Jeudi 20 février 2020

- Présidence de Mme Josiane Costes, vice-présidente -

Table ronde : « Grand Paris : une gouvernance à l'échelle territoriale ? »

Mme Josiane Costes, présidente. - Tout d'abord, je vous prie d'excuser l'absence du président Jean-Marie Bockel. Je présiderai cette réunion en qualité de vice-présidente de la délégation mais aussi de sénatrice du Cantal. À ce titre, je peux vous assurer que, vu du Cantal, Paris et le Grand Paris nous intéressent !

Notre délégation a désigné, le 8 octobre 2019, MM. François Calvet, Philippe Dallier, Christian Manable et Pascal Savoldelli rapporteurs sur le dossier de l'organisation du Grand Paris. Dans la foulée, nous avions auditionné M. Patrick Ollier, président de la métropole du Grand Paris, sur l'actualité et les enjeux des métropoles.

Nous poursuivons aujourd'hui ce travail, alors que le calendrier électoral et législatif s'annonce très dense. En effet, l'année 2020 verra succéder aux élections municipales de mars une séquence gouvernementale de concertation sur la gouvernance du Grand Paris entre Sébastien Lecornu, ministre chargé des collectivités territoriales, et les élus franciliens.

Pour préparer la discussion parlementaire du futur projet de loi « 3D » - décentralisation, différenciation, déconcentration - et compte tenu de la période pré-électorale, la délégation a décidé de donner de la perspective au sujet en conviant des personnalités qualifiées, mais non « politiques », pour évoquer, dans une approche pluridisciplinaire, la construction du territoire et sa gouvernance.

Parmi les thèmes à aborder, citons la gouvernance interne et les organes qui la composent : conseil métropolitain, conseil de développement, conseils de territoire, assemblée des maires. On pourra également s'intéresser aux relations de la métropole avec les autres collectivités de la région Île-de-France et, plus globalement, à son apport pour Paris et sa région. Cette liste n'est pas exhaustive et nos rapporteurs la complèteront avec leurs propres questions et observations.

Pour lancer cette table ronde, qui, je le rappelle, est ouverte à la presse et retransmise en vidéo sur le site internet du Sénat, nous avons invité quatre personnalités qui, chacune dans leur domaine, ont produit des travaux ou formulé des propositions sur « l'évolution institutionnelle du Grand Paris », pour reprendre les termes du Président de la République dans la lettre de mission qu'il vous avait confiée en 2018, Monsieur Roland Castro. Le 31 juillet 2018, vous avez remis votre rapport, intitulé : « Du grand Paris à Paris en Grand ». Vous y exposez une réflexion urbaine et de grands projets d'aménagement, expliquant notamment que « la beauté et l'urbanité font bon ménage avec la société », ou que « plus c'est moche, moins on vote ». Ce qui nous intéresse tout particulièrement, c'est votre point de vue d'architecte urbaniste et votre proposition de « fabriquer une rêverie et une méthode démocratique ». C'est en effet un enjeu essentiel pour les citoyens.

De manière complémentaire, Madame Dominique Alba, vous dirigez l'Atelier parisien d'urbanisme (APUR) et faites le constat que le Grand Paris s'est essentiellement construit sur la base d'une planification normative et d'opérations d'aménagement rendues toujours plus uniformes. Vous proposez pour l'avenir une planification inventive, ouverte à la création et à la co-construction. Quelle gouvernance pourra encourager ce mouvement ? Votre avis nous intéresse.

Monsieur Philippe Subra, vous êtes géographe et vous vous êtes intéressé au Grand Paris sous l'angle des stratégies urbaines et des rivalités géopolitiques. Dès 2009, vous aviez dressé le scénario d'une prise de pouvoir par l'État et appelé de vos voeux « un Grand Paris des élus face au Grand Paris de l'État ». Avec le recul, qu'en est-il aujourd'hui ?

Monsieur Olivier Renaudie, vous êtes professeur de droit public à l'université Paris I Panthéon-Sorbonne. Vous travaillez notamment sur la réforme territoriale et la différenciation, dont le statut institutionnel du Grand Paris est une illustration juridique concrète. Vous avez le sens de la formule en indiquant que « l'organisation politico-administrative de l'Île-de-France n'est plus un millefeuille, c'est un crumble ». Selon vous, le Grand Paris est un édifice juridique « baroque » aux compétences limitées. Votre avis de juriste sur les évolutions institutionnelles utiles nous sera précieux.

Je vous propose de structurer nos échanges en deux séquences : une première consacrée aux grands projets et méthodes démocratiques ; une seconde plus institutionnelle et universitaire.

M. Roland Castro, architecte et urbaniste, auteur du rapport sur l'évolution institutionnelle du Grand Paris pour le Président de la République (2018). - « Plus c'est moche, moins on vote. » Je suis comme tout le monde, je n'ai pas beaucoup de certitudes. Mais moi qui travaille sur le Grand Paris depuis 1981 - à l'appel impératif et muet de la victoire de François Mitterrand, j'ai lancé le mouvement Banlieues 89 et annoncé que la grande vision du septennat serait les banlieues ; puis, en 1983, un premier plan a été remis après que l'association a organisé une visite en banlieue du Président de la République, en lui faisant visiter 4 000 logements géniaux à Châtenay-Malabry et 4 000 logements ignobles à La Courneuve -, j'ai deux preuves qui me permettent d'avancer une telle affirmation.

Première preuve : dans le cadre de Banlieues 89, nous avions lancé des projets dans toutes les villes de banlieue. Au bout de 100 projets, nous avions constaté que, dans les quartiers concernés, partout où les maires, qu'ils soient de droite ou de gauche, menaient un important travail urbain, le vote en faveur du Front national baissait de 30 %. Mais cette nouvelle, qui me fit entrer triomphal dans le bureau de François Mitterrand, n'arrangeait pas le Président, alors, comme par hasard, les crédits ont disparu et tout s'est arrêté !

Deuxième preuve, plus personnelle : au moment des émeutes de 2005 - un véritable état de guerre -, il ne se passa rien dans les dix villes où j'avais mené des projets de transformation de quartiers. Or, à l'époque, les gens s'en sont pris au centre commercial, à la cafétéria, à l'école près de chez eux ; ils s'en sont pris à eux-mêmes... Cela prouve bien que la beauté pacifie.

Ces quelques preuves m'ont conforté dans mes certitudes sur le rapport qui existe entre désenclavement, beauté des lieux, citoyenneté et citadinité.

