Mercredi 10 mai 2023

- Présidence de Mme Alexandra Borchio Fontimp, vice-présidente -

La réunion est ouverte à 13 h 30.

Audition de MM. Marc Childs, président-directeur général, et Thierry Hoffmann, directeur général et pharmacien responsable du laboratoire Delbert

Mme Alexandra Borchio Fontimp, présidente. - Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête par l'audition de MM. Marc Childs, président-directeur général et Thierry Hoffmann, directeur général et pharmacien responsable des laboratoires Delbert, que je remercie de s'être mobilisés.

Nous avons souhaité vous entendre, messieurs, afin de mieux comprendre comment fonctionne votre entreprise, décrite par le journal Le Monde en décembre dernier - je cite - comme « le laboratoire pharmaceutique qui sauve des médicaments en détresse ».

Nous avons déjà procédé à de nombreuses auditions et le prix trop faible des médicaments dans notre pays a souvent été pointé du doigt pour ses effets délétères sur l'offre de soins et ses conséquences dommageables pour la vie des patients. Je suis pour ma part assez choquée de voir que si vous parvenez à maintenir une production d'amoxicilline injectable, vous avez dû renoncer à la commercialiser en France, compte tenu d'un prix de revient supérieur au prix de vente. C'est dire si nous attendons votre éclairage sur la régulation des prix des médicaments et vos propositions pour la faire évoluer dans un sens plus conforme à l'intérêt des Français.

Par ailleurs, le Gouvernement a engagé une politique de relocalisation destinée à garantir notre souveraineté sanitaire, concept encore un peu flou, il faut bien le dire, tant les exemples de soutien restent à ce jour peu nombreux. Mais cette politique ne doit pas se résumer au retour sur le sol national ou au moins européen de la production de principes actifs. La souveraineté sanitaire passe évidemment par le maintien en France de la production des médicaments qui y sont encore fabriqués. C'est pourquoi nous attendons que vous nous expliquiez comment vous parvenez à relancer la production de médicaments orphelins ou de médicaments d'intérêt thérapeutique majeur (MITM), indispensables à la santé de nombreux patients dans les aires thérapeutiques que couvrent vos produits.

Ce n'est pas vous faire injure que de dire que la taille des laboratoires Delbert est encore relativement modeste. Mais la forte croissance de votre chiffre d'affaires et le soutien que vous ont récemment apporté vos actionnaires, qui comprennent aussi bien un fonds d'investissement qu'une mutuelle, témoignent de l'intérêt de votre modèle économique. Nous sommes par conséquent impatients d'en savoir davantage et de comprendre comment ce modèle pourrait être appliqué à d'autres médicaments.

Avant d'aller plus loin, je vais vous céder la parole pour un bref propos introductif. Puis Mme Laurence Cohen, rapporteure de notre commission d'enquête, vous posera une première série de questions : comme vous l'aurez compris, notre commission d'enquête entend obtenir des réponses étayées à des questions précises.

Je précise également que cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera l'objet d'un compte rendu publié.

Avant de vous donner la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Childs et Hoffmann prêtent serment.

Mme Alexandra Borchio Fontimp, présidente. - Monsieur Childs, vous avez la parole.

M. Marc Childs, président-directeur général des laboratoires Delbert. - Merci, madame la présidente.

Comme vous l'avez dit, Delbert est une création relativement récente, qui remonte à 2003, reprise par moi-même et Thierry Hoffmann en 2014.

Nous sommes deux anciens membres de l'industrie pharmaceutique, que nous connaissons donc de l'intérieur.

C'est pourquoi nous avons voulu Delbert différent, sans promotion. Pour ce faire, nous nous sommes intéressés à des produits connus et médicalement utiles. Dès le départ, nous nous sommes positionnés sur des médicaments connus sur le point de disparaître, pour une raison basique et simple. Thierry et moi avons mis environ 400 000 euros sur la table pour lancer l'activité de Delbert. En 2020, des fonds d'investissement, ainsi que la BPI, ont considéré que Delbert était une belle histoire, qu'il fallait soutenir soit par des prêts, soit par des investissements.

Notre mission était de trouver des produits en déshérence que les « Big Pharma » ne voulaient pas continuer à produire. Nous en avons trouvé assez rapidement.

Le premier était un médicament concernant une maladie rare, produit en France mais arrêté par un laboratoire américain, dont le prix de remboursement était aux alentours de 8 euros et dont le prix de production est passé assez rapidement autour de 25 à 26 euros. Nous avons demandé à l'époque au comité économique des produits de santé (CEPS) de prendre ces prix de production en considération. Il nous a été octroyé une augmentation qui a fait passer le prix à 46 euros.

Les alternatives à ce produit - des produits dits innovants - reviennent à 4 000 euros par mois. Pour nous, cela avait du sens, d'autant que les gens traités par ce produit s'étaient plaints auprès des hématologues, qui s'étaient plaints auprès du ministère de la santé.

Le deuxième produit a été l'extencilline, traitement de référence mondial de la syphilis.

Nous couvrons aujourd'hui quinze produits, dont quasiment la moitié en infectiologie, secteur totalement délaissé. Il existe quelques nouveautés, mais les modèles proposés pour l'antibiothérapie sont toujours à trouver.

Nous commercialisons nos produits aussi bien en France, où nous réalisons 65 % de notre chiffre d'affaires, qu'en direct dans cinq pays européens et dans cinq autres à travers des partenariats.

Nous pouvons donc discuter des prix pays par pays : en effet, les comportements ne sont pas les mêmes suivant les pays s'agissant des produits anciens. Encore faut-il distinguer les produits « anciens » des « matures », des MITM et des « critiques ». Ce ne sont pas les mêmes types, et il faut aujourd'hui s'intéresser à ce que deviendront les médicaments critiques. L'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) avait fait un excellent travail d'analyse à ce sujet.

Delbert compte aujourd'hui 25 équivalents temps plein (ETP) en France, dont 60 % de médecins et de pharmaciens. Je suis moi-même médecin. Nous sous-traitons l'ensemble de notre activité pour des raisons d'agilité. Dans le domaine de la sous-traitance, 50 ETP travaillent en France pour Delbert et 50 en Europe. 90 % de nos matières premières sont sourcées en Europe, et 100 % de nos médicaments y sont fabriqués, dont 50 % en France.

Nous avons repris quinze produits aux « Big Pharma », mais il n'existe pas qu'une seule raison de rupture. La rentabilité n'est pas seule en cause. Nous avons repris les produits abandonnés, parfois avec des ruptures de traitement. Dans le cas de l'extencilline, ces ruptures ont duré quatre ans, ce qui est relativement long. Nous sommes intervenus plus tôt pour d'autres médicaments.

Nous essayons de ressusciter certains médicaments, mais nous préférerons « réanimer » les stocks qui existent encore chez les fabricants, car le marché peut être ainsi plus fluide.

L'anticipation est importante, et nous travaillons en ce moment sur un antibiotique à visée pédiatrique qui pourrait faire l'objet de ruptures l'année prochaine si rien n'est fait.

Enfin, nous traitons aujourd'hui des populations cibles, soit 500 à 200 000 patients. Ce ne sont pas d'énormes volumes, mais nous avons aujourd'hui traité 500 000 Européens - et nous en sommes fiers.

M. Thierry Hoffmann, directeur général et pharmacien responsable des laboratoires Delbert. - Le thème des MITM a largement été abordé au cours des précédentes auditions.

Beaucoup pensent que c'est l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) qui fixe la liste des médicaments majeurs. Il n'en est rien. Ce sont les laboratoires pharmaceutiques qui s'en chargent, et je suis le premier surpris de constater qu'il n'existe aucune homogénéité dans le traitement de ces médicaments.

En effet, nous déclarons certains produits comme majeurs alors que d'autres génériqueurs ne le font pas, avec toutes les conséquences que cela peut avoir sur la gestion des stocks et la pénurie.

Environ 7 000 médicaments sont définis par l'industrie pharmaceutique et les laboratoires comme des MITM. Or il faut bien faire la différence entre ceux qui sont importants et les médicaments critiques. Ce sont deux choses différentes. Certains médicaments sont importants dans l'arsenal thérapeutique du généraliste ou du spécialiste, mais d'autres sont irremplaçables.

Au sein de notre laboratoire, nous nous sommes toujours attachés à trouver des médicaments pour lesquels il n'existait pas d'alternative afin de les remettre sur le marché en les produisant en Europe. Toutefois, on ne peut traiter 7 000 médicaments comme on traite 200 médicaments.

C'est ce que l'administration a beaucoup de mal à comprendre. Le prix du médicament est important, car redévelopper aujourd'hui un médicament avec les normes de qualité qui nous sont demandées coûte très cher, et on ne peut commercialiser un médicament à perte.

À la demande de l'Agence du médicament belge, nous avons racheté à GSK le clamoxyl injectable - l'amoxicilline -, produit qu'on trouvait à la fois en ville et à l'hôpital en boîte d'une unité, car il n'existe qu'une seule amoxicilline injectable en Belgique. Il s'agissait d'une autorisation de mise sur le marché (AMM) européenne, que nous avons rachetée pour tous les territoires.

Ce produit est vendu en France à 1,09 euro l'unité, ce qui est ridicule. Nous avons demandé au ministère de l'économie belge d'augmenter le prix d'un euro, et nous avons obtenu cette augmentation en six semaines. Cela fait presque deux ans qu'on a demandé au CEPS une augmentation d'un euro. C'est d'autant plus impensable que ce médicament, s'il était aujourd'hui sur le marché en ville, permettrait d'économiser des dizaines de milliers de journées d'hospitalisation !

En effet, on place les patients qui subissent une intervention ou qui se trouvent en postopératoire sous amoxicilline injectable pour éviter l'infection. Si ce produit existait en ville, le patient pourrait sortir trois jours plus tôt. Pour la sécurité sociale, cela représente un coût de 300 000 euros. À l'hôpital, la dépense se chiffre à des dizaines de millions d'euros.

Il existe là une certaine absurdité : le CEPS juge uniquement sur le prix des médicaments sans considérer le coût total que représente pour la société l'absence d'un médicament sur le territoire.

M. Marc Childs. - Ce n'est pas la même enveloppe...

M. Thierry Hoffmann. - Voilà pourquoi nous avons demandé 2 euros au CEPS il y a plus de dix-huit mois. On nous a proposé 1,20 euro en se cachant derrière une interprétation personnelle de l'article 28 de l'accord-cadre Leem-CEPS. On nous a demandé le prix de revient de l'amoxicilline quand GSK la commercialisait. Comment voulez-vous qu'un laboratoire qui a acheté un médicament puisse connaître le détail du prix de revient industriel du vendeur ? Nous sommes donc dans l'impossibilité d'indiquer quel était le prix du kilo d'amoxicilline pour GSK. Le dossier est bloqué depuis dix-huit mois, et les patients ne peuvent bénéficier du produit.

La vie n'est pas toujours simple pour un industriel, et nous sommes quelquefois confrontés à des situations qui nous paraissent totalement absurdes face à l'administration. Il faut parfois avoir bien du courage pour savoir ce que l'on va faire avec le prochain produit à développer. Les choses deviennent de plus en plus compliquées. Les normes de qualité sont de plus en plus lourdes. On nous demande de rechercher des impuretés à des taux extrêmement bas. Tout cela coûte beaucoup d'argent, et on n'en tire aucune reconnaissance.

Il est difficile d'accepter que l'administration demeure sourde lorsque, pour un produit comme l'amoxicilline, on travaille sur deux sites de production en Europe pour être certain de ne pas subir de pénurie et qu'on utilise deux sources de matières premières, dont la principale en Europe.

Mme Laurence Cohen, rapporteure. - On a vu lors de nos différentes auditions que le prix du médicament posait un problème récurrent pour plusieurs raisons.

En premier lieu, on constate qu'une totale opacité sévit dans ce domaine. Le CEPS détermine un prix, mais le commun des mortels n'en a absolument aucune vision. Nous souhaiterions, pour ce qui nous concerne, pouvoir fonder le prix à la fois sur l'amélioration du service médical rendu (ASMR), le coût de production, et les normes environnementales et sociales prises en compte, car il n'est pas possible de mettre en concurrence des entreprises vertueuses et d'autres qui ne le sont pas, et le bénéfice du fabricant. Si tout cela était clairement établi, nous pensons que les choses iraient mieux.

En France, le Parlement examine chaque année un objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) qui constitue une enveloppe fermée. Nous avons des approches différentes suivant nos appartenances politiques, mais il est clair que le médicament constitue une variable d'ajustement pour faire faire des économies à notre système de santé. On va donc « rogner » sur les produits matures au profit des produits innovants, qui ne sont jamais en rupture ou en pénurie. On voit bien qu'il existe là une limite.

