Mercredi 5 mai 2021

- Présidence de Mme Catherine Deroche, présidente -

La réunion est ouverte à 9 heures.

Gestion de la crise sanitaire - Accès des proches aux établissements pendant la crise sanitaire

Mme Catherine Deroche, présidente. - Mes chers collègues, nous entendons ce matin :

- M. Fabrice Gzil, responsable du pôle réseaux et observatoire à l'Espace de réflexion éthique d'Île-de-France, chercheur associé en éthique et épistémologie au CESP, Inserm / Université Paris Saclay, membre du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) ;

- Professeur Cécile Manaouil, chef du service de médecine légale et sociale du CHU d'Amiens ;

- M. Marc Dupont, directeur d'hôpital, adjoint à la directrice des affaires juridiques de l'AP-HP ;

- M. Laurent Frémont, secrétaire général du collectif « Tenir ta main » ;

- M. Pascal Champvert, président de l'association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA).

En réponse à mon interrogation sur le sujet des Ehpad dans la pandémie, le président du Conseil consultatif national d'éthique, le professeur Delfraissy, avait indiqué qu'il s'agissait d'un des sujets les plus douloureux de la crise sanitaire.

Concentrant les vulnérabilités, les résidents des Ehpad ont représenté un grand nombre de victimes, en particulier au cours de la première vague.

Les directeurs se sont trouvés à la fois mis en cause par les familles du fait du décès d'un proche, mais aussi du fait de l'impossibilité de lui rendre visite ou d'accompagner ses derniers instants.

En temps ordinaire, cette question de la visite des proches ne se pose pas, puisqu'elle découle des droits fondamentaux de la personne.

En période d'état d'urgence sanitaire, elle est mise en balance avec d'autres impératifs. Comment trouver le bon équilibre, qui préserve des liens souvent essentiels au bon état de la santé de la personne ? Est-il nécessaire de légiférer ? Si oui, de quelle manière ? Ce sont à ces questions que nous cherchons à répondre ce matin.

M. Fabrice Gzil, responsable du pôle réseaux et observatoire à l'espace de réflexion éthique d'Île-de-France, chercheur associé en éthique et épistémologie au CESP, Inserm / Université Paris Saclay, membre du Comité consultatif national d'éthique. - J'aborderai le sujet d'un point de vue éthique, en restituant la question de la visite des familles en fonction du sens, de la visée de ces pratiques et des valeurs qui les sous-tendent. Je m'appuierai notamment sur une enquête réalisée auprès de 1 800 professionnels d'Ehpad conduite dans le cadre d'une mission qui m'a été confiée par Brigitte Bourguignon, ministre déléguée à l'autonomie.

En préambule, je voudrais souligner la multiplicité des situations que recouvre l'expression de visites des familles, notamment en Ehpad. Ce n'est évidemment pas la même chose, selon qu'on parle de la venue occasionnelle des petits-enfants ou arrières petits-enfants, de la visite régulière d'un frère, d'une soeur ou d'un ami qui viennent faire la conversation ou donner des nouvelles, d'un fils, d'une fille ou d'une belle-fille qui viennent aider à la toilette, au repas ou à la marche, d'un conjoint, d'un compagnon, d'un époux qui souhaitent accompagner les derniers moments.

Je voudrais aussi insister sur le fait que la restriction des visites peut avoir un sens ou des implications très différentes selon qu'elle concerne, à un moment ou un autre, tous les Français ou seulement les résidents des Ehpad, qu'elle est brève ou durable, pour une durée limitée ou indéterminée, au début de la crise, quand on connaît mal les modalités de contamination, ou plus tard.

Dans tous les cas, tous les résidents ne reçoivent pas d'ordinaire des visites régulières journalières ou hebdomadaires de leurs proches, mais la raréfaction de ces visites est très mal vécue par de nombreux résidents. La psychiatre Cécile Hanon a dit que ces isolements sensoriels constituent une bombe à retardement sur le plan psychique : syndromes dépressifs, troubles du sommeil et de l'appétit, résurgence traumatique, accélération des déclins cognitifs.

Outre les restrictions des visites, ce sont les modalités des visites qui sont pesantes pour les résidents : fréquence et durée limitées, dans un lieu dédié, sans pouvoir se toucher, parfois derrière un plexiglas ou en présence d'un tiers.

Les familles, elles aussi, souffrent de cette situation. Je cite un répondant : « On exige de nous des choses qu'on ne demande ni aux professionnels ni aux bénévoles ni aux jeunes en service civique, pourtant plus que nous au contact de nos résidents. Ma mère est prise chaque matin dans les bras par une auxiliaire de vie qui la lève, la met debout, l'emmène dans la salle de bains, et je n'aurai pas le droit de lui prendre la main ? ».

Je voudrais ajouter que cette situation fait également souffrir les équipes. Quand on questionne les directeurs, les médecins, les coordonnateurs, les aides-soignants, les infirmières sur ce qui, pendant la crise sanitaire, a occasionné chez eux un malaise, un inconfort ou une souffrance éthique, la plupart des répondants citent, en tête de liste, le fait que certains résidents n'ont pas eu de contact physique ni d'embrassade de leurs proches pendant des mois. Je cite : « Devoir organiser les visites des familles comme des parloirs de prison est un véritable crève-coeur. Peut-on réduire les visites alors que le résident peut partir à tout moment ? Qui sommes-nous pour dire qu'on n'approchera pas sa mère à moins d'un mètre ? ». Ces situations sont évidemment amplifiées lorsqu'on se situe dans un contexte de fin de vie.

Je voudrais dire deux choses sur ce sujet. En premier lieu - c'est un point fondamental, même si cela semble annexe dans cette crise sanitaire -, je partage ce qu'a dit le président Delfraissy, car il existe un droit fondamental de tout individu à avoir une vie intime et affective. Le fait de vivre en établissement ou de connaître un contexte de crise sanitaire ne devrait pas constituer un obstacle à l'exercice de ce droit. Le CCNE l'a rappelé le 30 mars et le 20 mai : le respect de la dignité humaine inclut le droit au maintien du lien social, y compris en contexte de crise sanitaire.

Je pense donc qu'il faut poser en principe que l'isolement et la solitude sont des sources de souffrance de très haut niveau, que nous ne pouvons être durablement privés de la présence des personnes qui comptent pour nous et que se toucher entre personnes qui s'aiment est un besoin fondamental. J'ajoute qu'il existe un problème d'équité dont un répondant nous a parlé de la façon suivante : « Déjà retirés du monde par leur situation de vie, comme invisibles aux yeux d'une société qui se refuse à admettre la vieillesse et la vulnérabilité, les résidents se sont vus condamnés à plus de solitude encore ».

La visite des familles dans les établissements constitue aussi un point nodal qui s'ouvre sur la question plus générale de privation de liberté des résidents. La défenseure des droits a publié un rapport évoquant nombre de restrictions abusives de liberté. C'est dans ce contexte plus général qu'il faut resituer ce problème.

Par ailleurs, dans un contexte d'accompagnement de la fin de vie et de deuil, les situations de mort non entourée se sont succédé, ce qui a occasionné des sentiments de transgression morale très forts chez tout le monde. Ceci interroge fondamentalement sur un point qui nous semble essentiel, qui est le rôle et la place des familles en établissement. Les proches ont accompagné les résidents souvent pendant de nombreuses années avant leur entrée en Ehpad. Ce rôle change, évolue, mais on demeure un aidant lorsqu'une personne est en Ehpad, et il est absolument primordial de conserver celui-ci.

Par ailleurs, on a vu, dans certains endroits, les familles être accusées de porter la mort. La sorte de défiance qui s'est installée peut s'expliquer par tout un tas de raisons, et notamment par les angoisses très puissantes que fait ressortir une pandémie de cette nature, mais je pense que la restriction ou la suspension des visites des proches dans ces établissements devrait être considérée comme une restriction d'une liberté fondamentale.

L'enjeu n'est pas tant de préciser à quelles conditions on devrait la mettre en oeuvre, il est de la limiter au maximum. Le projet de loi que vous nous avez transmis le dit très bien : ces restrictions de visite devraient être nécessaires, subsidiaires, proportionnées, individualisées, limitées dans le temps, décidées de manière collégiale, idéalement en associant les personnes concernées et faire l'objet d'un contrôle, d'une réévaluation périodique.

Il s'agit surtout de promouvoir l'effectivité du droit à voir ses proches : accompagner dignement une personne, respecter son intégrité, c'est aussi prendre en compte ses liens, ce à quoi elle tient, ce par quoi elle tient. Aucun d'entre nous n'est une île. Nous sommes fondamentalement des êtres relationnels, interdépendants. C'est ce que nous avons découvert pendant la crise. C'est un de nos biens les plus précieux, sur lequel s'appuient vos recommandations.

En conclusion, il ne faut pas oublier les aspects pratiques dans la façon dont les recommandations sont édictées. Il y a parfois des services d'hygiène qui émettent des préconisations légitimes dans leur ordre, mais qui devraient être balancées par d'autres considérations. Il ne faut pas non plus oblitérer les questions de moyens : comment adapter les horaires de visite lorsque les effectifs sont insuffisants ? Un directeur nous a dit : « On nous dit de recruter du personnel pour accompagner les visites, mais paiera-t-on la facture quand on la présentera ? ».

Pour autant, je retiens de tout le travail que nous avons mené ce que nous a dit une famille : « Tout se passe comme si la famille n'était plus importante ». Cela m'a marqué parce que cela donne le sentiment d'une forme d'inversion des valeurs, de mise à bas de la hiérarchie des normes, de désordre moral qui s'ajoute au désordre au désordre sanitaire.

Je pense qu'il est vraiment important, en situation de crise, de réaffirmer ces valeurs, cette importance des liens. Il y aura toujours des contextes et des situations très précises où des restrictions seront nécessaires, mais comment gérer humainement et éthiquement ces situations ? On a besoin de collégialité, de discernement. Le soin est toujours global, il ne peut porter que sur le corps. Le psychisme et les liens sociaux sont fondamentaux pour ne pas abandonner ses principes et les valeurs d'humanité que nous devons aux personnes.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Je précise que nous avons transmis aux personnes que nous auditionnons ce matin à la fois une proposition de loi de l'Assemblée nationale portant sur les droits de visite, déposée par Julien Aubert, et celle que le président Retailleau a déposée la semaine dernière.

Mme Cécile Manaouil, chef du service de médecine légale et sociale du CHU d'Amiens. - Mon point de vue est celui d'un médecin légiste souvent sollicité à propos de questions portant sur le droit des patients, le consentement, mais aussi la responsabilité médicale, qui permettent de se rendre compte de tout ce qui a été mal vécu par les familles et les patients.

Vous nous avez communiqué une proposition de loi de circonstance, qui n'aurait pas vu le jour sans la crise sanitaire.

Nous sommes tous d'accord sur le fait que les visites constituent un bénéfice pour les patients. Les soignants ont souffert, au début de la crise, de ne pouvoir discuter avec les familles, sauf par téléphone ou visioconférence. Il faut cependant rappeler que si l'on a interdit les visites dans les établissements de santé, c'est avant tout pour protéger les patients, éviter le brassage de la population alors qu'on possédait peu de connaissances sur le virus.

On n'est pas non plus à l'abri de recours de visiteurs qui pourraient venir solliciter les établissements parce qu'ils ont été contaminés à l'occasion d'une visite. La plupart des établissements de santé réclament aujourd'hui un test qui doit être négatif avant toute opération. Les contaminations par le virus durant l'hospitalisation sont considérées comme des infections nosocomiales.

Certains visiteurs contaminés à l'hôpital ne manqueront certainement pas d'engager des procédures. Il faut donc peser le pour et le contre et trouver le bon équilibre. Je pense qu'il faudrait différencier les Ehpad et les établissements pour personnes handicapées, comme le prévoit l'une des propositions de loi. Les lieux de vie pour personnes handicapées constituent leur domicile. Sans doute y a-t-il eu des abus et des restrictions des droits, comme l'a soulevé hier la défenseure des droits dans son rapport, puisqu'on a interdit à des personnes de voir leur famille. Une loi pourrait donc être utile pour instaurer un droit de visite dans ces établissements.

Les propositions de loi proposent de l'étendre aux établissements de santé. Je pense que cela suscitera beaucoup de difficultés. Si on instaure un droit de visite pour les familles dans les établissements de santé, sans aucun garde-fou, il n'y aura aucune raison d'interdire à un enfant de cinq ans de voir son grand-père ou son père en réanimation. En effet, les propositions de loi ne précisent pas si les personnes doivent être majeures ou non.

Instaurer un droit de visite va donc générer du contentieux. Les revendications pourront parfois être difficiles à gérer pour les équipes, alors qu'on sait que les durées moyennes de séjour sont maintenant très courtes. Un droit de visite journalier à l'hôpital ou en clinique pour tous les patients, y compris mineurs, m'interpelle. Certains mineurs sont hospitalisés dans le cas d'anorexie mentale. Dans d'autres cas, un contrat est établi entre les psychiatres et les parents, avec des échéances pour les appels téléphoniques et les visites. Cela peut compliquer la prise en charge pour ces mineurs et pour les établissements publics de santé mentale et ceux où l'on prend en charge des patients pour des soins psychiatriques, pour qui cela entraînerait de grandes difficultés.

D'un point de vue pratique, cela signifie mettre en place des procédures de contention très compliquées. Les familles qui vont vouloir voir un patient vont solliciter les soignants pour savoir si les choses sont justifiées. Cela signifie des pressions sur les médecins. Dans l'une des propositions de loi, c'est le chef de service qui décidera. Le chef de service n'est pas tous les jours dans son service. Il ne faut donc pas que tout repose sur lui. Cela représente également des pressions importantes pour l'ouverture des visites.

L'article 1 de la proposition de loi la plus longue dit qu'« aucune visite ne peut être subordonnée à une information préalable de l'établissement ». Heureusement les gens ne sont pas obligés de formuler une demande, même si cela a été instauré pour la Covid-19. On ne va pas imposer de demander à pouvoir venir visiter une personne hospitalisée. Toutefois, il est dit à l'article 3 que « lorsque le visiteur informe l'établissement d'une visite au moins 24 heures avant l'heure prévue, le directeur dispose de 24 heures pour s'y opposer ».

Un tel délai me paraît très complexe. Sur quel critère le directeur va-t-il s'opposer à une visite ? On va devoir mettre en place tout un tas procédures complexes et sources de réclamations ou de contentieux, ce qui va rendre les choses difficiles.

La plupart du temps, les choses se passent bien. Les visiteurs peuvent venir voir leur famille. Dans certains cas, on aimerait que ce soit davantage le cas, et les soignants sollicitent parfois les visites. Il est donc compliqué de légiférer et de fixer un cadre plus rigide et plus contraignant, alors que le bon sens suffit en règle générale.

Avec ce virus inconnu, on a restreint le droit de visite. Il faut maintenant améliorer les choses, notamment dans les Ehpad et les établissements pour personnes handicapées, mais l'instaurer dans tous les établissements de santé rendrait les choses encore plus compliquées. On est en effet là face à une pathologie particulière.

Marc Dupont, directeur d'hôpital, adjoint à la directrice des affaires juridiques de l'AP-HP. - Ma fonction, au siège de l'Assistance publique, est de traiter des affaires juridiques et des droits des patients. Toutefois, durant cette période si particulière, chacun est sorti de ses habitudes, et il se trouve que je me suis assez rapidement chargé de la question des visites pour les 39 hôpitaux de l'Assistance publique. La question qui s'est posée brutalement, à laquelle on n'avait jamais vraiment réfléchi, a été celle des visites à l'hôpital.

Tout d'abord, je rejoins ce qui vient d'être dit sur beaucoup de points, notamment par Mme Manaouil.

