Mercredi 7 juin 2023

- Présidence de M. Christian Cambon, président -

La réunion est ouverte à 9 h 50.

Loi de programmation militaire - Groupe de travail sur le programme 146 « Équipement des forces » - Examen du rapport d'information

M. Christian Cambon, président. - Trois rapports d'information sont présentés ce matin dans la perspective de la loi de programmation militaire. Nous commençons par celui sur le programme 146 « équipement des forces ». La parole est aux rapporteurs, Cédric Perrin et Hélène Conway-Mouret

M. Cédric Perrin, rapporteur. - Le projet de loi de programmation militaire pour 2024-2030 prévoit une augmentation conséquente des budgets de la défense. L'agrégat consacré aux équipements augmentera de 56 %. Les crédits consacrés aux programmes à effet majeur (PEM) représenteront au total 100 milliards d'euros, soit une augmentation de 70 % par rapport à la LPM actuelle.

Compte tenu de l'inflation, et du coût accru des technologies, cet effort ne permet toutefois pas de répondre à l'ensemble des enjeux.

Le financement de l'effort militaire paraît confronté à un problème de synchronisation : en reportant des programmes, année après année, le bon séquencement a été perdu. Il faut donc aujourd'hui enclencher en même temps le renouvellement de la dissuasion nucléaire et du porte-avions, tout en modernisant et en accroissant les volumes dans le domaine conventionnel. Ce pari est difficilement tenable en l'état actuel des finances publiques, alors que le montant des intérêts de la dette publique dépassera, au cours de la période qui vient, le montant du budget de la mission défense.

Hélène Conway-Mouret va d'abord vous présenter le cadrage de cette LPM. Puis je reviendrai sur les incertitudes et les paris proposés dans ce texte qui laisse de nombreux enjeux capacitaires en suspens.

Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure. - Cette LPM présente le défaut majeur de donner l'impression d'avoir été élaborée dans l'urgence, sans priorisation des enjeux stratégiques.

Pourquoi une telle précipitation, alors que la LPM actuelle courait encore jusqu'en 2025 ? Pourquoi se lancer dans cet exercice complexe et structurant pour les décennies à avenir, sans tirer tous les enseignements de la guerre en Ukraine, ou de la fin de l'opération Barkhane, et de la restructuration en cours des bases françaises en Afrique et des nouvelles missions qui leur seront assignées, et donc de l'incidence sur les besoins capacitaires tout autant qu'en ressources humaines ? C'est ce que ce texte ne fait pas.

Il n'est, en outre, plus question d' « Ambition 2030 », ni de vision « à hauteur d'homme et de femme » : l'élan de la LPM 2019-2025 semble s'être perdu.

Le projet modifie des curseurs entre programmes, sans socle conceptuel bien défini. Budgétairement, pour ce qui est des deux prochaines années, cette programmation ne fait pas mieux que la loi actuellement en vigueur. Elle fait même moins bien, si l'on considère l'impact de l'inflation.

Nous sommes donc perplexes tant sur la méthode que sur le calendrier du gouvernement.

Nos partenaires européens ont, eux aussi, du mal à saisir notre vision et nos objectifs. Cette LPM engage notre crédibilité diplomatique, alors que la France promeut une défense européenne et qu'elle porte toujours la notion d'autonomie stratégique et de souveraineté européenne qui commence à être adoptée par nos partenaires.

Le projet que nous propose le gouvernement est assez paradoxal.

Il prolonge la LPM précédente et confirme notre modèle d'armée, sans inflexion majeure, à un moment où le continent européen connaît pourtant un tournant stratégique tel qu'il n'en a pas connu depuis la fin de la guerre froide. Le retour d'expérience de la guerre en Ukraine n'est pas complètement ignoré, mais il est marginal dans le texte. Il est par ailleurs notable que le mot « terrorisme » ne figure qu'une seule fois dans le rapport annexé, alors que ce phénomène demeure la menace majeure à laquelle la France est confrontée. Ces constats révèlent un manque de profondeur et de perspective.

En plus des auditions de la commission, nous avons réalisé, avec Cédric Perrin, une dizaine d'auditions et un déplacement. Nous avons questionné les industriels et les chercheurs. Il est apparu, à chaque fois, que la méthode d'élaboration de la nouvelle programmation capacitaire était source d'interrogations.