Dans le rapport que j'ai remis au Président de la République - j'en suis à mon troisième président : François Mitterrand ; Nicolas Sarkozy, qui a eu la grande intelligence de relancer le Grand Paris ; Emmanuel Macron aujourd'hui -, je crois avoir trouvé une orientation intéressante. Pour résumer, il me semble que le général de Gaulle, en partenariat avec les communistes, a commis une énorme bêtise en supprimant le département de la Seine. Celui-ci permettait, à l'époque d'Henri Sellier, de prendre de l'argent au centre de Paris pour créer les cités-jardins, qui sont parmi l'habitat le plus beau qui ait jamais été réalisé en matière d'habitat social. En outre, cette disparition a conduit à la création de la Seine-Saint-Denis et des Hauts-de-Seine, pratiquement un département sécessionniste, dans une sorte de tentative de fabriquer un Grand Paris des riches en allant vers l'ouest.

Dans mon rapport, je propose donc de bien identifier ce qui peut être fait par l'État, par les maires et par les citoyens.

L'État doit casser les corporatismes et, sur un certain nombre de sujets, donner des ordres sans rechercher la concertation. Il faut virer les militaires des forts, les plus beaux lieux de mise en scène de la métropole. Il faut exiger du port autonome qu'il ne soit plus autonome et qu'enfin on laisse des bateaux-bus circuler sur la Seine.

Les maires doivent créer des coalitions par projets. Prenons l'exemple des ponts : il y en a un tous les 300 mètres dans Paris et un tous les 4 kilomètres en banlieue ; tous les maires de la communauté d'agglomération Seine Amont devraient s'unir autour de cette question. Il faut aussi créer des chaînes de maires autour de la question des grands aéroports, des promontoires ou encore de l'A86, un projet qui me tient à coeur.

Les citoyens, enfin. Un travail immense doit être réalisé autour de la fabrication d'une oasis métropolitaine. Des choses merveilleuses se font en ce sens à la Ville de Paris, comme par exemple le permis de planter.

En combinant ces éléments, je suis à peu près certain que l'on peut élaborer des projets.

Je ne me prononcerai pas sur les questions institutionnelles. J'indiquerai juste que la métropole est trop petite à mon sens - elle doit être agrandie à la « zone dense », telle que définie par l'Insee - et qu'il faut une élection au suffrage universel. Sans cela, il n'y aura pas de projet de Grand Paris multipolaire tel que je l'imagine. Car il faut se projeter un peu ! À Issy-les-Moulineaux, on trouve des bâtiments industriels en bord de Seine, des grands bureaux et des logements. C'est très beau ! Il faut imaginer que le port de Paris, après qu'on ait mis fin à son autonomie, puisse être ainsi !

Pour « fabriquer » tout cela, je rêverais de réunir au Cirque d'hiver les 450 maires de la zone dense ; de réunir à la U-Arena les 450 services des parcs et jardins. L'une des deux actions publiques menées dans le cadre de l'élaboration de mon rapport a consisté à réunir les services des parcs et jardins sans les élus. C'était formidable de voir comment des équipes qui ne se parlaient jamais découvraient des connexions entre elles.

Il faut aussi que les architectes arrêtent de se battre entre eux lorsqu'ils interviennent sur le même quartier. Chez eux aussi, on trouve des trésors de citoyenneté active, mais le système de concours et de mise en compétition perpétuelle crée des haines et des antagonismes. C'est une question très sérieuse : ces intellectuels, qui sont des fabricants, représentent une force formidable pour la société française, et cette force est « tuée » par le système de la commande publique. C'est pourquoi, dans mon rapport, je mets en avant la notion de « scénariste urbain ». Tout le monde doit pouvoir devenir scénariste urbain !

Mme Dominique Alba, architecte, directrice générale de l'Atelier parisien d'urbanisme. - Je ne suis l'auteure d'aucun ouvrage, mais je favorise l'élaboration de milliers de documents et d'informations ayant permis de partager une connaissance qui n'existait pas jusqu'à présent. L'atelier oeuvre à la révélation, depuis une dizaine d'années, d'un territoire dont on parlait assez peu en tant que tel.

Si l'on regarde d'abord l'histoire à grande échelle, il est étonnant de constater que la suppression du département de la Seine, évoquée par Roland Castro, a coïncidé avec la création de la région urbaine lyonnaise. Quarante ans pour démolir ou quarante ans pour construire ! C'est important à souligner, car on a certaines difficultés, aujourd'hui, à appréhender la lenteur et à travailler dans le temps long.

Paul Delouvrier a créé une rupture. Il a fait construire les villes nouvelles, le RER, et a laissé le centre, la métropole actuelle, vivre sa vie, qui s'est accélérée avec la décentralisation de 1983. Un système urbain polycentrique très équipé s'est installé durant cette période, accentué par un retour à la ville dû au ralentissement de l'économie.

L'idée d'un réseau de transport en rocade est apparue, en 1994, dans le Schéma directeur d'aménagement et d'urbanisme (SDAU). Reprise par certains élus, en particulier du Val-de-Marne, elle ne figurait néanmoins plus dans le schéma directeur de la région d'Île-de-France (SDRIF) en cours d'élaboration. On en est ainsi arrivé à la situation paradoxale dans laquelle un SDRIF était élaboré et mené à terme, alors que l'État prenait à son tour la décision de mettre en place un réseau de transport. Cela doit nous interpeller sur le temps que nous consacrons aux documents de planification, à la valeur que nous leur accordons et à l'usage que nous en faisons.

On en arrive ainsi au réseau du Grand Paris Express, un réseau de métro, paradoxalement doté de gares - pas de stations -, elles-mêmes conçues de manière à créer des identités hyperlocales et non forcément comme des lieux de connexion et de développement. Chaque maire a créé son comité de pôle et, alors que ces comités s'enchaînent les uns aux autres, ils ne discutent pas entre eux.

Parallèlement, le système métropolitain s'est installé tant bien que mal, avec des Établissements publics territoriaux (EPT) ayant à charge la mise en place de plans locaux d'urbanisme. Pourtant, les responsables locaux prochainement élus, par effet collatéral ou de ricochet, verront en six ans leur territoire connaître le même bouleversement qu'au temps des annexions du baron Haussmann, avec la particularité que le Grand Paris Express est un réseau en rocade, en interconnexion, et qu'il s'installe dans une zone déjà bâtie.

C'est ainsi ! Désormais, il faut se projeter, mais en gardant en tête l'idée de réparation. Or la planification normative ne permet pas cette réparation, car elle enferme tout dans des présupposés.

