Mercredi 27 mars 2019

- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -

La réunion est ouverte à 09 h 30.

Audiovisuel extérieur - Audition de M. Renaud Donnedieu de Vabres, ancien ministre de la culture et de la communication

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Après avoir entendu en janvier le directeur général de Deutsche Welle puis, plus récemment, le Secrétaire général du Quai d'Orsay, nous poursuivons ce matin notre réflexion sur l'évolution du pôle audiovisuel extérieur de notre pays en accueillant Renaud Donnedieu de Vabres qui a organisé, en tant que ministre de la culture, le lancement de France 24 le 6 décembre 2006 après de nombreuses années de débats.

Il m'a semblé important de vous entendre à la fois pour faire le bilan de ce pôle audiovisuel extérieur compte tenu de la feuille de route initiale mais aussi pour examiner l'adéquation de ses missions et de ses moyens dans le cadre d'un contexte qui a beaucoup évolué.

Faut-il rappeler combien la naissance de France 24 a été difficile ? Les autorités publiques avaient d'abord envisagé de créer un média 100 % privé associant TF1 et Canal + puis une alliance entre TF1 et FTV a été recherchée avant qu'un projet 100 % public ne s'impose, mais hors du périmètre de France Télévisions. A ces hésitations sur l'actionnariat et la gouvernance s'est ajoutée une contrainte sur les moyens qui perdure encore de nos jours.

Alors que nous avons célébré il y a peu les dix ans de France Médias Monde, c'est un tout nouveau contexte qui s'impose aujourd'hui. L'enjeu est moins, en effet, de concurrencer CNN et la BBC que de faire front face à l'offensive des nouveaux médias d'État russe et chinois, en particulier en Afrique. C'est dans cet esprit qu'il nous a semblé utile d'examiner les coopérations possibles entre la France et l'Allemagne.

Monsieur le Ministre, votre expérience nous est précieuse pour répondre à ces questions. Je vous proposerai donc de nous livrer votre réflexion avant de répondre à nos collègues qui ne manqueront pas de vous interroger.

M. Renaud Donnedieu de Vabres. - Mes convictions sont plus qu'intactes. Le contexte de l'époque où a été créée France 24, marqué par la violence internationale, n'a fait que s'aggraver. Pour mémoire, c'est la prise d'otages de journalistes français en Irak, motivée par la remise en cause de la laïcité à la française, qui avait justifié la création d'un média international permettant de défendre nos valeurs. Dès le départ, le projet était d'émettre en plusieurs langues étrangères afin de pouvoir échanger avec les populations concernées et de réaliser des synergies entre la diplomatie et la politique culturelle. À cet égard, le projet du Louvre d'Abu Dhabi s'inscrivait dans une logique similaire visant à affirmer des valeurs et des principes de liberté à travers le prêt d'oeuvres culturelles.

Lors de ma prise de fonctions j'avais évoqué la nécessité de mobiliser la culture pour éradiquer la violence, ayant constaté l'écho entre les tensions internationales et nationales.

Les débats ont été longs et difficiles pour créer cette chaîne d'information internationale compte tenu des difficultés à faire travailler ensemble les acteurs publics et privés. Mais la structure du capital a, selon moi, moins d'importance que le choix qui a été fait de diffuser en plusieurs langues étrangères. Une confusion a été faite concernant la francophonie dont le rayonnement est assuré par TV5 Monde. Pour ce qui est de l'information il était essentiel que la vision française puisse être portée dans différentes langues. Dès le départ, le choix du français, de l'anglais et de l'arabe s'est imposé avant que l'espagnol, plus récemment, soit ajouté avec, néanmoins, un nombre d'heures insuffisant. La question qui se pose aujourd'hui est de savoir si la prochaine langue doit être le chinois ou le portugais.

Il y a un bon attelage entre France 24, RFI et Monte Carlo Doualiya qui permet une grande complémentarité.

Concernant l'information qui est diffusée, il me semble nécessaire de veiller à l'attractivité de notre pays. Alors que les médias relayent dans le monde entier la paralysie française qui se manifeste chaque samedi, il pourrait être utile de mettre en évidence une autre réalité qui tient aux différentes manifestations culturelles qui réunissent des milliers de français chaque week-end.

Il ne s'agit pas de développer une vision messianique ou éloignée de la réalité mais au contraire de réaffirmer la liberté des journalistes.

Un autre sujet concerne le périmètre européen : ce n'est pas parce que les étudiants et les artistes voyagent en Europe qu'on peut considérer que les échanges sont suffisants ! Je pense qu'il serait utile d'instaurer une nuit des cultures européennes avec des contenus destinés au grand public.

Concernant les moyens, j'ai toujours été étonné qu'on évoque les dépenses dans le secteur de la culture et les investissements dans celui de la recherche. Toute la problématique est de d'arriver à parler des dépenses d'investissement dans la culture à l'image du Louvre d'Abu Dhabi qui a constitué un vecteur d'accompagnement des entreprises françaises au coeur de notre stratégie de rayonnement.

Le financement de l'audiovisuel extérieur doit reposer d'une part sur la redevance, mais également sur d'autres ressources comme, par exemple, des crédits d'aide au développement puisque ce média constitue un moyen de développement et de formation de la jeunesse. Ce financement s'inscrit dans la bataille des priorités et le paradoxe français qui veut que si les questions culturelles sont stratégiques, leur financement n'est jamais considéré comme prioritaire. Il faut montrer les enjeux à l'image de la prochaine langue de diffusion. L'opinion publique a conscience des grands affrontements qui sont en cours.

M. Jean-Pierre Leleux. - Alors que de plus en plus de pays s'engagent dans l'audiovisuel extérieur pour accentuer leur influence culturelle dans le monde, la France réduit ses investissements. Nous considérons que France Médias Monde fait aujourd'hui un travail incroyable mais avec des moyens extrêmement limités. Or, il est aujourd'hui nécessaire de s'engager relativement massivement dans l'audiovisuel extérieur.

Je souhaiterais donc savoir quels moyens de financement sont envisageables. Un rapprochement est-il possible entre France Télévisions et France 24 et entre RFI et Radio France pour un audiovisuel extérieur plus performant ?

M. André Gattolin. - Je ne pense pas que ce soit une simple question de moyens. La notion d'audiovisuel extérieur m'interroge, je trouve incroyable que France 24 en langue arabe ne soit pas diffusée en clair dans toute la France par exemple. Je m'interroge également sur une construction audiovisuelle européenne, au-delà d'Arte. Pourrait-on développer un média fournissant de l'information sur l'Europe et fondé sur des valeurs européennes ?

Plus globalement, je pense que la stratégie et la fonctionnalité de l'audiovisuel extérieur français sont à repenser.

M. Pierre Ouzoulias. - Je suis d'accord avec notre collègue Jean-Pierre Leleux, il s'agit de reprendre pied dans un domaine où les moyens ne sont pas à la mesure des ambitions qui doivent être les nôtres pour porter un message de culture et d'amitié envers les peuples de toutes les rives de la Méditerranée.

Mme Catherine Dumas. - Je pense qu'il y a un problème de moyens mais surtout de volonté politique. Je voudrais savoir si vous pensez que le Gouvernement prend bien la mesure de l'importance de l'audiovisuel extérieur.

M. Laurent Lafon. - Avant même la question des moyens, c'est la volonté politique qui apparaît insuffisante. Le débat qui existe actuellement sur la langue à privilégier entre le chinois et le portugais est symptomatique. On devrait développer des émissions dans ces deux langues. Le portage politique de l'audiovisuel extérieur est donc limité. Je souhaiterais par ailleurs savoir ce que vous pensez de la diversification des ressources de France 24 et de la possibilité de faire appel à d'autres ressources, notamment privées ?

Mme Claudine Lepage. - Merci pour ce rappel historique du développement de l'audiovisuel extérieur français. Je porte un regard un peu différent en tant que Française à l'étranger dans la mesure où TV 5 et France Médias Monde jouent un rôle important pour la communauté des expatriés. La diffusion des émissions françaises en langue étrangère en France doit être soutenue, notamment en ce qui concerne les émissions en arabe. En Afrique, RFI joue un rôle important et est diffusée dans des langues locales. Cet aspect ne doit pas être négligé. Par ailleurs, au sein de l'Union européenne, RFI a lancé un rapprochement avec la Deutsche Welle qui pourrait servir de modèle à d'autres acteurs de l'audiovisuel. Ma question est la suivante : que pensez-vous de la création d'un Netflix francophone ?

M. Olivier Paccaud. - Au cours de votre présentation, vous avez insisté sur la conception française de la culture, considérée essentiellement comme une dépense alors qu'on parle d'investissement lorsqu'il s'agit du secteur de la recherche. En réalité, la culture est transversale et souffre peut-être de son cantonnement dans un ministère spécifique. Sous la troisième République, il existait un ministère de l'instruction publique et des beaux-arts. Est-ce qu'il ne faudrait pas privilégier cette organisation institutionnelle ?

