Jeudi 26 novembre 2020

- Présidence de Mme Annick Billon, présidente -

Audition de M. Adrien Taquet, secrétaire d'État chargé de l'enfance et des familles

Mme Annick Billon, présidente. - Monsieur le secrétaire d'État, c'est avec beaucoup de plaisir que nous vous retrouvons aujourd'hui : nous gardons en effet un excellent souvenir de votre audition par la délégation, dans sa formation précédente, le 16 avril dernier, pendant le premier confinement. Vous nous aviez alors consacré beaucoup de temps et aviez répondu avec précision à toutes nos questions relatives aux risques accrus de violences liés, pour les enfants et les adolescents, au confinement. Vous nous aviez fait part d'une forte augmentation des signalements de violences intrafamiliales et aviez alors exhorté chaque Français à être « la vigie de la sécurité de nos enfants ».

Le contexte actuel est sensiblement différent puisque le reconfinement autorise l'ouverture des écoles et le maintien de certaines activités professionnelles, ce qui atténue le risque de décrochage scolaire pour les enfants et d'isolement pour les victimes de violences au sein de leur foyer.

Quel bilan faites-vous des violences sur les enfants et les adolescents pendant le premier confinement, ainsi que des mesures de signalement et d'accompagnement que le Gouvernement avait alors rapidement mises en place, et que nous avons souhaité voir pérennisées ?

S'agissant de l'actualité de votre ministère, nous aimerions évoquer avec vous plusieurs sujets.

Le 28 septembre dernier, vous avez annoncé des mesures portant sur les « 1 000 premiers jours de l'enfant », traduisant les travaux de la commission éponyme menés sous l'égide du neuropsychiatre Boris Cyrulnik. Elles concernent notamment l'accompagnement des jeunes parents par la généralisation de l'entretien prénatal précoce, le renforcement du rôle des maternités et la prévention de la dépression post-natale. L'allongement du congé paternité s'inscrit également dans ces différentes mesures. Quel est le calendrier de mise en oeuvre de ces mesures, ainsi que le budget qui leur sera consacré dans les années à venir ?

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 vient de doubler la durée du congé paternité, le portant de quatorze à vingt-huit jours, dont sept jours obligatoires : quelle en sera la montée en charge dans les années à venir ? Quid de la refonte de l'ensemble des congés parentaux, que vous appelez de vos voeux ?

Vous avez installé, fin septembre, un groupe de travail sur la lutte contre la prostitution des mineurs, présidé par la Procureure générale de la cour d'appel de Paris. Notre délégation est très attentive à ce sujet depuis de nombreuses années : quel en est le calendrier ? Quels en sont les principaux axes de travail ? Une attention particulière sera-t-elle portée à la question de la prostitution sur Internet qui constitue aujourd'hui un enjeu majeur ? Un renforcement de l'arsenal pénal législatif est-il envisagé ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État chargé de l'enfance et de la famille. - J'avais aussi apprécié notre rencontre d'avril dernier, c'est pourquoi j'avais à coeur d'être avec vous ce matin.

J'avais alors fourni les premiers chiffres dont nous disposions, ils sont consolidés : pendant le premier confinement, les appels au 119 ont progressé de moitié, un tiers venant des voisins et un autre tiers des camarades des victimes de violences - j'y vois le signe que notre vigilance individuelle et collective a augmenté et j'espère que nous pourrons faire perdurer ce réflexe. Très tôt, nous avions accompagné les salariés du 119, que je salue ici, et nous avions augmenté les dotations : l'État a apporté 600 000 euros supplémentaires, sachant que le 119 est géré par un groupement d'intérêt public (GIP) qu'il partage avec les départements. Nous avions accéléré la réalisation d'un formulaire en ligne, accru la coordination avec les associations, principalement La voix de l'enfant et L'enfant bleu (association présidée par votre ancienne collègue Isabelle Debré) qui ont pris le relais sur le volet juridique. Pour mémoire, nous avons démultiplié les points de contact : le dispositif en pharmacie sur les violences conjugales a été étendu aux enfants maltraités, nous avons passé un accord avec les offices d'HLM pour des affichages dans les halls d'immeubles, nous avons mobilisé aussi le 114, numéro d'urgence pour personnes sourdes et malentendantes, accessible en permanence par SMS. Je salue l'ensemble des groupes de communication : le service public audiovisuel a été proactif pour offrir de l'espace publicitaire, en parler dans des documentaires. J'ai rencontré Delphine Ernotte, la présidente de France Télévisions, qui nous a accompagnés dans ces campagnes de communication. Nous avons aussi passé des partenariats avec les plateformes numériques pour atteindre les jeunes, en particulier Tik Tok ; nous avons mobilisé des personnalités sportives et du spectacle.

