Mardi 17 novembre 2020

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Situation d'Action Logement - Présentation du rapport d'information

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous examinons les conclusions du rapport de la « mission flash » que nous avons lancée le 13 octobre dernier sur l'avenir de la participation des employeurs à l'effort de construction, la PEEC, héritière du « 1 % logement », et la réforme d'Action Logement. Nous avions désigné quatre rapporteures de quatre groupes politiques différents, Mmes Valérie Létard, tout d'abord, qui en est le chef de fil, Dominique Estrosi Sassone, Viviane Artigalas et Marie-Noëlle Lienemann.

Elles n'ont pas ménagé leur peine. Plus de vingt-cinq auditions ont été organisées dans un laps de temps très court en parallèle de la préparation du budget. Nous avons réussi à obtenir la communication du rapport de l'Inspection des finances après plusieurs demandes insistantes. C'était indispensable pour permettre de disposer d'un maximum d'éléments d'informations.

Cet engagement et cette ténacité ont payé. Le Gouvernement a renoncé à présenter dans le projet de loi de finances un amendement qui l'aurait autorisé à légiférer par ordonnance pour mettre en oeuvre la réforme de son choix, menant ensuite une fausse négociation avec les partenaires sociaux dès lors qu'il aurait eu tout pouvoir...

Fort heureusement, ce ne sera pas le cas, il y aura une vraie concertation maximisant les chances de préserver la PEEC et les ressources en faveur du logement. Mais tout danger n'est pas écarté. Le projet de loi de finances prévoit toujours un prélèvement de 1,3 milliard d'euros sur les ressources du groupe, dont 300 millions de manière récurrente, et les tenants d'une budgétisation de la PEEC et d'un démantèlement du groupe Action Logement n'ont pas désarmé.

Mme Létard, en tant que chef de file, je vous laisse la parole pour nous présenter votre travail.

Mme Valérie Létard, rapporteure. - Je vous remercie, Madame la Présidente, de vos propos. Notre commission a pleinement joué son rôle en créant cette « mission flash » dans un contexte qui était devenu délétère entre Action Logement et le Gouvernement. Depuis maintenant presque deux ans, on a assisté à une campagne de déstabilisation du groupe. L'application de la loi ELAN a été bloquée comme cela nous a été explicitement dit lors de l'examen du rapport sur l'application des lois pendant le confinement, au printemps 2020. Des décisions ont été bloquées par l'État, à commencer par la nomination d'un nouveau directeur général. À l'été, par des fuites dans la presse et des mises en cause personnelles issues d'un rapport de l'Inspection des finances tenu secret, l'État a laissé entendre qu'il réfléchissait au démantèlement du groupe Action Logement et à une réduction drastique de la Participation des employeurs à l'effort de construction, la PEEC. Un prélèvement historique de 1,3 milliard d'euros sur la trésorerie d'Action Logement a été inscrit dans le PLF 2021 tandis que les partenaires sociaux ont été sommés de proposer une réforme sous la menace du dépôt d'un amendement habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnance. Tout cela formant une véritable stratégie de pression maximale et de passage en force clairement assumée.

Dans ce contexte, il nous a fallu aller vite avec l'objectif de remettre nos conclusions avant le début de l'examen du PLF. C'est ce que nous faisons aujourd'hui, à quatre voix, rappelant l'historique du sujet et détaillant ce que l'on peut penser des reproches formulés contre Action Logement afin de formuler ensuite nos lignes rouges et propositions.

Mme Marie-Noëlle Lienemann, rapporteure. - Nous avons souhaité commencer par l'historique et voir comment les choses ont évolué car cet historique éclaire les enjeux de société que nous avons aujourd'hui. Nous pensons que ce qui a été fait à la création d'Action Logement mérite d'être consolidé car Action Logement, c'est à la fois un héritage à préserver et une réforme à achever.

Je voudrais d'abord insister sur le fait que le « 1 % logement » est né d'une initiative d'un résistant qui était en même temps le patron des Lainières de Roubaix, Albert Prouvost, qui a volontairement créé avec d'autres chefs d'entreprises de cette région un prélèvement de 1 % sur la masse salariale pour résoudre les problèmes de logement de leurs salariés. Cette idée est dans le droit fil du programme du Conseil national de la Résistance qui a demandé la création d'une couverture sociale gérée par les partenaires sociaux et fondée sur des cotisations pour donner des réponses collectives à des demandes individuelles. Lancé en 1943, il a été généralisé par la loi en 1953, quelques mois avant l'appel de l'abbé Pierre qui a mis en exergue la crise du logement dans cette période.

Nous pensons que le « 1 % logement » repose sur un triptyque toujours valable : des contributions des entreprises qui sont un salaire différé ou tout du moins une cotisation sociale, la mise en commun des moyens pour répondre aux besoins et la gestion paritaire. La gestion paritaire du « 1 % logement » a toujours été particulière car c'est le patronat qui dirige les organismes tout en associant très largement les syndicats aux décisions qui le soutiennent de manière quasi unanime.

Depuis longtemps, le ministère des finances a pour objectif d'avoir la maîtrise de la ressource et la direction de cet organisme, ce qui est d'ailleurs un aiguillon pour en améliorer la gestion mais il y a toujours eu une mobilisation forte, politique et sociale, pour préserver la gestion paritaire. À cet égard, il y a eu une réforme importante dans les années 1990 quand on a pris la moitié de la contribution logement pour l'attribuer au Fonds national d'aide au logement (FNAL) et financer les aides à la personne plutôt que les aides à la pierre. C'est une tentation toujours présente aujourd'hui. Ensuite, des prélèvements réguliers de l'État ont été opérés entre 1995 et 2002 pour un montant total de 5,1 milliards d'euros mettant en danger le « 1 % logement ». Deux décisions ont permis de mettre fin à cette crise : la création de l'Union d'économie sociale du logement (UESL), comme tête d'un réseau jusque-là très dispersé, et la signature de conventions quinquennales avec l'État, la première ayant été signée en 1998, sur l'emploi de la PEEC, et par laquelle l'État renonçait à ses prélèvements. Parallèlement, étaient créés des droits ouverts, c'est-à-dire des prestations accessibles à tous, sans passer par une entreprise cotisante comme au préalable. Surtout l'UESL acceptait de financer des politiques publiques et plus particulièrement le renouvellement urbain. À l'origine, le financement devait être à parts égales entre l'État et Action Logement. Au final, le programme national de renouvellement urbain (PNRU) a été financé à 93 % par Action Logement.

Plus récemment, des réformes ont eu lieu, notamment entre 2015 et 2018 à l'initiative des partenaires sociaux. C'est elle qui doit être achevée maintenant puisque certains points débattus à l'époque n'avaient pas été suffisamment pris en compte ou pas appliqués, notamment sa dimension territoriale et la capacité des élus à codécider. Action Logement est aujourd'hui organisé en deux pôles principaux : Action Logement Services (ALS) et Action Logement Immobilier (ALI). ALI gère l'ensemble des entreprises sociales pour l'habitat (ESH). ALS est le seul collecteur et distributeur de la PEEC notamment à travers des subventions et des prêts aux bailleurs sociaux et aux particuliers. Il y a aussi d'autres prestations comme la garantie de loyer VISALE. Les débats portent sur l'articulation de ces structures qui sont formellement indépendantes afin de ne pas privilégier les ESH dont Action Logement est actionnaire. Cette réforme a été mise en oeuvre par une ordonnance qui a été ratifiée lors de la loi ELAN. À cette occasion le Sénat a introduit deux évolutions de la gouvernance pour permettre la participation des élus locaux et pour rendre plus facile la prise de décision au sein du groupe. C'est cette réforme, qui n'a pas trois ans d'existence, qu'il nous faut aujourd'hui consolider.

Mme Viviane Artigalas, rapporteure. - C'est dans ce contexte de la réforme mise en application depuis 2017 que doivent être analysés les reproches formulés contre Action Logement et que l'on peut classer en trois catégories : ceux qui touchent à son essence et à son existence, ceux qui ont trait à la mise en oeuvre de ses engagements et, enfin, ceux qui se rapportent à la structure du groupe.

Au fondement de la campagne menée contre Action Logement, on trouve des reproches qui prennent racine dans des rapports anciens ou plus récents, notamment le rapport Attali pour la libération de la croissance française d'octobre 2010 et celui du Comité action publique 2022 de juin 2018. C'est le fondement même d'Action Logement qui est attaqué. Pour simplifier, il y a trois idées. La première est que la PEEC est en réalité un impôt de production et qu'elle doit être diminuée ou supprimée. La deuxième est que le paritarisme est inefficace et lent, moins à même que l'État ou une agence publique de mener des politiques. Il faut rationaliser : un acteur - une politique. La troisième est que la politique du logement est trop coûteuse, qu'il n'est pas nécessaire d'avoir une ressource dédiée qui ne démontrerait pas sa pertinence notamment sur le lien logement-emploi.

À ces trois affirmations, dont nous contestons le bien-fondé, s'ajoutent, presque comme leurs illustrations, des reproches d'ordre plus conjoncturel qui seraient liés à la mauvaise exécution de la convention quinquennale et du plan d'investissement volontaire par Action Logement. Ils sont pour l'essentiel développés dans des rapports de la Cour des comptes, de l'Agence nationale de contrôle du logement social (ANCOLS), et surtout dans celui de l'Inspection des finances. Ils portent sur les années 2017-2018 et sont aujourd'hui pour partie dépassés. Il me faut ici examiner rapidement cinq points : la collecte de la PEEC, la non-exécution des engagements, les entraves de l'État, la question de la trésorerie et celle de la Gouvernance.

L'IGF propose de confier la collecte de la PEEC aux URSSAF et de la budgétiser pointant un coût excessif. C'est faux. En 2017, si la collecte était 100 % papier, elle est depuis 2019 entièrement dématérialisée. Son coût est de 0,08 % des sommes collectées : 1,5 million d'euros par rapport à 1,9 milliard. Elle emploie 21 personnes. Aucune économie substantielle n'est donc à attendre, en revanche on perçoit bien le danger de l'intégration de la PEEC au budget de l'État...

Concernant les engagements qui ne seraient pas atteints, c'est là aussi largement faux. Si l'on se réfère au « jaune budgétaire », le rapport sur la PEEC du PLF 2021, qui donne les chiffres 2019, les objectifs de la convention quinquennale 2018-2022 sont tous atteints à plus de 90 %, sauf deux : le décaissement des prêts bonifiés à l'ANRU et le prêt accession aux particuliers. Concernant l'ANRU, cela s'explique par le retard du nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) : si les subventions sont versées chaque année et nourrissent la trésorerie, les prêts vont avec les programmes qui n'étaient pas lancés. Concernant le prêt accession qui n'était pas assez attractif, Action Logement en a modifié les conditions et selon les dernières données disponibles, il aurait atteint 80 % de l'objectif.

Concernant le Plan d'investissement volontaire, le PIV, qui rappelons-le n'a été lancé que le 25 avril 2019, le constat n'est pas aussi accablant qu'on veut le dire. C'est vrai que concernant l'adaptation au vieillissement des logements et notamment des douches, seuls 4 % de l'objectif sont atteints à la mi-année 2020, mais il ne faut oublier ni les difficultés des derniers mois pour déployer une aide personnelle, ni que l'État s'oppose à une modification de l'âge d'ouverture des droits actuellement fixé à 70 ans, Action Logement estimant que le bon moment serait celui de la retraite. Sur d'autres sujets, ce sont bien les entraves de l'État qu'il faut pointer ayant mis son veto à la capitalisation de filiales immobilières qu'il s'agisse de l'Opérateur national de vente (ONV), de la transformation de bureaux en logements ou de la lutte contre l'habitat indigne.

Bien entendu, dans ces conditions, la trésorerie 2019, pointée comme anormalement élevée à 8,9 milliards d'euros, a été artificiellement gonflée par cette incapacité à dépenser. Le « jaune budgétaire » le reconnaît d'ailleurs. Si l'on va plus loin dans l'analyse, on se rend compte que cette trésorerie est artificiellement globalisée en un seul ensemble alors qu'elle est divisée en plusieurs fonds dans le respect des obligations réglementaires et qu'elle est déjà largement engagée. La trésorerie d'ALI n'est pas plus excessive. Au contraire, elle représente 1,1 mois de loyers, là où il serait préconisé par la fédération des ESH de disposer de 3,5 mois. Enfin, compte tenu de l'effondrement des cotisations à prévoir en 2021 et 2022, on se félicitera certainement de ces réserves pour assurer le financement de l'ANRU ou d'Action coeur de ville par exemple.

Enfin, concernant la Gouvernance, l'IGF dénonce l'existence d'un « comité des confédéraux » où seraient prises un certain nombre de décisions sans l'État. Est-ce si anormal dans un organe paritaire qu'il y ait un lieu d'échange informel entre syndicats ? Par ailleurs, on devrait plutôt s'étonner de l'absence d'application de la « loi ELAN » et notamment de réunion du comité des partenaires.

J'en viens, en dernier lieu, à la troisième série de reproches faits à Action Logement, plus structurels et qui doivent de notre point de vue focaliser l'attention dans la réforme à venir. De l'ensemble de nos auditions et des rapports d'inspection, nous en retenons quatre. Le premier est une « ligne hiérarchique » insuffisamment identifiée qui empêche la fixation d'une stratégie de long terme et ne permet pas à l'État d'avoir un interlocuteur doté de pouvoirs suffisants pour lui garantir le respect de la convention quinquennale, notamment sur le volet des frais de fonctionnement. Le deuxième est le lien avec les entreprises cotisantes et les salariés qui s'est pour partie perdu avec des structures nationales soumises par ailleurs à l'obligation de servir d'autres publics. Le troisième est le lien avec les territoires et les élus qui semble s'être dilué avec la réforme et qui gêne le déploiement des politiques et leur adaptation. Enfin, le quatrième est une interrogation sur les modalités d'intervention entre prêts et subventions. Action Logement a beaucoup développé les prêts, ce qui est pertinent dans bien des cas et permet de lisser ses ressources financières. Mais aujourd'hui que ce soit dans le logement social ou vis-à-vis des particuliers, le contexte de taux bas et la crise économique pourraient conduire à en modifier l'équilibre.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - Je vais maintenant vous présenter nos « lignes rouges ». En clair, poursuivre la réforme de groupe « oui », le démanteler, il n'en est pas question !

Nous avons trois « lignes rouges ».

Notre première exigence est de préserver la PEEC comme ressource dédiée spécifiquement et uniquement au logement. Au regard des événements depuis 2017, la baisse des aides personnelles au logement (APL), la hausse de la TVA sur le logement social, la réduction de loyer de solidarité, la RLS, tout particulièrement, nous voyons bien la volonté de porter atteinte aux moyens du logement social, de réduire les aides institutionnelles et de pousser les bailleurs vers des financements privés. Comme les partenaires sociaux, nous nous opposons fermement à la budgétisation de la PEEC qui conduirait à la perte de plus d'un milliard par an au profit du logement. Nous refusons de la même manière sa captation indirecte via des prélèvements budgétaires, projet de loi de finances après projet de loi de finances, en violation de la convention quinquennale, comme l'a d'ailleurs admis le rapport de l'IGF, qu'ils soient soutenables ou pas. Nous déposerons donc deux amendements de suppression dans le PLF pour nous opposer aux deux volets du prélèvement de 1,3 milliard d'euros prévu cette année, dont 300 millions d'euros deviendraient récurrents du fait de la non compensation par l'État de l'exonération de PEEC des plus petites entreprises. Nous alertons fortement sur la tentation de baisser le taux de 0,45 % en regardant une trésorerie artificiellement gonflée et forte d'une bonne conjoncture passée, alors que l'avenir s'annonce beaucoup plus difficile avec une hausse rapide et très préoccupante de la pauvreté. Plus encore, nous sommes convaincues de la nécessité de garantir des ressources dédiées au logement pour financer des programmes de long terme, qu'ils soient pilotés par l'État ou les partenaires sociaux.

Notre deuxième exigence est de préserver la gouvernance paritaire. Nous estimons qu'elle est en elle-même une richesse pour notre pays. Il n'est pas neutre de réunir dans le conseil d'administration d'une ESH locale des patrons et des salariés pour gérer le patrimoine commun qu'ils ont financé. De même, chacun de nous peut je crois en témoigner, le patronat est loin de se désintéresser du logement des salariés. Ce n'est pas une idée du passé ! Dans bien des zones tendues, touristiques, littorales, frontalières ou dans les métropoles, il n'y a pas de fonctionnement économique sans logement social ou intermédiaire. C'est toute la place que doit prendre Action Logement. Nous estimons également que les partenaires sociaux doivent avoir une réelle liberté d'action et de décision. Il n'est pas normal que l'État veuille s'immiscer dans tous les détails de la gestion. De même faut-il se prémunir contre une volonté de geler un partage de la PEEC entre ce qui reviendrait à l'État, la part du lion, et ce qui serait laissé aux partenaires sociaux, la portion congrue.

Notre troisième exigence est la préservation et la sécurisation du capital immobilier fort de plus de 1,1 million de logements. Il s'agit d'un patrimoine commun. Il appartient à tous les Français. Il a été construit par près de 70 ans de cotisations. Il est géré de manière dynamique. Représentant moins de 20 % des logements sociaux en France, il va assurer plus de 40 % de la production en 2020 ! Que serait la construction neuve sans Action Logement alors que nous sommes aujourd'hui à un niveau extrêmement bas en raison de la crise ? Préserver ce capital, cela veut dire à ce stade refuser tout démantèlement du groupe ou tout « essorage » des résultats, des retours de prêts ou de la trésorerie qu'il produit, sous prétexte qu'il s'agirait d'une PEEC historique captable par l'État. Nous exprimons enfin la plus grande réserve quant à l'idée de « sécuriser le financement des retraites complémentaires » grâce à ce capital, ce qui, à terme, conduirait vraisemblablement à sa vente. La création d'une fondation, qui avait été évoquée par le rapport Borloo, et qui revient aujourd'hui, est plus que jamais une option à étudier.

Mme Valérie Létard, rapporteure. - Ces « lignes rouges » ayant été posées concernant Action Logement qui est véritablement le coeur du réacteur de la politique du logement dans notre pays, nous soutenons l'idée de la poursuite de la réforme de 2015-2018 mais avec quels objectifs et quelle méthode ?

Le premier objectif est de retrouver la confiance entre l'État et les partenaires sociaux. Cela passe par un bilan actualisé et plus objectif de la mise en oeuvre des engagements d'Action Logement. Cela passe également par le respect par l'État des prérogatives des partenaires sociaux. Il doit se placer comme partenaire et non comme donneur d'ordres. Il doit également respecter sa parole et non pas mener une politique prédatrice et brutale de prélèvements sur les ressources.

La confiance retrouvée passe par une gouvernance plus fonctionnelle, ce serait le deuxième objectif. L'État ne peut pas d'un côté regretter l'incapacité à délivrer des prestations ou à réduire les coûts et de l'autre empêcher la réforme des structures ou mettre son veto dans les conseils d'administrations. Il convient de travailler à une ligne hiérarchique au sein du groupe portant une vision stratégique et garante d'efficacité vis-à-vis de l'État. Ce sera au coeur du dialogue qui va s'engager.

Enfin, le troisième objectif serait de retrouver un meilleur équilibre entre centralisation et financement de politiques publiques d'un côté, et lien emploi-logement et déclinaison sur les territoires, de l'autre côté. L'ADN d'Action Logement reste selon nous l'implication locale des entreprises, des salariés et des élus au service d'un bassin économique. C'est pour nous un axe essentiel à ne pas perdre de vue.

Concernant la méthode pour conduire cette réforme, vous le savez, nous nous sommes opposées à l'habilitation dans le projet de loi de finances. Pour nous, il ne peut être question de négocier sous la menace ni maintenant, ni plus tard !

Fort heureusement, Mme Wargon, ministre déléguée au logement, a entendu notre appel et elle s'est engagée à présenter au printemps, si ce n'est un texte de loi, du moins des articles spécifiques, « en dur », dans un projet de loi qui serait discuté en mars ou avril 2021, ce qui est très rapide.

Nous croyons que la réforme souhaitée ne peut résulter que d'une dynamique partagée et donc d'une vraie concertation menée avec les partenaires sociaux.

Une première étape sera franchie au tournant de cette année avec l'adaptation de Plan d'investissement volontaire à la crise sanitaire et économique et au plan de relance du Gouvernement. Souhaitons que cela se fasse dans un état d'esprit réellement partenarial et pour aboutir à une construction partagée et non décidée unilatéralement.

Nous demandons enfin que dès que possible les élus locaux soient consultés car il ne peut y avoir de politique du logement sans qu'ils soient une partie de la solution. Nous y veillerons spécifiquement.

Enfin, dans les cinq-six mois qui viennent, il nous faudra rester particulièrement attentifs au déroulement de la réforme et préparer son passage au Parlement. C'est pourquoi, nous vous proposons de transformer la « mission flash » en groupe de suivi de la réforme.

Pour conclure, il est important de comprendre qu'à travers Action Logement, c'est un pilier du pacte social de l'après-guerre qui est menacé. Action Logement, c'est une sorte de « fleuron » du paritarisme et du logement social. Grâce à 70 ans de cotisation, le groupe fournit plus d'un million de logements et pèse près de 90 milliards d'euros. Il y a 18 000 salariés. C'est la première foncière en Europe ! Action Logement produira plus 40 % des logements sociaux dans notre pays cette année et fournira plus de 500 000 aides aux salariés ! En ce moment renoncer à un tel outil et aux moyens correspondants serait à l'opposé du bon sens.

Bien entendu, tout n'est pas parfait et nous ne nous opposons pas à une réforme. Mais il n'est pas nécessaire de noircir le tableau. Action Logement est un groupe qui fonctionne et qui peut progresser. Il a déjà fait beaucoup d'effort depuis l'enquête de l'IGF.

Pour nous, il y a vraiment trois grands axes d'amélioration : la Gouvernance avec une ligne hiérarchique plus forte, c'était l'objet de la « loi ELAN », rappelons-le, redévelopper le lien entre l'emploi et le logement et amplifier la territorialisation des politiques menées pour coller au plus près des besoins.

Mais ces améliorations ne doivent et ne peuvent être atteintes qu'en respectant trois conditions : la préservation de la PEEC comme ressource dédiée au logement, le maintien d'une direction paritaire et la protection du patrimoine immobilier constitué en 70 ans. La tentation de garantir les retraites avec ce patrimoine est un danger.

Il est ensuite bien évident qu'aucune de ces améliorations ne peut être atteinte sans confiance et par un passage en force. Il ne peut pas y avoir de réforme sans respect de la place de chacun et sans un vrai dialogue.

Les décisions récentes du Gouvernement, grâce notamment à notre pression, nous laissent espérer qu'il y a vraiment un changement de pied, d'une part en ouvrant l'espace d'une vraie négociation, et d'autre part avec la volonté affirmée d'aboutir dans un texte de loi en bonne et due forme. Mais nous voulons rester vigilantes et nous assurer que le Sénat prenne toute la place qui lui revient.

M. Franck Montaugé. - Je partage totalement les orientations de ce rapport et son insistance sur la notion de « commun ». Je suis convaincu de l'enjeu de le préserver dans la durée et de ne pas le démanteler ainsi que la politique du logement social. C'est fondamental pour notre pays.

Vous avez abordé la question des ventes de logements sociaux qui est une forme de décapitalisation. Je voudrais connaître vos réflexions sur un sujet sur lequel j'ai une vigilance. Par ailleurs, avez-vous pu regarder l'impact de la crise économique sur les collectivités territoriales pour pouvoir investir et accompagner les grands programmes de rénovation, réhabilitation et reconversion ?

Mme Marie-Noëlle Lienemann, rapporteure. - Sur la vente HLM, nous n'avons pas tous le même avis. Les ESH vendent traditionnellement plus de logements que les offices publics. Il faut distinguer deux volets. Le premier est relatif à la vie normale du patrimoine et aux objectifs de mixité en favorisant l'accession sociale à la propriété. Le second est l'idée de vendre pour compenser la baisse des aides à la pierre du Gouvernement et ainsi financer d'autres constructions. Je suis pour ma part dubitative sur ce deuxième volet. Ce n'est pas la nature du parc social que de fonctionner ainsi. Vendre un logement, c'est souvent être dans l'incapacité d'en reconstruire d'autres en nombre suffisant et dans de bons emplacements et on s'aperçoit souvent que, quelques années plus tard, ils sont loués à des prix bien plus élevés.

Mme Valérie Létard, rapporteure. - La « loi ELAN » a encouragé la vente de logements sociaux en raison de la baisse des ressources. Mais on est pas toujours sûr de pouvoir reconstruire autant de logements et il est paradoxal de devoir vendre des logements sociaux pour en créer alors qu'on en a besoin. Par ailleurs, vendre ces logements peut conduire quelques années plus tard à créer des copropriétés qui vont se dégrader. C'est pour cette raison que nous sommes attachées à garantir un financement stable dans la durée pour protéger les ressources du logement social. C'est particulièrement vrai dans le cadre de la rénovation urbaine où Action Logement finance chaque année alors que l'État n'est pas, lui, au rendez-vous.

Mme Viviane Artigalas, rapporteure. - En effet, la stabilité du financement dans la durée est la clef. C'est notamment le cas dans les programmes de renouvellement urbain dans lesquels les élus doivent s'engager dans le temps long. Ils peuvent devenir prudents s'ils sentent que les crédits publics ne seront pas au rendez-vous du fait des mises en cause contre Action Logement. Or, parallèlement, les finances de l'État ne sont pas au rendez-vous malgré les annonces du Président de la République. Dans le budget 2021, l'État réduit sa contribution à l'ANRU.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - Lors des débats de la « loi ELAN », le Gouvernement a fixé un objectif de 40 000 ventes par an alors que, dans la réalité, il n'est pas possible de vendre plus de 10 000 logements sociaux par an dans de bonnes conditions. Il faut que les locataires aient la capacité d'acheter et d'entretenir leurs domiciles. C'est également compliqué pour les bailleurs de gérer une copropriété qui se dégrade. Les ventes ne sont en réalité pas un moyen de reconstituer les fonds propres des organismes de logement social.

Mme Marie-Noëlle Lienemann, rapporteure. - Parallèlement à ces ventes que l'on a voulu faciliter, notamment en supprimant l'autorisation que devait donner les maires, se pose la question du soutien à l'accession sociale à la propriété. Je voudrais indiquer ici qu'Action Logement a été empêché de proposer l'aide qui était prévue et qui serait nécessaire pour donner une prime à l'accession et solvabiliser les acheteurs..

Mme Sophie Primas, présidente. - Je souhaiterais que vous présentiez les deux amendements que vous comptez déposer au projet de loi de finances afin que les membres de la commission puissent les cosigner, s'ils le souhaitent.

Mme Valérie Létard, rapporteure. - Le premier amendement vise à supprimer à l'article 24 les dispositions qui mettent fin à la compensation de 300 millions d'euros environ, en faveur d'Action Logement, et correspondant à l'exonération de PEEC des plus petites entreprises.

Le second amendement vise à supprimer l'article 47 qui organise le prélèvement d'un milliard d'euros sur les fonds d'Action Logement au profit du FNAL. Non seulement il ne s'agit pas d'investissement, ce qui éventuellement pourrait s'entendre, mais mettre le doigt dans le financement de l'APL, c'est très dangereux.

Je vous propose le titre suivant pour ce rapport : « Action Logement : non au démantèlement d'un pilier du logement social ».

Le rapport est adopté à l'unanimité.

Projet de loi de finances pour 2021 - Audition de Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du Logement

Mme Sophie Primas, présidente. - Mes chers collègues, je vous propose de commencer cette audition. Ce soir, nous sommes heureux d'entendre Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du Logement, qui vient nous présenter le budget 2021 de son ministère.

Les crédits du projet de loi de finances pour 2021 concernant les deux programmes relatifs au logement augmentent pour la première fois depuis quelques années de 5,76 % en crédits de paiement pour atteindre 15,2 milliards d'euros. Toutefois, cette augmentation est relative au regard de la ponction de 1,3 milliard d'euros opérée sur Action Logement.

Par ailleurs, un volet important de la mission relance est consacré à hauteur de 7 milliards d'euros à la rénovation thermique des bâtiments et à la reconversion des friches. Je dois dire qu'il s'agit d'une satisfaction pour notre commission, puisque nous avions exprimé ces recommandations dans le cadre de notre plan de relance. Enfin, les moyens précédemment dévolus au crédit d'impôt transition énergétique (CITE) y sont réemployés au profit de « Ma Prime Rénov » distribuée par l'ANAH.

Madame la Ministre, je vous laisserai détailler ces différents points de votre budget. Je voudrais également vous inviter à éclairer notre commission sur quatre sujets particuliers qui nous tiennent à coeur : la construction neuve, Action Logement, la lutte contre l'habitat indigne et l'appel des 101 maires.

Concernant la construction neuve, comme vous le savez, les professionnels du secteur du bâtiment ont salué l'accent mis sur la rénovation. Toutefois, ils ont également déploré que la construction neuve soit l'angle mort du plan de relance. Malheureusement, comme notre commission l'annonçait dans le volet « logement et urbanisme » de notre rapport sur la relance de l'économie française, la crise sanitaire se double aujourd'hui d'une crise du logement. Les permis de construire devraient fortement chuter en 2020, peut-être autour de 350 000 permis, ce qui serait un chiffre historiquement bas. Or nous savons que 100 000 logements correspondent à 200 000 emplois.

Au regard de ces enjeux économiques et sociaux, j'ai l'impression que les seules prolongations du prêt à taux zéro (PTZ) pour l'accession à la propriété et du dispositif « Pinel » d'investissement locatif aidé en faveur du logement intermédiaire, qui ont été votées à l'Assemblée, ne sont peut-être pas à la hauteur de l'enjeu. Nous aurons bien sûr votre appréciation de la situation, Madame la Ministre.

Concernant Action Logement, vous savez que notre commission a souhaité exprimer des contre-propositions en créant une « mission flash » conduite par Mme Valérie Létard avec l'accompagnement de nos collègues Dominique Estrosi Sassone, Viviane Artigalas et Marie-Noëlle Lienemann. Elles nous ont présenté leurs orientations avant votre audition et vont constituer un groupe de contact pour anticiper et suivre la réforme.

Madame la Ministre, vous avez indiqué à l'Assemblée nationale que le Gouvernement ne déposerait finalement pas d'amendement d'habilitation à légiférer par ordonnances dans le cadre du projet de loi de finances afin de donner sa place à la concertation. Nous vous en remercions. Il s'agit d'un geste indispensable pour décrisper la situation. Pouvez-vous nous préciser quel est aujourd'hui le calendrier du Gouvernement ? Pouvez-vous indiquer si un processus et une méthode ont été formalisés pour aboutir aux articles d'un futur projet de loi d'ici mars-avril ?

