Mercredi 13 mai 2020

- Présidence de M. Jean-Marie Bockel, président -

La téléconférence est ouverte à 17 heures.

Audition de Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales

M. Jean-Marie Bockel, président. - Madame la ministre, chère Jacqueline Gourault, nous sommes très heureux de vous accueillir après quelques modifications de date dont vous n'êtes pas responsable - je puis en témoigner. En tant que ministre chargée des relations avec les collectivités territoriales, vous étiez naturellement conviée, le 23 avril, date initialement prévue pour cette audition - je vous remercie d'ailleurs d'avoir répondu aux questions écrites de nos collègues -, à la réunion organisée par la présidence de la République avec un panel de maires. Le report de cette audition n'est, au fond, pas une mauvaise chose : il nous donne, puisque nous sommes désormais au début du déconfinement, un certain recul pour envisager l'avenir.

Vous aurez à coeur d'évoquer la mise en oeuvre des mesures relatives aux collectivités prises par le Gouvernement pour faire face à l'épidémie, et peut-être tirerez-vous les premières leçons qui peuvent l'être sur la place des collectivités dans la gestion de la crise. Sur la proposition de protocole qu'a rendue publique le Sénat le 30 avril dernier à l'issue d'un travail effectué avec les grandes associations d'élus, nous n'avons pas à proprement parler reçu de réponse de la part du Gouvernement ; mais nous sentons qu'il a fait son miel de ce travail.

Peut-être nous direz-vous aussi votre sentiment sur l'éclairage que jette cette crise sur votre projet de loi dit « 3D » - décentralisation, différenciation et déconcentration. Un groupe de travail sur ce sujet réunit, au Sénat, l'ensemble des groupes politiques ; il est piloté par deux corapporteurs, Philippe Bas et moi-même, auxquels sont associés Mathieu Darnaud et Françoise Gatel. Cette démarche sénatoriale et celle du Gouvernement ont vocation à converger, et nous travaillons dans un état d'esprit constructif. Cette crise nous interpelle tous ; elle nous oblige à approfondir notre réflexion sur la poursuite de la déconcentration, en matière sanitaire par exemple.

Je voudrais également évoquer, bien qu'elle ne soit pas notre coeur de métier ni le vôtre, la problématique des finances locales. Le coût de la crise sanitaire est énorme pour les collectivités, qui faisaient déjà face à des difficultés financières : pertes de recettes, dépenses supplémentaires - cela vaut d'ailleurs aussi pour l'État.

Il est beaucoup question, surtout depuis hier, de l'installation des fameux 30 000 conseils municipaux élus dès le premier tour et, pour toutes les autres communes, du deuxième tour. Il y a quelques semaines, vous aviez publiquement donné votre sentiment en disant que vous imaginiez plutôt un report des élections en septembre ou octobre, avec un premier tour à refaire. Or on entend de plus en plus parler d'un deuxième tour avant les vacances. Pour ma part, je ne saurais trancher : des deux côtés, il y a vraiment, comme toujours, du pour et du contre, en matière épidémiologique comme en matière politique, rappelant quand même qu'au mois de juin l'état d'urgence sanitaire sera toujours en vigueur.

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. - Votre introduction, monsieur le président, m'a semblé assez complète : installation des conseils municipaux, finances locales - ce sujet, même si je le partage avec Gérald Darmanin, relève bien de mon ministère -, conséquences de la crise sur la réflexion autour du projet de loi 3D. Je commencerai par évoquer le rôle des collectivités pendant la crise.

Les collectivités locales ont joué un rôle absolument majeur, en particulier les municipalités. Pendant cette période, la proximité a été un facteur décisif là où il s'est agi de soutenir et de conseiller la population et de faire preuve de pédagogie eu égard aux exigences de sécurité sanitaire. D'une manière générale, la période de confinement s'est très bien passée, y compris dans les grandes villes et dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville.

Le déconfinement est évidemment aussi un sujet pour les collectivités locales. On a pu très rapidement constater que, sur la question des masques comme sur celle des tests, elles jouent, là encore, un rôle majeur, en complémentarité avec l'État.