Nous réactivons ces mesures avec le deuxième confinement. Il est différent, vous avez raison de le dire, car les écoles sont ouvertes. Nous avons donc retrouvé nos yeux, si je puis dire, car les violences sont souvent identifiées dans le cadre scolaire. Mais attention, les violences demeurent ! Elles risquent même de s'accroître à mesure que la crise économique et sociale, qui est encore devant nous, va produire ses conséquences, notamment le chômage. On le sait, celui-ci accroît les tensions dans certains foyers, et les enfants et les femmes sont les premières victimes de cette situation. Nous devrons donc rester très vigilants.

Nous commençons à recevoir les premières études consolidées, qui doivent encore être confirmées, sur les violences subies par les enfants pendant cette première période de confinement. Mes homologues étrangers - en Italie, en Allemagne, en Finlande - constatent une augmentation des violences. À l'hôpital du Kremlin-Bicêtre, pendant la période de confinement, il y a eu une baisse de l'hospitalisation des enfants de 30 % - c'était attendu du fait de la moindre activité à l'extérieur. Mais la part des enfants hospitalisés pour faits de violences a, elle, augmenté de 50 %. Donc il y a eu un phénomène d'accroissement des violences pendant cette période si particulière.

Ensuite, nous commençons à mesurer les effets psychologiques de la crise sanitaire sur nos enfants. Les tout-petits voient des professionnels masqués depuis huit mois, et cela va durer - alors qu'on sait l'importance des expressions du visage dans le développement des enfants. C'est pourquoi j'ai demandé à la Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF) de doter de masques transparents les professionnels de la petite enfance : nous avons financé 500 000 masques, trois par professionnel, toutes les crèches et les maisons d'assistantes maternelles sont concernées. Nous sommes attentifs à la santé mentale des plus grands, qui portent des masques à partir de six ans. Nous avons travaillé dès le mois de mai avec une équipe de l'hôpital Robert-Debré pour élaborer une grille d'indicateurs propres à repérer le mal-être des enfants, une grille que nous avons transcrite ensuite pour la diffuser aux professionnels de la petite enfance et aux parents.

Enfin, nous travaillons aussi sur la santé des adolescents : nous avons rencontré hier, avec Franck Bellivier, le délégué interministériel à la santé mentale et à la psychiatrie, une douzaine de pédopsychiatres qui nous ont dit constater des modifications dans les troubles de comportements alimentaires, une anxiété plus aiguë des adolescents dans cette période si difficile, ainsi que l'accroissement du nombre de consultations pour tentatives de suicide - nous sommes très prudents sur les chiffres qu'ils nous ont communiqués, ils correspondent à de petites séries. Avec Olivier Véran, nous avons récemment rencontré l'équipe de Fil Santé Jeunes, qui nous a confirmé l'augmentation du nombre d'appels de la part d'étudiants, qui vivent difficilement le confinement. Les étudiants, qui vivent souvent éloignés de leur famille et dans de petits logements, sont particulièrement exposés.

Le Président de la République a lancé le projet « Les 1 000 premiers jours de l'enfant ». Le rapport de la commission chargée de cette réflexion, remis il y a un an, comporte de nombreuses propositions. Vous en avez déjà adopté certaines dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale, tel l'allongement du congé paternité qui a suscité dans votre assemblée un large débat. Notre ambition, c'est d'élaborer des messages de santé publique à destination des parents, de donner de bons conseils sans verser dans la culpabilisation ni dans la rédaction d'un « code du bon parent ». C'est dès le premier âge que se prennent les bons réflexes sur l'importance du jeu, l'allaitement, la relation au numérique, mais aussi la violence ordinaire dans l'éducation, ou encore des phénomènes comme le syndrome du bébé secoué - dont certains parents n'ont pas conscience. Nous travaillons à ces messages avec Santé publique France. J'espère qu'ils figureront dans le carnet de santé et, par la suite, dans le carnet numérique. Nous ciblons aussi les professionnels, car nous constatons que les messages qu'ils délivrent sont parfois contradictoires.