Augmenter les prix pour que les choses s'améliorent n'est pas si simple. Nous avons en effet constaté qu'en Suisse, les prix sont nettement plus élevés, par exemple s'agissant du domaine des antibiotiques. Or la Suisse a connu des pénuries d'antibiotiques très importantes.

Deuxièmement, quelle sélection opérez-vous parmi les dossiers qui « atterrissent sur votre Bureau », pour reprendre la formule employée dans Le Monde ?

Troisièmement, vous indiquez sur votre site que Delbert commercialise les médicaments en France et en Europe pour son propre compte et pour le compte de tiers. Que recouvrent ces deux activités et quelles sont leurs parts respectives dans votre chiffre d'affaires ? Quelle est la part de votre activité de principe actif, de fabrication de médicaments et de commercialisation de spécialités produites par d'autres laboratoires ?

Ma quatrième question concerne les aides publiques. Depuis votre création, de quelle aide publique avez-vous pu bénéficier ? Avez-vous sollicité des soutiens dans le cadre de France Relance, et en avez-vous bénéficié ?

Cinquième question : le CEPS tient-il compte du risque de disparition du médicament produit par votre laboratoire ? Ce critère de prise de risques constitue-t-il un élément qui peut valoriser le prix du médicament ? Quel est l'impact de la clause de sauvegarde sur votre activité ? Avez-vous renoncé à reprendre la production d'un médicament compte tenu de son incidence financière ? La clause de sauvegarde est en effet beaucoup revenue lors de nos auditions.

Nous avons auditionné d'autres laboratoires avant vous, et un responsable nous a expliqué que l'ANSM lui interdisait de mettre sur le marché l'intégralité de sa production. Êtes-vous concerné par ce type de contingentement ?

Êtes-vous par ailleurs confronté au phénomène des exportations parallèles réalisées par les short liners ? Si c'est le cas, quel est son impact sur votre activité ?

Enfin, que recouvre pour vous la politique de souveraineté nationale? On dit qu'il en faut une pour commencer à régler le problème de la pénurie de médicaments. Qu'en pensez-vous ? On vous auditionne en effet à la fois pour dresser un état des lieux, mais aussi pour obtenir des pistes, car tout rapport d'une commission d'enquête comporte un certain nombre de recommandations. Nous nous nourrissons donc des auditions pour faire des propositions.

Vous pourrez également répondre par écrit à certaines questions. Je vous remercie par avance.

M. Marc Childs. - Je voudrais revenir sur la notion d'opacité des prix. Il est peut-être difficile de comprendre comment s'établissent les prix des innovations, mais l'ensemble de l'enveloppe comprend la prise en charge des produits innovants, des génériques, des produits matures et des produits orphelins.

Selon nous, il faudrait isoler une enveloppe destinée aux produits critiques. Quand nous déposons une demande de prix auprès du CEPS, tout est écrit noir sur blanc. Tout est transparent. Il faut renseigner la grille fournie par le CEPS.

Les antibiotiques sont des médicaments très anciens. 80 % des usages concernent des produits qui ont plus de 40 ans. On affirme parfois que fabriquer des antibiotiques permet de réaliser des gains de productivité. Non ! On ne peut réaliser de gains de productivité sur des produits de plus de 40 ans. Tous les gains de productivité ont déjà été réalisés. C'est pour cela qu'on est dépendant de l'Inde et de la Chine pour les produits volumétriques. L'usine chinoise qui produisait le pipotiazine/tazobactam a brûlé, entraînant deux ans de rupture mondiale. Aujourd'hui, une seule usine mondiale produit de l'amoxicilline/acide clavulanique. Les gains de productivité proviennent donc de la massification. Nous ne misons pas quant à nous sur la massification.

La transparence des prix résulte aussi de l'évolution du prix des principes actifs pharmaceutiques (API). On est aujourd'hui dans une période inflationniste extrêmement importante, très dangereuse pour notre santé publique. Le lithium a ainsi connu une augmentation de 400 % qui nous touche. Le prix du teralithe, en France, est le plus bas de toute l'Europe, dans un rapport de deux à trois. Ce n'est pas un produit récent, mais cela concerne à peu près 150 000 Français. Aujourd'hui, le teralithe présente un risque direct de vente à perte du fait de l'augmentation du coût de l'API, qui a eu lieu en quinze mois. Comment répercuter tout cela sur le prix du médicament ? C'est une des problématiques que l'on connaît.

L'enveloppe de l'Ondam est une enveloppe globale. La clause de sauvegarde nous impacte directement, le « profit » entre guillemets qu'on réalise étant théorique et raboté par l'application de cette mesure.

Nous ne dégageons pas la rentabilité des « Big Pharma », loin de là. Aujourd'hui, il faut en tenir compte dans la discussion avec le CEPS, mais toute lecture de la clause de sauvegarde est totalement impossible. Nous sommes donc amenés à ne pas nous intéresser à tel ou tel dossier, alors qu'on sait qu'il existera un besoin médical urgent dans le futur.

Enfin, au vu des volumes que nous fabriquons et des prix bas de nos spécialités, nous n'avons pas affaire à des short liners, mais les AMM connaissent des formulations différentes selon les pays. Une usine va donc produire une formule pour l'Italie et une formule différente pour la République tchèque ou la France. Les short liners ne sont donc pas en mesure d'exporter car ce n'est pas le même produit.

M. Thierry Hoffmann. - Quant aux aides publiques, nous en avons reçu très peu. Le crédit impôt recherche (CIR) a pour sa part été le bienvenu. Sans cela, Delbert ne serait pas ce qu'il est aujourd'hui. On parle ici de 300 000 euros par an, ce qui est très précieux au démarrage d'une activité.

On a bien entendu essayé de travailler avec des entreprises accréditées au CIR, mais tout le monde ne l'est pas. On a ainsi travaillé au redéveloppement de l'extencilline. Les GI américains ont débarqué en 1945 avec la pénicilline G, abandonnée dans les années 1970, après avoir été largement utilisée. N'étant plus employée depuis trente ans, ce produit reste un antibiotique contre lequel il n'existe pas de résistance. C'est donc un produit extrêmement intéressant, mais il a fallu redévelopper la fermentation en Europe, car nous voulions réaliser un produit européen. Or, trouver un site de fermentation en Europe est extrêmement compliqué. On a dépensé beaucoup d'argent pour y parvenir. Nous en avons trouvé un en Italie. Cela a représenté un million d'euros d'investissement, sans aucune aide.

Nous avons bénéficié du CIR pour d'autres produits, mais c'est la seule aide que nous ayons touchée. Depuis deux à trois ans, cela tourne entre 50 et 100 000 euros, pas plus. La France a été pionnière avec le CIR et l'Espagne a pour sa part complètement adopté ce processus.

Quant à France Relance, nous ne savons même pas ce que c'est...

Le CEPS est-il sensible au risque de disparition d'un médicament ? La réponse est non. Le CEPS a tendance à penser que l'industrie pharmaceutique est un peu comme l'automobile ou l'informatique, mais c'est un marché très différent. Ce n'est pas parce qu'un produit est vieux, que son évaluation de l'ASMR n'a pas été révisée depuis des années, qu'il n'est pas important. Aujourd'hui, l'amoxicilline injectable reste l'antibiotique majeur utilisé en Europe.

Le CEPS nous fait remarquer que lorsque nous avons racheté ce produit à GSK, nous savions fort bien qu'il serait vendu à perte. Ne demandez donc pas au CEPS de rattraper cette situation. Il est dommage que la France soit le seul pays à cultiver cet état d'esprit, et je suis quelque peu déçu, en tant que citoyen français, de constater que tous les autres pays font preuve d'une ouverture d'esprit bien plus large que la France.

Pour ce qui est de la clause de sauvegarde, je trouve inéquitable que les vieux produits se trouvent amputés d'un montant totalement inconnu six mois avant, la clause de sauvegarde dépendant de l'Ondam, mais aussi d'une dépense qu'on ne connaît qu'un an plus tard. C'est très gênant pour l'industriel, qui ne peut provisionner ces sommes.

Les montants d'Ondam dont on parle pour les années à venir sont totalement délirants, puisqu'il s'agit désormais de milliards d'euros.

Une de vos questions concernait l'ANSM et la production de médicaments. L'ANSM est sensible à la production, qui a été très compréhensive vis-à-vis de nos développements. Nous avons toujours travaillé en étroite collaboration et avons tenu des réunions tous les deux à trois mois pour faire le point sur les difficultés et recueillir l'avis de l'agence. C'est extrêmement appréciable. C'est une approche qu'on retrouve plus à la Food and Drug Administration (FDA) qu'en Europe. L'ANSM a toujours été d'un très grand soutien pour Delbert - et nous l'en remercions.

M. Marc Childs. - Nous avons commencé notre activité en tant que prestataire de services pour pouvoir constituer une « pelote de laine », la prestation de services recouvrant l'exploitation, la pharmacovigilance et l'information médicale.

Nous avons commencé avec un petit laboratoire allemand, que nous conservons par affection, qui produit des médicaments ophtalmologiques qui ne sont pas vraiment présents chez nous.

Nous avons également hébergé un gros industriel des génériques, avec qui on a essayé de formuler une offre en direction des hôpitaux pour l'élargir à des produits critiques, dont des curares. Ce laboratoire s'appelle Hikma. Il s'agit d'un laboratoire jordanien. Nous avons arrêté toute prestation pour lui depuis un an. Les activités pour tiers représentent aujourd'hui moins de 1 % de notre chiffre d'affaires.

On a évoqué le sujet de la souveraineté nationale. Notre objectif a plutôt été la souveraineté européenne. Même si nous sous-traitons la totalité de nos activités, nous recherchons en France des usines en sous-capacité, mais susceptibles de produire tel ou tel type de médicament.

La fabrication d'un médicament est d'une grande complexité. Il faut des usines spécialisées, des fournisseurs spécialisés et des contrôles spécialisés. L'ensemble demande énormément de temps pour être redéployé.

Quand on reprend une AMM, changer la formule de départ, le fournisseur de matière première ou le produit fini coûte environ 500 000 euros et représente douze mois de travail. Changer deux éléments représente dix-huit mois de travail et coûte un million d'euros. Changer trois éléments représente plus de deux ans de travail.

Quand un industriel arrête un médicament, c'est dans plus de 50 % des cas pour une raison de sécurité dans l'usine ou de volumétrie. Ce n'est pas uniquement un problème économique. On ne peut comprendre que l'argent de l'État serve à subventionner des usines vides. Certaines ne sont pas remplies, comme Saint-Génis ou Meymac. Leur taux de remplissage s'élève aujourd'hui à 10-15 %, 20 à 30 % maximum. Une usine qui tourne à 20 ou 30 % ne peut être rentable.

Pourquoi ces usines ne sont-elles pas davantage utilisées ? Tout simplement parce que les prix de revient industriel sont plus élevés chez elle qu'ailleurs. J'en reviens au teralithe. Ce produit est fabriqué en Slovaquie. On essaie de le rapatrier en France. Bénéficie-t-on de subventions ? Non ! Nous le faisons par envie et par citoyenneté, pour des raisons de souveraineté. Cela va coûter plus cher, mais « sécurise » entre guillemets l'approvisionnement par rapport aux hausses de prix de l'électricité, car nous bénéficions d'une protection dans ce domaine. Les tarifs de l'électricité ont augmenté ; le cost of goods augmente donc.

Beaucoup de sous-éléments font que la fabrication de ces médicaments s'arrête. Au bout d'un moment, la complexité fait que les « Big Pharma », tirées par les produits à plusieurs milliards d'euros de chiffre d'affaires, ne s'intéressent plus à un produit qui ne génère que 20 millions d'euros, même s'il est rentable.

Mme Laurence Cohen, rapporteure. - Je cite l'article 28 de l'accord-cadre LEEM-CEPS : « Lorsqu'une entreprise fait état d'un risque important pouvant impacter la production ou la commercialisation pour l'une de ses spécialités répondant à un besoin qui ne serait plus couvert au cas où elle disparaîtrait du marché, l'entreprise peut demander la hausse du prix en vue de permettre son maintien sur le marché ».

Vous dites que cet article n'est pas appliqué, c'est bien cela ?

M. Marc Childs. - On ne peut pas dire cela.

Cet article parle également de « comparable ». On peut commencer à réviser les prix en l'absence de comparables, mais ceux-ci existent toujours, directement ou indirectement. Le teralithe compte des comparables, comme les antiépileptiques par exemple mais, pour le patient lui-même, c'est une aberration.

