Lundi 15 mai 2023

- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -

La réunion est ouverte à 15 heures.

Isolation - Audition

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous poursuivons nos travaux aujourd'hui par une table ronde sur l'isolation des bâtiments, en recevant les représentants de cinq organisations professionnelles regroupant des acteurs de l'isolation thermique des bâtiments.

Le syndicat national des fabricants d'isolants en laines minérales manufacturées (Filmm), représenté par sa présidente, Mme Élisabeth Bardet, rassemble les industriels français fabricants de laine de verre et de roche.

Le collectif « Isolons la Terre contre le CO2 », représenté par son porte-parole, M. Olivier Servant, regroupe des entreprises fournisseurs de solutions destinées à réduire la consommation d'énergie dans le bâtiment.

L'association Promotoit, représentée par son président M. André Dot, réunit sept entreprises industrielles spécialisées dans la fabrication de matériaux de construction pour la toiture.

L'association du Mur Manteau, représentée par son président M. Philippe Boussemart, regroupe les industriels de l'isolation thermique par l'extérieur.

Enfin, l'association française des industries de matériaux et composants pour la construction (AIMCC), représentée par M. Jean-Christophe Barbant, directeur des affaires publiques, regroupe les syndicats et fédérations qui représentent les industriels fabricants de produits entrant dans la construction.

Vous représentez, à vous cinq, l'industrie de l'isolation, acteur indispensable de la rénovation énergétique des bâtiments. Il nous a naturellement semblé nécessaire, dans le cadre de nos travaux, d'associer les acteurs de la filière.

Alors que l'objectif de notre commission d'enquête est de comprendre les freins à l'efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique, cette table ronde vise notamment à identifier de potentiels blocages dans l'offre de rénovation. La filière de l'isolation des bâtiments est-elle en mesure de répondre aux demandes de rénovation énergétique ? Si ce n'est pas le cas, comment l'expliquez-vous ? S'agit-il par exemple d'une pénurie de matériaux, d'un manque de qualification ou des deux ?

Surtout, alors que l'Europe, à travers une nouvelle directive sur la performance énergétique des bâtiments, semble vouloir accélérer la décarbonation à l'horizon 2030 et que, de fait, MaPrimeRénov' a essentiellement financé des changements de mode de chauffage, la décarbonation ne risque-t-elle pas de prendre le pas sur les objectifs de sobriété et d'isolation ? Même si la rénovation globale d'un logement reste l'idéal, beaucoup s'interrogent aujourd'hui sur sa faisabilité, sur la capacité de la filière à faire face à une hausse brutale de la demande et de la collectivité et des particuliers à les financer.

Plusieurs s'interrogent également sur la pérennité des matériaux employés. Lors d'auditions précédentes, certains ont évoqué 20 à 25 ans de durée de vie, ce qui voudrait dire que l'isolation réalisée aujourd'hui serait à refaire en 2050. Est-ce exact ?

De plus, alors que le confort d'été n'est, selon nous, pas assez pris en compte, certains matériaux d'isolation ne sont-ils pas mal adaptés à l'évolution climatique qui nécessitera de se protéger autant du froid que des vagues de chaleur ?

Enfin, le but de la rénovation énergétique étant tout autant de protéger le pouvoir d'achat que la planète, les matériaux d'isolation peuvent-ils eux-mêmes relever le défi de leur neutralité carbone, de la recyclabilité ou du réemploi ?

Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions et pour un propos introductif, je vous indique que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat, et qu'elle fera l'objet d'un compte rendu publié.

Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende.

Je vous invite donc, l'un après l'autre à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Jean-Christophe Barbant, Philippe Boussemart, André Dot, Mme Élisabeth Bardet et M. Olivier Servant prêtent serment.

Mme Élisabeth Bardet, présidente du syndicat national des fabricants d'isolants en laines minérales manufacturées (Filmm). - Je vous remercie pour votre invitation. Le Filmm représente cinq entreprises adhérentes : les sociétés Eurocoustic, Knauf Insulation, Isover, Rockwool et Ursa, soit plus de 90 % de la laine minérale vendue en France, et huit sites de production dans notre pays pour environ 3 000 emplois directs répartis sur l'ensemble du territoire. Au cours des quatre dernières années, près de 400 millions d'euros d'investissements productifs ont été engagés par des industriels ; d'autres sont en cours. Nous estimons que les ventes d'isolants en laine de verre et en laine de roche permettent d'isoler chaque année environ un million de maisons ; 98 % de ces isolants sont produits localement.

Les laines minérales sont une filière d'avenir au coeur du quotidien des Français. Ce sont les isolants les plus utilisés en raison de leurs performances thermiques, acoustiques, de protection contre le feu et de leur coût optimisé. L'isolation de la maison en laine minérale est une solution économique et écologique. C'est une industrie motrice des territoires, qui recrute et forme. La filière offre des emplois qualifiés non délocalisables. Notre industrie fait appel à de nombreux savoir-faire et irrigue l'ensemble du secteur de la construction.

Enfin, c'est une industrie engagée dans le développement durable, la décarbonation de ses activités, l'optimisation environnementale, en particulier grâce à l'électrification de ses procédés de fabrication, à la récupération de la chaleur fatale et à l'intégration de 50 à 80 % de contenus recyclés dans les isolants.

Nous saluons la prise de conscience politique sur la question de la rénovation énergétique. L'isolation des bâtiments est l'un des leviers principaux de sobriété énergétique. La rénovation de l'ensemble du parc au niveau équivalent Bâtiment basse consommation (BBC) à l'horizon 2050 dégagerait entre 400 et 500 térawattheures d'économies d'énergie par an, soit environ 1,2 fois la production nucléaire annuelle.

Les défis sont immenses : six millions de ménages sont en précarité énergétique, 700 000 rénovations globales et performantes par an doivent être conduites entre 2030 et 2050.

Pourtant, malgré des objectifs ambitieux et des avancées réglementaires, la rénovation du parc n'avance qu'à petits pas. Nous pensons que la rénovation énergétique globale et par étapes doit être une priorité nationale, car elle permet la réduction des consommations et des factures énergétiques et la décarbonation.

Notre filière est prête à accompagner la massification de la rénovation thermique globale. Nous appelons au renforcement et au rééquilibrage des dispositifs d'incitation à l'isolation, pour réduire efficacement la consommation d'énergie.

Le dispositif des certificats d'économies d'énergie (C2E) est le premier levier de financement, décidé par l'État et assumé financièrement par les obligés. Il faut augmenter l'enveloppe et la valeur des C2E isolation précarité ; il faut rééquilibrer le marché en faveur de l'isolation, car il est aujourd'hui concentré sur le changement des équipements ; enfin, il faut établir un corridor de prix pour stabiliser le dispositif sur le temps long.

Le dispositif MaPrimeRénov' est également clé. L'augmentation des aides en avril 2022 pour le changement des systèmes de chauffage - le remplacement des chaudières au gaz et au fioul - ne suffit pas. Un bâtiment mal isolé reste une passoire thermique. L'efficacité de la lutte contre ces passoires commence par un rééquilibrage des aides : les gestes d'isolation ne représentaient en effet que 21 % des aides publiques en 2022, alors qu'ils constituent quatre des six types de travaux à réaliser dans le cadre d'une rénovation performante. Alors que les objectifs de rénovation énergétique sont constamment réaffirmés, la filière appelle le Gouvernement à prendre urgemment les mesures correctives nécessaires et à stabiliser le dispositif pour tenir les ambitions. Les critères d'éligibilité des aides à la rénovation doivent être alignés et simplifiés pour améliorer leur efficacité, leur lisibilité et l'accessibilité des travaux de rénovation pour les particuliers.

Nous appelons par ailleurs à adopter une vision et une action d'ensemble, plutôt que d'opposer les matériaux - en l'occurrence les isolants. Le basculement vers le tout-biosourcé est un pari risqué à l'heure où cette industrie ne dispose pas d'outils productifs suffisants pour répondre à la demande. La politique doit s'appuyer sur deux jambes complémentaires : les isolants minéraux et les biosourcés. À ce titre, les laines minérales sont les alliés naturels de la construction bois en raison de la protection qu'elles confèrent en matière de risque incendie et d'isolation thermique et acoustique.

Les entreprises de la filière minérale investissent massivement et régulièrement ; ces lourds investissements nécessitent visibilité et stabilité. Face à la concurrence européenne, l'enjeu est de maintenir la capacité à s'approvisionner en matériaux made in France performants et accessibles à tous les portefeuilles.

La filière appelle donc à garantir des conditions de concurrence équitables entre matériaux, fondées sur une approche performancielle et scientifiquement valide, et non sur des choix de matériaux a priori.

À l'heure où les objectifs climatiques vont être renforcés aux échelons national et européen, la mixité des produits de construction est une mesure de bon sens s'inscrivant dans une double logique économique et écologique.

M. Jean-Christophe Barbant, directeur des affaires publiques de l'association française des industries de matériaux et composants pour la construction (AIMCC). - Outre mes fonctions pour l'AIMCC, qui regroupe l'ensemble des fabricants de produits et équipements de construction, je suis délégué permanent du comité stratégique de filière industries pour la construction (CSF IPC) et, si vous me le permettez, j'interviendrai aussi à ce titre.

L'AIMCC regroupe toutes les organisations de producteurs de matériaux de construction : 7 000 entreprises de plus de 20 salariés, 450 000 collaborateurs et 45 milliards d'euros de chiffre d'affaires sur le marché français, sur tous les matériaux intervenants dans la construction : acier, bois, ciment, verre, terre cuite, plastiques, peintures et chimie du bâtiment, isolants minéraux et biosourcés, produits d'étanchéité, produits et équipements électriques, équipements de chauffage et de climatisation, ventilation.

L'AIMCC et le CSF IPC mènent des actions collectives, complémentaires des actions individuelles menées par les entreprises, sur les grandes priorités de la transition écologique de la filière : la décarbonation des procédés de fabrication, des produits et des ouvrages, le développement de l'économie circulaire - recyclage, réemploi en particulier - et la rénovation énergétique performante des bâtiments où les industriels peuvent jouer un rôle clé, en collaboration avec les autres acteurs de la filière que sont les distributeurs, les entreprises de construction et les maîtres d'oeuvre et maîtres d'ouvrage.

Ce rôle clé en rénovation énergétique, ils le jouent en tant que fabricants de produits d'isolation, mais aussi de ventilation, de chauffage et climatisation, et d'instruments de contrôle de ces équipements. Les industriels innovent en permanence pour accroître la performance de ces produits, tout en minimisant leur impact environnemental : les caractéristiques environnementales et sanitaires de ces produits et leurs performances techniques - mécaniques, d'isolation, de durabilité - sont consignées dans des fiches de déclaration environnementale : FDES pour les produits et PEP pour les équipements. Ces fiches sont mises à disposition des acteurs de la construction à travers la base Inies, ce qui leur permet d'optimiser leur ouvrage d'un point de vue technique et environnemental, qu'il soit de construction neuve ou de rénovation.

Deux constats s'imposent aujourd'hui à propos de la rénovation énergétique.

D'abord, même si les innovations sont permanentes, notamment en matière de décarbonation, les solutions techniques existent pour rénover de façon performante toutes les catégories de bâtiments et les capacités de production sont là pour servir les objectifs quantitatifs de la France en la matière.

Ensuite, les industriels, comme l'a souligné Mme Bardet, et les professionnels de la construction demandent que leurs produits soient appréciés objectivement sur la base de leurs performances techniques et environnementales, vérifiées et communiquées régulièrement sur la base Inies. Cette approche performancielle permet au marché de choisir librement entre les produits sans discrimination, en tenant également compte de critères économiques comme le coût et la disponibilité.

La question majeure en matière de rénovation est aujourd'hui la massification, pour tendre vers l'objectif de 500 000 rénovations par an jusqu'en 2050. Nous en sommes loin.

Les enjeux de cette massification sont multiples. Il y a d'abord la réduction massive des émissions de gaz à effet de serre, mais aussi celle des besoins en capacité de production d'énergie électrique : la rénovation de 10 % du parc permettrait d'économiser sept nouvelles tranches nucléaires.

Il y a également des enjeux sanitaires, à travers l'amélioration de la qualité de l'air intérieur et des conditions de travail dans les bâtiments, des enjeux sociaux, et des enjeux économiques avec la création d'activité et d'emplois dans la rénovation qui compenseraient la baisse à long terme de la construction neuve ; d'emplois, également, dans nos industries puisque les produits de la construction, se transportant mal, sont en grande majorité fabriqués dans notre pays pour servir le marché français.

Dans ce contexte, plusieurs points clés doivent être pris en compte dans les politiques publiques de rénovation pour relever le défi de la massification.

Le premier, qui a déjà été développé, est de cibler les rénovations globales et performantes.

Le deuxième, très important, est un accompagnement plus efficace des maîtres d'ouvrage, privés ou collectivités territoriales, de logements ou de bâtiments tertiaires, dans l'acte de rénovation. Cela exige des diagnostics fiables, mais aussi des exécutions professionnelles. L'acte de rénovation est encore trop souvent vécu comme une punition par le maître d'ouvrage, ce qui n'est pas sain ; il est source d'incertitudes, voire d'anxiété, ce qui conduit souvent à reporter la décision de rénover. Il faut donc rassurer les maîtres d'ouvrage, leur apporter l'appui nécessaire dans les diagnostics, la réalisation des plans, le choix des prestataires et l'obtention des financements.

Je ne reviendrai pas sur le défi financier, qui a déjà été exposé.

Le quatrième défi est l'accroissement de l'offre professionnelle de rénovation, en commençant par les capacités de diagnostic et d'audit, mais aussi de réalisation des travaux avec des entreprises ou groupements d'entreprises en mesure de gérer efficacement les interfaces entre les différents lots de la rénovation ; avec une main-d'oeuvre qualifiée renforcée par de nouvelles formations mises en place dans les territoires, notamment au profit des jeunes qui sont en général enthousiastes pour mettre en oeuvre des travaux de rénovation utiles à la société.

Le dernier défi est une implication plus forte des collectivités territoriales dans le projet de rénovation énergétique de notre pays, à commencer par les régions. Celles-ci interviennent en tant que maîtres d'ouvrage de certains bâtiments publics, mais aussi comme accompagnateurs d'autres maîtres d'ouvrage dans les territoires, avec une véritable ingénierie de rénovation adaptée aux terrains et aux typologies de bâtiments, pour apporter des financements complémentaires, et pour développer des formations adaptées aux besoins croissants de compétences en la matière. Les départements sont eux aussi concernés en tant que maîtres d'ouvrage, ainsi que les communes et intercommunalités, organisées pour porter et mettre en oeuvre opérationnellement des projets ambitieux de rénovation énergétique.

Cette implication forte des collectivités territoriales est le sens du projet Rénobati porté par le CSF IPC, aujourd'hui soumis à l'appréciation de l'État et très prochainement de Régions de France. Rénobati suggère une approche territoriale via des projets pilotes concernant le bâti public et privé et portés par les intercommunalités. Dans ce projet, les régions ont vocation à réunir et à structurer, avec le CSF IPC, l'ensemble des acteurs de la filière régionale de rénovation, et à lancer en accord avec l'État des appels à manifestation d'intérêt pour appuyer les intercommunalités dans le montage de leurs projets.

À leurs côtés, les acteurs de la filière, et notamment les industriels présents régionalement, peuvent apporter leur expertise et leurs solutions en matière de rénovation et de décarbonation du bâtiment.

Ce projet est en cours de finalisation avec les équipes de l'État, en particulier le Secrétariat général pour l'investissement (SGPI), et avec certaines régions.

M. Philippe Boussemart, président de l'association du Mur Manteau. - Je vous remercie de votre invitation. Le groupement du Mur Manteau est une association regroupant les industriels de l'isolation thermique par l'extérieur, dont la mission est de contribuer, via la rénovation, à la réussite de la transition énergétique de notre pays. Elle compte trente membres représentant 95 % du marché - grands groupes, TPE, PME, ETI, implantés localement dans les territoires, avec des emplois non délocalisables, et engagés dans la décarbonation de leurs process de production.

Un système d'isolation thermique par l'extérieur consiste en un isolant posé sur la structure d'un bâtiment, recouvert de composants et d'une décoration esthétique qui permet en quelque sorte de raconter une histoire de façade.

L'isolation par l'extérieur apporte aux occupants du confort d'été, comme l'a souligné la présidente à juste titre, et du confort d'hiver : il est fondamental pour nos concitoyens d'habiter des logements décents, dans de bonnes conditions sanitaires.

Le deuxième point est relatif à la sobriété énergétique, laquelle est cruciale, car elle conduit à la souveraineté énergétique. Elle génère une réduction des dépenses pour les occupants, qu'ils soient maîtres d'ouvrage publics ou privés, augmentant ainsi leur pouvoir d'achat ; parallèlement, elle entraîne une diminution des émissions de gaz à effet de serre et de CO2 et apporte des bénéfices sanitaires. Notre association insiste sur le fait que chaque euro investi dans la rénovation énergétique des bâtiments permet 42 centimes d'économie en frais de santé, selon une étude de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Nous nous mobilisons sur ce sujet au niveau européen, autour de la révision de la directive européenne sur la performance énergétique des bâtiments, dont les trilogues vont bientôt commencer, mais aussi en France, où nous avons publié deux livres blancs sur la qualité de l'enveloppe du bâtiment, dont le dernier est titré : Pas de neutralité carbone sans une isolation globale et performante des bâtiments. Dans ce document, nous proposons des mesures phares pour atteindre les objectifs de la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) fixés par le Gouvernement pour 2050.

Tout d'abord, nous demandons un plan-choc pour éradiquer les passoires thermiques. Nous estimons qu'il faut mettre un terme au saupoudrage des aides publiques et les concentrer pour en amplifier les impacts positifs. Nous appuyons notre proposition sur une étude réalisée en 2021 par le Réseau pour la transition énergétique (Cler), porteur de l'initiative Rénovons, qui a examiné les coûts et bénéfices d'un plan de rénovation des passoires énergétiques sur dix ans.

S'agissant, ensuite, de la rénovation globale et performante, coûteuse et difficile à mener à bien, nous proposons la mise en place d'une prime de travaux combinés pour faciliter la programmation de gestes simples visant à atteindre le niveau bâtiment basse consommation (BBC) en deux ou trois étapes. L'objectif de la SNBC pour 2050 est de porter à ce niveau quelque 27 ou 28 millions de logements à rénover.

Enfin, nous appelons les pouvoirs publics à ne plus considérer la rénovation énergétique comme une ligne budgétaire, une dépense annuelle qui s'additionnerait sans jamais pouvoir être reportée, mais bien comme un investissement bénéfique pour la planète et pour l'avenir de nos enfants. Ainsi, nous préconisons de travailler sur le financement et le tiers financement, avec les banques, afin que les chiffres de la rénovation énergétique ne fassent plus peur, mais envie.

M. André Dot, président de Promotoit. - Merci de cette invitation que nous recevons comme une reconnaissance du rôle de notre filière dans la rénovation énergétique : rappelons que 30 % de la déperdition énergétique se fait par le toit. L'association Promotoit a été créée en 2005 et regroupe sept entreprises spécialisées dans la fabrication en France de matériaux de construction pour toiture - isolation, couverture, panneaux solaires et fenêtres de toit - : Edilians, Isover, Terreal, Unilin Insulation, Velux, VMZinc, Wienerberger. Son objectif est d'alimenter le débat avec les acteurs du bâtiment et les institutions sur le rôle du toit dans les enjeux environnementaux, de logement et d'urbanisme. Nous publions régulièrement des études, notre dernier livre blanc, Le toit au coeur des enjeux sociétaux, est sorti en 2022. Le toit, ou cinquième façade, est une coque protectrice contre le froid et le chaud, un support idéal pour capter l'énergie solaire, et un créateur d'espaces habitables sans consommation foncière, que nous jugeons sous-exploité. Moins de 25 % des gestes aidés par MaPrimeRénov' en 2022 ont concerné des travaux sur l'enveloppe, dont une part négligeable sur le toit ; or il nous paraît fondamental de favoriser la rénovation globale et performante par étapes, en créant des parcours complets de rénovation énergétique dans lesquels la rénovation de la toiture doit prendre toute sa place. Des aménagements simples et concrets en matière d'aides aux ménages permettraient ainsi de traiter le sujet des maisons individuelles, soit quelque 20 millions d'unités en France, dont un tiers possède des combles aménagés, un tiers des combles aménageables, et un tiers des combles non aménageables.

Pour les maisons avec combles aménagés, qui bénéficient actuellement des aides les plus faibles, la couverture pour les ménages les plus modestes atteint au maximum 30 % des coûts totaux pour de l'isolation par l'intérieur, et moins de 15 % pour de l'isolation par l'extérieur. Une solution serait d'établir des barèmes différents pour les toits, comme pour les parois verticales. L'enjeu est d'importance : cette catégorie compte quelque 1,3 million de passoires thermiques.

S'agissant des maisons avec combles aménageables, l'agencement de logements dans le périmètre du bâti existant nous semble être un levier fondamental pour la rénovation énergétique et contre l'artificialisation des sols, avec un gisement potentiel de 90 millions de mètres carrés activables. Toutefois, la création de nouvelles pièces exclut ces travaux de certains dispositifs de financement, comme de l'éco-prêt à taux zéro (éco-PTZ). Enfin, nous avons estimé à environ 400 000 le nombre de passoires thermiques parmi ces maisons.

M. Olivier Servant, porte-parole du collectif Isolons la Terre contre le CO2. - Je vous remercie de nous avoir invités à participer à ce débat sur les politiques publiques de rénovation énergétique. Je représente un collectif qui réunit des industriels leaders du gros oeuvre et du second oeuvre, tant pour les parois opaques que vitrées, ainsi que pour la ventilation. Notre organisation a été créée en décembre 2003, lors du débat national sur les énergies durant lequel le Premier ministre de l'époque avait fixé un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre des bâtiments existants de quatre à cinq fois d'ici à 2050, dans le prolongement de la signature du protocole de Kyoto. Elle réunit des entreprises leaders de leur secteur, parmi lesquelles Aldes, Eurocoustic, Hirsch Isolation, Isover, LafargeHolcim, Pam, Placoplatre, Saint-Gobain Glass, Unilin et Velux. Ces industriels fabriquent en France une large gamme de solutions pour la décarbonation des bâtiments, la sobriété énergétique, l'amélioration du confort, la réduction de la précarité énergétique et, globalement, la diminution des consommations énergétiques des bâtiments. Depuis sa création, notre collectif contribue activement au débat public et à la montée en expertise technique des acteurs dans le domaine de la construction durable et de la rénovation énergétique. Aujourd'hui, les bâtiments représentent encore 43 % de la consommation nationale d'énergie et 23 % des émissions de gaz à effet de serre. Notre travail est donc utile pour développer des politiques ambitieuses et accompagner les filières en vue du déploiement des meilleures pratiques en matière de construction durable et, surtout, de rénovation énergétique.

Plus de 80 % des bâtiments qui existeront en 2050 sont déjà construits, l'enjeu majeur est donc la rénovation massive et performante de ce parc pour réduire les consommations d'énergie et les émissions de gaz à effet de serre. L'objectif d'atteindre le niveau BBC en 2050 est inscrit dans plusieurs textes, dont la SNBC ; il nécessite la mobilisation de tous les acteurs pour rénover environ 700 000 logements par an, un chiffre loin d'être atteint actuellement.

