Mardi 25 octobre 2022

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 9 h 00.

Projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables - Examen du rapport pour avis

M. Laurent Lafon, président. - Nous examinons ce matin le rapport pour avis de notre collègue Laurence Garnier sur le projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables. Ce texte, renvoyé à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, sera discuté en séance publique à compter du mercredi 2 novembre prochain.

Nous allons prendre connaissance avec beaucoup d'intérêt, ma chère collègue, de votre analyse et de vos propositions sur ce texte, la question des modalités d'installation des éoliennes sur nos territoires, qu'elles soient terrestres ou marines, constituant désormais un sujet de préoccupation majeur pour de nombreux élus locaux, en particulier ruraux.

Mme Laurence Garnier, rapporteure pour avis. - Notre commission a été saisie pour avis, il y a un peu plus de quinze jours, du projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables (EnR). Dans ce délai, j'ai procédé à une série d'auditions afin de déterminer si ce texte était susceptible de mettre en péril notre patrimoine culturel. J'ai entendu la direction générale des patrimoines et de l'architecture du ministère de la culture, l'Association nationale des architectes des Bâtiments de France (ANABF), l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap), ainsi que plusieurs associations de sauvegarde du patrimoine, à savoir Maisons paysannes de France, Patrimoine-Environnement, Sites et monuments et Vieilles Maisons françaises.

Je me suis évidemment aussi appuyée sur l'expérience de la Loire-Atlantique, dont je suis élue, où l'éolien terrestre est déjà bien développé et où le premier parc éolien en mer a été mis en place au large du Croisic. J'ai également été profondément marquée par l'expérience récente de la commune de Vay. Cette commune, qui n'est pas hostile par principe aux parcs éoliens - elle en compte déjà un sur son périmètre - se voit aujourd'hui imposer par la cour administrative d'appel de Nantes un nouveau projet éolien, lequel a pourtant fait l'objet d'un avis défavorable de l'architecte des bâtiments de France (ABF), du conseil municipal, du commissaire enquêteur et du préfet en raison des atteintes à la sauvegarde des espaces naturels et des paysages qu'il pourrait générer.

Ces différents exemples m'ont convaincue que la transition énergétique ne pourrait pas se faire en opposant patrimoine et énergies renouvelables. Il faut au contraire parvenir à les conjuguer, sinon les atteintes portées au cadre de vie des habitants des communes impactées par des projets éoliens feront naître des mécontentements et des oppositions qui freineront systématiquement le déploiement des énergies renouvelables, sans compter qu'elles menaceront aussi notre cohésion. En effet, il est clair que le développement des éoliennes est un sujet d'oppositions entre les zones rurales, où ces projets sont majoritairement installés, et les zones urbaines, où une large part de l'énergie y est consommée.

L'objet du projet de loi est d'accélérer la production d'énergies renouvelables pour renforcer notre souveraineté énergétique. À cette fin, le texte met en place un certain nombre de dérogations pour faciliter les projets d'énergies renouvelables et les projets industriels nécessaires à cette transition énergétique : le Gouvernement les décrit comme des mesures d'urgence temporaires. Il comporte aussi des dispositions spécifiques pour contribuer au développement de l'énergie solaire et de l'éolien en mer. En outre, il fixe des règles en matière de financement des énergies renouvelables et de partage de la valeur. Même s'il ne prévoit aucune disposition spécifique relative à l'éolien terrestre, cette forme d'énergie renouvelable est bel et bien concernée par tous les dispositifs prévus dans le projet de loi.

Quel est l'impact de ce projet de loi sur le patrimoine culturel ?

À la lecture de l'exposé des motifs, on aurait pu craindre le pire. Celui-ci pointe en effet clairement la multiplicité et la complexité des procédures administratives comme l'une des principales causes du retard français en matière de développement des énergies renouvelables.

Le rapport de la mission, conduite par Damien Botteghi, relative à l'accélération et à la simplification des procédures pour renforcer l'indépendance industrielle, énergétique et agricole en France, qui a constitué une source d'inspiration pour la rédaction du projet de loi, recommandait de réduire la portée de l'avis de l'ABF, en transformant son avis conforme en avis simple pour faciliter l'installation de panneaux solaires dans les sites patrimoniaux remarquables (SPR). Mais le Gouvernement n'a heureusement pas retenu cette option.

Le projet de loi ne comprend aucun article dérogeant aux dispositifs de protection patrimoniale existants dans le but de développer les énergies renouvelables. Il ne comporte pas non plus d'éléments susceptibles d'améliorer ces dispositifs et de répondre à certaines préoccupations de la population dans le cadre du déploiement de ces projets au cours des dernières années. Cela signifie donc que les projets d'EnR, quel que soit le type d'énergie concerné, resteront soumis, en l'état actuel du texte, à l'avis de l'ABF dans les espaces protégés, au même titre que les autres projets de construction, d'aménagement ou de travaux, à savoir un avis conforme dans les abords des monuments historiques et dans les SPR et un avis simple dans les sites inscrits au titre du code de l'environnement, ainsi que dans les abords des monuments historiques lorsque le projet n'entre pas dans le champ de visibilité du monument.

Par ailleurs, les services régionaux d'archéologie préventive conserveront la possibilité de prescrire des diagnostics et des fouilles et pourront, le cas échéant, demander que la consistance du projet soit modifiée afin d'en réduire l'impact sur les vestiges.

Les enjeux patrimoniaux ont été clairement pris en compte dans le cadre de l'instauration, par l'article 11, d'une obligation d'équipement des parkings extérieurs de plus de 2 500 mètres carrés en ombrières photovoltaïques sur au moins la moitié de leur surface. Les gestionnaires de parkings qui feraient face à des contraintes patrimoniales ne seront pas soumis à cette obligation. En outre, l'obligation ne dispensant pas du dépôt d'une demande d'autorisation d'urbanisme, l'ABF pourra contrôler, avec son avis conforme, la bonne intégration de ces dispositifs dans les espaces protégés.

Je ne vous cache pas que plusieurs autres dispositions inquiètent les associations de sauvegarde du patrimoine, mais elles n'entrent pas dans le champ de compétence de notre commission. Deux articles sont ici visés.

Premièrement, l'article 3 autorise à recourir à la procédure de modification simplifiée du plan local d'urbanisme (PLU) au lieu de la procédure de révision actuellement nécessaire afin de réduire un espace boisé classé dans le but de permettre l'installation de projets d'EnR. Cette question relève de la commission des affaires économiques, chargée à la fois des questions liées aux forêts et à l'urbanisme.

Deuxièmement, l'article 4 reconnaît aux projets d'EnR le caractère de « raison impérieuse d'intérêt public majeur ». À cet égard, je souhaite vous rassurer sur le fait que cette notion, tirée du droit de l'Union européenne, n'emporte aucune conséquence sur la protection du patrimoine culturel. Elle permet exclusivement de déroger aux règles en matière de protection des espèces protégées et de leur habitat. Elle n'est employée dans aucun autre code pour fonder d'éventuelles dérogations. J'ai bien évidemment alerté le rapporteur de la commission saisie au fond, Didier Mandelli, sur ces différents points.

Au final, nous pouvons être rassurés par la préservation de l'équilibre existant entre développement des EnR et protection du patrimoine. La loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (Élan) avait prévu des dérogations à l'avis conforme, mais le Gouvernement n'a pas réitéré ici cette démarche. Cela dit, il faudra nous montrer vigilants pendant la discussion parlementaire, car certains amendements pourraient viser à transformer en avis simple l'avis conforme des ABF ou à revenir sur certains dispositifs de protection patrimoniale, vécus comme des freins au développement des énergies renouvelables.

À mon sens, la mise en place de telles dérogations ne serait pas justifiée : elle aurait un impact marginal sur l'accélération des projets d'EnR, tout en ayant des effets désastreux à long terme sur la qualité de vie de nos concitoyens et sur notre attractivité touristique en ce qu'elle porterait atteinte à la mise en valeur de notre patrimoine. J'en veux pour preuve les effets du passage à l'avis simple concernant la dégradation des sites inscrits au titre du code de l'environnement. En effet, cet avis ne permet pas de faire face à des situations dans lesquelles s'exerce une certaine pression.

J'ai longuement échangé avec les représentants de l'ABF et de l'Inrap, leurs interventions ne constituent pas un réel frein aux projets d'EnR, ni à leur déploiement rapide. Les ABF délivrent leurs autorisations en moyenne en 34 jours et seuls 10 % des demandes font l'objet d'un refus. En matière d'archéologie préventive, les prescriptions de diagnostics et de fouilles restent modestes, les services régionaux d'archéologie préventive limitent au maximum les prescriptions de fouilles à la suite de diagnostics pour ne pas ralentir le lancement des projets.

Ni la direction générale des patrimoines ni les ABF n'ont manifesté d'opposition de principe au développement des EnR. Les refus opposés à la pose de panneaux photovoltaïques dans les espaces protégés s'expliquent principalement par le caractère standardisé des installations projetées, souvent peu adaptées au bâti ancien et difficilement intégrables dans le paysage architectural. Une instruction de la ministre de la culture est en cours d'élaboration sur la question du photovoltaïque dans les espaces protégés. Destinée aux ABF, elle devrait permettre d'homogénéiser leurs pratiques dans l'instruction de ce type de demandes et de donner aux collectivités territoriales et aux particuliers davantage de visibilité sur les attendus.

Dans ces conditions, il serait particulièrement regrettable que de telles dérogations soient mises en place : si les projets d'EnR souffrent aujourd'hui d'un déficit d'acceptabilité, c'est précisément parce qu'ils ne prennent pas suffisamment en compte le cadre de vie et l'opinion de l'échelon local. Le retard français en matière d'énergies renouvelables tient autant au manque d'adhésion des populations locales qu'à certaines procédures administratives jugées contraignantes. Compte tenu de l'attachement des populations à leur patrimoine et à leur cadre de vie, déroger aux règles de protection du patrimoine serait au contraire un élément susceptible d'accroître les résistances à l'encontre de ces projets. Il serait plus opportun de faire en sorte d'améliorer la prise en compte de l'impact des projets d'EnR sur le cadre de vie en amont de la décision. Or, aujourd'hui, le diagnostic architectural et paysager des études d'impact est souvent bâclé et ne permet pas d'appréhender correctement les effets réels des projets. Les services du patrimoine et de l'archéologie m'ont dit n'être pratiquement jamais associés à l'élaboration des projets en amont du dépôt de la demande d'autorisation d'urbanisme, alors qu'ils sont investis d'une mission de conseil qui les rend aptes à répondre, le cas échéant, aux sollicitations des porteurs de projets. Leur expertise serait pourtant utile dès ce stade pour disposer d'un premier diagnostic et pour orienter ou adapter la localisation ou l'emprise du projet vers une zone dans laquelle l'impact serait moindre.

Le renforcement du dialogue en amont pourrait constituer un réel gain sur le temps total de la procédure, en raccourcissant ensuite les délais d'instruction de la demande d'autorisation d'urbanisme, en réduisant le risque de refus et en limitant les contestations ultérieures.

Ne l'oublions pas, sous l'effet des progrès technologiques, les éoliennes ont considérablement évolué au cours de la dernière décennie. Si ces évolutions ont permis d'accroître significativement leur puissance, elles ont aussi des impacts de plus en plus importants sur les paysages. Avec l'augmentation de la hauteur des mâts, elles sont visibles depuis des zones de plus en plus éloignées. Le repowering, c'est-à-dire l'opération qui consiste à remplacer une installation par une autre de plus grande puissance, a souvent des effets désastreux sur les paysages, dans la mesure où des projets qui avaient été élaborés intelligemment à une certaine échelle auront un tout autre impact.

C'est la raison pour laquelle je vous proposerai deux amendements visant à répondre à ces problématiques : le premier vise à étendre l'avis conforme de l'ABF aux projets de parcs éoliens terrestres de grande dimension entrant dans le champ de visibilité d'un monument historique ou d'un site patrimonial remarquable dans un périmètre de 10 kilomètres autour de celui-ci, et le second tend à interdire, à compter des prochains appels d'offres, les projets éoliens maritimes situés à moins de 40 kilomètres des côtes afin d'en limiter l'impact visuel.

Au demeurant, il faut faire en sorte de mieux associer l'échelon local à la prise de décision pour réduire l'impact des installations sur le cadre de vie et faciliter leur déploiement sur le territoire. De ce point de vue, on peut s'interroger sur l'opportunité des dispositions de l'article 2 visant à étendre la participation du public par voie électronique, dans la mesure où il est difficile d'apprécier dans quelle mesure la dématérialisation des procédures de consultation du public constitue un progrès ou une régression d'un point de vue démocratique. Ces évolutions devraient principalement concerner les projets photovoltaïques au sol de petite taille et non les autres types de projets en matière d'EnR.

Le rapporteur au fond Didier Mandelli, qui est attaché à l'idée de redonner du pouvoir aux maires dans le déploiement des EnR, proposera de renforcer la planification des projets d'énergies renouvelables, celle-ci s'étant faite jusqu'ici de manière assez désordonnée et sans consultation de l'échelon local. Pour ma part, je vous soumettrai un troisième amendement visant à renforcer le pouvoir des exécutifs locaux en ce qui concerne l'implantation des projets d'EnR.

Je crois vraiment que ces différentes évolutions sont de nature à rassembler les Français sur les enjeux environnementaux, au risque, dans le cas contraire, de voir s'accroître les motifs de division.

Mme Marie-Pierre Monier. - Un peu plus d'un an après l'adoption de la loi Climat et résilience, ce texte franchit un cap dans la décarbonation de notre pays. S'il nous faut agir vite, nous devons cependant être vigilants sur l'équilibre à maintenir, y compris dans une logique d'acceptabilité de la part de la population. Ne négligeons pas la préservation de notre patrimoine. Je sais pouvoir compter sur la vigilance de notre assemblée sur ce sujet.

Nous pourrons également tirer profit des apports des nombreuses auditions qui ont été organisées lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2023.

Les ABF nous ont alertés sur les effectifs dont ils ont besoin pour traiter dans de bonnes conditions l'ensemble des dossiers, ceux qui sont relatifs aux EnR étant appelés à augmenter de façon exponentielle. Ils ont également pointé la nécessité de renforcer l'ingénierie, particulièrement dans les zones rurales, afin d'améliorer en amont la qualité des projets. En matière d'énergies renouvelables, nous pouvons saluer la façon dont ils assurent, avec les services de l'archéologie préventive, le traitement des dossiers, car leur approche combine pragmatisme et prise en compte de la spécificité de chaque site. Ne rognons pas davantage leurs prérogatives au prétexte d'une accélération des dossiers. Ils ont encore en mémoire la loi Élan, qui a opéré un glissement de l'avis conforme vers l'avis simple dans plusieurs cas de figure. À cet égard, ils souhaitent disposer d'un bilan de la mise en oeuvre de ces dérogations. Même si le texte qui nous est proposé ne prévoit pas une extension de ces dérogations, restons très attentifs sur ce point.

L'article 11 impose l'équipement des parkings extérieurs de plus de 2 500 mètres carrés en ombrières photovoltaïques, mais cette mesure peut aussi bien concerner des parkings de supermarché que ceux du centre-ville à proximité de monuments. Il serait pertinent de préciser ce dispositif, afin de veiller à l'intérêt patrimonial. La préservation de notre patrimoine doit s'inscrire dans une approche globale au-delà des seuls sites patrimoniaux remarquables.

Pour conclure, j'évoquerai la mauvaise prise en compte du bâti ancien dans la politique de rénovation thermique. Les diagnostics de performance énergétique doivent être réalisés par des spécialistes ; les solutions techniques proposées doivent tenir compte des particularités des bâtiments construits avant le milieu du XXe siècle, elles ne doivent pas se focaliser sur les fenêtres et l'isolation extérieure. Il conviendrait de réfléchir à une évolution du mode de calcul de la performance énergétique à l'heure des objectifs ambitieux en matière de lutte contre l'artificialisation. Mieux valoriser notre bâti ancien apparaît comme une évidence.

Mme Céline Brulin. - Nous devons examiner au cours des prochains mois plusieurs textes relatifs à la politique énergétique. Or je déplore le manque de cohérence et de vision globale. Notre mix énergétique est plutôt efficace et performant, chaque production énergétique ne répondant pas aux mêmes besoins. Les dispositions visant à une accélération de l'implantation de projets d'énergies renouvelables tiennent pour partie au fait que la France a manqué durant ces quinze dernières années d'une vision globale en matière énergétique. J'estime qu'une politique énergétique se bâtit à une échéance de cinquante ans minimum.

Nous partageons votre position concernant le patrimoine. Restons très vigilants sur les lignes qui ont été définies dans le texte.

Assouplir les règles risque de cristalliser des oppositions. Le dialogue permet de dépasser les a priori.

Je rejoins le rapporteur au fond concernant le développement anarchique des éoliennes : nous avons besoin d'une vision plus globale de cet aménagement. Je peux comprendre que vous souhaitiez étendre l'avis conforme de l'ABF aux projets de parcs éoliens terrestres entrant dans le champ de visibilité d'un monument historique ou d'un site patrimonial remarquable dans un périmètre de 10 kilomètres. Vous souhaitez également interdire les projets d'éoliens maritimes situés à moins de 40 kilomètres des côtes. Toutefois, il ne suffit pas de prendre en compte la distance des côtes pour implanter les parcs. Le parc au large de Fécamp ne suscite pas de véritable opposition, contrairement à celui du Tréport, alors qu'ils sont quasiment à égale distance des côtes. Cependant, celui du Tréport est situé dans une zone de reproduction des poissons. Ne nous en tenons pas à des normes kilométriques, c'est trop administratif ! Prenons en compte la navigation, la réalité des fonds marins, notamment.

M. Thomas Dossus. - Gouverné à près de 80 % par le nucléaire, notre mix énergétique est tellement efficace que nous devons accélérer l'implantation des énergies renouvelables. La crise actuelle est aussi liée à cette impasse. Nous faisons face à court terme à l'urgence énergétique - nous avons dû rouvrir une centrale à charbon l'été dernier, et à plus long terme à la crise climatique. Certes, il faut préserver nos paysages et les 40 kilomètres au-delà des côtes, mais dans quelques années celles-ci seront profondément transformées. Nos tergiversations actuelles, par exemple sur la valeur patrimoniale d'un parking en centre-ville, paraîtront dérisoires si nous n'agissons pas rapidement en implantant des sources d'énergie décarbonée. Ce n'est pas forcément l'impact paysager qui suscite des résistances : le parc éolien du Beaujolais Vert avait été présenté comme un atout pour le territoire ; et c'est parce que nous y avons associé la population qu'il est devenu une attraction. L'argent des millionnaires sera insuffisant pour restaurer le patrimoine lorsque la crise climatique sévira.

M. Max Brisson. - Je remercie M. le président d'avoir obtenu la saisine pour avis de notre commission. Nous sommes peut-être le poil à gratter du Parlement et de l'exécutif, et c'est une bonne chose. Nous devrons d'ailleurs faire preuve de constance au cours du parcours législatif de ce texte. Je partage les remarques pertinentes de Céline Brulin concernant le morcellement de l'approche législative et le mix énergétique, mais j'ai une position divergente de celle de Thomas Dossus.

Je remercie la rapporteure pour avis de ses travaux dans des délais très brefs. Son rapport est équilibré, juste, rassurant, sans exclure les points de vigilance. L'objectif de développement des EnR est partagé, mais il se combine avec la nécessité de protéger notre patrimoine, des paysages magnifiques, ce qui fait la beauté de notre pays. À l'heure du développement durable, nous devons transmettre aux générations futures des paysages dans lesquels l'homme s'est inscrit. Le générique de l'émission télévisée La France défigurée mettait en avant un petit village - ma famille en est originaire - dont l'église était défigurée par un immense château d'eau. Il serait dommage qu'au XXIsiècle on ne soit pas capable d'éviter, pour les EnR, les erreurs passées dans le déploiement d'autres réseaux.

Le rapport de Laurence Garnier montre bien que notre pays a développé une forte expertise au travers des ABF. Leur rôle n'est pas remis en cause, mais la vigilance sera nécessaire sur les moyens développés pour garantir le développement des EnR et la protection de nos patrimoines. Il conviendra également de faire attention aux dérives quant au rôle plus restreint des ABF et ses conséquences depuis la mise en place de la loi Elan.

Nous soutiendrons les trois amendements de la rapporteure pour avis : l'extension de l'avis conforme de l'ABF aux projets de parcs éoliens terrestres situés dans un périmètre de 10 kilomètres autour d'un site patrimonial remarquable ; le déploiement des éoliennes en mer à 40 kilomètres minimum des côtes ; enfin, l'extension aux communes voisines des votes des conseils municipaux concernés. Ces mesures équilibrées visent à renforcer l'acceptabilité des projets par les élus et les populations. Ne passons pas en force, sinon les levées de boucliers seraient de plus en plus nombreuses. À forcer d'imposer, nous indisposerions !

M. Claude Kern. - À mon tour de féliciter notre rapporteure pour avis de son excellent travail réalisé dans un temps très contraint. Nous sommes tout à fait d'accord sur les aspects patrimoniaux : il y a des lignes à ne pas franchir, et les ABF doivent toujours être consultés. En revanche, une harmonisation des positions serait souhaitable pour l'installation de panneaux photovoltaïques intégrés au bâti neuf et à la limite des 500 mètres. Marie-Pierre Monier a raison, certains bâtis anciens ne permettront pas d'atteindre les performances énergétiques requises. La remarque de Céline Brulin sur les 40 kilomètres est pertinente pour éviter des refus systématiques. Enfin, pour ce qui est de la transmission aux générations futures, comme le disait Antoine de Saint-Exupéry : « Nous n'héritons pas de la terre de nos parents, nous l'empruntons à nos enfants. » Pour ces raisons, nous soutiendrons les trois amendements de notre rapporteure pour avis.

M. Olivier Paccaud. - Je suis ici le seul élu des Hauts-de-France, région particulièrement affectée par l'installation de l'éolien - surtout la Somme et le nord de l'Oise, où le taux de saturation est atteint. Je souscris totalement aux propos introductifs de Laurence Garnier à propos des zones rurales. J'ajoute que ce sont principalement les zones rurales « pauvres » qui sont touchées. Les éoliennes poussent là où les richesses et les entreprises font défaut. C'est le moyen pour de nombreuses municipalités d'obtenir un peu d'argent. Dans plusieurs communes de mon département, comme en Loire-Atlantique, des projets ont même été imposés contre la volonté des conseils municipaux et des populations. C'est un déni de démocratie ! Ce texte doit être l'occasion de rendre la souveraineté aux territoires. Accélérer la production d'énergies renouvelables, oui, mais pas à n'importe quel prix. Nous sommes évidemment tous attachés à la protection du patrimoine. Mais il ne faut jamais oublier l'acceptabilité par les populations concernées. Or, dans le texte initial, la population et les élus locaux n'existent pas.

De plus, on a oublié la méthanisation, qui a pourtant son importance et se développe de façon importante dans l'Oise. Les règles d'acceptabilité qui seront mises en place pour l'éolien devront aussi concerner les autres modes de production énergétique. Pour y parvenir, il faut engager un dialogue constant et rendre le pouvoir aux territoires.

M. Laurent Lafon, président. - « C'est de l'enfer des pauvres qu'est fait le paradis des riches », disait Victor Hugo.

M. Pierre Ouzoulias. - Je remercie beaucoup Mme la rapporteure pour avis d'avoir porté des points importants, en particulier concernant l'archéologie préventive. Les zones choisies pour l'implantation d'éoliennes l'ont été par le passé pour des fortifications et des moulins.

J'aimerais me mettre dans la peau des élus du plateau de Millevaches, qui sont tout à fait opposés aux éoliennes : depuis deux à trois décennies, ils aménagent le paysage sans aucune aide de l'État ; ils ne supportent donc pas qu'un préfet veuille remettre en question leur travail au nom de l'intérêt collectif. Ce plateau, qui vit essentiellement du tourisme, ne doit pas être défiguré par des éoliennes. Aujourd'hui, l'opposition vient de gauche, de droite, mais aussi des zadistes de Tarnac. Ils veulent que soit entendue leur volonté de restaurer un environnement jusqu'alors préservé. Ils n'acceptent pas non plus que leurs propositions concernant d'autres énergies renouvelables, telles que la petite hydraulique, soient refusées. Les dix moulins médiévaux de la Triouzoune pourraient parfaitement fonctionner. Or la préfecture a opposé un refus absolu au projet, sans doute beaucoup plus compatible avec le respect des paysages. Cet autoritarisme est insupportable, car il met à mal la démocratie locale.