Nous travaillons également sur la notion de parcours, pour accompagner les femmes et les couples dans leur parentalité. J'ai été surpris du nombre de femmes qui, quand on les interroge, disent éprouver de la solitude face à leur enfant et qui témoignent d'une sorte de rupture dans le suivi entre la grossesse et après la naissance. La commission Cyrulnik suggère un parcours, qui irait de la grossesse aux trois ans de l'enfant ; nous proposons une approche universelle, pour tous les couples, et des outils spécifiques en fonction des difficultés que l'on rencontre. Seulement 28 % des femmes enceintes font l'entretien prénatal précoce, au quatrième mois, nous voulons le généraliser - nous avons inscrit 10 millions d'euros dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour soutenir le réseau santé en périnatal. Ensuite, nous finançons, dans 100 maternités prioritaires, des professionnels, sages-femmes, travailleurs sociaux, pour l'accompagnement à la parentalité. Enfin, des mesures doivent améliorer l'articulation hôpital-ville, ce qui passe par le renforcement des équipes de la protection maternelle et infantile (PMI), une institution à laquelle j'attache beaucoup d'importance et que je soutiens, parce qu'elle doit jouer un rôle pivot ; le rapport Cyrulnik montre que les PMI ont perdu 100 millions d'euros en trois ans : nous allons remettre ces crédits dans la contractualisation. Nous voulons aussi encourager les visites à domicile post-partum : personne ne parle de la dépression post-partum, mais elle touche officiellement 15 % des femmes, probablement le double - ainsi que des hommes, peut-être - avec un pic entre la cinquième et la douzième semaine après l'accouchement ; nous allons donc tâcher de faire rembourser une visite à domicile à la cinquième semaine, ainsi qu'à la douzième semaine si c'est nécessaire. La visite sera effectuée par une sage-femme dans la plupart des cas, mais ce pourra être un autre professionnel, par exemple un travailleur social, si cela correspond aux besoins.

Nous travaillons, encore, aux parcours qui peuvent être fragilisés en raison de spécificités : par exemple la prématurité, le handicap de l'enfant ou d'un parent, voire des deux parents, une adoption, ou encore des questions psychiatriques. Nous sommes en retard sur la psychiatrie périnatale : des détresses psychiques ne sont pas repérées et les dégâts sont alors immédiats ; aussi le PLFSS pour 2021 prévoit-il de consacrer 5 millions d'euros à destination de dix nouvelles unités mères-enfants, attachées à des centres hospitaliers universitaires (CHU) pour que des mères puissent être hospitalisées avec leurs enfants, ainsi qu'à la constitution de vingt équipes mobiles en psychiatrie périnatale. Nous avançons sur la parentalité de personnes handicapées, avec l'extension de la prestation de compensation du handicap (PSH) pour couvrir les aides à la parentalité, effectives au 1er janvier prochain - cette initiative manifeste, officiellement et pour la première fois, qu'on peut être handicapé et parent.

Vous avez voté la création d'une dizaine de services d'accompagnement à la parentalité des personnes en situation de handicap (SAPPH) : c'est encore une façon de reconnaître qu'on peut être autiste et parent, non voyant et parent - nous levons une sorte de censure, tout en mettant à disposition des outils pour aider la parentalité.

Les congés sont un levier important. Nous avons doublé la durée du congé paternité, tout en en rendant une partie obligatoire. J'y tenais beaucoup : nous en avons débattu. Nous allons engager une réflexion sur une réforme plus globale des congés parentaux, c'est un sujet structurant sur lequel nous devons prendre, me semble-t-il, un peu de temps. Actuellement, le congé parental est trop long, mal rémunéré, il est pris surtout par les femmes, du fait d'un arbitrage économique dans le foyer. Des pays du nord de l'Europe sont en avance sur ce point, regardons leurs évaluations.

Le congé parental a des impacts en général importants sur les modes d'accueil, la relation entre les parents et les enfants. Nous devons donc y réfléchir attentivement avant de prendre une option sur laquelle il sera difficile de revenir. Nous allons missionner des personnalités pour constituer un groupe de travail, et il me semble qu'il faut y inclure des responsables d'entreprise, car le champ de la parentalité en entreprise est quasiment vierge alors que c'est un enjeu majeur. En tant qu'ancien chef d'entreprise, je suis convaincu que la parentalité heureuse est un facteur de compétitivité, alors que l'angoisse dans la parentalité produit des effets délétères au travail. Je ferai, dans deux semaines, des annonces sur les mesures prévues par l'article 36 de la loi d'accélération et de simplification de l'action publique (Asap), en particulier pour les assistantes maternelles, la médecine du travail, la qualité d'accueil du jeune enfant - ces mesures sont très attendues par les professionnels du secteur.

