Jeudi 30 avril 2020

- Présidence de M. Michel Magras, président -

Étude sur l'urgence économique outre-mer à la suite de la crise du Covid-19 - Audition de M. Bertrand Willocquet, directeur du département des Trois Océans de l'Agence française de développement (AFD)

M. Michel Magras, président. - Nous vous remercions, Monsieur le directeur, d'avoir répondu à notre invitation. Comme vous le savez, cette audition s'inscrit dans le cadre de l'étude de notre délégation sur l'urgence économique dans les outre-mer. Nos trois rapporteurs sont Stéphane Artano, Viviane Artigalas, et Nassimah Dindar. Je leur laisserai le soin de présenter leurs questions.

Dans le cadre de ses travaux, la délégation a eu l'occasion d'auditionner votre agence à de nombreuses reprises. C'est l'une des institutions majeures de soutien public des banques et des organismes de coopération. L'action qu'elle mène dans les pays en voie de développement est mieux connue que celle qu'elle réalise dans les outre-mer. Face à la crise actuelle, nous souhaitons mesurer votre action, puisque vous avez été sollicité par le Gouvernement. Comment envisagez-vous la sortie de crise, dont l'horizon nous paraît encore incertain ? Le Premier ministre a présenté un projet de déconfinement mais la sortie de la période de confinement ne peut être envisagée de manière strictement identique sur l'ensemble du territoire.

Lors de votre audition en septembre 2019 sur les risques naturels majeurs, nous avions noté vos propos sur la gestion de crise : « Si elle n'est pas un acteur de l'urgence, l'AFD vient en soutien lors des crises. L'agence apporte un appui financier, et/ou technique, à ceux (États, collectivités territoriales ou Organisations non gouvernementales [ONG]) qui interviennent en première ligne lors des situations de crise, telles que les événements climatiques majeurs ».

Nous sommes évidemment aujourd'hui dans un tout autre contexte. Néanmoins, les outre-mer traversent une crise majeure, et votre expertise nous intéresse, à la fois pour accompagner les acteurs dans l'urgence mais également pour déployer une stratégie de renforcement au long cours de la capacité de résilience de nos territoires ultramarins. Pour ce faire, nous savons que vous privilégiez une approche régionale, d'où le nom de votre département des Trois Océans, avec des actions d'adaptation traduite par des mécanismes concrets. Or nous alertons actuellement sur l'inadaptation des mesures gouvernementales au tissu entrepreneurial ultramarin. Vous nous direz si vous partagez notre inquiétude, et comment l'adapter aux réalités de nos territoires.

M. Stéphane Artano, rapporteur. - J'ai en effet une série de questions concernant les actions de votre Agence. Comment l'AFD compte-t-elle adapter son aide aux territoires d'outre-mer, pour participer aux mesures d'urgence de sauvegarde du tissu économique ultramarin, dans le contexte créé par la crise sanitaire ?

Par ailleurs, l'article 9 de la loi de finances rectificatives pour 2020 prévoit l'octroi de la garantie de l'État à un prêt exceptionnel de l'AFD à la collectivité de Nouvelle-Calédonie, dans la limite de 240 millions d'euros. Comment cette mesure a-t-elle été préparée, et selon quels objectifs ? Quels suivi ou contrôle exercerez-vous sur l'utilisation de ce prêt par la collectivité ? Quelles en sont les modalités et les conditions de remboursement ?

De plus, M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics, lors de la présentation du PLFR au Sénat le 21 avril dernier, a précisé qu'un prêt de l'AFD avec garantie de l'État serait consenti à la Polynésie française. Avez-vous des précisions à ce sujet ?

Enfin, outre les prêts, de quels moyens dispose votre institution pour contribuer au redémarrage des économies ultramarines après le confinement ?

Mme Nassimah Dindar, rapporteure. - La lutte contre les inégalités figure parmi les priorités de la stratégie Trois Océans de l'AFD. Or la crise a révélé les fortes disparités dans nos territoires ultramarins en matière d'équipements publics, notamment hospitaliers. La crise ne doit-elle pas conduire l'AFD à prioriser ses financements dans ces secteurs ?

La crise a par ailleurs rappelé l'importance des réseaux d'eau, et la nécessité d'investissements massifs. Quelles actions l'AFD compte-t-elle mener dans ce domaine ? En effet, les communes ou les communautés d'agglomération ne disposent en effet pas des moyens pour entretenir ou restaurer des réseaux défectueux.

D'un point de vue général, pourriez-vous nous présenter les grands projets portés par l'AFD dans les outre-mer en termes d'infrastructures ? Travaillez-vous sur une répartition géographique, des secteurs économiques, et des financements spécifiques ?

Je vous fais part également des questions de ma collègue Viviane Artigalas. Selon votre analyse, quels sont les secteurs devant être soutenus en priorité ? Notre collègue auditionnera notamment Jean-Baptiste Lemoyne sur la question du tourisme dans le cadre de la commission des affaires économiques. Stéphane Artano a rappelé que les vols ne pourraient reprendre dans l'immédiat. Outre les prêts, de quels moyens l'AFD dispose-t-elle pour contribuer au redémarrage des économies ultramarines, qui s'ajouteraient aux aides portées par l'État et chaque région et dans quels secteurs ?

Enfin, des cofinancements de projets entre l'Union européenne et l'AFD en outre-mer pourraient-ils être mobilisés rapidement, et par quel biais ?

M. Bertrand Willocquet. - Je vous remercie d'avoir souhaité auditionner l'AFD. Il est important pour nous de faire passer des messages. Si l'action de l'AFD à l'international s'est démultipliée, son poids dans les outre-mer n'a par ailleurs jamais diminué en valeur absolue.

