Lundi 26 septembre 2022

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 17 h 35.

Proposition de loi n° 867 (2021-2022) visant à mieux valoriser certaines des externalités positives de la forêt - Désignation d'un rapporteur

La commission désigne M. Vincent Segouin rapporteur sur la proposition de loi n° 867 (2021-2022) visant à mieux valoriser certaines des externalités positives de la forêt présentée par Mme Vanina Paoli-Gagin et plusieurs de ses collègues.

Mission de contrôle sur la démarche « Zéro artificialisation nette » (ZAN) - Création et désignation des membres de la mission de contrôle

La commission désigne M. Jean-Baptiste Blanc, Mme Frédérique Espagnac, M. Didier Rambaud, M. Christian Bilhac et M. Emmanuel Capus membres de la mission de contrôle avec la commission des affaires économiques, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et la commission des lois sur la démarche Zéro Artificialisation Nette (ZAN).

Projet de loi de finances pour 2023 - Audition de MM. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, et Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique chargé des comptes publics

M. Claude Raynal, président. - Nous avons le plaisir de recevoir cet après-midi M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics, pour évoquer devant nous le projet de loi de finances pour 2023 et le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027, deux textes présentés ce matin en conseil des ministres.

Nous recevrons mercredi matin le président du Haut Conseil des finances publiques, qui nous présentera l'avis du Haut Conseil sur ces deux textes, ainsi que sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023.

Le projet de loi de finances applique pour la première fois la réforme de la loi organique relative aux lois de finances, promulguée le 28 décembre 2021. Comme vous le savez, certains articles renforcent l'information du Parlement sur les crédits et sur la trajectoire pluriannuelle. Par ailleurs, la répartition des articles entre la première et la seconde partie est, je crois, clarifiée.

Ce budget constitue aussi la première étape de mise en oeuvre de la future loi de programmation des finances publiques. Le texte proposé par le Gouvernement vise à ramener le déficit à 2,9 % du PIB en 2027 et fixe des orientations pour l'évolution des crédits des budgets de l'État, des collectivités territoriales et des administrations de sécurité sociale.

Comme d'habitude - mais peut-être plus encore cette année -, ces deux textes sont soumis à de nombreuses incertitudes : je pense à l'évolution de la situation internationale et à ses effets sur les coûts de l'énergie et sur l'inflation, mais aussi aux changements du cadre européen des finances publiques, de nouvelles règles pouvant entrer en vigueur au cours de la mise en oeuvre de la loi de programmation.

Même si vous avez fait précéder ce dépôt d'une phase de consultation originale sous la forme des « dialogues de Bercy », auxquels certains d'entre nous ont participé, nos collègues auront certainement de nombreuses questions à vous poser sur ces deux textes.

Messieurs les ministres, je vous laisse la parole pour un propos liminaire, avant d'en venir à mes questions, à celles du rapporteur général et de l'ensemble des sénateurs membres de la commission des finances.

M. Bruno Le Maire, ministre. - Je suis très heureux de vous retrouver avec Gabriel Attal pour vous présenter ce premier budget du nouveau quinquennat, le sixième de notre majorité.

L'objectif de ce projet de loi de finances est de tenir l'équilibre entre la protection de nos compatriotes et de nos entreprises face à l'inflation et le nécessaire rétablissement de nos finances publiques, avec comme objectif un déficit public ramené à moins de 3 % en 2027.

Comme vous l'avez rappelé, monsieur le président, les incertitudes n'ont jamais été aussi grandes : je pense aux conséquences de la guerre en Ukraine sur les prix de l'énergie, aux difficultés économiques de nos principaux partenaires et aux incertitudes politiques au sein de la zone euro.

Dans ce contexte, je tiens à rappeler la très bonne résistance de l'économie française. Le taux de croissance devrait atteindre 2,7 % au cours de l'année 2022, les créations d'emplois restent dynamiques, la consommation des ménages se maintient et l'investissement des entreprises reste solide. C'est ainsi que nous maintenons notre prévision de croissance à 1 % pour l'année 2023.

La priorité va à la lutte contre l'inflation, qui restera à un niveau élevé dans les mois qui viennent, à hauteur de 6 %, contre une prévision de 4 % pour 2023.

Nous avons adopté une stratégie singulière de protection des ménages au sein de la zone euro. Dès l'automne 2021, nous les avons préservés de l'augmentation des prix de l'énergie : nous avons gelé les prix du gaz, plafonné l'augmentation du prix de l'électricité à 4 % et contenu l'inflation à un niveau le plus faible parmi les pays de la zone euro.

Nous maintiendrons ce bouclier tout en l'adaptant progressivement : les prix du gaz et de l'électricité augmenteront de 15 % au début de l'année 2023. Cette hausse s'élèverait à plus de 100 % si nous suivions les prix du marché, ce qui serait intolérable. Ce bouclier représente un coût de 16 milliards d'euros - 11 milliards d'euros pour le gaz et 5 milliards d'euros pour l'électricité - inscrits dans le projet de loi de finances pour 2023. Cette somme représente un coût net : il convient de retrancher au coût brut de ce dispositif, beaucoup plus élevé, la somme de près de 20 milliards d'euros, correspondant aux prélèvements sur les énergéticiens.

À plusieurs reprises, j'ai eu l'occasion de rappeler que nous n'étions pas favorables à des taxes exceptionnelles sur les superprofits, des taxes ordinaires et permanentes pesant sur les profits de toutes les entreprises. En revanche, nous entendons récupérer la rente dont bénéficient les énergéticiens.

Nous protégeons également nos compatriotes en privilégiant le travail qui paie. Nous avons décidé de revaloriser le barème de l'impôt sur le revenu (IR) du montant de l'inflation, soit 5,4 %. Ce faisant, nous évitons à tous les contribuables soumis à cet impôt de payer davantage, même si leurs revenus augmentent. Le revenu disponible après impôt restera le même. Tel est l'objectif de notre politique économique : faire en sorte que le travail permette de vivre dignement. Il est essentiel de protéger de l'inflation nos compatriotes qui travaillent, en particulier ceux des classes moyennes.

Nous voulons aussi protéger les entreprises. Chacun a pris conscience que l'arrivée des factures d'énergie inquiète les chefs d'entreprise. Le tarif régulé de l'électricité est maintenu pour les très petites entreprises de moins de 10 salariés dont le chiffre d'affaires est inférieur à 2 millions d'euros : les hausses de prix seront contenues à 15 %.

Pour toutes les autres, nous avons demandé à la Commission européenne d'établir des critères plus simples afin de renforcer les aides accordées aux entreprises qui sont exposées à la concurrence internationale et qui souffrent de la flambée des prix de l'énergie. Le critère de 3 % de consommation énergétique dans le chiffre d'affaires de l'entreprise doit être adapté afin que l'année de référence ne soit pas 2021, mais 2022 ou 2023. Avant la crise, la part de l'énergie dans les chiffres d'affaires de nombreuses entreprises représentait 1 ou 2 %. Celles-ci ne sont donc pas éligibles aux dispositifs d'aide, alors que le coût de l'énergie représente désormais une charge pouvant aller jusqu'à 5 % de leur chiffre d'affaires. Il est indispensable de revoir le mécanisme.

Par ailleurs, nous estimons que le critère de l'EBITDA (bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement) négatif durant trois mois est absurde : cela revient à condamner les entreprises, qui ne peuvent faire face à une telle situation. Nous avons demandé que celui-ci soit remplacé par une baisse de bénéfice durant un mois.

Enfin, j'ai demandé le doublement du plafond des aides d'État que nous pourrions apporter à ces entreprises, afin qu'aucune d'entre elles ne soit contrainte à la fermeture en raison de la flambée des prix de l'énergie. Nous avons d'ores et déjà obtenu que la révision du cadre des aides d'État intervienne non pas au 1er janvier 2023, mais bien dans le courant du mois d'octobre pour que les entreprises bénéficient de ce soutien le plus rapidement possible.

Enfin, nous aidons les collectivités locales, via un fonds d'un montant de 430 millions d'euros créé, avec votre aide, lors de l'examen du projet de loi de finances rectificative pour 2022.

Notre objectif consiste également à transformer notre économie pour rétablir nos finances publiques et garantir la baisse de la dette publique, alors que les taux d'intérêt augmentent. Nous gardons la même stratégie : la réduction des dépenses, le soutien à la croissance et les réformes structurelles.

Concernant les dépenses, nous sommes sortis du « quoi qu'il en coûte ». Celui-ci était approprié pour lutter contre les conséquences du covid-19, mais il constituerait une faute économique dans la lutte contre l'inflation, qu'il ne ferait que nourrir. Nous devons abandonner les dispositifs transversaux au profit d'aides ciblées. Ceux qui critiquent le manque d'ambition du projet de loi de finances pour 2023 en matière de réduction des dépenses publiques sont les mêmes qui réclamaient d'apporter un soutien à toutes les entreprises, quelles que soient les circonstances. Je ne vise pas les sénateurs présents aujourd'hui ; je réclame de la cohérence.

Par ailleurs, maintenir une croissance forte suppose de continuer à soutenir la compétitivité de nos entreprises et la politique de l'offre. Nous confirmons la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Dans un esprit de responsabilité, cette réforme sera menée en deux temps, en 2023 et en 2024, pour un montant total de 8 milliards d'euros. La trajectoire de suppression de la CVAE sera inscrite dans ce projet de loi de finances afin d'apporter toutes les garanties nécessaires aux chefs d'entreprise.

La croissance repose également sur l'innovation : nous inscrivons 6 milliards d'euros d'engagements au titre du plan France 2030.

Enfin, une stratégie crédible de restauration des finances publiques suppose d'engager des réformes structurelles. Dans un pays comptant près de 400 000 emplois non pourvus, il me paraît légitime de durcir les règles de l'assurance chômage.

Il me paraît également nécessaire de mener la réforme des retraites en vue de son application dès l'été 2023 afin de financer notre modèle de protection sociale sans augmenter les impôts. Lorsque je compare la France aux autres nations développées, je constate que notre pays réussit partout, mais que le volume global de travail est insuffisant dans notre pays. Le taux d'emploi des personnes âgées de plus de 55 ans est inférieur de 20 points à celui de l'Allemagne par exemple. Cela entraîne une perte de compétences, de savoir-faire et d'expérience.

Ce projet de loi de finances concrétise notre détermination à accélérer la transition écologique. Je reconnais cependant que les sommes importantes allouées au bouclier énergétique ont un impact sur la qualité du budget vert. Nous devons faire mieux dans les mois qui viennent. Les crédits de MaPrimeRénov' s'élèveront à 2,5 milliards d'euros. Quelque 1,3 milliard d'euros seront consacrés au verdissement du parc automobile et 1,5 milliard d'euros seront versés au fonds destiné à aider les collectivités territoriales à faire face au changement climatique.

Je tiens à souligner une décision politique majeure : la France renonce pour la première fois aux assurances crédit-export pour tous les projets liés aux énergies fossiles.

Enfin, ce budget reste conforme aux engagements pris en matière de finances publiques. Nous souhaitons que l'augmentation des dépenses en volume reste cantonnée, toutes administrations confondues, à hauteur de 0,6 % durant le quinquennat, contre 1 % au cours des dix dernières années et 2 % pendant les vingt dernières années. Nous ralentissons l'accroissement en volume de la dépense publique. Mais il est toujours possible de mieux faire : toutes les propositions de réduction des dépenses des sénatrices et des sénateurs seront examinées avec le plus grand intérêt.

M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique chargé des comptes publics. - Face aux aléas géopolitiques et économiques, il nous est très difficile de prévoir l'avenir. Nous n'avons pas de boule de cristal, mais nous disposons d'une boussole : la protection de nos concitoyens.

Comme l'a rappelé Bruno Le Maire, le bouclier tarifaire, d'un montant net de 16 milliards d'euros, limitera la hausse des prix de l'énergie à 15 %, contre 120 ou 140 % si nous n'avions pas agi.

Certains soutiennent que la revalorisation du barème de l'impôt sur le revenu serait automatique. Or ce n'est pas nécessairement le cas chaque année. Cela relève toujours du choix d'un gouvernement. Cette année, la question se posait, car le coût de la mesure est estimé à 6,4 milliards d'euros, compte tenu de l'importance de l'inflation que nous connaissons actuellement.

La protection de nos concitoyens passe par la poursuite de nos actions en faveur de l'emploi. Conformément à l'objectif fixé par le Président de la République, nous souhaitons que notre pays compte prochainement 1 million d'apprentis, ce qui explique la revalorisation des crédits du ministère du travail, pour un montant de 6 milliards d'euros. C'est aussi l'enjeu de l'augmentation des crédits du ministère de l'éducation nationale, à hauteur de 3,7 milliards d'euros. À la rentrée 2023, aucun enseignant ne touchera moins de 2 000 euros net par mois et tous les professeurs connaîtront une hausse de salaire de 10 %.

Les fonctions régaliennes sont renforcées. Plus de 3 milliards d'euros supplémentaires seront accordés au ministère de la défense, conformément à la loi de programmation militaire. Le ministère de l'intérieur recevra 1,4 milliard d'euros de crédits additionnels. Le budget du ministère de la justice connaîtra une hausse importante de 8 %, pour la troisième année consécutive.

Nous protégeons également nos comptes publics. Nous sommes passés du « quoi qu'il en coûte » au « combien ça coûte ». Chaque euro dépensé doit être utile. La trajectoire de maîtrise de la dépense publique est la plus ambitieuse depuis vingt ans. Durant le quinquennat, les dépenses de l'État baisseront chaque année de 0,4 % en moyenne, et celles des collectivités territoriales de 0,5 %. En revanche, les dépenses de santé continueront d'augmenter en volume : ce choix politique vise à soutenir l'hôpital.

Dans le projet de loi de finances, le poids des dépenses publiques dans le PIB recule, de 57,6 % l'année dernière à 56,6 % en 2023, pour atteindre 53,8 % en 2027. En matière de finances publiques, le coeur de notre stratégie reste la création de valeur et l'amélioration du taux d'emploi.

Je remercie les sénatrices et sénateurs ayant participé aux « dialogues de Bercy », qui, de l'avis général, ont été utiles. À cette occasion, nous avons retenu certaines propositions : plusieurs participants ont déploré la suspension de l'actualisation des valeurs locatives des locaux professionnels, qui aurait conduit à une hausse de la fiscalité pour les commerces de centre-ville et à une baisse pour les hypermarchés en périphérie de nos villes, ce qui ne correspond pas à notre stratégie de revitalisation des centres urbains.

J'ai annoncé aujourd'hui au comité des finances locales (CFL) que la dotation de solidarité urbaine (DSU) et la dotation de solidarité rurale (DSR) seraient abondées de 210 millions d'euros afin de garantir la stabilité de la part forfaitaire de la dotation globale de fonctionnement (DGF). Ainsi, 70 % des communes auront une dotation stable, voire en augmentation. Un amendement au projet de loi de finances concrétisera cette décision.

Une enveloppe supplémentaire d'un million d'euros a été débloquée pour soutenir les communes forestières en proie aux scolytes - Sylvie Vermeillet nous avait alertés à ce sujet. Une mesure fiscale incitera les propriétaires forestiers à replanter des arbres. De plus, un amendement tendra à sanctuariser les effectifs de l'Office national des forêts (ONF), toujours suite aux dialogues de Bercy.

Des propositions visent également à améliorer la qualité de l'évaluation de la dépense publique : une liste recensera les dépenses pour lesquelles l'État sera soumis à une obligation d'évaluation.

Dans une démocratie, il est sain de ne pas être d'accord sur tout, mais cela ne veut pas dire que nous ne pouvons discuter de rien. À cet égard, les « dialogues de Bercy » ont été fructueux. Je forme le voeu que nos échanges futurs le soient tout autant.

M. Claude Raynal, président. - Les « dialogues de Bercy » ont permis de gagner du temps.

Je me réjouis que vous ayez apporté des solutions à quelques problèmes. Toutefois, votre copie reste conforme à l'original sur certains points essentiels. Je pense à la question de la suppression des impôts de production, notamment la CVAE. Je n'aborderai pas la question de la compensation de cette décision pour les collectivités locales. Le projet de loi de finances se fonde sur une prévision de croissance de 1 %. Je ne la contesterai pas : il est normal que le ministre de l'économie soit optimiste et cherche à inspirer la confiance.

Cependant, la confiance n'exclut pas de prévoir le pire : si la croissance était nulle en 2023, le Gouvernement devrait alors trouver entre 10 et 15 milliards d'euros supplémentaires. Cette somme est importante, mais, aujourd'hui, les milliards vont et viennent, mes chers collègues ! Je le répète : dans ces périodes difficiles, durant lesquelles la croissance n'est pas assurée, priver l'État de recettes n'est pas une bonne chose, comme l'ont d'ailleurs souligné le Premier président de la Cour des comptes, le gouverneur de la Banque de France et de nombreux économistes. En outre, vous avez lissé cette dépense de 8 milliards d'euros sur deux ans, ce qui montre bien que celle-ci pèse sur le budget de l'État. Par ailleurs, ceux qui sollicitaient cette baisse protestent aujourd'hui énergiquement contre cet étalement : messieurs les ministres, c'est fort de café, et le moins que l'on puisse dire est que vous n'êtes pas récompensés ! Selon eux, le signal ne serait plus assez clair et l'effet de choc amoindri. Si elle ne sert plus à rien, autant supprimer totalement cette mesure ! Nous pourrions en examiner l'opportunité en 2027, comme le proposent certains experts.

À ces 8 milliards d'euros, ajoutons les suppressions d'impôt pour nos concitoyens les plus riches, qui s'élèvent à 3 milliards d'euros supplémentaires, soit un total de 11 milliards d'euros. Si la croissance était plus faible que prévu, nous disposerions de l'argent nécessaire pour faire face à la situation et nous ne serions pas obligés de chercher des économies dans notre système de retraite.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Nous apprécions la présence des deux ministres pour l'examen des textes financiers au Sénat. En ce début de quinquennat, j'y vois, d'une certaine manière, un changement de méthode.

Ma lecture concernant la croissance est moins optimiste que celle du président de notre commission. Les économistes prévoient pour nombre d'entre eux une croissance proche de 0 % tandis que votre prévision s'élève à 1 %. Quelles sont les raisons, messieurs les ministres, qui vous conduisent à cet optimisme ? Si malheureusement la croissance ne devait pas être aussi favorable, nous pourrions payer pendant un certain temps le scénario macroéconomique que vous aurez retenu.

Deuxièmement, le Haut Conseil des finances publiques constate, en excluant les mesures prises en lien avec la crise sanitaire ou la hausse de l'inflation et la crise de l'énergie, que la dépense en volume devrait croître de près de 1 % entre 2022 et 2023. Or une croissance de 1 % ne fait pas une baisse ! Vous évoquez une baisse de la dépense publique entre 2022 et 2023.

Troisièmement, le projet de loi de programmation des finances publiques remplace les dépenses pilotables par un « périmètre des dépenses de l'État » qui inclut, cette fois, les prélèvements sur recettes à destination de l'Union européenne et des collectivités territoriales. En fait, vous renversez le sablier. Alors que lors du premier quinquennat vous aviez exclu les collectivités locales, vous les replacez à présent dans la trajectoire. Je vous alerte sur ce point. Quelles sont donc les raisons qui vous conduisent à contraindre les collectivités territoriales, dont vous connaissez très bien l'importance dans l'investissement public et dont les règles budgétaires diffèrent de celles de l'État ?

Quatrièmement, vos propos sur la transition écologique ont été très brefs et, pour tout vous dire, ils m'inquiètent. J'ai eu l'occasion de vous l'expliquer ces dernières années : ce que vous qualifiez de « budget vert » s'apparente plutôt à de la peinture à l'eau. Faire intervenir Mme Valérie Masson-Delmotte pour sensibiliser le Gouvernement aux enjeux climatiques était une bonne initiative, mais cela ne suffit pas. M. le ministre des comptes publics indiquait à l'instant que l'enjeu écologique avait été évoqué en début de réunion. La prise de conscience doit être d'une tout autre ampleur ; il va falloir y mettre de l'intelligence et des moyens. Nous avons déjà perdu un temps considérable, il est donc absolument nécessaire de changer de logiciel. Quand je regarde les crédits de paiement, je m'interroge sur la façon dont tout cela va fonctionner.

