Mercredi 2 octobre 2019

- Présidence de M. Christian Cambon, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Projet de loi de finances pour 2020 - Audition de M. Joël Barre, délégué général pour l'armement

M. Christian Cambon, président. - Nous reprenons le cours de nos travaux avec les auditions budgétaires de la commission.

Nous avons été reçus la semaine dernière par Mme la ministre Florence Parly et nous entendrons aujourd'hui M. Joël Barre, délégué général pour l'armement, puis Mme Claire Landais, secrétaire générale de la défense et de la sécurité nationale, accompagnée de M. Julien Barnu, son conseiller industrie et numérique.

Monsieur Barre, nous sommes heureux de vous recevoir, vous qui êtes concerné au premier chef par les questions budgétaires. Nous sommes particulièrement désireux de recueillir votre analyse sur le contexte dans lequel s'inscrira ce nouveau projet de loi de finances, le second de la loi de programmation militaire. Celle-ci va dans le bon sens, mais il ne s'agit que d'une loi d'intention, qui doit se concrétiser dans l'exercice budgétaire réel.

Nous avons pris note de l'augmentation de 83 % des autorisations d'engagement, qui vont permettre des commandes importantes en 2020, et la livraison de 128 Griffon, des 4 premiers Jaguar, de 12 000 fusils HK 416F, du premier sous-marin nucléaire d'attaque (SNA), Barracuda, de 2 Atlantique 2 rénovés, des 2 premiers Mirage 2000 D rénovés, d'un autre avion MultiRole Transport Tanker MRTT Phénix et de 2 A400M Atlas. Une avalanche de moyens nouveaux qui auront, à mon sens, un impact psychologique important sur nos militaires !

Je voudrais toutefois vous faire part de deux préoccupations de notre commission.

La première difficulté touche au financement du surcoût des OPEX en 2019, qui risque, comme toujours, de concerner le programme 146. Nous attendons le chiffre exact, mais nous craignons qu'il n'atteigne 300 à 400 millions d'euros. L'engagement de neutraliser ce surcoût pour 2020 ne suffit pas à nous rassurer pour l'année en cours. Je veux rappeler la position ferme de notre commission : ce surcoût doit être financé par la solidarité interministérielle, et non par le seul ministère des armées. Le Sénat a voté un amendement à ce sujet.

À défaut, ce sont notamment les programmes d'équipement dont vous avez la responsabilité qui seront impactés. Ce n'est pas anecdotique : 300 millions d'euros, c'est trois ans de livraison de Griffon ! Quelles sont vos informations à ce sujet et quelles sont vos craintes ?

La deuxième difficulté concerne précisément la livraison des nouveaux équipements. Ainsi, 92 Griffon devaient être livrés entre juin et décembre, 2 l'avaient été au 1er juillet, il en reste donc 90, dans un calendrier très tendu. Qu'en est-il des tourelleaux, de la vétronique, des compas hydrauliques ? Les Griffon seront-ils au rendez-vous, et dans quel état seront-ils réceptionnés ?

M. Joël Barre, délégué général pour l'armement. - Je vais commencer par un point de situation sur l'exécution du budget pour 2019.

Le programme 146 « Équipement des forces » atteint 14,4 milliards d'euros, avec les commandes majeures de quatre bâtiments ravitailleurs de forces, ainsi que des premiers exemplaires du missile M51.3, de deux avions de guerre électronique Archange et d'un sixième sous-marin nucléaire d'attaque Barracuda. Le premier, le Suffren, sera, quant à lui, livré en 2020.

Les besoins en paiement s'élèvent à 13,3 milliards d'euros, pour des ressources disponibles de 10,6 milliards d'euros. Le report de charge à la fin de 2019 est donc estimé à 2,6 milliards d'euros, conformément à la trajectoire 2019-2025. À cela s'ajoute une réserve gelée de 348 millions d'euros gérée de manière dynamique : nous en ajustons les montants engagés en fonction de l'exécution, en tenant compte de l'avancement des contrats, des besoins réels de paiement ou des gains obtenus dans la négociation. Je ne dispose pas d'éléments plus précis concernant les discussions avec Bercy, qui commencent à peine.

Pour le programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense », le niveau d'engagement à la fin de l'année atteint 920 millions d'euros, en hausse de 18 %, en cohérence avec la trajectoire de la loi de programmation militaire qui vise le passage du milliard d'euros en 2022.

Les besoins de paiement s'élèvent à 759 millions d'euros pour des ressources équivalentes affectées en loi de finances initiale (réserve de 25 M€ incluse).

Les principales études lancées en 2019 concernent le système de combat aérien du futur (SCAF), le futur char franco-allemand, le Main Ground Combat Systems (MGCS), et le porte-avions nouvelle génération. Nous avons, en outre, poursuivi notre effort en faveur des PME et des PMI avec le dispositif de subventions RAPID et le fonds d'investissement Definvest que nous gérons avec Bpifrance, et grâce auquel nous avons pris déjà des participations dans six entreprises.

Les livraisons effectuées en 2019 concernent les premiers équipements de radiocommunication tactique, pour évaluation, dont nous avons inauguré la chaîne de production chez Thalès, à Cholet.

Nous avons reçu en avril le quinzième avion A400M Atlas et le deuxième MRTT Phénix a été livré en juillet - avec trois mois d'avance ! Nous avons également livré des missiles de croisière navals qui équiperont les Barracuda et équipent déjà les frégates multi-missions (Fremm), des missiles antichars MMP de nouvelle génération, des missiles Meteor, des bâtiments de soutien et d'assistance hauturiers (BSAH) ainsi que les douze premiers Griffon. Il nous reste donc trois mois pour recevoir les 80 véhicules restants.

Les exportations s'élevaient pour 2018 à 9,1 milliards d'euros, en hausse de près de 30 %. Ce très bon résultat, qui consolide notre place parmi les cinq premiers exportateurs mondiaux, se caractérise par une hausse significative du marché européen, qui compte pour un quart du total, notamment grâce au contrat de renouvellement de la capacité motorisée belge (Camo), premier exemple de contrat de partenariat gouvernemental.

Nous visons un résultat pour 2019 dans la lignée des années 2017 et 2018. Nous disposons déjà, en outre, de jalons importants pour 2020.

Le dispositif de soutien aux PME en la matière, qui s'inscrit dans le cadre du plan d'action PME relancé en 2018, comprend de nombreuses mesures concrètes, comme la mise en place du label « utilisé par les armées françaises », qui a déjà été attribué à une quinzaine de PME.

En ce qui concerne la Direction générale de l'armement elle-même, ses effectifs doivent atteindre 10 019 équivalents temps plein fin 2019, pour une masse salariale de 780 millions d'euros.

Venons-en au projet de loi de finances pour 2020. Ce texte porte un message-clé : les promesses de la loi de programmation militaire sont tenues et les montants affectés aux programmes 146 et 144 augmentent.

Les crédits de paiements du programme 146 gagnent ainsi 1,3 milliard d'euros afin de permettre le lancement des commandes et l'allégement du report de charges. En outre, son périmètre évolue, car les crédits destinés aux infrastructures des programmes à effet majeur sont maintenant adossés au programme relatif à l'équipement des forces, entraînant une réaffectation de 312 millions d'euros du programme 212 vers le programme 146.

Les besoins en engagement pour 2020 s'établissent à 21,9 milliards d'euros, ce qui constitue une hausse significative. Ils seront consacrés à la troisième génération des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE), à la commande des quatre systèmes de drones Medium Altitude Long Endurance (MALE), à la poursuite du programme SCORPION avec les premiers Serval, les Griffon et les Jaguar, à la rénovation des chars Leclerc et au lancement en réalisation du standard 3 de l'hélicoptère Tigre.

Pour 2020, les besoins de paiements s'élèvent à 12,5 milliards d'euros, dont 6,9 milliards pour les programmes à effet majeur. Les ressources sont en hausse de 1,3 milliard d'euros, dont 1,1 milliard pour les programmes à effet majeur consacrés à la modernisation et au renouvellement de nos équipements.

En 2020, sont prévues les livraisons du deuxième satellite CSO (composante spatiale optique) d' un système des drones tactiques (SDT), le Patroller de Safran ; de 2 Airbus A400M de plus - 17 appareils seront donc en service en 2020 -, du troisième MRTT Phénix ainsi que du premier sous-marin nucléaire d'attaque Suffren porteur de torpilles lourdes Artémis.

Le programme 144 bénéficie de 1 milliard d'euros en autorisations d'engagement et de 820 millions d'euros en crédits de paiement, en augmentation respectivement de 9 % et de 8 %. L'objectif est de poursuivre les études déjà évoquées et les travaux en matière de cybersécurité et de cyberdéfense et de maintenir le renouvellement de nos composants de dissuasion.

Nous avons également des rendez-vous importants avec les Britanniques dans le domaine des missiles de croisière et des missiles antinavires et nous continuons à avancer sur le démonstrateur de planeur hypersonique.

En ce qui concerne la DGA sur la période, nous comptons poursuivre la remontée des effectifs pour atteindre 10 156 équivalents temps plein en renforçant en particulier la mission numérique. De plus, nous opérons une transformation sociologique, avec l'objectif de disposer de 60 % de personnels de niveau 1 à l'horizon de 2021.

Le plan de transformation de la DGA se poursuit, avec la définition d'un nouveau processus de conduite des opérations d'armement grâce à la mise en place d'une équipe conjointe avec les États-majors pour préparer les programmes futurs sur la base des capacités plutôt que programme par programme.

Ce processus est rationalisé à l'aide d'un document unique de besoins et de plans d'essais communs, il s'appuie également sur la mise en place de démarches incrémentales permettant ainsi de faire évoluer les matériels au fur et à mesure de l'évolution des besoins et de la disponibilité des technologies.

Nous avons aussi rééquilibré la relation avec les industriels. De ce point de vue, nous avons en particulier durci notre politique contractuelle pour inciter ceux-ci à mieux tenir leurs engagements.

Nous avons également lancé des actions pour mieux bénéficier des exportations.