Comment allons-nous aider les collectivités territoriales d'outre-mer sur le court terme, mais également pour assurer leur reprise ? Celles-ci feront face à des tensions de trésorerie importantes, exacerbées dans le Pacifique. Dans les outre-mer, la crise aura un effet sur les recettes, telles que l'octroi de mer ou la taxe sur les carburants. L'impact sera cependant décalé d'au moins un, voire deux, mois. Nous devrons donc intervenir. Je ne dispose pas d'information particulière quant à un plan national qui viserait l'ensemble du secteur public local, y compris ultramarin. Néanmoins, quel qu'il soit, nous y participerons.

Comme nous sommes le partenaire financier traditionnel des outre-mer, nous avons adapté notre dispositif classique de prêts, et de versement-remboursement. Nous acceptons des reports d'échéance de six mois de nos prêts, pour les collectivités et pour les entreprises publiques qui nous en feraient la demande. Pour le moment, les collectivités locales n'ont pratiquement pas fait de demandes. Deux collectivités nous ont contactés mais leurs requêtes n'étaient pas directement liées à la crise. Nous sommes cependant prêts et nous suggérons en outre de reporter les intérêts de paiement.

Nous en ferons de même pour les entreprises publiques et privées. Notre attitude est bienveillante. Nous ne prévoyons cependant pas un report généralisé, comme par exemple pour l'aide publique au développement international, qui fait l'objet d'un moratoire généralisé d'un an.

Nous accélérons également autant que possible les décaissements des prêts que nous avons déjà octroyés, ce qui représente un montant de quelques centaines de millions d'euros. La commande publique est en effet un ressort essentiel de l'investissement dans les outre-mer.

De plus, nous accélérons l'instruction des prêts budgétaires en faveur des collectivités territoriales, à commencer par les plus importantes, puisque c'est par elles que l'effet d'entraînement sera le plus fort. Je songe notamment aux régions ou aux gouvernements locaux dans le Pacifique. L'instruction des prêts de quelques centaines de millions d'euros sera ainsi accélérée.

Une autre piste explorée, mais qui devra être discutée avec les ministères de tutelle, consiste à mieux utiliser les mécanismes de préfinancement des subventions d'État ou européennes. Des améliorations pourraient y être apportées, afin de fluidifier l'amorçage des investissements des collectivités locales. En effet, celles-ci doivent généralement consentir l'avance des fonds. Si le Gouvernement nous demande d'intervenir au un plan ultramarin, nous le ferons naturellement.

Sur les équipements hospitaliers, nous participons au plan national de désendettement et de réinvestissement des hôpitaux. Dans les outre-mer, le financement des hôpitaux est très largement porté par l'AFD et la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Nous devons parvenir à ce désendettement, afin de restaurer la capacité d'emprunt des hôpitaux. Cela leur permettra d'investir massivement dans leur modernisation, essentielle pour atteindre les standards métropolitains, mais également pour renforcer leurs capacités de réponse aux pandémies qui frappent régulièrement ces territoires (dengue, chikungunya, zika) ou aux nouvelles (Covid ...).

Il est encore trop tôt pour définir les régions qui seront les plus concernées. Néanmoins, l'AFD a investi massivement à La Réunion, et aux Antilles. Nous serons aux côtés des hôpitaux pour les placer sur une trajectoire de réinvestissement, sachant que les besoins sont considérables.

L'article de loi dans le PLFR relatif à la Nouvelle-Calédonie a été voté. Il accorde une garantie à l'AFD pour qu'elle consente un prêt aux risques de l'État. Cette intervention vise tout d'abord à maintenir l'activité et les emplois, grâce notamment à l'accompagnement financier du chômage partiel. Par ailleurs, son objectif est la sauvegarde du système de santé, et la solidarité, gérée par la Caisse de compensation des prestations familiales, des accidents du travail et de prévoyance des travailleurs (CAFAT). Elle vise enfin à garantir aux provinces et aux communes leurs dotations budgétaires à travers le budget central de la Nouvelle-Calédonie qui reçoit les taxes de l'ensemble de ces collectivités. Cela favorisera la continuité de l'activité des collectivités de rang inférieur.

Le PLFR a établi un cadrage précis des modalités d'utilisation de ce fonds. Il vise à couvrir des pertes de recettes fiscales et sociales, ainsi que des dépenses supplémentaires d'aides aux entreprises et aux particuliers liées à la crise sanitaire. Il existe une préparation étroite au niveau local, entre les services du gouvernement de Nouvelle-Calédonie, la Direction régionale des finances publiques (DRFIP), le Haut-commissariat, et l'AFD. Ces travaux ont également été réalisés en collaboration avec la Direction générale du Trésor (DGT), la Direction générale des outre-mer (DGOM), ainsi que la Direction du budget.

La demande du gouvernement de Nouvelle-Calédonie date du 23 mars, et la garantie de l'État a été accordée le 25 avril. Nous avons procédé de manière concertée à une évaluation des besoins. L'affectation du crédit sera prévue dans la convention tripartite entre l'État, l'AFD, et la collectivité de Nouvelle-Calédonie, comme le précise la loi de finances rectificative. Elle détaillera les modalités d'affectation budgétaire du prêt, sur le budget propre de la Nouvelle-Calédonie. Elle précisera également la destination finale du prêt, c'est-à-dire la Nouvelle-Calédonie en tant que telle, la CAFAT, et les collectivités locales, à travers le transfert du budget général aux autres budgets de répartition et de versement.

