Mercredi 29 mars 2023

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -

La réunion est ouverte à 9 h 00.

Avenir des concessions d'autoroutes - Audition de MM. Éric Jeansannetas, président, et Vincent Delahaye, rapporteur de la commission d'enquête sur le contrôle, la régulation et l'évolution des concessions autoroutières (2020)

M. Jean-François Longeot, président. - Nous sommes ravis d'accueillir ce matin, pour le lancement de notre cycle d'auditions sur l'avenir des concessions autoroutières, nos collègues Éric Jeansannetas et Vincent Delahaye, respectivement président et rapporteur de la commission d'enquête sur le contrôle, la régulation et l'évolution des concessions autoroutières, qui avait été créée à la demande du groupe Union Centriste.

La publication de votre rapport d'information en septembre 2020 avait fait grand bruit. La commission d'enquête avait alors mis en lumière le caractère déséquilibré des relations entre l'État et les sociétés concessionnaires d'autoroutes (SCA) et ce, dès l'origine de la privatisation des autoroutes. Plus encore, et à l'appui d'une analyse indépendante, votre rapport concluait à une rentabilité importante des actionnaires, qui serait atteinte dès 2022 pour Vinci autoroutes et Eiffage. Vous aviez à cette occasion formulé six axes de recommandations, visant respectivement à renforcer le contrôle et la régulation du secteur autoroutier ; à assurer un contrôle plus étroit des marchés des SCA ; à négocier une amélioration du service rendu aux usagers compte tenu de la rentabilité élevée des SCA ; à assurer un suivi des conséquences de la crise sanitaire ; à préparer la fin des concessions, notamment en définissant une doctrine sur le « bon état cible » des biens de retour ; à anticiper la gestion future des autoroutes.

Depuis la publication de vos travaux, de nouvelles publications sont venues alimenter la réflexion sur l'avenir du secteur autoroutier. Je pense en particulier à la deuxième édition du rapport sur l'économie des concessions autoroutières, qui a été publié par l'Autorité de régulation des transports (ART) en janvier 2023, mais également au rapport de l'Inspection générale des finances sur le modèle économique des sociétés concessionnaires d'autoroutes, qui date de février 2021, mais dont l'existence n'a été révélée que récemment par Le Canard enchaîné et qui a « fuité » dans la presse il y a quelques jours.

Aussi, monsieur le président, monsieur le rapporteur, dans quelle mesure ces nouveaux éléments concourent-ils à une évolution de vos constats et recommandations formulés en 2020 ? L'arrivée à échéance des premiers contrats de concession se rapprochant, quelle est votre vision de l'avenir du secteur autoroutier à la lumière de ces nouveaux éléments de réflexion ?

La Première ministre a, lors de la présentation d'un plan d'avenir pour les transports, esquissé la piste d'une plus importante contribution du secteur autoroutier. Bruno Le Maire a pour sa part indiqué la semaine dernière avoir saisi le Conseil d'État sur la possibilité de raccourcir de quelques années la durée de certaines des concessions. Quel est votre point de vue sur ces récentes déclarations ?

Avant de vous céder la parole, je précise que nous avons fixé une durée maximale d'une heure et quinze minutes pour chacune des auditions ce matin, car nous avons fait le choix d'entendre un grand nombre d'acteurs. C'est pourquoi, en accord avec les chefs de file de chaque groupe, nous avons convenu qu'un seul orateur par groupe politique interviendrait pour chacune des trois auditions de ce matin.

M. Éric Jeansannetas, président de la commission d'enquête sur le contrôle, la régulation et l'évolution des concessions autoroutières. - La commission d'enquête constituée le 29 janvier 2020 a procédé à une vingtaine d'auditions des principaux acteurs du secteur - l'Autorité de régulation des transports, les ministres en poste lors de la privatisation et du lancement du plan d'investissement autoroutier -, mais aussi des usagers. Notre rapporteur a en outre procédé à une trentaine d'auditions techniques. La commission a rendu son rapport le 16 septembre 2020, lequel a fait l'objet d'un débat en séance publique le 6 mai 2021. Je vous remercie d'avoir remis ce sujet à l'ordre du jour de notre assemblée.

Vous avez rappelé, monsieur le président, les recommandations qui ont été faites dans ce rapport, qui n'était pas un rapport pour rien.

Alors que les tarifs ont augmenté l'année dernière, ils sont encore en hausse cette année, du fait de l'inflation. Cette hausse est jugée très importante compte tenu des difficultés que connaissent nos concitoyens et a remis le sujet en débat. Aussi avons-nous demandé à Clément Beaune il y a quelques semaines l'organisation d'une table ronde sur toutes les questions relatives aux autoroutes. Il a annoncé le lancement d'Assises sur l'avenir des concessions. Bruno Le Maire a lui-même ouvert un débat sur ce sujet - nous espérons qu'il ne s'agit pas d'un simple contre-feu - et demandé au Conseil d'État s'il était possible de raccourcir la durée de certaines concessions.

Nous avons pu, parfois, dire que ces contrats sont déséquilibrés et très favorables aux concessionnaires. Notre travail et nos conclusions tendaient à rééquilibrer la relation entre l'État et les concessionnaires. Nous ne rejetons pas le modèle concessif, même si des alternatives sont possibles. Il faut réfléchir au devenir des concessions et préparer leur fin. Nous avons le temps pour cela, sauf si la durée des contrats venait à être raccourcie après la requête du ministère de l'économie.

J'avoue être circonspect : cette annonce survient alors que notre pays traverse une crise sociale majeure. N'est-elle pas destinée à détourner l'attention ?

M. Vincent Delahaye, rapporteur de la commission d'enquête sur le contrôle, la régulation et l'évolution des concessions autoroutières. - La commission d'enquête a permis de faire un point complet sur le dossier des concessions historiques - 9 000 des 12 000 kilomètres d'autoroutes - et de rééquilibrer le rapport de force entre l'État et les sociétés concessionnaires, principalement Vinci, Eiffage et Abertis. Quand on est concédant, on doit aussi avoir un poids. Or le poids de l'État était insuffisant.

Nous avons fait trois principales propositions.

La première était de ne surtout pas proroger les contrats existants et de mettre fin au système des travaux contre prorogation, contrairement à ce qui s'est fait en 2015 - 4 milliards de travaux ont été prévus contre une prorogation de trois ans. En fait, les sociétés d'autoroutes sont largement gagnantes, mais la collectivité est perdante. Le péché originel est que les contrats n'ont pas été modifiés lors de la privatisation. En 2002, Lionel Jospin, alors Premier ministre, a décidé d'ouvrir le capital des Autoroutes du Sud de la France (ASF) à hauteur de 20 %, le reste a suivi sous Dominique de Villepin. Il aurait alors fallu modifier les contrats et prévoir une clause de revoyure, ce qui n'a pas été fait. Pour ma part, je considère qu'il s'agit de contrats léonins, car on ne peut pas signer de contrat portant sur une durée d'une vingtaine d'années sans prévoir une clause de ce type. Sur ce premier point, je pense que l'action du Sénat a permis d'arrêter les projets de prorogation.

La deuxième proposition portait sur l'équilibre économique et financier des contrats, qui est le point central d'un contrat de concession. Or cet équilibre est toujours évoqué mais n'est jamais défini. Nous avions donc souhaité l'organisation d'une table ronde réunissant l'État, les concessionnaires et l'ART afin de définir cet équilibre. Pour notre part, nous avons considéré qu'il s'agissait de la rentabilité attendue par les actionnaires. Lorsque ces derniers ont investi en 2002, puis en 2006, ils se sont fixé comme objectif un taux de rentabilité de 8 %. Or les chiffres que nous communiquaient les sociétés d'autoroutes étaient toujours couverts par le secret des affaires ; nous ne pouvions pas les publier. Aussi avons-nous publié nos propres prévisions, qui ont été largement confirmées en 2021-2022. Nous avons pu ainsi calculer la rentabilité des actionnaires sur la durée des contrats.

Les sociétés d'autoroute vous diront que la rentabilité se mesure à la fin des contrats, mais il sera alors trop tard ! Aujourd'hui, on considère que Vinci aura atteint les 8 % à la fin de l'année 2023, Eiffage à la fin de 2024. Or les contrats d'Eiffage courent jusqu'en 2034, ceux de Vinci jusqu'en 2036. Abertis atteindra la rentabilité en2031, année de fin de ses contrats.

L'Inspection générale des finances (IGF), dans son rapport qui devait rester secret, mais qui a fini par fuiter, a confirmé la méthodologie appliquée par la commission d'enquête du Sénat pour calculer la rentabilité pour les actionnaires. Elle fait état de quelques petites erreurs méthodologiques de la part de la commission d'enquête, mais je les conteste et j'écrirai à Bruno Le Maire à ce propos. Dans son rapport, l'IGF a repris les réponses du président d'Eiffage, qui ne concernaient pas la méthodologie elle-même.

L'IGF considère que la rentabilité atteindra 12 % à la fin des contrats - nous avions dit 11,3 %, nous sommes dans les mêmes eaux-, mais l'Autorité de régulation des transports l'estime à environ 7,6 %. Les sociétés d'autoroutes s'appuient donc sur l'ART et arguent qu'il n'y a pas de surrentabilité. En réalité, l'ART calcule une rentabilité par projet, mais le détail de ses calculs ne figure pas dans son rapport.

Pour notre part, nous calculons ce que l'investissement a rapporté aux actionnaires. Il faut avoir en tête ces différences de modes de calcul pour discuter de l'équilibre économique et financier. C'est important, car les sociétés concessionnaires peuvent remettre en cause les contrats si elles considèrent que l'équilibre financier n'est pas celui qu'elles avaient prévu à l'origine. Elles ont le droit de dénoncer le contrat.

Par parallélisme des formes, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas dénoncer des contrats dès lors que l'équilibre économique et financier est atteint sur l'ensemble du contrat. Ainsi, Vinci atteindra 8 % de rentabilité en 2023, même si ce taux est ensuite de zéro jusqu'à la fin des contrats. Je considère donc que l'État peut exercer une pression sur les concessionnaires. Notre rôle aujourd'hui est de mettre la pression sur l'État et sur le Gouvernement afin de rééquilibrer le rapport de force avec les sociétés concessionnaires d'autoroutes.

Notre troisième recommandation était de préparer l'avenir, même si les contrats vont à leur terme. Pour ma part, je ne souhaite pas qu'ils aillent à leur terme. À cet égard, je demanderai à Bruno Le Maire des détails sur sa saisine du Conseil d'État, dont je souhaite connaître la réponse. Si le Gouvernement joue la transparence, nous devrions l'obtenir. Je tiens à m'assurer que l'objectif est bien de réduire la durée des contrats actuels et non pas celle des contrats futurs, tout le monde s'accordant sur la nécessité de réduire la durée de ces derniers.