La stratégie nationale bas-carbone repose sur trois piliers. Le premier est la sobriété énergétique, visant à amplifier massivement les efforts de rénovation pour atteindre le niveau BBC en 2050 ; le deuxième promeut l'usage d'équipements énergétiques à haut rendement ; le troisième s'attache à la décarbonation et incite au remplacement rapide des énergies fossiles par des énergies bas-carbone, renouvelables ou électriques. La combinaison de ces trois piliers est indispensable pour atteindre l'objectif de 2050, comme le rappelle encore le Haut Conseil pour le climat dans son rapport de novembre 2020. Ainsi, le premier pilier, la sobriété énergétique, permettrait d'économiser une quantité d'énergie supérieure à la production annuelle d'électricité nucléaire en France. C'est dans ce cadre que s'inscrivent les actions des membres de notre collectif : la réduction des consommations d'énergie du parc existant, en particulier par le chauffage, qui en représente 70 %, passe par des efforts d'isolation, de manière à limiter considérablement les appels de puissance sur le réseau et à stabiliser la demande d'énergie. La rénovation, en privilégiant la sobriété énergétique grâce à l'isolation, permet à la fois de réduire la consommation d'énergie, d'améliorer le confort et la qualité sanitaire des bâtiments, de diminuer durablement les émissions de gaz à effet de serre et de mieux gérer les réseaux, notamment électriques.

Notre association a contribué à ces enjeux, notamment en créant le collectif Effinergie, avec le soutien de Régions de France. Membre fondateur et actif, nous travaillons étroitement avec les régions pour mettre en place des politiques ambitieuses de rénovation énergétique. Isolons la Terre contre le CO2 propose ainsi une importante base d'études et de contributions au débat public, disponible sur son site et à disposition des politiques, nationaux et territoriaux, pour accélérer la mise en place des plans de rénovation.

Pour autant, comme industriels, nous avons subi des fluctuations importantes et destructrices de valeur, s'agissant de l'aide à la rénovation énergétique. Nous appelons donc à retrouver une constance dans les orientations de politique publique dans ce domaine.

Nous souhaitons, premièrement, redonner une ambition importante aux dispositifs d'aide à la rénovation énergétique, en particulier à MaPrimeRénov' et aux certificats d'économie d'énergie (CEE). MaPrimeRénov', avec ses 2,5 milliards d'euros de dépenses publiques annuelles, apparaît comme étant en décalage avec le coût des compensations de l'augmentation des prix de l'énergie : le bouclier tarifaire est estimé à 44 milliards d'euros pour 2023 et les chèques énergie à un milliard d'euros additionnels. Ces deux dépenses, certes nécessaires, ne préparent pas l'avenir par la réduction de la consommation d'énergie et de la facture énergétique des Français. Nous appelons donc à une augmentation progressive des investissements dans la rénovation énergétique via MaPrimeRénov'. Concernant les CEE, nous rencontrons un problème de calibrage du niveau d'ambition et d'obligation de ce dispositif. Malgré un premier correctif, l'ambition de la cinquième période des CEE reste insuffisante. Alors que l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) prévoyait un objectif de cours au mégawattheure entre 8 et 10 euros pour les CEE standards et entre 10 et 14 euros pour les certificats dédiés aux ménages en précarité énergétique, les cours actuels sont inférieurs à 8 euros, en stagnation, voire en baisse. Le marché des CEE reste atone en matière de production de travaux de rénovation énergétique et ne joue donc pas son rôle de moteur en complément de MaPrimeRénov', contrairement à ce qui s'était produit à la fin de la quatrième période. Nous demandons donc d'abord de redynamiser ces deux dispositifs, qui sont complémentaires et essentiels pour accélérer la structuration des professions et massifier la rénovation énergétique globale et performante.

Deuxièmement, il nous semble primordial de prioriser la réduction du besoin en énergie sur la décarbonation, ce qui se fait principalement par l'isolation des bâtiments. Comme le dit l'adage, l'énergie la plus propre et la moins chère est celle que l'on ne consomme pas. Or l'isolation des parois opaques et vitrées et la ventilation représentent les deux tiers des travaux de rénovation énergétique nécessaires dans une rénovation globale. La loi du 22 août 2021 dite Climat et résilience précise les six gestes de travaux à réaliser : isolation des planchers, des murs et de la toiture, remplacement des menuiseries, mise en place d'un équipement de ventilation et remplacement des équipements de chauffage et de production d'eau chaude sanitaire. Notre collectif est impliqué dans les cinq premières actions, directement liées à la sobriété énergétique. Nous souhaitons donc que ces travaux soient prioritaires dans les dispositifs d'aide à la rénovation énergétique. Ils ne doivent pas, en outre, être menés de manière incohérente. Nous avons également subi les conséquences des actions isolées et nous souhaitons en prendre le contrepied : il s'agit maintenant de déployer des parcours de rénovation énergétique performants sur l'ensemble du parc existant, comprenant les six actions mentionnées précédemment. Ceux-ci doivent, à notre sens, démarrer systématiquement par des travaux d'isolation de l'enveloppe pour tous les bâtiments qui n'en bénéficient pas, avant de conduire au remplacement des équipements existants par les plus performants et les plus décarbonés du marché, comme les pompes à chaleur et les chaudières à bois. Actuellement, 70 % des fonds de MaPrimeRénov' sont attribués à des remplacements d'équipements, ce qui est contraire à l'objectif de rénovation énergétique complète pour 2050. Nous travaillons activement sur ces parcours de rénovation performants qui, selon nous, devraient guider les recommandations des futurs Accompagnateurs Rénov', et à jalonner les étapes de la rénovation en une, deux ou trois phases, accompagnées d'une allocation progressive des aides publiques.

Enfin, troisièmement, nous sommes conscients que les incitations auront leurs limites et que le marché de la rénovation énergétique doit se développer par lui-même. Nous prônons donc un juste équilibre entre incitations et obligations progressives planifiées, afin que chaque propriétaire puisse s'engager à long terme et anticiper les travaux de rénovation. Nous soutenons ainsi le calendrier d'interdiction progressive de la mise en location des passoires thermiques et des logements les plus dégradés, ainsi que l'interdiction progressive de mise en vente, pour inciter les propriétaires à entreprendre des travaux de rénovation dès que possible, avec la conscience de l'obsolescence programmée du parc immobilier énergivore.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Il nous semblait essentiel pour cette commission d'enquête de vous auditionner, ayant déjà entendu les différents ministres en charge ces dix dernières années et d'autres acteurs. Votre expérience en tant que fabricants de matériaux et vos retours sur les politiques publiques sont précieux.

Ma première question concerne votre implication dans lesdites politiques publiques, notamment depuis le Grenelle de l'environnement. Avez-vous été associés à ces orientations et réorientations ? Si oui, comment ? Selon vous, ces orientations vont-elles dans le bon sens ?

Je m'intéresse aussi à votre lien avec les matériaux biosourcés, qui sont le sujet de notre prochaine table ronde. Comment vos entreprises se positionnent-elles par rapport à ces matériaux, notamment dans le contexte de la réglementation environnementale 2020 (RE2020) qui les favorise ? Travaillez-vous sur des évolutions dans ce sens, par exemple sur l'intégration de liants végétaux à la laine de verre ?

Je souhaite également aborder la question du cycle de vie des matériaux que nous utilisons pour l'isolation. Comment considérez-vous leur durabilité, leur impact carbone, leur recyclabilité et leur réutilisabilité ? Comment vous assurez-vous que nous ne nous retrouvons pas avec des matériaux à fort impact environnemental à long terme ?

Cela me conduit à aborder la question des normes et des avis techniques. Comment se déroule le processus pour qu'un procédé comme celui que vous avez présenté soit normalisé ? Quel est votre avis sur cette procédure ?

Ensuite, j'aimerais discuter du DPE, le diagnostic de performance énergétique, un élément central des politiques publiques. Une nouvelle formule est lancée, dont nous attendons de constater l'impact. Le DPE est notamment utilisé pour déterminer les interdictions de location et pourrait l'être pour les ventes. Quel est votre avis à ce sujet ? Avez-vous été associés à l'élaboration et aux études sur le DPE, concernant notamment les caractéristiques d'isolation ?

Enfin, parlons de la qualité des travaux. En tant que fabricants et vendeurs de matériaux, vous êtes sûrement au courant des retours sur la qualité de réalisation. Le label RGE (reconnu garant de l'environnement) joue un rôle important pour qualifier les entreprises ; pour autant, l'isolation d'un bâtiment ne suffit pas, il faut que les travaux soient réalisés correctement. Quel est votre avis sur le contrôle de leur qualité ? Le label suffit-il ou faudrait-il des contrôles plus directs en fin de chantier ?

M. Philippe Boussemart. - S'agissant des contrôles, aujourd'hui, la majorité des travaux sont réalisés par des entreprises de qualité et les maîtres d'ouvrage sont généralement satisfaits. S'il existe malheureusement quelques exceptions, n'oublions pas que 95 % à 97 % des chantiers se déroulent correctement. Nous avions réfléchi aux contrôles au sein de notre association, lors de nos discussions avec le Pôle national des CEE (PNCEE). Nous avions émis une proposition simple : lorsque l'on réalise des travaux électriques à domicile, un contrôle est requis et un Consuel intervient pour remettre en route l'installation électrique ; pourquoi ne pas mettre en place une filière similaire pour la rénovation énergétique, qu'il s'agisse d'une rénovation globale ou d'un geste simple ? Celle-ci permettrait de s'assurer que les travaux ont été réalisés correctement et qu'ils emportent des économies d'énergie ainsi qu'une amélioration de la performance énergétique. On pourrait imaginer un contrôle à la fin des travaux et un autre un an après, pour contrôler la consommation énergétique. Je suis très satisfait de voir cette suggestion revenir à l'ordre du jour, car une telle évolution pourrait aider et rassurer les maîtres d'ouvrage, notamment les particuliers, qui peuvent ressentir une certaine anxiété à ce sujet. Un système de contrôle pourrait rassurer et agir comme un élément déclencheur des travaux.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Pourquoi n'avons-nous pas encore mis en place un tel contrôle ? Existe-t-il des blocages à ce sujet ?

M. Philippe Boussemart. - Cela nécessite la création d'une filière et la mobilisation des acteurs concernés, peut-être dans le cadre du DPE, en impliquant les bureaux de contrôle. On connaît le volume de travaux de rénovation énergétique ; il est donc possible d'évaluer les besoins en main-d'oeuvre pour réaliser un, deux ou trois contrôles par jour ou par chantier, mais nous n'avons pas encore travaillé à dimensionner une telle filière avec les acteurs concernés.

Concernant la recyclabilité, les industriels ont mis en place des processus de recyclage et de récupération des déchets de chantier, en particulier des isolants. Avant même que la loi du 10 février 2020 dite loi Agec les y oblige, ils avaient créé des filières à cette fin. Aujourd'hui, tous les produits et isolants que nous utilisons sont recyclables à l'infini.

Ensuite, depuis le 1er mai 2023, la même loi nous soumet à la responsabilité élargie du producteur (REP) sur les produits de construction et sur les matériaux du bâtiment. Progressivement, toutes les entreprises du bâtiment pourront ainsi déposer gratuitement leurs déchets dans des points de collecte. Cela permettra de recycler plus efficacement les 46 millions de tonnes de déchets générés annuellement par la filière. La mise en place de la REP bâtiments a donc été bien accueillie par les industriels du secteur.

Mme Élisabeth Bardet. - S'agissant de l'isolation et de l'utilisation de laines minérales, ces produits sont constitués à 95 % de matières naturelles. Des liants sont en effet utilisés pour former des panneaux, et les industriels ont depuis longtemps fait évoluer leur composition, passant de produits pétrosourcés à des produits biosourcés. Il s'agit là d'un résultat de la recherche et développement mené par les industries du syndicat, qui ont introduit ces produits sur le marché depuis de nombreuses années.

En matière de recyclabilité, les industriels des isolants en laine minérale proposent déjà le recyclage des déchets générés par les chantiers et des déchets de déconstruction. Nous n'avons pas attendu la loi Agec et nous avons mis en place un cycle de recyclabilité complète. Je disais, dans mon propos liminaire, que la part des contenus recyclés s'établissait entre 50 % et 80 %, cela inclut à la fois des laines de verre et de roche, qui reviennent dans le processus industriel et sont réincorporées dans le processus de fabrication, et d'autres matières premières, issues d'autres filières et qui sont réutilisées dans notre industrie. Le bio, à cet égard, n'apporte pas toutes les garanties, car c'est une matière vivante.

Nos produits sont certifiés par l'Acermi, l'association pour la certification des matériaux isolants, selon un référentiel qui existe depuis 50 ans et qui garantit à nos clients la performance de nos produits. Des tiers indépendants font des prélèvements sur nos sites de production ; ils apprécient les caractéristiques des isolants : la résistance thermique, la compression mécanique, le comportement face à l'eau et la respirabilité, etc. Après cette certification interviennent les avis techniques, qui sont une appréciation globale des produits dans leur système. Tous les isolants en laine minérale manufacturée sont ainsi certifiés et dotés d'un avis technique, selon des référentiels adaptés à chaque catégorie d'isolants.

Je voudrais revenir sur vos propos sur la durabilité des isolants en laine minérale manufacturée : celle-ci est nettement supérieure aux 20 ou 25 ans que vous évoquez. Les industriels garantissent plutôt des durées de vie de 40 ans, voire davantage. Ainsi, les isolants trouvés sur le chantier de rénovation de l'aéroport de Copenhague étaient proches de leur état initial, alors qu'ils dataient de 60 ans environ. Les isolants en laines minérales manufacturées sont donc des produits durables, naturels, sans adjuvants ni additifs, et c'est peut-être d'ailleurs ce qui leur confère leur performance.

M. Olivier Servant. - Je rejoins les propos de Mme Bardet. L'un des membres du collectif Isolons la Terre a mesuré la performance des produits récupérés dans des combles de maisons individuelles datant des années 70 : les isolants en laine de verre étaient toujours aussi performants ! Ces produits ont une durée de vie bien supérieure à 20 ou 25 ans, dès lors qu'il n'y a pas d'agression physique, qu'elle soit mécanique ou liée à l'humidité.

On peut facilement mesurer, avec un moteur de calcul comme celui utilisé pour réaliser le DPE, le bilan carbone d'une isolation, en évaluant la quantité de CO2 nécessaire pour fabriquer les matériaux, qui figure dans les fiches de déclaration environnementale et sanitaire, et la comparer aux économies de CO2 générées. L'isolant est rentabilisé sur le plan du bilan carbone en à peine quelques semaines, alors que l'isolation durera des dizaines d'années ! Pour la décarbonation du bâti existant, l'essentiel est donc de réaliser une isolation performante : le choix du système isolant a une influence très faible sur le bilan carbone du bâtiment en rénovation.

Nous avons salué les évolutions du DPE, qui est resté longtemps insuffisamment fiable. L'évolution était nécessaire. Il reste des axes d'amélioration : sur l'évaluation des performances et sur sa précision, sur l'homogénéité de la réalisation des DPE par les diagnostiqueurs, et sur la formation de ces derniers. La méthode de calcul retenue pour procéder à l'évaluation des biens immobiliers est relativement sommaire : il s'agit d'une évaluation à la louche, qui permet de repérer les deux extrêmes - les bâtiments à basse consommation d'un côté, et les passoires thermiques, d'un autre -, mais qui ne permet pas de fournir des éléments assez précis pour choisir une solution d'isolation technique. Le DPE ne tient pas compte des consommations réelles d'énergie et est empreint de choix méthodologiques, notamment quant aux coefficients de conversion de l'énergie primaire, de conversion du CO2 en énergie. Nous sommes donc dubitatifs sur la capacité du DPE à rendre compte de la réalité du fonctionnement d'une passoire énergétique. Est-il vraiment nécessaire de passer par un tiers diagnostiqueur pour savoir si un mur ou une toiture sont isolés ou non ? Nous avons milité pour que, outre les classes énergétiques, figure sur la 2e page du DPE une évaluation du niveau d'isolation de l'enveloppe du bâtiment, paroi par paroi.

On retrouve ces éléments sur l'isolation de l'enveloppe dans le label Bâtiment basse consommation (BBC), sur lequel le collectif Effinergie a travaillé : une obligation d'isolation en plus d'une obligation de performance énergétique et environnementale globale, comme pour les bâtiments neufs, puisque la RE 2020 comprend trois parties : une partie sur la sobriété énergétique, avec un coefficient qui traduit le besoin en énergie du bâtiment, une autre sur la consommation en énergie du bâtiment, et une dernière partie sur les émissions de carbone et au confort l'été. Il y a donc bien une obligation de sobriété énergétique dans le neuf ; dans l'ancien, celle-ci est plus reflétée par la 2e page du DPE sur l'isolation de l'enveloppe que par la classe énergétique, qui fluctue en fonction du rendement des équipements, des différents coefficients de conversion, etc.

Vous posiez par ailleurs la question de notre implication dans l'élaboration des dispositifs d'accompagnement de la rénovation. Nous avons contribué au débat, mais force est de constater que l'écoute a été faible... Ainsi l'AIMCC et certains délégataires de certificats d'économie d'énergie avaient alerté sur une surproduction des C2E en fin de 4e période, en vain. Cette surproduction n'a pas été prise en compte et il a fallu un mettre en place un retrait de 600 térawattheures à l'été 2022, pour un coût estimé à environ 4 milliards d'euros. Le taux de reprise de nos propositions n'est guère élevé...

Autre exemple, dès 2013, le think tank The Shift Project proposait la mise en place de parcours de rénovation énergétique cohérents, pour rénover et réduire la consommation. Nous proposions qu'il figure dans la 2e partie du DPE. Nous avons créé une association, Expérience P2E, pour expérimenter ces passeports de rénovation énergétique. Elle regroupait The Shift Project, le Cercle Promodul, EDF, Schneider Electric, Saint-Gobain, et des collectivités. Ils ont expérimenté ce mécanisme entre 2016 et 2019 et remis leurs conclusions en 2020. Celles-ci valident l'intérêt de ces passeports pour réaliser des rénovations et des travaux cohérents. Cette expérience a permis de fournir un outil, des formations pour un certain nombre d'auditeurs, de réaliser un guide de bonnes pratiques, etc. Voilà un exemple d'action validée par le terrain que nous souhaitons défendre dans les évolutions des aides publiques.

M. Jean-Claude Barbant. - J'irai dans le sens de mes prédécesseurs. En un mot, je dirai : « Des progrès, mais peut mieux faire ! » Des progrès sont possibles en termes d'écoute et d'association des industriels à la définition des politiques publiques, à la mise en place des outils, des accompagnements. Le DPE reste perfectible. Il conviendrait d'augmenter les contrôles, car un certain nombre de travaux sont déficients. Les labels RGE sont très compliqués à mettre en oeuvre pour les entreprises artisanales. Il conviendrait de les simplifier.

La normalisation évolue, lentement certes, mais il est normal que les normes évoluent moins vite que les techniques, car il faut veiller à la pertinence des solutions. Prenons l'exemple des ciments bas-carbone. De nouvelles normes ont été introduites pour faciliter l'emploi de ciments bas-carbone dans la construction ; on peut sans doute aller plus loin, mais il faut veiller à la solidité des ouvrages avant d'entériner une solution technique.

M. André Dot. - Je rejoins mes confrères. Nous essayons de rencontrer les pouvoirs publics régulièrement. On nous objecte souvent que nos propositions sont complexes, peu lisibles pour les particuliers, mais sous couvert de simplicité, on risque de verser dans le simplisme et de rater la cible. Certes il est simple de comprendre qu'on peut percevoir une subvention si l'on change sa pompe à chaleur, mais est-ce toujours pertinent ? Non. Attention à ce pas passer à côté du sujet. Il faut prendre le temps de la réflexion pour construire des parcours cohérents.

S'agissant de la recyclabilité, nos entreprises travaillent déjà sur la neutralité carbone et ont des objectifs sur les scopes 1, 2 et 3. C'est le sens de l'histoire. La loi, avec la création des filières à responsabilité élargie des producteurs, impose aux fabricants d'atteindre des taux de collecte et de travailler sur le réemploi. Elle contribue à nous faire avancer dans le bon sens.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Pourriez-vous nous donner votre avis sur les isolants en polystyrène ? Comment estimez-vous leur impact global, leur durabilité ?

M. Philippe Boussemart. - Je ne parlerai que de l'isolation thermique par l'extérieur : les isolants en polystyrène sont utilisés pour rénover entre 78 et 80 % des surfaces. En 2022, la surface rénovée s'est élevée à 17 millions de mètres carrés, dont 79 % en polystyrène, 19 % en laines minérales, et le reste avec d'autres produits, comme des isolants biosourcés.

Le polystyrène est l'isolant le plus économique. Les fabricants cherchent à réduire son empreinte carbone ; ils travaillent ainsi à partir de la biomasse pour développer des produits mass balance, mais ces derniers ne sont pas reconnus par la législation française, car on n'arrive pas à tracer exactement la part d'énergie verte qu'ils incluent : c'est problématique, car lorsque le consommateur achète de l'électricité verte, il ne sait pas quelle proportion est réellement verte, et pourtant, la vente d'énergie verte est autorisée. Il conviendrait d'être cohérent. Je ne peux que vous inviter à auditionner l'association des fabricants d'isolants en polystyrène. La durabilité de ces matériaux est de plusieurs dizaines d'années, comme pour les laines minérales : les premières maisons isolées par l'extérieur en polystyrène l'ont été en Allemagne à partir de 1965 et les isolants sont toujours en place.

M. Olivier Servant. - On utilise le polystyrène expansé, le polystyrène extrudé ou le polyuréthane notamment pour isoler les murs par l'extérieur, mais pas seulement. Selon le cabinet MSI Reports, en 2022, 58 % des surfaces isolées l'ont été avec des laines minérales manufacturées, dont 70 % de laine de verre et 30 % de laine de roche. Environ 30 % des surfaces isolées l'ont été avec des plastiques alvéolaires, catégorie qui regroupe des produits en polystyrène expansé, en polystyrène extrudé et en polyuréthane, selon la répartition suivante : 63 % pour le polystyrène expansé, 32 % pour le polyuréthane et 5 % pour le polystyrène extrudé. Ensuite, les produits d'isolation biosourcés sont utilisés dans 9 % des surfaces isolées. Pour le reste, 3 %, diverses solutions sont employées.

Mme Sabine Drexler. - Le bâti patrimonial devrait-il bénéficier de dérogations ? Les techniques adaptées à ce bâti semblent peu connues et peu accessibles.

Monsieur Boussemart, vous avez dit que 95 % des industriels d'isolation extérieure sont membres de Mur Manteau. Quels sont les autres ?

M. Philippe Boussemart. - Il s'agit notamment d'industriels étrangers qui ne souhaitent pas adhérer à notre association.

M. Olivier Servant. - Depuis une dizaine d'années, de nombreux travaux ont été réalisés pour cartographier les différents types de bâtis en fonction des régions et trouver des combinaisons de solutions techniques d'isolation adaptées au bâti ancien au cas par cas, notamment pour tenir compte des propriétés mécaniques et hygroscopiques de la façade. Des guides de solutions techniques adaptées au bâti local ont été élaborés, pour chaque région, mais sont encore insuffisamment connus. Il convient de mener un effort de diffusion et de formation pour que les entreprises connaissent les solutions les plus pertinentes, pour éviter que des travaux d'isolation n'aboutissent à créer des pathologies dans les façades : il n'est pas pertinent d'utiliser des matériaux qui compriment l'humidité dans la façade si celle-ci se détériore avec l'humidité : inversement, d'autres façades anciennes se détériorent si elles demeurent trop sèches. Il faut s'adapter au cas par cas.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Vous n'avez pas parlé du risque de pénurie de matériaux ?

M. Jean-Claude Barbant. - Il n'y a pas de risque à cet égard, même si des problèmes ponctuels peuvent apparaître, mais les industriels ont assez de matériaux pour tenir les objectifs qui ont été fixés.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Vous estimez que la filière peut répondre à la demande de massification des travaux de rénovation énergétique. Il n'y a pas de problème de formation du personnel ?

M. Jean-Claude Barbant. - La filière peut répondre à la demande. Nos entreprises ont le savoir-faire. Les besoins en main-d'oeuvre sont un souci constant, mais qui n'est pas propre à notre secteur. Des pénuries ponctuelles de certains produits importés peuvent sans doute apparaître ici ou là, mais, dans l'ensemble, nous ne sommes pas inquiets.