Je souhaiterais ensuite que vous fassiez un point sur la lutte contre l'habitat indigne. Notre commission s'est beaucoup impliquée sur ce sujet. Deux ans après le drame de la rue d'Aubagne à Marseille, nous pourrions avoir l'impression que trop peu de choses bougent sur place. Toute une collection d'outils a été créée, depuis la stratégie métropolitaine en passant par le projet partenarial d'aménagement (PPA), la grande opération d'urbanisme (GOU) jusqu'à la société publique locale d'aménagement d'intérêt national (SPLA-IN). Toutefois, le premier comité de pilotage du PPA ne se réunirait que le 25 novembre prochain. Le recrutement du directeur de la SPLA-IN viendrait juste d'être lancé. Concrètement, nous en serions au point mort, ou presque. Pouvez-vous nous dire comment passer aux travaux pratiques après la mise en place de ces outils ?

Enfin, je voudrais vous demander de réagir à l'appel des 101 maires de quartiers prioritaires. Nous sommes tous ici concernés. Comment pensez-vous répondre à cet appel au travers du portefeuille qui est le vôtre, qu'il s'agisse des logements ou de l'aide d'urgence liée au logement ?

Madame la Ministre, je vous laisse maintenant nous présenter votre budget pour 2021 et répondre à ces premières questions. Je donnerai ensuite la parole au rapporteur de la commission, Mme Dominique Estrosi Sassone et s'il le souhaite, à M. Philippe Dallier, rapporteur spécial de la commission des finances, puis aux collègues qui le souhaiteront.

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement. - Madame la Présidente, Madame le rapporteur, Monsieur le rapporteur spécial, Mesdames et Messieurs les sénateurs.

Je suis très heureuse d'être présente auprès de vous pour pouvoir débattre du budget du Ministère du Logement dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021. Le logement est traditionnellement au coeur des préoccupations de nos concitoyens en période calme, et particulièrement durant cette période de crise sanitaire, économique et potentiellement sociale. Il est donc absolument indispensable d'accompagner et de soutenir ce secteur avec l'objectif d'offrir à chacun un lieu de vie décent.

Le secteur du logement a été affecté par la crise. L'État souhaite être à ses côtés. Ce budget illustre cet engagement et cet investissement public. Comme vous l'avez noté, l'effort budgétaire dans le cadre de la mission « Cohésion des territoires » est important. Les moyens alloués au ministère du logement représentent 16,1 milliards d'euros, en augmentation de 2,2 % par rapport à 2020, ce qui est cohérent avec le chiffre que vous avez cité, Madame la Présidente, et intègre les crédits budgétaires et les évolutions de taxes affectées. Le ministère bénéficie également de crédits dans le cadre du plan de relance.

Je vais centrer mon propos sur trois priorités qui animent mon action ministérielle. La première priorité consiste à mettre en oeuvre une politique d'accès au logement plus juste et plus solidaire. En cette période de crise, le budget consacré aux aides personnelles au logement sera doté de 500 millions d'euros supplémentaires pour atteindre un montant total de 15,7 milliards d'euros. Nous allons mettre en place la réforme des APL en temps réel à compter du 1er janvier 2021. Cette réforme, qui prévoit de calculer le montant des APL sur la base des derniers revenus connus, permettra de mieux accompagner les Français dont les revenus ont diminué en raison de la crise. Il s'agit d'une réforme à contre-cycle, axée sur la justice sociale, dont la mise en oeuvre est importante dans la période actuelle.

Par ailleurs, le Gouvernement et mon budget mobilisent des moyens extrêmement importants pour favoriser l'accès au logement des personnes sans domicile fixe, qu'elles soient à la rue ou hébergées. Depuis le mois de mars, nous consacrons des moyens exceptionnels pour permettre cette mise à l'abri. Nous avons poursuivi nos efforts dans le contexte du deuxième confinement et de la trêve hivernale. Cette année, le programme 177 sera doté d'une enveloppe de 2,2 milliards d'euros, soit plus de 200 millions d'euros supplémentaires par rapport à 2020. Cela nous permettra de pérenniser 14 000 nouvelles places d'hébergement, de recruter 150 équivalents temps plein au sein des services intégrés d'accueil et d'orientation et de continuer l'ouverture de places supplémentaires avec l'objectif de ne laisser aucune demande non satisfaite durant cette période particulière du confinement et de trêve hivernale.

Dans le cadre de l'acte II de la stratégie de lutte contre la pauvreté, le programme « Logement d'abord » bénéficie également de moyens supplémentaires permettant d'ouvrir 1 500 places d'hébergement pour les femmes sortant de maternité et de financer 250 équipes mobiles de prévention des expulsions locatives. Enfin, nous mobilisons 100 millions d'euros dans le cadre du plan de relance pour construire et rénover des centres d'hébergement, des résidences sociales et des foyers de travailleurs migrants, créer des tiers-lieux alimentaires et rénover les aires d'accueil des gens du voyage. Je voudrais en profiter pour confirmer une nouvelle fois l'engagement du Gouvernement dans le déploiement du plan « Logement d'abord ». La loi de finances donne au ministère les moyens d'une véritable accélération en la matière, notamment par le financement de nouveaux territoires de la mise en oeuvre accélérée du plan « Logement d'abord » mais aussi par le renforcement du financement des pensions de famille. Le forfait journalier va évoluer de 16 à 18 euros. Cette revalorisation répond à une demande ancienne et très attendue.

En ce qui concerne le logement social, les objectifs de production sont maintenus cette année ainsi que l'année prochaine à hauteur de 110 000 logements sociaux. Cette année, l'objectif est extrêmement ambitieux. Je ne pense pas que nous atteindrons le chiffre de 110 000, mais l'objectif est de dépasser celui de 100 000 logements sociaux. Pour l'exercice 2021, l'objectif de 110 000 logements sociaux, dont 40 000 PLAI, est atteignable. Nous nous appuyons notamment sur les moyens mis en oeuvre dans le pacte d'investissement entre l'État et le secteur HLM entre 2020 et 2022. Bien évidemment, je travaille avec toutes les parties prenantes, les bailleurs sociaux, les collectivités territoriales ainsi que les services instructeurs de l'État pour atteindre cet objectif.

Le deuxième axe d'action du ministère concerne la rénovation des logements. Comme vous l'avez souligné, le plan « France Relance » prévoit de consacrer 6,7 milliards d'euros à la rénovation énergétique et 2 milliards d'euros à la rénovation thermique à destination des ménages, ce qui vient compléter la partie budgétaire classique dédiée au financement de « MaPrimeRénov' » à hauteur de 4 milliards d'euros pour les bâtiments publics de l'État et des collectivités territoriales et de 500 millions d'euros pour la réhabilitation du parc social ainsi que 200 millions d'euros pour les travaux effectués par les PME-TPE. Le ministère maintiendra également un haut niveau de dotation de l'ANAH à hauteur de 650 millions d'euros afin de financer ses interventions en faveur de la lutte contre la précarité énergétique et l'habitat indigne et de soutenir les copropriétés dégradées avec des moyens supplémentaires, notamment pour le déploiement de nouvelles opérations de requalification des copropriétés dégradées d'intérêt national.

Enfin, je suis mobilisée en faveur de la construction neuve et durable, ce qui me permettra, Madame la Présidente, de répondre à votre première question. En effet, nous avons devant nous un risque conséquent de « trou d'air » de la construction. Le rythme annuel de mise sur le marché de logements neufs que nous observions avant la crise avoisinait 450 000 logements. Cette année, la mise à disposition de logements neufs sur douze mois glissants sera probablement inférieure à 390 000 ou 400 000 logements. Nous sommes confrontés au risque de rester à ce niveau si nous ne nous mobilisons pas. La mobilisation est celle de l'État, et j'y reviendrai, mais également celle des collectivités territoriales et notamment le bloc communal.

J'ai signé la semaine dernière avec l'Association des Maires de France, France urbaine et l'Assemblée des communautés de France ainsi qu'avec tous les professionnels de la construction et du logement un pacte pour la relance de la construction durable. Celui-ci comprend un axe de simplification des procédures ainsi qu'un axe de soutien à l'émergence de projets durables de construction. Je crois qu'il est extrêmement important de relancer une politique de la construction. La mobilisation des acteurs est une condition nécessaire, même si elle n'est pas forcément suffisante. Dans ce cadre, les actions et les ressources des établissements publics fonciers et des établissements publics d'aménagement seront confortés. Il faut faire en sorte que ces opérateurs soient un véritable soutien de cette politique et permettent de développer des projets d'envergure.

À travers le plan « France Relance », deux aides sont dédiées à ces enjeux. Les collectivités territoriales vont bénéficier d'une enveloppe de 350 millions d'euros pour une aide à la densification. Par ailleurs, le financement du recyclage des friches fait l'objet d'un fonds de 300 millions d'euros. Bien évidemment, la question des dispositifs fiscaux s'est posée. Les discussions avec les différentes parties prenantes ont été longues et nourries. La position du Gouvernement a été précisée à l'Assemblée Nationale la semaine dernière. Les députés ont voté en première lecture la prorogation du prêt à taux zéro à l'identique jusqu'à fin 2022 ainsi que la prorogation du dispositif Pinel à l'identique jusqu'à fin 2022, puis une réduction progressive du taux en 2023-2024 à l'exception des opérations exemplaires, qui resteront à définir, mais qui le seront sur le plan écologique ainsi qu'au regard de la qualité des logements. Je pense par exemple à la nécessité de disposer d'un espace extérieur et à un travail sur la taille des pièces et l'organisation des logements. Enfin, nous avons annoncé l'ambition de soutenir davantage et mieux le logement intermédiaire qui constitue un segment important et permet de mettre sur le marché des logements neufs locatifs à prix maîtrisés. Nous nous sommes engagés à revenir devant la représentation nationale dans le courant de l'année prochaine pour définir les modalités de ce soutien accru.

Enfin, comme vous le savez, nous avons ouvert une discussion sur les moyens, l'organisation et le fonctionnement d'Action Logement. L'article 47 du projet de loi de finances, que vous avez cité, contient un prélèvement exceptionnel d'un milliard d'euros. Au-delà de ce prélèvement exceptionnel, j'estime nécessaire de réengager avec Action Logement une discussion sur deux points. Le premier point concerne le fonctionnement et la gouvernance, avec l'objectif d'aller au bout de la réforme de 2016 et de trouver un fonctionnement satisfaisant ainsi qu'une efficacité plus grande. Le deuxième point concerne les principes d'intervention ainsi que la clarification des rôles et des interventions entre le soutien aux grandes politiques publiques qu'effectue Action Logement - je pense par exemple au financement du Nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) ou d'autres actions de l'ANAH - et les démarches qui font partie du coeur de métier d'Action Logement en matière de soutien à la mobilité et au logement des salariés. Les deux volets forment en réalité un tout. Nous avons envisagé un article d'habilitation à légiférer par ordonnance, mais cet amendement n'a pas été déposé. Je vous confirme qu'il ne le sera pas. Nous donnons une chance à la discussion et à la concertation avec les partenaires sociaux, qui sera engagée avant la fin d'année, ceci durant quelques semaines. J'espère qu'elle sera relativement courte. Elle nous permettra de revenir avant la fin du premier semestre 2021 devant les parlementaires, soit à l'occasion d'une loi de finances rectificative, soit à une autre occasion, pour proposer des aménagements législatifs s'il apparaît que la réforme souhaitée est de niveau législatif.

En attendant, je souhaite conclure avec Action Logement un avenant au plan d'investissement volontaire. Il s'agit de tirer les conséquences de la crise et de l'adoption du plan de relance par l'État et par le Parlement et de mieux coordonner les actions durant les exercices 2021-2022. C'est d'ailleurs à ce titre que je répondrai à votre question sur l'appel des 101 maires. En effet, il me semble que cet avenant au plan d'investissement volontaire d'Action Logement pourrait poser la question d'un soutien renforcé ou d'une visibilité accrue donnée à l'ANRU. Cela fait partie des questions qui ont été soulevées par les maires de banlieue, parmi toutes les questions qui dépassent la politique du logement et qui concernent aussi la santé, l'éducation et la vie associative. En ce qui concerne le logement, je pense que l'une des réponses est de poursuivre cet investissement au travers d'une action volontaire partagée entre l'État et Action Logement.

Je reviens également sur la lutte contre l'habitat indigne, en particulier à Marseille. Je partage assez largement les constats que vous avez exprimés. J'ai l'intention de me rendre à Marseille le 25 novembre pour présider le comité de pilotage du PPA. Je m'y étais rendue quelques temps après ma prise de fonction. Je pense qu'il faut dissocier deux aspects, la prise en charge des familles qui ont été frappées par le drame de la rue d'Aubagne et leur relogement, qui est assez largement en cours, et le fait qu'à la suite de ce drame, la Ville, l'État et la Métropole ont augmenté de manière significative le volume d'arrêtés de péril et d'arrêtés d'insalubrité. Ces acteurs ont commencé à identifier plus précisément les immeubles en difficulté, ce qui a généré un nouveau flux de relogements. Celui-ci est en cours. La plupart des familles de la rue d'Aubagne ont été réinstallées dans de vrais logements, mais cela n'est pas le cas de toutes celles qui ont été confrontées à des situations découvertes après l'effondrement dans la rue d'Aubagne et qui logent encore souvent dans des structures transitoires. L'État agit d'ailleurs plus largement que son rôle théorique, puisqu'il apporte son financement à la mission d'urgence et de relogement au-delà des ambitions initiales, qui portaient sur une durée plus courte.

Au-delà de la réponse apportée à la situation d'urgence, les opérations de requalification mettent du temps à se mettre en place, qu'il s'agisse de la création de la SPLA-IN, du recrutement de son directeur, de la formalisation du contenu du partenariat ou du lancement des premières actions. Cela résulte également de la coexistence assez forte de programmes d'aménagement sur le territoire marseillais, notamment la requalification du centre-ville, les grands programmes d'aménagement classiques et la reprise des grandes copropriétés dégradées, qui se situent plutôt dans les quartiers nord ou en périphérie. Je crois qu'effectivement, nous devons imaginer un pilotage plus resserré. Ce pilotage est forcément tripartite et associe la ville, la métropole et l'État.

La SPLA-IN a été capitalisée à hauteur de 3 millions d'euros. Le plan « Initiative Copropriétés » se voit soutenu au travers d'une enveloppe supplémentaire de 50 millions d'euros dans le cadre du plan de relance.

Mme Sophie Primas, présidente. - Madame la Ministre, je vous remercie. Je vais laisser la parole à Dominique Estrosi Sassone. Nous reviendrons sur la lutte contre le logement indigne. Malheureusement, Marseille n'est pas la seule zone concernée. Je pense aussi à l'Outre-mer ou à la ruralité. Pour avoir conduit cette mission avec Dominique Estrosi Sassone, nous en avons été particulièrement frappées par ces difficultés.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis sur les crédits « Logement » de la mission « Cohésion des territoires ». - Madame la Présidente, je vous remercie. Madame la Ministre, je vous poserai cinq questions.

Ma première question concerne le champ des bénéficiaires du dispositif « MaPrimeRénov' », qui a été étendu à tous les ménages, y compris les ménages les plus aisés, aux propriétaires-bailleurs ainsi qu'aux copropriétés. Cela permet à tous les propriétaires d'une copropriété qui s'engagent dans une rénovation globale de bénéficier du soutien de l'ANAH. Le fait que vous ayez pu obtenir ces avancées, Madame la Ministre, me paraît très positif. Néanmoins, il me semble qu'il y a un « trou dans la raquette ». Tous en bénéficient à l'exception des bailleurs de locaux commerciaux en pied d'immeuble. J'avoue que je n'en comprends pas la raison. Si le plan de relance prévoit des aides pour les locaux des TPE-PME, les bailleurs n'y auront pas accès pour leur part. Il serait dommageable que leur voix puisse manquer lors de l'Assemblée générale de copropriétés qui déciderait des travaux, au risque de faire échouer ces travaux puisqu'ils seraient les seuls dans l'immeuble à devoir les payer, ceci sans pouvoir bénéficier d'aides. Accueillerez-vous de manière favorable, Madame la Ministre, un amendement qui irait en ce sens ?

Ma deuxième question porte également sur les bailleurs, et plus précisément sur la possibilité d'aboutir au statut du bailleur privé, dont il est très souvent question. Le bailleur privé ne devrait pas être vu comme un rentier, mais comme un entrepreneur de logement. Le rapport du Comité Action Publique 2022 plaidait en ce sens et invitait à élargir le débat traditionnel sur tel avantage fiscal ou telle prime pour adopter une démarche globale ayant un impact durable sur la construction de logements. Pensez-vous que nous pourrions lancer une réflexion dans les prochains mois ?

Ma troisième question porte sur le sujet d'actualité plus prégnant de la situation des impayés de loyer. L'Union sociale pour l'habitat fait part d'une hausse structurelle de l'ordre de 10 % du stock d'impayés en raison de la crise sanitaire et de la crise économique. Les inquiétudes gagnent non seulement le parc social, mais également le parc privé. Vous avez réuni hier un observatoire des impayés de loyer. Pouvez-vous nous indiquer quels ont été les premiers échanges ? Concernant les aides, pouvez-vous nous faire un état des moyens déployés ?

Vous avez également parlé dans votre intervention des territoires d'accélération de la politique du « Logement d'abord ». Nous considérons qu'il s'agit d'un point très positif. Deux territoires ont été retenus au titre de l'expérimentation de la politique du « Logement d'abord » dans le département des Alpes-Maritimes, la Métropole Nice Côte d'Azur et la communauté d'agglomération de Sophia Antipolis. Pourriez-vous nous donner une évaluation ?

Enfin, seriez-vous en mesure de nous apporter des précisions sur les montants et les modalités d'attribution de l'aide aux maires bâtisseurs, que vous avez annoncée ? Je vous remercie.

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement. - Je vous remercie pour ces questions. En premier lieu, j'aurais tendance à dire que je serais favorable au principe d'un amendement. Cependant, je crois que cette demande est satisfaite, ce que nous allons vérifier. En effet, je pense que l'accès des copropriétés au dispositif « MaPrimeRénov' » est un vrai progrès. Il est clair que la rénovation dans une copropriété est déjà suffisamment compliquée. Si chaque copropriétaire a besoin de monter un dossier de demande d'aide et si l'aide varie en fonction des situations personnelles, le dispositif devient totalement illisible. Nous avons donc décidé que la copropriété elle-même pourra demander l'aide « MaPrimeRénov' » par le biais du syndic.

Prenons l'exemple de travaux d'un coût brut d'un million d'euros donnant lieu à une aide de 400 000 euros. Le syndic va réaliser son plan de travaux et l'envoyer à l'ANAH. Il va demander l'éligibilité à l'aide et recevoir cette enveloppe de 400 000 euros, ce qui va donc ramener le prix des travaux à 600 000 euros. Ensuite, le syndic répartira ce montant de 600 000 euros entre les copropriétaires sur la base des tantièmes. Quelle que soit l'identité du copropriétaire et qu'il s'agisse d'un individu ou d'une société commerciale, d'un occupant ou d'un bailleur, la situation est neutre. C'est l'immeuble qui est éligible. Le syndic perçoit l'aide au nom de l'immeuble. Le fait que l'occupant se situe au rez-de-chaussée de l'immeuble et que celui-ci soit un commerce ne crée pas d'exclusion. C'est ce que j'ai compris du dispositif et la réponse formelle que je peux vous apporter aujourd'hui. Je vais néanmoins vérifier ce point, qui m'est indiqué par les services. S'il y avait un blocage sur ce sujet, je serais tout à fait favorable à ce qu'il soit levé, mais je crois que nous n'en avons pas besoin.

Votre deuxième question concerne le statut du bailleur privé. Nous avons fait le choix de proroger les aides à l'investissement locatif sous leur forme actuelle, à savoir le dispositif Pinel, avec une visibilité intacte en 2021-2022 ainsi qu'une visibilité plutôt en régression à partir de 2023, à l'exception des opérations dites exemplaires. Je vous accorde que cela ne répond pas à la totalité de la question posée. Celle-ci me semble comprendre un élément relatif à la valorisation de l'action utile de fourniture de logement qu'est la mise en location par un propriétaire. Elle porte également sur la question de l'amortissement du bien en dehors de tous les dispositifs spécifiques liés à des niches plus petites (Pinel, Denormandie, etc.). Je trouverais intéressant de pouvoir conduire une réflexion sur ce sujet, mais je pense qu'elle n'aboutira pas dans le cadre du PLF 2022. En revanche, il me paraîtrait utile qu'elle puisse être mise en oeuvre afin de préparer une éventuelle réforme plus ambitieuse. Ce sujet revient régulièrement. Nous pourrions l'instruire de façon plus précise. Je rappelle qu'il mobilise des masses financières importantes. Soit les amortissements sont très faibles, soit la dépense fiscale sera plus élevée que la somme des dépenses fiscales spécifiques actuellement intégrées au budget. Pour autant, cela n'empêche pas d'approfondir cette réflexion.

Concernant les impayés de loyer, je partage vos inquiétudes. Toutefois, je vous avoue une forme de frustration au sujet de l'absence de données plus solides. J'ai donc souhaité créer un observatoire des impayés de loyer, que j'ai réuni hier. J'y ai convié la totalité des acteurs susceptibles d'être intéressés et de partager des données, tels que l'ANIL, les associations du contrôle de l'exclusion, le monde du logement social au travers de l'USH ainsi que les propriétaires privés au travers de l'Union nationale des propriétaires immobiliers, Action Logement ainsi que les collectivités territoriales. Chacun de ces acteurs perçoit des signaux.

Le tour de table que nous avons organisé hier nous a permis de partager des inquiétudes, mais nous n'avons pas beaucoup de signaux tangibles à ce stade. L'ANIL constate une augmentation des demandes des consultations. L'USH ne constate pas de hausse des montants d'impayés, mais exprime des interrogations. Les propriétaires privés n'enregistrent aucun signe pour l'instant. Les départements n'ont pas constaté d'augmentation des dépenses liées au Fonds de solidarité pour le logement. Pour autant, rien ne dit que cela ne va pas se produire. Je prends donc ces observations avec précaution et affirme simplement qu'à ce stade, les inquiétudes exprimées de façon légitime n'ont pas encore produit de demandes massives de prise en charge au travers des aides départementales ou au travers de la relation avec les propriétaires. Les signaux intermédiaires de consultation, par exemple, sont plus importants.

Je rappelle qu'il existe des aides. L'aide proposée par Action Logement à hauteur de 150 euros par mois, durant deux mois maximum, a été portée à six mois maximum. De plus, certaines caisses de retraite proposent également des aides, notamment l'AGIRC-ARRCO et son dispositif d'aides nationales. S'y ajoutent les aides locales telles que les Fonds de solidarité pour le logement, les FSL.

Nous avons décidé de travailler dans trois directions. D'une part, il faut essayer de mieux colliger les données afin de construire un indicateur en avance de phase. D'autre part, il faut bien informer les locataires, notamment les locataires du secteur privé. Concernant les locataires du parc social, une charte a été rédigée durant le premier confinement. Les bailleurs sociaux se sont engagés à la republier et la partager. En revanche, l'information des locataires du secteur privé repose sur les grands réseaux qui assurent la gestion d'une partie significative du parc. Ils doivent être informés du fait qu'en cas de difficultés, il vaut mieux signaler celles-ci rapidement et mettre en avant le rôle des agences départementales pour l'information sur le logement (ADIL) en première intention, puis les travailleurs sociaux. Enfin, sur ma proposition, le Premier ministre a mandaté le député Nicolas Démoulin au sujet de la prévention des expulsions locatives. L'objectif est de faire en sorte que les mesures plus structurelles soient reprises dans son rapport et soient mises en oeuvre.

Concernant l'accélération de la mise en place de la politique « Logement d'Abord » sur les territoires, le dispositif fonctionne de façon satisfaisante. Vingt-trois territoires avaient candidaté au premier appel à manifestation d'intérêt. Les résultats sont meilleurs dans ces territoires que dans le reste de la France. Le nombre d'attributions de véritables logements aux personnes en situation d'hébergement a augmenté de 14 % dans ces territoires en deux ans, contre 8 % sur l'ensemble du territoire national. Nous réalisons des efforts spécifiques qui produisent leurs effets. Nous avons lancé un nouvel appel à manifestation d'intérêt. Les retours sont prévus pour le 11 janvier. Nous avons déjà reçu une trentaine de lettres d'intention. Le PLF prévoit une enveloppe de 12 millions d'euros pour financer ces nouveaux territoires d'accélération. Il s'agit donc d'une politique prometteuse.

Enfin, je reviens sur l'aide à la relance de la construction durable, qui se traduit par une enveloppe de 350 millions d'euros sur deux ans. Il s'agit d'une aide au mètre carré quand le nombre de mètres carrés du permis de construire octroyé est supérieur à un seuil de densité fixé selon cinq niveaux différents en fonction de la densité de la zone. Cela permet de ne pas traiter de la même manière les zones rurales et les centres-villes. Cette aide calibrée à hauteur de 100 euros par mètres carrés au-delà du seuil de densité moyen sera versée automatiquement. Les permis de construire seront enregistrés dans la base de données de l'administration, intitulée Citadelle, qui rassemble tous ces permis. Le premier versement est prévu en octobre 2021. Le deuxième versement interviendra courant 2022 de façon automatique.

Mme Sophie Primas, présidente. - Je vous remercie pour ces réponses précises. Nous avons de nombreuses questions à vous poser, mais mes collègues ont l'habitude d'être concis. Je donnerai la parole à Mme Valérie Létard, puis à Marie-Noëlle Lienemann.

Mme Valérie Létard. - Je vous remercie, Madame la Ministre ainsi que Madame la Présidente.

Comme vous le savez, nous avons accueilli très favorablement la décision du Gouvernement de ne pas déposer l'habilitation à légiférer par ordonnances sur la réforme d'Action Logement. Cet engagement était un préalable indispensable. Nous espérons collectivement, puisque nous avons travaillé à quatre sur ce rapport, que cette décision permettra d'ouvrir un véritable temps de dialogue, sans menaces, où chacun pourra assumer les responsabilités qui sont les siennes. Vous nous avez donné des précisions sur le processus, ses différentes étapes ainsi que sur les idées directrices du Gouvernement. Nous soutenons pleinement la volonté que vous avez exprimée d'aboutir à un texte législatif en bonne et due forme, qui sera débattue au Parlement au printemps prochain, comme nous venons de l'entendre. Des auditions que nous avons menées dans le cadre de la mission « flash » et auxquelles vous avez bien voulu participer, nous retenons qu'Action Logement est à la fois un pilier du pacte social et un atout pour notre pays. C'est un groupe puissant, la première foncière d'Europe, et efficace. Il nous semble que des progrès significatifs ont été réalisés par rapport aux différents rapports d'inspection qui nous ont été transmis et qui portent pour l'essentiel sur la période 2016-2018. De nouveaux progrès sont bien évidemment attendus, ce qui est bien normal pour un acteur aussi important.

De notre point de vue, il y a trois éléments incontournables pour aboutir à un consensus sur la réforme. Le premier élément est la préservation de la Participation des employeurs à l'effort de construction (PEEC) comme ressource dédiée au logement. C'est pourquoi nous nous opposerons aux nouveaux prélèvements budgétaires opérés sur Action Logement à l'occasion du projet de loi de finances. Vous comprenez bien Madame la Ministre, qu'un prélèvement d'un milliard d'euros susceptible d'être affecté à l'APL nous interroge beaucoup plus encore que nous aurait interpellé un milliard d'euros sur l'investissement pour accompagner l'effort de construction. De plus, le risque de récurrence de cette mesure est absolument énorme, ce qui nous interpelle au moment où nous allons entamer la concertation. Vous savez que cela remet en question la récupération de la participation des employeurs à l'effort de construction, la PEEC qui permettrait de poursuivre la dynamique.

Il est difficile de relancer un dialogue confiant en captant une grande partie des ressources du groupe cette année. En outre, nous estimons que la gestion paritaire doit être préservée et que le patrimoine immobilier, qui est un bien commun puisque l'héritage de 70 ans de cotisations, doit être sécurisé.

Nous devons également travailler sur plusieurs axes de progrès. Concernant une gouvernance plus fonctionnelle, nous partageons votre souhait d'évoluer vers une ligne hiérarchique plus assumée. Outre le lien emploi-logement à rénover pour répondre à la demande des entreprises comme des salariés, l'amplification de la territorialisation des politiques menées est un autre axe de travail auquel nous souhaitons que les élus locaux puissent être associés. Tel était d'ailleurs le but du Comité des partenaires, prévu par la loi ELAN, qui n'a pas été mis en oeuvre. Madame la Ministre, sur ce dernier point, comment comptez-vous rendre possible cette participation des élus locaux à la réforme d'Action Logement ?

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Madame la Ministre, Mme Valérie Létard ayant fait le point sur Action Logement, je n'aborderai pas cette question, sur laquelle nous sommes d'accord. Concernant les APL, nous nous situons dans une période ou la contemporanéité va se mettre en place. Il reste à savoir si vous disposez d'estimations sur le nombre de personnes qui ne vont plus recevoir les APL dans le cadre de ce mécanisme. D'après ce que j'ai compris, les économies prévues portent sur un montant d'environ 800 millions à un milliard d'euros, mais elles seront finalement réduites à la moitié au regard de la situation sociale.

Par ailleurs, ne pensez-vous pas qu'il faut tirer les leçons de cette crise ? Les APL sont non seulement un élément de solvabilité fondamental pour nos concitoyens modestes, mais également pour les propriétaires qui, dans les périodes difficiles comme celle que nous avons connue, touchent les loyers au travers du système de paiement direct. Cela produit un effet de stabilisation du système très important. Ne pensez-vous pas qu'il faut revenir sur la volonté de réduire le champ et l'ampleur des APL ? Nous avions déposé un projet de loi pour l'efficacité des APL qui a été voté par le Sénat. Pensez-vous y donner une suite ? Concernant la relance du logement social, il faut que les loyers de sortie correspondent aux revenus des Français, ce qui est de plus en plus difficile dans l'équilibre budgétaire actuel. Ne croyez-vous pas que l'un des éléments de la relance, à défaut d'une baisse générale de la TVA qui a donné lieu à un débat en Allemagne, mais pas en France, est qu'il serait urgent de fixer une TVA à 5,5 % pour le logement social ? Je vous rappelle que cette règle a été maintenue pendant très longtemps et ne s'oppose en rien aux règles européennes. Dans ce cadre, ne faut-il pas accélérer le bail réel solidaire (BRS) et aider au maximum les organismes pour le foncier solidaire ? Accepteriez-vous que les départements aient le droit de réaliser des garanties d'emprunt s'agissant des organismes de foncier solidaire (OFS) ? Évidemment, cela n'est pas une obligation, puisque les communes et les communautés y ont droit. En revanche, les départements n'ont pas le droit de garantir les prêts des OFS et les communes n'en ont pas les moyens. Même s'il y a d'autres débats techniques, il me semble important de souligner ce point. Par ailleurs, l'accession sociale à la propriété est en crise. Elle a plutôt augmenté dans notre pays, mais nous ne parvenons pas à solvabiliser la partie sociale qui concerne les foyers rémunérés à hauteur de deux fois le SMIC.

