Mercredi 6 juillet 2022

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Mission d’information relative à l’état du patrimoine religieux - Examen du rapport et vote

M. Laurent Lafon, président. – Nous sommes réunis aujourd’hui pour la présentation du rapport de deux des quatre missions d’information lancées au mois de février, en commençant par celle qui porte sur la situation préoccupante du patrimoine religieux, un sujet qui nous concerne tous.

Mme Anne Ventalon, rapporteure. – Vous êtes sans doute nombreux à avoir été sollicités au cours des dernières années par des maires de vos départements au sujet des difficultés qu’ils rencontrent dans l’entretien et la restauration du patrimoine religieux dont leurs communes sont propriétaires. Avec la disparition de la dotation d’action parlementaire, ils ont perdu un levier non négligeable pour le financement de cette charge et un moyen pour nous de les soutenir.

C’est dans ce contexte que notre commission a confié, en février dernier, à Pierre Ouzoulias et à moi-même le soin de faire la lumière sur l’état du patrimoine religieux, les menaces qui pèsent sur sa préservation et les moyens de contribuer à sa sauvegarde.

La France a la chance de bénéficier d’un patrimoine religieux particulièrement riche et bien réparti sur l’ensemble du territoire. Il n’existe pas de décompte officiel, mais on estime qu’il pourrait y avoir jusqu’à cent mille lieux de culte encore en activité ou non sur le sol français.

La grande spécificité française, héritée de la Révolution de 1789, est qu’une bonne partie des édifices cultuels que nous comptons sur notre territoire appartiennent aux collectivités publiques et non aux cultes, comme dans les autres pays. Nous évoquons régulièrement le cas des cathédrales de l’État dans cette enceinte ; mais ce sont évidemment les communes qui possèdent l’essentiel de ces monuments. Là encore, c’est pour des raisons historiques liées à l’attitude des catholiques face au régime de séparation mis en place en 1905 que les édifices cultuels propriétés des collectivités publiques sont presque exclusivement des lieux de culte catholique.

Tous ces édifices n’ont évidemment pas une dimension patrimoniale. Quinze mille d’entre eux sont néanmoins protégés au titre des monuments historiques, et bien d’autres présentent une valeur architecturale ou historique digne d’intérêt. Plus de quarante mille édifices cultuels encore actifs sont antérieurs au XXe siècle.

Ce patrimoine étant porteur d’une grande charge symbolique, sa préservation est particulièrement importante : nous nous sommes rendu compte que ces lieux constituaient de véritables biens communs. Les édifices cultuels ne sont pas seulement des lieux de culte, mais aussi des lieux de culture ; ils structurent nos paysages ; ils définissent l’identité des territoires ; ils sont des vecteurs de transmission de la mémoire locale comme nationale ; ils contribuent à la qualité du cadre de vie. C’est ce qui explique que les Français dans leur ensemble, et pas seulement les fidèles, y soient très attachés.

Il reste que ce patrimoine n’est pas suffisamment connu et documenté. Faute d’inventaire complet du patrimoine religieux, surtout depuis la décentralisation de cet inventaire en 2004, il est difficile de dresser un bilan précis de son état. Seul l’état sanitaire des édifices protégés au titre des monuments historiques est régulièrement contrôlé par les services du ministère de la culture. Mais, même pour ceux-là, il est impossible de savoir avec exactitude combien de monuments religieux sont en péril ou en mauvais état, dans la mesure où le bilan ne comprend que des analyses globales sur l’ensemble des monuments historiques et ne distingue pas selon la catégorie de patrimoine dont ils relèvent.

Il faut donc s’en remettre aux résultats du dernier bilan de l’état sanitaire portant spécifiquement sur le patrimoine religieux, datant de la fin des années 1980, ou aux impressions qui nous ont été confiées dans nos auditions. Il en ressort que le patrimoine religieux ne serait pas en si mauvais état. Paradoxalement, il semble qu’en confiant la propriété d’une grande partie des édifices aux communes, la loi de 1905 ait largement contribué à la préservation de ce patrimoine.

Reste que la situation est contrastée. D’abord, le patrimoine religieux souffrirait globalement d’un déficit d’entretien ou, du moins, d’un entretien trop irrégulier. Cette problématique est commune à tous les types de patrimoine. Ensuite, les édifices protégés au titre des monuments historiques seraient globalement en meilleur état que ceux qui ne le sont pas. Les édifices seraient plus dégradés en milieu rural qu’en milieu urbain. Enfin, si le clos et du couvert sont globalement entretenus, les parties intérieures des édifices sont davantage négligées.

M. Pierre Ouzoulias, rapporteur. – Ce bilan pourrait laisser penser que le patrimoine religieux n’est finalement guère menacé et souffre simplement de maux similaires à ceux qu’il a déjà connus par le passé : Victor Hugo, puis Maurice Barrès, dénonçaient déjà, en leur temps, « la grande pitié des églises de France » pour reprendre les mots du second.

Ce patrimoine est pourtant désormais en proie à des menaces particulièrement fortes, qui peuvent faire craindre sa dégradation rapide, si le problème n’est pas rapidement anticipé. Nous nous étonnons d’ailleurs que l’Association des maires de France (AMF) ait décliné notre demande d’audition compte tenu de l’ampleur de l’enjeu pour bon nombre de communes.

La sécularisation croissante de la société, la désertification de certaines zones géographiques, les contraintes budgétaires accrues des communes, ainsi que les regroupements paroissiaux, la progression des fusions de communes et le développement des intercommunalités sont autant de facteurs de risque pour ce patrimoine. Ils menacent particulièrement les édifices non protégés situés dans les zones rurales, c’est pourquoi nous estimons que ce problème du patrimoine religieux est bien un enjeu d’ordre sociétal pour la ruralité.

Le risque n’est pas tant que ce patrimoine passe aux mains de propriétaires privés, comme cela arrive dans les pays anglo-saxons, où d’anciennes églises ont été transformées en boutiques, en hôtels, en supermarchés ou en discothèques. Les cas en France sont très marginaux. Les contraintes architecturales et les dimensions des édifices cultuels expliquent la convoitise modérée des investisseurs, a fortiori en zone rurale. De plus, il subsiste une vive réticence en France à l’égard de la désaffectation des édifices cultuels, qui n’est généralement souhaitée ni par l’affectataire, ni par les maires, ni par la population qui y voient la disparition d’un symbole.

Le danger est plutôt que ces édifices ne soient plus utilisés, et donc plus entretenus, au point de rendre leur démolition inéluctable. Ce risque menace particulièrement les bâtiments de qualité médiocre ou dont la valeur architecturale est moins prisée, notamment ceux qui datent du XIXe et du XXe siècles.

Or la France ne semble pas aujourd’hui suffisamment armée pour répondre correctement à ces défis : les maires sont confrontés à une situation difficile sous plusieurs aspects.

D’abord, il ne faut pas sous-estimer les relations conflictuelles qui peuvent exister avec le curé affectataire ou la communauté de fidèles, même si ce n’est heureusement pas une généralité. Ces conflits résultent du partage complexe des responsabilités entre le maire et l’affectataire qui découle du régime de l’affectation cultuelle. Pour résumer, le maire est propriétaire de l’édifice sans en avoir la jouissance, ce qui peut évidemment être une source de frustrations et de malentendus. Si nous mentionnons ce sujet, c’est parce que ces frictions peuvent avoir des conséquences préjudiciables sur la gestion des édifices et leur entretien. Nous estimons donc primordial de créer les conditions d’une meilleure coopération entre les maires et les affectataires.

La deuxième problématique des maires sur ce dossier est évidemment financière. La charge de l’entretien des édifices cultuels apparaît de plus en plus souvent disproportionnée au regard des budgets disponibles, des attentes multiples de la population et de l’utilisation qui est faite de l’édifice.

Au demeurant, nous nous sommes aperçus que ces problèmes de financement peuvent, dans une majorité des cas, être surmontés à condition que les maires sachent à qui s’adresser et parviennent à mobiliser autour du projet de restauration, ce qui exige d’être en mesure de lui donner du sens. Les communes peuvent recevoir des subventions de la part de l’État, des régions et des départements, même si elles restent évidemment plus faciles à obtenir pour le patrimoine protégé.

