Mercredi 2 décembre 2020

La réunion est ouverte à 9 h 30.

- Présidence de M. Christian Cambon, président -

Projet de loi de finances pour 2021 - Mission « Défense » - Programme 146 « Équipement des forces » - Examen du rapport pour avis

M. Christian Cambon, président. - Nous examinons ce matin les crédits de la mission « défense », dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021. Je laisse la parole, pour commencer, aux rapporteurs du programme 146 « Equipement des forces ».

M. Cédric Perrin, co-rapporteur. - Monsieur le Président, mes chers collègues, nos premiers points d'attentions, sur le programme 146 consacré à l'équipement des forces, sont les suivants.

La mission Défense et les crédits du programme évoluent conformément à la LPM. La fin de gestion 2020 est toutefois, comme chaque année, pénalisante : 124 M€ de crédits de paiement ont été annulés sur le P 146 en loi de finances rectificatives. Au total, ce sont 200 M€ qui ont été annulés sur la mission pour être fléchés vers le financement du surcoût des opérations extérieures et missions intérieures. Le gouvernement ignore donc, cette année encore, l'article 4 de la LPM qui prévoit une solidarité interministérielle pour le financement de ce surcoût. Par ailleurs, des incertitudes subsistent concernant le dégel de 504 M€ de réserve de précaution sur le programme 146.

Vous savez que la LPM prévoit une première actualisation qui doit intervenir avant la fin 2021. Compte tenu de la récession attendue, l'indicateur d'effort de défense en proportion du PIB n'est plus pertinent : c'est à l'euro que la LPM doit être respectée. La dégradation du contexte stratégique appelle la plus grande vigilance sur ce point. Ce n'est que dans la durée, d'ici à 2030, que la LPM actuelle et la suivante produiront les effets attendus en termes de réparation et de modernisation de nos armées, après des décennies de disette budgétaire.

S'agissant de l'armée de terre, la LPM ne permet de réaliser que 50 % du programme Scorpion. Or la deuxième étape de ce programme est incontournable car elle doit permettre d'en tirer le plein potentiel. Les obsolescences du char Leclerc sont réelles et doivent être traitées rapidement. Pour affronter la haute intensité et asseoir notre crédibilité, il est indispensable que le programme de « scorpionisation » du char Leclerc parvienne à bonne fin.

L'effort doit être poursuivi dans le domaine des petits équipements et des AOA (autres opérations d'armement) « à hauteur d'homme », conformément à l'une des orientations majeures de la LPM en cours.

S'agissant de l'armée de l'air et de l'espace, le contrat d'exportation du Rafale actuellement en cours de négociation avec la Grèce prévoit le prélèvement de 12 avions sur nos forces. 12 nouveaux appareils vont être commandés mais ils n'arriveront pas avant 2025, ce qui implique un risque opérationnel important, même si la ministre nous assure que l'augmentation de la disponibilité du Rafale suffira à combler ce trou capacitaire. Par ailleurs, la livraison de la tranche 4T2 du Rafale, qui doit démarrer en 2022, sera décalée de quelques mois, le temps de produire les six avions neufs commandés par la Grèce.

Ce contrat d'exportation est en soi une bonne nouvelle : il permet de tenir un pari de la LPM. Mais ce type d'opération, qui pourrait être amené à se renouveler, doit être mieux anticipé pour que l'ajustement ne repose pas systématiquement sur l'armée de l'air et de l'espace.

Ce contrat pose également des questions financières : le produit de cession des 12 Rafale doit contribuer au financement de l'achat des 12 appareils neufs. Ce point relève de l'exécutif : seul le gouvernement pourrait créer un compte d'affectation spéciale. Mais ce n'est en réalité pas nécessaire : la cession de matériels d'occasion est une procédure courante pour les armées et le droit permet une rétrocession des produits au ministère. Je vous renvoie vers notre rapport qui détaille ce point. La ressource, estimée à environ 600 millions d'euros, ne sera de toute façon pas suffisante pour l'achat des appareils neufs, qui nécessite l'inscription en programmation de crédits supplémentaires.

Avant de laisser la parole à Hélène Conway-Mouret, j'aborderai la question du financement de la BITD : aux difficultés conjoncturelles il faut ajouter des difficultés structurelles de financement auprès des organismes bancaires, dans tous les secteurs. Ces difficultés ne concernent pas que les PME, mais aussi potentiellement de grands groupes, pour des raisons éthiques et de sur-conformité. Cela appelle une réflexion de fond pour proposer des solutions, du type fonds souverain, ou création d'un label de conformité délivré par l'État pour attester du respect de l'ensemble des règles en vigueur.

Sous réserve de ces observations, mon avis sur la mission « Défense » est favorable pour tenir compte du respect de la LPM. Mais nous attendons le dépôt rapide d'un projet de loi d'actualisation qui devra être examiné, en tout état de cause, avant le projet de loi de finances pour 2022.

Mme Hélène Conway-Mouret, co-rapporteure. - Monsieur le Président, mes chers collègues, je commencerai par compléter les observations de Cédric Perrin au sujet de l'armée de l'air et de l'espace. Au-delà de la question des Rafale, plusieurs évolutions majeures doivent être programmées : le remplacement des hélicoptères Puma, la poursuite du programme de système de commandement et de conduite des opérations aériennes, qui est crucial car il s'agit de la surveillance de l'espace aérien national, le successeur du missile Scalp, le successeur de l'Alphajet ... la liste des besoins est longue... Elle comprend bien sûr la poursuite du programme SCAF dont le projet de démonstrateur doit être lancé impérativement en 2021. Nous l'avions proposé dans notre rapport avec Ronan Le Gleut. Il est en effet souhaitable de négocier un cadre global avec notre partenaire allemand, plutôt qu'une suite de contrats exigeant des validations politiques successives, qui fragilisent le programme. Étant donné le rôle des parlementaires allemands, le gouvernement a tout intérêt à associer les parlementaires français et compter sur la diplomatie parlementaire. La communication gouvernementale surjoue la coopération franco-allemande. Cela nous met en position de faiblesse dans les négociations avec un partenaire qui se sent ainsi indispensable. Il faudrait revenir à beaucoup plus de sobriété et à des principes simples, tels que la répartition décidée des leaderships entre la France et l'Allemagne, respectivement sur les projets SCAF et MGCS. N'oublions pas notre partenaire espagnol!

Concernant la marine, là encore, les lacunes ne seront comblées qu'à l'horizon 2030 si la LPM est scrupuleusement respectée. Plusieurs programmes doivent être menés à leur terme pour le remplacement de flottes âgées (patrouilleurs de haute mer, P400, pétroliers ravitailleurs, chasseurs de mines etc.). Les infrastructures portuaires restent un point d'attention. Le chef d'état-major de la marine nous a rassurés, s'agissant des conséquences de l'incendie du SNA « La Perle », qui devrait coûter 60 millions d'euros à l'État. Il est cependant impératif que la réparation du bâtiment, qui s'annonce complexe, ne conduise pas à des retards dans le programme Barracuda.

Enfin nous attendons depuis presque un an maintenant l'annonce du lancement du porte-avions de nouvelle génération. Il est urgent que le Président de la République communique sa décision, qui permettra de lancer l'avant-projet sommaire de ce programme phare pour notre autonomie stratégique, agrégateur de puissance au plan européen et dont les retombées industrielles sont majeures.

J'en viens justement à l'industrie. Des commandes ont été anticipées dans le cadre du plan de soutien à l'aéronautique de juin. Mais le plan de relance de la fin de l'été ignore la défense, et en particulier les filières navale et terrestre. Or la BITD est durement touchée par la crise, en particulier les entreprises duales qui subissent le choc économique qui frappe l'aéronautique civile.

De l'avis général, la DGA a réalisé un gros travail de soutien aux PME et ETI. Mais la crise est là et la limitation des voyages est un frein important à la rencontre de clients potentiels et aux commandes de demain.

Le secteur défense est pourtant particulièrement bien structuré pour mettre en oeuvre et consommer les crédits d'un plan de relance. À titre de comparaison, nos voisins britanniques et allemands ont pris des mesures fortes en faveur de leur BITD. Au Royaume-Uni, le Premier ministre a annoncé récemment un effort massif en faveur de la défense, dont le budget augmentera de 27 milliards d'euros en 4 ans, soit 18 milliards d'euros de plus que prévu. Ce chiffre est à comparer aux 600 millions d'euros de commandes que le ministère des armées s'est engagé à passer dans le cadre du plan de soutien à l'aéronautique. Cet investissement risque fort d'accélérer le programme Tempest dont le lancement est prévu en 2035, soit 5 ans avant l'achèvement du programme SCAF, raison supplémentaire pour regretter que La Défense ne bénéficie pas du plan de relance.

Sous réserve de ces observations, mon avis sur la mission Défense est également favorable.