Nous entendons dire tous les ans que le prêt à taux zéro sera prolongé d'un an, mais ce stop and go est complètement délirant. Si la vente d'une maison ou d'un appartement intervient en milieu d'année, il n'est pas possible au regard du temps de financement de s'assurer d'un accès au PTZ l'année suivante. Ce système a donc un effet négatif sur la production de l'accession sociale. Ne croyez-vous pas qu'au regard des mesures prises par les banques qui restreignent l'accès au crédit, il faudrait expérimenter pour les catégories les plus modestes l'idée d'une prime d'accession sociale, quitte à la localiser pour éviter l'étalement urbain et permettre le renouvellement des centresvilles ? Je rappelle qu'aujourd'hui, le souhait de réaliser une opération d'accession sociale dans les centres-villes se heurte à de tels surcoûts qu'il n'est pas possible d'en rester à un prix raisonnable, à moins d'une perte de confort qui ne rend plus l'opération attractive. Nous assistons à une paupérisation de nos centres-villes.

Enfin, nous craignons un manque d'ambitions quant au bilan carbone. Il existe une grande différence entre le bilan carbone en valeur énergétique et le bilan global, qui englobe les matériaux, la nature des chantiers et les éléments de construction. La France entend réduire le niveau des gaz à effet de serre, mais il faut tenir compte des politiques d'importation. Par conséquent, je plaide pour que nous soyons très attentifs à la nécessité de renforcer la part du bois dans la construction et dans les travaux. Il s'agit d'un point important dans le soutien à la mise en oeuvre d'un bilan carbone offensif dans la construction, notamment dans le logement social.

Mme Viviane Artigalas, rapporteure pour avis sur les crédits « Politique de la ville » de la mission « Cohésion des territoires ». - Madame la Ministre, je ne reviendrai pas non plus sur Action Logement. J'aborderai trois points.

Le premier point concerne l'appel des 101 maires. Vous souhaitez apporter un soutien supplémentaire à l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), mais pour le moment, c'est plutôt Action Logement qui lui apporte ce soutien, tout particulièrement le déploiement du NPNRU. Toutefois, nous voyons bien que les projets ne sont pas mis en oeuvre, ceci pour plusieurs raisons. Les bailleurs sociaux sont en difficulté. En conséquence du dispositif de réduction de loyer de solidarité (RLS), ces bailleurs sociaux ne peuvent pas vendre de logements et donc financer de nouveaux programmes de construction. Nous constatons également les difficultés des collectivités territoriales dans l'autofinancement de ces projets. Enfin, il existe un manque de visibilité sur le long terme. Action Logement finance une grande partie du NPNRU. Or les investisseurs sont en difficulté, puisqu'ils n'ont pas de visibilité sur le devenir des financements d'Action Logement.

Ma deuxième question concerne le prêt à taux zéro. Je rejoins le point de vue de Mme Marie-Noëlle Lienemann. Dans le cadre de la loi de finances pour 2018, la quotité susceptible d'être financée par le PTZ a été divisée par deux. Elle a évolué de 40 à 20 % pour 95 % du territoire français, à savoir dans les zones B2 et C. Cette différence de traitement a créé des inégalités territoriales et des ruptures d'égalité entre les Français. Paradoxalement, c'est dans les zones les moins tendues, où les prix sont encore accessibles aux ménages que le PTZ prend tout son sens, à l'instar de l'APL-Accession. En même temps, faisons confiance aux élus locaux. Nous disposons d'outils. Vous invoquez le problème de l'artificialisation des sols, mais toutes les communes et les intercommunalités sont engagées dans des Plan locaux d'urbanismes intercommunaux (PLUI). Dans chaque département, et tout particulièrement en milieu rural, il est possible de recourir aux commissions départementales de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF). Ces outils me semblent intéressants pour favoriser l'accession à la propriété dans les zones détendues.

Enfin, le dernier point concerne les jeunes, qui sont en grande difficulté au regard des APL et de la contemporanéité des aides. Il faudrait prévoir une compensation ou une dérogation à ce principe pour les jeunes étudiants qui accèdent à l'emploi. J'ai déjà exprimé cette demande.

M. Franck Menonville. - Madame la Ministre, vous avez une politique ambitieuse en matière de rénovation des logements et de rénovation énergétique. C'est aussi le cas des collectivités territoriales et des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), notamment dans le cadre des opérations programmées d'amélioration de l'habitat. Ma question est très simple et tient compte des remontées de terrain. Aujourd'hui, les opérations programmées d'amélioration de l'habitat (OPAH) sont programmées sur des périodes de trois ans. Il faut souvent un an au moins pour les mettre en place. Le temps nécessaire pour les organiser sur les territoires est ensuite très réduit. La demande qui m'est exprimée et que je relaye consiste à pouvoir augmenter leur durée jusqu'à environ cinq ans.

M. Joël Labbé. - Madame la Ministre, je souhaite vous interroger sur la question de l'habitat léger et du hameau léger. Nous connaissons les difficultés de logement d'une partie de la population. Celles-ci s'accroissent. Nous savons également que les choix de logement d'une partie de la population, plutôt jeune, portent sur l'habitat réversible, écologique et socialement juste. Un certain nombre de maires souhaitent l'accueil de ce type de ménages avec enfants. Vous en connaissez tous sur vos territoires. Toutefois, ils ne disposent pas encore d'un cadre juridique suffisant pour que ce processus puisse être effectué en toute sécurité. Les maires et les personnes concernées souhaitent que ce cadre soit beaucoup plus sécurisé. Par ailleurs, la question du terrain de l'assiette de l'habitat peut être résolue. Celui-ci peut rester un bien communal mis à la disposition de ménages par bail emphytéotique. L'association « Hameaux légers et Habitat léger » a effectué un important travail sur ce sujet. Elle est en attente d'une réponse du Gouvernement.

Mme Sophie Primas, présidente. - Je donne la parole à M. Philippe Dallier, rapporteur spécial de la commission des finances.

M. Philippe Dallier. - Mes chers collègues, je vous prie de bien vouloir excuser mon absence en début de séance, puisque la commission des finances s'est réunie pour examiner les crédits de la mission. Comme vous l'imaginez, et même si ce sujet ne fait pas directement partie des crédits de la mission, nous avons évoqué l'avenir d'Action Logement, qui s'est trouvé au centre de nos interrogations. Pour en avoir discuté avec nos collègues, nous attendons que le Gouvernement explicite clairement ses intentions. Madame la Ministre, les chiffres du logement ne sont pas bons depuis trois ans. Il y a des raisons à cela. À mon avis, celles-ci se cumulent. Ces facteurs sont le RLS, la réduction du PTZ, le dispositif Pinel, les questions sur l'avenir d'Action Logement ainsi que les incertitudes sur le financement des collectivités territoriales, auxquelles s'ajoute la crise sanitaire. Cet ensemble crée un important problème de visibilité et de confiance. Si vous ne levez pas ces interrogations, le mouvement ne repartira pas, en tout cas il n'atteindra pas le niveau dont nous aurions besoin.

Concernant le plan de relance, j'ai l'impression que le logement n'est pas dans le viseur du Gouvernement. Certes, vous réalisez un effort en matière de rénovation énergétique, mais vous n'agissez pas vraiment sur le champ de la construction. Il a fallu arracher les dispositions relatives à la prolongation du dispositif Pinel. Dans les détails, l'aide aux maires qui agissent en faveur de la densification n'est guère importante. S'y ajoutent les incertitudes sur la disparition de la taxe d'habitation et l'absence de compensation des exonérations de la taxe foncière pour les communes. Ces éléments créent une grande incertitude, qui n'est pas favorable à la relance. Vous aviez l'opportunité de donner un grand coup d'accélérateur dans le cadre du plan de relance, mais cela n'est pas le cas pour la construction neuve. Concernant la rénovation énergétique, les crédits apportés au dispositif « MaPrimeRénov' » sont de même niveau que l'enveloppe allouée au CITE en 2019. Cela n'est pas le booster que nous pourrions attendre au travers du plan de relance. Pourtant, les entreprises de la construction ont repris leur activité malgré la crise sanitaire. Ces activités ne sont pas concernées par les délocalisations et la demande des Français nécessiterait de construire 500 000 logements par an. Cela n'est pas le cas, ce qui crée des déceptions.

M. Daniel Laurent. - Madame la Ministre, l'aménagement du territoire est le grand oublié de ces dernières décennies. Nous savons que le logement est l'élément clé sur nos territoires pour le développement local et l'installation des familles. Nous n'avons de cesse de le répéter. L'État doit être un facilitateur. Les contraintes réglementaires sont malheureusement pléthore. Dans le cadre de la dernière campagne sénatoriale que nous venons de vivre, de nombreux élus nous ont fait part des difficultés auxquelles ils sont confrontés. La question de l'habitat indigne ou des biens inoccupés est prégnante dans nos territoires ruraux. L'accès au logement et le renforcement des aides fiscales pour la réhabilitation du bâti existant est un enjeu de développement des territoires ruraux et des centres des bourgs pauvres.

Les plans locaux d'urbanismes (PLU), les schémas de cohérence territoriales (SCOT), les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) destinés à fixer les règles générales des projets à mener provoquent des incompréhensions chez les élus des territoires ruraux. Peu de foncier est mobilisable au détriment des communes. L'économie de la consommation du foncier s'entend, mais certaines communes n'ont quasiment plus aucune possibilité de réalisation. Aujourd'hui, la crise sanitaire nous montre que certaines populations souhaitent un retour vers nos territoires ruraux.

Mentionnons également la surinterprétation des textes de la loi « Littoral » par les services de l'État, qui génère également des incompréhensions de la part des élus du littoral. Vous avez indiqué, Madame la Ministre, que vous serez attentive à ce que les collectivités territoriales respectent les obligations de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) et appliquent le droit dans toute sa rigueur. Or nous arrivons à l'échéance triennale et au début des procédures contradictoires dans une période de crise avec les contraintes afférentes. Il convient d'en tenir compte pour permettre aux communes d'avancer dans les projets. Vous savez notamment qu'au sein des territoires littoraux, les contraintes sont malheureusement nombreuses, et plus particulièrement d'ordre environnemental. Pour conclure, une politique favorable à la relance de la construction en milieu rural favorisera l'attractivité du monde rural et le dynamisme social et économique. Quelles réponses apportez-vous sur tous ces sujets ? Vous voulez développer la construction. Nous en avons besoin, mais les voeux pieux ne suffisent pas. Que fait-on sur les territoires ruraux ? Pour répondre à la problématique soulevée par M. Philippe Dallier, les contraintes sont trop importantes. Les maires sont démunis.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Madame la Ministre, je souhaite poser quelques questions. Aujourd'hui, les enjeux de la sobriété foncière ou de la définition de l'artificialisation des sols sont au coeur des propositions de la Convention citoyenne pour le climat. Je voudrais connaître vos orientations en la matière. Comment devons-nous interpréter la suppression du versement pour sous-densité dans le PLF ? Par ailleurs, je souhaite revenir sur la RE 2020, qui tarde à être définie et inquiète les soutiens à la filière du bois et des produits biosourcés. Dans le cadre de cette RE 2020, nous attendions une décision et un acte fort permettant de remplir les objectifs de la Stratégie nationale bas-carbone. Nous souhaitions la prise en compte des matériaux biosourcés qui captent le carbone et le séquestrent pendant toute la durée de vie du produit, depuis le prélèvement de la matière première dans la forêt jusqu'à la destruction du bâtiment. De nombreuses interventions mettent l'accent sur l'approche la plus minimaliste possible. J'insiste donc sur l'intérêt du bois au regard des enjeux de la Stratégie nationale bas-carbone et des volumes de logements à construire dans des délais rapides. Madame la Ministre, pensez-vous maintenir un critère de carbone biogénique stocké dans le décret de la RE 2020 ? Pensez-vous que nous en disposerons rapidement ?

M. Patrick Chaize. - Madame la Ministre, je souhaite vous poser une question similaire à celle de Mme Anne-Catherine Loisier. Elle concerne le RE 2020 et plus particulièrement les engagements pris pour atteindre les objectifs ambitieux et nécessaires fixés à l'horizon 2030. Quels éléments de votre budget sont de nature à nous rassurer sur cette direction ? Je souhaite notamment que vous évoquiez l'utilisation des bois locaux.

M. Jean-Marc Boyer. - Madame la Ministre, la construction devient impossible en zone rurale. Il s'agit d'un véritable parcours du combattant. La crise sanitaire rebat les cartes de l'aménagement du territoire. Nous assistons aujourd'hui à la tendance de nombreux citadins à revenir vers le monde rural. La demande est relativement forte sur l'ensemble du territoire national. Or, les collectivités territoriales sont freinées dans la fourniture d'autorisations et de permis de construire pour plusieurs raisons, notamment l'artificialisation des sols, la nécessité de ne pas utiliser trop de surfaces agricoles, le fait de favoriser l'habitat urbain des métropoles et, pour conséquence, le fait de privilégier l'habitat vertical par rapport à l'habitat horizontal ainsi que la mobilité, puisqu'il faut réaliser des économies en termes d'émissions de CO2. Les surfaces sont très limitées au sein d'un certain nombre de collectivités, Les avis des organismes, des schémas de cohérence territoriale, des CDPENAF ainsi que les avis administratifs sont divers.

Dans le cadre du plan de relance, quelles mesures pouvez-vous mettre en place pour libérer un peu l'étau administratif pour les communes des zones rurales qui désirent développer leur urbanisme ? Comment lever toutes ces contraintes et faire confiance aux élus ?

M. Michel Bonnus. - Madame la Ministre, les élus locaux dans les communes carencées en logements sociaux ont le sentiment que le calcul des pénalités n'est pas lié à des éléments objectifs. Ils ont besoin de davantage de visibilité au sujet du calcul de ces pénalités. Les élus ont également besoin de renforcer le dialogue avec les préfets. Ces derniers doivent prendre en compte la situation de chaque commune et les moyens qu'elles mettent en oeuvre pour favoriser la production. Il est impératif de motiver systématiquement les arrêtés de pénalités afin que les décisions ne soient pas simplement verticales, mais découlent de véritables décisions.

Nous avons effectué un comparatif entre les départements. Nous constatons que les pénalités sont complètement différentes alors qu'il s'agit de la même taxe et des mêmes strates. Il faut rétablir le dialogue entre les communes et les exécutifs locaux et aider les municipalités à mieux orienter leurs futurs projets de production. Il ne faut pas de défiance, mais des relations de partenariat

M. Daniel Salmon. - Madame la Ministre, ma question recoupe les interrogations qui ont déjà été exprimées, en particulier par Mme Marie-Noëlle Lienemann. Dans les métropoles, nous avons densifié depuis longtemps et reconstruit la ville sur la ville, ce qui est une bonne affaire au niveau de l'artificialisation des sols. Toutefois, ce phénomène n'est pas encore vraiment initié dans les petites villes et les villages, où l'on a tendance à construire en périphérie, puisqu'il est très coûteux d'engager des rénovations en centre-ville. Vous savez bien que, dans de nombreux villages, des maisons de centre-ville sont plus ou moins abandonnées, car elles sont indignes au regard de l'habitat d'aujourd'hui. Quelles propositions exprimez-vous pour qu'il devienne plus intéressant de rénover une maison de centre-ville que de construire en périphérie ? Nous avons parlé d'énergie grise. Lorsque l'on reconstruit la ville sur la ville, c'est bien souvent au prix de nombreuses démolitions. Chaque fois que nous démolissons dans une ville, nous émettons beaucoup de carbone, qui est gaspillé.

Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Madame la Ministre, je souhaite revenir sur le temps de carence lié au non-versement des APL durant le mois de la première demande. Nous avons voté il y a quelques mois un texte dont l'objectif était de supprimer ce mois de carence. L'Union sociale pour l'habitat a également exprimé cette demande dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021. Malheureusement, à l'occasion de la crise actuelle, le nombre de Français éligibles aux APL va fortement s'accroître. Les Français de l'étranger, que je représente, ont été des milliers à rentrer obligatoirement en France. Certains ont même dû déménager en quelques jours. Ils sont rentrés sans argent et ont perdu leur emploi. Ils se trouvent aujourd'hui dans une situation financière grave. Leurs besoins sont importants dès le premier jour de leur arrivée en France. Je souhaite connaître la position du Gouvernement à ce sujet.

M. Christian Redon-Sarrazy. - Madame la Ministre, je souhaite attirer votre attention sur un sujet relatif à la construction neuve. Il s'agit du problème soulevé par la caducité prochaine des plans d'occupation des sols (POS) en raison de la situation particulière actuelle et passée. La loi du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique a reporté la caducité des POS au 31 décembre 2020 pour les communes faisant partie d'une intercommunalité n'ayant pas achevé l'élaboration d'un plan local d'urbanisme intercommunal. Ce délai supplémentaire avait été octroyé afin de ne pas pénaliser les communes concernées par une situation dont elles ne sont pas responsables, mais qui entraîne l'annulation de leurs documents d'urbanisme. Bien entendu, ce report devait également laisser le temps aux intercommunalités impliquées pour faire aboutir leur Plan local d'urbanisme intercommunal (PLUI).

La crise sanitaire et la période de confinement n'ont malheureusement pas permis aux collectivités qui avaient en charge ces procédures d'avancer de façon satisfaisante. Un certain nombre d'entre elles n'auront pas achevé leur PLUI avant le 31 décembre 2020, date butoir que j'ai rappelée tout à l'heure, entraînant de fait le retour à l'application du règlement national d'urbanisme (RNU), ce que redoutent les communes concernées. En effet, les décisions des services instructeurs en application du RNU sont souvent très restrictives en matière de constructions nouvelles. Durant cette période, le Gouvernement a pris plusieurs ordonnances, en accord avec les lois votées au Parlement pour permettre à notre pays de s'adapter à cette situation exceptionnelle. Certaines sont relatives à l'urbanisme et à la construction. Elles ont ainsi permis de proroger les délais échus ou impactés pendant la période d'urgence sanitaire et d'adapter certaines procédures administratives. Nous vous demandons qu'un report au 31 décembre 2021 soit acté le plus rapidement possible afin de rassurer les communes concernées et d'apporter souplesse et sérénité aux élus intercommunaux, notamment ceux qui sont issus du dernier renouvellement des exécutifs, vis-à-vis d'une procédure complexe dans laquelle leurs marges de manoeuvre est souvent assez réduite.

Mme Sophie Primas, présidente. - Je vous remercie et vous signale qu'une proposition de loi de notre collègue Rémi Pointereau va dans ce sens.

Mme Sylviane Noël. - Madame la Ministre, comme j'ai déjà eu l'occasion de le faire à de multiples reprises avec votre prédécesseur, je souhaite profiter de cette audition pour vous sensibiliser sur l'absolue nécessité de territorialiser davantage les politiques dédiées au logement. Le zonage ABC affecté à de nombreuses communes se révèle inadapté. Ce zonage prend en considération la tension du marché immobilier local comme critère de classement. Or nombre de communes sont classées en zone B2 alors qu'elles mériteraient un classement en zone B1.

À titre d'exemple, à Chamonix, le coût moyen du mètre carré s'élève à 6 500 euros pour un appartement et 8 600 euros par mètre carré pour une maison. Pour un habitant de Chamonix consacrant l'intégralité de son salaire à l'achat de son bien immobilier d'une surface de 70 mètres carrés seulement, plus de vingt-quatre années seront nécessaires à cette acquisition, contre six ans et demi en moyenne pour le reste du territoire national - des chiffres pratiquement sans équivalence en France. Bloquée en zone B2, la commune est ainsi privée de nombreuses aides à l'investissement locatif intermédiaire, notamment du dispositif fiscal de TVA à taux réduit qui s'applique aux logements intermédiaires portés par les investisseurs en zone A et B1. La mise en oeuvre d'un zonage et de dispositifs adaptés aux particularités du territoire constitue un enjeu majeur pour le maintien des populations, le dynamisme économique et la vitalité des services publics.

J'avais eu connaissance d'une expérimentation intéressante menée en Bretagne. Contrairement au reste du territoire, ce sont les collectivités locales qui y déterminent les zones où la tension immobilière est forte et qui peuvent donc bénéficier du dispositif. L'objectif est de permettre une meilleure adéquation de la loi Pinel avec les enjeux territoriaux. La question est simple. Envisagez-vous un élargissement de ce dispositif à d'autres territoires ?

M. Jean-Claude Tissot. - Madame la Ministre, j'ai deux questions principales à vous poser. Tout d'abord, je souhaite revenir sur la prime à la transition énergétique « MaPrimeRénov' » et rappeler l'ampleur des travaux de rénovation thermique. Nous avions demandé il y a plusieurs années l'élargissement de cette aide aux ménages plus modestes. Elle constitue une décision de bon sens. Toutefois, il convient de continuer à réfléchir sur ce sujet. Les ménages en situation de précarité pourront-ils utiliser cette prime si le reste à charge en matière de travaux reste trop élevé ? Dans le cadre du projet de budget, le dispositif « MaPrimeRénov' » est doté d'une enveloppe de 740 millions d'euros à laquelle il convient d'ajouter l'enveloppe de 1,75 milliard d'euros résultant du plan de relance. Les crédits mobilisés sont-ils réellement à la hauteur de l'enjeu visant à mettre fin aux passoires thermiques le plus rapidement possible et atteindre les objectifs de neutralité carbone en 2050 ? Le déploiement plus ambitieux des crédits permettrait d'atteindre un niveau de 750 000 logements par an. Madame la Ministre, quels sont vos objectifs concrets en matière de rénovation thermique des logements pour l'année à venir ?

Je souhaite également vous alerter sur le sujet des aides au logement. Durant ces trois dernières années, les décisions successives du Gouvernement en matière d'aide au logement sont édifiantes : baisse de 5 euros des APL en 2017, gel du barème des APL et suppression de l'APL-Accession en 2018. Après de multiples reports, la mise en oeuvre de la contemporanéité des aides au logement devrait avoir lieu le 1er janvier 2021. Les économies générées par cette réforme sont bien inférieures aux estimations initiales du Gouvernement. Les prévisions portent sur 750 millions d'euros d'économies au lieu des 1,2 milliard d'euros annoncés. Alors que la précarité touche 25 % des jeunes de 18 à 24 ans, le Gouvernement persiste en refusant de réévaluer les aides au logement et en s'opposant à une indexation sur l'indice de référence des loyers. Ce projet de loi de finances ne prend pas la mesure de la gravité de la situation sociale et de l'augmentation du nombre de personnes qui sont en train de tomber dans la précarité.

En cette période de crise sanitaire, économique et sociale, il est grand temps de réagir. Madame la Ministre, ma question sera identique à celle qui avait été posée à vos prédécesseurs l'an dernier. Cependant, nous nous situons cette année dans un contexte bien plus grave. Envisagez-vous de revoir vos décisions sur les aides au logement afin qu'elles n'impactent pas aussi brutalement les jeunes de 18-24 ans qui doivent déjà lutter pour ne pas tomber dans une situation de grande précarité ?

M. Laurent Somon. - Madame la Ministre, je souhaite compléter les remarques sur la construction en milieu rural, qui est extrêmement difficile. Je rejoins les observations de Daniel Laurent au sujet de la réglementation. La multiplication des avis nécessaires pour obtenir les autorisations rend la situation très complexe. Ne pourrait-on pas regrouper les différentes commissions au lieu du morcellement actuel qui rend le processus d'autorisations encore plus complexe ?

Je rejoins le point de vue de M. Jean-Marc Boyer quant à la réutilisation des terres. Je pense que nous sommes bien conscients de ce problème, mais qu'il manque un certain nombre de définitions dans la réglementation. Les services de l'État se retranchent souvent derrière la définition de la « dent creuse » à l'intérieur du périmètre à urbaniser, considérant qu'elles sont soit trop petites, soit trop grandes et empêchent de pouvoir construire, même en zone urbanisée. Je ne suis pas tout à fait d'accord avec M. Daniel Salmon. Il n'y a pas forcément moins de facilités en zone très rurale pour pouvoir construire, même en milieu urbanisé.

Par ailleurs, je souhaite rappeller une proposition que nous avions exprimée auprès du Président de la République lors du Grand débat. Il s'agit de pouvoir créer une commission sur le logement au niveau rural. Je rejoins en effet les préoccupations exprimées par Mme Marie-Noëlle Lienemann sur la territorialisation en matière de construction. Cette commission réunirait la commune, les représentants de l'agriculture pour le contrôle de la consommation des terres agricoles ainsi que le département et la préfecture pour le contrôle de l'égalité. Cela permettre d'étudier de façon plus pragmatique la nécessité de la construction en milieu rural.

Enfin, rejoins les propos de M. Joël Labbé à propos de l'habitat léger. En zone rurale, il s'agit d'une opportunité pour le développement économique, notamment dans le cadre de la diversification agricole. Il faudrait se pencher sur les moyens de faciliter le développement de cet habitat léger. Enfin, quelles mesures d'accompagnement sont proposées en milieu rural ? Vous souhaitez faire évoluer les pratiques en matière de chauffage et d'efficacité énergétique en supprimant les aides à la rénovation pour les systèmes de chauffage à base de fuel. Envisagez-vous de soutenir le recours au bioliquide pour le milieu rural ? Quelles aides est-il possible d'y développer ?

Mme Sophie Primas, présidente. - Merci à tous. Je souhaite poser une dernière question à Madame la Ministre. Comme vous le savez, les années électorales sont souvent des années creuses pour la construction. Le renouvellement des assemblées départementales et régionales interviendra en 2021. Ces élections vont probablement être repoussées au mois de juin. Pensez-vous que ce processus peut constituer un frein dans l'avancée des grands projets ? J'ai cette inquiétude, même si j'espère que cela ne sera pas le cas.

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement. - Madame la Présidente, Mesdames les sénatrices et Messieurs les sénateurs, je vous remercie pour toutes ces questions. Je vais m'efforcer d'y répondre dans l'ordre.

Concernant Action Logement, je vous ai parlé de l'intention du Gouvernement. Les deux principaux objectifs sont l'amélioration du fonctionnement et de la gouvernance ainsi que la clarification des interventions d'Action Logement. En ce qui concerne les niveaux d'intervention et la place d'Action Logement dans le paysage du logement, la baisse de la PEEC n'est pas un objectif en soi de la réforme. Je voudrais le souligner de façon claire. Nous allons travailler avec les partenaires sociaux. Vous savez que les organisations patronales et les organisations syndicales n'ont pas toutes les mêmes positions quant au bon niveau de la PEEC. Elles vont exprimer des propositions sur ce sujet. L'une des pistes qui avait été évoquée consistait à réaliser des économies sur les frais de fonctionnement et les frais de recouvrement afin qu'elles soient rendues aux entreprises pour leur donner davantage de marge de manoeuvre. Il ne s'agit pas forcément d'agir sur les dépenses elles-mêmes. Le niveau des économies de fonctionnement est relativement bas. Elles ne vont pas être abaissées à zéro. En tout cas, l'objectif n'est pas la baisse de la PEEC en tant que telle, mais plutôt la meilleure efficacité.

S'agissant de la participation des élus locaux, je partage les préoccupations consistant à retrouver la territorialisation d'Action Logement au travers de cette réforme ainsi que le lien entre le cadre d'action national et les actions locales. L'intervention d'Action Logement, sa valeur ajoutée et les enjeux pour lesquels son rôle est important varient selon les territoires. Il me semble essentiel de donner une marge de manoeuvre importante à la capacité d'Action Logement à répondre aux besoins des entreprises sur les territoires. J'ai pu apprécier la situation sur le terrain à de nombreuses reprises, notamment en Vendée.

Je souhaite également répondre à Mme Marie-Noëlle Lienemann au sujet du calcul des APL en temps réel. Le but initial de cette réforme consistait à réaliser des économies au regard d'une masse salariale croissante et de trajectoires individuelles en progression. La référence aux ressources les plus récentes connues fait sortir plus rapidement du taux plein.

Les APL s'ajustent en fonction des ressources. Ce principe me semble assez juste. Il est compliqué de calculer les allocations sur la base des ressources N - 2. De plus, les ressources nettes des ménages dépendent de nombreux éléments liés aux allocations, versements et impôts. Si une partie des APL est calculée en fonction des dernières ressources disponibles tandis qu'une autre partie est basée sur les ressources plus anciennes, personne ne comprend rien à la cohérence du système. La réforme sera mise en place au 1er janvier 2021. Notre hypothèse sous-jacente d'économies n'a plus rien à voir avec la précédente. Alors que les premières simulations portaient sur la réalisation de 1,2 milliards d'économies, celles-ci devraient finalement être inférieures à 500 millions d'euros. Toutefois, les hypothèses d'évolution de la masse salariale sont difficiles à définir. Je ne dispose pas de chiffres plus précis. Il est en tout cas certain que cette réforme va créer de nombreux gagnants, ce qui n'était pas initialement prévu. Je rappelle que les revenus de nombreux ménages vont malheureusement baisser, notamment les salariés au chômage partiel percevant 84 % de leur salaire, les intermittents qui ont perdu toute activité ainsi que les personnes qui avaient signé plusieurs contrats et n'en ont plus qu'un seul. Or actuellement, les APL ne sont pas ajustées en cas de baisse de revenus. Chaque année, 30 à 40 % des allocataires voient leurs APL évoluer à la hausse ou à la baisse. Ce taux devrait avoisiner 50 % au 1er janvier. Pour autant, cela ne signifie pas que les APL de 50 % des allocataires vont évoluer à la baisse. Très probablement, il y aura un bien meilleur équilibre qu'on ne le pensait lors de la conception de cette réforme.

Concernant le logement social, nous n'avons pas retenu le retour de la TVA à 5,5 %. En revanche, l'enveloppe de 500 millions d'euros figurant dans le plan de relance pour le financement des rénovations et des réhabilitations lourdes au sein du logement social passera probablement par le Fonds national des aides à la pierre (FNAP). Il s'agit d'une manière de remettre de l'argent dans le logement social.