Pour le stationnement, par exemple, la situation est complexe du fait de la faiblesse de l'espace public dans la zone du Grand Paris - 10 à 15 % de surface d'espace public, contre 28 % dans Paris. Il y a peu de rues, tout le monde veut les utiliser et, plus on a de stationnements en ouvrage, plus elles sont sollicitées. Or, dans les plans de planification, on manque d'information sur les stationnements existants ou en ouvrage.

Prenons la question de la nature et de la beauté. Je suis frappée de la beauté de la Nationale 20 au niveau de Bourg-la-Reine, et l'on sait que là où l'on dispose d'alignements d'arbres, de beaux espaces, les valeurs foncières sont plus élevées. Pourquoi ne le fait-on pas partout ? Il n'y a pas de programmes de verdissement dans les plans locaux d'urbanisme. Le SDRIF prévoit 10 mètres carrés d'espace vert par habitant... Si on les met tous dans la forêt de Pierrelaye, il y a peu de chance que l'on en soit satisfait à Montrouge ou Gentilly ! Dans le Schéma de cohérence territoriale (SCOT) en cours d'élaboration, nous avons donc prévu un espace vert public à moins de 10 minutes à pied pour tous les habitants.

Ainsi, dans un certain nombre de domaines, il faut trouver des outils pour aller vite. Nous avons six ans pour mettre en place un système de conversation pouvant s'affranchir de certaines prescriptions, avec des périmètres à géométrie variable en fonction des thèmes traités.

Prenons l'exemple du rez-de-chaussée actif, qui emporte l'adhésion générale car il permet une forme d'intensification de la vie. C'est le cas sur les grands axes, comme l'ex-Nationale 34 traversant Nogent-sur-Marne, sur laquelle nous avons mené un travail particulier intégrant la dimension de l'habitat pavillonnaire. Ce dernier, qui représente 11 % de l'habitat et 40 % du territoire, est une valeur de la métropole et la distingue des villes nouvelles, expliquant que, si la première et les secondes ne peuvent se penser indépendamment, elles n'exigent pas forcément les mêmes remèdes.

Par ailleurs, l'Établissement public foncier d'Île-de-France (EPFIF), l'Agence nationale de l'habitat (ANAH), l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) gèrent beaucoup d'argent, mais ces outils ne sont structurés ni pour produire la beauté et la mutation dont nous avons besoin, ni pour répondre à certains enjeux actuels, comme le nombre élevé de quartiers classés en politique de la ville dans la métropole, les zones de vieillissement de l'habitat pavillonnaire ou les questions liées à la paupérisation et aux marchands de sommeil.

S'agissant du crumble et du millefeuille, je vois une différence : un millefeuille est « foutu » dès qu'on le coupe, un crumble reste un crumble jusqu'à ce qu'on ait fini de le manger. La ville est un ensemble complexe ; il faut la gérer dans toute sa complexité. C'est ce qui la rend belle. Depuis 160 ans, Paris subit toutes les expérimentations urbaines de la planète. Cela lui donne une épaisseur - heureuse - que n'a pas une ville nouvelle ou une ville comme La Courneuve, n'ayant connu qu'une seule histoire. Cette complexité n'est donc pas un problème et nous disposons d'outils pour l'aborder.

M. Philippe Dallier, rapporteur. - Je note avec satisfaction que Roland Castro a relaté le péché originel qu'a constitué la décision politique de scinder le département de la Seine. Je ne reviendrai pas sur le contexte politique de l'époque ou sur la place du parti communiste. La décentralisation n'existait pas, l'État avait besoin de s'organiser. On voit, en tout cas, les conséquences de cette décision aujourd'hui. Lorsque Nicolas Sarkozy a relancé le projet du Grand Paris, j'ai été l'un des seuls à poser la question de la gouvernance politique. Mais, le Président de la République, comme Roland Castro, considérait alors qu'il ne fallait pas s'égarer dans les questions institutionnelles et il a préféré traiter le sujet en commençant par les projets. Nous voilà douze ans plus tard, certes des choses ont été faites, mais je ne suis pas d'accord quand j'entends Dominique Alba dire que les six prochaines années doivent être consacrées à la discussion entre les maires. On ne peut avoir de bons projets sans une bonne gouvernance. D'ailleurs, la première réalisation du général de Gaulle, en 1958, a été de doter la France d'un outil de gouvernance, avant de développer sa politique.

La gouvernance en région parisienne s'apparente effectivement à un millefeuille avec de moins en moins de crème et de plus en plus de couches : communes, établissements publics territoriaux, départements, métropole, régions. Les impôts locaux ont été partagés entre ces cinq strates. On connaît la propension des élus à lancer des projets et aujourd'hui chacun est à la diète... On ne pourra résoudre les problèmes sans un bon outil de gouvernance ni une péréquation des moyens. La métropole manque de moyens : elle doit redistribuer une bonne partie de son budget de 4 milliards d'euros et il ne lui reste en fait guère plus de 150 millions d'euros pour ses propres projets, ce qui est ridicule pour une métropole de 7 millions d'habitants. Alors, elle produit des documents stratégiques, élabore un SCOT qui doit primer sur les Plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUI), mais si la métropole n'a pas de moyens et ne peut jouer son rôle péréquateur, les résultats à l'arrivée seront minces...

Il est donc urgent de régler la question de la gouvernance. Impossible d'avancer sans patron ni moyens ! On a beau lancer de grands projets de transports ou d'aménagement, les citoyens n'auront le sentiment d'appartenir à une même métropole que le jour où le niveau des services publics sera le même partout. Or, il suffit de songer à l'écart entre la Seine-Saint-Denis et les Hauts-de-Seine ou Paris pour comprendre que ce n'est pas le cas ! À cet égard, la proposition émise par un candidat à la mairie de Paris de déplacer la gare de l'Est quelque part en banlieue constitue l'illustration parfaite de ce qu'il ne faut plus faire...

Mme Dominique Alba. - J'ai dû mal m'exprimer ; je n'ai pas dit que les six prochaines années devraient être consacrées à des discussions entre les maires. Au contraire, il y a urgence. Les projets sont en train d'avancer et l'on ne peut pas perdre six ans à attendre une gouvernance. Le chantier a pris tellement d'avance qu'il est nécessaire de trouver des espaces de conversation. Ne perdons pas cinq ans à élaborer des outils de planification, car les enjeux auront déjà évolué entretemps et les planifications seront devenues obsolètes !