On parle du droit de visite en général, qui recouvre des situations assez différentes. L'Ehpad n'est pas comparable au service de réanimation. Le service de médecine ordinaire n'est pas un service de pédiatrie. Les situations sont donc un peu différentes, même s'il faut naturellement se préoccuper de la notion de droit de visite qui, aujourd'hui, n'apparaît pas expressément dans les textes.

Il y a là aussi une question de durée : priver de visite durant quelques jours une personne adulte en réanimation est une chose. Priver des personnes de toute visite pendant des semaines et des mois, c'est autre chose. Il est vrai qu'on est dans une situation différente en situation de crise.

Jusqu'à présent, les textes portaient plutôt sur le droit d'être visité. C'est le patient qui décide ce qu'il veut ou ne veut pas. Durant la période récente, on a plus parlé de droit de visite pour les aidants, les familles, qui ont dénoncé le fait de ne pas avoir vu leurs proches, a fortiori en cas de décès.

La question que l'on se pose sur le droit de visite est corrélée au problème des chambres mortuaires et de la présentation du corps des personnes décédées durant cette période.

J'ai commencé à m'occuper de ce sujet après qu'une famille est venue nous dire qu'elle n'avait pu assister à la présentation du corps. On l'a peut-être un peu oublié mais, en mars-avril 2020, Paris était vide, sans circulation, et personne n'osait aller à l'hôpital. À cette époque, la demande de protection des malades était particulièrement importante.

Il faut donc distinguer le sujet qui est le vôtre aujourd'hui, celui du droit de visite en période de crise, de la visite en temps normal.

Le droit de visite n'est pas problématique en temps ordinaire. Il ne nécessite même plus de réglementation. Dans les années 1970, au moment de la période d'humanisation des hôpitaux, un décret avait prévu le droit de visite quotidien.

Les hôpitaux étaient tenus d'avoir deux plages horaires par jour réservées à l'accès des visiteurs. C'est devenu tellement normal que cette réglementation a finalement disparu au début des années 2000. Aujourd'hui, il n'existe plus que des textes qui empêchent la visite de la famille lorsque celle-ci peut perturber le repos des malades ou lorsqu'il existe des problèmes de comportements.

Il fut un temps où les visites ne se faisaient jamais le matin ni tard le soir. Actuellement, en dehors de la présente période, les familles viennent souvent le matin, à midi, durant les repas, pendant les soins, ou tard le soir après le travail, même si les choses peuvent être différentes d'un service à un autre.

C'est peut-être ce qui a rendu les choses plus compliquées lorsque la crise est arrivée, car on n'avait pas tellement réfléchi à tous ces sujets. Dans les premières semaines, on n'y pensait d'ailleurs pas tellement. Il fallait avant tout protéger les malades et les personnels, ce qui a entraîné la suspension immédiate de toutes les visites pour éviter tout cluster dans les services.

J'ai souvenir d'un visiteur qui, dans un grand CHU parisien, a infecté sans le savoir onze personnes dans le service. Cela avait tétanisé toute l'équipe.

Je dois également dire que certaines familles ont été terrorisées par le fait qu'on maintenait le droit de visite dans les hôpitaux. Le père d'un jeune adulte, qui était médecin, nous avait adressé une lettre scandalisée pour se plaindre du fait qu'on acceptait des visites dans l'hôpital où son fils était hospitalisé. On les limitait pourtant beaucoup, à raison d'un visiteur par patient et par jour.

En tant que juriste - je suis praticien du droit à l'hôpital - je suis frappé par le fait que tout le droit de la santé est aujourd'hui fondé sur le patient - droit des malades, droit de la personne - et que le droit des aidants et des accompagnants soit quasiment indigent dans le code de la santé publique.

On a régulièrement des litiges avec les familles au sujet de patients inconscients ou dans le coma. Les proches, le conjoint, les enfants veulent avoir accès au dossier médical. Or tant que le patient est vivant, lui seul peut donner le droit d'y accéder. Même le droit des proches, dans le domaine de la santé, est très peu consistant.

M. Laurent Frémont, secrétaire général du collectif « Tenir ta main ». - Permettez-moi de revenir sur les raisons de ma présence ici ce matin, qui permettront, je l'espère, de mieux saisir les réalités de ce que nous connaissons depuis plus d'un an maintenant.

Mon père, Dominique Frémont, avait 70 ans. Il était médecin, en pleine santé, encore en activité. En octobre dernier, il a contracté la Covid-19. Il a été hospitalisé à la clinique Axium d'Aix-en-Provence. D'emblée, l'équipe médicale nous a interdit toute visite dans le service de réanimation, comme dans tout établissement. Les visites étaient interdites pour tout le monde.

Après une semaine, mon père a été désintubé. Il est sorti du coma artificiel, mais il passera les dix jours suivants dans la solitude la plus totale, malgré ses demandes insistantes pour nous voir et notre présence aux portes mêmes du service.

Nous n'aurons été en contact avec le médecin réanimateur que deux fois, une première fois, à notre demande, pour qu'il nous explique de ne pas l'appeler afin de ne pas le déranger, la seconde fois lorsqu'il nous a informés du décès de mon père, le 9 novembre.

Mon père aura passé les dernières semaines de sa vie dans l'isolement le plus total, sans personne pour l'accompagner dans cette solitude contrainte. Le médecin cochera négligemment la case « mise en bière immédiate », nous privant de tout adieu à sa dépouille. Mon père est parti dans une housse en plastique, sans plus de considération.

Ce n'est qu'après d'importantes pressions extérieures que la direction de la clinique Axium finira par concéder à ma mère le droit de pouvoir entrevoir quelques minutes, le visage de mon père dans une pièce réfrigérée, surveillée par deux personnes, mon frère ayant été contraint de rester à la porte.

Ce n'est qu'après avoir obtenu avec difficulté le dossier médical de mon père que nous apprendrons la vérité : mon père n'est pas mort de la Covid-19. Il avait subi trois tests négatifs durant la semaine précédant son décès. Il est mort d'une septicémie, contractée dans le service qui devait le soigner. L'interdiction de visite qui nous a été opposée était donc non seulement illégale mais, de plus, dénuée de fondement sanitaire.

Après plusieurs semaines de sidération et de révolte, j'ai compris que notre cas n'était malheureusement pas isolé et que ce recul inédit de civilisation - je pèse mes mots - était partagé par des milliers de personnes en France.

Voilà pourquoi, après avoir étudié les fondements juridiques de ces interdictions arbitraires de visite, j'ai proposé, dans une tribune publiée par Marianne le 10 février dernier, l'instauration d'un droit opposable aux visites des proches pour les patients hospitalisés.

Avec Stéphanie Bataille, nous avons cofondé le collectif « Tenir ta main », qui a pour but d'alerter sur les dérives éthiques que nous connaissons depuis maintenant plus d'un an. À ce jour, nous avons reçu plus de 8 000 témoignages et nous en recevons tous les jours. Ils sont poignants. Je pourrai vous les communiquer.

Plus de 45 000 personnes ont signé notre pétition demandant un droit de visite. C'est donc désormais un sujet de société, et c'est au nom de ces 8 000 personnes qui ont été victimes de cette situation que je m'exprime aujourd'hui.

Pour en revenir aux considérations juridiques, le droit de visite est un droit du patient, comme cela a été rappelé, patient qui peut d'ailleurs les refuser. Cependant, la police des visites qui est laissée au pouvoir du directeur - c'est l'article R 1112-47 du code de la santé publique - laisse la place à des interdictions, des restrictions qui sont souvent arbitraires et disproportionnées.

Elles sont inégalitaires, puisque le respect de ce droit est très variable selon les établissements et que les inégalités de traitement se multiplient. Elles sont disproportionnées, puisque la balance bénéfice-risque est pour beaucoup défavorable.

Elles sont arbitraires, puisqu'elles sont souvent liées uniquement à la peur de poursuites médico-légales de la part des directions.

Ces limitations sont surtout difficilement attaquables sur le plan juridique en l'absence de possibilités de recours. Ceci laisse les proches dans une situation de désarroi et de détresse. Je ne reviendrai pas sur l'impact considérable pour la société qu'entraînent ces restrictions de visite, non seulement pour les patients eux-mêmes - beaucoup de personnes se laissent dépérir par solitude et par perte de lien -, mais aussi pour les proches, qui sont laissés dans des traumatismes indicibles, avec un sentiment de culpabilité de ne pas avoir fait plus pour chercher à atteindre leurs proches, ainsi que pour la société tout entière. Beaucoup de personnes refusent aujourd'hui de se faire soigner par peur de finir seul.

Cela devient un sujet de santé publique, et j'ajoute que les conséquences sont aussi terribles pour les soignants, notamment ceux qui subissent ces protocoles inhumains et qui sont contraints de les faire appliquer. Beaucoup nous indiquent vouloir quitter cette profession pour ne plus les subir.

Voilà pourquoi il nous paraît indispensable de légiférer, et de légiférer rapidement. Pourquoi légiférer ? Tout d'abord, un texte de loi sur le sujet aurait évidemment une portée symbolique. Inscrire le droit de visite dans le code de la santé publique, alors qu'il n'est aujourd'hui que reconnu dans la charte de la personne hospitalisée, serait une manière de le consacrer comme un droit fondamental. Cela permettrait aussi une norme lisible et intelligible, à l'opposé du flou législatif et réglementaire qui prévaut aujourd'hui.

Évidemment, une loi déclencherait aussi une mécanique réglementaire qui permettrait que ce droit soit bien assuré dans les établissements de santé, sachant que, contrairement aux Ehpad, il n'y a eu aucun texte réglementaire pour les établissements de santé depuis le début de cette pandémie. On nage en plein flou juridique, ce qui permet malheureusement à certaines directions d'établissement d'exercer une forme d'arbitraire.

La loi est surtout l'instrument de recours ultime. Elle donnerait un solide socle juridique aux victimes. J'ai entendu quelqu'un, dans une intervention précédente, exprimer ses craintes concernant de possibles contentieux. Je pense au contraire que la loi est le dernier recours des plus faibles face à l'arbitraire médical. Il faut que les équipes assument leurs responsabilités. Je pense que la loi leur donnerait un socle juridique solide.

Enfin, la norme a des vertus de garde-fous. Elle nécessite évidemment un travail de pédagogie et d'appropriation par les équipes et les usagers, mais ce serait une manière de faire respecter ce droit fondamental qu'est le droit de visite, surtout à l'approche de la mort.

Les témoignages que nous recevons, au-delà de mon cas personnel, montrent bien qu'il s'agit désormais d'un sujet de société. Nous n'avons qu'une seule crainte, c'est que cette situation perdure au-delà de la pandémie. Voilà pourquoi il est important d'agir. Ce n'est pas une loi de circonstance, mais une loi pour faire assurer les principes élémentaires de notre civilisation. Il est aujourd'hui vital d'assurer un lien entre le patient et ses proches, surtout à l'approche de la mort.

M. Pascal Champvert, président de l'association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA). - L'AD-PA compte 2 000 directeurs d'établissements de services à domicile dans toute la France. Dès le début de la crise, nous avons craint un délire hypersécuritaire, raison pour laquelle nous avons saisi le CCNE, qui a d'ailleurs très rapidement rendu un premier avis, au mois d'avril. Nous pensions en effet qu'il fallait trouver le bon équilibre entre sécurité et liberté et sécurité psychique et physique.

En fait - je l'avais dit devant votre commission quand nous étions intervenus au sujet de l'épidémie de Covid-19 -, l'AD-PA estime que la crise est le moment où le passé présente sa note.

Nous évoluons au sein d'une société âgiste. Qu'est-ce que l'âgisme ? C'est une discrimination comme le racisme, le sexisme, l'antisémitisme ou autres. Il est ainsi courant, dans notre société, de dire qu'il ne faudrait pas vieillir. Imagine-t-on quelqu'un dire qu'il ne faudrait pas être noir, qu'il ne faudrait pas être une femme, qu'il ne faudrait pas être homosexuel ? On compare parfois le Sénat à une maison de retraite : c'est tout sauf un compliment ! Vous voyez donc combien cette discrimination par l'âge est marquante.

Toutes les discriminations ont des points communs et je vous invite à penser aux plus discriminés par l'âge que sont les personnes très âgées vivant à domicile ou en établissement.

Le principe des discriminations, c'est tout d'abord d'établir une séparation entre les dominants et les dominés. Les dominants - globalement, les jeunes - sont totalement différents des autres. Les jeunes, ce sont au fond tous ceux qui ne sont pas en maison de retraite, qui sont donc totalement séparés de ces derniers, qui sont perçus comme radicalement différents. Le vocabulaire est d'ailleurs significatif : on dit qu'ils sont « dépendants », dans une société où tout le monde se définit comme indépendant et autonome.

Les dominés sont assignés à un groupe homogène, et leur appartenance au groupe est plus forte que leur individualité. Les dominés sont considérés - c'est essentiel s'agissant des personnes âgées vulnérables - comme ayant des besoins inférieurs aux autres. Les dominés sont dévalorisés par les préjugés des autres.

Dernier élément : derrière toute discrimination, il y a une peur - ou des peurs. Il est clair que, s'agissant de la discrimination par l'âge, il s'agit de la peur de vieillir et de la peur de la mort.

On dit parfois que les établissements abritent des invisibles. Pas du tout ! Je l'ai cru longtemps moi-même et je ne comprenais pas, quand je disais que j'étais directeur d'établissement et de services à domicile, pourquoi tous mes interlocuteurs ne me parlaient que des établissements.

Au fil du temps, j'ai donc dit que j'étais directeur de services à domicile et d'établissement, mais on ne me parlait toujours que des établissements, pour une raison simple : les établissements sont visibles. Ce sont les personnes à domicile qui ne le sont pas.

Au fond, dans une société qui ne veut pas voir le vieux, le vieux valide peut être mythifié. Pensez à Edgar Morin ou à Line Renaud à propos desquels, dans chaque interview, on explique que ce sont des « jeunes », alors que Line Renaud a plus de 80 ans et Edgar Morin 100 ans. Les autres, c'est-à-dire les vieux qui ne vont pas bien, sont assignés à rester à leur domicile, là où on ne les verra pas. Ce sont donc les vieux vivant en établissement que l'on voit, non ceux qui vivent à domicile.

Troisième élément : les établissements - mais aussi les services à domicile - sont des lieux de fortes contradictions. Ce sont des lieux d'hyper-sécurité, mais qui ne disposent pas des moyens qui devraient aller avec. Je ne développerai pas ce sujet, sur lequel je reviendrai en conclusion.

S'agissant de l'hyper-sécurité, nous sommes tous épris de liberté pour ce qui nous concerne et très attachés à la sécurité de gens que nous aimons. Voyez ces gens qui font du ski hors-piste : ils le font pour eux, pour le plaisir de la liberté qu'ils en retirent. La plupart disent qu'ils ne veulent pas que leurs enfants en fassent, car c'est beaucoup trop dangereux. Certains déconseillent même à leur conjoint d'en faire. Liberté pour nous, sécurité pour ceux qu'on aime !

C'est bien toute la logique des structures pour personnes âgées. On dit que les personnes âgées sont abandonnées par les familles : c'est faux. Il y a toujours 5 à 10 % de familles très dysfonctionnelles et parfois de personnes âgées qui ont été dysfonctionnelles quand elles étaient jeunes mais, dans l'immense majorité des cas, les enfants aiment leurs parents. La France n'aime pas ses vieux, la société n'aime pas ses vieux mais chaque Français, globalement, aime ses vieux.

Ce n'est donc pas par manque d'amour que l'on veut la sécurité pour nos parents ou nos grands-parents : c'est précisément par amour. Le problème fondamental vient du fait que cet amour est un amour qui enferme. On est donc dans une sécurité pour l'autre et ce qui est assigné aux établissements pour personnes âgées par la législation, le droit, les lois, les décrets et, encore plus, par les arrêtés et les circulaires, c'est une injonction de sécurité dans des établissements où les gens sont précisément âgés et susceptibles de mourir.