Nous avons mis en place les relations étroites nécessaires pour que l'Agence de l'innovation de défense remplisse ses missions, notamment une meilleure coordination avec les armées. Le dispositif est en place et les relations entre l'Agence et les directions de la DGA sont établies.

Nous développons nos actions dans le domaine de la coopération européenne et, enfin, nous menons à bien le plan de réorganisation interne.

M. Cédric Perrin, co-rapporteur pour avis du programme 146 « Équipement des forces ». - Je vous remercie du travail mené par la DGA, une institution à laquelle nous sommes très attachés.

Nous avons déjà débattu du SCAF. Où en sont les négociations sur le projet ? Quand peut-on espérer le lancement du démonstrateur ? Éric Trappier faisait part de ses craintes quant à un éventuel report de ce lancement, pouvez-vous nous indiquer où se situent les blocages, s'il y en a ?

En matière d'exportation, nous entendons des bruits qui nous conduisent à un certain optimisme. Où en sommes-nous réellement ? Nous craignons, toutefois, que ce programme ne soit pris en otage par les enjeux liés au projet MGCS, notamment par le rôle éventuel de Rheinmetall. Comment réussir à surmonter ces difficultés ?

Enfin, s'agissant du drone MALE européen, nous évoquons souvent un risque de dérapage en raison d'une surspécification entraînant un coût très important. S'il est beaucoup plus cher que la concurrence, comment le vendre ? Les industriels tiennent-ils leurs engagements sur le sujet ?

Mme Hélène Conway-Mouret, co-rapporteure pour avis du programme 146 « Équipement des forces ». - Nous nous félicitons de l'augmentation des moyens, notamment pour les équipements, mais nous resterons vigilants.

S'agissant de l'hélicoptère interarmées léger (HIL), le programme est maintenant revenu au calendrier initialement prévu. Comment cette anticipation est-elle financée ? On évoque une avance consentie par Airbus Helicopters. Qu'en est-il de la location d'une dizaine d'appareils civils avant la livraison de la version militaire ?

Ma seconde question concerne le Brexit. Pourriez-vous nous faire un point sur l'état d'application des accords de Lancaster House de 2010 ? Les Britanniques semblent progresser dans leur propre programme d'avion du futur, le Tempest, qu'ils mènent avec des partenaires italien et suédois. Il y aura donc deux avions, n'est-ce pas un de trop ? Où en sommes-nous sur ce point ?

M. Pascal Allizard, co-rapporteur du programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense ». - Pouvez-vous nous présenter rapidement le plan de transformation de la DGA, notamment le rapprochement qui s'opère avec l'État-major ?

S'agissant de l'innovation, je souhaite aborder la question de la vente d'entreprises innovantes. En 2018, HGH a été cédée et l'on évoque pour 2019 la cession de Photonis, qui aurait été sortie par la DGA de la liste des entreprises stratégiques. Pouvez-vous nous apporter des précisions ?

Sur le SCAF, qu'en est-il de l'organisation industrielle et du volume des crédits d'études amont ?

Quelles sont vos intentions budgétaires vis-à-vis de l'Office national d'études et de recherches aérospatiales (ONERA) ? D'une manière générale, en matière spatiale, quelle sera la traduction budgétaire des annonces ministérielles en matière d'études amont ?

M. Michel Boutant, co-rapporteur du programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense ». - Le carnet de commandes atteint donc 9,1 milliards d'euros. Qu'en est-il des importations ? Nous avons ainsi appris avec surprise que les Mirage de l'opération Barkhane utilisaient parfois des missiles américains.

Dans le domaine spatial, comment se traduiront les annonces de crédits de la ministre des armées ?

M. Jean-Marie Bockel, co-rapporteur du programme 178 « Préparation et emploi des forces ». - Je souhaite évoquer la question du soutien à l'exportation (Soutex), auquel la loi de programmation militaire affecte 400 postes sur la durée du texte.

La loi de finances de 2019 permet-elle de faire face à ces missions ? Quelles sont les perspectives dans ce domaine pour l'année prochaine ?

Il s'agit de développer ce secteur sans pour autant faire peser une charge trop lourde sur nos armées en retardant la livraison de matériel neuf, la maintenance ou la formation. La recherche de cet équilibre est complexe, êtes-vous serein ou inquiet à ce sujet ?

Mme Christine Prunaud, co-rapporteure du programme 178 « Préparation et emploi des forces ». - Qu'en est-il de la maintenance industrielle des équipements aéronautiques et terrestres dans le cadre de contrats globaux avec les industriels ? Avez-vous évalué les bénéfices attendus de cette évolution ? Mme la ministre attend un effort des industriels à ce sujet. Aidez-vous à la mise en place de ces nouveaux contrats ? Le processus vous semble-t-il satisfaisant ?

M. Joël Barre. - Je vais d'abord répondre sur les questions franco-allemandes concernant le SCAF, le MGCS et le MALE.

Pour ce dernier, des négociations rugueuses sont en cours avec l'industrie, c'est-à-dire un leadership Airbus Defence and Space pour l'Allemagne, associé à Dassault pour la France et Leonardo pour l'Italie.

La phase de définition s'est achevée il y a quelques mois, et nous négocions le contrat de réalisation comprenant le développement, la réalisation des différents systèmes ainsi que le soutien à l'exploitation.

Nous sommes en effet en désaccord sur les prix proposés. Nos positions sont les plus proches à propos du prix récurrent, parmi les trois composantes que je viens d'évoquer. La présence de deux moteurs est une réalité, cela a été tranché en 2017 et les devis correspondent à cet accord. La question de la surspécification n'est donc plus d'actualité.

Le litige repose aujourd'hui sur les écarts en matière de coût de développement. J'ai bon espoir d'obtenir à ce sujet une convergence avant la fin de l'année, car nous ne ferons pas le MALE à n'importe quel prix. Les discussions sont en cours, les échanges des derniers jours me semblent plutôt encourageants. En bref, j'ai de l'espoir, mais pas de garanties.

S'agissant du MGCS et de Rheinmetall, nous nous sommes mis d'accord avec l'Allemagne sur une organisation industrielle début juillet. Il a fallu attendre une réunion à Paris le 20 septembre dernier avec les trois industriels concernés pour que cet accord soit accepté. C'est fait.

Nous avons maintenant rendez-vous à Berlin le 7 octobre prochain pour élaborer une proposition en bonne et due forme. Sauf revirement allemand, cette étape a donc été franchie. Je reste prudent, toutefois, dans la mesure où il a fallu attendre presque trois mois pour que l'industrie accepte l'accord conclu le 3 juillet entre mon homologue et moi-même.

J'espère donc entériner l'organisation industrielle de la première phase, sous le leadership allemand, tout en respectant l'équilibre des participations et en attribuant les activités en fonctions des spécialités et des capacités respectives des industriels.

Sur le SCAF, il reste deux points à résoudre pour engager les travaux de développement technologique.

Le premier est l'organisation de l'arrivée de l'Espagne dans le programme. Nous devons trouver le bon compromis permettant de ne pas retarder les travaux de démonstration technologique. Cela devra être réglé avant le conseil des ministres franco-allemand du 16 octobre.

Le deuxième sujet, plus délicat, est l'organisation industrielle concernant le moteur. Nous voulons que les responsabilités soient clairement affichées, contrairement à ce qui avait été fait pour le moteur de l'Airbus A400M.

Nous tenons donc à avoir un responsable par poste et nous sommes en discussion avec Safran et MTU de façon à ce que Safran joue ce rôle en matière de moteur, pour des raisons d'équilibre de partage industriel entre les postes.

La situation actuelle se débloquera à l'issue des échanges avec et entre les industriels, ou devra être réglée à un niveau plus politique. Nos deux ministres ont d'ailleurs rendez-vous le 9 octobre à ce sujet, avant le conseil des ministres franco-allemand de la semaine suivante.

M. Cédric Perrin. - N'y a-t-il pas un problème de niveau d'intervention qui pourrait gêner les Allemands ? En France, ces questions sont quasiment traitées au niveau présidentiel, alors qu'elles relèvent de l'administratif en Allemagne.

M. Joël Barre. - Mon interlocuteur allemand est le secrétaire d'État à la défense. Le système allemand est différent du nôtre, l'industrie y joue un rôle très puissant dans le processus de décision. Ici, la DGA est capable de discuter avec les industriels pied à pied, avec le soutien des pouvoirs publics, ce n'est pas le cas là-bas.

S'agissant des relations franco-britanniques, nous célébrerons en effet, en 2020, le dixième anniversaire des accords de Lancaster House. En tout état de cause, quelle que soit l'issue du Brexit, la France entend poursuivre la coopération bilatérale dans le domaine de la défense.

En matière d'armement, nous avons deux rendez-vous importants. Le premier aura lieu d'ici à la fin de l'année et concernera la guerre des mines du futur, à base de drones, avec des systèmes qui devraient être livrés dès 2022 à la marine. Il nous faut prendre une décision commune sur cette coopération et nos interlocuteurs britanniques devraient nous fournir une réponse d'ici à novembre.

Le deuxième rendez-vous est pour 2020 et concerne le lancement du programme des missiles antinavires et des missiles de croisière. Nous devons conclure une coopération à ce sujet. Les travaux de faisabilité sont en cours et les décisions devront intervenir au premier semestre de 2020.

S'agissant de l'avion de combat du futur, nous poursuivons a minima les actions de développement technologiques après l'échec que nous avons connu en matière de drone de combat, afin d'entretenir notre relation. Nous avons notre SCAF, les Britanniques développent le Tempest, et nous verrons si les programmes convergeront dans le futur.

Sur l'Espace, nous mettons en place une nouvelle stratégie spatiale de défense, qui consiste à renforcer la maîtrise de l'espace par la surveillance de ce qui s'y passe et à développer nos capacités de détection et de reconnaissance. Nous allons ainsi, par exemple, installer des caméras sur les satellites de télécommunication Syracuse 4 qui seront lancés en 2021 et en 2022. Enfin, nous étudions la possibilité de nous doter de capacités de réaction en légitime défense dans l'espace.