M. Christian Manable, rapporteur. - En tant que provincial, je voudrais savoir quel est le périmètre pertinent du Grand Paris ? Cela me semble être la question fondamentale.

M. Pascal Savoldelli, rapporteur. - Vous êtes revenu sur la scission du département de la Seine. Mais il ne faut pas oublier qu'il existait à cette époque une gestion communale assez efficace du point de vue de la réduction des inégalités sociales. Il importe de respecter l'histoire de chaque commune. Je suis très attaché au fait communal et cela nous rassemble tous autour de cette table. La question est de savoir si nous voulons une société organisée sur des bases locales, autour de communes et de la démocratie locale.

La loi du 3 juin 2010 sur le Grand Paris résulte d'une initiative politique. Elle prévoit la création de pôles économiques majeurs autour de Paris et un réseau de transports publics pour les relier entre eux, ainsi qu'avec le centre, les aéroports, les gares, etc. Pour les élus et les populations du Val-de-Marne, cette perspective constitue une opportunité formidable pour résoudre les problèmes de mobilités entre le centre et la périphérie ou entre banlieues. Les flux sont désormais croisés, puisque 40 % de la population du Val-de-Marne travaille à Paris, tandis que de plus en plus de Parisiens viennent travailler dans le Val-de-Marne. Il faut en tenir compte et décloisonner.

Le Grand Paris doit respecter le fait communal : nous ne devons pas avoir peur de changer, mais conservons nos racines. En outre, dès lors que le Grand Paris réalise 25 % du PIB de la France, l'État est nécessairement conduit à intervenir. Reste à en définir les modalités. Comment voyez-vous sa relation avec les élus de la métropole ? Enfin, quelle est selon vous la valeur d'usage de l'espace que vous imaginez ?

M. Philippe Pemezec. - Le sujet était la gouvernance : je ne sais pas si les architectes sont les mieux placés pour traiter ce sujet...

Je suis aussi attaché au fait communal. Les dernières lois ont bouleversé la vie des maires, les nouvelles structures perturbent le fonctionnement de la démocratie de proximité. L'organisation précédente était claire : commune, département, région. La loi a créé une métropole qui ne sert à rien et des territoires à l'intérêt douteux... Quand simplifiera-t-on ? Il faut supprimer au moins une strate : peut-être peut-on fusionner la région et la métropole ? Ainsi le terme ne disparaîtrait pas et le périmètre serait cohérent. La métropole est une construction technocratique ; je préfère les constructions démocratiques. Les communes, les départements et la région sont dirigés par des élus. De grâce, revenons à une organisation simple, avec une région-métropole, des départements, plutôt que des territoires qui semblent artificiels, et des communes. Surtout, remettons ces dernières au coeur du dispositif.

Nous auditionnons des personnes assez marquées idéologiquement. Je connais bien Roland Castro. Il est paradoxal de faire appel à un marxiste qui a contribué à défigurer la région parisienne pendant de nombreuses années pour nous aider à remédier aux effets pervers de ce qu'il a contribué à créer !

M. Roland Castro. - C'est faux !

M. Philippe Pemezec. - Vous défigurez Paris ! Vous avez parlé du « beau », mais nous n'en avons pas la même conception... La banlieue aussi a été massacrée. Heureusement, certains maires reprennent la main et reviennent à des projets plus raisonnables.

M. Roland Castro. - Tous au Plessis-Robinson !

M. Philippe Pemezec. - Quant à l'Atelier parisien d'urbanisme, il conviendrait également de le supprimer rapidement. Ne laissons pas non plus la main à l'ANRU et à l'ANAH. C'est aux élus qu'il appartient de décider et ces derniers doivent être au coeur de la gouvernance.

Mme Françoise Gatel. - Je suis aussi une provinciale. Les territoires sont divers, l'essentiel est de mettre en place des écosystèmes pertinents. Commencer par définir la structure avant les projets, c'est mettre la charrue avant les boeufs. Les outils et les structures n'ont de sens que pour servir une vision qui doit être partagée sur un territoire pertinent. La question du Grand Paris intéresse les provinciaux, car ils savent que l'on ne peut se déplacer en France sans passer par la région parisienne. L'espace parisien appartient donc un peu aux provinciaux. Voyez l'inquiétude des Strasbourgeois à la perspective d'un déplacement de la gare de l'Est ! De même, les étrangers qui arrivent à Roissy s'étonnent de l'absence de métro pour rejoindre la capitale.

On manque d'une vision globale. Au lieu d'un écosystème intégré, coexistent plusieurs espaces juxtaposés, cloisonnés, désarticulés. Les habitants des banlieues ont du mal à se déplacer. J'ai été rapporteur de la loi relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique. Délibérément, nous n'avons intégré aucune disposition sur le Grand Paris, car la question ne saurait se traiter au détour d'un amendement. En revanche, nous avons reçu tous les acteurs du bassin parisien : ils font tous le constat d'un échec. Il faut donc commencer par se poser la question du projet, qui doit s'articuler autour du principe de subsidiarité. N'opposons pas la métropole aux communes, l'essentiel est de répondre aux besoins des habitants. Rien ne pourra se faire sans les communes, mais il faut aussi une articulation. Commençons donc pas répondre à ces questions simples : qui fait quoi et comment ? Il ne sera pas possible de définir un projet commun si personne n'est désigné pour réunir tous les acteurs et trouver la structure efficiente. Il faut s'abstraire des structures existantes pour trouver la bonne structure.

Mme Josiane Costes. - Effectivement, nous sommes tous un peu parisiens ! Je ne rappellerai pas que les Auvergnats ont contribué à construire la capitale... Le sujet nous intéresse tous.

Mme Dominique Alba. - Vous mettez en avant les projets mais une loi, qui était attendue depuis trente ans, a enfin été votée. Elle arrive même un peu tard, car elle était prévue pour 1995. Finalement, on a renforcé l'hypercentralité de Paris, en développant les radiales et non les rocades, au détriment des autres territoires. Cette problématique dépasse les territoires communaux, c'est pourquoi je plaidais pour des espaces de conversation. La station de métro Raymond Queneau, située à la limite de trois communes, existe depuis 45 ans, mais on ne commence à se poser la question du développement du quartier alentour qu'aujourd'hui !