La période ouverte depuis lundi soulève évidemment son lot d'interrogations. J'ai échangé ce lundi, par visioconférence, avec les représentants de l'Association nationale des élus du littoral (ANEL). Ils étaient extrêmement satisfaits de pouvoir rouvrir leurs plages en accord avec le préfet, mais mesuraient en même temps toute la complexité des mesures à prendre pour rendre possible la fréquentation des plages dans le respect de la distanciation physique.

Chacun à sa place, l'État et les collectivités territoriales jouent un rôle également important et complémentaire - j'ai l'habitude d'insister sur ce point. Certains responsables ont pris des positions qui m'ont semblé choquantes, entonnant l'air de l'incapacité de l'État à faire quoi que ce soit et tressant des lauriers aux seules collectivités ou, à l'inverse, prétendant que seul l'État serait capable, dans ce genre de situation, de trouver des solutions.

L'État a montré, en période de crise, qu'il était capable d'être plus réactif qu'il ne l'est en temps normal ; il faut sans doute en tirer des conclusions pour l'avenir, afin que l'État reste aussi agile qu'il l'a été sur certains sujets et ne retombe pas dans ses habitudes de lenteur dans la prise de décision.

Reste que - c'est le grand enseignement de cette crise - c'est la complémentarité de l'État et des collectivités territoriales qui apporte des réponses à nos concitoyens, ce qui n'est pas sans nourrir notre réflexion sur le projet de loi 3D. Je pense en particulier au volet relatif à la réorganisation de l'État territorial, ce que j'avais appelé la « déconcentration » ; mais je suis désormais persuadée également qu'un certain nombre de choses, en matière de santé, doivent être faites dans le cadre de la décentralisation.

M. Mathieu Darnaud. - Je remercie le président Bockel d'organiser toutes ces auditions ; nous sommes extrêmement sollicités, et ces auditions nous fournissent des réponses précieuses.

Premier point : on entend beaucoup de choses sur le second tour des municipales. Vous nous renverrez sans doute au 23 mai et au rapport du comité scientifique, mais nous avons le sentiment qu'il peut se passer des choses en coulisses - il est déroutant pour les élus de ne pas savoir.

Deuxième point : s'agissant de la coordination entre les collectivités et l'État ou l'État territorial, ma conviction est que nous avons besoin des deux. Pour autant, cette crise agit comme un révélateur et rend visible la nécessité d'opérer un choix clair du côté de l'État territorial : qui, du préfet de département ou du préfet de région, doit coordonner et jouer le rôle de chef de file, en période de crise notamment ? Entre le préfet de département et les collectivités, les choses se sont relativement bien passées, dans l'agilité et la réactivité. Ma préférence va donc au préfet de département. Sur certains sujets, la région peut être l'échelon pertinent, mais je considère, d'une manière générale, qu'il existe au niveau des départements des singularités qui justifient de traiter les sujets de manière particulière.

Troisième point : la question du tourisme et des communes touristiques. Vous avez abordé ce sujet devant la commission des Lois la semaine dernière, indiquant que les jours suivants apporteraient leur lot de réponses. Je suis élu d'un département, l'Ardèche, dans lequel de nombreuses collectivités sont en proie à des difficultés de fonctionnement, parce qu'elles tirent une part importante de leurs ressources de cette quasi-monoactivité touristique. Une circulaire permet déjà aux préfets d'aider les collectivités via un système d'avances de dotations. Imaginez-vous qu'une aide spécifique puisse être consentie aux communes touristiques, qui ont particulièrement besoin de la solidarité nationale ?

M. Jean-Marie Bockel, président. - Cette dernière question tombe à point nommé, puisque Mme la ministre participera demain, à Matignon, à une réunion interministérielle sur la question du tourisme.

M. Marc Daunis. - Le report du deuxième tour des élections municipales à octobre 2020, voire mars 2021 m'apparaît inévitable et souhaitable, pour de multiples raisons. Dans les communes en attente d'un deuxième tour, les ordonnances ont donné un pouvoir XXL aux exécutifs locaux - c'était nécessaire. Il existe néanmoins, dans un nombre significatif de ces communes, des tensions très fortes, délétères, au sein des exécutifs. J'ai en tête deux cas au moins, dans les Alpes-Maritimes, de maires minoritaires, depuis quelques mois, dans leur propre conseil municipal. En cas de report de ces élections, ne conviendrait-il pas de renforcer leur légitimité démocratique ? La crise sanitaire exige des exécutifs locaux très opérationnels et générateurs de confiance pour leur population, d'autant que les échéances économiques et sociales des mois à venir vont être décisives.