Projet de loi de finances pour 2021 - Mission « Défense » - Programme 178 « Préparation et emploi des forces » - Examen du rapport pour avis

M. Olivier Cigolotti, co-rapporteur. - Monsieur le Président, chers collègues, la LPM consacre un effort en hausse de 17 % à la préparation des forces et à l'activité opérationnelles.

Si les crédits d'entretien programmé du matériel, l'EPM, bénéficient de 39 % des crédits du programme, soit 4,12 Md€, l'amélioration de l'activité opérationnelle n'apparaît pas comme une réelle priorité du budget 2021.

Les niveaux d'activité et de disponibilité technique opérationnelle sont en dessous des normes. Leur remontée est trop faible. Les contrats verticalités donnent quant à eux des résultats plutôt satisfaisants. Les détails figurent dans le rapport écrit qui vous a été envoyé hier. J'insisterai donc sur quelques constats qui me semblent devoir attirer notre attention et qui seront l'enjeu de l'actualisation de la LPM.

La situation de l'activité opérationnelle et de la disponibilité technique opérationnelle-DTO n'est pas satisfaisante.

La remontée de l'activité opérationnelle aux normes d'activité de l'OTAN a été repoussée à 2025. En clair cela veut dire que nos soldats ne sont pas assez entrainés par rapport aux standards internationaux, et qu'ils ne le seront pas avant au mieux 2025.

Cela n'est plus compatible avec le constat que nous faisons de la multiplication des tensions et des affrontements et du durcissement rapide des conflits.

Les capacités industrielles des acteurs en charge de la maintenance, la résilience et la persistance des chaînes d'entretien des équipements ainsi que la capacité de montée en puissance de ces chaînes et des sous-traitants associés doivent faire l'objet d'une grande vigilance.

Pour respecter les objectifs définis, et en supposant un effort identique pendant chaque annuité de la LPM, les crédits consacrés à l'entretien programmé du matériel, l'EPM devraient s'établir à 4,4 Md€ par an. Nous n'y sommes pas : ce sont 900 millions d'euros qui manquent aux cours des trois premières années d'exécution de la LPM ; il ne sera de même pour les annuités suivantes. D'autres facteurs s'ajoutent encore pour accroître les besoins en EPM. Certains sont conjoncturels, tels que le coût de réparation de la Perle pour 70 millions d'euros et le surcoût lié à l'utilisation d'aéronefs vieillissants du fait de la livraison des 12 Rafale destinés à la Grèce. D'autres facteurs sont structurels et découlent de la mise en oeuvre de la politique de verticalisation des contrats d'EPM, notamment dans le domaine aéronautique. Ces contrats verticalisés se traduisent paradoxalement dans un premier temps par des surcoûts : mise en oeuvre de nouvelles chaînes industrielles d'EPM, remise à niveau des stocks de pièces de rechange étatiques, transférés lors de la mise en oeuvre du contrat verticalisé à l'industriel.

Tous ces facteurs s'ajoutent aux causes qui avaient conduit à l'inscription de 500 M€ supplémentaires pour les deux dernières annuités de la précédente LPM, notamment la projection de nos troupes sur de multiples théâtres d'OPEX et la sur-exécution des contrats opérationnels. L'EPM pour répondre à ces défis devra bénéficier d'au moins 2 Mds supplémentaires lors de l'actualisation de la LPM !

Mes chers collègues, sous réserve de ces observations et en recommandant une grande vigilance en vue de l'actualisation de la LPM, je vous propose d'adopter les crédits du programme 178.

Mme Michelle Gréaume, co-rapporteure. - Monsieur le Président, chers collègues, le modèle de soutien des forces armées, réformé pour accentuer son caractère interarmées il y a une dizaine d'années, a souffert du double effet de la révision générale des politiques publiques et de la précédente LPM 2014-2019, porteuses de fortes attritions des ressources humaines des services de soutien. Les rapports de la commission ont d'ailleurs estimé qu'il y avait un décalage entre les moyens alloués et l'impératif d'efficacité pesant de façon renouvelée sur les services de soutien dans un contexte de plus en plus exigeant, marqué par l'accroissement de la population soutenue avec la remontée de la force opérationnelle terrestre (FOT), le réinvestissement du territoire national avec Sentinelle et Résilience, la multiplicité des théâtres extérieurs et désormais une haute intensité sanitaire.

S'agissant du commissariat des armées (SCA) dont les effectifs ont diminué de 30 % ces 6 dernières années, l'adéquation entre les ressources humaines et les objectifs poursuivis devra faire l'objet d'un suivi attentif tout au long de la LPM afin de s'assurer que la direction centrale n'est pas de nouveau confrontée à une pénurie de moyens humains, comme ce fut le cas lors de la précédente période de programmation. De même, il conviendrait de bâtir des parcours et des carrières permettant la professionnalisation des filières du SCA. À ce jour, le directeur du SCA doit faire face à un défi majeur : le niveau de qualification des personnels affectés, souvent d'un grade inférieur aux profils de poste.

S'agissant du service de santé des armées, durant la précédente LPM, le SSA a perdu 8 % de ses effectifs, soit 1 600 personnels. La LPM 2019-2025 prévoit la stabilisation des effectifs jusqu'en 2023, puis leur remontée modérée au-delà.

La mise en oeuvre du nouveau modèle hospitalier militaire sera l'un des axes de la stratégie SSA 2030 en cours de définition. Les cartes ont été rebattues par la pandémie. Les 8 hôpitaux d'instruction des armées participent à l'offre de soins à l'échelle d'un territoire. Les élus locaux doivent donc être étroitement associés à la définition cette offre de soins.

La difficulté centrale du SSA tient à la trop lente remontée en puissance de la médecine des forces. Faute d'effectifs suffisants, les mêmes personnels supportent la charge de projection du service. Le taux de projection des équipes médicales est supérieur à 100 %, malgré l'apport des réservistes, et il atteint 200 % pour les équipes chirurgicales. Cette sur-sollicitation a des conséquences néfastes sur la fidélisation des professionnels de santé militaires. Pour faire face aux besoins de recrutement, notamment de praticiens contractuels des mesures sont mises en oeuvre : communication ciblée, mesures financières, recrutement en cours de 3e cycle des études médicales pour 36 postes, ouverture de 15 postes d'élèves médecins et 10 postes d'élèves infirmiers supplémentaires chaque année à compter de 2019 au titre de la formation ab initio. Les conclusions du Ségur de la santé vont peser sur l'attractivité du SSA et devront sans doute être compensées dans le cadre de l'actualisation de la LPM.

Enfin, les recommandations relatives à la vaccination contre la Covid en France ne visent pas les militaires. On ne sait pas si cette vaccination sera intégrée aux recommandations vaccinales adressées aux militaires Pourtant, les militaires embarqués ou déployés en OPEX doivent absolument bénéficier de mesures de protection adéquate face à la pandémie. Ce sujet fera l'objet d'un suivi très attentif. Notre commission avait obtenu le dépistage systématique des militaires déployés, si la vaccination ne devait pas être rendue obligatoire, les mesures sanitaires adéquates pour continuer de faire face à la pandémie devront être définies par le SSA. Je me propose d'interroger le gouvernement en séance à ce sujet.

M. Cédric Perrin. - Serait-il possible de donner des précisions sur la diminution prévue de la disponibilité technique du Charles de Gaulle, à l'horizon 2023 ?

M. Olivier Cigolotti, co-rapporteur. - Une adaptation des hangars de munitions sera à prévoir, à cette échéance, notamment.

Projet de loi de finances pour 2021 - Mission « Défense » - Programme 212 « Soutien de la politique de défense » - Examen du rapport pour avis

M. Christian Cambon, président. - Nous poursuivons nos travaux par l'examen des crédits du programme 212 « Soutien de la politique de défense ».

M. Joël Guerriau, co-rapporteur. - M. le Président, chers collègues, pour le programme 212 « Soutien de la politique de défense », nous avons deux focus : Marie-Arlette Carlotti va commencer avec l'attractivité de la carrière militaire, et je poursuivrai avec l'effort fait pour le recrutement en cette année de crise sanitaire et les enjeux de la réforme des pensions militaires.

Mme Marie-Arlette Carlotti, co-rapporteure. - Nous nous sommes intéressés au recrutement et nous nous sommes interrogés sur le point de savoir si nous restions dans les clous de la programmation militaire, sachant que l'armée renouvelle chaque année le dixième de ses effectifs. Nous avons constaté une fragilisation au creux de la vague, au printemps dernier, avec un déficit de 2 700 ETP.

Une gestion de la crise adaptée aux évènements a permis de le compenser, l'armée a été réactive pour tenir le cap. En voici quelques exemples : raccourcissement des délais d'incorporation, organisation assouplie des concours, suppression des oraux, simplification du contrôle médical, mise en place de formations à distance, possibilité d'effectuer certains recrutements sans concours, recrutement anticipé de contractuels. La loi du 17 juin 2020 relative à la crise sanitaire est emblématique de la manière dont l'armée a su s'adapter à l'urgence en actionnant plusieurs leviers pour compenser les freins au recrutement, avec par exemple le maintien en service au-delà des limites habituelles ou le réengagement de militaires, dispositifs qui ont plutôt bien marché.