Par ailleurs, je suis très favorable au soutien aux OFS. Nous allons reprendre une partie des propositions de M. Jean-Luc Lagleize, que vous aviez étudiées de façon très précise lors de l'examen de la proposition de loi, et auxquelles avaient été intégrées un certain nombre de transformations. Nous souhaitons apporter des améliorations à la partie OFS. La garantie d'emprunt des départements n'était pas envisageable en PLF. Nous allons faire en sorte de rendre possible la garantie d'emprunt des départements sur les OFS dans le cadre de la loi 3D.

Concernant l'accession sociale à la propriété, le prêt à taux zéro a été prorogé dans le cadre de deux exercices. Nous donnons de la visibilité non seulement pour 2021, ce qui était déjà le cas, mais également pour 2022. Nous n'avons pas totalement achevé notre réflexion sur l'atterrissage du prêt à taux zéro. Je souhaite poursuivre ce travail durant l'année prochaine afin de trouver un meilleur équilibre entre le logement et le logement ancien. Le prêt à taux zéro n'est pas principalement un outil de soutien à la construction, mais un outil de soutien à l'accession. Il s'agit d'une aide sociale des ménages avant d'être une aide à la construction de logements.

Je souhaite également revenir sur la question délicate de l'équilibre territorial. De fait, le PTZ dans l'ancien est ouvert dans les zones B2 et C à 40 %. La quotité dans le neuf a été réduite afin de ne pas donner d'incitation indirecte à la construction neuve par rapport à la rénovation. J'entends cet argument, car l'aide existe dans le secteur ancien. Je pense que nous reviendrons au prêt à taux zéro pour les exercices postérieurs à 2022 en nous efforçant de trouver le bon équilibre entre les enjeux de l'aménagement du territoire 2017, le caractère social et la plus grande efficacité possible de l'outil en cette période de baisse des taux.

La question du bilan carbone de la construction neuve fait partie des enjeux de la RE 2020. J'y reviendrai peut-être, car de nombreuses questions ont été posées à ce sujet. En ce qui concerne l'appel des 101 maires, nous allons poursuivre notre soutien à l'ANRU au travers d'Action Logement. L'avenant au plan d'investissement volontaire prévoit de rediscuter de la place de l'ANRU. C'est la raison pour laquelle je suis favorable à un partenariat stratégique avec Action Logement. L'enveloppe du NPRU est fixée à 10 milliards d'euros. Nous pourrions imaginer de la porter à 11 ou 12 milliards d'euros sur une durée longue. Je crois que 85 % des opérations sont engagées. Il a fallu du temps. Désormais, le gros du travail est fait. L'augmentation éventuelle de l'enveloppe permettrait de mieux financer les opérations qualitatives et d'aller plus loin dans la réhabilitation.

Concernant les APL versées aux étudiants, nous avons examiné cette question de très près et vérifié qu'il n'y aura pas de perdants dans le cadre de la réforme. Le niveau des APL des étudiants qui ne travaillent pas restera inchangé. Les étudiants qui travaillent en parallèle à leur cursus ne seront pas perdants. Ils sont protégés en raison de l'évolution du plancher de ressources vers un système de forfait. Les jeunes qui vont obtenir un emploi sur le marché du travail seront plutôt des perdants de la réforme, mais il ne s'agit pas de la population qu'il est le plus important de protéger durant cette période. Le calcul de leur APL sera effectué à partir des derniers mois disponibles, sur la base de leur salaire, de façon progressive, avec un changement par trimestre.

Concernant les OPAH, il est possible de les réaliser non seulement sur une période de trois ans, mais également une période de cinq ans.

S'agissant de l'habitat léger, je suis tout à fait favorable à engager une réflexion destinée à retravailler le cadre juridique s'il existe un besoin de sécurisation réglementaire. Restaurer la confiance avec tous les acteurs du logement public et privé est ce que je m'efforce de faire depuis ma prise de poste. C'est la raison pour laquelle nous allons négocier la réforme d'Action Logement et nous avons redonné de la visibilité au dispositif Pinel et au prêt à taux zéro. Vous affirmez l'avoir arraché, mais je rappelle qu'il s'agit d'un amendement du Gouvernement. En tout cas, mes objectifs depuis ma prise de poste consistent à redonner de la visibilité à ces dispositifs. J'ai d'ailleurs mentionné le logement intermédiaire, complémentaire au dispositif Pinel, dans mes propos. Les deux compartiments ont besoin d'exister l'un et l'autre. Dans les deux cas, il s'agit de mettre sur le marché des logements à loyer intermédiaire au niveau situé entre le logement social et le secteur libre. Je vous rejoins sur le sujet des exonérations de taxe du foncier bâti, qui est réellement une difficulté, compliquée à traiter. Nous nous sommes engagés à l'Assemblée nationale à faire examiner une solution devant le Parlement. Elle ne pourra pas être étudiée dans le cadre de la loi de finances pour 2021, mais au plus tard au deuxième semestre de l'année prochaine. Nous réfléchirons aux moyens de mieux soutenir le logement intermédiaire et de répondre à cette question d'exonérations.

Dans le secteur des logements neufs, la baisse des volumes des projets n'est pas uniquement liée au soutien à la demande. Je suis convaincue qu'il s'agit à la fois d'un problème de solvabilisation de la demande et d'un problème d'offre. Les opérations sont trop peu nombreuses. Ce sujet est compliqué pour les maires et les promoteurs. C'est la raison pour laquelle j'ai tenu à signer ce pacte avec les associations de collectivités locales. Je connais la valeur et la limite d'un pacte signé avec ces interlocuteurs. Au-delà de la démarche de mobilisation locale par les préfets, ce pacte permet de redonner l'envie de construire en montrant qu'il est possible de le faire dans des conditions de qualité, de durabilité et d'écologie ainsi que des conditions d'acceptabilité sociale et d'accueil de nouveaux habitants satisfaisantes. Les enjeux portent à la fois sur le contenu de la construction, l'égalité du dialogue local et l'équation économique. La construction soulève en effet la question de l'accueil des nouveaux habitants et de la réforme des bases de la fiscalité territoriale. Tant que nous n'avons pas traité ce sujet, nous n'aurons pas totalement répondu à la question des raisons du trop faible nombre de constructions neuves en France. L'augmentation des aides fiscales ne me semble pas permettre de répondre totalement à cette problématique. Mon objectif est de retrouver la confiance avec le secteur. Je m'y emploie avec énergie et détermination depuis ma prise de poste et m'efforce de donner de bons signaux au fur et à mesure des dossiers. Je cherche à nouer des discussions de moyen terme et à replacer dans le débat la définition d'une construction durable et désirable. Il s'agit d'un message politique sur la construction à toutes les échelles, dans les centres-villes des métropoles, dans les villes moyennes, les périphéries, les actions de coeur de ville et la ruralité. Nous en aurons besoin.

Concernant la rénovation, je ne vous rejoins pas complètement au sujet des chiffres. Sur le plan budgétaire, « MaPrimeRénov' » fait l'objet d'une enveloppe de 2,3 milliards d'euros cette année. Ce niveau est comparable avec le CITE. Entre-temps, nous avons toutefois récolté 2 milliards d'euros de certificats d'économie d'énergie. Par ailleurs, il était prévu d'affecter 50 % de la dépense du CITE aux deux déciles 9 et 10, à savoir les déciles les plus aisés et 50 % aux fenêtres. Cela n'était pas un élément structurant de la rénovation en France. Il me semble que notre politique va favoriser la hausse du nombre des rénovations parmi des segments de populations plus nombreux.

Pour répondre à la question de M. Daniel Laurent sur l'aménagement du territoire, je pense effectivement que plusieurs facteurs sont en jeu, la difficulté de trouver du foncier ainsi que l'empilement des documents. J'ai signé une ordonnance destinée à clarifier les liens entre les SCOT, les PLU et les SRADDET. Les documents sont nombreux et ne relèvent pas tous de la même temporalité. Il est parfois difficile de les rendre compatibles. Il reste peut-être des améliorations à mettre en oeuvre. Je suis tout à fait prête à simplifier encore le processus si cela est possible, y compris dans le cadre de l'application de la loi « Littoral ».

Concernant la loi SRU, il n'est pas possible d'affirmer que nous manquons de logements sociaux et de faire confiance aux partenariats à chaque triennale. De fait, j'ai diffusé des consignes de fermeté. À ma connaissance, les préfets ou les sous-préfets sont allés à la rencontre des maires. La commission d'harmonisation présidée par M. Thierry Repentin, maire de Chambéry, va permettre de vérifier que les politiques d'application de la loi SRU sont harmonisées d'un département à un autre et d'une région à une autre. Il y aura un retour avant décision définitive. Les critères de la loi SRU sont assez clairs. Ils concernent à la fois le niveau atteint et la trajectoire. Dans certaines communes, celle-ci est bien respectée. Dans d'autres communes, un tiers de la trajectoire est atteinte. Elle est même parfois à zéro.

S'agissant de l'artificialisation, le débat sera mené dans le cadre du projet de loi de transposition des travaux de la Convention citoyenne pour le climat. L'objectif est la division par deux de l'artificialisation dans les dix années à venir. L'objectif d'atteinte du niveau zéro est très ambitieux. Vous savez que les surfaces artificialisées représentent l'équivalent d'un département tous les dix ans. Cette démarche a essentiellement lieu dans des zones où la population diminue. Il n'est même pas possible d'affirmer que l'artificialisation progresse là où la démographie progresse, car cela n'est pas le cas. Il faut trouver une réponse à cette question. Le Gouvernement est en train d'y travailler. Les arbitrages ne sont pas encore rendus. Je ne peux répondre précisément quant aux moyens de transposer cette proposition. En tout cas, cette question sera examinée par la représentation nationale.

Les travaux sur la RE 2020 se poursuivent. Les principaux arbitrages devraient être rendus d'ici la fin d'année. Pour l'instant, la date d'effet est prévue à mi-2021. Je pense que nous serons confrontés à deux pressions contraires. Une partie de nos interlocuteurs mettra en avant le fait que cette réforme est préparée de longue date et doit être enfin mise en oeuvre. Une autre partie des interlocuteurs soulignera que la crise rend déjà la situation suffisamment compliquée pour le secteur du neuf et qu'il est urgent de ne pas édicter les textes trop rapidement. Je retiens plutôt la première option. Les discussions sont engagées depuis un certain temps. Il n'y a jamais de bon moment pour mettre en place une nouvelle réglementation. Je souhaite qu'elle soit prête à mi-2021. Cette réglementation sera exigeante en matière de matériaux, puisqu'elle prévoit d'intégrer la réalisation de l'analyse en cycle de vie. Les enjeux ne porteront plus uniquement sur la consommation énergétique d'un bâtiment jusqu'à sa livraison, mais également sur l'impact carbone du bâtiment durant tout le cycle de vie des matériaux. Les matériaux biosourcés seront donc très fortement avantagés. Pour autant, je ne suis pas sûre de pouvoir répondre à la question sur l'intégration du bois local dans l'analyse du cycle de vie. Je ne suis pas certaine que le transport du matériau soit pris en compte. Je préfère ne pas vous répondre sur ce point.

M. Jean-Marc Boyer a abordé le sujet de la construction en zone rurale. Une question a été posée au sujet de l'équilibre entre la construction et la rénovation dans ces zones. Je crois qu'il s'agit d'un enjeu majeur si nous considérons que la politique consiste également à réhabiliter les coeurs de bourgs, les coeurs de villages et les bâtiments existants. Il s'agit d'une politique d'aménagement du territoire et du vivre ensemble. L'enjeu est d'associer cette politique de l'habitat avec la possibilité pour les usagers de disposer de services et de commerces. Le modèle économique doit le permettre. Tel est le souhait du ministre Julien Denormandie au travers du dispositif fiscal applicable à l'ancien. Tel est également le sens des aides à la rénovation qui seront applicables sur l'ensemble du territoire français. Il s'agit également de pouvoir financer des projets sur des friches. Je suis prête à poursuivre la réflexion et trouver un mode d'accélération si le panel des outils ne semble pas suffisant pour faire basculer l'intérêt économique, écologique et social des projets depuis le réinvestissement des coeurs de bourgs, en particulier en milieu rural, vers l'étalement. Je pense qu'il ne s'agit pas uniquement d'une problématique d'interdiction, mais de modèle. Cela nous mène d'ailleurs à revenir sur la question du logement social dans le secteur très diffus. Je pense que nous ne disposons pas de tous les outils nécessaires à ce stade.

Par ailleurs, le Gouvernement n'a pas prévu de revenir sur le mois de carence des APL. Cette règle est transversale à toutes les prestations sociales. Même si je comprends que cela puisse poser problème aux personnes qui reviennent de l'étranger et sont confrontées à des difficultés, cette règle est applicable à toutes les prestations. Il faut sans doute traiter ces situations spécifiques.

S'agissant de la caducité des POS, nous n'avons pas prévu de revenir sur ce sujet, déjà identifié depuis un certain temps. La loi « Engagement et proximité » édictée en fin d'année 2019 a prévu une année supplémentaire en 2020. D'après ce que j'ai compris, 546 POS ne sont pas encore repris. Ce chiffre est peu élevé à l'échelle de 35 000 communes. À ce stade et sous la responsabilité du ministère de la cohésion des territoires, la réponse du Gouvernement est de s'en remettre au Règlement national d'urbanisme (RNU).

Concernant la territorialisation et le zonage, je pense qu'il faudra retravailler ce sujet sous deux angles. Il faut réaliser un bilan de l'expérimentation menée en Bretagne, qui s'achèvera fin 2021 après la remise d'un rapport en milieu d'année 2021. À quantité de zonages éligibles donnés, la répartition s'effectue en bonne intelligence entre les élus et l'État. Il sera intéressant de pouvoir réaliser un bilan qualitatif et quantitatif de cette expérimentation et le cas échéant, de l'étendre si les résultats sont satisfaisants. Je pense que le zonage réalisé en 2014 pose effectivement problème dans un petit nombre de territoires. Je suis prêt à travailler en lien avec les services pour examiner les problématiques particulières de ce type dans l'attente d'une réforme plus générale du zonage. Je pense notamment à Chamonix, à la Vendée et à Belfort. Il y a sûrement d'autres situations à examiner en 2021.

S'agissant du dispositif « MaPrimeRénov' », je rappelle qu'au cas où le début de l'enveloppe serait consommé très rapidement, nous sommes en capacité d'en réattribuer. Pour l'instant, nous avons prévu de distribuer cette aide à 500 000 demandeurs l'année prochaine. Par ailleurs, je rappelle que l'indexation des APL interviendra en 2021.

Concernant la construction en milieu rural, je ne suis pas opposée à rouvrir une réflexion pour identifier d'éventuelles marges de progrès. Vous avez également posé une question sur l'habitat léger. Je suis favorable à ce que nous examinions précisément la question d'éventuels ajustements à effectuer. Concernant les chaudières à fioul, le décret n'est pas encore paru. Nous allons nous efforcer de le mettre en oeuvre rapidement. L'enjeu concerne les nouvelles installations de chaudière à fioul, et non les équipements déjà installés. Les alternatives sont essentiellement les chaudières à gaz, les pompes à chaleur, y compris les installations couplées au fioul si cela est nécessaire de façon résiduelle, ainsi que les chaudières à granulés de bois. Évidemment, la filière bois est tout à fait adaptée à ces enjeux. Enfin, je pense que ces sujets doivent être intégrés à la campagne des élections régionales et départementales. Évidemment, ils n'auront pas le même impact dans le cadre des élections municipales, puisque les permis de construire sont délivrés à ce niveau, mais les départements et les régions peuvent également s'impliquer dans l'enjeu de la construction durable.

Mme Sophie Primas, présidente. - Je remercie chacun de vous pour la précision des questions posées et pour le temps que vous avez consacré à y répondre, Madame la Ministre, certains d'entre nous ont été satisfaits par vos réponses, même si je ne suis pas certaine que tous aient été convaincus, mais je vous félicite pour cet exercice. Nous nous retrouverons lors de l'examen du projet de loi de finances dans l'hémicycle. Ces discussions se poursuivront avec les rapporteurs. Enfin, je remercie les collègues qui ont participé à ces échanges en visioconférence.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 19 h 10.

Mercredi 18 novembre 2020

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 35.

Projet de loi de finances pour 2021 - Mission « Plan de relance » - Examen du rapport pour avis

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous débutons aujourd'hui l'examen du projet de loi de finances pour 2021. C'est chaque année un exercice important, qui donne les grandes orientations de l'année à venir et offre l'occasion d'examiner la politique économique du Gouvernement. Notre commission est saisie pour avis sur les missions relevant de ses compétences thématiques. Au-delà des grands équilibres des finances publiques, il nous revient d'examiner les conséquences de ce projet de loi dans chacun des secteurs économiques dont nous avons la charge.

Cet examen a cette année un caractère exceptionnel au vu de la crise que nous traversons. L'année dernière, la loi de finances tablait sur une croissance supérieure à 1 % en 2020. Elle sera vraisemblablement proche de - 10 %. Le Gouvernement s'engageait à faire passer les dépenses publiques sous le seuil des 50 % du PIB, mais elles seront supérieures à 60 %. Il en va de même avec la dette publique. Le paysage est donc totalement bouleversé.

Dans ce contexte, il nous revient de nous interroger sur la capacité de la loi de finances à atteindre trois objectifs : limiter les effets de la crise, relancer la croissance et accompagner la transition énergétique.

Cette crise est d'abord une crise de l'offre, mais se transforme progressivement en une crise de la demande. L'épargne forcée risque de devenir épargne de précaution face aux incertitudes et à la perspective de chômage, de plans sociaux et de dépôts de bilan. Dans le budget que nous allons examiner, y a-t-il dès lors un « mix » adapté entre soutien à l'offre et soutien à la demande ?

La deuxième question que nous devons nous poser porte sur la temporalité du plan de relance. Ce projet de loi de finances a été élaboré pour accompagner le rebond de l'économie, rebond qui se profilait avant le reconfinement. Cet objectif demeure, mais il faut faire en sorte que la seconde vague ne casse pas la relance. Il faut donc combiner relance conjoncturelle et la relance structurelle.

Nous examinons ce matin d'abord l'avis de notre collègue Anne Chain-Larché, chargée de la mission budgétaire « Plan de relance ».

Mme Anne Chain-Larché, rapporteure pour avis. - À bien des égards, cette mission est aussi inhabituelle que la période que nous vivons : du point de vue des chiffres d'abord, qui donnent le tournis. La mission représente près de 36 milliards d'euros au total, dont 22 milliards pour 2021. À elle seule, elle représente près de 8 % du budget total de l'État.

Inhabituelle ensuite, car cette mission ne porte pas, comme les autres, les crédits traditionnels des ministères et des politiques publiques ; mais elle traduit un effort temporaire de relance budgétaire, en réponse à un choc économique d'ampleur historique. Ainsi, elle traite de thématiques aussi variées que la rénovation énergétique, l'aide à l'emploi des jeunes, la numérisation, l'hydrogène vert, ou même de commandes militaires.

Au moment d'examiner ce budget particulier, permettez-moi d'abord de dire que notre commission, dans son rôle de contrôle budgétaire du Gouvernement, n'a pas une tâche facile. Les sommes colossales, et la forte augmentation de la dette de notre pays, accroissent encore les enjeux de bonne gestion des dépenses publiques, ce qu'il nous faudra avoir à l'esprit dans les années à venir.

Ce plan de relance nous parvient mi-novembre, soit deux mois et demi après sa présentation par le Gouvernement. À l'été, l'économie française marquait un net rebond, ce qui faisait espérer un retour progressif à la normale. Mais la tendance au rebond a été stoppée net par l'annonce d'un nouveau confinement, contraignant les commerces à la fermeture à quelques semaines des fêtes de fin d'année. Dès lors, je m'interroge : le plan de relance conçu pour accompagner la reprise d'activité qui se présentait, pour orienter l'investissement des entreprises vers les enjeux d'avenir à l'horizon 2030, est-il toujours pertinent alors que l'économie de 2020 connaît une nouvelle crise ?

Pour répondre à cette question, j'ai d'abord examiné la composition du plan de relance, et surtout son calendrier. Si le Gouvernement a annoncé un plan ciblé sur la période 2021-2022, il est évident que l'horizon temporel de son déploiement est en fait beaucoup plus étalé. Le plan « France Relance » de 100 milliards se décompose en plusieurs blocs, la mission « Relance » étant le plus important. S'y ajoutent entre autres : une mesure fiscale phare, la baisse des impôts de production, pour 10 milliards d'euros chaque année à partir de 2021 ; des mesures de relance déjà votées dans les lois de finances pour 2020, à hauteur de 15 milliards d'euros ; et le quatrième Programme Investissement d'Avenir, créé en 2021 et doté de 11 milliards d'euros pour la relance.

D'abord, les crédits qui seront portés par le « volet PIA » du plan de relance s'inscrivent dans une logique de long terme, puisqu'il s'agit de soutiens à l'innovation et à la R&D qui seront décaissés jusqu'en 2025. Ensuite, les crédits portés par la mission budgétaire elle-même sont plus étalés dans le temps qu'une relance rapide l'exige. Sur les 36 milliards d'euros prévus au total, 22 milliards sont ouverts en crédits de paiement dès 2021, soit les deux tiers environ. Mais en réalité, certains de ces crédits concernent des actions qui ne s'assimilent pas réellement à de la relance à court terme.

Par exemple, les crédits consacrés à la R&D pour les transports du futur, ou à la création d'une filière française d'hydrogène vert, orientent certes les entreprises vers des secteurs d'avenir ; mais on peut douter des retombées économiques immédiates et de l'effet de stimulus sur l'économie. L'horizon de ces programmes est plutôt 2023, voire 2025 : ils auraient davantage leur place dans un PIA que dans la relance.

À titre pas seulement anecdotique, je relève aussi que certains financements peinent à démontrer leur pertinence spécifique pour la relance... C'est le cas des crédits dédiés au renforcement des barrages (5 millions), à la numérisation des ministères (925 millions), ou aux subventions pour la création de jardins partagés (15 millions)... Dans certains cas, il s'agit même de dépenses habituelles, supprimées ailleurs dans le budget et intégrées à la mission Relance pour gonfler son enveloppe (par exemple pour le secteur spatial, la fibre optique, ou Bpifrance).

L'autre enjeu est celui de l'articulation entre la relance, qui est un impératif pour donner une nouvelle impulsion vers la croissance, et les mesures de soutien d'urgence, qui visent à sauvegarder le tissu économique au plus fort de la crise. Le reconfinement a bien sûr exigé la réactivation des dispositifs d'urgence que vous connaissez bien : fonds de solidarité, PGE, activité partielle, avec un nouveau PLFR 4. Mais alors que le Gouvernement ne budgète aucun crédit pour 2021 dans la mission « Plan d'urgence », il les reporte dans la mission « Plan de relance »... C'est là un vrai mélange des genres. La mission Relance porte par exemple en 2021 près de 5 milliards d'euros de crédits dédiés à l'indemnisation de l'activité partielle : au moins 20 % des crédits du plan de relance pour l'année prochaine sont donc consacrés à des mesures de sauvegarde, plutôt qu'à un véritable stimulus budgétaire de relance.

Mon propos n'est pas tant de dénoncer les effets d'annonce du Gouvernement, que de vous dire ma crainte que cette confusion entre dispositifs d'urgence, de relance et de long terme, ne traduise un mauvais ciblage de l'effort budgétaire. Avec cette conception très large de la relance, on dilue l'effet des crédits sur l'économie, au risque de « saupoudrer ». Surtout, il me semble que l'équilibre n'est pas le bon : l'effort de relance semble trop peu porter sur 2021, c'est-à-dire la relance à court terme, et trop sur l'horizon 2022-2023, c'est-à-dire la transformation de long terme. J'identifie un vrai risque de « trou d'air » pour notre économie entre la fin des mesures d'urgence, et l'impact des mesures de long terme. Alors que 30 % des faillites annuelles n'ont pas eu lieu cette année, on risque de les voir arriver en cascade dans quelques mois. Le reconfinement a justement accru le besoin de relance volontariste, sans délai, dès que la situation sanitaire le permettra. À trop chercher « l'en même temps », à trop viser « la France de 2030 », le Gouvernement risque de rater le coche de la reprise. Reflet de ce déséquilibre : les personnes que j'ai entendues estiment que la relance française cible davantage l'offre que la demande, à l'inverse du choix qu'ont fait certains de nos voisins européens, comme l'Allemagne ou le Royaume-Uni. Je présenterai d'ailleurs à ce titre un amendement visant à réduire le taux de TVA sur les travaux d'amélioration et de transformation des logements, afin de soutenir la demande et la reprise du BTP.

Cela m'amène à ma troisième remarque : bien que diverses, les actions de la mission « Plan de relance » laissent d'importants angles morts. Le commerce et l'artisanat d'abord, qui ne reçoivent que 170 millions à peine là où d'autres secteurs ont fait l'objet de plans de plusieurs milliards. Nous avons entendu en audition : « L'industrie a son plan de relance, le commerce a ses mesures d'urgence ». Il serait incompréhensible que le secteur le plus meurtri par les confinements et le couvre-feu, par les grèves et les gilets jaunes, soit le secteur le moins visé par la relance. De surcroît, il joue un rôle moteur pour d'autres secteurs comme l'agroalimentaire, et a un très fort effet d'entraînement sur les centres villes.

La construction neuve ensuite. Si la rénovation énergétique est l'un des fers de lance du Gouvernement, elle ne représente que la moitié de l'activité du BTP en France. La construction neuve a connu un coup d'arrêt brutal lors du premier confinement, et l'incertitude risque de peser fortement sur la demande. Dans un pays qui connaît une importante crise du logement, j'ai peine à croire qu'il n'existe pas de leviers de relance...

Enfin, le soutien à l'investissement des collectivités est fortement négligé : selon nos calculs, il représente au mieux 14 % des crédits de la mission en 2021. Or, les collectivités locales portent 60 % de la commande publique en France : se priver de leurs investissements, c'est se priver de tout un pan de demande à destination d'entreprises souvent locales. Les dotations supplémentaires consenties par l'État aux régions vont dans le bon sens mais ne suffisent pas. Je vous soumets donc un amendement visant à prévoir une dotation supplémentaire pour l'investissement des communes et des départements à hauteur de 500 millions d'euros en 2021.

Mon quatrième constat est que le plan de relance semble traiter le « combien » avant de traiter le « comment ». Ce que j'entends par là est qu'il offre peu de visibilité aux entreprises, ménages et collectivités sur les actions qui seront déployées. Près de 40 % des dispositifs prévus ne sont pas précisés : s'agira-t-il de guichets, d'accompagnement, de dotations, d'appels à projets ? Dans d'autres cas, les cahiers des charges ou conditions d'éligibilité se font attendre. Ce manque de précision place les entreprises dans l'incertitude sur les dispositifs adaptés à leur situation, et complique la sensibilisation. Les entreprises et collectivités déplorent d'ailleurs le trop grand nombre d'appels à projets, qui sont moins accessibles aux TPE-PME, et favorisent la concentration des crédits sur de grands projets déjà mûrs. Il faut mener un effort urgent de simplification des dispositifs, sous peine de désinciter le recours aux aides et de laisser de côté tout un pan de l'économie.

Pourtant, les crédits de la mission ne semblent pas prendre au sérieux l'enjeu de l'accompagnement et de la sensibilisation. Les administrations centrales que nous avons entendues nous ont dit assez clairement se reposer sur les collectivités locales et les réseaux consulaires pour repérer les entreprises éligibles, instruire les dossiers, accompagner... L'État n'a qu'à se préoccuper du tampon de validation. La charge financière de ce travail de terrain est énorme, alors même que le financement des CCI et des CMA diminue d'année en année et que les collectivités sont elles aussi contraintes. Moins de 0,1 % des montants de la mission « Plan de relance » visent à financer l'accompagnement et la sensibilisation.

Je présenterai en séance publique deux amendements pour améliorer l'accompagnement et garantir le bon accès aux dispositifs de relance : l'un, porté avec mon collègue rapporteur M. Babary, vise à compenser temporairement les pertes de ressources exceptionnelles des CMA cette année ; l'autre prévoit que le « comité de suivi de la relance » créé au niveau national rende compte chaque semestre au Parlement du déploiement de la relance, et en particulier, qu'il présente des indicateurs sur l'accès des entreprises et des collectivités aux aides, quelle que soit leur taille. Cela permettra de renforcer l'accompagnement lorsque l'on identifie que les obstacles sont trop importants.

J'en viens à mon dernier sujet : la territorialisation de la relance. Annoncée par le Gouvernement dès la fin de l'été, sa mise en oeuvre traîne. Les sous-préfets à la relance ont été nommés il y a trois jours : il était temps ! Je crains néanmoins qu'ils trouvent difficilement leur place dans l'architecture déjà compliquée que prévoit le Gouvernement. Trois échelons de « comités de suivi » au niveau national, régional et départemental ; deux niveaux de contractualisation entre les collectivités et l'État ; trois types d'enveloppes « plus ou moins territorialisées »... Attention à ce que la volonté du Gouvernement d'afficher un dialogue renforcé ne conduise pas finalement à des lourdeurs procédurales inutiles ! En outre, comme je l'ai dit, il me semble que les sous-préfets à la relance et les comités de suivi devront veiller à ce que les territoires aient bien connaissance des aides à leur disposition, et aient les moyens de s'en saisir, peu importe leur taille et leurs ressources. Nous avons déjà constaté, par exemple avec Territoires d'Industrie, que certains territoires passaient entre les mailles du filet.

Voici, mes chers collègues, mon avis sur cette mission « Plan de relance ». Si elle mobilise des moyens importants et réalise des efforts bienvenus sur des volets comme la rénovation énergétique et l'investissement industriel, il me semble qu'elle doit faire l'objet d'un rééquilibrage. D'abord pour intégrer les angles morts que j'ai cités ; ensuite pour assurer que nous ne rations pas le rendez-vous de 2021 ; enfin pour garantir un déploiement rapide et efficace jusqu'au « dernier kilomètre ». L'enjeu est grand : il nous faudra collectivement être au rendez-vous ; et il me semble que notre rôle de contrôle de l'action du Gouvernement sera particulièrement important pour les années à venir.

Je vous propose donc de voter les crédits de la mission « Plan de relance », sous réserve de l'adoption de l'amendement que je vous soumets, relatif à l'augmentation des crédits dédié à l'investissement des communes et des départements.

Mme Sophie Primas, présidente. - Merci à notre collègue Anne Chain-Larché pour cet exercice qui porte en effet sur une mission qui sort de l'ordinaire. Pour comprendre le budget de l'année prochaine, il nous faut ré-agréger et chercher d'où proviennent les crédits, dissocier ce qui est du ressort de crédits déjà votés, distinguer les volets conjoncturels et structurels.