Par ailleurs, vous avez évoqué un fonds vert auquel les collectivités locales seraient associées. Je ne peux que m'en réjouir, si cela peut permettre, enfin, d'articuler les actions du mieux possible pour les rendre productives. Le meilleur contre-exemple est finalement MaPrimeRénov' : quelque 2 000 logements rénovés sur un objectif de 80 000 rénovations de passoires thermiques, je le dis comme je le pense, c'est nul ! Évidemment, il faut progresser sur ce point, et je pense que nous y parviendrons.

Enfin, mon dernier point concerne la CVAE. J'ai personnellement participé aux « dialogues de Bercy », dont je salue l'initiative. Je regrette tout de même une forme de déséquilibre entre la représentation des forces politiques et celle de nos commissions, dont la raison d'être est tout de même de travailler sur ce sujet. Certains des nôtres, qui n'ont pas été invités, ont pu avoir l'impression qu'il existait deux types d'élus.

Il y a sur la CVAE un problème de forme. L'étalement de sa suppression sur deux ans répond certes à une demande et vous conservez une incitation pour les collectivités à attirer de l'activité économique sur leurs territoires. Le Gouvernement propose ainsi la dynamique de la TVA versée en remplacement de la CVAE abonde un fonds dont les ressources seraient réparties en fonction de critères locaux d'activité économique à compter de 2024, sans plus de précisions. Mais quelle serait la gouvernance de ce fonds ? Selon quelles modalités les élus locaux et parlementaires pourraient participer à la définition des critères de répartition de son produit ? Je ne comprends pas la méthode. Vous proposez une concertation après une décision qui vient d'en haut. Conformément à la culture du compromis qu'a proposée Mme la Première ministre, j'aurais préféré que vous élaboriez un projet concerté avec les collectivités et leurs représentants, puis que vous le proposiez ensuite à l'approbation du Parlement, laquelle serait venue plus naturellement.

M. Bruno Le Maire, ministre. - Monsieur Raynal, vous dites que c'est fort de café, de la part du Medef, de critiquer notre budget pour son manque d'ambition. Je suis de cet avis.

M. Claude Raynal. - Très bien !

M. Bruno Le Maire, ministre. - C'est fort de café en effet de nous reprocher de supprimer la CVAE en deux fois, quand nous le faisons pour tenir compte de la situation des finances publiques. Personne ne peut remettre en cause la parole du Gouvernement, de la majorité ou du Président de la République, ni douter de notre détermination à tenir notre ligne sur la baisse des impôts. Nous avions promis la baisse de l'impôt sur les sociétés de 33,3 % à 25 %, c'est fait. Nous avions promis un prélèvement forfaitaire unique à 30 %, c'est fait. Nous avions promis de baisser les impôts de production pour la première fois depuis vingt ans, c'est fait.

C'est fort de café également de nous demander moins de dépenses publiques, mais plus de soutien pour les entreprises. Il ne serait pas mauvais de faire preuve de cohérence et surtout de garder un esprit constructif, à un moment où l'économie française est confrontée à des défis considérables. Pour ce qui nous concerne, nous tenons notre ligne politique de l'offre : baisse des impôts de production pour soutenir l'outil productif français et rétablissement des comptes publics. Cela témoigne au contraire de notre ambition économique pour le pays.

J'en viens aux raisons qui nous ont conduits à supprimer la CVAE. Nous ne nous sommes pas réveillés, un matin, avec cette volonté soudaine. Cela fait plus de cinq ans maintenant que je suis ministre de l'économie et des finances et j'ai toujours considéré - comme nombre d'entre vous ici - que la reconquête industrielle était une ardente obligation dans un pays qui, je le rappelle, a détruit des emplois industriels par centaines de milliers et qui a connu une hémorragie industrielle comme aucun autre grand pays industriel en Europe. Ni l'Italie ni l'Allemagne n'ont connu pareille hémorragie. Il y a donc eu faute économique, faute politique, faute collective sur l'industrie nationale.

Cette reconquête ne peut toutefois se faire en une année ni par un claquement de doigts. Elle demande une stratégie continue, résolue, déterminée et constante, qui repose sur trois piliers.

Le premier pilier est la baisse des charges et l'allègement de la fiscalité sur les entreprises industrielles. J'ai visité il y a quelques jours pour la cinquième ou sixième fois mes amis décolleteurs dans la vallée de l'Arve. Vous ne pouvez pas demander à des industriels qui sont confrontés à de tels défis de traîner ce boulet d'impôts de production sept fois plus élevés que leurs voisins allemands. Vous ne pouvez pas leur demander d'être compétitifs quand leurs cotisations patronales sont beaucoup plus élevées que celles de leurs grands voisins européens. Nous avons remédié à ces difficultés. Je rappelle que c'est cette majorité qui a transformé les allègements de charges, qui étaient un crédit d'impôt, en allègements définitifs. C'est cette majorité qui a engagé la baisse des impôts de production, qui a fait de la France le territoire le plus attractif pour les investissements étrangers.

Ce premier pilier de la reconquête industrielle n'est pas le plus facile à faire comprendre. À chaque fois que nous baissons les impôts sur les entreprises, on nous dit « cadeau pour les entreprises ». Je réponds cadeau pour l'industrie, pour les ouvriers, pour la culture industrielle nationale. C'est différent.

Le deuxième pilier est évidemment la formation et la qualification, qui passent par une reconquête culturelle de l'industrie française. Il n'est pas normal que dans un centre de formation d'apprentis aussi remarquable que celui que j'ai visité, en Haute-Savoie, où l'employabilité est de 100 % à la sortie et où chaque jeune bénéficie à lui seul de trois offres d'emploi, seules 300 places sur les 400 disponibles soient pourvues. Il faut montrer à nos enfants et en particulier aux jeunes femmes - le taux de féminisation est beaucoup trop faible - que l'industrie, ce n'est plus Zola, mais de la création, du savoir-faire, de la technologie, des ingénieurs, de la valeur ajoutée, de bons salaires et des perspectives de carrière.

Enfin, troisièmement, le combat pour la reconquête industrielle passe par la simplification de la vie des industriels, notamment pour l'installation de nouveaux sites. Dès le début de l'année 2023, je ferai des propositions très concrètes à la Première ministre et au Président de la République sur ce sujet. Mon objectif est que la France retrouve 15 % de part de l'industrie dans la richesse nationale d'ici quinze ans. Nous sommes tombés à 10 ou 11 % alors que rien ne le justifiait. Je fixe donc cette ambition, avec les sites industriels, les technologies et les emplois qui vont avec.

Au sujet des prévisions de croissance, il est bien entendu que d'autres scénarios existent. Mais quand on présente un budget, on choisit un scénario central. Dans ses scénarios les plus sombres, la Banque de France part du principe qu'il pourrait y avoir des coupures d'énergie, des délestages sur les sites industriels, des arrêts de production massifs sur le territoire. Ce n'est pas notre scénario central. Les actions que nous avons menées avec Agnès Pannier-Runacher - le plan d'économie d'énergie, le remplissage à 94 % des stocks de gaz, la diversification des sources d'approvisionnement - visent précisément à éviter ce scénario que je n'écarte pas - cela serait très audacieux de ma part - d'un revers de la main. Je dis simplement que notre scénario central reste une croissance positive en 2023 à hauteur de 1 %.

Par ailleurs, au-delà des mesures que nous avons prises sur l'énergie, nous avons eu aussi à coeur de soutenir la demande des ménages français. Protéger les ménages contre l'inflation - la France est l'un des seuls pays de la zone euro où le pouvoir d'achat continuera à progresser en 2023 - est aussi une manière de soutenir notre croissance. Enfin, les réserves d'épargne restent élevées dans notre pays ; c'est aussi un motif de confiance.

En ce qui concerne la transition écologique, je partage totalement votre ambition. Je vous invite simplement à ne pas sous-estimer l'ampleur des transformations que nous avons engagées avec le Président de la République et la Première ministre en la matière. Tout en ayant parfaitement conscience qu'il faut aller plus vite, faire mieux, déployer encore plus massivement nos dispositifs, je crois que nous sommes dans la bonne direction.

D'abord, nous avons engagé un plan de sobriété qui sera présenté le 6 octobre prochain et qui est absolument clé. Je veux vraiment bien faire comprendre que les économies d'énergie que nous allons tous devoir faire dans les semaines qui viennent ne visent pas à passer l'hiver, mais à passer le siècle. Elles doivent nous permettre de bénéficier, dans les prochaines décennies, d'une situation climatique plus favorable. Ne pensons pas que les économies d'énergie sont une réponse à un problème conjoncturel. Le problème est évidemment structurel et ce sont des changements de comportement complets auxquels nous devons être conduits, nous, citoyens, entreprises, administrations, pour réussir à lutter contre le réchauffement climatique.

Le fonds vert des collectivités locales annoncé par Élisabeth Borne représente 1,5 milliard d'euros. Nous pourrons discuter ensemble de son déploiement afin de nous assurer qu'il sera le plus efficace possible. L'accompagnement des ménages pour l'achat de véhicules électriques et le dispositif MaPrimeRénov' sont aussi des aides budgétaires massives. Je suis prêt à regarder comment l'on passe de rénovations par geste à des rénovations plus globales qui, on le sait, sont mille fois plus efficaces pour lutter contre le réchauffement climatique et éviter les pertes thermiques.

Enfin, je rappelle que France 2030 consacre la majorité de ses investissements à la lutte contre le réchauffement climatique et aux investissements verts. Je veux redire aussi que la stratégie énergétique présentée par le Président de la République à Belfort - sobriété, accélération sur les énergies renouvelables et réalisation de six nouveaux EPR - est une manière de garantir la réduction de notre empreinte carbone.

M. Gabriel Attal, ministre. - En réponse à la question de M. Jean-François Husson, nous avons effectivement adopté une nouvelle présentation budgétaire : le « périmètre des dépenses de l'État (PDE) » remplace les deux définitions précédentes, à savoir la norme de dépenses pilotables et l'objectif total de dépenses de l'État.

Cette nouvelle présentation doit apporter une meilleure visibilité. Elle couvre un périmètre plus large, afin d'améliorer le suivi et le pilotage de la dépense publique, y compris les prélèvements à destination de l'Union européenne et les prélèvements sur recettes en direction des collectivités locales. La maîtrise de la progression des dépenses publiques demandée aux collectivités locales n'est pas liée à ce nouveau périmètre, mais à nos engagements d'une maîtrise globale de la progression des dépenses en vue de tenir nos objectifs de déficit public. Il s'agit là de deux sujets différents.

Concernant la suppression de la CVAE, nous avons précisément mené une concertation nourrie avec les associations d'élus, afin de définir les modalités de sa compensation. Au cours de ces dernières semaines, nous avons multiplié les réunions avec Christophe Béchu, Caroline Cayeux et les associations d'élus que nous avons toutes rencontrées au moins deux fois. Il en résulte que la copie qui vous est présentée n'est pas celle que nous envisagions avant ces échanges.

Je note par exemple une évolution majeure dans le passage d'un prélèvement sur recettes à une fraction de TVA. Au départ, il est vrai que nous voulions compenser la suppression de la CVAE par un prélèvement sur recettes, auquel on aurait appliqué la dynamique moyenne de CVAE des huit dernières années, à savoir 2,5 % par an. Cela nous semblait être un gage de visibilité. Nous étions peu favorables à la solution d'une fraction de TVA, en raison d'une prévisibilité moindre, mais aussi parce que, avec cette compensation, les recettes de TVA affectées à l'État seraient en effet inférieures à 50 % des recettes de TVA, dont l'essentiel irait aux organismes de sécurité sociale ou aux collectivités locales. Cela ne change pas grand-chose sur le fond, si ce n'est qu'à l'avenir, des majorités qui auraient à prendre des décisions sur la TVA pourraient rencontrer des réticences parmi les principaux bénéficiaires de cet impôt. Sur ce point, le Gouvernement a fait évoluer sa position. Nous avons choisi comme solution la fraction de TVA, conformément au souhait des associations d'élus.

La question se pose ensuite de la territorialisation de la dynamique de la compensation de la CVAE. Autrement dit, comment permet-on aux maires et aux patrons d'établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) d'affirmer à leurs administrés que l'accueil d'une activité économique sur le territoire reste intéressant également pour les recettes de la collectivité ?

Nous avons commencé à en discuter avec les associations d'élus et des membres de cette commission, dans le cadre des « dialogues de Bercy ». Pour l'instant, nous envisageons de nous appuyer sur les bases de cotisation foncière des entreprises (CFE), qui figurent déjà parmi les critères de territorialisation des recettes de CVAE. Plusieurs associations d'élus et des parlementaires ont suggéré d'enrichir ces critères. Nous sommes ouverts à leurs propositions, que pour l'heure nous n'avons pas reçues. Je suis convaincu qu'elles nourriront les prochains débats parlementaires. Mon objectif est que la gouvernance du fonds ait le moins de décisions possible à prendre et que l'affectation des recettes de CVAE se fasse à partir de critères suffisamment efficaces pour mesurer l'attractivité économique des territoires.

Enfin, je suis très ouvert à ce que l'on révise le périmètre des « dialogues de Bercy ». Nous avions retenu comme participants les membres des bureaux des commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat plus un représentant par groupe, en considérant que ce dernier communiquerait les informations à ses collègues et qu'un format resserré permettrait de fluidifier les échanges. Personnellement, je vois plutôt un bon signe dans le fait que des candidatures s'expriment pour participer aux prochaines éditions.

M. Claude Raynal, président. - Nous démarrons maintenant la série de questions.

Mme Christine Lavarde. - En entendant M. le ministre Le Maire, il m'a semblé que ses critiques à l'égard de ceux qui demandent moins de dépenses publiques et davantage de soutien aux entreprises visaient le groupe Les Républicains.

M. Bruno Le Maire, ministre. - Non, je ne vous visais pas.

Mme Christine Lavarde. - Je rappellerai que le Gouvernement se félicite de recettes fiscales meilleures que prévu, notamment du fait des rentrées provenant des entreprises. C'est pourquoi nous pensons qu'il est utile de les soutenir.

Après les précisions de M. le ministre Attal sur la dotation globale de fonctionnement (DGF), je comprends que la version du texte dont nous disposons est déjà obsolète, puisqu'il convient d'ajouter aux crédits déjà inscrits des crédits supplémentaires à hauteur de 210 millions d'euros. Peut-être faudrait-il nous expliquer le mécanisme, car le texte prévoit bien une augmentation de la dotation de solidarité urbaine (DSU) et de la dotation de solidarité rurale (DSR), financée sur l'enveloppe normée.

Ma deuxième question concerne la réforme des valeurs locatives professionnelles. Monsieur le ministre, vous dites nous avoir entendus lors des « dialogues de Bercy » à ce sujet. Envisagez-vous un simple report ou allez-vous revoir complètement la méthode ? Un report à l'automne prochain déboucherait en effet sur les mêmes écueils.

Par ailleurs, si le sujet du Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) ne figure pas dans le texte - hormis une faible augmentation des crédits -, le Sénat ne l'a pas oublié et vous le trouverez sur votre route sur ce sujet.

Toujours concernant les collectivités locales, M. le rapporteur général a évoqué l'article 16 du projet de loi de programmation, qui encadre la trajectoire des dépenses. Sur ce point, vous annoncez une concertation, mais vous demandez aux collectivités de présenter des éléments dans leur débat d'orientation budgétaire qui a lieu, pour certaines d'entre elles, début décembre. Cela rend la tâche très difficile, d'autant que l'article, assez flou, se borne à indiquer que l'augmentation doit se limiter à 3,8 %. Je vous rappelle que la masse salariale, qui pèse pour toutes les collectivités pour plus de 50 % des dépenses, augmente déjà de 3,5 % et que l'inflation des dépenses du volet énergie-alimentation-papier nous amène bien au-delà des 3,8 %. En résumé, vous demandez aux collectivités de diminuer drastiquement leurs dépenses. En aval, prévoyez-vous un régime de sanctions pour les collectivités qui ne respecteraient pas les objectifs des contrats de Cahors ? Prévoyez-vous des déclinaisons selon les collectivités, qui ne sont pas toutes exposées de la même manière au choc d'inflation ? J'entends concertation avec les collectivités, mais selon quel calendrier ?

Enfin, la dernière salve est la salve verte. Pour nous non plus, le compte n'y est pas. J'ai certes relevé que l'article 14 du projet de loi de programmation des finances publiques prévoit un rééquilibrage d'ici à 2027, avec une diminution des dépenses fiscales défavorables par rapport aux dépenses fiscales favorables. Je relève simplement que les réformes envisagées lors du premier quinquennat ont toujours été reportées à des temps meilleurs. J'ai envie de vous croire, mais le différentiel est tellement important qu'il ne sera pas difficile de faire mieux.

Quant à l'article 7 - « adaptation du système fiscal aux exigences de la transition énergétique » -, nous devons l'examiner en détail, mais je ne vois pas en quoi les mesures proposées répondraient aux exigences. Lors des « dialogues de Bercy », le besoin d'une véritable rénovation des bâtiments a été largement soulevé. Or je n'ai absolument rien trouvé sur ce thème dans l'ensemble des documents qui nous ont été proposés.

M. Roger Karoutchi. - Je reviens sur le taux de croissance que vous retenez. Pour rappel, lorsque je doutais ici même, en 2020 et en 2021, du réalisme de vos prévisions, vous me traitiez de Cassandre tout en affichant votre confiance. De fait, nous sommes très loin des taux de croissance que vous aviez annoncés pour 2020, 2021 et pour les années suivantes.

Bien sûr, il y a eu la crise de la covid. Bien sûr, il y a eu la guerre en Ukraine. Bien sûr, il y a la crise de l'énergie. Bien sûr, il y a l'inflation. Mais tout cela disparaît-il en 2023 ? Qui vous dit que la guerre en Ukraine va cesser ? Qui vous dit que la crise énergétique ne va pas s'aggraver, en fonction de la nouvelle politique des pays producteurs ? Dans ces conditions, l'inflation ne baissera certainement pas en 2023 !

Quand vous affirmez retenir le chiffre moyen de 1 %, de quelle moyenne parlez-vous ? La Banque de France prévoit un taux de croissance de 0,5 %, l'OCDE de 0,6 %, et encore... L'entrée probable en récession de l'Allemagne en 2023 entraînera des conséquences pour la France, dont la croissance pourrait être ramenée à zéro. À ma connaissance, aucun organisme ne prévoit le taux de croissance de 2 % qui vous aurait permis d'atteindre une moyenne de 1 %. Vous avez donc adopté une vision très optimiste.

M. Attal nous dit qu'il n'a pas de boule de cristal, mais une boussole. Cette boussole n'est-elle pas tout de même un peu désorientée ? Sous le prétexte d'une politique volontariste, vous affichez un optimisme qui m'inquiète. Vous annoncez vous-même que la France empruntera 270 milliards d'euros, que les déficits s'élèveront au bas mot à 5 % du PIB en 2023, probablement à 6 %. Vous créez des postes dans le domaine de la sécurité, vous créez 6 000 places d'hébergement. Je ne conteste pas cette politique volontariste, mais on ne voit pas, en parallèle, de réduction des dépenses.

Alors que le Président de la République nous avait annoncé, dans un environnement extrêmement difficile, un budget de guerre et de crise, nous avons l'impression d'être face à un budget classique, très optimiste et probablement inatteignable.

M. Jean-Marie Mizzon. - N'ayant pas participé aux « dialogues de Bercy » - j'ai suffisamment de mal à honorer les invitations que je reçois pour ne pas me rendre là où je ne suis pas invité -, j'aborderai un sujet qui ne relève pas de la stratégie globale du projet de loi de finances pour 2023, mais que M. Le Maire a évoqué. Comme d'autres ici j'imagine, j'ai rencontré un certain nombre de chefs d'entreprise qui m'ont exprimé leurs angoisses face à la multiplication, par plus de dix, des prix de l'électricité qui leur sont proposés. Ces chefs d'entreprise sont désemparés et très inquiets.