Les publics ont été mieux ciblés grâce à des campagnes plus modernes. La crise a de ce point de vue été intéressante car elle a permis d'éprouver certaines innovations en matière de communication. La hausse du chômage a aussi participé à l'augmentation du nombre de candidatures et facilité la sélection. Ainsi, après le premier confinement, le recrutement a repris à un rythme normal - vous trouverez dans le rapport les chiffres détaillés par armée.

En revanche, nous avons eu plus de difficulté pour évaluer à ce stade la qualité du recrutement, qui se dégrade depuis 2014, notamment pour les militaires du rang, à l'exception de l'armée de l'air. Il faudra surveiller les indicateurs, en particulier le taux d'attrition, qui tend à augmenter. Si l'objectif quantitatif est atteint, il faudra donc vérifier si les profils correspondent bien aux métiers, qui sont de plus en plus pointus.

Nous mesurons encore mal l'impact sur l'attractivité militaire des mesures qui ont été prises et qui sont très intéressantes pour améliorer la qualité de vie du militaire et de sa famille. Je pense notamment au plan famille. Il sera intéressant d'en faire le bilan, puisque nous arrivons à la mi-parcours de ce plan - par exemple pour savoir si la crise a entraîné des retards.

Enfin, je voudrais faire un focus sur le logement. On se souvient du cri poussé ici, dans cette commission, en faveur du logement des gendarmes. La situation n'est pas pire dans les armées, mais il y a un vrai problème. Du reste, chaque armée veut valoriser son patrimoine et en tout cas le garder. On parlait du Val-de-Grâce, mais c'est pareil à Marseille : une caserne a été vendue à des promoteurs et le général voudrait bien, si l'opération ne marche pas, la récupérer pour en faire des logements décents pour les militaires. Je voudrais donc que nous restions également très attentifs au logement.

J'en reviens au recrutement : avril et mai sont restés dans l'histoire comme des mois sans incorporation, Mme la ministre atteindra pratiquement son objectif de 26 000 contrats nouveaux, avec un schéma d'emploi de 188 personnes au lieu 300, soit seulement 112 emplois de moins.

L'armée s'est donc adaptée à l'urgence, mais n'est-ce pas, au fond, sa fonction ?

M. Joël Guerriau, co-rapporteur. - Je me suis intéressé aux méthodes innovantes de communication et de ciblage du public qui ont été utilisées pour augmenter le recrutement. La dernière campagne de recrutement de l'armée de terre est exemplaire. En misant sur le big data et l'intelligence artificielle, elle repère sur les réseaux sociaux les profils pertinents, leur adresse des messages et des micro-vidéos ciblées, et, apprenant de ses erreurs, elle améliore en permanence ses méthodes de ciblage en fonction des retours...

Par ailleurs, la mise en place du logiciel de recrutement interarmées SPARTA devrait faciliter le suivi des candidatures par les recruteurs, améliorant les conditions de leur discernement tout en raccourcissant la procédure.

Pour aider encore à la réduire, nous préconisons dans notre rapport de pérenniser la simplification du contrôle médical mise en oeuvre pendant la crise, avec une visite au lieu de deux.

J'en viens aux pensions militaires, qui viennent de faire l'objet d'un rapport remarqué du HCECM, le Haut comité d'évaluation de la condition militaire. Ce rapport permet de mesurer combien les pensions sont importantes et centrales dans la condition militaire. Toute réforme doit être entreprise avec la plus grande prudence car c'est en fait tout l'édifice des carrières militaires qui sera fragilisé.

Les pensions militaires servent aussi des objectifs de défense, en maintenant la jeunesse des armées.

Les règles sont en effet particulières, avec la possibilité d'une liquidation immédiate au bout de 27 ans pour les officiers de carrière et de 17 ans pour les non officiers. Après respectivement 29 ans et 19 ans, les pensions sont ainsi servies sans décote. Les pensions restent proportionnelles à la durée de cotisation, mais celle-ci peut être largement majorée par des bonifications spécifiques.

Au total, dans son agencement actuel, ce système encourage les reconversions en milieu de carrière. Les pensions sont liquidées à 45 ans en moyenne. Ces conditions servent ainsi la démographie d'une armée d'emploi, qui doit en outre s'accorder avec la « haute intensité ».

Or, de 2003 à 2016, sous l'impact des réformes paramétriques successives, l'âge moyen des militaires s'est accru de presque 3 ans. Le retour à un schéma d'emploi positif depuis 2016 a porté un coup d'arrêt à ce vieillissement, mais la tendance à entrer plus tard sur le marché du travail, jointe à l'impact du chômage sur les reconversions de milieu de carrière, incitent à la vigilance.

Dès lors, toute évolution doit être envisagée avec prudence. Par exemple, dans la réforme envisagée par le gouvernement, les primes seraient intégrées dans la base de calcul, moyennant quoi le système « à points » tiendrait compte, au lieu des dernières rémunérations, de toutes celles perçues au cours de la carrière.

Difficile, dans ces conditions, de présumer d'un équilibre final qui dépendrait à la fois : du rendement du système, de la traduction des bonifications et de la décote dans ce système, de la part que représentent les primes dans la rémunération - qui diffèrent selon les cadres au sein des armées et sont elles-mêmes en plein devenir avec la nouvelle politique de rémunération des militaires - , enfin, du profil de carrière, plus ou moins ascendant...

Sont aussi à surveiller les modalités des pensions de réversion : elles impactent la condition militaire, dès lors que des risques particuliers sont encourus.

Ce sujet suscite une très grande inquiétude chez les militaires. La commission devra continuer d'exercer une vigilance particulière. Comptez sur vos deux rapporteurs pour suivre ce dossier de près.

En conclusion, nous proposons un avis favorable à l'adoption de ces crédits du programme 212.

M. André Guiol. - J'ai cru comprendre que l'on réduisait les temps de formation, or nous en avons vu récemment les conséquences fâcheuses pour d'autres secteurs, par exemple dans la police. Il faut donc être prudent et veiller à ne pas réduire le temps global de formation.

M. Cédric Perrin. - L'armée de l'air était la grande oubliée de la loi de programmation militaire avec un besoin supplémentaire que nous avions estimé à 3 500 postes ; il faudra encore recruter 1 000 pilotes pour satisfaire aux engagements. Pensez-vous que la trajectoire de la loi de programmation militaire permettra d'atteindre ces cibles ? J'en doute.

M. Joël Guerriau, co-rapporteur. - Grâce au rattrapage en cours, notamment via les ciblages sur les réseaux sociaux, les objectifs de la loi de programmation militaire seront pratiquement atteints dans tous les domaines. Une récente émission sur Public Sénat vient en outre de confirmer l'appétence des jeunes pour l'armée dans le contexte de la crise sanitaire.

Mme Marie-Arlette Carlotti, co-rapporteure. - Nous resterons prêts à suivre la qualité du recrutement, car c'est un souci pour tout le monde.

M. Christian Cambon, président. - Je voudrais insister sur deux points. D'abord le sujet de l'immobilier : la commission doit y veiller, des décisions vont être prises et je pense notamment au Val-de-Grâce, sachant que l'on retrouve des sujets identiques en province. Une pression très importante s'exerce sur le logement des militaires, à laquelle nous devons rester attentifs.

Ensuite, la réforme des retraites, dont j'entends qu'elle pourrait revenir en discussion, même si on ne sait pas sous quelle forme. Ce projet a un impact sur l'état d'esprit des militaires, qui comptent beaucoup sur notre soutien pour que cette manifestation de la reconnaissance de la Nation que sont les pensions militaires soit maintenue.

M. Joël Guerriau, co-rapporteur. - C'est un sujet qu'il faudra creuser. La référence aux 6 derniers mois dans le système actuel permet, par exemple, de valoriser les pensions de ceux qui viennent de prendre du galon, évitant que celles-ci ne soient trop basses. Le renoncement à ce système pour une prise en compte de l'intégralité de la carrière aurait cependant une contrepartie : la prise en compte des primes. Il faudrait alors s'assurer que ce nouvel équilibre se traduise par un supplément d'équité.

M. Christian Cambon, président. - N'hésitez pas à bien balayer ce sujet dans les mois qui viennent, dans la perspective d'un avis que nous aurions à rendre.

Projet de loi de finances pour 2021 - Mission « Défense » - Programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense » - Examen du rapport pour avis

M. Pascal Allizard, rapporteur pour avis. - Le programme 144 voit ses crédits progresser plus que la moyenne du ministère, avec une hausse de 8,9 %. Cette augmentation profite aux deux volets principaux du programme, à savoir le renseignement, sur lequel Yannick Vaugrenard reviendra dans quelques instants, et les crédits d'études amont.