Elles peuvent également faire appel à la générosité du public. Nous avons évoqué la semaine dernière, avec Stéphane Bern, la contribution du Loto du patrimoine, mais des fondations comme la Fondation du patrimoine ou la Sauvegarde de l’art français, et même des entreprises de financement participatif comme Dartagnans, interviennent également dans ce domaine.

La principale difficulté, en fin de compte, est une nouvelle fois le déficit d’ingénierie des communes et l’accompagnement insuffisant dont elles peuvent bénéficier dans ce domaine. Lors de son audition, le ministère de la culture n’a laissé entrevoir aucune perspective d’évolution en matière d’assistance à maîtrise d’ouvrage de la part de l’État. Il est désormais temps de se résoudre à en prendre acte et de rechercher sans tarder des solutions au niveau des collectivités territoriales, en espérant que cette décentralisation de facto ne creuse pas les inégalités territoriales.

Le second aspect sur lequel la France nous semble pécher est la valorisation de ce patrimoine, pourtant un enjeu majeur pour éveiller l’intérêt du public à son importance et permettre à chacun de se le réapproprier. Elle est indispensable pour que ce patrimoine produise davantage de retombées économiques. Elle est surtout une clé pour rendre plus supportable la charge de son entretien.

Malheureusement, la mise en valeur des édifices cultuels n’est pas toujours à la hauteur, ni des trésors architecturaux qu’ils constituent ni des trésors artistiques qu’ils recèlent. Le silence de la loi de 1905 sur la question de la valorisation patrimoniale en est sans doute largement responsable. Le principe de l’affectation cultuelle a longtemps, sinon empêché, du moins rendu plus délicate la valorisation des édifices, puisqu’il interdit à la fois au maire d’utiliser l’édifice à sa guise et à l’affectataire de l’utiliser à des fins autres que son culte.

Heureusement, la jurisprudence a permis d’évoluer peu à peu vers un usage moins exclusivement cultuel des édifices. Le code général de la propriété des personnes publiques autorise, depuis 2006, l’utilisation des édifices relevant de la loi de 1905 pour des « activités compatibles avec l’affectation cultuelle » comme des expositions, des concerts ou des visites. Il subsiste une réserve de taille : l’organisation de ces activités est subordonnée à l’accord préalable du desservant. Le juge considère néanmoins que celui-ci n’est, par exemple, pas requis pour organiser des visites de certaines parties de l’édifice dont l’accès est indépendant.

Cette base légale nous semble ouvrir des perspectives pour un usage plus partagé des édifices cultuels, qui n’ont pas encore été suffisamment exploitées. C’est pourtant à nos yeux une vraie piste pour l’avenir des édifices, d’autant que la Conférence des évêques de France y semble désormais favorable. Elle y voit une opportunité pour permettre à ce patrimoine de rester vivant et éviter la solution radicale de la désaffectation, dont les conséquences sont irréversibles.

Mme Anne Ventalon, rapporteure. – Ces constats nous conduisent à estimer qu’il serait non seulement déraisonnable, mais aussi inutile de vouloir toucher à la loi de 1905. Nous ne jugeons pas non plus nécessaire de revenir sur la répartition des compétences en matière de politique patrimoniale. Nous préconisons plutôt de mieux mobiliser les compétences de chacun et de mieux coordonner les actions au service de la cause du patrimoine religieux.

Il est impossible de garantir un niveau de protection adéquat des édifices cultuels sans connaître précisément l’étendue de notre patrimoine religieux ; c’est pourquoi nous recommandons qu’un inventaire national de ce patrimoine soit réalisé à l’horizon 2030.

Même si l’inventaire général du patrimoine culturel a été décentralisé au niveau des régions, l’État conserve en effet la possibilité de réaliser des opérations au plan national. C’est à nos yeux la seule solution pour garantir une photographie complète du patrimoine religieux et en tirer des conclusions pertinentes pour l’adaptation éventuelle des politiques publiques.

Si l’État s’y refusait, il paraîtrait indispensable que Régions de France, compte tenu de l’enjeu, lance un appel à toutes les régions pour réaliser de manière concomitante un travail d’inventaire sur le patrimoine religieux. Cela nous donnerait, dans les mêmes délais, des informations que l’État pourrait agréger et auxquelles il pourrait donner une visibilité nationale.

Cette opération d’inventaire est également primordiale pour le patrimoine mobilier – le point a été soulevé par nombre d’entre vous la semaine dernière. Les conservateurs des antiquités et objets d’art (CAOA) sont chargés, au niveau de chaque direction régionale de l’action culturelle (DRAC), de repérer les objets méritant une protection au titre des monuments historiques et d’aider les collectivités à valoriser et restaurer les objets qui sont protégés.

Ces agents indemnitaires de l’État souffrent néanmoins d’un problème de reconnaissance. Leur statut est hybride : une moitié relève de la fonction publique territoriale ou de la fonction publique d’État et l’autre moitié exerce ces missions à titre bénévole. Cette situation crée inévitablement des disparités territoriales.

Par ailleurs, les CAOA nous ont alertés sur le fait qu’ils ne disposaient pas, à ce jour, d’une véritable base de données, interopérable avec les services de l’inventaire en régions et ceux de l’Office central de lutte contre le trafic de biens culturels, permettant de documenter de manière précise, y compris par des photos, le patrimoine mobilier protégé au niveau national. C’est un vrai handicap pour la documentation de ce patrimoine.

Afin de mieux protéger les édifices particulièrement menacés, nous suggérons ensuite l’adoption d’un plan national en faveur de la préservation du patrimoine religieux en péril. Ce plan aurait vocation à lancer une nouvelle campagne de classement ou d’inscription des édifices les plus emblématiques pour les catégories les plus en danger afin d’empêcher leur disparition totale. Il devrait inclure le patrimoine religieux du XIXe siècle, ainsi que celui du XXe siècle, mais aussi les synagogues alsaciennes dont l’avenir est aujourd’hui menacé. L’Alsace a longtemps été un foyer de la communauté juive en France ; il serait dramatique que ce patrimoine, qui constitue un témoin de la mémoire juive en Alsace et qui est parvenu à échapper à l’entreprise de destruction nazie, finisse par disparaître faute de protection.

Nous en venons maintenant à nos recommandations afin d’atténuer les difficultés rencontrées par les maires dans l’entretien et la restauration du patrimoine religieux dont ils ont la charge. Les maires n’y arriveront pas seuls et ont besoin d’un meilleur accompagnement, notamment sur le plan technique.

L’État ne pouvant et ne voulant plus s’en charger, nous avons le sentiment que le meilleur échelon pour leur apporter un tel accompagnement est l’échelon départemental. Les régions sont trop éloignées des réalités du terrain et restent peu investies sur le champ des politiques patrimoniales – à quelques exceptions près, comme la région Auvergne-Rhône-Alpes. Les intercommunalités se voient rarement transférer la compétence en matière de maîtrise d’ouvrage.

Il convient donc, à nos yeux, de s’appuyer davantage sur les compétences des conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE) afin d’aider les maires sur cette problématique. Ils pourraient réaliser ou coordonner un état des lieux du patrimoine religieux, c’est-à-dire évaluer son état au regard de différents critères, notamment la qualité urbaine et paysagère, la valeur historique et patrimoniale, l’état technique et sanitaire, la fréquentation et les usages, et identifier les solutions possibles pour chaque édifice. C’est un exercice auquel s’est déjà livré avec succès le CAUE de Meurthe-et-Moselle pour la communauté de communes Mad et Moselle.

Les CAUE présentent plusieurs avantages : ils sont investis par la loi d’une mission d’intérêt public ; ils disposent d’une expertise pluridisciplinaire ; leur composition en fait des organes de concertation ; ils disposent d’un budget puisqu’ils sont financés par une partie de la part départementale de la taxe d’aménagement.

Cette recommandation nécessiterait la mise en place effective dans chaque département d’un CAUE, comme la loi le prévoit – sept n’en disposent toujours pas – et de veiller à ce qu’ils perçoivent une part suffisante de la taxe d’aménagement, celle-ci étant laissée à la libre décision des conseils départementaux. La présence d’un architecte du patrimoine dans la composition nous paraîtrait également indispensable. C’est une vraie piste pour combler les problèmes d’ingénierie des maires.

Autre recommandation, garantir un meilleur entretien des édifices cultuels appartenant aux communes, dans la mesure où un entretien régulier est le meilleur moyen de s’épargner de lourdes dépenses de restauration à l’avenir.