M. Philippe Boussemart. - Les industriels détenteurs de systèmes d'isolation thermique par l'extérieur disposent de centres de formation certifiés qui sont pleins et dans lesquels ils forment des compagnons ou des ouvriers. Ils interviennent aussi dans des centres de formation pour apprentis ou dans les lycées professionnels. Les syndicats professionnels s'efforcent de rendre le secteur attractif, car il est vrai que, dans le secteur du bâtiment, le nombre d'ouvriers qui partent à la retraite est plus élevé que le nombre de jeunes qui cherchent à y rentrer ; mais la filière réalise un effort important de formation.

Mme Élisabeth Bardet. - Les fabricants d'isolants en laines minérales doivent plutôt, en ce moment, gérer des arrêts de lignes de production, car le marché de la construction neuve baisse. Ils subissent aussi le contrecoup de la politique de stop and go concernant les aides à la rénovation énergétique. Néanmoins ils continuent à investir pour développer leurs capacités. Il n'y a donc pas de pénurie.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Ils ont besoin de stabilité !

Mme Élisabeth Bardet. - Absolument.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je vous remercie.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Isolation par les matériaux biosourcés - Audition

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête par une table ronde consacrée à l'isolation par les matériaux biosourcés. Nous recevons ainsi les représentants de trois organismes.

L'Association des industriels de la construction biosourcée (AICB) est représentée par son président, M. Olivier Joreau, et par son secrétaire général, M. Yves Hustache. Elle représente les industries françaises produisant des matériaux à destination du marché de la construction à partir de ressources renouvelables. Elle mène plusieurs actions, comme la rédaction de règles professionnelles relatives à l'utilisation d'isolants en fibres végétales et la réalisation d'études sur les produits de construction biosourcés.

L'association Construire en chanvre est représentée par M. Philippe Lamarque, son président. Elle mène des actions de promotion de l'usage du chanvre pour les bâtiments et a noué des partenariats avec de nombreuses entreprises comme AgroChanvre, InterChanvre ou Lafarge.

Le Réseau français de la construction paille est représenté par Mme Coralie Garcia. L'association, née en 2006, fédère les acteurs de la filière et participe à la définition des règles relatives à la construction paille.

La filière des matériaux biosourcés utilisés dans le secteur de la construction est en forte croissance en France. En 2020, le volume des isolations réalisées grâce à des matériaux biosourcés était équivalent à 84 000 maisons individuelles, ce chiffre représentant une augmentation de 87 % par rapport aux quatre années qui précédaient.

L'utilisation des matériaux biosourcés présente en effet plusieurs avantages. Ceux-ci sont généralement biodégradables, renouvelables et produits en France. Ils affichent de bonnes performances en matière d'isolation, concernant notamment le « confort d'été » ; ils permettent de réduire les émissions de gaz à effet de serre ; ils peuvent être adaptés pour les bâtiments qui présentent un intérêt patrimonial.

Pour toutes ces raisons, les pouvoirs publics ont encouragé le développement des matériaux biosourcés. La loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte dispose que l'utilisation des matériaux biosourcés « est encouragée par les pouvoirs publics lors de la construction ou de la rénovation des bâtiments ». La réglementation environnementale 2020 pour la construction (RE2020) est favorable aux matériaux biosourcés. Dans ce contexte, quel jugement portez-vous sur les politiques menées visant à encourager l'utilisation des matériaux biosourcés ?

Ces derniers présentent toutefois une grande diversité. Quels sont les matériaux dont l'utilisation est la plus susceptible d'être « massifiée » dans l'isolation ? Et quels sont ceux dont le potentiel de développement en France est le plus important ?

Les matériaux biosourcés continuent également de susciter des interrogations dans le débat public. L'une des questions soulevées concerne l'usage des sols : la culture des végétaux utilisés pour la construction pourrait faire concurrence à d'autres cultures, notamment celles qui sont destinées à l'alimentation. Que répondez-vous à cette interrogation ?

Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions et pour un propos introductif d'environ dix minutes, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'elle fera l'objet d'un compte rendu publié.

Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.

Je vous invite donc à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Olivier Joreau, Yves Hustache, Philippe Lamarque et Coralie Garcia prêtent serment.

M. Olivier Joreau, président de l'Association des industriels de la construction biosourcée (AICB). - Je précise que les matériaux biosourcés, s'ils sont renouvelables, ne sont pas biodégradables : ils sont durables dans le bâtiment et sont recyclables en fin de vie. Cette filière s'est fortement développée ces dernières années, car nous avons la chance, en France, de pouvoir utiliser des coproduits issus de la forêt ou de l'agriculture. Renouvelables à l'infini, ces matériaux présentent un intérêt considérable eu égard au risque d'épuisement des ressources fossiles. Ils sont disponibles sur tout le territoire et ont l'énorme avantage, du point de vue de notre souveraineté, de n'être pas importés, contrairement aux matériaux issus de la chimie par exemple.

Un autre avantage de ces matériaux issus des connexes végétaux est que leur production consomme peu d'énergie : il s'agit d'industries faiblement émettrices. Pour ce qui est du chanvre, par exemple, les fours tournent à 140 degrés et non à 1 000 degrés. Nos fiches de déclaration environnementale et sanitaire (FDES) traduisent très bien tout l'intérêt de ces matériaux d'origine végétale en matière de stockage du carbone : par l'effet de la photosynthèse, ce sont des puits de carbone. Ils ont certes un impact en fin de vie, cinquante ans après l'isolation, en rejet de carbone, et encore, seulement s'ils ne sont pas recyclés ; mais l'effet immédiat de leur utilisation est bien de stocker du carbone.

Dans le cadre de la rénovation énergétique, la filière des matériaux biosourcés a à traiter trois enjeux majeurs.

Il faut, premièrement, favoriser la rénovation globale. Actuellement, les rénovations se font le plus souvent sur des thématiques précises - changement de chaudière, menuiserie, etc. Or c'est l'enveloppe du bâtiment qu'il faudrait traiter, alors qu'une grande partie du dispositif MaPrimeRénov' est utilisée pour effectuer un ou quelques gestes. Il nous semble donc important de conditionner les aides d'État à une maîtrise d'oeuvre experte en matière de rénovation thermique, comme c'est le cas aujourd'hui dans le cadre de la RE2020 - il existe par exemple une obligation d'être accompagné par un architecte, en tout cas par un maître d'oeuvre, au-delà d'une certaine surface. Aujourd'hui, malheureusement, la rénovation énergétique n'est pas liée à une compétence spécifique.

L'article 39 de la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets prévoit l'obligation que l'usage des matériaux biosourcés intervienne dans au moins 25 % des rénovations énergétiques relevant de la commande publique. Mais aucun décret d'application n'a pour l'instant été publié... Nous souhaitons que cette obligation puisse être mise en oeuvre selon un calendrier précis, en sorte que nous puissions anticiper. La commande publique est un moyen de promouvoir le développement d'un réseau de professionnels qui pourront par la suite être utilisés sur des chantiers moins importants, par les particuliers notamment.

Deuxième enjeu : financer la massification industrielle de la filière à court et moyen terme pour répondre aux enjeux de la rénovation, et non seulement du neuf. L'industrie des matériaux biosourcés existe déjà en France : c'est un motif de satisfaction. À cet égard, la France est plutôt en avance, comme l'Allemagne. En tant que président de l'UICB, je représente des industriels ; nous allons doubler nos capacités dans les cinq ans à venir. On pourrait aller plus vite : plus on a de moyens, plus on peut développer des procédés innovants, s'agissant de produits techniques. Or le constat est que nous sommes peu accompagnés. L'État accompagne beaucoup la décarbonation des industries installées, ce qui est une très bonne chose, mais, quant à nous, bien que nos produits stockent du carbone, nous avons très peu d'aides lorsque nous déposons des projets pour massifier notre industrie et agrandir nos usines : c'est un regret et une demande.

Nous souhaitons également, pour nous aider à nous développer, un aménagement de la « responsabilité élargie du producteur » (REP), dispositif applicable depuis le 1er mai 2023. Il n'est pas très juste que nous soyons soumis à la REP alors que nos matériaux sont beaucoup plus durables que les matériaux traditionnels et stockent de surcroît du carbone : nous exonérer des surcoûts engendrés par la REP serait une façon de nous accompagner.

La diffusion de ces matériaux passe aussi par un accès facilité aux certifications. Les coûts de certification, pour de petites industries comme les nôtres, qui travaillent avec de nouveaux matériaux, représentent souvent un frein.

Troisième enjeu : favoriser l'utilisation et la visibilité des solutions biosourcées dans le cadre d'une nécessaire sobriété énergétique. Les certificats d'économie d'énergie (CEE) existent depuis maintenant plusieurs années ; ils ont donné lieu à de nombreux effets d'aubaine, du fait de la non-stabilité dans la durée des obligations d'économies d'énergie définies en kilowattheures cumac (cumulés actualisés), engendrant une succession d'explosions de la demande et de coups d'arrêt dans le secteur de l'isolation. Ces effets d'aubaine catastrophiques, qui peuvent aller jusqu'à l'écodélinquance, doivent être corrigés via une annualisation des quotas de CEE, afin d'éviter que des artisans tout juste formés ne se retrouvent sur le carreau.

Nous demandons également que les matériaux biosourcés se voient appliquer une bonification de MaPrimeRénov' et des CEE, afin de promouvoir le stockage du carbone dans l'acte de rénovation. Autre demande importante, qui nous semble justifiée par l'enjeu du stockage du carbone comme par celui de notre souveraineté industrielle, s'agissant de matériaux très difficiles à importer : nous plaidons pour la mise en place d'une TVA à taux réduit sur les matériaux biosourcés.

Mme Coralie Garcia, pour le Réseau français de la construction paille (RFCP). - Notre modèle est un peu différent de celui de l'Association des industriels de la construction biosourcée : nous sommes partis du matériau brut botte de paille, qui vient directement du champ. Nous ne passons donc pas à proprement parler par une industrie : peu de transport, pas de transformation par une machine, pas d'ajout d'intrants.

À l'origine, ce sont surtout des maisons individuelles qui ont été construites en paille, mais de plus en plus d'établissements recevant du public sont concernés - écoles, crèches, lycées, casernes de pompiers.

Notre association regroupe 500 entreprises adhérentes. Notre particularité est de faire la promotion d'un matériau agricole que nous transformons, grâce à notre savoir-faire, en matériau de construction. Ce matériau a l'avantage d'être très abondant : de la paille et des champs de blé, on en voit dès que l'on prend la route. Entre le champ et le chantier, une botte de paille parcourt seulement 50 kilomètres en moyenne... Il n'y a donc pas une industrie de la construction paille, mais beaucoup de petites industries présentes partout dans tous les départements : on en trouve toujours à moins de 100 kilomètres.

Nous n'avons pas de problème de concurrence des sols, car, je l'ai dit, la ressource est abondante - la France est exportatrice de paille. Dans l'hypothèse où l'intégralité du marché du neuf serait isolée avec de la paille, on n'utiliserait malgré tout que 10 % de la paille produite en France ! Les chaudières à paille sont en train de se développer ; cela nous attriste un peu qu'il faille brûler de la paille pour chauffer des bâtiments : mieux vaut utiliser la paille comme isolant. J'ajoute que la paille est un sous-produit de l'agriculture : on ne plante pas du blé pour produire de la paille destinée à l'isolation.

Notre travail a commencé sur le marché du neuf, domaine que nous connaissions le mieux. Depuis quelques années, nous essayons de développer l'isolation par l'extérieur, utilisation de la paille la plus pérenne. Nous pouvons nous prévaloir d'un nombre déjà relativement important de chantiers démonstrateurs pour promouvoir l'efficacité de nos techniques d'isolation, mais nos ressources financières sont assez limitées. Je précise que nos bottes de paille font entre 22 et 37 centimètres d'épaisseur : nos isolations en paille ont vocation à tenir au minimum cent ans. Le premier bâtiment isolé en paille, en France, date d'ailleurs de  1920 : ce recul concret, nous l'avons...

Nous manquons d'aides pour développer ces techniques : cela demande du travail de recherche, de formation, d'écriture de documents techniques. Nous avons en particulier des difficultés à faire reconnaître nos formations par France compétences, qui tarde systématiquement à nous répondre. Plus de 5 000 professionnels, dont 2 000 architectes, ont suivi la formation de cinq jours, dite « Pro-paille », que nous avons développée il y a une douzaine d'années.

Une autre de nos particularités est que notre isolant n'est pas certifié, puisqu'il ne passe pas par une usine ; or les aides sont souvent conditionnées au fait que l'isolant soit certifié Acermi (Association pour la certification des matériaux isolants). Ceux qui gèrent les dossiers ne se réfèrent qu'à cette certification, ce qui représente un frein important pour les particuliers qui souhaitent réaliser sur leur logement une isolation par l'extérieur en paille.

Je conclus par un maître-mot : la qualité. Il ne sert à rien de faire des travaux si c'est pour avoir à les refaire dans vingt ans...

M. Philippe Lamarque, président de Construire en chanvre, représentant Interchanvre. - Si tous les marchés biosourcés s'ouvrent, notre filière sera-t-elle capable de suivre le rythme ? Quelque 22 000 hectares de chanvre sont cultivés en France aujourd'hui, contre 180 000 hectares à la fin du XIXe siècle : la marge de progression est énorme, s'agissant d'une plante qui ne concurrence pas la filière alimentaire, puisqu'il s'agit d'une « tête d'assolement » - après le chanvre vient le blé. De surcroît, un agriculteur qui plante du chanvre, même en agriculture conventionnelle, n'utilise pas de produits phytosanitaires pour traiter son champ : quand on plante du chanvre, on réduit la consommation d'intrants.

La filière chanvre est une filière dite intégrée : Construire en chanvre travaille main dans la main avec InterChanvre, qui représente l'amont de la filière et s'occupe de tous les marchés hors construction. La filière a développé depuis une trentaine d'années des règles professionnelles qui permettent d'accéder à tous les chantiers, tous domaines d'emploi confondus, et a développé un label Granulat, le seul label Granulat végétal aujourd'hui disponible en France. Cette spécificité est reconnue à l'international : nous accompagnons la structuration de filières au Québec, au Maroc, en Afrique australe en exportant ce savoir-faire franco-français relatif à la construction.

Nous avons nous aussi des propositions, qui sont complémentaires de celles qui ont été formulées par Olivier Joreau.

L'adaptation de l'arsenal réglementaire, premièrement, est indispensable : actuellement, la réglementation qui régit l'ensemble des rénovations énergétiques est « câblée » sur le coefficient lambda, ou coefficient de conductivité thermique, qui mesure l'évacuation de la chaleur de l'intérieur vers l'extérieur du bâtiment. Il serait possible de pondérer ce facteur par un certain nombre de critères simples, en acceptant notamment des facteurs de résistance thermique plus bas pour les matériaux à perméabilité supérieure ou à inertie de chaleur d'été plus importante - tel est précisément le cas de ces matériaux biosourcés.

Nous militons par ailleurs pour l'intégration, dans la refonte en cours du label Bâtiment biosourcé, d'un chapitre « rénovation » qui bonifierait les aides allouées.

Deuxième orientation, pour ce qui est des dispositifs incitatifs : il faut sortir de la rénovation énergétique « monogeste » pour aller vers une logique de rénovation environnementale. Il existe un dispositif MaPrimeRénov' Sérénité qui permet de globaliser l'acte de rénovation, mais il est très peu mobilisé, car jugé kafkaïen : 60 000 dossiers seulement ont été financés dans ce cadre selon l'Agence nationale de l'habitat (Anah). Comment promouvoir une rénovation environnementale simple ? Il faut commencer par inclure les honoraires des accompagnateurs dans les aides allouées à la rénovation.

Troisième axe : l'accompagnement dans la durée via ce que j'appelle la « boîte à outils ». Il est nécessaire, à cet égard, d'encourager l'effort de formation à la transition écologique à tous les niveaux, formation initiale, formation continue, et pour tous les acteurs, entreprises, notamment celles qui sont labellisées RGE (« reconnu garant de l'environnement »), auditeurs énergétiques, opérateurs « Mon Accompagnateur Rénov' », mais également maîtres d'ouvrage professionnels et, pourquoi pas, corps préfectoraux et élus.

M. Yves Hustache, secrétaire général de l'AICB. - Les solutions biosourcées, on le voit, brillent par leur diversité, ce qui les qualifie particulièrement pour répondre au défi de la rénovation.

Dans le cadre de la stratégie nationale bas-carbone, la RE2020 a introduit l'enjeu du stockage du carbone pour le neuf : cette question du carbone est très importante. Or, aujourd'hui, elle n'apparaît pas dans le cadre réglementaire applicable à la rénovation. Il va donc falloir y pourvoir. Il est en particulier essentiel d'orienter les politiques publiques vers une utilisation accrue des matériaux biosourcés : les industriels y sont prêts, on l'a vu - de 27 millions de mètres carrés en 2020, la capacité de production de la filière va passer à 60 millions de mètres carrés dans les années à venir.

Nous plaidons, à l'appui d'une telle réorientation, pour des CEE bonifiés et pour la création d'un label Bâtiment biosourcé rénovation, afin que les maîtres d'ouvrage s'approprient les matériaux biosourcés - des réflexions très abouties existent déjà sur le sujet. Il a été question également d'un taux réduit de TVA : tout ce qui peut faciliter l'intégration du biosourcé dans l'acte de rénovation est bienvenu, car cela revient à y intégrer la question du carbone.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Je vous remercie pour vos explications, madame, messieurs.

La commission d'enquête s'est penchée sur l'ensemble des politiques publiques menées depuis le Grenelle de l'environnement, afin de comprendre ce qui marche et ce qui ne marche pas. Avec MaPrimeRénov', on commence à deviner comment tout cela pourrait fonctionner...

Avez-vous été associés aux différentes étapes de la mise en place de ces politiques publiques de la rénovation thermique ? Pour ce qui est du coefficient lambda et de l'intégration du biosourcé dans les calculs thermiques - je pense notamment à la question du confort d'été -, avez-vous participé aux travaux sur la réforme du diagnostic de performance énergétique (DPE) via la prise en compte de nouveaux critères qui pourraient permettre de mieux cibler les matériaux biosourcés ?

La massification et la préfabrication sont souvent présentées comme des réponses à l'accroissement des volumes des marchés de construction. Au fil des auditions, il a beaucoup été question de promouvoir des rénovations globales sur un périmètre donné, à l'échelle d'un quartier ou d'un territoire dans son ensemble. Une telle démarche vous paraît-elle intéressante ?

On sait que les questions de normes techniques et d'assurance sont particulièrement saillantes s'agissant de matériaux moins « normés » que les matériaux traditionnels. Comment rendre attractif, à cet égard, le recours aux matériaux biosourcés dans les marchés publics ?

Chacun en a conscience désormais, le carbone a une valeur. Par quel mécanisme pourrait-on rémunérer son stockage ?

Un mot sur l'autoconstruction, qui favorise « naturellement » l'utilisation de matériaux locaux et biosourcés : avez-vous des idées sur l'encadrement des chantiers d'autoconstruction ? Vu la façon dont fonctionnent les systèmes d'aides existants, les autoconstructeurs n'entrent dans aucune case...

Quel peut être le rôle de Mon Accompagnateur Rénov' là où il s'agit d'orienter les rénovations vers les matériaux biosourcés ?

M. Olivier Joreau. - Sommes-nous associés aux réflexions menées sur la rénovation en général et sur l'évolution du DPE en particulier ? Concrètement, non. C'est pour cette raison que nous avons créé des associations : pour que notre industrie, qui a quinze ans, soit représentée au niveau national et puisse porter des projets communs en matière de réglementation.

Nous avons subi la réglementation thermique 2012 (RT2012) ; quant à l'élaboration de la RE2020, nous y avons peu participé. Nous souhaitons qu'à l'avenir des associations comme les nôtres soient systématiquement prises en compte, sachant que le secteur des matériaux biosourcés représente aujourd'hui 10 % des actes de rénovation.

Travaillant dans une coopérative agricole, je suis bien placé pour savoir que rien ne permet actuellement la rémunération du stockage du carbone, étant entendu que les champs retiennent dans le sol 15 tonnes de CO2 par hectare, comme les forêts. Je précise que nous ne faisons aucunement concurrence à l'alimentation - le chènevis est d'ailleurs utilisé à des fins alimentaires, et, de manière générale, comme cela a été dit, le chanvre est une excellente tête d'assolement. Les détracteurs des matériaux biosourcés qui utilisent cet argument le font donc à mauvais escient.

Ces productions sont parfois moins intéressantes, à court terme, pour les agriculteurs, par rapport à des produits comme le blé dont le cours mondial est connu. S'ils les cultivent, c'est parce qu'ils y trouvent un intérêt en tant qu'agriculteurs - rotation des sols, moindre utilisation des produits phytosanitaires, etc. Mais le stockage du carbone n'est pas rémunéré : il existe un label Bas-carbone en agriculture, mais le carbone stocké dans le bâtiment n'est pas valorisé dans le bilan carbone de l'exploitation - c'est dommage. Cela pourrait se faire sur la base du volontariat, mais il n'existe aujourd'hui aucune solution réglementaire.

M. Philippe Lamarque. - Sommes-nous associés aux évolutions réglementaires ? Oui et non. Ces évolutions se font avec nous, sans nous ou contre nous. Et nous passons de toute façon sous les fourches caudines des textes applicables. Nous avons malgré tout participé aux travaux du Conseil national de la refondation (CNR) logement et avons été auditionnés par M. Guy Hascoët, dont le rapport, qui a été remis au ministre du logement, fait la part belle aux matières biosourcées.

Pour ce qui est de la massification des solutions industrielles du type isolation thermique des murs par l'extérieur (ITE), toute la filière s'organise et se tient prête. Je représente un fabricant de panneaux préfabriqués de béton de chanvre et la filière a déposé un dossier France 2030 spécifique sur les ITE ; nous serons auditionnés par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) dans le courant du mois de mai et l'enjeu est considérable : 1 million d'euros, pour nous, c'est beaucoup.

La plupart de nos règles professionnelles, comme de celles de la paille, ont été écrites pour le neuf et non pour la rénovation énergétique : nous avons ce cap à passer.

Un mot sur la formation des opérateurs Mon Accompagnateur Rénov' : il est indispensable qu'ils soient, sinon formés, du moins sensibilisés à l'utilisation des matériaux biosourcés, ce qui n'est pas du tout le cas aujourd'hui.

Quant au stockage carbone, s'il est valorisé, la rémunération doit revenir à l'agriculteur et non, au hasard, au promoteur immobilier : l'enjeu est de taille s'agissant de stabiliser la production de chanvre.

Mme Coralie Garcia. - Nos règles professionnelles ont été validées en 2012, voilà maintenant plus de dix ans ; elles couvrent la construction en paille de bâtiments jusqu'au niveau R+ 2. Or il existe aujourd'hui des bâtiments R+ 9 isolés en paille, et plusieurs bailleurs sociaux ont déjà fait le choix de l'ITE en paille : plusieurs HLM, à Paris, sont ainsi isolés, et des projets d'isolation de HLM R+ 7 et R+ 9  sont en cours à Grenoble.

Aujourd'hui, plus de la moitié des constructeurs qui utilisent la paille font de la préfabrication. La paille est d'ailleurs utilisée sous différentes formes : au départ, on se cantonnait à la botte de paille ; désormais, la paille hachée se développe, ainsi que les bottes à façon, de dimensions particulières, produites à la commande. Vous le voyez, le marché se développe et la demande est forte, motivée par la volonté de faire baisser les coûts énergétiques liés au chauffage.

Dans les bâtiments HLM qui ont été bien isolés, on observe une nette diminution de la rotation des locataires et les économies sont considérables pour les bailleurs sociaux.

Il était question d'isoler par quartier ; je plaide pour qu'on isole aussi par type de bâtiments afin de faire des économies d'échelle.

