COMMISSION MIXTE PARITAIRE

Mercredi 10 mars 2021

- Présidence de M. Éric Woerth, président de la commission des finances de l'Assemblée nationale -

La réunion est ouverte à 18 h 30.

Commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à la réforme du courtage de l'assurance et du courtage en opérations de banque et en services de paiement

M. Éric Woerth, député, président. Notre Assemblée a été saisie d'un texte qui comprenait un article unique, qu'elle a adopté en première lecture le 27 janvier 2021. Le Sénat a modifié cet article unique, adoptant le texte en première lecture le 16 février 2021. Notre commission mixte paritaire est donc chargée d'élaborer un texte sur cet article unique qui reste en discussion.

À titre préliminaire, je souhaite redire, à propos de ce texte, que je persiste à m'interroger sur la pertinence de la création d'un nouvel étage de contrôle de la profession de courtiers en assurance, alors qu'il me paraissait plus simple et économe de s'appuyer sur les outils de régulation qui existent déjà : d'une part, une procédure d'immatriculation auprès de l'organisme pour le registre unique des intermédiaires en assurance, banque et finance (Orias), et, d'autre part, un contrôle par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR).

Pourquoi invoquer en permanence la simplification et l'allègement des charges administratives, si c'est pour instaurer des nouvelles strates administratives ou para-administratives au détour de chaque nouveau projet ou proposition de loi, qu'elles viennent d'ailleurs de la majorité ou de l'opposition ? Nous devrions au contraire nous efforcer de rendre les régulations plus effectives en recherchant les synergies et les économies d'échelle, et nous devrions nous efforcer de transposer le droit européen en évitant toute sur-transposition.

Lors de la première lecture à l'Assemblée nationale, la rapporteure et les personnes favorables à la réforme m'avaient objecté qu'il n'était ni souhaitable, ni envisageable de confier à l'Orias ou à l'ACPR les missions dont l'on souhaitait charger les nouvelles associations professionnelles agréées. Je note avec intérêt que le Sénat a souhaité privilégier, pour le contrôle de l'honorabilité des dirigeants et salariés, la simplicité du fonctionnement de l'Orias.

Cela démontre ce que nous savions déjà, qui est que les associations professionnelles agréées qui seraient créées ne pourront au mieux exercer qu'une partie relativement limitée des missions de contrôle de la profession, et cela confirme également ce que certains refusent de reconnaître, qui est que rien n'interdit de confier de nouvelles missions aux organismes de contrôle qui existent déjà.

Par ailleurs, je m'interroge sur le choix qui consiste à permettre aux associations professionnelles agréées d'édicter des recommandations à l'égard de leurs membres pour promouvoir les bonnes pratiques professionnelles et commerciales, alors que ces associations ne détiendront aucun pouvoir de contrôle en matière de fourniture de conseils et de pratiques de vente, dans la mesure où le droit communautaire interdit que ce contrôle puisse être exercé par des associations professionnelles.

Il me semble que les angles morts, quelle que soit la version du texte que l'on privilégie, demeurent tout aussi importants que lors du dépôt de la proposition de loi : les acteurs étrangers intervenant sur le marché en libre prestation de services demeureront, le plus souvent, hors du champ de cette nouvelle régulation, puisque leur adhésion aux associations professionnelles ne sera que volontaire, alors que l'on sait bien que la surveillance et le contrôle de ces acteurs étrangers est l'un des principaux problèmes et l'un des sujets d'inquiétude de la profession.

Enfin, sur la question de la disposition introduite au Sénat relative à l'encadrement du démarchage téléphonique, je crois que dans son état initial elle suscitait de nombreuses réticences, notamment car elle s'étendait aux personnes déjà clientes d'un assureur, mais qu'une rédaction de compromis devrait nous être présentée, qui en limitera fort heureusement beaucoup plus strictement le champ.

Je cède la parole au président Claude Raynal, puis nous entendrons Albéric de Montgolfier, rapporteur pour le Sénat, et Valéria Faure-Muntian, rapporteur pour l'Assemblée nationale, qui nous diront dans quelles conditions il leur paraît envisageable que la commission mixte trouve un accord sur ce texte.