Autre sujet de très grande préoccupation sur lequel nous progressons : la prostitution des mineurs. J'ai présenté un plan de lutte contre les violences faites aux enfants, j'aurais aimé prendre l'initiative d'un plan spécifique contre la prostitution des mineurs, mais j'ai réalisé qu'un travail devait être conduit avec les administrations et les associations pour être en mesure de formuler des propositions bien articulées. La prostitution des mineurs augmente, elle touche environ 10 000 adolescents, elle est multiforme et on la saisit mal parce qu'elle revêt des modalités que l'on ne connaît pas encore très bien. Nous avons pris du retard en la matière et devons travailler ensemble : j'ai installé en septembre dernier un groupe de travail présidé par Catherine Champrenault, procureur général de Paris, qui a déjà travaillé sur le sujet. J'ai demandé à cette task force d'élaborer des propositions de politique publique ; ce travail devrait aboutir en mars prochain. En général, nous réalisons mal ce qui se passe, avec l'accès des jeunes à la pornographie, le fait par exemple que des jeunes filles ne se considèrent pas comme des victimes et qui regardent comme banal le fait de faire une fellation dans les toilettes du collège. Nous devons prendre conscience des conséquences de la banalisation du sexe, de l'ampleur de la pédo-criminalité, de l'effet « Zahia »... Le film Mignonnes en donne une idée, par petites touches, et nous rappelle ce que, sans nous réclamer d'un retour à l'ordre moral, nous avons à faire pour protéger les jeunes.

Enfin, j'ai annoncé au début de l'été la création d'une commission indépendante sur les violences sexuelles, comme il en existe en Irlande, en Nouvelle-Zélande et en Australie, et comparable à ce que fait l'Église avec la commission Sauvé. J'étais ému de voir que la question de l'inceste était en Une du journal Le Monde il y a trois jours, avec trois pages sur l'inceste dans un grand quotidien. Cela contribue à casser le dernier tabou qui est celui de l'inceste dans notre pays.

L'association Face à l'inceste, à l'occasion du 20 novembre, a fait une étude sur un panel assez important qui montre que l'inceste concernerait six millions de nos concitoyens (la donnée était plutôt de quatre millions jusqu'à présent) et qu'un tiers des Français connaissent une victime. Je n'avais aucun doute sur la réalité du phénomène. C'est le dernier tabou à faire exploser ! Cette commission indépendante aura pour objectif de libérer la parole, de recueillir la parole et pour vocation de mieux appréhender l'ampleur du phénomène et les mécanismes à l'oeuvre. Cette commission sera centrée sur l'inceste et les violences au sein des familles mais concernera aussi la question des violences sexuelles en institutions, qui sont sous la responsabilité de l'État. Nous lui demanderons de formuler des recommandations, car il faut agir : rien n'est pire que de libérer une parole pour n'en rien faire ensuite...

Mme Annick Billon, présidente. - Pendant le confinement, vous avez mis l'accent sur la santé mentale des enfants et des adolescents, en insistant sur le fait que l'Éducation nationale est l'endroit privilégié pour repérer ces situations de mal-être. Mais la médecine scolaire attire peu, et il existe un grand déficit de médecins scolaires, ce qui rendra plus difficile l'identification de ces problèmes.

Vous avez aussi évoqué une grille d'évaluation, ce qui me fait penser à la grille mise en place à l'époque par la secrétaire d'État Marlène Schiappa pour repérer les violences conjugales. Nous nous sommes rapidement aperçus que cette grille était insuffisamment connue et utilisée dans les territoires. Comment allez-vous répondre à ce problème ?

Comment les dispositifs dont vous nous avez parlé, avec notamment une centaine de maternités, dix nouvelles unités mère-enfant et vingt équipes mobiles pour la périnatalité et la psychiatrie, vont-ils être ciblés et choisis ?

