Jeudi 4 mars 2021

- Présidence de Mme Annick Billon, présidente -

Table ronde sur l'accès des femmes aux responsabilités dans les collectivités des territoires ruraux et sur le rôle des élus pour y faire avancer l'égalité

Mme Annick Billon, présidente. - Mes chers collègues, Mesdames et Messieurs. La délégation aux droits des femmes a décidé de procéder, en 2021, à un bilan de la situation des femmes dans les territoires ruraux, en abordant des sujets aussi divers que l'orientation scolaire et universitaire, l'égalité professionnelle, la santé, la lutte contre les violences et, bien sûr, la participation des femmes à la vie politique locale, l'accès des élues aux responsabilités mais aussi le rôle des élus, de façon générale, pour faire avancer l'égalité femmes-hommes dans les territoires ruraux, thème de notre table ronde de ce matin.

Je précise que notre délégation a désigné, pour mener à bien ce travail, une équipe de huit rapporteurs représentant tous les groupes politiques de notre assemblée et des territoires très divers : la Vienne, la Drôme, la Lozère, le Rhône, les Hautes-Alpes, la Haute-Garonne, le Finistère et la Dordogne.

Je rappelle également que cette réunion est diffusée en direct sur le site du Sénat et qu'elle est organisée à la fois au Sénat et à distance, en visioconférence. Je remercie ceux qui se sont connectés et les membres de la délégation aux collectivités territoriales qui sont avec nous ce matin également.

Notre table ronde aujourd'hui poursuit un double objectif : d'une part, faire le point sur l'accès des femmes élues aux responsabilités dans les collectivités des territoires ruraux et, plus généralement, sur le degré de participation des femmes à la vie politique locale dans ces territoires ; d'autre part, aborder le rôle et l'engagement des élus dans ces territoires pour faire avancer l'égalité entre les femmes et les hommes et faire valoir les bonnes pratiques locales en la matière.

Le premier axe de notre réflexion aujourd'hui concerne l'engagement politique des femmes et l'accès des élues aux responsabilités dans les collectivités territoriales des zones rurales.

À cet égard, nous aborderons notamment, avec nos invités, la question de la parité intégrale à l'échelon municipal et les conditions d'un plus grand accès des femmes aux responsabilités intercommunales. Nous verrons également comment les assemblées départementales ont été transformées par la parité, au point que celles et ceux qui y étaient autrefois opposés sont aujourd'hui acquis à la parité de ces assemblées.

Je rappelle que le 17 janvier 2019, notre délégation avait organisé une table ronde sur la question de la parité dans les intercommunalités. L'une des spécificités de ces instances communautaires réside en effet dans la faible représentation des femmes élues en leur sein, qui résulte notamment de la faible féminisation de la fonction de maire. La nécessité d'agir sur le levier municipal pour favoriser la féminisation des instances communautaires, où le plafond de verre reste très présent, semblait alors être une évidence, a fortiori parce que les communes de moins de 1 000 habitants représentent près des trois quarts des communes françaises.

Parmi les recommandations formulées en 2019 auprès de la délégation, figuraient notamment : l'extension des règles paritaires à toutes les communes, y compris aux communes de moins de 1 000 habitants actuellement non concernées par la parité ; l'élection des adjoints au maire sur une liste paritaire dans toutes les communes ; l'adoption du principe selon lequel le premier adjoint et le maire sont de sexe différent ; la mise en place d'une liste alternée paritaire pour les élections communautaires.

Nous nous étions également posé la question du « fléchage » des représentants des communes dans les intercommunalités et avions toutefois constaté que les organes délibérants des Établissement public de coopération intercommunale (EPCI) ne sauraient être détachés de la réalité municipale dans laquelle ils doivent restés ancrés.

S'agissant plus spécifiquement des territoires ruraux, sujet qui nous importe aujourd'hui, nous notons que plus de 20 % des maires de communes rurales sont des femmes contre 18 % pour les communes urbaines : c'est donc une dimension importante de la réflexion sur la ruralité. Cette proportion reste toutefois très insuffisante, de même que celle des femmes maires qui, depuis les élections municipales de 2020, est passée de 16 % à près de 20 %, soit une augmentation modeste même si cela représente 1 000 communes de plus confiées à une femme maire par rapport à la fin du mandat précédent.

Avec nos invités aujourd'hui, nous verrons si la réflexion a évolué depuis notre table ronde de 2019 et si les esprits sont mûrs pour évoluer dans le sens d'un égal accès aux responsabilités des femmes et des hommes dans toutes les collectivités. La question de la parité intégrale aux élections municipales, en faisant sauter le verrou des 1 000 habitants, sera notamment au centre de nos réflexions ce matin.

Rappelons d'ailleurs, à cet égard, que l'article 28 de la loi du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique dispose qu'« avant le 31 décembre 2021, les dispositions du code électoral relatives à l'élection des conseillers municipaux et des conseillers communautaires sont modifiées pour étendre l'égal accès des femmes et des hommes aux fonctions électives dans les communes et leurs groupements ».

Le second axe de réflexion de notre table ronde a trait aux bonnes pratiques des collectivités territoriales pour faire avancer l'égalité dans les territoires ruraux, dans des domaines aussi divers que l'aide à la mobilité ou l'accueil des jeunes enfants, entre autres exemples.

Le renforcement de l'accès des femmes aux mandats et responsabilités électives constitue un gage d'égalité entre les femmes et les hommes qui souhaitent s'engager en politique. La féminisation des instances de décision favorise aussi une meilleure prise en compte, par les collectivités territoriales, des besoins spécifiques des femmes, à tous les âges de la vie, et des enjeux de l'égalité entre les femmes et les hommes.

Je me tourne donc maintenant vers nos invités afin qu'ils nous éclairent, par leur expérience et leurs témoignages, d'une part sur la spécificité du parcours des femmes élues dans les territoires ruraux, et d'autre part sur la prise en compte, par ces territoires, de l'égalité dans la mise en oeuvre des politiques publiques locales.

Ces témoignages nous aideront à formuler des recommandations destinées à renforcer l'engagement des femmes dans la vie politique locale ainsi qu'à favoriser l'égalité femmes-hommes dans les territoires ruraux.

Je les remercie d'être à nos côtés ce matin, dans cette salle au Sénat ou à distance derrière leur écran, et leur souhaite la bienvenue au Sénat.

Nous accueillons ainsi Nadine Kersaudy. Vous êtes maire de Cléden-Cap-Sizun dans le Finistère et représentez l'Association des maires ruraux de France (AMRF). Votre témoignage sera particulièrement éclairant pour notre délégation puisque vous êtes une élue des territoires ruraux, qui sont au coeur de nos travaux. Nous vous écouterons avec attention.

Nous donnerons ensuite la parole à l'Association des maires de France (AMF), représentée par Cécile Gallien, vice-présidente de l'AMF et maire de Vorey en Haute-Loire, et Édith Gueugneau, maire de Bourbon-Lancy en Saône-et-Loire, que notre délégation connaît bien. Nous les avons d'ailleurs entendues il y a quelques semaines sur la spécificité de la lutte contre les violences faites aux femmes dans les territoires ruraux.

Puis nous entendrons l'association Elles aussi, représentée par ses deux co-présidentes : Danièle Bouchoule et Reine Lépinay. Cette association avait alerté notre délégation, avant les élections municipales de 2020, sur les conséquences des fusions d'établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) en termes de dégradation de la féminisation des instances intercommunales,.

L'Assemblée des communautés de France (AdCF) sera représentée par Catherine Louis, trésorière de l'AdCF, présidente de la Communauté de communes Forêts, Seine et Suzon. Elle nous apportera un éclairage indispensable sur l'échelon intercommunal.

L'Assemblée des départements de France (ADF) interviendra par la voix de Jean Galand, conseiller départemental de la Gironde, et de Perrine Forzy, vice-présidente du département de l'Eure. Ils partageront avec nous l'expérience d'assemblées entièrement paritaires depuis les élections des conseils départementaux de 2015 et donc à l'avant-garde institutionnelle en matière de parité.

Enfin, nous sommes ravis d'accueillir Julia Mouzon, présidente du réseau Élues locales qui est à mes côtés ce matin au Sénat. Elle fera notamment une présentation synthétique des premiers constats ayant émergé des réponses au questionnaire élaboré par notre délégation dans le cadre de son travail sur les femmes dans les territoires ruraux, diffusé à l'ensemble de ses adhérentes via la plateforme Elueslocales.fr.

Je donne donc tout d'abord la parole à Nadine Kersaudy, que je remercie une nouvelle fois, comme tous nos invités, de s'être rendue disponible pour nous ce matin.

Mme Nadine Kersaudy, maire de Cléden-Cap-Sizun, représentant l'Association des maires ruraux de France (AMRF). - Bonjour Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les sénateurs, chers collègues, bonjour à tous. Je suis maire d'une commune rurale et littorale du Finistère depuis 1995. J'étais la plus jeune maire du département à l'époque, ce qui m'a valu beaucoup de railleries puisque l'on m'appelait « la gamine ». À l'origine, je ne souhaitais pas devenir maire mais seulement m'inscrire sur une liste ouverte pour participer à la vie municipale. L'opposition a mal vécu mon élection et il a fallu que je fasse mes preuves. Nous étions très soudés au sein de notre équipe, ce qui m'a motivée pour la suite.

J'ai toujours eu à coeur que les femmes soient représentées. Début 1995, nous étions sept femmes, puis neuf lors de mon deuxième mandat et enfin huit lors du troisième. En 2014, l'élection s'est déroulée au scrutin de liste puisque ma commune comptait un peu plus de 1 000 habitants. Puis en 2020, nous avons appliqué le scrutin majoritaire plurinominal à deux tours. Il est bien dommage que le scrutin de liste ne concerne pas l'ensemble des communes car le scrutin majoritaire plurinominal à deux tours, avec le panachage, constitue un procédé archaïque. Que notre action plaise ou non, nous avons au moins le mérite de nous présenter au suffrage devant les électeurs pour faire avancer nos communes. Ce qui compte le plus, c'est de voir qu'avec notre équipe, nous parvenons à dynamiser et à apporter des services.

Depuis que je suis élue, je participe à un certain nombre de travaux, que ce soit avec l'Université de Bretagne occidentale (UBO), les associations d'élus et les réseaux comme Elles aussi ou Rien sans elles, afin d'encourager les femmes à s'engager en politique. Dans ma commune, je n'ai jamais eu de difficulté à convaincre des femmes de s'engager et je pense qu'il est même plus facile de trouver des femmes que des hommes. Mais les élus de terrain pourront faire tout leur possible pour inciter les femmes, si le statut de l'élu n'est pas amélioré, nous n'y arriverons pas. Avant chaque échéance électorale municipale, nous organisons des réunions sur ce sujet avec la préfecture du département ou au niveau régional ; nous avançons lentement mais le statut de l'élu est primordial. Nous faisons face à de fréquentes railleries ou à de « violences sexistes ».. J'ai toujours pensé que sur une femme maire pesait l'obligation de résultat. Quand vous parlez et que vous êtes sûre d'avoir raison, vous êtes toujours confrontée à des interrogations d'hommes qui vous demandent si vous êtes vraiment sûre de ceci, qu'ils n'ont pas entendu parler de cela. Il faudra changer les mentalités mais ce n'est pas simple ! Si nous organisons régulièrement des formations et animons des réseaux, il faudrait cependant que ce sujet fasse l'objet d'évolutions législatives.