Pour ce qui est de l'autoconstruction, nous connaissons bien ce sujet : la construction en paille a démarré avec des autoconstructeurs. Il est important d'intégrer à nos réflexions les particuliers qui souhaitent faire eux-mêmes des travaux de rénovation chez eux - ils sont nombreux et savent bricoler sans toujours bien connaître certains problèmes techniques comme celui de la diffusion de la vapeur d'eau. L'autoconstruction est à valoriser, mais aussi à accompagner avec des professionnels compétents. Prenons le cas d'une isolation par l'extérieur : on peut imaginer de laisser faire les travaux par un professionnel jusqu'à la lame d'air, le bardage étant posé par l'autoconstructeur.

Nous avons un rôle à jouer au niveau européen, car la France est très avancée en matière d'utilisation des matériaux biosourcés : elle compte plus de bâtiments en paille que tous les autres pays européens réunis. Nous avons conduit le projet européen UP Straw (Urban and Public Buildings in Straw) et sommes pris en exemple. Nos règles professionnelles ont ainsi été traduites en italien, en espagnol et en anglais : nous avons une impulsion à donner en vue d'une diffusion à plus grande échelle, d'autant qu'il y a dans tous les pays du chanvre, de la paille ou du bois.

M. Yves Hustache. - Pour ce qui est du neuf, nous avions été sollicités au moment de la modification du cadre réglementaire ; pour ce qui est de la rénovation, si toutefois une réglementation était mise en place, il serait important que les filières biosourcées puissent participer.

Reste la question du cadre normatif, celui des avis techniques : c'est ce qui garantit la qualité des bâtiments et des ouvrages. On constate néanmoins, concernant les exigences imposées dans les dossiers d'instruction, une certaine surenchère, qui peut freiner le développement de la filière.

Quant à la place de Mon Accompagnateur Rénov', elle est très importante. Nous sommes favorables à ce qu'un maître d'oeuvre compétent dans le domaine des matériaux biosourcés et connaissant bien l'existant suive les travaux de rénovation, avec une obligation de résultat.

M. Franck Montaugé. - Je souscris tout à fait à la logique qui consiste à rémunérer les agriculteurs pour leurs prestations de services environnementaux. Mais j'ai compris que le stockage de carbone se faisait au champ, non dans le bâtiment lui-même.

M. Olivier Joreau. - Le stockage se fait à l'exploitation.

M. Franck Montaugé. - Quand on compare entre eux les matériaux de construction, on le fait en prenant en compte à la fois la phase d'élaboration de la matière première et le processus de construction : ai-je bien compris ?

M. Olivier Joreau. - Tout à fait.

Mme Coralie Garcia. - En stockant du carbone dans un bâtiment, on décale le rejet du carbone à quarante ou cinquante ans, soit la durée de l'isolation.

M. Philippe Lamarque. - Le carbone est séquestré pendant la durée de vie du bâtiment, mais de surcroît le chanvre ou la paille sont entièrement recyclables. Notre analyse du cycle de vie (ACV) se fait sur un horizon temporel de cent ans : la durée de vie de nos matériaux est exceptionnelle, d'autant qu'en bout de cycle on peut en recycler l'intégralité.

M. Olivier Joreau. - Actuellement, dans la FDES, la fin de vie des matériaux est prise en compte - on considère que le carbone stocké est déstocké en fin de vie -, bien que l'on sache qu'en l'espèce il sera possible de les recycler. Nous sommes donc pénalisés : ce n'est pas très juste. À aucun moment ce stockage du carbone n'est valorisé dans l'analyse.

M. Franck Montaugé. - Vous avez évoqué la problématique de la certification des produits. Quid de l'acceptation de ces matériaux par les assurances ? Est-ce un sujet ?

Mme Coralie Garcia. - Les règles professionnelles que nous avons écrites voilà dix ans ont permis de lever cet obstacle : les entreprises ont accès à une assurance décennale. Reste qu'elles ont été écrites pour le neuf. Pour ce qui est de l'isolation par l'extérieur et de la rénovation, il faut continuer ce travail. J'ai justement engagé cet effort d'aménagement des règles professionnelles et de rédaction d'avis techniques, qui est en bonne voie, mais nous avons peu de moyens, malgré les aides de l'Ademe, pour le mener à bien.

M. Yves Hustache. - Cela reste en effet un sujet. Des produits nouveaux se développent : il faut les faire entrer dans le cadre normatif pour que les assureurs considèrent leur utilisation comme relevant des techniques courantes, ouvrant droit à des assurances décennales, etc.

Aujourd'hui, on peut construire un bâtiment avec les produits biosourcés existants dans un cadre sécurisé reconnu par les assurances. Compte tenu de l'innovation, le travail doit néanmoins continuer.

M. Olivier Joreau. - Je pense aux contraintes liées au risque incendie pour les bâtiments R+ 3 ou R+ 4 : des solutions existent, mais les travaux à mener pour passer les tests de certification sont considérables. Pour des filières jeunes comme les nôtres, les coûts afférents sont énormes : d'où l'intérêt de les soutenir pour qu'elles puissent investir en trouvant des débouchés.

M. Franck Montaugé. - On peut construire avec de la terre crue en y mélangeant éventuellement de la paille. L'utilisation de matériaux biosourcés dans la construction neuve peut-elle avoir des conséquences positives sur la rentabilité de l'ensemble de vos activités, rénovation énergétique comprise, donc sur le modèle économique de vos filières ?

M. Philippe Lamarque. - Grâce à la loi Climat et résilience et à la RE2020, nous avons ouvert en Île-de-France l'usine Wall'up Préfa, première usine au monde de production de panneaux préfabriqués isolés en béton de chanvre : parce que le marché s'ouvrait, nous avons pu industrialiser. Reste la question de la rentabilité initiale pour l'agriculteur, c'est-à-dire de sa rémunération en amont : le cours du chanvre est trop bas, par rapport à celui du blé notamment, pour permettre une explosion des mises en culture - d'où l'enjeu de la rémunération du stockage du carbone.

M. Olivier Joreau. - Lorsque l'État envoie un signe via la réglementation, cela fonctionne : la RE2020 a eu un véritable effet d'accélération pour l'utilisation des matériaux biosourcés dans la construction neuve. Les industriels s'y mettent, car l'importance de l'enjeu du stockage du carbone ne va faire que croître, l'indice carbone étant l'un des trois indicateurs de la RE2020. L'enjeu majeur de demain, c'est la rénovation, sachant que le foncier va manquer.

De manière générale, le potentiel de valorisation de la biomasse agricole doit être exploité.

M. Franck Montaugé. - Le prix du carbone est une question fondamentale...

Mme Sabine Drexler. - Comment expliquer la persistance de ces points bloquants - défaut d'association aux politiques publiques, surenchère normative, complexité et longueur des procédures de labellisation, non-reconnaissance du stockage du carbone -, alors même que tout le monde plébiscite l'utilisation des matériaux biosourcés ?

M. Philippe Lamarque. - Le dépôt d'un dossier MaPrimeRénov' se révèle le plus souvent kafkaïen, et seul le coefficient lambda est pris en compte. Ainsi est-on conduit à privilégier, par exemple, le polyuréthane chinois sur le matériau biosourcé, dont le lambda est dégradé bien qu'il « embarque » un certain nombre de qualités spécifiques qui ne sont pas valorisées dans le cadre réglementaire en vigueur - inertie à la chaleur d'été, hygroscopie, etc. On crée ainsi les conditions de la survenue, demain, de situations pathologiques.

Mme Coralie Garcia. - Les enduits ciment parfois utilisés pour rénover des constructions en pisé posent le même problème : avec des matériaux manufacturés, on empêche l'évacuation de la vapeur d'eau par les parois.

Pour se lancer dans un chantier de rénovation, il faut être propriétaire ; il faut un peu d'argent de côté pour autofinancer une partie des dépenses ; il faut un bac+ 5 pour bien comprendre les enjeux du dossier : cela fait beaucoup de conditions. Comment démêle-t-on le vrai du faux ? Tout le monde n'est pas formé à ces questions. Et le coût est une variable importante : isoler au polystyrène, cela va plus vite - mais il faudra tout refaire dans vingt ans...

M. Olivier Joreau. - Nous n'avons pas abordé le sujet de la compétitivité. Il y a quelques années, l'écart de prix entre matériaux traditionnels et matériaux biosourcés était de l'ordre de 25 % ou 30 % ; il s'est fortement réduit avec l'industrialisation des filières, mais nos coûts de revient restent supérieurs à ceux de l'industrie traditionnelle, dont la massification est achevée.

Le prix étant souvent déterminant, l'enjeu d'une TVA à taux réduit sur les rénovations est essentiel : ainsi gommerait-on le petit écart qui demeure et pourrait-on financer la formation des artisans.

M. Michel Dagbert. - Quel est le surcoût actuel ?

M. Olivier Joreau. - L'écart se situe entre 7 % et 10 % en construction neuve. Accompagnés par un architecte spécialisé, nous avons construit un bâtiment de 370 mètres carrés en matériaux biosourcés, en l'occurrence en béton de chanvre préfabriqué : l'écart est de 70 000 euros sur un marché de 1 million d'euros.

Certaines industries très gourmandes en énergie ont plus fortement augmenté leurs prix que nous ne l'avons fait, car nous sommes peu gourmands en énergie ; cette situation est peut-être conjoncturelle, mais la différence s'est encore réduite.

Globalement, l'écart diminue à mesure que nos filières s'industrialisent. L'avenir est à la préfabrication industrielle.

M. Michel Dagbert. - Vous évoquiez le projet européen UP Straw.

Mme Coralie Garcia. - Il s'agissait de tirer vers le haut les autres pays : nous ne partons pas tous avec les mêmes bases.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Une précision : nous avons déposé à plusieurs reprises un amendement visant à instituer un taux réduit de TVA sur l'utilisation de matériaux biosourcés ; il est même arrivé que cet amendement soit voté par le Sénat !

Comment mieux valoriser les matériaux biosourcés dans le calcul du coefficient lambda ? Actuellement, un matériau biosourcé est pénalisé dans le DPE : ses qualités sont très mal, voire pas du tout, prises en compte. Autrement dit, le mode de calcul est défavorable au choix du biosourcé ; le coefficient lambda ne fonctionne pas.

Or la sensation de confort est très différente en fonction des matériaux : on aura tendance à mettre le chauffage à 25 degrés dans une construction en métal contre 18 degrés dans une construction en chanvre ou en paille. L'économie d'énergie à la clé est énorme...

Mme Coralie Garcia. - Nous avons eu ce projet en commun avec d'autres filières biosourcées : réfléchir à une réforme du coefficient lambda. Cette question est très complexe et très technique - le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), notamment, s'y est frotté.

On se rend compte en tout cas que les paramètres à prendre en compte sont nombreux. Le phénomène que vous avez décrit est bien connu en physique : c'est l'asymétrie de rayonnement.

Comment intégrer cette question dans le DPE ? Il faudrait avancer sur l'élaboration d'un « équivalent lambda » pour les matériaux biosourcés, calculé en fonction de leurs caractéristiques propres, inertie, densité, hygroscopie, propriété de bloquer les fuites d'air parasites, etc. Nous manquons de budgets pour analyser tout cela de manière plus approfondie, mais nous y travaillons déjà avec le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) et avec l'Institut technologique FCBA (forêt, cellulose, bois-construction et ameublement).

M. Yves Hustache. - C'est un sujet scientifique complexe : nous avons un projet en cours avec le FCBA et le Laboratoire d'études et de recherche sur le matériau bois (Lermab) pour essayer de mieux caractériser les choses.

Le coefficient lambda mesure le confort d'hiver, mais ne prend pas du tout en compte le confort d'été, qui est pourtant l'une des caractéristiques distinctives des matériaux biosourcés, dont la capacité thermique et la densité sont supérieures à celles des matériaux plus conventionnels. Il n'existe aucune traduction réglementaire de cette différence de ressenti qu'expérimentent ceux qui vivent dans des bâtiments biosourcés.

M. Olivier Joreau. - Un projet collectif de R&D est en cours pour prouver ce bénéfice hygrométrique des matériaux biosourcés. Le défi consiste à le modéliser, sachant que l'hygrométrie varie tous les jours.

Mme Sabine Drexler. - Si je comprends bien, vous manquez de moyens pour aller aussi rapidement et aussi loin qu'il le faudrait sur ces questions ? Le patrimoine bâti est actuellement en péril : des maisons isolées avec des matériaux inadaptés commencent à être démolies. Le sujet que nous sommes en train d'évoquer a donc un caractère d'urgence : il ne faut pas perdre de temps, car on se dirige vers un saccage patrimonial.

M. Philippe Lamarque. - Nous avons besoin de moyens supplémentaires, mais le dispositif MaPrimeRénov' Sérénité autorise déjà, depuis 2021, à déroger sous certaines conditions aux diktats du coefficient lambda. Nous attendons désormais la mobilisation d'une maîtrise d'oeuvre susceptible d'accompagner les rénovateurs de tous acabits, assortie d'une obligation de résultat.

M. Olivier Joreau. - Reste que le manque de moyens est patent, s'agissant de sujets de R&D complexes, qui exigent l'installation de chambres d'essai. Le CSTB doit jouer son rôle, mais ses ressources financières ne sont pas illimitées... Comment accompagner cet effort de modélisation ?

Mme Coralie Garcia. - En pratique, nous savons que l'isolation en matériaux biosourcés fonctionne bien, qu'il s'agisse d'utiliser des bétons végétaux, chaux-chanvre, terre-chanvre, ou d'isoler par l'extérieur des murs en pisé avec de la paille ; mais nous manquons de moyens pour le prouver, parce qu'un bâtiment est une réalité complexe : c'est de l'humain et de la physique. Mais, en pratique, cela fait des millénaires que des bâtiments sont isolés en torchis ou en chaux.

M. Olivier Joreau. - Aujourd'hui, les matériaux sont caractérisés et les coefficients lambda mesurés en usine. Ce qu'il faut réussir à modéliser, c'est la complexité d'un bâtiment. Nous souhaiterions la réalisation de tests in situ sur plusieurs années, afin d'évaluer l'influence de nos matériaux sur l'amélioration du confort ressenti par les usagers, mais cela coûte cher.

Mme Coralie Garcia. - Comment recréer ce qui se passe dans une botte de paille ? La réalisation de tests suppose de faire des modèles miniatures...

M. Michel Dagbert. - Il faut de surcroît tenir compte des interactions avec le bâti existant : un même matériau isolant ne donnera pas les mêmes résultats selon qu'il s'applique à un bâtiment dont l'enveloppe est en béton cellulaire ou en brique.

Mme Coralie Garcia. - On nous demande de simuler des effets en laboratoire en utilisant de petites boîtes. Il faudrait pouvoir expertiser à échelle réelle : faire de véritables tests avec de véritables gens et de véritables bâtiments.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Êtes-vous en lien avec les Grands ateliers de L'Isle-d'Abeau, en Isère, structure unique en France qui regroupe architectes, entreprises et artisans travaillant sur des prototypes de bâtiments en matériaux biosourcés de tous types ? Une telle initiative permet de mettre l'accent sur la formation, sur le lien entre les acteurs et sur l'effort de normalisation des procédés.

Mme Coralie Garcia. - Nous les connaissons bien.

M. Philippe Lamarque. - L'État nous accompagne, via la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) ou l'Ademe. Ce qui nous manque, c'est un accompagnement pluriannuel. Un contrat d'objectifs permettrait de sortir de la logique du « coup par coup », qui nous oblige à redéposer un dossier chaque année. Nous passons plus de temps à accomplir des démarches administratives qu'à réaliser des essais et à développer des techniques...

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Énergies - Audition

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Mesdames et messieurs, mes chers collègues, je vous remercie d'être venus en nombre pour cette dernière audition de la journée. Nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête par une table ronde réunissant plusieurs acteurs du secteur de l'énergie. Nous recevons les représentants de cinq organismes.

L'Ignes, constituée de trentre-huit entreprises, est l'alliance des industriels proposant des solutions électriques et numériques au service des bâtiments et de leurs occupants. Elle est représentée par M. Bruno Capbordy, vice-président, et par Mme Anne-Sophie Perissin-Fabert, déléguée générale.

Mme Cindy Demichel, présidente et cofondatrice de Celsius Énergie, start-up de géoénergie, et Mme Armelle Langlois, directrice du pôle performance durable de Vinci construction représentent le collectif France géoénergie. Ce jeune collectif, créé en novembre 2022, a pour mission de rendre visibles le potentiel et la pertinence de la géothermie et d'accompagner particuliers et professionnels dans le déploiement de cette solution de chauffage et de rafraîchissement.

La Fédération des services énergie environnement (Fedene) est représentée par son président, M. Pierre de Montlivaut. La Fedene regroupe sept syndicats et cinq cents entreprises engagées pour l'efficacité énergétique, le développement d'énergies renouvelables et la récupération thermique.

Mme Christine Goubet-Milhaut est la présidente de l'Union française de l'électricité (UFE). L'UFE regroupe cinq cents entreprises et représente l'ensemble des acteurs présents sur la chaîne de valeur du secteur électrique français.

Enfin, France Gaz est représenté par son délégué général, M. Thierry Chapuis, également président de France gaz maritime. Ce syndicat professionnel de l'industrie gazière française couvre le gaz naturel, renouvelable, l'hydrogène et le GPL.

Mesdames et messieurs, vous intervenez dans le domaine de l'énergie dans différents secteurs : géothermie, réseaux de chaleur, gaz, énergies renouvelables, électricité et pilotage des consommations.

Afin d'atteindre nos objectifs de décarbonation à horizon 2050, le secteur du logement doit drastiquement diminuer ses consommations d'énergie et réduire ses émissions de gaz à effet de serre. L'optimisation des consommations et le recours à des modes de chauffage décarbonés sont deux solutions communément admises pour y parvenir.

Si l'électrification des modes de chauffage contribue à la décarbonation du secteur, le tout électrique n'est pas une solution envisageable : il s'agit d'une impasse technique, nos capacités de production n'étant pas en mesure d'alimenter un parc de logements massivement chauffés et refroidis à l'électricité. Quelles opportunités peuvent donc offrir les réseaux de chaleur et la géothermie en termes de décarbonation et d'efficacité énergétique ? Ces deux modes de chauffage et de refroidissement semblent insuffisamment développés au regard de leurs qualités telles que de faibles émissions, de chaleur issue de sources d'énergies renouvelables en majorité, de facilités de raccordement, ainsi que de confort d'été. De même, quelles perspectives le biogaz peut-il offrir ? Cette source d'énergie décarbonée peut-elle participer à une diversification du mix de chauffage et d'eau chaude sanitaire du logement ?

S'agissant de la diminution de nos consommations, comment les solutions de pilotage peuvent-elles être massifiées, afin de garantir une optimisation - donc une baisse - des consommations, ainsi qu'une prise de conscience collective de nos usages ?

Finalement, pour assurer une réponse et une adaptation du secteur, quels sont les besoins en termes de formation, tant des jeunes que des professionnels actifs pour vos filières ?

Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.

Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mmes Cindy Demichel, Christine Goubet-Milhaut, Armelle Langlois, Sophie Perrissin-Fabert et MM. Bruno Capbordy, Thierry Chapuis et Pierre de Montlivaut prêtent serment.

Mesdames, messieurs, je vous remercie. Vous avez la parole.

M. Bruno Capbordy, vice-président de l'Ignes. - Madame la Présidente, monsieur le Rapporteur, mesdames et messieurs les Sénateurs, je vous remercie de donner à l'Ignes l'opportunité de présenter ses solutions de pilotage dans le logement.

L'Ignes est un syndicat de fabricants, présidé par Benoît Coquart, directeur général du groupe Legrand. Il regroupe quarante entreprises françaises et européennes (petites et moyennes entreprises, entreprises de taille intermédiaire et grands groupes), représentant 300 000 emplois en Europe, dont 100 000 en France. Ces entreprises travaillent sur les solutions électriques et numériques du bâtiment, c'est-à-dire l'infrastructure de distribution électrique, numérique et d'énergie dans les logements ou dans les bâtiments inférieurs à 1 000 mètres carrés.

Faute d'équipements, ces bâtiments génèrent de l'inconfort et du gaspillage. Le manque de pilotage des consommations énergétiques - notamment du chauffage pièce par pièce - est la cause principale de cet inconfort. Le déploiement insuffisant de ces solutions de pilotage pièce par pièce ou usage par usage engendre également des pertes d'énergies. Sans équipement de pilotage, une famille de quatre personnes doit effectuer vingt-quatre gestes d'économie par jour pour atteindre les objectifs de baisse de consommation ce qui génère de l'inconfort et une non-opérationnalisation des gestes d'économie d'énergie. De plus, ces solutions de pilotage permettent d'éviter le gaspillage d'énergie lors de l'absence des usagers, et ce à la fois dans les petits bâtiments et dans les logements.

Dans le parc actuel, les solutions de pilotage sont souvent limitées à des thermostats, dont la technologie et l'interface utilisateur sont trop anciennes ce qui obère la capacité des ménages de piloter la consommation de ces bâtiments.

La massification de ces solutions permettra d'apporter de la finesse, de la réactivité et de s'adapter à la nécessité du pilotage de la chaleur dans les logements.

Les chaudières et les pompes à chaleur sont généralement équipées d'un thermostat programmable que les ménages sont réticents à manipuler. Par ailleurs, celui-ci ne régule qu'une seule prise de température et ne permet pas un pilotage pièce par pièce - ce dernier étant grand facteur d'économie d'énergie en s'adaptant au cycle d'utilisation du logement.

Notre objectif est de montrer que tous les déploiements que nous avons réalisés en termes de pilotage des consommation pièce par pièce permettent de réaliser des économies substantielles, en simplifiant les gestes afin de limiter l'inconfort et de faire baisser les charges des ménages. En suivant le cycle de vie du logement, ces solutions de pilotage automatisées limitent la consommation aux heures, espaces et intensité adéquats grâce à une adaptation à l'inertie du logement.

Ces solutions représentent un réel gisement d'économies d'énergie. Une étude publiée par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) démontre que les thermostats connectés permettent de réaliser jusqu'à 15 % d'économie d'énergie. Nos propres observations montrent qu'un pilotage connecté pièce par pièce permet d'atteindre et même de dépasser 20 % d'économie d'énergie.

Ces solutions induisent quatre effets :

- elles limitent l'effet rebond lié aux travaux de rénovation, les ménages ayant tendance à chauffer un peu plus ;

- ces solutions accompagnent les personnes âgées grâce à un système automatisé s'autorégulant ;

- elles garantissent un retour sur investissement rapide en trois à cinq ans, les solutions étant peu onéreuses et rapidement déployables ;

- elles répondent aux besoins de flexibilité des consommations des logements, par exemple en réponse aux alertes Ecowatt rouges.

Aujourd'hui, nous observons que les politiques publiques déployées autour de la rénovation des logements fonctionnent par technologie. Nous pensons que ces technologies doivent être appréhendées dans leur ensemble et qu'il est nécessaire de « désiloter » les différents sujets : isolation, chauffage, pilotage, etc.

Il faut également « désiloter » la notion de confort et de gaspillage d'énergie en été, et en hiver. En effet, le réchauffement climatique induit une accélération des coûts de climatisation ou de ventilation. Les technologies de pilotage permettent de réguler l'apport de calories l'hiver comme l'été, en utilisant les volets roulants pour accroître ou limiter l'entrée de la chaleur et pour faciliter le brassage d'air. Cette régulation de la température permet de mieux vivre dans un logement et de moins subir les effets du réchauffement climatique.

Le pilotage de la climatisation est un facteur d'amélioration de la performance énergétique et de décarbonation, grâce à la réduction du gaspillage d'énergie induite par l'adaptation aux différents usages et aux différentes zones des logements.

Il nous paraît donc essentiel d'introduire cette notion de sobriété et de confort d'hiver et d'été dans les travaux, aujourd'hui inexistante.

Mme Armelle Langlois, déléguée générale de l'Ignes. - Mon intervention a pour objectif de démontrer que les solutions de pilotage ne sont pas suffisamment prises en compte dans les différents dispositifs d'aide publique.