Pour cela, nous proposons de transposer dans les communes rurales le dispositif dédié à la conservation préventive des édifices historiques mis en place dans les Yvelines depuis 2018. Sur le modèle du programme pour l’entretien du patrimoine mis en place aux Pays-Bas dès 1973, appelé Monumentenwacht, ce département a mis en place un dispositif d’accompagnement des communes de moins de 25 000 habitants en contrepartie d’une cotisation modeste de leur part. Chaque édifice patrimonial des communes adhérentes au dispositif bénéficie d’un diagnostic qui débouche sur la réalisation d’un carnet d’entretien, régulièrement mis à jour, permettant aux communes d’anticiper et programmer les travaux à réaliser. Le département assure la maîtrise d’ouvrage déléguée sur les travaux de strict entretien, de maintenance courante et toutes les opérations de conservation préventive des édifices. Au total, 80 % des frais sont pris en charge par le département dans la limite de plafonds.

Ce système nous paraît être un excellent moyen de mutualiser les coûts et d’accompagner les plus petites communes. Nous avons perçu, de la part de l’Assemblée des départements de France, une vraie envie de s’investir de nouveau sur les questions liées à la protection du patrimoine ; c’est pourquoi nous plaidons pour la mise en place par tous les départements d’un tel dispositif, qui instaurerait enfin cette culture de l’entretien qui nous fait défaut.

M. Pierre Ouzoulias, rapporteur. – Notre dernière série de recommandations vise à permettre une réappropriation et une resocialisation des édifices cultuels. Elles reposent sur un constat simple : si le patrimoine religieux redevient signifiant et utile pour une part importante de la population, sa sauvegarde sera garantie.

Cette réappropriation du patrimoine religieux repose sur plusieurs conditions. La première est que les édifices soient ouverts au public autant que possible ; c’est loin d’être le cas, par crainte des actes de vol ou de vandalisme ou faute de solution de gardiennage. Or, outre qu’il facilite les visites, le gardiennage est un bon moyen de s’assurer régulièrement de l’état de l’édifice et de repérer les dégradations éventuelles qui nécessiteraient des réparations. Une solution pourrait consister à faire appel à des jeunes de la commune pour faire visiter l’église. Cette formule gagnant-gagnant présente l’avantage de sensibiliser les jeunes à leur patrimoine, tout en garantissant, au moins le week-end, l’ouverture de l’édifice à la visite. Une initiative de ce type a été mise en place à Mont-devant-Sassey dans la Meuse. Le succès du projet, intitulé « Jeunes ambassadeurs du patrimoine », est tel qu’il essaime peu à peu sur tout le territoire lorrain.

Nous croyons aussi qu’il faut améliorer la mise en valeur du patrimoine mobilier cultuel. Les CAOA peuvent être d’une grande aide en la matière, dans la mesure où l’État peut octroyer des subventions pour sécuriser et mettre en valeur les objets protégés au titre des monuments historiques.

Nous recommandons également de s’appuyer sur les offices du tourisme, les comités régionaux et départementaux du tourisme, ou les parcs naturels régionaux pour développer des parcours touristiques autour du patrimoine religieux à l’échelle des territoires.

Enfin, et c’est sans doute notre recommandation la plus forte en matière de valorisation, il convient de développer les usages partagés des édifices cultuels.

La principale question consiste à définir les activités que l’on peut considérer comme « compatibles avec l’affectation cultuelle ». Pourraient entrer sans difficulté dans ce champ, à nos yeux, des usages culturels, sociaux, caritatifs ou solidaires. Les églises ont récemment été utilisées comme refuges dans le cadre du plan canicule. Pourquoi ne pourraient-elles pas, demain, accueillir les élèves qui révisent leurs examens ?

Il y a aussi des exemples plus atypiques d’usages partagés : l’église Saint-Hilaire à Mortagne-sur-Sèvre, chère au président Retailleau, est-elle transformée en centre d’interprétation du vitrail chaque année du 1er avril au 30 octobre, avant de retrouver sa vocation cultuelle le reste de l’année. Des bancs réversibles permettent d’en changer la configuration, tournée vers l’autel lors des célébrations religieuses ou vers la scénographie consacrée aux vitraux les mois d’été.

Sans doute le mieux serait-il, pour réduire les risques de refus d’accord préalable et apaiser les relations entre le maire et l’affectataire, de clarifier leurs relations par le biais de conventions types. La Conférence des évêques de France semble ouverte à l’idée.

Reste la question de la désaffectation au profit d’une reconversion de l’édifice. Nous lui préférons l’idée des usages partagés. D’une part, parce que la désaffectation est irréversible, et que nous ne pouvons écarter que la pratique religieuse ne reparte à la hausse avant la fin du siècle. D’autre part, parce que c’est un moyen d’éviter la dégradation des édifices du fait de leur inoccupation ou de leur abandon, sans pour autant tomber dans le risque d’une nouvelle destination d’usage qui ne respecterait pas les caractéristiques architecturales de l’édifice, et pourrait tout autant entraîner la perte du bien.

S’il doit y avoir désaffectation, il nous semble préférable que l’édifice reste dans le patrimoine de la commune et conserve ainsi une fonction sociale. C’est à la fois une meilleure garantie de conservation pour l’édifice et un moyen de préserver le symbole qu’il représente pour la population locale, et qu’il nous paraît extrêmement important de sauvegarder dans une optique de revitalisation des centres-bourgs.

Un mot, enfin, sur la situation des autres cultes historiquement présents en France, que nous avons peu évoqués dans la mesure où, pour ce qui les concerne, la problématique se pose dans des termes différents. D’abord, le volume des édifices reste sans commune mesure et l’essentiel d’entre eux appartiennent directement à ces cultes. Ensuite, le culte juif et, dans une moindre mesure, le culte protestant sont moins touchés par la baisse de la pratique religieuse et parviennent à réunir des fonds pour l’entretien des édifices, même si les nouvelles règles applicables aux associations cultuelles découlant de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République pourraient restreindre leur capacité à lever des fonds pour des motifs autres que cultuels. Enfin, ils ont, depuis longtemps, des approches beaucoup plus mixtes de l’usage de leurs édifices.

Je terminerai sur une note plus personnelle : la secrétaire de mairie de Palisse, 222 habitants, dont mon grand-père Albert Ouzoulias fut le maire, m’a fait parvenir, après avoir visionné notre audition de Stéphane Bern, ce court texte dont je vais vous donner lecture.

« Je peux vous dire qu’avec votre grand-père, que j’ai accompagné pendant huit ans comme secrétaire de mairie, nous avons eu à cœur, avec le conseil municipal de cette petite commune corrézienne, de restaurer cette magnifique église qui, comme vous le savez, est unique en son genre, ayant un campanile séparé.

Je pourrais évoquer le nombre de courriers, d’appels téléphoniques qu’Albert et moi-même avons passés pour récolter des fonds ! Je ne sais pas si un fervent catholique aurait eu cette même énergie pour mener à bien ce projet. Il faut dire qu’Albert ne lâchait rien. »

Voilà un hommage touchant à tous ces maires de petites communes qui déploient une énergie formidable pour sauver leurs édifices.

M. Max Brisson. – Je tiens très sincèrement à saluer le travail de nos rapporteurs. Leur rapport montre qu’il y a un consensus sur ce sujet, consensus qui n’avait rien d’évident.

Mes chers collègues, vous avez eu raison de rendre hommage à la loi de 1905. Nous n’aurions rien à gagner à toucher à ce texte fondateur, qui régit la paix civile dans notre République.

Partout dans mon département, je constate l’engagement des maires, quelle que soit leur orientation politique, en faveur de ce patrimoine religieux, dont ils mesurent bien qu’ils en ont la responsabilité dans le temps long. Leur mission s’inscrit ainsi dans une véritable logique de développement durable. Comme nos rapporteurs, je suis profondément optimiste : je ressens en effet chez les élus locaux la volonté d’être des passeurs de l’histoire.

Dans un pays qui adore fixer des critères et classifier, je m’étonne qu’un inventaire général de notre patrimoine religieux n’ait pas encore été réalisé. Cela étant, ce rapport a le mérite de rappeler que la préservation de ce patrimoine passe avant tout par la fréquentation et l’entretien au quotidien des édifices.