Les crédits d'études amont progresseront de 80 millions d'euros, pour s'établir à 901 millions d'euros. Ces crédits commenceront en 2021 à financer le nouveau Fonds d'innovation Défense (FID, Ex-Definnov), qui atteindra à terme 200 M€. Sa montée en puissance se fera sur 5 ans. Comme prévu, ce fonds pourra intervenir dans des tours de table d'entreprises innovantes de la défense, jusqu'à 10 % de son encours. Il est à noter que ce montant de 200 M€ serait un socle minimal, auquel pourraient venir s'ajouter la participation d'autres acteurs publics ou privés, ce qui pourrait éventuellement permettre d'envisager des tickets par opération d'un montant supérieur.

Ce nouveau Fonds d'innovation Défense va dans le bon sens. Mais il ne saurait régler le fond du problème : les difficultés croissantes qui pèsent sur le financement des entreprises de la défense, conduisant les plus fragiles à péricliter ou à être rachetées par des acteurs étrangers.

De façon de plus en plus forte, les entreprises de la BITD font état des difficultés qu'elles rencontrent à se financer auprès du secteur bancaire, désormais quels que soient la taille de l'entreprise et son secteur d'activité (terrestre, aéronautique, naval). De très beaux noms de la BITD sont maintenant aussi concernés.

Les causes sont multiples :

- il n'est jamais facile, pour une entreprise, d'aller se plaindre de son banquier aux autorités de régulation ou même à la justice. C'est encore moins aisé dans le secteur de la défense, qui travaille en général dans la discrétion ;

- des éléments factuels incitant les banques à la prudence. On pense en particulier aux sanctions extraterritoriales américaines, qui avaient par exemple frappé BNP Paribas d'une amende de 9 milliards d'euros en 2014. Nous avons déjà évoqué ce sujet qui renvoie tout simplement à notre souveraineté ;

- l'action d'ONG qui veulent orienter l'opinion publique dans le sens d'une hostilité croissante aux ventes d'armes, et en définitive même à leur production.

A ce stade, nous pensons que pour faire évoluer la situation, il faut agir dans trois directions :

- établir un réel dialogue, autour des représentants de l'Etat (en particulier la DG Trésor, le Médiateur national du crédit et l'Autorité de contrôle prudentiel et de régulation (ACPR)), entre les entreprises de la BITD et les banques ;

- faire comprendre, au-delà de la communauté de défense, la relation directe entre l'existence de la BITD et la souveraineté nationale ;

- oeuvrer à défendre notre souveraineté économique, en nous soustrayant aux régimes de sanctions extraterritoriales ou en développant des solutions nationales de financement, par exemple à travers des fonds d'investissement privés d'un genre nouveau. Notons tout de même, à ce sujet, que nous Européens sommes aussi en train de définir une extraterritorialité, par exemple en matière de lutte contre le blanchiment et le terrorisme.

C'est un vaste sujet et nous ne pouvons l'épuiser ici : il nous faudra continuer à nous mobiliser sur ces questions fondamentales.

Enfin, je voudrais signaler très brièvement que nous avons été étonnés et choqués de découvrir la réduction de voilure de notre réseau de missions militaires à l'étranger, dans des postes très sensibles (Alger, Tunis, Amman, Tbilissi (qui couvre l'Arménie et l'Azerbaïdjan)), ou même Londres et Moscou. C'est un contresens total, dans le contexte actuel. On cherche à économiser quelques centaines de milliers d'euros quand le budget de la mission augmente d'1,6 milliard d'euros !

Voici donc les réserves et les nuances qu'il me paraissait utile d'apporter à ce budget du programme 144 qui reste, sur le plan budgétaire, positif car marqué par un accroissement sensible des crédits.

M. Yannick Vaugrenard, rapporteur pour avis. - Le programme 144 porte une partie des crédits du renseignement, pour un peu plus de 400 millions d'euros (406,4 M€).

Ces crédits concernent deux services du « premier cercle » qui dépendent du ministère des armées : la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure) et la DRSD (Direction du renseignement et de la sécurité de la défense). Ces deux services ne sont pas du tout comparables en taille, la DGSE bénéficiant de crédits beaucoup plus importants dans ce programme.

J'aborderai en premier lieu la situation de la DGSE. Le service voit ses moyens augmenter, ce qui est conforme à la priorité affirmée par la LPM 2019-2025. Sur le programme 144, les crédits s'établiront en 2021 à 388 millions d'euros, soit une hausse de 11,4 %. Cette augmentation sensible reflète la poursuite d'un très important effort d'investissement. Il s'agit d'une part de mettre le parc immobilier à niveau, à la fois pour faire face à la croissance des effectifs, et pour rénover certains bâtiments vétustes. Il s'agit également de procéder à des investissements dans les capacités techniques, en particulier dans des domaines où le progrès technologique impose des investissements soutenus pour se maintenir à un bon niveau. Il faut savoir que les capacités techniques de la DGSE ont vocation à être partagées avec les 5 autres services du premier cercle.

Pour avoir une vision consolidée de ce service, il convient d'examiner aussi ses moyens humains. La DGSE compte aujourd'hui environ 7 100 personnes. Les effectifs devraient rester stables en 2021, avant de reprendre leur progression pour atteindre environ 7 800 personnes en 2025.

En intégrant les dépenses de personnel, les crédits de la DGSE s'établiront, en 2021, à 880 millions d'euros, soit une hausse de 7,7 % par rapport à 2020.

Enfin, il faut mentionner aussi l'existence des fonds spéciaux. La part principale des 76,4 M€ de fonds spéciaux va à la DGSE.

Pour porter une appréciation sur ce niveau de crédits, il faut considérer néanmoins que l'effort financier de la France dans le domaine du renseignement extérieur reste vraisemblablement encore un peu inférieur à celui consenti par l'Allemagne, et très sensiblement inférieur à celui consenti par le Royaume-Uni.

J'en viens maintenant à la DRSD, un service en transformation, qui réoriente de plus en plus son activité sur le renseignement. Rappelons qu'avec 1 500 agents, ce service doit mener un nombre très importants d'enquêtes administratives (311 000 enquêtes l'an passé), en vue d'assurer la protection de nos forces, du ministère et des emprises militaires, ainsi que des entreprises de la BITD. Le service a donc dû se moderniser considérablement, et mettre en place des outils d'aide au traitement des dossiers, en recourant notamment à l'intelligence artificielle.

Les crédits de la DRSD inscrits au programme 144 progresseront de 12,2 %, pour s'établir à 18,4 M€. En y incluant les dépenses de personnel, les crédits du service seront de 143,2 M€.

Au vu de ces éléments concernant le budget du programme 144, et notamment des crédits du renseignement, marqué par une hausse sensible, je vous propose d'émettre un avis favorable à l'adoption de ces crédits.

M. Cédric Perrin. - Je souhaiterais revenir sur le financement des PME. Un peu plus de deux ans après la création de l'Agence de l'innovation de défense, quel jugement posez-vous notamment sur la question de l'autonomie de l'Agence, et sur les points soulevés par le rapport de notre commission sur l'innovation de défense ?

Concernant les crédits d'études amont, on peut se réjouir de leur progression. Néanmoins, ils restent pour l'essentiel fléchés sur sept grandes entreprises. Dans quelle mesure les PME peuvent-elles également bénéficier de cette progression des crédits ?

M. Pascal Allizard, rapporteur pour avis. - Nous avons naturellement auditionné le directeur de l'AID. Concernant tout d'abord la trajectoire définie par la LPM, les chiffres sont bien au rendez-vous à ce stade. Est-ce que la trajectoire beaucoup plus ambitieuse de la seconde partie de la LPM sera tenue ? Nous l'espérons, bien sûr.

Concernant la ventilation des crédits d'études amont, il est certain qu'ils profitent en première analyse essentiellement à de grandes entreprises. Mais c'est aussi parce que ce sont les porteurs de projets. Une partie des crédits irrigue ensuite toute la chaîne de sous-traitants. C'est un point de vigilance.

Mais cette question des crédits d'études amont ne doit pas faire oublier que le fonds du problème est l'accès des entreprises de la défense au financement, que ce soit pour le haut de bilan, les projets ou le bas de bilan. Il y a sur ce sujet une préoccupation très forte aujourd'hui. Tout récemment, une très grande entreprise française s'est vu refuser un paiement à l'étranger.

Projet de loi de finances pour 2021 - Mission « Défense » - Vote sur l'avis de la commission

M. Pascal Allizard. - Concernant l'ensemble des crédits de la mission « Défense », je reconnais que les chiffres sont au rendez-vous ; la LPM est respectée, ce qui explique que je sois favorable à l'adoption des crédits. Mais il me semble important de garder à l'esprit quelques réserves, notamment l'impact du prélèvement des Rafale du marché grec, la question de la bonne affectation du produit de cette cession, et la question du différentiel entre le produit de cession d'avions d'occasion et le prix d'achat des avions neufs qui viendront les remplacer. Pour ces raisons, je proposerais en quelque sorte un avis favorable, sous réserve des précisions que la ministre pourra nous apporter en Séance.