Je plaide pour que soit organisée, lors du premier conseil municipal qui pourra se tenir en présentiel, une réélection du maire et des exécutifs, afin d'assainir la situation. J'aurais souhaité par ailleurs que soit retenue une même date, au mois de juin, pour l'élection ou la réélection, dans toutes les communes de France, de tous les maires et adjoints, cette date étant érigée en jour de la démocratie. Ce beau symbole aurait facilité l'installation et, dans la foulée, la stabilisation des intercommunalités.

Mme Sonia de la Provôté. - Les disparités entre les territoires ont été extrêmement visibles dans cette période particulière que nous avons traversée. Les solidarités se sont organisées différemment d'un territoire à l'autre, mais, partout, on a innové pour trouver des solutions aux problèmes. Je note que l'échelon départemental a souvent été le plus efficace pour échanger sur les bonnes pratiques. Ce bouillonnement d'échanges sur la pratique locale est un outil qui nous manquait.

Un travail très important a été effectué autour du préfet de département pour faire avancer les dossiers, de la question des masques aux sujets économiques. Le dialogue s'est accru avec les maires, mais aussi avec les conseillers départementaux et les conseillers régionaux. Le préfet de département est devenu le « couteau suisse » de l'action de l'État ; il a joué, dans cette parenthèse, le rôle de guichet unique, d'interlocuteur privilégié, là où les services de l'État fonctionnaient plutôt, jusqu'alors, en silos rigides. Les interlocuteurs étaient trop variés et le rôle de chacun trop rigoureusement hiérarchisé, s'agissant notamment de l'interprétation de la répartition des compétences post-loi NOTRe. Il y a là un enseignement précieux dans la perspective de la loi 3D.

Ce rôle de guichet unique n'est évidemment pas sans rappeler l'objectif qui a présidé à la création de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), dont les compétences sont pour l'instant assez limitées, mais qui répond bien à cette double exigence de coconstruction et d'horizontalité. Liée à l'État et déclinée au niveau départemental, cette structure a vocation à servir de pôle de référence auprès des élus. La loi 3D va redessiner en profondeur l'organisation de l'État déconcentré ; nous ne devrons pas omettre d'y inclure une réflexion autour de cet outil qu'est l'ANCT.

Nous venons, avec mon collègue Michel Dagbert, de rendre un rapport sur le patrimoine : il existe, en la matière, trop d'interlocuteurs ; il faut de l'harmonisation, de la simplification, de la structuration. Nous attendons de l'État qu'il soit conseil, stratège, expert, qu'il nous accompagne et nous aide à travailler ensemble, qu'il ne fasse pas que contrôler, mais devienne un vecteur de coopération entre les différents échelons. Si l'on fait le bilan des bonnes pratiques qui ont émergé dans cette situation si particulière, la crise a révélé de nouvelles façons de faire fonctionner notre démocratie, qui peuvent servir de modèles. La loi 3D devra répondre à cet espoir.

Mme Michelle Gréaume. - MM. Darmanin et Dussopt ont récemment évoqué la possibilité d'un versement anticipé du Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) dès 2021 - n+1, donc, au lieu de n+2. Pourquoi ne pas aller jusqu'à proposer sa contemporanéité, afin que les dépenses des collectivités soient compensées l'année où elles sont engagées ? Des mesures de lissage et d'assouplissement ont été annoncées, mais toujours rien de concret pour compenser les milliards d'euros perdus par les collectivités entre 2020 et 2022. Celles-ci auront pourtant un rôle essentiel à jouer dans la relance de l'activité ; il faudra les aider financièrement. Les petites communes, notamment, ont perdu des recettes importantes et font face à des dépenses exceptionnelles.

M. Raymond Vall. - À l'issue du conseil des ministres du 12 mai, le Premier ministre a annoncé que le Gouvernement autorisait l'installation des conseils municipaux élus dès le premier tour du 15 mars dernier. Ces conseils vont désormais pouvoir se réunir pour élire leurs maires et leurs délégués communautaires. Quid des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), dont une partie des élus sont issus de communes restant en attente du second tour des élections ?

