Mercredi 1er décembre 2021

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -

La réunion est ouverte à 11 h 5.

Rapport interinspections sur la gestion des risques liés à la présence d'ammonitrates dans les ports maritimes et fluviaux - Audition des auteurs

M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, je voudrais avoir une pensée toute particulière pour notre collègue Charles Revet, décédé hier. Il siégeait à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et avait démissionné pour que Pascal Martin puisse entrer au Sénat avant le renouvellement sénatorial.

Nous ouvrons aujourd'hui un cycle de travaux consacrés à la gestion des risques liés à la présence de produits à base de nitrate d'ammonium dans nos ports maritimes et fluviaux. La catastrophe survenue à Beyrouth le 4 août 2020 a cruellement rappelé les dangers liés au nitrate d'ammonium : à la suite d'un incendie, un entrepôt qui contenait 2 750 tonnes de cette matière a explosé, entraînant des dégâts humains et matériels considérables, avec 204 morts, plus de 6 500 blessés et 300 000 personnes déplacées.

La matière en cause dans cette explosion, stockée depuis plus de sept ans dans l'entrepôt après avoir été abandonnée par son propriétaire, était du nitrate d'ammonium « technique », un produit utilisé pour la fabrication d'explosifs : s'il a eu des conséquences désastreuses à Beyrouth, ce produit ne représente qu'une part infime du transport fluvial et maritime dans le monde. En revanche, d'autres produits à base de nitrate d'ammonium représentent des volumes de trafics plus substantiels et induisent donc des risques bien plus élevés pour nos populations, en particulier les ammonitrates, un engrais agricole très répandu dont notre pays est l'un des plus grands consommateurs en Europe.

Les produits à base de nitrate d'ammonium présentent en effet deux risques principaux : l'explosion, surtout s'agissant des produits à haut dosage, et la décomposition autoentretenue, en particulier lorsqu'ils sont stockés dans de mauvaises conditions.

Si la probabilité d'un accident est relativement faible, les dégâts potentiels en cas d'incident sont élevés, comme en témoigne l'explosion survenue dans l'usine AZF de Toulouse en 2001, qui avait fait 31 morts et plus de 2 000 blessés.

Ces éléments justifient une attention particulière de notre commission à la gestion des risques liés au nitrate d'ammonium, à la fois au titre de nos compétences en matière de transport fluvial et maritime et de prévention des risques industriels.

En septembre 2020, à la suite de la catastrophe de Beyrouth, le Gouvernement a chargé le Conseil général de l'économie, de l'industrie et des technologies (CGEIET) et le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) d'une mission commune sur la gestion des risques liés à la présence d'ammonitrates dans les ports français maritimes et fluviaux. Ce rapport, riche et précis, est paru en mai 2021 et nous avons l'honneur de recevoir aujourd'hui deux de ses quatre auteurs, MM. Jérôme Goellner et Michel Pascal, ingénieurs généraux des Mines.

L'objectif de l'audition de ce matin est de dresser un état des lieux de la prévention des risques liés au trafic et au stockage de nitrate d'ammonium dans nos ports fluviaux et maritimes. Il s'agit d'une première étape essentielle afin de lancer nos travaux, qui devraient s'achever en février et s'articuler en deux temps :

- d'une part, nous allons entendre les administrations centrales compétentes en matière de transport et de prévention des risques industriels et des acteurs économiques concernés par l'utilisation d'ammonitrates, afin d'identifier l'ensemble des enjeux liés à un renforcement de la réglementation sur le transport ou le stockage de nitrate d'ammonium dans notre pays et de déterminer des pistes de réforme ;

- d'autre part, je souhaite que notre commission se rende dans les ports qui concentrent les plus importants trafics d'ammonitrates dans notre pays, afin de confronter à la réalité du terrain la matière issue de nos auditions : une délégation devrait se rendre le 13 décembre prochain dans le port fluvial d'Elbeuf, situé en Seine-Maritime, au sujet duquel le rapport du CGEDD a relevé de nombreuses difficultés. Nous pourrions également nous rendre au mois de janvier dans des ports fluviaux du Grand Est, tels que ceux de Metz ou Strasbourg, identifiés par le rapport du CGEDD comme rassemblant le plus d'enjeux.

Sans plus attendre, je cède la parole à nos invités afin que vous nous exposiez les conclusions de vos travaux. Nous aimerions tout particulièrement que soient présentés les principaux problèmes liés au transit et au stockage d'ammonitrates dans nos ports, les lacunes en matière de réglementation et de contrôle que vous avez identifiées et, bien sûr, les pistes d'évolutions législatives, voire réglementaires qui vous semblent souhaitables.

M. Michel Pascal, ingénieur général des Mines. - Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, nous sommes très heureux de pouvoir vous présenter ce rapport.

Je suis membre du Conseil général de l'économie, de l'industrie et des technologies qui est chargé, avec le Conseil général de l'environnement et du développement durable, dont nous faisons partie, d'une mission commune sur le sujet à propos duquel nous sommes entendus aujourd'hui.

Je centrerai mon propos sur les ports maritimes et fluviaux. Notre mission a étudié d'une part les risques liés aux ammonitrates et, d'autre part, leurs différentes utilisations à travers le monde, notamment en France.

Nous avons également émis des propositions, au-delà des ports, en matière de réglementation du produit, notamment lorsqu'il est stocké dans des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), ce qui n'était pas l'objet de notre inspection, mais également dans les exploitations agricoles, une bonne partie des ammonitrates étant stockée dans des fermes.

Les ports se divisent en deux catégories : d'une part, les ports maritimes, comme Dunkerque ou Le Havre et, d'autre part, les ports fluviaux. Il existe une grande différence entre ces deux types de ports : un port maritime bénéficie d'un statut et comporte des règlements, contrairement aux ports fluviaux. Les choses sont totalement différentes en termes de réglementation et de compétences des personnes.

Dans les ports maritimes sur lesquels nous avons travaillé, la situation, sur le plan réglementaire, est très précise, notamment en matière de déchargement et de contrôle, des capitaineries étant chargées de la sécurité.