M. David Assouline. - L'expression « influence française » se banalise et il faut le regretter. En effet, on ne peut pas accepter de média d'influence dans une société démocratique. Nous sommes tous révoltés lorsqu'on évoque l'influence russe ou chinoise, et on ne peut donc pas souhaiter faire la même chose : non seulement nous n'aurions pas assez d'argent pour y parvenir, mais ce qu'on veut, c'est assurer le rayonnement culturel de la France et la diffusion de nos valeurs. Seul le ministère de la culture peut porter ce projet, il ne faut pas essayer de faire de l'audiovisuel public le bras armé de la diplomatie française. J'ai bien compris que ce n'est pas ce qu'on cherche à faire avec France Médias Monde, mais les mots peuvent influencer les concepts.

M. Jacques Grosperrin. - Cette idée de guerre froide de l'information a retenu mon attention. Au lendemain de la visite en France du président chinois Xi Jinping, on peut regretter l'absence de liberté des médias dans ce pays, même si ce sujet n'est pas abordé volontiers par nos dirigeants surtout lorsque la Chine propose d'acheter 300 Airbus.

M. Renaud Donnedieu de Vabres. - Monsieur le rapporteur, je soutiens volontiers la combativité de la commission de la culture du Sénat pour imposer un audiovisuel extérieur digne de nos ambitions. Cet objectif ne pourra pas être atteint sans une réflexion sur les contenus. Si j'étais ministre de la culture, je demanderais à la présidente de France Télévisions quelle a été sa stratégie vis-à-vis de l'Union européenne depuis deux ans. Dans mon exposé liminaire, j'ai évoqué avec vous une piste de réflexion pour développer chez les citoyens une meilleure connaissance du patrimoine culturel européen à travers des émissions sur ce sujet qui seraient diffusées dans tous les pays européens.

En ce qui concerne la question des partenariats, il me semble qu'une coopération avec des acteurs privés pourrait être lancée sur des missions qui ne portent pas sur l'information. Je souhaite toutefois insister sur la spécificité de France 24 et TV5 Monde qui s'adressent à un public qui ne connaît pas bien la France. Par conséquent, je ne crois pas à l'efficacité de partenariats, voire d'une fusion entre ces acteurs et France Télévisions ou Radio France. Il ne s'agit pas de brider les journalistes qui doivent être libres dans leur travail. Toutefois, ces derniers ont une cible particulière, à savoir des publics qui sont informés à travers d'autres sources audiovisuelles étrangères.

Pour accroître notre influence politique et peser dans le grand débat européen qui s'annonce, il me semble que notre pays gagnerait à réclamer le poste de commissaire chargé de la culture, de l'éducation et de la communication, plutôt que de se battre sans cesse pour celui de commissaire chargé de l'économie et des finances, dont on connaît les marges de manoeuvre limitées. Ce serait un signal très fort, y compris vis-à-vis de nos concitoyens.

La question de la diffusion en clair de France 24 en plusieurs langues sur le territoire national est un sujet complexe. Autoriser une nouvelle chaîne d'information en clair pourrait déstabiliser le paysage audiovisuel, après la création de plusieurs chaînes d'information au moment de la mise en place de la TNT. France 24 est déjà accessible en numérique sur notre territoire. Je ne suis pas certain que sa diffusion en clair en langue arabe permettrait de détourner certains jeunes Français de regarder Al-Jazeerah. Je crois plutôt que nous gagnerions à mettre en place une stratégie offensive en matière de contenus, ce qui suppose de mobiliser des moyens.

Vous connaissez mes liens avec le Président Jacques Chirac et je ressens beaucoup de tristesse après les rumeurs qui ont circulé à son sujet ces derniers jours. Cet épisode révèle une nouvelle fois les nombreux problèmes posés par la circulation des fausses informations.

Il me paraît important que notre audiovisuel extérieur porte un message de vérité : l'objectif n'est pas de travestir la réalité. Il ne faut pas passer sous silence la grande violence qui accompagne les manifestations des gilets jaunes, mais il faut aussi évoquer le bon fonctionnement général de notre pays, en dehors de ces épisodes brutaux ou de paralysie.

Deux éléments me paraissent à la fois essentiels et étroitement imbriqués : les contenus et la langue de diffusion. Sans contenus solides et intelligents, peu importe la langue dans laquelle ceux-ci sont diffusés : le public ne sera guère au rendez-vous. J'estime que des partenariats privés pourraient être envisagés pour créer des émissions à caractère culturels afin d'accroître l'attractivité des contenus.

Le principe de rapprochements entre chaînes européennes pour créer et diffuser des contenus constitue à mes yeux une piste intéressante. Compte tenu des conséquences graves au niveau européen qu'est susceptible d'avoir la crise politique entre la France et l'Italie, deux membres fondateurs, la création et la diffusion d'émissions soulignant les liens artistiques et culturels étroits entre nos deux pays, par exemple, seraient tout à fait opportunes. Est-ce à France 24 de le faire, avec la question de ses moyens, ou à d'autres médias de s'en charger ? Quoi qu'il en soit, je suis favorable à ce type d'opérations « commandos ».

Beaucoup de progrès restent aussi à faire en matière de circulation des oeuvres européennes au sein de l'Union européenne. La culture et le cinéma américains restent largement dominants. C'est vrai en France et ça l'est encore plus dans le reste de l'Union.

Fusionner le ministère de la culture et de l'éducation nationale me paraît l'exemple type de la fausse bonne idée. Un gouvernement est un orchestre symphonique : chaque ministère a sa partition à jouer. Après des événements dramatiques comme les attentats du 13 novembre 2015 qui ont porté atteinte à des lieux de culture et à notre mode de vie, la réponse doit être non seulement celle du droit, de l'ordre et de la sécurité, mais aussi celle de la liberté et de la diversité, sans quoi le risque de dérives et d'amalgames serait grand. Dans de telles circonstances, c'est avant tout au ministre chargé de la culture de porter ce second message. Le ministre de la culture me paraît également mieux placé que le ministre de l'éducation nationale pour s'exprimer dans le cadre de la crise européenne actuelle. Il est vrai que des passerelles se créent entre les deux ministères dans le cadre de la mise en oeuvre de la politique de l'éducation artistique et culturelle, mais il serait regrettable de confondre la rue de Valois et la rue de Grenelle.

En revanche, je crois qu'il y a une réflexion urgente et très opérationnelle à mener sur la structuration du ministère de la culture. La réorganisation qui a découlé de la revue générale des politiques publiques (RGPP) a trop mis l'accent sur la transversalité, privant parfois les acteurs culturels d'un interlocuteur clairement identifié au sein du ministère, ce qui constitue un handicap.

En ce qui concerne la question des médias d'influence, les journalistes de France 24 ne doivent pas farder la réalité. Mais n'oublions pas qu'ils s'adressent à des publics étrangers, dont les centres d'intérêt peuvent différer, ce qui explique que l'information ne soit pas traitée de la même manière que par les chaînes d'information intérieures françaises. C'est un élément important à garder à l'esprit dans cette période de tension autour de l'information. La crainte, qui s'était exprimée au moment de la création du Louvre Abu Dhabi, qu'une censure ne s'exerce sur la présentation des oeuvres pour ne pas choquer la population locale ne s'est pas vérifiée. La Bible, le Coran et la Torah voisinent la sculpture d'un homme nu, preuve que nous continuons à endosser le rôle qui doit être le nôtre en termes d'appel à la tolérance et au respect et de promotion de la diversité culturelle et du dialogue des cultures.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Le musée du Louvre Abu Dhabi constitue une réussite exceptionnelle.

M. Renaud Donnedieu de Vabres. - C'est effectivement une véritable révolution qui fait suite à celle du Louvre Lens avec une présentation muséographique innovante qui permet de faire dialoguer les oeuvres autour de lieux et de thèmes, ce qui ouvre un changement de perspective par rapport à une présentation cloisonnée par période des oeuvres.

Mme Maryvonne Blondin. - Que pensez-vous de l'idée d'un Netflix à la française et de l'intérêt de développer des émissions à destination de la jeunesse notamment dans un optique d'apprentissage de la langue ?

M. Alain Schmitz. - L'expérience du Louvre Abu Dhabi vous paraît-elle duplicable dans d'autres endroits ?

M. Renaud Donnedieu de Vabres. - Je suis bien entendu favorable à un Netflix à la française ainsi qu'à des émissions à destination de la jeunesse avec des contenus attractifs. De manière plus générale, je suis fermement attaché à une diffusion plus large de l'art en recourant par exemple aux nouveaux outils du numérique. Nous devons adopter une stratégie de valorisation conquérante de notre patrimoine. Un nouveau Louvre Abu Dhabi pose la question de l'agence France-Muséums qui a été à l'origine conçue afin d'éviter les conflits d'intérêt et de permettre des mutualisations. Elle a investi toute son énergie sur le Louvre Abu Dhabi. Certains projets des musées ne nécessitent pas son intervention comme les coopérations ponctuelles. Quel que soit la forme retenue, je suis absolument persuadé de l'intérêt qu'il y aurait à multiplier l'exposition des oeuvres d'art sur le territoire national - pourquoi pas dans les collèges et les lycées - et à l'étranger. Je milite pour que les lieux puissent s'ouvrir avec des idées comme la création de résidence d'artistes dans certains endroits d'excellence comme le château de Versailles, par exemple.