Monsieur le ministre, êtes-vous favorable à la mise en place de nouvelles règles, dans le sens attendu par les fournisseurs et les clients pour l'approvisionnement en 2023 ? Je pense en particulier aux règles de fonctionnement de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh) ainsi qu'à l'organisation du marché de l'électricité. Je sais que ces règles dépendent essentiellement du niveau européen, que le volume d'Arenh a été porté à 120 térawattheures et que le prix de l'Arenh ne peut être désormais inférieur à 49,50 euros, en application de la loi sur la protection du pouvoir d'achat du mois d'août dernier. Seriez-vous néanmoins favorable à une nouvelle augmentation du plafond du volume de l'Arenh ?

Par ailleurs, envisagez-vous de permettre à tous les clients de bénéficier d'offres grâce à une garantie de l'État qui serait apportée aux fournisseurs ? Certains fournisseurs ne trouvent pas d'offres, tout simplement, parfois, parce qu'elles n'existent pas. Le marché est totalement insécurisé : certaines offres sont émises à onze heures, prennent fin à midi et on se réserve le droit de les annuler avant si les marchés fluctuent. Un fournisseur de dernier recours, qui pourrait être l'État, pourrait permettre à ces entreprises de trouver une solution.

Enfin, ma dernière question s'adresse à M. Attal, qui a évoqué la commission de révision de la valeur locative des locaux professionnels. Je suis dans un département où la commission n'a pas fini ses travaux. Doit-elle les arrêter ?

M. Éric Bocquet. - Je voudrais évoquer deux points : la CVAE et, sujet cher à Bruno Le Maire, les superprofits.

Je rêve d'une république où l'on demanderait l'avis des maires quand on décide de supprimer des impôts -- taxe professionnelle en son temps, taxe d'habitation et CVAE aujourd'hui...

Nous sommes nombreux, ces temps-ci, à participer à des assemblées générales ou des congrès d'associations d'élus dans les départements -- j'étais pour ma part à celle de l'association des maires ruraux la semaine dernière dans le Nord et serai à celle de l'association des maires du Nord à Douai ce vendredi -- et ce qui revient avec force, c'est l'inquiétude et parfois même la panique par rapport à la hausse des prix de l'énergie. Les maires se demandent comment ils vont honorer leurs factures et maintenir l'équilibre de leur budget.

Quelque chose d'important se passe : les maires ruraux ont ainsi adopté une motion à l'unanimité -- ce qui n'est pas dans leurs habitudes --, pour demander la mise en place d'un bouclier tarifaire sur l'énergie.

À titre d'exemple, une commune de 27 000 habitants de la métropole lilloise, qui prévoyait dans son budget primitif 900 000 euros de dépenses, compte 2,4 millions d'euros de dépenses effectives, sur un fonctionnement de 34 millions d'euros sur une seule année. Cela veut dire que cette commune honorera ses factures d'ici à la fin de l'année, mais que l'excédent disponible l'an prochain sera en nette diminution.

Pensez-vous donc vraiment qu'il soit responsable de supprimer la CVAE, impôt très dynamique, sans demander leur avis aux élus, à un moment où les collectivités territoriales vont rencontrer des difficultés accrues ?

Je sais que vous avez réitéré cet engagement face au Medef fin août, mais vous auriez pu le différer de deux, trois ou quatre ans sans problème. Est-ce une bonne idée de priver les collectivités de cette ressource ? Une préoccupation forte monte chez les élus et vous en entendrez sans doute parler au congrès des maires en novembre.

Ma deuxième question porte sur la taxation des superprofits. Sans doute pensiez-vous que le débat serait clos après la discussion du PLFR cet été, qui avait abouti au rejet des amendements des différents groupes portant cette mesure. Or, il réapparaît avec force en cette rentrée. Vous dites ne pas savoir ce que sont des superprofits. Une proposition simple : prenez les trois années antérieures à la crise covid -- 2017, 2018 et 2019 --, faites une moyenne des profits réalisés par les groupes du CAC 40 à cette époque-là et on aura une petite idée de la notion de superprofits.

Le débat n'est pas clos et nous reviendrons, avec d'autres, sur le sujet au cours des débats à venir, car je ne vois rien de cette nature dans le PLF.

Mme Vanina Paoli-Gagin. - En premier lieu, je salue, au nom du groupe Les Indépendants, la dynamique de consultation engagée via les « dialogues de Bercy » en amont de la discussion du PLF.

Ma première question concerne les forêts. Les précisions que vous avez apportées, monsieur le ministre chargé des comptes publics, sont louables.

Êtes-vous ouvert à la mise en place de dispositifs supplémentaires ? Nous allons prochainement discuter une proposition de loi, que je porte, sur la valorisation des externalités positives de la forêt. Nous envisageons de mettre en place un dispositif fiscal à l'endroit des particuliers et des entreprises qui souhaiteraient financer, via le mécénat, les communes forestières, nombre d'entre elles étant en difficulté. À cet égard, le Gouvernement est-il ouvert à des aménagements pour enrichir les dispositifs que vous décrivez ?

Je souhaite ensuite évoquer le crédit d'impôt recherche, car j'ai entendu que des collègues, à l'Assemblée nationale, planchaient sur une réforme, or je n'ai rien vu dans le budget. Là encore, nous avons mené au Sénat une mission d'information sur le sujet.

Nous souhaiterions qu'à enveloppe constante, une partie du crédit d'impôt recherche soit fléchée vers les PME. Après le « quoi qu'il en coûte », le « combien ça coûte », l'heure du « mieux qu'il en coûte » est arrivée, et l'effet de levier du crédit d'impôt recherche sur les PME est trois fois supérieur à celui des dépenses des grands groupes.

Concernant les collectivités territoriales, je voudrais évoquer le fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (Fpic), qui devait être transitoire et ne fait pas que des heureux dans la ruralité. Les modifications que vous prévoyez à l'article 45 du PLF, notamment sur le critère d'exclusion de reversement du Fpic, vont-elles affecter la clé de répartition ?

J'ai enfin une question similaire sur la taxe d'aménagement, dont les modalités d'attribution ont été modifiées récemment : le reversement de la taxe perçue par la commune aux EPCI a été rendu obligatoire, ce qui a été mal perçu dans les zones rurales et a modifié des équilibres économiques. Avez-vous prévu de revenir sur cette décision ? Disposez-vous de retours d'expérience sur ce nouveau régime de taxe d'aménagement ?

M. Rémi Féraud. - Éric Bocquet a évoqué la question des superprofits, qui est au centre du débat politique. Sans trop y revenir, je précise, messieurs les ministres, que la proposition de taxation n'entre pas dans les impôts de production. Elle est par ailleurs temporaire, et non pérenne. Même si nous ne partageons pas la philosophie politique du Gouvernement, il me semble qu'il s'agit d'une position d'équilibre, à un moment très particulier de l'histoire, qui ne remet pas en cause l'ensemble de votre politique.

J'ai deux questions à vous poser.

Comment s'inscrit l'éventuelle réforme des retraites dans la loi de programmation des finances publiques ? Nous avons compris que vous considérez -- sûrement à juste titre -- qu'elle n'aurait pas d'impact budgétaire en 2023, mais elle en aurait forcément sur la loi de programmation des finances publiques. Vous l'avez d'ailleurs dit dans votre introduction, mais dans le texte lui-même, la phrase est très courte et sibylline : « La soutenabilité de notre trajectoire reposera notamment sur les réformes structurelles engagées. » Je ne sais pas si la réforme des retraites entre dans ces réformes structurelles engagées, mais cela demande des précisions et des chiffres.

Ensuite, nous avons parlé de la CVAE, de la CFE, de la difficulté à trouver des dispositifs pour compenser la perte de ces recettes pour les collectivités locales et des besoins de tenir compte des dynamiques territoriales. Êtes-vous prêts à regarder comment retrouver ces dynamiques sur d'autres sujets ? Je pense notamment aux dispositifs qui peuvent être revus pour abonder les objectifs de politique de logement : taxe sur les logements vacants, taxe sur les résidences secondaires...

Par ailleurs, seriez-vous prêts à revoir les limitations actuellement imposées sur la taxe de séjour ? C'est une question importante pour beaucoup de communes dont Paris, où je suis élu. Cette taxe reposant en premier lieu sur les touristes étrangers, son augmentation ne pèserait pas sur les Français et pourrait éviter à des communes d'augmenter leur taxe foncière.

Êtes-vous prêts, en somme, à redonner des marges de manoeuvre sur différents modes d'imposition aux collectivités locales ?

M. Daniel Breuiller. - En introduction de vos propos, monsieur le ministre, vous avez évoqué les incertitudes très fortes qui pèsent sur le plan énergétique et sur l'inflation ; j'y ajoute l'accélération gravissime de la crise climatique que nous traversons.

Pour ceux qui pourraient encore en douter, les événements majeurs survenus cet été -- sécheresse, incendies -- l'ont bien illustrée.

Il s'agit d'un problème international, et non national. L'exemple du Pakistan montre les enjeux géostratégiques que cette crise climatique fait peser sur le devenir des populations, sur les migrations, sur la possibilité même de vivre dans certains territoires.

J'estime donc que les propositions que vous nous faites, même si les mots annoncent des inflexions, sont très loin du compte.

Puisque nous sommes dans le « combien ça coûte », je vais vous dire combien ça coûtera de ne pas nous mettre à la bonne hauteur.

Il y a eu 40 milliards d'euros, il va y avoir 36 milliards ou 16 milliards nets de bouclier énergétique, dont 2,5 milliards sur l'isolation des bâtiments. Mais, si on veut sortir de notre dépendance au gaz russe et ne pas tomber dans la dépendance au gaz de schiste, il faut mettre un facteur 10 sur cet engagement. Il faut mettre a minima 10 milliards d'euros sur l'isolation thermique. Il faut mettre des crédits aussi pour accroître la place du rail.

Nous ne sommes pas du tout dans les ordres de grandeur qui permettent un bouleversement.

Le volet de la sobriété, qui n'est d'ailleurs pas toujours coûteux, ne mérite pas les mesurettes annoncées, mais un vrai engagement collectif pour une sobriété heureuse.

Il est nécessaire de dégager des moyens d'action sur ces sujets. Dans cette perspective, nous estimons que ce n'est donc pas le moment de supprimer la CVAE, car cela constitue un désarmement de la capacité de l'État à agir, dans ce domaine comme dans celui de la justice sociale.

Vous devriez, a minima, messieurs les ministres, proposer des conditionnalités climatiques ou sociales chiffrées pour les entreprises qui vont bénéficier d'une réduction de leurs impôts.

Toutes les décisions que nous prenons devraient être mesurées à l'aune de leur impact sur la crise climatique ou sur la justice sociale. Certaines niches fiscales méritent d'être regardées. La taxation des superprofits doit être étudiée -- je regrette, monsieur Le Maire, que vous n'ayez pas lu ou apprécié à sa juste valeur la proposition déposée par les groupes de gauche qui définit exactement ce qu'est cette taxation et n'en fait pas une taxation pérenne.

Nous proposons également un impôt sur la fortune (ISF) climatique pour aider les personnes les plus aisées, qui émettent le plus de CO2, à réduire leurs émissions.

Enfin, le fonds vert à destination des collectivités territoriales de 1,5 milliard d'euros n'est pas à la hauteur non plus. Or ces dernières seront sans nul doute le premier acteur de la transition écologique du pays. Dans une république décentralisée, nous devrions prendre au moins autant soin des collectivités territoriales que vous le faites des entreprises.

La commune dont j'ai été maire a vu ses frais d'énergie augmenter de 2 millions d'euros ; l'institut Gustave-Roussy, que j'ai visité il y a quelques jours avec le président du Sénat, a vu les siens augmenter de 5 millions d'euros. Je pense également aux universités, souvent vétustes et mal isolées. Où trouver cet argent ? Il faut un bouclier tarifaire sur l'énergie pour les collectivités.

M. Jean-Claude Requier. - Monsieur le ministre, vous dites ne pas être récompensé des efforts fournis en faveur de certaines catégories sociales, mais je ne suis pas sûr qu'en faisant des efforts sur l'éducation, vous obteniez le vote des enseignants ni qu'en faisant des efforts sur l'écologie, vous ayez celui des écologistes. Mais ce n'est pas le débat, nous sommes là pour gérer un pays et non gagner des catégories sociales.

Il y a, dans ce budget, beaucoup de dépenses et assez peu d'économies, mais je comprends que nous devions soutenir l'économie qui est en difficulté.

Je voudrais dire un mot sur les dispositifs de relance, qui vont se terminer en 2023 : quelle est la proportion de crédits engagés consommés à l'heure actuelle et dispose-t-on d'une évaluation de leur efficacité ?

Ma deuxième question porte sur les crédits accordés à l'Ukraine. Nous en avons voté lors du PLFR, ce sera sûrement le cas également pour le PLF ; a-t-on une idée de leur montant ?

Ma troisième question porte sur la CVAE. Une compensation pour les départements sera-t-elle proposée, comme cela existe pour le RSA, lors du PLFR ?

Enfin, ce PLF est relativement court, nous verrons si on peut s'attendre à des modifications lors de l'examen parlementaire.

M. Pascal Savoldelli. - Nous nous trouvons dans une situation inédite du fait de la forte hypothèse de 49.3 à l'Assemblée nationale. J'ai l'impression que nous sommes ici dans une bulle, car une épée de Damoclès plane en réalité sur nos dialogues !

Sans jouer les victimes, en tant qu'opposition au Sénat, avec un 49.3 annoncé à l'Assemblée et un budget de droite, cela fait droite plus droite plus droite.

Je ne vois aucune proposition concrète de dialogue adressée aux groupes d'opposition parlementaire. Il faut un langage de vérité.

À cet égard, je vous remercie pour votre honnêteté, monsieur le ministre, lorsque vous avez reconnu dès le départ qu'il y avait non pas 45 milliards d'euros pour le bouclier tarifaire, mais seulement16 milliards. Dont acte.

Quand je vous entends parler de la même manière des collectivités territoriales et des entreprises, en retenant les mêmes critères -- 2 millions de chiffre d'affaires ou moins de 10 salariés -- je me dis que j'assiste à un virage historique.

Vous avez beau arguer des négociations européennes, il faut malgré tout s'occuper des collectivités. Vous nous annoncez 430 millions d'euros d'aides, mais nous les avons déjà votées ; ce sont des plats réchauffés.

Aurez-vous la volonté politique de revenir à la tarification réglementée de la vente de l'énergie pour les collectivités territoriales et les entreprises demandeuses ? Pour cela, il faut indexer au prix de production, et désindexer du prix du marché et de la spéculation. Voilà une proposition responsable !

Sur la question de l'imposition des hauts revenus, abordée par le président Raynal - il n'a d'ailleurs pas obtenu de réponse -, je vous fais tout de suite une économie d'au moins 3 milliards d'euros ! Vous allez faire un cadeau fiscal à 905 000 foyers qui disposent de plus de 100 000 euros de revenu fiscal.

Revaloriser les premières tranches, je suis d'accord, je ne suis pas obstiné. Pardonnez ma véhémence, mais après la taxe d'habitation et la redevance audiovisuelle, ces gens-là ont-ils besoin d'un nouveau cadeau fiscal ? C'est aussi cela qui gronde dans la société, une révolte intériorisée, qui n'est pas une affaire de gauche ou de droite.

M. Bernard Delcros. - Sur les superprofits, vous connaissez la position de mon groupe. Concernant les collectivités locales, une DGF stable, en période d'inflation forte, représente une perte de pouvoir d'achat et de capacité d'autofinancement.

Il semble qu'en moyenne, la capacité d'autofinancement des collectivités baisse finalement assez peu. Mais derrière cette moyenne se cachent des inégalités très fortes. Je pense notamment -- mais pas seulement -- aux collectivités rurales, où l'inflation est de 1 à 2 points supérieure. Il faut remédier à ces disparités.

Cela a été fait pour 2022 par le biais du PLFR et je me réjouis de l'annonce d'un abondement de 210 millions d'euros de la DSR et de la DSU, qui n'est donc pas pris sur l'enveloppe normée et permet de financer la péréquation.

Cela étant dit, comment le Gouvernement envisage-t-il, en 2023, d'accompagner les collectivités et les ménages les plus touchés par l'inflation ?

J'approuve le fonds vert annoncé à hauteur de 1,5 milliard d'euros, car la transition écologique passe par les territoires. Quelle forme prendra-t-il ? S'agira-t-il d'appels à projets ?

J'ai par ailleurs une question sur les dispositions fiscales adossées aux politiques d'aménagement du territoire. La mission qui a été confiée à trois députés par le Gouvernement propose la suppression de ces dispositions fiscales adossées à un certain nombre de zonages, notamment les zones de revitalisation rurale (ZRR). Je n'y suis évidemment pas favorable, ayant travaillé sur ces questions notamment avec mes collègues Frédérique Espagnac et Rémy Pointereau. Pouvez-vous nous assurer qu'il n'en sera rien ?

Enfin, j'ai cru comprendre qu'il était question de baisser la taxe sur les frais des chambres de métiers et d'artisanat. Pouvez-vous nous donner un peu de visibilité sur cette question ?

M. Thierry Cozic. - Mon collègue Bernard Delcros a anticipé mon intervention, je vais donc être très bref : le Gouvernement est-il prêt à regarder de près une indexation de la DGF sur l'inflation pour accompagner les collectivités ?

Mme Sylvie Vermeillet. - L'évolution de la charge de la dette n'a pas été abordée : elle dépasserait les 50 milliards d'euros en 2023. De quelles marges de manoeuvre disposons-nous ?

Sur le chapitre de la mise en réserve de crédits, nécessaire pour faire face à des imprévus, vous prévoyez un gel de précaution de 8,1 milliards d'euros en crédits de paiement. Ce rabot, en quelque sorte général, peut être une piste. Mais quelles doivent-être ses déclinaisons, sachant que les budgets de certains ministères -- intérieur, justice, armées, éducation nationale... -- augmentent ? Où trouver les économies ?

Sur la question de la suppression de la CVAE, une piste aurait été de la reporter, de la même manière que nous avions préconisé le report de la suppression de la contribution à l'audiovisuel public, qui représente tout de même 3,7 milliards d'euros. Je pense que le « zéro artificialisation nette » fait beaucoup plus de mal aux entreprises que les bienfaits de la suppression de la CVAE.

Pour terminer, je vous remercie pour le million d'euros supplémentaire en direction des communes forestières, dont certaines font face à de réelles difficultés.

M. Jean-Michel Arnaud. - Je reviens sur le fil directeur de nos échanges : la hausse du prix de l'énergie. Vous avez rappelé, monsieur le ministre, dans quelles conditions serait plafonnée l'augmentation des prix à hauteur de 15 % à partir de janvier 2023 pour la plupart des particuliers.

Je me permets d'insister sur deux angles morts qui émergent des remontées de terrain. Le premier est évidemment la question de la compensation des collectivités locales. Hormis un accompagnement autour de 450 millions d'euros, décidé dans le PLFR grâce à l'action déterminante de certains de mes collègues et repris dans le PLF, il n'y a, me semble-t-il, aucune avancée sur ce sujet. C'est une alerte majeure.

Nos collectivités locales doivent-elles suivre le conseil du Président de la République émis le 22 septembre : « Ne signez pas aujourd'hui vos contrats quand ils sont à des prix fous » ? Il s'adressait aux entreprises, mais peut-être est-ce valable pour les collectivités locales...

Il semblerait que les copropriétés, qui sont sous un statut de personne morale, ne puissent pas bénéficier du tarif régulé du gaz et de l'électricité. Cela pose d'énormes problèmes et risque de mettre en grande difficulté les plus précaires, que ce soit dans le logement social ou simplement dans le logement privé classique.

Enfin, en tant qu'élu de la montagne, permettez-moi de vous interroger sur les suites des discussions des divers groupes de travail pour accompagner les stations de tourisme, en particulier sur la question des remontées mécaniques, quel que soit leur statut, y compris sous forme de régies. Face à des augmentations qui multiplient parfois par dix le montant des contrats précédents, allons-nous aboutir à des propositions pour réguler le prix des remontées mécaniques, alors que tout a déjà été commercialisé pour la saison à venir ? Il y va de l'attractivité et de la compétitivité du secteur des sports d'hiver, très important pour le tourisme.

M. Vincent Segouin. - Monsieur le ministre, vous titrez la présentation du PLF 2023 « Protéger les Français et aller vers le plein emploi ». À combien fixez-vous l'objectif chiffré sachant que le taux de chômage est actuellement de 7,1 % ?