Le ministère consacrera 700 millions d'euros à cette stratégie sur la loi de programmation militaire jusqu'à 2025, en plus des crédits déjà prévus pour le renouvellement de l'existant.

S'agissant des questions industrielles, Photonis est une société spécialisée dans l'intensification de la lumière. Nous n'avons pas décrété qu'elle ne serait pas stratégique, nous savons que le fonds Ardian cherche à la mettre en vente et nous avons demandé à deux maîtres d'oeuvre compétents en matière d'optronique, Thalès et Safran, de se pencher sur le dossier. Soit ceux-ci s'entendent et rachètent cette entreprise, soit Ardian la revend à un fonds et, si celui-ci est étranger, nous appliquerons la réglementation en vigueur.

En matière de Soutex, nous avons engagé le renforcement des effectifs de la DGA. Je souhaite toutefois que l'on évite de cibler les effectifs de la direction vers le Soutex ou les programmes nationaux. Cela me paraît en effet être un non-sens dans la mesure où il n'y a pas de différence substantielle entre ces deux activités. Il est nécessaire que les agents de la DGA soient capables de faire l'un et l'autre, et beaucoup le font en pratique.

Le contrat inter-gouvernemental Camo est un bon exemple : la France achète pour la Belgique des véhicules SCORPION, mais que nous les achetions pour nous ou non, c'est pareil ! Il faut donc, à mon sens, mettre un terme à ce fléchage, et je veille à ce que les personnels de la DGA puissent traiter les deux dimensions.

En revanche, il faut prendre en compte l'impact de l'exportation sur les armées ; c'est pourquoi nous avons proposé à l'état-major de resserrer les liens entre nous en amont quand un prospect se révèle à l'export afin que nous évaluions son impact sur la fourniture des armées.

Sur le programme HIL, nous avons négocié pied à pied. Nous avons trouvé un accord sur le volet financier ainsi que sur la location préliminaire, ce qui a permis d'avancer le programme d'un an et l'échéance de mise en service de deux ans, grâce à une contribution d'Airbus Helicopters. C'est un bon accord.

Sur l'ONERA, nous sommes en train d'examiner le contrat d'objectifs et de performance 2017-2021, pour en faire une revoyure à mi-terme.

S'agissant du maintien en condition opérationnelle (MCO), nous privilégions maintenant les contrats globaux, à l'appui d'une stratégie de verticalisation afin de mieux responsabiliser les industriels en termes de performance. Nous avons mis cela en place, par exemple, avec le Rafale.

Nous veillons aussi au développement de la maintenance prédictive afin de faciliter le maintien en situation opérationnelle de nos armées. Nous devons donc définir notre stratégie de soutien, puis proposer les innovations technologiques correspondant aux performances que nous recherchons.

M. Olivier Cigolotti. - Ma question concerne la coopération bilatérale et notamment le programme Camo.

Vous êtes optimiste quant à la livraison des matériels Griffon. Il en faudra 128 l'année prochaine, puis Camo s'intégrera dans les capacités du programme. Nos industriels peuvent-ils faire face à de telles échéances ? Allons-nous pouvoir capitaliser sur la très belle réussite qu'est Camo ?

M. Gilbert-Luc Devinaz. - Sur les entreprises qui pourraient passer sous pavillon étranger, je n'ai pas compris comment vous entendiez défendre la souveraineté française en matière technique.

Sur la réforme de la DGA, Mme la ministre souhaite que l'État puisse bénéficier d'un retour sur investissement lorsque des perspectives d'exportation se concrétisent. Peut-on le mesurer et en avez-vous des exemples ?

M. Jacques Le Nay. - Plusieurs critiques ont été émises sur le drone MALE, notamment sur sa bimotorisation, qui le rend plus lourd que son concurrent américain. Comment préserver la compétitivité de ce produit à l'export ?

M. Olivier Cadic. - Vous comptez maintenir les efforts en cyberdéfense. J'ai visité le chantier du commandement de cyberdéfense, le Comcyber, à Rennes. Pouvez-vous nous dire où nous en sommes ? Quand les installations seront-elles prêtes ? Quel budget ce commandement se verra-t-il allouer ?

M. Richard Yung. - Vous avez évoqué les coopérations bilatérales et multilatérales dans le cadre européen. Qu'en est-il des coopérations dans le cadre de l'OTAN ?

M. Ronan Le Gleut. - En matière de financement de la recherche et du développement, après l'action préparatoire et le programme européen de développement industriel dans le domaine de la défense (PEDID), le Fonds européen de la défense doit voir le jour, doté potentiellement de 13 milliards d'euros. La présidente de la Commission européenne a en outre annoncé la création d'une nouvelle direction générale défense et espace. Comment va s'articuler, pour la DGA, la mise en oeuvre de ce fonds ?

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. - Qu'en est-il de la féminisation des effectifs ? Pouvez-vous nous présenter la répartition de la pyramide des responsabilités entre officiers, sous-officiers et personnel du rang ainsi que la répartition dans les trois armes ?

M. Joël Barre. - Je commence par la dernière question, qui est la plus difficile ! Je ne sais pas vous répondre sur la féminisation des armées, mais je vous adresserai une fiche sur la féminisation de la DGA. Au sein du ministère des armées, la DGA est plus féminine que d'autres.

Le Fonds européen de la défense est un enjeu majeur. Nous avons bien avancé s'agissant de l'action préparatoire sur la recherche en matière de défense et du programme européen de développement industriel dans le domaine de la défense (PEDID ou EDIDP en anglais). Nous avons obtenu que figure dans ce programme la contribution de la Commission européenne aux drones MALE et à la radio logicielle Essor. Nous sommes bien placés sur un certain nombre d'appels à projet qui sont en cours. Tout a donc très bien démarré, ce qui nous oblige à engager des actions de coopération avec des pays autres que les trois ou quatre grands avec lesquels nous travaillons régulièrement.

La mise en place de la nouvelle direction générale chargée de l'industrie, de la défense et de l'espace est en cours. J'espère que la France sera bien représentée dans les postes de responsabilité au sein de cette direction.

Il existe bien des programmes de coopération au sein de l'OTAN, par exemple celui qui concerne le système de détection et de commandement aéroporté (SDCA) - Awacs en anglais. Ils sont gérés par des agences de l'OTAN chargées de la maîtrise d'ouvrage. Les prochaines capacités porteront notamment sur les satellites de télécommunications, le système successeur du SDCA et la défense anti-missile. La coopération dans ce cadre se fait, en premier lieu, avec les Américains.

Pour ce qui concerne le Comcyber, je puis simplement vous dire que notre ministre se rendra à Rennes, demain, pour inaugurer le regroupement de ces installations dans cette ville - et non pas à Bruz, où nous sommes installés.

Nous voulons avoir un retour sur investissements à l'exportation de la part des industriels. Cela implique, lorsqu'il y a perspective d'exportation, un autofinancement du développement, la poursuite de la politique de redevance, des engagements de décroissance du prix de production des matériels destinés à nos armées en fonction des résultats à l'exportation. Nous avons commencé à appliquer ces mesures dans le cadre du programme missiles d'interception, de combat et d'autodéfense nouvelle génération (MICA-NG), qui a été lancé cette année.

Sur le programme belge de capacité motorisée (CaMo), les livraisons sont plus tardives que dans le cadre du programme SCORPION français. Nous avons donc vérifié, notamment lors de l'engagement du programme avec les industriels, que la capacité serait suffisante par rapport à nos objectifs.

Il me paraît important de capitaliser avec les Belges dans le domaine de l'armée de terre. Nous avons lancé les véhicules de combat Jaguar et Griffon, le véhicule blindé Serval, nous allons engager la rénovation du char Leclerc. Nous lancerons également le véhicule blindé d'aide à l'engagement (VBAE), qui remplacera le véhicule blindé léger (VBL). Nous avons donc des perspectives de coopération supplémentaires avec nos amis belges. Cela passe par un partenariat stratégique qui inclut les opérationnels. Nos deux armées de terre ont fait ainsi, la semaine dernière, un exercice commun visant à garantir une interopérabilité maximale.

Le MALE a deux moteurs, à la suite d'une décision de 2017. Ce véhicule est donc plus lourd et plus cher, mais il correspond à nos besoins, à condition que nous puissions tomber d'accord avec les industriels sur le rapport coût-efficacité.

M. Christian Cambon, président. - Qu'en est-il de certains missiles américains équipant nos aéronefs ?

M. Joël Barre. - Nous achetons américain dans certains cas de figure, lorsque nous ne pouvons pas faire autrement. Nous avons non pas un « tropisme américain », mais des points de dépendance.

M. Christian Cambon, président. - Merci, monsieur le délégué général.

Projet de loi de finances pour 2020 - Audition de Mme Claire Landais, secrétaire générale du SGDSN et de M. Julien Barnu, conseiller pour les questions numériques

M. Christian Cambon, président. - Nous recevons Mme Claire Landais, secrétaire générale de la défense et de la sécurité nationale sur les crédits de l'action 2 du programme 129 « Coordination du travail gouvernemental » de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » dans le projet de loi de finances pour 2020.

Madame la secrétaire générale, je suis heureux de vous accueillir. M. Guillaume Poupard, directeur général de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi), en déplacement à l'étranger, m'a fait part de son regret de ne pouvoir participer à cette audition pour laquelle vous accompagnent M. Julien Barnu, conseiller pour les industries numériques, et M. Gwenaël Jezequel, conseiller.

Avec vous, nous allons aborder l'évolution des crédits de l'action « Coordination de la sécurité et de la défense » des crédits du Premier ministre, qui regroupent les crédits du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), ceux de l'Anssi, les subventions à l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) et à l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ), et les crédits du groupement interministériel de contrôle (GIC).