M. Jean-Marie Bockel, président. - Quel rôle peut-on attendre des collectivités locales dans la mise en place des brigades sanitaires ?

Mme Jacqueline Gourault, ministre. - La mise en place des brigades sanitaires relève naturellement du ministère de la Santé, mais on sait combien les collectivités ont un rôle essentiel à jouer en la matière, en particulier les départements, dont les compétences dans le domaine social représentent souvent plus de la moitié de leur budget. Ces brigades sont composées à partir de personnels sanitaires et de personnels des caisses de sécurité sociale, souvent complétés par des personnels qui dépendent du département, des assistantes sociales notamment. Le préfet de département mobilise, dans certains départements, les centres communaux d'action sociale (CCAS) et les centres intercommunaux d'action sociale (CIAS) pour former ces brigades. Cette question a été abordée hier, à l'Assemblée nationale, sous l'angle du secret médical ou de la « discrétion » médicale ; nous disposons, dans les départements, dans les CCAS et dans les CIAS, de personnes habituées à ce secret et à cette discrétion.

Mathieu Darnaud a souligné le rôle de l'État territorial. Vous avez tous insisté, Sonia de la Provôté notamment, sur les préfets de département. Ils ont été, pendant la crise, le pivot permettant l'action ; c'est dans le cadre des départements qu'étaient activés les centres opérationnels départementaux et organisées les relations avec les collectivités territoriales.

Le rôle des agences régionales de santé (ARS) n'a pas été explicitement évoqué ; ces agences régionales ont depuis peu des délégués départementaux. Beaucoup d'élus, ici ou là, ont soulevé la question de la relation entre les ARS et les préfets de département ; si elle a parfaitement fonctionné dans certains endroits, elle a été, dans d'autres, un peu moins fluide. D'ailleurs, soit dit en passant et d'une manière générale, le système des agences est un objet de préoccupation, sachant que les ARS ne sont pas les seules agences de l'État. Des territoires remonte régulièrement le souhait que les relations entre les services de l'État, agences, préfets de région, préfets de département soient mieux coordonnées. Le Premier ministre et le Président de la République avaient d'ailleurs soulevé cette question avant la crise sanitaire ; il est désormais urgent de la traiter.

Mathieu Darnaud a également parlé du tourisme. On sait combien les communes touristiques ont été touchées par cette crise sanitaire. Elles ont perdu beaucoup de recettes ; elles vont évidemment être aidées par l'État. Je ne saurais annoncer aujourd'hui quoi que ce soit de précis, puisque c'est demain matin que le Premier ministre réunit le comité interministériel du tourisme - Jean-Yves Le Drian et Jean-Baptiste Lemoyne sont en train de préparer des propositions. Nous avons travaillé avec l'ANEL et avec l'Association nationale des élus de la montagne (ANEM) - littoral et montagne concentrent la plupart des communes touristiques. Il faudra répondre à plusieurs niveaux : emplois saisonniers, recettes des collectivités territoriales, taxe de séjour, etc.

Je ne m'étonne pas que Sonia de la Provôté, qui est du Calvados, ait insisté sur le rôle du département : le président du conseil départemental n'y est autre que Jean-Léonce Dupont, dont je sais combien, à raison, il défend ce rôle. On parle à l'envi du couple maire-préfet, mais on sait aussi l'efficacité du couple que forme le président du conseil départemental avec le préfet de département.

Nous avons recensé, sur le site du ministère et sur celui de l'ANCT, une liste de 350 bonnes pratiques et initiatives territoriales ; nous en avons été remerciés.

Pour ce qui est de l'ANCT, précisément, je rappelle qu'elle est née le 1er janvier de cette année. Bien qu'elle soit née juste avant la crise, donc, elle a été très active, depuis deux mois, pour conduire un certain nombre d'actions, concernant notamment la nouvelle génération de fonds européens. Nous avons reçu la commissaire européenne pour échanger sur la future enveloppe des fonds structurels européens : Fonds social européen (FSE), Fonds européen de développement régional (Feder), Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader). Nous avons obtenu de Bruxelles des facilités pour utiliser les crédits européens disponibles afin d'engager des dépenses ; c'est très important au regard des dépenses supplémentaires auxquelles les communes ont dû faire face.