Nous ne voyons dans le budget ni recettes supplémentaires ni baisses de dépenses. Nous apprenons au contraire que le ministère du travail va être pourvu de 6,2 milliards d'euros de crédits supplémentaires pour la formation et les maisons France Travail. Avions-nous besoin de remettre du budget sur ce poste déjà bien pourvu ? Changer l'enseigne de Pôle emploi pour France Travail, est-ce une solution pour régler nos problèmes de plein emploi ?

M. Gérard Longuet. - Je m'adresse à nos deux ministres, dont la tâche n'est pas facile : je m'étonne que, dans cette présentation, vous ne regroupiez pas les recettes et les dépenses prévisibles à moyen et long terme sur des secteurs stratégiques, dont les lignes de force sont évidentes : la démographie, l'énergie et la défense.

En ce qui concerne la démographie, nous aurons des recettes, car moins d'élèves, et donc moins de besoins quantitatifs d'enseignants, même si nous avons des besoins qualitatifs.

Le sujet de l'emploi va s'analyser d'une façon différente dans un pays où la démographie est négative et où les perspectives de main-d'oeuvre diminuent.

Nous aimerions une présentation sur les dépenses futures, en moins et en plus ; je n'imagine pas que le Gouvernement n'envisage pas une politique familiale pour soutenir la démographie et reconstituer la vitalité de la population française.

Pour ce qui est de l'énergie, si le renouvelable est sans doute nécessaire, nous ne réglerons pas les besoins en énergie électrique, qui ont été délibérément et scandaleusement sous-évalués ces dix dernières années, sans le nucléaire. En développant ce dernier de manière soutenue à moyen et long terme, nous pouvons espérer réduire les dépenses liées à la contribution au service public de l'électricité (CSPE), qui comptent pour un quart de la facturation des ménages.

Sur le plan de la défense, trop d'inconnues empêchent d'ouvrir le débat de manière sommaire.

Vous faites des efforts -- tant mieux ! -- mais nous aimerions connaître votre projet de moyen et long terme dans un environnement où le Président de la République déclarait il y a quelques années que l'OTAN se trouvait dans un état de mort cérébrale et alors que l'on s'aperçoit de la nécessité d'une défense européenne.

Imaginez-vous regrouper sur de grands axes stratégiques votre présentation du budget avec les recettes et dépenses prévisibles ?

M. Sébastien Meurant. - Nous sommes tous d'accord sur l'ambition d'une reconquête industrielle. L'une des principales raisons de l'inflation est la hausse de l'énergie. Grâce aux investissements massifs de nos aïeux, la France a longtemps disposé d'un avantage compétitif sur nos concurrents, notamment allemands : avoir une énergie peu chère. De mauvais choix ces dernières années, dont la loi Nome, intervenue dans des conditions de marché certes tout autres, nous ont menés à cette folie de produire de l'énergie peu chère tout en voyant les prix exploser.

Les ménages et les entreprises sont pris à la gorge et j'aimerais comprendre comment des intercommunalités qui voient leurs dépenses d'électricité multipliées par six vont pouvoir s'en sortir. Aidera-t-on les collectivités qui ont été prudentes et bien gérées au même titre que d'autres qui se trouvent dans des situations plus délicates et ont parfois été moins bien gérées ?

Envisage-t-on, au niveau français, de faire comme l'Espagne et le Portugal en découplant le prix de l'électricité de celui du gaz ?

En ce qui concerne la dette, nous revenons à une période plus normale après avoir bénéficié de taux d'intérêt négatifs pendant des années -- ce qui était une aberration financière. La dette va certes continuer à augmenter, mais la charge de la dette va relativement peu augmenter et sera en 2025 sensiblement identique à celle de 2023, ce qui est extrêmement positif pour l'avenir.

Enfin, je suis favorable à une politique de l'offre, mais le résultat de cette politique, depuis quelques années, c'est le déficit commercial -- 156 milliards d'euros en prévision en 2022 et 154 milliards en 2023. La compétitivité de la France vis-à-vis de ses concurrents européens ne s'améliore guère.

M. Bruno Le Maire, ministre. - Je vous propose de répondre en regroupant les grandes questions qui ont été posées.

Je veux d'abord insister sur un principe. Je l'avais déjà affirmé lors de la discussion du PLFR : nous entrions avec 22 milliards d'euros de dépenses supplémentaires et nous devions sortir avec 22 milliards d'euros de dépenses supplémentaires. Cela vaut pour le PLF : nous entrons avec 5 % de déficit, nous sortirons avec 5 % de déficit. Je veux redire à quel point la France est à l'euro près.

J'entends bien toutes les remarques sur les collectivités locales, sur les services publics, sur des personnes qui seraient davantage protégées ou sur un bouclier pour les entreprises... Tout cela n'est tout simplement pas à la portée de la France. Il faut donc faire des choix.

À ceux qui veulent indexer la DGF sur l'inflation ou instaurer un bouclier tarifaire pour toutes les entreprises, je dis que ce n'est pas à la portée de notre bourse, et que nous devons tenir les 5 % de déficit public.

Il faut bien sûr protéger certaines entreprises exposées à la concurrence internationale. Les décolleteurs de la vallée de l'Arve, qui doivent vendre des pièces de véhicules automobiles en Asie, où il n'y a pas de flambée des prix, ne peuvent pas augmenter leurs tarifs et doivent être protégés. Mais d'autres commerçants, par exemple restaurateurs, peuvent faire passer une partie de la hausse dans leur prix de vente. Je ne rétablirai donc pas de mesures de « quoi qu'il en coûte », car ce serait dispendieux pour les finances publiques et ne ferait qu'augmenter un peu plus l'inflation dans les mois qui viennent.

Pour les communes, c'est la même chose : certaines doivent être aidées, d'autres sont moins en difficulté ou n'ont pas fait le bon choix de gestion au cours des deux ou trois dernières années. Est-il juste de traiter tout le monde de la même manière ? Je n'en suis pas certain, et il n'est pas sûr que nos compatriotes approuveraient une telle mesure.

Il faut donc regarder toutes les situations de près et tenir le déficit de 5 % du PIB, ce qui ne fait par ailleurs pas de nous les bons élèves de la zone euro. Nous ne faisons que respecter la trajectoire qui nous permettra d'atteindre les 3 % de déficit en 2027, seuil en deçà duquel nous serons l'un des derniers États européens à passer.

Je serai donc intraitable sur ce sujet, parce qu'il y va de la crédibilité de la France, de nos finances publiques, et qu'il n'y a aucune raison que la France accuse des déficits plus importants que ceux de ses grands voisins européens.

En ce qui concerne la croissance, je n'ai pas grand-chose à ajouter. Bien sûr que l'environnement est incertain, mais je constate qu'en 2021, la reprise a été plus forte que prévu. Parmi les grandes économies de la zone euro, le premier pays à avoir retrouvé son niveau économique d'avant-crise est la France, parce que sa politique de relance a été rapide, efficace et puissante.

Alors que les prévisionnistes disaient que nous ne pourrions pas dépasser 2,3 % de croissance en 2022, elle va s'élever à 2,7 %. Croyez-moi, je suis tout aussi surpris qu'eux par la vigueur de la demande, de l'activité touristique, du retour de l'activité des services dans notre pays, et tant mieux !

Le pire, même s'il faut s'y préparer, n'est pas certain. Mon rôle de ministre de l'économie - cela a été rappelé par le président Raynal - n'est pas de verser dans la prophétie autoréalisatrice, mais plutôt de pousser le pays vers ce qu'il peut accomplir de meilleur, c'est-à-dire 1 % de croissance en 2023.

Sur la CVAE, je veux commencer par dire au président du comité des finances locales, M. Laignel, dont j'ai lu les déclarations, que je trouve un peu révoltant de parler de cadeau au Medef. Ces propos ne sont ni dignes ni acceptables. Le ministre de l'économie et des finances ne prend pas des mesures pour faire plaisir à qui que ce soit, mais parce qu'il estime que c'est bon pour le pays.

Nous estimons, en conscience, que la reconquête industrielle ne se réalisera pas avec des impôts de production sept fois plus élevés que ceux de nos voisins. C'est maintenant que cela se joue ; il y a urgence. Si nous n'avions pas baissé les impôts de production de 10 milliards d'euros, jamais GlobalFoundries n'aurait investi chez ST Microelectronics à Crolles et à Grenoble, et la France ne compterait pas parmi les nations capables de maîtriser les technologies de semi-conducteurs, y compris dans les gravures les plus fines.

Nous pouvons, comme c'est le cas ici, discuter des procédés, échanger, contester nos approches, mais je n'accepte pas une stigmatisation maladroite, inappropriée et injuste.

Beaucoup de questions ont été posées sur le bouclier tarifaire ; c'est un enjeu majeur, la plus grande nouvelle dépense publique de 2023. Nous mettons 45 milliards d'euros sur la table, c'est ce que cela va nous coûter pour protéger nos compatriotes, y compris les entreprises.

Quand on dit du prix de l'électricité que c'est 15 % de hausse, je rappelle que le marché, c'est 100 % ! Donc si vous voulez qu'on fournisse de l'électricité et du gaz, il faut bien compenser les producteurs qui y perdent. C'est une réalité économique : il y a le marché et nous ne sommes pas seuls au monde. Si nous voulons du gaz et de l'électricité, nous devons le payer au prix du marché. Sinon, c'est la pénurie et la chute économique.

Cette compensation coûte 45 milliards d'euros. Cela pourra être plus si les prix augmentent ; cela pourra être un peu moins si les prix baissent.

À partir de là, nous avons des recettes : 19 milliards d'euros nous reviennent des énergies renouvelables. Je reviendrai sur la question de la taxation, qui est tout à fait digne politiquement et importante. Les énergéticiens qui ont réalisé des investissements coûteux sur le renouvelable, l'éolien ou le solaire, qui ne rapportaient pas beaucoup car les prix étaient bas, ont été remboursés pendant des années, en compensation, à hauteur de milliards d'euros. Quand le prix de l'énergie est supérieur à ce prix garanti, c'est nous qui récupérons l'argent. J'y suis très favorable, parce que c'est une rente et qu'il n'y a aucune raison qu'il y ait des rentes dans notre pays. Cela a rapporté 8 milliards d'euros en 2022, cela rapportera 19 milliards en 2023.

Là-dessus, vous retranchez encore 9 milliards d'euros de taxes intérieures de consommation finale sur l'électricité (TICFE) que nous ne prélèverons pas. Cela vous amène à 17 milliards d'euros. Vous retirez un milliard d'euros de recettes qui viennent de l'énergie hydraulique, qui n'était pas concernée jusqu'à présent, vous arrivez à 16 milliards d'euros de coût net. Mais ce que dépense l'État, en brut, ce qu'il met dans la poche des Français, c'est 45 milliards d'euros.

Donc personne ne peut dire que nous ne protégeons pas massivement, mais nous réduisons la note grâce à ce système de marché, qui a d'ailleurs été adopté par l'Union européenne.

Comme M. Savoldelli, j'aurai des propos modérés et enthousiastes : ceux qui travaillent en ont ras-le-bol de payer toujours plus d'impôts. Pour eux, la coupe est pleine. M. Savoldelli redoute une fronde sociale. En ce qui me concerne, je redoute la fronde de nos concitoyens qui estiment payer trop d'impôts. Je rappelle que 10 % des contribuables payent 70 % de l'impôt sur le revenu dans notre pays. Vous vous préparez à des jours difficiles avec les classes moyennes si vous voulez profiter de l'inflation pour récolter davantage d'impôts. Souvent, celles-ci ont été à l'origine des révolutions, car elles refusaient qu'on leur prenne trop. Avoir indexé le barème de l'impôt sur le revenu sur l'inflation est une décision juste.

La question de la taxation des superprofits n'est pas anodine. À juste titre, les Français considèrent que les entreprises faisant des bénéfices liés uniquement à la flambée des prix de l'énergie doivent participer à l'effort collectif. Je souscris à leur point de vue, puisque je récupère 19 milliards d'euros l'année prochaine, soit par l'intermédiaire du mécanisme de marché que je viens d'indiquer, soit via une contribution directe des entreprises, comme en témoigne la remise de 20 centimes d'euro à la pompe décidée par TotalEnergies. Le plafonnement des tarifs bancaires à 2 % profite directement à nos compatriotes. Notre position ne souffre d'aucune ambiguïté : les Français doivent bénéficier de l'argent des rentes.

En revanche, derrière le terme très séduisant de taxation exceptionnelle des superprofits se cache en réalité une taxation permanente de tous les profits de toutes les entreprises du CAC 40. J'ai examiné attentivement la proposition de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes), qui consiste à taxer toute entreprise dont le résultat fiscal serait supérieur en 2023 de 25 % à la moyenne des résultats constatés entre 2017 et 2019. Toute entreprise dont les profits ont augmenté de 25 % sur cinq ans serait taxée. La logique est claire : dès que vous réussissez, vous êtes imposé. Je me bats depuis des années contre cette maladie française. On commence par taxer les profits des grandes entreprises et on finit par le faire pour toutes les sociétés, PME comprises. Les auteurs de cette proposition soutiennent que la mesure revêt un caractère exceptionnel. Or ce n'est pas le cas, puisque ses auteurs fixent son échéance à l'année 2025. Une telle réforme deviendrait alors permanente. Telle n'est pas la bonne solution : je lui préfère le dispositif européen, qui vise à prélever les énergéticiens uniquement en 2022 d'une taxe de 20 % lorsque les résultats de l'entreprise sont supérieurs de 20 % en 2021 par rapport à 2019. Ce dispositif est raisonnable. Chacun doit dévoiler la réalité de ses intentions dans le débat sur la fiscalité.

M. Gabriel Attal, ministre. - Je concentrerai mon propos sur la question des collectivités territoriales. Des propositions intéressantes en faveur des forêts ont été formulées. Je précise que le dispositif d'encouragement fiscal à l'investissement en forêt (DEFI forêt) sera renforcé.

À la fin de l'année 2021, la situation globale des collectivités locales était très bonne, notamment en raison d'un transfert important de l'État durant la crise sanitaire, à hauteur de 10 milliards d'euros. Avec le « quoi qu'il en coûte », l'État s'est endetté, mais des dépenses des collectivités locales ont été évitées.

Pour l'année 2022, la photo est plus floue. Les collectivités territoriales doivent faire face à des dépenses supplémentaires, telles que l'augmentation du point d'indice ou la hausse de prix de l'énergie et de l'alimentation. Toutefois, certaines recettes continuent leur progression, notamment les impositions foncières ou la TVA. Ce matin, lors du comité des finances locales, j'ai annoncé qu'en 2022 la fraction des recettes de TVA allouée aux collectivités territoriales augmenterait de 9,6 %, contre des prévisions établies à 2,89 % au mois de mars dernier. Cela représente une recette supplémentaire d'un milliard d'euros tant pour les conseils régionaux que pour les conseils départementaux. La ville de Paris recevra quant à elle une somme de 500 millions d'euros. Certes, la situation n'est pas parfaite pour toutes les collectivités, mais certaines recettes ont globalement progressé deux fois plus vite que l'inflation en 2022.

Les communes assurant des charges de centralité sont davantage fragilisées. Je me réjouis de l'adoption cet été du filet de sécurité et je tiens à remercier les sénatrices et les sénateurs d'avoir enrichi le dispositif adopté par l'Assemblée nationale. Le décret d'application sera publié dans les prochains jours. Les premiers acomptes seront versés durant le mois de novembre aux communes éligibles à ce dispositif - soit environ 25 % d'entre elles. La hausse des dépenses d'énergie et d'alimentation sera prise en charge à hauteur de 70 %. Le soutien pour faire face à l'augmentation des charges de la masse salariale pourra aller jusqu'à 50 %.

Indexer la dotation globale de fonctionnement (DGF) serait irréaliste. Durant le quinquennat de François Hollande, cette pratique avait justifié les coupes claires qui avaient ensuite été décidées par le gouvernement. Comme je l'expliquais ce matin à M. André Laignel, il serait difficile de retirer demain aux collectivités locales un filet de sécurité indexé sur l'inflation si notre pays entrait en récession. Nous privilégions l'accompagnement des collectivités qui en ont le plus besoin. L'année prochaine, nous pourrons adapter ce dispositif en fonction des résultats constatés en 2022.

Et pour répondre à la question de Christine Lavarde, nous allons en effet adapter le texte qui vous est transmis aujourd'hui à la suite des « dialogues de Bercy ». Nous n'avons pas eu le temps d'indiquer dans le texte initial que nous allions abonder la DSU et la DSR de 210 millions d'euros. Très concrètement, cela représente 90 millions d'euros sur la DSU, 90 millions d'euros sur la DSR et 30 millions d'euros pour les intercommunalités.

Si nous ne prenions pas cette mesure, deux tiers des communes verraient, du fait des règles de la péréquation, leur DGF baisser l'an prochain, alors même que l'enveloppe globale est stable et sanctuarisée depuis 2017. Avec cette mesure en revanche, 70 % des communes verront leur DGF augmenter l'an prochain. Cette garantie a été qualifiée d'historique, y compris par des spécialistes du sujet et nous réfléchissons ainsi à renforcer la DSR péréquation.

M. Mizzon a demandé si, dans le cadre de l'actualisation des valeurs locatives, les commissions devaient poursuivre leurs travaux. La réponse est oui : ce travail est utile, ne serait-ce que parce que les premières remontées des commissions départementales nous ont permis de faire une forme de synthèse et d'arriver à la conclusion qu'il fallait suspendre l'application de la réforme.

En effet, ces synthèses affichaient des hausses de fiscalité de plus de 40 % pour les commerces de centre-ville et des baisses de 40 % pour des hypermarchés de périphérie. Quand bien même on appliquerait des mesures correctives - plafonnement, « planchonnement », lissage, etc. -, on arriverait toujours à +15 % pour le centre-ville et -15 % pour la périphérie. La décision a donc été prise - c'est aussi l'intérêt des « dialogues de Bercy » - de suspendre l'actualisation.

Tant que le système restera basé sur les valeurs locatives, la valeur locative au mètre carré en centre-ville sera supérieure, par définition, à celle de la périphérie. Aussi, j'estime qu'il convient probablement de réinterroger le modèle et les critères. Certains évoquent la valeur vénale, d'autres le chiffre d'affaires au mètre carré sur les dernières années. Voilà un beau de sujet de débat et de travail en commun qui pourrait nous permettre d'imaginer un système plus efficace, qui ne pénalise pas l'activité économique en centre-ville.

En ce qui concerne la CVAE, je ferai remarquer que la fraction de TVA est plus dynamique que la CVAE : ces dernières années, les recettes de TVA ont ainsi progressé davantage que les recettes de CVAE. Au travers de cette compensation, les collectivités sont donc gagnantes. Par ailleurs, la fraction de TVA est moins volatile que ne le sont les recettes de CVAE, qui varient beaucoup d'une année sur l'autre. L'exemple le plus édifiant est celui des collectivités disposant sur leur territoire d'un réacteur nucléaire à l'arrêt pour maintenance. La commune de Civaux, dans la Vienne, verra ainsi son montant de CVAE passer de 3,8 millions d'euros cette année à 53 000 euros l'année prochaine. Avec le système que nous proposons - suppression de la CVAE et compensation -, aucune commune ne pourra voir, par définition, sa CVAE baisser à l'avenir. Au mieux cette dernière sera stable et s'il existe une activité économique, elle augmentera. Cette garantie me semble intéressante.

La taxe d'aménagement a fait l'objet, elle aussi, d'une alerte dans le cadre des « dialogues de Bercy ». Il était demandé aux collectivités de rendre une délibération avant le 1er octobre pour le partage avec les EPCI. À la suite de cette alerte, nous avons accordé un délai supplémentaire, jusqu'au 31 décembre. Toutes les collectivités n'en ont pas encore connaissance, je vous remercie donc de nous aider à relayer cette information.

Concernant la taxe de séjour, nous sommes toujours ouverts pour examiner les dossiers, mais nous devons, me semble-t-il, nous poser les bonnes questions sur la manière d'équilibrer des budgets. La taxe de séjour ne me semble pas être le moyen d'équilibrer durablement un budget. Méfions-nous des solutions de court terme qui font rentrer plus d'argent sur une année, mais pénalisent sur le long terme et font chuter l'activité touristique dans la capitale. Cela me fait penser aux loyers capitalisés. Nous avons voulu mettre fin à ce système de fuite en avant qui engrangeait des recettes de court terme sur l'année n, mais engageait en même temps la ville sur des dépenses pour les années à venir.

