait effectué la préparation opérationnelle idoine. Quant aux hospitaliers, il est logique que la durée de leur mission soit moindre, dans la mesure où ils ont également une patientèle sur le territoire national qu'ils risqueraient de perdre.

Depuis mon arrivée, la durée moyenne d'intervention sur les OPEX a un peu diminué. L'une de mes priorités est que le personnel puisse concilier vie professionnelle et vie familiale. Le SSA s'est féminisé, surtout en ce qui concerne la médecine des forces. Pas moins de 39 % de nos médecins et 70 % de nos infirmiers sont des femmes. La proportion est de 50  % pour les tranches d'âge inférieures à 40 ans. Donc, vous voyez que les jeunes générations, celles qui partent en OPEX, sont très féminisées. Je considère qu'il est de mon devoir de faciliter la conciliation entre leurs vies familiale et opérationnelle. C'est pourquoi j'ai introduit la possibilité de mandats réduits à destination des parents, et pas seulement des femmes. C'est important pour préserver le moral du personnel du SSA qui est plutôt bas actuellement.

Je souhaite aussi mettre en place des mandats réduits pour que les réservistes puissent davantage partir en opération extérieure. Nos réservistes effectuent en moyenne 22 jours de service par an, ce qui n'est pas suffisant, car il faudrait atteindre un objectif de 30 jours par an. Cela reste néanmoins complexe pour les médecins.

Le partenariat entre l'hôpital d'instruction des armées Desgenettes et les hospices civils de Lyon, deuxième trauma center de France, a du sens. En insérant des équipes chirurgicales dans un centre de ce niveau, on ne peut que favoriser le développement des compétences de nos chirurgiens. C'est en tout cas l'objectif que nous poursuivons. L'insertion se déroule très bien pour les chirurgiens orthopédistes et pour les anesthésistes réanimateurs. Les chirurgiens viscéraux ont un peu plus de mal à trouver leur place dans les équipes. Le maintien d'un pôle de réhabilitation physique et psychique militaire sur le site de l'hôpital Desgenettes s'enrichira de l'arrivée en 2023 de l'hôpital Henry Gabrielle, établissement reconnu en matière de soins de réadaptation. Nous préparons activement le projet d'infrastructures qui rendra possible l'insertion de cet hôpital sur le site Desgenettes. Il s'agit d'un magnifique projet.

La question du service d'accueil d'urgence reste posée pour l'hôpital Desgenettes. Il faut l'étudier avec le partenaire des hospices civils de Lyon et avec l'ARS responsable de l'organisation des activités sur le territoire. L'implantation récente du Médipôle proche de Desgenettes avec un service d'accueil d'urgence de très grande capacité conduira certainement à revoir le projet territorial d'accueil des urgences.

En ce qui concerne la pharmacie centrale des armées, elle prépare les crises en coordination avec la santé publique. Les stocks stratégiques sont calibrés pour faire face à des crises de quelque nature qu'elles soient. Le renouvellement régulier de ces stocks est prévu et sa planification a été établie par la santé publique de manière à se faire au fil de l'eau. Nous préparons bien entendu les grands rendez-vous comme les jeux Olympiques. Il n'y a aucune inquiétude à avoir sur ce point.

L'articulation avec les ARS est essentielle. Nous mettons en place des comités de pilotage régionaux réguliers avec chacune des 17 agences. Le SSA est inclus dans les projets régionaux de santé. Nous allons signer avec les ARS des contrats spécifiques de partenariats, afin que nos relations soient précisément calibrées, notamment en ce qui concerne les flux financiers.

La vétusté des locaux nous préoccupe d'autant plus que nous souhaitons moderniser et améliorer les conditions d'exercice de nos praticiens. Un ambitieux programme de rénovation des infrastructures a été mis en place dès le début de la transformation du SSA, doté d'un budget de 99 millions d'euros pour la médecine des forces alloué sur la durée de la LPM. Pas moins de 200 millions d'euros ont également été dégagés pour les hôpitaux. Il est vrai qu'à la fin de la LPM, 50 % des locaux seront encore vétustes, de sorte qu'il faudra poursuivre notre effort. D'où mon souhait d'aller au plus vite pour rénover les locaux, mettre en place des systèmes d'information modernes, développer la télémédecine et utiliser l'intelligence artificielle afin de développer l'observatoire de la santé des militaires. Tout cela nécessite des moyens ambitieux et je me bats pour les obtenir. La LPM me donne les moyens de répondre aux attentes les plus prioritaires. Nous travaillons avec le ministère pour accélérer la modernisation de notre service. Je ne suis pas pessimiste, mais combative.

M. Alain Cazabonne. - Quand j'étais maire, j'ai donné un avis favorable au transfert de l'hôpital Robert Picqué sur le site de Bagatelle. J'ai cependant regretté que le transfert se fasse en ce sens, dans la mesure où l'espace était plus limité à Bagatelle qu'à Robert Picqué. Qu'est-ce qui a motivé le choix de Bagatelle ?

Mme Maryline Gygax Généro. - Le choix de faire sortir l'hôpital Robert Picqué de ses murs pour l'intégrer à Bagatelle résulte d'aspects juridiques et organisationnels. C'était la seule solution pour faire aboutir ce projet, même si des inconvénients subsistent, je le reconnais. Nous souhaitions surtout maintenir une offre complète en secteur 1 pour le sud de l'agglomération bordelaise.

M. Christian Cambon, président. - Nous vous remercions pour toutes ces précisions. Vous pouvez mesurer l'attachement que nous portons à votre service. Même s'il est compliqué d'organiser une visite de la commission dans son entier, chacun a à coeur d'aller voir les hôpitaux ou antennes militaires dans les territoires. Avec le gouverneur militaire des Invalides, nous pensions organiser une visite de l'institution, ce qui nous donnera l'occasion d'honorer tous ceux qui ont été blessés dans les OPEX.

Mme Maryline Gygax Généro. - Ce sera l'occasion de vous présenter le projet médical SSA-INI qui fera des Invalides un « poste médical rôle 4 » et un centre national de référence dans la prise en charge des victimes d'attentats. Là aussi, c'est un très beau projet.

M. Christian Cambon, président. - Soyez assurée de notre attachement, de notre vigilance et de notre soutien, notamment sur la question de la rénovation de vos bâtiments. Certains hôpitaux, quand ils sont rénovés, comme l'hôpital Bégin, sont tellement magnifiques qu'on aurait presque envie d'être malade... mais ce n'est pas le cas de nombreux services. Notre bienveillante vigilance vous accompagne.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 11 h 25.

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Situation au Moyen-Orient - Audition de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

M. Christian Cambon, président. - Monsieur le ministre, merci d'avoir répondu à notre invitation pour ce point de situation internationale que nous avons souhaité centrer principalement sur le Moyen-Orient, où les sujets d'inquiétude ne manquent pas. Nous pourrons éventuellement l'étendre, si vous le voulez bien, aux sujets d'actualité, à savoir la République démocratique du Congo (RDC) et le Brexit.