Sur les problématiques de l'inceste et de la prostitution, on sait qu'il s'agit souvent d'enfants très jeunes. Que pensez-vous de l'instauration d'un seuil d'âge dans la loi ?

Mme Martine Filleul. - Nous nous réjouissons réellement de l'avancée que constitue l'instauration des sept jours de congés paternité obligatoires et des vingt-huit jours potentiels. Néanmoins, cela reste insuffisant pour régler la problématique de l'égalité hommes-femmes. Avez-vous des perspectives pour aller au-delà, ou éventuellement pour discuter avec les partenaires sociaux, afin que ces vingt-huit jours soient effectifs ?

La parentalité en milieu professionnel est un chantier intéressant et complexe, et vous avez dit prendre le temps de l'examiner avec la ministre du travail Élisabeth Borne et les partenaires sociaux. Mais le temps presse ! Avez-vous un calendrier à nous proposer ?

Les femmes cheffes de famille monoparentale sont souvent très seules, et elles sont confrontées à la fois à la pauvreté, à la difficulté de trouver des modes de garde adaptés et à l'absence d'accompagnement en cas de conflits avec les enfants. Vous intéressez-vous à cette problématique ?

Mme Laurence Cohen. - Vous avez mis en lumière les conséquences de la pandémie au niveau psychologique. Dans ce cadre, je me réjouis, en tant qu'ancienne orthophoniste, de la démarche consistant à fournir des masques transparents aux personnels de l'Éducation nationale, car tout apprentissage nécessite que l'on voie le visage et les mimiques. Mais le retard pris me contrarie. Toutes les écoles ne bénéficient pas de ces masques dans mon département. Il faudrait hâter le mouvement, car la situation crée de véritables pertes de chance pour les enfants.

Nous avons un peu avancé sur l'idée selon laquelle un mari violent ne peut pas être un bon père. Ce n'est plus un tabou, et c'est heureux. Toutefois, les choses avancent trop lentement. On assiste certes à des suspensions de l'autorité parentale, mais sur des temps extrêmement courts. Quelles sont les réflexions actuelles pour permettre une véritable rupture avec le conjoint violent ?

Il y a aussi nécessité d'intervenir au niveau des moyens de la justice. Je mentionne à ce titre l'excellent documentaire Bouche cousue, avec le juge pour enfants Édouard Durand. Cette question entre-t-elle aussi dans votre champ d'intervention ?

Au sujet de la prostitution des mineurs, je suis d'accord avec vous sur le fait que le lien avec le procureur est particulièrement important. Par ailleurs, le champ est très vaste, car le problème touche tous les milieux sociaux.

Je salue la mise en place de nouvelles unités mère-enfant et d'équipes mobiles. Un premier pas est fait avec ces dix millions d'euros, mais cela reste insuffisant au vu de l'état de la pédopsychiatrie, qui est réellement sinistrée. Le compte n'y est pas.

Mme Laure Darcos. - Je souhaite évoquer le cas des pères qui, en cas de séparation, n'ont pas droit à la résidence alternée, et qui souffrent énormément de cette situation. Vous avez reçu des associations à ce sujet, alors que certains magistrats continuent à ne pas proposer cette organisation lors des séparations. Nous ne sommes pas unanimes sur ce sujet au sein de la délégation, mais je trouve cela important pour les pères de conserver ce lien. Cela suppose bien sûr des contraintes de localisation, liées par exemple à la proximité de l'école. C'est un sujet qui ne doit pas être uniquement abordé sous le prisme de la violence et dans une logique négative. J'aimerais donc avoir votre avis sur le sujet.

Mme Dominique Vérien. - Dans le cadre des 1 000 premiers jours de l'enfant, une proposition de loi1(*) déposée par notre collègue Catherine Morin-Desailly a été examinée au Sénat le 20 novembre 2018, afin de lutter contre l'exposition précoce des enfants aux écrans. Elle a été transmise à l'Assemblée nationale mais pas inscrite à l'ordre du jour. Elle pourrait être utilement reprise.

Avec la présidente Annick Billon, nous sommes allées visiter l'Institut Mutualiste Montsouris, où des gynécologues accueillent des femmes handicapées en leur offrant du matériel adapté et une préparation spécifique à la parentalité. Ces dispositifs pourraient être étendus à la France entière. Le fait que vous développiez ce type d'accueil est louable, mais l'idéal serait d'en prévoir un par département.