La production française de matières premières ne fait qu'augmenter, de l'ordre de 60 %. Comment le répercuter ? Il existe ainsi un neuroleptique utilisé contre les tremblements qui représente 80 % du marché, dont le comparable, l'artane, totalement dédié à des usages récréatifs, est bien moins cher. On ne peut de ce fait bénéficier de hausse de prix car le prix de ce dernier est officiellement d'un euro, alors qu'il se revend sous le manteau dix à quinze fois plus cher. Comment faire ? Cet article 28 est absurde, dans son application comme dans sa rédaction !

Je reviens sur l'accord-cadre entre le CEPS et le LEEM, où les petits laboratoires ne sont pas parties prenantes. Sur un document de 60 pages, on trouve 25 pages sur les génériques, 35 pages sur l'innovation, sept pages sur les matures, une page sur les orphelins, mais aucune page consacrée aux médicaments critiques.

Il faut créer - l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) l'a bien dit - une liste de produits critiques pour lesquels il faut des règlements différents. C'est aussi vrai en ville qu'à l'hôpital, où les prix sont libres. Nous vendons le gramme d'amoxicilline injectable entre 1,80 euro et 4 euros selon les marchés, alors qu'on est remboursé 1,09 euro en ville. Il faut globaliser les choses pour les médicaments critiques et avoir une vision anticipée.

On gagnerait douze mois dans la réintroduction du produit sur le marché si on avait la recette, mais qui a la recette ? C'est une double page qui autorise à se référer à un document, mais ce sont les « Big Pharma » qui doivent nous le donner pour qu'on puisse réactiver le produit, faute de quoi on se retrouve dans le cas d'un générique, et cela prend trois ans, alors qu'on connaît tous le produit.

Aujourd'hui, l'amoxicilline en solution buvable, avec une « copie » d'AMM, nécessite dix-huit mois avant d'être mise sur le marché. Sans copie d'AMM, cela demande trois ans. Il faut gérer les pénuries dans un premier temps. C'est une question urgente. La souveraineté viendra ensuite. On peut essayer de faire les deux progressivement, mais la pénurie nous touchera l'hiver prochain.

Mme Annick Jacquemet. - Monsieur Hoffmann, vous nous avez dit qu'il existait 7 000 MITM et qu'une des problématiques provenait du fait que chaque laboratoire définit ses propres médicaments. Il n'y a donc pas, si je comprends bien, de cahier des charges, pas de grille commune, chacun « fait à sa sauce ». Pensez-vous que le fait de fixer un cahier des charges à l'ensemble des médicaments pourrait permettre d'en sélectionner un certain nombre sur les mêmes critères ?

M. Thierry Hoffmann. - Je n'irai pas jusque-là, mais il faudrait a minima harmoniser les choses.

L'une de nos spécialités, l'amoxiclave, dont nous avons le princeps, qu'on appelait auparavant l'Augmentin, comporte tous les dosages. Nous avons déclaré toutes ces présentations comme MITM. Notre confrère et néanmoins ami génériqueur n'a pas fait le même choix. Un seul de ses dosages est déclaré comme MITM. Il n'a donc pas les mêmes contraintes en termes de stocks - nous devons avoir quatre mois de stocks pour chaque présentation. Ceci nécessitait une harmonisation, car il est difficile d'avoir deux traitements différents pour un même médicament.

Chacun définit le niveau d'importance de son médicament et son plan de gestion des pénuries, mais il existe trop de MITM. Tous les médicaments ne sont pas majeurs. Certains médicaments sont plus majeurs que d'autres, et c'est là que la notion de médicament critique, avec un panel de 150 à 200 molécules, serait largement suffisante. Il faudrait peut-être que l'on se penche davantage sur le traitement de ces médicaments, comme le préconisait l'IGAS.

M. Marc Childs. - De plus, tout ce travail préparatoire d'un plan de gestion des pénuries constitue, pour les génériqueurs, une tâche qui ne présente pas d'intérêt pour une seule et même molécule. Un antihypertenseur quelconque a sept plans de gestion des pénuries. Cela crée du travail inutile.

Mme Laurence Cohen, rapporteure. - Je voudrais revenir sur le CIR, qui est selon vous destiné à la recherche de produits nouveaux, ce qui n'est pas obligatoirement votre mission.

Le CIR vous permet-il de perfectionner des produits matures ou vous sert-il à améliorer des chaînes de production et de fabrication, voire les deux ?

M. Thierry Hoffmann. - Vous avez entièrement raison, nous ne faisons pas de la recherche en soi.

Néanmoins, lorsque nous redéveloppons un nouveau principe actif, en recherchant de nouvelles impuretés, avec de nouvelles méthodes d'analyse, on entre parfaitement dans le périmètre du CIR. Nous avons été plusieurs fois audités et avons eu plusieurs contrôles de l'administration fiscale concernant le CIR : nous n'avons jamais fait l'objet d'un redressement.

Il est admis qu'on peut bénéficier du CIR lorsqu'on redéveloppe complètement un produit chimique. De même, toutes les études de stabilité qui doivent être mises sur pied lorsqu'on redéveloppe un médicament entrent dans le périmètre du CIR, sachant qu'on doit développer trois lots de validation et les mettre à différentes températures et degrés d'humidité pendant deux à trois ans.

Je peux donc vous rassurer : nous n'avons pas détourné un euro du CIR pour d'autres essais.

M. Marc Childs. - Les eaux de lavage d'un de nos produits, qui était fabriqué dans la vallée du Rhône, partaient dans le fleuve à l'issue d'une réaction exothermique, avec des vapeurs qui se libéraient dans l'air. Il s'agit d'un anticancéreux dérivé des gaz de combat de la Première Guerre mondiale. Nous avons redéveloppé ce produit dans des conditions de sécurité. Les personnels travaillent aujourd'hui en scaphandre, avec une pression négative. Il n'y a donc plus de risques pour l'environnement.

Il y a trente ans, on recherchait une seule impureté. Avec la spectrographie de masse, ce sont maintenant sept impuretés qu'il faut qualifier. En outre, il faut savoir si ces impuretés ont un effet néfaste et les retirer en modifiant la synthèse chimique.

Grosso modo, les tours de main se perdent et il est fondamental de redévelopper la totalité du produit aux normes actuelles. Le nombre de normes et le prix de reproduction de ces produits ne font donc qu'augmenter.

M. Thierry Hoffmann. - Nous n'avons pas vraiment répondu à la question sur le prix du médicament et sa relation avec les pénuries.

Je ne pourrai pas répondre pour la majorité des médicaments, mais je pourrais vous fournir un éclairage à propos des vieux produits, ceux qui datent d'avant 2000 et qui sont toujours importants dans l'arsenal thérapeutique du généraliste. La majorité des prix de ces médicaments, dans le meilleur des cas, n'a pas bougé depuis 2000, soit une baisse de 30 % selon l'indice du coût de la vie. Toutefois, les différents PLFSS font qu'on y a apporté des coups de rabot année après année, sans vraiment se préoccuper de la situation.

Les génériqueurs ont aussi, pour certains, fait beaucoup de mal lorsqu'il y avait des remises énormes, laissant croire qu'il y avait « beaucoup d'eau sous la quille ». Année après année, on a fini par toucher le muscle ! Il n'y a maintenant plus de marge sur ces vieux produits, dont les prix n'ont jamais été revalorisés et qui sont vendus à perte.

Je sais que vous avez procédé à l'audition de l'Association des moyens laboratoires et industries de santé (AMLIS), qui est revenue sur ce point. C'est une réalité : nombre de médicaments offrent beaucoup moins de 20 % de marge brute. Lorsqu'on a retiré les coûts de fonctionnement, les taxes et l'impact de la clause de sauvegarde, on vend à perte, ce qui n'est pas acceptable pour ces produits qui, sans être des innovations de l'année, sont des produits de première ligne en termes de traitement. Les faire disparaître revient à les remplacer par des produits plus chers. Or personne n'en tient compte.

Cette substitution par des molécules plus onéreuses pour éviter de gagner quelque cents de réévaluation constitue une hérésie. Oui, madame la rapporteure, le prix des médicaments anciens est pour beaucoup dans la cause de leur disparition !

Mme Laurence Cohen, rapporteure. - Quelles mesures souhaitez-vous préconiser pour simplifier les démarches administratives, qui font régner une pesanteur importante sur toutes les différentes phases, et permettre une plus grande flexibilité aux laboratoires ?

On a le sentiment, au fil des auditions, qu'il manque un pilote dans l'avion. Que pourriez-vous proposer ?

M. Marc Childs. - Votre question est quelque peu complexe.

Les différentes commissions d'enquête qui ont eu lieu depuis 2018 n'ont pas réussi à toucher du doigt les raisons de la pénurie de médicaments. Les facteurs sont multiples et on ne peut agir sur tous en même temps.

Nous nous sommes posé la question : pourquoi sommes-nous convoqués ici ? Peut-être parce que, vous l'avez dit madame la présidente, notre modèle pourrait être reproduit. Ces idées se retrouvent sur le site de l'ANSM s'agissant des médicaments en rupture.

À chaque fois qu'on voit un produit en rupture, on va voir l'industriel pour lui demander si c'est structurel, s'il a envie d'arrêter la production et s'il ne peut nous transmettre le dossier. Il est nécessaire d'anticiper - vous avez commencé à le faire, et il faut reconnaître que l'IGAS fait bien son travail à ce sujet - afin d'identifier les médicaments critiques, établir un plan spécifique, déterminer où se trouve la propriété intellectuelle, répertorier les usines de matière première, les usines intermédiaires et les usines de produits finis. À partir de là, on peut établir une cartographie et intervenir.

Il faut bousculer les « Big Pharma » pour qu'elles acceptent ce qu'on appelle une lettre de référence dans leur dossier primaire, dont dispose de toute façon l'ANSM. Cela ne leur prend pas de temps, et il n'existe aucun risque juridique, même si elles ont toutes peur de transférer un dossier qui peut-être imparfait ou incomplet.

Il faut également suivre les produits et les volumes. Ceux qui sont intéressants recensent un, deux ou trois acteurs. Nous ne sommes pas là pour faire des génériques, mais pour nous intéresser à l'acteur avant la rupture et essayer de sauver les produits critiques. S'il existe cinq fournisseurs, il n'y a pas de problème. Le problème commence lorsqu'il n'existe plus que deux fournisseurs, voire moins.

On peut citer à ce sujet le problème de la gentamicine, qui ne remonte pas à si longtemps, produit pour lequel il n'existe plus qu'un seul fournisseur. Les acheteurs que vous avez auditionnés, comme UniHA, etc., voient les prix multipliés par dix, le prix à l'hôpital étant libre : je suis en monopole, je souffre de l'autre côté, je vais essayer de prendre un peu d'air. Lorsqu'on ne compte plus qu'un seul fournisseur, c'est très dangereux.

Il faut aussi fixer des engagements réciproques de volume. UniHA a, là aussi, réalisé des travaux intéressants en menant des enquêtes auprès des Américains, des Coréens, etc. Certains États américains ont créé leurs propres usines.

La tentation existe - c'est d'ailleurs une recommandation de l'IGAS - de créer des usines de l'État. Il en faudrait cent, car on ne peut faire qu'un antibiotique par usine. Or vous ne pouvez remplir une usine que quinze jours par an. Il n'y a pas de savoir-faire. Il faut donc en créer. Delbert est probablement là parce que nous disposons du savoir-faire. C'est ce qui nous fait remarquer des médias et de vous-mêmes.

Nous avons travaillé sur les héparines. C'est un dossier dont on ne s'est pas saisi, car il nous faudrait un engagement de prix avant de nous en emparer. Développer le dossier nécessite de mettre dix millions d'euros sur la table. Nous avons eu quelques discussions avec la direction générale de l'économie (DGE) pas plus tard qu'hier. Il faut que le prix de remboursement futur soit au-dessus du coût de revient industriel (PRI). Un engagement dans le temps est donc nécessaire.

UniHA, à juste titre, estime qu'il faut garder un marché concurrentiel. Se garantir 50 % du marché et mettre les autres en compétition n'est déjà pas mal. C'est une réflexion qu'on a avec UniHA pour essayer de sécuriser notre univers.

Après avoir anticipé, il faut simplifier la transmission de l'AMM, ainsi que la partie pharmaceutique du dossier. Quand on a un problème avec un produit critique, il faut accélérer et pouvoir bénéficier de fast-tracks. L'ANSM y est très favorable pour des médicaments essentiels.