Les versements seront naturellement contrôlés, sur la base d'une situation de trésorerie, qui détaillera les besoins, en fonction des mandats de paiement en attente, et les reports et pertes de recettes enregistrés en raison de la crise sanitaire. Ce tableau sera validé par la DRFIP, qui le transmettra au Haut-commissariat. Celui-ci demandera à l'AFD de réaliser les versements sur cette base. Deux à trois versements sont prévus, le premier devant intervenir après le passage au conseil d'administration de l'AFD. Il est escompté à la mi-mai, le second, au mois de juin, et le troisième, si nécessaire, au mois de juillet.

Il s'agira d'un prêt sur 25 ans, avec deux ans de différé. Il ne sera pas bonifié, dans la mesure où il s'agit d'un prêt d'urgence, amortissable sur du long terme. La loi de finances rectificative a également prévu une conditionnalité à l'octroi de ce prêt. Les conditions sont en cours de négociation entre l'État et la Nouvelle-Calédonie, et seront précisées dans la convention tripartite. Elles porteront sur les réformes à mettre en oeuvre, ainsi que les modalités d'affectation des ressources. Plusieurs pistes sont à l'étude, la première sur la trajectoire financière de la Nouvelle-Calédonie, c'est-à-dire ses recettes et dépenses futures. Nous approfondirons en la matière le dialogue que l'AFD avait initié l'année dernière, en instruisant un prêt budgétaire. Nous menons régulièrement ce type d'échanges avec les collectivités locales, pour assurer la pérennité de leurs ressources et de leurs emplois sur le long terme.

Le deuxième chapitre porte sur les réformes structurelles que devra engager la Nouvelle-Calédonie, notamment celle de son système de santé, et de la rationalisation des dépenses en matière de compétences croisées entre les provinces et la collectivité. Des missions de corps d'inspection ont eu lieu sur le système local de santé, et un rapport a été remis. Il conviendra d'accélérer ce processus. En ce qui concerne la rationalisation des compétences croisées, nous avions commencé à échanger avec le Gouvernement de Nouvelle-Calédonie l'année dernière. Cette convention tripartite est en cours de négociation, et je ne peux vous en dire plus pour l'heure.

La DRFIP de Polynésie française nous a alertés sur la situation de trésorerie de la collectivité et de la Caisse de prévoyance sociale (CPS). Nous avons échangé à Paris et localement avec le ministère des finances et le ministère des outre-mer, pour envisager d'apporter à ce problème une réponse comparable au dispositif prévu pour la Nouvelle-Calédonie, c'est-à-dire un prêt garanti par l'État. Si celui-ci y est disposé, fort de l'expérience acquise pour la Nouvelle-Calédonie, nous serions en mesure de répondre rapidement à cette demande.

La Polynésie française constate une forte contraction de son produit intérieur brut (PIB), compte tenu du poids important du tourisme, de 15 % à 18 %, bien supérieur à ce qu'il est dans les autres collectivités d'outre-mer, à l'exception de Saint-Martin. Nous avons accéléré le décaissement des prêts octroyés l'année dernière à la Polynésie française. Celle-ci songeait dans un premier temps à y renoncer, mais a finalement demandé leur maintien. De même, nous procédons de la sorte avec notre filiale bancaire, la Socredo, qui est le premier établissement bancaire de la place, et dont les clients sont pour une large part des petits entrepreneurs individuels. Nous avons accéléré le décaissement des lignes de refinancement qu'elle nous avait demandées à la fin de l'année dernière.

À la différence des autres banques et intervenants publics, l'AFD intervient également en appui technique, à travers des dialogues sur leurs politiques publiques. La création du fonds 5.0 par le ministère des outre-mer, qui nous en a confié la gestion, nous permet de développer ce rôle d'appui aux maîtrises d'ouvrage publique locale. Notre programme d'intervention cette année doit renforcer les capacités de maîtrise d'ouvrage locale, pour favoriser les investissements, et réussir à mobiliser davantage les fonds européens et d'État pour les collectivités.

Si les entreprises ne constituent pas notre coeur de métier, nous intervenons néanmoins en subsidiarité du système bancaire. Nous participons à l'effort collectif des banques, et nous accompagnons les prêts garantis par l'État et le fonds de solidarité aux entreprises. Nous nous alignerons sur ce que feront les banques, en matière de report d'échéance. Une vingtaine de demandes nous a été adressée pour l'heure, et nous en avons traité la moitié. Très peu étaient hors périmètre. Elles concernent principalement le secteur aérien (compagnies aériennes, aéroports), les activités impactées par la situation du bâtiment et travaux publics (foncières, programmes immobiliers ou d'aménagement) ainsi que l'hôtellerie.

La Socredo est un vecteur important de l'action de l'AFD dans le Pacifique. Nous avons ainsi décidé d'accélérer les décaissements des lignes de crédit à cette filiale, qui couvre presque la moitié des crédits, afin de ne pas la contraindre en termes de liquidités. L'Institut d'émission d'outre-mer (IEOM) a également réalisé d'importantes avancées. Nous examinerons de manière bienveillante les demandes d'assistance supplémentaire que la Socredo pourrait nous adresser.