Durant cette crise, certains établissements ont été clairement totalement hors-jeu. Certains, ainsi que des responsables de la profession, disaient au début de la crise : « Nous ferons des établissements des citadelles dans lequel le virus n'entrera pas ! ». C'est ce qui nous a fait réagir. Quand on bâtit une citadelle dans une société, c'est qu'on sort de la démocratie. Cela montre à quel point, dans ce milieu déjà très sécuritaire, la crise a été une occasion d'hyper-sécuriser davantage encore ce qui l'est déjà trop.

En dehors de ces établissements qui se sont clairement placés en dehors de la démocratie, une minorité réelle a été engluée dans la peur. N'oublions pas que cette peur avait aussi un support. Au début de la crise, il n'y avait pas de tests, pas de masques, et Marc Dupont a raconté comment, à l'hôpital, quelqu'un a pu arriver, à son corps défendant, à transmettre le virus à une dizaine de personnes. Cette logique sécuritaire a été décuplée parce qu'elle se développait sur un terreau sécuritaire.

Pour conclure, faut-il légiférer ? Oui, incontestablement, mais nous pensons qu'il ne faut pas légiférer que pour la prochaine crise. Il faut légiférer pour tous les jours. Nous pensons que l'anomalie des établissements pour personnes âgées vient précisément du fait que ce sont des établissements. Songez que, lors de la première crise, les seuls Français à avoir été poursuivis sont des ministres et des directeurs d'établissements pour personnes âgées !

Pendant la crise de la canicule - 15 000 morts ! -, le seul Français qui a été poursuivi par la justice a été un directeur d'établissement pour personnes âgées. Les directeurs sont poursuivis parce que, dans la structure qu'ils dirigent, des gens sont décédés, mais aucun maire, aucun président de département, ni aucun président de région n'est fort heureusement poursuivi parce qu'il y a eu des morts sur le territoire qu'il administre.

En fait, cette logique d'établissements qui rend un directeur, le médecin et ses équipes responsables est un système qui, dès lors qu'il existe un risque juridique très fortement vécu par l'ensemble de la profession, voit se développer, par peur, une volonté de protéger, de faire qu'il n'y ait pas de morts dans un secteur où c'est, au sens philosophique, une aporie, une impasse de l'esprit. Nous ne sommes pas dans des écoles maternelles où les jeunes enfants ont des probabilités très faibles de mourir, mais dans des établissements qui accueillent des personnes très âgées qui ont donc une forte probabilité de mourir prochainement !

Transformons donc les établissements en domiciles regroupés ! C'est ce qu'ont fait les Danois. C'est certainement le pays le plus avancé en matière de protection des personnes âgées. Faisons en sorte qu'en devenant des domiciles, ces établissements, comme l'ont dit certains de mes prédécesseurs, soient de vrais habitats, de vrais lieux de vie, dans le droit commun. Vous verrez que nous ne rencontrerons plus du tout les difficultés que nous avons connues avec les établissements lors de la crise.

Les résidences de services aux seniors et les résidences autonomie représentent environ 5 000 établissements pour personnes âgées. Ce n'est pas rien ! Nous n'en avons absolument pas entendu parler pendant cette crise, parce qu'ils ont un statut d'établissements.

On peut quasiment reprendre la totalité des propositions de la défenseure des droits, dont celle qui dit qu'il faut instaurer un ratio minimum de professionnels dans les établissements, ainsi - mais c'est un autre débat - que dans les services à domicile.

Mme Michelle Meunier. - Cela me rappelle le rapport que nous avons réalisé avec Bernard Bonne, dans lequel nous avons cité l'exemple danois qui permet une prise en charge bien différente des personnes âgées dans notre société - mais là n'est pas le sujet. Merci, monsieur Champvert, pour la ferveur de vos propos.

Je voulais également revenir sur ce qu'a dit M. Gzil au sujet de l'éthique. Votre collègue Denis Deniau, de l'espace éthique des Pays de la Loire, parle d'exacerbation de la situation qu'ont connue les Ehpad - et sûrement aussi le secteur hospitalier - lors de la crise du fait du manque de personnel. Nombre de rapports, comme le rapport El Khomri, ont déjà pointé ces manques.

La crise a mis en évidence ce terrain où peut se développer la maltraitance de personnes qui requièrent un accompagnement individuel, des soins de nursing, etc.

Tout ceci est paradoxal. On se souvient tous de l'image de Mauricette, la première Française à avoir été vaccinée en décembre, et de celles et ceux qui ont suivi dans les Ehpad. Pourquoi, face à des protocoles de visite parfois toxiques pour les relations entre la famille et le résident, avoir mené - et bien mener - cette campagne de vaccination - si c'était pour maintenir les restrictions ?

Ma question est un peu caricaturale, mais faut-il une loi pour maintenir le droit de visite ou faut-il donner aux établissements les moyens d'intégrer les visites qui font partie de la vie des hôpitaux et de la charte des Ehpad ?

Je suis plutôt favorable, vous le savez, à une loi sur l'autonomie et le grand âge qui donne les moyens aux structures, à l'hébergement à domicile et aux services qui s'occupent des personnes âgées d'exercer la démocratie sanitaire, qui fait considérablement défaut en France.

M. Alain Milon. - Le début de mon intervention va choquer le dernier intervenant. Malgré mon âge, et bien que je sois au Sénat, j'aurai un discours de dominant. Je rejoins ici Mme Meunier : tout ce qui a été fait pendant cette crise a été bien fait, mais cela s'est révélé insuffisant faute de moyens et de personnels, parce que le Parlement et les gouvernements successifs ont voté des Ondam qui n'étaient pas à la hauteur, quels que soient les majorités et les gouvernements en place. Nous sommes donc tous un peu fautifs.

Je rejoins complètement ce qu'a dit le professeur Cécile Manaouil, et je voudrais citer une phrase de Montesquieu que j'aime beaucoup : « Il est quelquefois nécessaire de changer certaines lois, mais le cas est rare et, lorsqu'il arrive, il n'y faut toucher que d'une main tremblante ». Ne changeons pas systématiquement les lois en fonction des circonstances. Vérifions bien que, si on touche à la loi, on y met à côté les moyens nécessaires pour qu'elle puisse être appliquée.

Mme Laurence Cohen. - Tout comme Michèle Meunier et Alain Milon, je suis très dubitative quant au fait de devoir légiférer ou non. J'attends que cette audition dissipe mes doutes. Notre système de santé connaît un manque de moyens criant, que mon groupe dénonce régulièrement, mais je pense que c'est aussi une question de conception de prise en charge des personnes âgées.

J'ai été très choquée que les personnes vivant en Ehpad aient tout à coup été privées de leurs droits, un peu comme si on les considérait comme des mineurs. Il s'agit de réfléchir à la manière de les protéger en préservant leur liberté. On leur a retiré toute liberté de choix en matière de visites, et on les a totalement isolées.

M. Frémont l'a dit, nous avons tous constaté des syndromes de glissement sur nos territoires, où des personnes se sont laissées mourir. Elles ne sont pas mortes de la Covid-19, mais de tristesse, de solitude, etc. Cela a touché les patients, mais aussi les personnels, qui ont assisté impuissants face à cette situation.

Comment légifère-t-on dans un tel contexte, en préservant une certaine marge de manoeuvre des établissements ? Comment faire régner l'égalité sur l'ensemble du territoire, alors que ce n'est pas le cas aujourd'hui ? Suivant l'établissement et le territoire, les règles et les protocoles sont différents et extrêmement pesants. Comment parvenir à concilier les choses ?

Je me pose également des questions concernant la situation des établissements de santé, où il s'agit d'une autre problématique. Il me semble qu'on a aujourd'hui le droit, en dehors des situations de crise, de signer une décharge pour quitter un établissement hospitalier. Quid cependant des périodes d'épidémie ? Certaines familles, malgré leurs demandes, n'ont pu visiter les malades hospitalisés au titre de la Covid-19, même lorsque ceux-ci étaient capables de signer des décharges.

Je pense que cette audition peut apporter des réponses. Il s'agit surtout toutefois de maintenir la liberté des patients. Comme l'a dit la défenseure des droits, cette situation a donné lieu à des abus terrifiants.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Il faut trouver une solution à la situation qu'ont connue nombre de familles qui n'ont pu adresser un dernier adieu à leur proche décédé. C'est totalement inhumain, alors que cela aurait été possible sans prendre de risques démesurés.

Ce sont des situations assez larges que l'on évoque ce matin, qui vont de la restriction des visites jusqu'au cas de personnes qui ont été verbalisées parce qu'elles étaient à la fenêtre de l'Ehpad pour parler à leur conjoint. Le point des derniers instants demeure cependant très particulier, et il faut à mon sens trouver une solution. Passera-t-elle par la loi ou par autre chose ? Nos débats le diront.

Mme Jocelyne Guidez. - Madame Manaouil, vous avez évoqué les établissements accueillant des personnes handicapées. Je pense que ces centres ont également connu des abus, certainement par manque de personnels. J'ai eu vent de protocoles trop pesants, aussi bien pour les aidants que pour les personnes qui y étaient accueillies.

Ne croyez-vous pas qu'un directeur pour trois établissements soit insuffisant ?

M. Bernard Jomier. - Je remercie M. Frémont pour son témoignage très émouvant et de sa description d'une situation révoltante. Comme Catherine Deroche, je pense que cela revient à abolir le principe d'humanité. Je ne sais si une loi peut l'empêcher, mais il existe des institutions pour réguler les professions de santé et établir des limites. Je ne sais si vous avez saisi l'ordre des médecins. On aimerait que celui-ci fasse respecter ce principe d'humanité, notamment inscrit dans le code de déontologie médical.

Par ailleurs, je ferai une différence entre les hôpitaux, lieux de soins, et les Ehpad, qui sont des lieux de vie. Dans les hôpitaux, le problème se pose-t-il avec la même acuité, au-delà des dérives que M. Frémont nous a rapportées ? Celles-ci demeurent-elles limitées ou y a-t-il un sujet d'ordre général qu'il convient de régler par la loi ?

C'est une question à laquelle je n'ai pas de réponse. J'ai constaté par moi-même que beaucoup de soignants n'appliquaient pas ces protocoles pour des raisons d'humanité et ont permis aux gens de venir voir leurs proches. C'est un comportement qu'on a heureusement retrouvé dans les établissements de soins.

Par ailleurs, les dispositifs limitatifs des libertés étaient compréhensibles en début de crise. Il s'agissait alors de sauver des vies - même si ce n'est plus aujourd'hui la mode dans la gestion de l'épidémie. À quel moment a-t-on basculé ? Il n'existe plus vraiment de légitimité à cette restriction des libertés qui, néanmoins, continue. Pourquoi s'y habitue-t-on ? Cela fait écho aux propos de M. Champvert sur l'arbitrage que l'on connaît bien entre la sécurité et la liberté. Peut-être finit-on par s'habituer, à force de rechercher le risque zéro, à une telle restriction.

Enfin, le modèle de prise en charge de nos personnes âgées que l'on concentre dans certains lieux n'est-il pas contre-productif ? On a tous assisté, au cours des dix dernières années, à un accroissement des concentrations. Tous les élus locaux connaissent cela. On augmente le nombre de places pour des questions de rentabilité, et on donne dans le même temps un tour de vis aux frais de personnel. On sait que 11 % seulement des Ehpad ont une infirmière de nuit. Parler de soins palliatifs devient donc une plaisanterie.

Quel est votre avis ? Ne doit-on pas revisiter ce modèle ? Ceci va pour le coup tous nous interroger...

Mme Annick Jacquemet. - Je remercie les intervenants qui ont mis des paroles sur des situations et confirmé ce que nous entendons tous sur le terrain. Nous les avons écoutés avec une certaine émotion.

Merci également pour vos analyses et vos propositions. Même si nous doutons tous de ce qu'il faut faire, nous avons envie de trouver des solutions.

Par ailleurs, pourquoi pénalise-t-on l'accès des proches aux malades en période de crise sanitaire, notamment lorsqu'ils sont vaccinés, alors qu'on n'oblige toujours pas les soignants à se faire vacciner ? Il y a là quelque chose d'illogique.

Par ailleurs, une résidente d'un Ehpad, âgée de 94 ans et qui était vaccinée, devant rejoindre ses enfants, vaccinés eux aussi, pour le week-end de Pâques, s'est vue imposer à son retour un isolement complet de huit jours. Cela me semble tout aussi illogique. Ce sont des situations qu'il conviendrait de prendre en compte si l'on propose une modification des règlements. À quoi bon vacciner si cela ne permet pas un peu plus de liberté ?

Mme Cécile Manaouil. - Bien que ce ne soit pas l'objet des propositions de loi, plus il y aura de personnels et mieux ce sera. Faut-il une loi ou non ? On sait que le fait d'instaurer des droits dans la loi ne suffit pas sans moyens ni sanctions.

On peut faire un parallèle avec l'accès au dossier du patient. Depuis la loi du 4 mars 2002, tous les patients ont accès à leur dossier médical. Il n'empêche que ce n'est pas si simple. Presque vingt ans après la loi Kouchner, il existe encore des difficultés dans certains établissements. Si on instaure demain un droit de visite hebdomadaire dans la loi, ce ne sera pas toujours facile. Il faut aussi de la souplesse.

L'inscrire dans la loi pour les établissements de santé fait aussi courir le risque de procédures pesantes. Heureusement, certains médecins ont accepté des visites. Aujourd'hui, il y a un peu plus de souplesse dans les services. Les visites sont encore très restreintes, mais elles sont notamment autorisées en cancérologie, en soins palliatifs et dans les derniers jours de vie - et c'est tant mieux !

On a évoqué l'ordre des médecins. Je vois passer beaucoup de procédures contre les médecins. Je ne suis pas sûre que des recours devant le Conseil de l'ordre, si l'on instaure le droit de visite dans la loi et dans la déontologie médicale, résoudront grand-chose. Le médecin hospitalier qui aura refusé la visite se retranchera derrière le protocole établi par le directeur d'établissement. Ce dernier se réfugiera derrière des consignes de sécurité. Comme toujours, c'est un équilibre entre sécurité et liberté.

Le terme de décharge a été employé. Il s'agit de sorties contre avis médical, qui sont toujours possibles. On peut sortir de l'hôpital à tout moment, sauf lorsqu'on est hospitalisé sous contrainte en psychiatrie - article L. 3131-1 du code de la santé publique.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Quel est votre avis concernant l'obligation vaccinale des soignants ?

Mme Cécile Manaouil. - J'y suis favorable. Cela me choque énormément que, dans les Ehpad, le taux de vaccination soit plus élevé chez les résidents que chez les soignants. Les aides-soignantes sont moins vaccinées que les infirmières, et les infirmières le sont moins que les médecins. C'est toujours compliqué : pour la grippe saisonnière, cela avait été introduit dans la loi, puis suspendu. Pourquoi ?

Mme Catherine Deroche, présidente. - Monsieur Frémont, de quel type de témoignages disposez-vous ? En quoi la loi vous apparaît-elle importante par rapport à ce que vous avez pu vivre ?

M. Laurent Frémont. - J'ai reçu hier soir le témoignage suivant : « Mon père est hospitalisé au CHU de Poitiers pour un cancer de l'oesophage. À ce jour, seule ma mère va voir mon père un jour sur deux. Nous, les enfants, n'avons aucun droit de visite. Je ne sais pas quoi faire pour avoir ce droit de visite. Mon souhait le plus cher était d'accompagner mon père dans les derniers moments de sa vie. Je suis en colère et scandalisé ». On reçoit des dizaines de témoignages identiques tous les jours.