Pour ma part, je pense que le système des concessions est un bon système dès lors que l'on a de bons contrats et que l'on effectue un bon suivi. Or, en l'espèce, ce n'est pas le cas.

Il est important de préparer l'avenir. Va-t-on continuer avec le modèle des concessions ? Pour quelle durée ? Avec quel type de contrat ? Faut-il créer une société des autoroutes de France qui permette de récupérer de l'argent et de flécher ces ressources sur certaines dépenses, des routes et des infrastructures de transport ? Enfin, il faut absolument veiller à la remise des biens de retour en bon état à la fin de la concession. Or on a plutôt assisté à une baisse des investissements sur les dernières années de contrat, ce qui est assez classique.

J'ajoute enfin qu'il ne faut pas craindre les contentieux. Les sociétés d'autoroutes déposent toujours des contentieux. Elles sont ainsi actuellement en contentieux avec l'État concernant l'indexation des taxes d'aménagement, au motif qu'elle va leur coûter un milliard d'euros d'ici à la fin des contrats en 2036. Or il faut savoir que la baisse du taux de l'impôt sur les sociétés de 33 % à 25 % va leur rapporter, sur la même durée, 7 milliards d'euros ! Elles déposent un contentieux pour un milliard d'euros, mais elles empochent tranquillement 7 milliards... Ces sociétés ont les moyens de payer beaucoup de juristes, avec de l'argent public d'ailleurs, celui des usagers. Il faut que la puissance publique montre qu'elle ne craint pas un éventuel contentieux et que le rapport de force s'inverse.

Mme Laurence Muller-Bronn. - Selon vous, comment l'État doit-il aujourd'hui renégocier ces contrats ? Quelle est la marge de manoeuvre du Gouvernement et que peut-il obtenir pour rééquilibrer les bénéfices et partager les gains d'exploitation ? Sans renégociation des contrats, à combien s'élèveraient les pertes pour l'État ?

À plus long terme, est-il envisageable de réduire au moins de moitié la durée des concessions et de prévoir des clauses de modération tarifaire en fonction des bénéfices et des seuils de rentabilité ? Quelles sont les pistes envisageables pour exploiter la rentabilité de ces sociétés au bénéfice des usagers (comme inclure dans les contrats une réduction significative des abonnements pour les trajets quotidiens domicile-travail) ?

Depuis la publication du rapport de la commission d'enquête du Sénat, avez-vous constaté une ouverture du Gouvernement, qui se rapprocherait du constat que vous avez fait et des recommandations que vous avez formulées ? En d'autres termes, pensez-vous qu'il existe aujourd'hui une volonté politique de s'attaquer à ces contrats ? Une volonté qu'il faudra encourager d'après ce que nous avons compris...

J'ai également quelques questions complémentaires en concertation avec collègue Philippe Tabarot. Que pensez-vous des rapports de l'IGF et de l'ART en comparaison avec vos propres conclusions qui avaient été jugées trop à charge en 2020 ? Feriez-vous les mêmes constats aujourd'hui ? Quel montant les concessionnaires pourraient-ils dégager pour les affecter au rail ?

M. Vincent Delahaye. - La commission d'enquête n'aurait pas de raison aujourd'hui de ne pas maintenir ses conclusions, rien n'ayant changé, à part une prise de conscience du Gouvernement.

Bruno Le Maire a reconnu à l'Assemblée nationale la semaine dernière qu'il y avait une surrentabilité, ce qu'il n'avait pas fait lorsque nous l'avions auditionné dans le cadre de nos travaux. On assiste donc à une prise de conscience, comme en témoigne la saisine du Conseil d'État, en partie grâce au travail que nous avons réalisé et à sa médiatisation, qui crée une pression pour que les choses évoluent. Parce que la volonté des sociétés d'autoroutes est que rien n'évolue d'ici la fin des contrats et même qu'ils puissent proroger leurs contrats actuels. Après avoir atteint les 8 % de rentabilité que j'ai précédemment évoqués, les sociétés concessionnaires bénéficieront d'après nous d'une surrentabilité dont le montant oscillera 30 et 35 milliards d'euros, à partir de la fin 2023 pour Vinci et à compter de fin de 2024 pour Eiffage. Une discussion doit avoir lieu sur le partage de la rentabilité entre les concessionnaires, l'État et les usagers.

L'État doit montrer sa volonté. Les concessionnaires ne sont pas tout puissants en raison des contrats qu'ils ont signés. Ces contrats peuvent être critiqués. Dominique de Villepin, à qui j'avais demandé pourquoi les contrats n'avaient pas été modifiés en 2006, avait dit qu'on ne pouvait le faire dès lors que le capital des Autoroutes du sud de la France avait été ouvert au secteur privé. C'est un peu court comme réponse ! Dès lors qu'un appel d'offres était lancé pour une autre partie du réseau autoroutier, il me semble que l'on pouvait modifier les contrats. On a voulu aller vite...

Ségolène Royal nous a dit qu'elle n'avait pas eu connaissance du contenu du protocole signé en 2015 avant de le lire dans la presse ! Elle a signé sans savoir ce qu'elle signait, ce qui est aberrant. Ce protocole prévoyait bien quelques modifications, mais à la marge. La clause sur les excès de rentabilité prévoit des cibles inatteignables, quelle que soit l'évolution du trafic.

Il ne faut pas s'en laisser compter et ne pas céder au chantage des sociétés concessionnaires sur les risques de contentieux. En 2015, Ségolène Royal avait pris la décision de manière unilatérale de geler les tarifs, ce qui mettait l'État en position de faiblesse dans la négociation, cette décision n'étant pas conforme aux contrats. Le rattrapage prévu ensuite s'est étalé jusqu'en 2023, pour un montant total plus important pour les automobilistes que si les tarifs avaient augmenté uniquement en 2015. Encore une fois, la négociation s'est faite trop rapidement en 2015.

C'est pour cela qu'il est important d'anticiper l'avenir comme vous le faites aujourd'hui et comme l'a fait la commission d'enquête. Il ne s'agit pas d'éliminer les sociétés privées ou de dire qu'elles ne doivent pas gagner d'argent, mais la rentabilité doit être raisonnable. On peut tout à fait imaginer se remettre autour de la table tous les trois ans et, si la rentabilité a varié de plus ou moins 5 %, discuter des conséquences.

Quant à la durée des contrats, elle dépendra des investissements que l'on demandera aux sociétés de réaliser.

Enfin, une partie des 30 à 35 millions d'euros de surrentabilité pourra être affectée au financement d'autres infrastructures de transport, mais je ne sais pas quelle part pourra aller au rail. C'est une question que votre commission doit examiner dans le cadre de ses travaux. Je me méfie de la création d'une nouvelle structure, qui entraîne des coûts supplémentaires.

Je ne comprends pas qu'une contribution « volontaire » au financement de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) ait été prévue. Il fallait prévoir une contribution, c'est tout.

M. Éric Jeansannetas. - Sur le contrôle des concessions, il y a eu un avant et un après 2015. La création de l'ART est un point très positif, des progrès ont été faits. Les concessionnaires étaient hostiles à sa création, mais ils l'ont acceptée. Des évolutions sont donc possibles. Le rapport de force peut être rééquilibré, sans jeter l'opprobre sur les grandes sociétés autoroutières, lesquelles font leur travail, mais au détriment des pouvoirs publics, leur rentabilité n'étant pas acceptable.

M. Hervé Gillé. - Quel est aujourd'hui le pouvoir de contrôle des travaux avant le retour des biens à la fin de la concession ?

N'est-il pas possible aujourd'hui d'inciter les concessionnaires à effectuer des investissements plus lisibles et plus massifs dans les mobilités durables ? Je pense au déploiement des bornes électriques, mais aussi à l'utilisation des délaissés autoroutiers.

L'AFITF n'a pas les compétences suffisantes aujourd'hui pour jouer le rôle d'un syndicat à l'échelon national. Faut-il transformer cette agence ou créer une nouvelle structure ?

Un certain nombre de syndicats régionaux n'ont pas les moyens d'accompagner une politique de projets à l'échelle régionale, en subsidiarité avec l'ensemble des parties prenantes. Ne pourrait-on pas avoir une part affectée à l'échelon régional, afin de développer une vision d'ensemble sur des projets qui nécessitent des schémas d'organisation et de planification ? On ne peut pas parler de mobilité à l'échelon régional sans schémas de mobilité régionaux, départementaux ou métropolitains.

M. Frédéric Marchand. - Je souhaiterais rappeler que nous avons des autoroutes en excellent état grâce à des grilles tarifaires qui incitent à l'investissement jusqu'en 2035, qui a toutefois le défaut majeur qui est que l'État n'a pas conservé la possibilité d'ajuster les tarifs en fonction du taux de rendement interne actionnaire.

Pensez-vous que le raccourcissement de la durée des contrats et l'instauration d'une clause de revoyure soient réalisables dans le cadre d'une négociation ou faut-il nécessairement attendre la fin des concessions ?

Dans quelle mesure est-il possible de mieux prendre en compte les objectifs de transition écologique ? Je pense notamment au maillage des bornes de recharge pour les véhicules électriques, à la prise en compte des voies réservées, notamment pour le transport partagé. Ces critères peuvent-ils faire l'objet de négociations ou doivent-ils être introduits lors du renouvellement de la concession ?

M. Gérard Lahellec. - Dans un contrat de concession, le concessionnaire est réputé porter quelques risques, que d'autres ne peuvent pas assumer. Quels avantages peut-il en tirer ? Avez-vous réussi à identifier les avantages que procure le modèle concessif ?

M. Pierre Médevielle. - Je rappelle que les sociétés autoroutières ont réalisé un investissement de départ de 40 milliards d'euros. En 2015, un cabinet mandaté par Ségolène Royal avait conclu à une rentabilité ahurissante, en occultant les investissements réalisés, la reprise de la dette et les années de déficit. Il est difficile de calculer la rentabilité.

Les prorogations sont évidemment un problème, mais elles entraînent des investissements ou sont des compensations lorsque l'État n'a pas tenu ses engagements.

En cas de reprise brutale, quelle serait la crédibilité de la parole de l'État ? La négociation est la solution, mais il est difficile de négocier quand on fait passer les concessionnaires pour des voyous dans la presse, quand on les stigmatise ! Le moment est-il propice à la négociation ? Ne vaudrait-il pas mieux attendre une accalmie ? À quelles conditions est-il possible d'abréger la durée des concessions ? Quels candidats trouvera-t-on ensuite ? Si l'État reprenait les autoroutes, est-on sûr que les recettes seraient affectées aux investissements et à l'entretien des autoroutes, compte tenu de la situation budgétaire de notre pays ? Dans quel état finiraient nos autoroutes ? Il n'est pas certain que l'État dégagerait les mêmes recettes que des professionnels qui connaissent parfaitement leur métier !