Un autre vecteur d'intervention est le soutien à la microfinance. Nous avons largement aidé par le passé l'Association pour le droit à l'initiative économique (ADIE) à s'installer en outre-mer. Nous sommes l'un des financeurs importants de cette association de microfinance, qui est la plus importante en outre-mer. Nous comptons l'aider par une ligne de refinancement massive, qui devrait être rapidement décidée par nos instances. Il s'agit d'un moyen important pour sortir une part de la population du secteur informel. Nous constatons en effet aujourd'hui que ce secteur ne peut recourir aux dispositifs d'aide. Le fonds de solidarité aux entreprises ne s'adresse par définition qu'au secteur formel. Tout ce qui peut aider le secteur informel à sortir de cet angle mort est précieux, notamment dans les zones géographiques où il est prédominant, telles que Mayotte.

M. Michel Magras, président. - Cette question nous a obligés à intervenir, pour demander l'adaptation du fonds de solidarité aux réalités spécifiques de l'outre-mer. Nous avons l'intention par ailleurs d'auditionner l'ADIE, qui joue un rôle remarquable. Je suis heureux que vous souteniez leur action.

M. Bertrand Willocquet. - Nous avons toujours été convaincus de l'utilité des organismes de microfinance. La première présidente de l'ADIE provenait du reste à l'AFD.

En ce qui concerne les secteurs devant être soutenus en priorité, il nous faut porter des efforts importants sur le tourisme. Un plan national est en cours de discussion. Il sera essentiel en Polynésie française, et dans les îles du Nord en Guadeloupe. Dans le reste des outre-mer, le poids du tourisme n'est pas aussi important qu'on l'imagine, même par rapport à la métropole. Si un relèvement rapide du tourisme peut être envisagé en métropole, si les Français y demeurent, la reprise dans les outre-mer sera beaucoup plus longue, en raison de l'éloignement et du confinement externe. Les voyageurs hésiteront à reprendre l'avion dans des conditions non sécurisées. De plus, leurs conceptions ont pu être ébranlées, et ils souhaiteront par exemple des loisirs davantage décarbonés. Cela peut avoir un impact durable sur le tourisme, qui est un moteur essentiel de l'économie ultramarine, notamment pour la Polynésie française. Il convient aussi de prendre en compte le risque d'une seconde vague épidémique.

Le deuxième secteur à avoir été impacté est celui du BTP. Il convient de prendre également en compte tous les circuits d'approvisionnement, essentiel à son fonctionnement. En raison de l'éloignement géographique, des perturbations des sources d'approvisionnement pourraient entraîner des pénuries de matières premières, ou des biens intermédiaires nécessaires au BTP.

Le troisième secteur le plus touché regroupe les services marchands et le commerce. L'activité devrait reprendre assez rapidement, bien qu'il soit nécessaire de la soutenir, notamment en ce qui concerne la restauration et le transport.

Au-delà de l'appréciation sectorielle, l'AFD tient à mettre l'accent sur la différenciation entre chaque type d'entreprises. Il est évident que les grosses entreprises auront davantage de facilité à reprendre que les petites. Or le tissu entrepreneurial des outre-mer est encore bien davantage constitué de petites et moyennes entreprises (PME) et de très petites entreprises (TPE) qu'en métropole. Leurs capacités de résilience sont donc moindres, et elles peuvent ne pas être prises suffisamment en compte dans le périmètre des dispositifs. Ce fait concerne également le secteur informel que j'évoquais.

La question des financements de l'Union européenne est importante pour l'AFD. Dans les États étrangers, l'agence sollicite largement les fonds de l'Union, soit plus de 600 millions d'euros par an. Ils nous sont délégués pour mettre en oeuvre des projets que nous présentons à l'Union européenne. Dans les départements d'outre-mer (DOM) et les régions ultrapériphériques (RUP), les autorités de gestion et de co-programmation stratégique avec l'État et l'Union européenne sont les régions. Nous n'allons pas nous substituer à elles. Néanmoins, des projets à l'échelon régional peuvent à la fois mobiliser des fonds européens comme le FED, mais également du FEDER (programme de coopération Interreg). Ces fonds sont parfois sous-utilisés, avec des risques de dégagement d'office à la fin de la programmation 2014-2020.

Nous sommes en capacité d'identifier des projets pour lesquels un mixage de ces fonds serait envisageable, et susceptible d'intégrer à la fois les RUP et des États étrangers dans les grands bassins océaniques. Nous sommes en capacité de nous voir déléguer des fonds européens, par les délégations de l'Union européenne pour les États étrangers, et/ou par les régions pour la partie FEDER Interreg. Il s'agit d'une piste de réflexion nouvelle. Nous sommes agréés au niveau de l'Union européenne pour la gestion de ces fonds. Certaines pistes sont intéressantes, dans l'océan Indien notamment, telles que le réseau de surveillance épidémiologique de la commission de l'océan Indien. Ce projet mobilise déjà des fonds pour les États étrangers. Il pourrait être intéressant que nous mobilisions des compléments à travers Interreg, pour pouvoir intégrer La Réunion.

Les plateformes d'intervention régionales de la Croix-Rouge constituent une autre possibilité d'action. L'utilisation de ces financements conjoints pourrait être particulièrement adaptée à des projets de santé qui exigent un déploiement au niveau régional, voire international. Ces pistes pourraient constituer des projets pilotes, dans l'attente de la prochaine programmation, et des prochains documents cadres 2021-2027.

Mme Nassimah Dindar, rapporteure. - Je suis heureuse d'entendre que sur l'océan Indien, les perspectives de mobilisations Interreg sont très ouvertes. En effet, une partie d'entre eux est reprise sans avoir pu être utilisée pour la coopération régionale. En matière de santé, avec les Comores, Mayotte, et La Réunion, il est important que l'AFD puisse porter des projets plus structurants. Ils pourraient notamment inclure la construction d'un hôpital, ou la mise en place de la dialyse aux Comores, afin d'éviter que les Comoriens se rendent au centre hospitalier de Mayotte (CHM) ou au centre hospitalier universitaire (CHU) de La Réunion. Vous mobilisez déjà des fonds très larges sur la zone océan Indien. Je serai partie prenante pour que l'AFD puisse porter cette vision globale, notamment sur la santé.