Ce cas n'est peut-être pas représentatif, mais on a vraiment l'impression que les personnes sont totalement désemparées. Le droit reste vague et il n'y a jamais eu de recommandations sur le sujet. C'est pourquoi il me semble utile de rappeler le principe et de sortir de ce flou juridique.

On a parlé des vaccins pour les Ehpad, mais il existe des tests dans les établissements de santé. Dans mon cas, on était en novembre. Nous-mêmes avions été testés négatifs. Mon père aussi. Qu'est ce qui justifiait l'interdiction de visites ?

Les témoignages que nous recevons sont très divers. Ils recouvrent des situations variées, mais ce qui ressort avant tout, c'est le fait que les gens sont dévastés. Plus d'un an après, une dame qui n'a pas pu voir son père avant sa mort écrit : « Je cherche papa dans toutes les silhouettes d'homme que je croise. On ne sait jamais : s'il n'était pas mort, s'ils s'étaient trompés. Comment être sûre ? On ne l'a pas vu. Il aurait été mis dans une housse sans être habillé. Personne de l'hôpital ne nous a jamais appelés. Il est mort, et voilà, c'est tout. Notre boulot s'arrête là. Où est l'humanité ? ».

Le traumatisme pour la société est considérable. J'entends tout à fait vos débats. Madame parlait des contentieux contre les soignants : non ! Le pouvoir de police reste aux mains des directeurs d'établissements. Ce serait donc des contentieux à l'encontre des directions. Ce pouvoir est aujourd'hui arbitraire. Je comprends tout à fait que, pour des motifs d'ordre public ou des motifs sanitaires, on puisse restreindre les visites dans des contextes particuliers, mais il faut encadrer ce pouvoir de restriction et le clarifier pour sortir de l'arbitraire de ces situations disproportionnées et inégalitaires.

Pour ce qui est du dialogue avec l'ordre des médecins, nous sommes en contact avec les fédérations. C'est évidemment avant tout une question de moyens humains et matériels et de protocoles. Nous en proposons d'ailleurs et nous travaillons avec des soignants. Avant tout, je pense qu'il faut réaffirmer le principe et l'inscrire comme un droit fondamental pour les patients.

M. Fabrice Gzil. - Comme le disait Mme Meunier, la crise a accentué des difficultés déjà présentes. Beaucoup de répondants nous l'ont dit : on peut difficilement accompagner dignement et humainement sans un nombre suffisant de personnels formés, compétents, etc. Si on occulte la question des moyens, on culpabilise les professionnels, et c'est doublement injuste.

Je suis d'accord pour reconnaître que des situations abusives perdurent, alors que beaucoup de personnes sont vaccinées. En même temps, ce qui nous frappe, ce sont des différences extrêmement importantes. Je ne voudrais pas que l'on ressorte de cette audition avec le sentiment que les Ehpad connaissent une situation qui n'est pas la même que celle des hôpitaux.

Je suis actuellement en immersion dans un service de réanimation où les visites des familles ont été maintenues alors que, dans la quasi-totalité de l'hôpital, elles ne sont pas possibles parce qu'il faut du personnel pour les accueillir et que l'équipe considère que c'est extrêmement important. Comment arriver à mettre en rapport des gens qui font différemment pour montrer à ceux qui pensent que c'est impossible qu'ils pourraient le faire ?

Les résidents des Ehpad sont en effet parfois considérés comme des mineurs, voire pire. Je partage votre sentiment, mais ce n'est pas le cas partout. Je pense qu'il existe des endroits - nous en avons beaucoup d'exemples - où les résidents et les familles sont informés en amont, consultés, associés aux décisions, y compris pendant la crise, et aux modalités de la vaccination et du déconfinement.

Cela relève-t-il ou non de la loi ? Trois points me tiennent à coeur : la reconnaissance des droits des proches au sens très large, y compris dans les relations avec les équipes. C'est quelque chose que le Parlement a déjà accentué mais on peut progresser.

Le deuxième point concerne les possibilités de recours. Beaucoup de gens comme Laurent Frémont se tournent vers nous lorsqu'ils sont confrontés à une situation ubuesque ou kafkaïenne. Il existe théoriquement des recours mais, dans la pratique, ils sont très difficiles à mettre en oeuvre de manière rapide et efficace pour faire évoluer les situations. Vers quel tiers se tourner pour débloquer les situations, sans aller nécessairement jusqu'au conflit et à la mise en cause juridique ?

Enfin, je pense qu'il faut des repères - et votre assemblée en donne. C'est probablement sa mission, et je suis gêné par le fait qu'on continue d'opposer sécurité et liberté. Nous sommes dans un pays où la sécurité est au service de la liberté. Plutôt que de se demander en permanence où placer le curseur, ce qui est une manière d'opposer les deux, il faut déterminer la philosophie dans laquelle on se place. Beaucoup de directeurs d'Ehpad ou de résidences de services et de résidences autonomie nous l'ont demandé.

Si on met toutes les valeurs sur le même plan, ils doivent arbitrer en permanence et n'y parviennent pas. Réaffirmer fortement que la protection de la sécurité et la protection des personnes sont au service des libertés constituerait un message très fort qui remettrait de la clarté dans les normes et les valeurs.

M. Marc Dupont. - J'insiste sur le fait qu'une loi sur le droit de visite répondrait essentiellement à la question en période de crise, car je pense que les choses se passent de façon satisfaisante en temps normal.

Mme Manaouil a parlé de l'équilibre entre sécurité et liberté. Je pense que cette notion est effectivement importante.

Ma mère est très âgée et vit dans un établissement. Pendant toute la période de la crise, j'étais partagé entre l'envie de la voir, qu'elle éprouvait elle aussi, et la grande crainte d'être coupable le reste de ma vie si je l'avais contaminée.

Ce n'est pas simple, dans cette période, de trouver cet équilibre et chacun, dans sa propre expérience, peut être en difficulté au-delà de ce que peut rencontrer l'établissement pour gérer ce type de situation.

Le droit de visite se rapporte selon moi à un droit plus général qui relève de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui traite du droit à avoir des relations sociales. La question que l'Assistance publique a dû traiter portait sur la visite des proches, mais aussi des bénévoles pour les gens n'ayant plus de famille.

Enfin, s'il existe un droit fondamental, c'est bien celui de voir une personne dans ses derniers instants. C'est un point qui s'est révélé important dès le début, que le CCNE a eu aussi à traiter. Certes, il y a eu des protocoles, des textes, mais le droit de visite est surtout géré par les équipes médicales, les responsables médicaux, les cadres. Beaucoup de situations individuelles ont été prises en compte au cas par cas pour trouver des solutions.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Monsieur Champvert, l'Ehpad est-il encore un modèle ?

M. Pascal Champvert. - Certainement pas pour nous ! Nous nous retrouvons dans beaucoup des propositions de Mme Meunier et de M. Bonne, notamment au sujet du manque de moyens, ce qui rejoint les questions de M. Milon et de Mmes Cohen et Guidez. La diminution du nombre de directeurs et le regroupement d'établissements a constitué un des éléments de réponse à ce manque de moyens.

Concernant le fait de légiférer, la question n'est pas tellement d'intégrer des lois nouvelles dans l'établissement, mais d'intégrer les établissements dans les lois communes. De ce point de vue, ce n'est pas très loin de la philosophie qu'évoquait M. Milon. Il ne s'agit pas de légiférer pour légiférer, mais de dire simplement que les établissements pour personnes âgées sont des exceptions au droit commun. Peut-être pourrait-on dire la même chose des établissements pour personnes handicapées, mais ce n'est absolument pas un sujet que je connais et je ne me permettrai donc pas d'en parler.

J'avais également en tête l'exemple danois cité par Mme Meunier et M. Bonne. Mme Cohen a raison : les résidents des Ehpad sont souvent considérés comme des mineurs, mais c'est le fait de la société et des textes. Fabrice Gzil a lui aussi parfaitement raison de dire que ce n'est pas le cas partout. À l'AD-PA, nous militons pour que nos adhérents et les autres directeurs agissent pour que la parole des personnes soit complètement reconnue. Il faut parfois agir contre la société. Quand on est jeune directeur, qu'on a des difficultés dans son établissement, que l'équipe est fragile et que certains médecins ou certaines équipes sont très portés sur la sécurité, on ne peut rien y faire.

M. Jomier et Mme Jacquemet l'ont dit : il n'existe aujourd'hui plus aucune raison pour qu'on continue à connaître des restrictions aux visites dans les établissements pour personnes âgées, puisque ces structures sont, pour une fois, plus en avance que le reste de la société et que c'est là où se trouvent presque tous les gens vaccinés.

Bien entendu, nous demandons à la ministre de réformer en profondeur le protocole du mois de mars qui a été improprement appelé « protocole de déconfinement », car il comporte encore beaucoup d'éléments qui vont dans le sens des restrictions. Mis à part dans les établissements où il existe des foyers épidémiques, il faut le supprimer.

Enfin, nous sommes totalement opposés à l'obligation vaccinale. Nous pensons qu'il faut faire de la pédagogie. Moins on est formé, moins on est vacciné et plus il y a de réticences au vaccin - tous les sociologues le disent. Cela traduit souvent une méfiance par rapport aux pouvoirs publics et à l'autorité en général.

Si on oblige les gens à se faire vacciner, on va raviver tous les discours complotistes, qui sont évidemment moins prégnants chez les directeurs, les médecins et les infirmières que chez les professionnels peu formés. Nous croyons qu'il faut essayer de convaincre.

Le taux de vaccination dans les établissements pour personnes âgées, par exemple, a considérablement augmenté. Au début de la campagne, il était d'à peine 20 %. Aujourd'hui, on est à plus de 50 % voire, dans certains établissements, à près de 70 %. Rendre la vaccination obligatoire irait à l'encontre de l'objectif recherché.

Mme Marie-Pierre Richer. - Notre commission, tout au long de la crise, notamment aux mois de mars et d'avril, a auditionné beaucoup de médecins, d'experts, notamment les fédérations d'aide à domicile ou autres. Cette notion de glissement au niveau des Ehpad était déjà pointée du doigt en mai. On nous expliquait qu'il valait mieux avoir des relations sociales, ce qui paraît évident. Souvent, les personnes se laissaient aller. On restait cantonné à la nutrition et au matériel, en oubliant l'humain.

Il est atterrant de constater, un an après, qu'on est encore en train de se poser des questions sur ce risque. Beaucoup de familles s'interrogent sur le fait qu'on a classé le décès de certains patients comme résultant de la Covid-19 alors que, pour beaucoup, il s'agissait d'un glissement. Il faut également s'interroger sur les décès dans les Ehpad : ceux qui ont été enregistrés relèvent-ils ou non de la Covid-19 ? La question, me semble-t-il, doit être posée.

Par ailleurs, parmi tous les acteurs qui interviennent aujourd'hui dans le domaine de la perte d'autonomie, il ne faut pas oublier les résidences autonomie. Les associations sont aujourd'hui en plein désarroi parce que les familles ne veulent plus y mettre leurs parents. Les portes entre l'Ehpad et l'aide à domicile risquent donc de se fermer.

Il faut cependant faire ressortir le positif. Certains directeurs d'Ehpad et présidents de conseil d'administration ont pris des distances avec les protocoles pour le plus grand bien des familles, mais aussi des intervenants et des associations.

On a vu des familles qui se substituaient au personnel défaillant à qui on a interdit d'entrer. Cela a aussi été très difficile. Il faut donc s'interroger sur ces protocoles très restrictifs et faire appel au bon sens. Nous sommes tous à la fois parents et enfants. Remettre un peu de bon sens dans tout cela ne serait pas complètement absurde.

M. Daniel Chasseing. - M. Frémont a perdu son père dans des conditions très douloureuses. Je suis d'accord avec ce qu'ont dit à ce sujet Bernard Jomier et Mme la présidente : ce n'est peut-être pas en changeant la loi qu'on modifiera les choses. C'est un problème d'humanité.

Par ailleurs, les Ehpad ne comptent pas assez de personnels. C'est vrai depuis très longtemps. Je me souviens des attentes déçues à l'égard de la loi sur l'adaptation de la société au vieillissement de 2016, sur les besoins en personnel.

En ce qui me concerne, je justifie les restrictions en Ehpad. Dans beaucoup d'endroits que je connais, les familles ont été associées à la prise de décision par les directeurs. Beaucoup de résidents sont aujourd'hui vaccinés, mais il y a un an, c'était une véritable angoisse lorsqu'une personne âgée ou un personnel contractait la Covid-19. Il faut s'en rappeler.

Je donnerai un simple exemple : une dame est revenue de l'hôpital dans un Ehpad de mon secteur dans un lieu où l'on compte des démences séniles. Tout le monde a été contaminé ! Notre angoisse était que le personnel ne transmette le virus dans les étages et que toute la maison de retraite soit contaminée.

Bien sûr, la liberté du patient existe, mais il faut aussi tenir compte du fait que certains ne souhaitent pas contracter la Covid-19. Dans la très grande majorité des cas, cela a été fait non pour préserver le directeur, mais pour préserver les pensionnaires. Ceci a été rendu possible grâce au travail du personnel pour empêcher le glissement.

Je justifie donc l'isolement qui a eu lieu l'année dernière afin de ne pas contaminer la totalité des pensionnaires.

Enfin, je rappelle que la vaccination ne supprime pas totalement la contagion, même s'il y a moins de charge virale au niveau du nez. Les personnes vaccinées qui vont à l'extérieur doivent donc, selon moi, rester quelques jours isolées.

Mme Cathy Apourceau-Poly. - Je ne reviens pas sur le fait - Laurence Cohen l'a fort bien dit avec d'autres collègues - qu'il existe un manque criant de personnel dans les Ehpad et dans les hôpitaux, ce qui explique que les choses se soient mal déroulées.

Je pense aussi que l'action de l'État a été peu visible, ce qui a brouillé les pistes. Je l'ai vécu dans le Pas-de-Calais, qui a été durement frappé : on a connu des situations totalement opposées d'une ville à l'autre voire, dans la même ville, d'un Ehpad à un autre ou d'un hôpital à un autre.

Chacun faisait comme il pouvait et cela a créé beaucoup de confusion. C'est le cas lorsqu'il n'existe pas de directives nationales. Je rappelle que les personnels ont parfois été agressés par les familles qui voulaient voir leurs proches. Il est légitime de vouloir voir les siens, mais le personnel a beaucoup souffert cette situation.

J'ai été interpellée, comme plusieurs de mes collègues, par des familles qui étaient dans une détresse totale face à des personnes qui sont mortes seules et, en particulier, par des familles musulmanes au sujet de la toilette des personnes décédées, parfois le père et la mère en même temps. Les enfants n'ont pu procéder à cette toilette, qui est très importante.

D'autres familles ont perdu des enfants en situation de handicap à l'hôpital, sans avoir pu les assister dans leurs derniers moments. Le manque de visibilité gouvernementale ne nous a pas facilité la tâche.

Faut-il légiférer ou non ? J'ai étudié la proposition du président Retailleau sur le droit de visite à l'hôpital et dans les établissements pour personnes âgées et handicapées. En cet instant, la décision de mon groupe n'est toujours pas prise. Nous aimerions dire qu'il faut légiférer, mais est-ce la solution ? Ce n'est pas pour autant qu'on manque d'humanité. Les restrictions au droit à la vie privée sont contraires à la loi. Faut-il les encadrer avec un droit de visite ou les interdire ? C'est une de mes questions.

M. Philippe Mouiller. - On se pose beaucoup de questions sur le fait de savoir si l'on doit ou non légiférer sur le droit de visite. Nos intervenants ont des points de vue qui diffèrent, même s'ils sont d'accord sur le constat.

Je souhaiterais insister à nouveau sur cette question fondamentale : en cas de texte encadrant le droit de visite, notamment dans les Ehpad, quid de la responsabilité du directeur d'établissement vis-à-vis de la vie des résidents ?