Le retrait américain de Syrie nous inquiète, même s'il sera moins instantané qu'on ne le craignait. Une solution politique peut-elle se dessiner en Syrie ? La France pèse-t-elle encore dans ce dossier ? La confrontation quasi directe entre Israël et l'Iran en Syrie, voire au Liban, nous inquiète également, à quelques mois des élections en Israël et alors que la présentation du plan de paix américain est une nouvelle fois repoussée. Quant au Yémen, la situation humanitaire y est plus dramatique que jamais, malgré la signature d'un accord et les efforts de l'envoyé spécial de l'ONU, le Britannique Martin Griffiths.

Le président de la République se rendra en Égypte la semaine prochaine. Il s'agit d'un pays ami et allié dans la lutte contre le terrorisme. Qu'attendez-vous de cette visite ? J'ai eu l'honneur de vous accompagner en Jordanie et en Irak, il y a quelques jours, et je vous remercie d'avoir associé le Parlement à cette visite. Nous serions heureux d'entendre ce que vous retirez de ce déplacement. Vous avez souhaité rencontrer toutes les parties en présence et vous avez été le premier ministre européen à vous entretenir avec les chiites dans le lieu saint de Nadjaf.

Enfin, la France s'est beaucoup impliquée pour tenter de maintenir à flot le Joint comprehensive plan of action (JCPOA) avec l'Iran. Les Européens peinent à mettre en place le special purpose vehicle (SPV) qui avait été envisagé, et sur lequel notre commission s'était penchée à l'occasion d'une proposition de résolution européenne. Où en sommes-nous ?

Monsieur le ministre, cette région va mal et, depuis votre précédente venue devant notre commission, il y a quelques mois, rien ne s'est arrangé, à l'exception du recul territorial de Daech dont on peut se féliciter, même si l'organisation terroriste continue à représenter un danger disséminé dans les populations locales, de sorte qu'il ne faut pas baisser la garde. Face à ce tableau sombre, ne devons-nous pas, pour ainsi dire, « changer de logiciel » ? Ne faudrait-il pas mettre à jour notre vision de cette région, de notre rôle, de ce que sont nos intérêts là-bas, et des actions que la France doit y entreprendre ? Je suis témoin de la qualité des relations que vous entretenez dans cette région. Le fait que vous soyez si apprécié facilite le dialogue. Qu'il s'agisse des Kurdes, des chiites ou des sunnites, le désir de France est intact.

Vous avez pris des positions fortes sur les élections présidentielles en RDC. Pouvez-vous nous en dire plus ? Enfin, bien sûr, nous souhaiterions connaître votre analyse du Brexit.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Je vous propose de procéder en commençant par un exposé sur la situation au Moyen-Orient et en Afrique. Puis, je répondrai à vos questions sur le Brexit.

M. Christian Cambon, président. - Nous vous suivons dans cette méthode.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Au Moyen-Orient, l'essentiel pour nous demeure la lutte contre Daech. Nous évacuons parfois cette priorité, obnubilés que nous sommes par l'évolution des crises ponctuelles en Irak ou en Syrie. Cependant, ma responsabilité première reste de combattre le terrorisme de Daech. Nous avons enregistré des avancées très significatives dans ce domaine. À l'heure actuelle, il reste quelques poches territoriales de Daech qui résistent au nord-est de la Syrie, dans la région d'Abou Kemal. Le terrorisme de Daech prend aussi une autre forme, clandestine, qui réapparaît régulièrement, comme nous avons pu le constater il y a peu de temps avec l'attentat de Manbij, où ont péri des militaires américains, ainsi qu'avec les attaques de Kobané, il y a deux jours. Les forces américaines ont ainsi été touchées pour la première fois depuis longtemps.

N'oublions pas que c'est de Raqqa que sont venus les terroristes qui ont frappé notre territoire national. Un an après une victoire territoriale contre Daech, qui est surtout une victoire en Irak, la menace terroriste devenue plus clandestine et plus asymétrique reste d'actualité. Les attentats, les embuscades et les assassinats se poursuivent. En Irak même, des zones occupées pendant un temps assez long par Daech voient quelques résurgences du drapeau noir. Il faut donc garder prudence.

Je suis allé plusieurs fois en Irak, y compris pendant la guerre. C'est pourtant la première fois que je reviens en faisant preuve d'un peu d'optimisme sur la situation. Après les élections du mois de mai, un président de la République et un Premier ministre sont désormais en place, MM. Barham Saleh et Adel Abdel-Mehdi. Nous les avons rencontrés. Leur volonté est double. Ils souhaitent que le développement de l'Irak se fasse de manière inclusive, d'où la volonté d'accord avec le gouvernement du Kurdistan, dont nous avons aussi rencontré les ténors. La dernière fois que je m'étais rendu au Kurdistan, M. Barzani voulait proclamer l'indépendance de son territoire et la France avait exprimé qu'elle ne soutenait pas ce projet. Cette fois-ci, nous avons bénéficié d'un accueil très chaleureux, témoignant d'une volonté commune de contribuer au redressement de l'Irak. Les représentants politiques que j'ai rencontrés à Nadjaf se sont également dits favorables à une reconstruction inclusive. C'est la première fois que la situation est aussi positive depuis 1991 et la première guerre d'Irak.

Les dirigeants irakiens ont aussi la volonté d'affirmer un Irak national existant de manière autonome sur le plan diplomatique. Cependant, le temps presse. Si la vie quotidienne ne s'améliore pas dans les régions à dominante sunnite qui ont été occupées par le califat de Daech, les risques de résurgence de l'organisation terroriste seront d'autant plus grands.

Dans cette perspective, la question de la reconstruction est essentielle. J'ai mis en place à Paris un comité de pilotage qui regroupe l'ensemble des acteurs français susceptibles de participer au redressement de l'Irak : les entreprises, les ONG, les universitaires, etc. Nous avons fait en sorte que l'Agence française de développement (AFD) puisse revenir en Irak. Il s'agit de réaffirmer progressivement la place de l'Irak dans la région. La France, qui a été le deuxième acteur dans les opérations militaires, après les États-Unis, doit aussi jouer son rôle dans la reconstruction de la paix et de l'équilibre général de ce pays.

Nous avons rencontré à Erbil la communauté yézidie, qui, comme vous le savez, a été victime d'actes de barbarie de la part de Daech. Nous voulons accompagner cette communauté et faire en sorte qu'elle soit respectée et reconnue pendant la reconstruction - cela vaut aussi pour les communautés chrétiennes de la région. L'octroi du prix Nobel de la paix à Mme Nadia Murad est un signal important et un élément de visibilité.