La RE2020 prend significativement en compte les aspects de sobriété d'été, avec des indicateurs dédiés comme les degrés-heures d'inconfort ou le besoin bioclimatique (Bbio), ou la notion de pilotage par pièce : les technologies liées à ces enjeux sont bien couvertes en ce qui concerne la construction neuve.

Il n'en est pas de même pour la rénovation, puisque cette solution n'existe pas dans le dispositif MaPrimRénov'. Depuis longtemps, l'Ignes et d'autres acteurs présents autour de la table plaident pour la mise en place d'un bonus pour l'installation de thermostats lors de gestes de travaux subventionnés par MaPrimeRénov'.

Les certificats d'économie d'énergie (CEE) pour les thermostats sont d'un montant faible, entre vingt et cinquante euros, ils sont par conséquent peu utilisés et distribués. Nous essayons, à travers le programme Oscar, de mettre en place une solution permettant de mieux les distribuer à travers les distributeurs professionnels. Par ailleurs, concernant la sobriété d'été, la réglementation actuelle impose que les bâtiments soient climatisés pour que les solutions mobiles comme les stores ou l'automatisation des ouvertures soient éligibles aux CEE. C'est pour nous une véritable ineptie réglementaire dont nous réclamons la modification car elle incite à la mise en place d'une climatisation avant l'installation de solutions de sobriété.

Par ailleurs, pour adapter les logements au réchauffement climatique, il est essentiel de s'interroger sur les scénarios climatiques utilisés. Nous plaidons pour que le calcul de Cumac soit basé sur des scénarios prospectifs afin de mieux valoriser les solutions déployées.

Nous sommes aussi très maltraités dans le diagnostic de performance énergétique (DPE). Le DPE prévoit une information sur le niveau de confort d'été (rouge, orange et vert), basé sur le caractère traversant des logements, la présence de brasseurs d'air ou de volets. Il ne tient pas compte de la performance de ces solutions ni de leur qualité. Par ailleurs, dans la description des équipements techniques, le diagnostic comporte une case sur la présence de solutions de pilotage du chauffage très élémentaires (mode jour/nuit), sans tenir compte de leur performance. Les solutions de pilotage intelligent ne sont également pas valorisées dans la méthode de calcul déterminant l'étiquette du logement.

Il nous semble donc important de faire évoluer le DPE qui est devenu un élément clé de discussion, de compréhension des enjeux et de propositions pour les professionnels. Il est essentiel d'intégrer ces éléments de sobriété dans le DPE, à la fois de façon informative, avec une description claire des équipements présents dans les logements et une valorisation de leur performance, afin de permettre aux diagnostiqueurs de proposer des solutions.

Les enjeux de sobriété d'été pour l'adaptation des logements et de pilotage des consommations ne sont donc aujourd'hui pas du tout intégrés dans la réglementation concernant l'existant.

Mme Cindy Demichel, collectif France géoénergie. - Nous vous remercions de donner à notre nouveau collectif l'opportunité de présenter son action. Ce collectif est né à la suite de la parution du rapport du Haut-Commissariat au plan Responsabilité climatique. La géothermie de surface : une arme puissante et du Plan d'action géothermie du Gouvernement.

France géoénergie regroupe une quarantaine d'acteurs, des entreprises du bâtiment, des énergéticiens, des sociétés foncières, des promoteurs et des professionnels de la géothermie.

L'Université de la Ville de demain et l'institut Palladio sont à l'origine de la création de ce collectif afin de systématiser le recours à la géoénergie - c'est-à-dire à la géothermie de surface. France géoénergie également soutenu par Celsius énergie, Equans et le bureau de recherches géologiques et minières (BRGM).

La géothermie de surface est une technique millénaire qui capte l'énergie sous les bâtiments, dans les deux cents premiers mètres de terre. Ces calories sont captées en hiver pour chauffer les bâtiments et sont rejetées dans le sol en été pour les refroidir, à l'échelle d'une maison, d'un bâtiment ou d'un quartier.

La géothermie profonde descend à plusieurs centaines ou plusieurs milliers de mètres de profondeur pour rejoindre un aquifère et alimenter des réseaux de chaleur.

Il est également possible de capter de l'électricité dans le sol, cependant cette pratique est surtout développée dans les territoires d'outre-mer.

Depuis 2017, le Sénat, qui était auparavant connecté au gaz, est chauffé et refroidi grâce à la géothermie de surface. Je vous propose à cet effet d'organiser une visite des installations. Sorte de « prise à la terre », deux puits captent les calories présentes dans la terre à l'aide d'une pompe à chaleur afin de chauffer les bâtiments l'hiver. En été, ces puits rechargent le sous-sol avec les calories présentes dans les bâtiments. Alors que la climatisation traditionnelle rejette la chaleur d'un bâtiment dans la rue et participe aux îlots de chaleur urbains, la géothermie la stocke dans le sous-sol pour la réutiliser l'hiver suivant. Avec le remplacement du gaz par la géothermie, la consommation d'énergie du Sénat a été divisée par quatre et ses émissions de carbone par dix.

La géothermie s'inscrit dans une démarche globale de sortie des énergies fossiles pour le neuf et de mise en place de systèmes hybrides pour les rénovations en s'appuyant sur les moyens de chauffage existants.

France géoénergie a vocation à être un bras armé opérationnel pour la systématisation du recours à la géothermie de surface.

En termes d'aides, le Fonds chaleur de l'Ademe peut être mobilisé. J'ajoute que le coût de la géoénergie est imbattable par tonne de carbone évitée.

Cependant, la Suisse fore huit fois plus de puits de géoénergie que la France alors que ce pays est huit fois plus petit que le nôtre. Nous disposons donc des marges de progression très importantes, d'autant plus que 97 % du territoire français sont éligibles à la géoénergie, soit par la captation d'eau, soit en captant directement la chaleur du sol à l'aide d'un échangeur thermique. Le potentiel de la géothermie est gigantesque et a été évalué à au moins 100 térawattheures. Il s'agit d'une technologie écologique et sociale qui permet de réaliser d'importantes économies : le maire de Chartres a ainsi annoncé qu'il avait divisé par dix la facture énergétique de la mairie en la branchant sur la géoénergie.

La direction immobilière de l'État, qui gère des milliers de mètres carrés, s'intéresse de près à cette ressource locale.

La construction d'une installation prend quelques mois mais une fois en place, elle offre une solution low tech de chauffage l'hiver et de rafraîchissement passif l'été, permettant d'éviter les nuisances sonores, visuelles et la contribution aux îlots de chaleur des systèmes de climatisation.

Le retour sur investissement prend, en tenant compte des aides du Fonds Chaleur, cinq à quinze ans. Il existe également des modèles financiers permettant de lisser l'investissement de départ, notamment grâce à des opérateurs ensembliers.

La géothermie de surface est considérée par Nexity comme le « sucre rapide » de la décarbonation, l'étape numéro une dans la sortie du fossile.

Cependant, aujourd'hui, la géothermie ne représente que 1 % de la chaleur en France. Il y a donc un besoin très fort de sensibilisation du grand public mais aussi de formation des bureaux d'études, des services techniques des collectivités et des acteurs de l'énergie, notamment avec la formation de 7 000 foreurs.

Quinze villes « Action coeur de ville » (Sète, Draguignan, Niort, Chartres, etc.) sont actuellement territoires pilotes de la géoénergie, à la fois dans le but de réduire leur facture énergétique mais aussi afin d'être plus attractives.

Je conclus en vous rappelant que l'exposition Urgence climatique, inaugurée hier à la cité des sciences et de l'industrie par monsieur le ministre Christophe Béchu, présente la géoénergie.

Armelle Langlois, collectif France géoénergie. - Le grand public considère généralement que la géothermie nécessite un très gros investissement initial. Les retours sur investissements étant plutôt rapides, il est possible de proposer des solutions sans mise initiale, via des financements structurés comme les contrats de performance énergétique et des opérateurs ensembliers, mis en place par la loi n° 2023-222 du 30 mars 2023 visant à ouvrir le tiers financement à l'État, à ses établissements publics et aux collectivités territoriales pour favoriser les travaux de rénovation énergétique. Dans ce schéma, l'opérateur est rémunéré par les économies générées, ce qui permet de lever le principal frein au déploiement de cette solution : l'investissement initial.

Si les CEE sont des outils formidables sur des gestes rapides, une rénovation globale peut prendre deux à trois ans et ces certificats ne sont plus valorisés de la même manière à la fin de la période. Le changement de période de CEE a un effet rétroactif sur les engagements pris par les constructeurs et les maîtres d'ouvrage.

Une copropriété souhaitant sortir des énergies fossiles va bénéficier d'aides dans le cadre de MaPrimeRénov'. Cependant, si quelques années après elle souhaite engager d'autres investissements, elle ne sera plus éligible. Il serait donc intéressant de mettre en place un parcours coordonné dans le temps permettant d'avoir accès à des aides pour que les travaux soient financièrement soutenables.

M. Pierre de Montlivault, président de la Fédération des Services Énergie Environnement (Fedene). - Je vous remercie de nous avoir invités ensemble car je crois que nous partageons tous des adhérents, à l'exception peut-être de l'Ignes, mais les membres de la Fedene sont de gros consommateurs des solutions commercialisées par ses adhérents.

La Fedene regroupe cinq cents entreprises spécialisées d'une part dans les économies d'énergie et d'autre part dans la chaleur renouvelable et de récupération.

Nous sommes exploitants des solutions que nous avons construites, que ce soit en termes de réduction de la consommation ou de changement de source d'énergie avec l'abandon des énergies fossiles. Ce positionnement nous offre un point de vue particulier, se prolongeant après la fin des travaux et permettant d'observer les économies d'énergie réelles, celles-ci n'étant pas toujours à la hauteur des promesses, comme le montrent plusieurs études de l'Ademe.

La chaleur représente 43 % de la consommation d'énergie du pays et est carbonée à 65 %. C'est la raison pour laquelle la guerre en Ukraine a eu un impact considérable sur le pouvoir d'achat des Français et a mis en danger l'équilibre économique d'un certain nombre d'activités, avec l'envolée des prix du gaz et ses répercussions sur ceux de l'électricité.

Par ailleurs, l'État a dépensé près de 100 milliards d'euros pour les boucliers tarifaires. Ces dépenses auraient pu être évitées si nous avions été moins dépendants aux énergies fossiles, d'autant plus que des solutions techniques existent.

S'agissant les économies d'énergie, vous nous interrogez sur la manière de passer de rénovations mono gestes à une approche globale. Celle-ci est indispensable pour atteindre l'objectif de 40 % d'économie d'énergie dans les bâtiments. Nous ne pouvons pas pour autant traiter de la même manière la maison individuelle, l'appartement avec une chaudière fonctionnant au gaz, les logements avec un chauffage collectif et les bâtiments tertiaires.

L'approche globale nécessite l'intervention d'un bureau d'études pour identifier le « cocktail » de solutions le plus approprié et n'est possible qu'à partir d'une certaine taille de bâtiment, avec une maîtrise d'ouvrage professionnelle.

Le contrat de performance énergétique (CPE) nous semble une bonne solution puisqu'il garantit des économies d'énergie en engageant les professionnels à diminuer la consommation d'un bâtiment. Si l'objectif n'est pas atteint, ce sont les entreprises qui ont mis en place les solutions qui paieront la différence. Il y a donc un vrai retour sur investissement pour le maître d'ouvrage et une garantie de bonne utilisation des subventions publiques.

Je remercie le Sénat d'avoir voté à l'unanimité le texte mentionné plus tôt portant sur le financement différé dans les CPE. Il s'agit d'un outil simple, dont les décrets d'application doivent être rapidement publiés en évitant d'ajouter de la complexité, qui permettra de massifier la rénovation.

Pour la maison individuelle, la situation est plus compliquée en l'absence d'un maître d'ouvrage professionnel. Le mono geste avait le grand avantage de la simplicité, notamment avec le crédit d'impôt développement durable (devenu par la suite le crédit d'impôt transition énergétique). La mise en place d'un parcours nous paraît le bon compromis pour la mise en oeuvre d'un cocktail d'actions fragmenté mais relativement rapide. Cette proposition répond à la problématique du reste à charge : commencer par des actions avec un retour rapide sur investissement permet de dégager des capacités de financement supplémentaires pour les actions ultérieures.

S'agissant de la décarbonation de la chaleur, nous disposons de nombreuses solutions. Depuis l'année dernière, nous observons un bouillonnement d'initiatives. Par exemple, les villes dont les piscines sont chauffées au gaz s'interrogent sur le recours à des réseaux de chaleur, qui existent dans 900 villes françaises. Les demandes de raccordement des copropriétés et des bâtiments tertiaires à ces réseaux ont été multipliées en 2022 entre trois et cinq par rapport aux années précédentes.

L'ambition pour l'industrie doit par ailleurs être bien plus forte que celle discutée dans les ateliers de la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) avant la guerre en Ukraine. Dans nos rêves les plus fous, nous imaginions obtenir 40 % de chaleur renouvelable et de récupération à l'horizon 2030. L'exercice a été refait avec le Club de la chaleur renouvelable, qui comprend le Syndicat des énergies renouvelables, Amorce, mais aussi des associations spécialisées, et nous avons la conviction de pouvoir atteindre, d'ici 2030, 54 % de chaleur renouvelable et de récupération, dans l'industrie comme dans les réseaux de chaleur et dans le bâtiment.

La géothermie à un rôle essentiel à jouer, derrière l'énergie de récupération, insuffisamment développée dans notre pays. En effet, l'énergie produite par un process industriel ou la combustion de déchets « chauffe aujourd'hui les petits oiseaux » : elle doit être récupérée. Nous pouvons par exemple alimenter des réseaux de chaleur à partir de data centers. Nous avons également à notre disposition le solaire thermique, la géothermie profonde et la géothermie de surface, avec laquelle nous pouvons alimenter des réseaux de chaleur par des boucles d'eau tempérée, et la biomasse.

Contrairement à ce qu'affirme Mme la ministre Agnès Pannier-Runacher, qui craint que la biomasse soit insuffisante pour tous les usages, nous sommes confiants à l'horizon 2030. En revanche, elle a raison à l'horizon 2050 si nous cumulons toutes les feuilles de route de décarbonation. Selon les études que nous avons menées avec le comité interprofessionnel bois-énergie, la baisse de la consommation domestique induite par des poêles plus efficaces devrait libérer des volumes de bois pour chauffer des industriels ou des réseaux de chaleur.

Enfin, le biométhane est très important pour les réseaux de chaleur. En effet, les besoins de chaleur, comme les besoins en électricité, varient en fonction de la température extérieure. Si les chaudières bois ou la géothermie sont parfaites pour assurer les besoins de base, les chaudières gaz permettent de répondre aux pointes de demande. Aujourd'hui, les réseaux de chaleur sont dimensionnés à 80 % en chaleur renouvelable et de récupération et à 20 % en gaz. Pour les décarboner à 100 %, nous avons besoin du biométhane.

Nous avons donc de très belles perspectives, avec des technologies mâtures. Cependant, le Fonds chaleur de l'Ademe, qui coûte, d'après la direction générale du trésor, la somme imbattable de 32 euros par tonne de CO2 économisé, stagne à un niveau totalement insuffisant. Les 500 millions d'euros prévus pour 2023 seront entièrement engagés au mois de juin alors l'Ademe a identifié des projets à hauteur de 750 millions d'euros. Il faut donc envisager un projet de loi de finances rectificatif ou des réaffectations de crédit pour éviter que de nombreux projets soient reportés. Pour atteindre l'objectif de 54 % de chaleur renouvelable et de récupération d'ici 2030, le Fonds chaleur doit être porté à un milliard d'euros par an sur la durée du quinquennat. Il me semble que certains se sont engagés sur ce niveau de financement. J'espère que cette promesse sera honorée et que le Sénat pourra faire bouger les lignes, le ministère de la transition énergétique étant contraint par la direction du budget. Ce sont pourtant des chiffres ridicules au regard des 100 milliards d'euros dépensés pour le bouclier tarifaire.

Mme Christine Goubet-Milhaut, présidente de l'Union française de l'électricité (UFE). - Je salue l'initiative du Sénat d'évaluer l'efficacité des politiques publiques en termes d'efficacité énergétique avec la création de cette commission d'enquête.

L'UFE agit au niveau national et au niveau européen. De grands textes, très structurants pour le bâtiment, sont en discussion à Bruxelles dans le cadre du « Fit for 55 », l'un sur l'efficacité énergétique, un autre sur les performances des bâtiments.

Le bâtiment est l'un des secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre. C'est un sujet climatique mais aussi un sujet social, notamment en termes de factures d'énergie. Il est donc essentiel d'engager la rénovation des bâtiments pour réduire les émissions et les factures des ménages, des entreprises et des collectivités et diminuer notre dépendance énergétique.

Nous convenons tous qu'il n'existe pas de solution unique mais que nous devrons segmenter notre stratégie par type de bâti - résidentiel, tertiaire et industriel - avec un mix de solutions, de l'électricité, qui aujourd'hui n'est pas majoritaire dans le bâtiment, des pompes à chaleur performantes, de l'autoconsommation, des réseaux de chaleur et de froid décarbonés, de la biomasse, du solaire thermique ; toutes ces solutions étant combinées avec l'accroissement du pilotage des consommations.

Pour investir dans ces solutions, les acteurs économiques doivent disposer d'une vision pluriannuelle des dispositifs d'aide, notamment le dispositif MaPrimeRénov'.

Ces dispositifs sont importants. MaPrimeRénov' bénéficie de 2,4 milliards d'euros, les CEE de 4 à 5 milliards d'euros. Il est essentiel que ces dépenses soient optimisées en termes d'efficacité énergétique et d'émission de CO2, c'est-à-dire alignées sur les objectifs inscrits à l'article 100-4 du Code de l'énergie.

L'UFE est favorable à la massification des CPE, notamment pour la décarbonation des bâtiments tertiaires et publics. L'UFE appelle également au développement de rôles d'ensemblier afin industrialiser le processus à la maille d'une commune ou d'un quartier en croisant les données. Ces données peuvent aider les décideurs à identifier les actions prioritaires de rénovation en croisant des éléments sur les bâtiments détenus par les collectivités locales avec des données de consommation fournies par les compteurs Linky. Cette démarche permettrait d'identifier les gisements de décarbonation potentiels dans le bâtiment.

L'UFE est également favorable au parcours de rénovation de 18 à 24 mois, anticipant une rénovation performante par étapes, au regard des dispositifs d'aide. Ces rénovations sont souvent complexes et coûteuses et dépenser de l'argent public sur des gestes simples n'offre pas de garantie de performance sur l'efficacité énergétique et sur la baisse des émissions de CO2. Nous proposons une bonification des aides de MaPrimeRénov' dès lors que les gestes sont engagés dans une logique de parcours de rénovation par étapes, dans un temps limité.

Dans la logique d'évaluation qui est la vôtre, nous suggérons que MaPrimeRénov' encourage le passage d'une catégorie de DPE à une autre.

Le dispositif des CEE est assez complexe et assez onéreux. Notre interrogation porte sur la qualité des travaux réalisés et sur la lutte contre les éco-délinquants à la recherche d'effets d'aubaine. En effet, plus le dispositif est complexe, plus il y a de moyens d'interférer dans son mécanisme et de nuire à la confiance des ménages et des entreprises.

L'accompagnement est très important et une consultation est en cours pour le modifier en associant l'Agence nationale de l'habitat (Anah) et les collectivités locales. Il est aujourd'hui assez complexe à appréhender pour les ménages.

Les dernières évolutions législatives et réglementaires sur les CEE se sont plutôt attachées au contrôle des demandeurs de CEE qui n'ont pas les moyens de vérifier la qualité des travaux réalisés. Nous recommandons que le contrôle touche les premiers maillons de la chaîne de valeur, c'est-à-dire les artisans qui réalisent les travaux, pour écarter les éco-délinquants, par le renforcement du label Reconnu garant de l'environnement (RGE) et par des politiques de contrôle avant et après travaux.

Nous redoutons un goulet d'étranglement sur la formation. L'UFE a signé un Engagement de développement de l'emploi et des compétences (EDEC) avec l'État. Le bâtiment représente près de 220 000 emplois sur les 600 000 emplois de la filière électrique et l'application de la PPE actuelle créera de 80 000 à 100 000 emplois d'ici 2030. Il est donc essentiel d'investir dans la formation initiale et continue et de travailler sur l'attractivité de certains métiers. Nous devrons former tous les chauffagistes sur de nouveaux équipements bas carbone comme les pompes à chaleur ou la géothermie. Par ailleurs, la pilotabilité des équipements se traduira par une numérisation croissante, le digital doit être intégré dans toutes les formations. Nous devons également les adapter à la traçabilité des opérations de travaux, avec le datage numérique, les photos post-travaux, les signatures électroniques, etc.

Il existe déjà plusieurs programmes de formation (CEE Feebat ou QualiPAC) mais nous pensons que le secteur a besoin d'une ambition plus intégratrice et d'une meilleure visibilité des programmes.

Enfin, en combinant plusieurs dispositifs, MaPrimeRénov', l'aide « Habiter Mieux Sérénité » de l'Anah ou les CEE Précarité, il est possible de supprimer le reste à charge pour les ménages les plus modestes. Cependant, nous pensons que les barèmes d'aide doivent être renforcés pour soutenir les ménages aux revenus intermédiaires.

M. Thierry Chapuis, délégué général de France Gaz. - Je vous remercie, madame la Présidente et monsieur le Rapporteur de nous laisser la parole.

France Gaz, qui regroupe l'ensemble de l'industrie gazière, fait face la baisse des consommations, notamment celle de gaz fossile, mais aussi à la hausse du gaz renouvelable, comme le biogaz et les gaz issus des déchets sur lesquels nous commençons à travailler et qui ont un bel avenir.

En termes de chauffage, pour avoir un parc plus performant, il nous semble important de lever les freins auxquels sont confrontés les ménages, notamment celui du reste à charge.

Par ailleurs, le bouclier tarifaire gaz prend fin avec la baisse des prix du gaz, qui sont revenus à un niveau acceptable.

Comme l'a dit Mme Goubet-Milhaut, il est important d'augmenter le nombre de rénovations globales. Nous pensons aussi que les bâtiments les moins performants, classés F ou G, doivent être ciblés, avec pour objectif de les passer en C et D. Nous appelons aussi à la fiabilisation des DPE, à la simplification des CEE et à la mesure de leur efficacité. En effet, l'Ademe a montré qu'il y a souvent des écarts importants entre les TWh Cumac annoncés et effectifs.

Nous sommes également partisans de ne pas mélanger l'efficacité énergétique avec la décarbonation des bâtiments.

Sur le bâtiment, comme vous l'avez dit, Madame la présidente, les recettes faciles sont souvent impossibles. Il n'est pas envisageable de tout électrifier. Les rumeurs que nous avons entendues sur l'interdiction du gaz dans le bâtiment ont disparu et se sont transformées en proposition de le limiter fortement. Il y a pourtant des situations où nous avons peu d'options pour le remplacer.

Par exemple, dans les immeubles collectifs de type haussmannien, avec des toits en zinc, il n'est pas simple d'envisager d'autres installations que le gaz. De même, en milieu rural, quand le fioul est interdit et que le réseau électrique n'est pas suffisamment dimensionné, des solutions trop rapides pèseraient sur l'ensemble des ménages. Je précise que 25 000 communes ne sont pas raccordées au réseau de gaz mais utilisent quand même du gaz. Enfin, dans l'ancien mal isolé, les solutions ne sont pas simples.

Parallèlement à l'enjeu de financement, il y a aussi un enjeu d'entretien des systèmes de chauffage dans la durée. Les chaudières gaz à très haute performance énergétique s'entretiennent très facilement. Nous notons aussi que les aides ne couvrent pas tous les mécanismes d'entretien, ce qui provoque des charges d'entretien assez conséquentes.

Nous sommes convaincus que la question de la sécurité d'approvisionnement énergétique globale se posera au moins jusqu'en 2035 et la mise en service des nouveaux réacteurs nucléaires.