Une loi, en dépit de ses imperfections, a le mérite d'exister et de fixer un cadre pour les prochaines années, ce qui permet d'avancer concrètement et de dépasser le stade des projections virtuelles. On parle beaucoup de stratégie carbone à l'horizon 2050, mais on en reste au stade de présentations Powerpoint... Un projet de réseau de transport a été défini. Le projet a évolué : au lieu de privilégier cinq clusters, une organisation partagée a été privilégiée. C'est une évolution considérable, mais qui n'a pas été assortie d'un projet urbain, polycentrique. Il reste à l'inventer ! Ce n'est pas difficile, il suffit de parvenir à raconter une histoire. En tout cas, le projet, pour l'instant, avance sans nous.

La question de la valeur d'usage est intéressante. On voit émerger une génération qui constate qu'elle ne peut avoir les mêmes désirs que celles qui l'ont précédée, car elle n'a pas accès aux mêmes ressources. Elle se fabrique alors un autre système de valeurs. Il s'agit des trentenaires, des familles recomposées, de ceux qui ne peuvent acheter pour se loger dans Paris, etc. Les familles évoluent, de nouvelles modalités de travail apparaissent, l'aspiration à maîtriser sa vie progresse. Des évolutions sont à l'oeuvre et nous devons les accompagner.

Un mot enfin sur l'ANRU et l'ANAH. La multiplication des outils sur un même territoire, qui est intercommunal, est source de complexité. Travailler avec l'ANRU n'est pas toujours simple. Les quartiers de la politique de la ville ne s'arrêtent pas aux limites communales, mais sont souvent à cheval sur plusieurs communes. Il conviendrait donc de simplifier le millefeuille.

Mme Josiane Costes, présidente. - En tant qu'urbaniste, avez-vous le sentiment que la gouvernance doit être simplifiée ? Depuis la province, on ne la comprend pas !

Mme Françoise Gatel. - C'est vrai !

Mme Dominique Alba. - C'est juste. Il serait utile de clarifier les rôles de chacun. Mon inquiétude tient au fait qu'un ensemble de projets est en train de se mettre en oeuvre rapidement. Nous avons besoin d'une gouvernance agile pour l'accompagner. Si l'on attend d'être d'accord sur la gouvernance, on risque de laisser passer le train !

M. Roland Castro. - Monsieur Pemezec, je ne suis pas venu pour me faire insulter ! Contrairement à ce que vous dites, je n'ai pas enlaidi la banlieue, j'ai tout fait pour l'embellir. Nous nous sommes beaucoup affrontés, mais cette fois, vous allez trop loin et vos propos sont inadmissibles. Comme tout citoyen qui vient apporter son témoignage à la représentation nationale, je dois être traité correctement ! Et le mot « marxiste » n'est pas une injure... Vous me confondez avec certains artistes du mouvement moderne. Je fais partie de ceux qui défendent le Plessis-Robinson, qui pensent que l'on peut être à la fois jacobin et girondin, voire ultra-girondin : on peut défendre avec vigueur le fait communal et être jacobin sur d'autres points : par exemple, c'est bien au président du Grand Paris, et non aux communes, qu'il appartiendra de gérer le port autonome ou de réaliser les aménagements pour garantir la multipolarité dans la région parisienne.

Quant à la valeur d'usage, je vous invite à une immense promenade. Un usager qui a fait le trajet du Grand Paris Express à pied me disait hier que le Grand Paris était « promenable ». On peut penser à la Vallée aux loups de Chateaubriand, que vous connaissez bien... Le Grand Paris recèle un imaginaire considérable, qui s'étend bien au-delà de Paris, même jusque dans le Cantal.

M. Mézard disait ainsi qu'il ne reconnaissait plus Paris. Il pensait au Paris de Rastignac, qui s'exclamait : « À nous deux Paris ! ». Pour certains aujourd'hui, comme Emmanuel Macron, cette expression s'élargit au monde entier ; mais pour d'autres, l'horizon se limite à La Courneuve. Nombre d'habitants des banlieues ne viennent jamais dans le centre de Paris, à l'intérieur de la ligne Nation-Etoile. Le Grand Paris offre d'immenses opportunités. Le Mac Val dans le Val-de-Marne, par exemple, est un musée d'art contemporain remarquable. L'imaginaire est immense, mais beaucoup sont coincés dans leur quartier et ne vont, à la limite, qu'à la station Chatelet-les-Halles. N'opposons donc pas les communes à la métropole. Il faut, en l'occurrence, penser le « en même temps ».

Enfin, je m'adresse au législateur ; il importe de pouvoir construire intelligemment au bord des fleuves. Il faut aussi revoir les plans d'exposition au bruit, faciliter la transformation des rez-de-chaussée en échoppes, autoriser les propriétaires de pavillons à doubler leur surface sans permis de construire afin de revaloriser le tissu pavillonnaire.

Enfin, un dernier mot sur le fait communal : je souhaite que l'on puisse bientôt dire que l'on vient de Paris-La Courneuve ou de Paris-Ménilmontant, plutôt que du XXe arrondissement.

M. Philippe Subra, géographe à l'Institut français de géopolitique et à l'université Paris VIII - Saint-Denis. - Je suis géographe spécialisé en géopolitique locale : j'aborde les questions d'aménagement du territoire, les politiques publiques, les conflits et les questions de gouvernance à partir de l'angle des rivalités de pouvoir pour le contrôle de territoires.

L'agglomération parisienne, en raison de son poids économique et démographique, constitue un enjeu politique majeur en France. Il ne me semble pas possible de gagner l'élection présidentielle si l'on n'est pas en tête, en région parisienne, car la région détient de nombreuses positions de pouvoir : la Ville de Paris ; 8 des 20 premiers départements français en termes de population ; 40 villes de plus de 50 000 habitants ; des syndicats intercommunaux extrêmement puissants - comme Île-de-France Mobilités ou le syndicat intercommunal de collecte et de traitement des ordures ménagères. La région parisienne a joué un rôle particulièrement important pour certains courants politiques comme le gaullisme - je pense à Chirac et Paris, ou à Nicolas Sarkozy dans les Hauts-de-Seine - et au parti communiste, avec la banlieue rouge - et encore aujourd'hui, un quart des municipalités de plus de 3 500 habitants détenues par le parti communiste sont situées en région parisienne.

On ne peut pas aborder la question de la métropole du Grand Paris sans prendre en compte cette dimension des rivalités de pouvoir.

Le périmètre retenu ne correspond à aucune logique fonctionnelle. Il laisse en dehors un quart des emplois de la région, un tiers de sa population, le principal aéroport et l'essentiel des villes nouvelles. Il correspond à une logique géopolitique en étant le résultat de la résistance d'un certain nombre d'acteurs. Résistance de la région, qui ne voulait pas cohabiter avec une métropole à l'échelle de l'agglomération ; résistance des départements de grande couronne, qui n'ont pas voulu de l'intégration parce qu'ils craignaient de disparaître ; résistance d'un certain nombre de barons socialistes, qui ont refusé de perdre leur autonomie et ont monnayé leur vote favorable au projet de loi en échange de ce périmètre ; résistance sans doute aussi de certains services de l'État.