Les capacités se déduisent, normalement, d'une analyse approfondie de la menace. La définition d'objectifs capacitaires pour la prochaine décennie nécessite donc au préalable une solide analyse des enjeux. En découlent d'abord des scénarios d'engagement, puis des besoins opérationnels et enfin, une ambition capacitaire.

Je ne doute pas que ce travail ait été réalisé par les états-majors. Mais il est passé sous silence, tant dans la Revue nationale stratégique (RNS) que dans le rapport annexé à la LPM.

La RNS s'est concentrée sur les modalités d'action par fonctions stratégiques. Elle développe en particulier les principes d'autonomie stratégique, de souveraineté européenne ainsi que la nécessité d'être un allié exemplaire au sein de l'OTAN. Mais les finalités recherchées, c'est-à-dire les menaces à traiter, sont au second plan.

Toutes nos auditions montrent que la France est confrontée à trois problématiques principales :

- l'accroissement de l'instabilité en Afrique ;

- le retour de l'affrontement entre États puissances en Europe ;

- et le basculement géopolitique vers l'Indopacifique.

Pour analyser les conséquences de ce constat en termes capacitaires, il nous manque un cadrage global de type « Livre blanc », définissant précisément les contrats opérationnels des armées en fonction de différents scénarios et les besoins capacitaires qui en découlent.

Dans ce contexte, la LPM qui nous est proposée est une LPM de continuation plutôt que de transformation. Elle renouvelle un modèle complet d'armée, fondamentalement centré sur la dissuasion nucléaire et sur la fonction expéditionnaire. Depuis la fin de la guerre froide, en effet, nos forces armées sont formatées d'une part, pour protéger le territoire national et, d'autre part, pour être capable de se projeter rapidement à l'étranger dans des opérations en situation de supériorité aérienne.

Les équipements sont renouvelés sur un plan qualitatif. L'effort financier est réel. Il permettra le renouvellement de capacités essentielles dont les deux composantes de la dissuasion, l'ensemble des flottes de la marine, ou encore les capacités de combat de l'armée de terre. Mais la contrainte financière ne permet pas d'aller plus loin en traitant le problème de la masse.

Le projet de LPM s'accompagne d'un chantier de modernisation de l'économie de défense. Le slogan d' « économie de guerre » est en décalage avec la réalité de l'effort capacitaire. La démarche recouvre néanmoins un effort bienvenu de simplification et d'accélération des procédures d'acquisition et des processus de production.

Mais il s'agit en réalité moins d'entrer dans une économie de guerre que de sortir des routines du temps de paix, dans lesquelles les questions de délais sont parfois secondaires.

Deux points de blocage majeurs restent à traiter :

- Il s'agit, d'une part, de la question récurrente du financement de l'industrie de défense, dont nous avons souvent parlé ici en commission ;

- Il s'agit, d'autre part, de la problématique cruciale des compétences.

Ces deux volets nécessitent une mobilisation interministérielle et, au-delà, une prise de conscience sociétale. C'est le moins que l'on puisse faire pour justifier l'expression désormais communément admise d' « économie de guerre ».

Mon dernier point porte sur le renouvellement de la dissuasion nucléaire, qui constitue probablement le volet le plus solide de cette LPM. L'information du Parlement reste limitée sur ce sujet pourtant capital, qui constitue l'assurance-vie de la nation.

Dans la LPM précédente, l'effort au profit de la dissuasion était évalué à environ 25 milliards d'euros sur la période 2019-2023 soit 12,6 % du budget de la mission défense. Le projet de LPM 2024-2030 n'apporte aucune précision de cet ordre. Il semble néanmoins établi que la future LPM consacrera, elle aussi, 12 % à 13 % de son enveloppe à la dissuasion, soit près de 50 milliards d'euros, ce qui représenterait 7 milliards d'euros par an environ.

Il s'agit, concrètement :

- Pour la composante océanique, de préparer la prochaine génération de sous-marins SNLE 3G, à horizon 2035, et de poursuivre les évolutions du missile M51 ;

- Pour la composante aéroportée, de mettre en place les missiles ASMP-A rénovés et de préparer la génération suivante de missiles hypervéloces ASN4G.

- Enfin, la modernisation des transmissions nucléaires est le dernier volet de cette modernisation. Elle passe, par exemple, par un travail sur la cryptographie quantique.