M. Jacques Fernique. - L'ART, l'IGF et la commission d'enquête ont adopté des méthodologies différentes pour évaluer la rentabilité des concessions. Que faudrait-il mettre en place pour accroître la transparence et la clarté sur la rentabilité, au moins pour les parlementaires ?

Je sais que l'ART souhaite que l'État soit lié par ses avis.

Comment faire en sorte que les renégociations s'effectuent dans des conditions moins déséquilibrées ? Sachant que les contrats en cours ne font pas l'objet d'un bon suivi, comment arrêter les frais avant les échéances prévues tout en garantissant une bonne qualité des infrastructures, un réseau à jour et en bon état ?

Pour l'avenir, avec l'expiration des principales concessions, les péages seront remis en cause. Le Conseil d'orientation des infrastructures évoque, à règles européennes constantes, un risque de réduction des recettes de 50 % à 70 %. Alors que les recettes fiscales liées aux produits pétroliers vont perdre de leur importance du fait de la fin des moteurs thermiques, ne faut-il pas éviter un paradoxal renforcement de l'attractivité du mode routier ? Comment faire pour qu'une bonne partie des 30 à 35 milliards d'euros de surrentabilité aillent au rail ?

M. Vincent Delahaye. - On constate depuis 2015 une amélioration sensible de la vérification des travaux grâce à l'ART. Faut-il aller jusqu'à prévoir que l'avis de l'autorité s'impose au Gouvernement ? Je n'en suis pas sûr, mais il faudrait au moins que le Gouvernement dise pour quelles raisons il n'en tient pas compte.

Je pense que des investissements dans les mobilités durables peuvent être imposés aux concessionnaires dans le cadre de leurs contrats actuels.

On ne stigmatise pas les sociétés concessionnaires. Je pense qu'elles ont intérêt à négocier, or elles ne discutent de rien. Nous les avons auditionnées, mais elles pratiquent la langue de bois, elles ne sont pas du tout transparentes. Elles ont tort et raisonnent à court terme. Leur stratégie est d'encaisser l'argent et d'attendre 2031 ou 2036. Ce n'est pas une bonne façon de faire. Ma stratégie est plutôt de leur mettre la pression, de leur montrer que la puissance publique doit défendre l'intérêt général. Défendre l'intérêt général, c'est conserver de bonnes autoroutes, modernes, qui s'inscrivent dans un plan de mobilité durable, peut-être dans un contexte de régionalisation.

Demandez donc à ces sociétés quel est, selon elles, l'équilibre économique et financier des contrats. Vous me direz si vous obtenez une réponse ! Elles ne s'engagent sur rien ! Elles considèrent que la rentabilité s'évalue à la fin des contrats. Je pense qu'elles ont intérêt à raisonner à long terme, car il serait dommage d'avoir à se priver de sociétés de qualité.

Bien entendu, il ne faut pas prévoir dans un contrat des conditions susceptibles de décourager toute candidature. L'avantage d'un contrat de concession, c'est qu'il permet de faire réaliser des investissements par une société privée qu'une collectivité publique ne peut pas faire. La société privée s'y retrouve en se faisant rémunérer. Honnêtement, l'État n'a pas montré des qualités de gestionnaire exceptionnelles dans beaucoup de domaines. Dès lors, pourquoi prévoir une gestion publique alors que des sociétés savent faire, à condition d'être bien encadrées ? Il faut toutefois un partenariat gagnant-gagnant.

Aujourd'hui, l'augmentation de 4,75 % des tarifs de péage permettra aux sociétés d'autoroute de réaliser 300 millions d'euros de profits supplémentaires par an, soit 3 milliards d'euros en dix ans !

Je ne tape pas sur les sociétés d'autoroutes, je dis simplement que, en l'occurrence, le rapport normal entre un concédant et les concessionnaires n'est pas respecté. Le concédant a aussi des pouvoirs, il ne doit pas simplement dire amen aux concessionnaires.

Faut-il une nouvelle structure, créer un syndicat ou faire évoluer l'AFITF ? Pour ma part, je pense qu'il faut faire évoluer l'AFITF et lui permettre de bénéficier de contributions obligatoires.

Enfin, je considère que la méthodologie que nous avons employée pour calculer la rentabilité pour les actionnaires a en quelque sorte été validée par l'Inspection générale des finances. L'ART fait un autre calcul, mais je ne le comprends pas. J'aimerais disposer des éléments permettant de le vérifier.

La réglementation européenne est un vrai sujet, qu'il faut approfondir. Un accord a été conclu à l'échelon européen à la suite d'un contentieux entre les Autrichiens et les Allemands. Il a été décidé qu'il ne devrait plus être possible de mettre en place des péages dès lors que les infrastructures sont amorties. Il faut éviter cela. Les autoroutes gratuites ne sont pas une bonne solution, elles favorisent l'utilisation des voitures. Notre pays est très traversé par les véhicules étrangers, on ne peut pas se priver de leurs contributions financières.

L'objectif aujourd'hui est de mettre fin à l'augmentation inconsidérée des tarifs des péages et de récupérer une partie de ces sommes pour faire autre chose.

M. Jean-François Longeot, président. - Merci pour ce débat intéressant et fondamental. Il va nous falloir également évoquer le sujet de la décarbonation des autoroutes.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Avenir des concessions d'autoroutes - Audition de M. Pierre Coppey, président de Vinci Autoroutes

M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons notre cycle d'auditions consacré à l'avenir des concessions autoroutières en accueillant M. Pierre Coppey, président de Vinci Autoroutes, qui est le premier concessionnaire autoroutier français, avec un réseau de plus de 4 400 kilomètres sur les plus de 9 000 kilomètres d'autoroutes concédées.

Je rappelle, à titre liminaire, que le contrat de concession consiste à confier à un tiers, en l'occurrence les sociétés concessionnaires d'autoroutes (SCA), le financement, la conception, la construction, l'entretien, l'exploitation et la maintenance des autoroutes pour une durée prédéfinie et de leur faire supporter les risques associés, en contrepartie du droit, pour les SCA, de percevoir un péage.

Alors que se profile, dans les prochaines années, la fin des contrats de concession autoroutière, notre commission a pour ambition, au travers de ses auditions, d'anticiper cette échéance majeure pour la politique routière française et de faire, en quelque sorte, le bilan des concessions, telles qu'elles ont été pensées et mises en oeuvre jusqu'à présent.

Dans cette perspective, je souhaiterais vous interroger sur quatre points, monsieur le Président.

Ma première question est de nature plutôt prospective. En tant que premier concessionnaire autoroutier de France, comment appréhendez-vous la fin des contrats de concession ? Comment l'anticipez-vous ? Je souhaiterais en particulier savoir dans quelle mesure et comment vous vous préparez à la restitution des biens. Où en sont les inventaires des biens de retour et la définition d'une doctrine quant au « bon état cible » de ces biens ?

Ma seconde question porte, cela ne vous étonnera sans doute pas, sur la rentabilité des concessions, sujette à de nombreux commentaires. Plusieurs rapports récents, notamment celui de l'Inspection générale des finances (IGF), qui a récemment « fuité » dans la presse, tendent à montrer que certaines SCA ont des taux de rentabilité internes bien supérieurs à ce qui était prévu par les contrats de concessions. Certains suggèrent d'étudier l'opportunité de raccourcir la durée de certains contrats. Bruno Le Maire a indiqué vouloir saisir le Conseil d'État sur cette question. Que répondez-vous à de tels discours et propositions ?

Ma troisième question porte sur la fiscalité des autoroutes. La Première ministre a évoqué l'idée de faire davantage contribuer le secteur autoroutier au plan d'avenir pour les transports, notamment en faveur du mode ferroviaire. Quel regard portez-vous sur cette proposition ? Je rappelle que les sociétés concessionnaires d'autoroutes remettent en cause, depuis 2021, le versement de la contribution volontaire exceptionnelle à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afit France), compte tenu de l'indexation de la taxe d'aménagement du territoire sur l'inflation. Faut-il s'attendre à une réaction similaire si de nouvelles taxes étaient prévues ? Des discussions avec le Gouvernement ont-elles déjà été engagées sur ce point ?

Enfin, pouvez-vous évoquer les moyens consacrés à la décarbonation des autoroutes ? Avez-vous estimé les besoins totaux en la matière ?

Avant de vous céder la parole pour une durée de dix minutes au maximum, je précise que nous avons fait le choix d'entendre un grand nombre d'acteurs, ce qui a pour conséquence de limiter chaque audition de la matinée à une heure et quinze minutes. Je vous demande donc de respecter ce temps de parole. De la même manière, en plein accord avec le chef de file de chaque groupe, nous sommes convenus qu'un seul orateur par groupe politique interviendrait.

M. Pierre Coppey, président de Vinci Autoroutes. - Ces derniers temps, il se dit beaucoup de choses fausses sur les concessions d'autoroutes et je me réjouis donc que vous vous intéressiez à la préparation de l'échéance de ces contrats.

Permettez-moi d'abord de rappeler quelques chiffres. La route représentait, en 2019, 87 % des déplacements de personnes en France - cette part est stable depuis trente ans - et 85 % des déplacements de marchandises en 2021. Quant aux investissements dans les infrastructures de transport, ils sont globalement constants depuis 1990. Ils ont été fortement réorientés depuis quelques années au détriment de la route et au bénéfice des transports urbains et du réseau ferré principal.

S'agissant des recettes publiques, la route est fortement contributrice au budget public. Le rendement de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) est de l'ordre de 33 milliards d'euros, et le produit des péages autoroutiers était en 2021 d'environ 12,4 milliards d'euros toutes taxes comprises, dont 4,7 milliards d'euros d'impôts et taxes, soit une part de 40 %.

La part hors fiscalité est intégralement utilisée pour le financement des infrastructures autoroutières. La part fiscale abonde le budget général, mais elle est aussi pour partie fléchée, à hauteur de 1 milliard d'euros, pour l'ensemble du secteur, vers les autres infrastructures de transport. L'autoroute finance donc le ferroviaire et le report modal depuis 1995.

L'enjeu majeur des politiques de transport pour les décennies à venir est la décarbonation des déplacements. Le secteur des transports représente environ un tiers des émissions de carbone du pays. C'est le seul secteur dont les émissions n'ont pas baissé depuis 30 ans : 84 % de ces émissions proviennent de la route et près du quart, des seules autoroutes. La stratégie nationale bas-carbone prévoit, pour 2050, une part modale de la route de 79,5 % pour le transport de personnes et de 85,3 %, pour le transport de marchandises.