Nos rapporteurs ne vont pas jusqu’à proposer un guide, un « mode d’emploi », négocié par exemple avec la Conférence des évêques de France pour ce qui concerne le patrimoine catholique, à destination des élus. Ne serait-il pas utile d’en créer un ? Pierre Ouzoulias et Anne Ventalon préconisent à juste titre un usage partagé des lieux de culte plutôt que leur désaffectation. Encore faudrait-il mettre en place un cadre clairement défini qui contribuerait à l’apaisement.

Quand on aborde la question du patrimoine religieux, il est aussi question d’ingénierie. Nos rapporteurs plaident à raison pour que le couple département-commune, mis à mal depuis vingt ans par les lois successives, se charge demain de l’entretien et de la restauration des édifices cultuels.

Mme Sonia de La Provôté. – Je tiens à féliciter les deux rapporteurs pour leur travail, qui montre bien que, malgré tout, les choses évoluent en matière de patrimoine religieux. J’en veux pour preuve que le principe d’un usage mixte des édifices religieux semble s’imposer progressivement, alors qu’il était encore contesté il y a quelques années lorsque je préparais, avec Michel Dagbert, notre rapport, au nom de la délégation aux collectivités territoriales, sur les maires face au patrimoine historique architectural.

Le patrimoine est constitutif de l’identité d’un territoire. L’église est ainsi bien souvent un symbole dans les communes rurales, même si, paradoxalement, traiter ce sujet, c’est évoquer un sujet éminemment républicain. Notre patrimoine religieux a traversé les âges et a notamment survécu aux deux guerres mondiales.

Il reste qu’il faut améliorer l’assistance à la maîtrise d’ouvrage. Dans notre rapport de 2020, Michel Dagbert et moi-même avions proposé la création d’un guichet unique départemental. Nos rapporteurs reprennent cette idée de manière plus aboutie, ce qui est une très bonne chose. J’estime pour ma part que ce rôle devrait être dévolu aux CAUE ou aux conseils départementaux.

J’ai pu constater sur le terrain que les interventions de l’État avaient souvent des effets pervers, notamment qu’elles entraînaient une augmentation exponentielle du coût des travaux pour les communes. Il faudrait inventer une forme d’accompagnement intermédiaire des maires, qui préserve néanmoins la qualité architecturale des bâtiments.

Je conclurai en insistant sur l’effet de levier du patrimoine religieux sur l’économie locale et ses retombées touristiques et culturelles.

Mme Marie-Pierre Monier. – Je remercie nos rapporteurs pour ce travail de qualité. Le Gouvernement serait bien inspiré de s’inspirer des méthodes de travail du Sénat et du dialogue transpartisan qui a prévalu lors des auditions.

Pratiquants, croyants ou non, le patrimoine fait partie de notre histoire. J’apprécie par conséquent que nos collègues n’aient pas touché à la loi de 1905.

Je suis moi aussi convaincue qu’il est indispensable d’élaborer un inventaire de notre patrimoine religieux. Reste à savoir qui exercera cette mission. De manière plus générale, il me semble qu’il manque un volet financier aux recommandations figurant dans la première partie du rapport : veillons à ce que ces propositions, si elles venaient à s’appliquer, ne soient pas mises en œuvre à budget constant.

Comme nos rapporteurs, je regrette que les CAUE ne soient pas présents dans tous les départements, car ils sont d’une aide précieuse pour les maires, en particulier ceux des petites communes, qui y font régulièrement appel pour leurs projets patrimoniaux. Je veux insister sur les difficultés que rencontrent les maires des petites communes rurales confrontés à la nécessité d’entretenir et de rénover les églises. Comme l’a suggéré Max Brisson, un vade-mecum leur serait certainement utile.

Je suis par ailleurs très favorable à l’idée que les édifices cultuels soient des lieux partagés, ouverts sur l’extérieur. En revanche, je suis plus dubitative sur l’idée de faire appel à de jeunes bénévoles car, hélas, dans les petits villages, la population est souvent vieillissante. Ne pourrait-on pas envisager de rémunérer les personnes qui aident à la maintenance ou la rénovation des édifices, par exemple dans le cadre du dispositif « territoires zéro chômeur de longue durée » ?

Mme Céline Brulin. – Je remercie les rapporteurs de s’être saisis d’un sujet qui préoccupe beaucoup les maires, notamment ceux des communes rurales.

Nos collègues ont judicieusement pris le parti de faire confiance aux collectivités territoriales pour gérer le patrimoine religieux. Il conviendrait tout de même d’obtenir de l’État un inventaire global de celui-ci. Contraindre les services centraux à réaliser un tel recensement aiderait probablement l’État à prendre conscience de l’ampleur des chantiers à conduire. De mon point de vue, la piste consistant à confier cette responsabilité aux CAUE devrait être approfondie, ne serait-ce que parce que les pratiques diffèrent selon les départements, et que les finances départementales varient fortement selon les territoires.

Je rejoins mes collègues Max Brisson et Marie-Pierre Monier sur l’utilité d’un mode d’emploi à destination des maires sur les modes de financement existants et les usages partagés envisageables.

Mme Monique de Marco. – Je remercie également les rapporteurs pour ce travail très attendu, qui s’inscrit dans le prolongement du travail réalisé par Sonia de La Provôté et Michel Dagbert. Il fait naturellement écho aux préoccupations de tous ces maires qui se trouvent démunis lorsqu’ils sont confrontés à la nécessité de restaurer le patrimoine non classé se situant sur leur commune. Les pistes figurant dans ce rapport me paraissent à cet égard très intéressantes.

Stephane Bern, lors de son audition, a expliqué qu’il était nécessaire d’effectuer un inventaire complet du patrimoine bâti, religieux, industriel et ouvrier. Or des inventaires de ce type ont déjà été faits au niveau local, notamment par les communautés de communes ou les offices de tourisme. Simplement, aucune instance n’a été chargée de les regrouper : de ce point de vue, le département me paraît être l’échelon pertinent, même si les CAUE n’exercent pas cette compétence aujourd’hui.

Enfin, je suis personnellement très favorable à l’idée de favoriser l’usage partagé des édifices cultuels, surtout si l’on prend la peine de lancer des appels à projets dans les communes.

Mme Nathalie Delattre. – Je souligne à mon tour la qualité du travail des rapporteurs et les remercie pour leurs recommandations.

Les maires, ces passeurs d’un patrimoine qui fait l’identité de la France, s’interrogent sur les moyens dont ils disposent aujourd’hui pour entretenir et rénover le patrimoine situé dans leurs communes.

Aujourd’hui, j’observe avec inquiétude que les maires sont de plus en plus nombreux à appeler à l’aide. Le saupoudrage de la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) comme de la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL) est tel que les maires se trouvent en grande difficulté lorsqu’ils se voient obligés d’intervenir en urgence pour sauver un édifice en péril. À cet égard, je rappelle à votre mémoire les épisodes climatiques récents qui viennent de toucher mon département de la Gironde.

Les édifices cultuels ne sont pas communs : il est urgent que les maires puissent disposer d’un guide qui les informe tant au niveau de l’expertise à conduire que des financements à mobiliser.

La radicale que je suis rend hommage à nos rapporteurs pour avoir respecté l’intégrité de la loi de 1905. Nous convergeons tous sur ce point, ce qui est une bonne chose.

Je veux également saluer la proposition de faire du département l’échelon compétent en matière de patrimoine religieux. Cela étant, il faudrait aller plus loin. Comme l’a bien montré l’élan de générosité observé à la suite de l’incendie de Notre-Dame de Paris, je pense qu’il serait utile de mettre en œuvre un mécénat renforcé, sous la forme par exemple d’un fonds national dédié au patrimoine religieux.

Nos rapporteurs ont eu le courage d’aborder la question des lieux partagés : bien souvent, les maires n’osent pas évoquer ce sujet, car, aujourd’hui hélas, ils sont contraints de fermer les édifices cultuels pour les protéger des pillages.

M. Claude Kern. – Nos rapporteurs ont fait référence au droit local d’Alsace-Moselle et je les en remercie. Beaucoup de communes de ces territoires comptent une ou deux églises ainsi qu’une synagogue. Pour l’entretien de ces bâtiments, le droit local permet l’intervention directe des collectivités territoriales, notamment les départements.

La plupart de ces églises appartiennent encore aux conseils de fabrique, aux conseils presbytéraux ou aux consistoires et les niveaux d’intervention peuvent atteindre 80 %. S’ils éprouvent des difficultés, ces conseils peuvent céder l’édifice à la commune pour 1 euro symbolique.