Par ailleurs, vous ne m'avez pas répondu sur la gestion de l'eau.

M. Michel Magras, président. - Les relations avec l'Union européenne constituent une question importante. L'AFD est un acteur fondamental dans la gestion du FED à destination des pays d'Afrique, Caraïbes et Pacifique (ACP). Sans frustrer les collectivités des DOM, il convient d'envisager la manière dont votre compétence pourra contribuer de manière plus efficiente à l'utilisation globale de ces fonds. Néanmoins, en ce qui concerne les dégagements d'office, il me semble que l'utilisation n'est pas aussi mauvaise que nous pouvions le craindre pour les RUP. Avec la crise, l'Europe consent des efforts importants sur le secteur de la santé, et les RUP comme les collectivités par bassin devront rapidement se positionner. Il convient de mener une action à ce niveau, et l'AFD pourra jouer un rôle important en faisant le lien entre les régions et les États étrangers.

M. Bertrand Willocquet. - Je vous remercie de votre soutien, Madame Dindar. Je parlais des fonds Interreg à usage régional. L'idée est d'offrir aux régions une assistance pour porter des projets, et utiliser les fonds dont elles disposent. La programmation stratégique peut évoluer dans le temps, et la santé deviendra certainement prioritaire. Néanmoins, en ce qui concerne les autres programmes européens à destination des RUP, les autorités de gestion demeurent maîtresses de la stratégie et de la mise en oeuvre. Si notre expertise est sollicitée, nous répondrons présents. Nous avons une grande habitude de l'utilisation de ces fonds, qui peut être complexe. La redevabilité est en effet tatillonne, avec des risques financiers associés.

Dans un premier temps, nous proposons nos services aux collectivités régionales en ce qui concerne la mobilisation de fonds à leur échelle. Les projets uniquement nationaux des états étrangers sont déjà financés par d'autres ressources, et notamment le FED. Mais dans certains cas, qu'il s'agisse de l'environnement ou de la santé, les problématiques doivent être appréhendées au niveau régional. Les organisations régionales, telles que la Communauté du Pacifique (CPS) ou la Commission de l'Océan Indien (COI) nous sollicitent pour des financements. Si nous parvenons à croiser les financements FEDER et FED, nous pourrons intégrer les outre-mer dans leurs bassins régionaux respectifs.

L'AFD intervient déjà massivement dans le financement des équipements publics, qui contribuent à la réduction des inégalités. Il s'agit en effet de notre premier secteur d'intervention. Nous continuerons naturellement. Il convient également de ne pas négliger le soutien aux ONG. Le ministère des outre-mer, en créant le fonds outre-mer 5.0 a ainsi ouvert un volet de soutien aux ONG. Il permettra le renforcement de leurs capacités, une assistance pour qu'elles mobilisent des fonds européens, mais également un financement en subventions si nécessaire. Nous commençons à mettre ces projets en place. Tous ne pourront être soutenus, en raison de leur nombre. Ils pourront être un facteur important de réduction des inégalités.

Le secteur de l'eau est important pour l'AFD. Nous disposons d'une division technique spécifiquement dédiée à cette question. Les financements sont disponibles, et des projets existent. Mais la capacité à les mettre en oeuvre localement peut faire défaut. De même, il faut bien reconnaître un déficit de gouvernance, qu'il faudra résoudre. Les pouvoirs publics s'y attellent, avec le plan Eau DOM, à l'élaboration duquel nous avons contribué. Nous avons lancé des études, et nous continuons à l'accompagner. Il prévoit le renforcement des capacités des acteurs locaux dès cette année, notamment par des formations.

Les situations varient grandement selon les départements. Mayotte connaît une crise. Nous apportons une assistance technique au Syndicat intercommunal d'eau et d'assainissement de Mayotte (SIEAM). En Guadeloupe, le préfet s'attelle à cette question. Nous serons à sa disposition, pour financer une assistance technique si nécessaire. La programmation stratégique est copilotée par les ministères, pour aller de l'avant.

En Polynésie française, ce sujet a également été insuffisamment pris en compte. Les communes devaient se voir attribuées cette compétence, mais cela a été reporté. Nous souhaitons aider la Polynésie française à définir une stratégie territoriale sur l'eau, avant de passer aux investissements concrets.

M. Stéphane Artano, rapporteur. - À ce stade, l'AFD pourrait-elle participer au tour de table pour le plan de relance à l'échelle des outre-mer ? La ministre a indiqué réfléchir à des dispositifs de relance spécifiques.

M. Bertrand Willocquet. - Nous serons naturellement à la disposition des ministères pour participer à un plan de relance général ou sectoriel pour l'après-crise sanitaire. L'AFD a la particularité parmi les bailleurs de fonds d'être le plus en pointe en ce qui concerne le développement durable et la trajectoire 5.0 dans les outre-mer. Nous ferons davantage attention à ce que le maximum de nos financements soit orienté en faveur de ces objectifs, c'est-à-dire essentiellement le climat, les océans, la biodiversité, et la santé.