Ainsi, la part modale de la route restera prépondérante en 2030 et en 2050. Pour atteindre les objectifs de décarbonation, il faudra à la fois modérer la demande, amplifier le report modal et, surtout, décarboner les mobilités routières.

Nous avons travaillé sur ces questions et construit un plan en cinq points.

Premier point, il convient de développer les infrastructures et les services de mobilité partagée : covoiturage, pôles d'échanges multimodaux, cars express sur autoroutes ou voies réservées.

Deuxième point, il s'agit également d'accueillir des motorisations décarbonées, en nous dotant d'un réseau de bornes de recharge ultra-rapide suffisant pour accueillir une flotte de véhicules électriques dont la progression est exponentielle.

Troisième point, l'autoroute doit devenir un centre de production d'énergies renouvelables, en particulier sur les délaissés ferroviaires et autoroutiers. À cet égard, je veux vous faire part de ma déception concernant la loi du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables. Au mieux, elle fera gagner six mois sur les quatre ans et demi nécessaires, en France, pour construire un parc photovoltaïque.

Quatrième point, il est nécessaire de fluidifier le trafic, non seulement par la promotion des véhicules autonomes et connectés, mais aussi par le passage en flux libre.

Cinquième point, la résilience des infrastructures doit être améliorée. Je pense à la biodiversité, mais aussi à la résistance des ouvrages aux incendies ou aux inondations, qui se multiplient.

Nous estimons que l'effort d'investissement sur le réseau actuellement concédé représenterait environ 60 milliards d'euros, soit trois fois moins que l'effort consenti par les générations précédentes pour construire le réseau autoroutier.

En ce qui concerne la décarbonation du transport des poids lourds, des choix technologiques doivent être faits entre l'hydrogène et les systèmes d'alimentation électrique, qu'il s'agisse de camions à batterie, de systèmes d'induction électrique ou de systèmes de caténaire et pantographe.

Les ressources financières collectées par les mobilités routières sont appelées à baisser fortement si rien n'est fait dans les quinze ans qui viennent. Le rendement de la TICPE est d'abord menacé par l'évolution de la flotte automobile. De ce point de vue, il conviendra de transférer les 33 milliards d'euros prélevés par la TICPE sur la mobilité électrique.

Les péages sont également menacés. Au lendemain de la fin des concessions, ils n'auront plus de raison d'être, dans la mesure où l'infrastructure sera amortie. Certes, de nouveaux péages pourraient être instaurés dans le cadre de la directive Eurovignette (directive [UE] 2022/362 modifiant les directives 1999/62/CE, 1999/37/CE et [UE] 2019/520, relative à la taxation des véhicules pour l'utilisation de certaines infrastructures). Leur composante principale, la redevance d'infrastructures, doit au plus couvrir les coûts de construction, d'entretien et d'exploitation du réseau. Or l'infrastructure a été amortie à l'occasion de la première concession. Le produit de cette redevance serait ainsi nettement plus faible, d'autant qu'elle n'a pas vocation à constituer une fiscalité spécifique telle que la redevance domaniale ou la taxe due par les concessionnaires d'autoroutes, dite taxe d'aménagement du territoire (TAT). Il s'agit d'éviter que les pays de transit n'imposent des péages ou des vignettes à des tarifs trop élevés aux transporteurs d'autres pays.

La directive Eurovignette permet de mettre en place, outre la redevance d'infrastructures, une redevance pour coûts externes, qui ne correspond à aucun service, afin de prendre en compte les externalités négatives comme les émissions polluantes ou sonores ou la congestion. Il s'agit donc d'une taxe qui devra respecter le principe d'égalité devant l'impôt. Dès lors, son acceptabilité est loin d'être évidente. Par ailleurs, sa collecte sera techniquement compliquée, puisqu'aucun équipement n'est prévu à cet effet aujourd'hui.

Du reste, le rendement de la redevance pour coûts externes serait inférieur au niveau de la fiscalité spécifique qui pèse actuellement sur le secteur et décroissant au fur et à mesure de la diffusion des véhicules propres.

Après la fin des concessions historiques, le produit des péages affecté aux investissements dans les infrastructures de transport pourrait ainsi baisser de 8 milliards d'euros par an.

Avec M. Blaise Rapior, directeur général d'Escota, je me tiens à votre disposition pour vous apporter des précisions.

Mme Nicole Bonnefoy. - Vinci Autoroutes est l'un des principaux concessionnaires privés du réseau autoroutier français et, à ce titre, un partenaire fondamental de la politique publique des transports, qu'il s'agisse de la décarbonation ou du report modal. Vous le savez, le réseau autoroutier fait partie intégrante du patrimoine national et les Français y sont très attachés. Il n'y a rien de scandaleux à ce que les sociétés concessionnaires d'autoroutes puissent assurer une certaine rentabilité. Cependant, nous sommes face à une sur-rentabilité - 55 milliards d'euros de profits supplémentaires par rapport aux contrats initiaux -, désormais étayée par un rapport de l'IGF, et à une augmentation constante des tarifs de péage.

Comment accueillez-vous les récentes déclarations du ministre de l'économie, appelant à un raccourcissement des contrats de concession ? En tant que partenaire, êtes-vous prêt à renégocier du point de vue de l'intérêt général ? Quelles sont vos propositions en matière de partage des recettes ? Clément Beaune a ainsi évoqué une contribution supplémentaire des sociétés d'autoroutes, qui pourrait alimenter les investissements nécessaires dans le ferroviaire ou encore dans l'entretien du réseau routier non concédé.

Par ailleurs, en tant que concessionnaire, vous avez une responsabilité majeure en matière de décarbonation, étant donné que vos résultats d'exploitation sont excessivement bénéficiaires. Ces résultats suscitent des interrogations quant à la récente augmentation des péages de près de 5 %, laquelle, dans la période d'inflation que nous connaissons, paraît peu justifiée.

La question de la répartition de la charge du péage entre les usagers me semble déterminante pour l'avenir de la route, car le signal « prix » pourrait permettre à la fois de prendre en compte une tarification sociale, le caractère plus ou moins polluant des véhicules, les problématiques de congestion, l'optimisation de l'usage de l'infrastructure, ou encore les transports alternatifs à l'autosolisme. Comment Vinci Autoroutes envisage-t-elle une gestion dynamique des péages, notamment pour ce qui concerne le trafic des poids lourds, ce qui pourrait régler certains engorgements, comme celui de la rocade bordelaise.

Le 31 janvier dernier, vous avez organisé un colloque sur le thème « La Route, grand impensé de la transition écologique » démontrant la nécessité de la décarbonation des infrastructures routières. Les transports sont le premier poste émetteur de gaz à effet de serre, et l'autoroute représente à peu près 7 % des émissions de CO2 du pays.

Le plan de décarbonation de Vinci Autoroutes s'appuie notamment sur une étude estimant entre 60 milliards et 70 milliards d'euros les investissements nécessaires pour faire de l'autoroute une infrastructure bas-carbone d'ici à l'horizon 2030. Cette étude commandée par Vinci a-t-elle fait l'objet d'un contrôle ou d'une appréciation particulière du ministère de la transition écologique, d'une agence de l'État telle que l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) ou des collectivités locales affectées par ce plan ? L'analyse de ces organismes serait d'autant plus intéressante qu'elle permettrait d'évaluer les différents postes d'investissement, tout en les croisant avec d'autres données ou hypothèses de décarbonation massive, comme la réduction de la vitesse kilométrique. Il est, selon moi, fondamental que l'État et les collectivités locales aient un droit de regard sur des questions relevant de leur compétence en matière de planification écologique et d'aménagement du territoire.

M. Pierre Coppey. - Je souscris à votre remarque, madame la sénatrice, concernant l'importance de la concertation locale. Je le rappelle, nous sommes régis par un ensemble de procédures et d'enquêtes publiques qui la rendent obligatoire. Quoi qu'il en soit, nous avons le souci d'écouter les territoires et leurs représentants.

Pour ce qui concerne la rentabilité des concessions et les différentes déclarations qui ont été faites sur ce sujet, la question a été abondamment discutée dans cette enceinte en 2014 et 2015. Cela a conduit le législateur à confier à l'Autorité de régulation des transports (ART) la mission de surveiller l'évolution du niveau de rentabilité des concessions d'autoroutes. L'ART a produit deux rapports, l'un datant de novembre 2020 et l'autre de janvier 2023. Les concessions d'autoroutes sont des sujets capitalistiques très compliqués. Pour porter un jugement valable sur leur rentabilité, il faut regarder les contrats et les modèles et formuler des hypothèses.

En reprenant le schéma de la privatisation de 2002, il convient d'examiner les perspectives jusqu'à la fin de la concession, car on ne peut mesurer la rentabilité d'un investissement qu'à la fin. Pour faire établir une mesure intermédiaire, il faut faire toutes sortes d'hypothèses. Sinon, on raconte n'importe quoi ! L'ART a mené ce travail et a conclu à deux reprises que le taux de rentabilité des concessions d'autoroutes tel qu'il pouvait être évalué à date était cohérent avec ce qui avait été modélisé lors de la privatisation.

Quant au rapport de l'IGF, qui a été diffusé par la presse, il remonte à plus de deux ans. Il avait été commandé par l'État dans le cadre d'un contentieux entre l'État et les sociétés d'autoroutes sur l'« indexation » de la taxe d'aménagement du territoire sur l'inflation, qui représentait un prélèvement de l'ordre de 1 milliard d'euros. Le ministère des finances avait confié à l'IGF la rédaction d'un rapport visant à démontrer que la taxe ne devait pas être compensée. Premièrement, je vous encourage à consulter la page 65 de ce rapport, où il est écrit que les écarts évalués par l'IGF reposent sur un calcul très hypothétique et doivent être interprétés avec une grande prudence. Deuxièmement, dans la mesure où je ne connais pas le modèle utilisé par l'IGF, pas plus que je ne connais le modèle utilisé par le sénateur Vincent Delahaye pour avancer des chiffres comparables, je ne pourrais dire où est l'erreur.

Ce que je sais, c'est que l'ART a fait un travail sérieux accessible à chacun. Il est transparent, dans la mesure où le modèle retenu pour l'analyse est connu.

Le débat sur la rentabilité des sociétés concessionnaires d'autoroutes repose de moins en moins sur des considérations objectives et de plus en plus sur des débordements passionnels. Je le rappelle, une concession est un contrat prévoyant des obligations et des compensations, dans le cadre d'un modèle et d'hypothèses. En outre, l'ensemble de ces éléments sont suivis à la fois par le ministère des transports, le Conseil d'État et ART.