S'agissant de la prostitution des mineurs, la question de la communication entre forces de l'ordre sur tout le territoire se pose. Par exemple, mon département, l'Yonne, se trouve très près de Paris : il est donc très facile pour certaines jeunes filles de prendre un train pour s'y rendre et se prostituer. Mais la police à Paris ne prend pas en considération les signalements de la gendarmerie de l'Yonne au sujet de ces jeunes filles.

Par ailleurs, je vous rejoins totalement sur le fait qu'il y a un véritable travail à effectuer en institution. Les conditions ne sont parfois pas réunies pour éviter des drames potentiels, qu'il s'agisse de la prostitution ou des relations entre jeunes. Il faut notamment agir sur le secret et sur la formation du personnel qui va accueillir ces jeunes filles.

Mme Victoire Jasmin. - La question des 1 000 premiers jours est évoquée en Guadeloupe depuis 2017, dans le cadre du projet régional de santé (PRS) de l'agence régionale de santé (ARS). Je salue à ce titre le docteur José Perianin, qui a mis en place une véritable communication sur le sujet. En tant que pédiatre, il a notamment créé, avec d'autres professionnels de santé, l'émission « 1.2.3 Santé », diffusée sur les chaînes publiques guadeloupéennes. Un certain nombre de vos préconisations rejoignent cette initiative. Cela nous montre bien l'importance de communiquer davantage.

Dans les territoires d'outre-mer particulièrement, on constate une absence de diversité dans les possibilités d'accueil des jeunes enfants. Beaucoup de crèches ont fermé du fait des nouvelles normes mises en place il y a quelques années. J'ai eu l'occasion d'interroger l'ancienne ministre de la santé sur cette problématique. Je lui ai adressé un courrier mais il n'a pas été donné suite à celui-ci.

Pendant le premier confinement, les adolescents ont pu travailler à distance. Au cas où les écoles seraient à nouveau amenées à fermer leurs portes, je préconise de prévoir des temps de regroupement et de rencontre entre les élèves, par exemple dans des gymnases, pour leur permettre de sortir de leur foyer. En effet, beaucoup de jeunes ont été agressés sexuellement et physiquement pendant le premier confinement, et ces regroupements pourraient leur permettre de se confier et nous aider à identifier leur mal-être.

Mme Sabine Van Heghe. - Je souhaiterais des précisions sur l'avenir de l'opération Vacances apprenantes. Les différentes périodes de confinement ont permis de mettre l'accent sur l'importance des temps collectifs dans l'apprentissage. Grâce à ce dispositif, 125 000 enfants ont bénéficié d'activités éducatives, aussi bien en centre de loisirs qu'en colonie de vacances ou au sein de l'école. En particulier, les enfants de l'aide sociale à l'enfance (ASE) ont pu en profiter. Je me joins donc à l'inquiétude des responsables associatifs quant à la pérennité du dispositif, alors qu'aucune ligne budgétaire ne paraît lui être consacrée dans le projet de loi de finances pour 2021.

Mme Laurence Rossignol. - Monsieur le ministre, votre propos me réjouit autant qu'il me désole. Je salue votre implication et votre capacité à identifier les sujets importants. Mais d'une certaine façon, nous savons déjà tout de ces problématiques depuis plusieurs années. La véritable question est : comment passe-t-on des travaux de commission et du portage politique aux actes ?

La protection de l'enfance ne va pas mieux, et la situation est même pire dans certains départements. À la fin du premier confinement, les départements ont « déstocké » leurs jeunes majeurs qui sont brutalement sortis de l'aide sociale à l'enfance (ASE), sans aucune prise en compte particulière. C'est dramatique.

Nous avons à notre disposition des outils pour faire progresser nos combats communs. Concernant le seuil d'âge pour la qualification de viol sur mineur, vous connaissez sûrement l'affaire « Justice pour Julie », dont j'accompagne la famille depuis deux ans. Celle-ci révèle qu'il est toujours aussi difficile de faire reconnaître comme viol une relation sexuelle non consentie entre un majeur et un mineur, et le sujet bute toujours sur la question de l'analyse du consentement.

Pourquoi n'êtes-vous pas plus présent dans le débat sur les ordonnances de protection visant à prévenir les violences post-séparation, qui s'exercent à l'encontre des femmes, mais aussi des enfants ? Vous devriez vous imposer dans ces discussions !