M. Franck Montaugé. - Je partage pour l'essentiel les remarques présentées par notre collègue. Je m'interroge sur l'équilibre de ce plan de relance entre l'urgence, le moyen et le long terme, que je traite également dans le cadre de mon avis dédié à l'industrie. Je souhaite attirer l'attention de la commission sur le « mur de la dette » : nous avions des entreprises déjà très endettées avant la crise. Comment allons-nous sortir de cela ? Je pense que nous devons travailler à des solutions pour que les entreprises ne soient pas en situation très périlleuse à la fin de la crise.

La structuration des filières pose également question. La taille des entreprises n'est pas toujours en rapport avec le marché. Ce plan de relance n'est peut-être pas à la hauteur des enjeux pour la compétitivité de l'économie, notamment au regard du plan de relance allemand.

M. Fabien Gay. - Il y a dans ce rapport des éléments que je partage, mais je serai plus sévère, car ce débat nous a animés au cours de l'examen des quatre budgets rectificatifs pour 2020. L'équilibre entre offre et demande est-il le bon ? Non. Les deux derniers rapports du Secours catholique et de la Fondation Abbé Pierre montrent qu'il y a aujourd'hui 10 millions de pauvres et 300 000 personnes sans domicile fixe, auxquelles s'ajoutent 5,8 millions de chômeurs. Les inégalités se creusent. Or, il n'y a pas de choc de la demande et peu de soutien aux ménages, y compris les plus précaires. Nous ne relancerons pas l'économie sans un choc de la demande : il va falloir y remédier.

Ma deuxième remarque, que je partage avec notre collègue rapporteure, concerne les effets du deuxième confinement. Ils ne sont pas pris en compte, notamment pour les petits commerçants. J'ai une très grande inquiétude sur l'hôtellerie, les cafés et la restauration. Si la réouverture n'intervient pas avant le 15 janvier ou le 1er février, le choc va être brutal. Ce matin, Le Parisien y consacrait quatre pages : les fermetures d'établissements étaient estimées à 11 à 15 % à l'issue du premier confinement, mais se situeront à 60 % si la réouverture a lieu en début d'année prochaine. On ne s'imagine pas ce que cela représente : ce sont 250 000 pertes d'emplois qui viendront s'ajouter aux 5,8 millions de chômeurs. La question des modalités de la réouverture des commerces, dans un strict respect des règles sanitaires et le plus rapidement possible, nous réunit. Nous devons continuer à pousser politiquement cet engagement au cours des débats.

Il en va de même concernant le fonds de solidarité. Si le gouvernement avait écouté plus tôt le Sénat sur un certain nombre de questions, la situation serait aujourd'hui meilleure. Je comprends toutefois les tâtonnements du Gouvernement qui a fait face à une crise inédite. Pendant deux budgets rectificatifs, il a hésité entre plans sectoriels et plan global. Nous avions défendu un plan global et un élargissement des critères des mesures d'urgence. Aujourd'hui, par exemple, les dirigeants-salariés sont exclus du fonds de solidarité : c'est insupportable. Contrairement aux personnes qui cotisent au régime social des indépendants et qui ont accès à des aides allant jusqu'à 10 000 euros, les dirigeants-salariés, qui cotisent pour l'ensemble des risques, en sont exclus. Cela concerne des milliers d'entreprises.

Concernant les prêts garantis par l'État, les banques ne jouent plus leur rôle. Elles ne distribuent aujourd'hui plus que des PGE : cela les arrange bien puisque ces prêts sont garantis à 90 %. Cependant, les taux qui nous sont communiqués - entre 1 et 2,5 % - ne sont pas exacts. Ces taux peuvent dépasser 2,5 % selon l'étalement de la dette et le moment où le recouvrement de la dette débute. Nous devons intervenir.

Pour terminer, la souveraineté industrielle est à reconquérir. Le Haut-commissaire au plan nous a expliqué qu'il n'avait pas beaucoup de marge d'influence... Il nous faut agir différemment. Sur l'hydrogène, les deux milliards d'euros du plan de relance ne suffiront pas : nous aurons ce débat en séance cet après-midi. Il faut stopper le départ des industries et lister les secteurs stratégiques, ce qui renvoie au débat sur l'État actionnaire.

Mme Dominique Estrosi Sassone. - Je tiens à évoquer les enjeux relatifs au logement. Nous ne pouvons que regretter que la construction neuve soit peu prise en compte : c'est l'angle mort de cette mission « Plan de relance », et nous l'avons dit hier à la ministre chargée du logement. Là où un effort de construction est à réaliser pour répondre aux besoins et lutter contre la crise que traversent les entreprises du BTP, il n'y a pas de crédits. Les chiffres de la construction sont très mauvais pour l'année 2020, avec 305 000 agréments cette année soit 100 000 de moins qu'en 2019. La rénovation thermique des logements concerne un peu moins de 7 milliards d'euros, répartis entre le logement privé pour 2 milliards, et logement social pour 500 millions. C'est insuffisant et relève davantage d'effets d'annonce. Le coût de la rénovation thermique des logements classés F et G - les passoires thermiques - a été chiffré à 22 milliards d'euros sur la période 2020-2030. Les crédits du plan de relance sont dix fois inférieurs à ce chiffrage. La rénovation des logements D et E est, quant à elle, évaluée à 40 milliards d'euros à l'horizon 2050, avec la Stratégie Nationale Bas Carbone. Cette mission n'est pas au rendez-vous ni à la hauteur de ce qui pourrait être mis en oeuvre. Les conséquences sont directes en termes d'emploi et d'activité dans les zones rurales et urbaines.

Mme Sophie Primas, présidente. - Le logement est aussi un levier d'emploi.

M. Michel Bonnus. - J'insiste sur ce qui a été dit par nos collègues : l'impact de la crise du secteur de l'hôtellerie, des cafés et des restaurants sur l'économie va être fort. Chaque commerce, chaque restaurant est un cas particulier selon sa localisation, sa surface et sa stratégie. Deux commerces sur trois vont déposer le bilan si le confinement est prolongé jusqu'à février 2021, engendrant des hypothèques, des ventes de fonds de commerce. Je connais personnellement les conséquences financières pour les établissements. Nous fermons temporairement mais les emprunts et les employés, eux, restent ! On nous explique qu'il faut changer de stratégie, mettre en place la livraison, devenir traiteurs, que nous pouvons nous former... Mais un cuisinier n'a pas la même formation qu'un traiteur !

Nous avons été surpris par la violence du premier confinement. Nous avons appris à 20 heures qu'il fallait fermer à minuit, ce qui signifie arrêter de servir à 22 heures. Il n'y a pas eu d'anticipation. Le gouvernement n'a pas pris le temps de se rapprocher des élus ou des professionnels pour expliquer ces mesures. Si nous devons rester fermés jusqu'en février, l'impact sur les retombés économiques et touristiques sera immenses partout en France, y compris à Paris. Il n'existe aujourd'hui pas d'indicateurs agrégés de cet impact : nous n'en connaissons pas les conséquences. Nous mettre sous perfusion n'est pas une solution, nous avons besoin d'une seule chose : travailler ! Il nous faut rouvrir au plus vite. Ce confinement est injuste, car les mesures barrières ont été respectées. Lors de son discours, le Premier ministre était plein d'empathie, mais le lendemain, si un salarié enlevait un instant son masque, la police investissait les lieux et les autorités verbalisaient. Où allons-nous et qu'est-ce que cela va entraîner ? Le secteur a besoin de notre soutien, les conséquences sont dramatiques, y compris pour les vies qui se trouvent derrière.

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous ressentons tous ton investissement personnel et partageons ton sentiment, car nous le vivons dans tous nos territoires, y compris à Paris. L'événementiel et la restauration sont en grande difficulté. Nous vivons une crise sanitaire inédite, qui se transformera en crise humaine si le secteur ne rouvre pas.

Mme Micheline Jacques. - Ce rapport illustre nos inquiétudes. Dans le cadre de mon avis sur la mission « Outre-mer », j'ai auditionné la Fédération des entreprises des Outre-mer, qui m'a fait part de ses vives inquiétudes quant à la situation des Outre-mer. Les événements climatiques, les problèmes sociaux ont mis à mal une économie déjà fragilisée. Le secteur touristique est au point mort et le secteur aéronautique souffre, notamment les petites compagnies qui effectuent les liens entre les îles. Les déplacements entre les îles se sont réduits, avec pas plus de cent passagers par jour à Saint-Martin, car on nous demande des motifs impérieux pour se déplacer, y compris pour que les familles puissent se réunir pendant les vacances. La situation économique et sociale est précaire, et nous craignons des débordements dans les mois à venir.

M. Franck Menonville. - Ce plan de relance est une base qu'il faut améliorer. Le principal problème est la temporalité, car la crise que nous vivons relève du long terme. Les mesures de soutien sont là, mais la relance ne s'inscrit pas dans le bon tempo. Je suis favorable à une baisse du taux de TVA pour relancer l'investissement et faire revenir l'épargne de précaution dans l'économie. Le deuxième levier rapide à privilégier est celui de l'investissement public, notamment des collectivités territoriales, comme le propose l'amendement de notre collègue rapporteure.

Il y a en outre un trop grand cloisonnement entre l'action des collectivités et le plan de relance national. Dans les débats, il nous faut inviter le gouvernement à territorialiser, voire à décentraliser le plan de relance vers les régions dont c'est l'une des principales missions.

M. Jean-Marc Boyer. - Je m'interroge sur les arguments sanitaires avancés pour ne pas ouvrir les restaurants. Nous n'avons pas encore eu de réponse claire sur ce sujet. Quelle est la différence entre des clients qui attendent à une caisse de supermarché, et des restaurants qui prennent l'ensemble des précautions nécessaires ?

Par ailleurs, je ne comprends pas pourquoi les décisions concernent l'ensemble du territoire national. Les règles devraient être déclinées territoire par territoire. Il faut s'adapter et régionaliser les critères sanitaires. J'entends parler de la mise en place d'un couvre-feu lors du déconfinement, mais cela reste compliqué dans les faits. Nous le savons, si un restaurant doit fermer à 21 heures, la situation est difficilement gérable pour les clients et pour le restaurateur.

Enfin, la situation du thermalisme, qui représente 110 stations en France et plus de 100 000 emplois, est critique. Avant le reconfinement, la caisse nationale d'assurance-maladie avait autorisé l'ouverture des cures thermales jusqu'à début du mois de décembre. Les stations thermales qui concernent des villes de 5 000 habitants, voire moins, vont se retrouver dans des situations financières difficiles, avec des conséquences en cascade pour l'activité touristique.

M. Laurent Duplomb. - Je m'inscris en faux par rapport à l'idée que cette crise serait inédite. Les crises sanitaires ont toujours existé ; ce qui est inédit est de faire passer la santé collective devant l'économie. Jamais auparavant ce choix n'avait été fait, et il me semble que c'est une erreur. Nous ne naissons pas tous avec les mêmes avantages et les mêmes risques en matière de santé. Nier la différence entre santé individuelle et santé collective, c'est placer la santé devant les autres sujets. Prendre comme seul indicateur l'engorgement des hôpitaux a été une erreur. Nous n'avons pas tiré les leçons du premier confinement. Nous avions seulement 5 000 lits de réanimation lors du premier confinement, mais nous n'en disposons que de 5 600 au début du reconfinement. Le problème des lits de réanimation n'a pas été traité, ce qui nous oblige à continuer avec les mêmes critères et à instaurer un nouveau confinement, qui aura des conséquences supérieures au premier d'un point de vue économique.

En ce qui concerne le plan de relance, je regrette l'absence de projet national, car ce plan soutient surtout l'activité privée. À la sortie de crises précédentes, l'État était intervenu pour donner naissance au TGV, à la filière nucléaire, à Airbus, dans le cadre de projets portés par l'État ! Ce même État est aujourd'hui englué dans ses 3 000 milliards de dette publique. Nous avons dépensé 550 milliards en quelques mois, alors que nous n'avons aucun projet national. L'État doit être au-devant de l'investissement, et non derrière pour pousser des gens déjà ruinés à investir.

Le Gouvernement est incapable de regarder en face les écarts de compétitivité colossaux qui se créent entre les pays. 25 millions d'aides à l'horticulture avaient été prévues mais pas un centime n'a encore été versé, alors qu'intervient le deuxième confinement. Les Pays-Bas ont annoncé 600 millions d'euros d'aides pour leur secteur horticole et en ont déjà versé 150 millions d'euros. Une fois l'activité repartie, les ventes des Pays-Bas
- notre principal concurrent - nous dépasseront. Les entreprises françaises mettront la clé sous la porte quand les entreprises hollandaises augmenteront leurs ventes après avoir été aidées pour mobiliser des moyens supplémentaires.

M. Joël Labbé. - Le plan de relance ne prend pas en compte le moyen et le long terme. La nécessaire implication de la puissance publique dans l'économie, mise en avant par Laurent Duplomb, constitue une véritable rupture avec le système libéral : c'est là un signe encourageant.

La situation des restaurateurs est dramatique. Dans le Morbihan, une jeune restauratrice s'est donné la mort la semaine dernière.

La territorialisation des décisions devrait être une évidence. Les établissements peuvent prendre les garanties sanitaires qui conviennent à leur situation.

Je partage ce qui a été dit par notre collègue rapporteure sur les financements par appel à projets pour les entreprises : ils favorisent les plus grandes entreprises qui accaparent les aides.

Mme Sophie Primas, présidente. - Et la constitution des dossiers mobilise toutes les énergies...

Mme Marie-Christine Chauvin. - La situation des établissements thermaux est catastrophique. Ces établissements s'étaient adaptés à la suite du premier confinement pour pouvoir poursuivre les cures médicales, mais ils ont dû fermer à nouveau. Certains de ces établissements sont placés sous le régime de la régie municipale : l'un d'entre eux accuse une perte de 1,2 million d'euros sur un budget de 7 millions... Et il ne peut percevoir aucune aide !

Je souhaiterais aussi rappeler que la famille des holdings ne rassemble pas que des grandes holdings détenues par des investisseurs étrangers. Je souhaiterais citer l'exemple d'une holding détenue par trois frères, l'un possédant une entreprise de transport, l'autre un casino et le dernier un hôtel-restaurant : certaines holdings sont donc aussi sévèrement frappées que le reste de l'économie.

Par ailleurs, il serait plus pertinent de renforcer le lien entre maires et préfets, plutôt que de mettre en avant les sous-préfets à la relance. Le couple maire-préfet permet une meilleure adaptation et offre davantage de souplesse dans chaque territoire.

Mme Anne Chain-Larché, rapporteure pour avis. - Je salue l'ensemble de vos contributions et vous en remercie : elles reflètent le travail transpartisan conduit par le Sénat. Cette pandémie mondiale inédite bouleverse nos schémas économiques, sociaux et culturels. Le Sénat dans sa diversité exprime sa solidarité et mesure bien l'impact humain de cette crise. Faisons-en notre force dans le message que nous transmettons au Gouvernement : il nous faut l'alerter sur le besoin d'anticipation, qui n'a pas été suffisante avant la « deuxième vague », et souligner sur la nécessité de faire confiance aux territoires et aux élus locaux.

Mme Sophie Primas. - Nous allons soumettre au vote votre amendement.

Mme Anne Chain-Larché, rapporteure pour avis. - Mon amendement porte sur l'investissement des collectivités. Je vous propose d'accentuer le soutien à l'investissement des communes et des départements, soutien qui est insuffisant au sein du plan de relance. Nous avons besoin d'un rééquilibrage entre l'offre et la demande, or l'investissement local aujourd'hui représente 60 % de la commande publique et est un levier de relance pour l'activité économique, par le biais de la demande de logement, d'équipements et d'infrastructures. Les communes, groupements de communes et départements comptent pour 83 % de cet investissement local. L'État a prévu une dotation supplémentaire aux régions à hauteur de 600 millions d'euros, mais les communes et départements ne bénéficient que de faibles montants d'aides. L'amendement prévoit ainsi 500 millions de crédits en AE et CP à destination du soutien à l'investissement de ces collectivités.

La commission adopte l'amendement.

Projet de loi de finances pour 2021 - Compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » - Examen du rapport pour avis

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous allons à présent examiner les crédits du compte d'affectation spécial « Participations financières de l'État ». J'ai une pensée particulière pour notre rapporteur habituel, Alain Chatillon, à qui nous envoyons nos amitiés et notre affection, et laisse la parole à Martine Berthet.

Mme Martine Berthet, rapporteure pour avis. - Je tiens tout d'abord à adresser mes voeux de rétablissement à notre collègue Alain Chatillon, ainsi qu'à remercier Madame la présidente de m'avoir confié le suivi, l'examen et la présentation de ce compte d'affectation spéciale.

L'examen de ce compte nous donne l'occasion de contrôler la stratégie de l'État actionnaire, tout du moins dans ses grandes lignes et lorsqu'elle existe... Après qu'un avis de sagesse ait été émis en 2018 et défavorable en 2019, je vous proposerai de réitérer cet avis défavorable cette année, pour les trois raisons suivantes, que je développerai après vous avoir présenté les crédits du compte : une information du Parlement bien trop lacunaire ; une stratégie de l'État actionnaire qui interroge ; la poursuite de la mise en oeuvre du Fonds pour l'innovation, usine à gaz budgétaire dont la seule conséquence concrète est de dessaisir le Parlement de sa mission de contrôle du financement de l'innovation.

Tout d'abord, une rapide présentation des mouvements intervenus sur le compte cette année. Pour rappel, le Gouvernement avait envisagé l'an dernier percevoir 11 milliards d'euros de produits de cession en 2020 via la vente de ses parts dans Aéroports de Paris (ADP) et la privatisation de la Française des jeux (FDJ). Le Gouvernement envisageait également que le compte percevrait 2 milliards d'euros de versements en provenance de la mission « Programmes d'investissement d'avenir », c'est-à-dire du budget général, afin de les investir dans des opérateurs comme Bpifrance ou dans des fonds soutenant l'innovation. Dans ces cas-là, le compte qui nous occupe aujourd'hui ne sert que de véhicule budgétaire, car il ne s'agit pas d'opérations stratégiques en lien avec l'État actionnaire. Ce mélange des rôles attribués au compte d'affectation spéciale nuit par ailleurs à sa bonne compréhension.

Au final, sur 11 milliards d'euros de produits de cession envisagées, l'État n'en a perçu qu'environ 1 milliard, à la date à laquelle je vous parle, qui correspondent à une vente à la Caisse des dépôts et consignations d'une partie de ses actions dans La Poste. La privatisation de la FDJ a bien eu lieu en 2019, générant pour l'État une recette de 1,9 milliard d'euros. En revanche, celle d'ADP n'a évidemment pas été réalisée. Je dis évidemment, car notre collègue Alain Chatillon avait déjà anticipé cette impossibilité l'an dernier - certes non pas en raison de la crise du coronavirus, mais pour d'autres raisons économiques et politiques. En ce qui concerne les versements budgétaires, ils ont été massifs tout au long de l'année 2020, car aux versements prévus initialement sont venus s'ajouter les versements sur le compte liés à l'enveloppe de 20 milliards d'euros votée en loi de finances rectificative numéro 2 devant permettre à l'État actionnaire de soutenir les entreprises stratégiques jugées vulnérables. En particulier, 3 milliards d'euros seront ainsi avancés à Air France-KLM sous forme de prêt d'actionnaire d'ici la fin de l'année, 1 milliard d'euros ont été dépensés pour souscrire à une émission d'obligations d'EDF, et 4 milliards d'euros seront utilisés pour recapitaliser la SNCF.

Pour 2021, contrairement aux années précédentes, aucun produit de cession n'est prévu, ce qui veut dire que l'État, compte tenu de la crise actuelle, n'envisage aucune vente de ses participations. En revanche, 13 milliards d'euros de versements du budget général sont prévus, afin de renforcer les fonds propres de l'Agence française de développement (AFD) et, surtout, de financer des opérations en fonds propres ou quasi-fonds propres dans les entreprises stratégiques du portefeuille. Aucune information ne nous a en revanche été communiquée quant à l'identité de ces entreprises ou au calendrier de ces opérations ; j'y reviendrai. 

J'en viens maintenant aux trois raisons qui me conduisent à vous proposer de donner un avis défavorable aux crédits de ce compte.

Premièrement, le Parlement est bien trop peu informé via ce compte. Il s'agit là d'une spécificité de cet outil : les montants affichés n'ont pas à traduire budgétairement les intentions du Gouvernement. Afin de ne pas informer les marchés financiers de ses projets, ce dernier inscrit des crédits dits « notionnels », c'est-à-dire en quelques sortes des chiffres abstraits, formels, qui peuvent tout à fait être à l'opposé de la politique qu'il entend mener. L'objectif de ne pas dévoiler ses projets est tout à fait compréhensible, et même logique. Seulement, en n'informant pas les marchés, le Gouvernement laisse également dans l'ignorance le Parlement, ce qui porte atteinte au contrôle démocratique que nous exerçons sur la stratégie de l'État actionnaire. Des solutions existent pourtant, qui sont constamment rejetées : par exemple, nous pourrions auditionner les représentants de l'État actionnaire à huis clos sur des opérations capitalistiques envisagées, et ne publier de compte rendu ou de verbatim qu'après que l'opération ait eu lieu.

Nous n'avons par exemple obtenu que peu d'informations concernant le rôle et la stratégie de l'État dans l'affaire Veolia-Suez. Je formule le voeu que le groupe de suivi que notre commission et celle de l'aménagement du territoire et du développement durable ont récemment créé permette d'en savoir davantage ! De même, l'Agence des participations de l'État (AFE) ne souhaite pas donner d'information quant à l'identité de la vingtaine d'entreprises qui pourraient avoir besoin d'une recapitalisation en 2021. Elle nous a néanmoins indiqué que depuis avril dernier, le besoin en fonds propres de certaines entreprises s'est réduit, en raison soit d'une reprise de l'activité, soit de leurs plans de restructuration, soit d'un financement finalement trouvé sur les marchés. En fonction de la situation sanitaire, la liste pourrait toutefois s'allonger en 2021 !

Cette absence d'information fiable suffirait à elle seule pour donner un avis défavorable aux crédits de ce compte. Mais deux raisons supplémentaires me conduisent à vous le proposer, comme je vous l'indiquais. 

Tout d'abord, la stratégie de l'État actionnaire soulève des interrogations de plus en plus fortes. Il semble en effet avoir abandonné son rôle d'État stratège et opté pour une stratégie de court terme, qui l'a conduit à se désengager d'entreprises jugées insuffisamment stratégiques et qui a entraîné par ailleurs une concentration excessive du portefeuille autour de deux secteurs : l'énergie, qui représente 55 % du portefeuille, et l'aéronautique (au sens large, donc incluant les activités de défense), qui représente 26 %. Or cette situation est inquiétante.

D'une part, la puissance publique doit participer à la protection de nos actifs stratégiques et au renforcement de notre souveraineté industrielle, technologique et militaire. Ce constat était vrai hier, il l'est encore plus aujourd'hui, puisque la crise nous a rappelé l'importance de conserver sur notre sol certaines productions. Or les exemples ne manquent pas, qui illustrent le choix fait par l'État d'une stratégie de court terme au détriment de la poursuite de ces objectifs. L'épisode Veolia-Suez n'en est que le plus récent. Malgré l'importance stratégique que représentent ces deux entreprises pour notre autonomie et notre souveraineté économique, l'État s'est révélé incapable de faire triompher ses intérêts lors du conseil d'administration d'Engie, sa participation dans Engie ayant progressivement diminué. Certes l'influence ne s'exerce pas uniquement via le pourcentage de détention du capital. Il paraît néanmoins évident que plus ce pourcentage est élevé, plus la puissance publique dispose d'atouts dans la poursuite de l'intérêt général.

C'est si vrai que l'État lui-même, en 2017, n'a pas hésité à nationaliser les Chantiers de l'Atlantique afin de se donner les moyens de renégocier leur cession. Hélas, malgré ce mouvement stratégique, le nouvel accord négocié avec Fincantieri présente lui aussi des lacunes importantes, ainsi que l'a montré la présidente Sophie Primas dans un rapport le mois dernier. Compte tenu de son positionnement, les risques sont en effet élevés que Fincantieri finisse pas rapatrier une partie de la production en Italie et qu'il procède à des transferts de technologie avec la Chine.

Tout ceci illustre, malheureusement, le fait que notre État stratège semble avoir laissé la place à un État actionnaire, obéissant avant tout à une logique comptable et budgétaire. Ce constat est particulièrement alarmant pour la reconquête de notre souveraineté économique et industrielle, qui nécessite au contraire un État doté d'une indispensable vision stratégique à long terme.

D'autre part, plus le portefeuille est concentré autour de valeurs stratégiques, donc incessibles, moins l'État n'a de marge de manoeuvre pour céder des titres dans le cas où il lui faudrait venir au soutien de telle ou telle entreprise. En outre, le rendement total du portefeuille de l'État actionnaire est démesurément dépendant de celui de ces deux secteurs. Qui plus est, ces deux secteurs sont eux-mêmes très dépendants de facteurs exogènes, comme les conflits dans le monde ou les politiques des autres États. Les risques pointés par notre collègue Alain Chatillon l'an dernier se sont donc matérialisés cette année : la crise du coronavirus a fait perdre à EDF 35 % de sa valeur en huit mois, 62 % à Air France, 50 % à ADP. Par conséquent, la valeur totale du portefeuille coté de l'État a chuté de 30,4 % entre le 30 juin 2019 et le 30 juin 2020, passant de 75 à 52 milliards d'euros. Vendredi dernier, cette valeur était de 66 milliards d'euros, compte tenu de la remontée des cours de bourses ces six derniers mois.

J'en viens maintenant à la troisième raison pour laquelle je vous propose de donner un avis défavorable à ces crédits, après la faible information du Parlement et la stratégie risquée du Gouvernement de concentration du portefeuille.

En 2018, le Gouvernement a mis en place un Fonds pour l'innovation de 10 milliards d'euros qui doit être abondé à partir du produit des cessions de ses titres dans les entreprises. Cette somme doit être investie en bons du Trésor français à un taux bien supérieur à celui du marché, à savoir 2,5 %, pour générer un rendement de 250 millions d'euros par an. Comme vous le savez, le ministre de l'économie, des finances et de la relance nous assurait que cela représenterait un meilleur usage des deniers publics, plutôt que de posséder des actions d'entreprises dans lesquelles l'État n'avait pas vocation à être actionnaire. Chaque année qui passe confirme un peu plus la pertinence des critiques que nous avions alors formulées lors de l'examen de la loi Pacte.

En effet, ce Fonds pour l'innovation n'apporte absolument rien de neuf en matière de financement de l'innovation par rapport à une dotation budgétaire. En revanche, il possède un inconvénient majeur, outre celui de pousser le Gouvernement à atrophier son portefeuille : à nouveau, le Parlement est contourné et nous ne pouvons plus exercer notre contrôle sur le financement de l'innovation. Un Conseil de l'innovation a été mis en place, pour décider des orientations du Fonds, mais aucun parlementaire n'y est associé. J'ajoute en outre que le fonctionnement même du Fonds semble chaotique, comme nous en parlera notre collègue Jean-Pierre Moga dans quelques minutes.

Par ailleurs, même la stabilité du financement de l'innovation est loin d'être garantie : une clause de revoyure est en effet prévue en 2023. Si à cette date, il s'avère que le taux de 2,5 % servi par les bons du Trésor depuis 2018 était trop élevé par rapport au marché, alors le trop-perçu par le Fonds pourra être récupéré, ou son rendement diminuer pour l'avenir. Or il ne fait que peu de doute qu'un taux de 2,5 % est effectivement bien supérieur à celui rencontré sur les marchés, qui se situe plutôt aux alentours de 1 %. Il est donc très vraisemblable qu'à partir de 2023, le rendement du Fonds ne soit plus le même...

Pour ces trois raisons : absence d'information du Parlement, stratégie risquée de l'État actionnaire, usage contestable des produits de cessions, je vous propose donc de donner un avis défavorable aux crédits de ce compte d'affectation spéciale.

Mme Sophie Primas, présidente. - Merci, madame la rapporteure, pour cette présentation de votre rapport. Ce compte des participations de l'État suscitera sans doute des prises de parole. En effet chaque année nous le percevons comme un « trou noir », à l'exception de quelques dossiers emblématiques de nos débats. Madame la présidente de la commission spéciale sur la loi Pacte pourra nous dire ce qu'elle en pense.

M. Fabien Gay. - Je partage les conclusions de ce rapport, et constate que nous les partageons chaque année, tant en ce qui concerne le manque de communication que la concentration du portefeuille.

Chaque année, dans un manque total de concertation, nous observons les cessions - car il n'y a pas beaucoup d'achats. Toutefois, il semble évident que la cession d'ADP ne se fera pas, à la suite du vote du Sénat, du référendum d'initiative partagée et du recul de Vinci.

Cette année, il me semble que l'affaire Engie-Veolia-Suez requiert notre attention. Nous n'avons plus d'État stratège depuis longtemps, mais cette affaire révèle que nous n'avons même plus d'État régulateur. La loi Pacte a permis à l'État de descendre sous les 34 % dans Engie, c'est-à-dire de rester actionnaire principal sans minorité de blocage. La prétendue garantie qu'offrait la golden share devait permettre à l'État de peser sur les orientations stratégiques d'Engie, notamment celles liées à l'énergie. On voit bien que ce n'est pas le cas : lorsque l'État se prononce officiellement contre la cession, il est désavoué.

Je souhaite vous alerter également sur la situation d'EDF qui fait l'objet de restructurations importantes : avec l'affaire Engie-Veolia-Suez, nous assistons à un remodelage complet du secteur de l'énergie. Ce secteur constitue un outil de compétitivité
- nous avons une des énergies les plus décarbonées et les moins chères du monde - alors que les appels à la réindustrialisation de la France sont de plus en plus nombreux. Comment ferons-nous la transition énergétique lorsque l'État n'aura plus ni levier, ni entreprises publiques ? Avec Engie et EDF, nous assistons au démembrement et au démantèlement d'un outil industriel important.

Enfin, la question des nationalisations dans des secteurs stratégiques mérite d'être posée. Le premier décret Montebourg concernait l'énergie, les transports, la santé, l'eau, les télécoms, auxquels ont été ensuite ajoutés l'intelligence artificielle, les données personnelles, l'hydrogène etc. Dans le cadre de la réindustrialisation, la question d'un grand service public de l'eau et de l'assainissement se pose : après avoir rejeté le monopole public, nous voyons se profiler un monopole privé !