C'est ce qui nous fait dire dans notre rapport qu'un accident, même si celui-ci est toujours possible, y compris dans un port maritime bien géré, paraît peu plausible.

À Beyrouth, il y avait de mauvais produits provenant de pays producteurs qui n'approvisionnent plus depuis longtemps les fermes françaises, stockés dans des conditions totalement inacceptables. En France, un tel stockage aurait fait l'objet d'une classification ICPE et d'une batterie de contrôles.

Nous formulons malgré tout deux recommandations.

La première concerne les ports maritimes et l'organisation nationale des capitaineries qui sont parfois isolées. Elles travaillent beaucoup et mettent à jour des règlements locaux qui existent pour chaque port. Cela vaudrait la peine d'avoir un retour d'expérience en la matière, sous le pilotage du ministère de la transition écologique.

La deuxième concerne les informations sur les quantités d'ammonitrates. Nous avons cherché à savoir combien de tonnes d'ammonitrates transitent par les ports. La réponse n'est pas évidente, car les systèmes d'information ne sont pas tous cohérents.

Même si la situation dans le Grand Est et à Elbeuf - 50 000 tonnes par an - n'est pas du tout la même qu'à Toulouse - 3 000 tonnes, 31 morts et 2 000 blessés, ce dernier tonnage est largement suffisant pour exploser et entraîner de graves conséquences.

La situation des ports fluviaux est plus « artisanale » que dans les ports maritimes. Ils ne bénéficient pas d'un réel statut et recouvrent une très grande diversité.

On trouve sur le port d'Elbeuf un bâtiment de deux étages et d'environ 100 mètres carrés, un quai de 150 mètres de long et un hangar dans lequel sont stockées un certain nombre de choses, sans qu'il s'agisse forcément d'ammonitrates. Lorsque nous y sommes allés, en tout état de cause, il n'y en avait pas.

17 000 tonnes de produits transitent par ce port, ce que tout le monde ignorait. Le préfet ne le savait pas, alors que l'Accord européen relatif au transport international des marchandises dangereuses par voies de navigation intérieures (ADN) précise qu'une autorisation de l'autorité compétente est nécessaire pour décharger des marchandises en un lieu précis. Dans le cas d'espèce, il s'agit du préfet.

Les autres ports sont dans la même situation. Celle-ci ne nous est pas apparue catastrophique. La personne que nous avons rencontrée à Elbeuf connaissait son travail, mais aucun encadrement n'est prévu.

Nous formulons de ce fait trois recommandations importantes sur le sujet.

La première consiste à établir un règlement national qui vienne compléter l'ADN, préciser les règles déchargements et indiquer qui est compétent, comme dans les ports maritimes.

Notre deuxième recommandation consiste à organiser le contrôle et à indiquer qui l'exerce dans les ports.

Les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) s'en occupent lorsqu'il existe des ICPE. Voies navigables de France (VNF), qui est en charge de la maintenance de la voie d'eau, ne prend pas en charge cet aspect des choses, qui ne fait pas partie de ses missions de contrôle. En Belgique, la situation est totalement différente.

Notre troisième recommandation porte sur la question de savoir quels produits transitent par la voie d'eau. Dans d'autres pays, on sait que lorsqu'un bateau de matières dangereuses emprunte certains cours d'eau, il existe une obligation d'annonce. Celle-ci est prévue par les textes, mais ne semblait pas connue de ceux avec qui nous avons discuté, sauf sur le Rhin et le Rhône. Précisons que nous n'avons pas trouvé de transit d'ammonitrates sur le Rhône. Nous ne pouvons parler de ce que nous avons vu et de ce qu'on nous a dit.

M. Jérôme Goellner, ingénieur des Mines. - Je parlerai, quant à moi, de manière plus générale des ammonitrates et de la réglementation sur les produits et les stockages dans les endroits autres que les ports.

Il faut tout d'abord distinguer le nitrate d'ammonium des ammonitrates, fabriqués en grande majorité à partir de nitrate d'ammonium, et qui servent d'engrais.

Je parlerai essentiellement des engrais d'ammonitrates à usage agricole, le nitrate d'ammonium pur, comme celui qui a explosé à Beyrouth, n'étant plus fabriqué en France et pouvant être utilisé et transposé dans des quantités très limitées pour fabriquer des explosifs. Ceci fait l'objet d'une réglementation très poussée. Il s'agit d'un produit normalement inerte dans des conditions normales de fonctionnement, fabriqué pour cela. On ajoute au nitrate d'ammonium des inertants en quantité plus ou moins importante.

Il subsiste un risque d'explosion dans des conditions particulières, notamment si le produit est pris dans un incendie, comme à Beyrouth, ou s'il est contaminé par des produits incompatibles, notamment des combustibles.

C'est apparemment ce qui s'est passé chez AZF, où le produit a été contaminé.

Le risque est d'autant plus fort que la concentration de nitrate d'ammonium dans les engrais comportant des ammonitrates est forte.

On trouve plusieurs catégories d'engrais contenant des ammonitrates. Il est important de les distinguer, puisqu'on peut avoir dans l'engrais du nitrate d'ammonium pratiquement pur à 98 % ou des ammonitrates à 27 % d'azote, soit 80 % d'ammonitrates et 20 % d'inertants - soit dix fois plus. Le risque est plus fort avec la haute concentration. L'accidentologie internationale le démontre très bien.

Ces produits sont encadrés par plusieurs corpus réglementaires.

Une réglementation européenne définit tout d'abord la mise sur le marché. Pour pouvoir vendre des ammonitrates, il faut respecter un certain nombre de normes - pourcentages de contamination, tests de stabilité. Pour que ces produits puissent être mis sur le marché et vendus comme engrais, il faut respecter ces dispositions.

Il existe par ailleurs une réglementation internationale sur le transport fluvial, maritime, routier ou ferroviaire. Cette réglementation définit les caractéristiques du produit en cas de transport et comporte des dispositions sur la formation des intervenants, l'équipement des matériels, etc.