Pour parler de l'intercommunalité, qui ne constitue d'ailleurs toujours pas une collectivité, je regrette infiniment que la loi, dès le départ, n'ait pas prévu a minima deux représentants de chaque commune pour assurer la parité. Peu de communes auraient contesté la parité dans ces conditions. Nous avons pu mettre en place ce dispositif au conseil départemental et nous pouvons nous réjouir de constater aujourd'hui l'existence d'instances paritaires. En outre, ne disposer que d'un seul délégué n'est pas compatible avec le fait que l'intercommunalité existe pour mener un travail d'équipe, pour développer un projet de territoire, pour faire à plusieurs ce qu'on ne peut pas faire seul.

Une ancienne élue de ma commune s'est rapprochée de son domicile dans une commune proche et s'est présentée lors des élections municipales de 2020. Je me dis alors que j'ai fait mon travail, en donnant envie à des femmes de participer à la vie politique au sein d'autres conseils municipaux. Cela est très encourageant et j'en parle en connaissance de cause car mes mandats ont été émaillés de projets difficiles à mener qui m'ont valu de nombreuses contrariétés, lesquelles n'auraient, selon moi, pas été infligées à un homme. J'ai vécu un mandat très compliqué de 2001 à 2008 mais en 2008, il ne manquait que 95 électeurs pour faire « carton plein ». L'équipe adverse nous diffamait sans cesse et les journaux nous insultaient. C'est là que nous avons constaté qu'un maire de terrain n'est qu'un simple maire et que même en allant au tribunal pour faire valoir nos droits, nous ne sommes pas grand-chose. Les électeurs nous ont cependant élus car ils ne voulaient pas travailler avec les personnes de l'équipe adverse. Mes collègues m'ont dit ensuite qu'ils n'auraient pas tenu le coup par rapport à tout ce que j'avais subi. Heureusement que j'avais une équipe soudée à mes côtés.

Un dernier point, le statut est vraiment primordial. Ma commune n'est pas soumise à la parité pour ces élections et j'ai quand même plus de femmes que d'hommes dans mon exécutif ; je n'ai qu'un seul homme adjoint. Mon ex-première adjointe m'avait indiqué, avant les dernières élections, qu'elle resterait conseillère mais qu'elle ne serait plus ma première adjointe car cela était compliqué au niveau de son travail et de sa vie familiale - elle a encore des enfants en bas-âge. J'assume toutes mes fonctions dont celle de vice-présidente de la communauté de communes, entourée d'hommes. Lors de ce mandat, le président a voulu mettre en place un bureau exécutif avec l'ensemble des maires, contrairement au mandat précédent au cours duquel le bureau était uniquement composé d'hommes et était très difficile à gérer en raison de relations compliquées et de problèmes d'ego. Le président actuel a souhaité nommer chacun des maires vice-président mais cela reste compliqué car les hommes, lorsqu'ils sont en désaccord avec le président, n'osent pas l'affronter.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci beaucoup, Madame la maire. Vous avez partagé avec nous votre expérience illustrant une volonté, un engagement de longue date et beaucoup de ténacité. Pour information, lorsque nous avions travaillé sur le sujet en 2019, l'AMRF était très opposée à cette avancée dans la loi pour les communes de moins de 1 000 habitants. Nous l'avons vu, l'engagement des femmes dépend également du statut de l'élu et de la possibilité de s'identifier à des modèles. Vous êtes un exemple, merci à vous pour votre témoignage.

Je cède maintenant la parole à l'Association des maires de France (AMF) qui est représentée par Cécile Gallien, vice-présidente de l'AMF et maire de Vorey en Haute-Loire, et Édith Gueugneau, maire de Bourbon-Lancy, en Saône-et-Loire.

Mme Cécile Gallien, vice-présidente de l'Association des maires de France (AMF), maire de Vorey (Haute-Loire), co-présidente du groupe Égalité femmes-hommes de l'AMF. - Bonjour Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les sénatrices et sénateurs, Mesdames et Messieurs. Je suis ravie d'être parmi vous et vous remercie pour votre implication très forte vis-à-vis des femmes élues et des territoires ruraux. Je suis vice-présidente de l'AMF et nous allons parler à deux voix avec Édith Gueugneau puisque nous présidons toutes les deux un groupe de travail que nous avons créé il y a plus de quatre ans au sein de l'AMF lors du centième anniversaire du congrès des maires, au cours duquel nous avions organisé des forums sur la question de la présence des femmes dans les responsabilités locales.

Je suis maire d'une commune de 1 460 habitants l'hiver et je souhaiterais rapidement témoigner de mon parcours. J'ai construit une liste paritaire en 2008 bien que ce n'était soit pas une obligation car cela me tenait à coeur de parvenir à créer une liste la plus représentative possible, c'est-à-dire avec des personnes d'âges différents, de sexes différents, d'horizons différents. Dans une commune de taille moyenne comme la nôtre, les questions partisanes n'existent pas. Nous construisons des listes multicolores comprenant des hommes et des femmes de différentes sensibilités politiques, qui ont envie de donner de leur temps, de s'investir - car c'est avant tout du dévouement dans les petites communes. J'étais la première femme maire de ma commune, comme souvent parmi nous, puis je suis devenue vice-présidente de la petite intercommunalité rurale. Lors du regroupement des intercommunalités en 2017, de nombreuses femmes maires qui étaient vice-présidentes ne l'ont plus été ainsi que le prouvent des données à l'échelon national. Je suis également conseillère départementale. Nous avons créé un binôme de couleurs politiques différentes. Mon partenaire n'est pas venu me chercher, nous nous sommes trouvés ensemble. Or souvent, lorsque les modalités des scrutins départementaux ont été modifiées, les hommes ont eu l'obligation de composer un binôme paritaire. Le fait que nous ayons des conseillères départementales a ensuite permis d'avoir des femmes maires, cela leur a donné confiance pour aller devant les électeurs et elles ont été élues.

Par ailleurs, à l'AMF, nous sommes favorables au scrutin de liste dans les communes de moins de 1 000 habitants. Il y a peu de politique partisane dans les communes de moins de 1 000 habitants et il nous paraît essentiel de passer à un scrutin de liste car le panachage relève d'un autre temps. Nous avons ensuite souhaité la généralisation de ce scrutin de liste paritaire. En outre, nous nous posons la question de savoir si, dans les communes de moins de 1 000 habitants, il serait possible de proposer une liste comportant un nombre de candidats moindre que celui exigé quand ce minimum peine à être atteint, afin d'obtenir des listes paritaires. Nous pensons également qu'il ne faut pas diminuer le nombre d'adjoints dans les communes rurales car les adjoints sont des personnes dévouées aux rôles multiples. Au niveau de l'intercommunalité, il faut évidemment une bonne représentativité des territoires et des communes. Certaines intercommunalités ne se posent pas du tout la question de la parité, d'où une faible représentativité des femmes, notamment au niveau des exécutifs. Cela ne nous paraît pas être un grand pas que d'exiger au moins la parité au niveau de l'exécutif. Pourquoi pas, par ailleurs, mettre en place un système de bonus-malus au niveau des exécutifs intercommunaux, à savoir que plus les exécutifs tendent vers la parité, plus leur nombre de vice-présidents et de vice-présidentes serait élevé ? Nous avons également été auditionnés dans le cadre de la mission d'information de vos collègues députés qui travaillent sur cette question de l'égalité hommes-femmes dans la représentativité locale.

Mme Édith Gueugneau, maire de Bourbon-Lancy (Saône-et-Loire), co-présidente du groupe Égalité femmes-hommes de l'AMF. - Bonjour Madame la présidente, bonjour Mesdames les sénatrices, Messieurs les sénateurs. Je suis Édith Gueugneau, maire d'une petite commune rurale de 5 000 habitants. Je suis élue depuis vingt-sept ans. J'ai commencé au sein d'un conseil municipal comprenant cinq femmes sur les vingt-neuf élus. Mon parcours est relativement atypique. J'ai beaucoup appris durant mes mandats de conseillère municipale et ensuite je suis devenue conseillère régionale à la faveur de la loi sur la parité. Je suis devenue par la suite présidente d'une communauté de communes, puis députée grâce à la loi relative à la parité, tout en continuant d'assurer mon mandat de maire. Aujourd'hui, je suis vice-présidente à la communauté de communes. J'ai plutôt été privilégiée car les hommes de mon territoire m'ont fait confiance. Je pense que bénéficiant d'une crédibilité, je n'ai pas souffert du positionnement des hommes. Il reste néanmoins des combats à mener en politique à plusieurs niveaux.

Je voudrais saluer le travail qui a été réalisé par l'AMF et toutes les associations d'élus. La mobilisation s'est faite et, grâce au congrès des maires, nous avons créé une émulation même si nous aurions pu espérer plus de candidats aux élections municipales. Je reste cependant très positive et je pense que la mobilisation doit continuer. L'AMF avait consulté les femmes et en entendant Nadine Kersaudy, nous nous apercevons que la conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle constitue encore aujourd'hui un véritable frein. Je connais plusieurs jeunes femmes qui souhaiteraient s'engager et qui sont extrêmement frustrées car le statut de l'élu ne leur permet pas de se libérer comme elles le voudraient. Il faudrait que nous puissions avancer sur ce sujet. Je voudrais également rappeler que l'AMF a publié en mars dernier un mémento pour sensibiliser tous les élus à l'égalité femmes-hommes dans les politiques publiques. Il faudrait que tous les élus se l'approprient, pour permettre cette parité dans l'exécutif mais également dans les commissions. Nous allons rediffuser un questionnaire similaire au précédent en insistant davantage sur le parcours de l'élu et en travaillant avec le Haut conseil à l'égalité car je pense qu'il faut faire avancer les lois et la place de la femme dans nos sociétés et dans les fonctions politiques. Nous devons vraiment trouver le moyen de garantir la parité. Nous voyons que dans les petites communes, il n'y a aucun souci pour trouver des femmes souhaitant s'engager ; j'ai moi-même trouvé plus de femmes que d'hommes. Penser que les femmes ne souhaitent pas s'engager est donc un faux problème. Mais quand elles le font, elles veulent tout donner et c'est leur disponibilité qui les pénalise.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci beaucoup pour votre présentation à deux voix pour l'AMF. Vous avez parlé du statut de l'élu pour lequel des progrès ont déjà été accomplis avec la loi de 2019, je l'ai dit dans mes propos liminaires, mais il faut avancer davantage. Désormais, je donne la parole à Danièle Bouchoule et Reine Lépinay, qui représentent ensemble l'association Elles aussi.