Juste une remarque : le fonds d'investissement de la métropole - 50 millions d'euros - représente la moitié du budget d'investissement de la communauté d'agglomération de Chartres !

M. Philippe Dallier, rapporteur. - CQFD !

M. Philippe Subra. - Les compétences de la métropole sont limitées, de plus elles sont exercées de manière croisée avec d'autres acteurs et avec l'État. Par ailleurs, la question des mobilités échappe à la métropole. Comment travailler sur le développement économique ou sur le logement sans avoir la main sur les questions de mobilité ?

Après un processus d'adoption assez complexe, chahuté et pittoresque, les établissements publics territoriaux ont conservé une autonomie forte, même s'ils n'ont pas été dotés du statut d'établissement à fiscalité propre. Le plus important, c'est le mode de gouvernance. Anne Hidalgo se félicitait récemment que 98 % des décisions prises par la métropole sont consensuelles. En réalité, ce consensus existe parce qu'à la métropole on ne parle pas des questions qui fâchent !

Je qualifie donc la métropole de « nain » sur la scène géopolitique locale ou d'objet géopolitique mou et sans pouvoir. Elle n'est pas à la bonne échelle et dispose de faibles moyens d'action, n'a pas de capacité stratégique et manque de légitimité. Elle manque aussi cruellement de notoriété. En dehors des acteurs politiques, qui connaît le nom du président de la métropole ? Ce qui est frappant, c'est que, alors que les grands enjeux sont métropolitains ou régionaux, dans le débat public on ne parle que de questions très locales. Je ne sous-estime pas l'importance de la commune comme structure de base de la vie démocratique, mais quand il existe un tel écart entre l'échelle des enjeux et celle des élections municipales, c'est qu'il y a un problème démocratique.

Certes, il faut de la complexité, car les réponses trop simples ne sont pas efficaces ou produisent des effets pervers importants. Toutefois la complexité de la gouvernance présente de gros inconvénients : elle introduit de la lourdeur, du retard et surtout un manque de lisibilité pour les citoyens.

Grand Paris des élus ou Grand Paris de l'État ? De manière évidente, tous les grands projets sont le fait de l'État : le Grand Paris Express, notamment. Pour le reste, c'est sympathique, mais ça n'est rien. Par ailleurs, je ne suis pas sûr que les élus locaux contrôlent bien ce qui se passe, contrairement aux acteurs économiques.

Comment poser la question de la gouvernance ? Il faut réfléchir et se poser les bonnes questions. Un système de gouvernance sert à produire des politiques publiques efficaces, qui répondent aux problèmes et donc aux enjeux d'un territoire. Il ne faut donc pas partir de positions idéologiques ou d'opposition de pouvoirs, il faut partir des enjeux. Quels sont les enjeux que l'on juge prioritaires ? Pour chacun de ces enjeux, quelle est la réponse en termes de politique publique qui sera la plus efficace ?

Le système de gouvernance a un deuxième rôle : permettre un meilleur fonctionnement démocratique et correspondre à la dimension identitaire qui relie les citoyens au territoire. Par exemple, quand on supprime l'Alsace, on apporte une réponse fonctionnelle, mais on néglige totalement la dimension identitaire. Or l'identité est un facteur de développement. Évidemment, les réponses fonctionnelles et les réponses politiques ou identitaires ne concordent pas forcément. Dans certains cas, les réponses sont même tout à fait différentes. La commune joue un rôle identitaire très fort, mais elle est de moins en moins pertinente pour un certain nombre de réponses fonctionnelles. Il faut donc tenir les deux bouts de la corde et les rapprocher.

La réponse implique de l'audace et de l'innovation législative. Il s'agit de partir du territoire qui fonctionnellement correspond le mieux au problème - la région -, tout en prenant en compte la difficulté que poserait aux élus la fusion métropole-région, dans la mesure où l'assemblée régionale n'est pas représentative des territoires qui la composent. Il importe de s'appuyer sur les deux grandes innovations que sont les régions et la décentralisation. Il faut aussi permettre l'expérimentation pour imaginer une collectivité publique unique, fusionnant les compétences de la région et celles de la métropole, mais avec un mode d'élection dérogatoire des conseillers régionaux comme représentants des territoires ou des communes.

Mme Josiane Costes, présidente. - Vous suggérez de la différenciation, de la souplesse et de l'adaptation aux réalités des territoires. Le législateur devra y réfléchir.

M. Olivier Renaudie, professeur de droit public à l'université Paris I Panthéon-Sorbonne. - Il est envisagé de légiférer de nouveau sur Paris. Faut-il s'en réjouir ? Ce qui est certain, c'est qu'il y a beaucoup de choses à dire.

Sur la forme, je ferai deux constats. Premier constat : que de dispositions législatives sur Paris ces dernières années. La loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (MAPTAM), la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), la loi du 28 février 2017 relative au statut de Paris et à l'aménagement métropolitain, mais également la loi du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique ! Le second constat formel est que le résultat forme un tableau plutôt pointilliste. Assurément, il n'est pas facile d'en identifier les lignes directrices. Bref, c'est un cauchemar légistique !

Première observation, la loi du 10 juillet 1964 portant réorganisation de la région parisienne est un moment raté, qui enserre Paris dans les frontières étroites du boulevard périphérique. C'est un moment où, d'une certaine manière, Paris perd sa communauté de destin.

Deuxième observation, le territoire est indissociable de la question de l'identité. Cela ne vaut pas seulement pour les autonomistes ou les régionalistes. S'agissant du Grand Paris, les pouvoirs publics auraient pu s'appuyer sur deux territoires, chacun à leur manière doté d'une légitimité : le territoire de l'ancien département de la Seine, formé aujourd'hui par Paris et les trois départements de la petite couronne ; et celui de la région Île-de-France. Malheureusement, on a décidé de ne s'appuyer ni sur l'un ni sur l'autre, et on a fait un choix intermédiaire. Le territoire choisi n'est pas bien identifié par la population et son identité reste en construction.