Mme Vivette Lopez. - Le secteur du tourisme en outre-mer fera face à des difficultés. Il est vraisemblable que les voyageurs ne désirent pas dans un premier temps réaliser de longs voyages, et que ceux qui ont été bloqués pour leur retour en métropole soient quelque peu « refroidis ». Vous évoquiez par ailleurs des difficultés pour le secteur du BTP, mais il me semble que l'approvisionnement du courrier et des produits de première nécessité posera également problème. Le surcoût risque d'être très important. Qu'en sera-t-il notamment pour les masques ?

Par ailleurs, depuis quelques années, les investissements de la Chine en Afrique sont très importants. Qu'en est-il actuellement ? L'origine chinoise du virus a-t-elle modifié les échanges avec les populations ? Quelle est la part de la Chine dans les aides à destination de l'Afrique pour lutter contre la pandémie ? Quels sont les autres pays qui y participent ? La France et la Russie se positionnent-elles ? La gestion des précédentes crises sanitaires a-t-elle préparé les populations africaines et leurs dirigeants à ce type de pandémie ?

M. Thani Mohamed Soilihi. - Je partage votre propos concernant le problème posé par le secteur informel. À Mayotte, pour la première fois cette année, le statut d'auto-entrepreneur s'appliquera. Il s'agira d'un véritable défi pour sortir de l'économie informelle. Je partage également les propos de Nassimah Dindar sur l'importance de la coopération régionale. Quel sort sera-t-il réservé aux projets en cours ? À Mayotte, des projets très structurants ont été entrepris ou envisagés. Quand le Président de la République s'y est rendu en octobre 2019, il avait ainsi annoncé la construction d'un deuxième hôpital. Je songe également au projet de piste longue. En effet, les avions doivent aujourd'hui faire escale à La Réunion. L'AFD est très impliquée dans l'accord-cadre France-Comores, qui est essentiel. Le fait que de nombreux Comoriens soient obligés de venir chercher une vie meilleure à Mayotte, et les Mahorais à La Réunion constitue un handicap pour cette région. L'accord-cadre est notamment destiné à ce que chacun recherche avant tout le développement dans son propre pays. Ces projets seront-ils remis en cause par cette crise, alors même qu'il faudrait les accélérer ? Je songe également aux contrats de convergences et de transformation (CCT).

M. Bertrand Willocquet. - Il nous est difficile de mesurer la part de la Chine dans la réponse internationale à la crise dans les pays du Sud. Il est certain qu'elle est présente, et la France doit également l'être. Certaines zones géographiques font l'objet de propositions chinoises, comme de celles d'autres pays, à côté des bailleurs de fonds internationaux. Nous devons en prendre conscience dans l'analyse de nos réponses.

L'AFD est bien en peine de pouvoir répondre à la question des pénuries. Nous disposons de réseaux d'alerte et de préparation à des catastrophes naturelles ou sanitaires, et nous essayons de le faire, avec les plateformes d'intervention régionale de la Croix-Rouge, qui disposent de stocks prépositionnés à La Réunion, afin de rayonner dans l'ensemble de l'océan Indien. En matière de pénuries, les outre-mer à proprement dits font face à des problématiques de sécurité civile ou de santé relevant directement des hôpitaux. Nous nous inscrivons davantage dans une perspective de financement des investissements à long terme. L'aide qu'il faudra apporter aux hôpitaux pour se préparer à de prochaines épidémies apparaît aujourd'hui beaucoup plus centrale que par le passé. Les outre-mer devront faire l'objet de dispositifs spécifiques. La métropole connaît pour la première fois une épidémie de cette ampleur, alors que les outre-mer ont subi l'impact du chikungunya il y a une quinzaine d'années, ou de la dengue régulièrement.

Vous avez raison de rappeler la nécessité que des réponses soient apportées dans chacun des pays. Le Plan de développement France-Comores (PDFC) n'est du reste nullement mis en sommeil, bien au contraire. Nous prévoyons toujours d'intervenir massivement, et nos instances examinent de nombreux projets. L'envoi de personnel sur place est cependant quelque peu ralenti, mais cette situation n'est que temporaire. Rien n'a été interrompu. Nous avons cependant envisagé à la marge de réallouer certains fonds à une réponse plus directe à la crise sanitaire. Pour le reste, l'AFD ne modifiera pas fondamentalement son programme d'activités. L'AFD a par ailleurs lancé l'initiative « Santé en commun », qui réalloue une partie des fonds sur des réponses directes ou indirectes à la crise du Covid-19. Néanmoins, il ne s'agit que d'une part de l'intervention de l'AFD. Les moyens ne font pas défaut. Le problème auquel nous faisons face réside dans l'impossibilité des maîtrises d'ouvrage locales de mettre en oeuvre ces projets, car ces pays sont encore confinés. Les projets seront ainsi reportés à l'année suivante, mais certainement pas abandonnés.

En ce qui concerne les grands projets à Mayotte, il n'appartient pas à l'AFD de répondre, puisque nous n'avons pas encore été sollicités pour ceux que vous avez mentionnés. Je ne crois cependant pas qu'ils soient mis en sommeil à cause de la crise sanitaire. Il me semble au contraire que celle-ci pourrait constituer un accélérateur. Un plan de relance de la commande s'appuierait sans doute sur des priorités qui avaient été établies précédemment. Nous insisterons sans doute bien davantage sur une croissance résiliente et durable.

M. Robert Laufoaulu. - Je voudrais vous poser des questions plus spécifiques concernent Wallis-et-Futuna. Une mission d'expertise d'orientation économique du territoire a été demandée par la ministre des outre-mer. Nous n'avons pas eu de retour pour l'heure. Êtes-vous informé de cette mission ?