Inversement, dans l'hypothèse où il n'existe pas de texte de loi, comment mieux contrôler l'opportunité et la proportionnalité des décisions d'encadrement qui sont prises par les directeurs d'établissements ? Cela peut soulever un questionnement sur la notion de certification des établissements.

À plus long terme, cette crise a entraîné des changements de comportement dans la façon de prendre en charge les patients ou les résidents et la façon d'accueillir les familles. À l'avenir, ne faut-il pas repenser les aménagements, les plans des établissements pour permettre de mieux gérer ce type de difficultés ?

Mme Corinne Imbert. - Je remercie le professeur Manaouil d'avoir fait la distinction entre les Ehpad, les établissements accueillant les personnes âgées et les établissements de santé.

Je partage les propos du président Milon concernant les moyens et vos propos, madame la présidente, concernant ce grave défaut d'humanité, notamment lorsque les patients sont décédés, qui a conduit nos collègues à réfléchir à une proposition de loi.

Dans les établissements de santé, les visites sont aujourd'hui encore très restreintes, mais est-il normal que, dans un même service, les autorisations de visite, sans parler des patients atteints de la Covid-19, soient dépendantes de la décision du médecin présent ? Un même service, quatre médecins et quatre décisions différentes pour un même patient qui est stable, pour les familles, c'est incompréhensible. Leur droit de visite est lié à la décision du médecin présent le jour même. J'aurais voulu avoir votre avis sur ce sujet.

Par ailleurs, une loi qui instaurait un droit de visite résisterait-elle, dans le cas d'une pandémie majeure telle qu'on la connaît, à une autre loi d'urgence sanitaire et à des protocoles venant de la direction générale de la santé ?

Enfin, faudrait-il, dans une telle loi, redéfinir la compétence du directeur d'établissement en matière d'organisation des visites ?

M. Laurent Burgoa. - J'aimerais revenir quelques instants sur la réflexion à propos de l'obligation de vaccination du personnel médical. Le citoyen que je suis est bien sûr favorable à la vaccination, mais le législateur est défavorable au fait d'imposer à nos concitoyens l'obligation de se faire vacciner. Chacun est libre de faire ce qu'il veut et, si l'on imposait au personnel médical de se faire vacciner, cette décision, qu'elle soit législative ou qu'il s'agisse d'un décret, ne tiendrait pas une seconde en cas de recours devant le Conseil constitutionnel ou le tribunal administratif au nom du principe de d'égalité.

Je souhaiterais revenir enfin sur les propos de M. Frémont. J'ai trouvé son témoignage émouvant, et je veux saluer son courage. En principe, le législateur n'aime pas trop légiférer sous le coup de l'émotion, mais - et je crois que je serai rejoint par beaucoup - la proposition du président Retailleau consiste à envoyer un message politique aux familles qui ont été touchées. Ce sera l'honneur du Sénat d'aller dans ce sens.

M. Pascal Champvert. - Faut-il légiférer ou non ? Je l'ai dit, selon nous, d'une façon globale, il faut légiférer pour casser le statut des Ehpad.

Je ne me prononcerai pas s'agissant de la question précise des visites mais, en tout état de cause, si vous décidiez de suivre la proposition du président Retailleau, il faudrait s'appuyer sur l'avis des personnes âgées et des familles, du Conseil de la vie sociale et prendre du temps pour écouter l'avis des résidents. Cela me paraît fondamental.

Mme Cécile Manaouil. - L'obligation vaccinale des soignants existe déjà. Elle figure dans le code de la santé publique.

Pour ce qui est de la toilette rituelle, c'est une question de pouvoir réglementaire. La toilette mortuaire, en cas de mort due à la Covid-19, est réalisée par les professionnels de santé et les thanatologues, mais la toilette rituelle est aujourd'hui interdite par décret.

Au début, tout le monde était paralysé par la peur. Dans certains cas, on ne fermait pas les yeux des morts - ce qui est très choquant - au prétexte qu'on ne pouvait plus toucher le corps une fois le patient décédé.

Cette épidémie a entraîné des situations particulièrement difficiles. On s'est demandé pourquoi on pouvait faire la toilette de quelqu'un qui était hospitalisé et pourquoi on ne le pouvait plus lorsqu'il était mort.

Les différents avis des médecins, qui peuvent diverger, sont effectivement problématiques - et cela ne l'est pas uniquement en matière de droit de visite. Parfois, le médecin à qui vous demandez des informations vous dit que le pronostic vital est engagé à très court terme. Le lendemain, un autre médecin vous dit que tout va bien se passer. Je le vois très régulièrement en expertise : certaines familles disent qu'on leur a donné des informations très contradictoires d'un jour sur l'autre.

Il faut que les médecins se parlent davantage, communiquent entre eux pour savoir quelles informations dispenser aux familles. C'est vrai pour le droit de visite comme pour tout le reste. Il est très gênant de venir à l'hôpital et de se voir refuser un droit de visite un jour, puis autoriser le lendemain par un autre médecin. Je suis d'accord avec vous. La difficulté, c'est que tout cela ne se règle pas selon moi par la loi mais par l'appréciation au cas par cas, et l'humanité.

M. Marc Dupont. - S'agissant de l'interdiction de la toilette mortuaire rituelle, non seulement le décret la prévoit, mais un courrier de la mosquée de Paris du mois de mars 2020 dit que les autorités religieuses n'effectueront plus de toilettes rituelles.

Par ailleurs, c'est en effet le directeur qui prend les décisions concernant le droit de visite ou, du moins, qui fixe la politique de l'établissement. Les décisions sont ensuite prises sur avis médical. En fait, le directeur intervient très peu, sauf en cas de litige ou de conflit. Il est donc important que l'équipe soit soudée et qu'elle prenne des décisions cohérentes. Le fait que ce soit le directeur qui tranche me semble un bon principe, toutefois sur la base d'un avis médical très bien documenté. Les choses étant différentes suivant que l'on est dans une maternité ou dans une unité de soins palliatifs, il est normal que les choses se passent au niveau de l'unité.

Le double niveau permet aussi un recours. On a dit que certains avaient parfois contesté de ne pouvoir former un recours. Le fait que le directeur intervienne en second niveau permet, lorsque l'équipe médicale a pris une décision, de pouvoir reconsidérer la situation.

M. Fabrice Gzil. - Je voudrais revenir sur la notion de glissement. Il est important qu'on ne considère pas qu'il existe, d'un côté, des personnes porteuses d'une forme de sérieux sanitaire, qui auraient conscience des dangers, qui protégeraient et, de l'autre côté, de dangereux idéalistes libertaires et humanistes. Beaucoup de gériatres nous dont dit durant la crise que le danger de contracter ou de transmettre le virus existait, mais qu'il fallait également tenir compte de tous les risques gériatriques habituels liés à l'interruption des activités, des visites et d'un certain nombre de thérapeutiques - dénutrition, troubles cognitifs, dépression, perte d'autonomie fonctionnelle, sarcopénie. Ceci nécessite des arbitrages entre des préjudices différents. Il est très difficile de le faire lorsqu'on est tétanisé par la peur. Il s'agit de récupérer très vite la capacité de réaliser ces arbitrages.

Je souscris à l'idée que la question de l'accompagnement des mourants et des hommages rendus aux défunts est un sujet spécifique. Le décret sur la mise en bière immédiate a fait couler beaucoup d'encre. On a mis huit mois avant qu'une décision du Conseil d'État ne vienne la critiquer. En début de crise, quand on ne maîtrisait pas les modalités de contamination et qu'on se demandait si le virus était comparable à celui d'Ebola, on a réagi avec vigueur, mais un délai de huit mois pour réagir pose problème, alors qu'on a eu assez vite des éléments montrant qu'il existait des différences majeures selon les pays, y compris pour les différentes toilettes.

La question est de savoir comment éviter l'arbitraire, que ce soit en matière de visite ou pour mettre en place ce type de règle, et comment rester prudent dans l'édiction d'une norme. La mise en bière immédiate a été souvent appliquée de manière très différente, parfois avec une extrême rigueur, alors qu'on a pu constater ailleurs un peu plus de souplesse. La question est pour moi de savoir comment retrouver une capacité de discernement, même en situation très anxiogène.

M. Laurent Frémont. - Je vous remercie pour votre écoute et vos apports.

On a parlé du droit au respect et à la dignité du patient, qui est bafoué depuis plus d'un an, mais il y a aussi la question du droit à la liberté de conscience et de religion et, avant même les protocoles funéraires, celle de l'accès aux derniers sacrements pour toutes les religions. Certains aumôniers sont restés bloqués aux portes des services et le sont toujours, avec des situations très variables d'un établissement à l'autre. Il existe des malades qui partent sans les derniers sacrements, alors qu'ils les réclament.

Je voudrais vous faire part de mon ressenti et des nombreux témoignages que nous recevons face à l'arbitraire médical. On se retrouve devant une porte fermée, et on n'a aucun texte sur lequel se fonder, aucune recommandation officielle, ni même une circulaire du ministre, qui n'a pas l'air de se décider à agir. Inscrire ce droit dans la loi constituerait une grande aide pour toutes les victimes de ces situations.

On a beaucoup parlé du contexte spécifique à la pandémie, mais on a peur que ce genre de comportements ne s'inscrive à présent dans les habitudes de certaines équipes, sans généraliser. Se débarrasser des familles est parfois très pratique.

Je souligne qu'on connaît de très graves dérives éthiques et anthropologiques depuis maintenant plus d'un an. Le ministre de la santé, le 16 février dernier, a affirmé devant l'Assemblée nationale que les visites devaient être autorisées pour tous et à tout moment de l'hospitalisation, mais rien n'est fait concrètement pour que ce droit de visite soit appliqué.

Ce serait tout à l'honneur du Sénat de reconnaître ce droit fondamental des patients.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Merci.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

État des lieux des soins palliatifs - Audition des sociétés savantes de réanimation

Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous poursuivons nos travaux sur l'état des lieux des soins palliatifs en France avec l'audition de sociétés savantes.

Nous entendons les professeurs Fabrice Michel et Gérard Audibert, réanimateurs et membres du comité éthique de la Société française d'anesthésie et de réanimation ; le docteur Claire Fourcade, présidente, et Mme Anne-Marie Colliot, déléguée générale, de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs (SFAP) ; le professeur René Robert, chef du pôle urgences-réanimation-anesthésie du centre hospitalier universitaire (CHU) de Poitiers, de la Société de réanimation de langue française (SRLF).

Nous avons déjà posé le constat d'une insuffisante connaissance et diffusion des dispositions législatives existantes et d'une répartition territoriale très inégalitaire des lits de soins palliatifs.

Notre objectif, aujourd'hui, est de recueillir votre analyse sur la mise en oeuvre effective des textes et les situations auxquelles ils ne répondraient pas de façon suffisante.

Dr Claire Fourcade, présidente de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs. - Cette audition porte sur un sujet important. Souvent, on ne parle des soins palliatifs dans l'espace public qu'en se focalisant sur l'euthanasie. Or il nous semble nécessaire, aussi, de se pencher sur le développement des soins palliatifs, l'accès à ces soins et l'application des lois existantes en la matière. C'est un débat central : les outils existent - nous avons les textes et les institutions - ; ce sont les moyens qui manquent. Le droit à l'accès aux soins palliatifs n'est pas effectif dès lors que seulement 30% des patients qui auraient besoin de soins palliatifs y accèdent.

Mme Anne-Marie Colliot, déléguée générale de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs. - J'ajoute simplement à cette présentation que je travaille avec l'Agence régionale de santé (ARS) de Bretagne, tandis que ma collègue est basée en Occitanie. Nous serons donc peut-être en mesure de vous apporter des éléments précis sur les différences de fonctionnement entre ARS.

Pr Fabrice Michel, réanimateur et membre du comité éthique de la Société française d'anesthésie et de réanimation. - Ayant déjà participé aux auditions sur la proposition de loi visant à établir le droit à mourir dans la dignité, nous sommes très contents, avec Gérard Audibert, de participer à ce débat parallèle. Effectivement, le débat sur l'euthanasie ne doit pas occulter la question d'une bonne prise en charge. Nous avons une approche particulière en matière d'anesthésie-réanimation, dont nous vous ferons part, travaillant en lien avec les médecins en amont de la réanimation.

Pr Gérard Audibert, réanimateur et membre du comité éthique de la Société française d'anesthésie et de réanimation. - Du fait du caractère multidisciplinaire des soins palliatifs, il importe qu'il y ait une représentation de toutes ces disciplines. Comme l'indiquait Claire Fourcade, les outils existent et ils sont bien connus des réanimateurs. Mais la diffusion de ces connaissances est bien moins réelle dès que l'on sort des services de réanimation, et encore moins lorsque l'on sort de l'hôpital. Je pense en particulier au secteur médico-social, où les moyens et la culture manquent cruellement.

Pr René Robert, chef du pôle urgences-réanimation-anesthésie du CHU de Poitiers, de la Société de réanimation de langue française. - Comme vous le savez, les réanimateurs sont, depuis longtemps, très investis sur la problématique de la fin de vie. C'est une problématique qu'ils abordent à trois niveaux : la réanimation en tant que telle, domaine dans lequel les pratiques ont progressé significativement ; les situations aux frontières de la réanimation, pour lesquelles des réflexions sont engagées et, enfin, un investissement sur le sujet en tant que citoyens.

Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur. - Quel est votre sentiment sur l'état de l'offre de soins palliatifs et d'accompagnement de la fin de vie en France ? Comment expliquez-vous que les objectifs du plan national pour le développement des soins palliatifs et l'accompagnement en fin de vie 2015-2018 n'aient pas été atteints en termes de couverture du territoire ? En matière de coordination entre la ville et l'hôpital, avez-vous connaissance de communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) qui se saisissent du sujet de la continuité de la prise en charge ? Toutes les personnes éligibles à une prise en charge palliative à l'hôpital font-elles bien l'objet d'un codage soin palliatif ? Avez-vous le sentiment que le caractère contraignant des directives anticipées est bien effectif ? Les décisions médicales en matière de fin de vie sont-elles bien acceptées et comprises par les familles et les proches ? Avez-vous connaissance de difficultés rencontrées par les équipes soignantes, par exemple lors de la mise en place d'une sédation profonde et continue jusqu'au décès ?

Mme Corinne Imbert, rapporteure. - Certaines voix affirment que la médecine concourt parfois à créer des situations de fin de vie irréversibles. Qu'en pensez-vous ? Quelle est la place, selon vous, des équipes de soins mobiles ? Au-delà de la formation des réanimateurs, la formation vous paraît-elle suffisante ?

Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Je vous remercie d'avoir souligné, dans vos propos liminaires, que les outils existent, mais que nous manquons de moyens ; qu'il ne faut pas opposer l'aide active à mourir et les soins palliatifs ; et qu'il faut de la pluridisciplinarité et aussi - pour reprendre des propos que nous avons entendus hier - de l'humilité. Je souhaiterais vous entendre plus précisément sur les directives anticipées : voilà un outil qui existe, mais qui, semble-t-il, est mal utilisé.

Pr Fabrice Michel. - Notre comité s'est réuni pour préparer nos réponses aux nombreuses questions que vous nous avez transmises. Il faut clairement dire que nous ne sommes pas compétents pour répondre à certaines d'entre elles, en tout cas en tant qu'anesthésistes-réanimateurs - nous pourrions avoir un avis, mais en tant que citoyens. Nous avons donc préféré nous focaliser sur les problématiques que nous connaissons.