Dans l'hypothèse où le chauffage au gaz serait complètement interdit, la Commission de régulation de l'énergie (CRE) a estimé qu'il faudrait disposer de 35 Gigawatts supplémentaires de production d'électricité en hiver. Par ailleurs, 8 GW supplémentaires seraient nécessaires pour remplacer le gaz utilisé hors réseau. Ces 43 GW représentent l'équivalent de plusieurs réacteurs nucléaires. L'électrification doit donc se faire à un rythme raisonnable.

Les effets climatiques doivent être étudiés en cycle de vie, notamment en cas de remplacement d'un système de chauffage au gaz par un système électrique.

La filière des gaz renouvelables se développe et répond à l'enjeu du made in France. C'est une filière très agricole, qui s'appuie sur les méthaniseurs. Si à ces débuts cette filière a utilisé des technologies allemandes, elle exporte aujourd'hui son savoir-faire et certains acteurs envisagent de se consacrer exclusivement à l'exportation. Notre pays dispose de 500 méthaniseurs, pour une capacité de production de 10 TWh. La filière est néanmoins confrontée à la hausse de ses coûts, notamment parce que les mélangeurs sont alimentés par de l'électricité. Parallèlement, ses tarifs ne sont pas indexés sur l'inflation ou sur les prix de l'électricité, ce qui conduit certains acteurs comme Prodeval à envisager d'installer ses unités en Italie.

La filière estime qu'une proportion de 20 % de gaz renouvelables est atteignable à l'horizon 2030 avec une capacité de 50 TWh en méthanisation - soit dix fois plus qu'aujourd'hui -, 10 TWH pouvant être produits à partir de technologies innovantes de traitement de déchets solides ou liquides ou de méthanation, qui recombine de l'hydrogène et du CO2 pour produire du méthane de synthèse.

Pour les maisons individuelles, nous estimons que les pompes à chaleur hybrides, fonctionnant essentiellement avec la géothermie avec un complément gaz, devraient être installées par défaut. En effet cette technologie permet de répondre au problème de la pointe.

Pour les immeubles, en absence de solutions alternatives, nous pensons que les pouvoirs publics doivent encourager le remplacement des chaudières gaz classiques par des appareils à très haute performance énergétique qui permettent une économie de consommation de l'ordre de 30 %. Sur 30 millions de logements, 10,8 millions de logements, sont chauffés au gaz, dont 3,3 millions sont situés dans des immeubles collectifs et chauffés individuellement et 2,5 millions chauffés collectivement.

Enfin, la rénovation énergétique ne doit pas négliger les problèmes de voisinage.

France gaz est convaincue que la transition énergétique ne peut être que progressive et accompagnée. Les Français sont prêts à fournir des efforts comme l'ont montré les résultats en termes de sobriété, la transition doit rester socialement acceptable sur tout le territoire. Notre parc de chauffage doit intégrer toutes les solutions pour permettre aux Français de se chauffer le plus efficacement possible tout en s'inscrivant dans le processus de décarbonation de l'énergie.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Merci pour ces interventions très précises.

La maintenance du pilotage me paraît essentielle.

Les coûts de la géothermie sont importants, même si les retours sur investissement sont rapides. Réalisez-vous des études systématiques sur l'intérêt de recourir à des équipements collectifs par rapport à des installations individuelles, même si le système d'aides favorise actuellement l'individualisation ?

Est-il pertinent de développer des réseaux de froid pour répondre à la problématique du confort thermique d'été, aujourd'hui mal intégrée dans le DPE et dans la réflexion globale sur la rénovation thermique ?

Concernant le gaz, il me semble important d'apporter de la cohérence entre le développement des méthaniseurs et la fin des subventions des chaudières à gaz au profit des pompes à chaleur. Les méthaniseurs sont souvent développés à l'échelle locale et je m'interroge sur l'opportunité de définir des orientations et d'allouer des financements à l'échelle locale en fonction des ressources et des moyens de chauffage locaux.

Mme Anne-Sophie Perrissin-Fabert. - S'agissant de la maintenance et du pilotage, nous avions, avec l'UFE, dans le cadre du Plan de sobriété énergétique, poussé une mesure pour l'intégration des solutions de pilotage dans les entretiens annuels du chauffage et de la climatisation. Les techniciens vérifient désormais que les systèmes de pilotage fonctionnent correctement et ont été mis à jour.

La performance demande aussi du capital humain et nous sommes favorables à l'intégration dans les dispositifs d'aide de tout ce qui concerne le commissionnement, les energy managers - c'est-à-dire les personnes garantes de la stratégie de réduction des consommations énergétiques - et la maintenance. Prolonger la durée de vie des équipements est en effet essentiel en termes d'économie circulaire et d'économies de carbone.

M. Bruno Capbordy. - Tous les appareils sont aujourd'hui connectés et sont mis à jour en temps réel. Par ailleurs, les interfaces ont été programmées pour informer les consommateurs en cas de dérive de consommation. L'objectif est de renforcer les interactions avec les usagers pour que les applications vivent avec leurs évolutions.

Mme Cindy Demichel. - Nous estimons que 195 000 logements individuels et entre 200 000 et 300 000 logements collectifs sont aujourd'hui connectés à la géoénergie.

Le nombre de maisons connectées a baissé à partir de 2008 en raison de la suppression des aides, le nombre d'installations par an passant de 22 000 à 3 000. Aujourd'hui, la géoénergie concerne de plus gros bâtiments, avec une puissance installée plus importante.

Nous installons aussi des boucles d'eau, notamment le réseau Euromed à Marseille. Une des conditions d'installation de ce réseau était que ce confort climatique d'été ne devait pas se faire au détriment de l'espace public ni contribuer aux îlots de chaleur. En insérant cette condition dans le cahier des charges, la collectivité a clairement indiqué qu'elle attendait une solution de géothermie.

Le village olympique à Saint-Denis Pleyel sera également équipé en géothermie.

Les objets de géothermie s'agrandissent et une boucle d'eau unique permet de mutualiser les besoins entre les bâtiments qui ont besoin de chaud et ceux qui ont besoin de froid, avec une sous-station par ensemble de bâtiment.

La géoénergie est régie par le décret du 8 janvier 2015 portant sur la géothermie de minime importance (GMI) - que j'appellerais « géothermie de maximum impact » - qui permet de limiter les démarches administratives à une télédéclaration, valable jusqu'à 500 kW d'énergie sortie du sol, les risques étant considérés comme minimes. Or, les installations géothermiques importantes ont besoin de plus de 500 kW d'énergie et les projets doivent être instruits selon les règles du code minier, ce qui prend dix-huit mois ou plus. C'est un délai trop long, qui conduit parfois à l'abandon de projets. Or, les études montrent que le risque est minime, notamment pour les technologies sur sonde.

Mme Armelle Langlois. - En géoénergie, nous cherchons à équilibrer la prise de terre, nous ne prenons pas que du chaud ou que du froid. Ce sont les sondes qui sont les plus coûteuses dans la mise en place d'une installation : nous avons ainsi intérêt à saturer le sous-sol pour capter le plus de calories et de frigories possibles, même si cela ne correspond pas forcément aux besoins du bâtiment en surface. C'est pourquoi, structurellement, nous avons tendance à construire des microgrids pour proposer de l'énergie aux bâtiments voisins. Ces structures ne sont pas bloquées sur une technologie, elles peuvent être complétées par de la chaleur fatale produite de manière intermittente. Ceci constitue un frein, dans la mesure où les propriétaires de ces calories fatales intermittentes qui ne veulent pas s'engager sur une production continue.

M. Pierre de Montlivaut. - La Fedene prône le collectif dans la mobilisation de ces énergies techniques : celles-ci sont plus faciles à amortir sur un ensemble de bâtiments que sur un seul. Tout dépend de la typologie urbaine et ce sont les élus qui maîtrisent la planification territoriale. Le décret du 26 avril 2022 relatif au classement des réseaux de chaleur et de froid permet aux maires, aux maîtres d'ouvrage d'un réseau de chaleur vertueux, de planifier les zones où ils souhaitent développer ces technologies. Ils peuvent ainsi imposer aux bâtiments neufs ou aux bâtiments qui bénéficient d'une rénovation énergétique globale un raccordement au réseau. En revanche, le maire peut décider de ne pas le développer dans les zones pavillonnaires, où le réseau a moins de sens économique. Ce dispositif est décrié par certains qui estiment qu'il impose une technologie. À l'inverse, nous rejetons ces critiques car les maires ne sont pas obligés de classer leurs réseaux.

Je pense qu'il faut profiter des travaux de génie civil nécessaire à l'installation d'un réseau de chaud pour construire en même temps un réseau de froid. Il existe 33 réseaux de froid en France. Ils ont été essentiellement développés sur des zones tertiaires, notamment à La Défense et dans le centre de Lyon, parce que l'Ademe considérait que la climatisation représentait un gâchis d'énergie. Ce qui était compréhensible il y a quelques années ne l'est plus alors que les modèles prévoient un réchauffement climatique de 4°C. Les ventes de climatiseurs de base explosent, ils consomment beaucoup d'électricité et renforcent les îlots de chaleur. Il y a donc un potentiel pour le développement des réseaux de froid, en partant des bâtiments qui en ont vraiment besoin, comme les hôpitaux.

Il est possible de s'appuyer sur la géothermie mais aussi sur la thalassothermie. Un réseau de chaleur et de froid vient d'être mis en service à Annecy à partir des eaux du lac. À Paris, c'est l'eau de la Seine qui alimente le réseau Fraîcheur de Paris. Nous disposons donc d'une belle palette de sources renouvelables pour la fabrication du froid.

Mme Christine Goubet-Milhaut. - Les choix qui sont faits aujourd'hui sur les bâtiments ont des effets de lock-in. Ce sont des choix de très long terme, qui ne doivent pas s'appuyer uniquement sur la technologie et qui doivent prendre en compte la sociologie et les besoins des populations.

Nous avons parlé du confort d'hiver et du confort d'été et de la fonction d'adaptation des bâtiments au réchauffement climatique. Nous devons également prendre en compte le vieillissement de la population dans nos perspectives d'investissements.

Enfin, nous sommes attachés à la reconstruction de nos filières stratégiques, notamment pour les panneaux solaires, pour capter la valeur et les emplois et limiter les importations. C'est vrai aussi pour les pompes à chaleur sur lesquelles nous disposons d'une avance technologique : afin d'atteindre les objectifs européens fixés dans le plan RepowerEU, nous devons nous attacher à créer les conditions nécessaires à la valorisation de ces équipements.

M. Thierry Chapuis. - Nous sommes convaincus que les solutions de gaz doivent être appréhendées au niveau régional. Nous appelons aussi à la cohérence des règles. Le gaz renouvelable produit par les méthaniseurs doit être consommé localement. Certains méthaniseurs produisent de l'électricité et de la chaleur, sans injecter de gaz dans le réseau et chauffent quelques maisons par réseau de chaleur. Il y a une vraie histoire humaine et sociétale à raconter et il est essentiel qu'elle soit comprise par nos concitoyens.

Enfin, il faut envisager de prendre des décisions sur la rénovation énergétique en fonction du potentiel local de production de telle ou telle énergie.

M. Pierre de Montlivaut. - À l'horizon 2030, les économies d'énergie et la chaleur renouvelable et de récupération devraient permettre la création de 60 000 emplois.

M. Thierry Chapuis. - Nous avons conclu avec l'État un Edec gaz et réseaux de chaleur associés qui générera la création d'environ 100 000 emplois.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je vous remercie pour ces échanges très intéressants et je vous souhaite une très bonne soirée.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 20 heures.

Mardi 16 mai 2023

- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -

La réunion est ouverte à 14 h 30.

Audition de Maîtres François Devos, directeur des affaires juridiques, et Frédéric Violeau, notaire associé, membre de la section droit immobilier de l'Institut des études juridiques, du Conseil supérieur du notariat

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Maîtres, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous reprenons les travaux de notre commission d'enquête avec l'audition du Conseil supérieur du notariat, qui est représenté par deux notaires, Me François Devos, directeur des affaires juridiques, et Me Frédéric Violeau, membre de la section droit immobilier de l'Institut des études juridiques du Conseil supérieur du notariat.

La loi Climat et résilience a imposé, il y a deux ans maintenant, un calendrier très exigeant pour conduire à la rénovation des logements. La mesure la plus connue est l'introduction de l'indécence énergétique, qui s'impose aux logements locatifs les plus énergivores, les G+, depuis cette année, puis en 2025, 2028 et 2034 aux logements G, F et E. À partir de cette année, s'impose également l'audit énergétique pour les immeubles en monopropriété classés G et F, avant de s'étendre, là aussi, dans un avenir proche. Ce calendrier se fonde sur l'opposabilité du diagnostic de performance énergétique (DPE), qui suscite pourtant beaucoup d'interrogations quant à sa fiabilité. D'autres mesures modifient la prise en compte de la rénovation dans les copropriétés à travers le DPE collectif, l'instauration d'un diagnostic technique global et d'un programme pluriannuel de travaux.

La commission voudrait donc savoir comment, en tant qu'experts de l'immobilier et du patrimoine, vous appréhendez ce calendrier et l'ensemble de ces obligations.

Cette nouvelle réglementation conduit-elle les propriétaires à retirer leur bien de la location en les vendant ou en les consacrant à la location saisonnière ? S'agit-il d'un phénomène d'ampleur, qui doit susciter l'inquiétude pour la stabilité du marché du logement ? Doit-on craindre la création d'un marché gris de la location ?

Quel est l'impact de ces mesures sur le marché immobilier ? Voyez-vous un signal prix significatif à la hausse ou à la baisse selon l'étiquette énergétique ? Est-ce que cela dépend de la typologie des biens ou des zones géographiques ?

Comment peut-on aider les propriétaires bailleurs et quelles seraient, selon vous, les mesures fiscales les plus efficaces ?

Il semble que la rénovation soit en panne dans les copropriétés. Certains pointent les modalités de décision en assemblée générale. Comment, selon vous, le cadre législatif pourrait-il évoluer ?

Enfin, la loi Climat et résilience a voulu relancer le financement de travaux via des prêts hypothécaires, en l'espèce le prêt avance rénovation. Quel est votre avis sur ce dispositif ? Pourquoi ne fonctionne-t-il pas ?

Je précise que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié. Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.

Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Me François Devos et Me Frédéric Violeau prêtent serment.

Me Frédéric Violeau, notaire associé, membre de la section droit immobilier de l'Institut des études juridiques du Conseil supérieur du notariat. - Madame la Présidente, nous sommes très honorés d'être parmi vous. Vous avez évoqué l'opposabilité du DPE et son évolution rapide. Il existe depuis 2006. Pendant quinze ans, il fut peu coercitif, mais les choses ont évolué subitement, au 1er juillet 2021, puisqu'il a été considérablement réformé. Sur le terrain, les notaires ont constaté des incidences notables sur le marché et sur les comportements du consommateur immobilier. Des journalistes nous ont sollicités rapidement, pour savoir si le marché risquait d'être bloqué ou si les ventes de logements énergivores allaient accélérer de manière invraisemblable, au risque de les brader. La date du 1er janvier 2023 est retenue pour les logements dont la consommation énergétique en énergie finale est supérieure à 450 kilowattheures d'énergie primaire par mètre carré par an.

Déterminer les conséquences de ce calendrier sur le marché a pris du temps. Nous analysons nos statistiques immobilières grâce à l'Insee. Le nombre de transactions de biens classés F ou G a augmenté de manière significative : entre le troisième trimestre 2021, date d'entrée en vigueur du nouveau DPE, et la fin de 2022, le volume des ventes des biens classés G est passé de 3 % à 8 % du volume total, et celui des biens classés F de 8 % à 11 %. Cette approche statistique impose la prudence, car elle est mise à mal par le droit transitoire. Nous comparons des éléments qui ne sont pas comparables. Il est encore possible de muter des biens immobiliers avec des DPE d'ancienne génération, datant d'avant le 1er juillet 2021, ce jusqu'à la fin de l'année prochaine. Ce droit transitoire parasite la qualité de l'analyse, car nous associons des données qui ne sont pas encore homogènes.

Les paramètres ayant changé, le nombre de biens énergivores est potentiellement plus important. Cette augmentation des volumes peut traduire un comportement des vendeurs, mais peut aussi être liée à l'augmentation du nombre de biens dans telle catégorie. Nous ne sommes pas capables de quantifier ce qui relève du premier et du second phénomène. Toutefois, nous avons des impressions, nous constatons des tendances dans nos études. Il nous semble que beaucoup de vendeurs, faute de moyens ou d'envie, préfèrent ne pas réaliser les travaux et donc muter les biens en question, mais nous ne pouvons en déduire, en volume absolu, une augmentation des volumes de transactions. Il faudrait neutraliser les diagnostics d'ancienne génération - et donc raccourcir la période de droit transitoire - pour obtenir des données plus précises et déterminer le nombre de passoires énergétiques avant et après la réforme.

Selon le ministère de la transition écologique, nous comptions, avant 2021, 4,8 millions de passoires énergétiques sur 36 millions de logements. Ces chiffres ont probablement augmenté à la suite du nouveau DPE, ce qui n'était pas l'intention première des pouvoirs publics, dont l'objectif était de conserver environ le même nombre de passoires énergétiques, en faisant passer 800 000 logements énergivores vers des catégories non énergivores. La translation ne s'est pas opérée de cette façon. Il nous faudrait des chiffres à jour.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Vous avez parlé des logements à la vente. Les propriétaires décident-ils aussi de louer de manière saisonnière ?

Me Frédéric Violeau. - L'analyse des chiffres locatifs ne fait pas partie de nos prérogatives. Nous ne pouvons pas agglomérer des statistiques pertinentes. Nous constatons toutefois que nos clients envisagent cette possibilité. La proposition de loi visant à homogénéiser la réglementation en transposant la décence énergétique aux locations meublées, y compris de courte durée, serait un bon moyen d'endiguer cette déviance.

Le marché gris peut provenir de cette volonté de se soustraire à la législation de la location, mais il pourrait aussi naître du fait qu'une fois un logement déclaré indécent, et donc non louable, des bailleurs ne se priveraient pas pour autant de louer - des locataires seront toujours prêts à louer, car c'est pour eux le moyen d'accéder à un logement. Les sanctions attachées à l'indécence ne sont pas de nature à répondre à ce nouveau critère d'indécence qu'est le caractère énergivore du logement. Les sanctions pour indécence sont rattachées au droit commun des contrats : possibilité de demander à un juge de revoir le loyer, possibilité de remise en cause du bail. Or, par définition, celui qui louera dans ces conditions sera privé de cette possibilité, car ce qui l'intéresse est de louer aux conditions qui lui sont proposées. Le marché gris inclut ces deux comportements.

Nous étudions l'incidence de la classification des biens sur les prix depuis longtemps. Nous étions précurseurs sur la valeur verte ; nous avons communiqué sur ce point bien avant la réforme du DPE, et avons des chiffres à disposition. Dans l'ancien, nous prenons comme référence la classe D, qui représente 40 % des biens à la vente, et nous examinons quel est le différentiel avec les autres classes. Les écarts types sont symétriques : 9 ou 10 % voire 15 %. Cette indication de marché devient un vrai marqueur pour les acheteurs. C'est un outil de négociation avéré. Le caractère plus objectif et l'opposabilité du DPE y contribuent.

Cette incidence sur les prix doit être modulée en fonction de la zone géographique - la situation n'est pas la même à Cambrai ou à Nice. L'incidence ne porte que sur la capacité à chauffer, et l'on ne s'intéresse au confort d'été que depuis le 1er juillet 2021. Il faut aussi moduler cette incidence en fonction de la tension du marché : plus le marché est tendu et moins l'incidence de la performance énergétique sera forte. Enfin, corréler la performance énergétique au prix est un raccourci un peu rapide : les logements aux bonnes performances énergétiques sont des logements rénovés, qui présentent donc d'autres attraits. Pour une maison individuelle, les prix peuvent aller du simple au double entre les moins et les plus performants.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Que pensez-vous du calendrier de la loi Climat et résilience ? Quelles mesures fiscales seraient les plus efficaces pour encourager les travaux ?

Me Frédéric Violeau. - Les choses vont vite, mais l'intégration du calendrier ne nous choque pas : c'est une question d'intérêt général.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Même pour les logements classés E, qui constituent la majeure partie du parc ?

Me Frédéric Violeau. - La majeure partie du parc relève de la classe D. La classe E sera concernée en 2034. L'année 2025 est bien réelle pour nos clients, mais 2034, c'est de la science-fiction. Un tel calendrier semble nécessaire pour nous donner les moyens de nos ambitions.

Nous déplorons cependant un manque de pédagogie dans la présentation du DPE, qui n'a été corrigé que très récemment. La distinction entre énergie primaire et énergie finale va susciter des incompréhensions, voire des erreurs de jugement. Il faut aller jusqu'à la page 3 du DPE pour connaître exactement la valeur de l'énergie finale du logement. Les notaires doivent expliquer les choses clairement aux clients, pour remédier au défaut de présentation. L'écart entre énergie finale et énergie primaire est d'autant plus important que le logement est chauffé à l'électricité.

Concernant les mesures d'accompagnement, nous avions imaginé l'émergence du statut d'un bailleur privé, la généralisation du dispositif Denormandie, en le majorant grâce à une augmentation du taux d'amortissement sous conditions d'engagement de rénovation globale, et donc performante, ou de mise en location à des tarifs sociaux, à l'instar du dispositif « Borloo ancien - Investissement locatif ».

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous l'avions proposé lors de l'examen du projet de loi Climat et résilience, mais cela n'a pas été retenu.

Me Frédéric Violeau. - Je le sais bien. Le prêt à taux zéro pourrait aussi être un outil très fort en matière de communication. Sa généralisation permettrait de financer des travaux plus importants, avec une durée d'emprunt plus longue.

Nous avons vu d'un bon oeil le doublement du déficit foncier, mesure très parlante pour le contribuable. L'intention est louable, mais le dispositif engendre une difficulté technique : le doublement du seuil imputable au revenu global n'est pas une option, c'est-à-dire qu'il n'est pas possible, à l'inverse, de ne pas en faire usage et de proroger la déduction des travaux uniquement à concurrence de ses revenus fonciers sur les années ultérieures. Il est possible que, pour certains contribuables, ce calcul soit plus satisfaisant. Cette solution alternative éviterait des effets de bord.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Le congé donné au locataire pour réaliser des travaux d'économie d'énergie a été censuré par le Conseil constitutionnel, au titre de l'article 45 de la Constitution, comme cavalier législatif.

Me Frédéric Violeau. - À notre grand désarroi ! Cela faisait partie des propositions de la profession relayées par les notaires du Grand Paris en 2021. Les garanties juridiques avaient pourtant été apportées, en matière de relogement pendant les travaux puis de réintégration du logement rénové, pour protéger le locataire et rendre les travaux possibles. Nous souhaitions transposer la logique des processus de déconstruction/reconstruction. Toutefois, cela suppose que les entreprises soient au rendez-vous et que les devis soient produits rapidement. Nos clients éprouvent des difficultés à trouver des entreprises pratiquant des prix raisonnables et qui soient compétentes en matière de rénovation.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Quant aux copropriétés, la rénovation est en panne.

Me Frédéric Violeau. - La difficulté est importante, l'incompréhension est grande - les difficultés concernent notamment la mobilisation des fonds. Des mesures ont été prises, par l'intermédiaire du plan pluriannuel de travaux et du fléchage du fonds travaux vers les travaux de rénovation énergétique. Toute mesure susceptible de diminuer les seuils de majorité serait bienvenue, mais les points de blocage sont importants. Les problèmes sont générationnels, ou entre propriétaires occupants et propriétaires non occupants. Les copropriétés sont en train de prendre beaucoup de retard. Le portage serait très consommateur de finances publiques ; le problème est très délicat.