Mme Danièle Bouchoule, co-présidente de l'association Elles aussi. - Bonjour à toutes et à tous et merci à Madame la présidente et à la délégation de donner à l'association Elles aussi l'occasion de présenter quelques conclusions des enquêtes récentes qu'elle a menées. Concernant l'accès des femmes aux responsabilités dans les collectivités rurales, le constat incontournable est le suivant : après les élections de 2020, nous sommes encore très loin de la parité dans les petites communes de moins de 1 000 habitants et dans les conseils communautaires pour lesquels aucune loi paritaire n'existe de manière contraignante. En zone rurale, dans les communes de moins de 1 000 habitants où il n'existe aucune contrainte paritaire, 34,6 % seulement des conseillers municipaux sont des femmes. La sous-représentation des femmes est flagrante dans les intercommunalités avec 36 % de femmes dans les conseils, 25,6 % dans les vice-présidences et seulement 11,6 % dans les présidences. Ces statistiques sont bien sûr le résultat de l'insuffisance du système actuel de fléchage pour les conseils communautaires et de l'absence totale de contrainte dans leurs exécutifs. Nous remarquons que les femmes président majoritairement des EPCI de petite taille, souvent dans la ruralité. Elles président 12,5 % des EPCI de moins de 15 000 habitants et seulement 8,7 % des EPCI de plus de 300 000 habitants.

Madame la présidente, dans son propos introductif, a rappelé l'exigence de l'article 28 de la loi Engagement et proximité. Nous prenons acte du lancement de la mission de l'Assemblée nationale sur ce sujet, qui doit publier son rapport au printemps 2021. Nous formons des espoirs pour des avancées efficaces. Nous pensons que ces évolutions législatives amèneront des solutions, et lèveront notamment le frein culturel qui appartient à notre histoire, laquelle a pendant très longtemps exclu les femmes de la citoyenneté. Nous pouvons citer de nombreuses situations où les femmes ont été oubliées, des reconductions de vieux modèles inégalitaires, de stéréotypes dans la vie politique comme d'ailleurs dans la vie professionnelle, familiale, sociale et domestique. Nous pouvons également dire qu'il existe dans la ruralité des freins particuliers qui limitent l'engagement des jeunes femmes. Il s'agit notamment de difficultés de transport et de mobilité, ou d'offres d'emploi plus réduites. Nous savons que les femmes souhaitent conserver leur activité professionnelle pour garder leur autonomie, d'où une difficile conciliation entre mandat et profession. Il existe également des difficultés liées aux offres d'accueil des jeunes enfants, à l'éloignement des offres d'activité culturelles et sportives et de soins.

Quelles sont les préconisations de l'association Elles aussi pour un meilleur accès aux responsabilités politiques ? À Elles aussi, nous pensons premièrement qu'il faut un scrutin de liste paritaire alterné pour les communes de moins de 1 000 habitants comme pour les autres communes. Pourquoi traiter à part les petites communes dans la loi républicaine ? Il s'agit finalement d'une question de démocratie et d'égalité entre tous les territoires de la République. L'objection souvent entendue selon laquelle nous ne trouverons pas suffisamment de candidates a été mise en défaut en 2000, en 2007 et en 2013. Nous trouvons des femmes si nous les cherchons et c'est souvent assez facile dans les petites communes car les gens se connaissent. À l'objection sur le risque d'anti-constitutionnalité ou sur le risque d'absence de confrontation démocratique dans le cas où il n'existerait qu'une liste, nous répondons que dans de nombreuses communes de 1 000 à 3 000 habitants, il n'existait qu'une seule liste en mars 2020, notamment en Bretagne ; or le résultat a été validé par les préfectures.

Deuxièmement, dans les exécutifs locaux des communes et intercommunalités, nous préconisons d'élire le bloc exécutif (maire-adjoint/adjointe ou présidence/vice-présidence) sur une liste paritaire alternée. Nous pensons que ce tandem paritaire constituera un symbole fort de la légitimité des femmes à occuper des postes de responsabilité, un symbole du refus du plafond de verre et un moyen d'utiliser les compétences des femmes. Nous abordons ainsi la question de la parité à la fois quantitative et qualitative dans les exécutifs locaux. C'est tout à fait possible, il faut de la volonté politique. En Bretagne par exemple, sur cinquante-quatre EPCI, nous trouvons dix exécutifs quasiment paritaires et pourtant il n'existe pas de loi contraignante.

Troisièmement, dans les conseils communautaires, qui constituent des instances regroupant de très nombreuses compétences où la sous-représentation des femmes est flagrante, si le fléchage est maintenu, il ne garantit pas la parité et ne peut qu'être provisoire me semble-t-il. Nous rencontrons inévitablement un sérieux problème avec le fléchage, ayant trait à la question des petites communes qui n'y envoient qu'une seule personne, le maire dans 80 % des cas. Nous préconisons de favoriser la création de communes nouvelles par fusion de petites communes, ce qui permettrait d'augmenter le nombre de membres représentés à l'intercommunalité, de favoriser la parité et d'augmenter le poids de ces communes au sein de l'intercommunalité, d'augmenter l'efficacité de la gestion communale par mise en commun de services, de compétences. Enfin, en Europe, le nombre important des petites communes françaises est tout à fait particulier. Nous pouvons également penser qu'il faut assouplir le fléchage actuel pour que le maire, un homme dans 80 % des cas, ne soit pas automatiquement envoyé à l'intercommunalité, ce qui permettrait de participer au non-cumul des mandats, à la conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle. Il faut enfin donner à la conférence des maires tout son poids avec un rôle de réflexion et de préparation des orientations stratégiques. La deuxième possibilité qui nous semble la meilleure a trait à l'élection du conseil communautaire au scrutin direct avec liste paritaire alternée. Il s'agirait premièrement d'appliquer cette méthode aux vingt-et-une métropoles. L'article 54 de la loi modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, dite « loi MAPTAM » prévoyait une telle élection. Nous pouvons nous inspirer de la métropole de Lyon et du scrutin des élections régionales. Nous pouvons dire que la parité est possible puisque dans la métropole de Lyon, le conseil métropolitain est paritaire ainsi que le bloc exécutif. La deuxième étape consisterait à étendre ce scrutin direct à toutes les intercommunalités sur le principe de l'égalité entre tous les territoires de la République et favoriser ainsi la parité dans toutes les métropoles et dans toutes les intercommunalités. À l'objection entendue selon laquelle les élus communautaires ne seraient pas automatiquement membres des conseils municipaux, nous répondons que les sujets traités par les communes et par les intercommunalités sont différents, que bien évidemment les élus communautaires et les élus municipaux se concerteront, ce qui relève du débat démocratique et d'une représentation élective transparente et constructive ; nous estimons également que cela participe au non-cumul des mandats, avec toutes ses conséquences bénéfiques.

Quatrièmement, nous avons d'autres préconisations, d'abord en termes d'avancées complémentaires dans les limitations des cumuls de mandats (mandats simultanés et mandats dans le temps). Des avancées ont été réalisées mais il en faut encore progresser. Il est ensuite nécessaire de prévoir des avancées sur le statut de l'élu local, au-delà des avancées de 2015 et de 2019. Il s'agit de verser des indemnités à la hauteur du travail, de favoriser les formations d'élus quelle que soit leur fonction, de soutenir les bilans et les validations d'acquis, d'informer les candidats et les candidates qui ne sont ni élus ni adhérents d'un parti pour favoriser l'engagement des femmes, et enfin de penser à la place des femmes dans la ruralité dans les syndicats de communes et dans les pôles d'équilibre territorial et rural. Il n'existe aucune règle paritaire dans ces instances sur lesquelles une attention particulière doit être portée.

Mme Annick Billon, présidente. - Je vous remercie.

Mme Reine Lépinay, co-présidente de l'association Elles aussi. - Bonjour Madame la présidente, bonjour Mesdames les sénatrices, Messieurs les sénateurs, bonjour Mesdames et Messieurs, je vais intervenir sur le rôle des élus pour faire avancer l'égalité entre les femmes et les hommes. Tout d'abord, je dirais que le partage du pouvoir en politique aura pour effet de construire une société plus égalitaire entre les femmes et les hommes. À noter également que toute mesure favorisant cette égalité peut aider les femmes à s'engager sur des postes à responsabilité à la fois dans le domaine professionnel et dans le domaine politique, là où justement la difficile conciliation entre les deux fait débat. Je vous propose de présenter mon propos en deux temps, en vous parlant dans un premier temps des outils existants ou à créer qui peuvent faire avancer cette égalité, puis en en exposant des actions locales concrètes.

En ce qui concerne les outils, nous pouvons recenser deux outils existants et un troisième qui pourrait être créé. Le premier outil existant, qui date de 2005-2006, est la Charte européenne pour l'égalité femmes-hommes dans la vie locale. Il s'agit d'une charte basée sur six principes, développée par le Conseil des communes et régions d'Europe (CCRE). Elle peut constituer un premier guide pour les collectivités locales, afin de trouver des idées et faire avancer l'égalité femmes-hommes. Encore faut-il évidemment que cet engagement soit souhaité et respecté, ce qui est lié à une volonté politique. Le deuxième outil correspond à l'article 61 de la loi du 4 août 2014 pour l'égalité femmes-hommes qui demande aux communes et aux EPCI de plus de 20 000 habitants de mener sur leur territoire des politiques publiques d'égalité à partir de 2016. Est associé à cet article de loi un guide de conseils édité conjointement en 2015 par le ministère du droit des femmes et le centre Hubertine Auclert, de la région Ile-de-France. Or il existe un réel problème d'application de cette disposition de la loi, en l'absence d'évaluation, de contrôle et, le cas échéant, de sanctions. Nous pourrions imaginer un troisième outil, à savoir la création d'un poste d'adjointe à l'égalité pour toutes les communes et un poste de vice-présidente à l'égalité femmes-hommes dans toutes les intercommunalités.

Venons-en aux actions, parmi lesquelles nous pourrions répertorier plusieurs mesures, dont certaines pourraient être rapidement adoptées tandis que d'autres devraient l'être dans un avenir plus lointain, les changements de mentalité prenant du temps. Nous pourrions déjà envisager des actions dans le domaine des politiques publiques, notamment en appliquant le principe d'égaconditionnalité lorsque les collectivités accordent des aides, des subventions, ou établissent des conventions avec de l'argent public. Nous savons que toutes les collectivités subventionnent des associations et nous pourrions imaginer que la subvention soit conditionnée au strict respect de l'égalité femmes-hommes dans ces associations. Par ailleurs, nous pourrions imaginer prendre en compte à la fois les attentes des hommes et des femmes et équilibrer les réponses apportées localement, dans le cadre d'un budget « genré ». Cela relève encore une fois d'une volonté politique. Dans le domaine social, nous pouvons agir, surtout dans les communes. Le rôle du centre communal d'action sociale (CCAS) est très important auprès de la population. Il peut recueillir des témoignages, orienter, informer, être vigilant au sujet des violences sexuelles et sexistes dont nous parlons beaucoup aujourd'hui, ces problèmes étant particulièrement prégnants dans les territoires ruraux où il est plus difficile pour les femmes de pouvoir faire part de ce qu'elles vivent. Dans le domaine périscolaire, à la charge des communes, nous pourrions imaginer de renforcer l'éducation à la citoyenneté et l'engagement des jeunes, sans bien sûr oublier l'égalité femmes-hommes. Ce n'est pas difficile à mettre en place et relève encore une fois de choix à faire au niveau politique. Il serait également possible de promouvoir l'éducation sur l'égalité filles-garçons dans tous les domaines, qu'il s'agisse du domaine professionnel, familial, politique, associatif ou de la citoyenneté. Tout cela peut être imaginé au sein même des communes, y compris au sein des plus petites communes. Dans l'organisation des offres culturelles et sportives, nous pouvons imaginer en permettre l'égal accès aux filles, aux garçons, aux femmes et aux hommes et promouvoir l'image de la femme ou des femmes créatrices dans tous les domaines, par des expositions, des rencontres et des spectacles tout au long de l'année - et pas uniquement le 8 mars. Nous pouvons également favoriser les liens entre les acteurs locaux investis en faveur de l'égalité en organisant des rencontres entre tous ces acteurs pour rendre leurs actions visibles et promouvoir l'égalité femmes-hommes. Enfin, dans les transports et les espaces publics, les élus peuvent jouer un rôle et améliorer la place occupée par les femmes, par exemple dans les écoles, où j'avais l'idée du partage des cours de récréation. Certains maires se sont penchés sur cette problématique puisque les écoles relèvent de la compétence des communes. Nous pouvons aussi réfléchir à ce que les femmes et les hommes aient un accès équitable aux sports qui leur conviennent et qu'ils ou elles choisissent.