Afin d'équilibrer les budgets de certaines collectivités, nous considérons, il est vrai, qu'appliquer les trente-cinq heures aux fonctionnaires serait plus efficace que d'aller chercher des recettes supplémentaires en taxant les touristes. Sur cette question, il existe encore des marges de progrès.

M. Rémi Féraud. - Les trente-cinq heures s'appliquent déjà aux fonctionnaires de la ville de Paris !

M. Gabriel Attal, ministre. - Des contournements ont encore lieu.

S'agissant enfin du fonds vert, Christophe Béchu et Caroline Cayeux mènent actuellement un travail visant à définir les meilleures modalités. Notre ministère débloque les fonds ; il revient ensuite à mes collègues de définir les critères. Je peux vous dire néanmoins que j'ai attiré leur attention sur deux points particuliers : d'abord, la nécessité d'essayer de sortir de la logique d'appel à projets, qui représente un coût d'entrée trop important pour les collectivités ; ensuite, le souhait de déconcentrer au maximum le fonds, pour que l'interlocuteur des collectivités puisse être le préfet.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 19 h 45.

Mercredi 28 septembre 2022

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

Contrôle budgétaire - Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) - Communication

La réunion est ouverte à 9 h 30.

M. Claude Raynal, président. - Mes chers collègues, les rapporteurs spéciaux de la mission « Économie », Thierry Cozic et Frédérique Espagnac, ont mené un contrôle budgétaire sur la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).

M. Thierry Cozic, rapporteur spécial. - L'idée de ce contrôle nous est venue à l'occasion de l'audition de la DGCCRF dans le cadre de la préparation du projet de loi de finances pour 2022.

Si des enjeux importants concernant cette administration étaient apparus au cours de cette audition, tels que la réduction des effectifs ou les questions d'organisation, c'est en réalité au cours des auditions et déplacements conduits dans le cadre du contrôle que la profondeur de certains enjeux s'est révélée.

La DGCCRF dispose d'importants atouts et fait preuve d'une véritable capacité d'adaptation et de modernisation. Pour autant, elle apparaît affaiblie, d'abord en raison des réductions significatives d'effectifs qu'elle a connues depuis 2007, ensuite par la succession de réformes et de projets avortés de réformes la concernant. Ce double contexte déstabilise en outre les agents de la DGCCRF, qui nous ont souvent fait part d'un sentiment de « fatigue » et ont déploré la « perte de sens » de leur métier.

Or la DGCCRF accomplit de manière très concrète des missions qui sont indispensables au bon fonctionnement de l'économie et à la protection du consommateur. Cette utilité est structurelle, mais elle l'est encore davantage aujourd'hui du fait du contexte économique. En effet, l'inflation, l'explosion des coûts de l'énergie ou encore le contexte économique international augmentent aussi bien les risques de fraude que l'importance de la protection des consommateurs et de leur pouvoir d'achat.

Attendre beaucoup d'une administration affaiblie et à laquelle l'on donne de moins en moins, c'est le dilemme auquel est confrontée la DGCCRF. Dans ce contexte, nous formulons des recommandations qui nous semblent pouvoir renforcer cette administration, au service de l'économie et des consommateurs.

Mme Frédérique Espagnac, rapporteure spéciale. - Je commencerai par détailler les missions de la DGCCRF, ainsi que ses atouts et sa capacité d'adaptation et de modernisation.

Depuis sa création en 1985, la DGCCRF est chargée de trois grandes missions : elle s'assure du respect des règles de concurrence, de la protection économique des consommateurs et de la sécurité des produits et des services.

Dans ces domaines, elle n'est pas le seul acteur administratif à intervenir. D'autres administrations et autorités administratives sont compétentes, parmi lesquelles les douanes, la direction générale des finances publiques (DGFiP), l'Autorité de la concurrence et les autorités de régulation sectorielles, comme l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep).

Dans ces conditions, une coordination entre ces autorités administratives est indispensable. En effet, si leur nombre contribue à une spécialisation fructueuse, il crée mécaniquement un risque de chevauchement et un risque d'impasses. Il est aussi susceptible de conduire à une utilisation des informations et des données en silo.

Nous avons constaté que la coopération entre ces acteurs s'est significativement accrue, en particulier ces dernières années. Toutefois, des marges d'amélioration existent et nous considérons que des efforts doivent encore être fournis pour que ces institutions forment un front commun contre la fraude. C'est pourquoi nous formulons deux recommandations, qui visent l'approfondissement de la coopération entre ces acteurs publics, avec un point d'attention spécifique concernant le partage de données.

Mais si la DGCCRF n'est pas la seule autorité administrative à intervenir en matière de concurrence et de protection du consommateur, elle en est l'acteur central.

D'une part, ses compétences ne sont pas spécifiques à un secteur ou à un domaine, contrairement à ce qu'il en est pour les autres acteurs administratifs. Elles touchent tous les champs de la consommation, que ce soit les produits ou les services, tous les stades de l'activité économique et toutes les formes de commerce.

D'autre part, ses pouvoirs sont importants, que ce soit ses pouvoirs d'information, de contrôle et d'enquête ou sa capacité à sanctionner les manquements et fraudes.

La DGCCRF est en outre une administration très active et inscrite dans le concret. En 2021, elle a mené près de 135 000 contrôles, dans plus de 90 000 établissements. Elle a adressé près de 25 000 avertissements, émis 8 000 injonctions, conduit à l'ouverture de 4 000 dossiers pénaux et prononcé 1 300 amendes.

Pour exercer ses missions, la DGCCRF sait, par ailleurs, faire évoluer ses priorités. Depuis 2019, sur le fondement de son plan stratégique 2020-2025, elle se fixe trois priorités : préférer l'enquête au contrôle routinier, se concentrer sur les risques les plus importants, et investir les nouvelles formes de l'économie et les nouveaux risques.

La DGCCRF apporte donc une plus forte valeur ajoutée à son travail en privilégiant l'enquête sur le contrôle « standard ». Elle peut ainsi s'attaquer aux risques forts et aux fraudes les plus préjudiciables. En 2022, elle a par exemple identifié les enjeux de la transition écologique et de l'économie numérique pour guider le choix de ses enquêtes.

Nous estimons que ce recentrage sur les enquêtes constitue une bonne stratégie, a fortiori dans un contexte d'effectifs contraints. Néanmoins, nous émettons une réserve. En effet, il est important qu'en parallèle de ces enquêtes, un certain nombre de contrôles routiniers soient maintenus. Sans eux, la « peur du gendarme » ne serait plus garantie.

Ensuite, la DGCCRF s'adapte aux évolutions de l'économie en s'intéressant aux nouveaux modèles économiques. Elle investit ainsi en particulier le domaine du numérique, en traitant du commerce en ligne ou des pratiques des influenceurs par exemple. Elle identifie et lutte contre les risques émergents, par exemple sur l'origine des produits et les allégations environnementales ou nutritionnelles.

En parallèle, la DGCCRF adapte ses outils et moyens d'action avec une célérité qu'il convient de souligner. En moins de trois ans, elle a mis en place un logiciel d'enquête perfectionné nommé « Sesam », utilisable par les agents lors de leurs déplacements, une structure centralisée et spécialisée d'échanges avec les consommateurs baptisée « Réponse Conso », un site internet interministériel centralisant les alertes sur les produits dangereux (rappel.conso.gouv.fr), une plateforme de signalement par les consommateurs de fraudes ou manquements d'entreprises, nommée « Signal Conso », et, enfin, une cellule de renseignement antifraude économique (la CRAFE) pour mieux détecter et enquêter sur les fraudes les plus complexes et les plus préjudiciables.

En outre, elle s'appuie sur des pratiques et pouvoirs élargis et modernisés, parmi lesquels la transaction pénale et administrative pour simplifier la procédure de sanction, le déréférencement de sites internet pour lutter contre les pratiques illégales sur internet, et la politique du name and shame pour les entreprises les plus indélicates.

Enfin, la plus grande force de la DGCCRF que nous ayons identifiée à l'occasion de notre contrôle est peut-être la qualité et l'implication de ses agents, dont le mode de recrutement et de formation spécifique a fait ses preuves. La DGCCRF peut donc s'appuyer sur des atouts importants et une véritable capacité d'adaptation et de modernisation.

Pour autant, le contrôle a été l'occasion de constater que la DGCCRF est également une administration affaiblie.

M. Thierry Cozic, rapporteur spécial. - Affaiblie, la DGCCRF l'est tout d'abord et surtout du fait de la baisse de ses effectifs. En quinze ans, depuis 2007, ses effectifs ont été réduits d'un quart. Alors que 3 723 équivalents temps plein travaillé (ETPT) avaient été consommés en 2007, 2 812 ETPT devraient l'être au maximum en 2022, soit une diminution de 911 ETPT. C'est considérable pour une petite administration avec des missions étendues. Une part de la baisse des effectifs est certes liée à des transferts de compétences, notamment vers l'Autorité de la concurrence ou le service commun des laboratoires, mais la réduction nette d'effectifs concerne près de 400 ETPT.

Dans ces conditions, nous avons constaté sans surprise que les équipes étaient mises sous tension, et que la bonne exécution des missions de la DGCCRF était parfois menacée. C'est a fortiori le cas dans les territoires peu dotés en personnels. Pour vous donner une idée, en 2010, dans l'Hexagone et en Corse, aucun département ne comptabilisait moins de 8 ETPT. En 2021, quatorze départements disposaient de 5 ETPT ou moins. Au-delà de ces chiffres, un exemple montre la gravité de la situation dans certains territoires : dans le Lot, le nombre très faible d'agents, auquel il faut ajouter les congés et départs, a abouti à ce que les services de la répression des fraudes n'aient temporairement qu'un seul agent en poste pour tout le département au cours de l'année 2022...

Or les réductions d'effectifs conduisent mécaniquement, in fine, à limiter le nombre des enquêtes et des opérations de contrôle. En outre, en dessous d'un certain seuil d'agents, ceux-ci perdent en spécialisation et les enquêtes et contrôles baissent en qualité. Et si les mutualisations interdépartementales mises en place dans les territoires les moins dotés peuvent être utiles, elles ne suffiront absolument pas à répondre à la baisse des effectifs.

Face à cette situation, nous estimons qu'il est indispensable de réagir, afin de donner à la DGCCRF les moyens d'exercer ses missions sur l'ensemble du territoire.

Nous proposons donc l'établissement d'un effectif « socle » de 7 ETPT par département. Ce seuil a été identifié comme un plancher garantissant un minimum de spécialisation des équipes. Nous rappelons de nouveau, pour ceux qui s'inquiéteraient de la légitimité d'une telle hausse, qu'en 2010 tous les départements de l'Hexagone disposaient d'au moins 8 ETPT.

La mise en place de ce socle ne pourra raisonnablement se faire par le biais du redéploiement d'agents au niveau national. En effet, la tension sur les effectifs est une réalité sur tout le territoire et à tous les échelons de la DGCCRF. Il faudra donc prévoir de recréer quelques postes : moins de 50 ETPT selon notre estimation sur les 911 ETPT qui ont été supprimés au cours des quinze dernières années. Nous notons d'ailleurs que, dans le dossier de presse du projet de loi de finances pour 2023, le Gouvernement annonce des renforts d'effectifs pour l'année prochaine. Si nous n'en connaissons pas le détail exact, nous nous félicitons de cette évolution.

La deuxième raison pour laquelle la DGCCRF est affaiblie tient à la succession des réformes l'affectant, qu'elles soient d'ailleurs mises en oeuvre ou finalement avortées. La DGCCRF a d'abord connu d'importantes modifications de son organisation déconcentrée depuis 2009. Depuis cette date, les services déconcentrés sont en effet rattachés à des directions départementales ou régionales interministérielles. Depuis 2021, les services régionaux sont ainsi rattachés au pôle « concurrence, consommation et métrologie », dit « pôle C », des nouvelles directions régionales de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (Dreets). Les services départementaux dépendent quant à eux soit d'une direction départementale de la protection des populations (DDPP), soit d'une direction départementale de l'emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations (DDETS-PP), selon la taille de la population.

Le rattachement à un directeur départemental interministériel, lui-même soumis au préfet, en lieu et place de l'ancienne ligne hiérarchique directe de la DGCCRF, a déstabilisé les agents départementaux. Ces derniers continuent de s'en plaindre aujourd'hui, pour diverses raisons, parmi lesquelles ce qu'ils estiment être une dilution de leurs compétences spécifiques et un manque de lisibilité de la ligne hiérarchique.

Un certain nombre de réformes ont également concerné ses compétences, parmi lesquelles le transfert en cours de la police de sécurité sanitaire des aliments vers le ministère de l'agriculture. Au demeurant, nous considérons que cette réforme est opportune. En premier lieu, elle simplifie utilement l'organisation administrative des compétences dans un domaine aussi stratégique. En second lieu, elle recentre la DGCCRF sur ses compétences premières, la protection économique du consommateur et l'ordre public économique.

Nous formulons toutefois une recommandation, qui vise à préserver la compétence du service commun des laboratoires s'agissant des analyses sanitaires des aliments qui relevaient de la compétence de la DGCCRF. Cela permettra à la fois d'assurer la qualité des analyses et de préserver le savoir-faire du service commun des laboratoires.

Plus largement, cette réforme, même opportune, appelle à la vigilance. Elle ne doit en aucun cas conduire à une dispersion progressive généralisée des compétences de la DGCCRF vers d'autres administrations. Son positionnement administratif et son rattachement direct au ministère de l'économie ne doivent pas non plus être mis en cause.

Enfin, l'hypothèse d'une fusion avec l'administration des douanes est évoquée depuis de nombreuses années, y compris au niveau du Gouvernement. Elle suscite à la fois intérêt et inquiétudes.

En définitive, au-delà de l'opportunité ou non de ces réformes ou projets de réformes, il faut reconnaître que le climat général a causé chez les agents, confrontés à une « perte de sens », un sentiment de « fatigue » assez fort - ce sont des termes qui sont revenus très souvent lors de nos échanges. Ces changements ont mis sous tension, plus généralement, l'ensemble de la DGCCRF.

Dans ce contexte, nous estimons qu'il est temps que cette dernière et ses agents puissent se focaliser sur leurs missions. Il est donc nécessaire de s'abstenir de toute réforme d'ampleur concernant l'organisation de la DGCCRF à moyen terme. Une hypothétique fusion avec les douanes doit ainsi être écartée, même si des coopérations concrètes renforcées entre ces deux administrations peuvent être développées. Cette fusion se heurterait en effet, en dépit de certains avantages, à de sérieux obstacles, que nous décrivons dans notre rapport. Surtout, elle créerait davantage d'instabilité au détriment du travail des agents, déjà trop peu nombreux. Nous le répétons : il faut aujourd'hui donner la priorité à la stabilité et laisser les agents de la DGCCRF se concentrer sur leurs missions.

Mme Frédérique Espagnac, rapporteure spéciale. - Les relations de la DGCCRF avec les entreprises constituent ce que l'on pourrait considérer comme sa troisième faiblesse.

Certes, cette administration garantit une information satisfaisante des consommateurs et des entreprises sur leurs droits et devoirs, quand bien même il existe malgré tout des marges d'amélioration dans ce domaine, exposées dans notre rapport. Nous recommandons notamment de maintenir l'accueil physique des consommateurs et de rapprocher la DGCCRF de ces derniers par le biais du réseau France Services.

Mais ce qui pêche surtout, malgré des efforts tangibles en ce sens, c'est l'établissement d'une relation de confiance avec les entreprises et d'une logique d'accompagnement de ces dernières. Nous avons ainsi constaté que la DGCCRF ne produit pas un effort pédagogique suffisant vis-à-vis des professionnels, sans doute parce qu'elle se définit dans le fond avant tout comme une administration de contrôle.

Or nous considérons que pour garantir l'ordre public économique et la protection du consommateur, la prévention, la pédagogie et l'accompagnement des professionnels doivent primer sur la répression. De manière générale, nous invitons la DGCCRF à adopter cette logique de prévention et d'accompagnement, y compris à l'occasion des contrôles.

Nous formulons à cet égard deux recommandations concrètes. D'une part, nous estimons que la DGCCRF doit davantage adopter une position de conseil vis-à-vis des entreprises : il faut donc notamment envisager l'élargissement aux professionnels du service « Réponse Conso », actuellement chargé de répondre aux sollicitations des consommateurs. D'autre part, il est indispensable de renforcer la confiance des entreprises, même celles qui ont été sanctionnées : il convient donc notamment que la DGCCRF adopte une approche proportionnée de sa politique de communication autour de ses sanctions, notamment dans le cadre du name and shame.

À l'issue de ce contrôle, nous estimons que la DGCCRF est bien un acteur central du bon fonctionnement de l'économie et de la protection des consommateurs. Elle est en outre efficace et s'inscrit dans le réel. Toutefois, elle est affaiblie par la réduction continue de ses effectifs, la succession des réformes mises en oeuvre et avortées et le manque d'accompagnement des entreprises. Nos recommandations concrètes visent à lui donner les outils, les moyens et l'approche nécessaires pour retrouver son efficacité, au moment où l'on a le plus besoin d'elle.

M. Claude Raynal, président. - Je laisse la parole à Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour avis de la mission « Économie » pour la commission des affaires économiques.

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. - Je suis particulièrement intéressée par le rapport de nos deux collègues, dans la mesure où la commission des affaires économiques, dans le cadre du suivi de la loi Égalim, s'interroge sur un certain nombre de dispositions.

Je pense tout d'abord à l'encadrement du régime des pénalités logistiques, car on constate divers abus sur le terrain, notamment le fait que certains acteurs économiques utilisent ces pénalités comme des sources de trésorerie auprès de leurs fournisseurs.

J'évoquerai ensuite le dispositif de relèvement du seuil de revente à perte, prévu par la loi Égalim 1 en 2018, qui avait pour objet de favoriser un meilleur ruissellement, et donc une meilleure rémunération des agriculteurs en fonction des coûts de production. La DGCCRF est censée remettre un rapport sur cette question le 1er octobre prochain au plus tard : qu'en est-il ? Nous avons hâte de savoir si l'administration conclut à un processus de ruissellement effectif au bénéfice des agriculteurs, ce dont nous doutons.

Enfin, Daniel Gremillet et moi-même sommes les auteurs d'un récent rapport sur les négociations commerciales et l'inflation, qui met en évidence l'absence d'une hausse massive, généralisée et suspecte des tarifs de la part des fournisseurs. Or la DGCCRF a lancé une plateforme de signalement des pratiques contestables : comment ces phénomènes sont-ils suivis dans le contexte d'inflation que nous connaissons ?

M. Claude Raynal, président. - Avant de donner la parole au rapporteur général, je tiens à vous faire part de mon propre sentiment : la situation dans laquelle se trouve la DGCCRF aujourd'hui traduit, selon moi, un mal typiquement français, à savoir une absence de prise de décisions au niveau de notre administration.

Au fond, on a créé des autorités administratives indépendantes à qui l'on a demandé d'assumer une partie des missions qu'exerçait déjà l'administration, ce qui a conduit à une baisse des effectifs et à une confusion générale. La preuve en est que, bien souvent, tout cela se termine en réunions de concertation au niveau des préfectures pour tenter d'y voir clair dans ce maelstrom et parvenir à coordonner les actions des uns et des autres.

Ne serait-il pas plus simple de clarifier le rôle de chacun, et de décider, par exemple, que les autorités administratives indépendantes ne devraient pas être chargées de la répression des fraudes ?

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Le rapport de nos collègues est un peu le symbole du grand flou de certaines réformes.

D'un côté, depuis 2010, quelle que soit la majorité au pouvoir, plus de 900 ETPT ont été supprimés. De l'autre, les missions de l'administration ne sont plus menées avec efficacité, ce que veulent pourtant avant tout les Français.

Je partage l'idée selon laquelle il faudrait un redéploiement des personnels et leur interdépartementalisation mais, en l'absence de pilotage, je crains un émiettement des effectifs et une perte de repères. On assiste actuellement à une sédimentation des structures et des compétences sans stratégie ni réflexion globale. Résultat : une baisse des effectifs qui s'accompagne d'une perte d'efficacité, et cela coûte toujours beaucoup d'argent !