Au sein de cette enveloppe, l'Anssi représente plus de la moitié des effectifs et le tiers des crédits. Nous suivons attentivement sa montée en puissance continue, compte tenu de l'accroissement de la menace cyber. Vous nous expliquerez comment sont financées les nombreuses priorités de la revue stratégique de cyberdéfense, de la directive sur la sécurité des réseaux et des systèmes d'information, dite « NIS », de la loi de programmation militaire et de la loi sur la sécurité des réseaux 5G.

Vous nous indiquerez comment se poursuit la montée en puissance du GIC, dans le cadre du renforcement des capacités juridiques et techniques de renseignement, puisque ce service à compétence nationale est adossé au SGDSN. Vous pourrez nous éclairer sur plusieurs sujets d'actualité.

S'agissant de la refonte des textes sur le secret défense, quelles sont les orientations ? Quand les nouveaux textes seront-ils publiés ?

Une réforme de l'IHEDN en préparation suscite une certaine inquiétude dans la communauté de défense. Comment est-elle conduite ? Quelle mission a été confiée au directeur de l'Institut ? Avec quels objectifs  et selon quel calendrier ?

Nous vous rappelons que cette audition fait l'objet d'un enregistrement vidéo et d'une diffusion sur le site internet du Sénat. Je vous laisse la parole.

Mme Claire Landais, secrétaire générale du SGDSN. - Les crédits alloués au SGDSN ne représentent qu'une petite fraction du budget de l'État, mais servent à financer des missions sensibles. Nous nous efforçons de les employer avec rigueur.

J'évoquerai quelques sujets d'actualité et relatifs aux grandes missions du SGDSN.

Notre budget est stable en valeur. Hors rémunérations et charges sociales, il s'élèvera à 231 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et à 197,44 millions en crédits de paiement (CP). À l'intérieur de cet agrégat, le budget du GIC, que nous administrons, mais qui relève directement du Premier ministre, s'établira à 16,97 millions d'euros en AE et à l'équivalent en CP.

Par rapport au projet de loi de finances pour 2019, notre budget est en hausse notable de 17,9 millions d'euros en AE. Cette augmentation s'explique par la reconduction prochaine du bail de l'immeuble, dit « tour Mercure », qu'occupe l'Anssi à Beaugrenelle.

La partie rémunération et charges sociales du budget s'établira à 80 millions d'euros. Elle est associée à un schéma d'emploi de 55 équivalents temps plein (ETP) complémentaires sur la sphère SGDSN. On observe une stabilité, voire de légères économies d'effectifs sur le SGDSN historique, une progression des effectifs du GIC à hauteur de 13 ETP pour 2020 et de 42 ETP pour l'Anssi. Le schéma d'emploi est donc comparable à celui arbitré en 2019. Au sein de la sphère du Premier ministre, cet effort porté sur le GIC et sur l'Anssi est notable.

La mission la plus ancienne du SGDSN, qui remonte à 1906, consiste à assurer le secrétariat du Conseil de défense et de sécurité nationale.

Le Conseil, depuis l'attentat de Nice de 2016, se réunit hebdomadairement, soit de 45 à 50 fois par an. Cet accroissement de la fréquence de réunion a entraîné une évolution de son fonctionnement et des sujets abordés. Ce rythme permet, à la fois, d'échanger sur des sujets structurants et dont l'instruction est longue, mais aussi d'intercaler des questions plus conjoncturelles ou urgentes. Le champ est donc plus vaste que lors des périodes antérieures, ce qui est dans la logique de l'ordonnance de 1959 et du code de la défense.

La défense nationale est en effet une notion inclusive, englobant la défense militaire, mais aussi la défense civile - nommée « sécurité nationale » depuis 2009 -, laquelle inclut la sécurité économique.

Le Conseil permet au Président de la République et au Premier ministre d'associer à leurs réflexions tous les ministres compétents sur les sujets prévus à l'ordre du jour. Il existe un noyau dur de ministres qui sont membres de droit du Conseil. Enfin, un article du code de la défense dispose qu'il est possible de réunir un Conseil restreint.

Il s'agit d'une instance de commandement : le Président de la République et le Premier ministre utilisent le Conseil de défense pour s'assurer que leurs instructions trouvent une traduction rapide dans l'action administrative. En qualité de secrétaire général de ce conseil, je veux souligner la difficulté d'assurer un très haut degré de confidentialité des travaux de cette instance, notamment des décisions que le Président de la République prend en son sein. Nous devons constamment gérer l'équilibre entre confidentialité et diffusion suffisante pour une mise en oeuvre efficace.

J'en viens à une mission historique du SGDSN : la protection de la sécurité de l'État. La préparation du sommet du G7 à Biarritz a largement occupé nos spécialistes de la planification de sécurité nationale et de la gestion de crise, qui ont apporté un soutien notable au ministère de l'intérieur. Le SGDSN a financé et contribué à préparer la conduite de deux exercices organisés pour la préfecture des Pyrénées-Atlantiques. Ces exercices, qui incluaient notamment un volet cyber, ont permis à l'ensemble des acteurs d'être parfaitement préparés à l'événement.

Le SGDSN a mis en ligne sur le site vigipirate.gouv.fr un MOOC, c'est-à-dire un outil de formation à distance sur la sécurité et la conduite à tenir en cas de situation de danger grave. Cette initiative inédite s'inscrit parfaitement dans notre objectif de sensibilisation de publics plus larges que notre public habituel, c'est-à-dire les services de l'État et les opérateurs d'importance vitale : les gestionnaires de salles de spectacles, les entreprises gérant des espaces ouverts au public, mais aussi le grand public lui-même. L'objectif est de donner des informations fiables sur la menace terroriste et des conseils de vigilance. Les premiers chiffres d'inscriptions sur le site - environ 5 000 en 10 jours - sont très prometteurs.

En 2015, nous avons aussi consenti des efforts très importants pour former l'ensemble des services de l'État à la gestion de crise. Nous avons lancé une nouvelle session, entièrement repensée de formation, notamment pour les acteurs de la cellule interministérielle de crise et des cellules ministérielles de crise.

Nous avons également diffusé une nouvelle circulaire relative à l'organisation gouvernementale pour la gestion des crises majeures. Celle-ci prend en compte les enseignements tirés des attentats survenus depuis 2015, et des grands événements, comme la COP 21 ou la tempête Irma en outre-mer, ce qui nous a, par exemple, permis d'inclure une dimension logistique plus importante dans nos dispositifs.

En amont de la gestion de crise, la planification se poursuit. L'accent a été mis en 2019 sur la sûreté des différents modes de transport, et sur la réponse à apporter à la menace variolique. Je rappelle que, le 12 juin 2019, l'Allemagne a démantelé un projet d'attentat à la ricine.

Un travail important de renforcement de la continuité des activités essentielles de la Nation a été également achevé, avec la révision des 22 directives nationales de sécurité qui constitue l'armature de la politique de sécurité des activités d'importance vitale.

Par ailleurs, nous avons lancé un travail de montée en puissance capacitaire et technologique en matière de protection en vue des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, mené en concertation étroite avec la dix-huitième filière labellisée, celle des industries de sécurité.

Enfin, la réforme de la réglementation du secret de la défense nationale a été engagée en 2015. Les articles 413-9 et suivants du code pénal définissent le secret de la défense nationale et le régime répressif de la compromission ; dans le code de la défense, on trouve la partie « haute » de la réglementation et un renvoi à une instruction interministérielle, l'IGI n° 1 300, qui date de 2011 et qui méritait rénovation.

Nous devons en effet faciliter les échanges d'informations classifiées avec nos partenaires étrangers, notamment anglo-saxons. Actuellement, nous avons trois niveaux de classification : défense, secret défense, très secret défense. Notre niveau habituel de maniement de l'information est le plus bas des trois, alors que c'est le niveau secret dans les pays anglo-saxons. Il est difficile pour nos partenaires de comprendre que le confidentiel défense est l'équivalent de leur secret. Nous avons donc dû rehausser notre niveau de protection : le maniement des documents est devenu très lourd par rapport au niveau de sensibilité de ceux-ci. Il faut procéder à un réajustement pour fluidifier nos échanges.

Par ailleurs, il faut prendre en compte la numérisation croissante des documents classifiés et assurer la sécurité informatique des moyens de gestion de ces documents.

Autre sujet important, la déclassification. À l'occasion de la réforme en cours de l'IGI n° 1 300, il faut se rappeler de l'importance et du caractère exorbitant du droit commun du secret de la défense nationale. On ne peut pas chercher à améliorer notre souveraineté nationale sans disposer des outils nécessaires, et le secret de la défense nationale en est un. Pour que ce secret ne soit pas galvaudé ou fragilisé, nous devons collectivement être extrêmement vertueux. La réforme de l'IGI n° 1 300 est une occasion de faire passer ce message de vertu nécessaire, qui doit s'appliquer tant à la classification qu'à la déclassification quand la sensibilité du document a disparu, pour permettre à des publics demandeurs - journalistes, historiens, parlementaires, juges - d'accéder à ces informations.

Sur cet aspect, les choses progressent, et nous avons passé une étape importante avec l'envoi du décret au Conseil d'État.

En ce qui concerne les affaires internationales stratégiques et technologiques, le contrôle des exportations de matériels de guerre est un enjeu important. Il relève de la Commission interministérielle d'étude de l'exportation des matériels de guerre (CIEEMG), composée de quatre membres à voix délibérative : le secrétariat général de la défense et la sécurité nationale, le ministère des armées, le ministère des affaires étrangères, le ministère de l'économie et des finances.

La commission se réunit sous deux formes assez différentes : dématérialisée, via le logiciel Sigale, qui permet d'instruire les demandes de licence, et physique, avec une réunion par mois pour examiner les dossiers les plus sensibles. D'août 2018 à juillet 2019, la CIEEMG a examiné 7 030 dossiers, en hausse de 11 % par rapport à la période précédente. Depuis la réforme de 2014, la demande de licence doit être faite avant la signature du contrat, qui n'est pas automatique. C'est la raison pour laquelle le nombre de dossiers est important. Sur les 7 030 dossiers, 5 090 sont des demandes de nouvelles licences et le reste des demandes de prorogation de licences expirées, le délai maximal d'une licence étant de trois ans.