Je terminerai en disant que le partage du pouvoir politique aura pour effet de construire une société plus égalitaire. Nous pouvons mener des actions égalitaires pour permettre aux femmes de s'engager plus facilement en politique et dans la gestion communale. Il existe deux moteurs essentiels pour l'engagement des femmes dans les responsabilités politiques : l'éducation de toutes et de tous sur le principe de l'égalité femmes-hommes et l'engagement professionnel des femmes qui est seul en capacité de leur donner une autonomie financière ; c'est cela qui permet une liberté de choix dans l'engagement politique. Aujourd'hui, pour beaucoup d'entre elles, le renoncement à un mandat politique s'apparente à un non-choix ; il ne tient donc qu'à nous de faire avancer les choses, spécifiquement par la loi. Je vous remercie.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci beaucoup pour toutes ces pistes de réflexion. Nous le voyons, la loi n'est pas la seule qui pourra améliorer la situation. Je ne doute pas que vos propositions vont probablement faire réagir nos collègues, notamment s'agissant de la question du cumul des mandats, que les parlementaires connaissent bien. Bien souvent, un cumul limité est gage de fluidité et d'efficacité. Les propositions concernant les communes nouvelles ont été assez surprenantes : un avantage financier avait été proposé pour les favoriser, mais la création de communes nouvelles a parfois été vouée à l'échec, au point que certains aimeraient aujourd'hui dénouer ces liens. Concernant les scrutins pour les intercommunalités, déconnecter l'intercommunalité de la commune n'a pas de sens à mon avis aujourd'hui car les deux sont liées. L'intercommunalité doit être au service de la commune et les compétences des élus doivent faire avancer l'intercommunalité dans le sens des communes. C'est un avis personnel et je ne doute pas que tous les élus présents ne manqueront pas de réagir à ces propositions. Merci pour toutes les propositions positives qui ont été faites par l'association Elles aussi.

Je donne la parole à Catherine Louis, présidente de la Communauté de communes Forêts, Seine et Suzon, et qui représente aujourd'hui les intercommunalités de France.

Mme Catherine Louis, trésorière de l'Assemblée des communautés de France (AdCF), présidente de la communauté de communes Forêts, Seine et Suzon. - Merci Madame la présidente, Mesdames les sénatrices, Messieurs les sénateurs, Mesdames et Messieurs les élus bonjour. Je voudrais énoncer quelques constats par rapport à la situation de 2020, et tout d'abord un constat tout à fait positif quant au nombre de femmes élues dans les conseils intercommunaux. Depuis juillet 2020, les conseils communautaires sont composés de 35,8 % de femmes élues, ce qui est plutôt encourageant par rapport à ce qui existait préalablement. Un autre constat observé par rapport au critère géographique concerne l'âge dans la féminisation des intercommunalités. Des analyses ont été réalisées par l'AdCF sur les équipes installées depuis juillet et nous pouvons en tirer les enseignements suivants : la part des femmes au sein de ces conseils communautaires est plus importante avec une progression de 4,4 points portant le nombre de femmes à 35,8 % au sein des conseils communautaires. Cette augmentation tient au scrutin fléché et à l'obligation de parité dans les communes de 1 000 habitants et plus. Ce sont également les intercommunalités les plus peuplées qui, sans surprise, font état d'une plus grande proportion de femmes au sein de leur conseil : 39,1 % dans les communautés de plus de 300 000 habitants contre 31,8 % dans celles de moins de 15 000 habitants. La progression est plus nette dans les intercommunalités plus denses, et notamment dans les communautés urbaines et les métropoles (19,4 % contre 12,5 % dans les communautés de moins de 15 000 habitants). Concernant les fonctions exécutives, la part des femmes progresse également puisqu'un quart des vice-présidents sont des femmes depuis juillet 2020 (25,6 % contre 20,1 % avant les élections municipales de 2020). Une étude à l'échelle régionale montre que la proportion des femmes dans les conseils communautaires est plus forte dans l'ouest de la France, notamment dans les Pays de la Loire et en Bretagne, ainsi qu'en outre-mer. Elle atteint 48 % à La Réunion. Il existe également une variation selon l'âge puisqu'il s'avère que plus la tranche d'âge étudiée est jeune, plus la part des femmes est importante : 44 % des élus communautaires de moins de 35 ans sont des femmes. Cependant, cette tranche d'âge est proportionnellement faible. La parité est quasiment atteinte parmi les élus de 35 à 39 ans, les femmes y représentant 47 % des élus, alors que les élus de plus 75 ans sont des femmes dans seulement 19 % des cas.

Concernant ces chiffres que je viens d'énoncer, il existe des analyses et des propositions à faire. Les propositions portées par l'AdCF sont les suivantes : l'AdCF étudie déjà depuis plusieurs années la féminisation de la vie locale et la parité entre les femmes et les hommes au sein des intercommunalités. Le constat partagé par les différentes parties est celui du déséquilibre résultant, comme dans de nombreux secteurs, de freins sociologiques, de choix et de contraintes relatifs à la vie personnelle et professionnelle, et du plafond de verre. Se pose aussi le constat du mode de désignation et d'élection du conseil communautaire qui ne contribue pas à améliorer la parité. L'élection des conseillers communautaires et métropolitains au suffrage direct par fléchage sur la liste paritaire dans les communes de 1 000 habitants et plus constitue depuis 2014 une certaine avancée. Il faut noter et souligner les points positifs lorsqu'ils existent. Il faut cependant continuer à travailler sur cette parité, notamment dans le champ institutionnel. L'élection des conseillers communautaires au scrutin de liste dans les communes de plus de 1 000 habitants a contribué à améliorer la parité. Il existe cependant quelques biais au fait que l'élection se déroule dans le cadre de la circonscription communale. La garantie apportée en matière de parité est moins mécanique au sein d'un conseil communautaire élu sur plusieurs circonscriptions communales qu'au sein d'un conseil municipal élu sur une seule circonscription. Par exemple, si toutes les têtes de liste communautaires sont des hommes dans les communes, un déséquilibre sera constaté, y compris sur les communes qui comptent plus de 1 000 habitants. Dans le champ des conditions d'exercice des mandats, nous pouvons noter quelques obstacles fréquemment avancés par les élus, qui s'inscrivent dans le cadre des réalités sociales. La conciliation entre vie privée et mandat électif peut représenter des freins pour certaines femmes. Il existe également des difficultés familiales dans la société dans laquelle nous vivons, plusieurs femmes vivant au sein de familles monoparentales. Ces situations se posent davantage pour les femmes que pour les autres élus, et nous pouvons comprendre que cela engendre des problèmes de gestion du temps et pour payer les frais qui en découlent - garde d'enfants notamment. Autre constat récurrent, les femmes consacrent en moyenne plus de temps aux tâches domestiques familiales et cela représente un frein pour celles qui souhaiteraient exercer un mandat.

L'AdCF a pris position en faveur de la généralisation du scrutin de liste pour l'élection des conseillers municipaux dès le premier habitant, qui pourrait apporter des améliorations en termes de parité au sein du conseil communautaire. À partir de deux sièges, le mode de répartition des sièges entre les listes en vigueur (attribution d'une prime majoritaire suivie d'une répartition proportionnelle à la plus forte moyenne) a pour effet d'attribuer une grande partie des sièges à la liste arrivée en tête. La représentation d'une liste concurrente n'est envisageable qu'à partir de quatre sièges, sous réserve des résultats obtenus. La conséquence en serait une certaine féminisation en raison de la garantie pour une liste d'obtenir les deux sièges. Il est important de le souligner et de voir de quelle manière nous pourrions travailler sur une telle proposition. Si la généralisation du scrutin est souhaitable, il y a donc lieu de relativiser ses effets en matière de parité au sein des conseils communautaires. Ceci est encore plus prononcé s'agissant des bureaux des exécutifs communautaires car leurs membres, qu'il s'agisse des vice-présidents éventuels ou d'autres membres ayant vocation à recevoir une délégation, sont élus au scrutin uninominal et la pratique donne à voir que ce sont très souvent des maires qui sont élus. L'AdCF soutient les initiatives visant une gouvernance impliquant les communautés et les métropoles. Nous soulignons également souvent le rôle des maires dans la construction et l'animation de l'intercommunalité. L'hypothèse que chaque commune soit représentée a minima par deux sièges au sein des conseils communautaires et métropolitains irait dans le sens d'une plus grande parité mais risquerait d'être source de complications importantes dans la gouvernance d'intercommunalités plus vastes que par le passé. Elle augmenterait sensiblement les effectifs déjà importants de certains organes délibérants et bousculerait les équilibres trouvés en matière de répartition des sièges entre les communes membres selon leur taille géographique, en accentuant notamment le phénomène qui s'observe déjà de sous-représentation des communes intermédiaires. Le mode d'élection des bureaux des exécutifs communautaires est l'objet de nombreuses demandes d'évolution à plusieurs titres. Le scrutin uninominal en vigueur rend difficile la féminisation des effectifs intercommunaux dans un contexte où rien ne garantit la féminisation. Le scrutin uninominal rend les séances de l'élection des membres du bureau très longues, étant donné que la majorité absolue est requise aux deux tours du scrutin. Le scrutin uninominal ne favorisera pas la constitution d'une équipe exécutive solidaire autour du ou de la présidente. L'élection au scrutin de liste permettrait de répondre à ces différentes considérations, dont celle relative à la parité dans la mesure où un scrutin de liste ne peut être que paritaire. La pratique montre que les bureaux comptent très souvent presque exclusivement des maires masculins, l'élection des bureaux au scrutin de liste amènerait à en réduire la taille de façon à ce qu'il y ait suffisamment de femmes. Une étude à l'échelle régionale qui a été menée par l'AdCF montre que la proportion des femmes dans les conseils communautaires est plus forte dans l'ouest de la France.