Par ailleurs, on a un problème de communication et d'accès à l'information. Par exemple, nous avons remis la fosfomycine sur le marché depuis deux ans. Selon la Société de pathologie infectieuse de langue française (SPLIF), le produit est toujours en rupture. Lorsqu'on demande à la SPILF de modifier son dossier, elle nous répond qu'elle est souveraine. Il faut donc simplifier cela.

Il faut également déterminer le prix sur la base d'un PRI transparent - c'est faisable - et, comme le montre notre difficulté avec le lithium, avoir des processus accélérés pour les révisions de prix, qui peuvent être pré-contractés.

Il faudrait également disposer d'engagements de volumes sur la durée. Nous-mêmes sommes engagés vis-à-vis de nos fournisseurs sur des volumes minimums pendant au moins trois ans, dont un an fixe. Si nous perdons notre marché hospitalier, qui paie ? C'est nous ! Or nous ne pouvons prendre de risques sur des volumes plus importants. La charge de nos usines est donc toujours faible. Il faut donc garantir des volumes au niveau hospitalier. On commence à en discuter avec UniHA.

Vu le nombre d'acteurs qui tournent autour de ces sujets, une centralisation de la décision paraît nécessaire. Faire la tournée de toutes les popotes est en effet extrêmement coûteux.

Mme Alexandra Borchio Fontimp, présidente. - Merci pour vos témoignages et vos précisions, qui vont éclairer nos travaux.

S'il vous reste des éléments à nous confier, vous pouvez nous les faire parvenir par écrit.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 14 h 40.

- Présidence de M. Bruno Belin, vice-président -

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Audition de MM. Michaël Danon, directeur du Market Access et des affaires institutionnelles, Marc Urbain, directeur industries et Vincent Guiraud Chaumeil, directeur de la filiale France Medical Care du groupe Pierre Fabre

M. Bruno Belin, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons cet après-midi les travaux de notre commission d'enquête par l'audition de M. Michaël Danon, directeur du Market Access et des affaires institutionnelles du groupe Pierre Fabre, ainsi que de MM. Marc Urbain, directeur Industries, et Vincent Guiraud-Chaumeil, directeur de la filiale France Medical Care du même groupe. Je vous remercie, messieurs les directeurs, de vous être mobilisés.

Le laboratoire Pierre Fabre, créé à Castres en 1962 par un pharmacien et botaniste tarnais, est un acteur historique de l'industrie française des produits de santé, actif à la fois dans le domaine de la dermo-cosmétique et dans celui du médicament de prescription, et aujourd'hui un des tout premiers groupes pharmaceutiques français. Son ancrage sur un territoire, le Sud-Ouest de la France, qui concentre la majorité de ses sites de recherche et de production, ne s'est jamais démenti, malgré un fort développement international : la moitié de la cinquantaine de sites français du groupe continue ainsi de se situer dans le Tarn, département dont il est de loin le premier employeur - il est aussi l'un des trois premiers employeurs privés d'Occitanie.

En tant qu'acteur majeur de la chaîne industrielle du médicament et observateur privilégié des carences qui, visiblement, altèrent le bon fonctionnement de cette chaîne, il était naturel que nous vous entendions dans le cadre de notre travail sur les tensions ou les ruptures d'approvisionnement qui frappent désormais de façon chronique les médicaments qui sont prescrits et consommés dans notre pays.

Parmi les grands groupes pharmaceutiques français, vous êtes tout spécialement associés, je l'ai dit, à l'idée d'un ancrage régional fort ; vous portez la volonté de maîtriser l'ensemble de votre chaîne de production et avez choisi de conforter, plutôt que de l'abandonner, la stratégie du fondateur du groupe, celle d'un certain made in France, sur lequel vous communiquez volontiers. Vous êtes donc particulièrement bien placés pour nous dire en quoi ce choix, selon vous, va de soi ou est au contraire en péril. Je précise qu'à notre connaissance 100 % de vos équipes de recherche sont situées en France et que plus de 90 % de votre production de médicaments et de dermato-cosmétiques est effectuée en France, alors même que votre revenu provient aux deux tiers de vos activités à l'international.

La crise de la covid ayant donné un nouvel élan à une telle orientation, vous semblez vouloir la pérenniser, comme le montre l'exemple du rapatriement de la production du principe actif de votre anticancéreux Mektovi dans l'usine de chimie fine de Gaillac. Vous nous direz notamment si cet ancrage et cette stratégie de maîtrise complète de l'approvisionnement pourraient être généralisés et servir de modèle à une industrie pharmaceutique véritablement souveraine.

Je vais vous céder la parole, messieurs les directeurs, pour un bref propos introductif où vous présenterez votre analyse de la situation et formulerez vos recommandations pour y remédier. Puis Mme Laurence Cohen, rapporteure de notre commission d'enquête, vous posera une première série de questions : comme vous l'aurez compris, notre commission d'enquête entend obtenir des réponses étayées à des questions précises.

Je précise également que cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera l'objet d'un compte rendu publié.

Avant de vous donner la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite, messieurs les directeurs, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Danon, Urbain et Guiraud-Chaumeil prêtent serment.

Monsieur le directeur, vous avez la parole.

M. Michaël Danon, directeur du Market Access et des affaires institutionnelles du groupe Pierre Fabre. - Monsieur le Président, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les sénateurs, nous souhaitons tout d'abord vous remercier de nous donner possibilité d'échanger sur les ruptures de médicaments.

En tant qu'entreprise pharmaceutique, c'est bien évidemment une question particulièrement importante pour nous, car ce qui est en jeu, c'est la possibilité pour les patients d'avoir accès à leur traitement. Nous sommes donc très heureux d'avoir l'opportunité de témoigner devant cette commission de l'expérience du groupe Pierre Fabre.

Monsieur le président, vous avez bien voulu rappeler un certain nombre d'éléments importants concernant notre entreprise. Je vous en remercie. En guise de courte introduction, je me permettrai de revenir sur certains de ces éléments et d'y ajouter d'autres spécificités qu'il me semble important de mentionner devant votre commission d'enquête.

Comme vous l'avez indiqué, le groupe Pierre Fabre est le résultat d'une très belle histoire scientifique et industrielle. Fondée par M. Pierre Fabre, pharmacien à Castres, le groupe représente aujourd'hui un chiffre d'affaires de 2,7 milliards d'euros, compte près de 10 000 collaborateurs dans le monde et 41 implantations à l'international. Il commercialise ses produits dans plus de cent pays.

Nous avons deux types d'activités, d'une part dans le dermo-cosmétique, avec un certain nombre de marques bien connues des consommateurs français, et dans le médicament, où nous avons un portefeuille équilibré, qui comporte à la fois des produits matures, utilisés communément par les patients français depuis de nombreuses années, mais également - et nous en sommes très fiers - des produits très innovants, notamment dans le domaine de la cancérologie.

Je voudrais rappeler, parce que c'est très important pour nous, la spécificité capitalistique du groupe. Le capital du groupe Pierre Fabre est entre les mains d'une fondation reconnue d'utilité publique.

Je pense que nous sommes en France le seul exemple de ce type, que ce soit dans le domaine de l'industrie pharmaceutique ou, de manière plus générale, dans l'ensemble des secteurs économiques.

C'était une volonté de M. Fabre, qui avait décidé qu'à sa disparition, l'ensemble de ses biens, dont le groupe qu'il avait fondé, reviendrait à la fondation qu'il avait lui-même créée. Aujourd'hui, 86 % du capital appartiennent à cette fondation. Le reste est réparti, pour une part, entre l'actionnariat salarié. C'était là aussi une volonté de M. Fabre de permettre aux collaborateurs du groupe de participer non seulement aux résultats de l'entreprise mais à sa structure capitalistique, le reste reposant sur l'autofinancement.

Actuellement, l'actionnariat salarié a été déployé dans douze pays dans lesquels nous sommes présents. En France, premier pays dans lequel nous avons développé cet actionnariat salarié, 80 % des collaborateurs participent à ce programme.

Dans la gouvernance de la fondation Pierre Fabre, deux représentants de l'État veillent et participent à la stratégie du groupe.

Cela signifie que les résultats et les profits que l'entreprise réalise peuvent être utilisés pour développer l'entreprise pour ses projets d'investissement, que ce soit dans la R&D ou la capacité industrielle, dans l'actionnariat salarié et les actions menées par la fondation Pierre Fabre, principalement en Asie du Sud-Est et en Afrique noire, qu'il s'agisse de la formation de professionnels de santé ou d'actions locales destinées à aider des programmes de développement sanitaire.

Vous avez insisté sur le choix constant de la France par l'entreprise. Nous comptons 9 600 collaborateurs dans le monde. 56 % sont situés en France ainsi que 100 % de notre recherche et 95 % de la production industrielle en France, ceci couvrant à la fois la dermo-cosmétique et les médicaments. Nous comptons sept sites de production en France, deux sites de distribution, et plus de 1 500 collaborateurs travaillent dans les sites de production industrielle.

Voilà quelques-unes des spécificités du groupe pour lequel nous travaillons tous les trois. Je cède la parole à mon collègue Vincent Guiraud-Chaumeil, patron de la filiale France Medical Care, pour évoquer les tensions et les ruptures que nous avons subies.

M. Vincent Guiraud-Chaumeil, directeur de la filiale France Medical Care du groupe Pierre Fabre. - Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les sénateurs, depuis deux ans, le laboratoire Pierre Fabre a été confronté à des tensions et des ruptures. Les tensions et les ruptures sont souvent multifactorielles. Vous avez rencontré beaucoup de laboratoires qui vous en ont énoncé toutes les causes possibles.

Le laboratoire Pierre Fabre a été confronté à un élément supplémentaire sous la forme d'une cyberattaque de très grande ampleur, survenue en 2021, qui nous a obligés à arrêter la production pendant six semaines. Nous avons mis beaucoup de temps pour rétablir les stocks de sécurité nécessaires à la distribution de nos médicaments.

Dans le détail, nous comptons quatorze médicaments d'intérêt thérapeutique majeur (MITM). Deux de ces médicaments ont été confrontés à des problématiques de rupture mais, comme nous produisons en France, et en accord avec l'ANSM, nous avons « séquestré », suivant le terme consacré, les quantités nécessaires pour qu'aucun patient français ne soit en rupture de traitement oncologique.

En ce qui concerne les tensions que nous avons rencontrées sur d'autres médicaments, nous disposons de deux canaux de distribution, un canal par le biais de la vente directe et un canal par le biais des grossistes. Pour assurer la distribution la plus homogène, nous avons arrêté la vente directe et développé la distribution par les grossistes, ce qui permet un maillage territorial de plus grande importance.

Une autre particularité du laboratoire Pierre Fabre vient du fait que nous avons gardé - peu de laboratoires le font encore - des équipes nombreuses qui vont à la rencontre des médecins et des pharmaciens. Nous avons, sur la filiale France médicaments, plus de 300 collaborateurs qui visitent les médecins et les pharmaciens.

Grâce à ce canal, nous avons en direct informé les médecins et les pharmaciens des tensions que nous rencontrions et des précautions que nous devions prendre. Que ce soit au niveau de la distribution ou de la communication, et en accord avec l'ANSM, nous avons donc tout fait, pendant ces deux dernières années, pour limiter au maximum l'impact de ces ruptures et de ces tensions pour les patients français.

Marc Urbain reviendra plus en détail sur certains cas particuliers pour vous montrer comment nous avons réagi face à ces difficultés.

M. Marc Urbain, directeur industries du groupe Pierre Fabre. - Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les sénateurs, comme cela vient d'être dit, nous avons subi des tensions sur différents produits. Ces tensions sont dues à trois facteurs, dont la cyberattaque qui a été spécifique au groupe Pierre Fabre, après la pandémie et les stops and go, qui ont aggravé la situation.

Nous avons dû consommer la totalité de nos stocks de sécurité pour continuer à fournir le marché français et les autres marchés. Une crise sans précédent, de mémoire d'industriel, a touché la totalité du marché de la chaîne d'approvisionnement des principes actifs ou de leurs composants. Cette crise est survenue en plus des deux autres crises et a complexifié la situation.

À titre d'exemple, on utilise du PVC pour les blisters destinés au packaging. Aujourd'hui, le PVC connaît une crise mondiale. On est passé de six semaines à 40 semaines de délai d'approvisionnement pour des raisons de concentration de moyens de production et de demandes supérieures à l'offre industrielle. Il en va de même pour le carton. Tous nos produits sont livrés dans des étuis. Le carton a également subi une crise et connu des stops and go, notamment en Chine, où le carton recyclé n'était plus disponible, du fait du transfert des besoins en plastique vers l'emballage carton, considéré comme plus écologique et respectueux de l'environnement. Nos fabricants et fournisseurs principaux d'étuis ne pouvaient donc plus s'approvisionner en carton, ce qui a augmenté de fait les délais d'approvisionnement.