Second point d'importance, l'incertitude qui entoure le projet de loi d'actualisation. C'est un point fondamental, sur lequel nous avons besoin d'éclaircissements de la ministre.

M. Christian Cambon, président. - Nous avons à de nombreuses reprises soulevés ces points importants. Tout d'abord, sur le plan méthodologique, la discussion en Séance doit justement servir à lever les ambiguïtés, et vos différents rapports préparent précisément ces débats.

Quant au respect de la trajectoire de la LPM, pour l'instant il faut donner acte que celle-ci est respectée. Évidemment, nous n'avons cessé de dire que c'était dans la seconde partie de la LPM que des difficultés étaient à redouter.

C'est bien pour cette raison que l'actualisation de la LPM est pour nous un point de très grande vigilance. Nous exigeons une loi d'actualisation et nous refusons de rentrer dans un régime d'ordonnances. C'est exactement ce que j'ai écrit au Premier Ministre et à la ministre des armées.

Pour ce qui est du contrat grec des Rafale, il y a le verre à moitié vide et le verre à moitié plein. Assurément, la vente du Rafale à un pays européen est un succès considérable. Mais il y a un différentiel de 700 millions d'euros. S'ils étaient perdus pour le MINARM, ce serait évidemment un problème majeur. Par ailleurs, je rappelle qu'il y aura un étalement des livraisons.

M. Cédric Perrin. - Concernant le verre à moitié plein évoqué par le Président, il faut être clair : sans le contrat grec, la chaîne de production aurait dû être fermée. Par ailleurs, ce contrat n'est pas arrivé par hasard. Le MINARM réflechissait à ce scenario pour un éventuel contrat avec la Croatie. Le contrat grec, les perspectives en Croatie et peut-être en Suisse sont de bonnes nouvelles, même s'il faut toujours conserver une certaine vigilance.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Il est très important que la commande des Rafale remplaçant ceux livrés à la Grèce soit passée maintenant. Quand nous votons le budget, nous devons anticiper les besoins et les commandes pour les cinq années à venir.

Mme Michelle Gréaume. - Même si nous n'en partageons pas nécessairement les conclusions, je salue la qualité des rapports qui nous ont été présentés.

M. Olivier Cigolotti. - La création de la direction de la maintenance aéronautique (DMAé) a cl airement amélioré la disponibilité des matériels. La verticalisation a aussi porté ses fruits. Mais tout cela entraîne aussi une hausse des coûts. Il faudra intégrer cette dimension au moment de l'actualisation.

M. Pascal Allizard. - Il faut rappeler que 60 % de l'effort financier porté par la LPM sont concentrés sur les trois dernières années. Il faut donc toujours rappeler que le plus difficile est à venir, quand les marches de hausse des crédits vont doubler.

Quant à la vente des Rafale, je m'en réjouis tout à fait, mais il faut apporter sans délai une réponse aux conséquences sur l'équipement de l'armée de l'air et de l'espace. Je souscris donc au point de vue d'Hélène Conway-Mouret, et il edt important que la ministre réponde sur ce point en Séance.

M. Cédric Perrin. - Il faut faire très attention à l'échéance de 2022. Pour que les entreprises puissent livrer, il faut passer les commandes dès maintenant. Mais la marche de 2022 sera-telle tenue ? C'est un vrai risque pour les entreprises.

Par ailleurs, je voudrais rappeler qu'en Allemagne, les députés du Bundestag n'hésitent pas à mettre la pression sur les industriels français dans le cadre des grands programmes de coopération SCAF et MGCS. A contrario, en France le MINARM travaille toujours seul, sans associer les élus. C'est très regrettable.

M. Christian Cambon, président. - Il est vrai qu'il est important que le MINARM s'ouvre plus aux élus. Le Parlement n'est pas là que pour servir de point d'appui quand le ministère a besoin de soutiens. Nous avons soutenu la LPM, mais cela n'a pas levé certaines difficultés d'accès aux informations et de travail en commun.

Concernant notre partenariat, l'Exécutif a peut-être sous-estimé l'importance du Bundestag dans le système institutionnel allemand. Et pour échanger avec les parlementaires allemands, les parlementaires français sont des interlocuteurs privilégiés. Nous avons donc un rôle important à jouer dans ces dossiers, sur lesquels il faut rester mobilisés et prudents.

M. Joël Guerriau. - Je souahiterais avoir une pensée pour nos marins, sur lesquels la covid fait peser des contraintes particulières, comme un isolement de 15 jours avant les embarquements ou la suppression des escales.

M. Bruno Sido. - Il faudrait du reste que les marins soient parmi les populations prioritaires pour la vaccination.

M. Ludovic Haye. - Aujourd'hui, le SNU, le service national universel, et le SMA, le service militaire adapté, donnent de très bons résultats, particulièrement en termes d'insertion pour ce dernier dispositif. J'ai une question qui concerne Joël Guerriau et Marie-Arlette Carlotti : vous avez évoqué un recrutement qui se fait de manière allégée, pour partie en ligne, en raison des difficultés sanitaires, et je voudrais savoir si cela s'ajoute, ou si cela remplace le recrutement normal en SMA et SNU. Dans cette dernière hypothèse, il serait dommage de se priver de jeunes qui sont déjà dans l'institution et qui voudraient peut-être y rester.

M. Joël Guerriau. - Il s'agit là de deux choses différentes, en termes de tranche d'âge et de stratégie. Nous ne visons dans le rapport que le strict recrutement de l'armée. Nous n'y avons pas traité cette année du SNU, dont les crédits ne sont d'ailleurs pas rattachés à Défense. Nous aurons plus tard une investigation particulière à conduire sur ce dispositif à la faveur de sa montée en puissance, puisqu'il doit in fine toucher 800 000 jeunes, mais, pour l'heure, le SNU touche une population limitée.

M. Ludovic Haye. - J'entends bien. Mais il me semble que la question peut néanmoins se poser, dès lors que les jeunes exerçant un SMA ou un SNU sont susceptibles de constituer un vivier important pour les années à venir.

M. Joël Guerriau. - En effet, les jeunes concernés peuvent constituer un vivier très intéressant pour les armées.

M. Christian Cambon, président. - Je rappelle la position de la commission au sujet du SNU. C'est d'abord une initiative à prendre en considération car le lien entre la jeunesse, l'armée et la Nation tend à se distendre. C'est ensuite un dispositif qui ne doit pas impacter le budget des forces armées, qui n'ont pas à être en première ligne pour ce type de formation, en sollicitant plutôt l'éducation nationale ou les sports. C'est enfin un dispositif qui ne doit pas remettre en cause le SMA, qui touche de faibles effectifs mais s'avère très utile, ni le SMV, le service militaire volontaire, qui est organisé par les régions pour les « décrocheurs ». D'une façon générale, ces dispositifs répondent à des objectifs spécifiques et ils fonctionnent bien. Il convient donc de les laisser fonctionner ! Par ailleurs, j'observe qu'il existe aujourd'hui un certain flou autour du devenir du SNU. Quoi qu'il en soit, le sujet reviendra certainement.

Puis la commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Défense », les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe écologiste, solidarité et territoires, s'abstenant.

- Présidences de M. Pascal Allizard, vice-président et de M. Christian Cambon, président -

Audition de M. Juan Guaido, président de l'Assemblée nationale du Venezuela et président de transition en charge de mettre en oeuvre un processus électoral

M. Pascal Allizard, président. - Monsieur le président, vous êtes reconnu par la France comme président de transition, en charge de mettre en oeuvre un processus électoral dans votre pays. C'est un rôle qui se fonde sur la constitution du Venezuela. Je rappelle que la réélection du président Maduro en 2018, avec 68 % des suffrages, n'a pas été reconnue par une partie de la communauté internationale, et notamment par les pays de l'Union européenne, qui plaident pour l'organisation de nouvelles élections démocratiques.

Depuis la crise politique, qui dure depuis 2015, le régime chaviste malmène les contre-pouvoirs, et la répression s'abat sur l'opposition. Tout récemment, plusieurs de vos collaborateurs ont été arrêtés, et vous-même vivez sous une menace permanente, dans la clandestinité.

Le pouvoir en place est à l'origine de graves violations des droits humains, dénoncés notamment par le Haut-Commissariat de l'ONU aux droits de l'homme.

Pouvez-vous nous dire où en est aujourd'hui la situation économique, sociale et sanitaire du Venezuela puisque, à tous les maux dont souffre déjà ce pays s'ajoute, comme ailleurs, la pandémie de Covid-19 ?