La possibilité pour le locataire de proposer à son bailleur de réaliser les travaux d'amélioration, mesure portée par la loi Climat et résilience, est excellente. Le mode opératoire est pertinent, les droits du bailleur sont préservés et le sens des prérogatives de chacun est respecté. Le dispositif serait plus efficace si le locataire pouvait bénéficier des mêmes aides d'État que le propriétaire qui réaliserait les travaux, d'autant plus que ce locataire se montre alors particulièrement diligent et vertueux.

Me François Devos, directeur des affaires juridiques du Conseil supérieur du notariat. - Éventuellement avec une garantie de maintien dans les lieux pour le locataire. Nous pourrions travailler sur la durée du bail ou sur les modalités de résiliation du bail de la part du bailleur, surtout dans les zones tendues.

Me Frédéric Violeau. - Sur le droit de surplomb, nous avons sans doute été trop timorés. Les notaires voulaient en faire une sorte de servitude d'utilité publique. Cela aurait permis d'imposer à un voisin des travaux d'isolation. Une telle systématisation serait un moyen pertinent pour fluidifier les aspects réglementaires du droit de surplomb. L'isolation par l'extérieur est une question récurrente, notamment dans les copropriétés.

Le prêt avance rénovation ne fonctionne pas. Nous essaierons de déterminer les causes et de revenir vers vous. Sur ce point, c'est le désert !

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Est-ce le secteur bancaire qui est frileux ?

Me Frédéric Violeau. - Cela est possible, mais il n'existe pas d'analyse des points de blocage. Il faudrait interroger les banques. Ces dernières sont devenues sensibles au DPE, qu'elles nous réclament et qui fait partie intégrante de la mesure des risques : le banquier analyse la réalité de sa créance en regard de la valeur de son gage. Attribuer le prix fort à une passoire thermique peut s'apparenter à un risque de recouvrement de la dette. Toutefois, nous n'avons pas de retour du marché.

Me François Devos. - Il s'agit d'impressions.

Me Frédéric Violeau. - Nous n'avons pas de données tangibles à vous fournir, mais nous constatons que c'est le désert : je n'ai pas vu passer un seul prêt avance rénovation.

Me François Devos.  - Nous devons interroger les acteurs.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Quel est votre avis sur l'obligation de rénovation thermique au moment de la vente ou de la location, à l'instar de ce qui se fait pour l'assainissement individuel ?

Nous avons reçu des propositions sur les prêts hypothécaires ; des prêts à long terme, de la valeur du bien immobilier, avec des remboursements à la vente ou au bout de trente ans, permettraient de financer beaucoup de travaux, tout en sortant du système des subventions.

Me Frédéric Violeau. - La mécanique est comparable au Pass foncier : on diffère le transfert de propriété du sol, et donc le paiement de son prix, au remboursement primitif du bien immobilier.

La question est d'autant plus d'actualité que l'Union européenne s'en est emparée. L'interdiction de vendre si un niveau de performance énergétique n'est pas atteint, avec une sanction sous forme de décote appliquée au prix de vente, est envisagée. Effectivement, la mécanique est similaire à celle de l'assainissement individuel.

Nous ne sommes pas favorables à ce qui serait de nature à bloquer une vente, à cause d'un seuil de performance énergétique insuffisant. Cela cause des problèmes économiques, des problèmes de marché ou encore juridiques, au regard de ce qu'est le droit de propriété. De telles mesures avaient été évoquées pour l'assainissement individuel, mais c'est un dispositif plus souple qui a été retenu : quand une non-conformité est constatée, l'acquéreur dispose d'un délai d'un an pour réaliser les travaux de mise en conformité prescrits par le rapport. Une certaine souplesse d'application existe, de la part des services publics d'assainissement collectif et des collectivités locales, mais cette souplesse cessera bientôt, mettant les acquéreurs face à leurs responsabilités.

Comme professionnels, nous devons appréhender ces problématiques avec toutes les garanties requises. Demander à l'acquéreur de faire son affaire d'une installation non conforme, c'est demander un chèque en blanc ; or c'est parfois ce que nous sommes obligés de suggérer à nos clients. Nous devons donc sécuriser les contrats en appelant l'attention de l'acquéreur sur le fait que tôt ou tard il lui sera demandé de se mettre aux normes, ce qui aura un coût ; l'acquéreur serait donc bien inspiré de quantifier ce coût de manière précise avant de délivrer son accord sur la chose et sur le prix.

L'approche pourrait être tout à fait comparable pour la performance énergétique. Il me semble délicat de bloquer ou séquestrer un montant forfaitaire, mais il est tout aussi délicat de dire à l'acquéreur qu'il doit se débrouiller seul, sans pouvoir chiffrer la mise en conformité énergétique. Le DPE sert à cela ; dans une moindre mesure, c'est un simple outil d'alerte, qui ne va pas assez loin. L'audit énergétique permet, lui, de fournir des chiffrages plus précis. Cet audit énergétique pourrait être généralisé, pour garantir la sécurité juridique de l'acquéreur. La performance énergétique et le coût de la rénovation énergétique pourraient ainsi devenir des paramètres de discussion du prix.

Il sera difficile de faire autrement. Il existe des obstacles juridiques : séquestrer une partie du prix pour imposer au vendeur de réaliser les travaux avant de vendre impose au vendeur de disposer des fonds nécessaires ; de plus, cela s'apparente à une vente d'immeuble à rénover, ce qui nous fait entrer dans un cadre réglementaire et législatif d'ordre public qui est sans rapport avec le problème en question.

Séquestrer un montant forfaitaire nous laisse aussi pantois. Nous risquons de piper les dés du marché. Un vendeur augmentera automatiquement le prix de son logement énergivore de 5 ou 10 points. Nous ne pourrons résoudre les problèmes ainsi. Des obligations de quantification des travaux de rénovation énergétique dès le stade des discussions de l'accord sur la chose et sur le prix seraient de nature à équilibrer le rapport de force et à contraindre le vendeur à la réalité économique. Des obligations de travaux corrélées à un chiffrage précis imposeraient des discussions en amont dans la détermination du prix.

Comme pour l'assainissement individuel, il faut mettre l'acquéreur en capacité de disposer d'un moyen de pression clair : la généralisation de l'audit énergétique en est un moyen. Personnellement, je n'y vois pas d'inconvénient majeur. On nous dira que cela coûtera cher, mais il faut savoir ce que l'on veut ; si c'est un objectif d'utilité publique, il faut se donner les moyens de le satisfaire.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Le DPE reste encore perfectible. Avez-vous des recommandations ? Voyez-vous émerger un contentieux sur les DPE ? Un même logement peut parfois être inscrit dans deux ou trois catégories différentes.

Me Frédéric Violeau. - La presse s'en est fait l'écho de manière tonitruante, ce qui m'avait quelque peu agacé. Certes, c'est une réalité, mais il faut souligner que l'exercice consistant à normaliser 37 millions de logements tous hétérogènes est extrêmement périlleux. Actuellement, nous n'avons rien de mieux à proposer que ce DPE. Il s'est renforcé et il devient de plus en plus objectif : nous allons dans le bon sens.

Le temps imparti pour réaliser le DPE est très contraint. Il se facture environ 150 euros, le nombre de points de contrôle est de 150 : l'équation économique du diagnostiqueur, c'est d'aller très vite. S'il veut éviter de déposer le bilan, il se doit d'être particulièrement efficace. D'ailleurs, le risque d'un tel modèle économique est une dégradation artificielle du parc ; comme le DPE est opposable, en cas de doute, un diagnostiqueur aura tendance à dégrader tel ou tel paramètre. Le mieux est alors l'ennemi du bien. L'audit énergétique est certes un autre document et représente un autre coût, mais c'est aussi un complément logique.

En ce qui concerne le droit transitoire, la situation est aujourd'hui complexe. En raison de l'utilisation des diagnostics de l'ancienne génération, il est difficile de connaître le champ d'application des mentions obligatoires dans les annonces des biens à louer ou à vendre. En cas de monopropriété, avec un DPE d'ancienne génération, nous ne savons pas si la catégorie est la bonne, et nous ne savons donc pas s'il est nécessaire de produire un audit énergétique. Il est impossible de définir précisément l'obligation d'information dans les baux. Nous prônons donc un raccourcissement de la période transitoire et l'obligation de refaire le DPE. C'est un problème d'utilité publique, c'est un souci majeur pour l'État, une telle conséquence peut tout à fait s'entendre.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Que pensez-vous du prêt hypothécaire ?

Me Frédéric Violeau. - Cette idée est intéressante, elle rejoint l'allongement dans le temps du prêt à taux zéro. Est-ce que les banques s'en empareront ? Je ne sais pas.

Me François Devos. - C'est une question de contrainte.

Me Frédéric Violeau. - Le blocage de vente n'est pas pertinent, mais d'autres formes efficaces de contrainte existent.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Vous parlez en fait de contraintes dans le temps, notamment pour les copropriétaires.

Me Frédéric Violeau. - Absolument. Des contraintes lors de la vente seraient très compliquées à imposer. Le droit de propriété est très important, le droit au logement fondamental. Un bien immobilier est souvent le bien de toute une vie. Évitons des situations très anxiogènes et difficiles pour les propriétaires.

En matière fiscale, nous avions pensé à une ristourne sur les droits de mutation ; il s'agirait d'une restitution de tout ou partie des sommes au regard de l'ampleur des travaux réalisés par rapport au prix d'acquisition, sous conditions de validation des travaux dans un délai déterminé.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - N'était-ce pas l'une des propositions de Conseil national de la refondation (CNR) ?

Me François Devos. - Les notaires du Grand Paris l'avaient aussi proposé.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Il était question de geler les droits de mutation.

Me François Devos. - Il s'agit non pas de geler les droits de mutation, mais d'accorder une ristourne : les droits seraient payés, puis, en fonction des travaux réalisés, tout ou partie des sommes seraient remboursés. Symboliquement, ce serait une contribution intéressante de la collectivité, dans une logique donnant-donnant.

Me Frédéric Violeau. - L'enjeu de communication est de taille. La presse a tendance à présenter les dispositions destinées à favoriser la rénovation énergétique du bâti uniquement sous l'angle coercitif. Nous, notaires, rappelons au quotidien qu'il ne s'agit pas que de sanctions. Le système présente une certaine virtuosité, il faut en avoir conscience.

Me François Devos. - Nous travaillons encore à des propositions sur les donations, notamment avec un allégement des droits de donations et des abattements plus importants pour ceux qui sont vertueux et qui s'engagent à des travaux de rénovation globale. Ces donations auraient ainsi une valeur verte.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Avez-vous observé une montée en puissance du viager ?

Me Frédéric Violeau. - Non, c'est un micromarché.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Le président de l'Union nationale des propriétaires immobiliers (UNPI) avait mis en avant cette possible conséquence.

Me François Devos. - C'est une piste intéressante, mais le viager reste rare.

Me Frédéric Violeau. - Cette option reste très marginale.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je vous remercie de vos réponses.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de M. Benoit Bazin, directeur général de Saint-Gobain

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête par l'audition de M. Benoit Bazin, directeur général de Saint-Gobain. Vous avez commencé votre carrière au ministère de l'économie et des finances au sein de la direction du trésor. Vous avez rejoint Saint-Gobain il y a 25 ans. Au sein du groupe Saint-Gobain, vous avez été - entre autres - directeur du plan, directeur financier, directeur général adjoint en charge notamment du pôle Distribution bâtiment puis du pôle Produits pour la construction. Plus récemment, vous avez été directeur général délégué avec des fonctions opérationnelles pour l'ensemble du groupe ainsi que sur l'innovation, et depuis un peu moins de deux ans vous êtes directeur général du groupe.

Saint-Gobain est un acteur majeur de la filière de la construction et de la rénovation et, c'est à ce titre que nous avons voulu vous entendre. Le groupe Saint-Gobain conçoit, produit et distribue en effet des matériaux et propose des services dans les secteurs des infrastructures, de l'habitat et du bâtiment ainsi que de l'industrie, notamment des transports. Vous pourrez d'ailleurs revenir sur l'ensemble des activités de Saint-Gobain qui sont précisément liées à la rénovation énergétique des logements. Comment à cet égard votre entreprise entend relever le défi de la massification et de l'accélération des rénovations de logement ? Quel regard portez-vous sur l'organisation de la filière et sur sa capacité d'absorber la hausse du nombre de rénovations ? Comment les pouvoirs publics peuvent-ils favoriser une montée en puissance de la filière ? Jugez-vous les dispositifs de soutien à la rénovation énergétique des logements pertinents et efficaces ? Dans quelle direction faudrait-il selon vous les faire évoluer ? Dans une interview récente à France Info1(*), vous avez ainsi préconisé une nouvelle politique stratégique de la rénovation énergétique, accompagnée d'un changement d'ordre de grandeur dans la lutte contre les passoires thermiques, en demandant à « faire quatre ou fois cinq plus pour MaPrimeRenov' et à la cibler sur les logements F et G ». Vous nous préciserez votre vision, notamment en termes d'impact financier.

Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.

Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.

Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».

M. Benoit Bazin lève la main droite et dit « Je le jure ».

Monsieur, vous avez la parole, puis le rapporteur et les membres de la commission pourront vous poser des questions.

M. Benoit Bazin, directeur général de Saint-Gobain. - Je vous remercie d'offrir au groupe Saint-Gobain l'opportunité de témoigner devant votre commission d'enquête. Depuis deux ans, j'ai également pris la responsabilité du contrat stratégique de la filière Industrie de construction. Il est vrai que l'essentiel de notre activité est autour de la construction, notamment résidentielle. Une part importante, d'environ 50 %, porte sur la rénovation des bâtiments qui n'est pas seulement énergétique. Saint-Gobain s'est transformé il y a quatre ans sous ma responsabilité passant d'une organisation par ligne de produits mondiale à une organisation par pays, chacun ayant la capacité de mettre en oeuvre un ensemble de systèmes, une solution et non plus un produit isolément. Nous disposons d'une offre large pour répondre aux enjeux de construction durable et notamment de rénovation. Désormais organisés par pays et dans un monde de la construction qui est par nature locale, les produits ne voyagent pas. Ce que nous fabriquons en France est distribué en France. La présence du groupe est importante en France, de l'ordre de 38 000 salariés et 2 000 points de vente auprès des artisans du bâtiment (Point.P, Cedeo...). Nous sommes ainsi dans le B to B auprès des professionnels et nous disposons de 88 usines de fabrication de matériaux en France pour le marché français. Je suis, comme mes prédécesseurs à Saint-Gobain, très attaché à la souveraineté industrielle et au poids économique de notre pays.

En propos liminaire, je vais vous donner ma vision du monde de la construction et notamment de la rénovation. Aujourd'hui, le sujet du logement en France est une préoccupation cruciale et urgente de millions de Français. C'est vrai à cause des factures d'énergie dont l'explosion a été en partie contenue par le bouclier tarifaire. C'est vrai également avec le manque de logements neufs, pour des raisons notamment liées aux taux d'intérêt. Il y a 2,3 millions de Français sur des listes d'attente pour un logement social. Il y a une urgence que les différents acteurs de la construction font remonter depuis bientôt deux ans auprès des différents responsables. Dans ce contexte, il faut tout faire pour redonner aux Français un pouvoir d'habiter. Il faut éviter d'opposer la transition écologique avec la capacité de se loger. Il faut réconcilier la France avec tous ces enjeux. Je vois un risque majeur remonter. Le logement est un élément essentiel de la transition écologique et climatique. Et, si on sort les gens du marché du logement, on va créer de l'angoisse. Il faut rappeler qu'un logement, un bâtiment n'est pas qu'une question technique. C'est un lieu d'habitation, de travail, d'éducation, de soins... C'est un lieu de bien-être où l'on va pouvoir gagner en productivité et assurer la croissance de notre pays. En fait le bâtiment est la pierre angulaire du quotidien de tous nos concitoyens. Le bâtiment est un lieu qui a une très forte utilité sociale. Aujourd'hui, nous sommes en crise mais nous connaissons les solutions qui peuvent apporter beaucoup en termes de travail, de plein emploi, de réindustrialisation, de transition écologique. Ce contexte est au coeur d'une triple crise sociale, énergétique et écologique.

J'ai à plusieurs reprises parlé d'un « Plan Marshall » de la rénovation énergétique. Tout d'abord, je pense qu'il faut se projeter sur dix ans. Puis, il faut commencer par traiter les gens qui en ont le plus besoin, je donnerai la priorité aux logements classés F et G, soit 5,2 millions de logements ou « passoires thermiques ». Les propriétaires ou locataires de ces logements sont souvent en situation de précarité sociale à cause de la précarité énergétique. Ils représentent, d'un point de vue climatique, 70 % des émissions de CO2. Le comité scientifique et technique du bâtiment en a fait la carte. L'identification de ces logements a été réalisée. Le but d'une entreprise est de cibler les efforts là où il y en a le plus besoin.

Deuxièmement, il est souhaitable de se positionner dans une relation globale et performante dès que c'est possible et de s'engager dans le bon ordre dans un parcours multi-étapes de rénovation globale. On ne peut pas imposer à tout le monde d'avoir les moyens et la capacité de faire instantanément une restauration globale mais il est possible d'utiliser un passeport rénovation précisant les étapes et les échéances avec aussi éventuellement une progressivité des aides.

Il faut naturellement de la stabilité et de la visibilité. Pour MaPrimeRenov', il serait souhaitable de dégager plutôt 10 milliards que 2 milliards et s'engager sur dix ans. Cela donnerait de la visibilité à tous les acteurs. Cela permet aux artisans de s'engager sur des créations d'emplois locaux. On en a créé 100 000 au cours des deux dernières années. Il est dès lors possible d'avoir une visibilité sur les mécanismes pendant dix ans. De la même façon, je pense qu'il faut coordonner MaPrimeRenov' avec le dispositif des certificats d'économie d'énergie (C2E), mécanisme relativement indolore car il fait appel aux « obligés » énergéticiens. Il n'y a pas eu de hausse des C2E d'une phase à l'autre. On avait pris de l'avance. Il vaut mieux multiplier par deux le montant que d'ajouter 30 % à une somme dont l'essentiel a déjà été consommé dans la période antérieure. En résumé, une plus grande stabilité et visibilité sur d'autres ordres de grandeur et se donner les moyens à raison de 500 000 bâtiments F ou G par an de traiter sur 10 ans les 5 millions de passoires énergétiques ! Se pose également la question des DPE (diagnostics de performance énergétique) avec cette nouvelle obligation que l'on va voir arriver en 2025 ou en 2028 sur les locations. Si on ne fait rien, ce sont potentiellement des logements qui deviendront « hors marché » ou en difficulté d'ici quelques années. Je suis favorable à un ciblage très fléché et à une stabilité avec des moyens plus importants. Je crois que le logement rapporte à l'État environ 100 milliards d'euros par an. Si on considère que le logement est une priorité car c'est la quotidien des Français, c'est la productivité du pays, c'est un outil de croissance, on devrait passer à d'autres ordres de grandeur sur certains mécanismes, que ce soit MaPrimeRenov' ou le C2E. Naturellement, il faut que les bâtiments publics soient exemplaires.

Voilà les paramètres que je voulais mettre en avant dans ce plan Marshall avec toute une filière qui est capable de s'engager.

Le bâtiment représente 40 % des émissions de gaz à effet de serre. La meilleure énergie est celle que l'on ne dépense pas. Le bâtiment est un élément clé de la souveraineté énergétique de notre pays. 44 % de l'énergie de notre pays est dépensé pour les bâtiments publics et privés. Si on économise 10 %, c'est sept tranches nucléaires que l'on économise instantanément. En plus du sujet social, il y a un sujet de stratégie énergétique et d'indépendance énergétique.

Il faut prendre en compte la notion de confort d'usage des bâtiments. L'utilité sociale que j'ai évoquée avec les passoires thermiques, c'est la santé, la qualité de vie. C'est vrai également pour les bâtiments publics. On a édité un Livre blanc au Benelux où on a corrélé l'absentéisme des professeurs avec l'acoustique d'une salle de classe. C'est également le cas pour les hôpitaux publics. Le bâtiment doit être également perçu en termes d'utilité sociale comme une forme de respect et de dignité de l'outil de travail que l'on met à la disposition de professions comme les soignants et les enseignants, leurs bâtiments représentant 70 % des dépenses d'énergie des bâtiments publics. En outre, on connaît la difficulté que l'on a à attirer des compétences dans ces professions exigeantes.

Concernant la rénovation globale et performante des bâtiments, il est possible de diviser par cinq la consommation énergétique d'un logement et par 12 l'émission de CO2. Nous avons lancé pour nos collaborateurs un programme concernant la neutralité carbone. Saint-Gobain s'est engagé à être neutre en carbone en 2050. Nous avons baissé de 42 % notre intensité carbone en cinq ans de 2017 à 2022, et de 23 % l'émission totale de gaz à effet de serre dans le monde. La construction durable est au coeur de la stratégie du Groupe. Nous avons mobilisé nos équipes et sur les 1 000 collaborateurs qui ont eu accès à ce programme « Agir durablement », on a baissé de 60 % leur facture énergétique. Donc, la solution technique existe. Pour autant, cette rénovation globale n'est pas toujours accessible à tout le monde, pour des raisons financières ou de compétences. Dans les soutiens financiers, il faut à la fois préserver des « mono gestes » et les inscrire dans un parcours de rénovation « multi-gestes », dans un passeport rénovation. Il faudrait une gradation des soutiens selon les gestes effectués, avec une incitation à continuer le parcours de rénovation. Même s'il est critiqué, il faut s'appuyer sur le DPE. Beaucoup de pays européens nous envient ce mécanisme avec cette notion de minimum energy efficiency, ou principe de diagnostic de performance énergétique minimale d'un bâtiment. C'est un mécanisme qui a une bonne visibilité mais qu'il faut encore améliorer. Cela reste un bon outil sur lequel s'appuyer. Je suis favorable au parcours de rénovation énergétique. Il existe des recommandations. Les principales déperditions d'énergie sont dues aux toits et aux combles. Il faut commencer par cela. Cela représente 30 % des déperditions.  Ensuite, il faut traiter la façade et les menuiseries. Cela représente 20 %. Puis, on termine par le sol et enfin le système de chauffage. Il faut faire les choses dans le bon ordre. Une pompe à chaleur dans une maison mal isolée ne sert à rien. C'est comme rouler les fenêtres ouvertes avec la climatisation à fond ! Malheureusement les politiques publiques ont tué près de 80 % des soutiens aux mécanismes d'isolation et 70 % de MaPrimeRenov' est partie en effet d'aubaine sur la pompe à chaleur. Il faut le corriger vite. Nous avons fermé une usine d'isolation car les volumes se sont effondrés alors qu'il faudrait commencer par isoler le bâtiment. Certains prônent de mettre des capteurs mais il faut le faire quand on a déjà une bonne enveloppe. Le meilleur capteur est, selon moi, le thermomètre quand on est malade. C'est la meilleure approche. Il faut d'abord traiter l'enveloppe du bâtiment, puis changer le système de chauffage et à la fin on optimise les derniers 10 ou 15 %. Il faut de l'éducation sur ces bons parcours.

Concernant la filière, les matériaux de construction existent, ils sont fabriqués en France. En termes d'enjeux de souveraineté industrielle nationale, on a tous les industriels sur notre territoire qui contribuent pour environ 80 milliards d'euros nets de recettes fiscales du pays. Les produits ne voyagent pas. Nous sommes pleinement engagés dans le recyclage des matériaux. La responsabilité élargie des producteurs (REP) est un bon dispositif. On a eu le temps de s'y préparer. La laine de verre de Saint-Gobain est composée à 70 % de matériaux recyclés. Nous avons lancé le premier verre bas carbone, et la première production de plaques zéro carbone a été inaugurée la semaine passée en Norvège.

Les produits biosourcés sont des compléments à des solutions à distance. Il faut les analyser de façon exhaustive sur l'ensemble du cycle de vie au niveau environnemental, à partir des mêmes critères scientifiques que l'on utilise sur tous les produits industriels. Ce sont des compléments d'isolation. Je précise qu'ils doivent recourir à de nombreux produits chimiques, notamment des antifongiques. Leur développement n'est pas la panacée en termes d'empreinte environnementale, surtout la filière bois au regard de la non-compétitivité de la forêt française. Nous n'avons pas de scierie compétitive, donc il n'y a pas de construction de bois compétitive en France. Favoriser le biosourcé sans avoir de filière bois compétitive, pose d'autres problèmes car il faudra aller chercher le bois en Scandinavie ou en Pologne.