La très grande majorité des demandes fait l'objet d'un traitement par la procédure dématérialisée, dite « en flux continu ». On remarque que 60 % des licences accordées sont assorties de conditions d'exécution, qui peuvent être très techniques, ou porter sur les usages et les destinataires potentiels. La CIEEMG s'est réunie en plénière à onze reprises, avec 58 dossiers en moyenne par séance ; elle s'est prononcée sur 486 dossiers. Les avis de la commission sont rendus dans un esprit de consensus ; si tel n'est pas le cas, le dossier est soumis à la délibération du cabinet du Premier ministre. Les jeux d'acteurs ne sont pas figés : ce n'est pas toujours le ministère de l'économie qui veut vendre, le ministère des affaires étrangères qui évoque le respect des engagements internationaux, et le ministère des armées qui ne tiendrait compte que de ses partenariats stratégiques ! Au contraire, une véritable discussion s'instaure.

L'arbitrage fonctionne avec un verrou d'entrée, qui est le respect de nos engagements internationaux, dont les deux principaux sont la position commune de 2008 de l'Union européenne et le traité sur le commerce des armes signé en 2014. Nous devons nous baser sur nos connaissances, lesquelles sont constituées de sources publiques - les documents produits par les experts de l'ONU, par exemple - et de nos sources propres, notamment fournies par nos services de renseignement, pour déterminer si l'équipement qui fait l'objet de la demande de licence est susceptible de conduire à un risque « prépondérant », pour reprendre les termes du traité sur le commerce des armes, ou « manifeste », pour reprendre ceux de la position commune, d'utilisation qui serait contraire à un certain nombre de principes du droit international, notamment en matière de droits de l'homme.

Les grands principes à respecter sont la discrimination entre les populations civiles et les combattants, la discrimination entre les objets civils et les objectifs militaires, l'interdiction de dommages collatéraux disproportionnés par rapport à l'avantage militaire attendu d'une attaque et le principe d'humanité, selon lequel il faut chercher à limiter les dommages collatéraux d'une attaque.

Si l'on considère que la demande de licence respecte nos engagements internationaux, d'autres considérations sont alors prises en compte : la sécurité de nos forces et de celles de nos alliés, la préservation de notre base industrielle et technologique de défense, et des considérations économiques. En effet, certains programmes dont nous avons besoin au niveau national ne sont économiquement rentables que si nous les exportons.

Le deuxième grand sujet dans le champ affaires internationales, stratégiques et technologiques est tout ce que l'on fait aujourd'hui sur la sécurité économique. C'est une mission sur laquelle Bercy, notamment la Direction générale des entreprises (DGE), a été conforté. La DGE bénéficie d'un relais interministériel au sein du SGDSN. Nous animons le Comité de liaison en matière de sécurité économique (Colisé) et nous réunissons régulièrement l'ensemble des partenaires ministériels intéressés.

Nous avons réalisé de gros progrès collectifs en termes d'identification des entités stratégiques à protéger et en termes de réflexion sur la palette des outils à mobiliser. Sont-ils suffisamment modernes et réactifs ? Avons-nous besoin d'outils complémentaires ? Comment rénover la protection du potentiel scientifique et technique (PPST) ? Idem en ce qui concerne la fluidité des relations entre les services de renseignement et ceux qui, dans les services de l'État, peuvent avoir les outils de remédiation.

Quant à l'Anssi, qui a fêté ses dix ans le 4 juin dernier, les médias se sont fait l'écho de son actualité. Je pense aux attaques contre Airbus, mais il existe aussi toute la partie immergée de l'iceberg, avec les attaques sur les services publics et les opérateurs d'importance vitale (OIV). C'est le coeur de l'Anssi, mais elle est parfois amenée à soutenir d'autres types d'acteurs dès lors que le risque serait systémique ou qu'il serait intéressant pour ses experts d'aller sur le terrain se rendre compte de la réalité de telle ou telle attaque. L'Anssi est absolument essentielle au sein du SGDSN pour nous aider à mobiliser l'intégralité des services de l'État. Dans ce domaine également, nous avons réalisé des progrès avec les nouvelles instances de gouvernance, qu'il s'agisse du centre de coordination des crises cyber (C4), des comités de pilotage de la cyberdéfense (COPIL cyber), etc. Je citerai deux acteurs pour qui la sécurité informatique n'est pas un réflexe premier, mais qui s'y mettent néanmoins avec beaucoup d'allant : la santé et l'éducation nationale.

Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, les observations que je souhaitais formuler. Si vous avez des questions sur le déploiement des sondes et sur le développement de la 5G, j'y répondrais volontiers.

M. Christian Cambon, président. - L'Assemblée nationale et le Sénat réfléchissent actuellement à de nouveaux moyens d'accroître le contrôle parlementaire, dans le respect des compétences du Gouvernement. Il était donc utile que chacun comprenne bien comment les choses fonctionnent.

M. Olivier Cadic, rapporteur pour avis. - Je remercie le Gouvernement d'avoir respecté ses engagements concernant le recrutement des effectifs de l'Anssi. Nous avons eu l'occasion d'alerter à plusieurs reprises le Gouvernement dans nos avis budgétaires sur la vulnérabilité des systèmes d'information de l'État et de faire des recommandations pour renforcer les capacités d'intervention de l'Anssi. À la suite de la cyberattaque contre Ariane l'an dernier, nous avons effectué un exercice d'audit et nous avons formulé avec mon collègue Rachel Mazuir un certain nombre de recommandations. La Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) nous a répondu, mais pas vos services. Pourrions-nous obtenir une réponse ?

Pour revenir à la lecture du programme annuel de performance, nous avons noté : « ainsi, bien que bénéficiant des travaux de transformation numérique de l'État, l'indicateur de maturité des systèmes d'information est négativement affecté par les disparités entre les périmètres ministériels et notamment des faibles moyens dédiés aux enjeux de sécurité des systèmes d'information dans certains ministères ». Quels sont les ministères les plus faibles ?

Le Gouvernement a mis en place une direction générale du numérique. Comment s'articulera-t-elle avec l'Anssi ? Sera-t-elle un partenaire en matière de sécurité ?

Vous avez mentionné le secteur de la santé qui pourrait effectivement être sujet à des cyberattaques. Néanmoins l'effort doit dépasser le simple cadre de ce ministère. Le Massachusetts Institute of Technology (MIT) en récupérant le fichier électoral et en le matchant avec les données statistiques des opérateurs de santé a réussi à générer 85 % des dossiers de santé des habitants du Massachusetts !

Vous avez aussi mentionné les récentes cyberattaques sur Airbus. Nombre des attaques du secteur technologique passent par des sous-traitants, qui sont plus vulnérables. Dans le domaine militaire, Mme Parly engage une politique de cybersécurité de bout en bout de la chaîne industrielle, englobant les fournisseurs et les sous- traitants. Le SGDSN et l'Anssi envisagent-ils d'imposer des règles plus strictes aux OIV et d'inciter les autres entreprises à procéder ainsi ?

Enfin, j'ai eu l'occasion de visiter en Israël Campus de Beer-Sheva qui réunit sur le même site les agences de cyber défense, des pôles universitaires et des pôles de recherche des entreprises. La France soutient-elle un tel projet ? Quelle contribution l'Anssi serait-elle en mesure d'apporter à des projets de ce type ?

M. Rachel Mazuir, rapporteur pour avis. - Le titre II diminue 17 millions d'euros alors que l'Anssi et le groupement interministériel de contrôle (GIC) doivent recruter. Avez-vous envisagé des redéploiements ? S'agissant du GIC, vous avez parlé de treize équivalents temps plein. Dix gendarmes sont transférés. Sont-ils compris dans les treize ETP ? Par ailleurs, je relève une baisse des crédits d'intervention, ainsi qu'un abaissement du plafond d'emplois à l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) et à l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ).

Mme Hélène Conway-Mouret. - Une sortie sans accord du Royaume-Uni de l'Union européenne aurait-elle un impact négatif sur les coopérations industrielles et la sécurité maritime ? M. Cambon vous a interrogé sur l'IHEDN. Nous attendons toujours votre réponse. Je vous ai questionné en début d'été par courrier sur les avantages d'une présence française au sein du Centre d'excellence européen pour la lutte contre les menaces hybrides, établi à Helsinki. Je sais que le point de blocage est la prise en charge financière d'une telle personne. Le dossier a-t-il avancé ?

M. Cédric Perrin. - Aux universités d'été de la Défense, le sujet des drones est revenu en force. La menace drone devient de plus en plus prégnante. Le SGDSN organise le 16 octobre une démonstration en vue des jeux Olympiques de 2024. Ne traitons-nous pas uniquement le bas du spectre ? Dans un contexte de prolifération des drones militaires, les moyens de l'État sont dispersés. La doctrine d'emploi est certes propre à chaque armée à chaque force de sécurité, mais ne faudrait-il pas mutualiser davantage l'innovation pour éviter de travailler en silos ? Comment percevez-vous l'avancement de la lutte antidrone ?

Depuis 2017, nous n'avons cessé de dénoncer le manque de moyens de surveillance du territoire national par des drones. La demande va profondément augmenter dans les années à venir. Nous n'avons plus de Harfang et le Reaper n'est pas autorisé à survoler le territoire national, sauf sur dérogation du ministre. Le drone MALE arrivera en 2025. Quid des futurs événements ? Comment allons-nous les surveiller ? Le Patroller est-il pris en considération ?

M. Jean-Marc Todeschini. - J'évoquerai l'actualité avec l'incendie de Rouen et celui de l'usine Euro-Composites hier à Echternach. Comment le SGDSN s'est-il engagé dans la gestion de la crise ? Faut-il réadapter les dispositifs pour la sécurité des sites Seveso ?

M. Robert del Picchia. - Doit-on s'inquiéter du fait qu'un pays européen comme l'Autriche ait décidé de confier la 5G à A1 Telekom Austria, qui a été rachetée par des Chinois ?