On le sait, toutes les unités de soins palliatifs, mobiles ou pas, sont en difficulté du fait du manque de moyens, en particulier dès que l'on sort de l'hôpital. Nous le ressentons bien en tant qu'anesthésistes-réanimateurs. Nous prenons en charge des personnes en provenance des soins de ville, pour lesquelles les situations de fin de vie n'ont pas été clairement identifiées ou aucune réflexion n'a été menée quant au risque d'obstination déraisonnable - va-t-on trop loin ? Fait-on certaines choses qu'il ne faudrait pas faire ? Ce sont effectivement des questions qui se posent. Il y a donc le manque de moyens, mais aussi, peut-être, des façons différentes de travailler selon les acteurs de la fin de vie.

On parle beaucoup des directives anticipées dans notre milieu. Elles constituent une réelle avancée, en laissant une place à l'autonomie du patient. Mais on sent bien que tout n'est pas parfait. Les personnes valides ont beaucoup de mal à formuler des directives anticipées. En revanche, celles-ci deviennent un outil lorsque l'on entre dans un parcours de soins, avec des problèmes sérieux.

Encore faut-il que les personnes qui font part de leurs directives anticipées soient bien informées des parcours de soins, des enjeux de chacun des traitements. Ne pas être accompagné fait courir un risque d'erreur par la suite aux médecins. Il peut arriver que des patients soient pris en charge en dépit de leurs directives anticipées. Il est donc essentiel de trouver une solution préservant l'autonomie de choix du patient.

Le caractère contraignant des directives est bien assimilé, sachant qu'il est possible de ne pas les appliquer si elles ne sont pas adaptées, sous réserve du respect d'une procédure collégiale. Les réanimateurs, dans leur ensemble, sont conscients de leur importance, même si peu de gens les ont rédigées.

Faudrait-il les porter dans un registre ? Ce qui est certain, c'est qu'elles ne sont pas facilement accessibles.

Pr Gérard Audibert. - La médecine, en particulier la réanimation, crée des situations de fin de vie irréversibles. Ma spécialité, la neuroréanimation, m'amène à m'occuper de patients de type « Vincent Lambert ». Confrontée à un tel cas, l'équipe soignante aurait tenté de le réanimer dès sa prise en charge ; et comment faire autrement ? Il faudra ensuite un certain temps pour arriver à une situation de fin de vie irréversible. La loi Claeys-Leonetti nous permet déjà de régler ce genre de situation, pour peu qu'il y ait convergence d'analyse entre l'équipe médicale et la famille, ce qui est le plus courant. Et c'est pour lever les situations conflictuelles qu'il va falloir compléter la loi.

Au travers de votre questionnaire, j'ai pu mesurer que les directives anticipées avaient une grande importance, chacun entendant, et c'est louable, maîtriser les conditions de sa fin de vie. Or imaginer tous les possibles d'une fin de vie est très difficile, même pour un médecin. C'est pourquoi la rédaction de directives anticipées est plus facile pour une personne malade : c'est en ce sens que la Haute Autorité de santé (HAS) a établi deux modèles de documents, correspondant à deux types de situations.

Ce qui est essentiel, alors, c'est la désignation de la personne de confiance, surtout si le patient admis en réanimation n'est pas capable de s'exprimer. Partant, il faut affiner les modalités de communication aux médecins de ces directives, par exemple au moyen du dossier médical partagé. Autant on peut avoir du mal à rédiger des directives anticipées, autant désigner une voire plusieurs personnes de confiance est facile.

J'ajoute que la personne de confiance doit pouvoir être jointe 24 heures sur 24.

Pr René Robert. - Le codage des actes de prise en charge palliative est insuffisamment étoffé. Quand le patient concerné séjourne dans une unité de soins palliatifs, le codage est bien répertorié par les directions administratives ; en revanche, certaines prises en charge à visée palliative ne sont pas codées, situation qu'il conviendrait d'améliorer.

Sur les directives anticipées, je rejoins ce qui a été dit : c'est un sujet complexe. Penser que les rédiger est une solution à tout relève du fantasme, tellement cet exercice est difficile, non seulement quand on est en bonne santé, mais également quand on est très malade, étant entendu qu'on peut toujours changer d'avis et qu'on ignore tout des thérapies possibles. Claires et bien rédigées, les directives anticipées sont un outil très intéressant pour les médecins, étant entendu qu'elles sont aussi un moyen pour inciter nos concitoyens à aborder la question de leur fin de vie avec leurs proches. Pour autant, ne cherchons pas à fixer un pourcentage de gens qui les auraient rédigées. Il faudrait presque mettre sur pied des consultations pour aider à leur rédaction.

Les difficultés à prendre une décision, avec les proches, au sujet de la fin de vie font partie du quotidien du réanimateur. La plupart du temps, ces derniers comprennent bien ce qu'il en est, à condition qu'on leur explique de quoi il retourne. Pour autant, dire à l'un de ses proches qu'on va mettre fin à la réanimation d'un malade est très violent, très stressant, surtout que sa compréhension de la situation est altérée. Prendre du temps pour expliquer est donc essentiel.

Dans les unités moins confrontées, au quotidien, avec la mort, on comprend bien que les sessions de formation soient moins intenses et que les situations soient donc plus complexes à gérer.

Apprendre à ne pas faire, c'est le quotidien du réanimateur. Nous disposons de techniques parfois très spectaculaires, comme la ventilation artificielle, qui a acquis une certaine notoriété avec la crise de la covid. La question qui se pose est toujours celle-ci : faut-il réanimer ce patient compte tenu de son état clinique, recourir à des techniques invasives, ou bien, au contraire, ne rien faire ? Et nous avons appris à ne pas faire ! La difficulté, c'est que nous disposons de peu d'éléments objectifs nous permettant de nous déterminer. De fait, la collégialité s'impose.

Concernant les unités mobiles de soins palliatifs (UMSP), les équipes travaillant en soins palliatifs qui y interviennent ont des échanges avec leurs collègues sur le modèle de ce qui existe en cancérologie, à savoir la réunion de concertation pluridisciplinaire. Au même titre que leurs collègues des soins palliatifs, les réanimateurs sont également amenés à intervenir pour dire si un malade relève ou non de la réanimation. Il faudrait que cette concertation pluridisciplinaire entre les activités hospitalières, au moins, soit reconnue par la loi.

Le champ d'action des UMSP est immense. Ces unités interviennent de plus en plus hors de l'hôpital, notamment dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Sans doute faudrait-il créer des « référents » en matière de soins palliatifs impliquant des gériatres et des médecins généralistes, sachant que, s'agissant de ces derniers, les patients en fin de vie représentent un faible part de leur patientèle. C'est pourquoi s'investir dans une formation en soins palliatifs ne va pas de soi pour eux.

Enfin, la formation des étudiants en soins palliatifs a enregistré des progrès, même si elle reste insuffisante. Elle doit être complétée par les formations propres qui existent au sein de chaque discipline. Cette formation doit également s'adresser aux personnels des hôpitaux, des Ehpad, très demandeurs. Ainsi, la SFAP dispense des formations à distance très intéressantes. Nous devons tous nous y mettre !

Dr Claire Fourcade. - Contrairement aux patients admis en réanimation, nos patients communiquent et le plus souvent, ils participent donc aux décisions. Nous exerçons une médecine lente, complexe. Parler de ce dont on a peur, notamment de la maladie grave et de la mort, ne peut se faire que sur un temps long, et aucun dispositif législatif ne pourra apporter de solution simple.

Si nous sommes moins concernés par les directives anticipées, nous pratiquons les discussions anticipées. Nous abordons les questions, notamment du choix entre deux voies thérapeutiques, au fur et à mesure de l'évolution de la maladie. Par ailleurs, la fiche « Urgence Pallia » permet de faire le lien avec les services d'urgence et de leur indiquer les souhaits, en particulier des patients qui sont pris en charge à domicile.

Les nouvelles prises en charge proposées en oncologie nous poussent à nous reposer la question de l'obstination déraisonnable. Si la formation des soignants est primordiale, il faut préciser que l'obstination déraisonnable est davantage le fait des patients et des familles que des équipes soignantes. C'est pourquoi il est important d'en débattre au sein de la société.

Le codage emporte un enjeu de valorisation financière, car la facturation des séjours en dépend. Lorsqu'un patient qui est en soins palliatifs fait une aplasie médullaire, il est plus intéressant financièrement pour l'établissement de le coder en aplasie médullaire qu'en soins palliatifs. Tant que le codage en soins palliatifs ne sera pas valorisant, nous n'apparaîtrons pas dans les radars et nous ne disposerons pas d'une juste évaluation du nombre de patients en soins palliatifs, et donc, des besoins réels.

La formation est essentielle. Faire changer les mentalités nécessite du temps. Les questions liées à la mort font peur à tout le monde, y compris aux soignants. Si les textes prévoient un stage de cinq jours en soins palliatifs pour chaque étudiant, à ma connaissance seule la faculté de Montpellier en propose effectivement. Ainsi, chaque semaine, la même unité de soins palliatifs accueille à Montpellier cinq étudiants en médecine. C'est une démarche très intéressante, mais très chronophage pour cette toute petite équipe.

Cela suppose des moyens, or nos moyens ont été réduits de 30 % sur les deux dernières années. C'est ce qui explique notamment que le plan ne soit pas effectif. Il est frustrant de constater que les outils sont disponibles, que les soignants sont motivés et que les patients ont besoin d'être pris en charge, mais qu'il manque du carburant pour faire fonctionner la machine. Je me permets donc d'insister.

Mme Anne-Marie Colliot. - Notre corps de métier est le parcours patient. De ce point de vue, il est très important de mener un travail de coordination entre le domicile - ou l'Ehpad - et l'hôpital.

Au-delà des moyens, dont nous manquons évidemment, je souhaite insister sur la difficulté de trouver des soignants formés aux soins palliatifs dans le contexte de pénurie que nous connaissons. L'ARS a financé une équipe mobile sur un secteur sanitaire breton, mais nous n'avons trouvé ni médecin, ni psychologue, ni infirmière.

De plus, la prise en charge des malades à domicile suppose également la disponibilité d'auxiliaires de vie, car il faut bien remplir le frigo. Il faut valoriser leur métier, car sans ces professionnels le maintien à domicile est impossible.

Le repérage précoce des patients permet d'investiguer les possibilités. En région Bretagne, nous avons mis en place des réunions pluridisciplinaires de concertation comme cela se pratique déjà en oncologie. Cela prouve bien que ce n'est pas une utopie. Ces réunions permettent de réunir, au besoin en visioconférence, les différents professionnels qui interviennent dans le parcours patient.

La circulaire du 25 mars 2008 relative à l'organisation des soins palliatifs est notre Bible, mais encore faut-il pouvoir l'appliquer, c'est-à-dire disposer d'équipes mobiles qui font le lien entre l'hôpital et le domicile et qui permettent aussi des allers-retours entre un lit identifié et le domicile. C'est très rassurant pour les patients, et cela permet d'éviter des hospitalisations en urgence ou en médecine pour traiter des symptômes d'inconfort qui peuvent être angoissants.

La mutualisation des moyens et la coordination locale sont essentielles pour pallier le turnover qui fragilise les équipes.

Il faut également promouvoir le métier d'infirmier en pratique avancée pour les soins palliatifs. La SFAP a fait des propositions en ce sens dans le cadre du plan national.

Mme Cathy Apourceau-Poly. - Je suis interrogée dans mon département par de nombreuses familles sur les unités de soins palliatifs qui pourraient être dédiées aux jeunes et aux enfants. De telles unités existent-elles ? Quel est votre avis sur cette question ?

Mme Laurence Cohen. - Tous les départements ne sont pas pourvus d'unités de soins palliatifs. Aux difficultés que vous avez évoquées s'ajoute donc une immense inégalité territoriale. La France se situe au 10e rang mondial en termes de soins palliatifs, au 5e rang pour la qualité des soins et au 22rang en termes d'accès aux soins. C'est donc peu de dire que nous avons des efforts à faire, notamment quant aux moyens.

Le manque de professionnels doit nous interroger, car au-delà de la suppression du numerus clausus, il faut donner aux facultés les moyens de former les professionnels et cesser de fermer les établissements, car c'est autant de possibilités de stages en moins.

Que pensez-vous des inégalités entre départements ? Quel budget l'État devrait-il selon vous dégager pour la création d'unités de soins palliatifs dans chaque département ?

Pr Fabrice Michel. - Les soins palliatifs pédiatriques soulèvent de grandes difficultés, pour plusieurs raisons. Le monde de la pédiatrie est assez différent de la médecine pour adultes : la prise en charge des familles est, de fait, un impératif et la relation avec les parents est toujours assez étroite.

On ne peut pas imaginer de structures extra-hospitalières dédiées : assez peu d'enfants sont concernés, et heureusement. Des unités de soins palliatifs pédiatriques disposant de lits commencent à voir le jour ici et là, mais elles sont en général assez éloignées du domicile des familles. En conséquence, nous travaillons à la prise en charge de ces enfants à domicile.

Pour ce qui concerne le plan de développement des soins palliatifs, les médecins spécialistes de la question seront bien mieux placés que nous pour vous répondre. Ce qui est certain, c'est que l'on observe de fortes inégalités. En tant que citoyen, j'ai été confronté à une situation insupportable de non-réponse, de mauvaise prise en charge et de défaillance du système, face à la volonté de décéder à domicile. De tels exemples confirment le sentiment de mal mourir en France.

Le manque de moyens est massif, alors même que la prise en charge d'une personne en fin de vie, a fortiori à domicile, demande beaucoup de temps et n'est pas du tout valorisée. Tout repose sur la bonne volonté des soignants, comme très souvent en France malheureusement, car on sait que les médecins n'abandonnent pas leurs patients.

Les médecins généralistes et les infirmières à domicile ne sont que rarement confrontés à ces situations : on est donc face à un problème de compétences et de formation. Dans certains cas, on constate que personne ne sait apposer une sonde gastrique à domicile : l'équipe soignante doit donc se tourner vers la famille. Il y a un travail monumental à accomplir à cet égard.

Mme Anne-Marie Colliot. - Il existe bien des lits identifiés de soins palliatifs pédiatriques, qui sont souvent au sein des services d'onco-hématologie. Le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (CNSPFV) vient d'ailleurs de lancer une enquête qualitative au sujet des lits de soins palliatifs en France. Nous participons activement à cette étude.

Les enfants peuvent aussi être accompagnés au sein des unités de soins palliatifs, quel que soit l'âge, surtout dès lors que des équipes mobiles pédiatriques peuvent jouer un rôle d'accompagnement. Dans notre région, trois antennes de l'équipe mobile pédiatrique de soins palliatifs accompagnent les enfants susceptibles d'arriver dans ces unités de soins palliatifs, si c'est le souhait des parents, pour des raisons de proximité.

L'accompagnement des enfants suppose la formation des soignants. L'intervention des équipes pédiatriques n'en est que plus importante, pour que ces deux mondes puissent travailler ensemble.

La nouvelle Fédération française des équipes de soins palliatifs, qui vient d'être créée, travaille également avec nous.

Au cours de ma carrière, j'ai vu la situation se transformer : aujourd'hui, les parents peuvent concevoir d'accompagner leur enfant à domicile, avec l'accompagnement des équipes ressources de soins palliatifs. C'était inenvisageable il y a trente-cinq ans. Surtout, le monde hospitalier avait très peur de laisser dans la nature un enfant qui allait mourir.

Dr Claire Fourcade. - Je sais que vous allez auditionner la toute nouvelle société française de soins palliatifs pédiatriques ; nous travaillons en lien étroit avec ses responsables - nous avons répondu ensemble aux questionnaires, du moins sur les points qui nous concernent collectivement - et ils seront en mesure de vous répondre très précisément sur ces sujets.

Au total, vingt-six départements n'ont pas d'unité de soins palliatifs : c'est considérable. À l'inverse, certains départements, comme le Nord et le Pas-de-Calais, sont historiquement très bien dotés. On a aussi besoin d'un accompagnement de proximité.