Dans certaines régions - le Puy-de-Dôme, la Corrèze, la Haute-Savoie, les Pyrénées-Atlantiques, entre autres -, les installations sont très souvent construites sur des sections de communes qui sont soumises à des règles d'usage particulières. Des conflits majeurs perdurent entre les « sectionnaux » et les communes sur l'installation des éoliennes. On est en train de saborder des institutions fondamentales pour redynamiser ces territoires. N'utilisons pas les éoliennes pour détruire un cadre tricentenaire !

Mme Laure Darcos. - Je remercie également la rapporteure pour avis et souligne que les ABF ne prennent pas en compte les nouveaux matériaux. D'après les remontées des maires ou des fédérations de collectivités, nombre de bâtiments classés pourraient être rénovés de façon plus respectueuse du développement durable. Je regrette que cette question ne puisse être traitée dans le cadre du projet de loi, faute de relever de son périmètre, mais notre commission pourrait s'y pencher à l'avenir. La rigidité des ABF ne contribue pas à l'apaisement des tensions qui se sont déjà fait jour il y a quelques années. Il est essentiel que ces derniers fassent évoluer leur doctrine pour répondre à l'urgence énergétique.

Mme Sabine Drexler. - Mme la rapporteure déplorait la faible association des ABF à l'élaboration des projets d'énergies renouvelables. Mais quand bien même seraient-ils consultés en amont par les porteurs de projets, pourraient-ils répondre à ces demandes compte tenu du problème d'effectif qu'ils rencontrent ? La faiblesse des effectifs nous est signalée lors de chacune des auditions menées dans le cadre du projet de loi de finances.

Olivier Paccaud a parlé de l'installation d'éoliennes sur les territoires pauvres. J'évoquerai pour ma part l'isolation extérieure des maisons anciennes : en Alsace, des maisons à pans de bois sont actuellement recouvertes de polystyrène. Des aides financières sont attribuées pour ces travaux, mais l'ingénierie fait actuellement défaut pour accompagner les particuliers ou les collectivités.

Mme Sylvie Robert. - Nous voterons les amendements de la commission, à l'exception de celui qui interdit l'implantation des éoliennes en mer à moins de 40 kilomètres des côtes. L'application pratique en Bretagne, notamment dans la baie de Saint-Brieuc et au cap Fréhel, est impossible eu égard aux enjeux économiques. Déjà à 33 kilomètres, il faut plus d'une heure trente pour poser une éolienne ! Une distance à quinze ou vingt kilomètres me paraîtrait plus raisonnable.

Mme Monique de Marco. - Je suis, comme Max Brisson, élue de la région Nouvelle-Aquitaine, qui ne compte pas une seule éolienne. Pourquoi ? Parce que les contraintes à l'implantation sont trop fortes : météo, armée, opposants, tels que les chasseurs. Je suis très impatiente que nous en implantions pour développer les énergies renouvelables. Mais interdire l'implantation à moins de 40 kilomètres, c'est impossible chez nous en raison des nombreux hauts fonds.

Les avis et les refus systématiques des ABF sont trop contraignants, notamment pour le photovoltaïque sur des toitures. Il en est de même pour l'isolation en façade, avec l'interdiction de nouveaux matériaux. Quant au rapport au paysage, nous sommes tous habitués aux châteaux d'eau et aux 100 000 kilomètres de lignes à très haute tension ! Il faut juste aller au-delà de nos perceptions visuelles et alléger la réglementation.

M. Stéphane Piednoir. - Je sais le travail réalisé par Laurence Garnier. J'insisterai sur l'écoute des élus locaux, qui est essentielle. Ne mettons pas sous cloche le chantage à l'intéressement pour certaines communes. L'achat du silence des riverains est désormais monnaie courante, ce qui me scandalise.

Sur les ABF, je comprends qu'il faille aller très loin dans la protection du patrimoine, mais une harmonisation des critères d'appréciation s'impose sur l'ensemble du territoire, surtout si l'on s'oriente vers un avis conforme.

Mme Laurence Garnier, rapporteure pour avis. - Madame Monier, il faut effectivement aller vite tout en étant vigilant, y compris au cours de la navette parlementaire. Cette ligne de crête entre protection de notre patrimoine, notamment de ses paysages, et développement des énergies doit être tenue. La charge de travail des ABF est importante, puisque 180 architectes rendent chaque année 400 000 avis. Nous en sommes d'autant plus conscients qu'une charge de travail supérieure pourrait leur incomber en cas d'avis conforme.

Plusieurs d'entre vous ont évoqué la rénovation du bâti ancien. Ce sujet est d'une grande importance, a fortiori du fait des contraintes liées au « zéro artificialisation nette ». Il faudra travailler à la réhabilitation et à la valorisation de notre patrimoine ancien, tout en luttant contre le réchauffement climatique. Une nouvelle réglementation environnementale RE2020 impose à cet égard de prendre en compte les émissions de gaz à effet de serre dès la construction des immeubles. Nous n'en mesurons pas encore les effets, mais cela ne saurait tarder. La réflexion sur ce sujet mériterait d'être approfondie.

Madame Brulin, la règle des 40 kilomètres provient de la ligne d'horizon, qui serait de l'ordre de 33 kilomètres. Vous avez raison, il convient de préserver la faune marine. Pour autant, celle-ci se reconstitue différemment et s'adapte. La distance vise à protéger des effets visuels, et uniquement sur les projets dont les appels d'offres n'ont pas encore été attribués. C'est le progrès technologique de l'éolien flottant qui nous permet aujourd'hui de poser cette exigence.

Monsieur Dossus, 85 % des Français décrivent leur cadre de vie idéal comme étant rural. Il est de notre responsabilité de préserver ces paysages et de ne pas commettre les erreurs du passé.

Monsieur Brisson, la question est celle de l'équilibre, avec cette ligne de crête et des lignes rouges à ne pas franchir.

La question des ABF vous a tous beaucoup fait réagir. Une instruction du ministère de la culture en cours d'élaboration vise à homogénéiser ces pratiques parfois déconcertantes.

Monsieur Paccaud, vous avez raison, les enjeux sont aussi financiers pour les communes, les habitants et les agriculteurs aux revenus fragiles. Il est primordial de ne pas imposer les projets contre les élus et la population. Tel est le sens de mon amendement, identique à celui de Didier Mandelli. Il concerne également la méthanisation, même si je n'en ai pas parlé explicitement.

Monsieur Ouzoulias, l'archéologie préventive est un sujet extrêmement important, les vestiges pouvant être affectés par les opérations successives de repowering des éoliennes existantes. Dans le cadre d'un repowering, les nouvelles éoliennes ne sont pas implantées à l'emplacement des anciennes. Il faut réfléchir aux conséquences à l'horizon de 100 ans du parc d'éoliennes, lesquelles ont une durée de vie de quinze ans. Dans cette réflexion, la démocratie locale est primordiale. En effet, les habitants et les élus locaux, qui aiment leur territoire, sont les mieux placés pour le défendre. Et l'éloignement nourrit la défiance...

EXAMEN DES ARTICLES

Avant l'article 1er

Mme Laurence Garnier, rapporteure pour avis. - L'amendement CULT.1 vise à permettre aux conseils municipaux de s'opposer à la demande d'autorisation d'urbanisme qui n'aurait pas tenu compte en amont de leurs observations initiales.

L'amendement CULT.1 portant article additionnel est adopté.

Après l'article 6

Mme Laurence Garnier, rapporteure pour avis. - L'amendement CULT.2 prévoit d'étendre l'avis conforme de l'ABF aux projets de parcs éoliens de grande dimension entrant dans le champ de visibilité, soit d'un monument historique, soit d'un site patrimonial remarquable, et situé dans un périmètre de 10 kilomètres autour de celui-ci.

L'amendement CULT.2 portant article additionnel est adopté.

Après l'article 12

Mme Laurence Garnier, rapporteure pour avis. - L'amendement CULT.3 prévoit de retenir un seuil de 40 kilomètres pour l'implantation des parcs éoliens en mer. Ce seuil tient compte des progrès technologiques de l'éolien flottant et ne s'appliquera qu'aux appels d'offres lancés à compter de l'entrée en vigueur de la loi.

L'amendement CULT.3 portant article additionnel est adopté.

M. Laurent Lafon, président. - Les amendements que nous venons d'adopter seront présentés demain matin à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Je vous propose d'autoriser Mme la rapporteure pour avis à procéder aux ajustements qui se révéleraient nécessaires lors de cette réunion et à redéposer en vue de la séance publique les amendements que la commission saisie au fond ne souhaiterait pas retenir.

Il en est ainsi décidé.

La réunion est close à 10 h 15.

Sécurité des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 - Audition de M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer

- Présidence de M. Laurent Lafon, président, et de M. François-Noël Buffet, président -

La réunion est ouverte à 16 h 30.

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Nous auditionnons le ministre de l'Intérieur sur les conditions de sécurité de deux événements majeurs qui se dérouleront prochainement sur notre territoire, la Coupe du monde de rugby l'an prochain et les Jeux olympiques et paralympiques en 2024. Le rapport d'information que nous avons rédigé, avec Laurent Lafon, sur la finale de la Ligue des champions qui s'est déroulée au Stade de France le 22 mai dernier, avait été l'occasion de vous interroger sur la gestion de la sécurité des grands événements et de pointer plusieurs dysfonctionnement ; vous nous aviez alors annoncé que le Gouvernement déposerait un projet de loi pour les JO, de même que vous aviez annoncé la création de nouvelles brigades mobiles et l'utilisation de nouveaux outils de vidéo-protection. Ce dernier sujet nous intéresse d'autant plus que nous avons, à la commission des lois, conduit une mission d'information sur la reconnaissance faciale, qui a fait des propositions dans un rapport public. Sur tous ces sujets, où en êtes-vous et comment préparez-vous ces grands événements qui auront lieu dès l'an prochain sur notre territoire ? 

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Merci d'être de nouveau devant nous pour poursuivre cet échange, vous vous y étiez d'ailleurs engagé. Nos deux commissions ont formulé 15 recommandations dans leur rapport du 13 juillet dernier : quelles suites comptez-vous leur donner, pour que les grands événements sportifs se déroulent dans les meilleures conditions ? C'est devenu une préoccupation de nos concitoyens, si l'on en croit les études à ce sujet.

Notre préoccupation concerne également les manifestations culturelles puisque des incidents se sont produits début septembre au stade de France à l'occasion d'un concert du rappeur Booba, qui a donné lieu à des intrusions de personnes sans billets, preuve que la situation demeure encore aujourd'hui problématique.

M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer. - Merci pour votre invitation, je vous présenterai dans leurs grandes lignes les moyens que le ministère de l'intérieur va mettre en place pour organiser ces événements.

C'est le Premier ministre Manuel Valls, en 2016, qui a désigné le ministre de l'intérieur comme unique responsable de la sécurité des JO de Paris : cette responsabilité me revient donc. Nous répondons à quatre menaces : terroriste, d'ordre public, cyber - il y a eu pas moins de 4 milliards d'attaques cyber pendant les JO de Tokyo - et menace « délinquante », que nous qualifions comme telle en nous inspirant de ce qui s'est passé lors de la dernière finale de la ligue des champions au Stade de France.

Nous consacrons à la sécurité des Jeux un ensemble de 15 milliards d'euros. Les moyens supplémentaires, outre ceux de la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi), sont inscrits dans le budget pour 2023 que vous examinerez très prochainement. Nous y avons prévu une augmentation très forte de la présence des forces de l'ordre sur la voie publique, gendarmes mobiles et CRS, un renforcement des moyens technologiques, avec par exemple 200 millions d'euros dans cette loi de finances pour refaire les salles de commandement concernées, ainsi que celle, centrale, du ministère de l'intérieur. Nous demandons également des moyens supplémentaires de vidéo-protection, et de lutte anti-drones - je précise que je partage avec le ministère des armées la responsabilité de cette lutte contre les drones, afin de prévenir des attentats avec des drones armés qui attaqueraient la foule.

La coupe de monde de rugby, l'an prochain, sera une répétition générale des Jeux, avec la mobilisation, en moyenne, de 7 000 forces de l'ordre par jour, c'est beaucoup. Pendant les JO, nous recevrons 10 500 athlètes venus de 206 nations, y compris de nations qui font particulièrement l'objet de menaces, comme Israël et les États-Unis, nous devrons assurer la protection de 40 sites de compétition, dont la moitié en Ile-de-France et 7 en hyper centre de Paris, il y aura 6 000 journalistes présents sur notre sol, venus du monde entier, 10 millions de spectateurs, et 4 milliards de téléspectateurs ; 22 villes accueilleront des épreuves jusqu'en Polynésie française, ce qui nous oblige à une projection des forces. 13 millions de billets seront vendus à partir de février 2023, sachant que ce n'est pas le ministère de l'intérieur qui est responsable de la billetterie elle-même, mais le comité d'organisation des JO.

Les Jeux paralympliques, eux, accueilleront 4 400 athlètes et auront, eux aussi, une cérémonie d'ouverture, qui devrait se dérouler place de la Concorde, au moment même où Paris retrouvera son activité d'après les Jeux olympiques.

Nous devons faire également face à des menaces qui pouvaient hier faire sourire mais que nous prenons désormais très au sérieux, depuis la guerre en Ukraine, je veux parler de la menace nucléaire, biologique ou chimique.

Nous allons mobiliser plus de 30 000 policiers et gendarmes par jour sur tout un mois, cela implique un très grand travail de préparation. Je consacre deux réunions par semaine à ce sujet, je préside le comité ad hoc de mes directeurs, je réunis les préfets et les élus concernés - en tout, je consacre un bon tiers de mon temps de ministre aux Jeux, un défi que notre pays n'a pas connu à cette échelle. En Ile-de-France, il y aura entre 12 000 et 45 000 forces de l'ordre par jour, avec en point d'orgue la cérémonie d'ouverture, qui se déroulera, pour la première fois de l'histoire des Jeux, hors d'un stade, au bord et sur la Seine avec environ 600 000 spectateurs. Nous élaborons des scénarios de sécurité sur un territoire large, sur l'hinterland des Jeux en quelque sorte : dans les transports en commun, nous aurons par exemple 700 patrouilles qui circuleront simultanément, c'est du jamais vu dans notre pays.

Comment parviendrons-nous à mobiliser de telles forces de l'ordre, sachant que l'effectif global, avant l'application de la Lopmi, est de 250 000 policiers et gendarmes, y compris ceux qui sont en formation, en congés, en arrêt-maladie - donc une base de 140 000 à 150 000 agents sachant que la vie va continuer, qu'il y aura des besoins partout, ne serait-ce que pour la sécurité des quelque 3 000 écrans olympiques qu'on annonce, et qu'il faudra donc conserver une marge de forces disponibles.

Pour y parvenir, j'ai décidé de mettre fin, le temps des Jeux, à la distinction entre zone de police et zone de gendarmerie - la compétence est réglementaire et cette distinction est en réalité déjà effacée par exemple lorsque des gendarmes mobiles interviennent dans des manifestations qui se déroulent en zone de police. Nous devons utiliser toutes les ressources là où l'on a besoin d'elles et il est plus efficace de disposer d'un ensemble sans cette distinction de zones ; nous raisonnerons par mission : des gendarmes, par exemple, pourraient être responsables de la sécurité de la gare de Saint-Denis, tandis que la police serait responsable de la sécurité dans le centre-ville et autour du Stade de France : nous serons alors dans cette logique de responsabilité, avec un chef, un résultat. La suspension des zones de police et de gendarmerie permettra aussi, par exemple, que des policiers en région qui se trouveront envoyés sur un site olympique, pourront être temporairement remplacés par des gendarmes de territoires voisins : on peut imaginer que des communes en zone de police soient couvertes par la gendarmerie le temps des compétitions.

J'ai demandé aux préfets pour la fin de ce mois une première proposition de sécurisation de tous les lieux concernés par les Jeux, y compris les lieux d'entrainement, les fan zones et les zones sensibles. Nous allons établir une première carte pour répartir ces moyens et identifier très précisément les missions, leurs responsables et leurs moyens, en précisant bien ce qui relève des événements en particulier et de la gestion du reste de la sécurité publique. Cela pose évidemment des problèmes pratiques d'hébergement, de restauration, qu'il nous faudra gérer.

Ensuite, nous allons utiliser les réserves des écoles de police et de gendarmerie : cela représente 7 000 effectifs qui auront fait huit mois de formation, ce qui correspond au format d'avant la réforme - ils n'auront pas les quatre mois de qualification d'OPJ mais cela ne sera pas nécessaire aux tâches qu'on leur confiera. De même, nous portons à 8 500 le nombre des réservistes : la gendarmerie a déjà les réseaux pour cette extension et, dans la police nationale, la réserve est une nouveauté que je vous remercie d'avoir votée - et nous commençons à mettre en place cette réserve de policiers citoyens.

Pour mobiliser les forces de l'ordre nécessaires, je demande aussi l'annulation ou le report tous les grands événements qui sont prévus aux mêmes dates que les Jeux, comme les grands festivals culturels, sportifs, les grands concerts, les grandes braderies comme celle de Lille - nous avons commencé ce travail avec les élus, il ne s'agit pas de reporter tous les événements, mais suffisamment pour disposer des forces de l'ordre nécessaires aux Jeux. J'ai décidé également de supprimer en 2024 la mission des CRS de plages - une mission que j'ai maintenue mais qu'il sera impossible d'honorer quand, dans l'idéal, il faudrait distribuer 300 unités de forces mobiles en simultané, ce qui n'est guère dans nos moyens...

Autre mesure : j'ai déjà annoncé aux forces de l'ordre que, sauf exception, il n'y aurait pas de congés de juin à août 2024 ; cela vaut pour toute la hiérarchie, y compris l'état-major puisque le chef montre l'exemple : les congés seront décalés, j'ai demandé à toutes les directions du ministère d'appliquer cette consigne.

Enfin, nous en reparlerons, nous avons besoin de quelque 25 000 agents de sécurité privée.

La cérémonie d'ouverture, le 26 juillet 2024, représente le défi majeur. Il y aura les 100 000 spectateurs des quais « bas », qui auront payé, souvent très cher, leur billet pour assister à cette cérémonie en bord de Seine, avec toutes les « facilities » accompagnant ce genre d'événements afin d'en faire une « expérience client » mémorable, qu'organisent ceux qui en ont la charge ; et il y aura, sur les quais « hauts », dans la rue, environ 500 000 personnes qui viendront pour voir ce qui se passe. Le contenu précis de l'événement n'est pas encore fixé, il se déroulera apparemment sur des barges qui vogueront sur la Seine, il pourrait y avoir un grand feu d'artifice au pied de la tour Eiffel, des concerts, des fans zones le long du parcours... J'attends des retours du comité d'organisation et de la ville de Paris, ma tâche n'est pas des plus faciles puisqu'on me demande de protéger des événements qui ne sont pas encore définis précisément - le tout à Paris mais pas seulement.

Nous attendons donc, ce 24 juillet 2024, environ 600 000 personnes en hyper-centre de Paris, dans des conditions très particulières et qui poseraient d'énormes problèmes d'ordre public si les choses se passaient mal - vous connaissez la configuration des lieux, avec des ponts, des passerelles, des quais, des îles à sécuriser mais qui sont habitées et qui donc continuent à vivre avec leurs problèmes du quotidien, il y aura aussi la tribune officielle devant la tour Eiffel avec des chefs d'État et de gouvernements venus du monde entier...

Tout ceci est un très grand défi, nous y travaillons déjà beaucoup avec le préfet de police de Paris et la ville de Paris. Il y aura, ce jour-là, 35 000 agents des forces de l'ordre dans la capitale, nous souhaitons la mise en place d'une billetterie gratuite, car nous sommes en réalité dans une situation d'établissement recevant du public mais à ciel ouvert, la billetterie nous permettra de répartir le public par zones, donc de mieux le sécuriser, sachant qu'on ne pourra accéder aux quais « bas » qu'en passant par les quais « hauts » - et nous devrons faire tout ceci en quelques heures, en maintenant les conditions de la sécurité civile parce qu'il ne fait aucun doute que des gens feront des malaises, qu'il y aura des malades à évacuer, qu'il pourra y avoir, dans toute cette zone, des problèmes d'ordre public et qu'il faudra, qui plus est, comprendre et se faire comprendre d'un public pas toujours francophone... 

Nous mobiliserons également 3 000 agents de sécurité privée. Vous savez que ces agents ne sont pas assez nombreux et que nous avons renforcé l'exigence des critères de recrutement, dans le sens de la sécurité. Nous associons les polices municipales et je salue à ce titre l'engagement de la ville de Paris à recruter 3 000 policiers municipaux supplémentaires en 2024. Ces moyens nous aideront mécaniquement, car les missions que ces agents rempliront dans le cadre de la répartition que nous aurons décidée, les forces de l'ordre n'auront pas à s'y consacrer et seront disponibles pour leurs propres tâches. J'entends dire parfois qu'il n'y aurait qu'à mobiliser l'armée, mais ce n'est pas le travail de l'armée que d'assurer l'ordre public, car ce n'est pas son métier.

La lutte anti drones est placée sous l'autorité du ministre de la défense et du gouverneur militaire de Paris, et il nous revient, au ministère de l'intérieur, d'analyser la vulnérabilité des sites. Nous nous réunissons à ce propos avec le ministère des armées.

Nous voulons également le « zéro délinquance » sur les lieux d'accueil des Jeux. Pour le préparer, j'ai demandé que dans chaque préfecture concernée, des opérations anti-délinquance soient conduites d'ores et déjà pour démanteler la délinquance des sites que l'on connait, sur les sites mêmes d'accueil et sur leur hinterland, ce qui revient en réalité à couvrir l'intégralité de la Seine-Saint-Denis par exemple. Nous prévoyons 5 500 opérations à partir de la semaine prochaine, dont 3 500 en Ile-de-France ; il s'agit véritablement de harceler la délinquance, de lutter par exemple contre ce qu'on appelle les vols d'appropriation, ceci par tous les moyens, y compris la police administrative - laquelle prend du temps, j'ai demandé qu'on veille aux délais mais aussi qu'on utilise les moyens dont nous disposons en matière de contrôle vétérinaire, de contrôle financier et social, nous demandons aux maires d'user de leurs pouvoirs de police notamment en matière d'urbanisme et de voierie. Nous avons devant nous dix-huit mois pour faire ce travail de harcèlement et de nettoyage - et ce sera un héritage des JO, nous aurons été au rendez-vous si, après les Jeux, la délinquance a baissé sur tous ces territoires. 

Nous renforçons nos moyens de vidéo-protection. La ville de Paris a demandé à l'État d'augmenter le nombre de caméras, nous allons ajouter au minimum 400 caméras dans la capitale et nous en ajouterons également au moins 500 dans les communes limitrophes, j'ai prévu des moyens pour le faire. Je fais remarquer que si j'ai la main pour le faire à Paris, la compétence étant étatique, je ne peux guère décider à la place des maires dans les autres villes, à qui le législateur a confié cette compétence - je peux dire que les échanges que j'ai avec certains maires ne garantissent pas une avancée sur ce dossier, alors que nous parlons de sécurité des Jeux, je soumets cette remarque à votre sagacité. 

Nous devons aider l'embauche par les sociétés de sécurité privée, elles ont accepté d'augmenter les rémunérations, cela va dans le bon sens. Les services de l'État sont mobilisés, Pôle emploi est mobilisé, l'État paie la formation des agents, c'est largement dérogatoire et c'est un levier important pour aider à l'embauche.