La réunion est close à 10 h 45.

- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Parcoursup et frais différenciés d'inscription à l'université pour les étudiants extracommunautaires - Audition de Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous recevons cet après-midi Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation.

J'ai souhaité que cette audition soit consacrée à deux sujets sur lesquels notre commission travaille depuis quelques mois et auxquels nous avons déjà consacré plusieurs auditions. Le premier sujet concerne la différenciation des droits d'inscription à l'université pour les étudiants extracommunautaires. Nos collègues MM. Stéphane Piednoir et Claude Kern, rapporteurs respectivement des crédits de l'enseignement supérieur et de l'action culturelle extérieure, ont fait à ce sujet une communication devant notre commission il y a deux semaines. Nous avions souhaité vous entendre, madame la ministre, avant cette communication, mais nos agendas respectifs ne nous ont pas permis de trouver une date plus tôt. Nous serons cependant heureux d'échanger avec vous sur ce sujet.

Le second sujet sur lequel nous travaillons est relatif à la transparence des critères de sélection des commissions d'examen des voeux dans Parcoursup. Le bureau de la commission a souhaité confier cette mission d'expertise à notre collègue M. Jacques Grosperrin, qui fut rapporteur de la loi du 8 mars 2018 relative à l'orientation et à la réussite des étudiants (ORE).

Ces deux sujets font actuellement l'objet de projets de modifications réglementaires : un projet de décret sur la différenciation des droits et un autre relatif à Parcoursup imposant notamment aux établissements de publier sur la plateforme les « critères généraux » d'examen des voeux.

Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation. - Je vous remercie d'avoir pris l'initiative d'organiser cette audition portant sur la stratégie « Bienvenue en France » et sur le suivi de la réforme du premier cycle.

Avec « Bienvenue en France », l'objectif du Gouvernement est d'augmenter le nombre d'étudiants internationaux accueillis dans notre pays : ils sont à ce jour 324 000, dont 245 000 en mobilité diplômante. Notre ambition est de porter ce nombre à 500 000 d'ici à 2027, conformément aux prévisions globales d'augmentation de la mobilité internationale des étudiants au niveau mondial.

Le rapport de Campus France sur les chiffres de 2016 nous montre que cette préoccupation est justifiée puisque la France a décroché en matière d'attractivité, y compris sur les mobilités Erasmus. Nous savions déjà que nous n'étions plus dans les vingt premiers pays en termes d'augmentation du nombre d'étudiants.

L'objectif n'est pas de privilégier les étudiants de telle zone du monde par rapport à telle autre zone. Nous accueillons chaque année des dizaines de milliers d'étudiants en provenance de pays en développement, notamment d'Afrique francophone, ainsi que des dizaines de milliers d'étudiants venant d'autres pays du monde. Nous souhaitons mieux accueillir ces étudiants.

C'est la première fois qu'un gouvernement fait de la question de la qualité de l'accueil des étudiants une priorité. Une délégation de votre commission s'est rendue en Israël à l'automne dernier et elle a pu mesurer la révolution silencieuse qui est à l'oeuvre dans ce pays comme dans de nombreux autres pays : les jeunesses du monde sont de plus en plus nombreuses à vouloir accéder à l'enseignement supérieur et suivre des études à l'étranger.

Chacun aura constaté l'écart qui sépare nos universités des standards des universités étrangères. Face à cette concurrence, nous avons des atouts évidents, en premier lieu la qualité de la formation. Nous avons aussi des faiblesses, de plus en plus visibles à mesure que les étudiants retournent dans leur pays d'origine. J'ai échangé ces dernières semaines avec de très nombreux étudiants qui avaient étudié en France : tous saluent la richesse de la culture française et la qualité de la formation, mais il y a une vraie distinction dans la qualité de l'accueil entre les étudiants en école et les étudiants en université.

La difficulté du parcours apparaît dès la demande de visa, puis avec la recherche d'un logement, l'ouverture d'un compte en banque, les inscriptions administratives. Trop souvent, les étudiants internationaux nous disent être livrés à eux-mêmes pour accomplir ces démarches, tandis que dans d'autres universités, ailleurs dans le monde, ils sont immédiatement pris en charge et accompagnés de bout en bout. Le fossé est moins large dans le cas des étudiants francophones ; néanmoins, cette complexité s'impose à tous les étudiants.

Les étudiants internationaux ont désormais l'embarras du choix et nous devons donc les convaincre de choisir les universités françaises. C'est tout l'objet de cette stratégie.

Lors de l'examen de la loi ORE, le Sénat s'était majoritairement prononcé en faveur de la mise en place de droits différenciés pour les étudiants internationaux. Je sais que MM. Claude Kern et Stéphane Piednoir ont mené une mission sur ce sujet.

La priorité de notre pays en matière de diplomatie culturelle et d'influence est double : continuer à entretenir une relation privilégiée avec la jeunesse des pays d'Afrique francophone et rendre notre enseignement attrayant pour des étudiants venus d'autres continents, notamment les étudiants anglophones.

Réaffirmer la place particulière de notre partenariat avec l'Afrique francophone ne doit en aucun cas nous conduire à renoncer à attirer des étudiants venus d'autres pays. Je pense notamment à ceux d'Afrique anglophone. Pour ce faire, nous devons revenir sur des sujets que nous avons jusqu'à présent négligés : quelles formations et quels enseignements pour accueillir ces étudiants anglophones ? comment faire en sorte que ceux-ci soient, au moins au départ, dispensés en langue anglaise ?

Nous avons la chance de pouvoir compter sur une francophonie forte, mais pour attirer vers la France et vers la pratique du français des étudiants a priori non francophones, nous devons aussi réfléchir à la manière dont nous pouvons offrir à ces étudiants dès leur arrivée des enseignements intensifs en français langue étrangère.

La relation particulière que nous avons nouée avec les pays d'Afrique francophone et les pays du Maghreb doit être maintenue. C'est pourquoi la stratégie « Bienvenue en France » met fin à la baisse continue du nombre de bourses et d'exonérations pour les étudiants internationaux que nous observons depuis plus de dix ans. Les postes diplomatiques, majoritairement dans ces pays, pourront en proposer trois fois plus.

Ce n'est là qu'une partie de notre politique de soutien au développement et de solidarité internationale puisque les universités elles-mêmes, dans le respect de leur autonomie et à travers leurs stratégies d'attractivité, peuvent aussi prévoir des exonérations et attribuer des bourses. Dès le mois de décembre, j'ai demandé à tous les présidents d'université de me faire connaître leur souhait de partenariat privilégié. L'exonération des étudiants internationaux n'est pas un sujet d'actualité pour les universités puisqu'elles peuvent d'ores et déjà exonérer 10 % de l'ensemble de leurs étudiants. Parce qu'elles n'auront pas mis en place un dispositif d'accueil, parce qu'elles n'auront pas travaillé suffisamment leur stratégie internationale, parce qu'elles n'auront pas passé les accords que nous souhaitons qu'elles passent, elles pourront décider d'exonérer ces étudiants.

L'objectif étant bien celui d'un doublement d'ici à 2027 du nombre d'étudiants internationaux, cela implique que les universités mettent en place ces stratégies d'attractivité en y incluant ces outils de solidarité.

Dès cette année, le Gouvernement a mis à disposition de toutes celles qui n'avaient pas encore pensé leur stratégie 10 millions d'euros, notamment pour leur permettre de créer des guichets uniques d'accueil des étudiants internationaux, pour faciliter leur accès au logement, pour développer les formations de français langue étrangère.

Dans le contexte budgétaire actuel, si nous voulons financer durablement l'amélioration des conditions d'accueil des étudiants internationaux et si nous voulons pouvoir en accueillir deux fois plus, nous devons mettre en place un modèle redistributif. Avec un objectif simple : continuer à garantir qu'aucun étudiant international qui souhaite choisir la France n'en sera empêché pour des raisons financières. Cela passe par la mise en place de ces droits d'inscription différenciés pour les étudiants internationaux qui peuvent s'en acquitter.

Dès l'année prochaine, 33 000 étudiants internationaux bénéficieront d'une exonération des frais différenciés, auxquels s'ajoutent les étudiants accueillis dans le cadre d'Erasmus ainsi que les doctorants internationaux qui constituent 40 % des effectifs des écoles doctorales.

Pendant cette première année, les établissements peuvent définir cette stratégie internationale, qu'ils pourront développer à l'avenir. Selon les universités, celles-ci disposeront de deux à trois ans, en fonction du taux d'exonération qu'elles appliquent.

Les établissements pourront exonérer les étudiants totalement ou partiellement pour ramener les frais au niveau de ceux des étudiants communautaires, ils pourront mettre en place des grilles spécifiques en fonction du nombre d'étudiants demandant à les intégrer. Tout cela s'accompagne d'un soutien au développement de leurs partenariats avec les établissements étrangers afin d'accueillir davantage d'étudiants dans le cadre de programmes d'échanges. C'est ainsi qu'il sera possible de construire une véritable stratégie sans empêcher pour autant la mobilité en dehors de ces programmes d'échanges.