Je souhaiterais également connaître l'avancement du remboursement de l'emprunt réalisé par le territoire pour sa connexion au câble sous-marin. De même, qu'en est-il du remboursement de la dette de l'Agence de santé de Nouvelle-Calédonie ?

Mme Victoire Jasmin. - Vous avez évoqué la question de l'eau. J'ignore si des opérations d'assainissement collectif sont prévues en Guadeloupe. Vous avez identifié un certain nombre d'actions en cours, mais les problèmes auxquels nous faisons face ne sont pas liés au Covid-19.

De même, de nombreuses entreprises sont en difficulté, en raison des mesures prises dans le cadre du confinement. Quels rapports entretenez-vous avec la Chambre de commerce et d'industrie (CCI) et la Chambre consulaire ? Des mesures sont-elles prévues ?

M. Bertrand Willocquet. - L'AFD a été sollicité par le ministère des outre-mer pour fixer les contours de l'étude qu'il faudra lancer sur Wallis-et-Futuna. Il est vrai que le confinement nous a empêchés d'envoyer une mission sur place. Nous n'oublions cependant pas ce territoire.

En ce qui concerne les deux prêts que vous évoquez, je n'ai pas eu connaissance de demandes de remboursements. Je me renseignerai naturellement, et vous communiquerai la réponse.

M. Robert Laufoaulu. - Le câble devait être financé par le FED territorial. Nous avons noué une convention permettant l'avance des financements. Je souhaitais savoir si l'État a remboursé cet emprunt réalisé par le territoire.

M. Bertrand Willocquet. - L'État fixe les échéances. J'ignore en ce qui concerne le câble s'il s'agit d'un préfinancement de la subvention FED. Si celle-ci a été allouée, il apparaît en effet nécessaire de l'utiliser pour rembourser le prêt. S'agissant de l'Agence de santé, l'État rembourse l'AFD, en prélevant une partie des sommes sur la dotation de l'agence.

Mme Victoire Jasmin. - Vous avez évoqué le microcrédit, mais certaines petites entreprises n'en bénéficieront pas nécessairement.

M. Bertrand Willocquet. - L'Association pour le droit à l'initiative économique (ADIE) devrait disposer de ressources supplémentaires cette année. Je crois par ailleurs que le fonds de solidarité des entreprises fonctionne pour celles que vous évoquez, dès lors qu'elles sont enregistrées, et à jour de leurs cotisations sociales. Le Gouvernement a largement augmenté la dotation globale de ce fonds, en le portant à 7 milliards d'euros. Il me semble que le circuit de distribution passe par les préfectures.

M. Michel Magras, président. - Les accords sont en effet noués avec les préfectures ou les collectivités.

Je souhaiterais revenir sur la question du financement des hôpitaux. Vous avez indiqué qu'un remboursement accéléré pourrait être envisagé pour leur permettre des investissements de modernisation. Ce sujet me semble passionnant. Pour les petites communes, sans vouloir bousculer la carte sanitaire et l'organisation des Agences régionales de santé (ARS), je milite pour une autonomie thérapeutique en période de crise, c'est-à-dire la possibilité de traiter sur place les patients. Pouvez-vous développer cette question ?

Par ailleurs, de nombreuses voix s'élèvent pour demander que les contrats de convergence et de transformation (CCT) soient rediscutés. L'AFD dispose-t-elle d'informations sur ces questions, qui seront posées à la ministre la semaine prochaine ?

M. Bertrand Willocquet. - Le dispositif de désendettement des hôpitaux est une mesure nationale. Au dernier trimestre 2019, le Gouvernement a annoncé qu'il prendrait en charge de 30 % à 33 % de l'endettement des hôpitaux, mais sans en préciser les modalités concrètes. Ce rôle a été dévolu aux missions de l'Inspection générale des finances (IGF) et de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS). Nous nous dirigeons vers une prise en charge des échéances de remboursement par l'État. Les dettes seront donc conservées par les hôpitaux, mais un tiers sera pris en charge chaque année par l'État.

Nous ignorons cependant si une répartition sera réalisée par type d'hôpitaux, ou par géographie. Les hôpitaux les plus endettés, ou ceux qui ont le plus besoin d'investir seront-ils priorisés ? Le but de l'opération est précisément de désendetter les hôpitaux pour que ceux qui en ont le plus besoin soient en capacité d'investir sur leurs ressources propres, mais également grâce à l'emprunt. Cela n'est pas possible lorsque leur dette est trop importante. Une analyse fine sera menée, par les ARS, le ministère de la Santé, ou d'autres acteurs. Il me semble que ces différents critères seront mobilisés pour déterminer les modalités précises de ce dispositif. Dans les outre-mer, les besoins sont très importants. Il est donc envisageable qu'il leur bénéficie particulièrement.

Nous avons été peu associés aux CCT. En effet, le ministère des outre-mer n'était pas le seul concerné. Tous les ministères sont intervenus directement avec leur budget. L'AFD n'étant pas en relation avec l'ensemble d'entre eux, nous n'avons été associés qu'en phase finale. Je ne peux donc pas vous indiquer si les CCT sont remis en cause ne disposant pas d'information en la matière. Songez-vous à une adaptation des CCT pour la relance ?

M. Michel Magras, président. - Je vous pose cette question, car certains élus demanderont au Gouvernement de les adapter à l'après-crise.

M. Bertrand Willocquet. - Nous n'avons pas d'information particulière en la matière. Il ne me semble cependant pas illogique de l'envisager.