M. Ladislas Poniatowski. - Très bonne question !

M. Gilbert-Luc Devinaz. - Les évolutions technologiques peuvent-elles reléguer la notion de secret au rang des concepts dépassés ? Le Premier ministre dans une circulaire demandait à ses ministres de supprimer les structures dont la taille n'excédait pas 100 ETP, l'IHEDN et l'INHESS sont en-dessous de ce seuil. Pouvez-vous nous dire l'avenir de ces deux structures ?

M. Pascal Allizard. - Pouvez-vous nous préciser le fonctionnement et l'évolution du réseau de veille européen ? Comment sont traités les maillons faibles comme les sous-traitants d'entreprise et du ministère ?

Mme Christine Prunaud. - Ma question concerne le contrôle des ventes d'armes. En tant que parlementaires, ils nous semble que nous sommes éloignés des principes de respect de nos engagements internationaux et du traité sur le commerce des armes. Ce qui m'a étonné, c'est l'appréciation des risques par rapport aux populations civiles. Ceci justifie notre position en faveur de l'arrêt de ces ventes d'armes.

Mme Claire Landais. -Affirmer aujourd'hui que tous les ministères ont des capacités suffisantes pour que nous soyons sereins serait mentir. Le niveau de menace continue d'augmenter, les attaquants sont de plus en plus forts. Nous sommes dans une course constante pour rattraper le niveau de menace. Dans ces conditions, même des investissements conséquents ne seraient pas forcément suffisants.

Nous progressons dans la discussion collective, dans la prise de conscience et la capacité. On ne peut demander à certains ministères, dont le coeur de métier est plus éloigné de ces questions, la même chose qu'au ministère des armées. Il faut donc établir un partage des rôles avec l'Anssi. Ce travail d'articulation permettra d'optimiser les choses.

La question de la sécurité des systèmes d'information pose aussi celle de la gouvernance dans les ministères. Il est nécessaire, là encore, que les directions métiers soient présentes sur les sujets de sécurité informatique dès la conception des systèmes pour permettre aux DSI de suivre une démarche dite de Security by design.

Je ne suis pas capable de répondre à votre question sur le siège. Si Julien Barnu ne le pouvait pas non plus, nous vous ferions parvenir une réponse écrite...

Le décret nous a permis d'ancrer l'idée que le DGnum sollicite l'avis de l'Anssi avant tout projet informatique majeur au sein des services de l'État. Nous serons donc en mesure d'intervenir tôt dans le processus.

À la demande du Président de la République, nous travaillons sur un projet de campus cyber à la française, d'abord porté par le monde industriel, mais dans lequel l'Anssi aurait également sa place en termes de formation, de qualification de solutions...

Vous avez souligné la diminution des crédits de T2, alors même que notre schéma d'emplois est largement positif, avec plus de 52 emplois. Il s'agit d'une mesure de gestion liée aux conditions de remboursement par le SGDSN des militaires mis à disposition par le ministère des armées. Même avec 13 millions d'euros en moins, notre schéma d'emplois progressera. Par ailleurs, monsieur le rapporteur, les 13 ETP prévus pour le GIC sont bien hors gendarmes.

La circulaire du Premier ministre du 5 juin dernier nous invite tous à réfléchir sur le paysage institutionnel et notamment sur l'existence même de certaines entités de moins de 100 ETP. Cette réflexion sur la mutualisation est en cours, ce qui m'empêche de vous répondre clairement sur le sort de l'INHESJ. Tout le monde reconnaît le caractère essentiel des actions menées par cet établissement ces dernières années. La question est de savoir si ces missions doivent être nécessairement portées par un établissement public au sein des services du Premier ministre. D'autres modèles d'organisation sont envisageables pour mener ces missions de sensibilisation, de formation - en particulier pour les agents des ministères de l'intérieur et de la justice - et de rapprochement du monde académique de la décision publique. Certaines entités font déjà de la prospective et de la recherche. Il existe aussi d'autres ponts entre monde académique et ministères...

En revanche, l'IHEDN a été confirmé dans son existence et dans son positionnement au sein des services du Premier ministre. Dès l'origine, l'Institut a été pensé comme un outil interministériel. La défense nationale va bien au-delà de la seule défense militaire. Elle englobe des problématiques que d'autres ministères sont amenés à traiter. Le champ d'action de l'IHEDN est donc interministériel par nature et s'insère parfaitement au sein des services du Premier ministre.

Le directeur de l'Institut a reçu pour mandat de réfléchir à l'offre de formation de l'IHEDN pour couvrir l'intégralité de ces questions. Il existe une session cyber commune aux deux instituts. Il s'agit de couvrir l'ensemble des sujets de la sécurité nationale et des enjeux de souveraineté.

Dans le champ de la sécurité et de la défense, le Brexit sans accord ne constitue pas une inquiétude majeure. Les instruments utilisés sont largement bilatéraux. Une ordonnance a permis de transformer automatiquement le stock des licences de transfert en licences d'exportation, ce qui évite toute rupture.

Nous progressons plutôt bien sur les sujets essentiellement bilatéraux. Je pense notamment au traité de Lancaster House et aux questions de sécurité maritime, comme la possibilité de transporter des équipes armées sur les navires de passagers. Nous devons envoyer des signes au Royaume-Uni pour lui signifier que le Brexit ne distendra pas nos liens en la matière.

Je ne peux exclure que des difficultés puissent naître d'un engorgement potentiel des contrôles douaniers. De même, les sujets liés à la pêche risquent de donner lieu à des problèmes d'ordre public. Toutefois, ces questions ne relèvent pas vraiment de notre coeur de métier. Nous nous sommes essentiellement consacrés aux licences.

En ce qui concerne le centre d'excellence d'Helsinki, je ne suis pas en mesure de vous répondre sur le financement d'une mise à disposition. En revanche, nous sommes très investis dans ce centre que le ministère des armées finance en partie : nous sommes membres de son conseil d'administration et menons, en partenariat avec le centre, une réflexion sur les sujets de menace hybride.

La cellule interministérielle de crise n'est pas intervenue sur l'incendie du site Seveso de Rouen. Le SGDSN n'a donc pas été sollicité. Cela étant dit, cette situation nous invite à réfléchir collectivement aux installations les plus sensibles. J'évoquais voilà quelques instants la gestion de la communication de crise. Je crois que notre action en termes de sensibilisation des acteurs est importante, même dans ce type de crise qui n'entre pas vraiment dans notre champ de compétence.

Je ne peux dire que la question des équipements en 5G ne soit pas inquiétante. Les pouvoirs publics ont justement décidé de se doter d'un dispositif d'autorisation qui n'est pas orienté contre un équipementier en particulier, mais qui vise simplement à permettre à l'État d'examiner les demandes d'opérateurs et de s'assurer ainsi de la résilience et de la sécurité. Les opérateurs doivent superviser correctement leur réseau et ne pas perdre la main par rapport à leurs équipementiers.

D'autres sujets d'inquiétude accompagnent la rupture technologique que va permettre la 5G et notamment l'essor, dans les années à venir, des objets connectés. Nous avons renforcé notre vigilance sur la nature des équipements. L'Anssi instruira les demandes afin de s'assurer que nous soyons en mesure de contrer les risques d'espionnage ou de sabotage potentiels.

Je ne pense pas du tout que le secret de la défense nationale soit dépassé. Au contraire, il s'agit d'un besoin absolu pour l'exécutif. Tout ne peut se faire sous l'oeil du public. Il peut s'agir, par exemple, de la présence de nos forces spéciales sur un théâtre d'opérations, des plans d'une installation nucléaire civile ou d'un autre établissement sensible - les plans de Balard, par exemple, ne sont pas à mettre entre toutes les mains -, ou des mesures de protection que nous mettons en place, ou non, en cas de menace chimique ou bactériologique. J'ai choisi à dessein des exemples emblématiques, mais il en existe bien d'autres, notamment dans le champ des relations internationales et du nécessaire secret des négociations.

Le secret de la défense nationale reste une institution absolument essentielle dont l'actualité est très forte. Toute la question est de placer la limite au bon endroit et de ne pas l'utiliser à d'autres fins que la protection des intérêts fondamentaux de la nation.

La commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériels de guerre s'appuie principalement sur deux instruments : la position commune et le traité sur le commerce des armes. J'aurais dû préciser qu'il en existe d'autres, comme l'embargo, par exemple, qui coupe court à toute discussion.

Enfin, madame la sénatrice, j'ai simplement voulu dire que le droit international humanitaire n'interdisait pas les dommages collatéraux par principe. Il interdit de cibler les populations civiles. Des dommages collatéraux peuvent résulter d'une attaque visant un objectif militaire. Le droit international demande alors que ces dommages soient proportionnés à l'avantage militaire attendu de l'attaque. Il ne s'agit pas d'une science mathématique et je ne peux me prononcer sur les aspects d'opportunité politique. Cibler des populations civiles est un crime de guerre, sévèrement puni par notre droit.

M. Julien Barnu, conseiller pour les questions industrielles et numériques auprès de la secrétaire générale du SGDSN. - La sécurité des réseaux de l'État, des réseaux ministériels, est un sujet inquiétant depuis plusieurs années. Nous menons un gros travail depuis un an sur la rénovation de la gouvernance des systèmes d'information de l'État.

Nous ne souffrons pas tant d'un manque de moyens cyber que d'un manque de formation et de prise en compte des problématiques de sécurité par les équipes informatiques au sein des DSI et des directions métiers, par ceux qui construisent les systèmes. Ces derniers, dès leur conception, ne sont pas suffisamment sécurisés, ce qui les expose davantage aux attaques.

On se rend parfois compte de leur fragilité - après un audit de l'Anssi - deux mois seulement avant leur lancement. Il est évidemment beaucoup plus facile de corriger ses faiblesses dès la conception du système plutôt que d'attendre sa mise en place. Ces questions de sécurité doivent être mieux prises en compte dans chaque ministère, à travers des recrutements de personnes formées au cyber et la formation des informaticiens en place, raison pour laquelle l'Anssi a décidé d'ouvrir son centre de formation à tous les ministères.