La proposition des rapporteurs spéciaux d'un effectif socle de 7 ETPT par département permettrait de redonner du sens aux missions exercées par la DGCCRF.

À ce jour, l'échelon départemental reste le plus pertinent. L'interdépartementalisation est utile, mais il est indispensable de désigner un pilote, de fixer un périmètre, et de se doter des effectifs suffisants.

Ce contrôle est évidemment très utile, notamment en vue du prochain projet de loi de finances.

M. Claude Nougein. - En tant qu'ancien vice-président du conseil départemental de Corrèze chargé de l'économie - c'était il y a vingt ans environ -, je souhaite témoigner des difficultés que la DGCCRF causait à tout le monde. Si elle subit aujourd'hui une baisse de ses effectifs, de ses compétences et de son efficacité, elle l'a bien cherché !

J'ai pu constater que les contrôles étaient parfois menés à charge contre certaines entreprises, selon le bon vouloir d'agents tout-puissants. J'ai aussi assisté à plusieurs échanges entre le directeur départemental de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de l'époque et le préfet, qui montraient bien que cette administration ne tenait aucunement compte des messages de prudence et de prévention du représentant de l'État.

J'ai connu un directeur départemental, en poste pendant huit ans, qui a coûté 500 emplois à mon territoire ! J'ai également vu des agents de la DGCCRF se comporter comme des cow-boys dans les entreprises. C'est pourquoi j'adhère aux propos de Frédérique Espagnac sur la nécessité pour la DGCCRF de faire preuve de davantage de pédagogie, car une autorité disproportionnée, une répression déséquilibrée et discrétionnaire posent problème.

Dernière remarque, je considère que l'on devrait pouvoir faire appel des décisions de ces agents avant d'en arriver à une action en justice.

M. Vincent Capo-Canellas. - Les rapporteurs spéciaux ont évoqué l'hypothèse d'une fusion de la DGCCRF avec l'administration des douanes. On comprend bien les risques et inconvénients d'un tel rapprochement, mais pouvez-vous nous dire ce qui explique qu'un tel scénario ait été mis en avant ?

D'une certaine façon, votre communication conduit à rejeter ce scénario, tout autant que celui d'une hausse des effectifs : dans ces conditions, comment envisagez-vous l'avenir ?

M. Jean-Marie Mizzon. - Dans notre pays, les associations de consommateurs sont très bien organisées et plutôt efficaces. J'observe que les usagers et les clients, quand ils rencontrent un problème, se tournent naturellement vers ces associations, parce qu'elles ont pignon sur rue. La DGCCRF, de son côté, a-t-elle entrepris des actions de communication pour se faire connaître ?

Autre question : est-on en mesure d'évaluer le volume des affaires traitées par la DGCCRF qui n'aboutissent pas à une action en justice ?

M. Marc Laménie. - Je partage la position des rapporteurs spéciaux.

Cela étant, je m'interroge comme Claude Nougein sur le lien hiérarchique auquel sont soumis les agents de la DGCCRF : ces agents sont-ils réellement sous l'autorité des représentants de l'État, préfets et sous-préfets ?

Je me demande également s'il est réellement possible de renforcer la communication et la pédagogie au sein de la DGCCRF.

M. Thierry Cozic, rapporteur spécial. - Je comprends les remarques de Claude Nougein ; nous avons d'ailleurs entendu durant ce contrôle des représentants d'entreprises nous indiquer ce type de préoccupations, que nous développons dans le rapport. Nous considérons que la DGCCRF fait un travail sérieux auprès des entreprises, mais que cette administration doit adopter une démarche plus pédagogique.

Sur le sujet de l'autorité du préfet sur le directeur départemental, je peux vous assurer que ce dernier agit bien aujourd'hui, en droit et dans les faits, sous l'autorité du préfet. C'est un sujet qui fait l'objet de développements dans le rapport.

Autre point sur lequel je souhaite rassurer nos collègues Claude Nougein et Marc Laménie : les décisions de la DGCCRF concernant une entreprise, a fortiori s'agissant des sanctions administratives, peuvent faire l'objet d'un recours administratif hiérarchique ou gracieux, ou d'un recours devant le juge administratif. Par ailleurs, les sanctions administratives se sont pour une part substituées à ce qui relevait auparavant du pouvoir du juge : 1 300 amendes administratives ont par exemple été prononcées en 2021. Mais encore une fois, celles-ci peuvent faire l'objet de recours.

À toutes fins utiles, je tiens à préciser que, fidèles à la culture du compromis du Sénat, nos recommandations traduisent la recherche d'un certain équilibre entre la nécessité de renforcer la DGCCRF, notamment au service de ses enquêtes et contrôles, et la nécessité de la mettre également au service d'un accompagnement des entreprises.

Mme Frédérique Espagnac, rapporteure spéciale. - Nous sommes nombreux ici à connaître des entreprises mises au pilori, parfois à plusieurs reprises, à la suite de contrôles de la DGCCRF.

C'est l'une des raisons pour lesquelles nous avons estimé que son rôle ne pouvait se cantonner à celui de gendarme : elle doit également accompagner les entreprises et faire preuve de pédagogie. C'est le sens de notre rapport.

Pour répondre à Jean-Marie Mizzon et Marc Laménie, nous estimons effectivement que la DGCCRF doit encore communiquer de façon plus efficace notamment à destination des consommateurs. De même, une coordination plus forte doit être opérée avec les associations de consommateurs sur ce point. Nous développons ces éléments dans le rapport. Nous recommandons en outre que l'accueil physique des consommateurs soit maintenu et développé, notamment dans le cadre du Réseau France Services.

M. Thierry Cozic, rapporteur spécial. - Pour répondre à M. Vincent Capo-Cannellas, la fusion de la DGCCRF avec les Douanes (DGDDI) est évoquée depuis longtemps, y compris au niveau gouvernemental.

Cette idée résulte sans doute du fait que les deux administrations sont rattachées à un même ministère, que certaines de leurs compétences sont proches et que leurs agents ont une culture du contrôle partagée. Cette fusion présenterait en effet quelques avantages, développés dans le rapport.

Mais, il existe de sérieux obstacles concrets à cette réforme hypothétique. En voici quelques uns.

Tout d'abord, il y a des différences très importantes entre les catégories de personnels, les agents de la DGCCRF appartenant pour leur grande majorité à la catégorie A quand ceux des douanes peuvent majoritairement des catégories B et C. J'ajoute que les personnels de catégorie A de la DGCCRF ne sont pas formés pour encadrer une équipe mais pour mener des enquêtes. Il y aurait donc de lourds problèmes catégoriels et de perspectives de carrière à gérer en cas de fusion des deux administrations.

Ensuite, on observe une différence de taille : la DGCCRF est petite par rapport à l'administration des douanes. La fusion pourrait donc se transformer en absorption, ce qui déstabiliserait encore davantage les agents de la DGCCRF, au détriment de l'exercice des missions.

En outre, l'implantation territoriale de ces deux administrations est très différente. Les services des douanes ne sont pas présents de façon permanente dans tous les départements. En effet, leur travail dépend des frontières nationales. A l'inverse, la DGCCRF est présente dans tous les départements.

Surtout, il s'agirait d'une réforme lourde à négocier et mettre en place, qui déstabiliserait encore la DGCCRF et ses agents.

En définitive, nous considérons qu'il est préférable de tendre vers une meilleure coordination entre ces deux structures, en excluant leur fusion. Il y a beaucoup à gagner à améliorer les échanges d'informations, d'autant que les administrations - j'ai découvert cela durant le contrôle - sont encore trop cloisonnées. Ainsi, le partage d'informations et de données, qui s'est amélioré, doit encore être largement développé.

Enfin, je précise que l'établissement d'un effectif socle de 7 ETPT par département conduit à une hausse d'effectifs de la DGCCRF de 49 ETPT selon notre estimation. Nous estimons qu'une telle hausse permettra de renforcer la DGCCRF.

Le président Claude Raynal et le rapporteur général Jean-François Husson ont évoqué la création des autorités administratives indépendantes et ses conséquences en termes de problèmes de coordination et de baisse d'effectifs des administrations. En ce qui concerne la protection du consommateur et le respect de la concurrence, il y a en effet plusieurs administrations et autorités administratives indépendantes. Le nombre d'acteurs publics génère effectivement mécaniquement des risques de chevauchements voire d'impasses. Une meilleure coordination est donc indispensable. Mais je veux préciser que le nombre d'acteurs publics présente aussi des avantages, en particulier la spécialisation de certaines autorités ou administrations sur certains secteurs ou activités spécifiques, que les agents généralistes de la DGCCRF aborderaient moins efficacement.

Mme Frédérique Espagnac, rapporteure spéciale. - J'indique, pour répondre à notre collègue Anne-Catherine Loisier, que le rapport attendu sur le dispositif de relèvement du seuil de revente à perte qu'elle évoque n'a pas été abordé par nos interlocuteurs durant le contrôle. Par conséquent, je m'engage à discuter de ce point précis avec la DGCCRF lors de son audition prochaine dans le cadre du projet de loi de finances pour 2023. Nous aborderons également le sujet des pénalités logistiques. Par ailleurs, la plateforme Signal Conso est un outil dont nous saluons l'utilité dans le rapport ; il peut permettre de signaler des manquements de toutes sortes et est de plus en plus utilisé.

J'ajouterai que l'augmentation des effectifs annoncée dans le dossier de presse du PLF pour 2023 concernant la DGCCRF, dont je parlais dans mon intervention liminaire, prendrait la forme de renforts en vue des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 et viserait également à renforcer le contrôle de l'accessibilité des biens et services pour les personnes porteuses de handicap. C'est une bonne nouvelle mais cela ne suffira pas à répondre aux enjeux qui pèsent sur la bonne exécution des missions de la DGCCRF dans tous les territoires.

M. Thierry Cozic, rapporteur spécial. - Comme le rapporteur général Jean-François Husson, j'estime que l'échelon départemental est le plus pertinent pour la DGCCRF, même si les mouvements d'inter-départementalisation, présentés dans le rapport, sont utiles. Je pense notamment à l'exemple vertueux du rapprochement entre les services des départements du Doubs, de la Haute-Saône et du Territoire de Belfort.

Nous remercions le rapporteur général pour son soutien à nos recommandations, notamment celle sur l'établissement d'un effectif socle par département de 7 ETPT.

La commission adopte les recommandations des rapporteurs spéciaux et autorise la publication de leur communication sous la forme d'un rapport d'information.

Contrôle budgétaire - Dispositif d'indemnisation pour les victimes de la Dépakine - Communication

M. Claude Raynal, président. - Je laisse maintenant la parole au rapporteur spécial de la mission « Santé », Christian Klinger, qui a mené un contrôle budgétaire sur le dispositif d'indemnisation pour les victimes de la Dépakine.

M. Christian Klinger, rapporteur spécial. - En tant que rapporteur spécial de la mission « Santé », j'ai choisi de consacrer un contrôle budgétaire au dispositif d'indemnisation pour les victimes de la Dépakine, dispositif qui a été créé par la loi de finances pour 2017, à la suite de ce que l'on a appelé « l'affaire de la Dépakine ».

Il me semble pertinent de faire un bref retour sur cette affaire, afin que nous puissions bien comprendre les enjeux de ce dispositif.

La Dépakine est le nom d'un médicament contenant du valproate de sodium, qui est utilisé pour lutter contre l'épilepsie. Produit par Sanofi, il s'agit du médicament le plus utilisé dans le monde contre l'épilepsie.

Or on sait depuis les années 1980 que la prise de ce médicament par les femmes enceintes provoque des malformations congénitales graves. De plus, il a été établi dans les années 2000 que sa prise durant la grossesse est également à l'origine de troubles du neurodéveloppement, comme l'autisme par exemple.

Le nombre des victimes est élevé : on estime qu'entre 2 150 et 4 100 enfants seraient touchés par des malformations, et qu'entre 16 600 et 30 400 enfants souffriraient de troubles du développement consécutifs à l'exposition au valproate de sodium.

En 2011, la lanceuse d'alerte Marine Martin a médiatisé l'affaire. Elle a également fondé l'association d'aide aux parents d'enfants souffrant du syndrome de l'anticonvulsivant, mieux connue sous son acronyme d'Apesac, qui est la principale association des familles victimes de la Dépakine.

Depuis lors, de nombreux contentieux ont été portés devant les tribunaux.

Tout cela a mené à la création d'un dispositif d'indemnisation pour les victimes de la Dépakine, adossé à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (Oniam), qui se veut une procédure d'indemnisation amiable permettant d'éviter aux familles de passer par la voie contentieuse.

Prévu au départ pour une durée de six ans, ce dispositif devrait perdurer neuf ans de plus, soit quinze ans au total.

En raison des dysfonctionnements de son organisation initiale, celui-ci a fait l'objet d'une réforme d'ampleur en 2019.

J'en présente brièvement le fonctionnement actuel.

Chaque victime peut déposer un dossier à l'Oniam, qu'un collège d'experts se charge ensuite d'instruire avant de rendre un avis dans lequel il se prononce sur l'imputabilité des dommages liés à la prescription du valproate de sodium, ainsi que sur la nature et l'étendue des dommages. Le collège d'experts se prononce également sur les personnes responsables.

Ensuite, il y a deux possibilités : soit l'État est reconnu responsable ou personne n'a été identifié comme responsable et dans ce cas l'Oniam formule directement une offre, soit une personne a été désignée comme responsable - pour l'essentiel, il s'agit de Sanofi - et celle-ci doit alors présenter une offre dans un délai d'un mois. Si elle ne présente pas d'offre ou une offre manifestement insuffisante, l'Oniam présente alors une offre de substitution et se tourne vers la personne désignée responsable pour recouvrer les fonds.

La personne désignée responsable a bien entendu la possibilité de contester la décision de recouvrement de l'Oniam devant les juridictions. Jusqu'à présent, les personnes désignées responsables ont contesté tous les titres émis par l'Oniam.

À ce stade, il me semble pertinent de se demander si ce dispositif d'indemnisation fonctionne correctement.

La première constatation que met en avant le contrôle est l'importance du non-recours au dispositif. Environ 850 dossiers ont été déposés à l'Oniam, alors que les estimations initiales, qui se fondaient pourtant sur des prévisions épidémiologiques plus optimistes que celles que nous avons actuellement, prévoyaient le dépôt de 8 000 à 10 000 dossiers en six ans.

Ce non-recours se traduit donc par une sous-exécution budgétaire continue et importante du dispositif depuis sa création. Ainsi, jusqu'au 30 juin 2022, seuls 46,6 millions d'euros ont été engagés et 38 millions d'euros de crédits de paiement ont été consommés. L'exécution des crédits a atteint 16,8 millions d'euros, ce qui est presque cinq fois inférieur aux prévisions initiales pour une année.

Les explications à ce non-recours sont multiples.

La première est que l'indemnisation accordée aux familles est en moyenne inférieure de 30 à 50 % à l'indemnisation accordée par les juridictions civiles. La procédure amiable est ainsi moins intéressante pour les victimes à mesure que les préjudices sont importants.

En contrepartie de cette indemnisation moindre, le dispositif amiable était censé être plus simple et plus rapide que la voie contentieuse. Or le dispositif d'indemnisation ne tient malheureusement pas ses promesses sur ces deux points. Il est obligatoire pour les familles de constituer des dossiers qui font, en règle générale, des centaines de pages, sachant que certains documents sont particulièrement difficiles à retrouver - je pense à des pièces médicales datant de plusieurs décennies.

Il faut également rappeler que les femmes qui font ces démarches sont fragiles : elles souffrent d'épilepsie, maladie chronique fortement handicapante.

Par ailleurs, le délai réglementaire de six mois prévu pour que le collège remette son avis est loin d'être respecté. Actuellement, le délai moyen de la procédure tourne autour de trente-deux mois. Ce délai résulte certes de l'accumulation du stock de dossiers à la suite des défaillances de l'organisation initiale du dispositif, de la complexité médicale et juridique des dossiers, de ralentissements liés à l'épidémie de la covid-19, mais il n'en est pas moins inacceptable pour les victimes. De tels délais viennent remettre en cause l'un des intérêts du dispositif amiable qui était de proposer une procédure plus rapide que la justice.

Toutes ces difficultés étaient prévisibles et auraient dû être mieux anticipées.

Aujourd'hui, le rythme de traitement des dossiers est satisfaisant. En 2021, le collège d'experts s'est réuni 130 fois, ce qui correspond à environ trois séances par semaine. Il est difficile d'exiger davantage de praticiens en exercice. Pour cette raison, une nouvelle réforme du dispositif ne serait pas pertinente. Par contre, celui-ci pourrait être renforcé.

Néanmoins, le recrutement de ce collège présente des fragilités. Tous les membres du collège d'experts n'ont pas un nombre de suppléants correspondant à ce qui est prévu par les textes. Une revalorisation de leur indemnité devrait être envisagée : pour mémoire une séance est actuellement indemnisée à hauteur de 230 euros par demi-journée, montant qui est inférieur aux indemnités prévues devant les juridictions civiles.

La contestation systématique par Sanofi des titres de recette émis par l'Oniam a donné lieu à un contentieux important. En mars 2022, ce sont 240 procédures qui ont été enregistrées par l'Oniam. Cet afflux de contentieux est un risque pour le bon fonctionnement du dispositif. Il convient donc de s'assurer que l'Office dispose d'un nombre de juristes suffisant pour le traiter.

La relation avec les familles est l'un des points faibles du dispositif actuel. Bien qu'il ait été prévu, il n'existe toujours pas de baromètre de satisfaction des personnes ayant eu recours au dispositif d'indemnisation. Plus généralement, d'après les témoignages que nous avons eus, les familles témoignent d'une forte incompréhension vis-à-vis de la procédure.

Pour ces raisons, il est essentiel que le personnel support de l'Oniam soit en mesure d'accompagner convenablement les familles ayant saisi le dispositif d'indemnisation et d'énoncer des règles claires quant aux documents pouvant être communiqués au collège d'experts.

Ces recommandations, rapides à mettre en oeuvre, devraient être accompagnées d'une réflexion sur un temps plus long.

Aujourd'hui, l'hypothèse de la transmission intergénérationnelle des dommages causés par la Dépakine est sérieusement envisagée. Il reste des études à mener sur la question, mais l'INSERM l'identifie comme un axe prioritaire de recherches. Toujours est-il qu'elle pourrait avoir des conséquences importantes sur l'indemnisation des victimes, puisqu'une nouvelle génération aurait à être indemnisée, et que les victimes actuelles connaîtraient un préjudice d'anxiété. Des scénarios d'adaptation du dispositif doivent donc être envisagés.

Depuis la mise en place du dispositif amiable, aucune somme n'a été recouvrée auprès de personnes désignées comme responsables - autres que l'État. Le laboratoire conteste systématiquement devant les tribunaux les titres de recette émis par l'Oniam. Les sommes avancées par l'Office lorsqu'il indemnise en substitution représentent 91 % des montants alloués, soit plus de 34 millions d'euros. Au rythme où vont les procédures judiciaires, de nombreuses années pourraient encore s'écouler avant que Sanofi ne soit obligé de participer au dispositif d'indemnisation.

Enfin, il est à noter que le mécanisme d'indemnisation des victimes est souvent appelé « fonds d'indemnisation » des victimes de la Dépakine dans les médias, comme s'il était implicitement admis que l'État paierait l'ensemble des victimes.

La situation est délicate : les victimes doivent évidemment être indemnisées, mais la présomption d'innocence doit aussi être respectée. En effet, aucune décision de justice définitive condamnant Sanofi n'a été rendue jusqu'à présent. Mais pour autant, l'État a-t-il vocation à assumer le risque lié aux accidents dus aux médicaments ? Il serait souhaitable d'engager une réflexion plus globale pour faire face à ce risque.

En outre, le médicament relève du régime de responsabilité du fait des produits défectueux. Ce régime est celui de l'article 1245-15 du code civil, aux termes duquel « sauf faute du producteur, la responsabilité de celui-ci est éteinte dix ans après la mise en circulation du produit même qui a causé le dommage ». Or ce délai de dix ans est particulièrement contraignant dans le secteur des médicaments.