Ce sont les trois éléments qui peuvent résumer la situation.

Mme Laurence Cohen, rapporteure. - Merci pour votre propos liminaire.

J'aurai un certain nombre de questions à vous poser.

En premier lieu, vous avez dénoncé un prix de médicament remboursé très bas en France. Je reprends les propos de votre directeur général : « Quand un médicament est exporté à moins de 50 %, il est en risque. Ce qui sauve les produits, ce sont les exportations ».

Fort de cette règle, avez-vous déjà eu l'occasion d'abandonner la fabrication de certains médicaments ou leur commercialisation en France ?

En corollaire, l'interdiction temporaire des exportations de médicaments en tension ou en rupture a-t-elle eu un impact sur votre activité, compte tenu des propos de votre directeur et de la politique que vous semblez mener ?

Ma deuxième question concerne plus particulièrement le prix des médicaments. On a pu constater, lors de nos auditions, que l'on reproche aux médicaments matures leur prix très bas, voire trop bas, alors que ceux des médicaments innovants s'envolent. Vous avez demandé une augmentation du prix des médicaments dits matures, et un moratoire sur les baisses de prix a d'ailleurs déjà été décidé.

Vous l'avez dit, les ruptures et les tensions ont des causes multifactorielles. Parallèlement, on a pu constater que la Suisse, où les prix des antibiotiques sont quatre fois à cinq fois plus élevés que les prix pratiqués en France, a connu les mêmes ruptures et les mêmes tensions en matière de médicaments. Ce ne sont donc pas seulement les prix qui peuvent être mis en cause. Quelle est votre analyse et quelles sont vos propositions sur ces questions ?

Par ailleurs, nous aimerions connaître votre position sur les politiques de régulation des dépenses de médicaments. Nous avons pu avoir, lors des auditions précédentes, des remarques concernant la clause de sauvegarde, qui prend une place de plus en plus importante et qui est critiquée pour son caractère indifférencié parce qu'elle concerne aussi les produits matures, dont les prix sont déjà particulièrement bas.

Comment proposez-vous de faire évoluer ce système pour permettre de limiter les phénomènes de pénurie, voire de les empêcher, mais également d'empêcher une dérive incontrôlée des dépenses ?

J'ai parlé d'exportations. J'aimerais savoir si vous êtes impactés par l'existence de short liners et d'exportations parallèles qui, pour certaines, constituent un réel problème.

Enfin, avez-vous eu l'occasion de saisir le Comité économique des produits de santé (CEPS) pour l'activation des articles 27 et 28 de l'accord-cadre, qui permettent à un laboratoire d'obtenir une stabilité du prix facial en contrepartie d'investissements réalisés dans les dernières années ou dans les années à venir dans l'Union européenne, voire d'obtenir une hausse des prix pour une spécialité qui serait menacée ?

C'est une opportunité qui n'est pas saisie selon les différentes auditions que nous avons pu avoir.

Enfin, il a été fait état de quelques difficultés concernant l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), qui est cependant un partenaire fiable sur lequel peuvent s'appuyer les différents laboratoires. Mais, des contingentements sont organisés pour un certain nombre de médicaments en tension, qui menacent de se trouver en rupture. La semaine dernière, nous avons d'ailleurs auditionné un laboratoire qui a rappelé cette situation paradoxale consistant à être soumis à des contingentements de livraisons quand, par ailleurs, on manque de ces mêmes médicaments dans les différentes régions de notre pays, si je ne considère que la France.

M. Michaël Danon. - Vous nous interrogez sur l'utilisation d'une des dispositions de l'accord-cadre signé entre les entreprises du médicament (LEEM) et le CEPS au sujet de la possibilité de revendiquer des hausses de prix, prévue par l'article 28.

Nous avons en effet déposé des dossiers il y a deux mois auprès du CEPS concernant dix-sept présentations. Ils sont en cours d'instruction. Je ne pourrais donc rien en dire actuellement.

Nous savons - et je crois que cela avait été indiqué par les représentants du LEEM lorsque vous les avez auditionnés - que peu de dossiers présentés ont reçu une suite favorable. Je ne fais que reprendre ce qui a été dit ici par le LEEM. Les dossiers du laboratoire Pierre Fabre étant en cours d'instruction, je n'ai aucun commentaire à faire à ce sujet.

L'accord-cadre, dont son article 28, a été signé en 2021, à un moment où le pays ne connaissait pas d'inflation. Il a été rédigé et accepté par les présidents du CEPS et du LEEM dans un certain contexte économique qui n'est plus le même aujourd'hui. Nous pensons donc qu'il faudrait revoir l'écriture de cet article pour tenir compte de la situation de forte inflation, qui a des conséquences pour toutes les entreprises.

La rédaction actuelle de l'article 28 est très restrictive sur les possibilités du CEPS d'accorder des hausses de prix. L'industrie pharmaceutique souhaite donc pouvoir en rediscuter avec le CEPS, le laboratoire Pierre Fabre étant membre du LEEM et fondateur du G5 Santé.

Un autre article important voté par l'Assemblée nationale et le Sénat est l'article 65 de la loi de financement pour la sécurité sociale pour 2022, qui complète les critères de fixation du prix par le CEPS. Nous sommes très satisfaits de cette disposition, qui permet au CEPS de tenir compte de l'implantation de la production et de la sécurité de l'approvisionnement. Nous regrettons qu'il faille autant de temps au CEPS pour finaliser la doctrine d'application de cet article.

La doctrine du CEPS a été communiquée s'agissant des produits nouveaux, mais nous sommes en partie concernés par des produits matures qui sont sur le marché depuis pas mal d'années, dont les niveaux de prix nous préoccupent. Nous souhaitons donc que le CEPS puisse finaliser sa doctrine d'application de l'article 65, qui a été adoptée par le Parlement il y a près de 18 mois.

Vous avez également mentionné la clause de sauvegarde. Je ne serai pas le premier à en parler. Un certain nombre d'entreprises auditionnées ont pu évoquer cette préoccupation. Le problème vient du fait que le montant de la clause de sauvegarde que nous devons payer a augmenté de manière considérable. Pour le laboratoire Pierre Fabre, entre 2019 et 2021, le montant a été multiplié quasiment par six. Pour l'ensemble de l'industrie, en 2021, le montant à payer a été de 1,1 milliard d'euros, et nous nous attendons à une facture de 2 milliards d'euros pour 2022, à payer en 2023. Ce sont des montants considérables, qui pèsent sur la rentabilité des entreprises.

Pour ce qui est du groupe Pierre Fabre, sa rentabilité est moindre, et nous ne pourrons pas consacrer autant de ressources aux actions à travers la fondation.

Vous avez abordé la question du niveau des prix. C'est une de nos préoccupations. Nous avons établi quelques comparaisons entre les prix pratiqués en France et chez nos voisins européens. Nous constatons des écarts très importants entre la France et l'Allemagne, ce qui n'étonnera personne, mais également entre la France et l'Italie. Les prix pratiqués en France sont inférieurs, notamment pour les produits en cancérologie, qu'il s'agisse de produits matures ou de produits innovants.

Vous avez posé une question très importante sur la relation potentielle entre le niveau des prix et les risques de rupture. Ce n'est pas une question simple. Toutes les personnes que vous avez auditionnées l'ont dit : les ruptures sont multifactorielles. Imputer uniquement la question de la rupture à un problème de prix serait intellectuellement inexact et factuellement faux.

En revanche, il est clair que le niveau des prix impacte la rentabilité et notre capacité d'investissement. Si nous commercialisons des produits avec un prix sur lequel les marges sont faibles, notre capacité d'investissement, notamment dans l'outil industriel, sera compromise. Il y a donc un effet indirect à moyen-long terme entre le niveau des prix et la capacité de l'entreprise à renouveler son appareil de production, que ce soit en matière d'usines, de chaînes de production ou de machines, avec des possibilités de ruptures.

Il existe quelques produits pour lesquels nous avons besoin, industriellement parlant, de renouveler notre outil. Dans le calcul de rentabilité, nous allons bien évidemment prendre en compte le coût d'achat de la machine et de l'installation au regard des prix que nous pouvons escompter pour la production réalisée avec cette machine.

Enfin, j'aimerais évoquer la question de l'horizon temporel. Une décision industrielle représente de nombreuses années. Entre le moment où on décide de conduire un investissement et celui où la chaîne sort les boîtes de médicaments, il s'écoule plusieurs années. La difficulté que nous avons dans le contexte actuel, en France, réside dans l'impossibilité ou la quasi-impossibilité d'établir une prévisibilité, que ce soit en matière de clause de sauvegarde ou de niveau des prix.

Concernant la clause de sauvegarde, l'information sur le montant à payer est extrêmement tardive, de l'ordre de quelques mois. Il en va de même à propos du niveau des prix. Le total des baisses proposées par le Gouvernement est soumis à la discussion au Parlement dans le cadre du PLFSS quelques mois avant que le CEPS s'empare du chiffre et déroule la mécanique, conformément à sa mission. Je crois que Philippe Bouyoux l'a parfaitement expliqué lorsque vous l'avez auditionné.

Nous avons cependant à prendre des décisions industrielles sur cinq ans et au-delà. Nous n'avons aucune prévisibilité possible sur le prix de nos médicaments à cet horizon. On a là une vraie difficulté économique. Pour répondre à votre question, je ne vous dirai pas que nous avons, en France, arrêté la commercialisation de produits pour un problème de prix, mais je dirai que des prix bas ont des conséquences dommageables à moyen-long terme et impactent notre capacité d'investir dans l'outil industriel en France.

M. Vincent Guiraud-Chaumeil. - Je suis médecin et industriel. Les conséquences de la séquestration ont un avantage pour le patient français. Lorsqu'on bloque des quantités de produits en tension ou en rupture sur le marché français, le patient européen, notamment en oncologie, aura plus de mal à obtenir son traitement. C'est une réponse à l'urgence, mais ce n'est pas satisfaisant. Nous n'avons pas eu besoin d'utiliser cette méthode depuis plus d'un an. Ce que j'évoquais en introduction remonte au début de 2022.

Les exportations parallèles ont-elles un impact sur les ruptures ? Pierre Fabre n'a pas été impacté. Nos produits sont concernés par ce phénomène parce que leur prix est plus bas que dans les pays voisins, mais ce ne sont pas des produits en tension.

Avant de travailler en France, j'ai travaillé en Europe, dans beaucoup de pays. Des pays avec un différentiel de prix particulièrement important par rapport à d'autres connaissent, à cause des exportations parallèles, des cas de rupture, les distributeurs préférant parfois acheter des produits à des prix bas et les revendre à des prix plus élevés. Les exportations parallèles attribuent donc potentiellement un facteur de tensions et de rupture.

Vous avez considéré que l'ANSM est un partenaire fiable et exigeant. Elle ne nous a pas demandé de contingenter nos produits, mais cela peut aussi se comprendre. Si des produits de première nécessité se retrouvent en très forte tension, certains acteurs peuvent vouloir récupérer plus de produit que nécessaire sur le territoire.

Je parlais de notre stratégie de passer par les grossistes pour avoir une distribution homogène. L'action de l'ANSM sur le contingentement est bien destinée à éviter que des surstocks se fassent de façon artificielle et aggravent la pénurie.

M. Marc Urbain. - Le prix n'est pas la raison de la rupture mais, en tant qu'industriel, on a besoin de visibilité à moyen terme et de stabilité pour définir des investissements. Je voudrais donner un exemple à ce sujet.

Il concerne un traitement pour le sevrage tabagique, que l'on réalise sur un site du Gers, le Nicopass, une pastille à sucer avec différents dosages de nicotine. Ce sont des processus assez anciens entre le semi-artisanal et l'industriel. Pour répondre à la demande du marché, on a besoin d'investir et de basculer sur des lignes de fabrication en continu bien plus performantes.

Face à la perspective de la baisse du prix de remboursement, la question se pose de savoir si on se lance dans cet investissement ou non. Pierre Fabre a décidé d'investir. On a d'ailleurs sollicité quelques subventions, notamment à travers Territoires d'industrie, qui a subventionné une partie du projet, qui s'élève à un peu moins de deux millions d'euros et qui va durer entre trois et quatre ans suivant la durée d'homologation de la variation du dossier d'autorisation de mise sur le marché.