Vous évoquez les difficultés que l’on éprouve, en Alsace-Moselle, pour restaurer les synagogues. Mais, dans la plupart des cas que j’observe, les communes prennent le relais pour aider les consistoires à conserver leurs biens.

Mme Alexandra Borchio Fontimp. – À mon tour, je tiens à saluer le travail accompli par nos collègues rapporteurs. Ils proposent notamment que les étudiants puissent travailler dans des édifices religieux. En tout cas, réviser son bac dans une abbaye, c’est d’ores et déjà possible sur la Côte d’Azur, grâce à une initiative du maire de Cannes. Cette opération est un succès chaque année.

Comme l’a rappelé Stéphane Bern devant notre commission la semaine dernière, notre patrimoine religieux est dans une situation critique. Or ces monuments font notre culture et donc notre richesse.

Les nouveaux élus locaux n’ont pas toujours toutes les clés ou tous les appuis nécessaires pour gérer le patrimoine de leur territoire. À l’évidence, il s’agit là d’une carence en matière de formation, notamment pour les maires. Quelles pistes proposez-vous à cet égard ?

Mme Catherine Morin-Desailly. – Ce rapport sera très utile et, j’en suis certaine, très bien reçu par les maires, qui nous sollicitent sans cesse sur ce dossier ô combien délicat.

Comment articulez-vous l’inventaire que vous préconisez avec le travail mené par l’Observatoire du patrimoine religieux ?

Pour ce qui concerne la compétence partagée, les rôles se répartissent parfois assez naturellement. Les régions se concentrent sur les plus gros édifices appartenant, ou non, à l’État. Les départements viennent quant à eux à l’appui des communes. Le véritable enjeu, à mon sens, c’est donc l’inscription et le classement : avez-vous pu entrer en contact avec les différentes commissions régionales du patrimoine et de l’architecture pour mesurer le taux d’inscription des églises comme monuments historiques ? Ne déplore-t-on pas une certaine réticence de l’État à cet égard, ces classements impliquant une part obligatoire de financement des travaux ?

Enfin, la chambre syndicale nationale du vitrail a alerté plusieurs d’entre nous dans la perspective de la révision des annexes du règlement Reach, qui classe les substances chimiques potentiellement dangereuses et peut entraîner des obligations parfois impossibles à assumer dans certaines industries ou certains métiers.

La demande d’inscription du plomb à l’annexe IV du règlement Reach a été formulée par les Norvégiens. La Norvège, pays protestant, compte très peu de vitraux. À l’opposé, la France dispose du plus vaste patrimoine de vitraux au monde. Viennent ensuite l’Allemagne, l’Angleterre et, dans une moindre mesure, l’Espagne et l’Italie.

Avec mon collègue Louis-Jean de Nicolaÿ, au sein de la commission des affaires européennes, je prépare précisément un rapport sur ce sujet, document qui doit être transmis à Bruxelles. Il s’agit tout simplement d’éviter le pire. Certes, la réglementation sanitaire a toute son importance, mais il ne faudrait pas mettre en péril des métiers, des savoir-faire et même des possibilités de restaurer. Le vitrail, c’est à la fois du verre coloré et du plomb : sans vitraux, nos édifices risquent de tomber en complète décrépitude.

M. Laurent Lafon, président. – Les lieux de cultes construits après 1905 ne relèvent pas des communes. Ne s’agit-il pas d’un angle mort ?

Mme Anne Ventalon, rapporteure. – Nous dressons tous le même constat : il faut accompagner les maires, qui sont souvent démunis face aux difficultés que présente la gestion de ce patrimoine, au demeurant très apprécié.

À ce titre, les outils existent. Les CAUE distribuent notamment des carnets de suivi et des guides d’entretien. J’espère que nos travaux faciliteront la mise en place des CAUE dans tous les départements. Les Ardennes s’y emploient d’ores et déjà.

De son côté, la Fondation du patrimoine, qui est en train d’élaborer une plateforme en ligne, recense toutes les aides et les outils possibles pour la gestion du patrimoine à la charge des communes.

La Conférence des évêques de France est favorable à de nouveaux efforts de communication, notamment pour l’envoi de conventions types et de modèles de cahier des charges.

Nos travaux sont donc une occasion supplémentaire de communiquer au sujet de ces outils, qui méritent bien sûr d’être développés.

Depuis les derniers renouvellements, le département dont je suis l’élue dénombre 46 % de nouveaux élus. La Conférence des évêques de France y a exprimé la volonté de dispenser des formations communes à l’Église et aux élus. Une journée des curés et des maires a ainsi été organisée en juillet 2021. D’autres pistes doivent encore être explorées.

En résumé, les outils existent : à nous de favoriser leur visibilité et leur communication.

M. Pierre Ouzoulias, rapporteur. – Il faut acter le désengagement de l’État pour la défense du petit patrimoine non protégé, qu’il soit cultuel ou non. Notre entretien avec le directeur du patrimoine a duré en tout et pour tout un quart d’heure. Il nous a posé cette question : « Est-ce que vous demandez quelque chose à l’État ? » Nous lui avons répondu non. Il a conclu : « C’est parfait. Au revoir, merci. » Cette administration ne dispose plus des moyens humains et budgétaires nécessaires pour mener un tel travail. De plus, l’inventaire relève désormais des régions. Aujourd’hui, c’est à elles d’agir. Mais, pour assurer la coordination nationale des régions, le ministère de la culture ne semble pas le moteur principal.

Voilà pourquoi nous parlons de décentralisation de facto. Il faut dire aux élus de ne plus regarder vers le ciel et vers l’État, mais vers les collectivités. Ils ont tous les outils pour travailler ensemble. Je pense en particulier aux CAUE, structures d’interface très intéressantes pour les communes, les départements et les régions. Nous invitons donc les départements à rendre de la valeur aux CAUE, à les constituer en forum pour fédérer toutes les bonnes volontés.

Néanmoins, il ne faudrait pas voir se dresser un mur hermétique entre le patrimoine classé et protégé, relevant de l’État, et tout le reste, relevant des collectivités.

Pour ce qui concerne les synagogues, nous pensions davantage au Haut-Rhin qu’au Bas-Rhin. Il faut un plan national pour sauver ces édifices, qui représentent une part fondamentale de notre identité nationale. Il ne faut pas laisser ce travail aux seules collectivités.

J’y insiste : nous, sénateurs, avons également un travail de pédagogie à mener auprès des collectivités territoriales. Nous devons leur dire et leur répéter : « Oubliez l’État et travaillez ensemble. »

Pour ce qui concerne les édifices construits après 1905, on constate de grandes disparités entre les départements. Ainsi, dans les Hauts-de-Seine, 75 % des édifices religieux sont propriété de l’évêché. Du fait des évolutions que connaît la géographie de la pratique religieuse, l’Église doit assurer, d’une part, la création de nouveaux lieux de culte et, de l’autre, l’entretien d’édifices dans des lieux où la pratique a diminué. Les édifices construits après 1905 sont souvent en béton et, on le sait aujourd’hui, ce n’est pas le matériau le plus facile à restaurer.

Ce rapport acte plusieurs consensus forts, qu’il s’agisse de la compétence des collectivités territoriales ou de la volonté générale des cultes de travailler à une resocialisation des édifices. Si nous faisons passer ces deux messages, nous aurons réussi notre travail.

Les recommandations sont adoptées.

La commission adopte, à l’unanimité, le rapport d’information et en autorise la publication.

Mission d’information relative à la mise en œuvre de la loi de programmation de la recherche - Examen du rapport et vote

M. Laurent Lafon, président. – Nos collègues Laure Darcos et Stéphane Piednoir vont maintenant nous présenter leur bilan de la mise en œuvre de la loi de programmation de la recherche (LPR).

Mme Laure Darcos, rapporteur. – Il était important de disposer d’une année complète d’application de la loi pour formuler nos préconisations. Comme vous allez le constater, ces dernières sont un peu sévères.

La LPR, que nous avons examinée à l’automne 2020, était très attendue par un secteur confronté depuis des années à un sous-investissement public chronique, ayant conduit à son décrochage au niveau international et à une érosion progressive de l’attractivité de ses métiers.

Cette loi avait donc pour objectif premier de « réarmer » la recherche française en planifiant sur une période de dix ans, courant de 2021 à 2030, une augmentation progressive de 5 milliards d’euros de son budget.