Nous contribuons déjà au développement de l'Irak. Ainsi, nous participons à la reconstruction de l'université de Mossoul, notamment de la faculté de médecine. Les circonstances et les conditions de sécurité ne nous ont pas permis de nous y rendre, mais ce n'est que partie remise. Le Président de la République a l'intention de se rendre dans le pays avant l'été.

Dernière remarque sur la situation irakienne : nous avons constaté une activité diplomatique significative puisque, lorsque nous étions là-bas, le roi de Jordanie, que nous avions vu la veille, s'est aussi rendu dans ce pays dans lequel il n'était pas allé depuis 10 ans ; le président égyptien était aussi dans la région, tout comme Mike Pompeo, secrétaire d'État américain, ou les dirigeants iraniens. Enfin, je souligne que l'Irak n'a pas de problème de financement à moyen terme, car le pays possède des ressources. L'enjeu est de reconstruire le pays pour que ces ressources puissent être exploitées.

J'en viens à la Syrie. Les Américains ont annoncé leur désengagement du nord-est du pays, zone que l'on appelle couramment le Rojava, selon son nom kurde. C'est une zone qui est tenue par les forces démocratiques syriennes (FDS), constituées en grande partie de Kurdes, mais qui comportent aussi des Arabes. Avec l'appui aérien de la coalition, ces forces ont permis de réduire l'espace territorial de Daech. Cette zone abrite en particulier Raqqa. Le départ annoncé des forces américaines est porteur de conséquences incalculables. Cela a conduit les autorités irakiennes à prendre contact avec les autorités de Damas pour assurer la sécurité de la frontière entre l'Irak et la Syrie afin d'éviter que les éléments combattants de Daech ne s'évaporent en Irak.

Cela fragilise aussi beaucoup les Kurdes et les FDS qui sont tentés de parler avec Damas, sous la houlette de Moscou. C'est d'ailleurs ce qui se passe déjà. La Jordanie est aussi inquiète à cause de la possibilité d'un départ des Américains de leur base d'Al Tanf, à proximité de laquelle se situe le camp de réfugiés de Rukban. La Jordanie craint un afflux de réfugiés supplémentaire, alors qu'elle en accueille déjà beaucoup, 660 000, de manière d'ailleurs exemplaire, puisque la plupart sont non pas dans des camps, mais accueillis au sein de la population jordanienne, en étant scolarisés ou formés. L'annonce du départ américain a produit un tremblement de terre. Même si un adoucissement du calendrier a été annoncé, le doute est là. La zone d'Idlib a fait l'objet d'un accord, conclu en septembre, entre la Russie et la Turquie pour qu'elle soit isolée et pour éviter une agression du régime. Cette zone compte deux millions d'habitants, et abrite plusieurs dizaines de milliers de combattants venant de tous les groupes historiques qui se combattaient en Syrie. Au fur et à mesure de la reprise des territoires par Bachar El-Assad, les combattants de ces groupes ont été envoyés dans la zone d'Idlib. Celle-ci est donc un creuset de combattants au milieu de populations civiles. Tout le monde a apprécié la conclusion d'un cessez-le-feu entre la Russie et la Turquie, mais celui-ci reste très fragile. À l'intérieur de la zone, les groupes terroristes affiliés à Al-Qaïda se battent contre les groupes qui sont plutôt proches de la Turquie, et ce sont les premiers, semble-t-il, qui sont en train de l'emporter, ce qui ne manquera pas de poser des questions à moyen terme.

Il faut aussi évoquer les actions israéliennes pour se protéger. La ligne rouge d'Israël est l'installation de bases militaires pérennes iraniennes en Syrie. Dès qu'une installation devient visible, des frappes aériennes sont menées. Cela provoque des réactions iraniennes et la zone est inflammable.

Il semble donc qu'il n'y aura pas de solution militaire, à moins que Bachar Al-Assad ne parvienne à une solution militaire totale. L'intérêt des uns et des autres, des Turcs, des Russes, de la communauté internationale, des Syriens, est de parvenir à un accord politique. On s'inscrit toujours dans le cadre de la mise en oeuvre de la résolution 2254 des Nations unies qui définit un plan politique, qui était auparavant porté par M. de Mistura et qui l'est maintenant par M. Pedersen, l'envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies, qui mène des consultations en ce moment. Le scénario est le suivant : réforme constitutionnelle, mise en oeuvre d'un processus électoral dans un environnement neutre auquel doivent participer les réfugiés et les déplacés, le tout accompagné d'une aide humanitaire et de la reconstruction. Force est de constater que nous n'en sommes toujours pas à la première étape ! Nous en sommes à l'étape d'avant, l'installation du comité constitutionnel qui sera chargé de rédiger la nouvelle constitution.

Le 6 février, la coalition se réunira à Washington ; en même temps aura lieu aussi une réunion du Small Group, un groupe piloté par les États-Unis et la France, qui réunit aussi l'Allemagne, la Grande-Bretagne, la Jordanie, l'Égypte, et l'Arabie Saoudite pour avancer sur un processus de paix qui ne peut passer que par la mise en oeuvre la résolution 2254. Le risque d'utilisation de l'arme chimique n'est pas exclu à Idlib. Dans le processus politique, nous estimons indispensable de prendre considération la situation des Kurdes. Ce sont les Kurdes et les forces arabo-kurdes qui ont permis de libérer le territoire de l'emprise de Daech. Il serait donc vraiment cynique de les oublier. Les Kurdes sont divisés : les Kurdes de Syrie ne sont pas d'accord avec les Kurdes d'Irak, qui sont en divergence avec les Kurdes d'Iran, qui entretiennent des liens divers et variés avec les Kurdes de Turquie... La situation est donc complexe. Je rappelle que la France considère le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) en Turquie comme une organisation terroriste.

Au Yémen, pour la première fois depuis le début de la guerre, des perspectives de paix se dessinent, que nous devons à la détermination de l'envoyé spécial des Nations unies, M. Griffiths, et à l'attitude des parties yéménites. Nous avons beaucoup poussé pour que tous participent aux discussions de Stockholm, dont un second cycle va débuter, et qui devraient aboutir à une solution politique. Pour l'heure, le cessez-le-feu a été globalement respecté, et des solutions humanitaires ont été mises en place. Il s'agit de la plus grande crise humanitaire au monde, puisque 24 millions de personnes sont en situation de détresse humanitaire et 10 millions sont au bord de la famine. La situation est compliquée : l'aide humanitaire ne peut arriver qu'au port de Hodeida, tenu par les rebelles houthis... La voie de sortie de crise est néanmoins ouverte. J'en rappelle le point de départ, que certains oublient, peut-être volontairement : le coup d'État des forces houthis, appuyées par l'Iran, contre le gouvernement légal, issu du printemps arabe, de M. Hadi. Les forces houthis ont repris le Yémen, mais ont aussi essayé d'attaquer l'Arabie saoudite, qui a réagi par une coalition arabe de riposte au coup d'État et aux agressions. C'est sur ce terreau que la guerre s'est déclenchée. Des exactions majeures ont été commises. Il faut à présent trouver les moyens de sortir de cette sale guerre, qui n'a que trop duré. Un chemin de paix a été tracé à Stockholm ; une réunion sur les échanges de prisonniers s'est tenue à Amman la semaine dernière. Des étapes ont été franchies, mais nous restons loin d'une solution politique définitive. Nous agissons au Conseil de sécurité des Nations unies et avec les parties prenantes pour que le processus de paix se cristallise. Le rôle joué par l'envoyé spécial des Nations unies est en tout cas très positif.