Nous côtoyons les artisans et les entreprises du bâtiment. Nous avons 400 000 artisans en compte chez Point.P, Cedeo... qui achètent des produits Saint-Gobain. Je fais confiance à nos clients. Une grande majorité est travailleuse et compétente. Il faut leur permettre d'être qualifiés sur le chantier. Je pense souhaitable de recevoir la qualification RGE sur le chantier plutôt que sur une étude théorique. De même, nous serons déqualifiés en cas de pont thermique ou de malfaçon. Il y a matière, en gardant le principe du RGE, de fluidifier le dispositif de qualification des artisans qui est encore très chargé.

Concernant la filière, il y a une clarification urgente et indispensable à effectuer sur les missions et des responsabilités des différents organismes publics et de l'État. Je pense qu'il faut un guichet unique. À l'heure actuelle, il est impossible de s'y retrouver dans le maquis des aides. Le plus simple serait de passer par la mairie où chacun peut s'identifier facilement. Ça doit être le point d'entrée. Dans le monde médical et fiscal, tout est digitalisé depuis longtemps. Il faut se donner les moyens de digitaliser les aides dans ce domaine. J'ai suggéré, dans le cadre de France 2030, « Rénov'lib » en matière de rénovation énergétique, sur le modèle de Doctolib. Un particulier ou un artisan a trop de mal à s'y retrouver. Il faudrait une plateforme numérique pour toutes ces aides avec une entrée unique par la mairie. Les intercommunalités et les régions disposent de beaucoup de puissance en regroupant la rénovation de quartiers entiers et peuvent entrer dans une logique d'investissement en rendant la ville plus attractive.

Au total, je suis très positif. Il faut un pilotage ferme, de long terme et stratégique des politiques publiques. S'agissant des financements, le logement et la construction rapportent 100 milliards d'euros à l'État. J'ai été choqué par le bouclier tarifaire l'année passée qui était le même pour tout le monde, une partie de la population pouvant payer son énergie plus chère. Ce bouclier ne respectait pas une logique d'investissement. On aurait pu prendre 10 des 40 ou 50 milliards d'euros et les mettre sur MaPrimeRenov' pour les ménages en précarité énergétique et les bâtiments F ou G. Cela aurait été du vrai investissement.

Enfin, il ne faut pas oublier le secteur bancaire. En France, un prêteur immobilier ne s'intéresse pas à ce qu'il finance. Il s'intéresse à votre âge, à votre état de santé et à votre profession. Il ne s'intéresse pas à la qualité du bâti ! Il pourrait se poser la question de la facture énergétique. Si elle est multipliée par cinq dans un bâtiment qui a une consommation énergétique G, la capacité de remboursement de l'emprunteur va s'amoindrir. Dans une logique d'hypothèque, il va de soi que le prêteur aurait intérêt à un changement de catégorie de G à C ou de D à A car le bâtiment pourra être revendu plus facilement. Je pense qu'il faut mobiliser les banquiers pour que dans de leur portefeuille de prêts immobiliers, une quote-part des emprunts portent sur des biens qui changent de catégorie. Il ne faut pas financer que des biens de catégorie A, B ou C. On pourrait imaginer, si le remboursement se déroule normalement, que le banquier puisse proposer à son client de faire un nouveau geste écologique dans son parcours énergétique, si sa capacité de remboursement est intacte. On pourrait également imaginer pour les ménages des classes moyennes, une déduction des taux d'intérêt sur du financement de rénovation énergétique. Cela s'est déjà fait il y a une quinzaine d'années. Aujourd'hui, la hausse des taux met hors marché de financement un certain nombre de personnes. L'État pourrait abonder sous forme de crédit fiscal sur la déduction de taux d'intérêt fléché sur la rénovation énergétique avec une recharge proposée par le banquier. Si on vise la neutralité carbone en 2050, il faut faire contribuer l'ensemble des acteurs privés solvables, de la même façon que la Caisse des dépôts le fait sur le logement social. La loi du 30 mars 2023 sur le tiers financement apporte aussi des mécanismes nouveaux pour favoriser les travaux de rénovation énergétique. On ne peut pas ignorer le portefeuille immobilier des banquiers en France.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Je vous remercie pour vos explications. Il est évident qu'il faut avancer sur la question de la rénovation thermique avec tous les intérêts que cela présente. Malgré une volonté politique avec des ambitions très fortes, un certain consensus depuis le Grenelle de l'environnement et un secteur du bâtiment plutôt volontaire, on constate que cela ne fonctionne pas totalement. Qu'est-ce qui bloque ? Il est nécessaire de mieux cibler les aides sur les bâtiments qui sont des passoires thermiques E, F et G. Cela me semble important. Je partage également l'idée d'une meilleure lisibilité locale afin de mieux orienter les ménages sur le financement et l'accompagnement technique. Il faut aussi simplifier les aides.

Vous avez évoqué le regroupement des C2E et de MaPrimeRenov'. Comment l'imaginez-vous ? Ces deux systèmes sont assez différents et peu lisibles. Comment simplifier les choses ?

Sur la question des matériaux, nous sommes en effet plutôt sur des matériaux locaux, avec un bémol pour le bois que l'on importe en grande quantité et le sable. Que pensez-vous de la mise en place de filières, notamment sur les matériaux biosourcés car ils répondent à un besoin en termes de rénovation, notamment sur le confort d'été. Quelle est votre approche sur ces matériaux ? Avez-vous d'autres filières, parfois très locales qui se mettent en place ? Ça peut être des partenariats très intéressants.

Comment peut-on massifier, appliquer une rénovation importante sur un secteur, raisonner à l'échelle d'un quartier ou sur une typologie de bâtiments ? Comment appliquer des réponses techniques permettant de faire baisser le coût et faciliter l'intervention ?

Enfin, vous nous avez parlé du RGE. Sur la qualité des travaux, notre système actuel donne une labellisation à l'entreprise et à partir de là on considère que les travaux sont correctement réalisés. Nous avons très peu de contrôles en fin de chantier sur le résultat. Or, ce qui est important, c'est le résultat final. Avez-vous un avis sur cette question ?

M. Benoit Bazin. - Pour revenir sur la question fondamentale de lisibilité, je pense que la lisibilité et la stabilité des politiques publiques sont essentielles. Or, on oublie souvent que le bâtiment touche des centaines de milliers de chantiers et d'acteurs. Les solutions techniques existent. Dans l'innovation de rupture, ce qui est difficile, c'est d'agréger toute cette filière. On ne peut pas faire des zigzags tous les deux ans sur la politique énergétique. Et c'est ce qu'on a fait depuis 10 ans ! On fait une nouvelle réglementation et deux ans après on s'étonne que cela ne marche pas. Mais, il faut un an et demi pour déposer un permis de construire, ensuite un financement, ensuite un chantier. On voit le terme de l'opération quatre à cinq ans plus tard. Or, on change les fléchages tous les deux ans. Même s'il y a beaucoup de bonne volonté, d'énergie et de compétence, cela ne suffit pas. La lisibilité et la stabilité sont indispensables. Nous avons une RE2020 qui va nous emmener jusqu'en 2032 et au-delà. Ne changeons surtout pas. Il faut du temps pour que cette filière se mette en branle. J'ai parfois beaucoup de mal à l'expliquer aux décideurs publics, on parle de centaines de milliers de rénovations chaque année. Le bâtiment a une forte inertie. Nous l'avons vécu. On propose un soutien pour l'isolation des combles, il faut créer une usine, c'est un processus long. Nous avons créé cette usine puis elle a été fermée deux ans après ! Cela a représenté 40 millions d'investissements ! Tout cela parce qu'on fait des zigzags.

Concernant les C2E et MaPrimeRenov', il me semble souhaitable que ce soit le même ministre qui soit en charge des deux aides. Or, ce n'est pas le cas ! Cela semble pourtant tellement évident. Les systèmes de financement ne sont pas les mêmes. Nous n'avons pas les mêmes fléchages. MaPrimeRenov' est partie à fond sur les pompes à chaleur, et à une époque, les C2E n'ont plus pris en charge l'isolation des toits. Dans les recommandations de ces deux dispositifs, on a en fait des injonctions contradictoires. C'est à l'État de résoudre cette question. Politiquement on annonce une augmentation des C2E, mais dans la réalité il n'y a pas eu d'effet d'accélération des C2E entre 2022 et 2025, 30 % ayant été déjà consommé, ces mêmes 30 % n'étant déjà pas à la hauteur du défi de décarbonation des bâtiments sur les 30 prochaines années. Les « obligés » avaient de surcroît déjà accompli ce qu'il fallait dans le précédent système. Pour rendre tout cela lisible, il faut que ce soit sous la responsabilité d'une seule personne. Quand on a transformé Saint-Gobain, là où il y avait six ou sept directeurs par ligne de produits par pays, il y a maintenant un directeur général par pays.

Sur les différents matériaux, je vous rappelle que la laine de verre est un matériau minéral. Les matériaux biosourcés n'existent qu'en France, cela n'existe pas dans les pays nordiques où l'on fait de l'isolation minérale. En fait, nous n'avons pas les mêmes critères techniques et scientifiques pour analyser ces matériaux. Il y a une analyse de cycle de vie dynamique qui favorise les biosourcés parce qu'on ne regarde pas le recyclage de ces matériaux en fin de vie et on favorise, dans le calcul, l'absorption carbone. Veut-on couper du bois, qui est un puits de carbone ou analyser des fiches de déclaration environnementale et sanitaire (FDES) de nos produits ? Quand on fait une analyse scientifique complète, il n'y a rien en faveur des biosourcés. C'est plus un biais, une affinité dans le choix des matériaux qu'une analyse scientifique environnementale en prenant les mêmes critères du début jusqu'à la fin de vie et le recyclage. Sur tous ces sujets, on avance puisque nous avons doublé notre capacité de fibres de bois. Nous sommes très ouverts à toutes ces perspectives. Nous analysons cela comme étant plus une question de goût du marché et selon les localités. Pour nous, ce n'est pas une question de performance et n'oublions pas que dans les biosourcés, il y a beaucoup de matériaux chimiques ! Pour autant ces matériaux existent et se développent. Je regrette, concernant la filière bois, que la forêt française n'ait pas été remembrée et qu'elle ne soit pas compétitive. Je serai très heureux d'avoir des usines de fabrication de matériaux en bois en France. Mais si on doit aller chercher le bois en Pologne ou en Scandinavie, avec les risques de change, d'approvisionnement et tout le CO2 que cela représente, ce n'est pas intéressant. Il faut être factuel et technique sur ces sujets. J'attache beaucoup d'importance à l'économie circulaire. Nous avons toujours plaidé pour que la REP ne soit pas différée. Nous avons de nombreuses innovations dans l'industrie sur le recyclage des matériaux. La difficulté n'est pas tant la solution technique mais il faut trouver les effets d'échelle de ces filières de recyclage. Elles se mettent en place. Nous avons 170 points de collecte dans les Point.P avec six ou sept big bags pour permettre aux artisans de mettre le PVC, l'aluminium, le plâtre... Sur l'empreinte environnementale des matériaux de construction, il vaut mieux s'attacher à l'économie circulaire que favoriser tel ou tel matériau, sans parler que cela pourrait provoquer de l'inflation. Aujourd'hui, les biosourcés représentent entre 5 % et 7 % des isolants en France. Je ne connais pas de pays, hormis la Belgique, qui conditionne les aides publiques à la partie biosourcée des matériaux. Mais il y a beaucoup de choses à faire sur les multi-matériaux et le recyclage. Je pense que les filières peuvent s'entraider. Il faut garder à l'esprit que la matière d'isolation va consommer entre un et trois mois de CO2 pour sa fabrication versus 50 ans d'économie de CO2 quand il est inséré dans le bâtiment. La nature de l'isolant ne va pas avoir beaucoup d'incidence par rapport à la performance d'isolation qu'il doit apporter pendant la durée de vie du bâtiment.

Sur la question de la massification, je pense qu'il ne faut pas exagérer la possibilité de massifier la rénovation. Autant il faut le faire sur des bâtiments publics, des écoles, des universités, des hôpitaux où il y a des effets de taille, autant je suis moins favorable dans le résidentiel particulier où chaque logement est différent et où on ne fait pas forcément appel au même professionnel qui est en général un artisan. Seuls un maire ou une intercommunalité peuvent envisager la rénovation d'un quartier dont les logements ont été construits aux mêmes époques et avec une même typologie, décider des incitations à mettre en oeuvre et offrir ce programme de rénovation d'une centaine de logements à une trentaine d'artisans. C'est possible de raisonner comme ça quand on a des quartiers assez homogènes mais en général, massifier dans le résidentiel n'est pas simple. Dans ce registre, nous avons toujours regardé la préfabrication, la construction modulaire hors site afin de voir ce qu'elle peut apporter. C'est courant dans les pays nordiques où cela représente de 25 à 30 % de la construction neuve. Je pense que cela peut capter 10 à 15 % du marché, un peu plus dans le neuf que dans la rénovation. Il ne faut pas trop porter d'ambitions sur la massification de la rénovation car on ne sait pas industrialiser la rénovation. Et nous, au quotidien, avec les 2 000 agences de Point.P, nous avons 400 000 artisans qui viennent s'approvisionner pour des chantiers différents. Pour moi, l'idée de massification, c'est plutôt dans la fluidité des aides. C'est ça l'innovation industrielle de rupture massifiée. Une formule simple avec un guichet unique.

Enfin, concernant la qualité des travaux, je pense qu'il faut garder le label RGE. Nous pourrions faire des qualifications sur site. Par exemple, au bout du troisième chantier bien réalisé, vous seriez qualifié RGE. Il y a cette nouvelle profession de diagnostiqueur qui est une bonne idée. Il y a beaucoup de formations à mettre en oeuvre pour établir le parcours d'une rénovation performante. On apprend en marchant. Ces diagnostiqueurs sont précieux, ils font une recommandation avant les travaux. À eux de revenir après les travaux pour vérifier. Il faut qu'ils soient bien formés. La vérification in situ est très intrusive car il faut aller chez les gens. C'est difficile à mettre en oeuvre. Là, je fais appel au bon sens des gens. Après une rénovation, la facture énergétique diminue même s'il y a toujours un effet rebond quatre à cinq ans plus tard. Aujourd'hui, on a froid dans certaines écoles où il fait 12° C ! Une fois isolée, le passage de 12° à 19° C fait dépenser plus d'énergie et tant mieux. L'effet rebond a toujours existé. Quand les antibiotiques n'existaient pas, on mourait à 50 ans, maintenant on a les maladies du grand âge. Je vois l'effet rebond comme une utilité pour notre pays en termes de productivité, de confort, d'attractivité... Je pense que l'on peut capitaliser sur ces diagnostiqueurs pour vérifier que les travaux ont bien été réalisés comme prévu.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Pouvez-vous nous parler du confort d'été ?

M. Benoit Bazin. - C'est un sujet qui varie selon les régions ! Il s'agit d'une composante importante. Je me réjouis que le plan de rénovation énergétique des écoles annoncé par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, Christophe Béchu, réponde, en partie, au problème de canicule. Il faut analyser et raisonner multi-matériaux. Le béton a une inertie beaucoup plus forte que le bois qui transmet la chaleur. Sur cette question, nous avons lancé la construction en terre crue. Nous avons quelques chantiers en région PACA. Cela est favorable au confort d'été. Si on construit en bois, il faut des isolants pour améliorer l'inertie thermique. Le confort d'été introduit une dimension supplémentaire pas toujours simple à gérer. Là aussi, il faut stabiliser le dispositif existant pour que tous les professionnels puissent se l'approprier. Il est possible de rendre le béton bas carbone, lui qui a déjà une bonne inertie thermique. Nous avons investi 4 milliards d'euros sur les quatre dernières années sur la chimie du bâtiment qui permet avec des adjuvants dans le béton de diviser par trois ou quatre la teneur en CO2 du béton.

Mme Sabine Drexler. - Le bâti patrimonial requiert des matériaux souvent biosourcés qui ont été utilisés à l'époque de la construction. On se rend compte que ce sont souvent ces matériaux qui sont le plus adaptés pour permettre au bâtiment de respirer.

M. Benoit Bazin. - La rénovation des bâtiments patrimoniaux est encore un autre sujet pas toujours facile à appréhender avec l'aspect sur le patrimoine et les bâtiments historiques. Plus simplement sur les bâtiments haussmanniens, l'épaisseur du mur en pierre fait l'inertie thermique, mais il faut changer les fenêtres en reprenant la menuiserie en bois et en mettant du double vitrage performant et isoler les combles. Il existe maintenant du vitrage avec contrôle solaire et du verre électrodynamique. Si un pignon de l'immeuble n'est pas en pierre, il faut une isolation par l'extérieur. Il existe maintenant des matériaux haut de gamme d'isolants sous vide qui permettent de faire une isolation par l'intérieur. Enfin, il faut changer le système de chauffage collectif pour avoir un système plus performant type pompe à chaleur. Puis, si c'est autorisé, on peut toujours végétaliser la façade. Concernant les bâtiments historiques, ce n'est pas le coeur de gamme de Saint-Gobain. Les exigences sont plus élevées et ponctuelles. Si on veut une énergie verte, je pense qu'il faut accepter certains changements ! Je pense que l'urgence climatique est très importante et donc il faut accepter parfois de changer le cadre tel qu'il était il y a 400 ou 500 ans ! Nous avons créé les ateliers Hermès en Normandie. Nous avons fait fabriquer par un artisan local 500 000 briques à partir d'une carrière d'argile. On ne peut pas le faire pour tous les lycées de la région construits il y a un siècle. Il faut trouver un bon compromis économique.

Mme Sabine Drexler. - En vous écoutant, je comprends qu'il existe des matériaux mais nous n'en avons pas toujours connaissance. Il y a un enjeu de communication. Je vois autour de moi des gens qui, pensant bien faire, font en fait n'importe quoi avec des matériaux inadaptés, faute d'information.

M. Benoit Bazin. - Nous sommes présents dans le négoce de matériaux sur toute la France, on vend de l'ardoise en Bretagne et des tuiles en céramique en Paca. On s'adapte aux spécificités locales en termes d'offre et d'esthétique du bâti. On remet en puissance la chaux par exemple qui permet de faire respirer les murs. La stratégie de Saint-Gobain est la construction légère ou frugale, respectueuse de l'économie circulaire locale. Nous nous éloignons des modes de construction traditionnelle avec des blocs béton et des murs en ciment. Dans beaucoup de pays comme aux États-Unis, au Japon ou en Suède, on a des constructions de type poteau-poutre, respectueux en termes d'acoustique et de thermique. En faisant cela, on divise par deux le poids des matériaux ce qui diminue encore plus le CO2 de cette construction neuve. Les matériaux sont en plus recyclables. La difficulté est de récupérer le verre ou la laine de verre pour le recycler. Mais c'est recyclable à l'infini. Ce n'est pas le cas de beaucoup de matériaux biosourcés. Je ne sais pas recycler du chanvre, de la laine de mouton ou de la fibre de bois aujourd'hui. Il faut convaincre toute la filière de la construction qui a été formée il y a 30 ans, cela prend du temps.

Un autre sujet porte sur la garantie décennale. On ne peut pas réemployer les matériaux de construction car on n'a pas les assurances. Là on est face à des injonctions contradictoires, faites du réemploi mais on n'a plus de garantie.

Quand on pense rénovation globale, plusieurs artisans interviennent mais aucun ne peut être tenu responsable du travail de l'autre pour passer d'une classification F à C. Il faut peut-être favoriser des groupements d'entreprises provisoires en édictant une coresponsabilité de la bonne qualification du diagnostic. Je suis plutôt optimiste car tout le monde en est conscient. Il faut ensuite garder du bon sens. Le réemploi est possible sous certaines conditions. Ces réflexions sont en cours aujourd'hui.

M. Laurent Burgoa. - Vous avez évoqué un plan Marshall pour les passoires énergétiques. Quel est votre point de vue sur les logements en copropriété ? Malgré les dispositifs existants, il est compliqué pour les pouvoirs publics d'intervenir sur les copropriétés. Avez-vous des propositions pour que l'on soit plus efficient ?

M. Benoit Bazin. - Il faudrait simplifier les règles de majorité au sein de la copropriété. Personnellement, je n'ai pas eu la force de conviction suffisante pour convaincre ma copropriété de changer les fenêtres de la cage d'escalier ! Il est choquant de voir qu'il faut se mettre aux normes pour l'ascenseur tous les trois ans, je caricature, et que pour la partie énergétique, nous n'avons pas ces mêmes contraintes. On bute sur des règles de majorité. Les copropriétés comme les collectivités butent également sur une logique annuelle. Or, on devrait raisonner à cinq ou dix ans. On va être en cash négatif pendant quatre ans puis on va économiser pendant 20 ans sur les charges d'exploitation. Dans les copropriétés, on raisonne souvent en charges annuelles. Il faut rentrer dans une logique pluriannuelle. Il faudrait aussi peut-être établir des normes ou des contraintes à respecter à tel ou tel horizon. Cela valoriserait le bien. On fait souvent le calcul de retour sur investissement de la rénovation d'une maison. Pour une maison type, l'offre de Saint-Gobain comprend environ 32 produits différents livrés par Point.P, on va tourner autour de 250 à 300 euros du m2 post-aide. Compte tenu du coût de l'énergie, on a un retour sur investissement de quatre ans sans parler de la revalorisation patrimoniale s'il change de classe. La revalorisation de l'ensemble des appartements est aussi à faire valoir dans une copropriété.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Quand on agit sur la rénovation thermique, d'autres questions se posent sur d'autres aspects. Comment donner une seconde vie à un bâtiment ? Est-il possible de surélever un bâtiment dans le cadre de la réflexion Zéro artificialisation nette ? Avez-vous une réflexion sur ces sujets qui touchent à l'ingénierie du bâtiment ?

M. Benoit Bazin. - Donner une seconde vie à un bâtiment n'est pas simple sauf à le concevoir dès le départ, comme le Village olympique. Changer l'usage d'un bâtiment n'est jamais simple. Et cela peut être coûteux. Les architectes le font de plus en plus. Dans la conception, le numérique est une aide appréciable. Les maquettes numériques peuvent rendre ces opérations abordables en termes de coût et offrir une évolution progressive du bâtiment en termes de destination.

Nous avons observé en Allemagne beaucoup de projets de surélévation. Cela arrive en France pour des contraintes d'artificialisation que vous évoquiez et cela se fait avec une construction légère supportée par des poteaux-bois. On réfléchit à ces rénovations-extensions pour les grandes métropoles et à l'amélioration de l'ensemble de l'habitat. C'est un marché en cours de développement.

Il est très important de continuer à voir le bâtiment comme quelque chose d'essentiel. Les compétences et l'attractivité du bâtiment sont très importantes. Les métiers de la construction sont des métiers modernes qui attirent des jeunes. Saint-Gobain a embauché 6 500 personnes en France. On a un programme de « génération artisan » chez Point.P, on a des écoles du toit, des CFA... Il faut valoriser, auprès de l'Éducation nationale et des jeunes, l'image du bâtiment qui est un métier local dans lequel on vit correctement même si ce sont des métiers très exigeants et engagés, qui apportent beaucoup de bien-être collectif à notre société. La construction est considérée par le Gouvernement sous un angle de réinsertion professionnelle. Or, le bâtiment est bien plus que cela. On observe une image plus moderne, innovante et attractive dans d'autres pays.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Monsieur le Directeur général, je vous remercie de cet échange.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 16 h 30.


* 1 www.francetvinfo.fr/replay-radio/l-interview-eco/renovation-energetique-le-directeur-general-de-saint-gobain-demande-un-plan-marshall-pour-lutter-contre-les-passoires-thermiques_5789687.html.