Bien que saluant l’initiative d’un tel texte, le Sénat avait jugé cette trajectoire budgétaire à la fois trop longue et pas assez ambitieuse dans son intensité sur les premières années. Nous avions alors durement bataillé pour obtenir un raccourcissement de la programmation à sept ans et un effort financier plus marqué en début de période. En définitive, nous n’avons pas obtenu gain de cause sur le premier point. En revanche, nous avons réussi à améliorer sensiblement la trajectoire budgétaire par l’intégration de crédits issus du plan de relance.

Par ailleurs, le Sénat a enrichi le texte à plus d’un titre, qu’il s’agisse de la sécurisation des nouveaux dispositifs de recrutement, de la définition d’un socle juridique pour l’intégrité scientifique, de la réduction du nombre d’ordonnances ou encore de la valorisation de la culture scientifique.

Un an et demi après la promulgation de la LPR, la commission nous a confié cette mission de contrôle afin de dresser un premier état des lieux de son application, tant sur le plan strictement réglementaire que sur le plan de sa mise en œuvre concrète sur le terrain et des premiers résultats observables.

Pour mener à bien ce bilan d’étape, nous avons auditionné les représentants des principaux acteurs du secteur : grands organismes de recherche, Agence nationale de la recherche (ANR), Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres), établissements d’enseignement supérieur, collèges doctoraux, directions de laboratoires, ministère, etc.

Commençons par le volet réglementaire, le plus formel, mais aussi le plus important pour la mise en œuvre de la loi.

Initialement prévu pour être en grande partie accompli au début de l’été 2021, et achevé à l’automne de la même année, le programme de publication des textes réglementaires de la LPR a pris beaucoup de retard sous l’effet de plusieurs contraintes sans doute sous-estimées par le ministère. Je pense en particulier aux étapes préalables de concertation avec les instances nationales de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR), aux arbitrages interministériels, au phénomène d’embouteillage du « guichet unique de Bercy » et aux délais de passage devant le Conseil d’État.

Après un pic de publication survenu à la fin de l’année dernière, le schéma réglementaire de la loi de programmation est aujourd’hui presque intégralement mis en œuvre. Il ne manque à ce jour que deux décrets et deux arrêtés sur les quarante textes d’application nécessaires.

Poursuivons avec le volet « programmation budgétaire », qui constitue le cœur de la LPR.

Ses deux premières annuités se sont traduites, en loi de finances initiale (LFI) pour 2021, par un abondement de 389 millions d’euros de plus qu’en 2020, et, en LFI pour 2022, par un apport supplémentaire de 497,4 millions d’euros par rapport à 2021.

Conformes à la trajectoire définie par la loi de programmation, ces évolutions constituent un début de réinvestissement accueilli avec un certain soulagement par le secteur.

L’effort budgétaire déployé concerne en tout premier lieu l’ANR, acteur pivot de notre système de recherche. L’Agence a bénéficié, en 2021, d’une hausse de 424 millions d’euros de sa dotation. Son budget d’intervention est ainsi passé de 746 millions à 1,19 milliard d’euros, un niveau inédit depuis sa création. En 2022, l’augmentation devrait être de 438 millions d’euros pour un budget d’intervention global de 1,2 milliard d’euros. Là encore, ces progressions correspondent aux engagements pris.

Le renforcement des moyens financiers de l’ANR a rendu possible, dès 2021, l’enclenchement de la dynamique prévue par la LPR, qu’il s’agisse de l’augmentation du taux de succès aux appels à projets ou du relèvement du préciput.

Pour l’ensemble des appels à projets, le taux de succès s’est élevé à 23,1 % en 2021. Ce résultat très encourageant laisse à penser que la cible de 30 % en 2027 est raisonnablement atteignable. Je rappelle qu’en 2017 le taux de succès était inférieur à 12 %.

Néanmoins, nous appelons à la vigilance sur deux points.

Premièrement, il ne faudrait pas que le nombre de projets déposés connaisse une augmentation trop importante, la hausse du taux de sélection étant susceptible de provoquer un « appel d’air ».

Deuxièmement, compte tenu de la forte inflation qui sévit actuellement, l’augmentation du financement moyen par projet devient un enjeu central. Évidemment, l’augmentation du taux de sélection ne saurait se traduire par une baisse du financement moyen par projet.

Le relèvement du préciput à 25 % en 2021, contre 19 % en 2020, est conforme aux prévisions et de bon augure pour la suite de la programmation. Nous ajoutons toutefois deux bémols.

Les retombées de l’augmentation du préciput semblent moins immédiatement perceptibles par les acteurs de la recherche que celles qui résultent de la hausse du taux de sélection, effet que certains imputent au caractère « relativement, voire trop modeste » du relèvement du taux.

En outre, le nouveau système de répartition, d’abord tripartite, puis quadripartite, est pour le moins complexe. Du reste, ses modalités de mise en œuvre continuent de susciter un certain nombre d’interrogations.

Pour conclure sur ce volet budgétaire, nous saluons le respect de la trajectoire sur les deux premières annuités, mais nous alertons sur deux points.

L’effort budgétaire mis en œuvre étant très largement absorbé par la hausse des prix, il nous semble impératif de procéder à un réexamen de la trajectoire initiale, laquelle ne tient précisément pas compte de l’inflation. Le Sénat l’avait d’ailleurs pointé au moment de l’examen du projet de loi.

La clause de revoyure, prévue pour 2023 par l’article 3 de la LPR, doit permettre de procéder à cette actualisation. Nous devons notamment revoir deux questions : la durée de la programmation – face aux aléas macroéconomiques, il faut ramener la trajectoire à sept ans, comme nous l’avions préconisé – et l’intensité de l’effort budgétaire – le choc de réinvestissement attendu ne s’étant pas produit, il faut amplifier le rythme des prochaines annuités.

La nouvelle ministre devra rapidement donner des garanties quant à la suite de la mise en œuvre de la programmation budgétaire et quant à ses possibilités d’actualisation.

Enfin, la LPR ignore une question centrale, celle du glissement vieillesse technicité (GVT), qui grève les marges de manœuvre budgétaires des opérateurs.

Le GVT, c’est en effet un coût annuel de 30 millions d’euros pour les organismes de recherche et de 50 millions d’euros pour les établissements d’enseignement supérieur. La clause de revoyure est l’occasion de traiter enfin ce dossier, par exemple dans le cadre des contrats liant les opérateurs de recherche à l’État.

M. Stéphane Piednoir, rapporteur. – Venons-en au volet « ressources humaines ». À ce titre, la mise en œuvre de la trajectoire d’emplois prévue par la LPR exige une remarque préliminaire.

En 2021, 376 équivalents temps plein travaillé (ETPT) ont été créés contre 700 prévus. Le taux de réalisation de l’objectif affiché pour la première annuité est donc de 53,7 %.

Selon le ministère, ce moindre résultat s’expliquerait par le fait que de nombreux textes réglementaires n’ont été publiés que courant, voire fin 2021. Dès lors, il n’aurait pas été possible d’assurer le plein déploiement des dispositifs « RH » concernés, en particulier l’augmentation du nombre de contrats doctoraux et la création des chaires de professeur junior (CPJ).

Nous nous étonnons de cet argument, qui consiste à faire reposer les créations de postes promises principalement sur les contrats doctoraux supplémentaires et le nouveau dispositif des CPJ.

Nous déplorons également que le dispositif de suivi de la trajectoire d’emplois de la LPR, prévu sous la forme d’un plan pluriannuel de recrutement élaboré par chaque établissement, ne soit pas encore formellement mis en œuvre.

Ce constat général étant fait, attardons-nous sur les principaux dispositifs de recrutement créés par la loi de programmation, à commencer par les chaires de professeur junior.

Au total, 229 CPJ ont été ouvertes sur les deux premières annuités, alors que l’objectif fixé par le rapport annexé est de 300 chaires par an sur dix ans. Ces chiffres témoignent d’un démarrage relativement lent du dispositif.

Bien que nous manquions encore de recul pour en dresser un premier bilan consolidé – la campagne 2021 n’est en réalité pas tout à fait terminée et la campagne 2022 est en cours –, nous remarquons que les CPJ continuent de diviser la communauté universitaire : alors que certaines universités se sont engagées rapidement dans ce dispositif, d’autres refusent toujours d’y entrer. À l’évidence, il existe donc une marge d’acculturation.