Certes, je le sais bien, les montants en jeu surprennent. Le profit réalisé par la société Autoroutes du sud de la France (ASF) est à peu près cohérent avec ce qui était prévu dans le modèle. Si ce profit est très important, c'est parce qu'une concession est un instrument de financement visant à rembourser l'investissement initial. Au début, on perd de l'argent - c'est la fameuse courbe en J -, tandis que les profits des dernières années de la concession permettent de compenser les investissements initiaux.

M. Michel Dagbert. - J'ai été membre de la commission d'enquête sur les concessions autoroutières et membre de la commission d'enquête en matière de sécurité des ponts et des ouvrages d'art. À ce titre, je souhaite vous interroger sur l'entretien de ces infrastructures. Les sociétés concessionnaires sont en effet contractuellement tenues d'effectuer l'entretien des voies et des ouvrages d'art qui leur sont concédés. Elles ont ainsi l'obligation de réaliser un certain volume de travaux. Les concessionnaires doivent investir jusqu'à la fin des contrats, afin de remettre en bon état l'ensemble de l'infrastructure.

Or, en décembre 2022, l'ART, dont vous venez de dire grand bien, a publié un document très critique s'agissant des pratiques observées lors de la passation des marchés de travaux de fournitures et de services et lors de la passation des contrats de sous-concession. Elle a rappelé l'importance de disposer de règles claires sur le calcul de la valeur estimée d'un marché de travaux et le choix de la procédure d'appel d'offres. Elle note le taux très important, notamment pour votre groupe, d'attribution de marchés de travaux aux sociétés liées capitalistiquement à votre groupe. ASF, Cofiroute et Escota ont ainsi passé près de 50 % de leur marché auprès des sociétés du groupe Vinci.

L'ART émet donc certaines réserves sur le coût de certaines opérations de travaux. Beaucoup regrettent le manque de transparence sur les coûts et les prix pratiqués lors de la réalisation des travaux d'entretien de l'infrastructure. Pouvez-vous nous fournir quelques éléments d'appréciation sur ce point et nous dire où vous en êtes dans la réflexion sur la mise en oeuvre de passations plus transparentes dans leurs règles d'attribution ?

M. Gérard Lahellec. - D'emblée, je voudrais vous dire que je n'ai pas d'hostilité particulière à l'égard du modèle concessif. Je le précise, je viens de Bretagne et, comme vous, je porte une attention particulière aux routes et autoroutes.

Dans le contexte actuel, nous ne pouvons qu'être attentifs à ce qui se dit et s'écrit. Permettez-moi de vous le dire, tout le monde n'a pas pour livre de chevet le rapport de l'ART, ce qui ne veut pas dire qu'il ne faille pas objectiver les choses.

Avez-vous pris la mesure de l'émotion suscitée par une telle situation ? Je le sais, nous sommes régis par le secret des affaires. Il ne s'agit pas de négocier à la place de l'autorité concédante. Toutefois, il y a un effort à faire pour rendre les choses acceptables. Il serait intéressant que vous puissiez nous donner quelques pistes quant à vos intentions de faire bouger les choses.

M. Pierre Médevielle. - Je l'ai rappelé, avant le rapport de M. Éric Jeansannetas, un groupe de travail de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, mis en place en 2015, s'était déjà penché sur ces questions. Nous nous retrouvons aujourd'hui dans la même situation, dans un contexte de crise et d'inflation. On a une fâcheuse tendance à s'étendre sur les bénéfices des entreprises ! Personnellement, je préfère les entreprises qui font du bénéfice, synonyme d'investissements et d'emplois.

Vous avez évoqué, monsieur le Président, la loi relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables, qui était nécessaire, même si les délais de déploiement des projets ne sont pas encore satisfaisants, car nous n'arrivons pas à réduire suffisamment la longueur des procédures administratives.

Bien que de nombreuses éventualités aient été étudiées, on a occulté superbement les milliers d'hectares disponibles en bordure d'autoroutes et de voies ferrées. Ce point devrait faire l'objet d'un prochain texte, peut-être en concertation avec vous.

Je travaille actuellement, dans le cadre de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), sur la décarbonation de l'aviation. Mais la décarbonation des transports routiers me paraît essentielle, dans la mesure où les autoroutes représentent la part principale du carbone émis par le secteur des transports. Pouvez-vous nous dire deux mots sur ces futurs investissements ?

M. Jacques Fernique. - Je vous remercie, monsieur le Président, d'évoquer avec nous la nécessité d'infrastructures modernes en bon état, c'est-à-dire à jour par rapport à ce qui est défini dans les contrats, et résilientes face au changement climatique, dont on mesure sans doute encore insuffisamment l'impact sur les réseaux de transport. Je souhaite aussi évoquer l'enjeu de l'intérêt général, qui n'est pas compatible avec une sur-rentabilité excessive des concessionnaires privés. En effet, quand l'équilibre de rentabilité est globalement atteint dès 2023-2024, alors que la concession est amenée à durer plus longtemps, il y a un problème, surtout si entre l'État, les usagers et les actionnaires, ce sont surtout ces derniers qui tirent les bénéfices de la situation.

Par ailleurs, l'enjeu de la décarbonation nécessite, vous l'avez dit, une mutation rapide de l'électromobilité, ainsi que l'évolution de l'usage de la route, en augmentant le nombre de personnes par véhicule pour éviter le gâchis énergétique et en optimisant le fret routier. Cela nécessite des investissements importants dans les modes durables, particulièrement le rail. En clair, il s'agit de faire financer le rail par la route. Or, vous l'avez dit, on risque d'avoir un avantage concurrentiel renforcé de la route, avec des péages dont les montants diminueront avec la fin des concessions. Par ailleurs, la TICPE s'étiolera avec la fin des voitures thermiques neuves, tandis que l'Eurovignette ne permettra pas de compenser ces baisses de recettes, à moins, peut-être, d'en élargir le périmètre au-delà des seules autoroutes actuellement concédées. En Alsace, on expérimentera sans trop tarder la taxe poids lourds.

Comment réussir la décarbonation des autoroutes ? Comment envisageriez-vous une mise à contribution plus importante de la route pour abonder les modes durables, en particulier le transport ferroviaire ?

M. Bruno Belin. - Monsieur le Président, tous les sénateurs qui sont devant vous sont des provinciaux. Ils sont donc bien évidemment acquis à l'idée de l'utilité des autoroutes pour desservir leurs territoires.

Dans la mesure où vous avez répondu très partiellement à la question posée par Mme Nicole Bonnefoy, je me permettrai de reformuler un certain nombre de questions, pour avoir des réponses claires.

Quelle est votre position sur les tarifs ? J'ai lu dans Le Parisien que l'augmentation programmée de 4,75 % n'était pas suffisante et qu'il faudrait envisager, à l'avenir, une hausse plus importante.

Par ailleurs, pour ce qui concerne la rentabilité, nous allons nous efforcer de comprendre la situation malgré la complexité que vous avez soulignée. Vous indiquez que l'évaluation de la rentabilité est conforme à une modélisation, mais celle-ci est fondée sur des éléments hypothétiques. Vous-même avez évoqué une évolution suivant une courbe en J, marquée par une hausse forte et rapide des profits après une baisse initiale. J'aimerais donc connaître votre position sur les propositions qui ont été formulées, comme la réduction de la durée des concessions et la baisse de certains prix, par exemple pour le covoiturage.

Je veux également soulever la question de l'état des biens. Ainsi, quelle est votre trajectoire d'investissements ? Cela fait partie des préoccupations des territoires. Quel est le bon modèle économique au-delà de l'échéance prévue ? Comment concevez-vous la suite ? Dans le cadre d'une nationalisation ? Quelle évolution estimez-vous souhaitable pour améliorer le service rendu ?

Enfin, pour ce qui concerne la décarbonation, quel est votre plan en vue de la multiplication des bornes électriques le long des autoroutes ?

M. Jean-François Longeot, président. - Permettez-moi une dernière question : comment obliger les poids lourds à emprunter les autoroutes, pour éviter qu'ils ne traversent nos villes et encombrent nos routes nationales et nos départementales ?

M. Pierre Coppey. - Je répondrai immédiatement à cette dernière question, dont la réponse me paraît assez simple. À Strasbourg, avec la mise en service du grand contournement, les poids lourds se sont vu interdire l'usage de la route nationale. La réponse est donc administrative : si l'État ou les collectivités souhaitent que les poids lourds ne traversent pas les communes, le problème peut être résolu par décision préfectorale.

Vous me dites, monsieur Lahellec, que le rapport de l'ART n'est pas votre livre de chevet. Dès lors, comment nous reprocher un manque de transparence ? Depuis 2015, nous avons communiqué tous les marchés de nos sociétés à l'ART et au Sénat. La quantité de papier que nous avons transmise sur notre activité ne tient pas dans cette pièce ! Nous sommes examinés sous toutes les coutures par l'administration, par l'ART, par le Conseil d'État, par le juge, par les commissions parlementaires et par la Cour des comptes ! Il n'y a pas de question sur la transparence ni sur le secret des affaires. Nous n'avons rien à cacher. Simplement, nous sommes gestionnaires d'infrastructures qui représentent des montants considérables. Pour ce faire, nous avons engagé des capitaux considérables et contracté des dettes gigantesques. Tout cela repose sur le contrat, seul actif d'une société concessionnaire.

Ensuite, vous m'avez interrogé sur les procédures d'attribution des marchés. Ce sujet m'étonnera toujours. Vinci Autoroutes investit environ 800 millions d'euros par an. Tous ces marchés ne sont dévolus qu'après l'avis conforme d'une commission de marché, à laquelle siègent la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et des personnalités qualifiées indépendantes. Or seulement deux marchés ont été contestés par l'ART. Je le répète, tous les documents concernant ces marchés ont été transmis au Sénat.

Vous me posez la question de la part des sociétés liées au groupe Vinci qui réalisent des travaux pour les sociétés concessionnaires d'autoroutes. Il n'est pas complètement illogique qu'un groupe de construction s'investisse dans les concessions, dans la mesure où les métiers sont cohérents et compatibles.

En outre, compte tenu des procédures et des règles de concurrence auxquelles nous sommes soumis, la part de marché des sociétés liées au groupe Vinci dans les travaux réalisés par les sociétés concessionnaires a varié, elle a été, à une époque, de 30 %, et s'établit à 50 %. Nous avons en effet réalisé un certain nombre de grands travaux, comme le contournement de Strasbourg.

Le problème de l'accès des PME à la commande des sociétés concessionnaires a été posé en 2015. Nous avons été soumis aux commissions de marché et au contrôle de l'ART. À l'époque, j'avais signé avec le président de la Fédération nationale des travaux publics (FNTP), un engagement visant à faciliter l'accès de PME des travaux publics aux marchés des concessions d'autoroute. Cet accord a fait l'objet d'un comité de suivi, dont le rapport est publié chaque année. Ses conclusions se sont à chaque fois traduites par un satisfecit de la FNTP. Sur ce sujet, qui a pu faire débat auparavant, je n'entends plus de contestation.