M. Claude Raynal, sénateur, vice-président. Une grande partie de vos réflexions, monsieur le président, ont traversé notre assemblée et nous avons de nombreux points de convergence. Je suis néanmoins satisfait de la perspective de parvenir à une commission mixte paritaire conclusive.

J'ajoute que j'ai plaisir à retrouver la rapporteure Valéria Faure-Muntian, que nous avions récemment accueillie au Sénat lors de l'examen de la loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière, pour laquelle la commission mixte paritaire n'avait malheureusement pas été conclusive.

M. Albéric de Montgolfier, sénateur, rapporteur. Pour répondre à monsieur le président Woerth, le contrôle de recevabilité financière des amendements exercée par le président de la commission des finances du Sénat nous aurait vraisemblablement empêchés de doter expressément l'Orias d'effectifs supplémentaires pour réaliser toutes ces nouvelles missions : ceci nous a contraints à rechercher d'autres solutions.

Lors de l'examen de ce texte par la commission des finances du Sénat, j'ai exprimé clairement ma conviction selon laquelle ce dispositif ne permettra pas de « révolutionner » la régulation du secteur de l'intermédiation de l'assurance, principalement pour deux raisons.

D'une part, il n'apporte pas de solution aux dysfonctionnements de la libre prestation de services - je pense notamment aux scandales dans le domaine de l'assurance-construction.

D'autre part, il ne mettra pas fin aux pratiques commerciales déloyales parfois observées, compte tenu du fait que les associations professionnelles ne seront pas habilitées à exercer un pouvoir de contrôle envers leurs adhérents dans ces domaines, ce qui serait contraire à la directive européenne.

Ces deux limites s'expliquent donc par les contraintes du droit de l'Union européenne.

En dépit de ces deux regrets, je pense que ce texte constitue une avancée, modeste peut-être, mais qui va dans le bon sens.

Le dispositif est complémentaire aux missions de l'ACPR qui, compte tenu de la diversité et de l'atomicité du secteur, ne peut pas contrôler l'ensemble des courtiers. L'ACPR effectue en effet chaque année environ soixante-dix contrôles alors qu'il existe des dizaines de milliers de courtiers : étendre ces contrôles nous aurait donc conduit à accroître considérablement les moyens de l'ACPR.

Le système proposé reprend celui en vigueur pour les conseillers en investissements financiers, en donnant à des associations la mission d'accompagner les intermédiaires, de vérifier leurs conditions d'exercice ou encore d'offrir un service de médiation. Ces missions seront très utiles pour un secteur soumis à une forte rotation, auquel accèdent et que quittent, chaque année, des milliers d'intermédiaires, notamment beaucoup d'entrepreneurs individuels et de très petites entreprises.

Au-delà de nos divergences initiales, nous sommes parvenus à un compromis avec la rapporteure de l'Assemblée nationale qui permet de conserver trois apports significatifs du Sénat, en plus de modifications rédactionnelles.

Premièrement, les alinéas 29 et 58 offrent la possibilité, pour toute association, de notifier à l'ACPR et aux autres associations sa décision de refus d'adhésion. Il s'agit donc d'une possibilité d'alerter en amont dans le cas où un intermédiaire contreviendrait, de manière particulièrement grave, aux conditions d'adhésion.

Deuxièmement, les alinéas 33 et 62 donnent la possibilité aux associations de formuler des recommandations à leurs membres en matière de pratiques commerciales et de prévention des conflits d'intérêts, dans la limite de ce que permet le droit de l'Union européenne. Cette disposition est essentielle pour donner plus de consistance aux associations professionnelles.

Troisièmement, le I. A de l'article unique vise à mieux encadrer le démarchage téléphonique en matière de distribution de produits d'assurance. Ce dispositif, adopté au Sénat à l'initiative du Gouvernement et modifié par un sous-amendement, permet une meilleure protection du consommateur, compte tenu des nombreux abus constatés pour certains produits assurantiels. Je pense à des exemples de pratiques de démarchage très agressives pour des produits d'assurance santé ou obsèques proposés à des personnes âgées.