S'agissant des différents dispositifs, constats et propositions que l'AdCF a pu porter au regard de la féminisation, il faut un accompagnement soutenu par les différentes associations d'élus pour encourager les femmes à s'investir au sein des conseils communautaires. Il est vrai que cela est peut-être un peu plus difficile dans les territoires ruraux que dans les territoires urbains plus densément peuplés et présentant des volontés plus ancrées de femmes pour s'investir en politique. Il faut un véritable encouragement qui soit porté par nos instances et par les associations d'élus, et une communication pour encourager les femmes à s'investir beaucoup plus au sein des instances politiques. Il faut également que les élus actuels, hommes et femmes, puissent encourager les femmes à s'investir fortement dans nos instances intercommunales pour que la parité soit bien représentée, comme nous l'appelons de nos voeux, en tant que femmes déjà fortement investies dans de nombreuses instances. Le travail doit être porté beaucoup plus largement, au niveau de toutes les instances qui existent aujourd'hui sur notre territoire national.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci pour toutes ces propositions. Je vais donner la parole à l'Assemblée des départements de France qui sera portée à deux voix par Jean Galand, conseiller départemental de la Gironde, et Perrine Forzy, vice-présidente du département de l'Eure.

M. Jean Galand, conseiller départemental de Gironde, représentant l'Assemblée des départements de France (ADF). - Je voudrais témoigner de mon expérience de terrain, celle d'un maire d'un petit village rural de 2 500 habitants, élu depuis vingt ans et ayant toujours prôné la parité au sein de son conseil municipal, mais aussi mon expérience de conseiller départemental élu lors du dernier mandat en 2015. C'est la force de la loi qui a conduit à la parité dans les conseils départementaux. Avec le recul d'une mandature qui a été totalement paritaire, le bilan au sein des conseils départementaux est largement positif. Je cite l'exemple de la Gironde, dont le président est un homme, mais dont huit des quinze vice-présidences sont occupées par des femmes. L'initiative qui a été mise en place a dès le départ dépassé ce que la loi exigeait, en exprimant la volonté de créer une mission égalité femmes-hommes au sein du département, représentée par un binôme paritaire et ayant pour mission une action à la fois interne et externe. L'action interne a porté sur la création de jurys totalement paritaires s'agissant du recrutement, sur la création d'une cellule d'écoute pour tous les problèmes internes rencontrés autour de l'égalité femmes-hommes, les violences et le harcèlement. Quant au niveau externe, il s'agissait de mettre en place une exemplarité départementale vis-à-vis du grand public mais également, parce que le département est garant des solidarités territoriales et humaines, de se montrer exigeant en termes de parité et d'égalité. Par exemple, au sein de la commission d'appel d'offres, il faut vérifier que toutes les entreprises sollicitant un marché public présentent un rapport sur l'état de l'égalité femmes-hommes, et pas simplement une intention. Par le biais de la solidarité territoriale exprimée au niveau des communes, il s'agit par ailleurs de faire en sorte que toutes les subventions versées soient attribuées selon des critères liés à l'égalité femmes-hommes, relatifs notamment à un accès équitable aux infrastructures qui sont subventionnées. Au même titre que cela a été fait au regard du respect des exigences environnementales, il s'agit de mettre en place des critères de sélection permettant que l'égalité femmes-hommes soit entièrement respectée sur le territoire. Enfin, la charte européenne sur l'égalité des droits entre les hommes et les femmes a été signée au niveau départemental et il est souhaité qu'elle soit déclinée au niveau des intercommunalités et des communes qui adhèrent à cette intercommunalité, afin que tout le maillage du territoire puisse être couvert. Il s'agit d'une avancée importante. Au bout de six ans de mandat, j'ai vraiment le sentiment que les choses ont beaucoup changé au niveau départemental.

Mme Perrine Forzy, vice-présidente du conseil départemental de l'Eure, représentant l'Assemblée des départements de France (ADF). - Mesdames et Messieurs, bonjour. J'apprécie beaucoup les propos de mon collègue conseiller départemental sur les bienfaits de la parité obligatoire à l'échelle des conseils départementaux. Il faut quand même reconnaître que cela n'a pas été simple pour y parvenir.

J'ai le souvenir qu'en début de mandat en 2015, au moment de la constitution des commissions, je me suis insurgée lorsqu'il nous a été proposé une commission à l'action sociale uniquement féminine et une commission des finances uniquement masculine. J'ai réalisé qu'une prise de conscience ne s'était pas opérée. Ce n'était sans doute pas intentionnel et beaucoup de femmes trouvaient cela normal, beaucoup d'hommes trouvaient cela normal aussi mais personnellement, cela me choquait et heureusement, un collègue m'a cédé sa place au sein de la commission des finances, mais quelques mois plus tard, il m'a été proposé de prendre la vice-présidence de la commission à l'action sociale, ce que j'ai accepté.

Pour ma part, j'ai un parcours semblable à beaucoup d'autres. Je m'étais présentée au départ aux élections départementales en 1998 ; j'avais à peine quarante ans. Un ancien conseiller général était venu me chercher alors que je venais d'être élue maire. Je n'ai pas été élue, ce que je n'ai pas regretté car il m'aurait été difficile d'élever mes quatre enfants, en bas âge à l'époque, tout en menant de front mon mandat de maire, ma fonction de mère de famille et celle d'élue d'un conseil départemental ! Cela ne m'a pas empêchée d'occuper quatre mandats de maire, deux mandats de présidente d'intercommunalité, dont le dernier d'une intercommunalité agrandie à plus de 30 000 habitants, sachant que j'étais la présidente de la plus petite intercommunalité, ce qui montre que le plafond de verre n'est pas aussi difficile à briser qu'on le pense.

Je pense que les profils très différents apportés par la féminisation des conseillers départementaux est une bonne chose. Cela a amené de la fraîcheur et une manière différente d'aborder les sujets. Je remarque quand même qu'il existe une forme d'entre soi chez beaucoup de collègues masculins, certains groupes restent encore assez fermés et je pense que cela est davantage dû à une façon d'être entre hommes, peut-être à une forme de grivoiserie ou de gauloiserie. Ils ne sont pas forcément très à l'aise lorsque nous intégrons leur groupe car cela modifie leur manière de se détendre. Je pense que cela relève d'habitudes de travail à développer dès le plus jeune âge, afin que chacun trouve sa place au sein de groupes mixtes.

Je me retire petit à petit de la vie politique après quatre mandats de maire, deux mandats de présidente d'intercommunalité et un mandat de conseillère départementale. J'arrive à un stade de ma vie où d'abord je trouve qu'il est important de laisser la place à d'autres, notamment au niveau de la commune de 330 habitants que j'accompagnais jusqu'ici ; je pense également qu'il y a des âges, pour les femmes, où elles peuvent avoir envie de privilégier leur vie de jeune mère, ou bien comme moi en ce moment, de privilégier leur temps de grand-mère et d'épouse d'homme à la retraite. Il faut laisser chaque femme choisir et trouver la manière de s'investir mais il est difficile de repérer ces femmes. Pendant deux mandats, j'étais la seule femme maire de mon canton. Petit à petit, cela se féminise mais aujourd'hui, je dois réfléchir afin de trouver le profil de la femme qui voudra s'investir et dont le mari, le conjoint, sera prêt à l'accompagner car je pense que c'est important. Une conseillère municipale de mon équipe s'est retrouvée par deux fois enfermée en dehors de sa maison en rentrant d'un conseil municipal car son mari avait mal vécu le fait que je l'ai sollicitée plutôt que lui ! Il s'agit d'une réalité, certains conjoints peuvent encore aujourd'hui difficilement accepter le rôle de leur femme. Il existe donc la question de l'appétence de la femme mais également celle du couple. La question de mobilité est également primordiale ; j'habite à une heure et quart de trajet de l'Hôtel du département et il est vrai qu'en milieu rural, trouver le temps de s'investir n'est pas forcément facile.

S'agissant de la parité dans les intercommunalités, j'ai réussi à composer des conseils municipaux paritaires sans y avoir été obligée, le fait qu'il n'y ait qu'un seul délégué par commune rurale ne facilite pas la parité dans les intercommunalités et cela semble être le point focal sur lequel il faut travailler de manière plus spécifique.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci pour votre témoignage de terrain. Je vais céder la parole à la dernière intervenante, Julia Mouzon, présidente du réseau Élues locales. Je remercie tous les collègues présents mais également ceux qui sont en visioconférence car ce matin, nous avons la chance d'accueillir les membres de la délégation aux collectivités territoriales dont la présidente, notre collègue Françoise Gatel, s'excuse de ne pas pouvoir être présente.

Mme Julia Mouzon, présidente du réseau Élueslocales. - Merci beaucoup Madame la sénatrice, merci aux délégations de mener ces travaux qui sont nécessaires car, comme le montrent les résultats de l'étude que je vais vous présenter et qui a été menée sur la base d'un questionnaire que nous a adressé votre délégation, les femmes élues de la ruralité sont effectivement aux prises avec des enjeux particuliers. Avant de présenter cette étude, je voudrais aussi saluer cette recherche d'égalité et cette attention portée aux femmes dans la ruralité. Cette notion d'égalité est pour nous toutes et tous très importante. Cela se traduit d'ailleurs aujourd'hui par le fait qu'en France, nous avons des lois sur la parité qui sont absolument uniques au monde, je tiens à le saluer. Nous nous inscrivons dans une direction que je trouve très positive. Nous avançons de manière très volontaire et ambitieuse sur ces sujets, dont celui de la lutte contre les violences conjugales qui vient d'être évoqué. Je salue le travail parlementaire qui contribue à cette recherche constante d'égalité entre nos concitoyennes et concitoyens.

Elueslocales.fr est un organisme de formation des élues qui anime en parallèle un réseau de femmes élues. Nous formons à peu près 1 000 femmes élues tous les ans et nous avons un réseau d'ambassadrices locales constitué d'environ trente ambassadrices, lesquelles sont bénévoles dans les départements, qui animent des réseaux et qui font vivre cette question de la place des femmes en politique et de l'égalité entre les femmes et les hommes dans leurs territoires. Nous avons aussi bien des réseaux situés dans des zones très urbaines que des réseaux très ruraux, puisque dans la ruralité en particulier, les femmes éprouvent encore plus le besoin de se retrouver, de se regrouper et de partager leurs expériences.

Je vais projeter un document présentant quelques constats et résultats de l'étude. La première question du questionnaire de la délégation, relayé auprès des femmes élues adhérentes de notre réseau, était celle des difficultés qu'elles rencontraient dans leur vie politique et il m'a paru intéressant de vous en citer quelques-unes. « À quelles difficultés particulières avez-vous été confrontée dans votre parcours d'élue ? ». La première difficulté évoquée concerne l'attribution genrée des délégations au niveau local. Un témoignage anonyme nous dit : « Je note un sexisme ambiant. Les postes à enjeux financiers sont laissés aux hommes ; les femmes n'osent prendre ni ces responsabilités, ni même la parole en assemblée ». La maire d'une commune de 200 habitants dans l'Isère nous dit : « Parfois, on me donne moins de crédibilité sur des sujets liés à l'urbanisme ou aux réseaux ». Les femmes témoignent aussi d'un réseau politique manquant. Une adjointe, dans une ville de 800 habitants dans la Haute-Vienne nous dit : « Difficultés à s'intégrer dans un monde d'élus masculins qui tissent plus facilement des relations entre eux », et je crois que cela a été très bien illustré par les témoignages que nous venons d'entendre. Les arbitrages vie privée-vie professionnelle sont plus complexes pour les femmes élues, dans la ruralité comme ailleurs. L'adjointe d'une ville de 5 000 habitants dans la Haute-Vienne nous dit : « Difficulté temporelle sur les heures de réunions, impossibilité de me rendre aussi disponible que les situations l'exigent ». Une vice-présidente d'EPCI dans le Calvados qui est aussi maire d'une commune de 900 habitants nous dit : « Le rythme et les horaires rendent compliquée une vie de famille classique » et là encore, ce témoignage en recoupe d'autres que nous venons d'entendre.