Par ailleurs, vous avez appelé à boycotter les élections législatives organisées par le régime le 6 décembre prochain. Vous allez lancer prochainement une consultation populaire destinée à permettre aux citoyens vénézuéliens d'exprimer leur refus de ce scrutin. En quoi cette consultation va-t-elle consister ? Comment l'organiserez-vous ? Quelles questions poserez-vous ?

Il se dit aussi que l'Assemblée nationale actuelle pourrait prolonger son mandat au-delà du 5 janvier 2021, à travers une commission permanente constituée autour de vous et d'autres chefs de parti. Est-ce bien le cas ? Quel pourrait être l'issue de ces différents processus ? Quels sont les scénarios possibles ?

Enfin, dans ce contexte, qu'attendez-vous de la communauté internationale et en particulier de la nouvelle administration américaine ? Avez-vous d'ores et déjà établi des contacts avec cette dernière ?

Monsieur le président, je vous cède la parole. Nous poursuivrons ensuite avec une séquence de questions-réponses avec mes collègues.

M. Juan Guaido, président de l'Assemblée nationale du Venezuela et président de transition en charge de mettre en oeuvre un processus électoral. - Monsieur le président, je suis très honoré d'être aujourd'hui parmi vous grâce à l'intermédiaire de moyens de communication modernes.

Je voudrais remercier la France pour l'accueil qu'elle réserve aux Vénézuéliens, très apprécié dans le contexte actuel de la pandémie, auquel s'ajoute la situation humanitaire difficile que nous traversons.

Hier, une commission des Nations unies a indiqué que 9,1 millions de Vénézuéliens se trouvaient actuellement en situation de vulnérabilité dans le pays, soit un tiers de notre population. Plus de 5 millions de réfugiés se trouvent également dans différents pays latino-américains.

Dans ce contexte, j'occupe actuellement, comme vous l'avez dit, le mandat de président en charge de mettre en place un processus électoral, en application de l'article 233 de notre Constitution, après l'usurpation du pouvoir par Maduro au cours des dernières élections de 2018, lors desquelles il a reçu 68 % des suffrages.

Depuis lors, notre plus grande préoccupation est que les Vénézuéliens s'expriment légitimement malgré la pandémie et la situation d'urgence que nous traversons, et que nous puissions tenir des élections parlementaires libres et justes, afin de choisir librement les représentants de notre pays. Mon rôle est de mener à bien cette élection.

Un fait qui s'est produit la semaine dernière au Venezuela reflète bien le contexte actuel dans lequel évolue notre pays : les vingt-neuf passagers d'une embarcation, dont seize enfants, ont vécu un véritable calvaire, comme l'a indiqué le journal Le Monde. Ils avaient émigré vers Trinité-et-Tobago dans des embarcations très précaires en raison de la situation qui règne dans le pays. Ces enfants n'ont jamais pu manger à leur faim, aller à l'école, apprendre, grandir, développer leurs talents en tant qu'êtres humains. La situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui est une négation de la dignité humaine. Il faut être vraiment désespéré pour prendre une petite embarcation et y entasser sa famille, ses enfants affamés, pour essayer de trouver une autre solution. Malheureusement, ces enfants ont été renvoyés de Trinidad-et-Tobago et ont dû rentrer au pays, certains ayant même été arrêtés. Cet exemple illustre le drame vécu actuellement par 5 millions de Vénézuéliens. Des enfants fuient également à pied vers Lima et d'autres pays latino-américains, fuyant les pénuries et les persécutions. Aujourd'hui, le Venezuela est malheureusement en guerre. Le PIB s'est contracté de 75 % au cours des dernières années. L'hyperinflation qui a dépassé le million en pourcentage au cours des trois dernières années.

Moi-même j'ai dû faire la queue à 6h00 ce matin pour essayer de mettre un peu d'essence dans ma voiture. Le pétrole ne peut plus être produit comme auparavant. Or il s'agit de la principale ressource de notre pays.

Diosdado Cabello, numéro deux du parti de Maduro, a appelé aux élections en disant que les Vénézuéliens qui n'iraient pas voter ne mangeraient pas. Ces élections sont une arme contre la population.

Michelle Bachelet, Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, l'a bien souligné : le programme alimentaire mondial ne peut pénétrer au Venezuela, le régime l'ayant interdit. Ce dernier utilise la nourriture comme une arme pour contenir la population, au lieu d'aider les 9 millions d'habitants en situation de pauvreté.

La population n'arrive même pas à couvrir 15 % de ses besoins alimentaires. Le plus grand réseau de distribution alimentaire est actuellement assuré par le gouvernement, par le biais d'une aide alimentaire sans laquelle les Vénézuéliens sont menacés de ne pouvoir manger.

Le contexte que nous traversons s'est aggravé avec la pandémie de Covid-19. Le conflit entre Nicolas Maduro et moi perdure, et nous cherchons à le résoudre par le biais d'une nouvelle élection libre. Nous luttons pour vivre dignement et faire respecter les droits de l'homme.

Un enseignant gagne aujourd'hui 2 dollars par mois, une infirmière 2,5 dollars. C'est un grand défi pour nous, dans le contexte international, de faire face au coronavirus dans ces conditions. Si la situation continue, nous pensons passer de 5 millions de réfugiés à 6 millions l'année prochaine.

Un consensus s'est dégagé pour que la communauté internationale vienne en aide à notre pays afin que celui-ci retrouve la démocratie, consensus auquel a adhéré l'Organisation des États américains (OEA).

Nous sommes passés d'exportateurs à importateurs de pétrole et faisons venir du pétrole d'Iran. Il existe également un trafic d'armes et du blanchiment d'argent au sud du Venezuela : c'est avec cet argent que le régime de Maduro paye le pétrole qu'il importe d'Iran.

La situation est très déplorable dans le sud de pays, qui protège en quelque sorte le régime de Maduro, dont le gouvernement a détruit le poumon naturel du monde, l'Amazonie vénézuélienne. Maduro a vendu plus de 10 milliards d'or appartenant au Venezuela. Des mercenaires russes protègent l'exploitation de l'or vénézuélien dans le sud du pays. Une exploitation qui a de graves conséquences au plan environnemental, dans une région située à quelques kilomètres seulement de la Guyane.

Nous voudrions que cette région puisse se concentrer sur la lutte contre le changement climatique et la protection de la forêt, car elle fait l'objet d'une surexploitation de la part du gouvernement Maduro. C'est également un lieu où l'on s'attaque aux populations autochtones. Michelle Bachelet évoque clairement cette situation.

Dans ce contexte, les élections du 6 décembre prochain nous préoccupent. Certains médias ont affirmé que je participais à ce processus, alors que ce n'est pas le cas. Je suis actuellement poursuivi, et aucun parti politique ne peut en réalité participer à ces élections. Nous n'avons plus le droit de nous présenter. C'est pourquoi nous parlons de boycott.

Depuis le début 2018, l'Union européenne, l'OEA et l'ONU ont indiqué que le processus n'était pas démocratique. C'est pourquoi nous souhaitons que le Sénat français et le monde démocratique nous accompagnent et exigent des élections qui nous permettent de sortir de la crise que nous traversons, non seulement humanitaire, mais aussi démocratique. C'est la première fois que l'Amérique latine se trouve dans cette situation. L'ONU a même parlé de crime contre l'humanité au sujet de Maduro.

On sait que la torture sévit dans notre pays. Je veux relater ce qui est arrivé à l'un de mes collaborateurs à l'Assemblée nationale. Il a été séquestré, frappé, la tête couverte d'un sac. Comme il ne voulait pas livrer les informations demandées, ses bourreaux ont menacé de torturer son fils de huit ans en lui mettant un sac sur la tête. Il dit avoir été sur le point de céder à ce moment-là, mais il s'est convaincu qu'ils n'avaient pas séquestré son fils et accroché à cette idée, il en a tiré de la force pour supporter les coups. C'est par cette méthode du sac sur la tête qu'ont été assassinés Fernando Alban, conseiller de la ville de Caracas, responsable politique de l'opposition et proche du chancelier Julio Borges, ou mon ami Edmundo Rada, conseiller municipal de Sucre, l'une des villes les plus populaires d'Amérique latine.

Je veux par ces exemples démontrer que les droits de l'homme ne sont absolument pas respectés au Venezuela. La population qui lutte pour sa dignité est poursuivie, torturée, assassinée. Malgré tout, nous demeurons fermes et défendons nos idées. Nous remercions la France pour son aide et son accompagnement. Il est important que l'enquête détermine s'il y a violation des droits de l'homme et crimes contre l'humanité de la part de Maduro.

Nous allons bien entendu continuer le combat. En 2021, nous souhaitons pouvoir réunir les conditions pour réaliser des élections présidentielles démocratiques. Il nous faut rallier tous les secteurs pour lutter contre la parodie d'élections qui a eu lieu.