En revanche, le texte que nous vous proposons ne retient pas la disposition adoptée par le Sénat consistant à transférer à l'Orias, plutôt qu'aux associations professionnelles, le contrôle du respect des conditions d'honorabilité des salariés, donc du casier judiciaire.

Nous avions privilégié ce mécanisme pour des raisons de fiabilité, l'Orias disposant d'un accès informatisé au casier judiciaire pour les dirigeants. Après un échange avec les acteurs concernés, il a semblé préférable d'écarter cette piste à ce stade en raison, notamment, de la forte rotation des personnels du secteur, qui aurait pu retarder les embauches.

Ce sujet mérite d'être approfondi pour l'ensemble des intermédiaires. Le nombre de faux documents en circulation incite à faciliter les contrôles automatisés plutôt que de demander la communication d'extraits du casier judiciaire. Nous y reviendrons.

S'agissant du démarchage téléphonique, le texte de compromis qui vous est proposé prévoit plusieurs ajustements par rapport à la version adoptée par le Sénat en première lecture. En effet, il nous a semblé nécessaire de faire évoluer le dispositif pour le rapprocher davantage des recommandations figurant dans un avis du Comité consultatif du secteur financier (CCSF) publié le 19 novembre 2019.

Je vous rappelle qu'il s'agit d'encadrer le démarchage abusif en créant un cadre législatif sécurisant pour le consommateur.

Nous vous proposons donc une distinction entre les appels sollicités et non sollicités. Les dispositions encadrant le démarchage téléphonique, notamment l'obligation d'enregistrer les communications, ne s'appliqueront pas dès lors que l'adhérent éventuel a sollicité l'appel ou a consenti à être appelé, en engageant une démarche expresse en ce sens, ou encore lorsque le souscripteur éventuel est lié au distributeur par un contrat en cours. Il reviendra au distributeur de tenir à la disposition des autorités de contrôle les justificatifs permettant de vérifier le respect de ce cadre.

Je partage un certain nombre des réserves du président Woerth mais je considère néanmoins qu'il y a des avancées, bien qu'elles n'épuisent pas totalement le sujet.

Mme Valéria Faure-Muntian, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale. Je salue le travail qui a permis, ces trois derniers jours, d'obtenir un consensus entre nos deux assemblées. Cette écoute productive s'est placée au service de la protection du consommateur et de l'encadrement réglementaire des intermédiaires que sont les courtiers.

Le Sénat a adopté un certain nombre d'avancées majeures : loin de rejeter le texte en bloc, il l'a amélioré sur des points que nous entendons conserver.

S'agissant de la protection du consommateur, même si l'on peut déplorer que les intermédiaires étrangers opérant en libre prestation de services ne relèvent pas du droit national, nous permettons au consommateur français d'accéder à un complément d'information grâce à l'adhésion à une association professionnelle. Le choix de l'intermédiaire pourra ainsi être fait en connaissance de cause. Les intermédiaires étrangers en libre prestation de services pourront également adhérer à une association professionnelle, sans y être pour autant obligés.

Cette information sera nécessairement liée à l'immatriculation auprès de l'Orias : la capacité professionnelle est vérifiée par cet organisme, avant qu'interviennent l'association professionnelle et l'ACPR. La validité de l'immatriculation à l'Orias donnera de la visibilité à l'action de l'association professionnelle.

Si la mission de recommandation en matière de pratiques commerciales pouvait initialement prêter à interprétation, cela demeure une avancée : il en résultera une généralisation des bonnes pratiques commerciales, même en l'absence de vérification ou d'audit organisé par l'association.

La validation des statuts des associations professionnelles par l'ACPR apportera un cadrage tout aussi bénéfique pour le consommateur.

En ce qui concerne le démarchage téléphonique, je remercie le Sénat d'avoir non seulement jugé recevable la proposition du Gouvernement que j'avais désespérément essayé de porter à l'Assemblée nationale, mais aussi d'avoir voté en sa faveur et permis le dialogue.

La rédaction proposée contribuera à préserver les offres commerciales en cours, et singulièrement les offres globales dans le domaine des assurances : à défaut, certains modèles économiques auraient été freinés, dont celui des comparateurs en ligne, qui est bénéfique puisqu'il offre un choix au consommateur.