Les femmes élues témoignent également d'un sexisme vécu au quotidien, voire de conflits et de menaces. Dans l'Indre-et-Loire, une élue d'une ville de 2 000 habitants et vice-présidente de sa communauté de communes nous dit : « Ils m'ont envoyé des hommes tenter des intimidations à la limite de la menace, me dire ouvertement que ma présence était due aux quotas. Je suis une femme, donc forcément je ne peux pas comprendre. ». Elle continue sur une tonalité très ironique : « Ne pas comprendre que je souhaite être présente aux réunions de chantier de la crèche pour laquelle j'ai monté tout le dossier, ne pas être conviée aux réunions, être obligée de me maquiller et de me « saper », car sinon on me prenait pour la technicienne », une question que toutes les femmes en politique se sont posée. Dans les Ardennes, une adjointe dans un village de 50 habitants nous dit : « J'ai été insultée, diffamée, on a également tenté de m'intimider ; oui, cela est dû au fait que je sois une femme élue ». Enfin, une conseillère municipale d'opposition, dans une ville plus importante de 15 000 habitants, nous dit : « Comme je suis une femme et relativement jeune, il est indéniable qu'on prend moins de gants avec moi qu'avec mes collègues hommes. Les conseils municipaux sont dignes d'une cour de récréation, on me coupe le micro et la parole, on se moque de moi, on rigole, on m'écarte de toutes les commissions ». Ces problèmes recoupent ceux rencontrés par les femmes dans la vie politique en général, dans la ruralité comme en milieu urbain, et ils sont amplifiés par la moindre présence des femmes dans les EPCI dans les zones rurales, dans lesquels en général seuls les maires sont appelés à siéger.

Le deuxième axe qui croise ces difficultés a trait à la question de la ruralité. La question suivante a été posée : « Compte-tenu de votre connaissance de terrain, quelle politique locale jugez-vous plus nécessaire pour améliorer la vie des femmes et des familles dans votre territoire? ». Les premières réponses qui ressortent sont liées à l'accès à l'emploi et, de manière générale, à la mobilité, à la possibilité de faire garder ses enfants et à la lutte contre les violences faites aux femmes. Les femmes déclarent en très grande majorité cette difficulté de l'accès à l'emploi, celle de l'accueil des jeunes enfants qui constitue un frein pour le retour à l'emploi, de la mobilité, de l'accès au permis de conduire et de l'offre de transport, et de la lutte contre les violences faites aux femmes. Ces problèmes recoupent évidemment celui de la ruralité en général mais sont accentués par le fait que les femmes sont confrontées, en raison de la maternité, à des difficultés particulières et qu'elles occupent plus souvent les emplois les plus précaires. La question des bonnes pratiques locales a également été posée lors de cette étude, à laquelle ont répondu soixante-dix-sept élues : « Quelles sont les bonnes pratiques que vous avez mises en place dans votre territoire en faveur des femmes de manière générale ? ». Les bonnes pratiques recoupent toutes les problématiques que nous venons d'évoquer. Parlons d'abord des bonnes pratiques s'agissant de la mobilité. Les exemples évoqués sont le co-voiturage, des navettes-bus itinérantes à horaires réservables, des chèques-déplacements ou encore des navettes gratuites. La maire d'une commune du Rhône de 3 000 habitants nous dit : « Co-voiturage privé pour rejoindre la gare, accueil gratuit des enfants pour les plus précaires, groupes de parents pour assurer l'aller et le retour de l'école ». Dans une ville de 3 000 habitants, une adjointe dans le Vaucluse nous dit : « Accueil et service public itinérant ». D'autres témoignages soulignent les réseaux d'entraide, le co-voiturage, l'accès aux services publics pour effectuer les démarches en faveur de l'emploi. La garde des enfants reste un problème universel qui se pose de façon particulièrement forte dans la ruralité. Dans l'Indre-et-Loire, il nous est dit : « Monter une crèche et surtout informer de ce mode de garde dont le coût est indexé sur leurs moyens, ce qui permet aux femmes de retourner à l'emploi ». Une conseillère départementale des Côtes-d'Armor nous dit : « La garde d'enfants pour les familles monoparentales pour pouvoir retourner à l'emploi avec les acteurs de l'insertion du département, la mise en place du schéma départemental des services aux familles avec des thèmes dédiés sur ce sujet sur tout le territoire ». Une élue anonyme en début de mandat nous dit : « Dans mon village en ce qui concerne le programme de garde des enfants, je pense à une recherche de solutions avec trois villages voisins pour une éventuelle mutualisation des services à créer ». Enfin, le sujet des violences conjugales revient comme nous l'avons dit de manière assez prégnante. Les élus nous disent : « Soutenir le festival «Femmes en campagne» qui a pour objectif de mettre en lumière les femmes du territoire, monter des cafés de femmes pour libérer la parole ». Une autre élue, maire d'un village de 3 000 habitants en Gironde, nous dit : « Formation des agents municipaux à l'accueil des femmes maltraitées, réflexion autour de la construction d'habitats transitoires pour les familles monoparentales ». En Guyane, une élue témoigne de la mise en place d'un hébergement d'urgence dans chaque commune en passant des partenariats avec des structures d'hébergement existantes, le temps de construire des budgets et des structures propres aux collectivités. Enfin, dans les Yvelines, sont évoquées des « réunions de cercles de femmes dans le cadre d'une association locale, des rendez-vous autour d'un verre uniquement pour les femmes qui peuvent plus librement parler d'elles, des groupes Facebook pour échanger nos expériences, se rendre service, être solidaires ».

Nous sommes confrontés ici à une double problématique et il faut mener une double action en parallèle si nous souhaitons faire avancer la cause des femmes dans la ruralité. La première a trait au fait que la représentation des femmes en politique et l'accès à l'emploi, la mobilité et à une bonne qualité de vie dans la ruralité vont de pair. Les femmes dans la vie politique défendent les droits des femmes et ont des expériences de vie qui leur permettent peut-être de prioriser certains sujets par rapport à d'autres. Il y a donc une double action à mener. La promotion des femmes dans la vie politique locale passe par plusieurs des actions qui ont été évoquées ce matin et avec lesquelles nous sommes tout à fait en accord : la question d'un scrutin de liste à promouvoir dans les villes de moins de 1 000 habitants. Il faudrait un scrutin de liste qui permette de laisser des listes incomplètes dans les petites communes. Il faut par ailleurs mener une réflexion très complexe sur les EPCI, dont les équilibres sont complexes et dont le fonctionnement démocratique est encore récent. Je ne peux qu'appeler Mesdames et Messieurs les sénatrices et les sénateurs ici présents à porter attention au fait que le projet de loi dit « 4D », prenne en considération cette question de l'amélioration de la parité dans les EPCI.

Le deuxième axe d'action consiste à porter, dans toutes les réformes envisagées dans la ruralité, une attention particulière aux femmes, d'encourager et accompagner le développement des services publics ; développer les modes de garde, des mobilités, l'accès à l'emploi et à l'autonomie financière, émotionnelle et psychologique ; et enfin favoriser au maximum et soutenir les associations qui s'engagent pour que la parole des femmes se libère.

Mme Annick Billon, présidente. - Je vous remercie Madame la présidente pour cet exposé extrêmement précis et qui donne un aperçu des freins, des possibilités, des propositions. J'ai une observation : vous avez évoqué la place plus importante des femmes dans les intercommunalités à l'ouest de la France métropolitaine et dans les outre-mer. Je serais intéressée d'entendre la réaction des collègues ultramarins de notre délégation à ce constat. J'invite Victoire Jasmin, sénatrice de la Guadeloupe, à réagir ensuite à cette observation.

J'invite tout d'abord la rapporteure Marie-Pierre Monier à s'exprimer.

Mme Marie-Pierre Monier, rapporteure. - Je vous remercie Madame la présidente, bonjour à toutes et à tous, merci à toutes et tous pour vos propos. Je retiens deux choses. Tout d'abord, il existe un levier législatif qui a été important pour faire avancer les choses et je crois que nous devrons être très vigilants dans les prochains textes pour faire bouger les lignes. Nous avons beaucoup parlé du seuil à partir duquel les listes doivent être paritaires au niveau des communes. Cela a été le sujet de nombreux débats. Vous avez toutes et tous assuré qu'il fallait continuer à avancer. Nous nous sommes posé la question de savoir si toutes les communes devaient avoir des listes paritaires. Il faut encore y réfléchir avant que cette question soit débattue au Parlement. Nous avions pensé au seuil de 500 habitants.

Il y a aussi la question du binôme et de la représentation au sein des intercommunalités, en particulier dans leurs exécutifs. Il est vrai que la majorité des maires sont des hommes, ce qui implique inévitablement que les représentants dans les intercommunalités le soient aussi majoritairement. Je plaiderais moi aussi pour un binôme obligatoire et paritaire ; ce n'est pas une question simple à régler, cela relève là aussi du ressort législatif.

Par ailleurs, le statut de l'élu et la disponibilité qu'il nécessite relèvent de la question sociétale de la place que nous donnons à la femme. Vous êtes nombreux dans vos propos à dire que la femme consacre beaucoup de temps à sa famille, à ses enfants, à sa maison. Or dans un couple, il y a bien deux personnes et si la femme souhaite s'engager, le conjoint doit prendre le relais. Nous devons bien avoir un engagement de fond sur la place des femmes. Dans le statut de l'élu, il est important de prévoir des moyens de garde d'enfants et de les généraliser car à défaut, les femmes ne s'autorisent pas à s'engager. Je pense également à la question de la rémunération. Je me demande si dans les études que vous avez faites, vous avez établi un profil des femmes qui s'engagent dans la vie publique, particulièrement dans les zones rurales - profession, âge, fonction au sein des conseils municipaux. Le centre Hubertine Auclert, qui a rédigé un rapport sur la situation des femmes dans les territoires ruraux franciliens, recommandait plusieurs pistes d'action, parmi lesquelles le développement de conseils municipaux des jeunes paritaires pour encourager la mise en place d'une culture d'égalité chez les plus jeunes, l'augmentation des indemnités des élus des petites communes qui permettrait justement de compenser parfois les plus faibles salaires et retraites des femmes. Quelles seraient vos propositions, ou quel est votre avis sur ces propositions ?

Enfin, plusieurs d'entre vous ont évoqué un état des lieux de l'égalité hommes-femmes. Je partage entièrement cette proposition. Vous avez parlé d'un référent, ou d'un adjoint à l'égalité femmes-hommes, au sein de toutes les communes de France. Je pense également que chaque commune devrait avoir l'obligation de nommer un référent à l'égalité femmes-hommes. Il faut souligner que des initiatives sont prises au niveau des départements et des intercommunalités sur l'égalité femmes-hommes. Avons-nous des retours à ce sujet ?

Mme Annick Billon, présidente. - Merci chère rapporteure. Je vais donner la parole à Victoire Jasmin.