Je rappelle par ailleurs que l'ANCT a continué de travailler sur ses programmes : Territoires d'industrie ou Action coeur de ville, par exemple. Le coronavirus a certes ébranlé le travail en cours, mais nous ne sommes pas restés les bras ballants. Une réunion aura lieu la semaine prochaine sur Action coeur de ville. L'ANCT est là et bien là, et va continuer de se développer. D'autres programmes sont à l'étude - je citerai Petites villes de demain, qui sera lancé d'ici à quelques semaines.

S'agissant du second tour des élections municipales, chacun évolue et s'exprime. Il y a un mois, au plus fort de la crise sanitaire, j'ai estimé sur France 3 qu'il ne pourrait probablement pas être organisé avant l'été. François Baroin a alors évoqué la fin du mois de septembre. Marc Daunis s'est exprimé à l'instant dans le même sens, envisageant même une date plus tardive. D'autres estiment qu'il faut agir plus rapidement. J'observe quant à moi la vie politique française : en ce début de déconfinement, il existe une expression forte pour que le second tour se tienne avant l'été, d'autant que se posera la question de l'organisation d'un nouveau premier tour si nous attendions davantage, conformément à la position prise par le Conseil d'État. Je ne peux, hélas, vous apporter une réponse aujourd'hui. Il convient d'attendre le rapport du comité scientifique, sur lequel s'appuiera le Premier ministre pour décider du calendrier du second tour. Quoi qu'il en soit, il s'agira d'une décision partagée par le Gouvernement, les forces politiques et le Parlement.

Ce matin, en conseil des ministres, nous avons pris une ordonnance relative à l'installation des conseils municipaux élus au premier tour, le 15 mars dernier. La loi d'urgence du 23 mars 2020 pour faire face à l'épidémie de Covid-19 a en effet prolongé le mandat des conseillers municipaux sortants dans les près de 30 000 communes concernées. Le 15 mai, le ministre de l'Intérieur prendra un décret permettant l'installation des nouveaux élus à partir du 18 mai. Ils auront alors entre cinq et dix jours pour se réunir afin d'élire leur exécutif. L'ordonnance précitée fixe les conditions matérielles de cette opération, suivant les recommandations émises par le comité scientifique. Ainsi, la direction générale des collectivités locales a-t-elle prévu que la réunion du conseil municipal devait se tenir à huis clos ou avec un nombre limité de personnes. Des facilités ont été accordées afin que, dans le cas où une commune ne dispose pas d'une salle suffisamment grande pour permettre le respect des règles de distanciation sociale - soit un espace de quatre mètres carrés par personne -, la réunion du conseil municipal puisse se tenir dans une autre commune. Enfin, le quorum a été abaissé à un tiers, sachant que, contrairement aux dispositions de la loi du 23 mars 2020, seuls les conseillers présents seront comptabilisés, chacun pouvant être porteur de deux pouvoirs.

Raymond Vall m'a interrogée sur les EPCI. Les 154 EPCI dont toutes les communes membres ont vu leur conseil municipal élu au premier tour pourront se réunir dans les trois semaines suivant l'élection des exécutifs municipaux et avant le 8 juin. Dans les autres EPCI, il existera, jusqu'au second tour des élections municipales, une cohabitation entre les délégués des communes dont les conseillers ont été élus au premier tour et les délégués sortants des autres communes.

Madame Gréaume, Gérald Darmanin a effectivement évoqué l'idée d'un versement anticipé du FCTVA, mais cela n'a pas encore été validé. Il convient de rappeler que la règle du versement à n+2 souffre déjà de nombreuses exceptions : 65 % des communes sont ainsi compensées à n+1. Vous estimez, par ailleurs, qu'aucune mesure concrète n'a été prise pour soutenir les collectivités territoriales. Un rapport a été confié à Jean-René Cazeneuve, président de la délégation aux collectivités territoriales de l'Assemblée nationale, afin d'évaluer, avant toute annonce, le coût de la crise sanitaire pour les collectivités territoriales. Julien Denormandie et moi travaillons sur le sujet avec Gérald Darmanin et Olivier Dussopt.