Cet exemple illustre le besoin de visibilité et de stabilité que nous avons pour ne pas nous retrouver face à une baisse de prix du remboursement, puisqu'on a décidé de rester pour ce produit dans la catégorie des produits remboursés.

Mme Émilienne Poumirol. - En tant que Toulousaine, je connais bien la fondation et l'attachement de Pierre Fabre à son territoire tarnais - ou toulousain.

Quelle est votre politique de R&D ? Je sais que c'est un département important pour Pierre Fabre. Dans ce domaine, quels sont les montants des aides publiques ? Que représente le crédit impôt recherche (CIR) pour votre entreprise ? Avez-vous répondu à des appels à projets dans le cadre de France 2030 ?

Mme Patricia Schillinger. - Il existe de nombreuses inquiétudes face à la pénurie de médicaments contre le cancer, beaucoup de patients pouvant se demander comment ils vont être soignés.

D'autres entreprises de votre niveau produisent-elles les mêmes médicaments ? On connaît aujourd'hui une recrudescence de cancers. Comment faites-vous en sorte d'anticiper et de soigner les Français - car je pense que c'est aussi votre rôle ?

M. Michaël Danon. - 100 % de la recherche du groupe Pierre  Fabre est réalisée en France, notamment à l'Oncopole de Toulouse. Nous avons revu notre stratégie de recherche récemment pour la focaliser sur un nombre plus limité de domaines thérapeutiques.

Nous sommes un groupe de taille intermédiaire. La recherche de nouvelles molécules coûte de plus en plus cher, et on ne peut pas avoir des ambitions trop larges. Nous avons donc décidé de nous recentrer sur certains domaines de la cancérologie où de très gros acteurs sont déjà présents, la dermatologie et les maladies rares, où il existe des besoins non-couverts et où la possibilité de développer de nouveaux traitements nous semble répondre à un besoin de santé publique, tout en offrant la possibilité de poursuivre notre croissance.

Nous bénéficions du CIR, comme l'ensemble des entreprises du secteur. C'est un élément très important de contribution au financement de notre recherche. Je n'ai pas le montant en tête, mais nous pourrons vous l'indiquer par écrit dans les prochains jours. Je pense d'ailleurs que l'ensemble des acteurs qui ont été auditionnés par la commission d'enquête ont rappelé l'importance du CIR dans l'économie générale du secteur et son utilité.

D'autres entreprises fournissent des médicaments pour les mêmes indications que ceux que nous fabriquons, mais chaque médicament a sa spécificité. Même quand on ne fait que des variations d'excipients pour un même médicament, le patient peut réagir différemment.

C'est toujours très compliqué, mais nous sommes seul producteur d'un certain nombre de médicaments, d'où la responsabilité éminente qui est la nôtre de nous assurer d'avoir à tout moment la capacité de répondre aux besoins des patients. Nous en sommes parfaitement conscients et devons prendre en amont toutes les mesures pour l'assurer.

M. Vincent Guiraud-Chaumeil. - Je vous ai parlé de la classification des MITM. Elle est établie pour qu'une attention toute particulière soit portée à ce type de médicament, qui ne peuvent être remplacés facilement par d'autres produits, d'où la nécessité de stocks plus importants pour ces produits, qui sont en concurrence avec d'autres qui ont une efficience à peu près équivalente. Une attention particulière est donc portée aux MITM.

J'ai donné un exemple de produit en oncologie. Un accident industriel peut toujours arriver, mais on fait le nécessaire pour que cela n'arrive pas ou que cela n'arrive plus Nous disposons de stocks suffisants pour qu'aucun patient ne connaisse de rupture de traitement. Ce sont des médicaments qui ont bénéficié d'une attention particulière, à la fois de la part des industriels - de Pierre Fabre en particulier - et des agences.

M. Marc Urbain. - À moyen terme, on essaye de sécuriser la supply chain industrielle de deux médicaments pour le traitement du mélanome. Ainsi, nous avons décidé de réinternaliser une partie de la chaîne de fabrication. L'avantage du groupe Pierre Fabre est de disposer d'un site industriel chimique permettant de faire de la synthèse à partir de différents éléments. On réintègre donc une partie de la fabrication du principe actif du médicament, pour être moins dépendant de fournisseurs en Europe ou en Asie.

Je parle d'un projet où l'investissement industriel s'élève à environ cinq millions d'euros. Entre le moment où on a décidé d'y aller et où le site de Gaillac réalisera cette fabrication, validée par les autorités de mise sur le marché, il s'écoulera cinq ans.

Mme Laurence Cohen, rapporteure. - On a constaté une consommation extrêmement importante des médicaments, notamment en France, avec un développement un peu plus important après le Covid, pour des raisons là encore multifactorielles.

Un des arguments qui est donné par rapport au prix trop bas des médicaments matures réside dans le fait qu'il existe un rattrapage volumétrique sur le marché français et, d'une manière générale, sur le marché européen. Le confirmez-vous ?

M. Vincent Guiraud-Chaumeil. - L'innovation est très importante en médecine, mais le soin du quotidien est un élément fondamental de la santé. Après la pandémie, des thérapeutiques délaissées parce qu'elles n'étaient pas prioritaires pour nos soignants et pour les patients, se sont développées à nouveau.

On a parlé des problèmes de santé mentale et de prévention laissés de côté au moment du Covid. On a assisté à une réflexion plus globale sur la santé de la part des Français et des soignants. Certains produits que je préfère qualifier de première nécessité ont été plus utilisés qu'au moment de la pandémie, mais cela me paraît être de la bonne médecine, compte tenu des indications pour lesquelles ils ont été utilisés.

Mme Laurence Cohen, rapporteure. - Quel est le niveau du rattrapage du volume par rapport aux prix ?

M. Vincent Guiraud-Chaumeil. - Les volumes, pour certaines aires thérapeutiques, ont fortement évolué, mais la balance n'est pas positive, les prix étant fortement réglementés et régulés par rapport à des produits considérés comme innovants. Il n'est pas question de dire qu'il faut multiplier ces prix par 50, mais la santé concerne aussi les premiers soins, le quotidien, la prévention. Aujourd'hui, notre politique de prix n'est pas très incitative.

M. Marc Urbain. - Si on veut faire plus de volume d'un point de vue industriel, il faut augmenter nos capacités. C'est le cas du Nicopass, mais on a aussi un autre produit pour lequel on a investi pour répondre à la demande de produits matures.

Étant donné le temps de mise en route de nouvelles installations et les temps de validation des nouvelles productions, si on n'a pas de visibilité et que les prix présentent un risque de décroissance dans le futur, on se demande s'il faut vraiment y aller.

Le groupe Pierre Fabre est aujourd'hui très implanté en France et souhaite continuer à avoir cette production mais, en comparaison d'autres zones ou régions de production, l'Europe, et la France en particulier, ont des surcoûts structurels qui doivent être compensés par une visibilité et une stabilité qui reste aujourd'hui compliquée.

On a dit qu'il existait des causes exogènes aux ruptures, comme la pandémie ou la crise relative aux matières premières, mais il y a aussi une certaine prudence en matière d'investissement sur les produits matures. On le voit avec le paracétamol, même si un nouveau site se met en place en Isère.La production du paracétamol a été délocalisée parce que les choses étaient plus faciles, plus simples, plus rapides et les coûts moins élevés qu'en France.

Mme Patricia Schillinger. - Quelles sont les dates de péremption des médicaments par rapport aux stocks ? Peuvent-elles constituer une explication dans les phénomènes de la rupture ?

M. Marc Urbain. - En général, le délai de péremption est compris entre 24 et 36 mois. Nous réalisons des tests de stabilité afin de voir si, au bout de deux mois, six mois, etc., la quantité de principe actif figurant dans le dossier d'enregistrement est suffisante pour l'indication thérapeutique du médicament. En général, les délais péremption sont relativement longs.

Les causes de rupture ont vraiment été exceptionnelles. La Chine a été bloquée un an après que l'activité a redémarré en Europe et dans les pays occidentaux. Nous avons subi l'effet rebond de la crise sur les matières premières.

La question est ensuite de connaître la visibilité que l'on peut avoir pour investir sur la production en France et l'augmentation de produits matures, dont les marges ne sont pas les mêmes que pour les produits très innovants. Malgré tout, il faut faire la balance entre les produits très innovants et ceux de première nécessité.

Mme Émilienne Poumirol. - On a l'impression que c'est plus la visibilité à cinq ans ou à dix ans que le problème du prix qui vous inquiète.

M. Marc Urbain. - Ce sont les deux.

M. Vincent Guiraud-Chaumeil. - Un peu des deux.

M. Bruno Belin, président. - Merci pour les éléments d'information que vous nous avez apportés.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 17 h25

- Présidence de M. Bruno Belin, vice-président, puis de Mme Émilienne Poumirol, secrétaire -

La réunion est ouverte à 17 h 30.

Audition de M. David Simonnet, président-directeur général du groupe Axyntis

M. Bruno Belin, président. - Je remercie M. David Simonnet, président-directeur général d'Axyntis, de s'être mobilisé en urgence pour cette audition.

Créé en 2007, le groupe Axyntis est une entreprise de taille intermédiaire composée de deux divisions - les colorants et la chimie fine - et compte près de 400 salariés. C'est l'activité de chimie fine qui nous intéresse plus particulièrement car Axyntis produit des principes actifs sur trois sites : Pithiviers, Grasse et Calais. Au total, l'activité pharmaceutique représente près de la moitié de son chiffre d'affaires, d'environ 90 millions d'euros.

À son échelle, le groupe Axyntis peut donc participer à la défense de la souveraineté industrielle française dans le secteur stratégique de la santé. Il a d'ailleurs bénéficié du soutien de l'Etat au titre de l'aide à la réindustrialisation à travers les programmes d'investissement d'avenir.

Pour autant, faute de repreneur, le site de Calais, qui emploie 120 salariés, a été mis en liquidation judiciaire par le tribunal de commerce d'Orléans. Outre sa dimension sociale évidente, cette situation pose question : pourquoi la pérennité du site n'a-t-elle pas pu être assurée, malgré le soutien financier important que lui ont apporté l'État et les collectivités territoriales ?

Sur le site du groupe, il est mis en avant le fait que : « depuis sa création, le groupe Axyntis a mené une stratégie d'innovation et d'internationalisation. Il est ainsi capable de mettre en oeuvre des projets de R&D et de production de molécules actives pour des applications à forte valeur ajoutée pour des marchés mondiaux ». Vous nous préciserez, M. Simonnet, quels ont été les productions mises sur le marché et les partenariats noués pour mettre en oeuvre ces orientations stratégiques.

Pour en revenir à l'objet de notre commission d'enquête, vous voudrez bien nous indiquer aussi comment votre activité a pu être impactée par les pénuries de matières premières et si celles-ci ont joué un rôle dans la décision de fermer le site de Calais. Vous comprendrez qu'à l'heure où le gouvernement entend mettre en oeuvre une stratégie de souveraineté sanitaire, la fermeture d'un site de production de principes actifs suscite des interrogations. Nous serons également attentifs aux précisions que vous nous apporterez sur l'évolution des livraisons à vos clients de l'industrie pharmaceutique de principes actifs fabriqués par votre groupe : en clair celle-ci a-t-elle eu un impact sur la production de médicaments en aval ?

Je précise que cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera l'objet d'un compte rendu publié.

Avant de vous donner la parole pour un bref propos introductif, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du Code pénal. Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « je le jure ».

M. David Simonnet prête serment.

M. David Simonnet, président-directeur général d'Axyntis - Je vous remercie de m'avoir convoqué devant cette commission d'enquête pour partager une longue expérience de la chimie fine, notamment pharmaceutique. Cette expérience est contrastée : d'une part, j'ai acquis la conviction qu'une réponse industrielle aux pénuries de médicaments est à la fois indispensable et encore possible ; d'autre part, j'ai pu constater que toutes les conditions n'étaient toujours pas réunies pour préserver et développer de façon pérenne les outils industriels nécessaires à une relocalisation de la production des principes actifs, qui ne peut être envisagé que de manière sélective et stratégique.

Huit unités de production ont été reprises par le groupe Axyntis depuis sa création, avec la volonté de réindustrialiser et de développer de nouvelles activités, principalement orientées vers la pharmacie. En fin d'année 2022, j'ai néanmoins dû me résoudre à mettre l'une de ces entités, la société Synthexim (anciennement Calaire Chimie), reprise en 2013, en redressement judiciaire. En l'absence de repreneur, cette société a été mise en liquidation la semaine dernière, avec une poursuite d'activité d'un mois.