Il existe par ailleurs une réglementation Seveso pour les plus gros stockages, qui s'applique notamment aux usines de fabrication, et une réglementation ICPE nationale pour les stockages plus petits, avec un certain nombre de seuils et de régimes.

Il est important de savoir que les ammonitrates sont des engrais azotés. Par rapport à leurs concurrents que sont l'urée et les solutions ammoniacales, c'est un meilleur engrais du point de vue environnemental et en termes de pollution de l'eau, sans que ce soit déterminant, mais surtout en matière de pollution de l'air, parce que cela émet beaucoup moins d'ammoniaque en cas d'épandage.

Les ammonitrates sont fabriqués en France dans quatre ou cinq usines, alors que leurs concurrents sont étrangers.

Il est vrai que la France utilise majoritairement des ammonitrates comme engrais azotés. Dans notre pays, il n'existe pas de réelle distinction réglementaire entre le stockage des ammonitrates à moyenne concentration et haute concentration. Le risque potentiel est donc assez fortement différent.

En matière de transports internationaux, les hautes concentrations sont considérées comme dangereuses alors que la moyenne concentration ne l'est pas, le risque étant considéré comme trop faible.

De la même manière, les stockages à haute concentration figurent dans la directive Seveso, mais non les moyennes concentrations.

En France, on s'est aligné sur le haut. Les moyens dosages sont réglementés comme les hauts dosages, mais cela n'incite pas à l'utilisation des moyens dosages. On a constaté que la plupart des utilisateurs ne faisaient pas la différence, pas plus que les ICPE. Les agriculteurs passent d'ailleurs de l'un à l'autre en fonction du prix, sans se poser beaucoup de questions en matière de sécurité.

Second constat par rapport aux textes internationaux et à ce qui se passe dans d'autres pays : le vrac en haute concentration est autorisé en France alors qu'il est interdit à l'échelle européenne.

Les normes européennes indiquent que les ammonitrates à haute teneur doivent impérativement être transportés et conditionnés en big bags, l'objectif étant d'éviter des contaminations accidentelles par d'autres produits. En France, on a le droit d'appliquer la norme française à la place de la norme européenne. À Elbeuf par exemple, le transport d'ammonitrates haute concentration se fait en vrac.

Autre constat étonnant : la réglementation française sur le transport maritime interdit le vrac à haute concentration, mais Elbeuf n'étant pas un port maritime, cette obligation ne s'applique pas et l'importateur lituanien fait donc dix kilomètres de plus sur la Seine pour décharger ce produit. C'est subtil, mais nous sommes assez satisfaits d'avoir découvert cette anomalie que tout le monde ignorait.

Je répète qu'il n'y a pas de risques : la société qui s'occupe du déchargement à Elbeuf est une société sérieuse, mais rien n'est contrôlé ni encadré.

Le seuil à partir duquel on entre dans la réglementation est objectivement relativement élevé, puisqu'il est de 250 tonnes. Un stockage à haute concentration de moins de 250 tonnes n'est donc pas réglementé au titre des ICPE. C'est le cas de la grande majorité des stockages à la ferme. La réglementation et le contrôle des usines étant très sévères, les stocks se retrouvent dans les exploitations agricoles pour lesquelles il n'existe aucune réglementation.

Bien que ce ne soit pas le but de notre mission, il convient de sensibiliser le monde agricole aux bonnes pratiques de stockage et éviter d'entreposer les ammonitrates entre les pneus et la cuve de fioul.

Je suis par ailleurs responsable d'un bureau enquêtes accidents (BEA) sur les risques industriels. On a lancé deux enquêtes sur des incendies dans des fermes où des ammonitrates étaient présents : beaucoup d'agriculteurs ne sont pas sensibilisés à cette question. Ils reçoivent des données de sécurité de 80 pages totalement illisibles où l'on dit qu'il faut se laver les mains après avoir manipulé le produit et éviter le stockage à côté de produits combustibles, mais il n'y a pas de réelle sensibilisation sur ce sujet.

Nous proposons donc d'interdire le vrac à haute concentration, ce qui ne nécessite pas de dispositions législatives. Il suffit que le règlement européen soit rendu obligatoire. Bizarrement, il est en effet facultatif en France et n'est pas systématiquement appliqué.

Cela ne dérangerait pas grand monde, sauf les importateurs de produits en vrac. Certains fabricants, qui produisent des ammonitrates en France, s'interdisent la vente en vrac, la considérant comme trop dangereuse. En pratique, les agriculteurs sont de moins en moins nombreux à prendre leur tracteur pour aller faire le plein de produits en vrac à la coopérative agricole.

En deuxième lieu, nous proposons de favoriser le moyen dosage en fixant des seuils de règlement différents pour le haut et le moyen dosage. Je ne dis pas qu'il faut déréglementer complètement le moyen dosage - encore qu'on pourrait l'imaginer -, mais il faudrait surtout avoir des seuils différenciés pour qu'une coopérative agricole ou un agriculteur qui utilise uniquement le moyen dosage ait un avantage réglementaire et ne soit pas tenue de respecter toute une réglementation complexe.

Il ne faut pas tout jeter pour autant. Je le répète : les ammonitrates sont de bons produits lorsqu'on a besoin d'engrais azotés. Certains prétendent qu'il n'y a qu'à se passer totalement d'engrais chimiques, mais c'est plus compliqué.

Ce produit, par rapport à ses concurrents chimiques, est bien meilleur du point de vue environnemental. Il ne faut donc pas qu'une pression trop forte se traduise par le passage systématique à la concurrence, ce qui poserait des problèmes environnementaux et industriels sévères, puisque ces produits ne sont pas fabriqués en France. Pousser le moyen dosage nous paraît donc être la bonne solution.

J'aurais dû le préciser dès le départ : le haut dosage est interdit dans de nombreux pays européens comme l'Allemagne, la Belgique, le Royaume-Uni ou autres, ainsi qu'en Turquie ou en Chine, soit pour des raisons liées au risque d'accident, soit pour des raisons de terrorisme s'agissant d'un produit qui peut être précurseur d'explosif.