Pour ce qui touche à l'entretien et à l'état du patrimoine, permettez-moi de vous rappeler quelques chiffres significatifs du groupe Vinci Autoroutes : 4 443 kilomètres d'autoroute, 20 500 kilomètres de voies, 266 aires de repos, 180 aires de service, 427 échangeurs, 48 bifurcations, 234 gares, 6 227 ouvrages d'art de franchissement. Ce patrimoine très important représente un montant d'investissements moyens d'entretien et de maintenance de 250 millions d'euros par an.

Il est suivi attentivement par les services techniques du ministère des transports, dans le cadre de procédures de contrôle, de notation, de mesures et de vérification. J'ai le plaisir de vous le dire, fin 2021, l'état de notre patrimoine était considéré comme très satisfaisant à près de 97 %.

La vertu du modèle de la concession est aussi de sanctuariser des recettes et de formaliser des obligations pour les exploitants, ce qui assure un état satisfaisant du patrimoine. Sur la question du « bon état » de fin de concession, nous avons une obligation, qui est de rendre la concession en bon état. Ce qui est en débat aujourd'hui, c'est la définition du bon état. Nous sommes en train, avec la Direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM), de préciser, de manière contradictoire, la définition des indicateurs, type d'ouvrage par type d'ouvrage.

En ce qui concerne la production d'énergie photovoltaïque et les investissements en matière de décarbonation, l'ensemble des aires de service des sociétés concessionnaires est équipé de bornes de recharge électriques. Toutefois, le dimensionnement actuel de ces bornes correspond à l'état du parc. Si l'on extrapole une progression exponentielle du parc de véhicules électriques et que l'on veut bien assimiler le fait qu'il faut cinq à six fois plus de temps pour recharger un véhicule électrique que pour faire le plein d'essence, il faudrait installer cinq à six fois plus de bornes de recharge rapide qu'il n'y a de pompes à essence sur le réseau. Ce sujet fait l'objet de débats entre les sociétés concessionnaires, la DGITM et la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), qui doivent aboutir à la réalisation et à la publication d'un schéma directeur.

Sur la question du photovoltaïque, nous avons mené un travail avec la SNCF permettant d'évaluer à 5 000 hectares le foncier disponible le long des voies de chemin de fer et des autoroutes. Vous le savez, sur un hectare, on peut produire un mégawatt, ce qui signifie que, sur ces 5 000 hectares, on pourrait faire cinq gigawatts. Ainsi, en mobilisant rapidement le foncier existant le long des infrastructures, on pourrait produire l'équivalent de 5 centrales nucléaires en énergie photovoltaïque. Cela représente environ 5 milliards d'euros d'investissements. Nous y sommes prêts administrativement, techniquement et financièrement. On gagnerait à simplifier l'ensemble des procédures pour créer un régime ad hoc pour les infrastructures linéaires, ce qui permettrait de poser des panneaux photovoltaïques le long des autoroutes ou des voies de chemin de fer. Nous espérons donc qu'un prochain véhicule législatif permettra de relancer ce sujet.

M. Didier Mandelli. - Il faut lire dans le détail de projet de loi d'accélération de la production des énergies renouvelables !

M. Pierre Coppey. - Nous l'avons fait, monsieur le sénateur ! Dans le cadre des procédures applicables, il faut environ cinq ans pour déployer un panneau. Nous devrions pouvoir comprimer ces délais. Je n'ai trouvé dans la loi que la possibilité de les réduire de quelques mois.

Permettez-moi de revenir sur la question de la rentabilité. Je le redis, le travail mené par l'ART me semble purger le sujet. Ce n'est pas en multipliant les modèles et les hypothèses qu'on le réglera.

Sur l'interpellation de Jacques Fernique concernant l'enjeu de l'intérêt général, les concessionnaires d'autoroutes réalisent des missions de service public dans le cadre de la loi et des contrats. Ils appliquent les obligations ou les commandes faites par l'État, par exemple en matière de développement de l'énergie photovoltaïque, de déploiement des bornes de recharge électrique ou de résilience, des infrastructures face aux incendies ou aux inondations.

Puisque vous m'y invitez, monsieur le sénateur, j'en reviens au taux de rentabilité des actionnaires. Tout d'abord, il n'y a pas eu d'erreur. Lorsque les concessions d'autoroutes ont été privatisées en 2005, le journal Les Échos se félicitait de la bonne affaire réalisée par l'État, celui-ci se déchargeant de risques de travaux, de financement et de trafic, ainsi que d'une dette très significative. En effet, on parle toujours, lorsque l'on évoque la cession des autoroutes, des fameux 14 milliards d'euros ! N'oublions pas qu'il y avait aussi une dette de l'ordre de 20 milliards et des investissements différés. Depuis 2005, l'ensemble des sociétés concessionnaires a investi 30 milliards d'euros sur les réseaux.

Y a-t-il eu erreur dans la valorisation ? Personnellement, je ne le crois pas ! Qui, en 2005, pouvait imaginer l'évolution des taux d'intérêt ? Personne ! Après 2005, nous avons subi la crise de Lehman Brothers. ASF avait fait une émission obligataire à un taux oscillant entre 7 % et 8 % ! Nous avons ensuite bénéficié d'une baisse très significative des taux d'intérêt, qui alimente manifestement la chronique et fait débat. Pour ma part, je ne sais pas quels seront les taux d'intérêt dans un mois, dans un an ou dans cinq ans. En revanche, je sais que je porte, en tant que concessionnaire, la dette et le risque y afférent.

Il s'agit de savoir si le montant investi était le bon. Rappelons que, dans le cahier des charges de la privatisation, il n'était question ni de taux de rentabilité interne (TRI) des projets ni de TRI des actionnaires. On évoquait simplement la privatisation d'une société déjà cotée en bourse. Aujourd'hui, personne ne cherche à connaître le TRI « actionnaire » de France Télécom, privatisée à la même époque, ou de la Française des jeux, privatisée l'année dernière.

Ces instruments de mesure, le TRI « actionnaire » comme le TRI « projet », peuvent faire l'objet d'évaluations. Toutefois, ils ne pourront être mesurés qu'à la fin des concessions.

Le Conseil d'État doit être saisi de cette question. Permettez-moi de le rappeler, toutes les concessions font l'objet d'un décret en Conseil d'État. Tous les avenants ont été examinés par le Conseil d'État et jugés à l'aune du TRI « projet ».

Certes, on peut alimenter la chronique par des chiffres par définition très élevés, compte tenu de la nature même du modèle des sociétés concessionnaires. Dans la comptabilité de l'État, les concessions d'autoroute sont évaluées à 200 milliards d'euros. Les sociétés concessionnaires les ont construites, et portent encore une partie de la dette et des programmes d'investissement pour l'entretien et la modernisation du réseau.

Vous me demandez ce que nous sommes prêts à faire. Je vous réponds que nous sommes très fiers de ce que nous avons fait. Nous avons construit un réseau qui est considéré comme le meilleur réseau autoroutier du monde. Quand on l'évalue avec les indicateurs de suivi contractuels, personne ne conteste la qualité du travail fait. Quand on se penche sur les indices de satisfaction des clients, on s'aperçoit qu'il oscille entre 8 sur 10 et 9 sur 10.

Je le dis au nom des 6 000 salariés de Vinci Autoroutes, nos équipes sont mobilisées et font bien leur travail. Elles travaillent vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept et veillent à la sécurité des usagers. Les dénigrements et les polémiques sur ce sujet finissent par être pesants. Je m'autorise donc à rendre hommage au travail effectué par nos salariés, dans l'exécution du contrat, la construction des ouvrages, l'entretien et la maintenance. Nous avons multiplié les innovations en matière de services et d'installations commerciales, qui offrent des niveaux de prestation incomparablement meilleurs que ce que l'on trouvait auparavant.

M. Bruno Belin. - Et les tarifs ?

M. Pierre Coppey. - Le décret de 1995 prévoit une indexation des tarifs fixée à 70 % de l'inflation. Le modèle de valorisation des concessions a été calculé sur cette base. Certes, aujourd'hui, les charges d'exploitation sont moins importantes que l'indexation. Mais les charges financières augmentent avec les taux d'intérêt, et les charges de travaux subissent fortement l'inflation. Le modèle prévoyant un ensemble d'obligations, l'indexation des tarifs constitue la contrepartie des risques que nous prenons en assumant l'ensemble de ces charges.

Les tarifs, qui sont indexés à l'inflation, continueront d'augmenter, ce n'est pas polémique de le dire. Comme vous, je souhaite que l'inflation baisse !

M. Jean-François Longeot, président. - Je vous remercie, monsieur le Président.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Avenir des concessions d'autoroutes - Audition de M. Arnaud Quémard, directeur général de la Société des autoroutes du nord et de l'est de la France (Sanef)

M. Jean-François Longeot. - Nous en venons à la dernière audition de cette matinée consacrée à l'avenir des concessions autoroutières. Nous accueillons M. Arnaud Quémard, directeur général de la Société des autoroutes du nord et de l'est de la France (Sanef), qui exploite environ 1 800 kilomètres d'autoroutes.

À titre liminaire, je rappellerai que par ce cycle d'auditions qui débute aujourd'hui, notre commission souhaite anticiper la fin des contrats de concessions autoroutières et réaliser le bilan des concessions telles qu'elles ont été pensées et mises en oeuvre jusqu'à présent.

Dans cette perspective, je souhaiterais vous interroger sur les quatre mêmes points que ceux évoqués avec Pierre Coppey.

Ma première question est de nature prospective. Comment appréhendez-vous la fin des contrats de concessions et comment l'anticipez-vous ? Comment vous préparez-vous à la restitution des biens ? Où en sont les inventaires des biens de retour et l'élaboration de la définition d'une doctrine quant au « bon état cible » de ces biens ?

Ma seconde question porte sur la rentabilité des concessions, sujette à de nombreux commentaires. Plusieurs rapports, notamment celui de l'inspection générale des finances (IGF) - qui a récemment « fuité » dans la presse - tendent à montrer que certaines sociétés de concessions autoroutières (SCA) ont des taux de rentabilité bien supérieurs à ce qui était prévu par les contrats de concessions. Certains suggèrent d'étudier l'opportunité de raccourcir la durée des contrats. Bruno Le Maire a indiqué avoir saisi le Conseil d'État de cette question. Que répondez-vous à de tels discours et propositions ?