Troisième observation, d'ordre statutaire, l'élaboration des règles applicables à Paris a toujours été délicate. Ces dernières années, on a ajouté une autre difficulté, qui tient au fait que Paris est désormais soumis à deux corps de règles distincts : celles sur le Petit Paris et celles sur le Grand Paris. On ne peut que regretter cette balkanisation, assez unique par rapport aux grandes villes du monde ou aux autres grandes capitales. Peut-on sérieusement envisager le statut de Paris en distinguant en son sein ce qui est à l'intérieur du périphérique et ce qui est à l'extérieur ? Ma faveur irait à un grand texte législatif sur Paris plutôt qu'à une législation par amendements à l'occasion de textes portant diverses mesures relatives à la décentralisation.

Quatrième et dernière observation, la gouvernance. Assurément, le concept de gouvernance est parfaitement adapté pour évoquer des pouvoirs multiples dont il convient d'assurer la coordination. En ce qui concerne Paris, j'insisterai sur trois points. D'abord, on ne peut manquer de relever l'extraordinaire complexité de cette gouvernance. Ensuite, cette complexité contraste avec les compétences relativement limitées de la métropole du Grand Paris. Même remarque s'agissant du budget : 50 millions d'investissements pour faire un schéma de cohérence territoriale, c'est en soi pas mal ! Enfin, quelles sont les pistes de réformes sur cette gouvernance ? Il existe un scénario noir, à savoir la création de nouvelles instances qui viendraient se superposer à celles existantes.

Mme Françoise Gatel. - Qui peut le moins peut le plus !

M. Olivier Renaudie. - J'imagine qu'il pourrait être tentant de créer une assemblée des départements métropolitains ou un outil contractuel entre la métropole et la région. Un autre scénario reposerait sur la suppression de certaines strates, mais lesquelles ?

M. Philippe Dallier, rapporteur. - Nous y voilà !

M. Philippe Subra. - Je fais donc ma proposition. En supprimant les trois départements de la petite couronne et les établissements publics territoriaux, on obtient deux échelons : l'un de type décisionnel et programmatique, avec un conseil métropolitain - où il faudra introduire une forme de suffrage universel et dont il faudra peut-être diminuer le nombre d'élus ; 209, c'est quand même beaucoup - et un échelon de proximité, la commune. Je vous suis tout à fait sur ce point : son histoire, son rapport aux citoyens et sa capacité de longue date à résoudre les problèmes du quotidien en font un échelon indispensable. Je ne suis pas certain d'être dans l'air du temps de la différenciation...

M. Philippe Dallier, rapporteur. - J'ai bu du petit-lait pendant toute votre description de la situation actuelle : cela fait douze ans que j'ai écrit cela et que je le répète : les enjeux politiques sont malheureusement la raison pour laquelle nous n'avançons pas dans cette métropole. Il y a trop de chapeaux à plumes à droite et à gauche, et personne ne veut voir disparaître le fauteuil dans lequel il est assis, donc ça ne bouge pas. La fusion projetée entre les Hauts-de-Seine et les Yvelines - qui est une aberration - ainsi que la transformation de Paris en collectivité en absorbant le département sont des idées anti-métropolitaines. D'une part, on a parfois des discours très pro-métropole, mais d'autre part, on fait en sorte que la métropole ne puisse pas se construire ; là-dessus, la droite et la gauche s'entendent absolument. Il faudra donc bien que l'État et le Parlement prennent leurs responsabilités, c'est pourquoi il est si important que nos collègues de province soient là : si on nous laisse entre nous, cela n'avance pas et n'avancera jamais...

M. Roland Castro. - La campagne nous sauvera !

M. Philippe Dallier, rapporteur. - Il y a effectivement plus de bon sens en termes d'organisation territoriale en province qu'en Île-de-France !

Je buvais aussi du petit-lait en écoutant vos propos sur la gouvernance partagée : la gauche et la droite ne sont capables de s'entendre que pour ne rien faire ! Que la droite gouverne, que la gauche gouverne, que le « Nouveau monde » gouverne, je m'en moque, ce que je veux, c'est qu'il y ait un projet, que les citoyens décident et que leurs décisions soient appliquées. Avec le modèle actuel, c'est impossible ! Pour déterminer le bon outil de gouvernance, il faut reprendre le problème par le bon bout : pour chaque compétence, se demander quel est le périmètre pertinent, quels sont les moyens budgétaires. Je suis arrivé à la conclusion de toute façon qu'il n'y avait pas de périmètre pertinent pour toutes les politiques, il n'existe que des modèles qui ont des avantages et des inconvénients. Il y a douze ans, je l'avais dit : fusionnons déjà les trois départements de la petite couronne et Paris, ce sera déjà un effort gigantesque en matière de péréquation et de vision métropolitaine. Cela aurait déjà constitué une avancée formidable par rapport à ce qu'on a fait.

Concernant les différents niveaux, le niveau communal est indispensable, c'est celui de l'identité de la démocratie locale. Il nous faut une échelle métropolitaine, mais si on prend l'aire urbaine, cela fait 10 millions et demi d'habitants sur les 12 millions de la région - autant dire que la région n'existe plus - ; je ne sais donc pas où placer l'intermédiaire. Il nous faut enfin penser au niveau régional, mais peut-être que la région est trop petite ?...

C'est compliqué, mais il est temps de décider ; en 2008, on me disait que c'était trop tôt et maintenant on me dit que c'est trop tard... Il faut décider, quitte à causer du tort ou de la peine à certains, parce qu'il y va de l'intérêt national. Merci pour ce que vous avez mis en évidence ; cela passe toujours mieux lorsque c'est dit par des personnalités non politiques, il nous reste à trouver une solution exploitable.

M. Christian Manable, rapporteur. - Il faut absolument éviter de créer de nouvelles strates : ce ne serait plus un millefeuille, mais un double ou un triple millefeuille ! Comme M. Renaudie, je pense qu'il nous faut garder la commune pour la proximité démocratique, et la métropole pour son côté fonctionnel et stratégique. En revanche, pour agrandir la région Île-de-France, il faudrait aller soit vers la Normandie, soit vers le nord, et le Picard que je suis s'y oppose fermement !

M. Philippe Dallier, rapporteur. - Voilà pourquoi c'est difficile !

M. Pascal Savoldelli, rapporteur. - Je vous remercie pour vos quatre exposés. Il était intéressant de les entendre dans l'ordre où nous les avons entendus, de commencer par un récit - même non dénué d'amertume - et de finir par un discours plus politisé, qui ne me choque pas.