M. Cédric Perrin, rapporteur. - Toutes les armées technologiquement avancées sont confrontées au dilemme entre la technologie et la masse, du fait de l'augmentation du coût des programmes. D'après une étude de l'IFRI, la progression moyenne de ce coût est estimée entre 3 et 5 % au-dessus de l'inflation. Un ancien industriel américain résumait ainsi la situation : « si les méthodes du Pentagone et l'évolution des coûts ne changent pas, le budget du Pentagone autour de 2050 servira à acheter un seul avion tactique ».

Par ailleurs, un budget sous contrainte conduit à un biais en faveur de la modernisation de l'existant, au détriment de l'acquisition de capacités nouvelles destinées à prendre en compte les menaces émergentes.

Or, si la modernisation, en particulier de la dissuasion nucléaire, est évidemment vitale, elle ne doit pas conduire à sous-estimer l'importance de la masse dans le domaine conventionnel. Les deux approches sont évidemment complémentaires, et nous l'avons mesuré dans un certain nombre de nos auditions.

Dans ce contexte, le projet de LPM comporte des incertitudes et quelques paris.

Des incertitudes, tout d'abord.

Les « patchs » d'efforts prioritaires sont des regroupements parfois contestables de crédits. De très gros objets masquent la place réelle des plus petits : par exemple, s'agissant des « drones et robots », quelle est la place de l'Eurodrone, dont le coût en phase de réalisation est estimé à 3 milliards d'euros ? Que restera-t-il réellement pour les munitions télé-opérées, les véhicules sous-marins autonomes ou encore les robots terrestres, et dans quels délais ? Je rappelle que la masse budgétaire consacrée aux drones dans cette LPM est de 5 milliards d'euros, mais nous ne savons absolument pas comment elle est ventilée.

Les effets d'optique sont importants : ainsi, les munitions téléopérées (MTO) dont le coût sera probablement marginal à l'échelle du budget, sont comptées deux fois : d'une part, au titre des « drones et robots » et, d'autre part, au titre des « munitions ». Cela donne l'impression que les MTO sont très présentes, mais en fait, chacun de ces patchs comporte des objets beaucoup plus significatifs.

Un socle de 1800 MTO avait été évoqué l'an dernier. Il ne figure pas dans la LPM. Les programmes Colibri et Larinae, qui avaient pourtant bien démarré, sont déjà en train de prendre du retard, pour ce qui est du passage à l'échelle. Or l'objectif initial était de mener rapidement ces appels d'offre.

S'agissant des petits drones de surveillance, il faudrait pouvoir labelliser un certains nombres d'appareils offrant les garanties nécessaires. Ceux-ci pourraient alors être acquis rapidement sur catalogue en fonction des besoins. Dans le domaine de la défense surface-air, la lutte anti-drones (LAD) est également l'objet de grandes incertitudes. La LPM prévoit l'équipement de 12 véhicules Serval avec des systèmes de LAD en 2030. C'est un horizon lointain. 15 systèmes Parade et 20 systèmes de LAD navale sont programmée. Mais il y a urgence compte tenu de la proximité de grands événements.

La guerre en Ukraine illustre l'importance des feux dans la profondeur. La LPM programme, à ce titre, l'acquisition de 13 lanceurs pour assurer le remplacement des LRU d'ici à 2030 (et 26 peut-être à l'horizon 2035). Nous sommes évidemment favorables à une solution souveraine, qui puisse être développée rapidement étant donné l'insuffisance du parc actuel. Je rappelle qu'il y avait 13 unités au départ. Un certain nombre a été donné à l'Ukraine. La LPM est très floue sur les spécifications et le calendrier d'acquisition de cette capacité.

Notre rapport signale d'autres points d'attention tels que les infrastructures, ou encore les autres opérations d'armement (AOA), nécessaires à la cohérence d'ensemble.

Outre les incertitudes, la LPM comporte aussi quelques paris.

Plusieurs programmes voient leurs cibles reportées à 2035. Mais qui saurait anticiper l'évolution du contexte stratégique à cet horizon ?

C'est le cas, notablement, pour le programme Scorpion même si l'Assemblée nationale a revu plusieurs cibles à la hausse : la baisse est désormais de 21 % pour le Griffon et le Jaguar ; elle est inchangée (30 %) pour le Serval. Le calendrier des livraisons du Jaguar, en compensation du don de véhicules AMX10-RC à l'Ukraine, est incertain. Quant à la cible des chars Leclerc rénovés, elle passe de 200 à 160. Je rappelle que la Russie a déjà perdu environ 2000 chars dans la guerre en Ukraine. Quelles sont les hypothèses d'emploi des 200 chars français, qui vont constituer une capacité marginale en Europe en l'absence de « club Leclerc » ? Par ailleurs, la LPM n'évoque pas la transition entre le char Leclerc et le programme franco-allemand MGCS, qui peine lui-aussi à démarrer.