Au Kenya, où j'étais accompagnée du président de l'université de La Réunion, les étudiants qui souhaitent poursuivre leurs études supérieures peuvent le faire soit dans leur pays, soit dans les pays anglophones, où les droits d'inscription n'ont rien à voir avec ce qu'ils sont en France. En outre, la très grande majorité des pays demandent aux étudiants de démontrer qu'ils disposent des ressources nécessaires pour vivre sans être obligés de travailler.

Lorsque nous aurons doublé le nombre d'étudiants internationaux, nous tournerons nos efforts vers les étudiants en capacité, compte tenu de leurs ressources, de supporter des frais différenciés et vers les étudiants qui, comme actuellement, supportent des droits plus faibles tout en étant capables d'assurer leur existence, puis vers les étudiants internationaux qui sont obligés de travailler parallèlement à leurs études, obérant ainsi leurs chances de réussite. Les établissements devront veiller à mettre en place des bourses pour leur assurer des revenus suffisants et leur permettre ainsi de s'impliquer dans leurs études.

L'objectif est aussi d'amener les étudiants à choisir la France pour étudier et à y rester. Nous prenons deux mesures en ce sens : des droits différenciés pour les étudiants n'ayant pas de résidence fiscale en France - au bout de trois ans de présence en France, ils deviennent résidents fiscaux et sont considérés comme résidents communautaires - ; la possibilité de modifier les visas étudiant en visas de travail - souvent, les titulaires de master et de doctorat ou les bénéficiaires de bourses Cifre (conventions industrielles de formation par la recherche) ne peuvent pas accepter les contrats d'embauche qu'on leur propose à l'issue de leur stage, alors même que les filières en question embauchent ; c'est donc un moyen pour conserver les compétences des étudiants qui ont été formés dans nos établissements.

Au final, nous sommes donc très loin de la description quelque peu réductrice qui a été faite de cette stratégie « Bienvenue en France ».

Nous n'avons rien inventé. Depuis longtemps déjà, la très grande majorité des pays accueillant des étudiants étrangers appliquent les mêmes règles. Ainsi, les droits d'inscription pour ces étudiants sont de 8 000 euros à l'université de Maastricht, de plus de 6 000 euros au Danemark, de plus de 8 000 euros en Suède. En parallèle, ces pays ont développé un système d'exonérations et de bourses, ce qui les rend encore plus attractifs.

De surcroît, nous sommes attachés en France à un financement de l'enseignement supérieur par l'impôt. Nous ne sommes pas favorables à une hausse des droits d'inscription pour tous les étudiants : les étudiants français, les étudiants internationaux dont les familles résident durablement France et y payent leur impôt ne sont donc en aucun cas concernés par ces frais différenciés. Le décret prévu matérialisera cet engagement du Premier ministre.

La collectivité nationale continuera à prendre en charge environ les deux tiers du coût de la formation des étudiants internationaux.

Le deuxième grand volet de la stratégie « Bienvenue en France » répond à une demande de nombreux pays de tradition francophile ou francophone. L'envie d'une expérience d'enseignement international sera probablement de plus en plus forte chez tous les étudiants, y compris chez ceux qui n'auront pas la capacité de se déplacer physiquement. Nous devons donc participer à la construction ou à l'essor de nouvelles universités et de nouvelles écoles dans de nombreux pays.

Le plan « Bienvenue en France » donne un coup d'accélérateur très net à cette capacité de projection des formations et des établissements étrangers. Dès 2019, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères a dégagé un financement d'amorçage de 5 millions d'euros et, à partir de 2020, l'Agence française de développement prendra le relais pour financer la mise en place de projets à hauteur de 20 millions d'euros par an. Parmi les projets qui verront le jour dès la rentrée 2019, citons l'Université franco-tunisienne pour l'Afrique et la Méditerranée et le campus franco-sénégalais.

Il y a quelques jours, j'accompagnais le Président de la République en Éthiopie et au Kenya et j'ai pu voir dans les universités d'Afrique anglophone à quel point les étudiants étaient en attente d'un signal clair de la part de la France, y compris à destination de ceux qui parlent peu ou mal notre langue. Si j'en crois les discussions que j'ai eues avec mes homologues, cela aurait pour effet de réintroduire l'enseignement du français dans l'offre scolaire de ces pays. Sur les 345 000 étudiants en mobilité internationale que compte le Kenya, nous en accueillons actuellement 150. La raison majeure pour laquelle nous n'en accueillons pas plus, c'est que ces étudiants considèrent qu'ils ne parlent pas suffisamment le français pour avoir des chances de réussir dans des enseignements dispensés en français, cependant que rien n'est fait pour améliorer leur niveau dans notre langue.

Je terminerai en disant un mot des chiffres qui ont circulé. Les seuls chiffres connus à ce jour sont ceux des demandes de préinscription en licence, et ces chiffres sont stables par rapport aux années précédentes. En moyenne, on compte une inscription pour quatre préinscriptions. Contrairement à ce qu'on a pu entendre, il n'y a pas de risque d'hémorragie des étudiants internationaux dans nos établissements.

Les candidatures en provenance de Chine et d'Indonésie ont très nettement augmenté, tandis que les candidatures en provenance du Sénégal, du Mali et du Bénin ont augmenté respectivement de 11 %, de 5,6 % et de 8 %. Nous devrons être à la hauteur de cette attente.

Les procédures pour les masters sont quant à elles toujours en cours. Le différentiel entre le nombre des préinscriptions et le nombre des inscriptions est encore plus important. C'est après la rentrée universitaire que nous pourrons juger des premiers effets réels de cette stratégie.

Je serai plus synthétique concernant la loi ORE et Parcoursup. J'ai eu l'occasion de vous présenter les améliorations apportées à la plateforme Parcoursup et à la procédure d'inscription lors de mon audition en janvier. Les textes officiels ont d'ailleurs été publiés ce matin au Journal officiel. Ces améliorations sont les suivantes : l'affichage des critères généraux d'examen des voeux ; l'instauration d'un référent handicap dans chaque établissement ; la désignation d'ambassadeurs étudiants pour favoriser le dialogue avec les lycéens ; la création de nouveaux services, avec une carte interactive des formations, permettant de voir où une formation est dispensée, des fiches de suivi et de liaison, pour aider les étudiants en réorientation qui se sentaient pénalisés par rapport aux lycéens car ils estimaient qu'ils n'avaient pas la capacité d'exprimer leur projet ; et enfin des mesures pour mieux accompagner les étudiants en situation de handicap.

Le Défenseur des droits a rendu public son avis. J'ai des échanges réguliers avec lui, même si nous ne sommes pas d'accord sur tout. Nous avons déjà apporté beaucoup de réponses aux problèmes qu'il a soulevés et sommes en train de préparer une réponse formelle à son avis.

Sur la mobilité géographique, notamment en Ile-de-France, j'ai décidé, dans le prolongement des travaux du sénateur Laurent Lafon, que le bassin de recrutement des formations en Ile-de-France serait la région académique tout entière, afin de mettre fin aux barrières administratives imposées par le découpage académique. Cette évolution est effective depuis le 22 janvier. Nous avons aussi augmenté de 10 %, soit 1 000 places, les capacités d'accueil des Instituts universitaires de technologie (IUT) en Ile-de-France.

On compte 1 500 formations de plus que l'an passé sur Parcoursup, avec notamment l'intégration des Instituts de formation en soins infirmiers (IFSI), ce qui signifie la fin des concours, des déplacements et des frais de concours payés par les familles. Enfin, 600 formations supplémentaires rejoindront Parcoursup l'an prochain : des formations paramédicales, des formations dépendant du ministère de la culture. L'arrêté prévoyant le report d'intégration a été publié ce matin.

Je veux aussi redire que les algorithmes locaux n'existent pas : il n'existe pas de système de traitement entièrement automatisé pour affecter les étudiants dans les formations. Il y a des commissions pédagogiques d'examen des voeux, des outils d'aide à la décision utilisés par environ 25 % des formations. Les critères généraux d'examen des voeux sont affichés sur la plateforme et varient selon des pondérations qui sont à la discrétion des commissions pédagogiques d'examen des voeux. La Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) a estimé que ce système était conforme à la loi et donc au Règlement général sur la protection des données (RGPD). Nous affichons clairement les critères d'examen, cela est garanti par décret. Nous avons renforcé la transparence de la plateforme : avec la carte interactive, l'affichage du rang du dernier appelé de l'année précédente, etc. La meilleure preuve de l'efficacité du système est le faible nombre de contentieux : moins de 15 contentieux individuels en 2018. Les contentieux sur l'accès aux documents administratifs ont d'ailleurs été surtout le fait d'organisations étudiantes et non d'étudiants. C'est ce qui s'est produit en Guadeloupe. Le Gouvernement ne partage pas l'appréciation du juge administratif et saisira le Conseil d'État.