Dans ce contexte difficile, en guise de propos liminaire, je partagerai un certain nombre d'éléments de diagnostic quant aux pénuries de médicaments, ainsi qu'un certain nombre de propositions, que j'avais déjà eu l'occasion de formuler devant l'Académie nationale de pharmacie en 2011 et 2013.

La chimie fine n'a pas échappé, en France, à une tendance de fond à la désindustrialisation. Depuis 30 ans, la part de l'industrie dans le PIB de la France a été divisée par deux et représente aujourd'hui la moitié de ce qu'elle est en Allemagne. Il aura fallu un choc comme celui de la Covid pour que tout le monde prenne conscience des conséquences profondes de cette désindustrialisation, se traduisant par une perte de souveraineté dans l'accès à des produits essentiels, parmi lesquels, dans le domaine de la santé, les principes actifs de certains médicaments.

Dans un article intitulé « Le médicament, l'arme blanche de la géopolitique », publié dans la revue Conflits en 2014, j'écrivais : « Il s'agit d'un enjeu géopolitique. Souhaitons-nous abandonner notre indépendance dans la fabrication et donc dans l'accès aux médicaments, notamment en cas de crise sanitaire ? »

Bien avant la crise de la Covid, nous disposions déjà des éléments de diagnostic disponibles. En 2010, une commission d'enquête sénatoriale sur le rôle des firmes pharmaceutiques dans la gestion par le Gouvernement de la grippe A H1N1 pointait déjà « une absence totale de maîtrise des approvisionnements, dont la prévisibilité et la régularité insuffisantes auraient pu, dans une autre situation, avoir des conséquences sérieuses ».

Cette chaîne d'approvisionnement n'a depuis cessé de se fragmenter, sous l'effet, à la fois d'une externalisation des phases de production des principaux laboratoires et d'une délocalisation de cette production vers l'Asie. Cette fragmentation emporte un risque accru de ruptures d'approvisionnement. Plus les maillons sont nombreux, plus la probabilité d'un défaut de l'ensemble de la chaîne est élevée.

Cette fragmentation et cette délocalisation ont également entrainé l'apparition de coûts « cachés », avec des défauts de fabrication résultant de défauts de contrôle, des coûts de transport élevés -avec le bilan carbone, que l'on connaît, des délais de livraison plus importants, des chaînes de production susceptibles d'être contraintes par les autorités locales, etc.

Face à ces constats et à la concurrence déloyale d'une partie des producteurs de Chine ou d'Inde, des séances de travail menées, en 2011 et 2013, sous l'égide de l'Académie nationale de pharmacie, ont abouti à recommander la reconstruction d'une filière en Europe. Les propositions formulées en ce sens sont encore d'actualité, s'agissant notamment de faire mention de l'origine et du lieu de fabrication des matières premières à usage pharmaceutique sur le conditionnement des médicaments ; ou de déterminer une liste de médicaments qu'il serait vital de relocaliser en Europe, pour garantir l'indépendance de nos politiques de santé - la DGE ayant depuis confirmé l'existence d'une liste de médicaments stratégiques, à dimensions industrielle et sanitaire.

Face à un déficit de compétitivité, il conviendrait également de prendre en compte, dans le prix des médicaments, les contraintes règlementaires légitimes de leurs producteurs et de leurs sous-traitants. Cette demande a été portée quasi unanimement par les acteurs auditionnés par votre commission. L'objectif serait de faire en sorte que le poids de ces contraintes règlementaires soit partagé équitablement entre les laboratoires et les industriels en amont.

Avant la crise de la Covid, les industriels français, dont Axyntis, ont financé eux-mêmes le maintien en conditions industrielles de leur production, le cas échéant accompagnés par quelques laboratoires responsables et quelques écosystèmes régionaux. Cependant, pour certains, ces coûts ne sont aujourd'hui plus supportables. Tel est le cas sur notre site de Calais.

Dans ce contexte, les perspectives de relocalisation en France apparaissent limitées. Cette relocalisation n'est pas encore engagée massivement et ne pourra être que sélective, sur de petites séries. Compte tenu de l'inertie d'un secteur emportant des enjeux de recherche, d'industrialisation et règlementaires, elle ne devrait de surcroît produire des effets positifs qu'à partir de 2025-2026 - le délai de mise en oeuvre d'une production pharmaceutique pouvant être important et ne pas être compatible avec la gestion d'une crise.

Les industriels sont également confrontés à une injonction contradictoire lorsqu'il leur est demandé de faire fonctionner de façon compétitive des sites industriels en France tout en conservant des capacités disponibles pour faire face à d'éventuelles crises. En pratique, le fait de conserver des capacités disponibles à un coût. Ce coût est assumé dans le domaine de la défense. Il s'agit aussi d'un sujet dans le domaine de la santé.

Depuis 2020, le plan France Relance et l'appel à manifestation d'intérêt (AMI) Capacity Building ont marqué une inflexion. Cependant, un certain nombre de contraintes nécessiteraient encore d'être levées. Au-delà des propositions déjà citées, je souhaiterais attirer votre attention sur la persistance, en France, d'impôts sur la production disproportionnés, ainsi que d'une surrèglementation et d'un surcontrôle. Depuis 2021, nous avons dû faire face à un quadruplement du coût énergétique de nos approvisionnements.

Face à des concurrents n'étant pas soumis aux mêmes normes, ces contraintes nuisent à la compétitivité de notre industrie. Les normes sont sources de progrès pour nos concitoyens et pour les industriels que nous sommes. Cependant, il n'est pas acceptable que les importations en provenance de pays ne les respectant pas ne soient pas davantage contrôlées et taxées. On observe à cet endroit une forme de « dévaluation normative ».

La mise en oeuvre de ces solutions et la levée de ces contraintes sont appelées à s'inscrire dans le temps long. Cette démarche nécessitera une cohérence des pouvoirs publics, entre eux et vis-à-vis des grands donneurs d'ordres du secteur, s'agissant de reconnaitre le caractère stratégique de la dimension industrielle du médicament - dimension industrielle illustrée par la production des principes actifs.

Mme Laurence Cohen, rapporteure. - Dans un contexte de pénurie de médicaments, alors que vous êtes l'un des quatre principaux fabricants de principes actifs en France, vous êtes amené à fermer une usine à Calais faute de repreneur. Quelles sont les raisons de cette fermeture, qui porte un coup à la souveraineté française dans le domaine du médicament et dont les conséquences sociales devraient être importantes, avec la suppression de 120 emplois, sur un site à l'activité chimique très ancienne et aux capacités de production non négligeables ?

Alors que le Gouvernement encourage, à juste titre, la relocalisation et que la création d'une nouvelle production en France de paracétamol a été annoncée par Seqens, de quelles aides avez-vous pu ou non bénéficier de la part de l'État ?

Par ailleurs, l'ETI que vous avez bâtie en une décennie compte aujourd'hui 450 salariés, répartis sur plusieurs sites. Avec 120 emplois en moins, attendez-vous une chute de votre productivité ?

Enfin, vous produisez des principes actifs en France, sur un marché dont 80 % de la production est réalisée en Chine ou en Inde. Êtes-vous soumis à des exigences environnementales et sociales plus importantes ? À cet égard, la fermeture d'une usine entrainant des licenciements pose également question.

M. David Simonnet. - Le site de Calais a été repris par Axyntis en 2013. Il était auparavant propriété du groupe Tessenderlo, dont l'État français était actionnaire. Fin 2012, ce site était en sous-activité, après avoir perdu une activité d'intermédiaire pour le groupe GSK. Ce site a d'abord été cédé à un fonds luxembourgeois et placé en liquidation. Le groupe Axyntis, déjà présent à Calais, a alors été le seul à déposer une offre de reprise. Le contexte était alors très différent. Le site, qui comptait 200 salariés, était en forte sous-activité et perdait près de 10 millions d'euros par an. Nous y avons déployé une stratégie sur plusieurs années, pour redonner à cette usine une vocation pharmaceutique et utiliser ses capacités pour des productions à forts volumes. Cependant, aujourd'hui, force est de constater qu'il n'est guère possible de relocaliser en France des productions de molécules à très forts volumes, en raison d'une moindre compétitivité que dans la zone Asie. Cette relocalisation n'est envisageable que pour de petites séries à très forte valeur ajoutée. La stratégie que nous avons mise en oeuvre est donc un échec.

Mme Émilienne Poumirol. - Pourriez-vous nous donner des exemples de molécules à très forts volumes ?

M. David Simmonet. - Les principes actifs génériques, tels que le paracétamol, sont des molécules à très forts volumes, dont le prix de vente demeure faible. Les principes actifs nécessitant une chimie fine pour des médicaments innovants ont quant à eux un prix de vente plus élevé, justifiant un différentiel de compétitivité.

Nous étions déjà présents industriellement à Calais. Nous avons transféré l'activité de la petite usine que nous exploitions vers le site de Calaire Chimie, pour résorber une partie de sa sous-activité. Nous avons cependant dû faire face à un certain nombre d'aléas. La crise des migrants a d'abord eu un impact sur le fret ferroviaire, sur lequel la logistique du site reposait. L'incinérateur de l'usine, qui assurait des prestations pour compte de tiers, a ensuite dû affronter la concurrence d'un opérateur belge implanté à Dunkerque.

Après avoir fait constater ces difficultés, nous avons bénéficié d'un financement de la Région à hauteur de 0,8 million d'euros et d'une aide à la réindustrialisation du ministère de l'économie d'un million d'euros.

Nous avons ensuite commencé à transférer vers Calais des productions d'autres usines du groupe aux capacités saturées. Néanmoins, la sous-activité de l'usine de Calais a perduré et le site a continué d'accumuler des pertes. De novembre 2013 à novembre 2022, le groupe a financé ce projet, en moyens humains et en investissements, à hauteur de 26 millions d'euros. Nous avons ainsi maintenu ce site en conditions industrielles, en anticipant des volumes plus importants. Cependant, ces volumes n'ont pu être développés - deux projets de R&D que nous avions en portefeuille, pour deux laboratoires français, ayant été abandonnés en 2022, du fait de résultats cliniques insuffisants.

Dans ce contexte, pour protéger le groupe Axyntis et permettre à l'usine de Calais de trouver un repreneur, nous avons dû nous résoudre à mettre celle-ci en redressement. Malgré les actions entreprises et les visites du site organisées, aucune offre de reprise n'a ensuite été confirmée, ce que je ne peux que regretter.

Sur le plan sanitaire, cette fermeture est appelée à mettre en tension l'approvisionnement de l'un de nos clients. Toutefois, le marché de ce produit n'est pas en tension. Il s'agit d'un produit générique, offrant des alternatives. Il n'y a donc pas de risque de pénurie pour les patients. Nous sommes en lien avec l'ANSM autour de ces sujets. Aucun autre risque sanitaire n'a été identifié - l'activité pharmaceutique du site de Calais ne représentant aujourd'hui pas plus de 25 % de son chiffre d'affaires.

Sur le plan social, nous nous efforcerons d'accompagner de la meilleure des façons les salariés du site de Calais, comptant plus d'une centaine de contrat à durée déterminée (CDI). Nous avons mené des négociations avec leurs représentants, pour maintenir la production du site et assurer sa mise en sécurité avant son arrêt définitif. Le groupe engagera pour cela des moyens supplémentaires. Nous disposons par ailleurs, sur les autres usines du groupe, de plus de 30 postes à pourvoir, ce qui devrait permettre des reclassements, avec des mesures d'accompagnement et de mobilité.

Les unités industrielles majoritairement pharmaceutiques s'inscrivent aujourd'hui dans une logique de relocalisation sélective. Elles ont donc besoin de salariés qualifiés, ce que sont les salariés de l'usine de Calais. Ces derniers connaissent les enjeux de qualité et de sécurité liés à l'exploitation d'un site SEVESO. La priorité du groupe sera donc de les accompagner, par des reclassements en interne, voire au travers de partenariats avec d'autres industriels.

Mme Laurence Cohen, rapporteure. - En 2021, vous avez engagé un programme de recherche pour relocaliser en France la production de principes actifs, pour des médicaments utilisés en réanimation et en anesthésie notamment, dans un contexte d'explosion de la demande pour ces produits. Ce programme a représenté un investissement de six millions d'euros, cofinancé par l'Etat à hauteur de 60 %. Vous avez également été lauréat de l'AMI Capacity Building pour les principes actifs. Au regard de cette dynamique et dans un contexte de pénurie touchant de plus en plus de molécules, la décision de fermer votre site de production de Calais apparait paradoxale. Quels étaient les principes actifs produits par cette usine, dont vous avez indiqué qu'ils représentaient 25 % de son chiffre d'affaires ?