La lutte contre le terrorisme est évidemment prioritaire, nous sommes face à une menace très, très élevée, car un terroriste ne peut rêver meilleure audience que 4 milliards de téléspectateurs. Un acte terroriste peut être commis par un commando armé venu de l'étranger, aussi bien que par une personne déjà présente sur notre territoire, connue ou inconnue de nos services - je signale que 90 % des personnes impliquées dans un acte terroriste ces dernières années n'étaient pas connues de nos services. J'ai demandé à la DGSI de mobiliser tous ses agents sur le suivi des personnes que nous connaissons, qu'elles relèvent de la mouvance islamiste, de l'ultradroite ou de l'ultragauche, nous allons utiliser tous les outils à notre disposition, qu'ils soient judiciaires ou de renseignement. Nous avons besoin de moyens supplémentaires de détection et d'exploitation, nous en parlerons en loi de finances. Nous travaillons avec tous les services de renseignements, j'ai demandé que la DGSI élabore une doctrine spécifique pour ce type d'événements.

Le défi des Jeux est donc très important. Nous avons retenu les 15 propositions du rapport que vos deux commissions ont rédigé, à l'exception de celle consistant à faire du délégué interministériel aux grands événements sportifs (Diges) le responsable opérationnel de l'organisation des grands événements sportifs internationaux et de lui reconnaître un rôle de coordination des différentes autorités concernées - nous en reparlerons dans le débat sur le projet de loi que le Gouvernement présentera en préparation des Jeux.

J'attire votre attention sur la spécificité du football au regard de l'ordre public. Nous avons dû mobiliser récemment à Versailles trois unités mobiles pour un match de Nationale 2 ; pour avoir été, il y a quinze ans, arbitre de ce type de match, je sais que la violence actuelle est d'une tout autre dimension que celle que nous connaissions avant. Les instances du football y réfléchissent, nous examinerons leurs propositions. Je le dis aussi pour signaler que les événements liés aux Jeux ne relèvent pas de ce registre très particulier au football.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - L'ex-préfet de police de Paris Didier Lallement, qui vient de faire publier un livre, estimait dans une interview du mois de juillet que « les JO se préparaient comme une finale au Stade de France », ce qui a de quoi inquiéter... Est-ce que la chaine de commandement a été précisée, en particulier les relations entre le préfet de police de Paris et les directions générales du ministère de l'Intérieur ? 

M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer. - Il m'est agréable de vous entendre citer les grands auteurs, et l'ancien préfet de police a raison d'attirer l'attention sur ce fait : dans le no man's land qu'est l'organisation d'un tel événement mondial, tout le monde se tourne vers l'État. Cependant, il n'y a pas d'incertitude sur la chaine de responsabilité puisque le Premier ministre Manuel Valls, en 2016, a clairement confié la responsabilité au ministre de l'intérieur : je suis le « coordinateur suprême », c'est l'expression employée, en matière de sécurité, on sait donc qui est le responsable pour la sécurité. Ensuite, il y a les questions qui touchent à l'organisation de l'événement, et là, c'est le comité olympique qui est le responsable, mais on ne parle pas alors de sécurité. La billetterie m'intéresse, par exemple, parce qu'elle a des effets sur les conditions de sécurité, mais elle n'est pas de ma compétence.

La question se pose, cependant, de savoir qui est responsable de l'ensemble des zones de la cérémonie d'ouverture. Pour ce qui est des quais « bas », la responsabilité est claire, mais pour les quais « hauts », il y a débat : faut-il traiter ces lieux comme un établissement recevant du public (ERP) à ciel ouvert, avec désignation d'un responsable, ou bien considère-t-on que ces espaces relèvent par nature de l'autorité de l'État ? Je plaide pour l'instauration d'une billetterie gratuite et que l'État soit clairement désigné comme responsable de l'ordre public, donc également de l'organisation de ces espaces publics. Nous sommes en discussion avec la ville de Paris et je ne doute pas que nous parvenions à formaliser les choses avant la fin de l'année. J'y tiens véritablement, parce que si cela se passe mal, tout le monde dira que c'est la faute de l'État, et si j'assume les actes dont je suis responsable, je trouve qu'il n'y a rien de pire que de se faire reprocher une chose dont on n'est pas responsable... Nous avançons et je solliciterai un rendez-vous avec la maire de Paris dès que j'aurai l'ensemble des éléments que j'ai demandés à mes services.

M. Loïc Hervé. - Quelle sera l'articulation des forces armées avec les forces de l'ordre et qu'adviendra-t-il de l'opération Sentinelle ? À quelles missions d'ordre public envisagez-vous possible d'associer les forces armées ?

M. David Assouline. - Nos travaux sur les incidents du Stade de France ont montré qu'il y a eu un problème de coordination et de chaine de responsabilités ; nous vous interrogeons désormais en amont des événements, vous nous répondez que tout n'est pas tranché dans le partage des attributions, mais peut-on y voir plus clair sur la décision : y a-t-il bien une personne qui décide et est responsable de l'ordre public ?

Ensuite, nous avions discuté de la doctrine du maintien de l'ordre quand des incidents se produisent alors qu'il y a une foule de gens qui ne sont pour rien dans les incidents : travaillez-vous sur ce point de doctrine au vu de ce qui s'est passé au Stade de France, et dans quelle direction ?

Vous nous dites aussi vous attendre à ce que 600 000 personnes assistent à la cérémonie d'ouverture des JO à Paris, c'est le chiffre qu'on m'avait donné aussi lorsque j'avais posé la question. Pour l'enterrement de la reine d'Angleterre, les autorités s'attendaient aussi à une foule nombreuse : il y a eu 1,2 million de personnes dans les rues de Londres... On voit que les foules peuvent être très nombreuses - d'où l'importance d'être précis dans les prévisions : sur quelles données vous fondez-vous pour prévoir 600 000 personnes à Paris lors de la cérémonie d'ouverture ? Comment prévoyez-vous de vous adapter si la foule est plus nombreuse ?

Enfin, nous savons tous que la succession de jours de travail pour les forces de l'ordre sur des périodes ininterrompues crée une fatigue certaine, voire excessive, nous l'avons vu avec la crise des gilets jaunes : que prévoyez-vous pour cet aspect de la mobilisation des forces de l'ordre ?

Mme Brigitte Lherbier. - Les transports en commun sont un élément très important pour le bon déroulement des JO qui seront une vitrine pour notre pays. Comment les choses se préparent-elles par exemple à la gare du Nord, à Paris, où la surcharge est déjà patente et où les retards fréquents dans le trafic occasionnent des flux de personnes déjà difficiles à gérer ? Les problèmes vont empirer avec l'arrivée massive de public des JO par cette gare : le ministre des transports prépare-t-il déjà les choses ? Vous concertez-vous ?

M. Claude Kern. - Nous attendons la loi sur les Jeux olympiques et paralympiques. La violence dans les stades est devenue une préoccupation constante, les outils de reconnaissance faciale sont un outil ; l'ambassadeur du Japon nous a expliqué comment son pays a déployé cet outil et il nous a conseillé de le faire pour les JO : la France est-elle prête à déployer des techniques qui ont fait leurs preuves au Japon ?

La Cour des comptes, ensuite, a pointé la fragilité structurelle de l'organisation de la sécurité privée, s'inquiétant des conséquences pour les JOP : comment, dans ces conditions, recruter les quelque 25 000 agents de sécurité privée dont les Jeux ont besoin ? 

Enfin, la sécurisation de la billetterie étant devenue un enjeu important, quelle suite pensez-vous devoir donner à la recommandation du délégué interministériel aux Jeux, de se tourner vers des solutions techniques s'appuyant sur la blockchain, un domaine où nous avons des champions français ? 

M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer. - Quelles missions confier à l'armée et quelle articulation avec les forces de l'ordre ? Je ne suis pas favorable à ce que l'armée fasse le travail des policiers et des gendarmes, les métiers sont différents. La surveillance aérienne, en particulier contre les drones, la présence dans les aéroports, l'opération Sentinelle également, constituent déjà un programme de travail conséquent. C'est la première fois que nous aurons une couverture anti-drones sur un territoire aussi grand - pour le moment, seul l'Élysée et mon ministère Place Beauveau en bénéficient... -, nous découvrons les outils d'interception, avec en particulier la question difficile des drones armées de bombes... Nous discutons aussi avec le ministère de la défense pour voir si certaines tâches pourraient être confiées à l'armée, par exemple la garde des barges qui seront utilisées pour la cérémonie d'ouverture - mais rien n'est encore arbitré. 

Qui décide de quoi ? Je suis responsable de la sécurité en dehors des lieux de compétition, et la sécurité à Paris est entre les seules mains du préfet de police, elle ne relève donc pas du DIJOP. Le projet de loi de préparation des JOP proposera aussi que, le temps des JOP, le préfet de police de Paris ait également entre ses mains la sécurité de l'ensemble de la grande couronne parisienne, y compris celle des ports et aéroports - c'est plus cohérent et j'encourage la SNCF et la RATP à se regrouper également. Une disposition écrite me parait nécessaire en particulier pour gérer la sécurité sur les sites des Jeux. Et quand je demande à être responsable de la sécurité, je demande également, par voie de conséquence, à avoir le dernier mot sur la disposition des équipements, sur les circulations qui seront organisées, en particulier le jour de la cérémonie d'ouverture.

Comment parvient-on à une évaluation de 500 000 personnes sur les quais « hauts » le jour de la cérémonie d'ouverture des Jeux ? C'est le nombre qui paraît correspondre aux espaces disponibles sur ces quais, une fois les équipements installés. C'est déjà considérable et c'est pourquoi je demande une billetterie gratuite, elle nous donnera les moyens d'instaurer des périmètres pour répartir la foule, pour connaitre l'identité des personnes qui viennent, et elle permettra aussi de communiquer avec les gens, pour que chacun sache ce qu'il en est. Pour ce faire, nous avons évidemment besoin de connaître précisément le programme et de statuer sur l'accès par exemple au feu d'artifice de la tour Eiffel et aux concerts qui sont apparemment prévus. Et de telles mesures exorbitantes du droit commun supposent un texte de loi, nous en débattrons dans le projet de loi et j'en parle d'ores et déjà avec la maire de Paris.

Les chiffres que je vous ai annoncés sur la présence des forces de l'ordre sont sans équivalent à ce jour : 45 000 policiers et gendarmes sur les 12 kilomètres de la cérémonie d'ouverture, c'est 3 750 par kilomètre, soit près de 4 tous les cent mètres : du jamais vu ! Cependant, ces chiffres sont par deux vacations, il y a donc une rotation. Cette présence inédite pose d'ailleurs de redoutables problèmes logistiques, puisqu'il faut loger, nourrir, acheminer ces forces, dans un contexte francilien déjà surchargé...

La comparaison avec les incidents au stade de France est limitée, même si nous en tirons les enseignements, parce que, sans refaire le débat approfondi que nous avons eu sur ces incidents, vous savez qu'ils tiennent à ce que des policiers présents dans le public, face à une délinquance sur des personnes, sont allés tenter de tenir des grilles et qu'il y a eu de la délinquance d'appropriation - et qu'on a dû alors, faute d'effectifs suffisants, changer de stratégie sans coordination. J'observe que les incidents lors du concert du rappeur Booba, il n'y a pas eu une telle délinquance et que l'origine des troubles tient à la billetterie...

Sur la situation de la gare du nord, il faut bien comprendre que, si je respecte pleinement les compétences de la maire de Paris, la situation de la capitale est particulière, en vertu de quoi le législateur a confié des compétences de voierie aussi à l'État. Et lorsque nous avons contesté le projet de piétonisation des alentours de cette gare, le tribunal administratif nous a donné raison - c'est heureux parce que, sans me prononcer en opportunité, je sais que tel ou tel projet de piétonisation a des conséquences sur les circulations dans la capitale, donc aussi sur l'accès des forces de sécurité et de secours. Quoi qu'il en soit, mon collègue Clément Beaune réunit régulièrement un comité de pilotage « transports » pour les Jeux olympiques et paralympiques, pour avancer sur cet enjeu très important.

La reconnaissance faciale a peut-être d'autant mieux fonctionné au Japon, qu'il n'y a quasiment pas eu de spectateurs aux JOP de Tokyo, c'est un facteur important pour l'organisation... Je constate que le Qatar, pour le Mondial de football, met en place un tel outil. Je constate aussi que, dans le dossier de candidature aux Jeux, la ville de Paris a annoncé des outils technologiques que le Parlement n'autorise pas aujourd'hui. Je me suis déjà exprimé sur ce point : je ne suis pas pour la reconnaissance faciale, un outil qui relève d'un choix de société et qui comporte une part de risque - car je crois que nous n'avons pas les moyens de garantir que cet outil ne sera pas utilisé contre les citoyens sous un autre régime. En revanche, je plaide pour le renforcement de la vidéo-protection dite intelligente, qui permet de cibler non pas tel ou tel individu, mais des personnes répondant à tel signalement, ou encore des catégories de gestes, comme la dégradation de biens publics - et j'ai demandé à la Première ministre d'arbitrer dans ce sens le projet de loi préparant aux Jeux.

Je ne peux guère répondre sur la billetterie, car elle n'est pas de ma responsabilité - les solutions recourant à la blockchain paraissent intéressantes, mais elles ne sont pas de mon ressort, je me contente d'examiner les risques de troubles à l'ordre public liés à la billetterie.

Enfin, la sécurité privée recrute beaucoup et doit encore beaucoup recruter. Ce sont de beaux métiers, qui ont été revalorisés, et la capacité de recrutement dépend aussi de l'appel d'offre de l'organisateur - ce n'est donc, ici encore, pas l'État qui a la main. 

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Je signale que la commission de la culture a lancé une mission d'information sur les Jeux Olympiques et Paralympiques, qu'elle a confiée à Claude Kern et David Assouline.

M. Michel Savin. - Le ministère de l'Intérieur est-il en mesure d'évaluer l'honorabilité des quelque 45 000 volontaires qui vont être recrutés par le comité d'organisation des JOP, pour assumer des fonctions notamment hors les stades ?

Ensuite, dès lors que des gendarmes seront délocalisés l'été des JOP, ne risque-t-on pas des sous-effectifs sur une bonne partie du territoire ?

Mme Laurence Harribey. - Les sociétés privées de sécurité font des efforts, mais comment évaluez-vous leur crédibilité - est-on sûr d'éviter le fiasco qui s'est produit pour les JOP de Londres en 2012, où le faux bond de la principale société concernée a obligé à recourir à l'armée ?

Sur les responsabilités concernant l'ordre public dans les stades, ensuite : comment les choses se passeront-elles en cas de débordements dans les enceintes sportives ? Ne risque-t-on pas de reporter la responsabilité sur les stadiers ?

M. Jean-Jacques Lozach. - On n'a guère parlé du parcours de la flamme olympique. La Cour des comptes suggère d'en confier la surveillance à la gendarmerie nationale, qui a l'habitude du Tour de France : qu'en pensez-vous ?

Où en est, ensuite, le projet de centre de formation et d'entrainement au maintien de l'ordre, prévu à Villeneuve-Saint-Georges ? 

Quid du recours à l'intelligence artificielle ? Vous nous dites qu'il serait discuté dans loi relative aux JOP, alors que le Président de la République y semblait opposé : la question n'est-elle donc pas tranchée ?

Enfin, un accord de coopération bilatérale avec le Qatar, prévoit l'envoi de 230 agents de police français dans ce pays pour le Mondial de football cette année ; or, l'annexe financière n'est pas publiée : le sera-t-elle, et à quelle échéance ? Cette coopération aura-t-elle un coût pour nos finances publiques ?

M. Hussein Bourgi. - Une coopération est-elle envisagée avec les pays d'où viendront les supporters - en particulier avec nos voisins européens ?

M. Thomas Dossus. - La vidéo de surveillance dite intelligente que vous voulez utiliser, fonctionne au moyen d'algorithmes qu'il faudra tester : pensez-vous le faire en amont de la loi ? Ou bien, pensez-vous vous référer aux algorithmes figurant dans l'appel à projet de l'Agence nationale de la recherche (ANR) de 2019 sur la gestion des foules ? Et en utilisant ces algorithmes, ne se met-on pas à la merci de cyberattaques ?

Où en est-on, ensuite, dans l'enquête sur les deux agents des forces de l'ordre qui ont fait un usage disproportionné de gaz lacrymogène au Stade de France ? Combien de plaintes ont-elles été déposées en Grande-Bretagne et où en sont-elles ?

Dans quelle mesure, enfin, les agents des forces de l'ordre seront-ils formés en anglais lors des JOP ?

Mme Céline Boulay-Espéronnier. - Il y a plus de 4 000 caméras de vidéo-surveillance à Paris, vous comptez en ajouter 400 pour les JO : ce n'est pas énorme, d'autant qu'elles sont généralement concentrées dans le centre, plutôt que dans les quartiers périphériques pourtant souvent plus criminogènes. Ces caméras supplémentaires seront-elles pérennes, comme le demandent les élus parisiens ?

Que prévoyez-vous, ensuite, pour la circulation des habitants, en particulier ceux de l'île Saint-Louis et de l'île de la Cité ?

Enfin, quand le cahier des charges de la cérémonie d'ouverture sera-t-il connu ?

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Vous comptez que la Ville de Paris recrute 3 000 policiers municipaux, alors qu'elle a le plus grand mal à recruter, d'autant qu'elle a décidé de ne pas armer ses policiers : est-ce crédible ?

Dans le Val d'Oise, nous allons accueillir la délégation olympique américaine : que prévoyez-vous de mettre en place pour sa sécurité, sachant que ce n'est pas avec les maigres effectifs ordinaires de police que l'on pourra faire face ?

Enfin, vous annoncez un plan « zéro délinquance » : avec quel moyens humains et judiciaires - et pourquoi n'avoir pas commencé à le faire depuis cinq ans ?

M. Cédric Vial. - Des territoires vont se trouver « déshabillés » d'une partie de leurs forces de l'ordre mobilisées par les JOP, et les agents devront ensuite prendre des congés qui leur auront été refusés le temps des Jeux : comment les choses vont-elles s'articuler pour ne pas jouer contre les territoires ?

Les manifestations, les festivals seront interdits, c'est sans précédent : qui va en décider ? Sur quels critères ? Quel en est le calendrier ? Et envisagez-vous des compensations financières ?

M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer. - Les Jeux, nous les avons demandés au nom de tout le monde et ils sont pour tout le monde, il ne s'agit pas d'interdire les autres activités, ni que l'État ait à indemniser pour des activités qui n'auraient pas pu se tenir : ce n'est pas la bonne voie de raisonner de la sorte. Nous demandons à tous de faire un effort pour que les JOP se déroulent dans les meilleures conditions, il ne s'agit pas d'interdire, mais de décaler par exemple le départ du Tour de France, ou encore telle ou telle grande braderie - si les maires ne veulent pas décaler, nous verrons ce qu'il en sera, mais mon rôle de ministre de l'intérieur, c'est d'appeler à coopérer parce que nous n'avons pas les moyens de mettre des forces de l'ordre partout. Ensuite, chacun fait ce qu'il peut, on gagne ensemble, ou on perd ensemble, il n'y a pas d'obligation ni d'interdiction. 

Sur les effectifs, je me suis peut-être mal exprimé, mais nous créons des postes y compris dans le Val d'Oise - alors qu'ils étaient en baisse partout, y compris, encore, dans le Val d'Oise... où la délinquance ne date pas d'il y a cinq ans ! Nous mettons plus de moyens d'investigation, plus d'OPJ, nous changeons les cycles horaires pour plus de présence sur la voie publique, nous formons une réserve de la police nationale et la Lopmi nous a permis, grâce à vous, d'augmenter les effectifs de 3 000 par an, alors qu'il n'y avait eu que 1 500 postes sur les cinq années qui ont précédé notre arrivée aux responsabilités : je vous laisse juge d'évaluer ces chiffres ! Je sais pouvoir compter sur les forces de l'ordre, nous lisserons les congés, cela ne sera pas la première fois - je dois encore 5 semaines de congés payés aux CRS, cela n'empêche pas qu'elles continuent de répondre présent, chacun sait ce qu'il fait.

Sur la répartition des forces, ensuite, l'idée n'est pas d'envoyer à Paris les gendarmes des brigades territoriales, mais de faire une redistribution de proximité pour dégager des forces de police qui sont elles aussi à proximité. Nous aurons, qui plus est, créé 3 000 postes supplémentaires de brigades territoriales, il n'y aura donc pas de sous-effectifs l'été 2024 et les missions seront maintenues, à l'exception des CRS de plages, c'est un choix.

Est-ce que je peux assurer l'honorabilité des 45 000 volontaires qui participeront à l'effort de sécurisation des Jeux ? C'était l'un de mes objectifs dans la réforme du conseil national des activités privées de sécurité (Cnaps), qui contrôle désormais toute personne travaillant pour la sécurité - et, en l'occurrence, nous allons « passer au fichier » tous les volontaires pour nous assurer de leur honorabilité. Nos efforts vont de pair avec la professionnalisation de la sécurité privée, qui a vu s'accroitre considérablement les critères auxquels les agents doivent répondre. Du reste, il ne faut pas oublier que c'est un agent de sécurité privée qui a empêché un terroriste armé d'entrer dans le stade de France le 13 novembre 2015, et qu'il l'a payé de sa vie...

Sur les moyens de vidéo-protection, je m'inspire du rapport sénatorial que vous avez cité, qui nous incite à prendre des mesures. Je le répète : nous ne proposons pas d'utiliser la reconnaissance faciale, mais d'utiliser de l'intelligence artificielle en vidéo. Le Conseil d'État demande qu'on mette à jour nos règles avec le règlement général sur la protection des données (RGPD), des communes utilisent aujourd'hui des outils de vidéo en plein vide juridique, nous allons mettre les choses au clair. Ce que nous demandons pour les Jeux, c'est de pouvoir utiliser de l'intelligence artificielle dans l'exploitation des vidéos, par exemple pour retrouver des gestes correspondant à de la casse.

Oui, les caméras installées pour les Jeux seront pérennes, nous en prévoyons 400 pour Paris, c'est déjà bien et nous discutons sur les lieux d'implantation. La capitale en compte déjà 4 171, à quoi s'ajoutent les 3 500 caméras installées par nos partenaires, en particulier la RATP. Je demanderai que le préfet de police présente le plan d'installation aux élus, nous n'avons pas de problème de principe avec la maire de Paris et, s'il faut davantage de caméras, nous en installerons davantage.

La police municipale de Paris n'est pas armée, c'est un choix municipal - de notre côté, nous pouvons nous féliciter d'avoir décidé de doter la ville de Paris d'une police municipale, elle n'en avait pas. Je crois que, pour le recrutement, la comparaison avec les autres communes n'est pas pertinente, parce que la ville de Paris recourt bien davantage à la promotion interne - et, soit dit en passant et par un mouvement dont seule l'histoire a le secret, elle a nommé Jacques Toubon comme déontologue de la police municipale, ce qui ne doit pas manquer de plaire à l'opposition municipale... 

L'envoi de quelque 200 gendarmes pour le Mondial de football au Qatar ne coûte rien à la France, ils se rendent sur place surtout pour aider les Français, en particulier notre équipe nationale. De même, nous accueillerons des policiers du monde entier pour les Jeux.

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - À quelle date prévoyez-vous le projet de loi sur les JOP ?

M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer. - N'étant pas responsable de ce texte à titre principal, ni maître de l'agenda parlementaire, je ne saurais vous faire d'autre réponse que celle-ci : dans un certain temps...

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Nous vous remercions.

Le compte rendu de cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 15.

Projet de loi de finances pour 2023 - Audition de Mme Rima Abdul Malak, ministre de la culture

La réunion est ouverte à 18 h 15.

M. Laurent Lafon, président. - Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui Mme Rima Abdul Malak, ministre de la culture, pour la traditionnelle audition budgétaire d'automne.

Madame la ministre, votre été a certainement été très chargé, tant les défis que traverse le monde de la culture sont nombreux. Comme vous le savez, notre commission a toujours su nouer des relations de travail particulièrement productives avec vos prédécesseurs, et vos premiers pas en juin me paraissent s'inscrire dans cette atmosphère confiante, mais respectueuse de nos singularités et de nos rôles respectifs.