Au-delà de l’adhésion ou de l’opposition de principe que suscitent ces chaires, trois sujets préoccupent les acteurs sur le terrain : les incidences de cette nouvelle voie de recrutement sur les collectifs de travail, la question de l’égal accès des femmes et des hommes au dispositif et l’absence de garantie des libertés académiques pour le titulaire d’une CPJ.

À la lumière de ces constats, nous formulons d’ores et déjà deux recommandations.

Premièrement, au niveau des établissements, nous suggérons de mettre en place des garde-fous pour apaiser et rassurer les esprits. Il s’agirait notamment d’ajouter une dimension collective au processus d’entrée dans le dispositif, via la consultation des instances compétentes, et d’assurer la transparence de la procédure à toutes ses étapes.

Deuxièmement, au niveau du ministère, nous préconisons de respecter l’engagement pris d’assortir toute création de chaire d’au moins une promotion de maître de conférences ou de chargé de recherches, c’est-à-dire de lier l’existence des CPJ à des créations de postes permanents par la voie classique.

Le deuxième nouveau dispositif de recrutement est le CDI de mission.

Ce nouveau contrat, inspiré des « contrats de chantier » de la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite Pacte, vise à répondre aux besoins des projets de recherche de long terme et à remédier au taux de renouvellement trop important des chercheurs hautement qualifiés.

Cependant, tel qu’il a été précisé par décret, le CDI de mission repose sur deux conditions contradictoires : une durée supérieure à six ans et un financement reposant majoritairement sur des ressources propres, ce qui ne concerne que des cas exceptionnels.

Dans ses modalités actuelles, le dispositif est donc peu opérationnel et suscite une grande déception chez les organismes de recherche. Aucun n’a d’ailleurs, à ce jour, conclu un tel contrat.

Nous préconisons donc, à l’occasion de la clause de revoyure 2023, de revoir les dispositions réglementaires du CDI de mission pour le rendre réellement opérant.

J’en viens aux troisième et quatrième dispositifs de recrutement, le contrat doctoral de droit privé et le séjour de recherche.

Ces deux mesures, dont l’objectif est de sécuriser juridiquement les doctorants contractuels, français ou étrangers, semblent, dans leurs modalités de mise en œuvre, donner satisfaction même si elles doivent encore « entrer dans les mœurs ».

J’évoquerai enfin les possibilités de recrutement hors Conseil national des universités (CNU).

La LPR rend possible le recrutement d’enseignants-chercheurs sans passer par la qualification du CNU selon deux possibilités, qui avaient suscité de vives réactions au moment de l’examen du texte : la suppression de la qualification pour les maîtres de conférences qui postulent pour devenir professeur, disposition qui est bien entrée en application, et l’expérimentation permettant de déroger à la qualification pour le recrutement des maîtres de conférences, qui, elle, n’est toujours pas lancée – le décret, non publié à ce jour, est à l’arbitrage du nouveau gouvernement…

Cette expérimentation étant encore très décriée, nous appelons la nouvelle ministre à mener une concertation approfondie sur ses modalités de mise en œuvre afin qu’elle puisse se dérouler dans un climat le plus serein possible.

Quelques mots maintenant sur les mesures « carrières et rémunérations », qui ne figurent pas à proprement parler dans la LPR, mais dans le protocole d’accord signé le 12 octobre 2020 par les syndicats majoritaires de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR).

Les deux premières tranches 2021 et 2022 du processus de revalorisation indemnitaire, de 92 millions d’euros chacune, ont été intégralement mises en œuvre. Elles ont globalement été bien accueillies par le secteur, même si certains les jugent insuffisantes au regard de l’ampleur du décrochage des rémunérations dans l’ESR et regrettent qu’elles ne portent que sur la partie indemnitaire et non sur la rémunération de base.

Nous avons également été alertés sur la complexité du nouveau régime indemnitaire unifié des chercheurs et des enseignants-chercheurs (Ripec), en particulier sur sa composante individuelle « C 3 » considérée comme une véritable usine à gaz, bien loin de l’objectif de simplification annoncé.

Nous préconisons enfin d’aborder, lors de la clause de revoyure, la question du calendrier de mise en œuvre de la seconde étape de la convergence indemnitaire, initialement prévue entre 2027 et 2030 : en cas de raccourcissement de la durée de la programmation à sept ans, il faudra mener à bien cette convergence interministérielle d’ici à 2027.

Pour clore ce volet « RH », je dresserai un rapide état des lieux des mesures relatives au doctorat.

La LPR a clairement permis d’enclencher une dynamique positive.

J’en veux pour preuve les 170 contrats doctoraux supplémentaires qui ont été financés par le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (Mesri) en 2021 ; la même évolution est attendue en 2022, 2023 et 2024, pour atteindre l’objectif de 680 contrats supplémentaires en quatre ans.

Toutefois, la revalorisation de 30 % des nouveaux contrats doctoraux, initialement prévue sur trois ans, a finalement été étalée sur cinq ans : une augmentation de 6 % a eu lieu en 2021, portant le salaire mensuel brut à 1 866 euros ; une augmentation équivalente devrait intervenir en 2022, portant ce même salaire à 1 975 euros ; et une hausse plus importante, de 16,4 %, est annoncée pour 2023, qui le porterait à 2 300 euros.

Malgré ces avancées, plusieurs motifs d’insatisfaction ou d’inquiétude nous ont été rapportés.

D’abord, la revalorisation ne concerne que les nouveaux contrats doctoraux, ce qui crée une iniquité entre doctorants.

Ensuite, les hausses 2021 et 2022 sont déjà grevées par l’inflation.

Enfin, l’augmentation promise de 30 % d’ici à 2025 n’est en aucune manière garantie.

Nous estimons en outre que ces mesures financières, évidemment nécessaires, ne suffisent pas à revaloriser structurellement le doctorat. Une politique réellement ambitieuse nécessiterait, selon nous, de travailler sur les axes suivants : l’information et la communication sur les modalités du doctorat et le devenir professionnel des docteurs via, par exemple, la création d’un portail national de l’emploi des docteurs ; la médiation scientifique auprès des étudiants pour les inciter à s’engager dans la voie doctorale ; et la reconnaissance du doctorat dans le monde de l’entreprise et sa publicité auprès du grand public.

Mme Laure Darcos, rapporteur. – Le quatrième grand thème que nous souhaitons aborder est relatif à l’évaluation et à l’organisation de la recherche.

La LPR a posé un nouveau cadre juridique pour l’évaluation des établissements et des chercheurs. Devenu autorité publique indépendante et ayant vu ses missions élargies, le Hcéres a entrepris, sous l’impulsion de son nouveau président, une réforme de sa méthodologie d’évaluation, dite « intégrée ».

Les nouveaux référentiels, parus à l’automne 2021, privilégient désormais une approche ex post, mettant l’accent, non plus sur le contenu scientifique des projets de recherche, mais sur l’évaluation des résultats obtenus au moyen de nombreux indicateurs.

Cette nouvelle donne a suscité une forte contestation au sein de la communauté de recherche, un collectif de plusieurs centaines de directeurs de laboratoires ayant dénoncé, en début d’année, « un système quantitatif et bureaucratique », qui va à l’inverse de la tendance souhaitée de simplification et d’allègement du travail administratif des chercheurs.

Après avoir entendu chacune des parties – des représentants de ce collectif et le président du Hcéres –, nous estimons qu’une démarche plus à l’écoute des préoccupations du terrain est nécessaire pour la suite de la mise en œuvre de la réforme de l’évaluation, et qu’un équilibre entre un « tout quantitatif » et un « tout qualitatif » peut être trouvé.

La méthodologie d’évaluation « intégrée » amène aussi à se poser la question de l’organisation du système de recherche, que n’a malheureusement pas du tout abordée la LPR.

En effet, le paysage de recherche français se caractérise par une pluralité d’acteurs – organismes nationaux de recherche, établissements d’enseignement supérieur, agences de financement, unités mixtes de recherche… –, dont les missions ne sont pas forcément bien réparties et dont les relations ne sont pas toujours fluides. Nombre de nos interlocuteurs nous ont fait part des difficultés qu’ils rencontrent régulièrement.