Ma troisième question porte sur la fiscalité des autoroutes. La Première ministre a évoqué l'idée de faire davantage contribuer le secteur autoroutier au plan d'avenir pour les transports, notamment en faveur du mode ferroviaire. Quel regard portez-vous sur cette proposition ? Je rappelle que les sociétés concessionnaires d'autoroutes remettent en cause, depuis 2021, le versement de la contribution volontaire exceptionnelle à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afit France) compte tenu de l'indexation de la taxe d'aménagement du territoire sur l'inflation. Faut-il s'attendre à une réaction similaire si de nouvelles taxes étaient prévues ? Des discussions avec le Gouvernement ont-elles déjà été engagées sur ce point ?

Quels sont enfin les moyens consacrés à la décarbonation des autoroutes ? Avez-vous estimé les besoins totaux en la matière ?

M. Arnaud Quémard, directeur général de la Société des autoroutes du nord et de l'est de la France. - Les concessions autoroutières remontent aux années 1950. Le groupe Sanef, par exemple, existe depuis 1963. Ce modèle a permis de réaliser des investissements importants et de construire un réseau d'excellente qualité, non pas avec l'argent des contribuables, mais grâce à de la dette et sur le modèle vertueux de l'utilisateur-payeur, par lequel les utilisateurs, qu'ils soient français ou étrangers, contribuent au remboursement des investissements ainsi qu'au financement de l'entretien.

De nombreux pays étrangers saluent la qualité de nos infrastructures autoroutières et de leur entretien.

La durée des concessions consenties, de 60 ans, doit être appréciée au regard de la masse d'investissements nécessaire à la construction des 10 000 kilomètres d'autoroutes qui desservent l'intégralité du territoire.

Par ailleurs, dans un moment où l'on considère les concessionnaires comme des rentiers, je rappelle qu'ils assument des risques. Dans les années 1970, du fait de la baisse du trafic et du renchérissement du coût des travaux, les chocs pétroliers ont entraîné la faillite de 5 concessionnaires sur 6.

Nous avons du reste subi un choc comparable l'année dernière, quand le prix des travaux de chaussée a augmenté de 20 % du fait de l'inflation. Le trafic de poids lourds, fortement impacté par la crise de 2008, n'a retrouvé son niveau d'avant la crise qu'en 2019.

Plus récemment, après les crises des Gilets jaunes et du covid, la société des autoroutes Paris-Normandie, qui s'est trouvée dans l'incapacité de subvenir aux besoins de construction de l'autoroute A14 - notamment les travaux du grand tunnel sous la forêt de Saint-Germain - du fait de l'explosion des coûts et s'est vue menacée de faillite, a été adossée au groupe Sanef.

On entend souvent que les autoroutes ont été privatisées alors qu'en réalité, les actions des sociétés d'autoroute ont été vendues par le biais d'un appel d'offres.

Par ailleurs, depuis 2015, l'État a resserré le cadre législatif et contractuel des concessions. La loi Macron de 2015 a notamment doté l'Autorité de régulation des transports (ART), créée en 2009, de compétences dans le secteur autoroutier concédé. Son travail est unanimement reconnu. Sous la houlette de l'ART, les avenants aux contrats récents contraignent davantage les taux de rentabilité interne (TRI). De plus, le concédant a considérablement renforcé les contrôles au travers du rehaussement des indicateurs de bon état, d'entretien et de sécurité.

Depuis de nombreuses années, les résultats de la Sanef sont très au-dessus des normes retenues pour chaque indicateur. Par un avenant signé en janvier dernier, nous avons en outre été la première société d'autoroutes à intégrer une annexe relative au bon état d'entretien de notre patrimoine en fin de concession. Comme vous le savez, les contrats originaux contiennent une phrase très générale prévoyant que les autoroutes doivent être rendues en bon état. Suite à un travail important avec notre concédant, nous avons défini par des indicateurs indiscutables la notion de bon état d'entretien en fin de concession, dans la droite ligne des indicateurs qui sont aujourd'hui vérifiés par l'État et sur lesquels nous sommes pénalisés si nous n'atteignons pas ces niveaux.

Pour répondre à votre question, monsieur le président, la préparation à la remise du patrimoine qui nous a été concédé passe ainsi des discussions techniques avec des ingénieurs en travaux publics. Le réseau Sanef est à ce jour en excellent état et propre à être remis.

Le contrat de concession prévoit qu'un audit soit réalisé 7 ans avant la fin de la concession. Nous avons déjà commencé à échanger des éléments avec les services de l'État, avec lesquels nous entretenons un dialogue constant. Le travail important qui doit être mené sera facilité par la contractualisation d'éléments techniques que nous avons commencée - celle-ci permettra notamment d'éviter de longs contentieux.

Je rappelle du reste que si seulement 15 % du réseau national non concédé est considéré comme en bon état, 85 % du réseau concédé est considéré comme en bon état, en particulier en ce qui concerne les ouvrages d'art - une grande part de Français sont d'ailleurs très satisfaits de la qualité du réseau autoroutier. Sur le réseau non concédé, un tiers des ouvrages d'art nécessitent une réparation urgente, et 7 % présentent un risque d'effondrement. Or il s'écoule en moyenne 22 ans entre la détection d'un défaut et sa réparation sur le réseau non concédé.

L'avenir des concessions relève d'un choix stratégique de l'État.

Faut-il continuer à collecter le péage ? Pour ma part, j'estime que c'est un mécanisme juste, mais qu'il a sans doute besoin d'être adapté en fonction des territoires, notamment en zone périurbaine.

Les recettes dégagées doivent-elles financer les autres modes de transport ? C'est déjà le cas, mais la directive Eurovignette, qui entrera prochainement en vigueur, contraindra la marge de manoeuvre de l'État en matière de péage.

Le choix du modèle contractuel ou d'un autre modèle relève également de la stratégie de l'État. J'estime que le modèle contractuel, qui a montré tous ses avantages, doit perdurer, peut-être avec un meilleur encadrement de la responsabilité et des contrôles renforcés, tout en gardant un caractère attractif pour des investisseurs, qui ne sont pas que des investisseurs français.

Les concessions étant de tailles très différentes, un redécoupage géographique s'impose afin de les rendre plus homogènes, tout en respectant une taille critique en deçà de laquelle les concessionnaires devraient nécessairement être adossés à de grands groupes.

Enfin, les concessions pourraient être consenties pour des durées plus courtes, mais toujours en fonction des montants à investir.

Certains enjeux environnementaux, notamment la décarbonation des transports, ne pourront pas attendre la fin des concessions, soit 2031 pour ce qui concerne Sanef. Les usagers du réseau Sanef sont responsables de 1,8 % des émissions de COtotales de la France, pour moitié du fait des véhicules légers et pour moitié du fait des poids lourds.

En ce qui concerne les véhicules légers, nous avons installé des bornes de recharge électrique à très haute puissance sur nos 72 aires de service. Elles permettront de faciliter la décarbonation des véhicules légers.

Si nous ne disposons pas à ce jour de solution mature pour la décarbonation des poids lourds, nous expérimentons, dans le cadre d'un partenariat avec Ceva (anciennement GEFCO) et Engie, des solutions permettant d'exploiter sur les réseaux autoroutiers des camions électriques sur le principe des relais de poste, avec des bornes de recharge haute puissance tous les 400 kilomètres et des tracteurs interchangeables.

Je ne suis pas en mesure d'évaluer le montant des investissements qui seront nécessaires avant la fin des concessions pour la décarbonation. Nous y sommes déjà très engagés, puisque nous sommes en train de construire des pôles d'échange multimodaux, des voies réservées, et que nous sommes en pointe sur le covoiturage ou encore sur la protection de la biodiversité.

L'enjeu collectif qui s'impose à nous aujourd'hui est de ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain et de continuer à profiter de cet outil extrêmement efficace que sont les concessions autoroutières. Celles-ci sont un facteur de compétitivité de notre pays et un élément clé de son industrialisation, sans compter que l'autoroute est et restera sans doute encore pour de longues années le vecteur de transport de millions de Français au quotidien. En tout état de cause, je crains qu'un autre modèle soit moins vertueux.

Mme Nadège Havet. - En janvier dernier, l'Autorité de régulation des transports a préconisé, dans un rapport consacré à l'économie des concessions autoroutières, le raccourcissement des contrats afin de permettre des remises en concurrence plus régulières. Indiquant que le calcul effectué il y a 15 ans était erroné et que système actuel permettait à certains acteurs de profiter de « surrentabilités », Bruno Le Maire a saisi le Conseil d'État.

Dans son rapport, l'ART ne remet pas en question le système en tant que tel, mais préconise des contrats plus courts, notamment lorsque peu de travaux s'imposent. Quel est votre positionnement à ce sujet ?

Par ailleurs, quel volume et quel type d'investissements seront selon vous nécessaires pour adapter le réseau au changement climatique ?

M. Gérard Lahellec. - Je n'ai pas la moindre réserve quant aux partenariats que des institutions, l'État ou des collectivités peuvent construire avec un groupe comme le vôtre. Les exemples du viaduc de Millau et de la ligne à grande vitesse (LGV) Bretagne-Pays de la Loire montrent que les concessionnaires autoroutiers peuvent aussi avoir le souci du développement des modes de transport alternatifs à la route.

De tels partenariats public-privé seront essentiels pour relever collectivement les défis qui sont devant nous.

J'ajoute que je n'ai, pour ma part, aucun doute sur la pertinence du modèle concessif.

Pour autant, un groupe comme le vôtre ne peut pas être insensible au contexte agité dans lequel nous sommes, aux échos qu'il a eus dans la presse et aux propos tenus par le ministre Le Maire. Dans ce contexte, je ne doute pas que vous ayez quelque idée des dispositions qui pourraient être envisagées pour remédier aux difficultés liées notamment sur la question des marges contractuelles. Quelles adaptations vous paraîtraient de nature à rétablir un peu de sérénité ?

M. Pierre Médevielle. - Je regrette certains rapports à charge qui amènent régulièrement leur lot de polémiques et d'indignation et vous font traverser des zones de turbulence. En période d'inflation, on a tendance à stigmatiser les entreprises qui font « trop » de bénéfices, qu'il s'agisse des fournisseurs d'énergie ou des sociétés d'autoroutes. Pour ma part, j'estime que des entreprises qui font des bénéfices sont des entreprises qui investissent et offrent de l'emploi.

Le modèle actuel ne pourra être reconduit que dans un climat apaisé. Aucune négociation ne pourra aboutir tant que les concessionnaires seront livrés en pâture à la presse.

J'estime également que nous avons besoin d'un partenariat entre l'État et les concessionnaires pour aborder le virage de la transition énergétique, et que des solutions seront trouvées en ce qui concerne la décarbonation des poids lourds, que celles-ci passent par l'électrique ou l'hydrogène.