Je le redis donc, vous nous trouverez toujours à vos côtés pour avancer sur les sujets qui nous tiennent à coeur - et ils sont nombreux. Vous pouvez aussi compter sur nous pour vous alerter sur certaines problématiques, comme l'ont montré, je crois, les travaux de contrôle réalisés par nos rapporteurs au cours des mois écoulés.

Revenons-en aux multiples défis du monde de la culture et aux politiques engagées par votre ministère pour y répondre.

L'irrigation territoriale constitue l'un des axes forts de votre budget, que ce soit en matière de patrimoine ou de création. Le rapport de nos collègues Anne Ventalon et Pierre Ouzoulias sur le patrimoine religieux a mis en évidence les besoins importants des collectivités pour entretenir et restaurer ce patrimoine. Au-delà d'aides financières, elles attendent également de l'État un accompagnement technique. Vous nous direz dans quelle mesure le budget pour 2023 permet éventuellement de répondre à ces attentes.

Nous avons noté avec satisfaction la création d'un fonds d'innovation territoriale, très largement inspiré des propositions de Sonia de La Provôté et de Sylvie Robert, dans le cadre de leur rapport sur le plan de relance en matière de création. Elles appelaient de leurs voeux des outils offrant plus de place à la coconstruction avec les collectivités territoriales. Peut-être pourrez-vous nous en dire plus sur le type et le nombre d'actions que ce fonds a vocation à financer, et pour quel montant.

Que ce soit en matière de création ou d'industries culturelles, au sens large, le soutien de l'État a permis à tous les secteurs d'être préservés durant la crise pandémique. Il faut saluer ici l'engagement des pouvoirs publics qui, très rapidement, ont mobilisé des moyens conséquents pour défendre la création, indemniser les cinémas, soutenir la musique et préserver la presse.

Je le dis d'autant plus que ce choix n'a pas été celui de tous les pays, certains ayant littéralement laissé « couler » leur création.

Vous avez en particulier mis en avant la reconquête de notre souveraineté culturelle, avec un milliard d'euros prévus pour les industries culturelles et créatives d'ici 2030, suivant des modalités que vous pourrez peut-être également nous préciser.

Je salue bien entendu ces ambitions, mais je note qu'elles ne répondent pas entièrement aux inquiétudes du moment : je parle bien entendu des conséquences du choc d'inflation actuel, qui plonge les acteurs dans un désarroi assez proche de celui qui était le leur pendant la crise pandémique.

À titre d'exemple, le rapport de Michel Laugier sur la presse quotidienne régionale, publié en juillet dernier, a démontré l'impact sur toute la filière de la hausse des prix du papier, aujourd'hui évaluée à près de 200 millions d'euros, à la charge d'un secteur en crise depuis plus de 10 ans.

Je n'oublie pas les établissements publics, comme la Bibliothèque nationale de France (BnF) ou l'Agence France-Presse (AFP), qui vont devoir composer avec ce contexte inflationniste, ce qui pèsera certainement sur leurs capacités à investir. Je pense aussi à tout notre réseau d'écoles - écoles d'architecture, écoles d'art, conservatoires -, qui sont en grave difficulté pour boucler leurs budgets.

Je veux également enfin mentionner le Centre national de la musique (CNM), auquel nous avons consacré une très riche table ronde la semaine dernière. Vous avez choisi de confier une mission au sénateur Julien Bargeton, ce qui est une reconnaissance de son travail, mais aussi de celui de l'ensemble de la commission sur ce sujet. Pour autant, des interrogations ont été émises sur la capacité du CNM à assurer ses missions en 2023 avec des moyens redevenus modestes.

En un mot, le secteur de la création et nos industries culturelles ont été préservés pendant la crise. Il serait dommage qu'elles succombent faute de soutien aujourd'hui.

S'agissant de l'audiovisuel public, la réforme de la gouvernance de ces entreprises figurait au programme de travail de vos prédécesseurs. Un projet de loi, largement inspiré des travaux de notre commission, a été abandonné en cours de route. Faute de réforme de la gouvernance, les mutualisations entre les différentes entreprises sont restées embryonnaires, tandis que la réduction des coûts qui aurait été permise par un regroupement se fait toujours attendre.

Un rapport rédigé au printemps par notre collègue Jean-Raymond Hugonet et notre collègue de la commission des finances Roger Karoutchi a réaffirmé la nécessité de reprendre ce processus de rapprochement qui, dans notre esprit, est inséparable de la question de la redéfinition des missions et des moyens.

Il n'est pas étonnant, dans ces conditions, que l'absence d'avancée sur la gouvernance s'accompagne de mesures transitoires sur le financement. Le projet de loi de finances prévoit une hausse d'un peu plus de 3 % des crédits à 3,81 milliards d'euros.

Cette hausse des crédits est inégalement répartie puisqu'elle bénéficie essentiellement à Radio France et France Médias Monde. J'observe que cette hausse des crédits est relative, puisqu'elle vise aussi à compenser les effets de la suppression de la contribution à l'audiovisuel public (CAP) en juillet dernier, qui a eu pour conséquence de soumettre ces entreprises à la taxe sur les salaires, ce qui n'avait pas été explicité lors du débat sur le projet de loi de finances rectificative.

Nous examinerons prochainement les avenants aux contrats d'objectifs et de moyens (COM) des différentes entreprises, qui ont pour objet de préciser la feuille de route telle que définie par l'actionnaire.

Le choix de prolonger les COM d'un an sans définir une véritable vision de long terme, comme les incertitudes qui entourent l'avenir du financement de l'audiovisuel public après 2024, crée un contexte particulier qui nous interpelle.

Alors que l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) doit renouveler les mandats des présidentes de Radio France et de France Médias Monde au début de l'année prochaine, sur la base des projets des candidats, force est de constater qu'une fois de plus ces projets ne pourront prendre en compte la trajectoire financière des entreprises pour les années à venir ni les priorités définies par l'État pour le reste du quinquennat.

Nous avons maintes fois regretté cette gouvernance déficiente de l'audiovisuel public, dont vous n'êtes pas responsable, madame la ministre. C'est la raison pour laquelle nous vous réitérons notre disponibilité pour y apporter des réponses, qui devront être d'autant plus ambitieuses que le temps pour les adopter aura été conséquent.

Madame la ministre, je vais donc vous donner la parole pour un propos liminaire. Nos rapporteurs, puis l'ensemble des sénateurs et des sénatrices qui le souhaiteront, vous interrogeront ensuite sur l'ensemble des crédits budgétaires dont vous avez la maîtrise.

Mme Rima Abdul Malak, ministre de la culture. - Je suis ravie d'être parmi vous ce soir pour parler de ce budget de la culture et des médias, un budget historique et au total en hausse de 7 %, soit 4,2 milliards d'euros pour la partie culture et 3,8 milliards d'euros pour l'audiovisuel public. Nous y reviendrons.

À cela s'ajoutent les taxes et les ressources affectées pour le financement du cinéma, de la musique, du théâtre privé, soit environ 770 millions d'euros. N'oublions pas les crédits d'impôt multiples, qui apportent au total 2 milliards d'euros de soutien à l'ensemble de l'écosystème de la culture. Quant au loto du patrimoine, qui permet d'injecter, en complément de notre budget, 20 millions d'euros par an environ pour soutenir des sites en partie protégés, non classés et non inscrits un peu partout sur le territoire. Ceci représente un total de 11 milliards d'euros dans le périmètre du ministère de la culture en 2023, soit 527 millions d'euros de plus qu'en 2022.

Ce budget nous permet de faire face aux défis du présent et de préparer l'avenir. Il reflète un certain nombre de priorités, pour beaucoup d'entre elles inspirées, comme vous l'avez dit, Monsieur le président, de vos travaux et de nos échanges. C'est en tout cas un budget qui, même si cela ne se voit pas dans toutes les lignes, permet l'irrigation territoriale à tous les niveaux, qu'il s'agisse de patrimoine, de création, de lecture publique, de soutien aux entreprises culturelles, ou de soutien aux radios associatives, qui sont partout sur le territoire. J'insiste particulièrement sur le déploiement territorial de notre action et du budget.

Ce budget prend à bras-le-corps l'enjeu de la transition écologique et le défi de très court terme du choc que représente la hausse des coûts de l'énergie pour les établissements les plus fragiles, les plus impactés, qui sont de réelles passoires thermiques - il en reste malheureusement beaucoup. Ce budget permet de disposer d'une enveloppe d'environ 56 millions d'euros pour soutenir ces établissements.

Je veux insister sur les investissements que nous déployons à plus long terme pour accompagner les acteurs culturels dans leur transition écologique. Notre budget d'investissement s'élèvera à 663 millions d'euros en 2023. 66 millions d'euros d'augmentation vont permettre en priorité de flécher des travaux de rénovation, d'isolation thermique et d'amélioration des performances énergétiques. Un budget supplémentaire également dédié au Centre national de la musique, à hauteur de 900 000 euros, est spécifiquement consacré à la transition écologique de la filière musicale.

Ce budget protège et valorise le patrimoine, avec 1,1 milliard d'euros, soit une hausse de 87 millions d'euros afin de maintenir la dynamique très forte qu'avait permise le plan de relance. Cette somme se répartit entre les cathédrales, leur sécurisation, le fonds incitatif pour le patrimoine, l'archéologie et les fouilles programmées, avec une série de rénovations prioritaires, comme l'abbaye de Clairvaux, la cité de Carcassonne, les tours de La Rochelle, etc.

Ce budget amplifie par ailleurs notre politique d'éducation artistique à l'école, via le pass Culture, qui se déploie au collège dès la 4e. Une partie du budget relève d'ailleurs de l'éducation nationale. Nous sommes à 24 millions d'euros supplémentaires, avec un focus particulier sur la lecture auquel j'ai tenu, un soutien aux bibliothèques, aux livres accessibles pour les personnes en situation de handicap accompagné par la création d'une plateforme dédiée, un soutien aux librairies, à des manifestations littéraires, à la distribution des livres pour pallier les difficultés d'acheminement, notamment outre-mer.

Ce budget tient également ses promesses pour garantir le pluralisme des médias et l'accès à une information fiable, libre, indépendante. Je l'avais dit devant vous, dans l'hémicycle : la suppression de la redevance ne signifie pas la suppression du budget de l'audiovisuel public, loin de là. Nous avons compensé, comme nous l'avions dit, les effets fiscaux à l'euro près, mais aussi intégré une grande part de l'inflation estimée pour 2023 par la Banque de France, soit un total de 114,4 millions d'euros de budget supplémentaires pour l'audiovisuel public, qui atteint ainsi 3,8 milliards d'euros.

Un budget supplémentaire est prévu pour la presse. Nous avons travaillé avec cette filière sur la réforme de la distribution, prioritaire après le rapport Giannesini, afin d'aller vers plus de portage et moins de postage.

Cette réforme est accompagnée à hauteur de 17 millions d'euros. Notre fonds de soutien à l'expression radiophonique locale augmente par ailleurs d'environ 2 millions d'euros afin de soutenir toutes les radios qui oeuvrent sur l'ensemble du territoire.

Ce budget renforce aussi la création française et les métiers d'art. Il porte la voix de la France dans le monde numérique. Il existe, dans le cadre de France 2030, comme le président Lafon l'a indiqué, une prévision de budget d'un milliard d'euros qui va nous permettre de porter des projets de développement d'infrastructures de tournage, de postproduction, de formation des futurs talents créatifs ou techniques. Ceci va également nous permettre de déployer les nouvelles technologies de l'immersif au service de la culture et du lien entre la culture physique et la culture numérique.

C'est ainsi que 48 millions d'euros viennent en soutien à ce que j'ai appelé notre « souveraineté culturelle dans les mondes physique et numérique », avec le dispositif Mondes nouveaux, la création de la Cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts, ainsi qu'un plan dédié aux métiers d'art, qui permettra de donner à ce secteur une ambition nouvelle à partir de 2023.

Ce budget est aussi le reflet des compétences renforcées des 29 000 agents qui travaillent au sein du ministère. Ils font vivre ce ministère au quotidien, notamment en matière de moyens humains destinés au patrimoine et à l'archéologie. Les architectes des Bâtiments de France (ABF) sont tous les jours aux côtés des collectivités.

La masse salariale du ministère augmente de 38,5 millions d'euros, pour s'établir à 532 millions d'euros. Nous avons consacré 11 millions d'euros à la poursuite du plan de rattrapage indemnitaire, notamment en direction des architectes urbanistes de l'État et des conservateurs du patrimoine avec le financement d'une prime pour les enseignants-chercheurs des Écoles nationales supérieures d'architecture, et avons augmenté la rémunération des contractuels.

Grâce à ce budget, nous allons pouvoir poursuivre la réforme indemnitaire des agents de l'Institut national des recherches archéologiques préventives (INRAP).

Nous prenons évidemment en compte la hausse des 3,5 % de la valeur du point d'indice, qui représente environ 14 millions d'euros. Nous pourrons y revenir.

Il est également important de rappeler l'importance de nos établissements d'enseignement supérieur artistique, qui accueillent 37 000 étudiants en formation. Ils constituent la relève de la création artistique. Je pense notamment aux architectes. Nous comptons en effet près de 20 000 étudiants en école d'architecture et avons donc mis l'accent sur ces écoles dans le budget 2023, où les constats se révélaient assez alarmants depuis quelques années. Nous avons prévu d'attribuer plus de bourses et de revaloriser le cadre des enseignants, d'investir pour améliorer la performance énergétique des bâtiments, avec une enveloppe supplémentaire de 13 millions d'euros.

Ce budget nous permet de consolider la résilience, qui a été possible pour notre secteur culturel après la crise sanitaire qui l'a impacté, et de se projeter dans l'avenir pour penser l'innovation, la création et former la jeunesse à devenir le public de demain.

Comme lors de ma dernière audition, je conclurai mon propos liminaire par un extrait d'un poème de Federico García Lorca intitulé Chants nouveaux.

« Le soir a dit : "Je suis altéré d'ombre !".

La lune a dit : "Moi, d'étoiles brillantes".

La source cristalline veut des lèvres

Et des soupirs le vent.

Mais moi, j'ai soif de parfums et de rires,

J'ai soif de chants nouveaux

Sans lune et sans lys

Et sans amours défuntes,

Soif d'un chant matinal

Qui troublerait les eaux dormantes

De l'avenir, emplissant d'espérance

Leurs ondes et leurs fanges. »

Ce chant qui va emplir l'avenir d'espérance, encore et toujours, c'est celui de la culture !

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur pour avis sur les crédits de l'audiovisuel public. - L'audiovisuel public voit ses crédits augmenter de 3 %. Cette hausse ne concerne pas l'ensemble des sociétés de la même façon : les crédits de France Télévisions sont stables à + 1 %, ceux de Radio France et de l'Institut national de l'audiovisuel (INA) augmentent modérément, tandis que ceux d'Arte France et de France Médias Monde connaissent une avancée significative de près de 10 %, ce qui est à souligner.

Quelles raisons expliquent cette distinction opérée entre les entreprises, et comment France Télévisions et l'INA, qui sont parmi les moins favorisés par ce budget, vont-ils faire face à la hausse de l'inflation et à l'assujettissement à la taxe sur les salaires ?

Vous avez par ailleurs choisi de reporter la définition de nouveaux COM à 2024, les avenants aux COM qui nous seront prochainement transmis ne portant que sur l'année 2023. Or l'Arcom devra désigner dès 2023 les présidents de Radio France et de France Médias Monde sur la base du projet stratégique établi par les différents candidats. Comment ces candidats peuvent-ils construire un projet stratégique sans connaître la trajectoire financière pluriannuelle des entreprises qu'ils dirigent ? Comment l'Arcom peut-elle choisir des candidats sur un projet si ce projet est en réalité virtuel ?

N'est-il pas temps, enfin, de réformer la gouvernance des entreprises de l'audiovisuel public, dont on voit une nouvelle fois qu'elle n'est pas cohérente ?

M. Michel Laugier, rapporteur pour avis sur les crédits de la presse. -J'ai publié en juillet un rapport complet, adopté d'ailleurs à l'unanimité par cette commission, sur la presse quotidienne régionale. Il souligne le formidable défi que constitue pour le secteur la hausse des prix du papier. Le projet de loi de finances ne contient cependant aucune mesure spécifique.

Dans le même temps, les 150 millions d'euros que devait coûter sur trois ans le crédit d'impôt premier abonnement, et sur lequel le Gouvernement avait amplement communiqué, a été plus ou moins noyé dans les sables, puis supprimé.

Ne pensez-vous pas qu'il y aurait une justice à réorienter au moins une partie de ces fonds pour aider le secteur à traverser cette crise, même si j'ai vu qu'un amendement a été déposé au sein de la commission de la culture de l'Assemblée nationale ? Je trouve que le montant n'est pas à la hauteur des enjeux, et je crains beaucoup que cet amendement ne survive pas à la navette parlementaire.

Dans mon rapport, je recommandais également de faire évoluer la législation sur CITEO, qui engendre un coût de 22 millions d'euros. Pouvez-vous me dire si la Commission européenne a bien été saisie ou s'il est envisagé de faire sortir la filière papier du régime très contraignant de responsabilité élargie du producteur ? Je rappelle que nous sommes le seul pays européen à avoir fait ce choix.

Comme chaque année, la loi de finances est la triste occasion de constater les difficultés toujours redoutables de la distribution de la presse. Je pense bien entendu à l'opérateur France Messagerie. Ne pensez-vous pas qu'il serait temps de remettre à plat tout le système et de rebâtir un schéma réaliste, qui tiendrait compte de l'attrition inévitable de la vente papier des quotidiens nationaux ?

Enfin, permettez-moi de citer un auteur que vous aimez bien, Khalil Gibran : « Vous êtes bon lorsque vous marchez fermement vers votre but d'un pas intrépide. Pourtant vous n'êtes pas mauvais lorsque vous y allez en boitant. Même ceux qui boitent ne vont pas en arrière ».

M. Julien Bargeton, rapporteur pour avis sur les crédits du livre et des industries culturelles. - La crise du papier pèse beaucoup sur le budget des maisons d'édition indépendantes, qui ne possèdent pas de stock de papier. Comment les aider à faire face à cette hausse ?

Par ailleurs, les librairies indépendantes vont retrouver à peu près les mêmes ventes qu'avant la crise et à peu près la même part de marché, autour de 20 %. Quel bilan peut-on tirer du programme lancé par l'État sur l'aide à la modernisation des librairies et sur d'autres programmes en direction du livre ? Je pense au programme « Jeunes en librairie ».

Enfin, une question au nom de mon groupe : le rapport de la Cour des comptes du 6 octobre sur la cathédrale Notre-Dame de Paris indique que les conditions sont réunies pour rouvrir cet édifice dans les délais impartis, avec un budget maîtrisé. Partagez-vous cette appréciation de la Cour des comptes ?

M. Jérémy Bacchi, rapporteur pour avis sur les crédits du cinéma. - Madame la ministre, une partie de la profession a appelé, le 6 octobre dernier, lors d'un colloque à l'Institut du monde arabe (IMA), à des « Etats généraux du cinéma ». Quel accueil réservez-vous à cette demande et comment expliquez-vous la tonalité, parfois très alarmistes, d'une partie de la presse sur le cinéma, tonalité qui, je le précise, n'est pas unanimement partagée par la profession ?

Par ailleurs, le 4 octobre dernier, le Centre national du cinéma (CNC) a réuni les parties prenantes de la chronologie des médias pour un tour de table sur la dernière version, signée le 24 janvier. À cette occasion, il est apparu que plusieurs acteurs, dont Disney, contestent la chronologie des médias, en particulier concernant l'exclusivité accordée aux chaînes gratuites au bout de 22 mois. Ces chaînes se sont elles-mêmes exprimées sous forme d'une tribune, parue le 28 septembre dans le journal Le Monde, dont je citerai simplement le titre : « Nous sommes responsables de télévisions gratuites. Demandons aux pouvoirs publics de ne pas céder aux diktats des plateformes payantes ». Pensez-vous qu'il soit encore nécessaire de revenir sur cette chronologie ?

Enfin, une étude du CNC, rendue publique à l'occasion du Festival de Cannes, en mai 2022, a essayé de savoir pourquoi les Français vont moins souvent au cinéma. Deux points ont retenu mon attention. Le premier concerne le prix du billet, sachant qu'il est en réalité de 7 euros en moyenne. Le deuxième point touche au manque d'attractivité des films.

Ce deuxième sujet a été très largement débattu, de manière souvent passionnée, avec des propos définitifs, comme ceux du président de Pathé, Jérôme Seydoux, sur France Inter, le 13 octobre dernier : « Les gens ne veulent pas aller au cinéma pour se faire chier » ! On est très loin de la poésie, et je vous prie de m'en excuser. Comment vous situez-vous dans ce débat ?

Mme Sabine Drexler, rapporteur pour avis sur les crédits des patrimoines. - Les réglementations thermiques qui résultent de la loi Climat et résilience nécessitent d'identifier et de rénover les biens énergivores. Ces nouvelles règles, notamment le diagnostic de performance énergétique (DPE), s'avèrent dramatiques pour le patrimoine bâti, qu'il s'agisse de celui qui fait l'objet de protection ou du petit patrimoine de nos régions, comme nos maisons à pans de bois ou en pierres.

En effet, les modalités du DPE ne tiennent aucun compte de la valeur patrimoniale des biens. Les mêmes calculs et les mêmes préconisations s'appliquent aux bâtiments construits entre 1948 et le premier choc pétrolier - qui sont les plus énergivores - et à ceux construits auparavant, notamment les maisons anciennes, qui ont des qualités d'isolation propres, liées à leur orientation, aux matériaux utilisés pour leur construction et surtout à leur inertie, qui leur permet, globalement, d'obtenir des performances énergétiques tout à fait acceptables.

Ces normes d'isolation préconisées sans nuance sont une véritable aubaine pour les professionnels de l'isolation, qui n'hésitent pas à étouffer des architectures remarquables sous des plaques de polystyrène, sans tenir compte de leurs caractéristiques hygrothermiques.

C'est également une aubaine pour les constructeurs qui rachètent, au prix du terrain, des maisons inhabitées et dégradées qui, faute de pouvoir être louées, finiront démolies et remplacées par des constructions neuves, dans le cadre de la mise en oeuvre du plan Zéro artificialisation nette (ZAN). Alors que celui-ci pourrait être une opportunité pour la réhabilitation et la réaffectation du patrimoine bâti, on obtient l'effet inverse, et force est de constater que, dans la perspective de ces mesures, bon nombre de maisons ont déjà fait les frais de ce que certains qualifient de malentendu réglementaire.

Dans ce contexte, quelles sont les mesures envisagées par votre ministère pour contribuer à la préservation du bâti ancien, celui qui confère à notre pays l'identité qui est la sienne et qui contribue à l'attractivité touristique et au dynamisme économique de nos régions ? Compte tenu de l'urgence, comment allez-vous mettre fin à l'application de ces mesures et stopper cette hécatombe ?

Ma deuxième question concerne les services du patrimoine au niveau déconcentré. La meilleure manière de préserver et de sauvegarder le patrimoine, c'est de l'entretenir et de le restaurer. Or ce type de travaux nécessite une expertise dont nos collectivités, en particulier les plus petites, ne disposent pas, pas plus d'ailleurs que les propriétaires privés. L'absence d'aide à la maîtrise d'ouvrage est un handicap qui conduit certains à renoncer à leur projet et, paradoxalement, à la non-consommation des crédits affectés au patrimoine, alors même que l'urgence des travaux est avérée.

L'an dernier déjà, la Cour des comptes et le Sénat pointaient du doigt le manque de moyens humains des directions régionales de l'action culturelle (DRAC) et des unités départementales de l'architecture et du patrimoine (UDAP). Les ABF, en nombre insuffisant, ne sont plus en mesure de remplir leur mission de conseil et sont, de ce fait, souvent mal perçus, notamment par les particuliers, qui ne comprennent pas toujours le sens de leurs préconisations.

Quelles sont les perspectives en termes d'effectifs des services déconcentrés de l'État ? Quels moyens envisagez-vous de mettre en oeuvre pour permettre à ces personnels de mieux remplir leur mission de conseil ?