En Libye, nous sommes à la croisée des chemins. La situation résulte du jeu des quatre parties prenantes : le gouvernement provisoire, dit d'entente nationale, présidé par M. Sarraj et basé à Tripoli ; deux parlements, celui de Tobrouk, qui résulte d'élections contestées, et le Conseil d'État, constitué juste après les événements de 2011 ; et le maréchal Haftar qui, après avoir repris des éléments de l'armée libyenne, vient de reconquérir une partie du territoire, au sud de Sebha. Les quatre parties prenantes ont été reçues à l'Élysée l'année dernière, puis réunies à Palerme pour se mettre d'accord sur un processus politique. Celui-ci est désormais sur la table. Sa première étape consistera en une conférence nationale, initiée par l'envoyé spécial des Nations unies, M. Salamé. Des élections lui succèderont, afin d'aboutir à un pouvoir politique reconnu par tous et à l'intégration des milices dans l'armée nationale. À Paris comme à Palerme, aucun accord n'a pu être trouvé directement entre M. Sarraj et M. Haftar, qui continuent toutefois à se parler. Aux Libyens de prendre conscience de la nécessité de faire aboutir ce processus. Ils se sont d'ailleurs largement inscrits sur les listes électorales. C'est une voie de sortie de crise dans ce pays dont la stabilisation est un enjeu majeur pour celle de la Méditerranée et la maîtrise des migrations. Les réformes économiques ont porté leurs fruits : il y a davantage de liquidités dans les banques, davantage d'activité, les revenus pétroliers sont au plus haut depuis 2013... La stabilisation du processus politique transformera ces ressources en moyens de développement.

Un mot sur l'Iran. Nous agissons pour le respect de l'accord de Vienne depuis que les États-Unis s'en sont retirés. L'Agence internationale pour l'énergie atomique a confirmé que l'Iran respectait ses engagements de dénucléarisation militaire. Le processus est donc maintenu, contrairement à ce que prévoyaient les Américains, qui imaginaient que leur retrait déstabiliserait le régime et que d'autres interlocuteurs se montreraient sensibles à des négociations sur d'autres sujets. Mais la capacité de résilience du régime iranien est considérable. À partir du moment où l'Iran respecte ses engagements, notre signature doit aussi être respectée. C'est également la position de l'Allemagne et de la Grande-Bretagne. Nous sommes en train de mettre en place un mécanisme de financement spécifique nous évitant d'être soumis à l'extraterritorialité des sanctions américaines. Intitulé SPV, ce mécanisme est une sorte de chambre de compensation qui permettra à l'Iran de préserver ses exportations pétrolières et d'acheter des produits de première nécessité auprès des principaux acteurs que sont le Royaume-Uni, l'Allemagne et la France. Ce sera un acte politique. Notre détermination sur les autres sujets reste forte : la tentative d'attentat à Villepinte a donné lieu à des mesures à l'encontre du ministère du renseignement iranien et d'un certain nombre de personnes, en France et en Europe, et nous maintenons le dialogue - pas toujours facile - pour faire comprendre à Téhéran que sa frénésie de missiles n'est pas acceptable. Bref, tous les contentieux que nous avons avec eux sont sur la table, mais la prolifération nucléaire est un risque si important pour la région et l'humanité que nous avons le devoir de faire vivre l'accord de Vienne.

M. Jean-Pierre Vial. - Ma question concerne le nord de la Syrie. Nous avons rencontré ce matin M. Khaled Issa, représentant en France du Rojava - qui d'ailleurs a changé de nom depuis le début de l'année afin de regrouper toutes les communautés du nord de la Syrie. Vous avez bien décrit la situation, monsieur le ministre : la zone d'Afrin est contrôlée par la Turquie, à Idlib se rassemblent des dizaines de milliers de djihadistes, et non des moindres puisque Hayat Tahrir al-Cham est en train d'en prendre le contrôle, et la Turquie revendique une zone de 20 à 30 kilomètres le long de sa frontière, où se trouve l'essentiel de la population Kurde. Quelles assurances avons-nous des Turcs qu'il ne s'agit pas d'une tentative d'extension pure et simple de leur territoire ?

M. Joël Guerriau. - Monsieur le ministre, vous décrivez une situation plutôt favorable en Irak, dont le gouvernement procède tout juste d'élections démocratiques. Pourtant, de nombreuses exactions ont été commises dans le pays et justice devra être faite. Comment y parvenir ? La France apportera-t-elle sa contribution pour un tribunal spécifique ?

Les Kurdes sont pris en tenaille entre la Syrie et la Turquie, et vous n'avez pas évoqué la situation d'après-demain : une fois que les Américains se seront entièrement retirés de la zone, qui assurera leur sécurité ?

M. Jean-Marie Bockel. - Monsieur le ministre, vous avez effleuré, en évoquant la guerre au Yémen, la situation dans les pays du Golfe : quelle est-elle ? Où en sont les tensions avec le Qatar ? Peut-on espérer une sortie de crise ou la situation est-elle gelée ? Les bonnes relations que la France entretient avec l'ensemble des pays de la zone nous permettent-elles de promouvoir des solutions ?

M. Cédric Perrin. - Nous sommes un certain nombre dans la commission à avoir travaillé sur la Libye et avoir fait des prévisions, qui se sont hélas révélées exactes. Comment pouvez-vous êtes aussi optimiste ? Vous avez sans doute des informations que nous ignorons...

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Sur la Libye, tous les acteurs présents à Palerme, dont MM. Medvedev et al-Sissi, étaient d'accord pour respecter et mettre en oeuvre le calendrier fixé. M. Salamé est mandaté à cette fin. Pourquoi ne les croirais-je pas ? Tous approuvaient le lancement d'un processus qui suppose d'abord une conférence nationale pour déterminer le mandat électoral. En effet, il est difficile d'organiser un référendum et une élection dans un pays qui n'a pas dans ses gènes les habitudes démocratiques. Il n'y avait pas beaucoup d'élections sous Kadhafi, sous le règne du roi Idriss ou sous la colonisation italienne. Les Italiens étaient d'ailleurs présents à Palerme et à Paris.