Mme Catherine Fournier. - Il est certain que l'objectif des privatisations est de renflouer les caisses de l'État. Le référendum d'initiative partagée (RIP) concernant Aéroports de Paris n'a pas abouti, et la situation d'ADP s'est tellement dégradée dans l'intervalle que la cession semble inconcevable.

Quand les caisses de l'État sont plus que vides, on ne peut plus parler d'État stratège. À l'heure actuelle, les mesures prises dans le cadre de la crise sanitaire le sont au coup par coup : l'État n'a plus les moyens d'anticiper. Prenons l'exemple de la SNCF qui présente une dette abyssale : les 4,5 milliards d'euros de l'État vont-ils servir aux investissements ou à la résorption du déficit ? À l'heure actuelle, les régions sont les pourvoyeurs de fonds de la SNCF mais n'ont aucun pouvoir de décision sur les dessertes, et il est impossible d'obtenir de l'État des informations sur cette situation. Ne parlons pas d'État stratège !

M. Alain Cadec. - En tant que corapporteur du comité de suivi sur ce dossier, je souhaite revenir sur l'affaire Engie-Veolia-Suez. Monsieur Fabien Gay, vous disiez que l'État n'est même plus régulateur, j'irai plus loin : l'État est complice ! Nous avons entendu MM. Varin et Camus de Suez, ainsi que M. Clamadieu d'Engie qui nous a menti pendant une heure. Nous avons également entendu avec intérêt M. Frérot, le P-DG de Veolia, qui nous a raconté ce qu'il a voulu. Cette affaire présente une particulière gravité. En ce qui concerne la distribution de l'eau, les collectivités territoriales peuvent à l'heure actuelle choisir entre la régie, Veolia, la Saur - qui représente 8 % du marché - et Suez. Demain, il ne restera que la Saur, la régie et Veolia, ce n'est pas acceptable. La puissance publique ne participe pas au redressement économique de notre pays, puisque des conséquences sociales sont également à craindre : 4 000 emplois pourraient être menacés. Nous serons très vigilants car c'est un révélateur de la façon dont le Gouvernement fonctionne aujourd'hui. Une fois de plus l'État est défaillant, le comité de suivi fera tout pour le démontrer.

Mme Florence Blatrix Contat. - Je partage les conclusions de ce rapport. En effet, on peut regretter l'absence d'informations fiables de la part de l'État et le désengagement de son rôle d'État stratège. Bien entendu, malgré la crise et l'endettement de l'État que nous connaissons tous, ce rôle est déterminant pour l'avenir de la France, et force est de constater que l'État n'est pas au rendez-vous malgré la nomination d'un haut-commissaire au Plan. L'affaire Suez-Veolia en est l'illustration. Ensemble, nous devons anticiper et être exigeants au-delà du champ du comité de suivi : les participations de l'État dans Engie vont-elles diminuer à long terme ? Nous devrons également obtenir des éclaircissements sur le projet Hercule.

M. Franck Montaugé. - La question de fond est plus généralement celle de la stratégie industrielle de l'État. C'est un sujet d'actualité et d'avenir d'une importance considérable. Or, cette stratégie n'est pas claire. Pour cette raison générale, le groupe socialiste, écologiste et républicain rejoindra la position de la rapporteure en émettant un avis défavorable.

Mme Martine Berthet, rapporteure pour avis. - Je souhaite apporter deux précisions : tout d'abord, le commissaire aux Participations de l'État a précisé, lors de son audition, qu'aucune privatisation n'aura lieu en 2021 compte tenu de l'état des marchés financiers. D'autre part, il est frappant que lors de son audition, le commissaire n'ait pas du tout parlé des négociations en cours avec Air France-KLM à propos d'un nouveau soutien en fonds propres. C'est la presse, hier matin, qui s'en est fait l'écho ! C'est un exemple marquant de ce manque permanent d'information du Parlement, tout à fait regrettable.

La commission émet un avis défavorable à l'adoption de ces crédits.

Projet de loi de finances pour 2021 - Mission « Recherche et enseignement supérieur » - Examen du rapport pour avis

M. Jean-Pierre Moga, rapporteur pour avis. - Le budget de la recherche que nous examinons aujourd'hui s'inscrit dans le droit fil de nos travaux sur la loi de programmation de la recherche. Si l'on annule les évolutions de périmètre qui rendent particulièrement délicate la lecture du budget cette année, on constate une hausse de 2 % des crédits - soit 266 millions d'euros pour atteindre 14,9 milliards d'euros. C'est une hausse proche de celle du budget de l'année dernière - dont j'avais estimé qu'il était sans ambition. Je pense qu'on pourrait également le dire cette année s'il n'était pas sauvé par le plan de relance !

Ce n'est pas le choc que nous demandions dans le cadre de la loi de programmation, mais c'est un premier pas, et le budget comporte certaines mesures que nous demandions depuis plusieurs années. Je vous proposerai donc d'émettre un avis favorable.

Quelques remarques de forme d'abord. Je ne m'étendrai pas sur les difficultés à reconstituer les différents crédits entre l'enveloppe de la mission budgétaire « Recherche », l'enveloppe budgétaire « Plan de relance » et l'enveloppe budgétaire du « Programme d'investissements d'avenir ». Mais je souligne que le Gouvernement en profite pour gonfler artificiellement le plan de relance. Il supprime par exemple 150 millions de crédits dans l'enveloppe « Recherche » pour la transférer dans la mission « Plan de relance ». C'est, si vous me permettez l'expression, du bricolage et, pour nous, parlementaires, de la désinformation !

Sur le fond, je me réjouis de certaines mesures, mais je regrette qu'il ait fallu attendre la plus importante crise de notre histoire économique récente pour que le Gouvernement applique nos recommandations ! Je pense notamment à deux mesures demandées par le Sénat depuis plusieurs années : la très importante hausse du budget d'intervention de l'Agence nationale de la recherche afin de revenir à un taux de succès décent, et la hausse des crédits affectés aux aides à l'innovation de BPIfrance. L'année dernière, quand j'avais plaidé pour que 20 millions d'euros supplémentaires soient affectés aux aides à l'innovation, on m'avait répondu que ce n'était pas nécessaire. Cette année, je constate que, selon les informations données par BPIfrance, c'est 67 millions d'euros de plus par rapport à 2020 qui seront octroyés à l'organisme ! C'est donc une mesure bienvenue. 

Il me semble cependant que certains points de vigilance perdurent. D'abord, les organismes de recherche non rattachés au ministère de la recherche ne bénéficient pas de la dynamique lancée par la loi de programmation de la recherche, c'est notamment le cas de l'IFP-EN, dont la dotation stagnera en 2021. C'est dommage, car c'est un acteur essentiel de la transition énergétique, en particulier sur l'hydrogène. Ensuite, le glissement vieillesse technicité, qui ampute chaque année le budget des organismes de recherche de 28 millions d'euros, ne sera pas clairement compensé. Le Gouvernement compte sur les mesures salariales encore en cours de négociation pour obtenir un effet de soulagement, mais sans s'engager sur une compensation. Enfin, les documents budgétaires ne renseignent pas sur les moyens précis pour mettre en oeuvre les objectifs opérationnels de la loi de programmation. Quand on pose une question simple comme « où sont les financements pour s'assurer qu'aucun jeune scientifique ne perçoive une rémunération inférieure à deux Smic ? », on reçoit une réponse complexe rappelant que c'est l'objectif mais ne donnant pas précisément les moyens pour l'atteindre !

J'en viens maintenant à deux actions qu'il me paraît nécessaire de mettre rapidement en oeuvre. Premièrement, s'agissant de la trésorerie des opérateurs de recherche : comment expliquer que les organismes de recherche aient une trésorerie importante qu'ils ne peuvent dépenser ? Les chiffres s'élèvent à plusieurs dizaines de millions d'euros par opérateur, c'est colossal. Et pourquoi ? Car une norme comptable les oblige à garder une trésorerie très importante au cas, fort probable, vous en conviendrez, où tous les collaborateurs prendraient le même jour, presque à la même heure, leur compte épargne temps et leurs congés payés ! C'est autant de moyens que l'on ne dépense pas à chercher ! J'avais interpellé la ministre sur ce point dans le cadre de la loi de programmation de la recherche. J'interpellerai à nouveau le Gouvernement en séance.

Deuxièmement, le projet de loi de finances supprime une mesure essentielle pour renforcer les liens entre la recherche publique et les entreprises. Il s'agit d'une mesure intégrée au crédit d'impôt recherche, qui permet à une entreprise de retenir le double des dépenses engagées pour un projet de recherche en cas de sous-traitance auprès d'un laboratoire public. Le Gouvernement justifie la suppression de cette incitation fiscale de l'ordre de 150 millions d'euros par an par le fait qu'une plainte a été déposée auprès de Bruxelles pour non-conformité au régime des aides d'État, alléguant la concurrence déloyale que ce dispositif ferait peser sur les sociétés privées de recherche.

Fort heureusement, le dispositif n'entre pas en vigueur tout de suite. Le Gouvernement propose une entrée en vigueur en 2022. Je déposerai un amendement, en lien avec la commission des finances, pour n'appliquer le dispositif qu'en 2023. Cela laissera vraiment le temps aux organismes de recherche et aux entreprises de se retourner. Et nous pourrons mettre à profit ce délai pour réfléchir à un mécanisme permettant de réinventer ce dispositif, dans le respect du droit européen des aides d'État. Il est impératif de trouver une solution sur ce point. Certains acteurs proposent un mécanisme de dotation basé sur le chiffre d'affaires de recherche partenariale réalisée en année N-1 et qui permettrait aux laboratoires de financer la phase amont d'un projet. Cela me paraît être une piste à creuser. En attendant je proposerai, afin de cranter le sujet dès le projet de loi de finances pour 2021, un amendement rétablissant la prise en compte des dépenses de personnel de R&D des PME à 50 %, contre 43 % aujourd'hui, avec entrée en vigueur en 2023, dans une logique de compensation de la fin du doublement d'assiette. Je travaille également sur d'autres amendements concernant le CIR que je pourrais déposer à titre personnel en séance. Sans trop rentrer dans le détail, il s'agirait d'abord de mieux adapter le calcul de l'assiette du crédit d'impôt recherche en cas de versement d'une subvention publique remboursable, afin de l'adapter au profil de trésorerie des entreprises innovantes : pour résumer, l'avantage fiscal est aujourd'hui consenti en fin de parcours, quand c'est au début du parcours d'innovation qu'il faut alléger la trésorerie des entreprises. Il s'agirait, ensuite, de renforcer les droits des contribuables en matière de crédit d'impôt recherche.

Pour finir, quelques mots sur le fonds pour l'innovation et l'industrie (FII) - qui complèteront l'intervention de notre collègue Martine Berthet. Je m'y intéresse nécessairement car c'est une poche budgétaire qui prolonge les actions de la mission « recherche » sur le financement de la R&D. On sait qu'il s'agit d'une débudgétisation contestable car privant les parlementaires de toute information précise. On sait aussi que la crise a démontré la fragilité d'un modèle de recettes fondé sur des revenus de capitaux mobiliers dépendant de la conjoncture économique : en 2020, ce n'est que la moitié des 250 millions d'euros annuels qui sera dégagée. Mais on sait moins qu'à peine 30 % des crédits dégagés ont été décaissés ! Et je terminerai par une anecdote révélatrice de la stratégie brouillonne de l'État en la matière : parmi les actions financées par ce fonds devait figurer, à hauteur de 70 millions d'euros par an, des « grands défis » pour favoriser l'émergence d'innovations de rupture, décidés sous la houlette du conseil de l'innovation présidé par le Premier ministre. Mais à ce jour, seuls deux grands défis ont été lancés et le troisième, qui portait sur le stockage de l'énergie a été arrêté... à cause de la démission du directeur du programme ! Voilà qui montre qu'en matière d'innovation de rupture, l'État cherche son chemin !

En somme, je rejoins Mme Berthet pour dire que le FII doit, pour le moins, encore faire ses preuves !

Comme je vous l'ai dit en introduction, malgré le manque de lisibilité de ce budget, malgré son manque d'ambition s'il n'y avait pas eu le plan de relance, je vous propose donc d'émettre un avis favorable sur les crédits. Je précise que je soutiendrai en séance l'initiative du rapporteur de la commission des finances, qui proposera un amendement de crédit pour corriger une « entourloupe » si vous me permettez l'expression concernant le CNRS !

M. Franck Montaugé. - Ce budget s'inscrit effectivement dans la continuité de nos discussions sur le projet de loi de programmation de la recherche, auquel nous nous sommes opposés. Nous partageons la quasi-totalité des remarques formulées, mais notre groupe s'abstiendra. Il faut remettre en cause cette gestion politique de la recherche en France.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur » ainsi qu'à l'adoption des articles rattachés.

La réunion est close à 12 h 30.

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

La réunion est ouverte à 16 h 35.

Projet de loi de finances pour 2021 - Audition de M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Mme Sophie Primas, présidente. - Monsieur le ministre, même si nous avons pu, depuis le mois de juillet dernier, travailler avec vous sur de nombreux sujets d'actualité - et sans doute pas les plus consensuels -, nous sommes heureux de vous accueillir aujourd'hui pour la première fois en tant que ministre de l'agriculture et de l'alimentation.

Soyez le bienvenu au sein de notre commission, qui est très attachée aux questions agricoles, alimentaires et forestières.

Comme chaque année, notre commission est saisie pour avis des crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêts et affaires rurales » du projet de loi de finances pour 2021.

À cet égard, monsieur le ministre, quels sont les principaux objectifs que vous vous fixez cette année pour mener la politique agricole au niveau national ? Comment cela se manifeste-t-il dans le budget pour l'année 2021 ? Nous savons que le budget de l'agriculture est assez limité et que tout se joue ailleurs.

S'ajoutent cette année à ces crédits ceux dédiés à la transition agricole dans la mission « Relance » que, j'en suis sûre, vous ne manquerez pas de nous détailler.

Nous nous réjouissons par ailleurs que le Gouvernement reprenne l'idée, chère au Sénat, adoptée l'année dernière dans le projet de loi de finances, à l'initiative transpartisane de nos rapporteurs, d'une aide aux investissements innovants afin d'améliorer le bien-être animal, investir dans les abattoirs et les agroéquipements pour réduire l'usage d'intrants et l'exposition aux aléas climatiques.

Malgré l'opposition du Gouvernement, ces amendements ont été adoptés à l'unanimité au Sénat l'année dernière. Nous nous félicitons que cette idée ait été reprise pour 2021 et que cela couvre près de la moitié du plan de relance agricole, hors forêt.

Puisse cette prime à la conversion - que je nommerai prime Duplomb-Férat-Tissot-Cabanel- et désormais Denormandie - aider les agriculteurs à accélérer les investissements dans la transition.

Reste à ne pas transformer cette mesure de très bon sens en usine à gaz. Les équipements éligibles seront sans doute ceux permettant de renforcer la sécurité des épandages dans les zones de non-traitement à proximité des habitations.

Or l'usine à gaz existe déjà, monsieur le ministre. J'en veux pour preuve un exemple concret dans l'Eure. J'ai transmis le courrier à vos équipes. Dans le cadre du dispositif d'aide aux investissements « zone non traitée » (ZNT), un céréalier a acheté une herse étrille de 9,20 mètres pour laquelle il a formulé une demande de subvention à FranceAgriMer. Celle-ci lui a été refusée au motif que les herses doivent être d'une portée de 6, 9, 12, 18 ou 24 mètres, et non de 9,20 mètres. L'agriculteur n'a pas reçu d'aide et n'a pas le droit de présenter une nouvelle demande. Cette anecdote dit à elle seule ce qui ne doit pas arriver.

Comment, monsieur le ministre, comptez-vous vous y prendre pour faire de ce plan de relance un instrument souple, efficace, simple et résolument tourné vers les besoins des agriculteurs ?

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation. - Merci beaucoup, madame la présidente.

C'est avec beaucoup de plaisir que je suis devant vous cet après-midi pour discuter de ce budget de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales ».

Ce budget intervient dans une situation exceptionnelle qui impose d'y répondre de manière massive en apportant l'accompagnement nécessaire à ces femmes et ces hommes qui réalisent un travail exceptionnel. Songez que, pendant toute la période du premier confinement, la chaîne alimentaire a toujours tenu. Depuis le début du second confinement, nous ne cessons de nous assurer qu'il n'existe pas de tension sur les chaînes alimentaires.

Je voudrais une nouvelle fois adresser mes remerciements solennels et républicains à l'ensemble de ces femmes et de ces hommes qui, tous les matins, se lèvent et travaillent ardemment. Ils font partie de ce ciment républicain qui permet au pays de tenir.

Face à cette situation exceptionnelle, il faut un budget exceptionnel. Celui-ci se concrétise d'abord par le maintien à un niveau supérieur à l'année dernière des crédits nationaux, modulo une baisse sur des compensations au titre de mécanismes communautaires, qui font diminuer l'un des programmes tout en ayant, à l'échelle de la mission, une augmentation de crédits. Cette diminution de programme est simplement liée à des mécaniques de chronique de paiement.

Ce soutien exceptionnel, au-delà du budget, doit également être mesuré au titre des crédits du plan de relance, qui sont absolument massifs. Vous savez à quel point ma détermination a été totale, dès que j'ai pris mes fonctions, pour faire en sorte que le plan de relance contienne un volet agricole. Le plan de relance a en effet pour mission de créer demain une France plus forte. Or je ne conçois pas une France plus forte sans une agriculture plus forte.

J'ai convaincu le Président de la République et le Premier ministre qu'il nous fallait disposer dans le plan de relance d'un volet agricole à hauteur de 1,2 milliard d'euros.

Il existe par ailleurs des dispositions fiscales. Nous nous sommes également beaucoup battus concernant le budget de la politique agricole commune (PAC) depuis début juillet. Le premier à le faire a été le Président de la République, qui a réussi à obtenir le maintien de crédits très importants au bénéfice des agriculteurs français.

Si l'on ajoute les crédits du budget national, le plan de relance, les mesures fiscales et les mesures européennes, on arrive à des dépenses dans le domaine agricole de l'ordre de 20 milliards d'euros par an, ce qui est tout à fait significatif et, à mes yeux, nécessaire.

J'ai un principe de base : ce n'est pas le budget qui guide la politique, c'est la politique qui doit guider le budget. Peut-être l'oublie-t-on trop souvent, mais c'est à mes yeux absolument essentiel.

Il ne s'agit pas d'énumérer la litanie de tous les postes budgétaires, mais d'abord de vous expliquer le sens politique de l'action qui est la mienne à la tête de ce ministère.

En premier lieu, la question de souveraineté est essentielle. Comment arriver à rendre plus de souveraineté agroalimentaire à notre pays ? Pour la même raison que ce que j'expliquais au titre du plan de relance, il nous faut un pays plus fort, donc une agriculture plus forte, ce qui n'est possible que si notre agriculture et notre système agroalimentaire sont bien plus souverains.

Pendant le premier confinement, certains pays européens enviaient la résilience du système agroalimentaire de la France. Il faut en être fier et insister sur ce point. Ce n'est en effet jamais acquis. Ceci a été rendu possible grâce au travail des travailleurs de seconde ligne, à l'organisation de l'ensemble de cette filière et à tout l'actif que représente le système agricole français, dont je suis très fier. Il est extrêmement précieux pour notre pays, et il nous faut le conforter

Comment faire pour regagner en souveraineté ? La première des souverainetés réside évidemment dans la pérennité de notre modèle agricole vis-à-vis des transitions qui nous sont à juste titre demandées par la société, notamment en matière agroécologique.

Je ne reviens pas sur la vision qui est la mienne de l'agroécologie. Je l'ai déjà dit : pour moi, l'agroécologie n'est pas une vision politique. La vision politique réside dans la souveraineté. L'agroécologie est un moyen qui nous permet de l'atteindre. À ce titre, elle est absolument essentielle.

Nous allons donc renforcer les moyens des crédits nationaux et surtout du plan de relance avec une ligne que nous avons présentée au conseil d'administration de FranceAgriMer hier après-midi. Elle s'élève à 135 millions d'euros et est destinée au financement de matériels d'agroéquipement. Une autre ligne de 100 millions d'euros permet d'assurer la protection contre les aléas dus au changement climatique.

Parallèlement, des crédits très soutenus au titre du budget national sont proposés pour cofinancer l'ensemble des mesures européennes qui, vous le savez, sont souvent abondées par le budget national.

Cela me permet de revenir sur l'anecdote concernant la herse de 9,20 mètres. Vous savez qu'au moment où l'on a établi la ZNT, nous nous sommes engagés à mettre en place un système d'aides à hauteur de 30 millions d'euros pour financer du matériel et soutenir ainsi nos agriculteurs. Cela a mis un peu de temps à se mettre en place, mais c'est chose faite. Le dispositif a très bien fonctionné, et on a eu encore plus de demandes qu'on ne le pensait.

L'échelle n'a rien à voir dans le cas du plan de relance. On passe en effet à 135 millions d'euros rien que pour l'agroéquipement. J'ai fait une tentative pour passer de l'appel à projet au principe de catalogue. Nous sommes tous habitués, dans la vie de tous les jours, à recourir aux catalogues plus qu'aux appels à projets, qui constituent une belle invention française.

Nous sommes donc en train d'établir des catalogues comportant des centaines de référence. Nous allons voir si cela fonctionne. J'ai la conviction que cette approche pragmatique vaut certainement mieux que des volets de conditionnalité.

La souveraineté vis-à-vis des risques sanitaires me paraît par ailleurs essentielle. Certains, jusque dans cette salle, portent cette vision depuis de nombreuses années, et je les en félicite.

Il existe aujourd'hui une approche du monde vivant dans sa globalité, qui correspond à la fameuse initiative « Une seule santé ». Nous devons avoir une approche holistique, avec des passages récurrents entre le monde animal, l'espèce humaine et le monde végétal. Tout ceci est assez logique au demeurant. Malheureusement, ces passerelles sont souvent de plus en plus fortes, voire inquiétantes, comme dans le cas de la Covid-19.

On le voit aussi, depuis 48 heures, avec la détection d'un premier cas d'influenza aviaire H5N8 en Haute-Corse, qui m'a conduit à prendre des mesures d'euthanasie de volailles et à mettre l'ensemble du territoire hexagonal sous une vigilance élevée en termes de biosécurité.

Il est important de pouvoir investir massivement dans l'ensemble de nos élevages pour se prémunir contre ces phénomènes. Il existe des solutions. Celles-ci nécessitent des investissements. Comme pour toute transition, on ne peut pas toujours émettre des injonctions parfois paradoxales, et demander aux uns de mettre en place telle ou telle procédure sans que les autres ne les financent.

Nous avons décidé, dans le cadre du plan de relance, d'investir massivement 250 millions d'euros dans les élevages et les abattoirs, ce qui répond à une autre logique, au final assez proche. Ceci vient en plus du renforcement du programme de la mission dédiée à ce sujet, dans le cadre des budgets que je vous propose aujourd'hui.

Enfin, nous sommes aujourd'hui face à un défi majeur, peut-être le plus important avec celui de la gestion de l'eau, qui n'emporte pas de considérations financières dans la plupart des cas, mais plutôt une considération relative à l'aménagement du territoire, ce qui nécessite un certain courage politique.

Le défi démographique est aujourd'hui majeur. Or nous sommes dans une dépendance démographique incroyablement élevée, et on ne peut toujours miser sur les enfants des agriculteurs pour reprendre une exploitation.

Nos paysans sont des hommes et des femmes passionnés. Heureusement qu'ils sont là mais, comme tout bon père ou bonne mère de famille, ils souhaitent à leurs enfants de travailler dans des filières où l'on peut vivre décemment de son métier. Être paysan, c'est être entrepreneur et non fonctionnaire du vivant.

Ce défi emporte beaucoup de considérations, notamment celle de la rémunération. C'est bien plus important que tout le débat complètement stérile qui oppose agriculture et environnement, sur lequel il nous faut réussir à apaiser la société. Nous devons, là aussi, au titre des budgets ou du plan de relance, apporter les financements adéquats.

Je voudrais avoir une pensée particulière pour le corps professoral de l'enseignement agricole. Ce corps réalise un travail incroyable et constitue une spécificité et un joyau français qu'il nous faut absolument préserver.

Année après année, on constate un déficit d'apprenants. C'est pourquoi on doit prendre le sujet à la racine pour convaincre l'ensemble de la jeunesse de France qu'il existe dans les métiers du vivant des opportunités incroyables. Ce sont des métiers de passion et d'innovation extrêmement pertinents.

Je voudrais également saluer les chefs d'établissements, qui sont remarquables. C'est pourquoi nous consacrons à ce secteur des financements importants.

Enfin, il nous faut préparer l'avenir en investissant massivement dans la recherche. Notre pays a, là aussi, des actifs très importants, de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE) jusqu'au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), en passant par l'ensemble des instituts techniques. Il faut absolument développer et chérir ce savoir-faire.

J'entends les critiques formulées à l'égard du compte d'affectation spéciale développement agricole et rural (CASDAR) et la réduction de son montant. Je rappelle que le débat initial portait sur le fait de savoir s'il fallait rebudgétiser ce compte d'affectation spéciale. On a obtenu de ne pas le faire et de lui conserver sa spécificité.

Le CASDAR est alimenté à partir des niveaux de chiffre d'affaires de l'année n-1. Sur le plan de la sincérité budgétaire, le niveau des recettes du CASDAR sera probablement cette année inférieur au plafond, même réduit de 10 millions d'euros. Cela n'empêche pas les conséquences sur l'année suivante. Vous connaissez la mécanique : la même sincérité budgétaire imposerait d'augmenter le plafond. Or on va nous demander où l'on réalise les économies adjacentes.

Nous investissons par ailleurs massivement, que soit dans le cadre de la loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR), que vous venez d'adopter, ou dans celui du programme d'investissement d'avenir (PIA). J'insiste, car c'est pour moi très important. On s'est posé à propos de la betterave la question de savoir comment investir massivement.

Aujourd'hui, selon moi, l'enjeu consiste d'abord à mettre en oeuvre toutes les mesures de soutien qui ont été annoncées depuis des mois et qui ont trop tardé à être mises en oeuvre. Depuis que je suis arrivé à la tête de ce ministère, je n'ai eu cesse, avec mes équipes, de les finaliser. C'est chose faite, mais il faut savoir de combien les abonder au vu des événements.

On a normalement aujourd'hui « atterri » sur l'ensemble de ces dispositifs sectoriels - cidre, pomme de terre, horticulture. Je remercie toutes les équipes qui ont réalisé un travail énorme à ce sujet.

La deuxième priorité est de mettre en oeuvre le plan de relance. On en a parlé hier lors du débat : selon moi, il faut être le plus simple possible. Sur 1,2 milliard d'euros, 200 millions d'euros concernent la forêt. On aura un débat demain dans l'hémicycle à ce sujet. C'est un débat essentiel. On a notamment créé, dans le cadre de la crise des scolytes, le plus grand plan de reboisement depuis l'après-guerre. Cinquante millions d'arbres vont être replantés.

Il nous faut également mettre en oeuvre le plan de relance. Nous y travaillons. Le confinement ne nous détourne en rien de notre action. Les équipes ont été scindées en deux, l'une étant consacrée au soutien, l'autre à la relance.

Les chambres d'agriculture ont à ce sujet un rôle essentiel à jouer. Il y a eu l'année dernière de nombreux débats à propos de leur budget. J'ai souhaité cette année le consolider, considérant que les chambres d'agriculture devaient être les agents du dernier kilomètre, avec les services de l'État, pour mettre en oeuvre les mesures de soutien et, singulièrement, le plan de relance. Nous réalisons un très gros travail avec les chambres d'agriculture pour que chaque agriculteur, chaque éleveur, dans sa ferme, puisse être contacté afin qu'on puisse informer chacun des dispositifs existants.

Mme Sophie Primas, présidente. - La parole est aux rapporteurs pour avis, puis à nos deux collègues de la commission des finances.

M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. - Monsieur le ministre, je voulais vous faire partager notre ressenti. S'il est vrai qu'il était plus facile de rejeter le budget de vos prédécesseurs, nous nous sommes cette fois-ci posé beaucoup de questions.

Pour y répondre, nous avons dressé la liste des avantages et des inconvénients. Du côté des avantages, plusieurs lignes sont en votre faveur : dispositif « TO-DE » relatif aux travailleurs occasionnels du secteur agricole - même si le Sénat vous aide à le pérenniser afin que vous ne nous posiez plus la question dans deux ans -, Agence de services et de paiement (ASP), où force est de constater qu'un un travail de fond a été mené pour rattraper le retard, gazole non routier (GNR), pour lequel le message est plutôt positif pour l'agriculture avec, en prime, une simplification administrative, puisqu'au lieu de récupérer la différence, on ne la paye pas au départ. On constate par ailleurs un maintien des budgets des chambres d'agriculture, ce qui n'était pas le cas chez vos prédécesseurs.

Il faut admettre que le plan de relance vient compléter le budget de la mission agricole à hauteur d'1,2 milliard d'euros - un peu plus d'un milliard pour l'agriculture, près de 200 millions d'euros pour la forêt.

En outre - et ceci fait plaisir à ceux qui ont fait partie de la cellule en charge du suivi de l'agriculture et de l'agroalimentaire durant le confinement et à notre commission en général -, vous avez répondu à notre demande en octroyant des aides directes à la conversion pour résoudre les problématiques de l'agroéquipement, des produits phytosanitaires, du bien-être animal et des aléas climatiques.

Toutefois, plusieurs éléments négatifs plaident malheureusement pour un rejet du budget - sauf si vous revenez sur certains éléments au cours de cette audition.

Nous ne pouvons accepter, alors qu'une mission a été confiée à l'Inspection générale des finances (IGF) pour vérifier les tenants et les aboutissants du CASDAR que, de façon totalement arbitraire, vous en réduisiez aujourd'hui les dépenses à hauteur de 10 millions d'euros. Je rappelle que le CASDAR est un élément fondamental et historique de la politique agricole. Il est constitué en totalité par les cotisations des agriculteurs. Ce compte ne comporte pas au départ de fonds publics, même si l'État en garantit le paiement, ce qui en fait un fonds public.

La mutualisation du CASDAR permet aux filières qui contribuent le plus de mutualiser leurs moyens par rapport à celles qui contribuent le moins à la recherche. Je rappelle aussi que le CASDAR est cofinancé par l'Europe à hauteur de 80 %.

Par ailleurs, nous ne pouvons nous contenter de simples paroles concernant les aides liées à la problématique sanitaire que nous connaissons. Votre prédécesseur a fait durant sept mois des promesses quasiment tous les jours, et peu de filières ont vu arriver les premiers centimes.