Mme Sylvie Robert, rapporteure pour avis sur les crédits relatifs à la création, à la transmission des savoirs et à la démocratisation de la culture. - Je tiens tout d'abord à me féliciter de la hausse du budget de la culture, même si des inquiétudes demeurent - et je voudrais en exprimer quelques-unes.

La première concerne les difficultés que pourraient rencontrer les évènements et manifestations culturelles pour se tenir à travers le territoire pendant la période des Jeux olympiques de Paris 2024. Je vous avoue que les propos du ministre de l'intérieur, Gérald Darmanin, que nous avons auditionné plus tôt dans l'après-midi, ne m'ont pas rassurée. Je voudrais que vous nous garantissiez une anticipation interministérielle afin que cette période ne se traduise pas par une saison blanche pour les festivals et qu'aucune décision ne soit prise sans concertation avec les élus et les porteurs de projets.

Je pense qu'il faut différencier Paris et l'Île-de-France du reste des territoires, où il serait dramatique que l'été reste silencieux du fait des JO, comme en 2020, en pleine crise sanitaire. Ma deuxième question a trait à l'augmentation des factures énergétiques. Les critères du bouclier énergétique vous paraissent-ils adaptés au secteur de la création ? Les intermittents du spectacle sont-ils comptabilisés dans le plafond du critère salarial de dix salariés ? La référence au niveau de consommation énergétique de 2021 ne pourrait-elle pas être adaptée, dans la mesure où elle n'apparait pas du tout adaptée aux lieux culturels, qui ont peu consommé cette année-là, ayant été maintenus fermés jusqu'au mois de mai ? Troisièmement, s'agissant du fonds d'innovation territoriale, avez-vous fixé des priorités aux DRAC ? Je pense ici au secteur rural, mais il peut y en avoir d'autres.

Pensez-vous par ailleurs contractualiser avec les collectivités territoriales afin d'éviter la baisse des subventions dans le contexte de crise actuelle ?

Enfin, concernant les arts visuels, disposez-vous d'un bilan chiffré de Mondes nouveaux ? J'ai entendu dire, lors de mes auditions, que la plupart des projets auraient été produits par les mêmes agences d'Île-de-France.

M. Vincent Éblé, rapporteur spécial des crédits de la culture. - Madame la ministre, la situation dans laquelle se trouvent les acteurs et les institutions de la culture, au lendemain d'une crise assez durable est très perturbante pour la conduite des activités culturelles. Beaucoup de compagnies, d'institutions ou de musées se sont trouvés précarisés et sont en grandes difficultés. Les moins soutenus par l'action publique, je veux parler des acteurs privés, doivent parfois réduire leur activité, voire l'interrompre.

L'année 2023 se place sous le triple signe de l'inflation, de la hausse du coût de l'énergie et du retour parfois très partiel du public dans les lieux d'art et de culture. La progression de 7 %, dont vous vous félicitez - il est vrai qu'on ne la trouve pas dans tous les segments de l'action publique -, est à peine supérieure à celle de l'inflation attendue. Ce n'est donc pas une perspective rassurante.

Par ailleurs, il me semble que votre parcours et votre identité font que vous vous intéressez à la question de la présence française à l'international. L'action culturelle internationale est une question déterminante, car si la France est évidemment influente par son économie et sa diplomatie, elle l'est aussi et ô combien par sa présence culturelle dans de très nombreuses régions du monde. De ce point de vue, les crédits portés par le secrétariat général de votre ministère augmentent de 0,7 million d'euros, sur un budget d'environ 7 millions d'euros. Ce n'est pas une fraction négligeable, mais cela ne va pas totalement bouleverser la donne. Quelles sont donc vos priorités en matière d'action culturelle internationale, et quelle est la philosophie de votre action dans ce domaine ?

Mme Rima Abdul Malak, ministre de la culture. - Concernant l'audiovisuel public, je remercie M. Hugonet pour ses interventions récurrentes pour soutenir l'audiovisuel et les réformes destinées à s'adapter aux enjeux de demain.

Les COM ont été effectivement prolongés d'un an, sauf pour Arte, qui bénéficie de deux ans afin de s'aligner avec nos amis Allemands. Il s'agit d'un avenant technique pour le COM 2023. Je le dis toujours, ce sont d'abord les missions, les objectifs, les enjeux, la vision d'avenir dont on doit discuter avant de commencer à parler dans le détail de la trajectoire pour les années qui viennent. J'espère donc que les candidates et les candidats pour France Médias Monde et Radio France sont bien dans cet état d'esprit.

On le sait, dans la discussion avec l'État actionnaire, les entreprises demandent souvent des moyens supplémentaires. C'est ensuite en fonction des priorités qu'elles affichent, des réformes qu'elles souhaitent mener, des synergies qu'elles peuvent développer ensemble qu'on peut travailler avec elles sur le budget.

La répartition des dotations de cette hausse de 114 millions d'euros s'est faite en totale concertation avec les groupes de l'audiovisuel public, en partant de leur plan d'affaires. Nous avons également voulu tenir compte d'enjeux importants sur l'audiovisuel extérieur, et France Télévisions reçoit un supplément de 24 millions d'euros. On a tenu compte à chaque fois des effets fiscaux afin de les neutraliser et du glissement des dépenses en matière de masse salariale pour en prendre une grande partie. Un travail assez fin a été réalisé jusqu'à la dernière minute avec chacun. Il me semble que le résultat est assez consensuel.

Concernant la presse, je remercie le sénateur Laugier de nous rappeler cet enjeu vital pour notre démocratie. On peut se réjouir des 377 millions d'euros qui ont été distribués pendant le plan de relance afin d'accompagner la transition numérique de la presse et la transition écologique. Un fonds de résorption de la précarité pour les journalistes a également été créé. Ce plan de filière a été déterminant. On engage à présent une réforme de la distribution, bien que nous soyons percutés par la flambée du coût du papier. Les entreprises ont déjà accès au bouclier tarifaire « de droit commun », même si la flambée du coût du papier vient s'ajouter aux hausses du prix du gaz et de l'électricité. Énormément de secteurs sont impactés par l'inflation. Avec Bruno Le Maire, nous allons voir comment mieux accompagner ce secteur.

L'écocontribution est effectivement un enjeu crucial. Deux pistes sont possibles : soit monter à nouveau au créneau auprès de la Commission européenne, soit sortir la presse de ce régime de responsabilité élargie du producteur. Le ministère de la culture est en train d'avancer sur ces deux hypothèses. Nous pourrons vous en dire plus très bientôt.

Je rejoins aussi l'inquiétude du sénateur Bargeton concernant les maisons d'édition. Il n'y a pas que la presse à être impactée par le coût du papier. Les maisons d'édition sont amenées à faire des choix, à imprimer avec des polices plus petites, voire à renoncer à certains ouvrages, ce qui peut être préoccupant. Nous allons étudier les choses au cas par cas avec le Centre national du livre (CNL), qui soutient notamment les petits éditeurs.

Les grosses maisons d'édition sont, me semble-t-il, en bonne santé. Même si elles sont impactées par le coût du papier, elles ne vivent pas la même situation que la filière presse. Les années 2020 et 2021 ont été relativement exceptionnelles. L'année 2022 l'est moins, c'est vrai, depuis la guerre en Ukraine. On sent un fléchissement depuis le mois de mars, mais la rentrée littéraire a été très forte. Le prix Nobel reçu par Annie Ernaux, dont on peut être très fier, dope les ventes de Gallimard et vient aider nos libraires. C'est donc tout l'écosystème qui est ainsi soutenu.

Le plan de relance prévoit de nombreuses aides pour les librairies pour réaliser, en plus du pass Culture, comme l'opération Jeunes en librairie, entreprise en Nouvelle-Aquitaine sur le long terme, que nous avons étendue à plusieurs régions. Je n'ai pas le bilan précis sous les yeux, mais je vous le transmettrai dès que possible.

Merci d'avoir rappelé que la Cour des comptes s'est penchée avec précision sur le chantier de la cathédrale Notre-Dame de Paris et a salué une gestion visiblement impeccable, les délais ayant pour l'instant été tenus par rapport aux prévisions. Je ne peux que me réjouir de ces conclusions de la Cour, et renouveler ma confiance au général Georgelin, qui mène ce chantier de main de maître.

Monsieur le sénateur Bacchi, merci de me donner l'occasion d'insister ici sur tout ce que nous mettons en oeuvre pour soutenir le secteur du cinéma, face à une baisse de fréquentation préoccupante. Il en va de même pour le spectacle vivant. Pour le cinéma, nous sommes en moyenne entre 25 % et 28 % de baisse. Un quart du public n'est pas revenu dans les salles depuis le Covid, mais la situation est quand même bien meilleure en France que dans les autres pays : - 60 % de fréquentation en Italie, - moins 40 % en Espagne, - 40 % en Allemagne pour ne citer que ces trois exemples.

Notre écosystème a mieux résisté. Les Français sont plus cinéphiles, et c'est une bonne nouvelle, même si ce n'est pas suffisant pour la vitalité de notre industrie. À court terme, nous avons décidé de soutenir une campagne de communication à hauteur d'un million d'euros. Le slogan d'une campagne d'affichage qui va débuter demain, affirme : « On a tous une bonne raison d'aller au cinéma. Et vous, quelle est la vôtre ? ». Il s'agit de faire rêver les Français et leur redonner envie de voir les films sur grand écran, ce qui est sans commune mesure avec le fait de regarder un film chez soi, sur tablette ou ordinateur.

Les raisons de cette baisse de fréquentation sont multiples. La première résulte de la perte d'habitude entraînée par le confinement et le couvre-feu, ce que j'appelle la « plateformisation » de nos vies. De nouvelles habitudes ont été prises. Le tarif moyen, en France, vous l'avez rappelé, est de 7 euros. En Allemagne, il est de 8,90 euros. Le prix n'est donc pas si élevé en France. Il existe énormément de tarifs réduits dans les salles de cinéma, mais la perception du coût persiste. Un effort reste à faire pour rappeler l'ensemble des tarifs réduits disponibles.

Par ailleurs, le changement d'habitude dû au télétravail explique peut-être aussi le fait qu'on ressorte moins facilement, notamment pour aller au cinéma. Le public est également plus exigeant - sans reprendre la formule de M. Seydoux. On demande aux oeuvres plus de qualité et d'originalité. Les films français sont d'une grande diversité, d'une grande originalité et d'une grande singularité. Novembre, Simone, L'innocent sont des films qui démarrent très bien. Nos concitoyens ont donc l'embarras du choix pour les vacances de la Toussaint.

Je préfère ce discours volontariste et optimiste - sans compter toutes les aides que nous continuons à déployer. Pendant la crise sanitaire, elles s'élevaient à 300 millions d'euros, dont 220 millions d'euros uniquement pour les salles, et nous poursuivons ces efforts.

Je me tourne vers la sénatrice Drexler s'agissant des sujets qu'elle a soulevés à propos de la conciliation nécessaire entre patrimoine, énergies renouvelables, transition écologique et isolation thermique. Il me faudrait plusieurs heures pour y travailler avec vous, mais je vois bien à quoi vous faites allusion.

Nous sommes en train de travailler par exemple sur le photovoltaïque avec le ministère de la transition énergétique, afin de rédiger une instruction ministérielle pour permettre aux ABF d'évaluer plus précisément dans quel cas installer des panneaux photovoltaïques. Des innovations portent sur les nouveaux types de panneaux qui peuvent être pris en compte.

Sur chaque sujet, qu'il s'agisse des fenêtres, des différentes formes d'isolation ou du photovoltaïque, on bénéficie d'une expertise des architectes des Bâtiments de France, l'enjeu étant de ne pas avoir d'installations trop disparates qui abîment le patrimoine. On doit pouvoir concilier les deux.

Merci à Sylvie Robert d'avoir évoqué le sujet des festivals et, plus globalement, l'inquiétude qui plane autour de l'inflation et de l'augmentation du coût de l'énergie.

Les jeux Olympiques constituent une formidable opportunité pour la France. C'est aussi l'occasion de construire un projet culturel ambitieux. Nous avons décidé, avec Amélie Oudéa-Castéra et le Comité des jeux Olympiques, de lancer les Olympiades culturelles. Elles ont déjà démarré et vont se poursuivre jusqu'à mi-2024. Le budget 2023 prévoit d'ailleurs 3 millions d'euros pour ce faire. Le Comité des jeux Olympiques prévoit lui-même, avec Dominique Hervieu comme directrice artistique, ancienne directrice de la Maison de la danse de Lyon, un programme assez ambitieux de concerts et d'événements, qui vont nécessiter des installations techniques, des forces de sécurité. S'ajoutent les festivals habituels qui font l'ADN de la France culturelle de l'été.

Il est très important de prendre en compte l'impact, en France, des Jeux sur les festivals, notamment en termes d'organisation technique. Certains m'alertent sur des pénuries de matériel et des locations déjà bloquées pour les jeux Olympiques et Paralympiques. Quelques sociétés de sécurité privées sont déjà réservées pour les jeux. Il y a là une pression sur nos festivals, et je vais tenter de trouver des solutions.

Concernant la hausse des factures énergétiques, nous disposons dans le budget 2023 d'une enveloppe de 56 millions d'euros, destinée à accompagner les cas les plus critiques, à savoir ceux dont les bâtiments sont des passoires thermiques absolues et, en priorité, les établissements nationaux, qui ne sont soutenus que par l'État. Nous maintenons néanmoins partout nos subventions, avec même des hausses au cas par cas, selon les régions, même là où on enregistre des baisses de certaines collectivités. Nous essayons de venir en aide à des structures comme la Villa Gillet, à Lyon, par exemple, dont nous avons augmenté la subvention qui a été drastiquement amputée par le conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes. Nous ne pouvons pas, toutefois, compenser partout les baisses des collectivités. C'est un vrai sujet.

Vous avez évoqué le bilan de Mondes nouveaux. Je crains qu'il existe une confusion. On dénombre trois catégories de projets, ceux qui ont lieu dans les monuments relevant du Centre des monuments nationaux, ceux qui ont lieu dans les sites naturels du Conservatoire du littoral et ceux situés dans d'autres types de lieux - un Ehpad, une cour d'école, une université, une place publique etc. Certains projets nécessitaient qu'une agence accompagne les artistes dans la production de leur projet. Certains sont très jeunes et n'ont pas la capacité à s'en charger. Ces agences de production sont basées à Paris, mais le budget de Mondes nouveaux s'adresse aux 264 projets qui ont été retenus partout en France et permet de soutenir 450 artistes.

En Bretagne, par exemple, 34 projets sont soutenus. Dans les Hauts-de-France, on en compte 21, 14 en Nouvelle-Aquitaine, 35 en Provence-Alpes-Côte d'Azur. On en trouve outremer également : 12 en Martinique, 6 à la Réunion, 6 en Guadeloupe, 4 en Guyane, etc. Il existe même un projet à Mayotte, alors qu'on avait du mal à en trouver. La répartition est assez équitable entre les disciplines artistiques.

Ce qui est intéressant, c'est la mobilisation de collectifs. 26 % des projets sont en fait pluridisciplinaires et portés par des collectifs. Beaucoup de jeunes artistes ont proposé des projets à cheval sur plusieurs disciplines : la danse et l'architecture, le design et la musique, etc., qui se répartissent de manière très équilibrée entre les arts visuels, le spectacle vivant, l'écriture, la littérature, etc.

Enfin, le sénateur Éblé, rapporteur spécial, a affirmé que la hausse du budget ne couvrait pas l'inflation. L'inflation sur laquelle nous nous sommes basés est celle estimée par la Banque de France, soit 4 2 % pour 2023. Avec un budget en hausse de 7 %, on est bien au-dessus.

L'enjeu de la langue française et de l'action française à l'international est très important pour moi. Nous le portons avec le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, qui chapeaute le réseau culturel français à l'étranger et partage avec nous la tutelle de l'Institut français, qui déploie cette action. Dans notre budget 2023, nous mettons l'accent sur plusieurs points : je tiens beaucoup au réseau des librairies francophones, qui sont absolument vitales pour continuer à diffuser le livre en langue française. J'ai ainsi débloqué une aide de 500 000 euros à quatre librairies qui allaient faire faillite au Liban, au Brésil et au Mali. Nous allons continuer notre soutien aux librairies francophones via le Centre national du livre. Le soutien à la distribution du livre se fait aussi via la Centrale de l'édition. On a ajouté un million d'euros pour l'international et pour l'outre-mer.

Le soutien à la traduction et aux projets littéraires passe notamment par un nouveau programme issu du sommet des Deux Rives, dénommé Livres des deux rives, qui relie la France et les pays du Maghreb en soutenant des projets littéraires, des éditions en langue française et des traductions.

Le projet de Villers-Cotterêts va évidemment nous mobiliser dans les prochains mois. Son ouverture au public est prévue au printemps 2023. Cette cité internationale de la langue française au coeur des Hauts-de-France, dans le département de l'Aisne, sera créée dans l'ancien château de François 1er, dans la ville où Alexandre Dumas vit le jour. Cette terre de littérature va pouvoir accueillir des artistes, des écrivains du monde francophone et du monde entier. Des projets vont y être déployés avec des associations locales en matière d'apprentissage du français, avec l'aide d'entreprises françaises en pointe en matière de technologies de la langue et de la traduction. C'est un bien beau projet pour la langue française.

Mme Else Joseph. - Je constate que les festivals, à la suite à la crise sanitaire, ont fait preuve d'une incroyable vitalité dans le cadre de la reprise des activités culturelles. Ils figurent parmi les premiers diffuseurs de la culture dans les territoires et jouent un rôle essentiel dans l'écosystème culturel.

Le groupe d'études « art de la scène, de la rue et des festivals en régions », dont je suis membre, salue le travail amorcé avec les trois actes des états généraux des festivals pour réaffirmer le rôle de l'État et sa politique à destination des festivals. La mise en place d'un nouveau fonds festival est une bonne nouvelle, même si sa dotation de 10 millions d'euros par an, qui est annoncée jusqu'en 2024, reste insuffisante pour couvrir les besoins des 7 300 festivals cartographiés.

Quelle est la prochaine étape concernant l'évolution de cette politique publique ? De nouvelles priorités devraient-elles être définies à court et moyen termes ? L'État entend-il débloquer de nouveaux moyens budgétaires pour accompagner les festivals ?

Par ailleurs, s'agissant des crédits du plan de relance consacré au patrimoine, si le rapport que nous avions rédigé avec Olivier Paccaud avait donné acte au Gouvernement des efforts majoritairement tournés vers le patrimoine national, la France dispose néanmoins d'un autre patrimoine qui appartient à des acteurs qui consacrent de nombreux moyens à son entretien. Qu'est-il prévu pour les monuments n'appartenant pas à l'État, qu'il s'agisse de monuments relevant de propriétaires privés ou de collectivités locales ?

M. Pierre Ouzoulias. - Madame la ministre, plusieurs des questions que je souhaitais poser ont déjà été évoquées, notamment par Sabine Drexler, au sujet du rôle des DRAC dans l'accompagnement des collectivités. Le président Lafon a cité le rapport d'Anne Ventalon et de votre serviteur sur les édifices religieux, qui met en lumière un certain nombre de phénomènes et, surtout, le fait que les maires ne savent comment mobiliser les services de l'État et les financements nécessaires pour rénover leur patrimoine.

Ceci pose la question plus générale de l'action décentralisée de l'État. Avec Anne Ventalon, nous nous sommes aperçus qu'on trouve aujourd'hui autant de politiques d'inventaire que de régions, les compétences étant décentralisées. Toutefois, la somme de ces politiques régionales ne fait pas une politique nationale. Certains domaines, comme celui des synagogues alsaciennes, par exemple, que nous avons signalé dans notre rapport, mériteraient toute l'attention de l'État, faute de quoi ce patrimoine va disparaître. Il témoigne pourtant de ce qu'a été le judaïsme dans le Haut-Rhin, qui est constitutif de notre identité. C'est important de le répéter : si on ne fait rien, ces synagogues vont être vendues et transformées, et il n'existera plus aucune trace de cette culture en Alsace, notamment dans le Haut-Rhin. Il est donc nécessaire que le ministère de la culture définisse de grands axes.

S'agissant de l'archéologie, je ne peux presque rien ajouter, puisque c'est la première fois qu'elle est autant citée dans un discours ministériel. Toutefois, pour ce qui est de l'INRAP, l'effet ciseau peut être redoutable. L'INRAP subit, comme tous les opérateurs, la hausse des prix de l'énergie et l'inflation, mais le plan de relance a par ailleurs amené une demande beaucoup plus forte de diagnostics, que l'INRAP ne peut réaliser avec ses moyens. L'Institut souhaiterait donc, de façon temporaire, notamment concernant ces demandes de diagnostics supplémentaires, pouvoir dépasser son plafond d'emplois, le risque étant qu'on se retrouve de nouveau face à un conflit entre les collectivités et l'Institut. Ce dernier, faute de moyens financiers, ne pourra en effet réaliser les diagnostics et les fouilles.

Vous avez cité Federico García Lorca. « Dieu le fracas que fait un poète qu'on tue » a dit Aragon. J'en viens à l'Europe de la culture et à Giorgia Meloni. La filiation est malheureusement directe. Le parti Fratelli d'Italia a dit de façon très claire qu'il fallait une culture d'État, que la culture devait se mettre au service du récit national et qu'on pourrait remplacer des fonctionnaires qui ne respecteraient pas cette règle. Ce qui pourrait s'apparenter à un art officiel ou au réalisme soviétique est en train de se mettre en place en Europe. C'est une forme de totalitarisme culturel insupportable.

Vous me permettrez de citer Antonio Gramsci pour finir. Mme Meloni se réclame de Mussolini. Gramsci a payé de sa vie son indépendance d'esprit. Je le cite : « Se connaître soi-même signifie être maître de soi, se différencier, se dégager du chaos, être un élément d'ordre, mais un élément de son ordre propre et de sa propre discipline à l'égard d'un idéal. Et tout ceci ne peut s'obtenir sans connaître aussi les autres, leur histoire, la succession des efforts qu'ils ont faits pour être ce qu'ils sont, pour créer la civilisation qu'ils ont créée. »

Mme Catherine Morin-Desailly. - Je tiens à vous féliciter car vous êtes l'un des rares ministres de la culture qui parle enfin, lors d'une audition budgétaire, de l'action extérieure de l'État et, en tout cas, de la politique culturelle à l'étranger.

Je trouve cela très important. Notre commission vote ces crédits, tout comme la commission des affaires étrangères, mais rares ont été les occasions de dialoguer en direct avec le ou la ministre de la culture sur cette politique, également liée à notre politique nationale. Les ensembles que nous accompagnons, à travers les compagnies ou l'Institut français, oeuvrent aussi sur le territoire national, et il y a forcément des connexions et des stratégies à développer. Les propos que vous avez tenus m'ont donc intéressée.

Ma question porte sur les enseignements artistiques. Je vous ai entendu à deux reprises parler devant notre commission de l'éducation artistique et culturelle. Je ne vous ai toutefois pas entendue au sujet de l'enseignement artistique. Quelle différence faites-vous entre les deux terminologies, et quelle réalité recouvrent-elles en termes de politique publique ?

Si j'évoque cette question, c'est pour vous alerter une nouvelle fois sur le devenir de nos écoles d'art et de nos conservatoires, préoccupation que partagent plusieurs collègues de cette commission. Il ne saurait y avoir d'éducation artistique sans enseignement artistique si l'on veut doter nombre de nos jeunes concitoyennes et concitoyens d'une formation technique. Ce sont en effet les enseignements artistiques qui permettront, par la suite, le déploiement de l'éducation artistique et culturelle et fournissent à la fois nos troupes, nos orchestres, nos scènes, nos salles, lieux de vie que nos jeunes concitoyennes et concitoyens sont amenés à fréquenter.

Ces établissements sont en très grande souffrance depuis pratiquement vingt ans. Rares sont les ministres de la culture qui se sont préoccupés de leur sort, je le dis comme je le pense - et je ne suis pas la seule ici. On a vu disparaître complètement les budgets dédiés aux conservatoires, puis être rétablis quelques années après, mais de façon incomplète. Ces établissements, pour lesquels agissent les collectivités - principalement les communes et les intercommunalités - se voient bloqués parce que les lois de décentralisation ne sont pas accompagnées par le ministère.