C'est un acte criminel qui n'est pas digne d'un système démocratique, sans parler des séquestrations d'opposants. Il existe en effet des prisonniers politiques, et nous avons besoin de l'aide de la communauté internationale pour mettre en place la transition. Cela viendra du Venezuela, mais il faut que nous ayons des interlocuteurs légitimes vis-à-vis du monde, afin que chacun se rende compte de l'urgence humanitaire que connaît le Venezuela, et que nous mettions en place la relève grâce aux prochaines élections.

C'est le processus dans lequel on doit s'engager, mais nous savons que ce n'est pas suffisant. Il faut mobiliser les Vénézuéliens pour trouver la solution et faire en sorte que les droits de l'homme soient de nouveau respectés au Venezuela.

Nous sommes en relation avec des pays comme la Norvège, dont la population a pacifiquement manifesté dans la rue en faveur du Venezuela.

La consultation que nous réclamons est destinée à offrir une alternative au Venezuela. Selon l'article 70 de notre Constitution relatif aux mécanismes de participation, nous devons mobiliser la diaspora, ces 5 millions de Vénézuéliens qui veulent revenir dans leur pays. Ils n'ont malheureusement pas encore pu le faire, et n'ont même pas droit à une identité dans les pays où ils se trouvent. Nous voulons les accueillir à nouveau, et nous avons besoin pour ce faire de nos voisins d'Amérique latine.

Il est très difficile de s'adresser à interlocuteurs légitimes lorsque le pouvoir a été gagné comme il l'a été. Nous refusons le régime et souhaitons entreprendre une consultation populaire avec l'appui de la population. Nous allons donc utiliser l'article 333 de la Constitution pour organiser ce suffrage, qui comportera également des élections municipales.

La mobilisation intérieure et des appuis internationaux sont nécessaires, parmi lesquels celui des pays européens, afin de faire valoir les droits de l'homme et la dignité humaine au Venezuela. Tout ceci va nous permettre de trouver une solution à un conflit très complexe. En demeurant unis, on pourra résoudre cette situation.

Nous savons que la France jouit d'une très grande expérience diplomatique, et nous voudrions bénéficier de celle-ci pour trouver un moyen pour défendre les droits de l'homme dans le cadre constitutionnel au sein d'un mouvement non-violent.

Je vous remercie de m'avoir écouté et, à travers moi, d'avoir entendu les Vénézuéliens.

M. Pascal Allizard, président. - Merci beaucoup pour votre exposé.

La parole est aux commissaires.

M. Olivier Cadic. - Monsieur le président, mes premiers mots sont pour vous dire que ce fut un honneur et un privilège de vous rencontrer, l'an dernier, auprès du président Larcher et du président Cambon, lors de votre visite à Paris.

Durant votre rencontre avec les Vénézuéliens de France à la Maison d'Amérique latine, j'ai pu voir que vous portiez l'espoir de tout un peuple attaché aux valeurs fondamentales et aux droits humains.

Nous étions ce midi, avec le président Cambon, à l'ambassade du Chili : apprenant votre audition cet après-midi au Sénat, le ministre des affaires étrangères du Chili, Andrés Allamand, m'a demandé de vous adresser ce message personnel : « Monsieur le président, cher Juan, c'est le ministre et l'ami qui te parle. Tu es et resteras l'autorité légitime du Venezuela après le 6 décembre. Le Chili n'attribuera aucune légitimité à cette nouvelle assemblée qui ne sera pas élue dans des conditions démocratiques. »

Monsieur le président, le Venezuela fut le premier pays d'Amérique latine visité par le général De Gaulle. Lors de son discours, en 1964, il a remercié le Venezuela pour son soutien au moment de la Libération de la France au sortir de la Seconde Guerre mondiale et a félicité le pays pour sa stabilité constitutionnelle et démocratique.

Mais le Venezuela d'aujourd'hui, que j'ai eu l'occasion de visiter il y a quelques années, n'est plus le même que celui qui a accueilli le général de Gaulle. C'est un pays qui souffre, entre les mains d'une dictature féroce qui bafoue les droits des citoyens et qui commet des crimes contre l'humanité, comme l'a récemment souligné une mission internationale indépendante de l'ONU.

Comme vous l'avez dit à Paris, notre seule limite est notre vie, et il est évident que nous sommes face à un peuple qui est prêt à tout pour défendre la démocratie et la liberté. Je suis très admiratif de la lutte du peuple vénézuélien et de ses représentants, que vous incarnez. Malgré les persécutions et les menaces à votre encontre, vous continuez à vous battre tous les jours pour le respect de l'État de droit et des droits humains.

Nous sommes bien conscients des risques que vous encourez. Le groupe de l'Union centriste, à l'origine de la résolution votée à 95 % par le Sénat l'an dernier pour le renforcement des sanctions contre les responsables des violations des droits humains au Venezuela, souhaite réitérer son plein soutien aux forces démocratiques vénézuéliennes pour le retour de la démocratie, de la liberté et de la stabilité dans votre pays.

Monsieur le président, quelles actions pouvons-nous selon vous mettre en oeuvre depuis la France en tant que parlementaire pour soutenir l'Assemblée nationale vénézuélienne, dernier rempart démocratique du pays face à l'opération électorale qui sera organisée par la dictature de Nicolas Maduro dans quelques jours ? Comment pouvons-nous concrètement vous appuyer afin que des élections présidentielles libres et transparentes soient organisées en 2021 au Venezuela ?

M. Hugues Saury. - Monsieur le président, en septembre dernier, le président Nicolas Maduro a décidé de gracier plus d'une centaine d'opposants « afin de promouvoir la réconciliation nationale », pour reprendre ses mots.

À trois mois des élections législatives, cette grâce, d'une ampleur inégalée, arrivait à point nommé. La plupart des personnes qui ont été graciées sont en effet des députés ou comptent parmi vos collaborateurs. Certains étaient enfermés, d'autres exilés. Vous-même n'avez pas bénéficié de cette grâce et vous supportez, depuis avril 2019, tous les risques que cela comporte.

Cette stratégie a-t-elle été payante ? Quel était le but précis de Nicolas Maduro ? S'agit-il d'une tentative de légitimer sur le plan international les élections qui auront lieu dans quatre jours ou de fracturer l'opposition en plusieurs mouvements et, par là même, de l'affaiblir durablement ?

M. Richard Yung. - Monsieur le président, merci de nous avoir guidés dans les méandres complexes de la situation au Venezuela. Nous souffrons avec vous et avec le peuple vénézuélien, qui vit dans une très grande détresse et une grande misère.

La pandémie a privé de ressources la majorité des migrants qui survivaient à l'étranger grâce à l'économie informelle, en particulier en Colombie. Nombre d'entre eux sont revenus au Venezuela et, selon Humann Right Watch, ces personnes subissent un véritable supplice. Elles sont accusées de propager le coronavirus, et le gouvernement chaviste a déclaré la guerre aux migrants rentrés clandestinement.

Savez-vous combien de personnes sont rentrées au Venezuela ? Quelle est leur situation ?

M. Guillaume Gontard. - Monsieur le président, j'avoue être quelque peu gêné par cette audition, puisque le Venezuela va voter dans quelques jours. On peut donc s'étonner de la date de cette audition Je pense que le rôle de notre commission est de ne pas prendre parti.

L'audition prochaine de l'ambassadeur du Venezuela, à la demande de nos collègues du groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE), me paraît plus que bienvenue dans ces circonstances.

Monsieur le président, vous le savez, les États-Unis mènent une guerre économique au Venezuela depuis des années. Le 28 janvier 2019, la guerre économique a pris une autre ampleur lorsque les autorités américaines ont décrété un embargo sur la société PDVSA, l'entreprise publique en charge de l'exploitation pétrolière, qui est aussi à l'origine de la quasi-totalité des échanges du Venezuela à l'étranger.

Pensez-vous que ce soit la stratégie à adopter ? Faut-il priver le peuple vénézuélien et le maintenir en situation de pénurie et de précarité extrême ? La situation économique dramatique n'est-elle pas le fait d'une accumulation de sanctions ? Un expert mandaté par l'ONU affirme que cela y participe grandement.

Par ailleurs, vous avez dénoncé à maintes reprises le non-respect de la démocratie au Venezuela, et vous venez encore de le faire. Je ne souhaite pas ouvrir ce débat qui nous mobiliserait tous pendant des heures. Je suis convaincu que des points comme les blocages au référendum de 2016 corroborent les critiques que vous faites au régime. Cependant, le 8 février 2019, lorsqu'on vous a interrogé pour savoir si vous autoriseriez une intervention militaire des États-Unis en tant que président de l'Assemblée nationale, vous avez répondu : « Nous ferons tout ce qui est nécessaire ». N'est-il pas contradictoire de se battre pour la démocratie, tout en laissant la porte ouverte à un coup d'État militaire ?