Le programme Rafale est lui aussi en recul, à 137. Or 225 appareils seraient probablement nécessaires pour permettre à l'armée de l'air d'assurer sereinement ses multiples missions.

Dans le domaine aérien également, le recul de la cible des A400M (de 50 à 35) implique un pari à l'export puisque cette cible suppose 11 livraisons à l'étranger.

La marine n'est pas épargnée : La LPM n'assure pas le remplacement des Rafale marine alors qu'une partie des appareils seront immobilisés pour des rétrofits.

Si la cible de 15 frégates de premier rang est inchangée, deux frégates de défense et d'intervention (FDI) sont décalées, également dans l'espoir d'un export. C'est un risque sur le financement de la LPM. Si l'export espéré n'a pas lieu, les frégates devront être rachetées sur l'enveloppe de la programmation.

Je mentionnerai aussi quelques programmes oubliés par LPM : c'est le cas du véhicule blindé d'aide à l'engagement (VBAE), qui doit succéder au véhicule blindé léger (VBL), ou encore de l'engin du génie de combat (EGC). Le remplacement des poids lourds de l'armée de terre n'est pas non plus évoqué alors que la question de la logistique est fondamentale. C'est aussi une question de cohérence.

En conclusion, nous avons souvent entendu, lors de nos auditions, que « le retour d'expérience de la guerre en Ukraine n'est qu'un élément de la réflexion parmi d'autres ». C'est une évidence. Nous l'avons souligné dans le rapport que nous avons présenté avec Jean-Marc Todeschini il y a quelques mois. Mais cet argument ne doit pas servir à minimiser les enjeux stratégiques et capacitaires du contexte géopolitique actuel. Alors que la France renouvelle et modernise ses capacités, sans modifier fondamentalement ses formats, certains de nos partenaires européens ont engagé un effort de réarmement conventionnel beaucoup plus conséquent, avec l'aide de fournisseurs américains ou de pays particulièrement réactifs et compétitifs tels que la Corée du sud. Le risque est d'aboutir, dans ce contexte, à une certaine marginalisation diplomatique et économique de notre pays. Sur un an, la France se place au huitième rang des pays donateurs d'aide militaire à l'Ukraine, après les Pays-Bas, le Canada et l'Italie. Qu'il s'agisse du canon CAESAR, du LRU, ou des systèmes de défense sol-air, notre aide trouve vite ses limites dans la faiblesse de nos propres stocks.

Or la Méditerranée ou l'Indopacifique, dont la France est riveraine, pourraient revenir rapidement au-devant de la scène internationale, sans que la situation en Ukraine et à l'est de l'Europe ne soit pour autant stabilisée. Serons-nous alors prêt ?

M. Christian Cambon, président. - Merci pour ce rapport qui constitue un éclairage très utile dans le contexte de l'examen de la LPM.

M. Rachid Temal. - Je salue le travail des rapporteurs. La modernisation de la dissuasion nucléaire, qui est la clef de voûte de notre défense, vous paraît-elle suffisamment financée ? Quel est l'impact réel des décalages subis par certains programmes sur nos capacités de défense ?

M. François Patriat. - Les rapporteurs estiment que cette LPM n'est pas une loi de transformation. Or c'est une loi sans précédent, qui fait suite à une autre loi sans précédent. Je souhaitais marquer mon désaccord sur ce point.

M. Cédric Perrin, rapporteur. - Nous avons, historiquement, peu d'information sur la dissuasion, en raison de la sensibilité du sujet. Mais il est évident que la dissuasion reste la clef de voûte de notre défense. J'ai récemment déclaré qu'elle ne devait pas devenir une nouvelle « ligne Maginot », eu égard au fait que le conventionnel devait aussi être mis en avant. Je pense, à titre personnel, que ce serait une erreur de considérer que le territoire français ne sera jamais attaqué. Négliger le domaine conventionnel ne risque-t-il pas d'abaisser le seuil nucléaire ? C'est un sujet essentiel au coeur de nos réflexions.