Notre troisième proposition consiste à lancer une campagne de réelle sensibilisation du monde agricole. Il est impossible, selon nous, de réglementer tous les stockages à la ferme. On sait par ailleurs la pression qui s'exerce déjà sur le monde agricole. Une forte sensibilisation au travers des chambres d'agriculture et des vendeurs de ces produits, qui ne sont pas directement responsables de ce qui se passe dans le monde rural, suffirait à améliorer les choses, sachant qu'on n'enregistre que peu d'accidents, malgré une utilisation très générale de ce produit.

Il ne faut en effet pas penser que la situation est catastrophique : il n'y a pas eu d'accident grave en France, dans le monde agricole, depuis 2003. Ce sont des produits stables qui n'explosent pas tous les jours, mais cela n'empêche pas qu'il faille prendre des précautions compte tenu du risque potentiel que cela présente.

M. Jean-François Longeot, président. - La parole est à Pascal Martin, au titre de la prévention des risques.

M. Pascal Martin. - Vous avez évoqué Grand Est et Elbeuf. Je suis élu de Seine-Maritime et j'aimerais qu'on parle différemment de ce département après l'incendie de Lubrizol. Ces projections sur le terrain nous permettent de connaître la situation actuelle des ports fluviaux et d'apporter des solutions pouvant améliorer la présente situation.

Monsieur Pascal, vous avez parlé d'un fonctionnement artisanal de certains ports fluviaux, par rapport aux ports maritimes, et de l'absence de réglementation stricte, en particulier dans les ports ne comportant pas d'ICPE importante.

Vous citiez Elbeuf. Je rappelle à mes collègues qu'Elbeuf est à moins de vingt kilomètres de Lubrizol à vol d'oiseau. Je n'en dirai pas plus...

Comment sont effectués les contrôles sur les sites qui ne relèvent pas des ICPE ? De quelle façon pourrions-nous renforcer leur surveillance, tout en tenant compte de leur petite taille ?

Vous indiquez que, dans certains ports comportant des installations ICPE soumises à déclaration, les obligations de contrôle ne sont pas respectées. Comment expliquez-vous ces défaillances ? Proviennent-elles uniquement d'une insuffisance de moyens humains dédiés au contrôle des ICPE ou identifiez-vous d'autres facteurs ?

Votre rapport relève également que les autorités portuaires et les services de l'État méconnaissent la présence de stocks d'ammonitrates déposés à terre dans certains ports fluviaux, y compris celui de Strasbourg qui bénéficie pourtant d'une organisation relativement robuste par rapport à des ports de plus petite taille. Comment expliquez-vous l'incapacité de certaines autorités à détecter un dépôt inhabituel de matières dangereuses dans le port ? Comment pourrions-nous y remédier, de façon concrète et pragmatique ?

Vous soulignez la difficulté à se faire une idée précise des flux et des lieux de stockage des différents produits à base de nitrate d'ammonium à haut, moyen et faible dosage, et ceux présentant un risque de détérioration autoentretenue dans notre pays.

Vous proposez l'institution d'un suivi centralisé de ces flux pour les matières les plus dangereuses. De nombreux acteurs - élus locaux, services territoriaux de l'État, transporteurs fluviaux, SDIS, chargés d'intervenir dans les ports en cas d'incendie ou d'explosion - pourraient avoir intérêt à être informés de la présence de nitrate d'ammonium sur leur territoire d'intervention. La menace terroriste impose cependant la plus grande prudence dans la mise à disposition de ces données sensibles.

Afin de respecter les impératifs de la sûreté de l'État, à quels acteurs, selon vous, devrait se limiter la diffusion de ces informations ?

M. Philippe Tabarot. - Je suis heureux de pouvoir échanger avec vous sur ce sujet, car j'avais interrogé la ministre de la mer l'an dernier sur cette question à la suite de la catastrophe du Liban et obtenu une réponse pour le moins évasive.

Votre rapport identifie un certain nombre de lacunes s'agissant du déchargement et du stockage dans les ports des produits à base de nitrate d'ammonium. Avez-vous identifié des failles de sécurité au stade du transport de ces produits sur la voie fluviale ?

Quels sont les ports où, mis à part Elbeuf, en dépit de l'existence d'un trafic d'ammonitrates et d'opérations de chargement et de déchargement, les infrastructures ne permettent pas de prendre en charge ces produits dans de bonnes conditions ? Avez-vous connaissance de ports dans lesquels les personnels, notamment manutentionnaires, ne sont pas suffisamment formés sur cette question ?

Concernant la gestion des risques, vous soulignez l'écart entre les ports maritimes, dans lesquels le transit de matières dangereuses fait l'objet d'un encadrement clair et de contrôles adéquats, et les ports fluviaux, qui répondent à une réglementation bien plus lacunaire. Vous parliez de VNF et de son rôle le cas échéant.

Existe-t-il dans la réglementation applicable aux ports maritimes des mesures législatives dont la transposition aux ports fluviaux serait opportune ? Nous avons eu ici, s'agissant des ports fluviaux, un débat sur le nombre de collaborateurs de VNF qui se réduit chaque année.

S'agissant des ports maritimes, des évolutions législatives vous semblent-elles nécessaires pour améliorer la prise en charge des matières dangereuses, par exemple en matière de coordination entre les capitaineries et de gouvernance ?

Enfin, des moyens humains supplémentaires sont-ils requis en administration centrale pour essayer de mieux accompagner les ports dans la gestion de ces risques industriels ?

M. Olivier Jacquin. - Merci, messieurs, pour la qualité de votre travail, qui permet de bien appréhender la situation et de voir une faille possible entre ports maritimes et ports fluviaux.

Vous relevez que, dans les ports fluviaux, on se trouve face à une certaine dilution des responsabilités : statut juridique peu clair, produits non recensés, ICPE mal contrôlées.