M. Pierre Laurent. - Monsieur Guaido, pour que les choses soient claires, je fais partie d'un groupe et d'une formation qui ont déploré la reconnaissance par la France de votre autoproclamation. Je ne mésestime pas la crise que traverse votre pays, mais je ne crois pas que la logique de confrontation permanente et de déstabilisation qui est la vôtre puisse conduire à une solution, car elle risque au contraire d'aggraver la situation.

Ma question porte sur vos relations avec les États-Unis. Vous avez entretenu durant tout le mandat de Donald Trump une relation très étroite avec l'administration américaine. Je veux rappeler - mais il y en a eu d'autres - l'épisode peu glorieux du débarquement raté de mercenaires américains, le 3 mai 2020, au Venezuela.

Donald Trump a d'ailleurs reconnu votre présidence le jour même de votre autoproclamation. Comment envisagez-vous aujourd'hui vos relations avec l'administration américaine de Joe Biden ? Qu'en attendez-vous ?

Enfin, pour rejoindre ce que vient de dire mon collègue Guillaume Gontard, vous-même déplorez la situation à la fois économique, sociale et humanitaire extrêmement grave du pays. Pensez-vous que la poursuite des sanctions contre le Venezuela, voire leur amplification, puisse être humainement et durablement supportée par le pays ?

M. Pascal Allizard, président. - Monsieur le Président, comme vous pouvez le constater, ces questions sont représentatives de notre diversité et de notre vitalité démocratique. C'est l'objectif que l'on peut vous souhaiter.

Vous avez la parole.

M. Juan Guaido. - Merci pour toutes ces questions et pour votre aimable invitation.

M. Olivier Cadic s'est beaucoup préoccupé des droits de l'homme. Les États-Unis, l'Europe et l'ONU ont démontré l'absence de conditions démocratiques dans le processus électoral. On ne peut relativiser la violation des droits de l'homme au Venezuela ou le non-respect de la dignité humaine de la part du Parlement national. Les Vénézuéliens le constatent aussi, ainsi que le Haut-Commissariat aux droits de l'homme dans trois rapports très clairs.

L'un d'eux faisait suite à une mission indépendante de vérification des délits touchant les droits de l'homme. Ils ont conclu que le régime de Maduro annihile la pratique démocratique dans le pays. Pour résoudre la crise humanitaire et la violation des droits de l'homme au Venezuela, il nous faut des élections libres, mais un tel vote n'aura malheureusement pas lieu le 6 décembre.

Le Parlement siège au nom des Vénézuéliens et envoie des rapports à l'Union européenne sur les délits commis. Cela n'a rien d'une posture idéologique. On ne peut défendre ceux qui ont porté atteinte à la dignité humaine. C'est pour nous la chose la plus importante. C'est pourquoi les pays, les nations qui défendent la démocratie, la liberté et les droits de l'homme doivent refuser ce processus.

Nicolas Maduro a essayé de tromper l'opinion internationale. On compte malheureusement plus de 382 prisonniers politiques exilés ou torturés au Venezuela. Deux émissaires de l'Union européenne ont essayé d'intercéder auprès du régime de Maduro simplement pour obtenir des garanties concernant ce scrutin, afin que tout le monde puisse participer au vote. Mais Nicolas Maduro a refusé car la légitimité du processus du 6 décembre ne l'intéresse pas. Ce qu'il veut, c'est annihiler toute alternative démocratique au Venezuela. Il est très important de le souligner.

Le nombre de migrants qui sont revenus au Venezuela ne dépasse pas 100 000, alors que 5,1 millions se sont exilés. La plus grande partie d'entre eux vit réfugiée dans d'autres pays.

Hier, les Nations-Unies ont reconnu que la détérioration des services publics vénézuéliens, qui dure depuis des années, a eu un impact sur l'économie. Cela fait sept ans que le PIB diminue au Venezuela. Cela n'a rien à voir avec les sanctions. Le pouvoir en place a violé les droits de l'homme.

On ne peut malheureusement même plus extraire de pétrole depuis des dizaines d'années. Le taux de production n'a cessé de chuter. Seuls la Russie et les États-Unis produisaient autrefois plus de pétrole que nous. Tous ont multiplié leur production par trois, alors que notre production a chuté de 15 % - sans parler des droits de l'homme et de la corruption.

C'est pourquoi il faut tenir compte des rapports indépendants des Nations unies. Nous avons besoin d'être accompagnés par le monde libre épris de liberté, de démocratie et qui respecte la dignité humaine.

Pierre Laurent a parlé de mon autoproclamation. J'ai été choisi en 2018 par le peuple vénézuélien, qui se bat pour la démocratie et la liberté. N'oubliez pas qu'un Vénézuélien gagne en moyenne 2 dollars par mois. Il faut donc recourir à des élections libres.

Comme je l'ai déjà dit, tout ceci est la conséquence d'une dictature et de la violation systématique des droits de l'homme. Il n'est pas possible de relativiser, car il s'agit ici de dignité humaine.

M. Pascal Allizard, président. - Monsieur le président, merci pour vos réponses. J'ai été très honoré, en ce qui me concerne, de pouvoir échanger avec vous.

Je laisse la parole au président Cambon, qui nous a rejoints, pour conclure cette réunion.

Comme beaucoup de sénateurs ici présents, je tiens à vous renouveler mon soutien.

M. Christian Cambon, président. - Monsieur le président, je dois être garant du juste équilibre et de la bonne information de mes collègues. C'est pourquoi nous avons organisé cette audition, qui sera suivie d'une audition de l'ambassadeur du Venezuela. C'est ici la règle en cas de conflit touchant un pays que nous suivons : nous essayons de recueillir l'avis des deux parties.

Ceci ne porte nullement atteinte aux témoignages que vous avez apportés, mais cela montre l'extrême intérêt que la France et notre institution portent au Venezuela. Nous serons extrêmement attentifs aux échéances politiques à venir dans votre pays.

Notre souhait est que le peuple vénézuélien choisisse librement et démocratiquement son avenir. C'est la règle qui nous guide, et nous vous donnons acte des éléments que vous avez apportés, qui vous conduisent à ne pas participer à cette élection législative.

Je souhaite préciser - et je pense que ce sentiment est partagé par nombre de nos collègues - que nous souhaitons que vous puissiez éviter l'interférence d'un certain nombre d'autres pays, quels qu'ils soient et quelle que soit leur sensibilité, de telle sorte que les principes démocratiques soient respectés. Lorsque la démocratie s'applique, il est en effet assez rare qu'un sentiment général ne se dégage pas de l'expression du suffrage universel.

J'ai par ailleurs une pensée pour la population du Venezuela, qui vit de manière dramatique les conséquences de cette crise politique qui n'en finit pas. Vous avez rappelé ce qu'était le Venezuela quand son économie fonctionnait. Votre pays était le troisième producteur mondial de pétrole. Toute cette richesse n'est désormais plus au service de la population, et nous ne pouvons que le regretter.

J'ai souhaité que toutes les opinions puissent s'exprimer. C'est mon devoir d'y veiller. Je n'ai pas, dans le cadre de la présidence de cette commission, à faire état des miennes, qui sont par ailleurs connues, mais j'espère qu'une solution finira par être trouvée, de telle sorte que le Venezuela retrouve la vocation du grand pays qu'il a été en Amérique du Sud.

Nous échangions en milieu de journée avec l'ambassadeur du Chili et son ministre des affaires étrangères, qui nous faisaient part de leurs soucis et de leurs préoccupations face à la situation du Venezuela, car l'Amérique latine, qui connaît de nombreux soubresauts dans un certain nombre de pays, mérite mieux que l'image qu'elle donne pour l'instant.

Je souhaite que le Venezuela puisse trouver, au sein même de sa population, la solution à ces graves difficultés qui vous frappent depuis des années maintenant.

Merci d'avoir accepté cet exercice. Que l'on partage ou non vos opinions, je pense que chacun ici est très attentif à la libre expression de chaque parlementaire. C'est un point qui souligne la nécessité et l'utilité d'un parlement. Chaque parlementaire doit pouvoir s'exprimer normalement. Cela ne semble pas toujours être le cas, notamment en ce qui concerne l'organisation de cette rencontre. Croyez que nous le regrettons.

Je reprendrai ici le mot de Voltaire : « Je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu'au bout pour que vous puissiez le dire ». C'est un élément auquel les parlementaires que nous sommes, toutes sensibilités confondues, sont très attentifs. Il est important pour nous de savoir que les forces politiques peuvent s'exprimer librement.

Nous vous souhaitons bonne chance dans la perspective des échéances qui arrivent. Nous attendons l'accord de l'ambassadeur du Venezuela pour venir présenter son analyse. Nous aurons l'occasion de lui faire des observations identiques.

Prenez soin de vous. Nous savons vos contraintes. Ces informations ont intéressé l'ensemble de nos collègues. Toutes les sensibilités étaient présentes. Je les en remercie. Nous aurons certainement l'occasion d'autres contacts.

Bonne chance pour la suite.

La réunion est close à 17 heures 30.