À partir de là, c'est aux Libyens de prendre en main leur destin en application des orientations validées par tous. Le rôle des principaux acteurs est de faire en sorte que cela puisse se faire. Certes, cela n'est pas si simple - le cessez-le-feu a été de nouveau instauré, et certaines milices peuvent essayer de perturber le dispositif. Pour la France, l'enjeu est essentiel pour de nombreuses raisons, y compris sécuritaire et de gestion maîtrisée des migrations.

Dans mes fonctions, il est préférable d'être optimiste et volontariste ! Mais quand une ligne politique est définie, il faut s'y tenir et faire en sorte qu'elle soit respectée. Ceux qui ne la respectent pas se mettent hors-jeu, et il faut les dénoncer. Nous avons mis en oeuvre un certain nombre de sanctions au niveau européen à l'encontre de ceux qui étaient liés aux passeurs et de ceux qui utilisent les migrants dans des conditions absolument scandaleuses évoquées par la presse. Mais cela ne relève pas du processus politique : ce sont les dérives qui se sont créées en Libye depuis sept ans.

Je ne sais pas si je vous ai convaincus, mais j'essaye de vous montrer ma détermination à aboutir sur ce sujet difficile et douloureux.

Monsieur Bockel, les tensions restent identiques dans le Golfe : il n'y a pas d'amélioration majeure entre les six États membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG). Nous parlons avec les uns et les autres - avec les Émirats arabes unis, le Qatar et le Koweït, qui voudrait parvenir à réconcilier les acteurs. Pour l'instant, la réconciliation n'est pas à l'ordre du jour. Nous considérons que la solution viendra des pays membres du CCG, qui doivent dépasser leurs difficultés internes pour essayer de retrouver une forme de sérénité.

Pour répondre à M. Guerriau, il y a un dispositif judiciaire en Irak qui fonctionne. Nous avons d'ailleurs récemment collaboré avec ce pays pour lui apporter une assistance en la matière. Ceux qui ont commis des exactions en Irak sont jugés par la justice irakienne : telle a toujours été notre position. Les terroristes sont jugés sur les territoires sur lesquels ils ont commis leurs crimes. Cela a été le cas pour Mme Boughedir. Si d'aventure d'autres combattants français combattaient en Irak sous la bannière de Daech, ils seraient jugés là où ils auraient commis leurs crimes.

M. Christian Cambon, président. - Nous avons voté hier soir, à la quasi- unanimité, une proposition de résolution qui invite l'Europe à mettre en place un mécanisme de justice transitionnelle en Irak. Nous souhaitons respecter la souveraineté de la justice irakienne, tout en lui apportant, le cas échéant, une aide par le biais de la participation de juges ou l'organisation de modules de formation, afin que cette justice soit stricte et équitable.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - La France le fait déjà en Irak. Jusqu'à présent, on ne pouvait pas le faire autant qu'on le souhaitait parce que la situation sécuritaire n'était pas tout à fait assurée et que le gouvernement n'était pas vraiment encore en place. En effet, les élections ont eu lieu en mai, et il n'a été mis en place qu'en octobre ou novembre dernier. Le gouvernement n'est d'ailleurs pas encore au complet, puisqu'il manque un ministre de la défense et un ministre de l'intérieur.

Monsieur Vial, en ce qui concerne la Syrie, nous avons connaissance de la demande turque de zone tampon de 30 kilomètres située sur le territoire kurde, ce qui peut poser problème. Il faut discuter du périmètre, des garants, des modalités de surveillance. Nous nous interrogeons donc sur cette démarche. Peut-être aurons-nous des éclaircissements lors de la réunion de la coalition à Washington, mais nous n'avons pas pour le moment donné suite à cette proposition. L'idée est ancienne, puisque la même demande avait été formulée au début de la guerre en Syrie.

Que la Turquie demande à assurer la sécurité de ses frontières, c'est normal ! Cela étant, nous souhaitons que les forces démocratiques syriennes et le conseil qui gère la zone soient respectés, comme les Kurdes. Il faut une solution politique. Dans cette affaire, nous avons trois leviers, mais nous n'en aurons plus que deux lorsque les États-Unis décideront de traduire leurs intentions en actes.

Le premier atout était d'ordre territorial : les forces démocratiques syriennes sont nos alliés, et nous sommes intervenus militairement par les airs pour aider à la libération de ce territoire de Daech. Le régime appuyé par la Russie et l'Iran est sans doute en train de gagner la guerre, mais il n'a pas gagné la paix. Nous devrons avoir une discussion sur la paix, dans laquelle notre atout est ce territoire.

Le deuxième atout est la reconstruction : qui reconstruit ? Si cela ne peut pas se faire avec les financements russes ou syriens, l'Europe ou d'autres puissances devront être au rendez-vous. Sinon la reconstruction ne se fera pas ! Si vous ne redonnez pas vie à ce territoire, alors les tentations de terrorisme renaîtront.

Le troisième atout est notre présence au Conseil de sécurité, où nous pouvons faire valoir notre poids et nos positions.

La situation reste encore très confuse et compliquée, avec des jeux tactiques complexes que nous essayons d'identifier. Nous avons une position claire sur le processus politique et sur la nécessité de faire parvenir l'aide humanitaire aux zones susceptibles de la recevoir, à condition que cette aide soit apportée à ceux qui en ont besoin. Sur l'utilisation de l'arme chimique, nous avons une posture très forte qu'il faut maintenir si d'aventure certains étaient tentés de l'utiliser dans les semaines ou les mois qui viennent pour reconquérir tel ou tel territoire.

J'en viens à l'Afrique, où plusieurs élections ont eu lieu au cours de ces dernières semaines.

M. Jean-Marie Bockel. - Et la Chine en Afrique ?

M. Christian Cambon, président. - C'est un autre sujet !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - À Madagascar, les élections se sont déroulées dans le calme, avec la victoire de Andry Rajoelina, qui a remporté le second tour assez largement contre Marc Ravalomanana, lequel a été président entre 2002 et 2009. Je vais encore faire preuve d'optimisme, mais c'est sans doute le premier scrutin qui se soit passé dans le calme depuis extrêmement longtemps. Les élections étaient libres, comme l'ont reconnu les observateurs internationaux, en particulier ceux de l'Union européenne. M. Ravalomanana a reconnu la victoire de son adversaire. Cela mérite d'être salué et ce succès démocratique marque la fin d'une longue crise politique dans laquelle Madagascar se trouvait plongée depuis plusieurs années. Le secrétaire d'État Jean-Baptiste Lemoyne a assisté à l'installation du nouveau président il y a deux jours, et j'ai l'intention de m'y rendre avant l'été pour témoigner du soutien de la France au peuple malgache dans une nouvelle phase de son histoire.