Vous avez par ailleurs bénéficié, pour votre site de Calais, d'aides de la Région et du ministère de l'économie. Dès lors que vous avez pris la décision de fermer ce site, avez-vous prévu un plan de remboursement de ces aides publiques ?

M. David Simonnet. - Les sites et les filiales du groupe Axyntis recouvrent aujourd'hui plusieurs réalités économiques et industrielles. Certains sites ont été repris à la création du groupe en 2007. L'usine de Calaire Chimie a quant à elle été reprise en 2013, de même qu'une unité de chromatographie ayant appartenu au groupe Sanofi. Nous avons également repris une usine du groupe 3M à Pithiviers en 2016. Dans le contexte de désindustrialisation de l'époque, nous avons repris ces unités pour utiliser leurs capacités industrielles. Bien avant la crise actuelle, nous avions pris la mesure du besoin de ces capacités industrielles. Nous les avons ensuite maintenues, pendant plus de dix ans. Si nous ne l'avions pas fait, ces capacités industrielles auraient disparues.

Le site de Calais, était déjà en grande difficulté au moment de sa reprise - il s'agit, de fait, du seul site que nous ayons repris dans ces conditions. Notre stratégie a cependant été un échec, pour les raisons que j'ai évoquées. En tant que dirigeant, j'assume cet échec. Aujourd'hui, la réalité est que cette usine, destinée à produire de forts volumes, n'est pas viable face à la concurrence asiatique.

Nous avons effectivement répondu à l'AMI Capacity Building pour huit molécules, dont l'adrénaline et la noradrénaline. Toutefois, ces productions ne représentent que de faibles volumes. Elles seront réalisées sur notre site de Pithiviers, doté de capacités de recherche et de capacités industrielles adaptées (suite à la reprise du site voisin de 3M). C'est précisément ce que j'ai appelé la relocalisation sélective, s'opérant sur de petites séries, pour des produits à forte valeur ajoutée.

Ces produits n'auraient pas pu remplir les capacités industrielles de Calais. Si nous avions identifié des productions susceptibles d'utiliser les capacités industrielles du site de Calais, nous l'aurions fait. Aujourd'hui, cette usine, dont moins de 25 % du chiffre d'affaires se destine à l'industrie pharmaceutique, ne répond pas aux besoins du marché pharmaceutique tel qu'il existe en Europe.

Ceci révèle que la relocalisation est aujourd'hui possible pour certaines productions. Elle est cependant illusoire pour les très grandes séries, qui ont d'ailleurs été les premières à être délocalisées. A cet égard, la production de paracétamol que vous avez évoquée est un contre-exemple, à la valeur symbolique forte.

Pour ce qui est des aides perçues dans le cadre de cet AMI, elles prennent la forme de prêts, qui devront être remboursés. Ces projets, appelés à s'inscrire dans le temps, continueront pour cela de faire l'objet d'un suivi régulier par la DGE et la BPIFrance.

Dans une industrie à l'inertie très forte, nécessitant des phases de R&D et d'industrialisation, de tels projets prennent généralement trois à cinq ans. Il en sera de même pour la production de paracétamol que vous avez évoquée.

Mme Émilienne Poumirol. - Pourquoi n'avez-vous pas pu utiliser les capacités de l'usine de Calais ? L'outil était-il trop vétuste ou inadapté ?

M. David Simonnet. - La production de principes actifs doit s'adapter aux volumes dont l'industrie pharmaceutique a besoin. L'usine de Calais a une valeur technique. Nous en avons proposé les capacités, y compris à des donneurs d'ordres internationaux. Cependant, pour des volumes de plusieurs dizaines de m3, la compétitivité de ce site est aujourd'hui insuffisante pour répondre aux demandes de l'industrie pharmaceutique.

Nous avons repris ce site qui avait été cédé et mis en liquidation après avoir perdu sa production de lamotrigine pour le compte de GSK, qui représentait quasiment la moitié de son chiffre d'affaires. Nous avons ensuite travaillé avec les salariés et les équipes commerciales pour repositionner cette usine. Cependant, nous ne sommes pas parvenus à retrouver d'importants volumes.

Dans le cadre de sa récente mise en redressement judiciaire, cette usine a été visitée par un certain nombre de concurrents et de clients. Je crains cependant que ceux-ci aient fait le même constat quant aux perspectives de relocalisation en France de productions à forts volumes.

La relocalisation, ayant vocation à constituer une réponse à la pénurie de médicaments, ne peut aujourd'hui être envisagée que de façon sélective, sur des capacités démontrant un minimum de compétitivité.

Mme Laurence Cohen, rapporteure. - Vous dites que le paracétamol est un contre-exemple. Nous avons également été amenés à visiter le site d'Euroapi, dont les équipes travaillent 24 heures sur 24. Nous avons donc du mal à comprendre votre modèle. L'usine de Calais n'est pas uniquement destinée à l'industrie chimique pharmaceutique. Cependant, tel était votre objectif en 2013, au regard de votre activité. Indépendamment des aléas extérieurs que vous avez évoqués, quel est le modèle économique que vous avez mis en oeuvre pour relancer tout ou partie de cette usine ? Comment en est-on arrivé à la fermeture de ce site, alors que l'on cherche à relocaliser la production de principes actifs en France ? Vous avez bénéficié d'aides et vous êtes reconnus pour vos principes actifs. Pourquoi votre stratégie n'a donc pas fonctionné ?

M. David Simonnet. - Nous n'avons pas pris cette décision à la légère. De fait, l'usine de Calais conserve aujourd'hui une activité pharmaceutique limitée. On observe, depuis 2020, une demande pour ce type d'industries, avec des plans de relance et de relocalisation. Cependant, cette prise de conscience, de la part des donneurs d'ordres et des pouvoirs publics, est très récente. L'État ne se soucie réellement du maintien de ces capacités industrielles que depuis la crise de la Covid. Auparavant, le diagnostic était déjà connu, mais n'avait pas été rendu public. Les patients-citoyens ont désormais conscience d'un risque de perte d'accès à certains traitements et exercent une pression sur les responsables politiques. Les laboratoires, quant à eux, voient aujourd'hui dans la relocalisation une solution durable, face à des coûts cachés qu'ils n'imaginaient pas lorsqu'ils ont commencé à délocaliser.

Telle était notre motivation pour reprendre le site de Calais en 2013. Pendant huit ou neuf ans, avant cette prise de conscience chez les grands donneurs d'ordres et les pouvoirs publics, nous avons financé la sous-activité de cette usine. Nous avons tenté de trouver des solutions et nous avons échoué car le contexte n'était pas favorable. En dépit d'aléas extérieurs, nous n'avons pas baissé les bras. En tant qu'acteur privé, nous sommes cependant arrivés au bout de cette logique, avec une perte de 26 millions d'euros et une usine conservant un profil insuffisamment pharmaceutique.

La fermeture de cette usine soulève effectivement une contradiction avec la tendance esquissée depuis deux ou trois ans. Nous n'avions cependant plus les moyens de financer les pertes et le maintien en conditions industrielles de cette usine. Nous aurions souhaité qu'un repreneur se positionne. Cependant, tel n'a pas été le cas.

Effectivement, cette industrie aurait mérité une approche différente. On découvre aujourd'hui que le médicament n'est pas un produit comme les autres, après l'avoir livré aux forces de la mondialisation et de la financiarisation. Lorsque j'ai proposé, il y a 10 ans, le marquage de l'origine des principes actifs sur le conditionnement des médicaments, les pharmaciens m'ont fait observer que cela risquait d'aggraver les pénuries - les patients -citoyens étant enclins à privilégier les produits dont ils identifient les enjeux et provenant d'un environnement géopolitique sur lequel ils exercent un contrôle.

Quoi qu'il en soit, nous accompagnerons les collaborateurs de l'usine de Calais, le cas échéant par des reclassements en interne ou des accompagnements à la mobilité - les autres usines du groupe n'étant pas dans la même situation, avec des capacités de R&D pour de petites fabrications correspondant mieux aux perspectives de relocalisation.

Mme Laurence Cohen, rapporteure. - Quelles sont aujourd'hui les productions de vos usines de Pithiviers et de Grasse ?

M. David Simonnet. - Nous produisons aujourd'hui une trentaine de principes actifs, pour moitié génériques (avec les certificats de conformité à la pharmacopée européenne associés) et pour moitié destinés à des médicaments innovants (bénéficiant déjà d'une AMM ou en phase de R&D). Nos usines ont ainsi une activité majoritairement tournée vers l'industrie pharmaceutique.

Pour ce qui est des perspectives de relocalisation, il convient de souligner que les productions délocalisées en Asie ne reviendront pas physiquement. Il faudrait pour cela construire 10 fois plus d'usines en Europe, alors que l'acceptabilité sociétale des usines de chimie, classée site SEVESO demeure très faible. À cet endroit, en étant placés sous de multiples tutelles (du ministère de l'économie, du ministère de la santé, de l'ANSM, du ministère de l'environnement, etc.), nous sommes confrontés à des injonctions contradictoires. La relocalisation devra donc s'appuyer sur les acteurs déjà en place. Il s'agira d'investir dans des capacités déjà reconnues pour répondre aux demandes.

En parallèle, il nous faudra aussi travailler à une relocalisation « mentale », auprès des acheteurs des laboratoires pharmaceutiques - pour les amener à considérer davantage les coûts cachés liés à la délocalisation, les enjeux liés à la constitution de stocks de sécurité (en rupture avec une gestion en flux tendus) et les vertus du local et de la proximité - mais aussi auprès des pouvoirs publics (y compris au regard de l'importance de l'industrie pour l'emploi local, direct ou indirect, et les écosystèmes locaux). Aujourd'hui, on constate que les représentants de l'Etat ont encore, en fonction des territoires, une appréciation différente de ces enjeux de réindustrialisation.

Mme Laurence Cohen, rapporteure. - Êtes-vous soumis à une obligation de constituer des stocks ? Le cas échéant, quels sont aujourd'hui vos niveaux de stocks ?

M. David Simonnet. - L'enjeu est de pouvoir conserver des capacités disponibles pour répondre aux variations de la demande, en cas de pandémie notamment. La question est toutefois de savoir qui finance ces capacités disponibles. Il s'agit pour les industriels d'un véritable dilemme économique, car, pour être compétitives, leurs usines doivent souvent fonctionner en permanence.

Quoi qu'il en soit, nos clients constituent, à nouveau et de plus en plus, des stocks de sécurité. Ils nous demandent donc de constituer des stocks de matières premières. Il nous faut toutefois tenir compte de la péremption des produits. En général, les stocks constitués visent à garantir 6 à 12 mois de production.

Dans les relations avec nos clients, on constate chez ceux-ci une volonté croissante de nous aider à constituer et à financer des stocks de sécurité sur les matières premières, intermédiaires ou principes actifs, voire à développer des capacités complémentaires, ce que nous faisons sur les sites de Grasse ou de Pithiviers.

Mme Émilienne Poumirol. - Vous avez indiqué être allé au bout de votre logique d'acteur privé, s'agissant de maintenir en conditions industrielles le site de Calais. Aurait-il été judicieux que la puissance publique, qu'il s'agisse de l'Etat ou de la région, décide de maintenir ces capacités, dans l'attente d'un éventuel projet de reprise ?

M. David Simonnet. - Cette logique de maintien en conditions industrielles existe dans d'autres domaines stratégiques tels que la défense. Du reste, il aurait fallu pour cela reconnaitre le caractère stratégique de l'industrie du médicament il y a bien longtemps. Je vous livre à ce sujet une réflexion très personnelle, sans doute illusoire au regard des doctrines d'intervention de l'Etat. On constate des inflexions, vis-à-vis du droit de la concurrence notamment. On commence à prendre en compte la dévaluation normative que j'évoquais précédemment. Les normes, qui s'inscrivent dans une logique irréfutable de progrès, génèrent des surcoûts et réduisent la compétitivité des acteurs locaux, ce qui conduit à des importations, qui elles-mêmes dévalorisent les normes établies. Cette logique économique semble être remise en question. Il ne m'appartient cependant pas de dire si le rôle d'une région ou de l'État devrait être d'intervenir très directement sur des capacités industrielles.

Cela étant, pour le patient-citoyen, l'accès aux médicaments me semble être aussi important que l'accès à l'énergie ou à des moyens de défense. Il existe donc des outils dans le domaine de la défense dont nous pourrions nous inspirer.

Mme Émilienne Poumirol. - Merci pour la sincérité de vos réponses. Nous vous transmettrons éventuellement des questions complémentaires.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 heures 35