Nous aboutissons à un texte tout à fait protecteur et clair.

M. Patrick Hetzel, député. Je suis - cela ne surprendra personne - totalement en phase avec les propos du président Woerth.

Quelques points d'interrogation ont justifié le vote de notre groupe en séance publique, il y a quelques semaines.

Ce texte pose d'abord un problème de fond : d'une part, il crée une rupture d'égalité entre les courtiers et les agents d'assurance et, d'autre part, - plusieurs d'entre nous l'ont dit - il maintiendra, voire amplifiera, celle entre les courtiers français et les courtiers étrangers oeuvrant sur le marché français.

Veuillez pardonner cette formulation un peu triviale : ne sommes-nous pas en train de tirer une balle dans le pied de nos propres courtiers ? Il importe que nous nous demandions si cela va dans le sens de l'intérêt général, ainsi que de celui des professionnels français, lesquels donnent dans leur très grande majorité entière satisfaction.

Par ailleurs, l'adhésion obligatoire pose question. On dit qu'il faut s'inspirer du régime instauré il y a quelques années déjà pour les conseillers en investissement financier. Cela n'est pas totalement opérant car pour ces derniers l'autorité administrative indépendante, l'Autorité des marchés financiers (AMF), délègue les contrôles aux associations, alors que tel n'est pas évidemment le cas en l'espèce puisque l'ACPR n'a pas la faculté juridique de déléguer sa compétence aux associations professionnelles.

N'y a-t-il pas un problème de nature constitutionnelle ? Ce texte réintroduit des dispositions qui avaient déjà été censurées par le Conseil constitutionnel dans sa décision sur la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises. Un risque similaire ne se présente-t-il pas ?

Enfin - et le président Woerth insistait sur ce point -, nous avons à faire à un mal français : celui du millefeuille administratif. La création de cette nouvelle strate de contrôle interroge d'autant plus qu'il aurait été possible de s'appuyer, comme l'indiquait M. Albéric de Montgolfier, sur l'Orias et l'ACPR, en optimisant leurs compétences respectives. Certains acteurs du secteur avaient proposé cette alternative : pourquoi ne sommes-nous pas allés dans cette direction ?

Notre groupe reste donc dubitatif quant à l'intérêt de cette proposition de loi.

Mme Isabelle Briquet, sénatrice. Je partage également les propos tenus au début de la réunion de notre commission mixte paritaire. Le groupe socialiste, écologiste et républicain s'est abstenu lors du vote au Sénat, considérant qu'au lieu de désarmer la puissance publique, l'on aurait pu donner à l'Orias et à l'ACPR les moyens utiles pour l'exercice des contrôles nécessaires à une protection réelle des consommateurs.

Le fait de retirer une strate sur tel aspect pour en instituer une nouvelle sur tel autre est une contradiction.

Je regrette aussi que le transfert à l'Orias du contrôle d'honorabilité n'ait pas été retenu.

Par conséquent, je m'abstiendrai à nouveau sur l'accord proposé aujourd'hui.

M. Vincent Segouin, sénateur. Ce texte protège les consommateurs contre les courtiers français sans traiter réellement du problème majeur des courtiers étrangers en libre prestation de services. Je regrette cette lacune.

J'ai été surpris de l'amendement déposé par le Gouvernement sur le démarchage téléphonique. Il va au-delà des préconisations du Comité consultatif du secteur financier et ne mesure pas les avancées de la loi n° 2020-901 du 24 juillet 2020 visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux, portée par notre collègue député Christophe Naegelen. Pourquoi une telle proposition est-elle arrivée au dernier moment, sans vraie concertation avec le métier de l'assurance ?

Des aménagements, tant mieux, sont apportés pour les courtiers de proximité mais des contraintes assez lourdes perdureront. Il conviendra à l'avenir d'en étudier les effets.

M. Éric Woerth, député, président. Je vais mettre aux voix la proposition de rédaction des rapporteurs.

La commission mixte paritaire adopte, dans la rédaction proposée par ses rapporteurs, la proposition de loi.

La réunion est close à 19 heures.