Mme Victoire Jasmin. - Merci beaucoup Madame la présidente et merci à toutes et tous pour vos interventions. Vous avez très bien identifié la plupart des problèmes auxquels nous sommes toutes confrontées et qui s'amplifient évidemment dans les petites communes. Mais la situation s'améliore : de plus en plus de femmes veulent s'engager.

Pour ce qui concerne la Guadeloupe, de nombreuses femmes n'ont pas attendu les lois sur la parité pour s'impliquer. Des femmes sont maires depuis très longtemps, nous avons aujourd'hui une femme qui en est à sa sixième mandature et qui a été députée. Nous avons également eu des femmes ministres et la première députée de la Guadeloupe était une femme avocate, première avocate également de la Guadeloupe. Nous savons que cela n'est pas évident. En janvier 2019 lors de la table ronde de notre délégation précédemment évoquée, j'avais déjà témoigné de situations que j'avais moi-même vécues mais j'ai aussi vu évoluer des hommes qui étaient les plus réfractaires à l'engagement politique des femmes et qui ont changé d'avis au fur et à mesure de leur présence accrue. Ils se sont rendu compte que les femmes, comme les hommes, avaient la capacité d'innover et de faire des propositions pertinentes pour leur territoire. Les propositions et la présentation faite par Julia Mouzon m'ont interpelée. Nous devons toutes et tous nous organiser pour stimuler à tous les échelons - communal, intercommunal, au niveau des conseils départementaux où les choses ont évolué avec les binômes paritaires - une meilleure représentation des femmes. Les élues ayant des enfants en bas-âge ont des problématiques liées à la garde de leurs enfants. Plusieurs préconisations ont été faites, qu'il faudrait certainement mettre en place, afin de créer les conditions pour que toutes les femmes, quel que soit l'âge de leurs enfants, aient la possibilité de s'impliquer, de s'investir. En matière de répartition des postes, j'ai été étonnée quand j'étais jeune élue locale de constater qu'il existait des postes pour lesquels il y avait des rétributions spécifiques. Très vite, j'avais remarqué que de nombreux hommes demandaient tels ou tels postes en premier, j'ai alors compris que, pour ces postes, il existait une rétribution spécifique et que certaines femmes n'y avaient pas accès car elles ne connaissaient pas leur existence. Nous les femmes, nous ne prenons pas un poste en fonction de l'argent, nous le prenons parce que nous avons envie de travailler pour notre population, parce que nous avons envie de nous investir. La plupart des femmes que j'ai rencontrées voulaient donner de leur temps, de leur personne, s'investir et s'impliquer réellement au niveau politique en conciliant leurs différentes vies. Pour ma part, j'étais très impliquée dans la vie associative et je réussissais à concilier à la fois ma vie professionnelle, ma vie familiale (j'ai trois enfants) et ma vie politique. Les enfants comprennent souvent la nécessité de s'investir, de s'impliquer et de permettre que les choses changent à la fois pour notre génération et pour les générations à venir. Nos aînées se sont beaucoup plus battues que nous.

Très souvent, les hommes ont une attitude différente dans leur foyer de celle qu'ils ont dans leur vie politique. Nous ne parvenons pas toujours à comprendre leurs réelles motivations, entre le pouvoir et les pressions qu'ils veulent exercer sur les femmes, surtout quand ils ne maîtrisent pas certains sujets que les femmes maîtrisent. Quand un homme parle, il est écouté et ses propos ne sont pas mis en doute a priori. Un véritable travail doit être mené à ce sujet. Sur un territoire où le matriarcat est très fort, et où il existe de nombreuses familles monoparentales également, le rôle des hommes est certes prépondérant mais les femmes ont su créer leur chemin et montrer qu'elles étaient capables de donner le meilleur d'elles-mêmes. Les femmes n'hésitent pas à aller chercher les informations, à aller se former, pour mieux appréhender les différentes problématiques.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci chère collègue.

J'ai une dernière demande de prise de parole, puis je laisserai nos interlocuteurs répondre comme ils le souhaitent. Patricia Schillinger, membre de la délégation aux collectivités territoriales, souhaite intervenir.

Mme Patricia Schillinger. - Je me retrouve dans les propos échangés ce matin : j'ai été maire et vice-présidente d'une petite intercommunalité avant le redécoupage. Le mal est bien profond car faire intégrer des femmes signifie intégrer des femmes très libres ; libres de pouvoir aller et venir, de pouvoir assister aux réunions. Or aujourd'hui je vois l'hyperactivité des élus, je vois des réunions tous les jours sur tous les sujets, dans toutes les commissions, des réunions le soir et le samedi. Je pense qu'il faut faire des efforts sur cet aspect, pour savoir comment mieux travailler et simplifier le travail des élus. L'intégration des femmes ne serait-elle pas meilleure avec moins de communes et des communes plus grandes, grâce à la parité au sein des élus mais également au sein des personnels administratifs dans les communes et les intercommunalités ?

Le sujet des indemnités a également été évoqué. C'est très important. J'ai rencontré des adjointes qui recevaient environ cinq cent euros d'indemnités avec trois enfants, et elles me disaient que cela ne leur suffisait pas. Il est également question de la garde des enfants : le temps de garde des enfants, le soir, n'est pas remboursé. Nous savons également que l'émancipation vient par l'emploi et aujourd'hui, 40 à 60 % seulement des femmes ont une retraite à l'issue d'une carrière complète parce que les autres exercent un travail à temps partiel. Il existe de nombreux sujets sur lesquels il faut travailler. Nous avons avancé mais j'ai une crainte pour l'avenir parce que les jeunes femmes sont vraiment très occupées par leur emploi, leurs enfants, et les fins de journée de plus en plus tardives. Aujourd'hui, beaucoup de réunions se poursuivent jusqu'à 19 ou 20 heures. Avoir une vie en dehors de la vie familiale est très compliqué.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci beaucoup chère collègue. Je vais donner la parole à Mme Nadine Kersaudy, maire de Clédun-Cap-Sizun qui souhaite répondre.

Mme Nadine Kersaudy. - Merci Madame la présidente. Je voulais revenir sur les positions de l'Association des maires ruraux de France. Nous sommes évidemment favorables à ce que le scrutin de liste au premier habitant soit applicable à toutes les communes. Vous l'avez rappelé, dans plus de 74 % de communes, les lois sur la parité ne sont pas appliquées. Il est nécessaire de garantir l'équité à l'ensemble des citoyennes de notre territoire. Une enquête menée au cours du précédent mandat avec la direction régionale de la préfecture, l'ensemble des associations d'élus et Elles aussi, montrait qu'il faudrait attendre 2092 pour atteindre la parité intégrale au niveau des maires, car 80 % des maires sont aujourd'hui des hommes. Il est également question de limiter le nombre des mandats dans le temps, mais il existe des élues, comme des élus, qui sont très engagés pour faire avancer l'égalité. Nous l'avons répété, le statut de l'élu est primordial, notamment l'indemnité. Il ne faut pas oublier le contexte actuel de la pandémie qui crée des difficultés professionnelles et au sein des couples. J'ai toujours eu beaucoup de femmes au sein de mon conseil municipal et j'interroge les élus sur leurs disponibilités avant d'organiser les réunions. Je pars du principe qu'il s'agit d'un travail d'équipe : si nous ne sommes que deux à participer à une réunion, je ne vois pas ce que nous pouvons faire avancer. On me dit évidemment : « Oui, mais toi tu es une femme » Peut-être les femmes font-elles de la politique différemment ? L'Association des maires ruraux de France souhaiterait qu'une étude soit menée sur la question du binôme paritaire. Je sais que d'importants travaux législatifs existent sur ce sujet mais peut-être faudrait-il également réviser la Constitution. Il existe de très grandes communes et n'oublions pas que si les métropoles existent, c'est bien parce que les territoires ruraux sont là aussi.

Pour en revenir au fonctionnement des conseils communautaires, je m'aperçois que je suis la première vice-présidente puisque je suis une femme, la seule femme de notre commune qui est demeurée à taille humaine. Les hommes n'ont parfois pas envie de mettre le président dans l'embarras. Je suis souvent la seule femme à m'exprimer dans le cadre d'une instance représentant trente-deux communes. Quand nous avons évoqué la représentativité de nos dix communes pour le prochain mandat, la grande commune de notre intercommunalité était prête à donner un poste à la petite commune même si la loi ne le permettait pas théoriquement. Nous savons que les accords amiables sont aléatoires si un conseil démissionne. Il faudrait officialiser tout cela.

Les femmes représentent la moitié de la population française et plus de la moitié du corps électoral. Selon une étude menée par le CNRS, plus la commune est petite, plus la participation aux élections est importante. La parité reste et demeure un enjeu de démocratie pour la France. Faisons-en sorte de faire évoluer les choses !

Mme Annick Billon, présidente. - Merci beaucoup Madame le maire. Je donne la parole à la vice-présidente du département de l'Eure qui représente l'ADF, Mme Perrine Forzy.

Mme Perrine Forzy. - Je vous remercie. Je voudrais simplement vous alerter sur le message que nous véhiculons quand nous évoquons la problématique de la garde des enfants pour encourager l'investissement des femmes en politique. À partir du moment où nous le présentons de la sorte, nous laissons entendre que ce sont les femmes qui doivent garder les enfants. Il existe là un vrai piège. En assemblée départementale, lorsque nous abordons ce sujet, je dis toujours qu'il s'agit d'un problème d'hommes et de femmes.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci pour cette précision. Bien entendu, à partir du moment où nous faisons avancer les droits des femmes, nous faisons avancer l'égalité hommes-femmes et cela profite à la société tout entière, nous en sommes persuadés à la délégation aux droits des femmes. J'ai une demande d'intervention de Mme Cécile Gallien.

Mme Cécile Gallien. - Je ne pourrais pas dire mieux que ma collègue. Les associations d'élus ont avancé et nous sommes à l'AMF complètement favorables, je le redis, à la mise en place de ce scrutin de liste paritaire à partir du premier habitant. 74 % des communes de France ont moins de 1 000 habitants et recensent plus de citoyennes que de citoyens. Maintenant, il faut y aller, il n'y a plus de discussion à avoir. Je crois que tout le monde est mûr, la société est mûre et elle le prouve en votant pour des maires qui sont des femmes, et en votant pour des sénatrices, des députées. Il faut maintenant que nos parlementaires aillent jusqu'au bout. Un chiffre que nous n'avons pas cité : les femmes élues aux dernières élections municipales sont plus jeunes que les hommes. En revanche, phénomène inquiétant, elles arrêtent leur vie politique avant les hommes. Nous observons une diminution du nombre de femmes âgées de plus de cinquante ans dans la représentation municipale alors que les hommes poursuivent leur mandat jusqu'à soixante ou soixante-dix ans. Peut-être est-ce une bonne chose que les femmes élues laissent leur place à d'autres, néanmoins je pense qu'il faut se poser cette question.

Sur la question des intercommunalités, évidemment l'AMF n'est pas d'accord avec le vote direct des élus communautaires. Je rappelle que les EPCI sont des établissements publics de coopération intercommunale, ce qui signifie qu'ils sont au service des communes. Nous tenons tous à ce principe. En revanche, il faut mettre en place une certaine obligation de parité. La moindre des choses serait le binôme au niveau de la présidence ou de la co-présidence, mais il faut aller plus loin. Cela mérite réflexion. Il y a aussi l'outil des règlements intérieurs. Nous avons tous voté un règlement intérieur au sein de nos communes, en tout cas au sein des communes moyennes et des intercommunalités. J'ai inséré cette question de la parité dans mon règlement intérieur. J'ai également proposé ces dispositions à l'intercommunalité mais elles n'ont pas été retenues. La parité ne constitue même pas un sujet dans certaines intercommunalités.