Nous constatons des différences colossales entre les pays concurrents, comme la France et les Pays-Bas, par exemple en matière d'horticulture : en France, on attend toujours les 25 millions d'euros qui doivent être versés, alors que les Pays-Bas se sont engagés à en verser 600 millions et que 150 millions d'euros ont déjà été touchés par les entreprises.

Il en va de même pour la pomme de terre, secteur où les producteurs des Pays-Bas reçoivent 50 euros pour une tonne jetée, alors qu'en France, on est parti de 20 millions d'euros, puis on est passé à 10 millions d'euros, pour arriver à 4 millions d'euros pour 450 000 tonnes à risque. Dans ce secteur, ceux que vous aidez ne se trouvent pas dans des filières structurées, alors que vous voulez aider à structurer les filières ! Tout cela paraît un peu paradoxal.

Enfin, vous avez promis 7 millions d'euros pour aider à sortir du glyphosate, ainsi que 7 millions d'euros pour les betteraves. Nous avons beau retourner le bleu budgétaire dans tous les sens, nous ne trouvons pas ces sommes. Soit votre budget est insincère, et ils sont compris dans le budget mais pas affichés clairement car ils seront financés par redéploiement, mais ce n'est pas respecter le Parlement que de ne pas l'écrire, soit ils n'y sont pas, et il s'agit alors d'une promesse qui ne sera pas suivie d'effets.

Je tenais à vous faire part de ces remarques d'un point de vue général, avant que Françoise Férat ne vous parle de la technique et Jean-Claude Tissot de la politique et, en particulier, du CASDAR.

Mme Françoise Férat, rapporteur pour avis. - Monsieur le ministre, il me revient de vous poser une liste de questions techniques précises sur plusieurs sujets liés au budget 2021.

S'agissant du programme 149, vous savez que l'Office national des forêts (ONF) est placé dans une situation particulièrement délicate, avec un déficit de gestion très lourd, compensé chaque année par des emprunts d'équilibre peu soutenables à terme.

Or les tendances conjoncturelles liées aux diverses maladies, notamment les scolytes, ou aux conditions de marché, cumulées avec des tendances structurelles liées au changement climatique, ne vont pas arranger la situation. J'aimerais, monsieur le ministre, connaître votre vision de l'avenir.

À cet égard, les députés ont adopté un amendement visant à augmenter les crédits afin d'éviter les schémas d'emplois des opérateurs de la mission. Cela concerne FranceAgriMer et l'ASP. Au regard de leur mission temporaire liée au plan de relance, pourquoi ne pas recourir aux intérimaires concernant l'ONF ? Quelle est votre position sur cette proposition de l'Assemblée nationale, au regard des schémas d'emplois ?

Enfin, vous prévoyez cette année 190 millions d'euros pour la provision pour aléas. Est-ce suffisant au regard de la sécheresse de 2020 ? Cette probable sous-estimation ne risque-t-elle pas d'altérer la sincérité du budget, alors qu'on parle d'autres problèmes, comme la betterave, etc. ?

Concernant le programme 206, pourriez-vous nous nous en dire plus des actions menées par le Gouvernement pour lutter contre la propagation de l'influenza aviaire, de la peste porcine africaine (PPA) et de la tuberculose bovine ? Que comptez-vous proposer pour venir en aide aux éleveurs qui pourraient être touchés par une épidémie ? Le dispositif précédent sera-t-il reconduit ? Dès lors, le Gouvernement entend-il adapter sa prévision budgétaire sur les lignes de gestion animale au regard de cette malheureuse actualité ? Il est clair que les indemnisations seront bien supérieures à ce qui était prévu lors de la rédaction du budget, en septembre.

Par ailleurs, le 14 novembre dernier, la DGCCRF a ordonné un retrait et un rappel de produits à base de sésame dans nos grandes surfaces du fait de traces d'oxyde d'éthylène trop importantes dans des graines de sésame importé d'Inde avant transformation. En savez-vous plus à ce stade ?

Vous connaissez, monsieur le ministre, l'attachement de notre commission au respect des normes de production sur les produits importés. C'est encore un exemple d'anomalie qui concerne le conventionnel et le bio. Nous estimons que les contrôles sont à ce stade grandement insuffisants, et ce depuis des années. Comment comptez-vous relever ce défi ?

Des effectifs supplémentaires seront alloués en raison du Brexit : nous les avons appelés de nos voeux, tant mieux ! Plus généralement, quels objectifs vous fixez-vous ?

Enfin, nous renouvelons notre inquiétude au sujet du programme 215 et souhaitons que les schémas d'emplois concernent en priorité les services déconcentrés et non les services centraux. Qu'en est-il cette année, monsieur le ministre ?

Je voudrais en conclusion me joindre à vous pour féliciter tous les partenaires de l'enseignement agricole, sujet qui m'est particulièrement cher.

M. Jean-Claude Tissot, rapporteur pour avis. - Monsieur le ministre, nous avons, en début d'après-midi, auditionné vos conseillers. Ils vous ont manifestement transmis nos remarques, car votre propos liminaire est très pertinent.

Mes questions porteront essentiellement sur le CASDAR, dont les dépenses financent la recherche appliquée agricole par le biais des instituts techniques et les appels à projets et, en parallèle, son développement sur le terrain à l'aide de conseils techniques. Le CASDAR est financé par une taxe sur le chiffre d'affaires des agriculteurs, dont un tiers va aux instituts techniques, un tiers aux chambres d'agriculture, un tiers aux appels à projets.

Cependant, nous ne comprenons pas votre position : le budget acte une baisse du plafond des recettes affectées au CASDAR de 10 millions d'euros par rapport à l'année dernière, soit un recul de 8 % du budget du compte d'affectation spéciale. Il est étonnant que l'Insee - contrairement à ce que nous a dit votre conseiller - ne prévoie pas pour octobre un tel recul pour l'activité agricole, dont le chiffre est actuellement estimé à 1 %.

Je vous accorde que personne ne connaît vraiment les prévisions, mais le Gouvernement avait d'autres choix. Il pouvait, par exemple, laisser le plafond actuel et constater en cours d'année une recette inférieure, ce qui a été fait entre 2014 et 2017.

Ceci avait le mérite de préserver les dépenses pour la recherche. Pourquoi ne pas faire de même pour ce budget ? Le Gouvernement pouvait également compenser la baisse de prévisions des recettes en sanctuarisant les dépenses, par exemple, en dégageant 10 millions d'euros sur le budget général pour garantir le financement des instituts techniques. L'article 21 de la LOLF le permet. Pourquoi ne pas y procéder ?

Dès lors, le sentiment qui prédomine est que cette baisse du plafond du CASDAR de 10 millions d'euros est une manière d'imposer une mesure d'économie sur les chambres d'agriculture - ce qui rappelle d'autres tentatives passées pas si lointaines - et sur les instituts techniques. C'est une incohérence : pourquoi réduire le budget des instituts techniques, alors qu'ils sont à la pointe de l'innovation en matière de recherche d'alternatives aux produits phytopharmaceutiques, par exemple ?

À l'heure de la réduction de l'usage des pesticides, la recherche est la clé. En réduire les moyens en ce moment est une erreur stratégique, d'autant que nous savons parfaitement que le budget ne sera pas relevé l'année prochaine, car cela dégradera la norme de l'État et qu'un rapport de l'IGF est attendu sur le CASDAR.

Nous souhaitons comprendre la position du Gouvernement sur la recherche appliquée agricole. Vous allez sans doute me répondre, comme vous l'avez déjà fait, que le Gouvernement a proposé 7 millions d'euros pour la recherche sur le glyphosate et 7 millions d'euros pour les recherches alternatives aux néonicotinoïdes sur la betterave. Je m'étonne cependant qu'ils ne figurent pas au budget.

Comment comptez-vous financer ces dépenses ? Pourquoi ne pas les inscrire ? Si elles interviennent en gestion, quelles mesures d'économies seront prises en contrepartie ?

Vous me répondrez sans doute que le plan de relance et le PIA prévoiront des crédits à la recherche. Il s'agit d'un fusil à un coup, car la réduction des pesticides va prendre des années. Or on sait que les programmes de recherche s'inscrivent dans la durée.

Pourquoi un tel saupoudrage ? L'État manque d'un instrument visible, global, lisible, rassemblant toutes les initiatives en matière de recherche agricole appliquée pour réduire l'usage des intrants. C'est essentiel si l'on veut mieux en suivre les résultats. C'est essentiel aussi pour le travail parlementaire, afin de mieux communiquer sur les avancées. Envisagez-vous, monsieur le ministre, de réfléchir à une telle organisation ?

M. Vincent Segouin, rapporteur spécial. - Monsieur le ministre, le rapport spécial de la commission des finances a été rendu hier, ce qui est assez gênant. Vous avez dit que c'était aux politiques de mener le budget. Je voudrais reprendre ce que j'ai pu lire dans votre Livre bleu. J'y ai vu que la ferme France était en difficulté, avec des revenus bas, des volumes en baisse, un effectif et une valeur ajoutée qui diminuent.

Je m'attendais, à la lecture du plan de relance, à un audit des causes de ce constat et à ce que vous fléchiez votre investissement pour retrouver, demain, la souveraineté alimentaire et la compétitivité, afin que nos exploitants et nos jeunes agriculteurs puissent vivre de leur métier. Je n'ai rien constaté à ce sujet.

Lors d'une de nos auditions, on nous a parlé de l'argent investi dans les abattoirs - je trouve que c'est plutôt une bonne chose - et dans l'agriculture urbaine. Est-ce le nouveau modèle à suivre parce qu'il est rentable ?

M. Patrice Joly, rapporteur spécial. - Monsieur le ministre, j'aimerais comprendre les raisons pour lesquelles les crédits dédiés aux mesures agroenvironnementales et climatiques ainsi qu'à l'aide à l'agriculture biologique diminuent de manière sensible en termes d'autorisations d'engagement.

En outre, les crédits à l'installation sont aussi en baisse ou peinent en tout cas à être consommés. Vous l'avez dit, on est en face d'un vrai défi démographique, qu'il va falloir véritablement appréhender.

Je ne reviens pas sur ce qui a été dit à propos du CASDAR, mais je voudrais connaître votre avis sur le fait que les crédits du Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) et le deuxième pilier en particulier sont en baisse même si, globalement, les crédits de la PAC semblent stabilisés.

Par ailleurs, sans revenir sur les sujets précédemment évoqués, s'agissant des problématiques forestières et du plan de relance en particulier, il semblerait que les crédits de l'ONF, qui est en difficulté, soient principalement orientés vers les moyens technologiques de cartographie, alors qu'il existe des difficultés d'une autre nature. L'ensemble de la filière amont a en particulier besoin d'être soutenu, voire développée, sachant que l'on consomme à peu près la moitié de l'accroissement de la forêt naturelle chaque année.

Enfin, je voudrais évoquer avec vous les programmes destinés à la maîtrise des risques sanitaires, qui est un véritable enjeu, dont l'augmentation apparaît aujourd'hui relativement sensible. Elle s'élève à environ 30 millions d'euros, c'est-à-dire 5 % d'augmentation par rapport à l'année précédente. Si on enlève l'impact des indemnisations aux éleveurs et la création d'emplois liée au Brexit, il ne reste pas grand-chose pour apporter des réponses au risque sanitaire sur le plan végétal et animal.

M. Julien Denormandie, ministre. - Je voudrais tout d'abord rassurer le sénateur Duplomb s'agissant des aides relatives à la Covid-19. Je suis d'accord avec vous : elles ont mis beaucoup trop de temps à arriver. Depuis mon accession au ministère, nous n'avons cessé d'en accélérer la mise en oeuvre.

La réalité est moins noire que ce que vous avez indiqué, mais elle n'est pas encore satisfaisante même si, au moment où je vous parle, on a a priori mis en place l'ensemble des dispositifs.

Pour certains secteurs, comme la viticulture, les choses ont bien commencé : on a augmenté les aides dès cet été et, sur 250 millions d'euros, on en a déjà engagé 150 millions. Le diable se cache cependant dans les détails : on a mis en place des aides de stockage en plus des aides à la distillation. J'ai dû pour cela me battre à Bruxelles pour obtenir un acte délégué de la Commission européenne. Les délais ne dépendent pas toujours de nous, mais des règles bruxelloises.

S'agissant de la pomme de terre, des aides à la filière aval viendront s'ajouter aux 4 millions d'euros déjà prévus.

Pourquoi ce chiffre, moins élevé que prévu ? Les choses se sont faites en fonction du stockage in fine. La filière a elle-même annoncé des réductions de production.

Le troisième volet porte sur l'horticulture. Des débats homériques ont eu lieu au sein même de la filière sur les seuils nécessaires. Cela a pris dix fois trop de temps, alors que les gens étaient en pleine détresse. Il n'est pas normal qu'aucun euro sur les 25 millions n'ait commencé à être déboursé.

Nous nous sommes mis d'accord après des jours et des jours de discussion, et on vient enfin d'entériner le fléchage de la somme. Probablement faudra-t-il aller plus loin. Quant au cidre et à la bière, c'est chose faite. On a ajouté le canard en tant que produit festif. Je déploie avec mes équipes toute l'énergie nécessaire pour mettre ces mesures de soutien en oeuvre.

S'agissant du financement des deux fois 7 millions d'euros, je ne voudrais pas que vous puissiez avoir le sentiment que je fais des promesses non financées, ou que je ne m'engage pas à les mettre en oeuvre. Les 7 millions d'euros en faveur de la betterave seront financés à hauteur de 5 millions d'euros au titre du plan de relance et de deux millions d'euros au titre du CASDAR.

Quant aux moyens supplémentaires dédiés à la recherche d'alternatives au glyphosate, comme je l'ai dit à l'Assemblée nationale, ils seront financés par redéploiement. Plusieurs pistes sont possibles. La trésorerie du CASDAR n'étant pas aujourd'hui utilisée, on pourrait s'en servir, mais c'est en effet un fusil à un coup. Si ce n'est pas possible, nous le ferons par redéploiement. Ce fait a été pris en compte et sera financé. Il n'y a pas de doute à ce sujet.

Je partage votre interrogation quant au fait de savoir s'il faut à nouveau budgétiser le CASDAR. Il faut connaître la finalité de la mission de l'IGF. Les comptes d'affectation spéciale ne sont plus dans l'air du temps. Je me suis battu pour faire en sorte qu'on maintienne le CASDAR, en arguant du fait que la mission de l'IGF n'avait pas commencé.

Au bout du compte, on ne touche pas à sa rebudgétisation, mais il enregistre une diminution de 10 millions d'euros. J'entends vos propos sur le volet macroéconomique concernant l'alimentation du CASDAR. À la vérité, je pense que nous ne serons pas au sommet cette année. Je peux me tromper, mais c'est mon sentiment.

C'est de toute manière insuffisant pour expliquer la diminution de 10 millions d'euros. Il est trop facile d'invoquer la sincérité budgétaire cette année et, l'année prochaine, de vous dire qu'il s'agit d'une dépense nouvelle. Vous avez donc tout à fait raison de mettre cette diminution en avant.

J'insiste sur le fait que le financement de la recherche ne repose pas uniquement sur le CASDAR. D'ailleurs, il finance aussi les chambres d'agriculture.

Par ailleurs, beaucoup de recherches vont être financées par le truchement du plan de relance. On annonce par exemple, dans les prochains jours, un plan protéines financé à hauteur de 100 millions d'euros pour mettre fin au système absurde de dépendance vis-à-vis des importations de soja d'Amérique du Sud, qui remontent à plusieurs années. Plus de 100 millions d'euros viennent d'être validés. Ceci va être annoncé dans les prochains jours.

Parmi eux figurent 5 millions d'euros pour financer les organismes de recherche, cette somme venant s'ajouter à tout ce que l'on peut faire au titre du CASDAR.

De la même façon, des sommes importantes figurent dans le PIA dont on a renforcé les crédits, et permettent de financer la recherche. Il en va de même dans le cadre de la LPPR. On ne va pas bouder notre plaisir pour une fois qu'une LPPR finance autant la recherche et prend en compte la recherche agronomique. La recherche ne dépend pas uniquement du CASDAR, même si cela envoie un signal politique.

Vous l'aurez compris, il en va de même des TO-DE ou des chambres d'agriculture. Nous sommes dans une période d'immenses incertitudes. La meilleure des politiques possibles est d'essayer de demeurer sur nos fondamentaux et de donner un peu de lisibilité là où on peut le faire.

Quelle est ma vision de l'avenir de l'ONF, notamment à propos de la question des schémas d'emplois ? L'ONF constitue un défi immense. Il y a eu et il y a encore des difficultés, même à l'intérieur de l'Office. On a tous en tête les événements tragiques qui ont pu s'y dérouler. Nous intervenons en soutien et avons changé la gouvernance.

Combien de forestiers se sentent impuissants face à une parcelle de bois frappée par le scolyte, faute de moyens pour la régénérer ? Je me suis battu pour leur en redonner, notamment au titre du plan de relance. Personne n'a jamais investi 200 millions d'euros dans la forêt française.

Cee 150 millions d'euros sur 200 vont financer le reboisement nécessaire, y compris dans la forêt privée. On estime qu'on peut replanter jusqu'à 50 millions d'arbres, ce qui est colossal.

Il faut avant tout savoir ce que l'on peut y replanter. C'est un sujet très compliqué. Je pense qu'il faut partir des usages. Dans 40 ou 50 ans, la forêt française servira aux constructions en bois.

Quels sont les moyens donnés à l'ONF, notamment en termes d'outils de gestion ? 22 millions d'euros sont consacrés au développement de la télédétection par laser LiDAR, qui constitue un outil de gestion cartographique très utile dans le domaine de la météo. Des expériences ont eu lieu dans d'autres pays. Nous avons décidé d'en doter l'ONF.

L'amont et l'aval constituent la clé de voûte sur laquelle la filière forestière n'a jamais su se reposer. Il faut bien appeler un chat un chat. L'aval ne tire pas l'amont, et l'amont estime que c'est à l'aval de s'adapter. L'amont produit telle essence et pense que c'est à l'aval de l'utiliser, mais l'aval ne passe pas d'accord avec l'amont. On a pourtant fait des tentatives en ce sens.

C'est un sujet très compliqué. C'est pourquoi les 200 millions d'euros comprennent un fonds bois numéro 3 bien plus significatif que les deux autres. Le dernier a été créé lorsqu'Emmanuel Macron était ministre de l'économie.

S'agissant du schéma d'emplois, je crois qu'il faut avoir en politique une certaine cohérence. Je ne peux que répéter les propos tenus à l'Assemblée nationale à ce sujet. J'ai pris note, tout comme vous, que l'Assemblée nationale a décidé de revenir sur ce schéma d'emplois. Je demeurerai cohérent avec les propos que j'ai tenus à l'Assemblée nationale.

Enfin, un tiers des travailleurs de l'ONF, voire plus, relèvent du droit privé. Cette question a été abordée dans le cadre d'une ordonnance que vous avez fait voter pour éclairer les modalités de recrutement de l'ONF.

On a fait la même chose pour les chambres d'agriculture. Je me réfère à ce débat qui n'est pas évident, mais je n'oppose pas un statut de droit privé à quelqu'un qui peut remplir une mission de service public. C'est une conception de l'État qui n'est pas la mienne.

S'agissant de la provision pour aléas, on a déjà augmenté de 15 millions d'euros par rapport à l'année précédente. Je pense que cela répond à la sincérité budgétaire. On verra ce qui va se passer.

Le sujet qu'il nous faut traiter réside dans la question assurantielle agricole. On a commencé à travailler sur ce sujet durant huit mois. Je réunis tout ce petit monde courant décembre pour voir où en est. On a d'un côté les calamités agricoles, de l'autre les assurances privées. Parfois, les calamités agricoles assurent mieux que les assurances privées, ce qui veut dire qu'il n'y a pas d'incitation à choisir les assurances privées, sauf dans certains cas. Le système assurantiel, notamment privé, n'est pas suffisamment développé dans le monde agricole.

La réponse ne peut pas être de diminuer la qualité de l'indemnisation de la calamité agricole pour redonner une attractivité au système assurantiel privé, mais de savoir comment redonner de l'intérêt au système assurantiel privé. C'est ainsi qu'on doit traiter le sujet, qui est très compliqué. Comment mutualiser le risque pour faire en sorte que la prime soit faible ? Cela signifie qu'il faut être beaucoup, voire rendre l'adhésion obligatoire. On n'a pas le même son de cloche en fonction des filières et des zones géographiques. C'est ce que l'on va devoir traiter.

S'agissant de l'influenza, chacune de ses apparitions, depuis 2015, a engendré environ 100 millions d'euros de dépenses exceptionnelles. On verra ce qu'il en est en cours d'année. Rien n'a été prévu par rapport au budget initial. Pour l'instant, on essaye de circonscrire le foyer de Haute-Corse. Le problème vient plus des oiseaux migrateurs que de ce foyer. Depuis 2016, nous avons développé beaucoup d'outils de biocontrôle et de biosécurité dans les élevages.

Quant à la PPA, elle est aux portes de l'Allemagne. On a réussi à la contenir lorsqu'elle était en Belgique. Elle est passée de Pologne en Allemagne via le sanglier. En Allemagne, elle se répand par leur biais, mais la vitesse de propagation reste très faible. On peut donc estimer que le fait que la PPA arrive en Alsace est assez peu probable. C'est ce que disent un certain nombre d'experts. J'étudie néanmoins cela avec beaucoup de précautions.

En revanche, n'oublions pas que la PPA est arrivée d'un seul coup en Belgique. La probabilité qu'elle arrive en Alsace par un sanglier allemand n'est pas plus forte que celle qu'elle arrive directement en Bretagne par un camion qui a traversé la Pologne ou l'Allemagne. Nous réalisons là aussi des mesures de biosécurité, etc.

Dans le plan de relance, 130 millions d'euros sont consacrés aux abattoirs, environ 130 millions d'euros aux éleveurs, afin de leur permettre d'investir dans le domaine de la biosécurité et du bien-être de l'éleveur comme de l'élevage.

S'agissant du sésame, je n'ai pas d'informations. Je m'engage à vous les communiquer.

Par ailleurs, concernant le Brexit, on a programmé le recrutement de plus de 300 équivalents temps plein (ETP). Pour dire les choses simplement, on est à peu près au clair pour ce qui touche aux importations du Royaume-Uni vers la France. On avait jusqu'à présent deux centres de traitement phytosanitaire entre Calais, Dunkerque, etc. On en crée cinq supplémentaires. On a déjà recruté près de 200 personnes - vétérinaires, etc.

Là aussi, le diable est dans les détails. J'étais en compagnie de la commissaire à la santé, il y a quelques jours. Environ 500 000 chiens et chats font le trajet chaque année. Il faut donc absolument que la rage ne se propage pas au Royaume-Uni, faute de quoi il faudra tester les 500 000 chiens et chats qui arrivent chaque jour. Je vous laisse imaginer l'organisation que cela suppose.

J'imagine que l'on fera preuve de pragmatisme à ce sujet. On compte par ailleurs 12 000 passages de chevaux par an. Aujourd'hui, il existe un accord trilatéral. Demain, il faudra les contrôler. Vous imaginez la logistique à mettre en place. On est en train de s'organiser.

La grande difficulté vient du fait qu'on ne connaît toujours pas les règles à appliquer vers la Grande-Bretagne, les Britanniques ne les ayant toujours pas déterminées. C'est ce qui est compliqué.

J'ai oublié de parler d'un élément très important en matière de recherche, le plan Écophyto. Le budget prévoit 71 millions d'euros pour ce plan. On vient de signer la feuille de route. Je pourrais vous l'adresser si vous le souhaitez, ainsi qu'à la présidente.

Beaucoup d'entre vous me parlent des fermes du réseau Démonstration, expérimentation et production de références sur les systèmes économes en phytosanitaires (DEPHY). Elles fonctionnent objectivement très bien, et nous leur accordons 13 millions d'euros.

S'agissant de la rentabilité, on l'améliore par le plan de relance. Il faut également tenir compte de la question de la gestion du risque. N'oublions jamais que la meilleure façon de gérer les risques, c'est d'abord d'améliorer la gestion en eau et d'avoir ensuite un système assurantiel. La loi Egalim ne donne pas encore de résultats satisfaisants. Cela fonctionne pour certains secteurs, et non pour d'autres.

Début décembre, nous allons réunir pour la troisième fois avec Agnès Pannier-Runacher le comité de suivi des relations commerciales. La confiance est aujourd'hui établie. L'exigence doit être absolue de notre part, mais on doit y ajouter un troisième volet sur la transparence. Il faut réussir à passer de la guerre des prix à la transparence des marges. L'économie est basée sur un rapport de force et une théorie des jeux. On ne peut peser dans une économie qui n'administre pas les prix mais rend toute entente pénalement répréhensible qu'en instaurant la transparence. Nous sommes convenus de mettre ce sujet sur la table.

J'ai demandé à Serge Papin, qui est devenu une sorte de figure tutélaire, de travailler avec nous sur ce sujet. Il mène une mission jusqu'à la fin du mois d'avril et nous accompagne dans le cadre du triptyque « Confiance, exigence, transparence ».

Par ailleurs, la baisse de la dotation en faveur des Mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) est due au fait que nous avons dépensé en 2020 des sommes très importantes liées à des MAEC exceptionnelles en 2015.

Enfin, concernant le FEADER, nous allons connaître deux années avec des crédits très importants que le plan de relance agricole européen va permettre de financer.

Mme Sophie Primas, présidente. - La parole est aux commissaires.

M. Daniel Laurent. - Monsieur le ministre, la filière viticole a été durement touchée par la crise sanitaire, d'autant qu'elle a dû concomitamment affronter les sanctions américaines, le Brexit et la crise de Hong Kong. L'OMC a autorisé l'Union européenne à appliquer des sanctions tarifaires d'un montant de 4 milliards de dollars, avec les risques que cela comporte.

Je vous rappelle que, depuis la mise en place des sanctions américaines, les exportateurs font face à une perte de plus d'un million d'euros par jour aux États-Unis.

Par ailleurs, la régulation des droits de plantation au-delà de 2030 semble être en bonne voie. Où en sont les discussions avec les institutions européennes ?

Dans la viticulture, les priorités peuvent se résumer au soutien apporté aux entreprises viticoles qui ont maintenu l'emploi pendant la crise, à l'autorisation donnée en 2021 aux exploitations de calculer leurs cotisations sociales sur le résultat de l'année n, à l'ouverture du dispositif d'épargne de précaution aux entreprises agricoles imposées à l'impôt sur les sociétés, à l'utilisation non fiscalisée des sommes antérieurement épargnées ou à l'exonération de l'impôt sur la fortune immobilière (IFI) des biens ruraux loués à long terme. Nous présenterons bien sûr des amendements en ce sens.

Nous avons compris qu'il n'y aurait pas de loi foncière sur le foncier agricole. Cependant, il est indispensable d'accompagner les jeunes agriculteurs qui souhaitent s'installer ou réguler la financiarisation du foncier agricole. La voie réglementaire semble être envisagée.

Dans un référé, la Cour des comptes fait un certain nombre de recommandations visant notamment à permettre aux sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) d'avoir plus de contrôle sur les transferts de parts de société. Quel en est le calendrier ?

Concernant les prix garantis par l'État, envisagez-vous compte tenu des méventes à prévoir, de décaler le remboursement des échéances de deux ou trois ans ?

S'agissant de la distillation de crise, mesure efficace à propos de laquelle nous vous remercions, les négociations demandent des mesures supplémentaires au vu des stocks des récoltes 2019 et de la récolte 2020, qui est très importante.

Pour conclure, le décret fixant la définition des volumes prélevables pour l'irrigation issu de la loi d'accélération et de simplification de l'action publique (ASAP) associera-t-il les ministères de l'agriculture et de la transition écologique ?

M. Jean-Marie Janssens. - Monsieur le ministre, le projet de loi de finances présenté en conseil des ministres le 28 septembre consacre un budget 2021 stable pour notre agriculture.

C'est une nouvelle rassurante pour un secteur essentiel de notre économie et pour l'avenir de nos agriculteurs. Ceci est d'autant plus important dans un contexte de crise sanitaire et économique historique. Ces mois de confinement ont souligné à quel point l'agriculture de proximité et la qualité de nos productions nationales étaient importantes pour nos concitoyens : manger bien et manger local est une réelle priorité pour les Français et pour notre économie.

L'avenir de notre agriculture réside dans l'équilibre entre qualité et proximité. À ce titre, le budget de l'État consacré à l'agriculture française n'aura de sens et d'efficacité que s'il s'appuie sur une politique agricole commune bien conçue et bien articulée avec notre ambition nationale.

La participation de l'Union européenne pour mener à bien l'évolution de notre modèle agricole est déterminante face au blocage inquiétant de la Pologne et de la Hongrie, sur le plan de relance européen. Étant donné les tensions réelles qui existent sur un compromis sur la PAC 2021-2027, nous pouvons nourrir quelques inquiétudes légitimes sur le soutien de l'Union européenne à nos agriculteurs.

Le volontarisme français ne doit pas se heurter à une forme de blocage européen. Pouvez-vous nous préciser le rôle et la place que la France entend jouer dans la mise en place de la place de la PAC 2021-2027, notamment pour assurer plus d'aides directes envers nos agriculteurs, sécuriser leurs revenus et valoriser une agriculture soucieuse de préserver l'environnement ?

Mme Patricia Schillinger. - Monsieur le ministre, les 19et 20 octobre, le conseil des ministres de l'agriculture est parvenu à un accord sur une PAC ambitieuse d'un point de vue environnemental pour la période 2023-2027. Nous saluons cet accord, dans lequel vous vous êtes fortement investi, monsieur le ministre. Il permettra que 20 % à 30 % des paiements directs soient conditionnés aux normes environnementales.

Il faut que, dans tous les États membres, les agriculteurs puissent répondre des mêmes règles et adoptent une culture de la terre respectueuse de son environnement, dont la France peut être fière.

Cet accord est dans la continuité des mesures agroécologiques présentées dans le plan de relance, comme la mesure de la conversion pour l'agroéquipement des exploitations agricoles. La création du crédit d'impôt de haute valeur environnementale (HVE) constitue une aide financière que nous ne pouvons que saluer pour renforcer l'accompagnement agroécologique de nos exploitants.

L'agroécologie représente une véritable priorité agricole en cette période de crise et de changements afin de concrétiser nos engagements en matière de transition écologique et de garantir une alimentation saine, sûre, durable, locale et de qualité.

Les obstacles qui ont été franchis sont importants, mais il reste encore à finaliser notre programmation stratégique nationale et à gérer la période de transition. Ainsi, monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire quelle sera votre méthode dans les prochains mois pour mener ce chantier si important pour nos territoires, nos concitoyens et, bien évidemment, nos agriculteurs ?