Si on doit reparler de décentralisation - j'ai entendu que Mme Borne était très allante sur ce sujet -, il va bien falloir reparler de la décentralisation des enseignements artistiques, et que le ministère de la culture soit partie prenante avec les collectivités territoriales.

Des directrices et des directeurs démissionnent ou abandonnent le métier. Ces établissements sont souvent considérés comme des établissements élitistes : on confond excellence et élitisme ! Ils ont su évoluer pour se doter de missions complémentaires et s'ouvrir sur la cité. Ce sont des pôles de ressources pour des territoires de référence. Ils méritent donc vraiment d'être accompagnés et de connaître une évolution si l'on veut assurer leur devenir.

Jette-t-on un regard sur ces établissements dans cette loi de finances, qui en ont bien besoin et qui comptent certainement sur vous, madame la ministre, alors que vous venez de prendre vos fonctions ?

M. Laurent Lafon, président. - Je souhaiterais vous poser deux questions en lieu et place de Sonia de La Provôté.

La première question concerne les écoles nationales d'architecture. Outre le contexte qui accroît la contrainte budgétaire des établissements, les politiques publiques en matière de développement durable, dont le défi thermique, ont un impact croissant sur le métier d'architecte. Ce métier est d'ailleurs vital dans le cadre de la lutte contre le changement climatique.

Avez-vous prévu un plan de développement de l'enseignement supérieur et de la recherche en architecture ? L'échange au niveau interministériel entre les ministères chargés de l'écologie, du logement, des territoires et le vôtre fonctionne-t-il suffisamment pour co-construire ce plan ?

Par ailleurs, le déséquilibre dans la répartition des crédits consacrés au patrimoine entre Paris et l'Île-de-France et les autres villes et régions s'accentue cette année - je cite Sonia de La Provôté. Même si l'effet de levier des crédits de l'État en régions est sans commune mesure, dès lors que les collectivités participent également au financement, est-il légitime que l'approche et l'accompagnement du ministère soient si déséquilibrés ?

M. David Assouline. - Il est rare que j'aie à le faire - même si je vais ensuite pondérer mon propos -, mais je voudrais saluer, dans un contexte difficile, l'augmentation de 7 % que vous annoncez. On voit que vous savez négocier les budgets. Vous avez occupé des fonctions où vous arbitriez plutôt la baisse. Vous êtes maintenant obligée de monter au front pour obtenir plus, et vous savez le faire.

J'ai dû, sous un Gouvernement que je soutenais pourtant, m'insurger à propos du fait qu'on puisse baisser les crédits de ce secteur. Je suis donc plutôt satisfait, mais je veux vous mettre en garde à propos de la façon dont vous présentez les choses, car cela peut nous faire baisser la garde. Avec une inflation à 4,2 %, l'augmentation de 7 % revient à un peu plus de 2 %. En effet, l'inflation sera peut-être plus importante que prévu, et la hausse du coût de l'énergie va s'additionner. Or les factures sont énormes dans certains secteurs qui consomment beaucoup d'énergie. Au moins n'y aura-t-il pas de baisse.

En second lieu, on trouve malheureusement des secteurs qui augmentent et d'autres qui stagnent, sans qu'on comprenne pourquoi. Je suis d'accord avec le rapporteur des crédits de l'audiovisuel public - c'est rare ! -, qui a raison de dire que France Télévisions, qui a subi pendant plusieurs années des baisses budgétaires, stagne aujourd'hui, l'augmentation de 1 % se situant en dessous de l'inflation. Il s'agit d'une baisse dans les faits. Je passe sur les coûts de l'énergie supportés par France Télévisions, qui consomme beaucoup d'électricité pour réaliser ses programmes. Dans tous les secteurs, la ventilation est inégale.

Par ailleurs, si vous avez tenu parole sur le fait que la redevance est compensée à l'euro près - et même plus -, vous ne nous avez toujours pas rassurés sur la pérennité de ce financement.

Enfin, la commission d'enquête sur la concentration des médias en France, dont j'étais rapporteur, que M. Lafon présidait, a de manière consensuelle établi que la ventilation des aides à la presse ne convenait pas. Vous nous parlez de volumes, mais nous attendons une réforme pour faire en sorte que ceux qui ont les moyens et qui touchent le plus touchent moins, et que tous les petits et les nouveaux médias puissent recevoir l'aide qu'ils n'ont pas aujourd'hui. On aimerait donc une refonte plus juste, indépendamment du montant global, car c'est ce qui est aujourd'hui attendu.

M. Bernard Fialaire. - Je voudrais saluer à la fois l'augmentation du budget et les grandes priorités que vous avez fixées à votre ministère, mais j'aimerais néanmoins obtenir quelques éclaircissements sur deux points.

Je salue le fait que vous vouliez attirer de nouveaux publics dans les lieux culturels, et en particulier les jeunes. On sait toutefois que les jeunes ont une utilisation excessive des écrans - les réseaux sociaux, majoritairement TikTok, mais aussi les jeux vidéo -, qu'on nous présente comme une activité culturelle, mais qui ne peut être la seule et qui entraîne une addiction et une sédentarité grandissantes qui ont de vrais retentissements sur la santé physique et psychique des enfants.

Que souhaitez-vous faire concrètement pour que les jeunes puissent bouger un peu plus, aillent assister à des spectacles vivants, reviennent à la lecture et visitent des lieux de culture ? Vous avez évoqué des Olympiades de la culture. Comment comptez-vous associer les ministères des sports et de l'éducation pour sortir les jeunes de ces addictions ?

En second lieu, vous avez dit vouloir garantir la fiabilité de l'information. Selon un sondage du Cevipof, seuls 29 % des sondés déclarent avoir confiance dans les médias. Quelle piste envisagez-vous pour garantir que l'information dispensée par nos médias soit vérifiée, fiable et redonne confiance à nos concitoyens ? C'est un enjeu important de la démocratie et de la société dans laquelle nous vivons. Pensez-vous que des réflexions sur une déontologie des médias mais aussi des journalistes puissent être envisagées ?

Mme Marie-Pierre Monier. - Madame la ministre, la stagnation des crédits en faveur des musées territoriaux se poursuit cette année. Elle s'inscrit dans un contexte de forte inflation qui interroge alors que, dans le même temps, les crédits destinés aux musées nationaux sont en hausse de 5 %. Merci de veiller à irriguer la culture dans nos territoires, au-delà des grands musées nationaux.

Le budget évoque une reprise de la fréquentation des institutions patrimoniales cette année, après deux ans de crise sanitaire. Cette reprise est-elle homogène sur l'ensemble du territoire français ?

Par ailleurs, on constate une stagnation des crédits prévus pour les études et travaux des sites patrimoniaux remarquables (SPR), qui sont reconduits à 8,9 millions d'euros depuis 2018. Pourquoi cette enveloppe n'a-t-elle pas évolué ?

L'année 2022 a connu une hausse budgétaire au profit des conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) et du réseau Villes et d'art et d'histoire, qui sont maintenus à 6,5 millions d'euros, comme en 2022, ce qui constitue une baisse réelle compte tenu de l'inflation. Nous sommes pourtant nombreux à être très attachés au rôle des CAUE, dont nous souhaiterions une présence dans tous les départements. Ils apportent une aide précieuse aux maires des petites communes, qui font régulièrement appel à eux pour leurs projets patrimoniaux.

Par ailleurs, lors d'une audition préparatoire à l'examen du projet de loi de finances, le président de l'association des DRAC de France nous a alertés sur le manque d'attractivité des professions en leur sein, qui conduit à laisser des postes vacants, notamment dans les territoires, entraînant en conséquence une surcharge de travail pour les personnels en place. Cette dynamique risque encore de s'aggraver au vu d'une démographie actuellement plutôt âgée. On nous a parlé de douze postes ouverts, dont seulement quatre sortis de Chaillot. Quelles sont les pistes envisagées par le ministère pour répondre à ce déficit d'attractivité ?

Enfin, depuis que la maîtrise d'ouvrage des travaux sur les monuments a été rendue aux propriétaires, il est prévu par le code du patrimoine que les DRAC puissent apporter une assistance à maîtrise d'ouvrage à titre onéreux ou gratuit. Or le récent rapport de la Cour des comptes, intitulé « La politique de l'État en faveur du patrimoine monumental » établit que cette disposition a eu très peu d'effets. Seules trois DRAC - Bretagne, Hauts-de-France et Pays de Loire - ont mis en place une offre qui demeure marginale. Ce rapport souligne les limites d'initiatives portées par d'autres acteurs, à l'instar des départements. Au regard de ce tableau, une évolution du cadre et des effectifs associés aux DRAC est-elle envisagée ?

Mme Monique de Marco. - Madame la ministre, les salles de concerts, comme de nombreuses entreprises, sont frappées de plein fouet par la crise énergétique et la hausse des factures. Le syndicat des musiques actuelles a lancé une enquête auprès de ses adhérents sur le sujet. Les premiers résultats indiquent que les salles font face, par rapport à 2021, à une hausse de plus de 100 % de leurs factures énergétiques et de 87 % de leurs factures de gaz.

Le problème vient du fait que ces entreprises sont en dehors des dispositifs d'aide. Pour rappel, il en existe aujourd'hui deux. Le premier réside dans le bouclier tarifaire, qui limite à 15 % d'augmentation les factures des entreprises de moins dix salariés faisant moins de 2 millions d'euros de chiffre d'affaires. Or les seuils, quand on compte les salariés à temps complet et les intérimaires, sont souvent inférieurs à dix salariés.

Le deuxième problème vient de l'aide spécifique pour les entreprises qui consomment plus de 3 % de leur chiffre d'affaires. On sait que le Gouvernement compte revoir ces dispositifs pour inclure plus d'entreprises, mais j'attire votre attention sur cette question, afin que les salles de concert ne soient pas oubliées.

Par ailleurs, vous annoncez un plan d'investissement d'un milliard d'euros pour les industries culturelles et créatives, notamment les technologies du métavers. Il me semble que se pose une question d'intérêt public, et qu'il faut distinguer les expériences culturelles - réalité virtuelle, réalité augmentée - des opérations spéculatives, telles que l'arrivée des systèmes NFT et des cryptomonnaies sur le marché de l'art. Le plan d'investissement d'un milliard d'euros permettra-t-il de soutenir aussi le développement de ces NFT ?

M. Max Brisson. - Vous avez annoncé que le budget de la culture était en augmentation forte, et nous nous en sommes tous réjouis. Cette hausse, comme vous nous l'avez indiqué, concerne particulièrement le patrimoine culturel de l'État, qui compte plusieurs grands projets. Vous avez largement parlé du château de Villers-Cotterêts, au sujet duquel notre commission, vous le savez, a eu l'occasion d'émettre un certain nombre de réserves à propos du projet muséal, dont nous avons souligné le côté hors-sol quelque peu surprenant à l'heure de la sobriété. Qu'en est-il de la trajectoire financière du chantier, de ses éventuels dépassements et de l'état de son exécution ? Ne pensez-vous pas que ce projet est facteur de déséquilibre face au soutien que nécessiterait notre réseau de centres culturels et d'instituts à travers le monde, qui crient souvent misère ?

Par ailleurs, notre commission est très attentive à la circulation des biens culturels et à la préservation de l'intégrité des collections nationales. Avec Catherine Morin-Desailly et Pierre Ouzoulias, nous avons proposé à votre prédécesseur un cadre permettant de fonder cette politique, qui a souvent pris des tournures déplaisantes. Le Président de la République a annoncé lui-même une loi-cadre depuis le musée du Quai Branly - Jacques Chirac, lors du départ du trésor d'Abomey vers le Bénin : où en sommes-nous de ce projet de loi annoncé par le Président de la République ?

Mme Béatrice Gosselin. - Depuis son origine, le dispositif Malraux vise à contribuer à la conservation du petit patrimoine historique dans les quartiers anciens et dégradés des villes. C'est un outil très précieux dans le cadre des politiques de revitalisation des centres-bourgs et centres-villes, d'autant qu'il peut permettre à votre ministère de vous assurer que la préservation du patrimoine soit prise en compte lors de ces opérations de revitalisation.

L'Inspection générale des finances (IGF), ainsi que l'Inspection générale des affaires culturelles (IGAC) avaient rendu en décembre 2018 un rapport préconisant l'adaptation du dispositif Malraux pour une contribution plus efficace à la restauration des centres-bourgs et des centres-villes. De nombreuses associations de sauvegarde du patrimoine ont fait des propositions, comme l'augmentation du crédit d'impôt pour les bâtiments dans lesquels les loyers ne peuvent être très élevés, ou encore une extension pour les propriétaires occupants. Des discussions ont-elles été engagées au niveau interministériel pour faire évoluer ce dispositif ? Enfin, quelle est la position du ministère de la culture à ce sujet ?

M. Lucien Stanzione. - Je souhaiterais que vous puissiez revenir sur la question de la hausse des coûts de l'énergie et des fluides. Qu'allez-vous entreprendre par rapport à la vague qui arrive ?

En second lieu, sans anticiper le travail que va faire notre collègue Bargeton sur le CNM, comment pensez-vous faire en sorte que les majors cotisent ce qu'elles devraient cotiser, ce qui n'est pas le cas en ce moment, semble-t-il ?

Concernant la sortie de la crise sanitaire, un nombre important de petits et moyens festivals sont en train de fermer parce qu'ils n'atteignent pas des niveaux de fréquentation suffisants pour couvrir la hausse de leurs dépenses. Avez-vous un plan dans ce cadre ?

Par ailleurs, certains opérateurs de spectacle se produisent dans des locaux mis à leur disposition par les collectivités territoriales. Or l'effet de l'augmentation du prix de l'énergie et des fluides va se répercuter sur les collectivités. Quelle est la position du ministère ? Y aura-t-il une aide au niveau des opérateurs de spectacles ou des collectivités pour éviter les fermetures de salles ? Face à l'évolution salutaire des salaires et de la masse salariale et au surcoût des prix de l'énergie et des fluides, comment souhaitez-vous venir en aide au secteur ?

Enfin, du fait des jeux Olympiques de 2024, une grande quantité de techniciens, d'éclairagistes, de manutentionnaires et de personnels de sécurité sont d'ores et déjà mobilisés partout en France. Quels dispositifs allez-vous pouvoir mettre au point pour l'ensemble des festivals, en particulier les plus gros ? En tant que régional de l'étape, je plaiderai bien sûr pour celui d'Avignon !

Mme Rima Abdul Malak, ministre de la culture. - Mon premier bloc de réponses portera sur le patrimoine. Je sens une certaine confusion par rapport à vote perception centralisée de notre politique du patrimoine, alors que tel n'est pas le cas. Le montant des budgets alloués à la protection des monuments historiques concerne l'Île-de-France à seulement 9 %, contre 91 % partout ailleurs. Le plan relatif aux cathédrales consacre ainsi 4 % à l'Île-de-France et 96 % aux autres régions. Notre politique du patrimoine est donc totalement territoriale.

Je rappelle l'existence du fonds incitatif pour le patrimoine que nous avons créé avec les régions, qui permet de soutenir davantage, avec les collectivités, le patrimoine de proximité - sans compter le loto du patrimoine qui permet aussi d'aider les sites non protégés.

C'est depuis la loi de 2004 qu'existe la séparation entre la responsabilité de l'État sur le patrimoine protégé, inscrit, classé, et le patrimoine qui ne l'est pas. Ainsi, la majorité des églises relèvent des collectivités. C'est un partage qui a été fait dans la loi. On peut évidemment y déroger au cas par cas, ou via le loto du patrimoine, soutenir le patrimoine des communes et des propriétaires privés, mais refonder complètement la répartition entre l'État et les collectivités constituerait un énorme chantier, la France comptant 40 000 à 50 000 monuments historiques.

Je n'ai pas été très précise dans mes réponses concernant les effectifs, mais le budget 2023 offre un certain nombre de réponses. Les effectifs déconcentrés dans le domaine du patrimoine représentent 2 400 équivalents temps plein (ETP). C'est un énorme moteur pour les agents du ministère. Un effort est fait pour réduire les vacances de postes, avec plusieurs concours pour les services des DRAC. 101 postes de nouveaux agents, techniciens et ingénieurs vont pouvoir être ventilés entre les UDAP, en soutien aux architectes des Bâtiments de France, et auprès des conservateurs régionaux des monuments historiques (CRMH). Tout cela va permettre de soutenir l'activité de maîtrise d'ouvrage et d'assistance aux propriétaires.

Concernant le patrimoine religieux, je ne pourrai jamais être aussi éloquente que le rapport d'Anne Ventalon et de Pierre Ouzoulias. Une grande partie des restaurations des monuments historiques que nous soutenons est dédiée au patrimoine religieux. Cela représente environ 100 millions d'euros par an sur le budget des DRAC, soit 82 % des projets des années passées. 576 projets ont été menés à bien entre 2018 et 2021. Environ un quart des projets liés au loto du patrimoine concernent le patrimoine religieux.

Je suis d'accord avec vous sur la nécessité de préserver les synagogues. Le loto du patrimoine permet régulièrement de soutenir toute la diversité du patrimoine religieux. Je pense ici à la synagogue de Verdun. Les synagogues d'Alsace constituent un sujet assez spécifique sur lequel nous devons nous pencher de manière prioritaire, vous avez raison. Nous sommes en train de recruter un nouveau ou une nouvelle responsable pour la DRAC Grand Est. Dès que cette personne sera arrivée, nous devrions entamer une campagne de protection spécifique pour protéger les synagogues les plus emblématiques. Nous vous associerons bien sûr à ces travaux.

Vous avez par ailleurs mentionné le dispositif Malraux. Il s'agit d'une réduction d'impôt sur le revenu en faveur des dépenses effectuées en vue de la restauration complète d'un immeuble bâti, pour lequel une demande de permis de construire ou une déclaration préalable de travaux a été déposée. Le taux de réduction d'impôt est compris entre 22 % et 30 %, sous certaines conditions. Le PLF 2023 ne comporte pas de modifications de ce dispositif. Nous cherchons simplement à le rendre plus efficient pour notre patrimoine - et plus lisible.

Quant à Villers-Cotterêts, je suis un peu surprise, monsieur le sénateur Brisson. On ne peut, d'une part, nous demander de mieux soutenir le patrimoine abandonné ou en déshérence dans les collectivités hors Île-de-France et, d'autre part, nous reprocher de sauver ce château magnifique de François 1er, qui était dans un état désastreux et abandonné depuis des dizaines d'années.

M. Max Brisson. - Je n'ai pas dit cela !

Mme Rima Abdul Malak, ministre de la culture. - Vous avez émis des réserves et avez trouvé surprenant que nous nous occupions de ce chantier à l'heure de la sobriété...

M. Max Brisson. - Je parlais du projet muséal. Ne me faites pas de procès d'intention !

Mme Rima Abdul Malak, ministre de la culture. - Tant mieux ! Quoi qu'il en soit, le projet muséal avance bien. Quatre commissaires de grand talent travaillent sur le parcours permanent de visite, Barbara Cassin, académicienne, Xavier North, qui dirigeait le département de la langue française au ministère de la culture, Zeev Gourarier, qui dirigeait les collections du Mucem et Hassane Kouyaté, qui dirige le festival des Francophonies de Limoges. C'est ce quatuor qui pense le parcours de la partie muséale, mais le château de Villers-Cotterêts ne constitue pas un musée. Ce sera une cité, un lieu de résidence avec une douzaine de studios, un auditorium qui accueillera des concerts, des films. Ce sera un lieu vivant pour toutes les disciplines, où les activités associatives et éducatives vont pouvoir se déployer.

C'est en tout cas un projet qui n'a rien de hors-sol, qui est construit avec un grand réseau de partenaires de la francophonie, d'associations locales et d'établissements scolaires. À chaque journée du patrimoine, j'ai l'occasion de voir à quel point cela suscite l'engouement au niveau local. Une maison du chantier permet de faire vivre celui-ci auprès de la population. Un camion des langues de France s'est également déplacé dans les Hauts-de-France. Je serai ravie d'inviter la commission à visiter le chantier avant l'ouverture, si cela vous intéresse. Je pense qu'il est nécessaire de voir sur place. Je suis sûre que vous serez convaincus !

Concernant l'éducation artistique, l'enseignement artistique et tous les enjeux que nous partageons pour la jeunesse, vos interventions montrent à quel point vous avez raison et combien il est important que les jeunes pratiquent l'art et la culture. Il ne s'agit pas de faire d'eux des « consommateurs », entre guillemets, qui vont acheter des billets pour assister à des spectacles ou visiter des musées, mais les amener à être des protagonistes, des acteurs de la vie culturelle et leur permettre de s'essayer à la musique, à l'art, à la danse, au théâtre, voire d'en faire leur métier s'ils le souhaitent plus tard.

C'est ce que permet aujourd'hui de plus en plus le pass Culture, qu'on a voulu transformer afin de permettre aux jeunes d'acheter des instruments de musique ou de prendre des cours. Cette dimension sera très importante dans le pass collectif au collège et au lycée, afin que les enseignants puissent non seulement réaliser des sorties scolaires, invitent des auteurs, des musiciens, et permettent la pratique en classe de manière plus libre que dans certains cours de musique ou d'arts plastiques.

Quant aux établissements d'enseignement, il en existe de deux sortes, les conservatoires à rayonnement régional financés par l'État et tous ceux qui relèvent des collectivités. Vous le savez, madame Morin-Desailly, on compte 1 500 structures d'enseignement artistique spécialisé au total. C'est un réseau gigantesque. C'est une très bonne nouvelle pour notre pays, mais la répartition est assez subtile. J'ai moi-même travaillé en collectivité auprès de Bertrand Delanoë, qui était très attaché à l'enjeu du développement des conservatoires. Je connais donc bien le sujet. L'État ne peut totalement se substituer aux collectivités pour ce qui est des conservatoires municipaux de musique.

Reste la prise en compte du développement des autres établissements classés par l'État, qui sont environ 382. J'ai insisté, lors de la présentation du budget, sur les établissements supérieurs d'enseignement artistique, pour lesquels l'aide aux étudiants les plus en difficulté est prioritaire, afin de soutenir plus particulièrement les écoles d'architecture, où l'enjeu est particulier. Merci de les avoir présentés comme les laboratoires de la transition écologique du futur. Ces 20 000 étudiants, qui vont en effet être les bâtisseurs de demain, auront forcément une autre manière de construire, plus écoresponsable,

J'insiste sur la lecture : certaines actions coûtent de l'argent, comme le fait de soutenir une manifestation littéraire, des résidences d'auteurs dans les écoles que le Centre national du livre va déployer dans la continuité du programme consacrant la lecture comme grande cause nationale. D'autres actions ne coûtent pas très cher budgétairement, mais demandent beaucoup de mobilisation, d'énergie et de coordination, comme le quart d'heure de lecture, auquel je tiens beaucoup. J'en reparle régulièrement avec mon collègue Pap Ndiaye.

Dans les régions et les départements où cette action est mise en place, comme en Bretagne, les choses se passent très bien. Quand les élèves s'arrêtent 15 minutes pour lire pour le plaisir, que ce soit un livre, un magazine, une BD, cela fait une énorme différence au bout de quelques mois en termes de concentration, d'amélioration du vocabulaire, de relations entre élèves. Cet impact n'a pas de prix. Si on arrive un jour à faire en sorte que toute la France, tous les jours, s'arrête 15 minutes pour lire, on aura gagné ! On peut rêver, mais cela me semble atteignable. On peut également fournir plus de livres si ceux-ci manquent. On développe également la lecture à voix haute.

Concernant les aides à la presse, je vous rejoins, monsieur Assouline. Je pense qu'on a devant nous un gros chantier de réformes. Nous nous y attelons. J'attends avec impatience les états généraux du droit à l'information pour entendre toutes les recommandations et préconisations qui sortiront à ce moment-là. J'ai commencé à me plonger dans le détail des aides à la presse et aux radios. Je pense qu'il s'agit là d'une modernisation, d'un ajustement et d'une réforme de fond. Je suis d'accord avec votre diagnostic.

Les états généraux débuteront début décembre et dureront jusqu'au mois d'avril-mai. Nous pourrons vous en dire plus bientôt.

Concernant le Centre national de la musique, nous attendons le démarrage de la mission du sénateur Bargeton, qui va permettre de faire le point sur tous les enjeux de financement de la filière musicale et sur les positions des uns et des autres. Tous les acteurs de la filière ne sont pas d'accord.

Enfin, s'agissant du métavers, des NFT et des mondes numériques, avec leurs opportunités et leurs menaces, je vous invite à lire le rapport de trois experts, Camille François, Adrien Basdevant et Rémi Ronfard, qui ont tenté de définir et d'embrasser tous les enjeux liés au monde « métaversique ». Ce sera une excellente base pour nos discussions lors de nos prochains échanges.

Merci pour votre engagement en faveur de la culture !

M. Laurent Lafon, président. - Madame la ministre, vous avez terminé votre propos liminaire par des vers de García Lorca. Je conclurai cette réunion par une citation de Nietzsche : « Je connais ma destinée : un jour s'attachera à mon nom quelque chose de formidable. » Je ne sais si nous utiliserons ce qualificatif à l'issue du débat sur le PLF, mais je ne doute pas que, si vous reprenez à votre compte les amendements du Sénat, on s'en rapprochera !

Le compte rendu de cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 19 h 55.

Mercredi 26 octobre 2022

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Piratage des évènements sportifs - Audition de M. Denis Rapone, membre du collège de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique et Mme Pauline Blassel, directeur général adjoint (Arcom), Mme Liza Bellulo, présidente de la Fédération française des télécoms (FFT), M. Maxime Saada, président de l'Association pour la protection des programmes sportifs (APPS), Mme Caroline Guenneteau, secrétaire générale adjointe de beIN media group et M. Mathieu Ficot, directeur général adjoint de la Ligue de football professionnel (LFP)

M. Laurent Lafon, président. - Mes chers collègues, je souhaite tout d'abord la bienvenue à nos cinq invités du jour.

Nous avons souhaité organiser cette table ronde pour faire le point, un an après l'adoption de la loi du 25 octobre 2021 relative à la régulation et à la protection de l'accès aux oeuvres culturelles à l'ère numérique, sur l'application de son article 3 relatif à la lutte contre le piratage des retransmissions sportives.

Notre commission s'est particulièrement impliquée sur ce sujet. A l'initiative de Catherine Morin-Desailly, nous avions organisé en janvier 2019 la première table ronde sur ce thème réunissant des experts européens venant notamment de Grande-Bretagne et du Portugal pour présenter une procédure innovante fondée sur une ordonnance dynamique permettant aux ayants droit d'engager eux-mêmes des actions auprès des fournisseurs d'accès à Internet pour couper l'accès aux sites pirates.

Il aura fallu près de trois années pour adopter à notre tour une procédure similaire grâce à l'implication de toutes les parties représentées aujourd'hui.

Pourquoi était-ce important ? Le piratage des retransmissions sportives, comme celui des films et des séries, est devenu une industrie clandestine à grande échelle qui affaiblit les détenteurs de droits et les médias au profit de structures qui évoluent en dehors de tout cadre légal, fiscal et social.

En organisant cette table ronde, nous souhaitons mesurer le chemin parcouru depuis un an, connaître les premiers résultats, mais aussi comprendre le rôle de chacun des acteurs.

Comment s'organise concrètement le dispositif juridique et technique qui permet de couper l'accès aux sites pirates ? Est-ce qu'une coopération harmonieuse a pu s'établir entre des acteurs aux intérêts différents ? Après un an de recul, peut-on considérer que ce dispositif est suffisant ?

Voilà quelques questions que nous souhaitons vous poser. Pour commencer, je donnerai la parole à Denis Rapone, qui interviendra au nom de l'Arcom. Nous poursuivrons avec Liza Bellulo, qui pourra nous préciser comment se passe concrètement l'intervention des fournisseurs d'accès à Internet (FAI) pour couper l'accès aux sites pirates. Je donnerai ensuite la parole aux trois autres intervenants, qui représentent les ayants droit, notamment à Maxime Saada et Caroline Guenneteau, qui pourront nous expliquer quel a été l'impact du dispositif mis en place sur l'évolution des abonnements des chaînes payantes. Confirmez-vous la baisse de 76 % de l'audience pirate au cours des 6 derniers mois pour les matchs de la Ligue des Champions ? Nous savons également que les pirates s'adaptent à l'évolution de leur environnement. Comment le piratage évolue-t-il et comment la lutte contre le piratage doit-elle évoluer ?

Nous serons également heureux de pouvoir entendre Mathieu Ficot, représentant de la Ligue de football professionnel (LFP). Il pourra nous indiquer quel est l'effet de la lutte contre le piratage sur la valorisation des droits du football professionnel. Avez-vous pu évaluer cet effet sur le prix du prochain appel d'offres des droits de la Ligue 1, que vous lancerez en 2023 ?

Ce sera ensuite aux sénateurs de s'exprimer.

M. Denis Rapone, membre du collège de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom). - Merci d'organiser cette table ronde. Le dispositif actuel doit beaucoup à vos travaux. Il a permis d'accompagner l'émergence d'un consensus entre les acteurs.

Au premier semestre 2021, les pratiques de piratage sportif concernaient plus de 3 millions d'utilisateurs chaque mois et connaissaient une progression particulièrement dynamique. Contrairement au secteur culturel, le sport ne disposait d'aucune procédure lui permettant de lutter contre le piratage. L'élaboration d'un dispositif dédié était un véritable défi. Il fallait trouver un point d'équilibre entre la nécessité d'instaurer un blocage efficace et rapide et le respect de la liberté de communication et du rôle du juge, qui est le garant des libertés publiques. La nouveauté a consisté à concevoir le rôle d'une autorité administrative, l'Arcom, pour mettre en oeuvre la décision du juge de manière dynamique.

La première étape est la saisine du juge par les fédérations, les ligues ou les chaînes de télévision, en mettant en avant la preuve que des sites portent des atteintes graves et répétées à leurs droits. Il faut que ces atteintes graves et répétées aient été occasionnées par le contenu d'un site en ligne dont l'un des objectifs est la diffusion de compétitions sans autorisation. Le juge statue selon une procédure d'urgence. Il peut prescrire toute mesure susceptible de faire cesser ces atteintes. A ce stade, le juge n'est saisi qu'aux fins de notifier aux fournisseurs d'accès à Internet le blocage du site. En réalité, le dispositif législatif est beaucoup plus large. Il permettrait d'embrasser d'autres acteurs.

L'intervention du juge est suivie par celle de l'Arcom. Dès lors que la décision judiciaire est devenue définitive, mais que la mesure de blocage est contournée par l'apparition de sites miroirs, les ayants droit peuvent saisir l'Arcom en transmettant les données d'authentification des sites illicites. L'Arcom a pour mission, à travers la présence d'agents assermentés, d'instruire ces saisines et de notifier aux fournisseurs d'accès le blocage de ces sites miroirs.

Seul le président du collège, ou les membres qu'il a désignés, peut donner le « top départ » aux fournisseurs d'accès à Internet. Concrètement, nous communiquons aux FAI une liste de noms de domaine correspondant à des services illicites.

Aujourd'hui, nous avons 9 mois de recul. 10 décisions de justice ont été obtenues par des diffuseurs (Canal + et beIN Sports), la LFP, la fédération française de tennis et des organisateurs de compétitions (football, sports mécaniques, tennis). Le tribunal de Paris est compétent pour ce type de litige. Il s'est armé d'une magistrate dédiée qui est en capacité de réagir très rapidement. De la sorte, il rend les décisions dans des délais exceptionnellement courts. Je suis extrêmement admiratif de la manière dont les choses se passent au niveau judiciaire. Le blocage permis par ces 10 décisions de justice embrasse 350 services illicites. Par ailleurs, l'Arcom a été destinataire de 40 saisines. Elle a notifié le blocage de plus de 480 noms de domaine aux FAI.

Nous nous sommes mis en situation de pouvoir répondre dans un délai de quelques jours. Les mesures de blocage sont appliquées par les fournisseurs d'accès dans des délais de quelques heures.

Je tiens vraiment à saluer la qualité du travail d'équipe. D'un bout à l'autre de la chaîne, les différents acteurs (juge, ayants droit, FAI, Arcom) jouent un rôle majeur. A ce stade, les fournisseurs d'accès ne mettent pas en avant les coûts représentés par la mise en oeuvre de ces blocages.

Entre le premier semestre 2021 et le premier semestre 2022, l'audience illicite a baissé de moitié, passant de 3,2 millions à 1,7 million d'internautes qui accèdent chaque mois à des sites illicites. Parmi les live streamers qui ont été confrontés à des blocages, 37 % ont cessé leurs pratiques et 15 % ont souscrit un abonnement à une offre légale. Il reste 46 % d'internautes qui poursuivent leurs pratiques illicites. Certains utilisent des moyens de contournement.

La protection des contenus sportifs appelle donc une vigilance accrue, qui semble devoir se décliner selon trois objectifs :

- renforcer, par le biais d'accords, la coopération entre les fournisseurs d'accès à Internet et les titulaires de droits sportifs afin de mettre en oeuvre une solution de blocage automatisée ;

- améliorer les solutions technologiques de blocage et travailler sur un blocage par l'adresse IP ;

- impliquer dans la lutte contre le piratage l'ensemble des intermédiaires techniques de l'écosystème d'Internet, tels que les fournisseurs de système de noms de domaine (DNS), les réseaux privés virtuels (VPN) ou les services d'hébergement.

M. Laurent Lafon, président. - Madame Bellulo, comment se passe concrètement l'intervention des FAI ? Avez-vous également identifié des pistes d'amélioration ?

Mme Liza Bellulo, présidente de la Fédération française des télécoms (FFT). - La Fédération français des télécoms est heureuse d'apporter le témoignage de son expérience dans la mise en oeuvre de la loi du 25 octobre 2021. Cette loi fait de la France l'un des pays d'Europe dont l'arsenal législatif est le plus complet. Nous avons bien conscience des intérêts en jeu concernant la protection des droits sportifs. Nous sommes fiers de participer à la protection de ces droits. Nous avons également le souci de respecter les équilibres que les parlementaires ont pris soin de dessiner entre d'une part la protection des droits fondamentaux tels que la liberté de consultation des sites Internet et d'autre part l'innovation avec le blocage des sites miroirs.

Le mécanisme se déroule en deux étapes. Il y a d'abord une décision du juge, rendue sur saisine des ayants droit au début de chaque compétition ou de chaque saison, qui demande le blocage de sites pirates identifiés et qui donne ensuite pouvoir à l'Arcom d'agir contre de nouveaux sites. Pendant toute la durée de la compétition ou de la saison, les titulaires de droits sportifs saisissent directement l'Arcom pour bloquer les sites miroirs dans des délais plus brefs.

Depuis l'entrée en vigueur de la loi, nous avons protégé un certain nombre de retransmissions sportives. Au total, nous avons bloqué plus de 835 noms de domaine. Nous le faisons grâce à la bonne coopération de tous les acteurs. Nous avons conscience de l'importance d'agir dans des délais brefs.

Nous appelons, sur la base de cette première expérience, à une industrialisation du dispositif. Le législateur a pris soin de proposer une régulation moderne qui prévoit que l'Arcom élabore un modèle d'accord pour tous les acteurs. Nous appelons de nos voeux la mise en place de ce modèle d'accord. C'est pour cela que, de manière constante depuis un an, nous avons fait preuve de bonne volonté et de coopération. En novembre 2021, nous avons proposé un cahier des charges qui permettait la mise en place d'une brique technique pour récupérer de manière automatisée les listes de sites à bloquer auprès de l'Arcom. En début d'année 2022, nous avons proposé un dispositif de coordination des actions des titulaires de droits, de l'Arcom et des opérateurs afin de fluidifier le processus.

Depuis l'entrée en vigueur de la loi, nous agissons avec diligence en mobilisant du personnel habilité, y compris lors d'astreintes. Ces personnels doivent parfois composer avec des demandes multiples. Pour les seuls blocages de droits sportifs, les astreintes nécessitent une personne qui active le blocage de manière manuelle, un ingénieur réseau et un ingénieur DNS. Nous avons également engagé des investissements spécifiques sans perspective certaine d'être compensés. Nous acquittons aussi des honoraires d'avocats sans être compensés, ce qui est paradoxal car dans tous les autres domaines dans lesquels nous agissons en tant que prestataires occasionnels du service public ou auxiliaires de la protection des droits, nous sommes compensés du fait de la loi ou d'accords.

Notre position est guidée par quatre principes : l'égalité de traitement des titulaires de droits ; l'efficience et l'efficacité opérationnelle pour minimiser les coûts d'investissement et les coûts opérationnels ; le respect du principe de proportionnalité ; la compensation des coûts.

Le principe de proportionnalité est au coeur du droit constitutionnel et européen. Il a pour conséquence que doivent être minimisées les atteintes à la liberté de consultation des sites Internet.

Nous ne demandons pas à être rémunérés. Nous demandons simplement à ne pas travailler en pure perte pour le compte d'autres opérateurs privés.

Pour que chacun y trouve son compte, nous proposons d'aller au-delà de ce que prévoit le minimum légal. Ainsi, nous proposons de simplifier les procédures en industrialisant et en automatisant le traitement des demandes. Pour cela, nous avons notamment besoin du calendrier des manifestations sportives et de formats de fichiers harmonisés. Nous nous engageons, avec l'industrialisation, à bloquer des sites en 45mn. Nous demandons simplement la compensation des coûts.

Nous nous proposons de prendre en charge la moitié des 500 000 euros d'investissements de développement initial et la moitié des 150 000 euros annuels de coûts opérationnels courants des blocages de sites. Nous avons évidemment justifié la nature de ces coûts. Nous avons deux étalons de comparaison : l'enjeu économique des droits sportifs (plus d'un milliard d'euros par an) et le coût d'identification des pirates (120 000 euros par an) tel que l'avait chiffré l'inspection générale des finances.

Nous appelons de nos voeux un aboutissement prochain des travaux afin de permettre aux équipes des opérateurs d'agir de manière plus efficace et plus automatisée avec un cadre standardisé. Le système de blocage manuel actuel est précaire eu égard à la volumétrie et aux attentes des détenteurs de droits. Nous avons prouvé notre efficacité. Nous pouvons encore faire un saut qualitatif. Nous souhaitons nous saisir de l'opportunité d'un accord.

Cet accord sera important, mais il ne suffira pas. Nous sommes également prêts à étudier le blocage IP à partir du moment où le cadre est précis. Pour l'instant, nous y voyons beaucoup de difficultés techniques. Il existe des risques de sur-blocage. Néanmoins, nous sommes prêts à mener toutes les études nécessaires. Pour cela, il faut un cadre très clair. Nous sommes prêts à discuter du cahier des charges avec les autres parties. Nous avons besoin d'être sécurisés du point de vue de la responsabilité en cas de sur-blocage et d'être certains que nous serons compensés des nouveaux coûts.

Il existe des moyens de contournement. L'accord et le travail des FAI et des ayants droit ne sera pas suffisant pour enrayer les mécanismes de piratage. Il faudra aussi travailler avec les hébergeurs, les plates-formes d'hébergement, les éditeurs de système d'exploitation, les éditeurs de moteurs de recherche, les éditeurs de VPN et tous ceux qui commercialisent les boîtiers IPTV illégaux. C'est un travail de longue haleine et de long terme.

M. Laurent Lafon, président. - Nous allons maintenant nous enquérir de la vision des ayants droit. Constatez-vous les mêmes évolutions que l'Arcom ?

M. Maxime Saada, président de l'Association pour la protection des programmes sportifs (APPS). - Je m'adresserai d'abord à vous en tant que président de l'APPS (association pour la protection des programmes sportifs), avant de faire un point plus spécifique à Canal +. L'APPS a été créée en 2018. Elle réunit à la fois des ayants droit et des diffuseurs.

Nous pouvons collectivement nous satisfaire des premiers mois de la mise en place du nouveau dispositif issu de l'article 3 de la loi, qui a démontré une bonne coordination des parties prenantes et permet d'afficher des premiers résultats concrets. Ce dispositif introduit de manière inédite en droit français un nouveau moyen de lutte contre le piratage sportif en complétant les outils jusque-là ouverts par la loi. Les membres de l'APPS l'ont mobilisé individuellement, mais notre ambition partagée nous a permis de nous coordonner dès le mois de janvier. Nous avons appris ensemble à mobiliser au mieux le nouvel outil, d'abord pour obtenir une décision judiciaire dite « ordonnance cadre » pour une compétition donnée, ensuite pour mettre à jour les mesures de blocage tout au long de la compétition en intégrant de nouveaux sites par le biais d'une saisine de l'Arcom.

Les premiers résultats de cette mobilisation collective sont là. Selon l'Arcom, la moitié des live streamers confrontés aux blocages se serait détournée des sites. La chute tendancielle des audiences des sites de live streaming est corroborée par d'autres analyses et données. Ainsi, une étude de Médiamétrie mesure un écart significatif d'audience des sites entre avril 2021 (2,7 millions d'utilisateurs uniques) et avril 2022 (373 000 utilisateurs uniques). Nous pouvons d'ores et déjà nous réjouir collectivement des premiers effets de l'article 3. Nous devons surtout nous satisfaire de la coordination de l'ensemble des parties prenantes.

Je confirme la diligence des FAI dans la mise en oeuvre des premières mesures de blocage. Les discussions que nous menons depuis plusieurs mois sont constructives. Elles nous donnent bon espoir d'aboutir à un accord pour cranter cette collaboration. Nous tenons aussi à souligner le rôle précieux que joue l'Arcom.

Toutefois, nous devons rester prudents. En effet, le report des consommateurs vers une offre légale n'est pas assuré. Certains utilisateurs se sont réorientés vers un contournement des mesures de blocage DNS mises en place par les FAI grâce à l'utilisation de DNS alternatifs ou de VPN, ou vers un visionnage illégal des contenus sur des plates-formes telles que Twitter, TikTok ou Telegram. Depuis les premiers blocages, la diffusion en direct a considérablement augmenté sur ces plates-formes, pour lesquelles les délais de fermeture demeurent insuffisants.

Dans une plus forte mesure, les utilisateurs se sont reportés vers la consommation illégale de l'IPTV, qui est une utilisation contrefaisante d'objets légaux. Ce mode de consommation illicite est particulièrement destructeur de valeur. A la différence des sites de live streaming, qui piratent le contenu, le piratage IPTV attaque notre modèle en vendant des abonnements. D'après une étude de l'Arcom, 9 % des internautes utilisent de l'IPTV illicite pour regarder des compétitions sportives, ce qui représente 40 % des consommateurs qui ont des usages sportifs illégaux.

Certains services IPTV sont très utilisés en France. Ainsi, Premium OTT est passé de moins de 50 000 utilisateurs mensuels en décembre 2021 à 200 000 utilisateurs en septembre 2022, tandis qu'iPlay est passé de 45 000 utilisateurs en décembre 2021 à 145 000 utilisateurs en septembre 2022. C'est pourquoi nous ne pouvons pas nous arrêter aux premiers signaux positifs de la mise en place de l'article 3. Cette expérience doit nous encourager à aller plus loin.

Nous devons orienter nos actions vers la lutte contre le préjudice majeur causé par l'IPTV. Cette priorisation nous obligera à mobiliser le second outil technique de lutte contre le piratage qu'est le blocage IP. La méthode la plus efficace pour lutter contre cette pratique de piratage est celle du blocage de la source, donc de l'adresse IP. C'est d'ailleurs le choix opéré par la Premier League en Angleterre, où la consommation illégale IPTV a baissé de manière significative.

Nous devons prendre en compte l'ensemble de l'écosystème complexe du piratage. Nous devons élargir nos actions aux autres intermédiaires techniques que les opérateurs télécom afin que chacun participe à endiguer le piratage. L'effort ne peut être que collectif face à des pirates organisés comme des structures mafieuses ou des cartels de la drogue.

L'APPS et ses membres sont pleinement engagés à poursuivre leur entente et fournir leurs meilleurs efforts pour poursuivre ce combat. A ce titre, nous sommes heureux de pouvoir compter sur le soutien du législateur et de l'Arcom.

Le piratage est le premier concurrent de Canal + en France et dans le monde. La destruction de valeur est massive. Canal + tire un bilan positif de la mobilisation du nouveau dispositif. Depuis janvier 2022, groupe Canal + a obtenu 8 ordonnances permettant le blocage de sites de live streaming illégaux : 3 décisions sont inactives car les compétitions sont arrivées à leur terme ; 5 décisions sont actives ou en cours. Au total, Canal + a obtenu le blocage de 171 sites depuis le début de l'année, ainsi que de 500 noms de domaine. Outre la baisse significative de l'audience des sites de live streaming, nous avons pu identifier les effets sur nos abonnements. L'analyse interne des recrutements opérés lors de 5 journées phares de compétitions sportives pour lesquelles le groupe a obtenu des ordonnances de blocage a permis d'observer une augmentation de 55 % des recrutements par rapport à 2021. Il est irréaliste d'attribuer cette croissance du parc d'abonnés au seul blocage des sites, mais celui-ci a nécessairement contribué à l'évolution positive du nombre de recrutements.

Nos perspectives pour l'année 2023 sont une massification de ce que nous avons initié en 2022. En prenant en compte les décisions en cours d'obtention, nous devrions, sur l'année civile 2023, réaliser environ 70 saisines comprenant chacune 15 sites, soit plus de 1 000 sites bloqués. Cette projection ne prend pas en compte le sujet de l'IPTV.

Pour ne pas perdre irrémédiablement la bataille des contenus, Canal + doit accélérer sa lutte contre l'IPTV. Cette bataille oppose l'ensemble des acteurs légaux et les pirates qui les pillent. Ce fléau pourrait remettre en question les modèles de pay TV. De nombreux utilisateurs ne pensent pas être dans l'illégalité car ils paient une forme d'abonnement.

Les outils actuels ne sont pas assez efficaces pour atteindre sensiblement le piratage IPTV. L'enjeu n'est pas d'éradiquer le piratage, mais de trouver le point de sortie viable d'une crise à venir liée à l'IPTV en perfectionnant un outil adapté. Les acteurs de l'IPTV et leurs revenus échappent totalement aux pays dans lesquels ils mettent à disposition leur offre. Ces acteurs ne sont soumis ni à des obligations éditoriales, ni à des obligations d'investissement dans la création.

La solution la plus efficace contre le phénomène complexe de l'IPTV semble être le blocage de l'adresse IP. Il permet de bloquer l'accès à la source, c'est-à-dire aux serveurs qui hébergent les flux ou les contenus proposés par les services IPTV. C'est le choix opéré par certains voisins européens, notamment la Premier League, qui en tire un bilan très positif.

Canal + est pleinement conscient des investissements que suppose la lutte contre l'IPTV illégal. C'est un effort auquel le groupe consentira pour sauvegarder son modèle de développement, ainsi que la valeur créée sur le territoire. C'est un impératif industriel, mais aussi collectif.

Mme Caroline Guenneteau, secrétaire générale adjointe de beIN media group. - Nous mesurons le chemin incroyable qui a été parcouru depuis 2017 et les premières initiatives parlementaires. Nous avons rempli une partie des objectifs que nous nous étions fixés. Le bilan est donc extrêmement positif. Toutefois, de nombreux défis nous attendent dans la lutte incessante contre le vol que constitue le piratage.

BeIN Sports ne diffuse que des contenus sportifs premium. Nous avons initié notre première action en janvier pour protéger la Coupe d'Afrique des Nations. Nous avons obtenu une décision très rapide. Nous avons également lancé des actions pour protéger la Ligue des Champions et Wimbledon. A présent, nous préparons notre dossier de protection de la Coupe du Monde de football.