Le ministre des armées invoque la notion de cohérence : s'il est utile d'accroître les volumes de matériels, encore faut-il que ces matériels soient convenablement entretenus. C'est un fait. Mais ce raisonnement devrait conduire à une augmentation des crédits du programme 178, qui ne se vérifie pas.

Le dilemme entre la technologie et la masse demeure. C'est un débat philosophique qu'il faut avoir.

Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure. - Pour revenir sur la dissuasion nucléaire, l'effort est bien là. Les seuls éléments dont nous disposons concrètement sont ceux que j'ai évoqués. Cette LPM présente, de façon générale, des blocs financiers sans préciser les priorités ni le cadencement chronologique.

M. Cédric Perrin, rapporteur. - La LPM 2018-2025 se terminait par une bosse budgétaire, dont une partie devait être consacrée à la modernisation de la dissuasion. Or, la guerre en Ukraine a généré une inflation importante qui a réduit les moyens réels. Un effort important devra donc encore être réalisé sur la durée de la prochaine LPM. Le budget de la défense progresse de manière considérable. Mais tout le défi de cette LPM est d'expliquer qu'avec une augmentation de 40 % du budget, nous avons une baisse de 30 % de certaines cibles capacitaires.

Compte tenu du contexte géopolitique, cette réduction des cibles est problématique. Nous avons bien conscience que, depuis 30 ans, des investissements ont été reportés. Ces reports risquent d'avoir un effet d'éviction sur les petits programmes.

M. François Patriat. - En audition, le chef d'état-major des armées a jugé le texte équilibré. Je suis étonné d'entendre le contraire aujourd'hui.

M. Olivier Cadic. - La situation actuelle est le résultat de trente ans de diminution du budget de la défense. Il faudrait insister aussi sur la direction que nous prenons : où voulons-nous aller ?  Notre pays doit faire des choix. Il est important de faire des projections pour l'avenir.

M. Bruno Sido. - J'approuve les conclusions des rapporteurs. Contrairement aux parlementaires des États-Unis, nous disposons d'une information très parcellaire. Le secret de la défense plane en permanence sur nos débats.

Les évolutions des technologies entraînent des changements majeurs. La discrétion des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins pourrait, par exemple, être remise en cause. La défense anti-missile progresse. L'aviation est contestée par les défenses anti-aériennes. Nous manquons d'information sur ces questions.

M. Christian Cambon, président. - Nous déposerons des amendements à la LPM pour renforcer le contrôle parlementaire. Personne n'est capable de dire quel sera l'état du monde en 2030. La LPM prendra corps, chaque année, en loi de finances. C'est alors que nous devrons veiller à sa mise en oeuvre, dans un monde qui évolue très rapidement.

M. Pierre Laurent. - Les crédits de dissuasion nucléaire sont peu documentés. Le Ministre des armées nous dit qu'ils correspondront à 13 % de la LPM, soit 54 milliards d'euros, ce qui correspond à en moyenne 7,7 milliards d'euros par an, alors que nous sommes à 5,6 milliards d'euros aujourd'hui. Ce saut important mérite un débat politique.

M. Cédric Perrin, rapporteur. - La LPM actuelle consacre en effet, annuellement, 5,6 milliards d'euros de crédits à la dissuasion nucléaire, dont 4,6 milliards d'euros au titre du programme 146. Ce sont des chiffres sur lesquels nous sommes peu renseignés mais il nous a été dit que cette enveloppe continuerait à être de l'ordre de 13 % de l'effort total dans la prochaine LPM.

M. Jean-Marc Todeschini. - Je remercie les rapporteurs. Comme l'a indiqué le Président Christian Cambon, nous sommes dans une loi de programmation, qui est, par nature, une loi d'intention. Les analyses passées ont amené tous les gouvernements à réduire les formats. Il s'agit aujourd'hui de rehausser l'effort pour se mettre à niveau de la menace, se projeter vers l'avenir.

Les chefs d'état-major ne peuvent pas tout dire. Nous ne sommes pas dans un régime où les pouvoirs s'équilibrent comme aux États-Unis. Nous sommes dans un régime devenu présidentiel, où le secret de la défense prédomine.

Comment avez-vous travaillé, pour élaborer ce rapport, alors que nous ne disposons pas d'un bilan précis de l'exécution de la LPM actuelle ?