Quelles sont vos préconisations précises en matière réglementaire ou législative ? Avez-vous soumis vos propositions à VNF ? Dans quelle mesure VNF, gestionnaire des infrastructures fluviales, pourrait-il jouer un rôle particulier dans ce dispositif ?

Je suis agriculteur dans le Grand Est. J'ai résolu le problème des ammonitrates en passant en agriculture bio. J'attire votre attention sur ce que nous faisons par rapport à la possible production de normes. Ceci est salutaire : il existe un risque, on fait un rapport et on le traduit immédiatement en ce sens.

Selon vous, les ammonitrates à haute concentration - je suppose qu'il s'agit des 33,5 % et plus - sont particulièrement dangereux, mais vous constatez aussi qu'il n'y a pas d'accidents dans les exploitations agricoles.

Je ne dis pas qu'il ne faut rien faire. Vous parlez de sensibilisation : c'est un minimum. Il ne faudrait toutefois pas aller trop loin et traduire des normes européennes à l'échelon national en y ajoutant une couche. Je suis favorable aux normes lorsqu'elles sont utiles et avérées.

J'aimerais que vous nous expliquiez pourquoi ces réglementations européennes n'ont pas été traduites en France. Peut-être est-ce là l'oeuvre d'un lobby et il faut peut-être revoir les choses, mais une explication cohérente doit exister. Je jouais sur les sacs d'ammonitrates lorsque j'étais gamin. Je sais comment ils sont stockés dans les fermes. Ce n'est pas dangereux. Dès lors qu'on dispose de stockages fermés et qu'on ne les mélange pas avec n'importe quoi, il y a très peu de risques.

M. Michel Pascal. - À 33,5 %, vous êtes à la limite.

M. Olivier Jacquin. - À partir de quand parle-t-on de haute concentration selon vous ?

M. Jérôme Goellner. - La haute concentration débute à 28 % d'azote, ce qui correspond à 80 % de nitrate d'ammonium. Le nitrate d'ammonium pur se situe à 35 %.

On trouve traditionnellement sur le marché des produits à haute concentration de 33,5 %. On importe même du 34,2 %, de façon conforme à la norme européenne alors que la moyenne concentration se situe à 27 %.

M. Michel Pascal. - Il est sûrement utile d'entendre le ministère de l'agriculture, qui est partie prenante de ces sujets.

Je ne sais toutefois s'il pourra vous éclairer. La France pourrait interdire le vrac. Nous n'avons pas identifié de raisons techniques particulières pour l'autoriser.

M. Olivier Jacquin. - Le prix, peut-être...

M. Michel Pascal. - Les autres pays aussi connaissent des problèmes de prix.

Les moyens humains nous semblent suffisants au sein de la direction générale de la prévention des risques (DGPR), mais il y a peu de monde à la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM).

Le problème de Strasbourg et d'Elbeuf n'est pas une question de moyens humains. Une visite une fois par an prend peu de temps. La DREAL pourrait s'en occuper. Or elle ne le fait pas. Elle ne connaissait même pas le site. Il en va de même pour Strasbourg.

Vous dites fort justement que le port de Strasbourg ressemble à un port maritime : on ne nous en a pas parlé.

M. Jérôme Goellner. - Il n'y a pas de capitainerie dans les ports fluviaux, pas même à Strasbourg. Le métier de ces fonctionnaires est d'assurer la sécurité du transport de matières dangereuses et celle des navires.

C'est un peu comme sur les autoroutes, où les sociétés autoroutières n'ont aucune idée de ce que transportent les camions. Il en va de même à propos de VNF pour les bateaux. VNF n'est pas en charge de contrôler la sécurité des bateaux de transport.

L'ADN prévoit l'agrément des bateaux, leur contrôle régulier, la formation des pilotes, la signalisation. Des contrôleurs des transports terrestres contrôlent le transport des matières dangereuses. Ils dépendent des DREAL. Leur priorité, c'est la route. Ils contrôlent beaucoup de camions, quelques lignes de chemin de fer et très peu de voies fluviales, les ports relevant des capitaineries. Il ne serait pas très compliqué de faire quelques contrôles dans les ports, et cela ne nécessiterait pas beaucoup de monde.

M. Michel Pascal. - À Strasbourg, il existe une bonne relation entre la DREAL et la gendarmerie fluviale.

M. Jérôme Goellner. - La gendarmerie fluviale n'a toutefois pas une expertise technique particulière. En tout état de cause, personne ne se préoccupe des lieux de déchargement.

À Strasbourg, un silo de céréales a subi un incendie. Les pompiers ont découvert au pied du silo des big bags d'ammonitrates qui avaient été déchargés, la coopérative agricole qui utilisait le silo se servant de temps à autre du quai pour décharger des ammonitrates. Ni le port de Strasbourg ni VNF ne contrôlent le quai.

M. Michel Pascal. - Les manutentionnaires sont-ils suffisamment formés ? Ils sont, en tous les cas, tous responsables. Probablement sont-ils insuffisamment formés. La société de manutention qu'on a rencontrée à Elbeuf doit être composée d'une équipe de quelques personnes. Ce n'est toutefois pas très encadré. C'est ce qui me fait dire que c'est artisanal. Ils connaissent bien leur travail, mais peuvent difficilement prouver qu'ils le font bien.

Nous avons beaucoup travaillé avec VNF, qui nous a suivis, nous a fourni des documents, nous a aidés à organiser des visites. Ils ont été très présents, notamment dans l'Est, mais ils n'ont pas réagi à nos recommandations, que je leur avais pourtant transmises. Je les ai relancés trois fois. J'ai trouvé dommage qu'on n'ait pu aller plus loin. Nous avons rencontré l'équivalent de VNF en Belgique, qui est soumis à des règlements. Visiblement, VNF n'a pas envie qu'on les oblige à respecter des normes.

Nous pensons cependant que VNF est extrêmement bien placé pour appliquer l'obligation d'annonce et contrôler les lieux de chargement et de déchargement. S'il y a quelqu'un qui connaît les voies d'eau, c'est bien VNF.