Surtout l'état d'esprit des étudiants inscrits en licence a changé. Quelle que soit la réponse qu'ils ont reçue, un « oui » ou un « oui si », ils se sont sentis valorisés. Ils ont reçu une réponse et ne se sentent donc pas là par défaut parce qu'ils auraient été refusés partout ailleurs. C'est important pour la confiance en soi. Le taux d'abandon au 1er semestre a d'ailleurs diminué et le taux de succès augmente. Les étudiants inscrits dans des parcours « oui si » plébiscitent ces parcours, sans lesquels ils auraient peut-être abandonné. L'essentiel est donc bien la sensation qu'ont les étudiants d'être accueillis. Je tiens à remercier à cet égard les enseignants du secondaire et du supérieur qui ont remis les lycéens et les étudiants au coeur de leurs préoccupations.

Enfin, nous aurons bientôt l'occasion d'échanger sur la transformation des études de santé, avec la suppression du numerus clausus, l'évolution du premier cycle de médecine et la suppression des examens classant nationaux. Je suis prête à répondre à vos questions sur ce sujet.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Merci. Je vous propose de commencer par les questions concernant la différenciation des droits d'inscription à l'université, avant d'évoquer Parcoursup.

M. Stéphane Piednoir. - Il y a deux semaines, Claude Kern et moi-même avons fait une communication devant cette commission au sujet des droits différenciés. Nous avons rappelé notre attachement à cette réforme. Lors de l'examen de la loi ORE, le Sénat avait souhaité autoriser les établissements à fixer librement les frais d'inscription des étudiants extracommunautaires. Mais nous avons déploré la méthode employée pour mettre en place cette réforme : absence de concertation en amont, annonce brutale et non accompagnée du Premier ministre en novembre dernier, et communication en aval à l'égard de nos principaux partenaires largement défaillante. C'est la raison pour laquelle, malgré notre adhésion de principe à votre réforme, nous avons préconisé le report de l'application de la mesure 4 du plan « Bienvenue en France ».

Nous avons aussi déploré le manque de travail sur le système des bourses. Le système de bourses pour les étudiants étrangers est très complexe et manque de clarté. Il est difficile de connaître le reste à charge. Ce système n'a fait l'objet d'aucune remise à plat, alors que nous avions là une occasion rêvée. Je m'étonne aussi que les exonérations accordées par le ministère des affaires étrangères ne soient pas compensées aux établissements. Comment cela se justifie-t-il ?

Vous avez fait le choix de fixer des tarifs nationaux pour les étudiants extracommunautaires. Pourquoi ne pas avoir choisi de donner plus d'autonomie aux universités en leur laissant la libre fixation de ces tarifs, comme le proposait le Sénat, ou, à tout le moins, à l'intérieur d'une fourchette ? Quelles raisons vont ont conduit à écarter une telle solution pourtant plus respectueuse des établissements et qui aurait été certainement moins brutale ?

M. Claude Kern. - La France conduit une diplomatie d'influence culturelle dans le monde. Les frais différenciés sont un des éléments de cette politique. Pourquoi ne pas avoir envisagé, comme certains pays le font, notamment la Belgique, de moduler ces frais en fonction des zones prioritaires de notre diplomatie d'influence ? Notre diplomatie culturelle et d'influence se décline en effet géographiquement et selon des priorités précises qui n'apparaissent nullement dans le plan Bienvenue en France. Je m'étonne que le ministère des affaires étrangères n'ait pu faire valoir cet aspect de notre diplomatie ...

Nos partenaires traditionnels se sont émus de la décision brutale du Premier ministre. Les ambassadeurs de ces pays nous ont fait part de leur incompréhension : ils avaient appris la décision par la presse ! Pouvez-vous nous détailler le plan de communication - s'il a jamais existé ! - qui était celui du Gouvernement ?

Mme Frédérique Vidal, ministre. - Le 19 novembre, le Premier ministre a annoncé le doublement du nombre d'étudiants étrangers, des droits d'inscription différenciés et l'ouverture d'une période de concertation. Cette concertation a eu des difficultés à démarrer. Finalement, elle s'est déroulée du mois de janvier jusqu'à la mi-février. La commission de concertation a rendu ses conclusions. Nous nous en sommes inspirés en exonérant les doctorants de frais d'inscription. Je précise aussi que les tarifs annoncés sont des tarifs maximaux. De facto, il existe donc une fourchette, entre des frais nuls et ces tarifs maximaux qui sont fixés par décret. Pour respecter l'autonomie des établissements, la seule décision que peut prendre le ministère est de fixer un tarif unique. Il ne peut pas prévoir des déclinaisons contraignantes pour les établissements. Nous avions interrogé en amont les établissements pour savoir combien d'étudiants ils exonéraient déjà et apprécier si le taux de 10 % d'exonération était adapté pour développer cette stratégie internationale. Je n'étais donc pas inquiète. L'objectif est de doubler le nombre d'étudiants internationaux et de mettre en place un système redistributif.

S'agissant des bourses et des exonérations, le sujet a toujours été compliqué. La nouveauté est que nous avons donné aux postes diplomatiques les volumes de bourses et d'exonérations. Ce sont eux qui les géreront. La répartition a été faite par le ministère des affaires étrangères, en fonction des objectifs de notre diplomatie d'influence. Nous avons ciblé prioritairement les pays du Maghreb et de l'Afrique francophone. Nous travaillons, avec ces pays, à la mise en place d'une offre de formation qui corresponde à leurs besoins prioritaires. Ainsi, par exemple, au Sénégal, nous visons particulièrement les thématiques liées à l'agriculture, l'agronomie, la gestion de l'eau. Les étudiants en mobilité libre choisissent les formations qu'ils souhaitent suivre à titre personnel, mais dont la valeur, en termes d'employabilité dans leur pays, n'est pas toujours évidente. Il faut donc écouter les besoins.

Les universités auront des ressources spécifiques pour améliorer l'accueil des étudiants et mener leur politique d'attribution de bourses ou d'exonération de frais d'inscription. Elles pourront ainsi attirer les meilleurs étudiants en les exonérant de frais voire en finançant leurs études, comme le font les universités du monde entier. L'université d'Aix-Marseille a une longue tradition d'échanges et de coopération avec la Tunisie. Nous aidons son conseil d'administration pour rédiger une délibération montrant cette volonté. Concrètement, cela passe par un travail avec des lycées, par des conventions.

Il n'existe que très peu d'accords intergouvernementaux prévoyant la réciprocité des exonérations de droits d'inscription. Nous en avons signé avec le Québec et avec les pays de l'espace économique européen qui ne sont pas membres de l'Union européenne. Ces accords sont rares. Ils ne sont possibles que lorsque les flux d'étudiants sont similaires entre la France et le pays concerné.

C'est Campus France qui assure la promotion de ce plan et sa communication. Le ministère des affaires étrangères est très impliqué. Nous travaillons à la mise en place d'un label « Bienvenue en France ». Plus de 70 établissements ont candidaté pour l'obtenir. Comme me l'ont dit des présidents d'université, cette initiative a eu le mérite de les forcer à réfléchir à une stratégie internationale.

Mme Maryvonne Blondin. - Vous avez évoqué une enveloppe de 10 millions d'euros pour aider les universités à développer des stratégies d'attractivité. Est-elle uniquement destinée aux universités qui n'ont pas encore réfléchi à ces problématiques ou bien sera-t-elle ouverte aussi aux établissements en avance sur cette question, qui ont déjà un référent à l'international ?

Les recettes issues de la hausse des frais d'inscription iront-elles à l'État ou seront-elles reversées aux universités qui accueillent ces étudiants ? De même, les universités ont la possibilité d'exonérer de frais 10 % de leurs étudiants. Elles pourront utiliser ce quota pour attirer des étudiants étrangers extracommunautaires. Elles risquent de devoir faire des arbitrages au détriment des autres étudiants en situation financière précaire qui ont besoin d'être aidés ou qui sont obligés de travailler pour financer leurs études.

Pourriez-vous aussi préciser ce que vous entendez par modèle redistributif ? Dans quelle mesure les collectivités territoriales seront-elles mises à contribution ?

Enfin, en ce qui concerne l'accord avec le Québec sur les droits d'inscription, je tiens à souligner le rôle de la diplomatie parlementaire. Membre du groupe parlementaire France-Québec, présidé alors par Jean-Claude Carle, j'avais interrogé la ministre lors d'un déplacement sur ce sujet. Grâce à la mobilisation forte des Français installés au Canada, nous avons réussi à ramener les frais d'inscription au niveau que vous avez évoqué mais ce fut une grande bataille.

M. Pierre Ouzoulias. - L'Arabie Saoudite et la Turquie ont augmenté de 170 % le nombre d'étudiants étrangers qu'ils accueillent. Ces pays y consacrent des sommes considérables. Pour faire venir des étudiants tunisiens, algériens ou même français, l'Arabie saoudite est prête à les payer ! Si l'on considère l'enseignement supérieur comme un marché, nous devons garder à l'esprit que ces pays ont des moyens beaucoup plus importants que les nôtres. Lors de sa rencontre avec les intellectuels dans le cadre du grand débat, le Président de la République a déclaré que l'on ne pourrait pas faire l'économie d'un investissement massif public et privé dans l'enseignement supérieur et la recherche. Il a raison ! Mais avec 10 millions d'euros, on est loin d'un investissement massif ! Si l'on veut s'inspirer du modèle anglo-saxon, il faut s'en donner les moyens financiers. Mais on peut faire autrement en apportant aux étudiants ce qu'ils ne trouveront pas ailleurs, à commencer par l'apprentissage du français : beaucoup d'étudiants, en effet, viennent en France, non pour recevoir des cours en anglais, mais pour apprendre le français ! Ensuite, les étudiants apprécient notre modèle fondé sur les libertés académiques et la possibilité d'accéder à un mode de pensée critique sur l'ensemble des sujets et des phénomènes de civilisation. C'est dans cette voie que nous devons avancer.