M. Victorin Lurel. - Je comprends le rôle des banques commerciales, de la banque publique d'investissement (BPI), voire de la CDC, dans le plan de relance. Quel sera le rôle précis de l'AFD en la matière ? Si l'agence en tant que telle n'intervient plus comme avant vis-à-vis des collectivités, quel est le rôle de Proparco du groupe AFD ? L'activité de ce dernier dans les outre-mer est-elle encore soutenue, en faveur du secteur privé ? Avez-vous déjà fait des propositions au Gouvernement sur des dispositifs permettant de soutenir la relance ?

M. Bertrand Willocquet. - Pour l'heure, le ministère des outre-mer réfléchit à des propositions, et il a sollicité les différents acteurs qui travaillent avec lui, dont la BPI, l'AFD, la CDC, et d'autres. Nous sommes avant tout le financeur des collectivités locales. Hors logement social, les deux tiers des emprunts à moyen et long termes pour les besoins de financement sont assumés par l'AFD. Nous aurons donc un rôle essentiel à jouer. Nous sommes prêts à assouplir davantage certains outils, voire à en créer de nouveau, pour favoriser la relance. Nous devrons notamment améliorer le dispositif de préfinancement des subventions d'État ou européennes.

La ligne de partage entre la BPI et l'AFD est claire. La BPI distribue ses outils d'intérêt général dans les outre-mer, parmi lesquels figurent la garantie, le financement court terme, et le financement des besoins en fonds de roulement. De même, certains de ses financements portent sur du plus long terme, selon le principe de base de la BPI, que nous appliquons également, de n'être jamais seul, mais toujours en subsidiarité avec le système bancaire. En effet, la BPI et l'AFD sont des instruments publics, qui n'ont pas vocation à perturber la concurrence sur le marché bancaire.

L'AFD a conservé une activité de prêt à moyen terme, sur des tickets supérieurs à ceux sur lesquels intervient la BPI, sur un certain nombre de secteurs (distribution, tourisme, foncier d'aménagement ou de logement intermédiaire, collectivité, transport aérien, énergies renouvelables). Notre outil d'intervention est le prêt la BPI qui a également pour rôle d'intervenir en haut de bilan. Proparco n'intervient pas dans les outre-mer, mais dans les États étrangers.

Les financements directs de l'AFD aux entreprises privées varient selon les années de 60 à 140 millions d'euros. Nous avons adapté nos opérations à la taille de chaque territoire. Pour La Réunion ou les Antilles, nous n'interviendrons sans doute pas sur de petits tickets, car nous considérons qu'il s'agit du rôle du réseau bancaire existant. Néanmoins, pour Saint-Pierre-et-Miquelon, Mayotte, ou la Guyane, nous acceptons d'intervenir sur des tickets très inférieurs, pouvant descendre jusqu'à 2 millions d'euros.

M. Victorin Lurel. - Je suis étonné, car je croyais que Proparco intervenait par le passé dans les outre-mer, et continuait aujourd'hui. Vous êtes présents dans plus de 80 pays, et disposez de plus de 5 milliards d'euros de bilan. J'imaginais que vous disposiez de clients dans les outre-mer, comme par le passé.

M. Bertrand Willocquet. - Du temps de Proparco, les interventions du groupe AFD étaient très réduites dans les outre-mer, parce que Proparco travaillait sur des montants élevés, de l'ordre de 10 millions d'euros. Nous intervenons pour notre part sur des tickets nettement inférieurs. Nous avons au contraire réactivé cette activité de secteur privé, en la relogeant au sein du département des Trois Océans, avec une équipe dédiée au siège, et des correspondants dans les agences, qui prospectent le marché. Nous n'intervenons par ailleurs jamais seuls.

M. Victorin Lurel. - Vous venez d'engager une nouvelle édition d'études statistiques sur l'économie africaine, ce qui me paraît une très bonne chose. Néanmoins, vous ne réalisez plus pour les outre-mer les Comptes économiques rapides (CER).

M. Bertrand Willocquet. - La plateforme Comptes économiques rapides pour l'outre-mer (CEROM) existe toujours avec l'Institut d'émission d'outre-mer (IEOM) et l'Institut d'émission des départements d'outre-mer (IDEOM).

M. Victorin Lurel. - Mais la dernière publication du CEROM remonte à un certain temps. La dernière publication pour la Guadeloupe porte sur des données de 2017. Il n'est pas possible de travailler dans ces conditions.

M. Bertrand Willocquet. - La plateforme existe, mais elle réunit beaucoup de partenaires. Chacun effectue les tâches dans lesquelles il est spécialisé. Il est vrai que les comptes économiques de comptabilité nationale relèvent surtout de l'INSEE. D'autres études sont cependant réalisées.

M. Michel Magras, président. - Je vous remercie pour la qualité de ces échanges. J'ai bien retenu l'implication de l'AFD, dans la gestion des fonds européens. Je crois qu'après la crise, dans l'ensemble de nos bassins océaniques, la coopération à l'échelon régionale devra être approfondie, et réorientée vers certains domaines. Je comprends qu'à travers les fonds Interreg pour les RUP, et le FED pour les pays et territoires d'outre-mer (PTOM), l'AFD sera un partenaire déterminant.

M. Bertrand Willocquet. - Je vous remercie également de ce plaidoyer pour notre intervention. J'ai cependant oublié de mentionner le fait que l'AFD intégrerait prochainement Expertise France, qui est l'opérateur public de l'expertise française à l'international. Nous souhaitons pouvoir l'installer également dans les outre-mer, ce que son statut ne permet pas aujourd'hui. L'extension de son mandat dans les outre-mer serait particulièrement utile.

M. Michel Magras, président. - Nous prenons bonne note de votre remarque. Je vous remercie.