En République démocratique du Congo, la situation est plus difficile. Le président sortant Joseph Kabila n'était pas candidat. Les élections présidentielle, législatives et provinciales ont eu lieu deux ans après la date prévue. En dépit des défis logistiques et sécuritaires que l'organisation de ces élections représentait, elles se sont tenues dans des conditions jugées acceptables par les missions d'observation. Les résultats provisoires annoncés par la commission électorale le 10 janvier dernier et confirmés par la Cour constitutionnelle dans la nuit de samedi à dimanche ont donné l'opposant Félix Tshisekedi vainqueur avec 38 % des voix, suivi par M. Fayulu avec 34 % et le dauphin du président Kabila, M. Shadary, avec 23 %. Ces résultats ont suscité des doutes importants chez plusieurs partenaires de la RDC : la France - j'ai exprimé mes doutes de façon claire juste après les résultats -, l'Union européenne et l'Union africaine. Lors d'un sommet organisé le 17 janvier sous l'impulsion du président Kagamé, l'Union africaine a fait valoir ses interrogations, et a demandé un nouveau comptage des bulletins.

Notre approche consistait à demander que la clarté soit faite sur ces résultats et que le choix démocratique des Congolais soit respecté. De toute évidence, notre appel n'a pas été entendu. Nous souhaitons que le calme demeure. Nous soutiendrons tous les efforts qui pourraient être engagés pour trouver une solution politique à une crise postélectorale. Nous souhaitons que le nouveau président fasse preuve d'une volonté de consensus avec l'ensemble des acteurs de la vie politique au Congo. Ce pays important - il comprend plus de 80 millions d'habitants - a connu beaucoup de crises et de guerres internes. Un désir d'alternance s'est exprimé, puisque M. Shadary n'a pas gagné.

M. Christian Cambon, président. - La RDC est le plus grand pays francophone du monde.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Nous portons aussi une attention toute particulière à la sécurité de nos ressortissants, mais aujourd'hui la situation est manifestement calme. Espérons qu'elle le reste !

Au Gabon, le président Ali Bongo a été victime d'un accident de santé le 24 octobre dernier, ce qui a abouti à une fragilisation de la situation dans le pays. Il est soigné à Rabat. Néanmoins, il a pu valider les résultats des élections législatives et recevoir la prestation de serment du nouveau gouvernement et de son nouveau Premier ministre avant de repartir pour Rabat où il poursuit sa convalescence. On craignait le pire après cet accident de santé, mais le calme est au rendez-vous. Nous souhaitons que la situation reste ainsi.

J'évoquerai à présent certaines crises qui ne sont pas réglées.

En République centrafricaine (RCA), la situation reste très fragile, comme le montrent les violences récurrentes. Dans ce contexte, la mise en oeuvre de l'Initiative africaine de paix, portée par l'Union africaine et par la Communauté économique des États de l'Afrique centrale (CEEAC), demeure notre priorité. Une série de consultations a été menée par les envoyés spéciaux de l'Union africaine, qui ont rencontré l'ensemble des 13 groupes qui s'affrontent sur le territoire. Une première session de dialogue direct entre le gouvernement de M. Touadéra et les différents groupes armés se tiendra à Khartoum à compter du 24 janvier. L'objectif est de trouver un consensus permettant d'aboutir à un accord de paix d'ici au mois de mars. Nous avons appelé toutes les parties à faire preuve d'esprit de consensus pour y parvenir, mais la situation est très confuse. Le rôle de l'Union africaine est essentiel dans cette affaire. La Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en Centrafrique (Minusca), et une mission de l'Union européenne sont chargées de former les forces armées de la RCA, pays dans lequel la situation sécuritaire reste toujours extrêmement fragile.

Au Sahel, nous sommes particulièrement attentifs à l'évolution de la situation et l'opération Barkhane se poursuivra tant qu'il le faudra pour venir à bout de la menace terroriste. Le Président de la République l'a réaffirmé lorsqu'il s'est rendu au Tchad à la rencontre de la force Barkhane fin décembre, et l'a encore redit dans ses voeux aux armées. La situation sécuritaire est toujours assez fragile, notamment au Mali, comme l'a montré l'attaque djihadiste qui a visé une position de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) à Aguelhok et a conduit à la mort de Casques bleus tchadiens. Des groupes terroristes divers essayent toujours de perturber l'équilibre général de l'ensemble de la zone.

Le nouveau Premier ministre malien est tout à fait à l'initiative pour aboutir à la mise en oeuvre des accords d'Alger, même si les progrès sont lents. Le processus appelé « Désarmement, démobilisation, réintégration » (DDR) a été lancé en novembre après l'élection présidentielle malienne. La force conjointe du G5 Sahel doit se mettre en oeuvre. J'entends bien les critiques sur le temps que cela prend, mais le processus avance. Celui-ci est inévitablement lent, puisque ce sont 5 forces armées qui essayent de s'unifier - nous n'avons jamais fait cela ! - sans beaucoup de capacités et de moyens. Progressivement, sous la responsabilité d'un général mauritanien, la force conjointe du G5 Sahel devient une réalité, commence à mener des actions. C'est un motif de satisfaction, même si on est encore loin de l'objectif : que ces 5 pays puissent eux-mêmes assurer leur propre sécurité.

Le processus est en tout cas lancé, avec le soutien politique des 5 chefs d'État concernés. Le pays le plus fragile est le Burkina Faso, qui ne dispose pas d'armée solide et où pénètrent des groupes liés à la mouvance peule qui se sont manifestés de manière assez violente ces derniers temps. Une collaboration entre la France et les autorités d'Ouagadougou devrait permettre au Burkina Faso de se renforcer sur un plan militaire et d'être en mesure de participer à la force conjointe.

Parallèlement, nous agissons en faveur du développement, via le dispositif d'appui au développement Alliance Sahel, dont le but est d'améliorer l'efficacité de l'aide internationale dans les régions difficiles et vulnérables. Plus d'un milliard d'euros a été engagé en 2018 par l'ensemble des contributeurs. L'AFD contribue pleinement à cet effort, avec des opérations concrètes, efficaces, visibles, rapidement mises en oeuvre pour que les populations concernées puissent se rendre compte de l'efficacité de l'action. Plus globalement, nous contribuons au programme d'investissements prioritaires du G5 Sahel. Le G5 Sahel est aussi une organisation politique avec d'autres enjeux que l'enjeu sécuritaire, dont les États membres se sont engagés dans un dispositif global de développement qu'il nous faut soutenir, car le Sahel fait partie des régions les plus en difficulté dans le monde. Profitant de ces faiblesses, les groupes réussissent à prospérer en renouant avec les grandes traditions du trafic et en menant des actes terroristes, avec le soutien d'organisations que l'on connaît trop bien, comme Aqmi.

M. Ladislas Poniatowski. - Sur la RDC, vous avez été assez loin dans vos déclarations. Vous avez eu raison ! Vous avez eu des doutes sur le résultat de l'élection présidentielle. Effectivement, celui qui a été déclaré vainqueur est peut-être arrivé le troisième et dernier ; l'autre opposant, M. Fayulu, a fait un score très honorable parce qu'il a conquis Kinshasa ; celui qui a peut-être gagné était l'ancien ministre de l'intérieur, donc le candidat de Joseph Kabila, car il l'a emporté dans toute la partie rurale du pays. La meilleure preuve en est que le même jour avaient lieu les élections législatives. Les résultats de l'élection présidentielle ont été annoncés plus de 15 jours après le scrutin, au lieu d'une semaine, puis ceux des élections législatives l'ont été. Le résultat était stupéfiant : c'est le parti de Joseph Kabila qui a remporté plus de 65 % des sièges.