Pour ce qui concerne le recrutement médical, nous avons un vaste travail collectif à accomplir : souvent, les médecins viennent aux soins palliatifs en seconde partie de carrière, à un moment où ils ressentent peut-être le besoin d'être davantage dans l'accompagnement, dans la relation avec le patient, et moins dans la technique. Il faut faciliter ces parcours. En outre, pour les quelques personnes intéressées dès le stade des études, le fonctionnement actuel de la médecine palliative ne donne aucune perspective de carrière : faute de postes hospitalo-universitaires, elles resteront toujours sous l'autorité d'un professeur d'une autre spécialité.

Mme Cathy Apourceau-Poly. - Exactement !

Dr Claire Fourcade. - Ce sont des jeux de pouvoir au sein des CHU. Or il s'agit d'un véritable enjeu pour que les soins palliatifs deviennent une véritable discipline structurée.

Mme Anne-Marie Colliot. - Au sujet des disparités territoriales, je précise que quatre ARS - Île-de-France, Nouvelle Aquitaine, Bretagne et Centre-Val de Loire - ont créé une cellule régionale des soins palliatifs. Ces structures, qui comprennent deux personnes, permettent à l'ARS d'avoir un regard neutre de l'organisation retenue dans leur territoire. Elles lui permettent de savoir précisément qui fait quoi, à quel niveau. Il s'agit apparemment d'un très bon outil. Les régions Occitanie, Rhône-Alpes-Auvergne et Grand Est demandent d'ores et déjà la création de telles cellules.

Dr Claire Fourcade. - Nous espérons que le prochain plan permettra la généralisation de ces cellules régionales.

Pr René Robert. - Premièrement, pour ce qui concerne les disparités territoriales, le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (CNSPFV) a édité la nouvelle version de son atlas. C'est un document de base pour réagir. On ne peut plus se voiler la face : l'hétérogénéité existe et il faut susciter les vocations afin de combler les manques.

Deuxièmement, pour ce qui concerne la pédiatrie, j'assume aussi des responsabilités dans l'établissement où je travaille et je le confirme : la prise en charge pédiatrique palliative spécifique existe et les parents sont désormais associés. C'est un enjeu extrêmement important dans tous nos centres hospitaliers.

Dr Claire Fourcade. - C'est important de pouvoir déconnecter le sujet des soins palliatifs de la question de l'euthanasie. Ce choix philosophique personnel exige un débat. En revanche, on ne peut pas proposer l'euthanasie faute de moyens : c'est inacceptable.

Mme Laurence Cohen. - Tout à fait !

Mme Catherine Deroche, présidente. - Très belle conclusion !

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Demande de saisine pour avis et désignation de rapporteurs

Mme Catherine Deroche, présidente. - Les groupes Union Centriste et Les Républicains ont demandé l'inscription à l'ordre du jour du mardi 25 mai de la proposition de loi n° 232 tendant à revoir les conditions d'application de l'article L. 122-1 du code pénal sur la responsabilité pénale des auteurs de crimes et délits, présentée par Nathalie Goulet et plusieurs de ses collègues et de la proposition de loi n° 486 relative aux causes de l'irresponsabilité pénale et aux conditions de l'expertise en matière pénale, présentée par Jean Sol et plusieurs de ses collègues. Ces deux textes seront examinés par la commission des lois le mercredi 19 mai.

Je vous propose que nous nous saisissions pour avis de ces deux textes, le second étant issu de travaux communs avec la commission des lois. Je vous propose également, à titre exceptionnel, de désigner Jean Sol comme rapporteur pour avis, car il a beaucoup travaillé sur ce sujet.

La commission désigne M. Jean Sol rapporteur pour avis de la proposition de loi n° 232 (2019-2020) tendant à revoir les conditions d'application de l'article L. 122-1 du code pénal sur la responsabilité pénale des auteurs de crimes et délits, présentée par Nathalie Goulet et plusieurs de ses collègues, et de la proposition de loi n° 486 (2020-2021) relative aux causes de l'irresponsabilité pénale et aux conditions de l'expertise en matière pénale, présentée par Jean Sol et plusieurs de ses collègues.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Le groupe RDPI a décidé de demander l'inscription de deux textes à l'ordre du jour de son espace réservé du 27 mai prochain. Ils seront examinés en commission le mercredi 19 mai.

La commission désigne M. Martin Lévrier rapporteur de la proposition de loi n° 459 (2020-2021), adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à sécuriser les droits à protection sociale des assistants maternels et des salariés des particuliers employeurs.

La commission désigne M. Xavier Iacovelli rapporteur de la proposition de loi n° 291 (2019-2020), adoptée par l'Assemblée nationale, visant à améliorer l'accès à certaines professions des personnes atteintes de maladies chroniques.

La commission désigne Mme Annie Le Houerou rapporteure de la proposition de loi n° 430 (2020-2021) relative à la protection sociale globale, présentée par M. Rachid Temal et plusieurs de ses collègues.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Je rappelle que les auditions des rapporteurs sont en principe ouvertes à l'ensemble des membres des commissaires intéressés, mais à eux seuls. En particulier, l'auteur du texte n'a pas vocation à participer aux auditions, s'il n'est pas membre de notre commission. Il me semble que l'information des groupes est largement assurée par la désignation, propre à notre commission, d'un rapporteur membre du groupe auteur.

La réunion est close à 12 h 20.

- Présidence de Mme Catherine Deroche, présidente -

La réunion est ouverte à 15 heures.

Gestion de la crise sanitaire - Audition du professeur Ran Balicer, président du comité national israélien d'experts sur le Covid-19

Mme Catherine Deroche. - Nous recevons cet après-midi le professeur Ran Balicer, président du comité national d'experts sur le covid-19, sur la gestion de la crise sanitaire en Israël.

Je vous fais part des excuses de M. Daniel Saada, ambassadeur, chargé d'affaires ad interim d'Israël en France, qui devait participer à cette audition mais qui est retenu par l'accueil d'un membre du Gouvernement.

Je remercie notre collègue Philippe Dallier, président du groupe d'amitié France-Israël, dont je suis également membre, d'avoir accepté cette organisation commune à la commission des affaires sociales et au groupe d'amitié.

Je salue les commissaires qui assistent à cette réunion à distance, au moyen d'une nouvelle application Kudo, qui permet la traduction simultanée des visioconférences et dont j'espère qu'elle nous donnera pleine satisfaction. J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.

Même si les caractéristiques de nos deux pays ne sont pas totalement comparables, la campagne vaccinale en Israël nous intéresse à plus d'un titre.

Le pays a sécurisé ses approvisionnements en vaccins dès la mi-décembre avec le laboratoire Pfizer puis a mené une campagne vaccinale à un rythme très soutenu, avec près de 60 % des personnes vaccinées, soit le plus haut niveau avec les Seychelles, si mes informations sont exactes. Le retour à une vie plus normale est désormais une réalité pour le pays.

La question de l'hésitation vaccinale est pourtant présente en Israël comme dans notre pays ; nous sommes intéressés par la façon dont vous y avez fait face. Nous aimerions que vous reveniez également sur l'évolution de la situation et la place des variants en Israël. Les résultats obtenus par votre pays font rêver en France comme ailleurs, avec non seulement une campagne de vaccination déterminée mais également des contraintes très dures pendant le début de la vaccination qui n'ont pu être levées qu'à partir du moment où un nombre suffisant de personnes étaient vaccinées.

Avant que vous n'abordiez ces questions, je laisse tout d'abord la parole à Philippe Dallier.

M. Philippe Dallier. - J'ai beaucoup de plaisir à participer à cette audition, conjointe avec la commission des affaires sociales. La situation en Israël nous fait envie. Tous les Français attendent un retour à une vie la plus normale possible dans des délais aussi courts que possible. Nous avons beaucoup de choses à apprendre de votre pays et espérons que votre expérience nous inspirera pour l'avenir, tout en formant le voeu que nous ne soyons plus jamais confrontés à ce type de épidémie - voeu, je le crains, sans doute trop optimiste.

Professeur Ran Balicer, président du comité national d'experts sur le covid-19. - C'est un privilège de m'exprimer devant vous et j'espère que nos enseignements vous seront utiles. Nous aurons également beaucoup à apprendre de votre expérience.

Un bref état des lieux d'abord de la situation sanitaire en Israël. Nous avons connu trois vagues principales d'infection, deux en 2020 et une en 2021. La dernière a atteint un pic en janvier avec jusqu'à 10 000 cas par jour, soit un niveau très élevé. Le variant britannique, B. 1.1.7, était à l'origine de cette vague très difficile à contrôler. Nous avons donc décidé d'un confinement très strict pendant plusieurs semaines, mais la diminution des cas s'est avérée lente.

Nous avons pu commencer notre campagne de vaccination le 20 décembre et le 7 février 40 % adultes étaient déjà vaccinés. En quelques semaines, ce taux a progressé à 50 % et il s'établit désormais à 60 %, 85 % pour les plus de 60 ans.

Le 7 février a été décidée une levée des restrictions. Le nombre de cas a alors décliné en dépit du variant britannique et de la levée progressive des restrictions. Nous sommes passés de 10 000 cas par jour à 60 ou 70 actuellement, pour une population d'environ 10 millions d'habitants. À l'heure actuelle, nous recensons entre zéro et un décès par jour et le nombre de cas sévères, que nous avons pu réduire d'un facteur 100 depuis le pic de janvier, s'établit à un chiffre. Les indicateurs continuent à décliner dans la plupart des endroits.

Nous avons pu retirer nos masques à l'extérieur mais leur port reste obligatoire à l'intérieur. Nous avons également institué une politique d'accès articulée autour du passeport vert. L'accès à l'intérieur des restaurants, aux salles de concert ou encore aux salles de compétition sportive est ainsi conditionné à la présentation soit d'un certificat de vaccination avec deux doses, soit d'une preuve démontrant qu'on a déjà été infecté par le SARS-CoV-2, soit d'un test de moins de 48 heures. La plupart des autres restrictions ont été levées et les écoles ont été ré-ouvertes et fonctionnent normalement.

Bien que nous n'ayons pas vacciné les enfants - qui représentent 30 % de la population -, leur taux de contamination continue à diminuer en suivant la courbe de celui des adultes, ce qui s'explique par le fait que ces derniers sont en très grande majorité vaccinés et peut-être par le fait qu'en intérieur, les enfants continuent à porter le masque. S'ajoute également à ces facteurs la politique du passeport vert : tout ceci nous a permis de maintenir des niveaux de contamination très bas.

Nous avons eu quelques douzaines de cas de chacun des variants sud-africain et indien, mais nous n'assistons pas encore à une diffusion importante de ces deux variants. 90 % des contaminations restent dues au variant britannique.

Nous avons mené une étude en conditions réelles en collaboration avec Pfizer : les tout derniers résultats publiés dans le New England Journal montrent une réduction de 95 % des cas sévères. Nous avons également montré que, pour certains sous-groupes comme les patients avec plusieurs comorbidités, l'efficacité était un petit peu moindre - 88 % -. Pour les patients avec certaines maladies chroniques, l'efficacité s'élevait à plus de 80 % pour les maladies rénales et cardiaques chroniques.

Mme Catherine Deroche. - Pour quels types de public la campagne de vaccination se poursuit-elle ?

Professeur Ran Balicer. - Nous vaccinons tout le monde à partir de l'âge de 16 ans. Les personnes âgées de plus de 60 ans sont désormais vaccinées à plus de 90 % et, pour les groupes plus jeunes, nous nous situons entre 75 % et 80 % de personnes vaccinées. Nous ne vaccinons pas encore les jeunes âgés entre 12 et 16 ans : nous attendons plus de données scientifiques et l'autorisation des autorités, mais je pense que leur vaccination devrait débuter dans les semaines à venir.

Le rythme des vaccinations est désormais lent car nous avons atteint un plateau. Nous estimons à 900 000 le nombre de personnes éligibles qui n'ont pas encore été vaccinées.

Mme Catherine Deroche. - Vaccinez-vous les personnes qui ont déjà contracté la covid-19 ?

Professeur Ran Balicer. - Oui, nous recommandons une seule dose de vaccin pour les personnes qui ont déjà eu la maladie.

Mme Laurence Cohen. - Il me semble qu'Israël est le premier pays où une licence obligatoire a été accordée pour les vaccins contre la covid-19. Pensez-vous que le recours à la licence d'office et à la levée des brevets a contribué à faire d'Israël le premier pays au monde en termes de vaccination de sa population ?

Les citoyennes et citoyens arabes représentent à peu près 20 % de la population. Ils ont eu accès aux vaccins en même temps que les autres. Mais pourquoi avoir attendu le mois de mars pour que la campagne de vaccination concerne les 800 000 travailleurs palestiniens légalement employés en Israël et qui sont 35 000 dans les colonies ?

Il semblerait que l'épidémie soit hors de contrôle en Cisjordanie : Israël a-t-il l'intention de livrer davantage de doses à l'Autorité palestinienne dans les prochaines semaines ? Je sais bien que je m'adresse à un professeur et que l'ambassadeur d'Israël n'est pas présent, mais je pense qu'en tant que professionnel de santé, vous êtes sensibilisé au fait qu'en l'absence d'une couverture vaccinale de l'ensemble de la population, nous pouvons craindre que le virus continue à se répandre.

M. Bernard Bonne. - Comment contrôlez-vous l'immunité des personnes vaccinées et celle des personnes ayant déjà contracté la maladie, si l'immunité est durable ?

Avez-vous des données sur les personnes contractant la maladie après vaccination ? On constate en France des contaminations chez des personnes vaccinées par l'un ou l'autre des vaccins.

Mme Chantal Deseyne. - Je voulais vous interroger sur la défiance vaccinale. Vous avez un bilan inégalé en matière de vaccination, celui-ci nous fait rêver. Il y a cependant certaines réserves. Quelles politiques menez-vous afin de convaincre et promouvoir la vaccination. Nous avons encore en France un taux d'« antivax » élevé : comment faites-vous baisser les réticences ? Votre expérience pourrait être enrichissante.

Professeur Ran Balicer. - Deux questions se regroupent sur la manière de surmonter les réticences convaincre les gens de se faire vacciner et sur la population arabe.

Nous avons constaté au début de la campagne deux communautés où le recours à la vaccination était moindre : les ultra-orthodoxes et les Israéliens arabes. Nous avons vu très vite qu'il fallait nous concentrer sur ces deux groupes et nos efforts ont permis d'arriver à un niveau comparable à celui de la population générale. Cette réussite mérite que l'on en discute : comment faire cela ? Nous avons des sites de vaccination dédiés dans les lieux ou municipalités où le taux de recours était moindre. L'idée était de faciliter l'accès à la vaccination, faciliter la prise de rendez-vous et même de venir sans rendez-vous. Par rapport à d'autres populations hésitantes, nous avons essayé, dans la campagne nationale d'expliquer et de convaincre sur la sécurité de ce vaccin. Premièrement, faisant en sorte que des personnalités publiques se fassent vacciner en direct à la télévision, j'y ai moi-même participé. Ensuite, en ayant aussi toute une série de données scientifiques, internationales ou issues de nos propres sets de données bâtis en Israël sur notre propre population et réalisés par des scientifiques impartiaux. Le public a eu confiance en nous et a été intéressé. Quand nous avons pu prouver que le vaccin était efficace, avec ces données relues par des pairs, cela a eu un impact. Nous avons été extrêmement transparents sur ce que nous savions et sur ce que nous ne savions pas. Par exemple, sur les effets à long terme : nous ne savons mais nous avons toute confiance et nous connaissons le profil d'innocuité et de sécurité du vaccin à court terme. Il ne s'agissait pas seulement de confiance mais de dire les choses telles qu'elles sont. En outre, et c'est très important pour les ultra-orthodoxes et les communautés arabes : nous avons travaillé avec les chefs de ces communautés. Nous sommes allés dans ces communautés et nous sommes assis avec les rabbins, avec les maires... Nous avons eu des discussions ouvertes avec des rabbins et médecins ultra-orthodoxes, ces échanges ont été diffusés : ils ont été convaincus et une règle rabbinique éditée poussant la communauté à se faire vacciner. Aujourd'hui, l'adhésion est telle que le taux de vaccination est semblable au reste de la population.