Par ailleurs, comme l'a souligné la secrétaire générale, l'Agence sera dorénavant systématiquement saisie pour avis dès la conception d'un projet informatique majeur. Il s'agit d'une arme importante.

Cela ne veut pas dire qu'il n'y a rien à faire en termes de cybersécurité. Nous devons améliorer la détection informatique face aux attaques. Nous sommes en train d'établir un partage plus clair des responsabilités entre l'Anssi et les ministères, au cas par cas. Le ministère des armées, par exemple, ou le ministère de l'intérieur, souhaitent aller très loin. C'est une bonne chose, car nous n'avons pas vocation à superviser des systèmes déployés par les forces armées. Ces deux ministères vont donc s'appuyer sur leurs propres centres de détection des attaques, leurs propres systèmes de supervision et parfois même leurs propres capacités de remédiation.

D'autres ministères n'ont pas les mêmes moyens. Déployer un expert cyber de pointe au sein de chacun d'entre eux constituerait une perte évidente en termes de mutualisation et d'utilisation des ressources de l'État. Il faut donc mettre en place une ligne de partage laissant à l'Anssi davantage de place en cas d'attaque informatique.

Il y a eu des dysfonctionnements très clairs avec Ariane. Heureusement, il s'agit d'une exception. L'Anssi est souvent prévenue en premier en cas d'attaque informatique pour aider et communiquer.

Comme l'a souligné Guillaume Poupard l'année dernière, la question des sous-traitants reste inquiétante. Plutôt que d'attaquer directement leur cible, les attaquants s'en prennent de plus en plus souvent à leurs sous-traitants, à leurs prestataires d'infogérance. Ils pénètrent leur système soit pour capter directement des données, comme dans le cas de Deloitte, soit pour pénétrer indirectement celui de la cible - ou des cibles, certains prestataires travaillant pour de nombreuses entreprises et OIV.

Les dispositions cyber issues de la loi de programmation militaire de 2013 s'appliquent aux systèmes d'information d'importance vitale et aux sous-traitants concernés. Se pose ensuite la question plus complexe de savoir comment l'Anssi les contrôle, car l'Agence ne contrôle que les OIV eux-mêmes...

Pour autant, cela ne résout pas tout. Très souvent, les attaquants ne rentrent pas sur le SIV, mais sur le réseau informatique classique du sous-traitant. L'Anssi travaille à un référentiel à même de qualifier les prestataires d'infogérance qui ont des droits énormes sur les systèmes de leurs clients. Demain, certains de ces prestataires seront donc qualifiés par l'Anssi, à condition qu'ils respectent un référentiel répondant aux exigences de sécurité. Aujourd'hui, il n'existe aucun référentiel ni aucun critère de qualification.

Nous pourrons également nous appuyer sur un retour d'expérience. Les prestataires jouent-ils le jeu ? Ce dispositif permet-il vraiment d'améliorer le niveau de sécurité ? C'est le pari que nous faisons. Dans le cas contraire, nous pourrons réfléchir à l'élaboration d'un nouveau dispositif réglementaire pour inclure très explicitement les prestataires. Réaliser un audit est extrêmement invasif. Il faut donc faire appel à des personnes qualifiées. Faire de l'infogérance est aussi une activité extrêmement sensible qui mérite une qualification.

M. Gwénaël Jézéquel, conseiller pour les relations institutionnelles auprès de la secrétaire générale du SGDSN. - M. Perrin pose deux questions distinctes : celle de l'utilisation des drones comme moyen de surveillance et celle de la lutte contre les drones comme moyen d'attaque terroriste. Ce dernier aspect concerne au premier chef le SGDSN dans sa compétence de protection de la sécurité de l'État.

Nous nous intéressons prioritairement au bas du spectre. Le haut du spectre, c'est-à-dire l'idée d'un drone lourdement armé qui attaquerait le territoire national, est une des missions de l'état-major des armées, et plus particulièrement de l'armée de l'air.

En ce qui concerne la mutualisation de l'innovation, tout dépend de la façon dont le dossier est traité depuis l'origine. Pour répondre à la question des survols interdits d'installations sensibles par de petits drones, notamment les centrales de production nucléaire, l'Agence nationale de la recherche, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques et le SGDSN ont mené un travail collectif. Ils ont fait apparaître trois technologies complémentaires pour neutraliser d'éventuelles attaques terroristes utilisant des drones. Depuis le début, la question de la mutualisation de l'innovation est au centre du projet. Elle se concrétisera lors de l'expérimentation que vous avez déjà évoquée, à Avignon.

La surveillance du territoire est principalement assurée par des avions à voilure fixe de l'armée de l'air. À ma connaissance, cette mission est balisée depuis 1999. Il existe un protocole entre le ministère des armées et les ministères civils. Sans trahir de secret, il n'est pas rare que l'armée de l'air survole des objectifs intéressant, par exemple, le ministère du budget, et plus précisément l'administration des douanes. Je pense aussi à des objectifs propres au ministère de l'intérieur. Cette mission est donc d'ores et déjà assurée.

Les drones sont aujourd'hui certifiés en navigabilité. Par contre, ils n'ont pas l'autorisation de circuler librement. Ils ne peuvent s'insérer dans la circulation aérienne normale sur le territoire de l'Union européenne. Des expérimentations sont en cours pour aménager à la marge les systèmes de vol. À moyen terme, l'objectif est de permettre leur insertion dans la circulation aérienne. Cela n'a rien à voir avec la couverture d'un événement particulier, laquelle relève d'un régime réglementaire dérogatoire. Nous savons surveiller un événement particulier avec des drones.

M. Christian Cambon, président. - Nous vous remercions d'avoir bien voulu répondre à nos questions. La protection du territoire national, sous tous ses aspects, fait l'objet d'une attention particulière de notre commission. Il est essentiel que les moyens qui vous sont alloués dans le budget vous permettent de faire face à ces missions.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Conférence interparlementaire sur la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et sur la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) - Communication

M. Christian Cambon, président. - Nous allons maintenant entendre une communication de MM. Joël Guerriau et Ronan Le Gleut et de Mme Gisèle Jourda à la suite de leur déplacement à Helsinki.

M. Joël Guerriau. - Nous nous sommes rendus, avec Ronan Le Gleut et Gisèle Jourda, à la quinzième Conférence interparlementaire sur la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et la politique de sécurité et de défense commune (PSDC), qui s'est tenue à Helsinki dans le cadre de la présidence finlandaise de l'Union européenne, du 4 au 6 septembre dernier. Il s'agit de la réunion des commissions chargées des affaires étrangères des 28 États membres.

Cette conférence a permis d'échanger sur les stratégies de l'Union européenne en matière diplomatique et de défense, et d'interroger la Haute représentante sur ses priorités, ce qui est prévu par le règlement de la Conférence et se fait généralement par vidéo interposée.

La Conférence s'est distinguée des précédentes par la présence du Président de la République de Finlande, personnalité très influente, sans équivalent en Europe du nord, disposant d'importants pouvoirs en matière de politique étrangère et d'une forte légitimité - il a été réélu par les Finlandais, au premier tour de l'élection présidentielle de 2018 avec 63 % des voix.

Sa vision stratégique converge de manière frappante avec la nôtre, notamment dans le domaine de la défense européenne : il faut sortir du triangle Washington-Pékin-Moscou, nous a-t-il expliqué, pour faire émerger un quatrième pôle, européen, et s'affirmer ainsi en tant qu'acteurs, plutôt que sujets, des relations internationales.

Vis-à-vis de Moscou, la Finlande partage la position de « dialogue et fermeté » de la France. Elle est un partenaire important des relations avec la Russie, compte tenu de sa frontière longue de 1 400 kilomètres avec ce pays et de sa connaissance fine des arcanes du dialogue avec Moscou.

Les différents ateliers ont permis d'échanger sur les priorités retenues par la présidence finlandaise. Je pense notamment à l'Arctique, région cruciale pour l'avenir de la planète, qualifiée par Michel Rocard de « deuxième Moyen-Orient » : la situation y est préoccupante avec des températures qui augmentent deux fois plus vite en moyenne que dans le reste du monde.

L'augmentation du stationnement des forces militaires russes dans cette région inquiète. Les Russes ont en effet construit ou rouvert des bases militaires et créé un district militaire de l'Arctique russe. Cette militarisation tend à s'étendre à la Baltique. À défaut de pouvoir inverser les grandes tendances, la coopération régionale au travers du Conseil de l'Arctique permet de maintenir un dialogue. Une approche pragmatique permet d'avancer avec la Russie et les États-Unis, sur des points précis tels que la réduction des émissions de charbon noir qui accélèrent la fonte des glaces.

C'est un enjeu géostratégique majeur pris en compte par la France, avec une Feuille de route nationale sur l'Arctique et une stratégie pour l'Arctique du ministère de la défense. Un bâtiment de la marine nationale a franchi il y a un an le passage Nord-Est : c'était le premier navire militaire non russe à emprunter cette voie en autonomie.

Je pense aussi à l'avenir de la défense européenne. La Conférence a mis l'accent, sans surprise, sur la nécessaire coordination avec l'OTAN et la restauration d'une unité transatlantique sur la scène internationale. Mais les avancées dans le domaine de la défense européenne ont été saluées. Elles doivent néanmoins être consolidées. Nathalie Loiseau, présidente de la sous-commission « sécurité et défense » du Parlement européen, a résumé le sentiment général par cette phrase : « Il n'y a pas de grands et de petits pays en Europe, il n'y a que des petits pays ou des pays qui ne savent pas encore qu'ils sont petits... »

Enfin, je terminerai sur la problématique des Balkans occidentaux, très présente à chacune de ces conférences interparlementaires, les pays candidats y assistant en tant qu'observateurs. Ces pays candidats sont soutenus par une majorité de pays présents, ainsi que par les institutions de l'Union européenne, au nom de la réconciliation et de la démocratisation.