Par ailleurs, la loi Engagement et proximité de décembre 2019 a permis des avancées qui ne sont pas connues. En termes de garde d'enfants notamment, il existe des possibilités de prise en charge financière que quasiment tout le monde ignore. Cette loi doit être rappelée.

Enfin, concernant la question fondamentale des professions exercées par les femmes maires, le questionnaire de la Direction générale des collectivités locales (DGCL) publié après les élections municipales n'en traite pas mais le questionnaire commun, que l'AMF et le Haut conseil à l'égalité (HCE) soumettront prochainement aux élues, posera cette question.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci beaucoup. Je donne la parole à notre collègue Marie-Claude Varaillas.

Mme Marie-Claude Varaillas, rapporteure. - Bien évidemment, je ne vais pas redire tout ce qui a été dit et que je partage, et je remercie tous les intervenants car le débat ce matin est très enrichissant. Je voudrais parler de mon expérience personnelle car j'ai eu une carrière professionnelle dans la fonction publique territoriale. J'ai suivi une formation et passé des concours pour accéder au grade de cadre A et je me suis rendu compte effectivement - même si les choses ont évolué depuis - que les femmes n'arrivaient pas à accéder au grade de directeur général des communes de plus de 20 000 habitants, essentiellement occupés par des hommes. Les femmes travaillaient dans les petites communes et les hommes dirigeaient les grandes communes au-dessus de 20 000 habitants. Je l'ai vécu et j'ai dû faire ma place pour accéder au grade de directrice générale des services. Ensuite, j'ai vécu mon parcours d'élue, et je n'étais pas très favorable à la loi sur la parité car je faisais partie de celles qui voulaient que les femmes réussissent seules, sans qu'une loi oblige les hommes à accepter cette parité. Et puis j'ai vécu cette parité en étant élue au sein d'un conseil départemental et là, j'ai constaté que les élus hommes étaient ravis de nous accueillir, certains nous disant : « Vous nous avez apporté du sang neuf, vous êtes très opiniâtres et vous travaillez plus que nous ». Et effectivement, je me suis rendue compte nous travaillons beaucoup plus nos dossiers et nous avons beaucoup moins le souci de notre ego. Car au sein de ce conseil départemental, j'ai constaté que les femmes élues travaillaient beaucoup plus sur les dossiers. La presse locale aussi avait l'habitude de relever dans les conseils départementaux la parole des hommes plus que celle des femmes alors que celles-ci faisaient également des déclarations qui n'étaient pas reprises.

Quant à la parité dans les communes de 1 000 habitants et moins, il faut savoir qu'il est très difficile d'aller chercher des femmes dans les petites communes rurales. Il m'est arrivé de constituer des listes pour les élections municipales. J'arrivais dans une famille pour chercher la femme et il fallait que je reparte avec l'homme, ce que je refusais. Dans nos petites communes, il n'est pas tout à fait acquis encore que la femme prenne toute sa place en tant qu'élue. Nous avons encore à travailler dans ce domaine, et ce n'est pas simple, en raison de toutes les problématiques évoquées précédemment telles que la mobilité, les enfants, les familles monoparentales.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci chère collègue. J'invite Édith Gueugneau à intervenir.

Mme Édith Gueugneau. - Je voudrais rappeler que le Président de la République a fait de l'égalité femmes-hommes une priorité de son quinquennat. Je pense qu'aujourd'hui, il existe une réelle volonté politique. Beaucoup de progrès ont été réalisés mais il reste encore du chemin à parcourir. La responsabilité des parlementaires pour améliorer cette égalité est essentielle. Il existe également une volonté politique des maires qui peuvent instaurer la parité à tous les niveaux. Je pense qu'il y a un travail de fond à effectuer en matière d'éducation, au sein de notre système éducatif, mais également par le biais du développement de conseils municipaux de jeunes pour promouvoir la parité. Il faudrait également conduire des politiques en faveur de la jeunesse. Je rappelle qu'éduquer au concept de l'égalité dès la crèche est très intéressant. Ce qui peut également donner envie aux femmes de s'engager, c'est d'adapter les horaires des réunions en fonction de leurs horaires professionnels ; j'ai voté au sein du conseil municipal une aide à la garde des enfants car j'ai souvent rencontré des femmes jeunes avec enfants, au sein d'une famille monoparentale, mais souhaitant quand même s'engager. Aujourd'hui, nous disposons d'une aide pour garder les enfants et d'une aide pour la mobilité. Nous devons rester optimistes mais il reste encore beaucoup à faire et un travail de fond doit être mené dans notre société. Nous toutes et tous présents ce matin souhaitons y oeuvrer.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci beaucoup. Notre collègue Sylviane Noël, qui intervient à distance depuis la Haute-Savoie, souhaite prendre la parole.

Mme Sylviane Noël. - Bravo pour cette table ronde vraiment passionnante. Je tenais à apporter mon témoignage personnel puisqu'avant d'être sénatrice, j'ai été durant dix ans maire d'une commune de 450 habitants ; je connais donc bien le sujet de la parité en milieu rural. Toutes les pistes évoquées par nos différents intervenants sont intéressantes, mais s'agissant des petites communes, je tenais à vous mettre en garde car je considère que la loi ne pourra pas tout résoudre. Je suis pour ma part très réservée sur la mise en place d'un scrutin de liste dans les plus petites communes, tant sur son efficacité que sur son applicabilité sur le terrain. Je peux témoigner que s'engager dans ces communes rurales relève vraiment d'un sacerdoce et nécessite un énorme investissement. Nous ne pouvons pas obliger des femmes à s'engager contre leur gré ; celles qui devraient s'engager en raison de la parité mais qui n'auraient ni le souhait, ni le temps d'accomplir leur mission n'en retireront aucune satisfaction. Nous avons déjà toutes les peines du monde à trouver des personnes pour s'engager, la parité selon moi pourrait constituer un obstacle supplémentaire. Lors des deux listes que j'ai été amenée à constituer en 2008 et en 2014, j'ai sollicité un nombre incalculable de femmes pour s'engager et l'immense majorité d'entre elles a décliné ma proposition en évoquant les deux tiers du temps des contraintes personnelles.

En outre, les trois quarts d'entre elles s'autocensurent en imaginant qu'elles n'ont pas le niveau pour remplir ces missions. Je n'ai pas pu en convaincre plus de deux ou trois à chaque fois alors que mon souhait initial était de parvenir à une parité parfaite. Aujourd'hui, 20 % des communes rurales ont une femme maire contre 18 % des communes urbaines, ce qui prouve bien que l'instauration de la parité ne constitue pas forcément un facteur favorisant l'accès des femmes aux fonctions exécutives, d'autant plus qu'il existe beaucoup plus de communes rurales que de communes urbaines en France. Par ailleurs, dans les communes de moins de 1 000 habitants, nous comptons 37,6 % de femmes, soit trois points de plus par rapport à la précédente mandature, ce qui semble très encourageant, contre 48 % pour les communes de plus de 1 000 habitants pour lesquelles la parité est obligatoire. Nous voyons donc que l'écart n'est pas si important et que la situation progresse favorablement au fil du temps. Il a également été souligné que ces petites communes n'ont généralement qu'un siège à l'intercommunalité, occupé 99 fois sur cent par le maire, un homme dans 80 % des cas. L'instauration de la parité dans les petites communes n'aboutira pas forcément à une meilleure parité au sein des exécutifs intercommunaux.

J'ajoute que dans ces petites communes rurales, il n'existe aucun besoin d'engagement politique. Il ne faut que du courage et une volonté d'agir - et je sais que les femmes n'en manquent pas - pour convaincre les habitants de voter pour elles. Nous n'avons pas besoin d'autorisation ou d'étiquette politique, ce qui constitue pour moi un véritable atout. Le monde politique, comme le monde économique, possède ses propres codes, ses formes, ses rythmes et ses habitudes qui empêchent souvent un exercice à égalité des responsabilités. Je pense pour ma part qu'il faut rechercher d'autres pistes pour inciter les femmes à s'engager dans la vie publique car les premiers freins évoqués sont bien ceux de la vie de famille et professionnelle. La question de l'évolution des mentalités et du partage des tâches au sein du couple relève de la vie privée mais elle est essentielle. Il faut aussi améliorer le statut de l'élu pour permettre une réelle conciliation entre la vie privée et le mandat électif.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci beaucoup, chère collègue. Nous le voyons, les avis exprimés ont parfois pu diverger et il est important que ce débat ait lieu. Je remercie sincèrement à la fois les membres de la délégation aux droits des femmes et les membres de la délégation aux collectivités territoriales, d'avoir participé et enrichi cette table ronde. Je remercie les intervenants qui ont fait un certain nombre de propositions. J'en retiendrai quelques-unes, comme le référent à l'égalité au sein des communes et des intercommunalités, des budgets genrés, l'amélioration du statut de l'élu qui a déjà progressé en 2019, la diminution du nombre d'élus dans les petites communes qui favoriserait la capacité à faire des listes, la parité dans les communes de moins de 1 000 habitants. Le témoignage de Sylviane Noël est intéressant car les progrès ne dépendent pas que de la loi, raison pour laquelle il faut respecter les difficultés de certains territoires. S'agissant de la parité au sommet de l'exécutif, j'estime pour ma part que le couple maire/premier adjoint ou président/vice-président doit relever d'une relation de connivence, d'une volonté de travailler ensemble, et d'une proximité qui ne se décrète pas. J'ai également constaté qu'il existe un déficit de réseaux de femmes élues, même si la présidente d'Élues locales est présente à mes côtés aujourd'hui. En entreprise également, nous constatons que les hommes se regroupent plus facilement en réseau que les femmes. Lorsque nous avions travaillé sur le thème « Femmes et agriculture, l'égalité dans les territoires », nous avions pu constater qu'en Bretagne, plus que dans d'autres régions, les femmes étaient très organisées dans l'agriculture. Mme la maire de Clédun-Cap-Sizun a témoigné de cette volonté de réseau, de solidarité et de culture de l'exemple pour permettre l'engagement de femmes en politique. J'ai également retenu la notion de bonus-malus, avec peut-être des difficultés de mise en place pour les intercommunalités qui seraient les bons élèves. La promotion des femmes, la formation, l'éducation font partie des éléments que vous avez évoqués.

Concernant les freins, bien entendu - et je rejoins en cela Mme la conseillère départementale Perrine Forzy - la question de la garde des enfants et l'organisation entre vie professionnelle et vie privée relèvent de la vie du couple et non pas des seules femmes. Toutefois, la répartition des tâches reste assez stéréotypée dans notre société. La loi Engagement et proximité de 2019 a permis certaines avancées qui devraient aider les femmes à s'engager. Nous allons poursuivre ce travail de réflexion avec les rapporteurs pour faire des propositions visant à améliorer l'engagement des femmes en politique. Je vous remercie sincèrement toutes et tous pour votre participation à cette table ronde, vous avez donné un certain nombre de pistes à nos huit rapporteurs.