Si la position du laboratoire précité devait faire école à l'échelle de l'ensemble des autres laboratoires, le risque lié aux médicaments finirait par être supporté essentiellement par la collectivité et non par les laboratoires. C'est pourquoi il serait intéressant de lancer une réflexion sur l'implication des exploitants de médicaments dans la couverture du risque lié à ces médicaments, et de profiter de la réécriture de la directive sur les produits défectueux par la Commission européenne pour envisager la sortie des médicaments de ce régime.

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, vous aurez compris que ce dispositif est perfectible. L'Oniam souffre qu'à chaque scandale sanitaire une mission nouvelle lui soit à nouveau confiée. Je propose donc une réflexion plus large, afin que l'État ne soit pas dans la réaction, mais dans l'anticipation.

M. Claude Raynal, président. - À titre personnel, je trouve cette communication très intéressante car, au-delà du dispositif concerné, c'est la question plus générale de la manière de gérer le risque qui est posée.

J'ai deux interrogations : l'État est-il mis en cause en tant que tel au titre de la mise en circulation du médicament sur le marché ? Dans son offre de substitution, l'Oniam intègre-t-il les coûts intermédiaires ?

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Ce contrôle budgétaire nous donne l'occasion d'évoquer des situations humaines très délicates. Le dispositif d'indemnisation pour les victimes de la Dépakine a le mérite d'exister et de proposer une solution intermédiaire avant la saisine des tribunaux. Hélas, le mécanisme prévu ne facilite pas autant les choses qu'on l'espérait...

Ma question porte sur votre recommandation de mieux indemniser les experts, qui sont au nombre de neuf : pour quelle raison sont-ils moins bien rémunérés que devant les autres juridictions ? Sont-ils mobilisés toute l'année ?

M. Roger Karoutchi. - La mise sur le marché de la Dépakine a-t-elle résulté d'une décision favorable de nos autorités de santé ou d'une autorisation européenne, auquel cas la responsabilité de l'État serait indirecte ?

M. Vincent Capo-Canellas. - Je souhaite m'attarder sur la recommandation n° 10, au titre de laquelle le rapporteur spécial préconise d'engager un dialogue au niveau européen : quelle est la répartition exacte des responsabilités entre États et Union européenne dans ce domaine ?

M. Christian Klinger, rapporteur spécial. - Pour répondre au président Raynal, je précise que l'État est bien mis en cause au travers de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. D'après l'Oniam, sa responsabilité serait engagée dans 9 % des cas, les 91 % des cas restants étant imputables à Sanofi.

Je précise à l'attention du rapporteur général que, même si la comparaison est difficile, la rémunération des neuf experts est effectivement relativement faible. Les experts bénéficient d'un montant forfaitaire de 230 euros par demi-journée de séance, et la rémunération des experts dans les juridictions civiles est de 1 500 euros à 2 000 euros par dossier. Une rémunération plus faible est partiellement justifiée par le fait que les revenus du collège d'experts sont plus réguliers, mais cela ne suffit pas à compenser le déficit d'attractivité du collège d'experts.

S'agissant de la question de Vincent Capo-Canellas, je rappelle que le médicament relève d'une loi de 1998, qui transpose une directive européenne relative à la responsabilité pour les produits défectueux, texte qui prévoit une prescription de dix ans pour engager la responsabilité du fabricant. Ce délai de dix ans me paraît insuffisant tant il est vrai que les effets nocifs d'un médicament peuvent se révéler très longtemps après ; sans parler d'imprescriptibilité, l'exemple de l'Allemagne montre qu'il est envisageable de mettre en place une procédure spécifique pour les médicaments.

Concernant les coûts intermédiaires, il n'existe à ma connaissance aucun projet de faire peser ces coûts sur les laboratoires.

Autre précision, 240 titres de recettes sont actuellement contestés par Sanofi, ce qui fait peser sur les finances de l'Oniam des frais d'avocats, qui excèdent le coût du fonctionnement du collège d'experts. Il conviendrait certainement de renforcer temporairement l'équipe de juristes de l'Office pour procéder à ces recouvrements.

Je précise à l'attention de Roger Karoutchi que la Dépakine a bel et bien obtenu une autorisation de mise sur le marché, et que le contentieux porte sur la question de savoir si Sanofi a suffisamment alerté les autorités de santé. Cette question n'est pas tranchée à l'heure actuelle.

M. Roger Karoutchi. - Sanofi est une très grande entreprise, qui reçoit de considérables commandes de la part de l'État et qui bénéficie pour ces divers projets de subventions publiques importantes : j'ai du mal à comprendre que l'État ne dispose pas de moyens suffisants pour obliger ce laboratoire à assumer ses responsabilités concernant ce médicament défectueux qu'est la Dépakine !

Mme Frédérique Espagnac. - Il faut savoir qu'un tiers de la production mondiale de Dépakine est produit dans mon département et que Sanofi emploie dans son usine une cinquantaine de personnes. Pourtant, j'ose le dire, Sanofi est régulièrement mis en cause pour des rejets toxiques près de Pau. C'est pourquoi je rejoins Roger Karoutchi sur le fait que Sanofi se doit d'être exemplaire.

M. Christian Klinger, rapporteur spécial. - Mon intention n'est évidemment pas de faire le procès de Sanofi. Cela étant, j'observe une différence entre l'attitude de ce laboratoire et celle du laboratoire Servier, qui commercialisait le fameux Mediator et qui, aujourd'hui, rembourse l'intégralité du montant réclamé par l'Oniam au nom des victimes.

La commission adopte les recommandations du rapporteur spécial et autorise la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.

La réunion est ouverte à 11 h 30.

Projet de loi de finances pour 2023, projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 et projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 - Audition de M. Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques sur l'avis du Haut Conseil

M. Claude Raynal, président. - Nous recevons ce matin M. Pierre Moscovici, en sa qualité de président du Haut Conseil des finances publiques (HCFP), organisme indépendant placé auprès de la Cour des comptes.

En application des dispositions de l'article 61 de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) révisée en décembre dernier, le Haut Conseil rend un avis sur les prévisions macroéconomiques, sur lesquelles reposent le projet de loi de finances (PLF) et le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) de l'année, ainsi que sur la cohérence de l'article liminaire au regard des orientations pluriannuelles de solde structurel et de dépenses des administrations publiques. Le HCFP se prononce également sur le réalisme - j'insiste sur ce mot, qui a fait l'objet d'une bataille - des prévisions de recettes et de dépenses du projet de loi de finances de l'année.

Cette année voyant la présentation d'un nouveau projet de loi de programmation des finances publiques (LPFP), destiné à succéder à une trajectoire 2018-2022 fort peu respectée, le Haut Conseil doit également se prononcer sur les prévisions macroéconomiques et l'estimation du produit intérieur brut (PIB) potentiel sur lesquelles repose cette programmation.

Alors que les hypothèses de croissance s'assombrissent à mesure des effets des tensions internationales, de la crise énergétique, mais aussi de l'inflation et de la remontée des taux d'intérêt, votre éclairage sur la sincérité et la crédibilité de la trajectoire budgétaire présentée, à la fois pour l'année qui vient, mais également pour la période quinquennale qui s'ouvre, sera précieux.

M. Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques. - Je vous remercie de m'avoir invité devant votre commission, en tant que président du Haut Conseil des finances publiques, afin de vous présenter les principales conclusions de nos deux avis, l'un relatif aux projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale pour l'année 2023 et l'autre au projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027.

Nous sommes clairement à un moment charnière pour nos finances publiques. Sous les effets de la crise sanitaire et du « quoi qu'il en coûte », nos finances publiques ont subi une détérioration inédite, en raison à la fois du repli de l'activité économique et des mesures de soutien d'urgence adoptées pour y faire face. Ces mesures étaient nécessaires : elles ont préservé la situation des ménages et des entreprises, maintenu la cohésion sociale et permis le rebond économique, fort et rapide, enregistré en 2021.

Pour autant, nos niveaux de déficit et de dette constituent toujours des freins pour l'avenir. Je ne suis ni un « ayatollah de l'austérité » ni une « Cassandre de la dette », mais un endettement trop important ne permet pas de dégager des marges de manoeuvre et affecte les capacités d'investissement pour répondre aux défis de demain - la transition énergétique, la santé, l'éducation - d'abord en les limitant, puis en les annulant.

C'est dans ce contexte que vous aurez à examiner la LPFP, dont la vocation est de constituer une ancre pour notre trajectoire budgétaire au cours des prochaines années et de permettre de se projeter sur le long terme, ainsi que les PLF et PLFSS pour l'année prochaine.

N'oublions pas que si la crise sanitaire a conduit la Commission européenne à déclencher la clause dérogatoire générale du pacte de stabilité et de croissance (PSC), autrement dit à suspendre l'application du PSC, cette clause devrait être désactivée en 2024 et le pacte devrait à nouveau s'appliquer. Nous ne sommes donc pas exonérés de l'obligation de construire une trajectoire soutenable des finances publiques ; nous sommes toujours membre de la zone euro et nous avons des engagements à respecter.

Les deux avis du Haut Conseil s'inscrivent pour la première fois dans le cadre du nouveau mandat que le législateur a bien voulu lui confier lors de l'adoption de la loi organique du 28 décembre 2021. Nous sommes saisis des prévisions macroéconomiques et nous devons également apprécier le réalisme - je me souviens bien des discussions sur ce mot - des prévisions de recettes et de dépenses des projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale. Je m'en réjouis, car je suis convaincu que le Haut Conseil peut mieux jouer son rôle au service du Parlement et, à travers vous, des citoyens.

Je vais vous présenter successivement notre avis sur les projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour l'année 2023, puis celui concernant le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027.

Je commencerai par un retour rapide sur la situation économique internationale et ses derniers développements.

Je ne vous surprendrai pas en vous rappelant que l'environnement économique international s'assombrit, que notre économie subit de plein fouet les conséquences de la guerre en Ukraine, qui se sont notamment traduites par de fortes tensions sur les marchés de matières premières. Certes, des baisses ont eu lieu, notamment concernant le prix du baril de Brent, qui a retrouvé son niveau de février. Cependant, de très fortes hausses se sont produites : les prix de l'électricité et du gaz se sont envolés, poussés à la hausse par le risque d'une rupture complète d'approvisionnement en gaz russe, que nous ne pouvons d'ailleurs pas totalement exclure. Les chaînes d'approvisionnement restent encore perturbées, en raison de la crise du covid-19 et notamment des mesures de confinement imposées en Chine qui n'ont pas été levées, même si progressivement les difficultés sont en voie d'atténuation.

Les contraintes sur l'offre alimentent la hausse des coûts de production et, dans son sillage, celle des prix à la consommation. L'inflation atteint des niveaux très élevés - à 8,3 % sur un an aux États-Unis et à 9,1 % sur un an en zone euro en août -, conduisant les banques centrales à relever fortement leurs taux d'intérêt. Aux États-Unis, la Réserve fédérale a d'ores et déjà relevé de 300 points de base la fourchette de ses taux directeurs.

La Banque centrale européenne (BCE) a augmenté ses taux plus tardivement, puisqu'on se situe à 125 points de base depuis le mois de juillet, mais elle connaît aussi des hausses fortes, de 75 points de base par exemple le mois dernier. La BCE comme la Réserve fédérale ont d'ailleurs annoncé la poursuite du cycle de resserrement monétaire au cours des prochains mois, dans le but de respecter leur mandat qui est de lutter contre l'inflation.

Le cumul des chocs extérieurs, le maintien de l'inflation à des niveaux élevés sous l'effet de la diffusion progressive des hausses de coûts de production et le durcissement des politiques monétaires sont trois facteurs qui devraient peser sur l'activité mondiale au cours des prochains trimestres.

L'« atterrissage en douceur » des économies, visé par les banques centrales et retenu dans les prévisions des organisations internationales comme du Gouvernement, est, d'expérience, assez difficile à réussir. Il ne faut pas se le cacher : le resserrement monétaire en cours comporte un risque de récession économique, souligné par plusieurs organismes internationaux. Le dernier en date a été l'Organisation mondiale du commerce (OMC), hier ou avant-hier. La Banque de France donne des fourchettes, qui peuvent aller d'un peu plus de -1 jusqu'à + 0,8 %. Enfin, le président de la Réserve fédérale a été clair sur ce point ; il estime qu'une récession américaine est probable, voire nécessaire.

Dans ce contexte, l'avis du Haut Conseil sur les projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2023 porte deux messages importants. D'abord, concernant le scénario macroéconomique du Gouvernement, le Haut Conseil considère que le taux de croissance retenu pour 2023 paraît un peu élevé. En revanche, il estime que les prévisions d'inflation, à + 4,2 %, et de masse salariale dans les branches marchandes, à +5,0 %, sont plausibles.

Le second message porte sur les prévisions de finances publiques. Le Haut Conseil estime que, bien que s'appuyant sur des hypothèses optimistes, le redressement des finances publiques prévu pour 2023 s'annonce lent et incertain : sous les hypothèses du Gouvernement, le déficit public effectif serait stable, l'amélioration du solde structurel très limitée et le ratio de dette quasi stable.

Je vais détailler ces deux messages.

Selon le scénario du Gouvernement, la croissance du PIB s'établirait à 2,7 % en 2022 et 1 % en 2023.

Pour 2022, bien que des incertitudes pèsent encore sur l'activité de fin d'année, le fort dynamisme des recettes rend crédible et plausible l'hypothèse de 2,7 %.

En revanche, pour 2023, la prévision du Gouvernement s'écarte sensiblement du consensus forecast, c'est-à-dire des hypothèses des instituts de prévision. Les instituts auditionnés par le Haut Conseil fournissent des fourchettes de prévision de croissance comprises entre 0 et 0,6 %, traduisant un net ralentissement, voire une baisse, de l'activité au cours de l'hiver prochain, suivi d'un rebond très modéré. Le consensus des économistes est à 0,6 %. Les dernières prévisions relatives à l'économie allemande, comme celles de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) parues ce lundi, anticipent une récession en 2023 alors que la prévision du Gouvernement est à 0,8 point. Or nous sommes interdépendants avec nos partenaires allemands. Cette dégradation du contexte international risque donc de peser sur les exportations françaises plus que prévu par le Gouvernement, alors que ce dernier prévoit plutôt une contribution positive du commerce extérieur.

Les hypothèses du Gouvernement sur lesquelles sont construites les prévisions de consommation et d'investissement sont de plus fragiles, dans un contexte marqué par l'inflation.

Notons que des aléas baissiers importants existent. Le scénario du Gouvernement n'intègre pas de difficulté majeure en matière d'approvisionnement en gaz ou en électricité, non plus que la perspective d'une récession qui pourrait résulter de tensions énergétiques ou d'un durcissement brutal des conditions financières. Enfin, des conditions sanitaires plus défavorables que prévu - même si elles ne sont évidemment pas souhaitables - ne peuvent être exclues.

Le Haut Conseil estime, par conséquent, que la prévision du Gouvernement à +1 % est un peu élevée.

Selon le Gouvernement, la progression de l'indice des prix à la consommation serait de 5,3 % en moyenne annuelle en 2022, ce qui est jugé crédible par le Haut Conseil.

L'inflation attendue en 2023 a été révisée en forte hausse, à 4,2 % en moyenne annuelle contre 3,2 % dans le programme de stabilité que vous avez examiné l'été dernier. Plusieurs facteurs continueront de jouer dans des sens contraires l'année prochaine. Nous estimons qu'ils s'équilibrent et que cette prévision est crédible.

Le Haut Conseil considère également que la prévision de masse salariale et d'emploi pour 2022 et 2023 est plausible.

Je récapitule donc notre avis sur les prévisions macroéconomiques du Gouvernement pour 2023 : une prévision de croissance un peu élevée - j'espère seulement un peu élevée -, une prévision d'inflation crédible, des prévisions d'emploi et de masse salariale plausibles.

Venons-en maintenant aux prévisions sur les finances publiques.

Le Gouvernement prévoit un solde public effectif de -5,0 points de PIB en 2022 et 2023, après -6,5 points de PIB en 2021.

En 2022, la prévision de recettes paraît un peu basse, compte tenu des rentrées fiscales observées et de l'évolution prévue de la masse salariale. Selon le Haut Conseil, le déficit public pourrait donc être un peu inférieur à 5 points de PIB.

En revanche, pour 2023, même si les prévisions sont très incertaines, comme l'est la prévision macroéconomique, les recettes pourraient pâtir de l'impact négatif d'une croissance plus faible que prévu, mais bénéficier en retour d'un effet de base des recettes sur 2022 favorable. Le niveau de dépenses publiques paraît incertain et les risques sont plus orientés à la hausse qu'à la baisse, notamment au regard de la situation sanitaire. En 2022, il pourrait être un peu inférieur à 5 points de PIB, et en 2023, un peu supérieur à 5 points de PIB. Ce qui peut être attendu est donc, au mieux, une stabilisation du déficit public effectif.

Détaillons d'abord plus précisément les prévisions d'évolution des recettes.

Le Gouvernement prévoit une hausse très nette des prélèvements obligatoires (PO), de 7,8 % en 2022, qui les porterait à 1 194 milliards d'euros, chiffre qui pourrait même être légèrement dépassé.

Pour 2023, la prévision de PO est de 1 234 milliards d'euros, soit + 3,3 % par rapport à 2022. Elle est inférieure à celle de la croissance du PIB en valeur, soit une élasticité inférieure à l'unité due au net ralentissement attendu par le Gouvernement de quelques grands impôts, ce qui nous paraît justifié. C'est par exemple le cas de l'impôt sur le revenu et de l'impôt sur les sociétés.

Pour 2022 comme pour 2023, le Haut Conseil estime que les prévisions de prélèvements obligatoires sont cohérentes avec le scénario macroéconomique retenu. Les données de rentrées fiscales tendent toutefois à indiquer des recettes un peu plus élevées en 2022, tandis que les aléas sont plus équilibrés pour 2023.

Passons maintenant à l'analyse de l'évolution des dépenses publiques.

En 2022, les dépenses publiques, hors crédits d'impôt, devraient progresser de 4,2 % pour atteindre 57,6 points de PIB. Corrigées du déflateur du PIB, indice des prix pertinent pour l'analyse des finances publiques, elles progresseraient de 1,4 point en volume.

C'est une croissance soutenue, en dépit du fort repli des dépenses de soutien face à la crise sanitaire. Une fois neutralisées les dépenses liées à la crise sanitaire, celles de relance et les mesures prises pour faire face à la hausse des prix de l'énergie, les dépenses publiques déflatées par les prix du PIB progresseraient tout de même de 3,5 %.

En 2023, la dépense publique devrait ralentir à 2,8 %, ce qui, avec une inflation élevée, devrait conduire à une baisse de la dépense publique en volume de - 0,8 point de PIB, avec le déflateur du PIB. Cela s'explique toutefois essentiellement par le reflux des dépenses exceptionnelles dues à la crise sanitaire et celles de relance.

Une fois ces dépenses déflatées, la dépense publique progresserait au contraire de 0,7 point en volume. Les dépenses dans le champ de l'Ondam, à +3,7 % hors dépenses liées à la crise sanitaire, progresseraient plus rapidement qu'avant la crise sanitaire, tandis que, tirées par la hausse des crédits de plusieurs ministères - emploi, intérieur, justice, défense en particulier -, les dépenses de l'État sur le champ très large de la nouvelle « norme », qui regroupe la très grande majorité des dépenses de l'État, sont inscrites en hausse de 24 milliards d'euros.

Les hypothèses de dépense publique restent affectées par des incertitudes fortes relatives au coût des boucliers tarifaires sur l'électricité et le gaz, qui peuvent jouer à la hausse comme à la baisse. Des risques de dépassement existent par ailleurs pour certaines dépenses, par exemple celles dans le champ de l'Ondam qui comprennent une provision de seulement 1 milliard d'euros au titre des dépenses de covid-19 sur les achats de vaccins et la campagne de tests. Cette provision suppose une chute massive des dépenses de tests, à savoir une division par 20, et risque de se révéler très insuffisante. Par ailleurs, le maintien d'une inflation élevée en 2023, pour la deuxième année consécutive, pourrait entraîner une hausse plus forte que prévu de certaines dépenses de fonctionnement difficilement compressibles ou d'investissement, tandis que la prévision suppose - je le souligne à votre intention - l'absence de revalorisation du point fonction publique.