Sur la question des personnes vaccinées et malades, nous suivons cela de très près. Nous essayons de voir s'il y a une augmentation de ce type de cas : nous ne le constatons pas pour le moment. Nous continuons à voir une diminution du nombre de cas : nous menons 30 000 tests par jour avec un taux de positivité de 0,2 %. Quand nous parlons de cas sévères, nous les trouvons chez les 900 000 personnes non vaccinées, non sur les plus 8 millions vaccinées. Avec le temps, nous savons que nous allons certainement avoir des cas de personnes vaccinées qui vont avoir la maladie, il faudra envisager un rappel ; pour le moment, ce n'est pas le cas. Le vaccin est extrêmement efficace mais l'efficacité du vaccin est de 95 %, pas de 100 % : nous nous attendons donc à ce type de cas. Cependant, nous voyons 25 fois moins de cas de maladie que si nous n'avions pas vacciné. Nous avons des données préliminaires laissant penser que sur certains variants comme le variant sud-africain, plus de cas sont relevés, mais nous ne constatons pas, notamment sur les cas sévères. Cela semble extrêmement localisé et ne produise pas de résurgence de la maladie.

Mme Michelle Meunier. - Vous avez partiellement répondu à mes questions. Concernant les personnes âgées et vulnérables, je m'interrogeais sur la stratégie retenue, mais l'exemple que vous avez développé sur les communautés arabes et orthodoxes m'indique que vous avez travaillé sur la persuasion par les pairs ainsi que sur le réseau médical et les relations familiales.

Concernant le profil des personnes non vaccinées, avez-vous identifié des éléments déterminants permettant de dresser un profil ?

Mme Catherine Procaccia. - Je poursuivrai la question de Bernard Bonne : par rapport aux anticorps, on parle de plus en plus de la nécessité d'une troisième dose. Avez-vous réfléchi à ce sujet et prévoyez-vous des tests d'anticorps après huit à douze mois après l'injection afin d'estimer la nécessité d'une troisième dose ?

Concernant la contamination des enfants, les taux constatés démontrent-ils selon vous que ce sont les adultes qui contaminent les enfants et non le contraire ?

Mme Corinne Imbert. - Dans la suite de la question de Catherine Procaccia et dans l'hypothèse de l'évolution de la covid comme une maladie « saisonnière », des commandes sont-elles déjà passées pour les années à venir, notamment du vaccin Pfizer ?

Ma deuxième question concerne les professionnels de santé. Quelle a été l'approche des autorités israéliennes vis-à-vis de la vaccination des professionnels de santé ? Un débat a-t-il eu lieu sur l'opportunité de rendre cette vaccination obligatoire pour ces derniers voire pour d'autres professionnels ?

Enfin, concernant le passeport vert que vous avez évoqué, ce passeport a-t-il été globalement bien accepté par la population et a-t-il évolué depuis sa mise en place ?

Professeur Ran Balicer. - Concernant la vaccination des personnes âgées et vulnérables, l'une des clés, je crois, est que nous avons eu une vaccination par les organismes fournisseurs de soins, les organismes d'assurance maladie. Il se trouve que ces personnes sont souvent rattachées à ces organismes qui fournissent des soins du berceau à la tombe. Ces organismes connaissent les personnes, ont leur coordonnées : nous avons appelé ces personnes de plus de 75 ans non vaccinées, nous les avons invitées à se faire vacciner et avons même pris les rendez-vous pour eux. Dans les maisons de retraite, des équipes ont été vacciner les personnes sur place. Par ailleurs, l'efficacité semble selon nos études identique chez les âgés et chez les plus jeunes : la vaccination des âgés semble donc encore plus importante, les anciens faisant davantage de formes sévères.

Concernant le profil des 900 000 personnes non-vaccinées, il s'agit surtout de jeunes. Les ultra-orthodoxes et arabes sont en très légère sur-représentation mais pas dans une grande mesure. Nous touchons du doigt, je crois, un noyau de personnes réticentes à la vaccination ou qui préfèrent procrastiner. Encore une fois, parmi les personnes vulnérables, la grande majorité des personnes a été vaccinée et nous n'avons pas d'effort particulier à produire. Nous sommes très heureux de la couverture vaccinale que nous avons.

Sur le sujet des rappels de vaccin, je pense qu'ils seront nécessaires, mais je ne sais pas quand. Cependant, nous savons que six mois après, cela n'est pas encore nécessaire, l'efficacité étant encore extrêmement haute. Nous allons continuer notre surveillance et d'autres données scientifiques nous feront peut-être changer d'avis.

Nous allons étendre les passeports verts, initialement prévus pour six mois et prolongés désormais à un an. Il faudra peut-être faire un rappel à un an. Si nous ne voyons pas de cas réapparaître, nous pourrons prolonger encore. Nous avons cependant déjà assez de doses payées pour ces rappels éventuels. Nous ne croyons pas aux tests d'anticorps pour décider des rappels ; ils ne semblent pas être un bon indicateur de vulnérabilité. Nous n'avons pas encore d'assez bons tests pour l'immunité : il ne s'agit pas seulement d'anticorps mais aussi d'immunité cellulaire ou tissulaire.

Sur la saisonnalité, il est encore trop tôt pour se prononcer. Nous nous préparons aux différentes options mais aucune politique n'est décidée à ce stade, ce serait prématuré.

Pour ce qui est des professionnels de santé, nous avons pris la décision en mars d'annoncer que les professionnels de santé non vaccinés ne pourraient travailler dans certains services, auprès de personnes vulnérables. Ce n'est pas très différent de ce que nous avons fait par le passé concernant les personnes non vaccinées ou n'ayant pas développé d'anticorps contre l'hépatite B qui ne pouvaient être opérées ou transfusées pour ne pas mettre en danger d'autres patients.

Chez les enfants, nous constatons une baisse de l'infection au même rythme que chez les adultes en dépit du fait que les enfants de moins de 16 ans n'ont pas été vaccinés. Une partie de l'explication serait le port du masque à l'école et le passeport vert en dehors. Cependant, je ne pense pas que cela explique un tel niveau de protection. Un autre élément tiendrait à ce qu'une bonne partie des contaminations des enfants se faisait sans doute dans le foyer familial ; la baisse chez les enfants serait donc liée à la baisse globale chez les adultes. Cela n'explique cependant pas la baisse éventuelle des contaminations entre enfants si l'un des enfants contaminés était à l'école avec d'autres. Une autre explication serait que les enfants seraient porteurs d'une charge virale moins forte et seraient moins contaminants pour d'autres enfants. Il nous faut recueillir davantage de données sur la contagiosité des enfants vis-à-vis des autres. Cependant, une bonne partie des 30 000 tests quotidiens est faite chez les enfants, je ne pense pas que nous passions à côté d'un nombre élevé de cas.

Mme Catherine Deroche. - Je me permets de revenir sur la question de Laurence Cohen sur la licence d'office et les brevets : avez-vous effectivement mis en oeuvre ce mécanisme ?

Professeur Ran Balicer. - Je ne comprends pas de quel brevet on parle. Ce vaccin ne vient pas d'Israël donc nous n'avons pas de brevet. J'ai sans doute mal compris la question.

Mme Catherine Deroche, présidente. - C'est un mécanisme qui permet de lever la propriété intellectuelle du propriétaire du vaccin. Vous n'avez travaillé qu'avec Pfizer dans le cadre d'un contrat « classique », donc vous n'avez pas eu de recours particulier à une licence d'office ? La commercialisation a été un accord d'emblée entre le laboratoire et le Gouvernement ? 

Professeur Ran Balicer. - Je ne crois pas qu'il y ait de question de propriété intellectuelle car nous ne fabriquons rien. Rien n'a été produit localement, donc il n'y a eu aucun transfert de connaissance ou de technologie. Je ne crois pas pouvoir vous en dire davantage. Si vous voulez voir le contrat entre Israël et Pfizer, il est sur le site du ministère de la Santé israélien. Ils ont pris la décision de rendre public ce contrat afin que chacun soit libre d'en prendre connaissance.

M. René-Paul Savary. - Pour m'éviter d'avoir à aller sur le site, je voulais savoir exactement à quel prix vous avez négocié ce vaccin avec Pfizer, si vous le savez. Vous n'avez pas parlé des applications numériques ; je voudrais savoir lesquelles vous avez pu utiliser pour lutter contre la Covid et suivre la vaccination.

M. Philippe Dallier. - Monsieur le professeur, au début de la pandémie en 2020, une grande partie des scientifiques nous parlaient d'immunité collective en nous expliquant qu'à partir du moment où 70 % de la population d'un pays aurait été infectée ou vaccinée- on ne parlait pas encore de vaccin, le problème disparaîtrait naturellement. D'ailleurs, certains pays, comme la Suède ou le Royaume-Uni envisageaient de laisser filer l'épidémie pour atteindre cette immunité collective. En Israël, vous être bien au-delà des 70% de personnes vaccinées et j'ai l'impression que plus personne ne parle d'immunité collective. Pouvez-vous m'éclairer sur le sujet ? Est-ce que ce sont les variants qui empêchent d'atteindre l'immunité collective ?

Mme Catherine Deroche, présidente. - Pour les 900 000 personnes non vaccinées, le passeport est-il un encouragement à la vaccination ?

Professeur Ran Balicer. - Concernant le prix, je n'ai pas participé aux négociations et je ne peux pas faire de commentaire.

Les applications numériques ont été utilisées massivement dans notre campagne de vaccination, qui a été menée par les six organismes d'assurance maladie. Toute la prise de rendez-vous s'est faite par le biais de l'application mobile. Quand un patient venait dans un centre de vaccination, son dossier médical numérisé était disponible, ce qui a facilité les choses. Une fois la personne vaccinée, la prise de rendez-vous pour la deuxième dose était faite automatiquement de manière numérisée. Des SMS étaient envoyés pour rappeler l'heure.

Au sujet de l'immunité collective, on parlait auparavant d'immunité collective naturelle, mais la plupart des pays ont abandonné ce type d'approche car laisser les personnes être infectées n'est pas une politique viable. Je ne crois pas non plus que l'immunité collective régie par la vaccination soit pertinente. L'immunité collective signifie que si vous abandonnez toutes les protections, la maladie ne se diffuserait pas car il y a tellement de personnes vaccinées que la plupart sont protégées. Je ne crois pas que nous en soyons encore là. Cela dit, il y a beaucoup de protections indirectes et c'est pourquoi il est sans doute très difficile de voir des cas ressurgir, ce n'est pas impossible en particulier si nous enlevions nos masques à l'intérieur ou si nous abandonnions le passeport vert. Pour ce qui est des variants, face auxquels le vaccin serait efficace à 76 % au lieu de 96 %, de nouveaux cas pourraient apparaître et il nous faudrait revenir à des restrictions. On ne peut donc pas se dire que l'on a gagné, il faut rester vigilants, attentifs et humbles. Cette maladie nous apprend tous les jours. Aucun pays n'a gagné cette bataille.

Les passeports verts n'ont pas été mis en place pour encourager la vaccination mais pour permettre aux personnes à haut risque d'aller au restaurant ou dans des lieux clos sans risquer d'être infectées. Grâce à cette politique, nous avons pu rouvrir les salles de concerts ou les restaurants pour les personnes qui ont été vaccinées tôt. Nous savons qu'elles ne sont pas protégées à 100 %, mais nous avons pu rouvrir ces salles en continuant notre surveillance. Cela a sans doute incité des personnes à se faire vacciner, mais ça n'était pas la logique sous-jacente au départ. Rappelons-nous que si une personne veut aller au restaurant mais n'a pas été vaccinée, elle peut y aller et s'installer à l'extérieur. L'idée était de faire en sorte que les personnes âgées ou vulnérables ne soient pas à risque et de trouver un équilibre.

Nous avons ainsi pu rouvrir les restaurants et les salles de concerts pour les plus de 75 ans qui avaient été vaccinés. Ils ne sont certes pas parfaitement protégés, mais nous avons ainsi pu rouvrir les lieux publics et maintenir une surveillance. Sans doute cette politique a-t-elle encouragé des gens à se faire vacciner, mais ce n'était pas la logique sous-jacente au départ. Cette politique a très bien fonctionné, et elle fonctionne d'autant mieux à présent qu'une forte proportion de la population est vaccinée. À preuve, même les personnes non vaccinées peuvent à présent se rendre au restaurant, en extérieur ! L'idée était de limiter les risques des personnes âgées et vulnérables en ménageant un équilibre que, je crois, nous avons trouvé.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Le confinement a été très strict au début de la campagne de vaccination. À partir de quel niveau de couverture par la deuxième dose de vaccin avez-vous levé ce confinement ?

Où en êtes-vous dans la réouverture des frontières, au transport aérien notamment ?

Professeur Ran Balicer. - Nous avons imposé le confinement deux semaines après le début de la campagne de vaccination, lorsque nous avons vu que l'augmentation du nombre de cas se poursuivait. Nous savions alors qu'il nous faudrait de nombreuses semaines pour protéger un nombre significatif de personnes. Nous avons levé les restrictions lorsque 60 % de la population - mais beaucoup plus parmi les gens âgés et vulnérables - a été vacciné. Les réouvertures ont été graduelles : toutes les deux semaines, nous vérifiions que tout allait dans le bon sens avant de passer à l'étape suivante. Nous n'avons ainsi pas rouvert les écoles immédiatement. Nous avons rouvert certaines classes d'abord, d'autres ensuite ; de même, pour les restaurants.

Il n'y a pas de restriction à la sortie du territoire israélien. Pour y revenir, il faut un test avant d'entrer dans l'avion et à son atterrissage, et se soumettre aux règles de quarantaine, sauf pour les personnes vaccinées et provenant d'un pays non touchés par certains variants.

L'ouverture au tourisme fait l'objet d'un important débat dans le pays en ce moment. Nous élaborons une politique progressive.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Combien de temps la quarantaine dure-t-elle ?

Professeur Ran Balicer. - Dix jours.

M. Philippe Dallier. - Le respect de la quarantaine est-elle contrôlée sévèrement ? Ce n'est pas le cas partout... En France par exemple, l'isolement n'est pas surveillé.

Professeur Ran Balicer. - La sévérité du contrôle des quarantaines est l'une des critiques les plus souvent adressées au Gouvernement. La police a été mise à contribution, mais cela n'a pas été jugé efficace. Nous réfléchissons à des bracelets électroniques, mais l'expérimentation envisagée n'a pas encore débuté.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Pouvez-vous enfin nous indiquer le nombre de décès, le nombre de personnes en réanimation, et nous dire si les services de réanimation ont connu des épisodes de surcharge ?

Professeur Ran Balicer. - Nous avons enregistré 6 332 décès depuis le début de la pandémie, soit un mort par jour en moyenne dans les semaines qui viennent de s'écouler, bien davantage avant cela, mais plutôt entre 0 et 1 désormais. Au pic de la pandémie, en janvier, les services de soins intensifs et de réanimation se sont trouvés très proches de la saturation à cause du variant britannique B.1.1.7, mais nous avons réussi à faire avancer la campagne de vaccination suffisamment pour éviter la saturation.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Merci beaucoup, professeur, pour cet échange très instructif. Nous suivons bien sûr ce qui se passe en Israël, et serons peut-être amenés à vous solliciter de nouveau.

La réunion est close à 16 heures.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat