Mardi 8 novembre 2022

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

La réunion est ouverte à 17 h 30.

Projet de loi de finances pour 2023 - Audition de M. Olivier Klein, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé de la ville et du logement

Mme Sophie Primas, présidente. - Mes chers collègues, nous entendons aujourd'hui Monsieur Olivier Klein, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé de la ville et du logement, qui vient nous présenter le projet de budget de son ministère pour 2023.

Je précise que cette audition est diffusée en vidéo en direct sur le site internet du Sénat et sera disponible ensuite en vidéo à la demande.

Monsieur le ministre, vous nous présentez ce soir un budget en progression nominale. Nous sommes entrés dans une période d'inflation, de l'ordre de 4,2 % l'année prochaine. C'est à l'aune de celle-ci qu'il nous faut aujourd'hui comprendre l'évolution des budgets en volume qui nous sont proposés.

Dans une mission « cohésion des territoires » qui s'accroît globalement de 3,9 %, les trois programmes dédiés au logement suivent la même dynamique, et celui dévolu à la ville augmente de 7,1 %.

La commission est particulièrement attachée à ces sujets, et nous ne cachons pas notre satisfaction que des demandes légitimes aient pu être entendues - je pense notamment aux Quartiers d'été. Mais dans un budget général en déficit de 5 %, et avec une dette dépassant les 110 % du PIB, la responsabilité collective, et particulièrement celle du Sénat, est d'aller au-delà de la facilité de considérer comme « bon » un budget en augmentation.

Celui que vous nous présentez ressemble fort à un budget de transition en matière de financement du logement social, de rénovation des habitations et de politique de la ville. Nous n'attendons pas de vous des solutions miracles, mais une stratégie de long terme, une hiérarchisation des objectifs et des orientations pluriannuelles.

En matière de financement du logement social, nous sommes entre la RLS, prolongée cette année, et le « pacte de confiance », qui j'espère portera bien son nom. Au regard de la construction du PLF 2023, c'est pourtant l'inquiétude qui domine.

Sous couvert de négociations en cours sur ce fameux pacte et sur la convention quinquennale, Action Logement a de nouveau été mis à contribution contre sa volonté. Parallèlement, la requalification par l'INSEE en administration publique de sa filiale Action Logement Service (ALS), qui prélève et distribue la Participation à des employeurs à l'effort de construction (PEEC), laisse augurer à nouveau un possible démembrement du groupe et une budgétisation de cette dernière.

Dans la lignée du travail de Valérie Létard, Dominique Estrosi-Sassione, Viviane Artigalas et Marie-Noëlle Lienemann, notre commission porte deux convictions très fortes. D'abord, il est philosophiquement essentiel que le patronat et les syndicats soient investis pour le logement des salariés. Ensuite, il est budgétairement primordial pour le logement et la rénovation urbaine que cet acteur reste autonome pour être un partenaire de longue durée. Nous sommes ainsi convaincus que les bénéfices de court terme des attaques contre Action Logement se révèleront des handicaps de long terme contre le secteur. Au moment où votre collègue de Bercy pourrait demain prendre la décision juridique de classer ALS comme organisme d'administration centrale, avec de nombreuses conséquences notamment financières, nous attendons de votre part un engagement déterminé pour que, au-delà les nécessités d'un moment, les outils, les acteurs et les financements spécifiques du logement soient garantis dans la durée.

Ce budget est aussi un budget de transition en matière de rénovation des logements. Il vous revient de mettre en oeuvre la loi « Climat et résilience » et notamment les interdictions de louer frappant les logements classés E, F et G. Or, l'Institut Paris région a montré que 45 % des résidences principales d'Ile-de-France portaient ces étiquettes énergétiques. Comment comptez-vous relever ce défi technique et financier, alors que l'énergie pèse si lourd dans le pouvoir d'achat des Français ? Notre commission, avec notre rapporteur Dominique Estrosi-Sassione, avait émis des propositions pour desserrer le calendrier des étiquettes E et pour accompagner les propriétaires. Elles n'ont, pour l'essentiel, pas été retenues. Elles nous manquent aujourd'hui.

Enfin, c'est aussi un budget de transition en matière de politique de la ville. L'année 2023 sera déterminante pour le renouvellement des contrats de ville, la redéfinition de la géographie prioritaire et l'aménagement du cadre législatif et financier. Là aussi, notre commission a présenté des propositions constructives en lien étroit avec les maires concernés, en s'appuyant sur votre travail à l'institut Montaigne pour aller de l'avant et redonner une ambition claire à cette politique : être un tremplin pour les habitants. Nous attendons ainsi que vous présentiez vos intentions et votre agenda pour les prochains mois.

J'attire votre attention sur les quartiers ayant été déclassés de la politique de la ville en 2014, situés dans des communes très souvent socialement fragiles, et très proches d'autres villes toujours classées en politique de la ville. Ces quartiers ont subi les effets collatéraux des démolitions et reconstructions et sont aujourd'hui dans des situations bien dégradées, alors que les communes ont connu une raréfaction de l'argent public et de leur propre capacité à agir.

Je vous laisse répondre à ces premières interpellations, avant de laisser la parole à nos rapporteurs, puis à mes collègues qui souhaiteront s'exprimer.

M. Olivier Klein, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé de la ville et du logement. - C'est pour moi un honneur d'être auditionné par votre commission. En tant qu'élu municipal depuis plus de 25 ans, vous imaginez mon attachement aux collectivités. La politique du logement englobe de nombreux sujets. La conjoncture nous impose d'agir vite, fort et de façon globale. Elle ne doit pas minimiser les difficultés du secteur, liées à la demande - avec l'enjeu de solvabilité des ménages et l'accès au crédit - et à l'offre, alors qu'existent de nombreux freins à la construction.

Ma mission vise à faire que le logement ne devienne pas la bombe sociale de demain. Pour cela, nous nous donnons les moyens de nos ambitions. Le budget en faveur du logement prévoit d'abord d'accompagner les Français tout au long de leur parcours résidentiel, puis d'accompagner les territoires pour une politique du logement en lien avec la transition écologique. Je souhaite également mettre en oeuvre une politique alliant l'urbain et l'humain.

Lier la politique de la ville et celle du logement permet d'obtenir des résultats forts dans nos quartiers. La participation citoyenne y est favorisée. Nous y permettons l'émancipation et le plein emploi. Nous y menons une politique exigeante contre les fractures, les vulnérabilités et les discriminations. Pour que leurs habitants se sentent pleinement citoyens de la République, nous leur devons l'accès aux droits, à des logements dignes, au service public et aux transports. Je souhaite mener et construire cette politique avec les élus locaux.

Notre priorité, dans le contexte actuel d'inflation, concerne le pouvoir d'achat. Contre la hausse des prix, le gouvernement a voté le paquet « pouvoir d'achat » en juillet. Le logement est le premier poste de dépense des ménages. Conformément aux engagements de la Première ministre, vous avez adopté un plafonnement de la hausse des loyers de 3,5 % - alors qu'elle aurait pu atteindre 6 % en 2023 - et une revalorisation des APL de 3,5 %. Elle concerne 5,8 millions de foyers, dont 2,6 millions en logement social, pour 300 millions d'euros de dépense.

Ensuite, un ministre du logement est selon moi un ministre du parcours résidentiel, à chaque étape de la vie. Nous accompagnons la famille qui s'agrandit et souhaite devenir propriétaire avec la possibilité d'obtenir un prêt à taux zéro. Ce dispositif a soutenu 75 000 ménages en 2021. Sa pertinence est renforcée par les taux actuels. Le PLF 2023 le maintient inchangé. Nous devons travailler aux suites à lui donner à partir de 2024.

Ensuite, avec MaPrimeRénov', nous aiderons nos aînés à mieux vieillir chez eux, dans un logement adapté. C'était une promesse de campagne du Président de la République. Les crédits de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) sont renforcés de 35 millions d'euros dans le PLF pour enclencher cette dynamique dès 2023.

Ce parcours résidentiel doit également accompagner ceux qui n'ont pas de logement. Nous luttons quotidiennement contre le mal-logement et le sans-abrisme, avec des résultats. Le Président de la République avait initié dès 2027 la politique du logement d'abord. Cinq ans plus tard, près de 400 000 personnes ont pu accéder à un logement, et la production de logements adaptés a doublé. Nous poursuivrons cet effort avec un nouveau plan logement d'abord.

Je souhaite aussi que ce plan reste exemplaire en matière de territorialisation autour des Services intégrés de l'accueil et de l'orientation (SIAO) et des élus. Je veux me nourrir des idées des 45 territoires qui continuent à accélérer le logement d'abord. Ensuite, la performance et le suivi des résultats sont primordiaux. Le Sénat a produit en 2018 un rapport sur l'hébergement d'urgence. Quatre ans plus tard, une bonne part des efforts de pilotage demandés ont été mis en oeuvre. Il reste toutefois beaucoup à faire. Le PLF 2023 reflète déjà les dynamiques que je souhaite porter. 44 millions d'euros supplémentaires sont alloués à la production de logements et à la prévention des expulsions locatives. Face aux besoins inédits, il maintient pour 2023 un très haut niveau de places d'hébergement d'urgence.

Pour permettre ce parcours résidentiel, il est indispensable de travailler étroitement avec l'ensemble des acteurs du logement, et notamment les bailleurs sociaux. C'est l'idée du pacte de confiance annoncé par la Première ministre, que je souhaite construire rapidement pour qu'il donne une vision de long terme à l'ensemble des acteurs.

Dès 2023, le budget vient stabiliser le modèle de financement en soutenant la production de 110 000 logements sociaux. Nous soutiendrons également la rénovation, notamment thermique, du parc social avec une enveloppe dédiée de 200 millions d'euros. Pour atteindre ce niveau de construction, l'État doit pouvoir s'appuyer sur les maires, qui ont une obligation à travers la loi SRU. Je veux aller au-delà de cet aspect contraignant, dans le dialogue. C'est aussi l'idée de ce pacte de confiance.

La loi SRU a fait l'objet de débats importants dans cette chambre l'an dernier. L'équilibre trouvé me semble être le bon. Vous avez pérennisé la loi et ses exigences, en laissant toute sa place au dialogue. Je veux un dialogue local exigeant pour que la loi SRU soit respectée par toujours plus de communes. C'est le sens des contrats de mixité sociale que je souhaite signer avec toutes les communes volontaires.

Favoriser le parcours résidentiel passe tout d'abord par une amélioration des logements existants. Nous pouvons pour cela nous saisir de quatre leviers. D'abord, le nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) est aujourd'hui largement mobilisé. 450 projets sont validés. Des chantiers sont engagés dans près de 400 quartiers. 12 milliards d'euros seront bientôt alloués, mais pas intégralement dépensés. Je rappelle que l'investissement pour les quartiers en renouvellement urbain s'élèvera, tous leviers confondus, à 50 milliards d'euros à la fin du programme. Je salue à ce titre l'action de l'ANRU et de l'ensemble des maires et présidents d'intercommunalités des quartiers politiques de la ville (QPV), qui s'engagent pleinement dans ces opérations de reconstruction, de démolition, de construction d'équipements publics.

L'accélération de la rénovation énergétique est une priorité du gouvernement. Les résultats sont là. MaPrimeRénov', c'est la réussite de la massification des travaux de rénovation. 1,5 million de projets ont été soutenus depuis 2020, dont plus de 160 000 rénovations globales, contrairement aux 2 500 régulièrement citées. 2,1 milliards d'euros ont bénéficié en 2021 à plus de 80 % de ménages modestes ou très modestes, contre seulement 10 % avec le crédit d'impôt dans la version antérieure. Le gain énergétique moyen par logement est également en hausse de 30 % par rapport au crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) antérieur. En un mot, MaPrimeRénov' fonctionne et est une réussite, mais nécessite maintenant une accélération. On reproche souvent au logement de représenter 20 % des émissions de gaz à effet de serre. Je crois que nous devons en faire l'avant-garde éclairée de la transition écologique. Nous en avons les moyens. Le PLF 2023 prévoit 2,45 milliards d'euros sur le dispositif de MaPrimeRénov', un renforcement d'environ 130 millions d'euros des autres aides de l'ANAH en faveur de la rénovation énergétique pour consolider la dynamique inédite de la relance. Cette accélération se traduira par des évolutions des aides, pour plus de rénovations performantes et globales. Une attention accrue doit être portée aux passoires thermiques, notamment par un meilleur accompagnement des ménages. C'est l'enjeu du service public France Renov. Nous devons rendre accessibles aux Français une information et un conseil sous cette bannière unique. Un réseau d'accompagnateurs agréés, qui se déploiera tout au long de 2023, sera chargé d'emmener les ménages vers des projets ambitieux et de leur faire connaître les aides auxquelles ils ont droit.

Enfin, l'enjeu de la rénovation énergétique est celui de l'habitat collectif. L'aide MaPrimeRénov'Copropriétés sera prolongée pour accentuer l'effort de rénovation des logements collectifs, de sorte à diminuer les restes à charge des travaux, et aider à la décision en assemblée générale.

Nous ne pouvons continuer à voir des gens vivre dans des conditions insupportables dans des passoires thermiques. Depuis la fin du mois d'août, les loyers des logements classés F et G sont gelés. La prochaine échéance prévue par la loi « Climat et résilience » conduira progressivement à leur interdiction de remise en location. Pour tenir ce calendrier, nous travaillerons avec l'ensemble des acteurs. Cette interdiction s'appliquera à tous les logements, y compris aux biens destinés à la location en meublé touristique. Nous ne devrions pas créer un effet d'aubaine pour que ces logements, qui ne pourraient être conservés en location, soient transformés en logis touristiques.

Ensuite, nous devons réconcilier la France avec l'acte de construire pour que chacun puisse se loger en fonction de son parcours de vie. Il faut construire plus de logements, de tous types, là où sont les besoins les plus importants. D'abord, nous devrons rétablir collectivement un discours positif sur l'acte de construire avec les maires et l'ensemble des acteurs. Si vous me permettez l'expression, il faut construire plus pour loger plus. Plus de 2,2 millions de Français sont aujourd'hui en recherche d'un logement social. Nous ne pouvons donc penser que le besoin est couvert. Nous pourrons arriver à nos fins en étant exemplaires en matière environnementale. La dynamique est en cours. Les promoteurs, architectes, entreprises du bâtiment et des travaux publics transforment leur activité en profondeur pour répondre à cette ambition environnementale et à l'exigence de la nouvelle réglementation RE2020. Celle-ci pose un cadre ambitieux en donnant à la construction neuve plusieurs objectifs de sobriété énergétique, de sortie des énergies fossiles ou de diminution des impacts carbone.

Enfin, la Première ministre a annoncé un fonds vert doté de 2 milliards d'euros pour les collectivités locales. Cet engagement fort vise à accélérer la transition écologique de nos villes et de nos territoires. L'été 2022 nous a montré que l'exceptionnel risquait de devenir la norme. Nous devons agir. Ce fonds accompagnera les collectivités dans leurs projets, pour adapter la ville aux changements climatiques, pour régénérer des friches urbaines, pour réaménager des surfaces commerciales et services devenus obsolètes, et pour rénover des équipements et bâtiments publics. C'est du concret. Ce fonds est destiné aux élus locaux, les plus à même de porter des projets de transition écologique adaptés à leur territoire.

Les sujets sont nombreux. Les urgences aussi. Je compte mettre toute mon énergie pour relever ces défis, sur lesquels j'aurais l'occasion d'échanger lors du Conseil national de la refondation (CNR) dédié au logement. Ces discussions ne remplaceront en rien le travail parlementaire, mais permettront de créer du consensus, de bâtir des solutions et de remettre les citoyens au coeur des grands choix de notre pays.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis. - Je voudrais d'abord vous interroger sur le budget dévolu à l'hébergement d'urgence et à l'accès au logement, car donner un toit à chacun est la première des exigences. Les moyens du programme 177 sont importants, et l'État est globalement au rendez-vous financier via des PLF croissants et des ajustements en cours d'année. Cependant, le secteur a besoin de stabilité, de lisibilité et de moyens pour assurer l'accompagnement social, clé de la réussite de la politique du logement d'abord.

Très récemment, vous avez annoncé 40 millions d'euros supplémentaires pour maintenir un parc de 197 000 places en renonçant aux baisses programmées initialement. Pour autant, beaucoup estiment une telle enveloppe insuffisante au regard des coûts effectifs. Prévoyez-vous d'aller plus loin ? En termes d'accompagnement, les associations me font part de graves difficultés de recrutement et d'un problème d'attractivité des métiers. Je suis par exemple interpellée sur le fait que les écoutants des SIAO ne bénéficient pas des revalorisations obtenues par d'autres catégories de travailleurs sociaux. Allez-vous apporter une réponse à cette injustice ?

J'attire également votre attention sur la situation de certains gestionnaires de logements foyers ou de logements accompagnés. Elle peut être très difficile, compte tenu de la hausse des coûts de l'énergie. En effet, lorsque la facturation au résident est forfaitaire, le gestionnaire doit supporter l'essentiel de la hausse sans pouvoir la répercuter, alors que les hébergés bénéficient du chèque énergie. ADOMA et l'UNAFO ont présenté plusieurs pistes de solutions, dont l'attribution du chèque énergie aux gestionnaires, une modification des conditions de révision des forfaits ou encore une refacturation partielle des consommations excessives. Que comptez-vous faire à ce sujet ?

Ensuite, certains commencent à dire qu'il faudrait choisir entre la rénovation et la construction neuve. C'est bien un domaine où le « en même temps », que je ne privilégie en aucun cas, aurait pourtant tout son sens. La crise actuelle du logement est particulièrement grave, et ne cessera de s'aggraver, à court terme tout du moins. Faire un choix entre la rénovation et la construction neuve équivaudrait à revenir sur les conclusions de la commission Rebsamen. Elle avait pu aboutir à un consensus sur le besoin en construction neuve. Ce serait également dangereux au regard des besoins urgents d'accès au logement. Les bailleurs sociaux, mais aussi les promoteurs, sont très préoccupés par l'accès au foncier. Certains opérateurs s'inquiètent que le nouveau « fonds vert » conserve tous les avantages et la simplicité du fonds friche, qui s'est révélé efficace pour débloquer des dossiers complexes. Pourriez-vous nous rassurer sur ce point ?

En matière de rénovation, je suis préoccupée par un discours uniquement punitif vis-à-vis des propriétaires, bien loin d'être tous des « marchands de sommeil louant des logements indignes ». Beaucoup sont confrontés aux difficultés techniques et financières de la rénovation et pourraient retirer leurs biens du marché.

J'ai constaté dans votre entretien pour Le Parisien que vous évoquiez le statut du bailleur privé. Sachez que vous trouverez au sein de cette commission une écoute plus qu'attentive. Je plaide depuis de nombreuses années la nécessité de le mettre en place. Nous devons aider ces bailleurs privés, et non prendre des mesures coercitives à leur encontre. Je reste convaincue qu'un geste tel que l'actualisation du déficit foncier sur l'inflation serait un signal efficace pour les embarquer dans cette volonté de rénovation énergétique de leur logement. Surtout, cette décision empêcherait bon nombre de biens de sortir du marché locatif. Dans le cadre de la loi « Climat et résilience », j'avais même proposé un certain nombre de mesures fiscales et financières à destination des propriétaires, dont un doublement du déficit foncier.

MaPrimeRénov'Copropriétés prend progressivement de l'ampleur. On pourrait accélérer et débloquer progressivement certains dossiers en permettant à l'ANAH de doubler la prime pour les propriétaires modestes. De même, sans doute faut-il bouger les curseurs pour que le soutien à la rénovation globale soit toujours plus avantageux que celui aux gestes uniques de travaux. Pensez-vous pouvoir agir en ce sens ?

Enfin, les enjeux ne sont pas moins forts dans le parc social. Les bailleurs ont moins de marges de manoeuvre avec la RLS et la hausse des taux d'intérêt ou du livret A, qui pourraient à l'avenir peser davantage sur leur capacité d'autofinancement. L'USH a émis des propositions pour aller directement vers les meilleures étiquettes énergétiques, dans l'objectif de la stratégie nationale bas-carbone (SNBC), et pour financer la deuxième vie des logements. Qu'en pensez-vous ?

Nous avons bien compris que ce budget était un budget de transition. Nous souhaitons maintenant obtenir de la visibilité sur le budget du logement pour les quatre années à venir. Il s'inscrit sur un temps long, mais jusqu'à présent, nous n'avons eu qu'à déplorer une politique de stop & go. Les opérateurs, privés comme publics, ne savent où aller et sont contraints dans leurs capacités à agir.

Comment pensez-vous matérialiser votre annonce sur l'interdiction des passoires thermiques sur les meublés de tourisme ? Un véhicule législatif ad hoc concernera-t-il cette mesure ?

Enfin, la Première ministre a annoncé l'extension du bouclier tarifaire sur le gaz aux ménages résidant en copropriété et en logement social à chauffage collectif. Quelles seront ses modalités de mise en oeuvre ? À Nice, j'ai rencontré certaines copropriétés, qui ont pris la décision de ne pas se chauffer, parce que les charges sont beaucoup trop importantes. Elles sont contraintes à des avances de charges, qu'elles ne parviennent pas à faire au regard du bouclier tarifaire, perçu beaucoup trop tardivement. Elles souhaitent bénéficier du même dispositif que les copropriétés actuellement en chauffage individuel au gaz.

Mme Viviane Artigalas, rapporteure pour avis. - En tant qu'ancien Président de l'ANRU, vous êtes bien placé pour savoir qu'elle a retrouvé toute sa dynamique. Nous sommes entrés dans la phase active du NPNRU avec de plus en plus de chantiers et de besoins de paiement. Dans ce contexte, je suis très préoccupée de voir que l'État n'apportera que 15 millions d'euros au programme l'année prochaine. Au cours des cinq dernières années, il n'a financé que la moitié environ des 200 millions d'euros promis. Qu'en sera-t-il à l'avenir, alors que l'État doit encore 1,1 milliard d'euros d'ici 2031 et qu'il devrait verser de l'ordre de 110 millions d'euros par an sur 10 ans ? Assurez-vous que l'État sera bien au rendez-vous et assumera sa part de financement de la rénovation urbaine ?

Vos prédécesseurs ont indiqué relancer le recrutement d'adultes relais pour appuyer les associations et développer la médiation sociale dans les quartiers. Le chiffre officiel est de 6 514 adultes relais. La réalité des effectifs sur le terrain est de l'ordre de 4 600, soit pas tellement plus qu'au début du quinquennat précédent. Comment expliquer cet échec ? Comment comptez-vous y remédier ? Certains évoquent le niveau des rémunérations et les problèmes de professionnalisation qui expliqueraient la faible attractivité des postes. Est-ce exact ?

Ensuite, la dynamique de la politique de la ville est une question centrale pour mesurer ses effets sur les habitants. Nous avons plaidé dans notre rapport pour beaucoup plus d'études de cohortes. Pourtant, nous avons constaté que l'Observatoire national de la politique de la ville (ONPV), dépourvu de président depuis près d'un an, disposant de toujours moins de personnels et de liens avec la recherche, est devenu une coquille vide. Ce sujet peut sembler technocratique, mais il est très important. On ne peut, par exemple, pas concevoir de dépenser 40 milliards d'euros dans le NPNRU sans évaluation. Comment répondre aux critiques de la Cour des comptes et comment comprendre ce qui se joue dans ces quartiers sans évaluation ? Comment comptez-vous relancer l'ONPV et relever ce défi de l'évaluation et de la recherche sur la politique de la ville ?

Enfin, les villes abritant des QPV sont aujourd'hui particulièrement touchées par l'inflation et la hausse des coûts de l'énergie car elles sont plus pauvres que les autres. Qu'est-il prévu pour les accompagner et les aider à passer le cap ? Le Gouvernement a accepté un coup de pouce complémentaire de 110 millions d'euros pour la DSR à l'Assemblée nationale. Étant élue d'un département rural, je m'en réjouis, mais un geste équivalent sur la DSU est-il envisagé au Sénat ? Ce n'est pas moins attendu et légitime.

Enfin, en dehors du budget, pouvez-vous nous faire part de vos projets et de votre agenda pour les prochains mois sur les contrats de ville ?

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur spécial. - Le PLF a été présenté avec un objectif d'abaisser le parc d'hébergement d'urgence de 14 000 places environ. Pourtant, vous avez récemment confirmé que le nombre de places resterait au nombre très élevé atteint pendant la crise sanitaire, puisque le gouvernement a obtenu une ouverture d'un crédit supplémentaire de 40 millions d'euros dans le texte du PLF adopté au moyen du 49.3. Comment est-il impossible de descendre sous ce plateau alors que les restrictions sanitaires n'ont plus cours ? Pourquoi la politique du logement, d'abord censée favoriser le passage direct des sans-abris vers le logement, n'empêche-t-elle pas un nombre toujours plus important d'entre eux de s'arrêter à la case hébergement ? Quel est le nombre de personnes sans-abris en France ? Une audition de la fondation Abbé Pierre laisse entendre que 2 000 enfants et 7 000 adultes dorment encore dehors chaque soir. La dernière enquête de l'INSEE sur le sujet remonte à dix ans. Quand une nouvelle étude vous permettra-t-elle de fonder réellement cette politique sur une connaissance de la population concernée ? Avez-vous une idée du nombre de personnes qui ne devraient pas relever de votre ministère, mais de celui de l'intérieur, au titre de la politique d'accueil des migrants et réfugiés ?

Ayant reçu les responsables d'Action Logement la semaine dernière, j'ai été surpris d'apprendre que les négociations de la nouvelle convention quinquennale n'avaient pas commencé. Pourront-elles être conclues d'ici la fin de l'année, au risque de causer des difficultés en début d'année prochaine, compte tenu de l'interdiction d'emprunt sur une durée supérieure à un an dont ALS devrait bientôt faire l'objet ? Avez-vous un plan B si l'organisme ne peut plus contribuer autant qu'aujourd'hui à tant de politiques publiques ?

Quant à la politique de la ville, que vous connaissez mieux que personne, je m'interroge sur l'abattement de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB), dont bénéficient les bailleurs sociaux. Ils doivent, en échange, réaliser des travaux d'amélioration dans les quartiers ANRU. Avez-vous un bilan de l'utilisation de cet abattement ? De nombreux maires indiquent qu'ils n'auraient pas apporté toutes les contreparties attendues par la loi.

Enfin, le PLF ne contient rien, ou presque, concernant le sujet du « zéro artificialisation nette » (ZAN). Votre collègue Christophe Béchu a évoqué « une forme de fiscalité qui renchérisse le coût de l'artificialisation en fournissant des moyens de collectivité » devant la commission de l'aménagement du territoire la semaine dernière. Avez-vous une réflexion ou une position sur ce sujet, qui met tous les territoires en ébullition ?

M. Olivier Klein. - D'abord, tous les échanges menés depuis de nombreux mois avec Action Logement sont au coeur des réflexions sur ce que sera la nouvelle convention quinquennale. J'ai reçu son Président et sa directrice générale le 6 juillet, deux jours après ma nomination. Compte tenu de mes anciennes fonctions de président de l'ANRU, nos échanges ont été nombreux. Personne n'ignore mes prises de position de l'époque, lorsque j'indiquais que le rôle d'Action Logement était, à mes yeux, déterminant dans un certain nombre de politiques : le renouvellement urbain, Action coeur de ville, les logements sociaux. À ce stade, malgré les évolutions et le classement d'Action Logement en administration publique, je continue à penser que la structure actuelle est la meilleure pour faire vivre le monde du logement social.

Pour autant, nous devrons ensemble définir les responsabilités des uns et des autres sur la production, sur la réhabilitation. Un débat est toujours ouvert sur le Fonds national d'aide à la pierre (FNAP). Je ne sais pas comment nous aurions pu agir autrement s'agissant du maintien du prélèvement tel qu'il a existé à la suite des échanges sur le plan d'investissement volontaire, de 3 fois 300 millions d'euros - et, cette fois-ci, une quatrième fois 300 millions d'euros. Si nous n'avions pas choisi cette voie, Action Logement proposait que les bailleurs eux-mêmes contribuent à l'aide à la pierre, ou l'État.

Ce dernier pense encore qu'il est important de participer à la rénovation thermique. Ce sujet est sur la table dans le cadre du pacte de confiance que nous construisons avec les bailleurs sociaux, et de la convention quinquennale. Les deux débats sont liés et doivent être portés simultanément, dans un nouveau cadre. Lors de l'émergence des premières volontés de budgéter la PEEC, Action Logement n'était pas classée en administration publique. Le contexte a changé. Nous portons une responsabilité collective sur sa dette. Nous devons y travailler ensemble. Nous recevrons avec Christophe Béchu l'ensemble des partenaires sociaux d'Action Logement le 15 novembre pour lancer officiellement, peut-être, la négociation sur la prochaine convention quinquennale. Nous y travaillons depuis trois mois. Chacun doit se mobiliser sur la production neuve et sur la réhabilitation. Ces deux chantiers doivent être menés avec la même acuité, sans opposition.

Nous le savons, 80 % des logements dans lesquels nous vivrons en 2050 existent déjà. La question de la rénovation et de la réhabilitation est donc primordiale.

Ensuite, je crois en notre objectif de tenir les échéances fixées sur le plan de la rénovation énergétique, mais pas dans une logique culpabilisatrice. Les propriétaires occupants et bailleurs sont aussi bien aidés les uns que les autres par MaPrimeRénov'. L'ensemble des aides doivent être connues pour le logement individuel. Nous devons dépasser la massification par une rénovation plus performante, voire globale, là où elle est possible. Pour autant, aucun geste n'est gâché. Ils sont utiles au portefeuille des occupants de ces logements, mais aussi de la planète. Une rénovation performante et globale n'est qu'une somme de gestes. Avec les conseillers France Renov et les accompagnateurs agréés, nous devons lancer tous ces chantiers en toute connaissance de cause. Nous avons besoin d'éclairer chaque porteur de projet, individuel ou collectif, et de renforcer notre effort sur le logement collectif, et notamment les copropriétés dégradées, qui compose la part la plus importante du parc, notamment locatif.

Nous devrons être très attentifs au fait qu'un propriétaire bailleur ou occupant d'un logement classé F ou G risque de rencontrer des difficultés pour changer d'étiquette si celle-ci est liée à la structure du bâti. Nous devrons, le moment venu, prévoir un accompagnement adapté aux copropriétés pour que les travaux nécessaires puissent être votés par l'assemblée générale. Nous étudierons les différents cas. Je ne souhaite pas, à ce stade, faire d'exception possible en leur donnant du temps. Les occupants de passoires thermiques n'ont pas ce temps. Nous travaillons sur la qualification des diagnostiqueurs et la formation des artisans pour engager cette dynamique. L'ANAH et ses partenaires nous accompagnent sur une montée en charge pour trouver de nouvelles aides, afin de rendre MaPrimeRénov'Copropriétés la plus efficace possible.

Madame Estrosi Sassone, le projet de loi de finances prévoyait une baisse de l'hébergement d'urgence de 7 000 places en 2023, suivant une première baisse en 2022. Ceci dit, la réalité nous rattrape, et le besoin reste très important en sortie du Covid. Le plan logement d'abord a toutefois permis de sortir 390 000 personnes de la rue. Compte tenu des conditions politiques ou géopolitiques, de nombreuses personnes ont encore besoin d'un hébergement d'urgence. Le gouvernement a donc décidé d'ajouter ces 40 millions d'euros visant à maintenir 197 000 places environ, pour éviter une remise à la rue.

Le programme Logement d'abord sera relancé avec une vraie volonté. Le gouvernement ne peut agir seul. Nous devons convaincre les élus et habitants de la nécesssité de l'acte de construire, mais nous devons également les convaincre que l'installation d'une pension de famille ou d'une résidence sociale à côté de chez soi est loin d'être un drame, au contraire. Nous avons besoin que le regard sur ces lieux d'accueil évolue.

Ensuite, il est très difficile de disposer du nombre précis de sans-abris. Néanmoins, nous travaillons, sur proposition de l'association Aurore, à la mise en place d'un observatoire qui nous apportera une vision dynamique de la situation. L'ensemble des associations souhaitent sa création. J'ai demandé à la DIHAL et la DHUP de s'en charger. Cette question a également été évoquée récemment à l'occasion d'un Conseil de défense en présence du Président de la République. Nous savons qu'environ la moitié des 200 000 personnes aujourd'hui en hébergement d'urgence n'est pas en capacité d'accéder à un logement, en raison d'une situation irrégulière ou équivalente. Pour un hébergement d'urgence réussi, un accompagnement social des familles sera par ailleurs primordial.

Madame Estrosi Sassone, le travail des écoutants du SIAO est extrêmement difficile et frustrant, parfois. Tard dans la nuit, ils n'ont plus de places à proposer. La Première ministre nous a demandé de travailler sur une prime exceptionnelle pour ces professionnels. Nous la leur proposerons prochainement. Nous devons aussi les accompagner de manière plus structurelle.

Sur les résidences sociales, en effet, le bouclier tarifaire existant ne s'applique pas. Nous recherchons une aide exceptionnelle sur le sujet. La question du chèque énergie dépasse cette population, puisqu'il pourrait être utilisé au sein d'une copropriété. Nous devons toutefois éviter d'éventuelles dérives sur son utilisation.

Évidemment, il n'y a pas de choix entre rénovation et construction neuve. Notre ambition vise la production neuve d'environ 110 000 logements sociaux, et la rénovation annuelle de 120 à 140 000 autres. Nous affichons également une ambition très forte dans l'habitat privé.

Ensuite, nous travaillons sur un statut du bailleur privé. Dans le parcours résidentiel, nous avons besoin de tous types de logements, en accession, mais aussi en location, dans le patrimoine social mais aussi dans des copropriétés privées. Ces investisseurs, surtout petits, doivent disposer d'un statut et être protégés et aidés dans les rénovations thermiques. Des contreparties s'appliquent, telles qu'un plafonnement des loyers. Nous devons continuer à développer la protection des propriétaires à travers l'usage de Visale. Nous y travaillerons dans les mois à venir.

Ensuite, j'ai compris que le fonds vert serait à la main des préfets et qu'il devrait être partagé le plus équitablement possible, tant sur la renaturation des friches que sur les équipements publics dans nos villes, dans l'objectif d'adapter la ville au réchauffement climatique. Je ne doute pas que ses dispositifs de redistribution seront les plus efficaces et faciles possible.

Dans le cadre du fonds friche, 1 400 projets ont pu être accompagnés. C'est un résultat très encourageant. Je souhaite que nous puissions continuer à travailler avec la même dynamique.

Vous avez raison, nous devons mener une discussion sur le déficit foncier et son éventuelle adaptation à l'inflation dans le cadre du PLFR. Ce dispositif fonctionne bien pour les propriétaires bailleurs. D'autres aides sont également disponibles, telles que l'éco-prêt à taux zéro (éco-PTZ). Je rencontrais ce matin la Caisse d'épargne, extrêmement volontariste en la matière. Tous ces dispositifs n'ont de sens que s'ils contribuent à la rénovation énergétique et en sont des leviers.

MaPrimeRénov' doit, à mon sens, poursuivre sa dynamique sur l'habitat individuel et continuer à se développer en direction de l'habitat collectif. Nous avons passé plusieurs heures à travailler sur le sujet cette semaine, notamment avec l'ANAH. Je crois beaucoup à l'accompagnement des copropriétés, qui répartiront ensuite le reste à charge à leurs copropriétaires. L'accompagnement de ces derniers est parfois plus difficile à cibler et à développer. Je ne doute pas que le prochain conseil d'administration de l'ANAH aura la même attention que nous sur la manière dont nous aiderons les propriétaires, notamment les plus modestes.

Je crois que le succès de MaPrimeRénov' et de France Rénov repose sur un engagement partagé. Les Français ne sont pas égaux devant la rénovation car les collectivités locales n'ont pas le même engagement. Plus celles-ci ont fait des efforts au préalable, plus nos concitoyens bénéficieront d'un reste à charge faible.

Ensuite, comme vous, je crois au dispositif seconde vie, dans lequel pourraient entrer 5 000 à 10 000 logements. Le pacte de confiance avec le monde HLM devrait permettre de recharger l'exonération de la TFPB et redonner un agrément au logement social. Cette rénovation profonde me paraît extrêmement vertueuse.

Pour ce qui est de la TFPB, les bilans sont insuffisants et extrêmement inégaux d'un bailleur à l'autre et d'un territoire à l'autre. On critique beaucoup les bailleurs en outre-mer, mais la mise en oeuvre de l'exonération que j'ai pu voir à La Réunion était extrêmement dynamique. Elle l'est moins sur certains territoires de l'hexagone. L'ONPV étudie d'ailleurs son utilisation dans ses indicateurs, à juste titre. Cette exonération doit perdurer, et doit être utilisée en sur-entretien, en présence de gardien ou autres actions sur le territoire. À Clichy, les bailleurs participent à la prévention par des patrouilles ou des médiateurs de nuit, mais aussi à des actions durant l'été, par exemple.

Nous ne sommes pas sur un stop & go, je l'espère. Je ne peux prévoir ma durée de vie, mais je peux vous assurer de mon engagement et de ma mobilisation. Le Conseil national de la refondation (CNR), qui se réunira fin novembre, définira un cadre autour d'Action Logement. J'ai demandé à Véronique Bédague et Christophe Robert d'y être présents à mes côtés. Ils me survivront. Il est important que le CNR s'occupe du logement et porte les racines de ce que je veux construire. Nous le savons, il n'y a pas d'un côté les bailleurs sociaux, et de l'autre les promoteurs. Tout le monde est dans le même bateau. La construction du pacte de confiance et de la convention quinquennale doit contribuer à la vision de ce que doit être le logement. Le pacte de confiance passe également par la mise en place d'une conférence des financeurs. Aucun sujet, ni actuel ni passé, ne sera tabou, pour ma part. Pour l`action de l'État, la rénovation et l'accompagnement des bailleurs en ce sens constitueront une réelle priorité. Ils ont besoin que nous leur redonnions des moyens et que nous les aidions à refaire leurs fonds propres, qui ne leur permettent pas aujourd'hui d'être aussi ambitieux qu'ils le souhaitent.

Concernant les meublés touristiques, ma volonté est telle que nous trouverons le vecteur législatif pour empêcher ceux qui le voudraient de s'infiltrer dans ce petit trou dans la raquette. Nous avons besoin de logements, et de logements classiques, même si l'offre d'accueil de notre beau pays touristique reste présente. Nous le savons, nous peinons déjà à loger les habitants de certaines zones ou leurs enfants. Nous devons d'abord trouver des moyens fiscaux pour que la location de meublés touristiques ne soit pas trop incitative.

Ensuite, la Première ministre ne veut oublier personne en termes de bouclier tarifaire. Le chauffage électrique collectif et les parties communes des logements sociaux étaient au départ hors des radars. Nous avons, je crois, trouvé les moyens de résoudre ces problèmes qui concernent un nombre important de copropriétés. Tous les chauffages collectifs, au gaz et à l'électricité, auront un bouclier tarifaire jusque la fin de cette année. La sortie de ces textes est imminente.

Il est vrai que malgré le bouclier, un certain nombre de nos concitoyens vont voir une augmentation, parfois très importante, de leurs charges. Bon nombre de bailleurs avaient négocié des tarifs extrêmement bas. Nous ne pouvons le leur reprocher, mais lorsqu'on payait 20 euros du mégawattheure, le bouclier fixé à 65 euros du mégawattheure occasionnerait tout de même une augmentation de 200 ou 300 %. Ces prix seraient multipliés par cinq ou six sans ce bouclier. Nous devons être attentifs aux augmentations touchant nos concitoyens. Par ailleurs, certains abonnements de bailleurs ou copropriétés arrivent à échéance, et les tarifs proposés par les fournisseurs sont parfois inacceptables.

Pour résumer, nous essayons de boucher tous les trous dans la raquette, de trouver les textes adéquats et de les mettre en oeuvre au plus vite, le plus efficacement possible. La Première ministre y est très attentive.

Vous savez mon attachement aux programmes de l'ANRU, dotés de 12 milliards d'euros de subventions pour cette année. En 2022, la participation de l'État s'établit à 15 millions d'euros. 450 des 453 projets présentés ont été validés et passés en comité d'engagement, sur des programmes nationaux ou régionaux. C'est presque parfait. Pour ce qui est de la participation de l'État et des différents partenaires, la trésorerie actuelle permet aujourd'hui très largement d'absorber des décaissements. L'engagement du Gouvernement d'accompagner l'ANRU à hauteur de près de 1,2 milliards d'euros doit être tenu, sans quoi il ne pourra pas mener ses programmes à leur terme. Selon moi, l'État sera au rendez-vous. Le pic de décaissement est prévu pour 2026, compte tenu des retards pris à cause du covid. Nous devrons, dès l'année prochaine, commencer à y mettre plus d'argent.

Ensuite, le nombre de postes d'adultes relais ouverts avoisine les 6 500. Un certain nombre de difficultés liées au turnover nous empêchent d'atteindre la cible souhaitée. Ce n'est pas un problème d'argent ou de postes ouverts, mais de temps de recrutement. S'y ajoute peut-être un sujet concernant l'attractivité de ces postes, notamment dans une période où le plein emploi est plus présent qu'à d'autres. Ce point doit être discuté. Ces postes sont très importants, en particulier dans le monde associatif.

J'ai fait une proposition pour une nouvelle présidente de l'ONPV, car cette situation est inacceptable. La politique de la ville doit être évaluée scientifiquement. Je souhaite moi-même m'entourer d'un conseil scientifique. Nous ne comptons pas suffisamment de contrats CIFRE dans ce secteur. De nombreux doctorants pourraient accompagner nos sujets. Nous devons recréer du lien avec la recherche. Par moments, l'ONPV était très dotée. Sa fusion avec l'ANCT a un peu changé la donne.

L'année à venir sera structurante puisque nous réfléchirons à la refonte des contrats de ville. Cette démarche devra être participative, contributive. La politique de la ville a eu tendance à oublier les petites associations et les petits projets. Nous devons lui redonner les moyens d'accompagner les projets locaux et de réinventer la participation des habitants. Je ne dis pas que nous devons arrêter les conseils citoyens, mais là où ils ne fonctionnent pas, nous devons nous laisser la possibilité de revenir à des formats plus informels tels que des tables de quartier, déjà accompagnées par l'ANCT. Nous avons besoin d'une démarche ascendante, avec des débats dans chaque quartier en politique de la ville.

En 2014, nous avons inventé les quartiers de veille de la politique de la ville, qui bénéficiaient d'une veille, mais d'aucun fonds. Nous avons, je pense, besoin d'une cartographie. Les critères utilisés à l'époque peuvent rester pertinents, bien qu'il faille en ajouter d'autres. Je sais également qu'il peut toujours y avoir des effets de bords. Un quartier oublié peut plonger très vite. Au-delà du travail de l'INSEE, je souhaite avancer avec les préfets et les élus locaux. Le transfert de la compétence aux intercommunalités peut également nous permettre de mieux travailler cette cartographie, au plus près des besoins. Vous affirmer que nous le ferons avec plus d'argent serait mentir, mais nous aurons en tout cas la possibilité d'utiliser l'argent de la politique de la ville là où il est nécessaire.

Enfin, le ZAN est d'abord un objectif de long terme. Christophe Béchu a pris cette question à bras le corps. Il a annoncé, avec la Première ministre, reprendre le dialogue avec les collectivités locales sur ce que serait une politique de zéro artificialisation nette. Je crois que nous devons faire, le plus souvent possible et là où c'est possible, avec l'existant. Le gouvernement cherche, à juste titre, à étudier ce sujet en dialogue avec les élus et les associations, pour continuer à faire la ville et à faire du logement. Je disais plus tôt que nous devions construire plus pour loger plus. Nous avons besoin de créer de l'attractivité. Pour autant, dans un certain nombre de cas, l'imperméabilisation a été une facilité par le passé. Nous n'avons plus cette facilité dans le contexte actuel d'urgence climatique. Nous devons être plus vigilants à nos espaces verts et de nature, y compris en ville. La Première ministre a annoncé la notion d'une « France Nation verte ». J'essaierai de m'associer à cet objectif de valeur.

Mme Sophie Primas. - Nous faisons le voeu que le dialogue sur le ZAN entre l'État et les collectivités territoriales soit plus écoutant que celui que nous avons connu autour de la loi SRU.

Mme Florence Blatrix Contat. - L'accès au logement pour les locataires est aujourd'hui souvent limité par la nécessité de disposer de ressources et cautions. La garantie Visale est essentielle pour aider les jeunes et les salariés les plus modestes, mais elle exclut les apprentis et étudiants n'ayant pas encore 18 ans. De nombreux jeunes nés en fin d'année ne peuvent y accéder. Pensez-vous qu'il est possible de résoudre cette difficulté ? Par ailleurs, qu'en est-il de l'engagement du Président de la République d'élargir le dispositif de caution pour mieux lutter contre les discriminations dans l'accès au logement ?

Vous avez souligné la nécessité de porter un effort sans précédent en matière de rénovation thermique et d'être à l'avant-garde éclairée en termes de transition énergétique. Vous avez évoqué les moyens mis en place. J'aimerais toutefois vous entendre concernant la structuration de la filière qui doit être capable d'y répondre et d'opérer des rénovations de qualité. Quel plan avez-vous prévu d'initier en la matière ?

Enfin, si vous souhaitez construire plus pour loger plus, il faut à mon avis construire à prix abordable. Dans de nombreuses régions, le prix du foncier et de l'immobilier est de plus en plus élevé. Les jeunes ne peuvent plus acheter. Envisagez-vous des régulations pour limiter ces augmentations et permettre à tous de se loger ?

Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Les Français établis hors de France possèdent souvent un bien en France, considéré comme une résidence secondaire. À ce titre, ils ne peuvent bénéficier d'exonérations, abattements, déductions ou crédits d'impôt accordés aux contribuables dont la résidence fiscale est située en France. Ils sont en outre redevables de surtaxes. Ceci leur rend toute possession d'un actif particulièrement difficile et onéreuse, alors qu'ils en ont besoin pour revenir en France ou loger leur famille. Le Président de la République s'était engagé au cours de la dernière campagne à étudier la possibilité de créer une résidence de repli, assimilable à une résidence principale, pour ne pas les pénaliser. Je n'ai pas trouvé de mesure en ce sens dans le PLF 2023. Avez-vous envisagé des propositions à leur égard ?

Mme Sylviane Noël. - Je me ferai ici l'interprète de nombreux élus locaux. Vous évoquiez plus tôt les territoires touristiques exposés à une très forte prolifération des résidences touristiques. C'est le cas dans mon département de Haute-Savoie où certaines communes comptent jusque 80 % de résidences secondaires. La cherté du foncier devient un obstacle à l'habitat permanent. Les élus sont démunis face à ces phénomènes. Ce n'est pas avec une surtaxe d'habitation que nous parviendrons à les freiner. Ainsi, envisagez-vous de donner aux maires des dispositifs plus coercitifs pour limiter la prolifération de ces résidences touristiques ?

Ensuite, le parcours résidentiel constitue un enjeu majeur. Force est de constater que les collectivités et bailleurs sociaux sont assez démunis pour faire respecter l'éligibilité au logement social dans le temps. Je citerai l'exemple typique d'une personne y ayant droit au début de sa vie, puis trouvant un emploi très bien payé en Suisse. La surtaxe appliquée sur son loyer est dérisoire par rapport aux prix dans le privé. Elle pourra rester dans son logement autant qu'elle le souhaitera. Sur mon territoire, les élus construisent de plus en plus. 70 % de la population permanente est éligible au logement social, mais un bon nombre de résidents en bénéficient alors qu'ils ne le devraient pas.

M. Daniel Salmon. - 80 % de la ville de 2050 est déjà construite. La réhabilitation doit jouer à plein. Vous avez annoncé 160 000 rénovations globales. Pourtant, la Cour des comptes estime que seules 2 500 passoires thermiques sont réellement sorties de cet état et ne sont plus classées dans les catégories E, F ou G. Vous évoquiez 30 % de gain d'énergie sur les 160 000 rénovations globales. Cela signifie que si nous consommions 400 kWh/m² par an, nous sommes passés à 180 kWh/m², équivalent un passage de la classe F à la classe E. C'est insuffisant. Dans ce cas, nous faisons un petit geste aujourd'hui et devrons en refaire un dans cinq ans. Tous les professionnels assurent que cette démarche ne nous mènera pas aux classes A et B. Qu'envisagez-vous pour booster cette prime Rénov', qui, de l'avis général, n'apporte pas les résultats attendus ? Pouvez-vous approfondir le rapport d'Olivier Sichel, et la question des tiers financeurs ?

Enfin, comment envisagez-vous la structuration de la filière ? À ce rythme, il nous faudra 2 500 ans pour venir à bout des passoires thermiques.

M. Daniel Gremillet. - Nous avons besoin de stabilité et de lisibilité sur MaPrimeRénov', et d'une trajectoire sur plusieurs années. Que pouvez-vous me dire à ce sujet ? Par ailleurs, je crois que nous sommes largement en dessous de nos espérances sur la copropriété. Nous devons être plus offensifs.

Je m'interroge par ailleurs sur les moyens budgétaires de l'ANAH.

Ensuite, les travaux menés par la commission économique du Sénat sur la RE2020 avaient démontré une trajectoire avec un accroissement des coûts. Ils sont vérifiés, voire amplifiés avec l'inflation et les taux d'intérêt.

Enfin, vous indiquez que vous veillerez à ce que les logements ne quittent pas le champ locatif pour rejoindre le champ touristique, mais comment accompagnons-nous efficacement les propriétaires ? Ils doivent être financièrement capables de réaliser des travaux.

M. Rémi Cardon. - En matière de rénovation thermique, nous avons pris l'habitude de nous fixer des objectifs ambitieux chaque décennie, sans nous en donner les moyens. Sur les 700 000 subventions de MaPrimeRénov' attribuées en 2021, seuls 2 500 logements seraient sortis du statut de passoires thermiques selon la Cour des comptes. À ce rythme, il nous faudra 2 000 ans pour toutes les rénover. À mes yeux, France Rénov et les accompagnateurs Rénov ne permettront pas de combler les lacunes. Seul un déploiement rapide et massif sur tout le territoire nous mènerait à notre objectif.

Par ailleurs, les guichets physiques sont implantés de manière inégale sur les territoires. Ils sont 3 dans la Somme, 17 dans le Nord. Il n'y en a qu'un dans l'Aisne. Comptez-vous en ouvrir de nouveaux ? Comment les accompagnateurs seront-ils répartis, le cas échéant ? Comptez-vous les intégrer aux maisons France services ?

M. Laurent Somon. - Je rejoins ce qu'ont dit certains de mes collègues concernant MaPrimeRénov' : c'est le processus qui importe. De nombreuses collectivités se sont engagées dans des opérations programmées d'amélioration de l'habitat (OPAH), et se sont affiliées avec des mandataires pour accompagner la restructuration et la rénovation de bâtiments. Aujourd'hui, des difficultés se posent avec ces mêmes mandataires parce qu'ils ne sont pas maîtres d'oeuvre. Nous peinons à obtenir des devis et à solliciter des entreprises. Certains dossiers, qui semblaient être éligibles, sont maintenant transformés en aides à la rénovation de logements indignes et très dégradés. Quelles mesures proposez-vous ? L'accompagnateur Rénov sera-t-il plutôt un assistant à maîtrise d'ouvrage, avec des capacités de maîtrise d'oeuvre, pour engager plus vite les travaux ?

Ensuite, nous avons vu beaucoup d'escroqueries avec MaPrimeRénov'. L'État contrôle-t-il les entreprises travaillant au titre de l'ANAH ?

Enfin, pourquoi ne prend-on pas en compte les rénovations et réhabilitations, dans l'intégration d'un quartier, des écoles primaires ou collèges ? Aujourd'hui sortent les critères IPS. Nous constatons bien que les quartiers les plus difficiles ne disposent pas des établissements les plus attractifs. Ne pouvons-nous pas intégrer une participation des fonds ANRU dans leur rénovation ?

M. Yves Bouloux. - Dans un entretien accordé il y a quelques jours à Capital, vous avez indiqué réfléchir au statut des bailleurs privés. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

Mme Martine Berthet. - Il semblerait que dans le PLF 2023, l'éligibilité à la TVA de 5,5 % pour les travaux induits lors de travaux de rénovation énergétique ne soit plus possible. Pouvez-vous nous dire ce qu'il en est précisément ? Les acteurs du bâtiment s'inquiètent.

Mme Viviane Artigalas. - Vous avez indiqué que chaque geste de rénovation était utile, mais j'ai été alertée sur le fait que MaPrimeRénov' favorisait l'installation de nouveaux systèmes de chauffage, au détriment des autres postes de la rénovation. Est-ce une réorientation de la politique de rénovation des logements, alors que le rapport Sichel favorisait des rénovations performantes et globales ?

Mme Amel Gacquerre. - Lancées en 2019, on dénombre aujourd'hui 200 cités éducatives. Elles ont pour objectif de renforcer la prise en charge pédagogique et éducative des jeunes de 0 à 25 ans dans et autour de l'école. De premiers bilans laissent entendre que les 16-25 sont trop peu ciblés par ces dispositifs, alors que les questions d'insertion, de formation et d'emploi sont essentielles dans ces quartiers.

Par ailleurs, il apparaît nécessaire de clarifier davantage le cadre, les attentes et priorités nationales des cités éducatives. Nous le savons, le propre de ces dispositifs porte sur l'adaptation territoriale, mais il n'en reste pas moins que les acteurs locaux soulèvent aujourd'hui un manque de lisibilité à long terme sur ces dispositifs.

M. Jean-Marc Boyer. - Vous avez dit à deux reprises qu'il fallait construire plus pour loger plus. Dans le même temps, le ZAN prévoit une diminution de 50 % de la consommation d'espaces naturels, agricoles et forestiers d'ici 2031, puis une baisse de l'artificialisation jusqu'à zéro net en 2050. Cela me paraît très contradictoire. N'allons-nous pas arriver à un moment à moins de constructions pour loger plus ?

Mme Sophie Primas. - Vous avez évoqué à plusieurs reprises le CNR logement et les travaux que vous y mènerez. Il y a cinq ans, nous avons tenu au Sénat les états généraux du logement. Vous pourriez vous inspirer de nos réflexions de l'époque.

Par ailleurs, vous dites qu'il est nécessaire de convaincre les élus de construire. Pour autant, en supprimant la taxe d'habitation et en gelant ses compensations, la construction n'est plus un sujet pour les maires. Ils n'en veulent pas. Ils ne peuvent plus accueillir de nouvelles populations car ils ne peuvent plus construire d'écoles, par exemple. Les liens citoyens entre la commune et ses nouveaux habitants sont rompus. Vous ne ferez pas l'économie d'actions redonnant de la dynamique aux ressources liées au logement, mais aussi au développement économique.

M. Olivier Klein. - Je me renseignerai concernant la garantie Visale et si le seul fait d'être mineur représente un frein à ce dispositif. Par ailleurs, son extension fait partie des réflexions du Président de la République. Nous y travaillons dans le cadre de la convention quinquennale. Aujourd'hui, elle a aussi une vertu par le fait de son exception. Son extension ne devrait pas faire perdre aux plus modestes et à ceux qui en ont le plus besoin la capacité d'entrer dans le logement.

Ensuite, en effet, construire à un prix abordable est une obligation. Nous observons des difficultés structurelles liées à l'actualité et notamment au coût des matériaux. La question du foncier est déterminante. Nous devons étudier toutes les pistes : celles du foncier public, le bail réel solidaire ou les offices fonciers solidaires - qui fonctionnent de plus en plus, dans de nombreuses régions. Aujourd'hui, la fiscalité du foncier est d'une certaine manière inversée et n'est pas très vertueuse dans une volonté de production. Plus on garde un foncier, moins on paie d'impôts. Je travaille sur le sujet mais ne suis pas capable de vous apporter de réponse aujourd'hui.

Honnêtement, je ne pense pas que nous ayons travaillé sur le sujet de la résidence de repli. Je le découvre aujourd'hui. Je prends le point et vous transmettrai une réponse écrite.

Par ailleurs, une extension du nombre de villes dans lesquelles nous offrons aux maires la possibilité d'augmenter la taxe sur les résidences secondaires sera précisée par décret. Je pense que, sur ce sujet, il est opportun de donner le pouvoir aux élus, qui sont les mieux placés pour savoir s'il est nécessaire d'augmenter cette taxe, la résidence secondaire pouvant être un atout pour certains territoires.

La question de la perte de droit au logement social et de l'inefficacité du surloyer est importante. Des dérogations s'appliquent dans les quartiers ANRU, contribuant pendant un temps à la mixité. Nous devons nous pencher sur les cas particuliers de Français travaillant à l'étranger. Il me semble qu'on dispose de deux ans pour quitter le domicile lorsqu'on dépasse 150 % du plafond fixé. Le locataire reçoit tous les deux ans une enquête sur son niveau de ressources.

Mme Sylviane Noël. - La règle n'est pas très appliquée. Elle doit être dissuasive.

M. Olivier Klein. - Nous devons travailler sur l'automatisation du surloyer et sur le respect de la règle.

Ensuite, un travail de structuration de la filière est mené sur plusieurs fronts par plusieurs ministères. Les ministères de l'économie et des finances ont organisé les assises du bâtiment, au cours desquelles ces questions ont été largement abordées. Nous identifions plusieurs sujets, dont la qualification des entreprises et artisans dans leur capacité à réaliser les travaux et à rendre l'entreprise éligible aux primes. Les fédérations sont fortement mobilisées sur ces sujets. Elles travaillent à la formation des apprentis et à la création de CAP adéquats. Il a été demandé de prolonger l'expérimentation pour obtenir la qualification RGE aux chantiers. Si l'entreprise a mené plusieurs chantiers et a réussi ses rénovations, il est légitime de penser qu'elle les réussira encore. Ainsi, la simplification de l'obtention des qualifications est très importante. Sur ce sujet, ne nions pas le rôle des collectivités locales, et notamment des régions, véritables vecteurs de l'information.

En plus de la formation, nous travaillons sur l'attractivité des métiers. La fédération française des bâtiments est très active en termes de formation et d'attractivité de ses métiers, au travers d'outils numériques notamment. Je suis très favorable à la notion d'« aller vers ». Les entreprises du bâtiment doivent présenter leurs métiers dans les quartiers et les lycées. Nous devons également lutter contre les fraudes, et disposer d'entreprises de qualité. C'est un cercle vertueux. Plus l'écogeste et la rénovation thermique entreront dans les moeurs, plus le besoin sera présent et plus la filière s'alimentera.

S'agissant du statut du bailleur privé, nous sommes encore en réflexion. Il n'y a pas de ministre magique. Je pense que ce sujet sera porté par un certain nombre de nos partenaires. Il s'accompagne, à mon sens, de l'avenir de la défiscalisation et des obligations que l'on se donne en matière sociale et environnementale lorsque l'on achète pour mettre en location. Comment simplifier et uniformiser les différents régimes fiscaux à travers ce statut ? Quelles incitations y associons-nous, liées à la rénovation énergétique ou aux zones tendues ? Enfin, le bailleur privé, tel que je l'entrevois, propose des loyers abordables. Une fois ces points statués, nous devons travailler sur ses droits et devoirs. Nous mènerons ce chantier avec l'ensemble des acteurs du logement.

Concernant MaPrimeRénov', la création de France Rénov n'est pas partie de rien. Un certain nombre d'actions étaient déjà menées par l'ANAH, ou territorialisées. Les territoires déjà vertueux à l'époque sont ceux qui, aujourd'hui, disposent d'un plus grand nombre de guichets physiques. La création du guichet unique et du numéro unique vise à uniformiser la situation, mais il nous faut maintenant trouver des solutions pour les territoires où ces questions étaient moins prises en compte. Nous comptons 475 espaces d'information, et 2 000 conseillers France Renov. Nous avons pour objectif de dénombrer 4 000 accompagnateurs Rénov d'ici la fin d'année 2023. L'accueil physique est nécessaire, j'en conviens. Pour autant, le premier accueil téléphonique permet aux appelants d'être adressés vers un accueil fixe. Ceux-ci ne sont pas encore répartis uniformément. Les maisons France services pourront jouer un rôle dans leur disposition. Des permanences y sont assurées.

Ensuite, j'ai tendance à croire au travail mené par l'ANAH et aux chiffres qu'elle me communique. Elle rapporte 160 000 rénovations globales depuis 2020, dont 40 000 par an via MaPrimeRénov'Sérénité, accompagnant les familles les plus fragiles. La baisse des dépenses énergétiques mesurées avoisine les 50 %. Nous devons poursuivre ces performances, bien que j'entende vos critiques. Les 2 500 rénovations que vous évoquez sont celles ayant donné lieu à un bonus, et donc à un niveau de réalisation supérieur à la performance exigée.

Je ne dis pas que les résultats sont parfaits. Aujourd'hui, la plupart des chantiers ont porté sur de l'habitat individuel. Le chemin qui nous attend est celui de l'habitat collectif, par le biais de MaPrimeRénov'Copropriétés. Nous devons ainsi accompagner et former les conseils syndicaux et les syndics, regarder les qualifications. L'accompagnateur Rénov doit aider à trouver l'assistance à maîtrise d'ouvrage, bien qu'un certain nombre d'architectes demandent à être agréés accompagnateurs Rénov, et disposeront donc des compétences pour accompagner une copropriété de bout en bout. Les tiers financeurs devront être développés. J'ai rencontré Ile-de-France Énergie, dont les moyens sont aujourd'hui insuffisants pour accompagner les chantiers. Ainsi, ne croyez pas que l'État est contre les collectivités locales, au contraire. Ils avancent ensemble pour préserver la massification des chantiers actuels et aller vers des performances plus importantes. Nous ne pourrons agir sans les collectivités à nos côtés.

L'ANRU permet aujourd'hui de financer des équipements publics, et notamment des écoles. En tant que président de cette agence, je n'ai cessé de poser les premières pierres d'écoles. Aujourd'hui, je les inaugure. C'est la preuve que les chantiers avancent. Pour les collèges, la situation diffère légèrement. Même si les collectivités rencontrent des difficultés financières, le contexte des départements n'est pas le même. À ce stade, l'ANRU se concentre sur l'accompagnement des collectivités locales. Il est arrivé qu'elle intervienne sur des collèges, mais surtout sur des écoles et équipements publics et sportifs, à l'exception des piscines. Nous ne pouvons refaire la ville en ne nous intéressant qu'à la question du logement.

Madame Berthet, n'ayez aucune inquiétude quant à la TVA à 5,5 % pour les travaux induits par la rénovation énergétique. Ils sont toujours couverts. Simplement, le code général des impôts a évolué et il n'est plus nécessaire de le préciser dans le texte.

Nous avons annoncé le prolongement de trois ans des cités éducatives. J'y suis fortement attaché. Je crois foncièrement à cette manière de travailler décloisonnée, dans un trio entre l'éducation, les collectivités locales et l'État. Selon Jean-Louis Borloo, il faut tout un village pour élever un enfant. Je pense qu'il a raison. En effet, les cités éducatives sont plutôt centrées sur la petite enfance, la maternelle, l'école élémentaire, le collège et un peu le lycée, notamment sur les questions d'orientation. Les plus âgés ne sont pas situés au coeur de ces dispositifs, ce qui ne signifie pas que l'action de l'État et la politique de la ville ne s'y intéressent pas. La Première ministre actuelle, lorsqu'elle était ministre du Travail, a lancé le dispositif « un jeune, une solution ». Il joue son rôle. Tous les chantiers et les aides menés auprès des missions locales et de Pôle Emploi pour aller vers les invisibles et accompagner les jeunes dans leur recherche d'emploi - et notamment les plus éloignés - fonctionnent. L'évolution de la garantie jeune en contrat d'engagement jeune également. Les relations entre les jeunes et leurs missions locales ou conseillers se sont profondément apaisées.

Les contrats aidés de demain prendront évidemment en compte les jeunes de 16 à 25 ans, mais pas nécessairement au sein des cités éducatives, dont ce n'est pas l'objet. Elles ont été créées pour les jeunes de 0 à 25 ans, c'est vrai. Pour les plus âgés, elles concernent surtout les questions d'orientation. Les cités sont ensuite librement administrées par les collectivités locales. À Clichy-sous-Bois, nous montons un projet de préparation aux rentrées universitaires, car nous savons que le passage d'un lycée présentant une réelle politique éducative à la vie universitaire est difficile, comme en témoigne le taux d'échec en première année. Cela doit à mon sens s'adosser au travail des missions locales.

Ensuite, le ZAN est un chantier en cours. N'oublions pas que le « N » pour « net » signifie que pour construire à un endroit, nous devons redonner de la perméabilité ailleurs.

Enfin, évidemment, les parlementaires seront invités au CNR logement, comme ils le sont au sein du CNR national. Nous consulterons les travaux déjà menés lors de vos états généraux, si ce n'est déjà fait. Nous avons lu avec attention le rapport de François Rebsamen, auquel bon nombre d'entre vous ont contribué, ainsi que le rapport Sichel sur les questions de rénovations thermiques. Je suis également très sensible au travail mené par certaines sénatrices présentes sur l'évaluation des contrats de ville. N'hésitez pas à continuer à alimenter nos réflexions.

Je partage votre ambition de convaincre les élus de l'acte de construire. Ils doivent y voir un intérêt, d'abord pour leurs populations. Cela veut dire qu'ils doivent être accompagnés et que nous devons leur donner les moyens de construire des écoles, accompagner les nécessaires besoins en équipements publics lorsque la population augmente. Je rappelle aux maires que ne pas construire ne permet pas d'atteindre le point de neutralité. En gardant le même nombre de logements, la population baisse mathématiquement, et les moyens s'amenuisent donc en conséquence. Ainsi, chaque élu a intérêt à reloger et à construire, pour la dynamique de son territoire.

Mme Sophie Primas. - Ce n'est pas tant un problème d'investissement, mais surtout de fonctionnement dans le temps. Puisque les moyens financiers des communes s'amenuisent fortement, le sujet est réel. Nous aurons l'occasion d'en reparler.

Nous reviendrons également sur le sujet de l'attribution des logements sociaux, que nous n'avons pas le temps de traiter aujourd'hui.

La réunion est close à 19 heures 50.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Proposition de loi visant à protéger les collectivités territoriales de la hausse des prix de l'énergie en leur permettant de bénéficier des tarifs réglementés de vente de l'énergie - Désignation d'un rapporteur

La proposition de loi visant à protéger les collectivités territoriales de la hausse des prix de l'énergie en leur permettant de bénéficier des tarifs réglementés de vente de l'énergie, déposée par M. Fabien Gay, et Mmes Céline Brulin et Cécile Cukierman et plusieurs de leurs collègues du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est inscrite à l'ordre du jour du mercredi 7 décembre. Nous examinerons le texte en commission le mercredi 30 novembre. Je vous propose de désigner notre collègue M. Laurent Somon pour être rapporteur sur ce texte.

La commission désigne M. Laurent Somon rapporteur sur la proposition de loi n° 66 (2022-2023) relative aux tarifs réglementés de vente de l'énergie en faveur des collectivités territoriales.

La réunion est close à 19 h 30.

Mercredi 9 novembre 2022

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Projet de loi de finances pour 2023 - Audition de M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

Mme Sophie Primas, présidente. - Dans le cadre de nos auditions budgétaires, nous entendons M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, qui vient nous présenter le projet de budget de son ministère pour 2023.

Je vous précise que cette audition est diffusée en vidéo en direct sur le site internet du Sénat et sera disponible ensuite en vidéo à la demande.

Monsieur le ministre, c'est la première fois que la commission des affaires économiques vous entend dans vos éminentes fonctions, même si nous avons déjà eu l'habitude de travailler avec vous en tant que ministre des relations avec le Parlement pendant près de quatre ans.

Nul doute que mes collègues profiteront de cette audition pour faire un tour de l'actualité agricole - elle est très riche : mise en oeuvre bloquée de retenues d'eau, crises inflationnistes et crise énergétique, conséquences de la sécheresse et des incendies, influenza aviaire, prédation du loup, crise du bio, négociations commerciales à venir, et j'en passe. Mais je vous demanderai, mes chers collègues, de vous concentrer autant que possible sur le budget.

Monsieur le ministre, vous nous présentez un budget en très forte hausse, puisque la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » s'accroît de 30 %, passant de 3 milliards à 3,9 milliards d'euros.

Nous aurions été ravis de pouvoir nous féliciter avec vous de cette hausse... si elle ne s'expliquait pas essentiellement par des mesures de périmètre ! Sur les 880 millions de hausse, 430 millions s'expliquent par la simple budgétisation de l'exonération de cotisations sociales pour l'embauche de travailleurs occasionnels demandeurs d'emplois, le TO-DE, auparavant compensée à la sécurité sociale par l'affectation d'une fraction de TVA. Cette évolution est réalisée au nom de la lisibilité - mais où est la lisibilité quand nous sommes amenés à comparer d'une année sur l'autre, pardonnez-moi cette image alimentaire, des choux et des carottes ?

Pour le reste, le programme 206 sur la sécurité sanitaire de l'alimentation augmente de 7 %, porté notamment par la mise en oeuvre de la police unique de la sécurité sanitaire des aliments. Le programme 215 sur les fonctions support augmente lui aussi de 7 %. En somme, les crédits n'augmentent guère beaucoup plus que l'inflation. Pis, certaines lignes peu onéreuses au profit de dispositifs qui avaient démontré leur efficacité, semblent moins abondées que l'an passé - la rapporteure Françoise Férat en citera quelques-unes.

Le programme 149, qui porte notamment les 250 millions de crédits budgétaires mis sur la table pour la réforme de l'assurance récolte, augmente de 21 %. Il faut souligner cet effort budgétaire notable, je le dis sincèrement. Et dire aussi que malgré tout le compte ne semble pas y être entièrement - je laisserai le rapporteur Laurent Duplomb revenir sur ce point.

Dans les quelques évolutions supplémentaires non pas votées par les députés, mais retenues par le Gouvernement, on trouve la hausse attendue de 10 millions d'euros en faveur de l'Office national des forêts (ONF), concrétisant l'engagement du Gouvernement à consacrer plus de moyens à la défense des forêts contre l'incendie - mes collègues Anne-Catherine Loisier et Olivier Rietmann ne manqueront pas de vous interroger à ce propos.

Cette année, il est clair que c'est au Sénat que le débat sur le budget agricole aura lieu, puisqu'à l'Assemblée nationale l'article 49 alinéa 3 a été activé en plein milieu des débats agricoles, et avant que les amendements les plus importants aient pu être discutés.

Vous l'avez compris, monsieur le ministre, j'aimerais donc vous entendre sur les réelles avancées de ce budget, et je suis sûre qu'il y en a.

Et au-delà de cette mission budgétaire, sur laquelle les trois co-rapporteurs Laurent Duplomb, Françoise Férat et Jean-Claude Tissot vous questionneront plus en détail, j'aurais voulu vous entendre sur l'ensemble des crédits portés par le ministère mais qui échappent à la mission « Agriculture ». Les montants sont considérables et il nous manque un panorama d'ensemble.

Je pense en particulier au plan de relance, qui a financé le monde agricole et forestier à hauteur de 1,5 milliard d'euros, mais aussi au plan France 2030, qui consacre 2,9 milliards d'euros à ces thématiques sur une période plus longue, ou encore aux divers crédits débloqués en urgence en lois de finances rectificatives pour faire face à la crise de l'énergie, à la sécheresse, au gel ou à la grêle.

Qu'en est-il en particulier de la mise en oeuvre du plan « entrepreneurs du vivant » et du plan de résilience Ukraine ?

Pouvez-vous faire une synthèse des crédits débloqués pour faire face aux aléas climatiques et économiques ?

Le plan France 2030 joue-t-il son rôle de catalyseur ? Permet-il de dessiner l'agriculture de demain, par des investissements par exemple dans la recherche ou dans la robotique ? Ou vient-il seulement pallier d'éventuels arbitrages perdus ?

Enfin, si nous en avons le temps, nous aimerions que vous nous présentiez vos intentions et votre agenda pour les prochains mois - je pense à la loi d'orientation sur le renouvellement agricole, qui aura elle aussi des implications budgétaires.

M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. - Je suis heureux de vous présenter ce budget, c'est un rendez-vous particulièrement utile dans le contexte que nous connaissons. L'aspect stratégique de notre capacité à produire pour nous nourrir a été de nouveau mis en évidence par la guerre en Ukraine et les crédits de cette mission revêtent par conséquent une importance particulière dans le moment que nous traversons.

Mais au-delà de ces grands bouleversements, je n'oublie pas l'urgence immédiate, en particulier le coût de l'énergie, et les risques sur la continuité de l'activité agricole. Je suis donc en contact étroit avec les filières agricoles, par exemple celle des endives, pour les soutenir et suivre l'évolution de leur situation, mais je suis également attentif aux situations particulières qui se présentent, c'est notamment le cas dans la Drôme avec le syndicat d'irrigation.

La première caractéristique de cette mission, c'est l'augmentation substantielle de ses crédits : ils s'élèvent cette année à 5,987 milliards d'euros, c'est 1 milliard d'euros en plus que l'année dernière.

Avec le plan de relance, France 2030, les financements européens et les dispositifs sociaux et fiscaux, ce sont 26 milliards d'euros qui sont alloués ou programmés pour le développement de l'agriculture et de l'agroalimentaire.

C'est un budget qui nous donne les moyens de financer nos priorités, pour bâtir notre souveraineté alimentaire, grâce à l'engagement sans faille des agents du ministère, des services déconcentrés et des opérateurs, qui viendront le traduire concrètement sur le terrain.

Et cette augmentation des crédits, c'est surtout un signal fort pour ce premier budget du quinquennat, car c'est un soutien très concret et décisif avec l'entrée en vigueur de la réforme de l'assurance-récolte, la prolongation du TO-DE, le maintien des financements dédiés à l'indemnité compensatoire de handicaps naturels, et pour continuer à dynamiser notre enseignement agricole ou améliorer notre politique forestière.

J'évoquerai en premier lieu le soutien à la forêt, c'est un aspect essentiel des crédits de cette mission, et je connais votre engagement sur le sujet, notamment avec le travail réalisé par le Sénat sur les feux hors normes de cet été. Le soutien appuyé à notre politique forestière, s'inscrit dans la droite ligne des annonces récentes du Président de la République sur l'objectif de renouvellement de 10 % de la forêt française d'ici 2030 pour faire face au changement climatique.

Je serai prochainement dans plusieurs départements pour traduire cette ambition de manière concrète, en présentant la feuille de route gouvernementale pour la planification forestière, et le volet forestier de France Nation Verte, autour de quatre axes.

Premier axe, la prévention des risques de feux de forêt : je réunirai prochainement les acteurs de la mise en oeuvre des obligations légales de débroussaillement, avant le lancement de travaux plus larges pour lutter contre l'émiettement de la propriété forestière. Le renforcement des moyens de l'ONF pour la lutte contre les feux naissants et la défense de la forêt contre les incendies (DFCI) se traduit déjà concrètement dans ce budget avec la suspension des réductions de postes au sein de l'ONF et 10 millions d'euros supplémentaires prévus par cette loi de finances, auxquels s'ajoutent 10 millions suite à la première lecture à l'Assemblée nationale.

Deuxième axe, l'investissement dans les compétences. Pour être à la hauteur du défi forestier, nous avons besoin d'attirer les vocations, de soutenir la formation et les savoir-faire pour gérer durablement nos forêts.

Troisième axe, le grand chantier national de replantation de la forêt française : cela va permettre d'amplifier le travail de mon ministère depuis deux ans via le plan de relance et de renouvellement forestier, qui a permis de reconstituer près de 50 000 hectares. Et il nous faudra d'abord structurer pour cela notre filière graines et plants.

Enfin, dernier axe, le « Faire filière » évoqué par le Président de la République : avec une première réunion du Conseil supérieur de la forêt et du bois rassemblant tous les acteurs de la filière forêt-bois, que je présiderai le 1er décembre prochain.

Au-delà de la politique forestière, je voudrais évoquer trois axes forts de cette mission.

Premier axe, le soutien aux filières et aux exploitations agricoles.

J'ai pris connaissance avec intérêt du rapport du Sénat sur la compétitivité de la « ferme France » et j'ai reçu leurs auteurs au ministère. La compétitivité est une dimension importante, et c'est par exemple pour cela que nous avons réalisé des investissements massifs avec France relance - 1,6 milliard d'euros - et France 2030 - 2,9 milliards d'euros -, mais l'enjeu de souveraineté alimentaire suppose de ne pas opposer production de masse et montée en gamme. C'est le revenu agricole qui en est la clé de voûte et dans cette logique, il nous faut produire plus, mais aussi produire mieux, et assumer les transitions écologiques et sociales, pour créer de nouveaux débouchés.

J'en viens à la réforme de l'assurance récolte, élément structurant de ce budget et du système assurantiel. Nous sommes parvenus, grâce au travail des deux chambres, à un texte qui nous place aux côtés des agriculteurs face aux effets du changement climatique, le récent collectif budgétaire confirme notre soutien en abondant les dispositifs d'accompagnement, notamment suite à la sécheresse.

Mais plus encore, nous apportons une réponse structurelle, avec la réforme de l'assurance récolte, qui résulte du Varenne de l'eau, lequel avait évoqué trois piliers : la refonte d'un système assurantiel parce que le système actuel va dans le mur, compte tenu de la multiplication des aléas ; l'accompagnement des transitions agricoles pour faire face aux dérèglements climatiques, nous avons déjà commencé avec France relance et nous souhaitons poursuivre dans France 2030 ; enfin, troisième pilier, l'accès à l'eau, élément déterminant de la stratégie que nous devons mettre en oeuvre pour faire face aux dérèglements climatiques.

Afin de financer ce nouveau système, l'effort de l'État fait plus que doubler. Il atteint 256 millions d'euros, qui s'ajoutent aux 185 millions d'euros de crédits européens et aux 120 millions d'euros de taxe affectée, soit un total de 560 millions d'euros - avec une trajectoire que nous voulons atteindre à 600 millions d'euros, telle qu'annoncée, et la capacité d'aller jusqu'à 680 millions d'euros si la réforme connaît un succès plus ample encore que ce que nous souhaitons. Ce nouveau système de gestion doit s'accompagner d'une nécessaire adaptation des filières.

Deuxième élément, la PAC. Sans citer l'ensemble des avancées de la nouvelle PAC, je voudrais évoquer le soutien au développement de l'agriculture biologique, avec un objectif de 18 % de la surface agricole utile certifiée en 2027. Pour y parvenir, les soutiens dédiés à l'agriculture biologique ont été augmentés de 36 % par rapport à la précédente programmation, soit 340 millions d'euros en moyenne par an. La dotation du fonds avenir bio est stabilisée avec 5 millions d'euros supplémentaires suite à l'examen en première lecture.

Je mentionnerai également deux avancées majeures de la nouvelle PAC, même si cela ne relève pas à proprement parler des crédits de cette mission : la conditionnalité sociale, qui vise le respect des règles dans le domaine du droit du travail ; le droit à l'erreur, qui est un élément important de la crédibilité et de la confiance qu'on doit réinstaurer entre l'administration et les agriculteurs.

Troisième élément, la prolongation du TO-DE pour trois ans. Elle est déterminante pour les activités fortement utilisatrices de main-d'oeuvre saisonnière pour lesquelles le coût du travail est un enjeu important de compétitivité.

Enfin, des moyens pour l'Outre-mer. Les moyens du crédit d'impôt outre-mer (Ciom) ont été maintenus, comme le budget européen du programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (POSEI) pour répondre notamment aux enjeux d'autonomie alimentaire des territoires ultramarins. Nous avons aussi sensiblement augmenté le budget alloué aux filières sucre de La Réunion et des Antilles avec 19 millions d'euros supplémentaires.

Deuxième axe de notre action : assurer la sécurité sanitaire de nos aliments.

Vous l'avez dit, l'augmentation de nos crédits atteint 7 %, ils comportent trois éléments principaux. D'abord, un budget complémentaire de 9,4 millions d'euros à compter de 2023 pour garantir la mise en oeuvre de la loi de santé animale. Nous allons poser les jalons d'une sécurité sanitaire européenne, qui constituera à terme un avantage compétitif pour notre agriculture. Ensuite, nous allons fortement renforcer nos contrôles et la surveillance des dangers sanitaires : influenza aviaire, peste porcine africaine, tuberculose bovine, salmonelles et brucellose. Enfin, les crédits de cette mission permettront la mise en place de la police unique en charge de la sécurité sanitaire dont mon ministère sera responsable. C'est une réponse forte aux préoccupations légitimes de nos concitoyens à la suite de scandales alimentaires récents.

Dernier axe, la préparation de l'avenir, à travers ces crédits et ceux de la mission « Enseignement scolaire », que j'aurai l'occasion de présenter la semaine prochaine devant la commission de la culture au Sénat. Le plafond du Casdar est maintenu à 126 millions d'euros mais j'ai obtenu de bénéficier de l'excédent de recettes 2022, qui devrait représenter 17 millions d'euros, ce qui permettra de renforcer la recherche appliquée et le développement pour favoriser l'adoption d'innovations et de changement de pratiques soutenant en particulier la transition agroécologique. Nous investissons également en soutenant la formation grâce aux moyens consacrés à l'enseignement et à la recherche qui, hors dépenses de personnel, s'élèvent en 2023 à 699 millions d'euros, en hausse de 4 %.

Les crédits de cette mission vont aussi nous permettre la revalorisation de 4 % des bourses pour critères sociaux, de la prime d'internat, l'élargissement de la bourse au mérite, l'amélioration des capacités d'accueil de nos établissements et de nos écoles vétérinaires, notamment pour les élèves en situation de handicap. Et tout cela va nous permettre d'amplifier la dynamique constatée dans l'enseignement agricole.

Enfin, je conclurai sur un sujet essentiel pour notre souveraineté alimentaire, celui du renouvellement des générations.

Le 9 septembre dernier, le Président de la République a annoncé les axes de la future loi d'orientation et d'avenir agricole : l'orientation et la formation, la transmission et l'installation, la transition et l'adaptation face au changement climatique et notamment par l'innovation.

Une large concertation va maintenant être engagée, pour aboutir à un pacte et une loi présentée à la fin du premier semestre de l'année prochaine. Cette concertation sera menée au niveau national et au niveau régional dans un partenariat avec les chambres d'agriculture, les régions et de l'État. Les chambres d'agriculture sont des opérateurs de la massification des pratiques et de très bons observateurs de ce qu'est la réalité agricole, quand l'État et les régions sont les deux acteurs de la transition qui disposent des outils d'intervention. Le renouvellement de génération concerne la moitié des agriculteurs dans les dix ans qui viennent, soit près de 200 000 agriculteurs qui vont partir à la retraite ; nous avons besoin de les installer, non pas simplement dans une transmission-reprise mais dans une transmission-transition pour s'assurer qu'ils continuent leur activité sous le régime du dérèglement climatique, donc dans des conditions qui assurent la durabilité des systèmes. Je sais que votre commission des affaires économiques prendra une part active à cette concertation, avec un objectif que nous partageons largement : celui de garantir à tous nos agriculteurs un système viable au service de notre souveraineté - car sans renouvellement de génération, il n'y aura pas de souveraineté agricole et alimentaire possible.

M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis des crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales ». - Les 200 millions d'euros supplémentaires que vous nous présentez pourraient laisser penser qu'enfin, les agriculteurs seraient entendus, mais, en réalité, ces crédits sont bien l'arbre qui cache la forêt de tout ce qui ne change pas.

L'assurance récolte requiert de la confiance, mais pour que les agriculteurs aient confiance, il faut leur en donner les moyens, donc commencer par un texte partagé. Or, ce texte, il est passé un peu au forceps et on attend toujours les décrets qui doivent traduire les engagements oraux pris dans l'hémicycle... Il y a certes la commission départementale d'expertise pour évaluer les calamités, mais le fait de n'inscrire aucun montant précis à la politique que vous prétendez conduire, n'aide pas à la confiance des agriculteurs. Vous demandez 120 millions d'euros d'effort aux agriculteurs mais vous n'inscrivez pas les 680 millions d'euros qui couvriraient les quatre taux que vous avez fini par accepter, c'est-à-dire les 20 % de franchise, les 70 % de subvention, et les 30 et 50 % de subvention de l'État. Pourquoi ne pas le faire ? Cela traduirait les engagements de l'État, même si la totalité de ces crédits devaient, finalement, ne pas être consommés.

Le TO-DE, ensuite. Le Président de la République en annonce la pérennisation, mais il faut faire attention aux mots, au sens qu'on leur donne, qui peut varier ici et là. Il est vrai que le Président de la République a dit qu'il voulait pérenniser le TO-DE, qu'il estime être un bon système ; mais alors, pourquoi le Gouvernement ne l'a-t-il pas fait ? Les 430 millions d'euros figurent désormais au budget de l'agriculture, mais pourquoi a-t-il fallu attendre l'amendement d'un député Les Républicains pour pérenniser le TO-DE pendant trois ans, puis le passage au Sénat pour lever cette durée ? Même chose, pour la police alimentaire : j'y suis favorable, en particulier parce que c'est le moyen de faire respecter les clauses miroirs ; mais vous mettez les agents dans les départements, ce n'est pas là qu'ils vont régler le problème des produits importés qui ne respectent pas nos normes, c'est à Rungis et sur les frontières qu'il faut avoir des agents de la police alimentaire, plutôt que de leur demander d'embêter et contrôler toujours plus les agriculteurs qui s'arrachent à la tâche tous les jours !

En réalité, nous souffrons d'une sur-administration et d'une sur-transposition, au point que si, après des années on est parvenu à faire baisser la pénibilité physique du travail agricole, on en a considérablement augmenté la pénibilité psychologique. Je vais vous citer l'exemple de Cyril Testud, agriculteur en Ardèche : parce qu'une année, il a oublié de cocher une case dans le formulaire d'une indemnité qu'il touche sans discontinuer depuis des années, il a perdu 13 950 euros d'aide, sans possibilité de rattrapage : vous trouvez cela normal ?

Alors j'ai une proposition, monsieur le ministre. Les représentants de la restauration hors domicile me disent que l'inflation dépasserait 15 % pour leurs produits à compter d'avril prochain, ce qui augmenterait de 40 centimes le coût d'un repas de cantine ; ils me disent aussi que toutes les contraintes que nous leur avons ajoutées depuis quatre ans, en particulier dans les lois « Egalim », représenteraient 20 centimes de plus pour un repas de cantine. Alors, monsieur le ministre, quand on est, comme le dit le Président de la République, dans une économie de guerre, arrêtez de multiplier les injonctions contradictoires aux agriculteurs et donnez à la liberté d'entreprendre la possibilité de s'exprimer - ou bien nous serons dans une situation où il sera trop tard, les dégâts seront faits...

Mme Françoise Férat, rapporteure pour avis des crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales ». - À la suite de deux rapports dont j'étais co-rapporteure, je vous parlerai de la réforme de la police sanitaire unique et du soutien aux agriculteurs en difficulté, en particulier au monde de l'élevage.

On ne peut que se réjouir de la mise en place progressive, d'ici au 1er janvier 2024, de la police sanitaire unique, qui était une demande ancienne de notre commission. Dans plusieurs rapports, je pense à celui de Laurent Duplomb sur le sésame à l'oxyde d'éthylène ou, plus récemment, à notre rapport transpartisan sur l'information du consommateur avec Fabien Gay et Florence Blatrix Contat, notre commission a appelé à clarifier la répartition des compétences entre Direction générale de l'alimentation (DGAL) et Direction générale de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF). Voilà qui sera chose faite, et votre ministère obtient pour exercer ses nouvelles missions la création de 90 ETP ainsi que le transfert de 60 ETP de la DGCCRF.

Seulement cette réforme n'épuise pas la problématique de la sécurité sanitaire des aliments, comme l'ont rappelé les drames, heureusement rares et isolés, de cette année : Buitoni, Kinder...

La DGCCRF disposait de 100 ETP de plus pour effectuer les mêmes missions. Une partie non négligeable des contrôles sera déléguée par la DGAL à des prestataires privés, ce qui fait craindre une qualité disparate de ces contrôles. Vos services nous disent que cette délégation permettra aux équipes de se concentrer sur des activités à plus forte valeur ajoutée - mais n'est-ce pas là un aveu que les contrôles ne sont pas encore pleinement pris au sérieux dans notre pays ? Alors qu'un oeil avisé, expérimenté, permettrait bien souvent de détecter ce qu'on ne croyait pas détectable. Pouvez-vous donc nous rassurer sur le fait que cette délégation, dont on comprend qu'elle est faite pour des raisons budgétaires, ne signifiera pas « perte de compétences » ?

Par ailleurs, nous nous inquiétons que la pression du contrôle ne soit pas exercée au bon endroit, à cause d'un mauvais diagnostic. Un peu à la manière de la Toinette de Molière, qui, grimée en médecin, s'obstine à voir dans le poumon l'unique cause des tourments d'Argan, Le Malade imaginaire (« Le poumon, le poumon, vous dis-je. »), nous continuons de voir chez nos producteurs, nos transformateurs, nos distributeurs et nos restaurateurs des coupables, alors que le maillon faible de la protection des consommateurs, c'est le contrôle des denrées importées. Nous voudrions donc que les effectifs que vous souhaitez déployer dans les départements soient un peu plus à Rungis à contrôler nos importations que sur le dos de nos professionnels. Or, les compétences restent éclatées entre les douanes et vos services, et il me semble que cela ne peut que nuire à l'efficience des contrôles. Comment, donc, comptez-vous renforcer la coordination entre les douanes et vos services ? Va-t-on réussir un jour à muscler pour de bon, avec une police aux frontières digne de ce nom, les contrôles des importations, en coopération avec nos voisins européens ? Les coupures possibles d'électricité inquiètent ; lors du salon de l'alimentation, vous avez dit que les secteurs agricoles seraient prioritaires. Il faut protéger les filières de produits périssables, vous évoquez des crédits, mais des instructions ont-elles été données aux préfets pour assurer qu'aucune coupure n'aurait lieu ?

Mon deuxième motif d'inquiétude est celui des agriculteurs en situation de détresse. Une feuille de route a été publiée en novembre 2021, nourrie notamment par le rapport que nous avions rendu avec Henri Cabanel. Un an après, en raison du caractère transversal des mesures, nous manquons cruellement de visibilité sur les traductions budgétaires de cette feuille de route, passées l'an dernier de 30 à 42 millions d'euros, éclatés en diverses actions, programmes et même missions. Il ne faudrait pas que ce soit « un coup de com' et puis s'en va ». Où en est-on de la mise en oeuvre de cette feuille de route ? Les crédits de paiement de l'aide à la relance des exploitations agricoles, qui avait été doublée l'an dernier, sont en perte de vitesse (5,2 contre 7,1 millions d'euros). Je remarque avec satisfaction que la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale a effectué un focus thématique sur le service de remplacement, faisant siennes des recommandations que nous avions formulées avec Henri Cabanel pour le rendre plus attractif pour les exploitants. Nous sommes favorables à l'augmentation de l'incitation, via le crédit d'impôt. Mais en complément de cette intervention fiscale, quels autres outils voyez-vous pour en augmenter l'attractivité, tant du côté des agriculteurs que du côté des agents remplaçants ?

En somme, pouvez-vous nous donner une vision d'ensemble sur cette feuille de route, et nous rassurer sur le fait que son ambition est maintenue ? La mobilisation est-elle bien générale au sein des services de l'État ? Je pense à l'OFB, dont les contrôles stressent tellement nos agriculteurs qu'ils en arrivent, comme cela a été malheureusement le cas récemment, à commettre le pire ? C'est crucial pour notre agriculture et en particulier pour notre élevage, qui a beaucoup souffert ces derniers temps.

J'ajoute à propos de l'élevage, que sur l'aspect vétérinaire, nous nous étions félicités l'an dernier que les stages tutorés bénéficient d'un financement satisfaisant. On constate cette année une baisse de près d'un quart des crédits de paiement, pour un dispositif pourtant de bon sens et peu coûteux, permettant de lutter contre les déserts vétérinaires. Comment justifiez-vous cette baisse ?

Et enfin, je ne peux pas conclure sans dire un mot de la dramatique crise de l'influenza aviaire, qui a coûté plus d'1 milliard d'euros à l'État sur la saison 2021-2022, répartis en 300 millions d'euros d'aides sanitaires et en 800 millions d'aides économiques. Rapportée à ce milliard, la ligne budgétaire d'un million d'euros relative à la vaccination me semble bien peu abondée. Je comprends que les verrous au développement de la vaccination ne sont pas uniquement budgétaires, mais administratifs, mais n'y aurait-il pas moyen de donner un coup de pouce budgétaire à cet outil indispensable de prévention ?

M. Jean-Claude Tissot, rapporteur pour avis des crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales ». - Je vais pour ma part vous interroger sur les forêts, confrontées à de nombreux défis, sur la recherche, indispensable pour assurer l'évolution de nos modèles, et enfin sur l'enseignement, qui devrait être le principal moteur du renouvellement des pratiques et des générations dans les années à venir.

Après une année marquée par une triste vague de feux de forêt, il est de notre devoir de ne plus traiter cet enjeu à la légère et d'avoir une réflexion nouvelle sur ces espaces et sur cette filière.

La question du renouvellement forestier est donc un sujet majeur. À ce stade, avez-vous une estimation du surplus nécessaire au renouvellement forestier à la suite des feux de cet été ? Est-ce qu'un premier bilan des aides consacrées au renouvellement forestier a pu être réalisé ?

De manière plus concrète, ces feux, qui ont dévasté des dizaines de milliers d'hectares en France durant l'été dernier, doivent nous conduire à repenser les forêts et le mode de gestion des forêts. Comment devons-nous replanter pour avoir des forêts adaptées au changement climatique, plus durables et moins à risque sur le plan des incendies ?

Est-ce qu'une réflexion est engagée au sein de votre ministère à ce sujet, notamment sur les questions de mixité au sein des forêts, thématique particulièrement documentée ?

Le président de la République a annoncé vouloir planter 1 milliard d'arbres d'ici à 2032. Avez-vous une estimation de cette nouvelle « grande annonce » ?

Les moyens et les effectifs de l'ONF suscitent logiquement toutes les attentions. Selon la trajectoire établie dans le contrat État - ONF 2021-2025 ajusté, les effectifs de l'ONF auraient dû diminuer de 80 postes en 2023. Les récentes annonces gouvernementales, que vous avez confirmées à l'Assemblée nationale mercredi dernier, semblent indiquer un renoncement à la suppression de ces postes. monsieur le ministre, est-ce que le contrat État - ONF 2021-2025 est maintenu malgré ce récent revirement de situation ? Ne serait-il pas plus logique de revoir ce contrat qui continue de prévoir des suppressions de poste dans le contexte actuel traversé par les forêts ?

Enfin, nous aurions aimé savoir plus précisément ce que permettront de financer les 10 millions supplémentaires accordés à l'ONF, en dehors des 3,3 millions fléchés sur la création de 60 postes. Alors qu'une affectation des moyens centrée sur l'agence de défense de la forêt contre les incendies (DFCI) d'Aix-en-Provence pour la zone Sud est évoquée, il parait souhaitable d'avoir une réflexion plus globale, au bénéfice de l'ensemble des territoires forestiers.

Nous l'avons vu cet été, la prévention des incendies ne concerne plus seulement le sud de la France. La multiplication des épisodes de sécheresse et la hausse continue des températures concernent l'ensemble de nos territoires, ces critères doivent être pris en compte pour assurer une juste répartition des moyens.

Sur la recherche agricole, ensuite, j'ai interrogé à de nombreuses reprises vos différents prédécesseurs sur l'évolution du compte d'affectation spécial « Développement agricole et rural » (Casdar).

Le produit de la taxe sur le chiffre d'affaires des exploitations agricoles affecté au Casdar est toujours estimé à 126 millions d'euros, c'est-à-dire exactement au même montant que l'an dernier, malgré le dépassement systématique de ces recettes prévisionnelles, et malgré l'inflation qui rogne d'autant les moyens d'intervention. Vos services nous ont indiqué qu'un compromis avait été trouvé avec Bercy pour maintenir ce compte d'affectation spéciale, et que les montants qui se trouveraient au-dessus du plafond seraient mobilisés pour des « actions de type Casdar ».

Monsieur le ministre, ces accords ministériels ne sont pas suffisants, face à la multiplication des enjeux auxquels doit faire face la recherche agricole.

Depuis plusieurs années, nous demandons d'augmenter le plafond du Casdar au niveau réel des cotisations, et nous vous redemandons une transparence totale sur les reliquats des dernières années de ce compte d'affectation spéciale. 

Alors que les instituts techniques sont obligés de redoubler d'inventivité pour trouver des moyens et des techniques adaptés au changement climatique, ils ont besoin, plus que jamais, de pouvoir programmer leur recherche sur plusieurs années, sans l'épée de Damoclès d'un arrêt de financement.

De façon plus générale, il convient de s'assurer que les instituts de recherche, et je pense en particulier à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae), puissent exercer leurs missions malgré la hausse des charges qu'ils subissent comme tout le monde. Des évolutions sont prévues pour tenir compte de leur situation et permettre ainsi un fonctionnement normal de leur activité ?

S'agissant enfin de l'enseignement agricole, nous aimerions que vous reveniez plus précisément sur les spécificités du budget relatives à ce domaine : parmi les moyens supplémentaires affectés, lesquels relèvent de la hausse générale du budget de l'éducation et lesquels sont spécifiques à l'agriculture ?

Pour conclure sur une note un peu plus politique sur cette thématique, je considère que nous devons réellement nous poser la question du modèle agricole qui est enseigné dans les différents établissements.

Face à la multiplication des difficultés et des questionnements environnementaux - sécheresse, gestion de l'eau, utilisation des intrants -, et face aux problématiques propres au monde agricole - enjeux de la transmission, gestion des exploitations et de l'artificialisation face aux tentations d'installations énergétiques -, l'enseignement doit traiter de l'ensemble de ces enjeux pour avoir des agricultrices et des agriculteurs formés et prêts à affronter ces différents défis.

Enfin une toute dernière question, qui est issue des échanges, hier après-midi, avec votre Direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises. Il nous a été indiqué que les aides compensatoires à l'explosion des factures énergétiques pour les exploitants agricoles sont uniquement calculées a posteriori et transmises dans un second temps. Pourtant, à cause de la très forte hausse des coûts énergétiques, qui concernent des filières variées - de l'élevage à la production nécessitant des chaines de froid -, certains exploitants ne vont pas prendre le risque de démarrer leur production, pour ne pas mettre en péril l'ensemble de leur exploitation.

Ainsi, monsieur le ministre, est-ce qu'une réflexion est engagée pour permettre un mécanisme par anticipation, qui soulagerait directement les agriculteurs ?

M. Marc Fesneau, ministre. - Le texte sur l'assurance récolte, Monsieur Duplomb, n'est pas passé au forceps, puisqu'à l'issue d'un débat parlementaire où les points de vue ont été exprimés, les positions du Sénat ont été largement reprises, y compris sur le règlement omnibus - en réalité, vous avez obtenu ce que vous demandiez. Et nous savions qu'il fallait un dialogue avec les filières, nous avons vu qu'il y avait des différences, et je ne veux pas nourrir les oppositions entre filière, car nous avons intérêt à ce que le système fonctionne pour tout le monde. Vous me dites qu'il faut crédibiliser la loi par le budget ; certes, mais il faut aussi crédibiliser le budget lui-même. Or, si nous avons une trajectoire autour de 680 millions d'euros dans le triennal, nous en sommes cette année autour de 560 millions d'euros, mais nous ne connaissons pas encore la réaction précise des agriculteurs. Le Président de la République a dit qu'on visait 600 millions d'euros dans le triennal, et que l'État couvrirait sur ses deniers les dépenses si elles allaient au-delà, jusqu'à 680 millions d'euros. Nous avons un travail à faire, de conviction après des agriculteurs, nous le savons bien, des arboriculteurs par exemple ont besoin d'être convaincus de la solidité du système.

Sur les calamités naturelles, nous avons accéléré, pour 12 départements, le processus de reconnaissance, donc de traitement. Les indemnités étaient versées en mars-avril, désormais ce sera début décembre pour les 12 départements concernés. J'ajoute que, pour le système prairial, la reconnaissance satellitaire fonctionne dans 90 % des cas, c'est une avancée parce que si l'on dit qu'on doit partout faire une enquête de terrain, les délais seront trop longs. Nous allons travailler avec les secteurs, et, en cas de désaccord, on regarde les différences, mais il est important de dire que le système satellitaire fonctionne, même s'il peut être amélioré - je fais la comparaison avec la météo : ce n'est pas parce qu'elle se trompe parfois, qu'on doit s'en passer toujours.

Nous réintégrons le TO-DE dans le budget et nous avons perspective à trois ans, cela ne vous donne peut-être pas entière satisfaction, mais c'est intéressant, cela donne plus de prévisibilité. Il faut regarder maintenant s'il y a des ajustements à faire pour les filières où la main-d'oeuvre est un facteur déterminant de compétitivité.

Nous ajoutons 90 ETP à la police sanitaire, c'est là aussi un progrès, et nous devons, du fait du regroupement des effectifs, faire converger des cultures administratives qui sont loin d'être les mêmes, le tout en faisant davantage de contrôle. J'étais ce matin à Rungis, j'ai vu l'équipe de 36 contrôleurs, elle est significative et elle contrôle aussi bien à l'importation qu'à l'exportation. Je suis ouvert à ce qu'on regarde en détail la pertinence de l'affectation des agents compte tenu des risques et des besoins de contrôle, je crois que l'échelle pertinente n'est pas nécessairement départementale, il faut raisonner à l'échelle nationale. En tout état de cause, je partage votre sentiment qu'il faut, à travers le contrôle des clauses miroirs en particulier, crédibiliser nos dispositifs vis-à-vis de l'extérieur.

Nous travaillons à la délégation des contrôles. Les scandales sanitaires, s'ils sont rares, sont, par définition même, scandaleux, mais nous ne devons pas perdre de vue que nous sommes les meilleurs pour la sécurité sanitaire des aliments, nous n'en rabattons pas - et c'est aussi pour cette raison qu'il faut contrôler l'application des clauses miroirs. Nous travaillons à la délégation des contrôles à des organismes bien précis, par exemple ceux qui contrôlent déjà des végétaux et qui ont le niveau d'expertise suffisant.

Est-on en situation de suradministration ? J'ai été surpris, en prenant mon poste, de l'effet que peut avoir un oubli, comme dans l'exemple que vous citez, Monsieur Duplomb : dans les dossiers de la PAC dont on parle, il n'y a pas de droit à l'erreur. C'est pourquoi nous mettons en place le droit à l'erreur, où l'administration peut même s'enquérir de savoir, ça s'applique dans l'exemple que vous citez, si l'agriculteur n'a pas oublié de cocher une case pour une aide qu'il obtient régulièrement, où l'agent de l'administration traite ces questions avec bienveillance. Cependant, si la superposition des règles peut effectivement alourdir les dépenses - c'est un ancien maire qui vous parle -, les lois « Egalim » fixent des objectifs et ne pénalisent pas lorsqu'on ne les atteint pas - c'est le cas, par exemple, pour les emballages plastiques. Il faut donc être très attentif à la transition, pour laisser le temps aux agriculteurs de s'adapter aux règles quand elles changent.

Face au mal-être agricole, Madame Férat, je crois que nous ne devons pas méconnaitre que nous avons, collectivement, une responsabilité. Car si ce mal-être a des causes financières, il tient aussi à ce que la société dit des agriculteurs, en particulier les médias, il tient au regard que les agriculteurs sentent sur eux, aux critiques dont ils font l'objet, aux discours qui les font passer pour des pollueurs venus d'un autre temps. Nous ajoutons 12 millions d'euros pour faire face au mal-être agricole, il faut accompagner ces moyens pour dire aux agriculteurs qu'ils ont droit à des mesures pour améliorer leurs conditions de travail, mais aussi au répit, au remplacement, aux vacances - ce n'est pas une faiblesse, nous devons en faire la promotion.

Le plan de prévention se déploie, il est en place dans une cinquantaine de départements, j'ai piloté une réunion il y a deux semaines pour demander qu'il soit déployé complètement. Nous allons assouplir la procédure d'aide à la relance des exploitations agricoles et prévoir l'octroi du RSA en urgence. Les agriculteurs ne le demandent pas, mais cet octroi peut être utile en cas de chute soudaine des revenus. Nous devons nous assurer que les lois sur la revalorisation des retraites agricoles sont bien appliquées, je le demande aux préfets dans tous mes déplacements.

Dans le cas du suicide que vous citez, Madame Férat, où un contrôle avait précédé ce passage à l'acte fatal, j'ai diligenté une enquête administrative pour que l'on regarde comment s'était passé le contrôle. Il faut assumer la nécessité du contrôle, mais il faut aussi de la confiance dans les contrôles. Cela implique de maîtriser leur multiplication et aussi d'assurer que le contradictoire soit respecté, et il faut se garder de présenter toute erreur comme intentionnelle - même dans le contrôle, il faut une relation de confiance. Sur le cas particulier dont vous parlez, très douloureux, je pense à la famille de cet agriculteur et à ce qu'elle a vécu, ce drame pose la question du dialogue et de la confiance. Bien de fautes au regard de la réglementation tiennent à ce qu'on ne connait pas toujours la loi, et chacun sait ici qu'elle est complexe. Je travaille avec le directeur de l'OFB, pour faire connaitre les nouvelles règles de la PAC.

Sur les crédits vétérinaires, ensuite, la dotation n'a pas diminué mais le nombre d'étudiants a augmenté...

Mme Françoise Férat, rapporteure pour avis. - Ce qu'il faut donc, c'est augmenter les crédits...

M. Marc Fesneau, ministre. - Certes, nous en débattrons en séance...

Nous avons un sujet sur la médecine vétérinaire en générale, un décret en attente peut régler des choses, nous en reparlerons.

S'agissant du vaccin contre l'influenza aviaire, j'essaie de prendre les décisions sous le regard des scientifiques, l'influenza repart du fait de la faune sauvage et de la migration et elle se développe dans les régions des couvoirs, nous allons devoir adapter nos mesures. Le vaccin a été autorisé en juin, la France, parmi quatre pays, s'est portée volontaire pour l'expérimentation ; les premiers éléments sont encourageants, nous aurons les résultats en janvier, et nous pourrons alors, si les résultats sont bons, adopter un plan de vaccination, qui ne vienne pas freiner l'export. Il va nous falloir, donc, procéder à la qualification du vaccin pour décembre, puis négocier avec les pays tiers les modalités d'export, ensuite définir notre stratégie vaccinale. J'ai espoir que passé cet épisode, on aura des solutions. Je salue le travail avec les organisations professionnelles dans les départements, qui se mobilisent jour et nuit, y compris pendant les jours fériés. La solidarité entre éleveurs, collectivités locales et services vétérinaires est exemplaire.

L'agroalimentaire est prioritaire pour éviter les coupures d'électricité éventuelles, mais les choses ne sont pas simples à définir précisément, dans la chaîne de la production agroalimentaire. Nous réunissons chaque semaine une cellule sous l'autorité de Matignon, avec le ministère de l'intérieur, pour examiner la situation par département et définir les priorités. Je vous confirme donc le principe de priorité du secteur, mais le déploiement n'est pas simple, la situation concrète dépendra de l'appel d'énergie et du réseau. J'étais dans votre département, Madame Férat, et il est clair que des coupures d'électricité n'auraient pas les mêmes conséquences dans toutes les filières alimentaires, je pense, par exemple, à la filière laitière. Des producteurs ont fait des appels d'énergie maintenant, en prévision, pour ne pas en avoir besoin lorsqu'il y aura le plus de risque de coupure, c'est un travail de responsabilité.

Il faut repenser la gestion de la forêt, Monsieur Tissot, vous avez raison de le dire, nous devons repenser la mixité, mais il faut aussi se mettre d'accord sur les perspectives, car la réalité des forêts est commandée par le climat et le sol. Il nous faut renforcer les moyens de la recherche, nous n'avons pas bien documenté les bonnes espèces, celles dont nous savons avoir le plus besoin désormais, car nous avons perdu la moitié du stockage carbone en forêt, et les attentes de la société ont changé. Attention cependant, il ne faudrait pas que les résineux deviennent le bouc émissaire, comme le maïs l'est devenu pour les champs, il faut documenter les choses précisément, par territoire.

Le contrat d'objectifs et de moyens de l'ONF est fondé sur une trajectoire, il faut en débattre. La question des moyens n'est pas la seule, il y a aussi les objectifs, et nous ne devons pas oublier que nous avons élargi ses missions, ce qui va absorber une partie des 20 millions d'euros de crédits dont nous parlons cette année, et que les missions seront élargies encore avec la prévention des incendies.

J'ai dit que les recettes de la taxe affectée au Casdar au-delà du plafond seraient redéployés l'an prochain pour des programmes de recherche. Nous avons besoin de mobiliser des crédits sur la forêt, la mobilisation est d'ailleurs bien plus large que le compte d'affectation spéciale de mon ministère puisqu'il faut compter avec les 2,9 milliards d'euros de France 2030 pour les forêts et la transition agricole, pour déployer par exemple le plan protéines.

Quel est notre modèle agricole ? C'est une question pour la loi d'orientation sur le renouvellement des générations - et je crois que la question est plurielle, il faut savoir si l'on parle du ou des modèles agricoles. Il me semble que les critères d'un bon modèle agricole, ce sont la rémunération de l'agriculteur, l'adaptation au changement climatique et le côté durable pour les décennies à venir.

M. Jean-Claude Tissot, rapporteur pour avis. - Sur les filières élevage et chambres froides, il y aura des aides a priori, plutôt qu'a posteriori ?

M. Marc Fesneau, ministre. - Nous serons dans une logique de guichet mais il y a de l'imprévisibilité. L'idée c'est de pouvoir s'assurer du principe de l'accord, mais c'est différent du financement a priori.

M. Jean-Claude Tissot, rapporteur pour avis. - Le problème, c'est qu'on demande au producteur de constater à l'avance un déficit qu'il ne connait pas... cela n'incite pas à produire parce que l'éleveur qui lance sa chaine de production sait qu'il aura les factures d'énergie à payer !

M. Marc Fesneau, ministre. - Nous allons procéder comme nous l'avons fait pendant la crise sanitaire : la direction générale des finances publiques (DGFIP) sera chargée du paiement, avec une forme d'automaticité sur production de factures, donc a posteriori.

Mme Sophie Primas. - Au moins, vous allez lever l'incertitude sur l'éligibilité.

M. Marc Fesneau, ministre. - J'aurai plus d'éléments à vous présenter lors du débat en séance plénière.

M. Vincent Segouin, rapporteur. - Je veux revenir sur la balance commerciale qui n'est excédentaire que grâce aux vins et spiritueux, ce qui veut dire qu'on a perdu du terrain sur toutes les autres productions. La « ferme France » a perdu partout de la compétitivité : ses normes pèsent trop, son coût du travail est trop élevé, des procédures compensatrices non pérennes rendent la prévision difficile, le nombre d'exploitation baisse. Qui plus est, nous surtransposons les normes européennes et nous contrôlons davantage notre production que celle qui entre sur notre territoire. Vous dites que vous allez faire respecter la clause miroir - est-ce à dire que les traités de libre échange n'auront plus lieu d'être ? À la commission des finances, nous sommes très inquiets de la perte de compétitivité : comment allez-vous faire entre les objectifs liés à l'écologie, au pouvoir d'achat et aux contraintes économiques ?

M. Daniel Laurent. - En amont de la visite du Président de la République aux États-Unis début décembre, nous avons souhaité, au nom de la commission des affaires économiques et du groupe vigne et vin, attirer son attention sur le règlement définitif du contentieux commercial aéronautique que subit de plein fouet la filière viticole. Nous comptons sur vous, monsieur le ministre, pour nous soutenir.

Les dégustations gratuites de vin sont exonérées d'accises en l'absence de transactions commerciales. Cette tradition est remise en cause. Selon l'administration, cela représente entre 300 000 et 600 000 euros de droits exonérés. Quelle réponse apporter aux vignerons ?

La loi pour assurer la régulation de l'accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires est entrée en vigueur le 1er juillet dernier. Or, ses décrets d'application ne sont pas publiés : quand le seront-ils ?

Dans les zones insulaires atlantiques, des projets de transformation et de commercialisation à la ferme sont bloqués en raison de la loi Littoral, ce qui inquiète les agriculteurs inscrits dans le maintien des activités agricoles. Il faut que ces activités soient considérées dans le prolongement de l'acte de production : qu'en pensez-vous ?

Les producteurs de sel marin de l'Atlantique s'interrogent sur le projet de label bio pour le sel. Les négociations n'avancent pas et font apparaître des positions antagonistes de plusieurs pays de l'Union européenne. Les petits producteurs attendent des réponses concrètes, je ne peux me satisfaire de votre réponse du 3 novembre à une question écrite qui n'apporte aucun élément tangible.

Enfin, faute de vétérinaires, le maillage sanitaire est en péril, surtout dans la ruralité : que compte faire le Gouvernement ?

M. Rémi Cardon. - Habitant à proximité des hortillonnages dans la Somme, je vous parlerai des petites structures bios alternatives et urbaines, qui sont une manière de mettre un peu d'urbanité dans le monde agricole, de remettre au goût du jour des pratiques culturales et de favoriser les connexions entre mondes rural et urbain. Elles contribuent indéniablement à la sécurité alimentaire, à la création de liens sociaux et à la lutte contre le changement climatique, et ses impacts économiques et environnementaux sont loin d'être négligeables.

Malheureusement, les dispositifs d'aide et de soutien sont encore trop liés à la surface exploitée.

Que comptez-vous faire pour que les nouvelles formes d'agriculture ne soient pas qu'une variable d'ajustement dans l'après-crise, mais au contraire un levier de la résilience des villes et de la transition écologique ?

Mme Anne-Catherine Loisier. - Le Gouvernement revient sur sa décision de supprimer des postes à l'ONF, mais il laisse à l'Office le soin de financer 20 postes sur son propre budget : comment comptez-vous qu'il le puisse, étant donné que le produit de ses ventes sera loin d'y suffire ?

Comment, ensuite, améliorer la gestion de la forêt privée, qui représente tout de même 12 millions d'hectares, contre 5 millions d'hectares pour la forêt privée ? Quid, en particulier, du financement des 11 ETP accordés au centre national de la propriété forestière (CNPF) ?

Je vous ai entendu sur le mal-être des éleveurs, mais quelles sont vos réponses concrètes, en particulier sur l'application des clauses miroirs ?

Enfin, qu'en est-il des traités de libre échange actuellement en négociation, par exemple le Mercosur, et ses menaces pour nos producteurs de viande bovine ? Qu'en est-il, enfin, sur la directive européenne sur les émissions industrielles, dite IED, actuellement au Parlement européen, qui inclurait les petits élevages de 150 unités de gros bétail (UGB) sous le régime des ICPE - ce qui serait autant de contraintes pour les éleveurs ?

M. Fabien Gay. - Vous êtes ministre de la sécurité alimentaire ; quelle conception en avez-vous pour signer à tour de bras des traités de libre échange qui encouragent la compétition déloyale, ainsi que le moins disant social et environnemental ? À quand le débat sur le CETA ? Pourquoi ne l'avez-vous pas inscrit à l'ordre du jour du Parlement quand vous étiez ministre en charge des relations avec le Parlement ? Quand est-ce que le Gouvernement le fera ? Nous avons adopté à la quasi-unanimité une proposition de résolution européenne dans ce sens.

Que pensez-vous, ensuite, du fait que les accord de deuxième génération, n'aient pas à être ratifiés par les parlements nationaux, mais qu'ils passent seulement dans la procédure de la Commission européenne, donc à bas bruit, quelles que soient leurs conséquences pour nos agriculteurs et nos éleveurs : êtes-vous favorable, comme ministre de l'agriculture et de la sécurité alimentaire, à ce que tous les accords soient ainsi validés, comme on l'a vu la semaine dernière pour l'accord avec la Nouvelle-Zélande ?

M. Franck Montaugé. - Je veux vous parler de la problématique de l'eau, que nous connaissons bien dans le Gers et qui est très complexe, parce qu'il ne s'agit pas seulement d'une affaire d'investissement, mais bien d'une question qui concerne le territoire dans son ensemble et qui demande donc une démarche territoriale.

L'évaluation des projets territoriaux de gestion de l'eau, lancés en 2019, établit que cette approche collective est intéressante pour progresser à l'échelle des bassins hydrographiques, et pour éviter les blocages que l'on connait aujourd'hui, alors que les agriculteurs ont besoin d'investissements et accéder à l'eau. Qu'en pensez-vous ?

Sur l'influenza aviaire, ensuite, je veux vous faire passer un message : celui de protéger les modes d'élevages autarciques, les petits, car s'ils disparaissent, ce sera dramatique - ces éleveurs sont des vecteurs d'image positive et de qualité pour les territoires et, que je sache, ils ne sont pas à l'origine de l'infection.

Enfin, comment allez-vous vous arranger sur la moyenne olympique qui renvoie aux règles de l'OMC et qui risque d'être un facteur d'incompréhension, donc de défiance, envers l'assurance ?

M. Jean-Pierre Moga. - Nos territoires, et particulièrement le mien, le Lot-et-Garonne, sont de plus en plus touchés par des épisodes de gel qui sont dévastateurs pour les cultures et qui provoquent des pertes importantes de récolte, comme c'est malheureusement encore le cas cette année avec les pruneaux ou les noisettes. Quel accompagnement de l'État les producteurs peuvent-ils attendre ? Compte-tenu du dérèglement climatique, ces aléas vont se produire plus fréquemment : quel cadre pérenne d'aide pour lutter contre l'irrégularité croissante des récoltes ?

Le stockage de l'eau, ensuite, ne relève pas de votre périmètre, mais l'avis du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire est essentiel sur cette question. Comment notre agriculture va-t-elle s'adapter aux déficits hydriques de plus en plus fréquents ? Monsieur le ministre, quelle est votre opinion sur le stockage de l'eau par bassines ? De manière plus générale, comment lutter contre l'impact de ces dérèglements hydriques ? Estimez-vous qu'une mutation des cultures à l'horizon 2050 est inévitable, et si oui, comment peut-on s'y préparer ?

M. Henri Cabanel. - Votre prédécesseur avait rédigé une feuille de route sur la « prévention du mal être et l'accompagnement des populations agricoles en difficulté », nommé M. Daniel Lenoir, inspecteur général des affaires sociales au poste de coordinateur national, et prévu la mise en place d'une cellule dans chaque département : ces cellules ne sont pas toutes installées, pourquoi ce retard ? J'avais un amendement pour créer un observatoire, il a été jugé irrecevable. Il y a dix ans, l'actuel ministre de l'économie et des finances, qui était alors ministre de l'agriculture, annonçait déjà des mesures pour faire face au mal-être des agriculteurs : pourquoi les choses prennent-elles tant de temps ?

Sur l'installation, vous avez élevé le plafond d'exonération de droits de mutation lors des transmissions, mais nous avons un problème de foncier : les Safer manquent de moyens, même s'il y a des systèmes de portage financier régionaux comme nous en avons en Occitanie, j'en remercie la présidente Carole Delga. Les établissements publics fonciers (EPF) pourraient contribuer, qu'en pensez-vous ?

M. Jean-Jacques Michau. - Alors que nous allons discuter des crédits pour l'indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN), je souhaite vous interroger sur les informations qui ont été diffusées lors de la récente réunion avec les organisations professionnelles agricoles. Les éleveurs de montagne, très inquiets, ont été surpris d'apprendre la non prise en compte des surfaces collectives pour la mise en oeuvre de l'écorégime pour les exploitations transhumantes. Ces surfaces collectives représentent 430 000 hectares dans les Pyrénées, soit un quart de la superficie du massif. Cette mesure entraînerait des pertes financières conséquentes pour les 4 000 éleveurs transhumants, de l'ordre de 20 millions d'euros.

De même, l'introduction d'un critère de chargement plancher à 0,2 UGB par hectare parmi les critères d'entretien minimal pour la définition de l'activité agricole semble irréaliste en ce qui concerne les territoires pastoraux, car beaucoup ne permettent pas de supporter de tels chargements. Cette mesure nous parait incompréhensible ; connaissant votre attachement au pastoralisme et à l'agriculture de montagne, qu'en pensez-vous ?

Ce projet de budget, ensuite, provisionne 1 milliard d'euros pour la gestion de la grippe aviaire. Les producteurs de palmipèdes, notamment en Occitanie, pourraient être exclus de l'aide compensatoire qui ne viserait que les producteurs situés en zone touchée directement. De nombreux producteurs et éleveurs ne pourraient donc y prétendre, alors qu'ils ont subi de lourdes pertes et qu'ils sont partiellement ou totalement dépourvus de production. En effet, leurs fournisseurs de canetons implantés dans l'Ouest de la France, n'ont pas pu les approvisionner car les entreprises Thibaud Caneton et Orvia ont vu leur population éradiquée du fait de la pandémie.

Envisagez-vous une extension de l'aide compensatoire pour que tout producteur, victime directement ou indirectement de l'influenza aviaire et indépendamment de sa localisation, accède à une même mesure compensatoire ?

Mme Marie-Christine Chauvin. - Les questions sur l'élevage étant très nombreuses, je vous invite à venir devant notre groupe d'études élevage, après le débat budgétaire.

La filière porcine bio est en surproduction, évaluée à 25-30 % de la demande, le marché allemand s'est tassé, le cours s'envole cette année, mais la filière n'est pas en bonne santé. La filière bio appelle à l'aide : quelles solutions, dans quels délais ? Pensez-vous à des aides d'urgence ou à un plan d'accompagnement ? Comment accompagner en particulier les éleveurs qui sont proches de la retraite ?

Mme Amel Gacquerre. - La situation des endiviers est particulièrement alarmante, parce que la production d'endives demande beaucoup d'électricité, c'est une question de survie pour cette filière qui représente des milliers d'emplois, alors que 30 % des producteurs renégocient leur contrat d'électricité. Ainsi, un producteur qui a vu passer sa facture de 150 000 à 300 000 euros depuis l'année dernière, devrait payer 800 000 euros l'année prochaine. Je sais que vous êtes à l'écoute, vous avez annoncé l'application d'un amortisseur électricité, mais c'est insuffisant pour les endiviers qui en sont à se demander comment passer les prochaines semaines : pouvez-vous envisager un soutien plus fort et plus pérenne aux productions plus énergivores, en particulier pour les endiviers ?

M. Pierre Louault. - Les contrôles se multiplient et pèsent bien davantage sur notre production que sur celle que nous importons, le rapport est de un à dix puisque 3 000 agents contrôlent notre production, et 300 agents les produits que nous importons. Monsieur le ministre, seriez-vous prêt à répartir ces agents de manière équilibrée ?

M. Daniel Salmon. - Quelle différence faites-vous entre la souveraineté alimentaire et l'autosuffisance alimentaire ? L'agriculture bio se soucie de la terre, elle est résiliente et à même de répondre aux défis du réchauffement climatique et de l'effondrement de la biodiversité, mais vous n'envoyez pas de signal fort dans sa direction, c'est dommage. Vous dites qu'en matière d'insecticides et de biocides, il n'y aura pas d'interdiction sans solution : cela m'inquiète un peu, car à partir d'un moment, il faudra bien choisir, non ? Que pensez-vous de la lutte pour éviter la disparition des pollinisateurs ? Enfin, quelle est la responsabilité de l'élevage intensif dans la grippe aviaire - le sujet est-il documenté ? Les petits éleveurs de plein air paient un tribut particulièrement lourd à la grippe aviaire, mais sait-on précisément leur rôle dans sa diffusion ?

M. Bernard Buis. - Dans la Drôme, 860 brebis ont été perdues cette année du fait d'attaques de loups, c'est dire que les attentes sont fortes sur le nouveau Plan loup. Elles vont jusqu'à la définition du seuil de 500 bêtes qui avait été fixé pour que l'espèce soit viable et, finalement, à la régulation du nombre de loups et à son classement comme espèce protégée dans la convention de Berne.

Ensuite, peut-on compter sur le chèque alimentaire pour l'an prochain ?

Enfin, le syndicat d'irrigation de la Drôme s'alarme de l'envolée du prix de l'électricité, les aides annoncées ne paraissent pas couvrir le surcoût : que pensez-vous pouvoir faire dans ce budget ?

Mme Dominique Estrosi Sassone. - Le seuil de survie de l'espèce, fixé à 500 individus pour le loup, est atteint depuis longtemps puisque l'Office français de la biodiversité en dénombrait 921 en juin dernier. Dès lors, il faut contenir sa prolifération, ou bien le prochain Plan loup 2023-2028 devra être un plan de sauvegarde des femmes et des hommes qui produisent notre alimentation, préservent et entretiennent notre environnement... Monsieur le ministre, quelles sont vos propositions pour lutter contre la surpopulation des loups qui menace le pastoralisme ? Il faut agir face à l'extension territoriale des loups. Devant la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, le 21 septembre dernier, vous avez dit que le statut du loup devait évoluer rapidement, compte tenu de la menace. Vous avez rappelé la nécessaire négociation européenne, en précisant que vous présenteriez à la fin du mois la position de la France : où en sont ces négociations pour obtenir le déclassement du loup d'espèce « super protégée » à « protégée » ? Lors d'une séance de questions d'actualité au Sénat, vous avez annoncé la création d'une seconde brigade loup : vos crédits prévoient-ils de financer ce projet important, ou bien comment allez-vous faire ?

Dans mon département, les éleveurs fromagers subissent eux aussi une importante augmentation de leur facture énergétique, à quoi s'ajoute l'augmentation des coûts de l'alimentation du bétail, de la conservation froide, de la livraison : quelles mesures de soutien pour ces éleveurs fromagers qui sont déjà durement touchés par la prédation des loups ?

M. Serge Mérillou. -  La souveraineté alimentaire va devenir un problème de plus en plus important, à mesure que la France importe toujours plus et exporte toujours moins - avec des conséquences pour les agriculteurs, mais aussi pour les consommateurs, en particulier ceux qui ont moins de moyens et qui n'accèdent plus qu'à des produits de qualité médiocre parce qu'ils ne sont pas contrôlés.

Il n'y a pas d'agriculture sans eau, c'est particulièrement vrai dans le Sud-Ouest. Les grandes retenues collinaires permettent de réguler l'étiage des rivières et elles sont aussi au service de la biodiversité : nous en avons un bon exemple en Dordogne, avec la retenue d'eau due à l'installation d'un barrage il y a une vingtaine d'années. Alors, il faut avoir une vision positive de l'irrigation.

Enfin, sur le chèque alimentaire, peut-on travailler directement avec les organisations caritatives ?

M. Yves Bouloux. - Monsieur le ministre, êtes-vous prêt à aligner le calcul des retraites agricoles sur celui des salariés et des indépendants, c'est-à-dire sur les 25 meilleures années de revenus ?

M. Sebastien Pla. - Avec ce budget, on prend les mêmes mesures et on recommence, je ne comprends pas où est la trajectoire novatrice, ni quelle stratégie de développement agricole vous proposez dans le contexte très tendu que nous connaissons.

Les compagnies d'assurances seront-elles en mesure de mettre en oeuvre l'assurance récolte l'an prochain ? Comment allez-vous régler la question de la moyenne olympique ? Je suis vigneron et prendrai mon exemple : après trois années de grêle et de gel, je serai à 20 hectolitres par hectare, je n'ai donc aucun intérêt à m'assurer...

Enfin, les abattoirs de proximité sont en grande difficulté : comment comptez-vous les accompagner ?

M. Franck Menonville. - Les amortisseurs que l'État met en place face à l'envolée du prix de l'énergie ne suffisent pas à certaines petites entreprises agricoles ; il y a des trous dans la raquette. Vous l'avez constaté dans mon département, avec un producteur de pommes de terre qui payait l'électricité 70 euros le MWh et qui, malgré le dispositif de l'État, verrait sa facture quadrupler : que pensez-vous faire pour ces producteurs ?

M. Christian Redon-Sarrazy. - J'évoquerai le renouvellement des générations de vétérinaires. Pour que le ministre de l'agriculture qui sera en poste en 2030 ne se retrouve pas dans la situation que connaît votre collègue de la santé en ce moment, il est nécessaire de prendre dès à présent les bonnes décisions.

Nous avons un projet en Nouvelle-Aquitaine, région où les filières animales sont très présentes et le problème sanitaire prégnant. La santé animale et la santé humaine sont indissociables : c'est le coeur du projet d'école vétérinaire à Limoges. Elle s'intitule One Health, une seule santé : ce n'est pas seulement une école, c'est tout un écosystème avec les praticiens vétérinaires, les formations médicales humaines, les écoles d'agronomie, les formations universitaires en biologie et en sciences de la vie et de la santé, les entreprises leaders du secteur.

Monsieur le ministre, êtes-vous prêt à accompagner ce projet et à lui donner les moyens nécessaires aux cotés de la région Nouvelle-Aquitaine ?

M. Pierre Cuypers. - La Commission européenne veut supprimer un herbicide, le Bonallan, dont la matrice active est la benfluraline ; les États membres avaient jusqu'au 4 novembre pour prendre position. Sachant que si ce produit est supprimé, il n'y a pas de substitution ; quelle est la position du Gouvernement ? Les cultures de l'endive, mais aussi de la chicorée et de haricots, en dépendent - celles des pommes également, et des pommes de terre.

Ensuite, l'usage des néonicotinoïdes sera autorisé l'an prochain pour la dernière année dans la culture de la betterave sucrière : qu'en sera-t-il ensuite, s'il n'y a pas de produit alternatif ?

M. Laurent Somon. - La filière féculière, qui entre dans les processus pharmaceutique et cosmétique, voit sa production baisser malgré une revalorisation des prix par les industriels, les surfaces vont passer de 23 500 hectares l'an dernier à 18 700 cette année. Allez-vous adopter des mesures conjoncturelles, une aide à la production, ou bien la filière peut-elle espérer une aide structurelle dans le cadre des éco-régimes, compte tenu de la production de protéine de pomme de terre ? Ou encore, pourra-t-elle, pour faciliter sa production, réutiliser des eaux chargées résiduaires issues des stations d'épuration, ou encore inclure ses équipements dans les programmes de modernisation des outils industriels ?

Ensuite, j'ai interrogé vos services sur les difficultés des producteurs d'endives, j'espère une réponse.

Enfin, que pensez-vous de la décapitalisation de l'élevage et des risques qu'il y aura demain sur les intrants dans les unités de méthanisation ?

Mme Micheline Jacques. - Vous avez annoncé dans votre propos liminaire une augmentation des crédits pour soutenir l'agriculture ultramarine et je m'en réjouis.

Le plan chloredécone 2021-2027 oriente plus particulièrement la recherche sur la compréhension de l'évolution de cette molécule dans la nature et les éventuelles méthodes de décontamination. Quelle place prévoyez-vous de faire à la diversification de la production ? Que pensez-vous du colza pour l'usage de la chimie verte en vue de faire des outre-mer des territoires d'innovation ?

Mme Sophie Primas. - Une dernière question d'Olivier Rietmann, qui vous demande où en est le décret d'application de la loi du 23 décembre 2021, dite loi Sempastous, portant mesures d'urgence pour assurer la régulation de l'accès au foncier agricole.

M. Marc Fesneau, ministre. - Sur les accords de libre-échange, il faut se mettre d'accord : on ne peut pas demander à être exportateur et refuser l'accès à notre marché ; soit on choisit d'être exportateur, soit de ne pas l'être - il faut accepter les règles du jeu et l'enjeu est alors du côté de notre compétitivité, mais on ne peut choisir la façon de commercer au gré de ce qui nous arrange. En réalité, la concurrence agricole est le plus souvent intracommunautaire, l'écart n'est pas d'abord le fait des accords de libre-échange. Chacun regrette la perte de souveraineté alimentaire française, mais on doit assumer notre capacité exportatrice, donc les règles du jeu.

Peut-on se contenter de viser l'autosuffisance alimentaire ? Mais quand le climat se dérègle, si vous produisez juste ce qu'il faut, comment faites-vous quand la récolte est moins bonne qu'attendue ? Vous n'avez aucune réserve, rien de côté ? Et quand un Poutine fait de l'alimentation une arme de guerre en bloquant les ports, il faut pouvoir donner à ceux qui manquent subitement - et qu'est-ce que vous penseriez d'un monde où ceux qui ont beaucoup, se contenteraient de produire pour eux-mêmes, sans échange, sans penser aux autres ? C'est le fond, on a besoin d'échanges - et il y a la méthode, il faut que les accords de libre-échange, la concurrence, soient régis par des règles loyales...

M. Fabien Gay. - On a toujours commercé, bien avant les accords de libre-échange ; les gens n'en peuvent plus de ce type d'arguments éculés...

M. Marc Fesneau, ministre. - Les clauses de réciprocité n'étaient guère dans la culture de la Commission européenne, nous progressons. Nous veillons à ce que ces clauses figurent dans tous les accords, c'est un travail de longue haleine. Il faut porter le fer sur les clauses environnementales, on ne peut pas tout faire. Sur la méthode, il y a effectivement un sujet démocratique, car une fois que la Commission européenne a mandat de négocier, elle ne revient devant les États-membres que quinze jours avant la signature ; nous avons besoin de plus de temps et de débats. Quant au CETA, le débat n'est pas à l'ordre du jour parlementaire, demandez-le au ministre des relations avec le Parlement... Et je vous fais remarquer que, sur le fond, le CETA est plutôt favorable à nos intérêts commerciaux.

Le sujet de la prédation se pose à l'échelon européen ; nous parlons du guide interprétatif de la directive « Habitat ». Nous sommes en débat avec la Commission européenne et les autres États membres ; nous nous sommes exprimés et je peux vous dire que les points de vue ne sont pas les mêmes, c'est aussi parce que le problème n'est pas le même partout sur le continent... Dans l'immédiat, il faut se mettre d'accord sur le comptage, rétablir de la confiance. Cependant, je tiens à préciser que personne n'a dit qu'à 500 loups on fermerait le ban, il a été simplement écrit que c'était un objectif. Ensuite, nous devons simplifier le prélèvement : les modalités de tir, les équipements, les éléments administratifs sur les délais de financement de la prévention, sur l'indemnisation. Je sais que l'élevage est menacé, en particulier le pastoralisme. La désespérance de l'éleveur est terrible après l'attaque de loups, il en va aussi de la diversité. L'élevage participe à la biodiversité, on ne peut tout sacrifier. Il faut documenter ces éléments, mieux connaître la cohabitation du pastoralisme et des loups. Quant à la deuxième brigade loups, elle est pré-positionnée dans les Pyrénées, il faut former les louvetiers, et préciser les choses dans le Plan loup.

Il y a besoin d'eau en agriculture, c'est certain, et le dérèglement climatique, chacun doit l'entendre, va conduire à des arythmies de pluviométrie ; on va donc passer de périodes où il y aura trop d'eau, à d'autres où l'on en manquera, il faut s'organiser. Ce qui est désespérant dans le projet actuellement contesté, c'est qu'il s'articule avec un projet de territoire où l'on a réduit les produits phytosanitaires, et où on est même passé d'une consommation de 20 à 13 millions de cube d'eau, c'est vertueux pour la consommation d'eau. Qui plus est, des associations qui ont signé le protocole protestent aujourd'hui. Or, je crois qu'il faut être clair : une fois le projet territorial négocié puis signé, une fois les recours juridiques épuisés, le projet doit être appliqué, il faut être de bonne foi. Il faut regarder à quoi servent les ouvrages et celui dont on parle est certes utile à l'irrigation, mais aussi au maintien des étiages, à la lutte contre les inondations, à la lutte contre les incendies, à l'alimentation en eau potable. Il faut faire attention aux discours, je dis que le retour à l'état de nature est mortifère, c'est la mort de l'agriculture, un retour de dix mille ans en arrière - ce qui ne veut pas dire que le dérèglement climatique ne va pas nous conduire à abandonner des cultures sur certains territoire. Et dans ce passage, on a besoin de construire du collectif.

Le chèque alimentaire, on lui demande tout : gérer la précarité, donner un accès à une alimentation de qualité, aider à la transition de filière... c'est trop. D'où l'idée qu'on peut avancer via les banques alimentaires, dans la restauration collective, pour faire découvrir la diversité et la qualité alimentaires ; ça peut être intéressant en particulier pour des jeunes qui en sont éloignés, en tout cas plus intéressant qu'un chèque qui se dépensera au supermarché.

Les décrets d'application de la loi dite Sempastous sont au Conseil d'État depuis le mois d'aout, il en a délibéré ce jour et c'est pourquoi la presse s'en fait l'écho.

La dégustation gratuite des vins n'est pas un sujet législatif, il relève de l'administration des douanes.

Le bio est l'un des modèles alternatifs, il n'est pas le seul. Vous dites, monsieur Cardon, qu'il faut remettre un peu d'urbanité dans le monde rural - mais je vous le demande : et si l'on remettait un peu de ruralité et d'urbanité dans le monde urbain ? Il faut prendre garde aux injonctions, surtout lorsqu'on s'adresse à des gens dont on ne paie pas bien l'effort. C'est mon avis personnel, mais je crois qu'il faut laisser tout le monde faire son chemin, je crois que des modèles sont plus compliqués que d'autres et qu'il faut du temps à la transition, mais qu'il n'y a pas d'un côté les bons, et de l'autre les méchants.

Je veux dire à M. Cuypers que, sur la benfluraline, le délai pour la position des États membres est au 12 décembre prochain.

Ensuite, sur les néonicotinoïdes, on ne peut pas dire qu'on en sort, mettre des moyens pour en sortir, s'engager sur un calendrier, puis repousser tout le temps le calendrier en ajoutant des délais. Ils sont autorisés l'an prochain, l'échéance est en 2024. Il va se passer des choses en 2023, l'Inrae présentera des résultats, et nous recherchons des solutions alternatives, mais il y a bien un moment où l'interdiction s'appliquera.

Mme Sophie Primas. - Monsieur le ministre, nous devons, conformément à vos engagements pris ailleurs, lever notre réunion. Je propose que vous répondiez par écrit aux autres questions, et que vous reveniez devant nous au mois de janvier.

M. Marc Fesneau, ministre. - Sur le guichet des compensations du coût énergétique et l'idée qu'il y a des trous dans la raquette, par exemple pour les endiviers, je crois que nous avons les mêmes informations, parce que nous travaillons tous avec les filières. Nous ajusterons le dispositif, pour être au plus près des besoins.

Mme Sophie Primas. - Les questions sont posées, nous comptons sur vous pour les réponses.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 19 h 05.