M. Christian Cambon, président. - Le Parlement doit pouvoir continuer à jouer son rôle. Or un certain nombre de documents, auparavant accessibles, sont maintenant classifiés, ce qui soulève de réelles difficultés.

M. Pascal Allizard. - Le travail des rapporteurs apporte un éclairage utile sur ce texte paradoxal. Nous n'avons pas eu de Livre blanc mais une revue nationale stratégique a minima. Ce document ne nous permet pas de comprendre les arbitrages stratégiques du Gouvernement.

Nous avons récemment reçu un courrier du Ministre des armées qui nous explique que le besoin sera financé par des non-dépenses ! Ce genre de réponse ne concourt par à la confiance. C'est d'autant plus regrettable que l'effort budgétaire est réel.

Nous avons un travail à mener sur la question de la protection, voire de la classification des informations car la doctrine de l'administration varie.

M. Christian Cambon, président. - Nous avons adressé un questionnaire au ministère des armées dans la perspective de la LPM. Certaines réponses sont en effet protégées. C'est un point sur lequel nous devons avancer.

M. Rachid Temal. - Sur le contrôle parlementaire, je rappelle qu'il y a eu, pendant la Première guerre mondiale, un contrôle parlementaire des commandes d'armes en comité secret. Il faut changer de dimension à ce sujet. Je serais favorable à ce que nous déposions collectivement un amendement pour avancer.

M. Christian Cambon, président. - Ce contrôle s'est alors mis en place sous un régime constitutionnel bien différent.

M. Olivier Cigolotti. - Nous avons besoin, en tant que parlementaires, d'avoir des indicateurs en matière de disponibilité technique et de disponibilité technique opérationnelle (DTO). La classification de ces informations serait motivée par la nécessité de la tenir à distance de nos compétiteurs. Sur la DTO, je ne vois pas ce qui justifie cette classification.

M. Christian Cambon, président. - Nous interrogerons le ministre à ce sujet. Je rappelle qu'en tant que parlementaires nous disposons de certaines prérogatives, notamment la possibilité de procéder à des contrôles sur pièces et sur place.

M. Jean-Pierre Grand. - La divulgation d'informations, tout comme la tenue de comités secrets, peuvent soulever certaines difficultés.

M. Mickaël Vallet. - Ne faudrait-il pas envisager la création d'un comité ad hoc en lui assignant un champ d'action précis ?

M. Christian Cambon, président. - Je ne suis pas très favorable, d'une manière générale, à ce genre de comité. Je me bats pour que nous puissions, tous, disposer, autant que possible, des informations dont nous avons besoin. Sur cette LPM, si une part de flou devait persister, alors nous pourrions déclencher un certain nombre de contrôles.

M. Cédric Perrin, rapporteur. - L'opportunité nous est donnée, avec cette LPM, d'améliorer le contrôle parlementaire. Les points d'étape doivent obliger le Gouvernement à revenir devant le Parlement, contrairement à ce qui s'est passé en 2021.

M. Christian Cambon, président. - Le Sénat pourra améliorer le texte de la LPM à cet égard.

M. Rachid Temal. - J'entends vos remarques mais les clauses de revoyure ne me paraissent pas suffisantes pour assurer un contrôle parlementaire adéquat.

M. Christian Cambon, président. - Je rappelle que nous avons refusé de participer aux groupes de travail constitués par le Gouvernement, afin que le Parlement puisse jouer son rôle. Cette LPM a été l'occasion d'un travail approfondi de chacun de nos rapporteurs.

Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure. - Nous nous félicitons tous de l'effort budgétaire programmé. Mais, derrière les chiffres annoncés par le Président de la République à Mont-de-Marsan, le texte de la LPM est parcellaire. Alors même que ce texte a été adopté à l'Assemblée nationale, nous continuons à chercher des réponses à des questions que le projet de loi initial aurait dû éclaircir. Cette LPM a été élaborée de façon trop précipitée, à partir d'une Revue nationale stratégique insuffisamment prospective. Il en résulte une reconduction du modèle d'armée que nous connaissons, alors qu'il aurait fallu fixer des priorités pour les vingt prochaines années. Le débat s'est malheureusement concentré sur des éléments budgétaires, alors que la priorité aurait dû être de se projeter vers l'avenir.

M. Christian Cambon, président. - Je vous remercie.

Les recommandations sont adoptées.

La commission adopte à l'unanimité le rapport d'information et en autorise la publication.