Une envie de paix s'est exprimée. Un partage va donc avoir lieu. On attend la constitution du gouvernement, qui sortira peut-être des rangs de Kabila et de Shadary. Mais avec qui allez-vous discuter ? Le président élu ne réside pas encore dans le palais présidentiel, toujours habité par Kabila qui ne veut pas le quitter... Il va donc peut-être aller dans le palais du Premier ministre, mais alors où va aller celui-ci ?

Ma question est simple : qu'allez-vous faire maintenant ? Vous ne pouvez pas vraiment répondre tant que le gouvernement n'est pas constitué...

M. Jean-Marie Bockel. - Sur la Centrafrique, votre exposé était parfaitement clair. Quid de la possibilité de « substitution » de la Russie en cas de retrait français, évoquée par certains ?

Mme Hélène Conway-Mouret. - Le G5 Sahel compte pour la France : nous croyons à cette initiative, que nous soutenons. Ce projet compte-t-il aussi pour nos partenaires européens ou pour d'autres qui seraient amenés à nous soutenir, notamment en termes de financements ? Si elle doit réussir, elle nécessitera des investissements importants.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Monsieur Poniatowski, j'ai émis des doutes en public sur le résultat du scrutin sur la base de toutes les indications que nous avions, dont les estimations très différentes de la Conférence épiscopale du Congo et de ses 40 000 inspecteurs. On m'a accusé d'ingérence ; or, le lendemain, l'Union africaine a émis les mêmes doutes, ainsi que la Southern African Development Community (SADC) et que certains chefs d'État de la région. Nous constatons une volonté commune de trouver un processus inclusif ; nous y travaillons avec l'Union africaine et les pays de la SADC.

En Centrafrique, Monsieur Bockel, nous sommes moins confrontés à la Chine qu'à la Russie. Celle-ci a une présente récente, significative, active et, comme j'ai pu le constater, anti-française dans ce pays. Mais son action ne se substitue pas à la nôtre, à celle de la Minusca et de la force européenne qui forme les forces armées centrafricaines. Il faut, là aussi, trouver une solution politique entre les treize groupes armés. L'Union africaine a présenté une initiative de paix dont nous souhaitons qu'elle aboutisse. Cela permettra au président Touadéra, avec qui nous avons une relation suivie, de lancer une dynamique positive dans ce pays meurtri mais riche en ressources, toujours sous-utilisées en raison des affrontements entre groupes et ethnies.

La France est intervenue fin 2013 en Centrafrique pour éviter un bain de sang ; nous y sommes restés trois ans, permettant la mise en place d'une mission onusienne et d'une mission européenne, ainsi que le lancement d'un processus électoral. Malheureusement, l'autorité du président reste assez limitée et contestée. Une rencontre aura lieu demain à Khartoum. Mme Parly s'est rendue à Bangui quelques semaines après moi. Nous suivons la situation de près, attentifs aux risques de fragilisation : la Centrafrique est proche d'une zone touchée par le terrorisme. La Russie est présente à travers la force dite « Wagner », un groupe de supplétifs agissant sous l'autorité d'un nommé Prigojine.

La force conjointe du G5 Sahel est une expérience nouvelle. Il n'est pas simple de faire travailler ensemble des bataillons du Tchad, du Niger, du Mali. Harmoniser les équipements, les soldes, la formation prend du temps, or la force conjointe n'a qu'un an. Elle a vocation à assurer la sécurité des frontières. Nous fournissons un appui technique au travers de Barkhane, mais le plus important est la mobilisation financière pour équiper cette force et lui donner les moyens d'agir. Le soutien international est là : près de 400 millions d'euros peuvent être affectés à la force conjointe, dont des financements européens à hauteur de 100 millions d'euros.

J'en viens au Brexit. L'accord de retrait négocié entre la Commission européenne et le gouvernement britannique a été rejeté par la Chambre des communes, à une majorité sans précédent dans les annales de l'histoire parlementaire britannique depuis les années 1920. Mme May a ensuite survécu à une nouvelle motion de censure. Il n'y a pas de majorité pour le no deal... ni pour l'accord de retrait. Le plan B présenté lundi par Mme May n'apporte rien de nouveau. Les parlementaires vont désormais amender le texte, qui sera soumis au vote le 29 janvier. Le Parlement reprend la main.

Plusieurs scénarios sont possibles.

D'abord, une demande de prolongation de la discussion, qui ne peut être accordée qu'en vue d'un objectif. Il n'y aura pas de nouvelles discussions sur l'accord de retrait ni sur le filet de sécurité ; la seule évolution envisageable concernerait la déclaration politique sur les relations futures.

Deuxième scénario, un amendement introduisant une union douanière de longue durée. Il faudra dans ce cas veiller à ce que celle-ci soit complétée par un volet sur les normes respectant les priorités de l'Union européenne : marché intérieur et situation de nos citoyens et de nos entreprises. Cette hypothèse n'est pas à exclure. Aux Britanniques, dont nous avons regretté les choix, de prendre leurs responsabilités.

Troisième hypothèse : le no deal. Nous nous y préparons, grâce à des ordonnances prises ce matin en Conseil des ministres. Il faudra alors accélérer la mise en oeuvre des dispositions en limitant les conséquences. Les Irlandais ne cèderont pas sur la frontière avec l'Irlande du Nord, car leur propre avenir est en jeu.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Cette situation est extrêmement compliquée. Les informations varient selon les interlocuteurs. Quelles seront les conséquences en matière de sécurité ? Les Écossais seront encore plus tentés de quitter le Royaume-Uni, surtout en cas de no deal. Or il y a des bases navales britanniques en Écosse. Ce point a-t-il été évoqué dans les discussions ?

M. Olivier Cadic. - Arc-en-ciel dans le brouillard, Theresa May a annoncé devant la Chambre des communes qu'à la suite du lobbying de l'organisation défendant les Européens vivant au Royaume-Uni, ceux-ci n'auraient plus à payer la taxe de 65 pounds pour obtenir le settled status. Le royaume des conjectures peut réserver de bonnes surprises...

Ma question portera sur la Chine et le groupe Huawei.

De plus en plus de pays s'interrogent sur les risques que fait encourir l'utilisation des équipements en réseau de Huawei. Le ministre de la défense britannique a indiqué récemment que la fourniture par ce groupe du réseau 5G suscitait de vives inquiétudes et, il y a six jours, on apprenait que l'Allemagne réfléchissait à l'exclure de ce réseau. Quelle est la position de la France sur ce sujet ?