M. Jérôme Goellner. - En pratique, c'est au préfet de dire s'il est possible ou non de décharger des matières dangereuses à tel ou tel endroit, dans telles ou telles conditions, mais la logique voudrait que ce soit VNF qui appuie le préfet.

Il existait autrefois des services de l'État pour traiter de la navigation. VNF a été créé à la suite de leur disparition. Ces missions régaliennes ont échappé à VNF et sont de fait devenues orphelines.

Ce n'est sans doute pas à VNF d'exercer des contrôles et de dresser de procès-verbaux, mais il lui incombe d'appuyer le préfet pour définir une réglementation, qui pourrait ensuite être contrôlée par la gendarmerie fluviale ou les contrôleurs des transports terrestres des DREAL. Ce n'est pas une lourde charge compte tenu du trafic fluvial de la France en matière de transport de matières dangereuses.

M. Jean-François Longeot, président. - D'où la question sur la baisse des effectifs...

M. Michel Pascal. - Monsieur Jacquin, quand une ICPE existe, il y a une DREAL derrière, avec obligation de visites régulières, le risque zéro n'existant pas.

On trouve une deuxième catégorie d'installations classées, celles soumises à déclaration. En France, on en compte 500 000. Même si l'on met un fonctionnaire derrière chacune d'elles, cela ne suffira pas.

Il faut donc trouver d'autres moyens de les contrôler. Certaines installations doivent être contrôlées par des organismes tiers tous les trois ou cinq ans. Le problème vient du fait que ce n'est pas appliqué. Une installation sur dix seulement reçoit la visite d'un organisme tiers. Avant d'établir des normes, il est important d'appliquer celles qui existent. Ce n'est peut-être pas la priorité, mais le corpus réglementaire et législatif existe.

Pour ce qui est de VNF, il me semble nécessaire de passer par la loi pour leur fixer cette mission.

Pour ce qui est des ICPE, on a proposé d'augmenter la pression sur le contrôle des ammonitrates. Les DREAL n'exercent aucun contrôle sur les installations soumises à déclaration, sauf problème particulier. On a visité une installation soumise à déclaration en dessous d'une ligne à haute tension. La DREAL ne l'avait pas contrôlée. Elle aurait probablement fait une remarque.

Cela pose un léger problème. VNF aurait pu la voir...

M. Olivier Jacquin. - Vous n'avez pas répondu à ma question : pourquoi les réglementations européennes ne sont-elles pas appliquées en France ?

À partir de quel seuil vous semblerait-il nécessaire d'augmenter les contrôles des ports fluviaux ? Sur la Moselle, certains ports fluviaux sont de simples quais. Ailleurs, c'est un seul logisticien qui stocke des mono-produits. Les ports de Strasbourg ou de Metz, qui accueillent de multiples produits, sont à un autre niveau.

Mme Nadège Havet. - La France est le premier consommateur d'ammonitrates en Europe et le deuxième à l'échelle mondiale. Vous rappelez dans votre rapport les risques d'explosion liés au stockage, le manque de réglementations encadrant les quantités que les agriculteurs peuvent conserver sans mesure de sécurité ou déclaration obligatoire. Existe-t-il chez nos voisins européens des règles ou de bonnes pratiques dont nous pourrions nous inspirer pour le transport et le stockage ?

Plus globalement, la publication de votre rapport a-t-elle suscité des réactions particulières de la part des acteurs concernés ? Je pense au monde agricole et à l'administration de l'État.

Parmi les constats de votre rapport, lesquels, selon vous, appellent les actions les plus urgentes ?

Mme Marta de Cidrac. - Nous parlons beaucoup de sécurité ce matin. Pouvez-vous nous confirmer que la notion de risque est suffisamment prise en compte dans l'approche de nos ICPE ?

M. Ronan Dantec. - Je rappelle que les ammonitrates représentent 50 % des émissions de notre agriculture, soit 20 % des émissions de gaz à effet de serre de la France. C'est donc une bombe climatique.

La France ne tiendra pas ses objectifs de réduction d'émission de gaz à effet de serre sans une réduction massive de l'utilisation des ammonitrates. Ce n'est pas une analyse dogmatique : la réduction par deux des ammonitrates est écrite dans les traités internationaux que la France a signés.

Cette baisse inéluctable peut-elle amener à une refonte des chaînes logistiques et à davantage de sécurité ? C'est un élément qui était absent de votre présentation, alors que c'est aujourd'hui totalement incontournable.

Deuxièmement, vous êtes-vous intéressés à l'environnement du stockage ? Le risque est en effet, comme dans le cas de Lubrizol, en périphérie des unités dangereuses. C'est le cas aussi pour les ammonitrates.

J'ai souvenir qu'on a évacué une bonne partie de l'agglomération nantaise en 1987 à la suite de l'incendie d'un dépôt. Si mes souvenirs sont bons, on avait un stockage de nitrate d'aluminium à côté du stockage d'ammonitrates. Je crois que le nitrate d'aluminium, très inflammable, était parti en fumée, avec un risque d'explosion du silo d'ammonitrates situé à côté, qui n'a heureusement pas eu lieu.

À Beyrouth, il s'agissait d'ammonitrates à usage d'explosif et non d'engrais.

M. Bruno Belin. - Existe-t-il d'autres produits ou familles de produit qui pourraient amener les mêmes conséquences que celles qu'on a déjà connues dans le cadre de l'explosion survenue chez AZF et de l'incendie de Lubrizol ? Travaille-t-on sur cette question ?

Mme Angèle Préville. - J'appuie ce qu'a dit Ronan Dantec : il serait important que l'environnement des différents stockages soit décrit dans la réglementation afin que les utilisateurs de ces produits puissent s'y référer de manière très simple.

Ma question porte sur le fait de revoir et de clarifier les notions de quantité et de concentration. La réglementation du stockage ne se base que sur la quantité. Or, vous avez bien expliqué que la concentration est très importante : on peut avoir de petites quantités de produits très concentrés bien plus dangereuses qu'un stockage important à concentration plus faible. Il faut donc revoir et clarifier les choses pour que tous les acteurs puissent en avoir connaissance.