Pourquoi sommes-nous attachés à la commune ? Ce n'est pas parce que je voudrais défendre le parti communiste ; c'est que, qu'on le veuille ou non, elle reste le niveau qui conserve la compétence générale. Il y a là un fait démocratique indépassable : le maire et son équipe n'ont pas le choix, ils ont les gens en face d'eux. Aucune construction valable ne se fera sans la commune. C'est là que se trouvent les racines, l'identité.

Deuxième question : faut-il construire la gouvernance sur la base des politiques publiques ? Ce n'est pas une petite question : toutes les métropoles dans le monde ne font pas ce choix.

Partir du territoire existant en le rendant plus démocratique, c'est une idée qui me plait. On évite de dire qu'il y a des gens en trop. Mme Gatel a raison sur les écosystèmes ; quand on parle d'un territoire qui totalise 25 % du PIB de la France, il faut y faire attention.

Par ailleurs, il y a d'autres métropoles en France, et pas que des villages et des bourgs. Il y a un Grand Aix-Marseille et un Grand Lyon. Je me préoccupe des villes et des départements sans métropoles, car ils n'auront pas d'université, pas de grand hôpital. Face à cela, il n'y a ni droite, ni gauche, mais la lutte contre la discrimination territoriale.

Pour autant, on ne peut pas traiter cette question en dehors d'un projet de société : cela touche aux enjeux écologiques, aux inégalités sociales. Cela peut être un projet très enthousiasmant, bien plus porteur d'espoir que d'autres sujets de débat politique actuels.

Mme Josiane Costes, présidente. - Merci à Pascal Savoldelli de penser aux départements sans métropoles. Certains d'entre eux, non seulement n'en ont pas, mais en sont très éloignés. Dès lors, ils dépendent encore plus directement de Paris. De grâce, n'ajoutons pas de couche supplémentaire : vu de loin, ce serait encore plus incompréhensible ! Une structure à trois niveaux me semble compréhensible par tous. Comme le dit Françoise Gatel, un texte sur le Grand Paris me semble effectivement indispensable.

Mme Françoise Gatel. - Merci de cette audition ; nous, législateurs, sommes conscients que la loi n'est pas une fin en soi, mais un moyen au service d'un projet.

Il faut éviter la simplification centralisatrice qui conduit à tailler un costume territorial identique pour le Cantal et pour ma Bretagne ; cessons de rechercher le périmètre idéal, ce ne serait qu'une vaine quête du Graal.

Vous avez fait allusion à l'appendice que nous avons ajouté dans la loi « Engagement et proximité ». Nous avons voulu procéder à un « acte chirurgical » sur les lois baroques qui manquent d'efficacité, mais il faudrait effectivement considérer le malade dans la totalité de sa personne et prendre le temps d'élaborer un texte unique.

S'il y a d'autres métropoles en France, je ne suis pas sûre que ce soient des modèles. Quand on voit qu'Orléans est une métropole... Parfois les métropoles assèchent leur hinterland.

Merci à Philippe Dallier pour son bel hommage à l'intelligence provinciale, mais les choses sont parfois difficiles chez nous également...

Il est pertinent de s'interroger sur les services que nous voulons rendre aux gens dans le domaine du logement, du transport, de l'emploi, et sur qui est le mieux placé pour le rendre. La commune a toujours l'avantage de la proximité ; mais la vie a changé et elle nous fait sortir quatre à cinq fois par jour du périmètre communal. Il faut simplifier l'organisation, mais les réalités sont complexes et il faut cultiver l'agilité : je crois plutôt, selon les besoins, à un réseau de coopérations différentes selon les secteurs. Même dans l'espace parisien, il y a des espaces frontaliers.

Il est évident qu'il y a trop de couches, beaucoup de chefs à plumes, beaucoup de politique dans tout cela. Philippe Dallier, peut-on se mettre d'accord sur un diagnostic, puis identifier les fonctions et le périmètre, et enfin définir les structures ?

M. Philippe Pemezec. - Il faut arrêter de croire que big is beautiful. Le bon niveau de gestion d'un grand nombre de problèmes est la commune. C'est le lieu démocratique, le lieu du lien. Il faut sans doute intégrer le droit à la différenciation et la possibilité pour une commune de récupérer la compétence d'urbanisme si le maire le souhaite. Tout le monde semble être d'accord avec l'idée de confondre la métropole et l'Île-de-France. Doit-on maintenir le territoire, qui est une construction imposée, ou le département ? La métropole et la commune pourraient-elles suffire ? Il faut un niveau intermédiaire. Le département a le mérite d'exister. Bien sûr, une sensibilité peut se sentir piégée dans un département lorsqu'elle y perd la majorité... Reste que, lorsqu'on a divisé le département de la Seine, certains départements sont devenus très attrayants et d'autres beaucoup moins...

M. Philippe Subra. - Merci pour ces remarques stimulantes. On raisonne beaucoup sur des couples, mais les couples ne fonctionnent pas toujours de manière satisfaisante. Le couple périmètre idéal-périmètre existant, d'abord. Je suis d'accord : il n'y a pas de bon périmètre, mais il y en a des mauvais et certains sont meilleurs que d'autres. Il ne faut donc pas forcément conserver le périmètre existant. Il faudra bien en choisir un : les projets avancent, la crise climatique avance, la concurrence internationale aussi...

Le couple décision-coopération, ensuite. Je lis actuellement une biographie britannique du général de Gaulle : 1958 a été une période durant laquelle la France a pris des décisions fortes, qui structurent encore le pays aujourd'hui. Opposer les deux est problématique ; il faut de la coopération dans l'élaboration des contenus mais il faut aussi une instance qui puisse trancher. Les territoires de l'Île-de-France, de l'agglomération ou du Grand Paris sont confrontés à des problèmes gravissimes : aggravation des inégalités, péréquation insuffisante, enjeu environnemental, qualité de vie - même sans grève des transports - prix de l'immobilier, construction de logement social dramatiquement insuffisante... On ne pourra pas répondre à ces questions en faisant plaisir à tous. Il faut une instance qui décide. C'est pourquoi ces questions doivent être au centre des campagnes électorales.

Dernier couple, celui que formeraient la commune, revêtue de la légitimité démocratique et historique, avec l'instance bureaucratique. Je crois qu'on peut imaginer des solutions, certes imparfaites mais qui allient efficacité et démocratie.

M. Olivier Renaudie. - Il faut un texte d'ensemble sur Paris pour en aborder toutes les questions - périmètre, compétence, gouvernance - de manière à les penser ensemble. En procédant par petites touches, on ne peut être cohérent.

Mme Josiane Costes, présidente. - Merci beaucoup. Nous allons nous y atteler.