Nous avons constaté une baisse de l'audience pirate des matchs de Ligue des Champions. La loi fonctionne extrêmement bien, tant pour des évènements longs comme une saison de football que pour des évènements courts comme un tournoi de tennis. Ce succès repose sur une mobilisation forte de moyens humains et financiers. En amont, les ayants droit sont censés apporter la preuve qu'ils subissent des atteintes graves et répétées. Nous devons apporter des preuves constantes. Pour cela, nous procédons à de nombreux constats. Nous passons par des huissiers. En aval, les saisines que nous faisons auprès de l'Arcom nécessitent aussi que nous dressions des constats. La lutte contre le piratage est donc extrêmement coûteuse pour les ayants droit, en plus des dommages qu'ils subissent. Ces investissements se chiffrent en millions d'euros pour beIN Media Group.

Pour la première fois dans la longue histoire de la lutte contre le piratage, les titulaires de droits ont un coup d'avance. Toutefois, nous savons que le piratage a un caractère protéiforme et que nous devons adapter les outils.

L'article 3 permet cette adaptation. Il est extrêmement large puisqu'il vise toute mesure appropriée pour lutter contre la mise à disposition de contenus illicites. Nous avions déjà anticipé qu'il faudrait procéder au blocage IP et que le DNS ne suffirait pas. De plus, cet article ne s'adresse pas uniquement aux FAI ; il s'adresse à tout opérateur qui peut nous aider à lutter contre le piratage dans le domaine technique (hébergeurs, moteurs de recherche, réseaux sociaux, etc.).

Avec le piratage, nous avons affaire à des gens extrêmement bien organisés. On peut parler de mafia. D'après une étude extrêmement intéressante publiée récemment, un consommateur est confronté au risque de perte d'identité, de vol d'information, d'identification et de demande de rançon dans les 71 secondes qui suivent un clic sur un site pirate. Les risques de virus sont également très élevés. Ainsi, le piratage ne s'arrête pas à la protection des ayants droit et des diffuseurs. Il concerne à la protection de tout un chacun.

Pour améliorer la protection, le blocage IP sera beaucoup plus efficace. C'est pourquoi les membres de l'APPS appellent de leurs voeux sa mise en place par les FAI, à l'instar de ce qui existe déjà au Royaume-Uni, en Italie et au Portugal.

L'industrialisation de ce système nécessitera une collaboration encore plus étroite avec l'Arcom afin de réduire les délais de réaction et d'intervention. Le blocage IP consiste simplement à bloquer le signal d'un site pendant la durée d'un match ou d'une compétition. Il s'agit d'une mesure proportionnée qui limite les risques de sur-blocage.

L'APPS travaille ardemment sur les autres moyens de lutte contre le piratage, par exemple la transposition de la directive sur les droits d'auteur qui permet d'agir efficacement sur les plates-formes de partage (YouTube, Facebook). Nous aimerions que les hébergeurs techniques, dès qu'ils sont notifiés, s'engagent à procéder à la coupure du contenu illégal dans les 30 minutes. C'est en ce sens que des centaines de titulaires de droits ont récemment lancé un appel à l'action à Bruxelles. Il est également possible de renforcer les obligations de traçabilité, qui ne sont aujourd'hui prévues que pour les places de marché. De telles dispositions ne viendraient en aucune manière endommager notre article 3.

Nous espérons que le Sénat, que nous remercions pour son engagement, restera à nos côtés afin de rendre le dispositif encore plus efficient.

M. Mathieu Ficot, directeur général adjoint de la Ligue de football professionnel (LFP). - Le football est le contenu le plus piraté au monde. Il représente près de 75 % des contenus sportifs piratés. Toutefois, tout le monde est concerné car la menace est gigantesque pour l'industrie du sport et son écosystème.

Les internautes qui se rendent sur des sites pirates courent de nombreux risques, dont le détournement de données personnelles. Ces risques ne doivent pas être sous-estimés.

Les sommes échappent à tout contrôle et à tout mécanisme de solidarité sociétale. Ces milliards d'euros renforcent des activités criminelles illégales.

Je suis très positif quant au résultat du dispositif qui a été mis en place. Depuis plus d'un an, nous avons bloqué 410 000 liens de live streaming et contribué à près de 300 000 déréférencements.

Nous avons aussi une mission de surveillance. Un millier de serveurs IPTV illégaux ont été recensés la saison dernière. Nous avons pu constater, lors d'un récent match de Ligue 1, que 300 000 personnes étaient connectées sur un seul service IPTV.

Ces actions n'auraient pas été possibles sans le principe de l'ordonnance dynamique. Nous acceptons avec grand plaisir les principes de saisine judiciaire, de débat contradictoire et d'ordonnances prononcées par le juge, qui nous semblent représenter un dispositif extrêmement efficace dans la lutte contre ce fléau.

Indéniablement, les mesures de blocage DNS ont porté leurs fruits. De plus en plus d'internautes sont confrontés à des mesures de blocage sur des sites illégaux. Le blocage DNS a fait ses preuves, mais il a atteint ses limites. Sans dispositif de blocage IP, tous les efforts que nous avons fait depuis des années risquent de se révéler vains. En la matière, la Premier League est une référence. Elle a fait du blocage IP la pierre angulaire de son combat, y compris pendant la diffusion en direct des matches. Nous devons en tenir compte.

Je tiens à saluer les efforts de l'Arcom. Nous voulons nous comporter de manière pragmatique. Nous devons être à la hauteur des enjeux. Nous sommes prêts à contribuer significativement aux coûts associés.

Nous sommes engagés dans une course contre la montre. L'appel d'offres que la LFP lancera en 2023 sera extrêmement structurant pour l'économie du football et du sport dans son ensemble. Nous avons besoin d'être compétitifs au niveau européen. Les enjeux seront forts. Comme tout ayant droit, la Ligue doit une jouissance paisible de ses droits à ses diffuseurs. Ces derniers se posent des questions sur notre capacité à garantir cette jouissance paisible. Je les comprends. Je ne voudrais pas que l'optimisation nécessaire de nos droits ne soit pas au rendez-vous du prochain appel d'offres en raison du risque de piratage. Nous devons être à la hauteur de cet enjeu.

M. Laurent Lafon, président. - Merci à chacun pour ces propos liminaires. La parole est à notre rapporteur pour une première série de questions.

M. Jean-Raymond Hugonet. - J'ai trois questions à poser.

Avec le recul, considérez-vous que le dispositif est suffisamment clair et qu'il apporte les garanties juridiques attendues par les différentes parties ? Des difficultés sont-elles apparues concernant les modalités de recours ?

La création d'un dispositif de blocage est génératrice de coûts, notamment pour les FAI. Il est légitime que ceux qui bénéficient de la lutte contre le piratage participent à la prise en charge de ces coûts. Il apparaît qu'au bout d'un an, les parties n'ont pas été en mesure de se mettre d'accord sur ce point. Cette situation, si elle perdurait, pourrait-elle fragiliser la mise en oeuvre du dispositif ? Faut-il modifier la loi et prévoir que l'évaluation de ces coûts et sa répartition entre les parties sont déterminées par l'Arcom ?

Enfin, les ayants droit souhaitent porter une initiative législative européenne. Quel serait l'intérêt de cette démarche pour les éditeurs français s'ils sont déjà protégés par notre législation nationale ? Ne craignez-vous qu'un dispositif européen soit moins protecteur ?

Mme Caroline Guenneteau. - L'application de l'article 3 est extrêmement simple et fluide. La justice est diligente. Ainsi, nous obtenons des décisions dans un délai record. En outre, les FAI coopèrent. Aucun d'entre eux n'a initié de recours depuis le lancement de ces actions judiciaires. Nous dressons un bilan très positif de l'application de ce texte. Nous avons tous intérêt à lutter efficacement contre le piratage. L'article est suffisamment précis. A ce stade, nous n'avons pas identifié de souhait de modification.

M. Denis Rapone. - S'ils ont des difficultés à mettre en oeuvre le blocage que nous leur avons notifié, les FAI doivent nous en rendre compte. En 9 mois, nous n'avons eu le retour d'aucune difficulté. En cas de difficulté, les ayants droit auraient toujours la possibilité de revenir devant le juge. A ce stade, les garanties juridiques de mise en oeuvre efficace du dispositif sont vraiment assurées.

M. Maxime Saada. - Les ayants droit et les acteurs de la télévision ne sont pas les seuls à bénéficier de ces mesures. Les opérateurs télécom vendent ces services. Ils en tirent des marges significatives. Ils ont donc également intérêt à vendre des abonnements. Par ailleurs, certains opérateurs achètent eux-mêmes des droits sportifs : Free est détenteur d'un lot de Ligue 1, tandis qu'Altice a investi des sommes conséquentes pour la Premier League et la Ligue des Champions.

Concernant les coûts, nous sommes dans une logique de partage. Tous les opérateurs portent des coûts, pas uniquement les FAI. Il est entendu que nous prendrons notre part de ces coûts. Je n'envisage pas, compte tenu des discussions que nous avons largement initiées, de difficulté sur ce sujet. En revanche, nous devons encore discuter de l'IPTV, dont nous n'avons pas encore identifié les limites et les coûts.

M. Jean-Raymond Hugonet. - Y aurait-il besoin d'un arbitre dans ce match un peu particulier ?

M. Denis Rapone. - L'Arcom est l'arbitre. Nous faisons office de « monsieur bons offices » entre l'APPS et la FFT (plus Free). Les discussions en cours sont extrêmement encourageantes. Nous ne constatons pas de position conflictuelle entre les acteurs sur la répartition des coûts relatifs à la mise en place d'un système automatisé de blocage DNS. Le sujet des modalités de faisabilité et de mise en oeuvre du blocage IP, avec les coûts y afférents, est plus ouvert.

Mme Liza Bellulo. - Je me félicite qu'un accord soit à portée. J'espère que nous pourrons conclure rapidement. Nous proposons de prendre en charge la moitié des coûts d'investissement et la moitié des coûts opérationnels. Pourtant, je ne bénéficie pas de la moitié des dividendes de Canal +. La proportionnalité des gains de part et d'autre n'est pas équivalente.

Concernant le blocage IP, il existe des exigences juridiques. Le principe de proportionnalité est au coeur de la jurisprudence du Conseil Constitutionnel et de la Cour de Justice de l'Union Européenne. Les opérateurs télécom ont la liberté totale de moyens pour aboutir au résultat qu'est le blocage. Nous sommes prêts à travailler sur les méthodes les plus innovantes. Nous n'excluons pas le blocage IP par principe. Simplement, ce n'est pas une garantie. Le blocage IP ne bloque pas à la source : il bloque un moyen d'accès. En outre, il existe des exigences techniques et opérationnelles. Le blocage IP présente des risques de sur-blocage. Nous l'avons vu très récemment en Autriche lorsque les opérateurs télécom ont été saisis par les ayants droit. Un site Internet a des millions d'adresses IP. Ces adresses ne sont pas attachées à un site en particulier : elles sont réattribuées en permanence. C'est pour cela qu'il existe des risques de sur-blocage. Par comparaison, le blocage DNS est parfaitement expérimenté, maîtrisé et solide. Avec le blocage IP, nous ne sommes pas certains de ne pas bloquer une chaîne de mails ou un chat, fût-ce pendant 90 minutes uniquement. Or il n'existe pas de mécanisme de responsabilité afférent. Nous ne voudrions pas être tenus responsables d'un blocage IP mal maîtrisé.

Nous sommes prêts à regarder les expériences étrangères. Aucune étude ne prouve que le blocage IP est plus efficace que le blocage DNS. Les solutions ne sont pas transposables d'un réseau à l'autre. Notre réseau n'a pas du tout la même architecture que le réseau espagnol ou britannique. Nous sommes d'accord pour étudier le sujet et discuter d'un cahier des charges avec les ayants droit de manière à éviter les mécanismes de sur-blocage, autour de principes juridiques clairs sur la responsabilité. Potentiellement, il y a aussi des effets sur la qualité de service et la qualité d'expérience de nos clients. Nous avons conçu les réseaux Internet pour que la circulation soit fluide, pas pour qu'ils soient bloqués. Enfin, il faudrait une compensation spécifique et différente de l'industrialisation du processus de blocage DNS.

M. Laurent Lafon, président. - Nous avons tout de même du mal à comprendre pourquoi ce système fonctionne au Royaume-Uni, en Italie et au Portugal et pourquoi il ne fonctionnerait pas en France.

Mme Caroline Guenneteau. - Nous sommes des profanes en matière de réseaux de télécommunication. Nous avons besoin de l'aide d'un expert réseau. Le seul cas de sur-blocage dont nous avons connaissance est survenu en Autriche récemment. Nous sommes prêts à partager les coûts, mais à condition de les connaître. Nous avons besoin d'une information transparente sur les coûts engagés par les FAI et ce qu'ils font exactement pour le compte des ayants droit. Nous avons accepté de partager les coûts des blocages DNS, même si nous pensons que le blocage DNS existait déjà chez la plupart des FAI. S'agissant du blocage IP, nous voulons une discussion en toute transparence. Nous avons besoin qu'un expert confirme ou infirme que notre réseau est différent des réseaux de nos voisins.

M. Michel Savin. - D'un côté, les résultats sont encourageants. La rapidité d'intervention de l'Arcom permet de renforcer le dispositif. Les discussions sur le partage des coûts avancent bien, même si elles prennent un peu de temps. D'un autre côté, il existe une situation d'urgence face aux nouvelles formes de piratage. Les pirates se sont orientés vers d'autres solutions, dont les boîtiers IPTV, qui posent un vrai problème. C'est un peu la même situation que dans le dopage : les tricheurs ont déjà trouvé une autre solution.

D'autres pays ont-ils déjà mis en oeuvre le blocage des nouvelles formes de piratage ? Quelle est l'ampleur de l'impact de l'IPTV illégale en Europe ? Les Anglais ont-ils été confrontés à des difficultés particulières de sur-blocage ?

Il nous est difficile de comprendre que ce qui est possible chez nos voisins ne le serait pas chez nous. J'ai l'impression de revenir au début des discussions sur le piratage. Les difficultés semblaient nombreuses, mais nous sommes parvenus à les lever.

Comment envisagez-vous la suite de votre travail collectif, notamment concernant le blocage IPTV ? Dans quels délais sera-t-il possible de trouver des solutions, alors que la LFP se prépare à lancer un nouvel appel d'offres ?

M. Jean-Jacques Lozach. - Nous sommes partagés entre des propos très rassurants d'un côté et des propos alarmistes d'un autre. Nous avons conscience du manque à gagner considérable que représente le piratage, que ce soit pour les détenteurs de droits, l'État et l'ensemble de l'écosystème sportif, sans parler de la dépréciation de la valeur marchande des compétitions sportives concernées.

Une mission d'information parlementaire relative aux droits de diffusion audiovisuelle des manifestations sportives a rendu publiques 28 propositions. Certaines de ces propositions vous semblent-elles pertinentes ? La création d'un service public minimum de diffusion des compétitions sportives sur les chaînes publiques, qu'il s'agisse d'un match en clair par journée de championnat ou d'un lot « temps forts », ne serait-elle pas un moyen de limiter le piratage ?

En Espagne, la ligue de football assure pleinement le rôle de garant de la protection des droits audiovisuels, avec des moyens humains et financiers adéquats pour lutter contre le piratage. La LFP pourrait-elle s'emparer de cette question et s'investir plus qu'elle ne le fait déjà ?

M. Denis Rapone. - Concernant les projets européens, nous sommes à une phase très exploratoire. La Commission est davantage dans l'optique de recommandations que d'un cadre contraignant. Nous avons été mis à contribution sur la manière dont nous pratiquons, sans savoir si le modèle français est de nature à emporter leur conviction.

M. Pierre-Antoine Levi. - Nous pouvons nous féliciter des résultats enregistrés grâce à la loi de 2021. Néanmoins, de nouvelles astuces se développent, notamment les boîtiers IPTV. Le manque à gagner est estimé à quasiment 1 milliard d'euros sur le plan national. Dans le même temps, nous connaissons les difficultés de financement du sport, avec un modèle économique basé principalement sur les droits TV.

La fraude a toujours existé. Elle existera toujours lorsque quelque chose est payant. Il y a 15 ou 20 ans, il n'y avait qu'un seul diffuseur pour le football. Aujourd'hui, il y en a plusieurs. Le prix est très élevé. Avez-vous la possibilité de rendre plus lisibles les offres destinées à la population ? Des efforts ont été faits en Europe. Ainsi, il faut débourser beaucoup moins d'argent en Espagne pour suivre la Liga et la Ligue des Champions.

M. Jérémy Bacchi. - La hausse du piratage concerne-t-elle l'ensemble des sports, au-delà du football ?

Disposez-vous d'éléments de comparaison sur la nature du piratage à l'échelle européenne ? Faisons-nous partie des pays où le piratage est le plus important ?

N'y a-t-il pas trop de diffuseurs et d'opérateurs sportifs en France ? Prenez le cinéma : l'apparition de Netflix, avec une offre conséquente relativement abordable, a contribué à faire reculer le piratage. La LFP a-t-elle réfléchi à la constitution d'un package complet destiné à un seul opérateur ?

M. David Assouline. - Dans les années 2000, nous avions eu des débats sur la manière d'arrêter le piratage dans la musique. J'étais favorable à la régulation, tout en invitant à créer un modèle qui coupe les sources du piratage. Tant qu'il n'y aurait pas d'offre commerciale permettant de répondre à la soif de musique de la jeunesse, nous aurions un problème.

Aujourd'hui, le système est absolument désastreux pour ceux qui aiment le football. Généralement, ces personnes n'ont pas beaucoup d'argent. Le football est un sport très populaire. L'accès au stade est absolument inabordable et la télévision coûte cher. Nous ne pouvons pas faire comme si ce sujet n'existait pas. Notre rôle est de travailler pour l'intérêt public, pas pour celui de Canal + ou de beIN Sports. Il faut absolument démocratiser la diffusion du sport à la télévision.

Avez-vous entamé des réflexions sur la manière de faire en sorte que le sport ne devienne pas comme l'opéra ? Comment réagissez-vous à ce qu'a décidé la Commission Européenne la semaine dernière, à savoir ne pas aller dans le sens d'une législation ?

La course aux nouvelles technologies de piratage est incessante. Ce n'est pas tellement le terrain législatif qui permettra d'y répondre. La musique a commencé à trouver un équilibre en révolutionnant le mode de financement, pas en multipliant les barrières, les poursuites, les sanctions et la répression. Comment faire en sorte que le sport reste accessible ?

M. Jacques Grosperrin. - J'ai une question très naïve : ne serait-il pas possible de mettre en place des campagnes de prévention sur le piratage, en évoquant ses conséquences sur les différents acteurs, ainsi que les sanctions encourues par ceux qui le pratiquent ?

M. Maxime Saada. - La situation est assez paradoxale. Je me suis retrouvé à plusieurs reprises devant l'Autorité de la Concurrence, où l'on m'a expliqué qu'il fallait faire entrer des acteurs et que Canal + devait cesser son monopole sur les droits sportifs, dans la volonté de favoriser la concurrence et d'éviter que Canal + n'augmente trop ses prix. De mon point de vue, la fragmentation a plutôt l'effet contraire. Tout le monde en subit les conséquences. Il est difficile pour un fan de football de voir la totalité de certaines compétitions. Nous avions fait une offre pour l'intégralité des droits de la Ligue 1, mais elle n'a pas été retenue, à l'inverse de notre offre pour l'intégralité de la Ligue des Champions. Ce sujet nous préoccupe. Ainsi, l'agrégation des offres de sport s'accompagne de réductions tarifaires. De plus, nous avons mis en place des offres moins coûteuses pour les plus jeunes.

Je comprends totalement la proposition de diffuser des matchs en clair. Il ne faut pas qu'en retour, les chaînes gratuites nous demandent de plus en plus d'argent, comme c'est le cas actuellement de TF1.

Enfin, la concurrence permet de faire monter les droits. Les matchs en clair font baisser la valeur globale d'une compétition.

M. Mathieu Ficot. - Nous avons conscience qu'un nouvel entrant ou une fragmentation de l'offre peuvent être des éléments d'accélération du piratage. Toutefois, le problème du piratage continuera d'exister même si nous interdisons les nouveaux entrants ou si nous accordons tous les droits à un seul diffuseur. Nous avons le devoir d'anticiper les comportements des pirates pour protéger la valeur de nos droits.

Concernant la diffusion de matchs en clair, la Ligue est contrainte par le code du sport, qui prévoit des allotissements et des procédures afin de stimuler la concurrence et de faire en sorte que tous les acteurs intéressés puissent soumissionner. Les droits ne peuvent pas être mis sur le marché pour une durée supérieure à 4 ans, contrairement à ce qui se passe aux États-Unis par exemple. Donner la possibilité à la Ligue de négocier de gré à gré, sans passer par un appel d'offres, l'intégralité et l'exclusivité de ses droits pour une période de 10 ans serait une énorme erreur. La Ligue doit optimiser la valeur de ses droits. Cela fait partie de nos statuts. Nous le faisons pour offrir le maximum de compétitivité à nos clubs sur la scène européenne. Cela participe également de l'intérêt des fans pour notre championnat. La présence de Messi, Neymar ou Mbappé en Ligue 1 accroît l'intérêt des fans de football. L'État en retire davantage d'impôts et de contributions sociales. Je ne crois pas que la diffusion d'un match en clair par journée de championnat soit la solution.

Dans les stades, les places sont à des tarifs très différents, permettant de s'adresser des populations tout à fait différentes. Les plus riches peuvent aller en loge et les plus modestes en catégorie 3. A la télévision, cette différenciation n'est pas possible.

Le dispositif de lutte contre le piratage est extrêmement efficace. Il donne tous les gages. Le fait de pouvoir intervenir pendant une rencontre sera une manière de le rendre encore plus efficace. Donner davantage de moyens à la LFP n'aboutirait pas à un résultat différent.

Mme Caroline Guenneteau. - BeIN Sports a été lancé au prix de 11 euros. Actuellement, l'abonnement est de 15 euros. Pourquoi le sport devrait-il être moins cher que le cinéma ? Pourquoi devrait-il vivre une expérience radicalement différente, alors qu'il coûte extrêmement cher ? La gratuité n'est pas forcément la solution.

Mme Liza Bellulo. - Dans une décision rendue récemment, le Conseil Constitutionnel indique qu'il ne peut y avoir de blocage de sites Internet qu'avec une ordonnance d'un juge ou une injonction d'une autorité administrative. Il ne peut pas y avoir de saisine directe des ayants droit.

Je ne sais pas pourquoi le système qui fonctionne au Royaume-Uni ne fonctionnerait pas en France. Je ne connais pas l'architecture de leur réseau. Il faudrait une étude de plusieurs semaines. Ce qui est vrai de l'autre côté de la Manche ne l'est pas forcément en France, mais nous sommes évidemment prêts à regarder le sujet. En tout cas, je ne conclus pas avant d'avoir étudié, notamment les risques juridiques et techniques. Faisons les choses dans l'ordre. Pour l'heure, je comprends que nous avons un accord à portée de main pour l'industrialisation du blocage DNS, qui a déjà fait diminuer le piratage de 50 %.

Mme Pauline Blassel, directeur général adjoint, Arcom. - Pour protéger les contenus sur Internet, il faut conjuguer des moyens de lutte contre le piratage et des moyens d'accompagnement de l'offre légale. Le développement de l'offre légale appartient aux acteurs privés. Notre rôle consiste à l'accompagner et à l'encourager, ce que nous faisons. Nous menons déjà des actions d'éducation et de sensibilisation.

Je me souviens aussi des débats d'il y a 10 ou 15 ans. A l'époque, il était beaucoup reproché aux acteurs l'absence d'offre légale. Aujourd'hui, certains s'inquiètent qu'il y ait trop d'offre légale. Dans le secteur de la musique, le piratage a drastiquement baissé. Les consommateurs sont extrêmement satisfaits de l'offre. Néanmoins, la comparaison a ses limites car les secteurs reposent sur des économies très différentes. La solution qui a été trouvée pour la musique ne sera pas nécessairement adaptable à l'audiovisuel et au sport. Dans le sport, les consommateurs qui ont des pratiques illicites sont majoritairement de catégories socioprofessionnelles supérieures.

M. Laurent Lafon, président. - Merci à tous.

Le compte rendu de cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 11 h 30.