M. Rémi Cardon. - Monsieur le ministre, vous avez voulu verdir votre budget pour 2021, mais quels sont les moyens mis en place pour accompagner la conversion des agriculteurs en agriculture biologique ? Un chiffre marque les esprits, notamment dans le département de la Somme : en 2018, seules 167 fermes se sont converties à l'agriculture biologique, soit 1,18 % de la surface agricole utilisable.

Cela traduit le manque d'ambition de l'accompagnement des agriculteurs à se convertir, car il y a parfois de la bonne volonté chez eux. Je vous invite à me répondre concrètement.

M. Jean-Pierre Moga. - Monsieur le ministre, Daniel Laurent a fait tout à l'heure allusion aux droits de douane de 25 % sur les vins français imposés par l'administration Trump et ses effets très négatifs - 400 millions d'euros de pertes par an.

La filière viticole espère que l'élection de Joe Biden à la présidence des États-Unis permettra à la France et aux États-Unis de résoudre les différends commerciaux exacerbés sous la présidence de Donald Trump et affectant lourdement les exportations françaises.

Elle fonde l'espoir que, parmi les premiers sujets abordés, la question des droits de douane pourra être revue et permettra à la taxation des vins hexagonaux de rester dans la norme. Que comptez-vous faire, monsieur le ministre, pour parvenir à un accord très rapidement avec la nouvelle administration américaine, mettant ainsi fin aux taxes sur nos vins outre-Atlantique et instaurant un climat beaucoup plus apaisé ? Je pense que vous en êtes capable.

Par ailleurs, dans quelle mesure allez-vous vous mobiliser pour ne pas accroître le risque et les difficultés qui pèsent sur les exportateurs français de vins et de spiritueux et, par-delà, sur notre balance commerciale ?

M. Pierre Cuypers. - Monsieur le ministre, vous êtes battu et nous avons tous ensemble sauvé la filière betteravière grâce à un projet de loi sur lequel le Conseil constitutionnel n'a certes pas encore statué.

Ce plan ne réussira que si l'on peut prendre des mesures dans le cadre de la loi de finances pour sauver totalement cette filière, grâce aux indemnités qui devraient être versées pour compenser les pertes de l'année 2020. Comment envisagez-vous les choses ?

Par ailleurs, le Gouvernement a prévu la révision des contrats d'achat de certaines installations photovoltaïques. J'ai déjà eu l'occasion de contester ici auprès de votre collègue ministre de l'environnement tant la méthode que le fond de cette évolution très préoccupante, pénalisante et contre-productive.

Certes, sur la méthode, son introduction par voie d'amendement parlementaire ne permet pas de mesurer pleinement ses effets juridiques ou financiers ni de mener à bien l'ensemble des consultations nécessaires.

Cependant, sur le fond, son caractère rétroactif soulève une lourde interrogation constitutionnelle et remet en cause la parole de l'État, ainsi que les hypothèses sur lesquelles les porteurs de projets se sont fondés et se sont bien souvent lourdement endettés.

Je souhaiterais connaître l'impact de cette évolution sur le secteur agricole, car beaucoup d'agriculteurs ont investi dans des installations photovoltaïques sur leur exploitation. Le seuil de 250 kilowatts prévu pour l'application du dispositif les préserve-t-il ?

M. Franck Montaugé. - Monsieur le ministre, je suis de ceux qui pensent - et nous sommes quelques-uns dans cette salle - que l'agroécologie reste une grande politique et pas seulement un moyen, même si cela peut être considéré comme tel.

À cet égard, la loi d'avenir de 2014 a fait évoluer profondément l'agriculture. Depuis, chaque Gouvernement qui se succède ne cesse d'approfondir le sillon.

Vous avez évoqué les défis majeurs et parlé de démographie agricole ainsi que de gestion de l'eau. Je partage tout à fait votre avis, étant issu d'un territoire, le Gers, en difficulté à certains égards sur le plan agricole.

Je vous confirme que ces sujets sont primordiaux pour beaucoup de territoires de notre pays, et je voudrais vous interroger sur la façon dont vous allez utiliser certains des crédits de votre ministère en 2021 par rapport à la question de la future PAC.

La question de la démographie médicale pose la question de la manière dont on va faire évoluer la PAC, notamment à propos des aires surfaciques. Que pensez-vous de la possibilité de faire évoluer ces aides en tenant compte des rendements qui sont, pour des filières communes, souvent très différents d'un endroit à l'autre du fait de la qualité agronomique des sols ?

Je pense que ce sujet va dans l'absolu au-delà du plafonnement des primes et du plafond des surfaces. C'est un sujet important.

Je suis un fervent promoteur de la reconnaissance des externalités positives de l'agriculture. Le moment est peut-être venu d'envisager de financer des paiements ou des prestations pour services environnementaux rendus par l'agriculture et la société française dans son ensemble. J'ajoute qu'il serait bon qu'une partie des paiements pour services environnementaux (PSE) soient financés en dehors de la PAC.

Enfin, le foncier est aussi un enjeu fondamental par rapport à la question du devenir de la démographie agricole. Il est urgent de s'attaquer à ces sujets. Quand allez-vous le faire ?

M. Daniel Gremillet. - Monsieur le ministre, ce budget 2021 est intéressant, mais il pose question.

Vous avez parlé à plusieurs reprises de souveraineté alimentaire, mais à aucun moment de souveraineté exportatrice. L'agriculture française a-t-elle encore une fonction exportatrice, un rôle au niveau européen et mondial ?

Ce budget comporte-t-il des moyens de contrôle pour respecter les normes alimentaires qui sont exigées de la part des agriculteurs à travers les importations ? Cela fait partie notamment des textes qui ont été votés au Sénat.

Par ailleurs, la recherche génomique a été lancée par une opération conjointe des paysans, financée par les paysans, une partie du CASDAR et le ministère de la recherche. C'est ainsi qu'on a avancé sur la connaissance du génome, tant humain qu'animal.

L'agriculture est à un tournant de son histoire. On ne peut régler cette question dans le cadre d'une audition, mais c'est un vrai sujet.

Enfin, je ne suis pas d'accord avec vous s'agissant de la forêt. Certes, 200 millions sont sur la table, mais on est loin derrière les Allemands. D'autre part, la forêt a besoin des femmes et des hommes qui sont le territoire, et il nous faut aujourd'hui mener une politique sanitaire à ce niveau. Or nous assistons à un véritable gâchis de la ressource, alors qu'elle peut apporter une réponse sociétale en matière de captation des gaz à effet de serre.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Monsieur le ministre, quelles initiatives avez-vous prises pour permettre à nos éleveurs d'assurer l'abreuvement de leur bétail d'ici quelques mois ?

Pourrait-on les autoriser à installer des seuils dans les prairies, sur les petits cours d'eau, ce qui permettrait également d'irriguer les prairies pour permettre éventuellement deux passes de coupe ? Il s'agit de demandes qui viennent du terrain. C'est un sujet très pratique.

S'agissant de l'enjeu démographique, comment comptez-vous soutenir les reprises d'exploitation ? Aujourd'hui, c'est un drame. L'accompagnement n'est absolument pas à la hauteur des défis. Un jeune qui veut s'engager bénéficie d'une aide de 5 000 euros à 30 000 euros, alors que les exploitations valent 600 000 euros, 700 000 euros ou 800 000 euros. Autant dire que ce n'est pas jouable.

Par ailleurs, vous avez parlé de l'enjeu de la transformation des circuits courts. Aujourd'hui, l'autorisation d'exercer des ateliers de transformation des volailles et des palmipèdes que l'on trouve sur certaines exploitations arrive à échéance le 30 décembre. Comment pensez-vous pérenniser ces ateliers, ô combien nécessaires sur nos territoires ?

Enfin, il semblerait que des menaces planent sur l'observatoire des prix sur les marchés de bétail à vif. La profession ne pourrait plus disposer des cotations qui assurent l'impartialité, la qualité et la transparence du secteur. Comment pensez-vous agir pour préserver cet observatoire ?

M. Patrick Chauvet. - Monsieur le ministre, je partage pour partie vos propos et tous ceux de mes collègues concernant les crédits affectés, qui sont totalement justifiés. Vous l'avez dit au départ, ce n'est pas le budget qui fait la politique, c'est la politique qui doit trouver son budget.

Vous n'avez pas évoqué les modalités d'accès aux crédits affectés. Il y a un énorme travail de simplification à réaliser dans ce domaine. En 1970, les Shadocks avaient découvert une maladie grave, la « compliquite ». On ne s'en est jamais sorti ! La simplification serait pourtant efficiente pour vos services, les ministères, les agriculteurs. On en parle toujours, et on ne la réalise jamais. Je suis persuadé que c'est un bel exercice intellectuel que d'essayer de s'y essayer.

Mme la présidente a pris l'exemple de la herse. On a toutes et tous des anecdotes sur le terrain. J'ai été vice-président en charge de la ruralité et de l'agriculture de mon département. La première chose qu'on me demandait lorsque je me rendais dans une exploitation, c'était de simplifier l'accès à tous les dispositifs.

J'aimerais, monsieur le ministre, que vous développiez un peu plus l'idée de catalogue, en espérant qu'il ne s'agisse pas d'une nouvelle forme de complexification. Certes, la complexification a sans doute servi à réduire les budgets - j'en suis persuadé - mais certains jeunes agriculteurs ont été obligés de rembourser des crédits qu'ils avaient souscrits. Ce sont des choses inacceptables, dont on ne veut plus entendre parler sur le terrain.

Enfin, l'agriculture a besoin de perspectives. C'est actuellement très difficile, mais cela a été évoqué tout à l'heure avec le photovoltaïque. Je voudrais vous parler des énergies renouvelables, et notamment de méthanisation. On a, au travers de la microméthanisation, un levier extraordinaire d'aménagement du territoire, de pérennisation des élevages, si l'on veut bien considérer que l'effluent d'élevage est un minerai pour fabriquer de l'énergie. Si on l'utilise, on sert l'humain, l'économie et l'environnement.

M. Joël Labbé. - Monsieur le ministre, j'ai entendu votre belle formule selon laquelle c'est la politique qui doit guider le budget et non l'inverse. Je vous ai également entendu, chiffres à l'appui, parler d'un investissement massif dans la recherche.

Je voudrais évoquer ici le parent pauvre de la recherche, l'Institut technique de l'agriculture biologique (ITAB). C'est une structure historique de recherche et d'expérimentation unique dans le paysage de l'innovation agricole et agro-alimentaire.

Nous sommes dans un changement d'échelle, avec des engagements européens à 25 % de bio en 2030, un plan Ambition bio à hauteur de 15 % en 2022, la nécessité, par la loi, de parvenir à 20 % de bio dans la restauration collective pour 2022. Or on constate que 30 % des produits alimentaires bio consommés en France sont importés. C'est dire s'il y a une attente sociétale très forte.

Des travaux sont menés par 'l'Inrae. J'ai suivi en partie le colloque d'aujourd'hui sur le programme Métabio, qui est très intéressant.

La dotation CASDAR a été maintenue au niveau de celle de 2013 pour l'Institut de l'agriculture biologique, soit 1 million d'euros, ce qui représente seulement 2 % des dotations CASDAR pour les instituts techniques agricoles. Alors que les agriculteurs bio financent à hauteur de 10 % les contributions volontaires obligatoires (CVO), on ne constate aucune éligibilité de l'ITAB aux CVO.

Monsieur le ministre, il y a là une très forte asymétrie budgétaire. Quelles mesures comptez-vous prendre dans ce contexte de changement d'échelle de l'agriculture biologique ?

M. Christian Redon-Sarrazy. - Monsieur le ministre, un certain nombre de surfaces destinées à l'élevage sont actuellement acquises par des investisseurs, qui les stockent en vue d'une future utilisation pour produire de l'énergie verte, photovoltaïque pour l'essentiel.

Quels outils comptez-vous mobiliser ou renforcer afin que ces terres conservent leur vocation initiale et permettent l'installation de jeunes agriculteurs ? Il existe bien un problème de renouvellement générationnel, mais la première des conditions pour l'installation, c'est de disposer du foncier.

Les SAFER peuvent remplir partiellement ce rôle, mais insuffisamment pour l'instant, puisqu'on retrouve cette démarche dans plusieurs départements. C'est relativement inquiétant, notamment quand on connaît le niveau requis pour l'installation de jeunes agriculteurs, en particulier dans les zones d'élevage.

M. Henri Cabanel. - Monsieur le ministre, j'aimerais insister sur le métier d'agriculteur. Vous souhaitez revaloriser le métier et je m'en réjouis, mais le constat est alarmant : l'âge moyen des agriculteurs est élevé et, comme vous l'avez dit, les enfants ne reprennent plus systématiquement la suite. Les parents ne veulent pas qu'ils subissent la frustration de ce métier toute une vie, et finissent, comme beaucoup d'agriculteurs - environ 450 par an - par se suicider. C'est un sujet sur lequel ma collègue Françoise Férat et moi travaillons.

Je voudrais aussi évoquer le manque de main-d'oeuvre que traverse l'agriculture. La main-d'oeuvre est souvent étrangère et ma question est simple : quelles actions concrètes allez-vous mettre en oeuvre pour revaloriser ce magnifique métier d'agriculteur ?

M. Jean-Jacques Michau. - Monsieur le ministre, un mot concernant les associations foncières pastorales, qui mettent à disposition des terrains, les aménagent et les donnent à des éleveurs dans des groupements pastoraux.

Depuis 2015, les propriétaires bénéficient d'exonérations de foncier sur le foncier non bâti. Ces exonérations s'arrêteraient cette année. Pourriez-vous les maintenir ? Il s'agit d'une aide importante, et les bénéfices qu'en retirent les propriétaires sont extrêmement faibles.

M. Olivier Rietmann. - Monsieur le ministre, j'ai bien noté que vous avez décidé d'intégrer dans votre projet de loi de finances 160 millions d'euros pour la rénovation des abattoirs, et notamment pour l'amélioration du bien-être de l'éleveur et des animaux dans les exploitations agricoles.

Avec cette décision, vous avez manifesté beaucoup de bonne volonté, mais vous vous trompez de diagnostic : si les abattoirs n'ont pas eu les moyens ces dernières années de réinvestir afin d'améliorer le bien-être animal, notamment le système de contention et de robotisation des abattages et du conditionnement de la viande, si les exploitants agricoles n'ont pas eu les moyens d'améliorer leur bien-être et le bien-être animal par des systèmes de logement et de contention plus modernes, c'est à cause d'un problème de rentabilité de la filière de production de viande, bovine ou porcine.

Je pense qu'il vaudrait mieux consacrer ces 260 millions et un certain nombre d'autres à l'amélioration et la rentabilisation des exploitations agricoles productrices de viande bovine et porcine. Cela aurait également pour effet d'inciter davantage de jeunes agriculteurs à s'installer dans ces filières, qui souffrent cruellement.

J'ai travaillé dix ans dans la gestion de patrimoine. J'étais ingénieur d'affaires, et j'ai quitté ce secteur pour devenir paysan il y a quinze ans, par passion. Ce sont des choses que l'on verra de moins en moins, parce que la production de viande n'est plus rentable. Il vaudrait donc mieux consacrer cet argent à la rentabilité de la filière plutôt qu'à soigner des maux.

Mme Marie-Christine Chauvin. - Monsieur le ministre, les éleveurs qui produisent des broutards sont en grande difficulté, car les prix ne cessent de chuter. Avez-vous prévu un plan d'urgence les concernant ?

Mme Sophie Primas, présidente. - Monsieur le ministre, vous avez la parole.

M. Julien Denormandie, ministre. - Tout d'abord, s'agissant des discussions avec les États-Unis, il ne faut faire preuve d'aucune naïveté. On connaît le poids de l'administration américaine sur tous ces sujets, même si l'élection de Joe Biden va très certainement apaiser le climat.

Il s'agit de mettre en oeuvre les 4 milliards de dollars de mesures de rétorsion permises par l'OMC, ce sur quoi la France a beaucoup travaillé et que l'Union européenne a adopté il y a quelques jours. Il est très important de montrer 'que nous sommes prêts à entrer dans un rapport de force pour obtenir la désescalade et revenir à un système beaucoup plus apaisé.

La deuxième question, que vous êtes plusieurs à avoir posée, porte sur le foncier agricole. On pourrait en parler durant des heures. Je crois qu'il nous faut mener une grande réforme du foncier agricole. Cela va prendre cinq à dix ans. Ceci recouvre les sujets des baux ruraux, du fermage, du statut de l'agriculteur, des SAFER, de leur gouvernance, du portage foncier.

Nous avons en France les terres agricoles probablement les moins chères parmi nos compétiteurs européens, mais nous ne les valorisons pas. Nous avons là pour une fois un avantage comparatif indéniable, ce qui amène même parfois certains, comme nos amis belges, à se les approprier dans le nord du pays, car il s'agit de terres particulièrement compétitives.

Je ne suis pas sûr, compte tenu des modifications législatives dues à la situation sanitaire, qu'on dispose d'une fenêtre pour que le Gouvernement dépose une grande loi de réforme foncière d'ici la fin du quinquennat. Cela ne signifie pas qu'il ne faut pas avancer, ou que les parlementaires ne peuvent pas le faire de leur côté.

Que peut-on faire rapidement ? J'entends les critiques visant les SAFER. Pour autant, vous en connaissez la gouvernance, et chacun doit assumer ses responsabilités.

Il existe un point sur lequel on peut avancer sans passer par la loi. Certains d'entre vous l'ont dit, le jeune agriculteur qui s'installe, s'il n'hérite pas de terres, doit souscrire des prêts à hauteur de 200 000 euros, 300 000 euros, 400 000 euros, 600 000 euros.

Face à cela, il faut avancer avec des systèmes de portage foncier. Des expériences ont été menées dans certaines régions. On travaille aujourd'hui beaucoup avec la banque des territoires pour voir comment réaliser ce portage foncier, qui est extrêmement pertinent.

Je pense que la nouvelle génération d'agriculteurs est prête, ce qui n'était pas concevable pour leurs parents. La première des grandes réformes foncières à mener, c'est celle des retraites de nos agriculteurs, afin de définitivement clore le sujet. Tant qu'on n'arrivera pas à boucler ce dossier, on ne changera jamais l'approche que l'on peut avoir du foncier. C'est ce que nous sommes en train de faire, puisqu'on doit mettre en place la retraite minimale à 85 % du SMIC avant début 2022, y compris pour le stock. C'est très important.

Concernant le PGE, les choses sont déjà faites. Cette possibilité existe hors du monde agricole. On est passé d'une à deux années. Il s'agit de mesures transversales, mais il faut que l'on s'adapte.

Je me félicite par ailleurs du décret issu de la loi ASAP sur la gestion de l'eau et la répartition, et je vous en remercie. Cela a été un beau sujet parlementaire. On a là un cadre défini, et c'est très bien.

Ce décret vient de partir à la concertation. Ce qui est sûr, c'est que le ministère de la transition écologique et le ministère de l'agriculture, comme toujours pour ce type de documents réglementaires, seront associés à la concertation. C'est un sujet très important. Il nous faut maintenant nous assurer que le décret en tant que tel est pertinent.

Monsieur Janssens, le sujet est assez simple s'agissant de la question du rôle et de la place de la France dans la PAC 2021-2027. À mon arrivée, il existait des lignes rouges. Il s'agissait en premier lieu d'avoir une PAC plus verte et d'accompagner la transition agroécologique, mais surtout de faire en sorte que la convergence au sein du marché commun soit une priorité absolue. On ne peut demander aux uns de changer de pratiques si les autres ne changent pas aussi. Cela va prendre un certain temps.

Je suis sûr que les prochains ministres de l'agriculture continueront à travailler sur ce sujet, mais on a franchi une étape très importante. Cela aurait été un immense échec si l'on n'y était pas parvenu. On s'est beaucoup battu lors du conseil des ministres du 21 octobre pour obtenir que le fameux principe qui conditionne 20 % à 30 % des paiements du premier pilier à des mesures environnementales soit obligatoire pour tous les États membres. Auparavant, chacun y allait avec ses desiderata. C'est une grande avancée.

Cependant, tous les pays vont établir des plans stratégiques nationaux. Il va falloir rester très vigilant en matière de convergence, mais on a obtenu l'avancée nécessaire il y a tout juste un mois, après des mois de discussions et des jours et des nuits d'intenses tractations.

Madame Schillinger, à mes yeux, la souveraineté agroalimentaire passe par la souveraineté française et, bien sûr, européenne. Un sujet est particulièrement important, celui de la souveraineté protéique.

Les aides couplées pour certains types d'élevages ne sont aujourd'hui possibles que pour des secteurs en difficulté ou des actions que l'on veut maintenir sur un certain nombre de territoires. Ce n'est pas possible quand il s'agit de soutenir une filière ou accroître sa production. Ce n'est pas logique. Si nous ne voulons plus être dépendants du tourteau de soja brésilien ou en provenance d'Amérique du Sud, il nous faut accroître nos surfaces. J'ai obtenu il y a tout juste un mois l'autorisation d'utiliser les aides couplées notamment pour la filière protéique.

Monsieur le sénateur Cardon, il faut considérer deux éléments s'agissant la conversion agribio, et en premier lieu tout ce que l'on fait au titre des schémas habituels, qui ne cessent d'augmenter. Les financements européens et nationaux sont passés, de 2016 à 2020, d'environ 250 millions d'euros à 500 millions d'euros au titre du bio.

Au-delà, on a augmenté de 50 % le fonds Avenir Bio, prorogé le crédit d'impôt bio et mis en place les structurations de filières, notamment de filières bio, à hauteur de 60 millions d'euros. On doit être aujourd'hui à 8,5 % de surfaces agricoles utiles en bio, ce qui n'est évidemment pas assez par rapport à l'objectif de 15 % d'ici 2022. Il nous faut donc accélérer.

En revanche, j'ai fait le choix, que j'assume, de ne pas mettre tous nos oeufs dans le même panier. Au moment où je consentais une augmentation de 50 % au fonds Avenir Bio, j'ai décidé de créer le crédit d'impôt HVE et de le doter de 70 millions d'euros. J'aurais pu choisir de tout mettre sur le bio, mais j'ai fait le choix du bio, du HVE et du conventionnel, c'est-à-dire de pousser tous les feux.

C'est un choix politique qui m'incombe, mais je pense qu'il est très important de développer également le HVE, même s'il faut aller à fond sur le bio. Enfin, le crédit d'impôt bio est également prolongé.

Monsieur Moga, j'ai répondu concernant la taxe américaine.

Monsieur Cuypers, il faut d'abord évaluer toutes les pertes avant de lancer l'indemnisation au titre du principe de minimi.

Par ailleurs, j'entends les craintes concernant le photovoltaïque. À la suite du débat à l'Assemblée nationale sur la proposition du Gouvernement, la révision des tarifs ne concerne que les installations supérieures à 250 mégawatts. On parle de dix à quatre-vingts unités agricoles. J'entends qu'il y a des interrogations sur cette évaluation et que cela pourrait être beaucoup plus. Le rôle du Gouvernement, avant la séance au cours de laquelle vous allez étudier la chose, est de vous apporter la réponse précise. Nous y travaillons.

Monsieur Montaugé, la question des aides surfaciques et non surfaciques est un débat très compliqué. Nous l'avons eu au moment de l'examen du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation du droit national au droit de l'Union européenne (DDADUE). Le Sénat, en séance, n'a pas voté en faveur de la proposition du Gouvernement.

Entre le débat dans l'hémicycle et la CMP, nous avons beaucoup travaillé avec les régions et sommes convenus d'un accord avec elles sur ce point. Nous avons, selon une méthode qui m'importe, établi avec le président Muselier et les autres présidents de région le meilleur des schémas.

Pour les aides surfaciques, l'autorité de gestion décisionnaire est l'État. Pour les aides non surfaciques, ce sont les régions qui représentent l'autorité de gestion et le décisionnaire. Il faut ensuite que chacun veille à ce qu'il existe une forme de convergence entre les différentes régions. J'ai souvent rencontré de jeunes agriculteurs frontaliers qui déploraient le fait que certains s'expatriaient dans des endroits où l'aide à l'installation était meilleure. Cette convergence est donc dans l'intérêt de tous.

On a un peu de temps pour régler tout cela, ces nouvelles répartitions n'entrant en vigueur qu'en 2023. On s'est mis d'accord avec les régions sur le principal. C'était très important. Comme pour les aides surfaciques, l'autorité de gestion est l'État, mais cela se décide avec les territoires et les régions. Il faut donc maintenir tous les comités de région et continuer à échanger.

Monsieur Gremillet, je suis un grand défenseur de l'exportation. J'en ai beaucoup parlé hier dans l'hémicycle du Sénat. Je pense qu'il faut à la fois avoir une agriculture de proximité, et une agriculture d'exportation. Les deux sont nécessaires.

Cela nécessite des mesures d'aide à l'exportation. Songez que 30 à 40 % de l'activité de Business France est tournée vers l'agroalimentaire. On a créé un plan de relance export. Dans ce cadre, j'ai « doublé la mise » pour que ce soit deux fois plus intéressant de l'utiliser dans le domaine agricole.

Je ne reviens pas sur les moyens de contrôle. J'ai évoqué le Brexit tout à l'heure.

Madame Loisier, vous avez raison : la mère des batailles reste l'eau. On ne peut faire d'agriculture sans eau. La tension sur l'usage de l'eau est vieille comme le monde. Il existe des guerres de l'eau depuis que l'homme est sédentaire. Cela crispe souvent tout le monde au début puis, une fois que la réserve est montée, plus personne n'en parle, ce qui montre bien que les gens réussissent à s'adapter.

Il faut donc simplifier les choses, comme le fait décret sur la répartition des débits, et se concerter.

S'agissant des retenues individuelles, une ligne de 100 millions d'euros est prévue pour l'aide aux aléas climatiques. Les bassines de collecte d'eau pour les éleveurs, qui coûtent quelques milliers ou quelques dizaines de milliers d'euros, peuvent être éligibles au titre de cette ligne. Il faut les rajouter si elles ne le sont pas.

J'ai déjà répondu concernant le sujet de la démographie. Il nous faut créer des systèmes de portage de foncier. Avec Mme la présidente et Mme Estrosi Sassone, nous avions travaillé sur ces sujets, notamment dans le domaine du logement. Il faut donc avancer sur ce point.

Pour ce qui est de l'observatoire des prix que vous mentionnez, on a finalement maintenu tous les budgets en 2020. Il faut continuer à en parler. Je n'entre pas dans le détail, mais on dispose d'un peu de temps.

Monsieur Chauvet, un point est extrêmement important dans le domaine des aides à l'installation, vous l'avez dit. L'un des problèmes fondamentaux de la PAC est qu'on ne peut jamais bénéficier de seconde chance si, pour une raison ou une autre, on s'est trompé dans sa demande de paiement.

On a changé les choses concernant les aides aux jeunes agriculteurs après 2015, mais on est encore en train de traiter les reliquats de 2011 à 2015. J'ai souhaité, dès mon arrivée, instaurer la notion de droit à l'erreur dans la PAC. J'ai donc poussé un amendement au Parlement, avec les délégations européennes. J'ai obtenu une déclaration du Conseil sur le sujet. J'espère que le trilogue va valider cette notion. Si l'on y arrive, on aura réussi à obtenir quelque chose de fondamental.

Monsieur Labbé, concernant l'ITAB, les réunions ont lieu en ce moment, notamment au sujet de la répartition du CASDAR. Ceci prouve qu'on y travaille. Je vous propose d'en reparler en parallèle, n'ayant pas suffisamment de détails à ce sujet.

Monsieur Cabanel, j'ai répondu tout à l'heure à votre question sur les métiers.

Monsieur Michaud, nous allons déposer un amendement pour reconduire cette année le dispositif relatif à l'association foncière pastorale.

Monsieur Rietmann, vous avez raison : il s'agit d'une question de rentabilité, mais c'est pour moi typiquement une injonction contradictoire. En France, on adore les animaux, beaucoup apprécient la viande, mais on n'aime pas ce qui se passe entre les deux. On fait donc une sorte de transfert de culpabilité en direction des personnes qui travaillent dans les abattoirs.

Qui est déjà allé dans un abattoir ? Qui accepterait d'aller y travailler ? Je veux rendre hommage à celles et ceux qui y sont employés, qui font un métier extrêmement difficile et subissent ces injonctions, alors qu'on n'accepte pas de payer la viande plus cher pour couvrir les investissements.

C'est cette injonction contradictoire qu'il nous faut combattre, mais il faut bien que j'agisse le temps que cela se fasse, car les abattoirs de proximité ne cessent de fermer. Il nous faut arriver à avancer sur ce sujet. C'est pourquoi ces établissements sont éligibles au plan de relance, le temps que le sujet évolue.

J'ai parlé hier encore de la question des établissements de transformation lors de la réunion du conseil des ministres européens, en expliquant qu'on en avait absolument besoin en France.

Enfin, j'ai bien le sujet des broutards en tête. J'étais dans votre territoire il y a peu. Nous nous sommes mis d'accord sur un modus operandi afin de renouer le dialogue entre tous les acteurs. Une feuille de route commune a été arrêtée, qu'on m'a remise vendredi dernier. Je vais l'étudier.

Ces pistes sont très importantes sur le moyen terme, mais il existe également un sujet de très court terme. Il s'agit malheureusement d'opérations de marché. La question est de savoir si les Italiens acceptent de payer plus. Ce n'est pas si facile. Nous sommes aujourd'hui dépendants du marché italien, alors même que les Italiens sont dépendants de nous. C'est un système dans lequel on devrait pouvoir nous-mêmes fixer globalement les prix, alors que c'est l'inverse. Il y a là quelque chose qui ne tourne pas rond. Nous y travaillons.

Monsieur Redon-Sarrazy, votre question portait sur la transmission des terres. Même si on ne fait pas de loi foncière tout de suite, il nous est possible de commencer, notamment sur la question du portage du foncier. C'est un sujet très compliqué.

Je souhaite avancer sur tous ces sujets. Ce n'est pas faute de travailler, mais il faut aussi savoir quels sujets traiter en priorité. Mesures de soutien, plan de relance, PAC, assurances, eau, énergie, forêt, biocontrôle, biosécurité, foncier, transmission, etc. : on a beaucoup de sujets face à nous. Il faut voir comment les traiter les uns après les autres. J'aurais également pu citer le Brexit, le plan protéines, etc.

Mme Sophie Primas, présidente. - Merci beaucoup, monsieur le ministre. Nous savons que vous avez une grosse capacité de travail. Dominique Estrosi Sassone et moi-même l'avons constaté au moment de la loi Elan.

Nous avions encore beaucoup de questions à vous poser, mais nous nous retrouverons dans l'hémicycle à l'occasion de l'examen de cette mission.

La réunion est close à 18 h 35.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.