M. Jean-Marie Bockel, président. - Notre délégation entendra Jean-René Cazeneuve le 20 mai.

M. Antoine Lefèvre. - Les syndicats intercommunaux à vocation multiple (Sivom) doivent, en raison de la crise sanitaire, faire face à des dépenses imprévues, notamment dans les domaines du transport scolaire, des activités périscolaires et du nettoyage des écoles. Une compensation est-elle prévue à leur endroit sous la forme d'une dotation spécifique ?

Concernant l'installation des exécutifs intercommunaux, j'aimerais connaître votre sentiment sur le cas d'un vice-président d'EPCI issu d'une commune dont les conseillers ont été élus au premier tour. Siégera-t-il, dès lors, au sein de l'EPCI au côté du nouveau délégué de la commune ?

Mme Corinne Féret. - Ma question porte également sur les finances des collectivités territoriales.

Vous avez indiqué, en réponse à notre collègue Michelle Gréaume, que des annonces seraient faites à l'issue de la mission d'évaluation confiée à Jean-René Cazeneuve. Les conséquences financières de la crise apparaissent déjà considérables pour les collectivités territoriales, en raison tant des nouvelles dépenses engagées - soutien aux entreprises de la part des régions, dépenses sociales pour les départements, qui anticipent en outre une augmentation du nombre des allocataires des minima sociaux, actions diverses menées par les communes - que de la diminution de leurs recettes : droits de mutation à titre onéreux (DMTO), cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), cotisation foncière des entreprises (CFE), ressources tarifaires des régies, notamment. Les élus, bien que prêts à participer à la relance, font état de leurs inquiétudes. Un soutien financier complémentaire apparaît nécessaire au bénéfice des collectivités territoriales : figurera-t-il dans le troisième projet de loi de finances rectificative ou leur faudra-t-il attendre le projet de loi de finances pour 2021 ? Il y a urgence à apporter aux élus des réponses concrètes.

M. Éric Kerrouche. - Ma première question porte sur les conditions dérogatoires permises par l'ordonnance du 13 mai 2020 pour l'installation des conseils municipaux élus au premier tour et l'élection de leur exécutif. Il apparaît qu'elles ne s'appliquent pas, en particulier les règles de quorum, aux 154 EPCI réputés complets pour l'élection de leur exécutif. L'absence de parallélisme des formes me semble surprenante. Des aménagements seront-ils néanmoins prévus pour les EPCI ?

J'aborderai également le sujet des finances locales. Selon le ministère de l'Action et des Comptes publics, les pertes de recettes pourraient atteindre 15 milliards d'euros pour les collectivités territoriales. Selon un hebdomadaire, le Gouvernement prévoirait d'en prendre une partie à sa charge. L'information est-elle exacte ? Êtes-vous personnellement favorable à une telle idée ? Comment pourrait-elle concrètement s'appliquer ?

M. Hervé Gillé. - Les maires ruraux ont joué un rôle majeur, durant la crise sanitaire, dans la gestion des solidarités sociales et territoriales. La crise a exacerbé les différences entre les territoires. Vous incite-t-elle, dès lors, à reformuler l'agenda rural ? Il convient, à mon sens, d'établir un nouvel état des lieux et de définir de nouvelles priorités. Notre délégation a mené de nombreuses auditions sur le sujet, et le questionnaire mis en ligne à son initiative sur le site du Sénat est en cours d'analyse. Des propositions émergeront sûrement de ce travail. Quant à la notion d'espace rural, elle n'a jamais tant semblé d'actualité, compte tenu des changements entraînés par la crise dans les attentes sociétales de nos concitoyens. Quand envisagez-vous de relancer ce chantier ?

M. Jean-Pierre Vial. - Dans un EPCI, quand toutes les communes ont vu leur conseil municipal renouvelé, à l'exception d'une commune, les délégués sont réputés élus aux termes de la loi du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique, afin de ne pas bloquer l'EPCI. Par ailleurs, n'oubliez pas le secteur du thermalisme dans vos préoccupations en matière de soutien au secteur touristique.