Face à cet « impensé » de la loi de programmation, nous demandons que la revoyure 2023 soit l’occasion de mettre en place un nouveau modèle d’organisation, clarifiant le rôle de chaque acteur, redéfinissant leurs relations réciproques et favorisant les complémentarités d’action. Il me semble que si elle en a la latitude, la nouvelle ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, qui connaît bien ces questions pour avoir été présidente d’université, se saisira de cette difficulté.

La LPR n’a pas non plus donné de cap à la recherche française, la programmation budgétaire ne s’étant pas accompagnée d’une programmation stratégique. Cette faille structurelle de la loi a participé de son acceptabilité très relative.

C’est pourquoi il nous semble indispensable, en vue de cette revoyure, de réfléchir aux modalités d’une programmation stratégique de la politique publique de recherche et de proposer une vision du secteur à moyen et long terme.

M. Stéphane Piednoir, rapporteur. – Je ferai une dernière remarque sur le volet « sciences et société ».

Dans une période marquée par une défiance croissante à l’égard de la rationalité scientifique, la loi de programmation comporte, principalement dans son rapport annexé, de nombreuses mesures pour renforcer les relations entre les scientifiques et les citoyens.

Nous constatons que ce chantier sociétal a été bien amorcé – nous vous renvoyons pour les détails à notre rapport écrit – et appelons à poursuivre la dynamique à l’œuvre.

En définitive, la LPR constitue assurément un bon début de réinvestissement public dans la recherche, mais sa durée et son rythme sont certainement à reconsidérer à l’aune du contexte inflationniste que nous traversons.

Des améliorations doivent sans doute aussi être apportées dans la façon d’appliquer certaines de ses mesures pour éviter de créer de la complexité supplémentaire là où, au contraire, de la simplification est nécessaire.

Enfin, certaines lacunes de la LPR nécessitent d’être comblées, en particulier en matière d’organisation et de programmation stratégique de la recherche.

Nous sommes déterminés à saisir l’occasion de la revoyure 2023 pour aborder l’ensemble des sujets que nous venons de vous présenter. L’audition, dans quinze jours, de la nouvelle ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche nous permettra d’ores et déjà de l’interroger sur ses intentions.

Mme Laure Darcos, rapporteur. – J’ajoute pour finir que nous avons été déçus de n’avoir aucun retour de la part de Frédérique Vidal, dont la LPR était pourtant le « bébé ». Nous regrettons qu’elle n’ait pas accompagné l’application de cette loi.

M. Laurent Lafon, président. – Merci à tous deux de la qualité de ce rapport qui nous permettra d’engager le débat avec la nouvelle ministre sur des bases objectives.

M. Max Brisson. – Je remercie nos deux rapporteurs pour ce rapport technique et complet. Il montre que le Sénat aurait dû être davantage écouté lors des débats relatifs à la LPR. La clause de revoyure ressemblera étrangement à une redite du débat que nous avons eu dans l’hémicycle et en coulisse, puisque nous avons tout fait pour aider la ministre à remporter certains arbitrages et pour donner du contenu à ce texte.

Si la trajectoire financière a été respectée, les difficultés d’opérationnalité des nouvelles méthodes de recrutement pointées par Stéphane Piednoir montrent que l’évitement de la concertation et la verticalité ne fonctionnent pas. À l’occasion de la clause de revoyure, le Sénat pourra rappeler l’importance du dialogue en matière de ressources humaines.

Le président du Sénat travaille actuellement à définir le rôle de notre assemblée dans le nouveau contexte politique. Ce rapport est une illustration du rôle déterminant qu’il peut jouer en matière de contrôle de l’action du Gouvernement.

M. Pierre Ouzoulias. – Merci, mes chers collègues, de la qualité de votre rapport, sincère et objectif. Je sais que vous avez eu beaucoup de difficultés à obtenir des informations chiffrées. Dans le cadre du projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2021, la Cour des comptes souligne d’ailleurs que le Mesri ne lui a pas transmis toutes les informations nécessaires.

Le Gouvernement a sollicité le Parlement pour sanctuariser une trajectoire budgétaire, puis aussitôt celle-ci votée, il s’en est détourné. À quoi bon voter une loi de programmation pluriannuelle ? Autant revenir à l’annualité budgétaire !

Le Gouvernement a déployé des efforts de communication démesurés pour nous convaincre qu’il s’apprêtait à consentir le plus fort investissement au profit de l’enseignement supérieur et de la recherche depuis 1945. Or nous apprenons que le « bébé » de Mme Vidal a été abandonné sur les marches de l’église ! Mme Retailleau recueillera-t-elle l’orphelin ? Je lui souhaite du courage ! En tout état de cause, il n’est pas honnête de vider les coffres d’un ministère avant de le confier à son successeur. Mme Vidal aurait dû défendre les arbitrages qui avaient été actés.

Quel sera l’impact du dégel du point d’indice sur le GVT ? Pour l’université de Nanterre, cela représente plusieurs millions d’euros, que l’on ne sait pas où trouver.

Je note que la trajectoire d’emplois n’est réalisée qu’à 53,7 %. Cela aura des conséquences majeures, d’autant que les engagements relatifs aux créations de chaires de professeur junior, qui ne devaient pas se faire au détriment du passage du corps des maîtres de conférences à celui des professeurs, n’ont pas été tenus.

Des juristes m’ont indiqué qu’ils restaient attachés à l’agrégation, qu’ils continuent de considérer comme la voie royale du recrutement vers le professorat. Si ce système doit être abandonné, il faut le leur dire.

Malheureusement, la LPR a créé des sujets de frictions entre les différentes institutions de l’ESR. Les universitaires réclament notamment une loi de programmation de compensation. C’est une difficulté supplémentaire qu’il nous faudra traiter dans le cadre de la clause de revoyure.

M. Jean Hingray. – Je félicite à mon tour nos rapporteurs pour la qualité de leurs travaux.

Je souhaite revenir sur l’expérimentation du recrutement des maîtres de conférences hors qualification par le CNU. Nous n’avons eu aucune information sur la mise en place de ce dispositif. Quels seraient les contours de la concertation que vous évoquez et quelles actions pourrions-nous mener en faveur de ce dispositif ?

Par ailleurs, je salue votre recommandation relative à la création d’un portail national de l’emploi des docteurs. Quelles passerelles pourrait-il instaurer avec le secteur privé ?

M. Laurent Lafon, président. – Je précise que les modalités de la clause de revoyure n’étant pas fixées, rien n’oblige le Gouvernement à ouvrir un débat avec le Parlement. Nous devrons donc évoquer ce point avec la ministre pour solliciter un engagement de sa part en ce sens.

Mme Laure Darcos, rapporteur. – C’est évidemment le premier sujet qu’il faudra aborder avec la ministre.

La trajectoire financière a été tenue pour les deux premières années. Nous devons rester vigilants pour que ce soit le cas pour les années suivantes.

Concernant le GVT, nous interrogerons prochainement la ministre sur le dégel du point d’indice. En tout état de cause, ce sera l’un des sujets forts de mon rapport pour avis dans le cadre du prochain projet de loi de finances.

Mon sentiment est que le précédent Gouvernement a mis le problème du GVT sous le tapis, considérant qu’il se réglerait de lui-même du fait des départs en retraite. Or c’est le premier sujet de préoccupation des présidents d’université.

M. Stéphane Piednoir, rapporteur. – Nous partageons le même étonnement quant à la réalisation de la trajectoire emplois, cher Pierre Ouzoulias.

S’agissant des chaires de professeur junior, je considère pour ma part qu’elles apportent une forme de flexibilité compte tenu des difficultés de recrutement que nous constatons. Du reste, contrairement aux CDI de mission, on observe un réel intérêt de certains acteurs pour les CPJ. Comme nous l’avions indiqué lors des débats relatifs à la LPR, il convient toutefois de veiller à ce qu’un nombre équivalent de recrutements soient pourvus par la voie classique.

Il appartiendra à la nouvelle ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche de définir les contours de la concertation élargie relative à l’expérimentation du recrutement des maîtres de conférences hors qualification par le CNU. Comme l’a indiqué Max Brisson, rien ne peut fonctionner sans concertation.

Enfin, la plateforme nationale que nous proposons a vocation à identifier les différents débouchés qui s’offrent aux doctorants, y compris dans les métiers du privé. J’ajoute que France Universités et l’association représentant les écoles doctorales souhaitent sa création.

Les recommandations sont adoptées.

La commission adopte, à l’unanimité, le rapport d’information et en autorise la publication.

La réunion est close à 11 h 30.