Quand on évoque la lutte contre la prostitution des mineurs, pourquoi ne recourt-on pas à la loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées ? Tant que les pouvoirs publics n'appliqueront pas la pénalisation des clients, nous serons privés d'un outil important pour « pêcher au filet », si je puis dire, les clients de mineurs. Nous vous soutenons dans vos actions, mais vous pourriez exiger de vos collègues qu'ils utilisent ces outils.

Enfin, je souhaite qu'un jour nous puissions avoir un débat, au sein de notre délégation, sur la question de la résidence alternée.

Mme Marie-Pierre Monier. - Une proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales a été adoptée en juillet 2020. Elle a permis des progrès mais le sujet de l'autorité parentale reste en suspens. En effet, on sait que les enfants sont souvent instrumentalisés par les conjoints violents pour maintenir leur emprise au sein du foyer conjugal. La loi donne la possibilité d'aménager ou de suspendre l'autorité parentale du conjoint violent, mais elle ne la rend systématique qu'en cas de féminicide. C'est le juge pénal qui décide de cette suspension, mais en attendant le jugement, le conjoint violent conserve l'autorité parentale. C'est donc un danger pour les enfants et pour la femme. Nous avions proposé des amendements visant à demander la suspension systématique de l'autorité parentale du parent poursuivi pour crime commis sur l'autre parent jusqu'au procès pénal, mais ceux-ci ont été rejetés. Pourriez-vous appuyer cette orientation lors de l'examen de prochains textes législatifs ?

L'application de la loi de 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel se heurte à un cruel manque de moyens et à une réelle absence de volonté politique. De la même manière, vous vous mobilisez contre la prostitution des mineurs, mais aurez-vous les moyens d'appliquer les dispositions que vous proposez ? Ne pouvez-vous pas, comme l'a suggéré Laurence Rossignol commencer par faire appliquer cette loi ?

Un travail a été réalisé au Sénat sur les mutilations sexuelles féminines et les mariages précoces : nous avions alors voté une proposition de résolution réaffirmant notre engagement à ce sujet2(*). En France, la réponse pénale ne laisse pas place à l'ambiguïté. Toutefois, j'aimerais savoir comment vous comptez travailler sur la prévention autour de ces thématiques, notamment auprès des personnels de l'Éducation nationale, du monde médical, ou encore des forces de l'ordre ?

Mme Lana Tetuanui. - En Polynésie française, on constate une montée en puissance des violences faites aux femmes et enfants. L'aspect pénal et judiciaire est important, mais quid de tout le travail à réaliser en amont en lien avec les associations ? Comment l'État pense-t-il décliner ces politiques et ces moyens au niveau du tissu associatif sur l'ensemble du territoire, y compris dans les outre-mer ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État. - Comme je dois vous quitter pour participer à la séance publique de l'Assemblée nationale, je vais tenter de répondre rapidement à vos questions, et je vous transmettrai ultérieurement des éléments plus détaillés par écrit.

J'ai bien noté votre remarque, Madame la présidente, sur l'utilisation des grilles, et je suis d'accord avec vous. Nous allons modifier la façon de faire et de transmettre ces grilles par rapport à ce qui avait été fait pendant le premier confinement.

Concernant le développement des dispositifs périnataux, les maternités et les lieux pour les équipes mobiles n'ont pas encore été choisis. Des cahiers des charges et des appels à projets sont élaborés en ce moment même.

Sur la question du seuil d'âge, il y a deux sujets selon moi. Il y a d'abord celui de l'inceste : la question du consentement et de l'âge ne devrait même pas se poser. S'agissant ensuite du consentement, en tant que ministre de l'enfance, je pense que nous devons trouver les moyens juridiques pour faire en sorte que cette question ne se pose pas avant treize ans. Il ne doit pas y avoir de consentement présumé avant treize ans. Sur ces points, ma position est très claire.

Oui, nous essayerons d'aller au-delà des avancées réalisées sur le congé paternité. Il y notamment un véritable sujet sur la parentalité en entreprise, dont doivent se saisir les partenaires sociaux. J'ai été surpris de voir que ce sujet était très peu investi, y compris par les organisations syndicales. Pour l'heure, les entreprises sont toutefois confrontées à d'autres préoccupations, et il faudra donc réfléchir à l'application dans le temps de ces mesures.