Mme Annick Billon. - « Bienvenue en France » est une expression qui sonne positivement et donne envie de venir dans notre pays.

Les chiffres sont importants, car c'est en posant un bon diagnostic que l'on peut se donner les bons moyens. Vous avez évoqué le taux de quatre préinscriptions pour une inscription, madame la ministre, quand nos deux corapporteurs mentionnent un rapport de dix pour une. De quoi parle-t-on précisément ?

Dans la lignée des propos de Pierre Ouzoulias, j'observe que votre exposé liminaire présentait beaucoup d'objectifs quantitatifs, mais peu de moyens qualitatifs. Je ne peux qu'adhérer au guichet unique et à la simplification du processus d'inscription, mais la qualité se notera surtout dans les enseignements dispensés et dans la façon dont nous accueillerons ces jeunes, notamment en termes de logement. À cet égard, il n'est pas certain que la réponse apportée par la loi ÉLAN - plus, mieux, moins cher et plus vite - soit la bonne.

Mme Colette Mélot. - Il faut saluer la décision du Premier ministre, qui veut mieux accueillir pour plus accueillir. Il s'est emparé du sujet. C'est bien !

Comme le montre l'étude annuelle de Campus France, l'attractivité de notre pays s'affaiblit et la mobilité Erasmus recule. Il faut trouver de nouvelles propositions et certaines des vôtres, madame la ministre, sont d'un grand intérêt.

En matière de logement, les cités universitaires ne pourraient-elles pas accueillir les étudiants étrangers, comme cela se pratique en Allemagne ? Les difficultés de logement sont assurément un frein, mais l'on peut aussi mentionner, même si les étudiants étrangers viennent pour apprendre le français, la problématique de l'enseignement en anglais.

Accueil, accompagnement, logement : ce sont les principaux points à étudier.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous avons pu constater à plusieurs reprises, lors de déplacements de la commission, que les étudiants étrangers extracommunautaires n'avaient pas forcément envie de venir faire leurs études en France, mais qu'ils étaient friands des nouvelles formes de coopération mises en oeuvre avec certains pays. Je pense notamment à l'accueil reçu par le système de codiplomation au Maroc, que ce soit à l'école centrale de Casablanca, à l'université euro-méditerranéenne de Fès ou à l'université internationale de Rabat. L'attractivité de notre pays repose aussi sur ce volet de coopérations novateur, qui mérite d'être approfondi.

Mme Frédérique Vidal, ministre. - S'agissant de la répartition des moyens, les 10 millions d'euros supplémentaires versés aux budgets des établissements sont répartis en 5 millions d'euros permettant la mise en place de bureaux d'accueil et de guichets uniques dans tous les établissements et 5 millions d'euros consacrés, sur appels d'offres, au développement du français langue étrangère.

Tous les droits d'inscription vont directement aux universités, qui peuvent ainsi construire une vraie stratégie et mettre en place un système redistributif, en accordant des bourses à leurs étudiants.

Les exonérations des étudiants boursiers ne sont pas prises en compte dans les 10 % mentionnés, car nous payons les frais d'inscription à leur place. Dès lors, aucune compensation n'est envisagée et il n'y aura, pour les établissements, ni pertes ni gains de recettes.

Sur la question des collectivités territoriales, j'ai voulu dire qu'il était très important de travailler sur la stratégie internationale des établissements en lien avec ces dernières, qui ont des territoires de prédilection pour leurs échanges et développent leur propre stratégie de projection, le plus souvent axée sur le développement économique.

Vous avez raison, monsieur Ouzoulias, de mentionner les cas de la Turquie et de l'Arabie Saoudite. En Turquie, moins de 3 000 étudiants se voient dispenser un enseignement en français, 500 d'entre eux étant intégrés à des formations dispensées par des universités françaises. Dans ce pays, les frais d'inscription se montent à environ 200 dollars par semestre pour les étudiants turcs et les étudiants en provenance de pays proches, mais ils atteignent plus de 600 dollars par semestre pour les autres. En revanche, un système très performant de bourses est mis en place. C'est un point sur lequel il faut travailler : ces bourses sont un facteur d'attractivité pour des étudiants qui évaluent parfois assez mal la réalité de leurs besoins financiers une fois sur place.

Par ailleurs, nous n'avons rien à reprocher en termes de libertés académiques à des pays comme l'Allemagne ou l'Australie ! L'Allemagne, c'est 13 000 bourses d'excellence de longue durée, des droits d'inscription dépendant des länder, mais avoisinant généralement les 3 000 euros par an, et une progression de 24,4 % du nombre d'étudiants internationaux en trois ans. La France en a perdu 8,5 % en cinq ans !

Nous préparons actuellement une loi de programmation de la recherche, incluant un volet financier. Je ne pensais pas, monsieur Ouzoulias, que vous réduiriez l'annonce d'un investissement massif faite par le Président de la République à cette somme de 10 millions d'euros supplémentaires. Il faut être capable de parler de manière raisonnable de l'investissement nécessaire à la recherche et à l'enseignement supérieur, sans caricaturer. Peut-être avez-vous fait un petit raccourci...

Le ratio d'une inscription pour quatre préinscriptions vaut pour le cycle de licence où nous comptabilisons environ 8 000 inscriptions pour 25 000 préinscriptions. La sélection est beaucoup plus drastique sur les dossiers de master et de doctorat.

Il est juste d'évoquer la problématique des logements. Ceux du CROUS seront tous réhabilités à l'horizon de 2022. Il faut aussi penser à d'autres formes de logements, notamment travailler sur l'organisation de campus - une forme peu développée en France, où les bâtiments universitaires sont souvent disséminés dans les villes, mais qui correspond généralement à ce que les étudiants internationaux ont connu dans leur pays d'origine - ou sur des systèmes de colocations, notamment intergénérationnelles. Un nombre croissant d'universités se dirigent vers des demandes de dévolution de leurs habitations et, là encore, je les encourage à travailler avec les villes d'implantation.

Je confirme que l'on trouve, notamment dans les pays en développement, un nombre croissant de jeunes demandeurs de codiplomation. Il faut donner à ces pays les capacités de former leurs propres ressources humaines. Non seulement nous devons élaborer des doubles diplômes, mais nous devons aussi construire avec les forces présentes au moment du démarrage du projet, tout en préparant les ressources humaines locales afin qu'elles puissent prendre en charge la formation de la jeunesse. C'est ce cercle vertueux que nous commençons à installer, dans le cadre d'un dialogue très étroit avec les gouvernements, afin de ne pas en rester à nos propres projections et de comprendre leurs priorités.

M. Antoine Karam. - Je ne vais pas insister sur le début d'incendie que nous avons pu éteindre ensemble en Guyane, l'université ayant rouvert ses portes ce matin. Quand on élabore un projet, madame la ministre, il faut tenir compte du fait que la France n'est pas confinée à son hexagone ! Nous attirons sur notre territoire des jeunes clandestins, ou leurs parents, issus de l'espace Caraïbes et du territoire sud-américain. Ces jeunes trouvent le moyen de s'inscrire à la faculté, et voilà qu'ils sont rattrapés par la police aux frontières et envoyés en centre de rétention. Je ne pourrai pas toujours jouer les casques bleus, madame la ministre ! Je vous demande de tenir compte, aussi, de nos difficultés.

Mme Frédérique Vidal, ministre. - Trois ministères sont impliqués dans le plan « Bienvenue en France » : le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, mon ministère et le ministère de l'intérieur.

M. Pierre Ouzoulias. - Je ne doute pas un seul instant de l'investissement massif qui sera consacré à l'enseignement supérieur. Chaque année, je vous fais d'ailleurs une proposition en ce sens dans le cadre de la discussion du projet de loi de finances, madame la ministre ! Mais, si j'ai bien compris votre calendrier, la loi de programmation ne sera pas discutée au Parlement avant 2020. Elle ne couvrira donc que deux exercices budgétaires, 2021 et 2022.

Mme Frédérique Vidal, ministre. - Il s'agira d'une loi pluriannuelle, qui aura une durée de sept à dix ans.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous passons aux questions concernant Parcoursup.

M. Jacques Grosperrin. - Merci pour votre engagement et votre disponibilité, madame la ministre : vous répondez positivement à chacune de nos demandes d'audition ! Mis à part quelques interrogations, j'ai cru à Parcoursup depuis le début, et nous constatons, vis-à-vis de cet outil, un changement d'état d'esprit chez les étudiants. Cela étant, quelques points doivent encore être améliorés.