M. Yannick Vaugrenard. - Pouvez-vous nous parler du traité d'Aix-la-Chapelle, qui a été signé hier ? Les contrevérités les plus folles circulent à propos de l'Alsace, de la Lorraine, du remplacement de la France par l'Allemagne au Conseil de sécurité des Nations unies... La période est propice aux fake news !

M. Pierre Laurent. - Quelle est votre réaction face à l'invitation de Jair Bolsonaro au forum de Davos ? Je sais bien qu'aucun État n'organise ce forum, mais, après tout, le président Macron a l'air assez proche du gratin de la finance internationale, qu'il vient de recevoir... Ne trouvez-vous pas cette invitation surprenante en cette période de périls que l'on voit se manifester de la pire des manières en Europe, et encore récemment avec l'assassinat du maire de Gdansk ?

Mme Gisèle Jourda. - J'aimerais avoir un éclairage sur la situation en Afghanistan, eu égard à la décision prise par le président Trump de retirer les troupes américaines de ce pays, dont on peut imaginer qu'elle se traduira par un renforcement des talibans.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Monsieur Cadic, je prends bonne note de votre question sur Huawei. Je dois voir mon collègue chinois après vous avoir quittés... Nous sommes conscients des risques que vous évoquez en termes de place dans les réseaux centraux et la 5G. Le Gouvernement prendra les dispositions nécessaires quand il le faudra.

Madame Garriaud-Maylam, nous avons toujours dit que notre relation avec le Royaume-Uni dans le domaine de la sécurité et de la défense se poursuivrait. Cette relation, forte et pertinente, n'a jamais connu de perturbations depuis la signature des accords bilatéraux de Lancaster House en 2010, et elle perdurera sur des bases saines.

Je n'ai pas perçu le risque que vous évoquiez à propos de l'Écosse. Des sous-marins britanniques y sont en effet basés, mais les questions de sécurité et de défense sont toujours traitées dans le respect de la souveraineté de la Grande-Bretagne sur l'ensemble de ses forces.

Les Britanniques souhaitent également garder, dans le domaine de la sécurité et de la défense, un lien fort avec les processus mis en oeuvre au niveau européen, en particulier l'Initiative européenne d'intervention. Nous ne disons pas autre chose.

Monsieur Vaugrenard, le traité d'Aix-la-Chapelle, qui est de convergence, complète le traité de l'Élysée de 1963, lequel était de réconciliation. L'accent a été mis sur les questions transfrontalières. Sont ainsi prévus une dizaine de projets de coopération transfrontalière entre la France et l'Allemagne, ainsi que des engagements communs de réciprocité en matière de défense et de sécurité, ce qui ne s'était jamais vu.

Plus généralement, ce traité traduit la volonté d'agir ensemble pour consolider la base industrielle et technologique de défense et pour favoriser une convergence, y compris dans le domaine fiscal. Je ne citerai pas l'ensemble des projets prévus, qui vont de la création d'instituts culturels franco-allemands intégrés à la création d'une plateforme numérique franco-allemande, en passant par l'amélioration des liens ferroviaires transfrontaliers et la mise en réseau de nos centres de recherche en intelligence artificielle.

Il s'agit donc d'une avancée significative, qui se fait dans le cadre du renforcement de l'Union européenne. MM. Juncker, Tusk, et le président en exercice du Conseil de l'Union européenne au nom de la Roumanie, M. Iohannis, étaient d'ailleurs présents lors de la signature du traité.

Les fausses informations qui ont été diffusées à propos de ce traité sont absolument ahurissantes, comme l'a dit le Premier ministre cet après-midi à l'Assemblée nationale. De tels détournements nuisent à la démocratie.

Monsieur Laurent, je ne figure en effet pas parmi les organisateurs de Davos, pas plus que je ne suis un soutien de M. Bolsonaro, dont je constate la victoire électorale au Brésil. Nous ne soutenons pas ses initiatives politiques et avons exprimé à plusieurs reprises des réserves sur ses propos et ses actions. Le forum de Davos étant une organisation indépendante, nous n'avons aucune responsabilité quant aux invitations lancées par ses organisateurs.

Madame Jourda, la décision des États-Unis de diminuer de moitié leur soutien aux forces présentes en Afghanistan est un mauvais signe pour l'ensemble de la zone et fragilise le président Ghani. Elle va conduire les talibans à se sentir beaucoup plus libres dans leurs actions, comme le prouve l'attentat qui a eu lieu hier et a fait une centaine de morts. La stabilisation n'est pas au rendez-vous. Il faudrait une action des puissances qui ont un peu de poids dans cette zone afin d'inciter les talibans à entamer une discussion, voire à conclure un accord, ce qui n'est pas facile. La France, quant à elle, n'est plus présente dans ce pays.

Pour conclure, je tiens à dire que la présidence française du G7 doit être une opportunité pour refonder le multilatéralisme, qui est en train de s'effriter.

Le multilatéralisme est un projet politique, et je souhaite que nous trouvions un accord avec les puissances de bonne volonté, celles qui sont convaincues que l'ordre du monde et la mondialisation peuvent être régulés, et qui ne considèrent pas que la loi du plus fort est une nécessité. Nous prendrons des initiatives afin que tous ceux qui veulent refonder ces règles puissent agir ensemble ; je pense au Japon, au Canada, à l'Australie, à l'Allemagne, à la Grande-Bretagne - avec ou sans le Brexit -, etc. Autant de pays qui sont sur la même ligne que nous, à la différence des États-Unis, qui se retirent de toutes les instances du multilatéralisme qui avaient été créées à la fin de la Seconde Guerre mondiale, de la Russie, qui bloque le fonctionnement du multilatéralisme par son comportement au sein du Conseil de sécurité des Nations unies, et de la Chine, qui veut établir un multilatéralisme « à la chinoise », c'est-à-dire gagnant-gagnant mais uniquement en sa faveur.

Nous développerons ce concept avec nos collègues allemands, qui partagent la même logique. Peut-on refonder le multilatéralisme au sein du chaos mondial ? C'est une question difficile à laquelle nous allons essayer de répondre, même si nous savons que cela prendra du temps.

M. Christian Cambon, président. - Merci, monsieur le ministre, pour cette longue communication, pour les précisions que vous nous avez apportées et pour votre engagement personnel sur tous ces dossiers. J'aurai l'occasion de vous retrouver demain, car vous avez l'extrême courtoisie de nous recevoir, avec mes collègues rapporteurs pour l'aide au développement, afin de recueillir en amont les desiderata du Parlement, ce qui est une bonne chose.

Grâce à ce temps que vous nous accordez à intervalles réguliers, nous pouvons être informés au mieux de la situation du monde, et surtout de ce que la France tente d'y faire pour favoriser la paix.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - C'est toujours un plaisir !

La réunion est close à 18 h 15.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.