Vous avez par ailleurs évoqué le vrac. Ne pourrait-on l'interdire purement et simplement pour des raisons de sécurité par rapport aux attentats, les ammonitrates étant en effet des produits précurseurs d'explosifs ?

M. Didier Mandelli. - Nous souhaitons développer le fret ferroviaire et le fluvial. Des moyens conséquents sont mis en oeuvre en matière d'investissement. Dans le même temps, on relève une absence de contrôles sur les moyens.

Les douanes interviennent-elles sur ces réseaux comme elles le font sur les autoroutes s'agissant des produits illicites ? S'il n'existe aucun contrôle concernant des produits licites, on peut imaginer qu'un certain nombre d'autres produits peuvent également emprunter ces voies.

Ne convient-il donc pas de solliciter le ministère de l'intérieur à propos de ces questions ?

M. Gérard Lahellec. - Je commencerai mon intervention par vous recommander la lecture d'un roman qui a été publié en 2020, au moment même de la catastrophe de Beyrouth, intitulé Le dernier jour de l'Ocean Liberty. L'Ocean Liberty était un navire chargé de nitrate d'ammonium qui a explosé dans le port de Brest en 1947.

Les informations se rapportant aux dangers éventuels de ces produits sont donc très présentes dans la culture contemporaine. C'est un ami ingénieur qui a bien voulu s'essayer à ce roman. Je n'ai évidemment pu que l'encourager à écrire le deuxième tome.

Il arrive qu'on ait du mal à définir ce que sont les ports maritimes. Par exemple, il n'existe pas de port maritime en Bretagne - ou très peu - mais on y trouve des ports décentralisés, en application de la loi de 2004. Il faudrait qu'il n'y en ait qu'un - et ce serait peut-être encore trop ! Il incombe aux nouvelles autorités portuaires de les faire vivre et d'y développer des activités économiques, humaines, etc.

En Bretagne, le territoire le plus touché est celui de Saint-Malo. Le groupe Roullier et la TIMAC accueillent des ammonitrates...

M. Jérôme Goellner. - À Saint-Malo, il s'agit d'un importateur qui n'a rien à voir avec la TIMAC.

M. Gérard Lahellec. - Quoi qu'il en soit, l'opinion est sensible aux big bags qui arrivent et repartent du port. La TIMAC a, quant à elle, une approche assez exemplaire de la typologie d'intrants qu'elle produit.

On a besoin de gendarmes mais, plus que de gendarmes, on a besoin d'expertises et de nouvelles autorités portuaires, puisqu'il leur incombe de faire vivre ces installations et d'assurer un certain nombre de débouchés.

D'accord pour les réglementations, la rigueur et la rationalité, mais ces collectivités devenues autorités portuaires doivent se mettre en situation de pouvoir relever le défi auquel elles sont confrontées.

M. Michel Pascal. - Je suis désolé d'avoir donné l'impression que nous ne nous sommes pas occupés des ports maritimes, ce qui n'est pas le cas.

Les capitaineries sont compétentes, motivées, connaissent bien les règlements. Elles les font évoluer, réalisent des exercices, travaillent avec le SDIS.

Il y a beaucoup de ports maritimes en Bretagne, mais ce sont des ports décentralisés. Il en existe de deux types. Ceux qui n'acceptent pas les matières dangereuses n'ont pas de capitainerie d'État.

Dès qu'il y a des matières dangereuses, dont les ammonitrates, il existe une capitainerie d'État, avec des fonctionnaires d'État qui interviennent directement pour le compte du préfet en matière de sécurité. Leurs missions sont très claires, aux Sables-d'Olonne comme à Saint-Malo.

À Saint-Malo, il existe une direction départementale des territoires (DDT) compétente pour la totalité des ports maritimes de Bretagne. On a créé une masse critique de compétences.

On a établi trois recommandations dans l'annexe 8, comme le fait d'utiliser la commission d'information existante à la TIMAC pour informer les gens. Aux Sables-d'Olonne, on n'a pas trouvé que les gens étaient très informés de ce qui se passait sur le site. Il n'y a pas de démarche en matière d'information.

Pourquoi les règlements ne sont-ils pas appliqués en France ? Je ne sais pas. Je ne suis pas dans les ministères, et on ne nous a pas apporté de réponse objective. Les directions que vous allez recevoir pourront probablement approfondir ce sujet et dire quelles sont leurs intentions.

Il n'y a pas que sur ce règlement qu'il faudrait se poser des questions. Dans les domaines industriels ou agricoles, d'autres règlements ne sont peut-être pas appliqués.

A-t-on réalisé un benchmarking ? Nous l'avons fait avec la Belgique, qui a interdit l'usage des ammonitrates à haute teneur. Cela vaudrait peut-être la peine d'approfondir ce sujet.

La France est atypique : il s'agit du plus gros consommateur d'ammonitrates en Europe par rapport à sa superficie. Il y a probablement des raisons à cela.

S'agissant de la bombe climatique, même si ce n'était pas dans le champ de notre lettre de mission, nous n'avons pu nous empêcher d'émettre des recommandations sur un sujet périphérique. On aurait pu en faire encore plus. Nous n'avons par exemple rien dit sur l'effet de serre que provoquent les engrais.

M. Ronan Dantec. - On ne peut pas ne pas intégrer l'évolution de la filière par rapport au risque, sans quoi on fait de la logique « en silo », ce qui ne correspond pas à une approche politique systémique rationnelle.

M. Michel Pascal. - Vous prêchez un convaincu !

Quant aux douanes, nous les avons rencontrées, mais on ne les a pas davantage impliquées.

M. Jérôme Goellner. - Je ne pense pas que les douanes soient les mieux placées pour diligenter des contrôles opérationnels dans ce domaine.

M. Didier Mandelli. - Je parlais d'autres produits : s'il n'y a pas de contrôle dans ces ports, cela peut laisser entendre que d'autres produits peuvent circuler.