Loi de programmation militaire - Groupe de travail sur le programme 178 « Préparation et emploi des forces » - Examen du rapport d'information

M. Olivier Cigolotti, rapporteur. - Monsieur le président, chers collègues, l'effort consenti en faveur des crédits de paiement du programme 178 dans le cadre de la LPM est conséquent. Trois chiffres marquent une progression nette :

-69 milliards d'euros bénéficieront à l'entraînement et à l'activité des forces, soit un effort supplémentaire par rapport à la précédente LPM de 20 milliards,

-49 milliards sont alloués à l'entretien programmé du matériel (EPM) soit 15 milliards de plus,

- et enfin 18 milliards pour les services de soutien. Ce sont 4 milliards supplémentaires.

L'effort est là, il était indispensable tant le programme 178 est dimensionnant pour répondre à l'hypothèse d'engagement majeur (HEM) comme à la haute intensité (HI).

Les résultats en matière de préparation opérationnelle et de disponibilité technique opérationnelle (DTO) sont un sujet de préoccupation de la CAEDFA. En 2023, les indicateurs en la matière sont particulièrement décevants.

La situation s'est dégradée, comme nous le redoutions et sans que nous n'ayons aucune visibilité sur le décrochage qui s'est opéré pendant les 4 premières années de la LPM faute d'application de son article 7 qui devait fixer des objectifs annuels dans ces domaines. La préparation opérationnelle est de fait devenue une variable d'ajustement au cours de l'exécution des premières années de la LPM pour 2019-2025. Sur 11 indicateurs disponibles en 2023, 5 montrent un recul par rapport à 2019.

Les perspectives de la LPM pour 2024-2030 sont ambitieuses et s'établissement pour la préparation opérationnelle à 9,86 milliards par an, contre 7 milliards par an prévus entre 2019 et 2025. Cette augmentation annuelle est conforme aux besoins que nous avions recensés dans le cadre de la préparation du rapport sur l'actualisation de la LPM.

Il conviendra de s'assurer que les besoins de l'armée de terre, qui n'atteignent aujourd'hui que 70 % de la norme d'entraînement, ne sont pas sous-estimés. La consommation de ces crédits ne devra donc pas être repoussée à la deuxième moitié ou au dernier tiers de la LPM, et nous ne pouvons pas accepter cette fois encore de ne pas avoir de jalons tout au long de l'exécution de la LPM. Nous avons une cible de dépenses de crédits tout au long de la LPM mais nous n'avons pas la répartition par années. Nous vous ferons sans doute des propositions sur ces sujets lors de notre réunion de la semaine prochaine.

Pour la disponibilité technique opérationnelle, exprimée en pourcentage des contrats opérationnels, les résultats ne sont pas satisfaisants non plus. Ce sont 10 des 21 indicateurs de DTO qui ont diminué entre 2019 et 2023 ! Là encore aucune information n'a été communiquée au Parlement sur les objectifs de stabilisation ou de progression de la DTO.

Les efforts dédiés à la DTO dépendent des crédits dédiés à l'EPM qui bénéficient de 14 milliards supplémentaires. Mais la prochaine LPM recherche un optimum économique, en trompe l'oeil, dit « de cohérence », qui arbitre entre deux variables majeures : l'activité et la DTO. Réduire une supposée « sur-disponibilité » pour financer plus d'heures d'activité ne paraît pas rationnel, ni économiquement ni techniquement. Cela conduirait à une surusure des équipements et à l'érosion plus rapide du capital technique des armées. Voulons-nous, comme l'Allemagne, nous retrouver avec une armée Potemkine qui présente bien mais s'effrite à l'examen ?

L'information du Parlement doit permettre d'éviter une telle dérive, les équipements âgés doivent rester suffisamment efficaces, le coût de leur maintenance doit rester raisonnable. En son temps, le retard du Rafale Marine a obligé la Marine nationale à prolonger l'emploi du Crusader (utilisé depuis le début des années 1960), au prix de 67h de maintenance pour chaque heure de vol. Le non remplacement de matériel et le retard de livraison d'équipements ne doivent pas conduire à l'utilisation au-delà du raisonnable des équipements vieillissants. Dans le cas contraire, il faudrait dimensionner les crédits d'EPM pour pallier la gériatrie des matériels ce qui n'est ni souhaitable, ni adapté en période d'instabilité internationale majeure qui touche jusqu'au sol européen.