Aussi le Haut Conseil considère-t-il que certaines dépenses pourraient être sous-estimées. La prévision de déficit pour 2023, de 5,0 points de PIB, semble par conséquent également légèrement sous-estimée, même si elle reste marquée par une grande incertitude.

Je résume l'analyse de la situation des finances publiques qui résulte de notre examen : bien que s'appuyant sur des hypothèses optimistes, le Gouvernement prévoit pour 2023 une simple stabilité du déficit public effectif, une amélioration limitée du solde structurel et une quasi-stabilité du ratio de dette. Le redressement des finances publiques s'annonce ainsi lent et incertain en 2023.

Le Haut Conseil a également examiné le projet de loi de programmation des finances publiques qui vous est soumis. Trois missions lui incombent : apprécier l'estimation du PIB potentiel proposée par le Gouvernement, se prononcer sur les prévisions macroéconomiques associées à ce projet, examiner la cohérence de la programmation envisagée au regard de l'objectif d'équilibre structurel à moyen terme retenu et des engagements européens de la France.

S'agissant de la croissance potentielle et de l'écart de production, soit l'output gap, le Haut Conseil considère que les hypothèses d'écart de production et de croissance potentielle sont toutes deux optimistes.

La croissance potentielle de l'économie serait ainsi, selon le Gouvernement, de 1,35 % sur la période 2023-2027. Cette hypothèse est légèrement plus élevée que celles du Fonds monétaire international (FMI) et de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), beaucoup plus élevée que celles de la Commission européenne et de l'OCDE, qui la situent plutôt autour de 1 %, tout comme les travaux du Haut Conseil.

L'estimation du Gouvernement suppose notamment que le net ralentissement de la population active prévu par l'Insee sera plus que compensé par les effets des réformes qu'il annonce - réformes du revenu de solidarité active, de l'assurance chômage, de l'apprentissage, des retraites - sur lesquelles il a fourni peu d'informations au Haut Conseil. Nous n'en connaissons ni les modalités ni le calendrier. Cependant, même si ces réformes étaient mises en oeuvre rapidement, elles ne pourraient en tout état de cause produire leurs effets que progressivement.

Le Gouvernement estime que l'écart de production s'établirait en 2022 à - 1,1 point de PIB. Cette estimation est, elle aussi, optimiste. Elle se situe dans le bas de la fourchette des organisations internationales, à comparer notamment à - 0,4 % pour la Commission européenne ou encore - 0,7 % pour le FMI. Elle n'est pas confirmée par les données d'enquêtes de conjoncture auprès des entreprises. Elle semble notamment incompatible avec les difficultés de recrutement déclarées par les entreprises dans de nombreux secteurs de l'économie.

Ce scénario de croissance potentielle et d'écart de production optimiste conduit à un scénario macroéconomique pour la période 2023-2027, qui l'est tout autant, selon nous.

J'ai déjà évoqué 2023, je n'y reviens pas. Pour la période qui suit, de 2024 à 2027, le Gouvernement retient une croissance du PIB de 1,7 % par an en moyenne.

Cette hypothèse de croissance suppose que soient réunis plusieurs facteurs favorables. Elle repose d'abord sur une baisse rapide du taux d'épargne des ménages, qui n'est nullement garantie au regard de leurs comportements habituels. La prévision de croissance du Gouvernement suppose également que l'investissement des entreprises se maintienne, sur toute la période, à son niveau de 2020-2021, qui était supérieur à celui atteint les vingt années précédentes, alors que les conditions de financement se durcissent. Enfin, dans le scénario du Gouvernement, le commerce extérieur contribuerait également positivement à la croissance, grâce à des gains de parts de marché à l'exportation, ce qui suppose une rupture forte avec la tendance des deux dernières décennies ; les derniers chiffres ne vont pas tout à fait dans ce sens.

Enfin, le Gouvernement suppose que l'inflation se résorberait avec une remontée seulement modérée des taux d'intérêt, alors même que des incertitudes fortes entourent la remontée de taux qui sera effectivement nécessaire pour maîtriser l'inflation.

Si aucune de ces hypothèses prises isolément n'est totalement irréaliste, chacune d'elles est favorable et leur combinaison conduit à un cadrage d'ensemble optimiste.

Enfin, le Haut Conseil doit se prononcer sur la cohérence de la programmation avec l'objectif à moyen terme, d'une part, et avec les engagements européens de la France, d'autre part.

Ces engagements européens résultent principalement du pacte de stabilité et de croissance ainsi que du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire, signé en 2012. Ces textes nous engagent. Comme vous le savez, la Commission européenne a déclenché, en mars 2020, la clause dérogatoire générale du pacte de stabilité et de croissance, qui permet aux États membres de s'écarter des exigences budgétaires normalement applicables, à condition de ne pas mettre en péril la viabilité budgétaire à moyen terme, mais seulement en principe jusqu'à la fin de l'année 2023.

Au-delà, le pacte de stabilité modifié - il doit l'être, j'espère qu'il le sera, mais il ne sera pas supprimé - devrait donc retrouver sa pleine application. Or la trajectoire présentée ici s'écarte des engagements qui en découlent à plusieurs égards.

Premièrement, le retour du déficit effectif sous les 3 % ne s'opère pas avant 2027, alors que pour la plupart de nos partenaires de l'Union européenne et de la zone euro, ce retour est prévu avant 2025.

Deuxièmement, la convergence vers l'objectif de moyen terme, fixé à - 0,4 point de PIB, est lente et reportée après la période de programmation, probablement longtemps après. En effet, le projet de LPFP prévoit d'atteindre un solde structurel de - 2,8 points en 2027, soit un écart de plus de 2 points par rapport à cet objectif.

Troisièmement, l'ajustement structurel prévu, c'est-à-dire l'amélioration du déficit structurel d'une année sur l'autre, est sensiblement inférieur à 0,5 point de PIB par an, alors que selon les règles applicables à la France, il devrait être supérieur.

Enfin, il convient de noter que le ratio de dette publique s'infléchirait seulement légèrement en fin de période de programmation pour s'établir à 111 points de PIB en 2027, alors même que les hypothèses de croissance sont plutôt optimistes.

Cette trajectoire est trop peu ambitieuse et sa crédibilité doit être renforcée. En effet, bien que l'ajustement structurel prévu soit très graduel, la trajectoire repose sur une quasi-stabilité en volume des dépenses publiques, soit une maîtrise nettement plus forte que celle qui a prévalu pendant les deux dernières décennies et qui n'est guère documentée.

Ce sont les éléments que je souhaitais porter à votre connaissance, avec le concours de l'équipe qui m'entoure et qui travaille toujours dans des conditions extrêmement tendues ; nous sommes saisis tardivement sur des données parfois incomplètes. Je profite donc de l'occasion pour la remercier de la qualité de son travail.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Nos équipes travaillent elles aussi dans l'urgence et reçoivent tardivement des documents budgétaires qui engagent pourtant le pays pour une longue durée. On peut donc parler de parallélisme en termes de forme, mais aussi d'efforts !

Le président a rappelé vos propos sur le réalisme des prévisions. Pour ma part, je pense qu'il faut dire la vérité aux Français sur la gravité des crises que nous traversons. Malgré les « boucliers » mis en place pour les protéger, les Français ont l'impression que les institutions et les représentants politiques ne vivent pas les mêmes situations qu'eux. Je le dis aujourd'hui afin d'éviter des débordements lors des prises de parole publiques, mais aussi un embrasement de l'opinion et la montée des colères.

Je vous poserai à présent trois questions.

La prévision de croissance retenue par le Gouvernement, que vous jugez un peu élevée, peut-être même élevée, apparaît très optimiste compte tenu du contexte. Dès lors, comment croire à la crédibilité du scénario macroéconomique et d'évolution des finances publiques ?

Si l'on met en perspective l'évolution tendancielle des dépenses de chacune des catégories d'administration avec la cible proposée par le Gouvernement, on constate que les efforts demandés aux collectivités locales sont relativement plus importants que ceux qui sont demandés à l'État et à la sécurité sociale. Pensez-vous qu'il faudrait davantage chercher des leviers d'économies dans la sphère sociale et dans les dépenses de l'État ?

Vous avez fait très justement remarquer dans votre avis que la trajectoire d'évolution de notre solde structurel n'est pas conforme à nos engagements européens, même si ceux-ci sont encore temporairement mis en sommeil. Cette situation n'affaiblit-elle pas notre position dans la négociation sur la gouvernance budgétaire à l'échelon européen ?

En outre, dans la mesure où la trajectoire du solde structurel s'éloigne très fortement des standards sur lesquels on pourrait envisager que la négociation européenne aboutisse, doit-on considérer que cette loi de programmation n'est que temporaire et qu'une autre devra être prise pour tenir compte du résultat des négociations ?

M. Claude Raynal, président. - Dans son projet de budget pour 2023, le Gouvernement poursuit la baisse des impôts - après la suppression de la redevance, la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et de la troisième tranche de la taxe d'habitation pour les hauts revenus - pour un montant total de 11 milliards d'euros. Une baisse des dépenses ou une augmentation des recettes d'un montant équivalent est-elle prévue ?

M. Pierre Moscovici. - Pour faire suite à vos propos, monsieur le rapporteur général, je tiens à dire que nous sommes toujours attentifs à livrer à temps nos travaux aux commissions des finances des deux assemblées, devant lesquelles j'ai toujours plaisir à venir.

Le Haut Conseil juge la prévision de croissance « un peu élevée », mais elle pourrait devenir « élevée ». Le Gouvernement s'adapte progressivement. Il a pour l'instant retenu le taux de croissance qui faisait consensus précédemment. Le consensus se situe aujourd'hui à 0,6 %. C'est pour cela que je dis qu'un taux de 1 % est un peu élevé. Si nous nous trouvions dans une situation plus dégradée, le taux retenu par le Gouvernement serait carrément élevé. Cela aurait des effets au premier chef sur les recettes. Pour résumer, nous jugeons le taux de croissance envisagé un peu élevé aujourd'hui et incertain.

J'ai donné précédemment les chiffres sur les efforts demandés aux collectivités locales. Les dépenses des ministères s'élèvent à 24 milliards d'euros et continuent de croître. J'ai par ailleurs souligné l'évolution de l'Ondam. Dans le domaine de la santé, il y a à la fois des gisements d'économie - dans le numérique et dans l'organisation de notre système de soins - et des sources de dépenses supplémentaires, à l'hôpital et dans les Ehpad. Un rapport de la Cour des comptes a montré que nous devions investir plus pour nos anciens.

Enfin, sur le solde structurel, incontestablement, nous n'y sommes pas. Je pense que nous avons des difficultés de convergence au sein de la zone euro. Il existe aujourd'hui deux groupes : un groupe de onze pays dont la dette publique est inférieure à 80 % du PIB et un groupe de sept pays, dont nous faisons partie, dont la dette publique est supérieure à 100 % du PIB. Dans ce groupe, comme dans l'ensemble de la zone euro, nous sommes le pays dont l'effort de redressement des finances publiques est le plus lent. Le déficit de la quasi-totalité de nos partenaires sera inférieur à 3 % en 2025, quand nous prévoyons d'atteindre cet objectif la dernière année de la programmation. Nous soulignons qu'il faut être plus ambitieux. Une fois les règles « rebranchées », la Commission européenne tiendra compte des engagements que nous avons pris et de leur respect, mais aussi du respect des règles en général. Il y va donc de notre crédibilité.

Le Haut Conseil ne se prononce pas sur la baisse des impôts ni sur les différentes dépenses publiques. La Cour des comptes a souligné, elle, que, avec des déficits très élevés, une croissance plutôt limitée, des dépenses publiques soutenues, il existe peu de marges de manoeuvre pour baisser les impôts, sauf à augmenter encore le déficit et la dette. Donc oui, les baisses d'impôts doivent être compensées par une hausse des recettes à due concurrence ou par une maîtrise de la dépense accrue. Il me semble que les chiffres que je vous ai donnés sont une réponse à votre question, monsieur le président.

M. Claude Raynal, président. - Merci de le confirmer, monsieur le président !

Mme Christine Lavarde. - Monsieur le président, vous nous avez dépeint un tableau très noir de la situation ! Après vous avoir écouté, nous n'avons plus aucune certitude sur l'ensemble des documents qui nous ont été transmis.

Pensez-vous que l'objectif d'évolution des dépenses de fonctionnement des collectivités locales de 3,8 % prévu à l'article 16 de la LPFP soit atteignable, compte tenu des charges qui pèsent sur ces collectivités, notamment la revalorisation du point d'indice de 3,5 %, mais aussi les dépenses d'alimentation et de transport ?

Ma deuxième question porte sur les différentes stratégies mises en oeuvre par les États membres de l'Union européenne pour concevoir leur trajectoire budgétaire. Bruno Le Maire se réjouissait lundi dernier, car le taux de croissance de la France devrait être positif en 2023 quand l'Allemagne connaîtra a priori une récession. Il soulignait que la politique menée ces derniers mois était plus bénéfique. Comment évaluer si l'argent public a été mieux investi en en dépensant beaucoup avant et un peu moins ensuite ? Le regard objectif du Haut Conseil serait intéressant.

Enfin, vous n'avez pas parlé ce matin de la sensibilité de la charge de la dette à la remontée des taux. Les taux sont très volatils en ce moment. Avez-vous fait des calculs pour le futur ?

M. Didier Rambaud. - Vous l'avez dit et nous n'en sommes pas surpris, notre pays a besoin d'un programme d'économies solides. Force est de reconnaître que, en tant que parlementaires, nous voyons rarement des propositions véritablement audacieuses de réduction des dépenses. On a plutôt tendance à penser qu'il y a des dépenses qui peuvent rapporter et des économies qui peuvent coûter...

Quelles pistes doivent être privilégiées, au-delà de la réforme de l'assurance chômage et de celle des retraites, pour réaliser plus d'économies ?

À l'échelon européen, vous avez rappelé que la trajectoire présentée par le Gouvernement est peu ambitieuse. Or ne faudrait-il pas considérer que les règles européennes sont aujourd'hui désuètes, contraignantes et inadaptées au contexte de crise que nous connaissons et eu égard aux investissements que nous devons réaliser en matière de transition énergétique ?

Mme Isabelle Briquet. - Dans le contexte d'incertitudes que nous connaissons, alors que des dépenses de solidarité peuvent s'imposer, pensez-vous qu'il soit opportun de se priver de recettes ou de s'entêter à ne pas en chercher de nouvelles, en taxant notamment les profits exceptionnels ?

M. Michel Canévet. - Comme Didier Rambaud, je constate que très peu de propositions sont faites pour réduire les dépenses. Selon vous, le projet de loi de finances pour 2023 traduit-il l'ambition de maîtriser les dépenses de fonctionnement ? La distinction est-elle suffisamment faite entre les dépenses de fonctionnement, qui doivent être réduites, et les investissements nécessaires, par exemple à la transition énergétique ?

Par ailleurs, on constate une hausse des recettes fiscales de l'État. Doit-on s'attendre à une baisse significative de ces recettes, dans un contexte de baisse des prélèvements obligatoires ?

M. Sébastien Meurant. - Ma première question porte sur la dette et la charge des intérêts de la dette. On sait que la dette va continuer d'augmenter. Alors que les taux actuels devraient baisser et être presque négatifs, pourquoi la charge des intérêts de la dette serait-elle sensiblement égale ?

Sur l'énergie, les règles européennes sont désuètes également. L'Espagne et le Portugal, en étant sortis du marché européen régulé de l'énergie, se portent beaucoup mieux. Quel est l'intérêt pour nous, Français, avec une production décarbonée, nucléaire, de rester dans ce marché de l'énergie ?

M. Pierre Moscovici. - Madame Lavarde, je ne donnerai pas de couleur au tableau que j'ai peint. Le Haut Conseil est une instance indépendante, formée d'économistes pour l'essentiel, nommés par les différentes autorités de l'État. Ils travaillent en toute indépendance et en toute objectivité. Je le dis franchement, nos avis méritent d'être lus en détail, y compris pour préparer les discussions que vous allez avoir avec l'exécutif dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances, car ils contiennent des appréciations nuancées et précises.

J'ajoute que nous sommes dans un contexte de très grande incertitude. Une autre loi de programmation des finances publiques sera-t-elle ou non nécessaire ? Il est trop tôt pour le dire. Le fait est qu'il faut au moins une loi, car il est compliqué de fonctionner sans loi de programmation des finances publiques. C'est compliqué pour le Haut Conseil, mais aussi pour la Commission européenne. Il faut une ancre budgétaire.

Le Haut Conseil a souligné que le contexte inflationniste provoquait des risques de dépassement pour les collectivités locales. L'objectif est atteignable, mais peut-être un petit peu optimiste.

Je ne m'engagerai pas dans un débat politique sur la comparaison entre la France et l'Allemagne. Les évolutions allemandes sont spécifiques et liées à deux facteurs : d'une part, la dépendance de l'Allemagne au gaz russe, qui n'est pas la nôtre ; d'autre part, le fait qu'elle est une économie beaucoup plus industrielle et exportatrice que la nôtre, qu'elle est davantage dépendante des difficultés dans les chaînes d'approvisionnement à l'échelle mondiale. Il n'est pas absolument certain qu'il s'agisse là d'évolutions de long terme.

La hausse des taux a déjà entraîné une hausse de la charge de la dette en 2022, à hauteur de 12 milliards d'euros pour l'ensemble des administrations publiques. L'essentiel de la dette étant contracté à long terme, ce sont les taux à long terme qui constituent le principal risque. Or les taux à long terme ont déjà augmenté, de 150 points de base depuis un an pour les taux à dix ans. Cela commence déjà à se voir dans la charge de la dette. En 2023, l'impact sera limité, mais à long terme, sur dix ans, cette hausse représentera 70 milliards d'euros en plus, si la hausse des taux à long terme se maintient au niveau actuel, ce qui n'est pas acquis. On voit les conséquences d'un niveau d'endettement élevé et la nécessité de réduire la dette, alors que les risques sont clairement haussiers.

Monsieur Rambaud, l'appréciation du Haut Conseil sur les règles de l'Union européenne est nuancée. Nous ne nous interdisons pas de nous prononcer sur ce sujet. Ces règles sont en partie obsolètes et elles devront être modifiées. Des projets sont d'ailleurs en cours d'élaboration, mais il ne faut pas se faire d'illusions : nous avons besoin d'une ancre pour les finances publiques. On ne sait pas faire de finances publiques sans règles ! Certaines règles seront probablement conservées. La règle des 3 % est assez robuste. C'est le niveau à partir duquel la courbe de la dette s'infléchit. En revanche, la règle selon laquelle la dette ne doit pas représenter plus de 60 % du PIB n'est pas tenable. Il y aura sans doute une appréciation plus nationale des niveaux de dette, ce qui ne sera pas forcément un cadeau pour les pays qui sont plus endettés que d'autres. Enfin, la question de la prise en compte de certains investissements, notamment ceux qui sont liés à la transition énergétique, se pose. Attendons-nous donc à ce que les règles soient modifiées, moins rigides, plus lisibles. N'imaginons pas toutefois que ces modifications exonéreront un pays fortement endetté de se désendetter.

J'en viens à la taxation des superprofits. Le rôle du Haut Conseil n'est pas de porter un regard sur les décisions politiques. Il a été question que le Haut Conseil puisse se prononcer sur le chiffrage des mesures nouvelles. Il serait assez utile que notre mandat soit modifié en ce sens parce que nous avons comme vous parfois des problèmes de documentation sur des mesures qui sont proposées. Toute évolution de nos prélèvements doit selon nous être examinée à l'aune de la situation d'équilibre de nos finances publiques. Je redis que les baisses d'impôt qui ne seraient pas financées par des réductions de dépenses ou l'augmentation d'autres impôts iraient à l'encontre de la préservation de la soutenabilité de nos finances publiques.

J'ai écouté avec attention les autres questions : soit j'y ai déjà répondu, soit je ne peux pas y répondre. Sur le marché de l'électricité, je vous renvoie, monsieur Meurant, au rapport publié par la Cour des comptes avant l'été. Il pourra, je pense, être utile à votre réflexion.

M. Claude Raynal, président. - Je vous remercie de vos réponses, monsieur le Président.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 12 h 30.