Quelles instructions ou recommandations de transparence des critères de sélection avez-vous données aux commissions des voeux ? Comment ces consignes ont-elles évolué depuis la mise en place de Parcoursup ?

Votre ministère a appuyé le recours en cassation de l'université des Antilles contre le jugement du tribunal administratif de Guadeloupe, qui enjoignait à cette dernière de rendre publics les algorithmes locaux. Sur quels arguments juridiques vous fondez-vous ?

Vous avez choisi de ne pas rendre anonymes les dossiers sur le lycée d'origine. Quelles raisons ont motivé votre choix ? Les commissions des voeux sont-elles autorisées à redresser les notes des candidats en fonction du lycée d'origine ? Dans quelles limites ? Les candidats sont-ils informés de cette possibilité laissée aux commissions des voeux ?

De même, les établissements sont-ils autorisés à prendre en compte l'information relative au sexe des candidats, pour favoriser l'un ou l'autre sexe dans le sens d'une répartition plus équilibrée ? Dans quelles limites ?

Mme Frédérique Vidal, ministre. - L'année dernière, nous avons dû nous en tenir aux attendus car personne ne savait vraiment comment cela allait se passer, sauf dans les filières sélectives. D'ailleurs, le fait d'avoir demandé à ces dernières d'afficher aussi leurs attendus a « libéré » de nombreux lycéens, qui n'osaient pas les mentionner parmi leurs voeux. J'ai demandé cette année aux établissements d'être transparents sur les critères qu'ils avaient utilisés. Mais c'est une matière très évolutive. Selon les dossiers reçus, un critère peut être discriminant ou pas, et il est possible que, d'une année sur l'autre, les dossiers ne puissent plus être discriminés en s'appuyant sur les même critères. Je voudrais donc voir si de nouveaux biais ne sont pas réintroduits.

La commission d'examen des dossiers discute du contenu des dossiers, il est dommage de se focaliser sur les critères. Il faut donner un maximum d'informations et bien faire passer le message qu'il ne faut pas s'autocensurer. Les critères généraux sont affichés et permettront aux commissions de travailler. Nous avons renforcé les exigences de la charte des établissements, pour plus de fiabilité et de lisibilité, et de respect des critères d'examen des dossiers.

Une commission d'admission à une licence de sciences de la vie et de la terre reçoit des dossiers provenant de multiples horizons : bacheliers généraux, professionnels, technologiques, ayant fait une première année commune aux études de santé (Paces) et revenant en biologie... Je vous félicite si vous réussissez à inventer un algorithme classant toutes ces candidatures ; le dossier comprend parfois les notes du baccalauréat, parfois non, certains élèves viennent d'établissements étrangers... Personne ne me croit lorsque j'affirme que les algorithmes locaux n'existent pas ; il y a seulement des outils d'aide à la décision qui permettent de classer en grands paquets ; ensuite la commission regarde les motivations et le détail des dossiers. Interrogez plutôt les classes préparatoires et les filières sélectives sur la pondération.

Je souhaite aller plus loin sur l'anonymisation du lycée d'origine, mais ces filières ne peuvent pas l'appliquer pour le moment, elles ne sont pas prêtes. Une classe préparatoire sait que dans tel lycée, les élèves ayant jusqu'à telle note réussissent ensuite.

Les cartes de mobilité le prouvent : les élèves les plus mobiles entre la terminale et l'enseignement supérieur sont ceux qui intègrent des classes préparatoires.

L'anonymisation du sexe pose de nombreux problèmes : il faudrait forcer tous les professeurs du secondaire à ne pas mentionner dans leurs annotations le prénom de l'élève et à utiliser l'écriture inclusive. Ce n'est que de la tuyauterie, mais l'application est délicate. C'est aussi difficile à appliquer à tous les établissements qui ont un internat... N'exigeons pas un dispositif que les établissements ne savent pas appliquer. Partout où l'automatisation de l'anonymisation a pu être mise en oeuvre, nous l'avons fait. Nous continuons à chercher des solutions pour les autres endroits.

Les chiffres sont clairs : il n'y a aucune discrimination à l'accès aux universités, contrairement à certaines rumeurs. Je suis dubitative sur la capacité de certains à n'interroger aucun autre établissement que les universités, comme si l'on fantasmait une élite faite de classes préparatoires, de grandes écoles... Tout le monde oublie que les instituts universitaires de technologie appartiennent à l'université ! Je souhaite que la qualité des formations universitaires soit reconnue, elles apportent des compétences et des savoirs différents aux étudiants.

M. Laurent Lafon. - Le décret paru aujourd'hui sur les critères généraux répond aux différents avis, dont celui du Défenseur des droits. Ces critères sont-ils suffisamment précis, sans l'être trop ? Il est difficile de définir le bon niveau pour que ces critères n'empiètent pas sur le secret des délibérations tout en donnant suffisamment d'informations aux bacheliers pour leur permettre de s'orienter. Où place-t-on le curseur ? Le ministère veut-il homogénéiser la définition des critères généraux, ou cela relève-t-il de chaque filière ? Dans des filières identiques, on risque d'avoir des critères de niveau différent...

M. Pierre Ouzoulias. - Le Sénat est très attaché au rôle de contrôle et d'évaluation des politiques publiques que lui confère l'article 24 de la Constitution. Le Président de la République souhaitait même, par son projet de révision constitutionnelle, renforcer ce pouvoir.

Nous avons besoin de données quantitatives et anonymes sur la première année de Parcoursup. Même si le comité d'éthique a une vision générale, nous ne disposons que de quelques pourcentages généraux, et pas par filière, académie ou université...

Lors de la séance publique du 16 janvier 2019, vous vous êtes engagée à donner aux chercheurs, notamment aux sociologues, des données anonymes. Mes collègues vous ont écrit à deux reprises et n'ont pas reçu de réponse, or ils ont besoin de ce corpus fondamental.

Je ne fais aucune différence entre critères généraux et algorithmes locaux. Pour moi, l'algorithme local est le pendant de l'algorithme national. Dès la première année, vous aviez demandé aux universités, via une circulaire, une publicité large de ces critères généraux. Le Défenseur des droits vous a reproché de ne pas avoir réalisé de contrôle de légalité suffisant pour vérifier l'application ; c'est pour cela que cette année, cette demande a été faite par décret. Quel contrôle de légalité allez-vous instaurer auprès de ces établissements ?

Certains présidents d'université sont allés très loin dans la transparence. Ainsi, M. Frédéric Dardel, président de l'université Paris-Descartes, a publié l'intégralité du chemin d'examen des dossiers avec même les corrections statistiques intra-cohortes des notes au sein d'un même échantillon. S'il le fait, c'est bien qu'il y trouve un intérêt ! Et la transparence aura pour conséquence que davantage de candidats viendront en confiance vers cette filière.

Mme Sonia de la Provôté. - J'ai la chance d'exercer ce pouvoir de contrôle en tant que sénatrice et d'être usager, cette année, de Parcoursup en tant que mère de famille. J'en ai profité pour explorer la plateforme. Certains attendus semblent parfois excessifs, exigeant un très bon niveau dans de nombreuses disciplines ; cela dissuade certains élèves, alors que l'expérience des années précédentes montre que de telles exigences ne sont peut-être pas nécessaires... Il faut aussi prendre en compte la motivation des lycéens.

Comment les lycéens sont-ils accompagnés par la suite ? Il serait utile d'établir un bilan. Les lycées donnent des informations parfois différentes. Certains élèves ont bénéficié de véritables séances de formation, d'autres non.

Mme Frédérique Vidal, ministre. - Avez-vous connu Admission Post-Bac (APB) ?

Mme Sonia de la Provôté. - Non.

Mme Frédérique Vidal, ministre. - Eh bien voilà...

Mme Annick Billon. - J'ai testé le système à deux reprises...

Mme Sonia de la Provôté. - J'ai eu seulement à faire un seul choix sur APB. Cet accompagnement est nécessaire.

Avez-vous eu un premier bilan des appels sur le numéro vert ou les demandes par courriel ? Je suppose que ce sont toujours les mêmes questions qui reviennent, et qui mériteraient de faire évoluer Parcoursup.

Mme Frédérique Vidal, ministre. - Je ne pourrai pas vous répondre sur le comportement individuel des professeurs ou des lycées...

Mme Sonia de la Provôté. - À mon sens, c'est une alerte. Dans certains lycées, les professeurs conseillent de s'inscrire tantôt en Paces, tantôt à la fois en Paces et en biologie... Tel est le fonctionnement vécu de l'intérieur.

Mme Céline Brulin. - Le Défenseur des droits a réalisé une analyse approfondie de la situation des bacheliers professionnels et technologiques, qui n'ont pas accès de la même manière que les bacheliers généraux aux formations de leur choix. Quelle suite comptez-vous donner à son avis ?

De nombreuses familles s'inquiètent de la réforme du lycée et du baccalauréat, avec les mathématiques qui seront considérés comme un enseignement spécialisé. Parcoursup permettrait de lutter contre le déterminisme social et culturel - « pas d'autocensure » nous avez-vous dit... Mais les mathématiques resteront déterminants pour certains cursus, et sont une discipline sélective. Comment comptez-vous rassurer les familles ?