M. Bernard Delcros. - Les conséquences de la crise sanitaires sur les finances locales apparaissent considérables, même si les pertes de recettes varient d'un niveau de collectivité à l'autre et en fonction de l'activité économique des territoires. L'impact est ainsi majeur dans les zones touristiques, au-delà des seules communes disposant du label. Un troisième projet de loi de finances rectificative est annoncé pour la fin du mois de juin ou le début du mois de juillet. Quid d'un observatoire pour suivre l'impact de la crise par niveau de collectivité afin de prendre des mesures appropriées ? Les élus locaux ont également besoin d'être rassurés sur l'effectivité des garanties qui leur seront accordées en compensation de la suppression progressive de la taxe d'habitation. Certaines ont en effet été reportées au projet de loi de finances pour 2021. Y figureront-elles bien ?

La crise sanitaire a mis en évidence l'importance du trio formé par le préfet, le maire et le président du conseil départemental. Estimez-vous opportun, pour l'avenir, de renforcer le rôle du préfet de département et de donner au département une compétence sanitaire ?

Si le second tour des élections municipales avait lieu au mois de juin, les EPCI pourraient être installés en juillet. En revanche, s'il devait être reporté après l'été, ne faudrait-il pas envisager un exécutif intercommunal transitoire ?

Enfin, un hôtel peut-il accueillir des résidents dans le respect des règles sanitaires et de la limite des cent kilomètres ?

M. Jean-Marie Bockel, président. - Certaines questions, celles relatives aux élections notamment, trouveront des réponses chemin faisant.

M. François Bonhomme. - Les collectivités territoriales jouent un rôle essentiel pendant le déconfinement, en particulier s'agissant de l'approvisionnement et de la distribution des masques. En la matière, depuis le 13 avril, les annonces de l'État n'ont pas toujours été suivies d'effets. Alors que le Président de la République promettait un masque par Français, je constate plutôt, dans mon département, que règne le système D des collectivités territoriales... Le Gouvernement a certes annoncé la prise en charge de 50 % du coût des commandes de masques réalisées par les collectivités, mais sur le fondement d'un prix de référence bien inférieur au prix réel des masques ainsi acquis. L'État ne devrait-il pas prendre en charge le coût total des masques et ainsi, en vertu de sa compétence générale en matière sanitaire, en assurer la gratuité ? Cela aurait le mérite de la lisibilité.

M. Franck Montaugé. - Ma question rejoint celle de Raymond Vall. Pour les EPCI dont certaines communes sont concernées par un second tour des élections municipales, le conseil communautaire peut-il être installé avec les délégués sortants desdites communes ? À défaut, tout serait bloqué.

Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Je vais d'abord répondre aux nombreuses questions relatives aux finances des collectivités territoriales. Je rappelle que nous avons préalablement besoin d'évaluer précisément l'impact de la crise sanitaire. En effet, seules certaines conséquences - sur les communes touristiques, en outre-mer, l'effondrement des DMTO, par exemple - sont immédiatement visibles. Nous avons donc confié une mission d'évaluation à Jean-René Cazeneuve. Il existe déjà un observatoire des finances locales présidé, comme le comité des finances locales, par M. Laignel et qui est en partie financé par l'État. Nous n'avons donc pas besoin de créer, Monsieur Delcros, une structure ad hoc. Nous aurons une discussion à l'issue de l'évaluation, mais nous arriverons, j'en suis certaine, à un accord. Le Gouvernement tient particulièrement à ce travail, car les situations varieront inévitablement d'une collectivité territoriale à l'autre : certaines seront davantage touchées par la crise, certaines plus immédiatement que d'autres.

Faut-il des mesures généralistes comme un versement anticipé du FCTVA, ou plus ciblées ? Le troisième projet de loi de finances rectificative permettra de répondre aux besoins les plus urgents tels qu'évalués par la mission Cazeneuve. L'État, quoi qu'il en soit, n'abandonnera pas les collectivités territoriales à leur sort : des aides seront apportées. Seront-elles calculées en fonction des recettes perçues l'année précédente ou sur un calcul fondé sur les trois dernières années ? Plusieurs solutions existent. Les échanges entre Gérald Darmanin, Olivier Dussopt, les associations d'élus et moi-même indiquent, jusqu'à présent, qu'une compensation des pertes de recettes serait plus aisée qu'un mécanisme basé sur l'augmentation des dépenses. Gérald Darmanin a toutefois proposé que les dépenses liées à la crise sanitaire - achat de masques et nettoyage des locaux scolaires, par exemple - soient inscrites, afin de pouvoir les identifier, dans une annexe spécifique du budget des collectivités. Au-delà des mesures d'urgence du prochain projet de loi de finances rectificative, des décisions pourront être prises dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021.