Dès avant moi, dans le cadre de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, un certain nombre de dispositifs étaient déjà consacrés aux familles monoparentales. Il en est de même dans les lois de financement de la sécurité sociale précédentes. Ces familles sont devenues un vrai sujet de préoccupation, ce qui n'était peut-être pas spécialement le cas auparavant. On peut citer notamment l'augmentation de 30 % du complément de libre choix du mode de garde (CMG). Mais ces familles sont davantage touchées par la pauvreté, et représentent donc un sujet de préoccupation majeure.

Sur les masques transparents, je remonterai les remarques de Mme Cohen au ministre de l'éducation nationale.

Le sujet de l'enfance était au coeur du Grenelle contre les violences conjugales. Concernant la suspension de l'autorité parentale, je souligne qu'il y a tout de même une possibilité de suspension avant le jugement, pendant l'instruction. Le bilan quantitatif montre que l'on est passé d'une dizaine de suspensions à plus de 110 aujourd'hui. Les juges s'emparent donc de cette possibilité qui leur est offerte par la loi, même si effectivement, il serait intéressant de se pencher sur la question de la durée.

Concernant les moyens de la justice, Nicole Belloubet avait déjà augmenté le nombre de juges des enfants et de greffiers dans leurs cabinets.

Nous avons fait un premier pas sur la psychiatrie périnatale, qui a été salué par la profession. Sur la pédopsychiatrie, la situation est effectivement catastrophique, et notre priorité est avant tout de pallier à l'urgence. À ce titre, on peut citer la feuille de route de la santé mentale et de la psychiatrie mise en place par Agnès Buzyn en 2018, qui avait dégagé 80 millions d'euros. Par ailleurs, au sujet de l'innovation organisationnelle et du renforcement spécifique des ressources de la psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, deux fonds ont été créés. Actuellement, deux enveloppes de 15 millions d'euros supplémentaires sont octroyées aux ARS pour mettre en place des projets. Par ailleurs, nous essayons de recréer une filière, notamment avec dix nouveaux postes de chefs de clinique en psychiatrie. Il faut aussi un peu de temps pour former de nouveaux psychiatres.

S'agissant de la prostitution des mineurs, j'entends vos propos sur la loi d'avril 2016, et cela fait partie des réflexions qui sont menées par la procureure générale de Paris, Catherine Champrenault. Toutefois, je pense que cela ne suffira pas.

Globalement, nous essayons d'intégrer la question des outre-mer, mais ces territoires possèdent de réelles spécificités. On ne peut pas lancer des politiques publiques sans connaître le terrain - je suis du moins très attaché à cette méthode - c'est pourquoi nous avons, par exemple, organisé une visite à Mayotte, il y a trois semaines. Je sais que la Polynésie connaît des problématiques très spécifiques concernant les violences faites aux enfants, comme la violence éducative ordinaire ou les violences sexuelles, mais je n'en maîtrise pas les enjeux. Il faut que nous nous rencontrions, en lien avec les associations. Dans le cadre de l'ASE, nous avons aussi créé un réseau outre-mer avec les associations, mais je ne suis pas sûr que la Polynésie y soit associée.

Je ne saurais vous répondre sur le dispositif Vacances apprenantes, et je reviendrai vers vous à ce sujet. Par ailleurs, merci d'avoir souligné le fait que les enfants de l'ASE en ont bénéficié.

Au sujet des mutilations sexuelles, nous n'avons pas forcément besoin d'une loi, mais peut-être plutôt d'actions de formation, de prévention et de sensibilisation.

Je ne suis pas d'accord avec l'analyse de Laurence Rossignol sur l'évolution de l'ASE, et je vous ferai part de ma réponse de manière plus détaillée. Je fais observer qu'avec le vote de la loi qui assure la prolongation de l'état d'urgence sanitaire, il y a eu une automatisation de la disposition interdisant que les jeunes de l'ASE sortent du dispositif à leur majorité. Aujourd'hui, jusqu'à mi-février, aucun jeune ne peut en sortir.

Mme Annick Billon, présidente. - Je vous remercie pour la qualité de votre intervention.


* 1 Proposition de loi visant à lutter contre l'exposition précoce des enfants aux écrans - Texte n° 706 (2017-2018) de Mme Catherine Morin-Dessailly et plusieurs de ses collègues, déposé au Sénat le 5 septembre 2018.

* 2 Résolution adoptée le 14 mars 2019 par le Sénat.