La Conférence d'Helsinki a permis de mesurer encore une fois ce fort soutien à l'élargissement comme objectif politique, permettant la stabilité de cette région et d'y faire progresser la démocratie ainsi que l'État de droit. L'Accord de Prespa entre la Grèce et la Macédoine du Nord est un bon exemple de ce que permet la fameuse « perspective européenne ».

Nous avons en France quelques réticences à la poursuite de l'élargissement, surtout dans le contexte actuel du Brexit. Mais d'autres États membres sont sensibles aux aspirations des pays candidats. Cette question sera prochainement à l'agenda de la nouvelle Commission, présidée par Ursula Von der Leyen. La nouvelle stratégie de la France pour les Balkans occidentaux, lancée récemment par le Président de la République, doit être l'occasion de resserrer les liens avec ces pays et d'y renforcer notre présence diplomatique, économique et culturelle, comme en témoigne la récente visite du Président de la République en Serbie.

M. Ronan Le Gleut. - La Conférence interparlementaire permet par ailleurs d'instituer un dialogue régulier avec nos homologues, de créer un réseau de parlementaires européens à même d'échanger sur les sujets d'intérêt commun qui sont nombreux, en particulier dans le domaine des affaires étrangères et de la défense, étant confrontés aux mêmes menaces.

Ces échanges viennent compléter utilement les déplacements que nous effectuons pour préparer nos rapports et les rencontres avec les délégations étrangères que nous recevons à Paris. Dans notre rapport récent sur la défense européenne, avec Hélène Conway-Mouret, nous avons souligné combien ces relations étaient nécessaires pour forger la « culture stratégique commune » que la France appelle de ses voeux.

Cette conférence interparlementaire nous a permis, en particulier, de prendre la mesure du dynamisme des relations de défense entre la France et la Finlande. Cette bonne relation a des fondements historiques, puisque la France a été le premier pays, avec la Suède, à reconnaître, le 4 janvier 1918, l'indépendance de la Finlande.

Notre relation a été redynamisée depuis quelques années. Le Président de la République s'est rendu à Helsinki en 2018 : c'était la première visite présidentielle dans ce pays depuis celle de Jacques Chirac en 1999. Une déclaration commune franco-finlandaise sur la défense européenne a été adoptée. On observe aussi une vraie volonté, de la part de la Finlande, de soutenir la France.

Ainsi, à la suite de l'invocation de l'article 42 paragraphe 7 du traité sur l'Union européenne par François Hollande, la Finlande a déployé une compagnie au Liban au sein de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL), dont l'engagement a été récemment prolongé.

En outre, la Finlande adhère à l'Initiative européenne d'intervention (IEI).

Sur le plan industriel et capacitaire, une opportunité se présente avec le projet de renouvellement de la flotte d'avions de combat finlandais pour lequel Dassault présente le Rafale. C'est l'occasion de bâtir une relation de défense plus étroite au travers d'un partenariat stratégique et d'accroître la présence française et son influence dans l'espace baltique.

Il est important que nous nous impliquions nous aussi, en tant que parlementaires, dans le dynamisme de cette relation franco-finlandaise. C'est pourquoi, au nom et sur l'initiative du Président Christian Cambon, j'ai invité des représentants de la commission des affaires étrangères du Parlement monocaméral de Finlande à venir nous rencontrer à Paris.

Mme Gisèle Jourda. - La Conférence interparlementaire a permis d'aborder la question de la menace hybride lors d'un atelier consacré à ce thème. Par ailleurs, nous avons demandé à visiter le centre d'excellence pour les menaces hybrides d'Helsinki.

Ce centre a été créé il y a deux ans, en application de la déclaration conjointe UE-OTAN signée à Varsovie en 2016. C'est une organisation de droit finlandais, financée à 50 % par les États membres et à 50 % par l'État hôte. Son effectif est de 27 personnes et son budget de 3 millions d'euros. Il s'agit donc d'une petite structure de coordination, un « facilitateur neutre » des relations entre l'Union européenne et l'OTAN.

Le centre d'excellence pour la menace hybride coopère avec les centres d'excellence de l'OTAN, mais joue un rôle, probablement plus modeste de coordination. Il anime un réseau constitué d'environ un millier d'experts. Le centre tend à rassembler les connaissances existantes sur la menace hybride et à proposer des langages et cadres juridiques communs à l'UE et à l'OTAN.

La menace hybride est multiforme. Elle se définit comme une action coordonnée, sous le seuil de déclenchement d'un conflit armé, visant à créer de la confusion pour influencer le processus de prise de décision.

La Russie a une stratégie hybride bien connue, particulièrement active dans le domaine cyber et en matière de désinformation. D'autres acteurs étatiques mènent des actions plus discrètes, mais tout aussi préoccupantes.

La Chine a une stratégie de soft power tous azimuts, située dans une « zone grise », où elle exploite les possibilités des sociétés et économies libérales. Sa stratégie d'influence s'accompagne de cyberattaques. Comme cela a été récemment révélé, elle est notamment tenue pour responsable d'incursions dans le réseau informatique du Parlement australien.

Enfin, il existe un troisième type de menace hybride, provenant d'acteurs non étatiques, infranationaux ou transnationaux, tels que les réseaux salafistes.

Pour alerter sur cette menace, il est nécessaire d'agir sur les acteurs intermédiaires à même de s'adresser à l'opinion : élus, acteurs de l'enseignement, médias, réseaux sociaux... La France a été citée comme un modèle en matière d'éducation à la désinformation.

La France a financé et accompagné la mise en place du centre d'excellence, mais nous n'y disposons encore d'aucun représentant. Par ailleurs, j'ai interrogé les responsables du centre sur les raisons pour lesquelles ils ne s'appuyaient pas sur les réseaux de renseignement pour collecter des données. L'explication fut en demi-teinte...

Pour apporter des réponses, il faut d'abord pouvoir détecter la menace suffisamment tôt, puis mener des stratégies de dissuasion et de riposte. C'est à ce travail que contribue le centre d'excellence pour les menaces hybrides, mais seuls les États membres, rassemblés, pourront lutter efficacement.

L'article 42 paragraphe 7 du traité sur l'Union européenne, qui est la clause de solidarité entre pays de l'UE, peut aussi y contribuer. C'est une piste qui doit être étudiée.

M. Joël Guerriau. - Tout en mettant l'accent sur les problématiques de l'Europe du Nord, cette conférence interparlementaire s'est donc inscrite dans la lignée des précédentes, auxquelles la commission a participé depuis sa création en 2012, et auxquelles je participe depuis 2014. Comme c'est le cas régulièrement ces dernières années, la présidence a publié une déclaration consensuelle.

Je terminerai en précisant que notre délégation était accompagnée pour la première fois du président de la commission des affaires européennes, M. Jean Bizet, inscrit sur le quota des députés. La France avait donc, de façon inhabituelle, trois chefs de délégation - deux sénateurs et un député -, situation difficilement compréhensible par nos collègues européens et donc difficilement reconductible à l'avenir.

La Conférence interparlementaire sur la PESC-PSDC a remplacé en 2012 la conférence des présidents des commissions des affaires étrangères et celle des présidents des commissions de la défense. Chaque État membre y est représenté par six délégués des commissions en charge des affaires étrangères et de la défense de chaque pays.

Il existe d'ailleurs deux autres conférences interparlementaires de ce type : la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC), qui réunit les commissions chargées des affaires européennes et la Conférence sur la stabilité, la coordination économique et la gouvernance au sein de l'Union européenne, créée par l'article 13 du traité, à laquelle se rendent régulièrement nos collègues de la commission des finances.

Il me paraît essentiel que les commissions « sectorielles », compétentes au fond, puissent ainsi poursuivre le dialogue avec leurs homologues des autres Etats-membres. Étaient présentes d'ailleurs en l'espèce, comme c'est l'habitude, des délégations composées de membres des commissions des affaires étrangères ou de la défense des États membres.

M. Christian Cambon, président. - La COSAC est composée de représentants des commissions des affaires européennes, mais s'agissant de la conférence sur la PSDC, la présence exclusive de représentants des commissions des affaires étrangères me semble naturellement devoir être maintenue, non seulement pour les contacts qu'elles permettent de nouer, mais aussi pour les sujets qui y sont évoqués.

M. Pascal Allizard. - Les hasards du calendrier ont fait que je me trouvais à Helsinki un jour ou deux après nos collègues, au titre de la commission des affaires européennes, mais surtout en tant que vice-président de l'OSCE, pour une conférence interparlementaire organisée par la présidence finlandaise sur la problématique des migrations.

Les questions liées à la situation sur la Baltique et à la proximité de la Russie ont été parfaitement exposées par nos collègues. Il est effectivement très inquiétant de voir le réarmement en cours sur la Baltique, tant du côté OTAN que du côté russe. Il ne fait pas bon d'habiter l'Écosse ou l'Allemagne...

En outre, on ne peut organiser une conférence interparlementaire sur les migrations à Helsinki sans s'intéresser aux problèmes Nord-Sud. Il faut régulièrement le rappeler. J'ajouterai que la présidence finlandaise est quelque peu tronquée : elle a débuté le 1er juillet, mais la nouvelle Commission ne prendra ses fonctions que le 1er novembre.

Désignation de rapporteurs

M. Christian Cambon, président. - La commission nomme rapporteurs :

- M. Joël Guerriau sur le projet de loi n° 647 (2018-2019) autorisant la ratification de l'accord de partenariat global et renforcé entre l'Union européenne et la Communauté européenne de l'énergie atomique et leurs États membres, d'une part, et la République d'Arménie, d'autre part ;

- M. Olivier Cigolotti sur le projet de loi n° 705 (2018-2019) autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Burkina Faso et de la convention d'extradition entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Burkina Faso, et le projet de loi n° 709 (2018-2019) autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Niger et de la convention d'extradition entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Niger ;

- M. Pascal Allizard sur le projet de loi n° 694 (2018-2019) autorisant la ratification de l'accord économique et commercial global entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et le Canada, d'autre part, et de l'accord de partenariat stratégique entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et le Canada, d'autre part.

La réunion est close à 12 h 45.