Le ministère a-t-il avancé sur l'intégration dans l'université des études de masseur-kinésithérapeute ? Nous y sommes particulièrement sensibles en Normandie...

Mme Sonia de la Provôté. - Tout à fait.

Mme Frédérique Vidal, ministre. - L'information est la fonction la plus importante des critères généraux. Nous travaillons avec les conférences de doyens pour déterminer les attendus. Lorsque les établissements ont travaillé ensemble dans ces conférences, les attendus et les critères sont homogènes. Mais voici une conséquence de l'autonomie des universités... Je les incite à plus de travail collectif et de cohérence.

Voici la réalité du terrain : lorsque vous avez une licence, vous avez accumulé un certain nombre de connaissances, mais tout n'a pas été fait de la même manière partout. Avoir une licence garantit l'homogénéité du diplôme national, avec des connaissances réputées acquises en fin de licence, mais pas l'ordre d'examen des sujets. Une discipline abordée par un étudiant en première année le sera avec moins de maturité, de capacité à prendre des notes... Attention à ne pas recréer un système excessivement normé, remettons-y de l'humain. Le même plan de cours fait par deux professeurs différents ne donne pas le même résultat...

Depuis un arrêté de décembre 2018, l'application « Système d'information sur l'orientation dans le supérieur » ou Orisup reprend toutes les données d'APB et de Parcoursup pour les diffuser aux chercheurs. Je vérifierai que les courriers ont bien été envoyés. Il y a peut-être un code d'accès...

M. Jérôme Teillard, chargé de mission Parcoursup au ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche et de l'innovation. - Les chercheurs peuvent demander l'accès au département des études statistiques du ministère. L'arrêté paru le 28 décembre 2018 au Journal officiel instaurant Orisup définit la liste des bases de données, la durée de conservation des données et les conditions d'anonymisation. L'application a intégré toute la base d'APB entre 2012 et 2017 et la première année de Parcoursup, et accumulera toutes les données des années suivantes. Pour la première fois, cette base de données est totalement distincte de la base de travail quotidienne de Parcoursup ; c'est une réplique, qui sert à des fins scientifiques.

Mme Frédérique Vidal, ministre. - Le contrôle de légalité des établissements est confié aux recteurs. Laissons-les faire. Seuls les sujets méritant une attention particulière remontent au ministère.

L'université Paris-Descartes a travaillé avec Dauphine, université qui a un certain recul sur le lien entre les notes des lycées et leur réussite ultérieure. Dans Parcoursup, nous avons des outils d'aide à la décision que nous mettons à disposition des établissements. L'expérience nous donnera le recul sur la manière d'utiliser les critères... Certains établissements ayant une double licence avec les classes préparatoires ont déjà cette expérience. La présidente de Dauphine est prête à partager la sienne.

Les attendus servent à préparer les jeunes au fait qu'on leur proposera peut-être de la remédiation. Lorsqu'il n'y a que 20 % de succès à la fin d'une licence, lorsque toutes les notes se compensent entre elles, ces attendus correspondent à la réalité. L'objectif n'est pas de baisser le niveau des licences. Réussir une première année de licence n'est pas plus simple qu'une première année de classe préparatoire, c'est juste différent. L'université a comme vocation première de former le monde académique ; elle ne s'intéresse à l'insertion professionnelle que depuis dix ans. Je souhaite que les bacheliers technologiques retrouvent toute leur place dans les instituts universitaires de technologie (IUT). Former les futurs chercheurs et enseignants est extrêmement exigeant ; certains jeunes issus de classes préparatoires et de grandes écoles très sélectives ont des difficultés durant leur première année de doctorat lorsqu'ils intègrent l'université à ce niveau. Il leur manque le doute... Afficher des attendus difficiles pour ces filières, c'est afficher leur réalité.

Le processus d'accompagnement varie en fonction des lycées, mais nous avons transmis des consignes. Soyons attentifs à ce que chacun agisse le mieux possible. Nous commençons à réorienter certains dispositifs.

Mme Sonia de la Provôté. - Faisons le bilan des pratiques !

Mme Frédérique Vidal, ministre. - Les établissements sont en train de saisir les bulletins scolaires, accompagnés par le rectorat. À partir de demain, si la remontée n'est pas automatique, les élèves pourront saisir leurs notes, qui seront vérifiées ensuite par les établissements.

Nous avons reçu 80 000 appels sur le numéro vert entre le 22 janvier et le 14 mars. Nous avons mis en place des services sur les réseaux sociaux - les parents téléphonent, les élèves consultent davantage les réseaux sociaux.... Nous travaillons également à une meilleure accessibilité pour les sourds et les malentendants.

C'est la dernière année de la Paces. Je ne comprends même pas la question de s'inscrire uniquement en Paces ou en Paces et en biologie. La nouvelle loi permettra, après un échec en Paces, de passer en deuxième année de biologie, et de valoriser cette année. Tout dépend des raisons pour lesquelles le jeune veut faire une Paces. Si son objectif est de pratiquer la médecine, qu'il fasse uniquement une Paces. En biologie, il aura tout un volet végétal, très différent de la médecine... Alors que si l'élève veut faire de la recherche, une reconversion en biologie peut lui convenir. Certains parents jouent au jeu de go pour essayer de savoir là où leur enfant a le plus de chance d'être retenu. Mais on ne peut répondre à votre question qu'après 30 minutes de conversation avec l'élève concerné, et non par principe conseiller une mono ou une double inscription... À Paris, les grandes universités travaillent déjà sur un modèle d'alter Paces, cela ne change pas grand-chose pour elles.

Mme Sonia de la Provôté. - Je ne parle pas des parents mais des conseils des professeurs principaux. Certaines consignes pourraient peut-être être harmonisées...

Mme Frédérique Vidal, ministre. - Ces conseils différents sont peut-être donnés à des profils différents. Cela me rassure de savoir que les conseils ne sont pas standardisés, sinon cela s'apparenterait à Bienvenue à Gattaca...

Les débouchés des bacheliers professionnels et technologiques sont un de mes chevaux de bataille. Les élèves candidatent majoritairement sur des filières sélectives qui leur étaient initialement destinées. Cela ne veut pas dire qu'ils ne peuvent pas candidater à une licence générale, mais ils devront alors se remettre à niveau général. Or il faut essayer de leur redonner une place dans les filières de brevet de technicien supérieur (BTS) et IUT, initialement pensées pour eux, sans déterminisme. Bien que la loi permette de fixer des quotas et qu'ils aient été augmentés, la concertation sur la professionnalisation du 1er cycle est en cours. Soyons capables de dire que les BTS et les IUT ne sont pas une voie alternative aux classes préparatoires pour accéder aux écoles. Actuellement, sur toutes les brochures, ces filières sont présentées comme un accès possible aux écoles d'ingénieur ; 85% des étudiants sortant d'IUT poursuivent leurs études. Les IUT recrutent de plus en plus de bacheliers généraux avec mention, et ont fait évoluer le contenu des programmes nationaux, qui sont devenus inaccessibles aux bacheliers technologiques.

Nous devons faire ce revirement, mais ce sera très compliqué. Les jeunes n'apprécient plus comme avant le système des classes préparatoires. En raison de l'augmentation du nombre d'écoles, il y a plus de places en école que d'élèves inscrits en classe préparatoire. Du coup, les écoles sont allées chercher dans les IUT. La Conférence des grandes écoles et la Conférence des directeurs des écoles françaises d'ingénieurs m'ont avoué qu'ils allaient chercher des étudiants des IUT parce que ce sont « d'excellents bacheliers généraux avec mention » ! J'ai un peu de mal à accepter cela. Certes, je comprends la logique sécurisante d'avoir au moins un diplôme à Bac +2, et que l'étudiant voie ensuite s'il veut continuer pour avoir un Bac+5...

M. Claude Kern. - Conservons cette passerelle.

Mme Frédérique Vidal, ministre. - Tout à fait. Dans un monde idéal, les équipes pédagogiques travailleraient en horizontal et sécuriseraient un diplôme d'IUT dans une filière plus conçue comme une classe préparatoire vers une école ou vers la recherche. C'est un vrai sujet, notamment pour les territoires. Les IUT et les BTS sont mieux répartis sur le territoire que les licences générales. Depuis six mois, nous étudions la possibilité que les étudiants commencent leurs études à proximité de chez eux avant de rejoindre une université. Mais attention à ce qu'une bonne intention de départ ne génère pas davantage de problèmes que de solutions... Nous proposerons un dispositif pour la rentrée 2020.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Merci, madame la ministre, de ne pas avoir ménagé votre temps. Nous aurions encore de très nombreux sujets sur lesquels vous interroger...Nous poursuivrons nos travaux et serons attentifs au dispositif Parcoursup N+2...

Mme Frédérique Vidal, ministre. - Je dirais plutôt à la V2 de Parcoursup !

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Mercredi prochain, le bureau de notre commission se réunira à la suite de la visite de la Fémis pour définir le calendrier de nos travaux jusque fin mai. N'hésitez pas à en débattre entre vous.

La réunion est close à 18h45.