Monsieur Lefèvre, les dépenses des Sivom, comme celles des syndicats de transport, seront prises en compte dans l'évaluation précitée. Je n'ai en revanche pas bien compris votre question sur les EPCI : si un nouveau délégué intègre l'EPCI, le précédent doit le quitter. Sur ce sujet, M. Kerrouche a raison : l'ordonnance du 13 mai 2020 ne permet pas d'appliquer les règles dérogatoires de quorum aux EPCI. Je vais regarder cela plus précisément.

Hervé Gillé a également raison s'agissant de la ruralité. Nous avons énormément travaillé avec les élus ruraux. Peu de temps avant la crise sanitaire, le 20 février dernier, s'est tenu dans les Vosges le premier comité interministériel aux ruralités au cours duquel plusieurs mesures fortes ont été prises : la signature du protocole d'accord sur les petites lignes ferroviaires, le plan 1 000 cafés et la réouverture du guichet unique pour le très haut débit. J'ai demandé aux préfets quelque souplesse pour les communes qui avaient obtenu, avant la crise sanitaire, un engagement de l'État pour financer des projets sur la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR). La commission d'élus pour la DETR se réunira pour adapter le versement des subventions aux nouvelles préoccupations. Par ailleurs, le programme Petites villes de demain concernera des villes de moins de 20 000 habitants, qui jouent un rôle central dans un territoire rural. Elles ont besoin d'être renforcées dans leurs missions en matière de commerce, de logement et d'aménagement de l'espace public. Enfin, l'espace rural représente effectivement un sujet important. Il était évoqué dans le projet de réforme constitutionnelle, malheureusement avorté.

Je reviens sur le sujet des EPCI. Tant que l'élection municipale n'est pas terminée dans chaque commune, la loi ne permet pas d'élire les exécutifs des EPCI. Je suis évidemment consciente que, si le second tour n'avait pas lieu avant l'été, nous serions obligés de prendre des dispositions transitoires. Si la situation sanitaire permet d'organiser le second tour des élections municipales à la fin du mois de juin, ces questions ne se poseront pas. L'argument des EPCI est majeur pour les défenseurs d'une élection avant l'été. Il est vrai que leur rôle, comme celui des communes, sera essentiel pour la relance, notamment du secteur des travaux publics et de la construction. De fait, 70 % des investissements publics sont le fait des collectivités territoriales.

M. Bonhomme m'a interpellée sur la question des masques. Pendant le confinement, la priorité de l'État était d'en fournir au personnel soignant. Nos réserves, comme celles de nombreux pays, n'étaient pas suffisantes. Aussi les collectivités qui ont importé des masques ont-elles rendu service à la Nation. Pour autant, pendant cette période, l'État a dû réquisitionner les masques chirurgicaux. Depuis le déconfinement, des masques grand public peuvent être achetés par tous. Le dossier de l'approvisionnement - l'industrie française en produit désormais beaucoup - et de la distribution des masques est coordonné par Agnès Pannier-Runacher. L'État garantit la mise à disposition de masques pour les fonctionnaires, sous l'égide du préfet, lequel dispose également d'un quota pour aider les collectivités territoriales les plus petites. Dans mon département, la coordination s'avère efficace. Sur facture, l'État prend, en outre, en charge 50 % du coût des masques achetés par les collectivités.

Enfin, Monsieur Delcros, les hôtels sont normalement fermés.

M. Jean-Marie Bockel, président. - Certains hôtels demeurent ouverts pour accueillir des professionnels en déplacement, mais cela reste marginal.

Nous vous remercions pour la précision de vos réponses, formulées dans le style direct et empathique qui est le vôtre et pour le caractère concret des informations apportées. Avec la suite du déconfinement et la réforme annoncée, nous aurons prochainement l'occasion de vous entendre à nouveau.

La téléconférence est close à 18 h 35.