M. Jérôme Goellner. - En effet.

M. Didier Mandelli. - Le ministère des finances et celui de l'intérieur ont dans ce cas une responsabilité.

M. Jérôme Goellner. - En pratique, les ammonitrates entrent en France en provenance de pays de l'Union européenne. Les douanes ne les voient donc pas passer. Leurs statistiques ne sont pas du tout à jour concernant ce produit.

M. Michel Pascal. - Enfin, c'est au moment de l'explosion de l'Ocean Liberty, en 1947 à Brest, que la France a interdit le vrac dans les ports maritimes. Cela a laissé des traces, même si c'est ancien. Il est également intéressant de se pencher sur ce qui a été fait après les événements d'AZF, dix jours après le 11 septembre.

Les ammonitrates de Beyrouth, ou ceux qui sont dans les fermes, sont de même nature et tout aussi explosifs. Si les granulés sont stockés dans des big bags, cela ne bouge pas. On peut jouer dessus, mais c'est très capricieux.

Nous avons mené un important travail dans notre rapport sur la façon dont cela peut arriver.

M. Jérôme Goellner. - La réglementation sur les ICPE porte sur la protection de l'environnement et voire plus sur la prévention des risques. Le fait de savoir si le stockage des ammonitrates est suffisamment réglementé est une autre question.

La réglementation sur les ICPE intègre aussi les questions d'isolement et de lutte contre les effets domino. Il existe dans la réglementation technique des distances d'isolement vis-à-vis d'autres produits.

Normalement, tout cela est bien couvert, sachant que les ammonitrates purs qui risquent d'exploser ne présentent pas de risques de décomposition autoentretenue.

L'accident de Nantes, en 1987, concernait des engrais composés qui, lorsqu'ils commencent à chauffer, se décomposent et provoquent des nuages toxiques. Ce n'est pas le cas des ammonitrates purs.

S'ils sont pris dans un incendie, ils provoqueront de la fumée, mais il n'y a pas de décomposition entretenue, ce qui fait que le risque d'effets est limité. Il ne faut pas qu'ils soient pris dans un incendie, mais si un foyer se déclare à côté, ils ne s'enflammeront pas tout seuls.

Madame Préville posait la question de savoir s'il ne faut pas interdire le vrac. C'est une de nos propositions. C'est une quasi-dérogation qui autorise le vrac à haute teneur en France. Ce n'est pas une nouvelle norme : la norme existe et est européenne. Elle l'interdit chez les agriculteurs. Cela n'empêche pas d'en manipuler dans les usines. Il faut bien que les choses se fassent en amont.

Mme Angèle Préville. - Qu'en est-il de la concentration par rapport aux quantités ?

M. Jérôme Goellner. - Nos propos n'ont peut-être pas été très clairs. Un tableau de notre rapport explique les différents taux de concentration.

Il est vrai que l'agriculteur a le sentiment que 33 % ne représentent pas un pourcentage élevé, mais c'est néanmoins 98 % de concentration ! La profession compte depuis toujours en pourcentage d'azote, car c'est ce qui compte pour la plante.

Mme Angèle Préville. - N'est-ce pas là qu'il faudrait ajouter une mention ?

M. Jérôme Goellner. - Je ne suis pas spécialiste de la sensibilisation du monde agricole, mais nos recommandations semblent avoir été entendues. Un groupe de travail a été mis en place par la profession pour ce faire.

Il ne s'agit pas de faire paniquer les agriculteurs et de les pousser à passer à l'urée, car c'est pire du point de vue environnemental - et c'est en outre un produit importé. Je le répète : il suffit de stocker les ammonitrates correctement, sans pour autant recourir à des mises en oeuvre très compliquées. Il ne faut pas les stocker à côté de pneus ou d'une cuve de fioul. Il faut arriver à l'expliquer.

M. Michel Pascal. - On a vu dans la presse deux associations réagir, Robin des Bois et France nature environnement (FNE). L'Association française des ports intérieurs (AFPI) s'est mobilisée suite à notre rapport pour organiser la réflexion et voir à son niveau ce qu'elle pouvait faire pour améliorer les choses.

M. Jean-François Longeot, président. - Merci pour la qualité de votre rapport et pour les conseils que vous nous avez prodigués.

La réunion est close à 12 heures 25.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Questions diverses

M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, au titre des questions diverses, nous allons procéder à la désignation des 18 membres de la mission d'information sur les perspectives de la politique d'aménagement du territoire et de cohésion territoriale.

Cette mission d'information travaillera dans le prolongement des travaux entamés par notre commission il y a près d'un an. Outre l'examen pour avis du projet de loi « 3Ds », au moins six réunions ont permis d'engager un cycle d'auditions dédiées à l'aménagement du territoire. Un peu plus d'une trentaine de personnalités qualifiées ont ainsi pu être entendues sur des thématiques très variées, permettant de faire un large tour d'horizon et d'identifier quelques-unes des problématiques méritant une veille attentive de la part de notre commission. Je rappelle également que cinq de nos collègues ont été désignés référents sur ces sujets.

Pour participer aux travaux qui vont alimenter une mission d'information au sein de notre commission, j'ai reçu les candidatures de nos collègues Jean-Claude Anglars, Bruno Belin, Joël Bigot, Jean-Pierre Corbisez, Patricia Demas, Jacques Fernique, Martine Filleul, Fabien Genet, Hervé Gillé, Daniel Gueret, Christine Herzog, Frédéric Marchand, Pierre Médevielle, Rémy Pointereau, Jean-Paul Prince, Bruno Rojouan, Marie-Claude Varaillas et moi-même.

Il n'y a pas d'opposition ?

Il en est ainsi décidé.

La mission d'information se réunira très prochainement pour définir une méthodologie et un programme de travail. Je précise que la commission des affaires économiques sera associée à nos travaux pour les sujets de chevauchement entre les deux commissions, par la présence de notre collègue Serge Babary.

La réunion est close à 12 h 30.