J'en viens donc à ma question : que pensez-vous du rapport de la commission d'enquête de Vincent Delahaye et Éric Jeansannetas et de ses conclusions ?

M. Jacques Fernique - Comme vous l'avez indiqué, il est impératif d'avoir un réseau performant, de bonne qualité et, chose nouvelle, résilient aux impacts très forts du réchauffement climatique.

Il convient également que les contrats en cours ainsi que ceux qui suivront garantissent des conditions de coopération entre le public et le privé moins déséquilibrées, qu'ils cadrent mieux les écarts par rapport à l'équilibre économique et financier, qu'ils assurent un suivi partagé et transparent et qu'ils comportent des clauses de revoyure afin de rectifier ce qui s'impose.

Vous avez indiqué qu'il ne fallait pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Notre souci est aussi que le bébé soit bien lavé, qu'il le soit régulièrement et que le coût de l'eau ne soit pas exorbitant au profit de quelques-uns.

Il faut enfin accélérer la décarbonation, la transition vers l'électromobilité et l'évolution de l'usage de la route en réduisant l'autosolisme et en améliorant l'efficience du transport routier de marchandises.

Dans ce cadre, il faut rééquilibrer la compétition entre la route et le rail. La route doit contribuer au financement des investissements du rail, mais avec la directive Eurovignette, le potentiel de péage n'est pas assuré à l'avenir  -les recettes pourraient être réduites de 50 à 70 % -, a fortiori si l'on n'en élargit pas le périmètre.

Comment réussir effectivement la décarbonation ? Comment assurer un abondement bien plus important de la route pour les investissements dans les modes de transport durables, en particulier le rail ?

M. Bruno Belin. - Il n'est pas question de s'en prendre au bébé, bien au contraire ! Les sénateurs de province que nous sommes savent combien les autoroutes sont essentielles pour les territoires que nous représentons.

Pour autant, le modèle de rentabilité des concessions autoroutières interroge. Faut-il diminuer la durée et le coût des concessions ? Quel est selon vous le modèle idéal ? Comment améliorer le service rendu ?

Dans le contexte d'inflation que nous connaissons, comment envisagez-vous une adaptation des tarifs ?

Quel est votre plan de déploiement des bornes électriques ? Plus généralement, quelle est votre trajectoire d'investissement pour les prochaines années ?

M. Olivier Jacquin. - Bruno Le Maire a annoncé la semaine dernière qu'il saisissait le Conseil d'État pour faire suite aux recommandations formulées par l'IGF. Quelle est votre appréciation des trois scénarios préconisés - la diminution de la durée des contrats, le prélèvement sur les bénéfices ou la baisse des tarifs de péages ?

Notre collègue Vincent Delahaye, dont je salue l'engagement sur ce dossier, indique que l'investissement de 30 à 35 milliards d'euros supplémentaires d'ici à la fin de ces contrats permettrait de rétablir une forme d'équilibre. Est-ce selon vous une solution, par exemple pour accélérer le verdissement ou développer le flux libre ?

Selon vous, de combien de temps doit disposer la puissance publique pour mettre fin aux contrats de concessions en cours et envisager de nouveaux contrats ?

Avec des chercheurs, j'ai interrogé le Gouvernement sur le non-respect de l'article R. 3131-4 du code de la commande publique, qui précise que les concessionnaires doivent produire chaque année un rapport comportant notamment un inventaire des biens désignés au contrat comme biens de retour et de reprise du service concédé. Avez-vous produit un tel rapport ? Si tel n'est pas le cas, comment le justifiez-vous ?

Je viens par ailleurs de déposer une proposition de résolution sur la création d'un modèle alternatif à celui déséquilibré des concessions que nous connaissons aujourd'hui. La commission d'enquête de 2020 a montré que l'une des principales causes de ce déséquilibre tenait à l'inclusion du risque « trafic » au modèle concessif autoroutier. Ceci explique en grande partie le niveau élevé des TRI, que même le ministre Le Maire n'arrive plus à justifier.

Vous exploitez la concession Leonord, à Lyon, dans le cadre d'un contrat qui n'inclut pas ce risque « trafic », et qui prouverait donc que les autoroutiers y trouveraient tout de même leur compte, puisque le marché a été pourvu. Ce modèle est-il attractif pour vous ? Que pensez-vous de la suppression de ce risque dans les contrats ?

Je vous propose enfin, monsieur le président Longeot, d'organiser conjointement avec la commission des finances, l'audition des ministres Le Maire et Beaune. Je souhaite en effet leur demander pourquoi ils se réveillent seulement aujourd'hui, alors que le rapport de l'IGF date de 2021.

M. Arnaud Quémard. - Selon le rapport de l'IGF, certains concessionnaires auraient une rentabilité supérieure à celle qui est prévue contractuellement, tandis que le TRI « actionnaires » du groupe Sanef se situerait dans l'ordre de grandeur de ce qui était prévu. Ce rapport ne faisant pas état du modèle financier qui a permis d'établir ces données, je suis incapable de vous dire si elles sont exactes, mais je constate que l'IGF et le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) eux-mêmes les manient avec précaution.

Il reste que la rentabilité du groupe Sanef et, partant, de son actionnaire Albertis est peu ou prou celle qui avait été prévue à l'origine. En réalité, nous avons même réalisé 1 milliard d'euros de chiffre d'affaires en moins par rapport à ce qui était prévu dans le modèle initial. C'est donc en quelque sorte 1 milliard d'euros que les usagers n'ont pas payés.

Je n'ai pas de commentaire particulier à formuler sur les propositions de l'IGF, si ce n'est qu'il n'existe pas, dans les contrats de concessions, de clause permettant, sur la base d'une supposée surrentabilité de l'actionnaire, de réduire. Il existe une disposition qui permet de réduire la durée de la concession moyennant une juste compensation, qui se finirait à dire d'expert. La solution fiscale me paraît injuste, car elle s'appliquerait de manière homogène aux sociétés autoroutières privées, dont les rentabilités diffèrent, ainsi qu'à l'unique société d'autoroute, Cofiroute, qui n'a jamais été privatisée.

J'en viens à la question des tarifs. À la demande du ministre des transports, nous avons mis en place des formules d'abonnement efficaces, qui permettent aux usagers de bénéficier de 40 % de réduction sur les trajets du quotidien. Par ailleurs, afin d'encourager la décarbonation, les véhicules électriques bénéficient d'une réduction de 5 % sur l'ensemble des tarifs de péage.

En un peu moins d'un an et demi, nous avons installé près de 500 bornes à haute puissance sur les réseaux du groupe Sanef. Ces bornes font l'objet de sous-concessions dont le repreneur aura l'obligation d'adapter le nombre de bornes en fonction du taux d'occupation.

Pour ce qui concerne les poids lourds, le règlement européen sur le déploiement d'une infrastructure pour carburants alternatifs (Afir) rendra prochainement obligatoire l'installation de bornes de recharge. Les concessionnaires ne pourront pas prendre en charger seuls les lourds investissements qui s'imposeront - cela nécessitera non seulement la création d'aires de service spécifiques, mais aussi la fourniture de volumes d'énergie importants -, d'autant que ces investissements devront s'inscrire dans un schéma directeur global.

Si le développement du véhicule électrique a pu commencer en milieu urbain sur de petites distances et avec des temps de chargement longs, il n'en est pas de même pour les poids lourds. Je ne connais pas la solution, mais je peux vous dire que le groupe Sanef a été l'un des premiers concessionnaires autoroutiers à prendre attache avec les services de l'État pour anticiper les conséquences de ce règlement européen.

L'autosolisme a également été évoqué. C'est l'un des grands enjeux pour le périurbain. L'avenant que nous avons signé en janvier prévoit des investissements dans des pôles d'échanges multimodaux de manière à permettre le passage de modes de transport individuels à des modes de transport collectif sur de grands parkings de covoiturage.

Nous sommes par ailleurs les premiers à avoir effectué la conversion d'une autoroute - l'A13 - en flux libre, qui permet des gains de temps, mais aussi d'argent et de carburant.

La décarbonation passera par un ensemble de mesures, et nous devons trouver les moyens de réaliser ces investissements maintenant, sans attendre la fin des concessions. Cela suppose de construire des partenariats entre les concessionnaires et l'État. Je tiens d'ailleurs à préciser que si des déséquilibres ont pu être pointés dans le passé - les avenants à nos contrats sont du reste désormais soumis à l'ART puis au Conseil d'État -, nous avons une relation de travail de bonne qualité avec les services de l'État.

En tout état de cause, nous ne construirons pas l'avenir en opposant les actionnaires et les usagers. Je ne veux pas m'étendre sur le sujet car la Sanef n'est pas concernée, mais la surrentabilité qui est reprochée à certains groupes tient davantage à la variation des taux d'intérêt qu'au trafic. Si les taux d'intérêt avaient doublé depuis la privatisation, l'IGF n'aurait sans doute pas produit un rapport pour alerter sur des rentabilités trop faibles.

J'en viens aux modèles de concessions. Le groupe Albertis exploite des concessions dans le monde entier, et parfois de manière beaucoup plus encadrée qu'en France, par exemple au Chili ou en Italie, où il existe des clauses de revoyure tous les 5 ans. Il est tout à fait possible de concilier la qualité de la gestion privée, un transfert de risque raisonnable et des clauses de revoyure plus rapprochées.

Il faut certes réinventer le modèle des concessions, tout ne n'obérant pas l'avenir. Il reste un outil efficace qui doit être utilisé au maximum pour faire face aux enjeux de décarbonation.

J'ajoute que la signature de l'État doit être fiable. Vous avez évoqué la hausse de la taxe d'aménagement du territoire. Le groupe Sanef étant engagé dans un contentieux à ce sujet, je n'en dirai qu'un mot. Nos contrats comportent une clause de stabilité de la fiscalité spécifique que l'État est tenu de respecter. En 2015, le gel des tarifs autoroutiers, décidé par la ministre de l'écologie de l'époque, a constitué une grave entorse aux contrats. Si nous voulons attirer des investisseurs étrangers dans le cadre d'une mise en concurrence à l'horizon 2030, il faut que l'État respecte ses engagements contractuels.

Dans le monde entier et depuis les années 1950 en France, le développement des infrastructures est financé par de la dette. Dans les années 1990, la dette des autoroutes avait atteint le même niveau que celle de la SNCF. Grâce au modèle des concessions, et quoi qu'il en soit du taux d'intérêt, nous rendrons à la fin de la concession des sociétés autoroutières libres de toute dette alors que lorsqu'elles étaient fortement endettées lorsque nous les avons reprises en 2006. C'est l'un des grands avantages de la concession, qui comme je l'ai indiqué, est un modèle vertueux.

M. Jean-François Longeot, président. - Je vous remercie de la clarté de vos propos.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 12 h 15.