La LPM 2019-2025 tirait les leçons de l'accroissement des besoins et portait une réelle ambition pour l'entretien programmé du matériel (EPM) en lui dédiant 35 milliards sur la période de programmation. Mais elle reportait en fait une partie décisive de l'effort après 2022, avec des annuités de 4,4 Mds entre 2019 et 2023, puis de 6,5 milliards entre 2024 et 2025. Or, en exécution, le rythme d'inscription des crédits dédiés à l'EPM en loi de finances initiales a accusé un retard de 900 M€ par rapport à l'annuité moyenne arithmétique, accentué en 2023 par le fléchage dans cette enveloppe annuelle inchangée de 500 M€ pour reconstituer les stocks de munitions.

Cette augmentation des crédits destinés aux munitions était indispensable, et les leçons tirées de la guerre en Ukraine l'imposent. Mais cela signifie toutefois que les crédits d'EPM ont servi à financer des besoins non prévus par la LPM 2019-2025, au détriment des besoins initialement retenus, alors que le gabarit était déjà taillé au plus juste.

Nous devrons être très attentifs au rythme de consommation des crédits de l'EPM pendant la période de programmation à venir, les annuités n'étant pas détaillées. Un décrochage serait cette fois encore illisible pour le Parlement.

Faut-il donc considérer que ces annuités seront toutes identiques, alors que le maintien de matériel vieillissant devrait logiquement conduire à une augmentation des besoins d'EPM au fur et à mesure de l'exécution de la LPM ? Le choix dit « de cohérence » visant à réduire une supposée « sur-disponibilité » des équipements pour financer plus d'heures d'activité ou plus d'équipements neufs doit être surveillé, afin de préserver le capital technique des armées.

Mme Michelle Gréaume, rapporteure. - Je vais centrer mon propos essentiellement sur les services de soutien dont la situation nous alarme depuis que nous sommes rapporteurs du P178. Olivier parlait de la reconstitution du stock des munitions. Il nous paraît évident qu'elle doit s'accompagner d'une adaptation du Service interarmées des munitions (SIMu). Le SIMu doit :

- premièrement consolider son organisation avec la création éventuelle d'un nouvel établissement principal des munitions (EPMU) et le renforcement de son dispositif à l'outre-mer et l'étranger,

- deuxièmement renforcer la fonction défense et sécurité et le pilotage des projets majeurs. Pour cela, il lui faut gagner en épaisseur organique en sécurisant la remontée en puissance des ressources humaines. La création de 80 postes de personnel militaire est nécessaire,

- enfin, la capacité de stockage offerte par les dépôts du SIMu est jugée suffisante pour répondre aux exigences des contrats opérationnels. Mais la modernisation et l'augmentation de la sécurité doivent être favorisées avec le remplacement des magasins en tôle par des igloos, notamment.

Nous recommandons aussi de consolider l'EPM et les services de MCO des armées. Pour préparer ce rapport nous nous sommes rendus dans trois services de MCO : le service de soutien de la flotte à Toulon, l'atelier industriel de l'aéronautique (AIA) de Clermont-Ferrand, et la 12ème Base de Soutien du Matériel à Douai.

De ces visites dans des services en charge du MCO, il ressort que l'amélioration des contrats verticalisés et du MCO dans les armées passe par un axe « matériels ». Il consiste à adapter les stocks opérationnels en portant l'effort sur les rechanges critiques et les approvisionnements vulnérables aux situations de crise internationale. Il faut également s'assurer de l'existence des chaînes de réparation industrielles et de leur capacité à répondre aux besoins des forces, à anticiper la constitution de stocks de matières premières et de composants stratégiques nécessaires à la sécurisation des chaînes de production et de réparation. Enfin, il convient de mettre en place des programmes d'entretien des équipements applicables en temps de guerre, adossés à une évaluation du niveau de risque acceptable en situation opérationnelle et permettant d'augmenter conjoncturellement la disponibilité des équipements et le niveau des stocks.

Un deuxième axe « ressources humaines » consiste pour sa part à s'assurer, pour chaque flotte d'aéronefs, de l'existence d'un noyau suffisant de compétences et de savoir-faire, industriels et militaires, et des modalités adaptées d'appel à la réserve opérationnelle, de recrutement et de la fidélisation des ouvriers d'État, indispensables au MCO. Certains services visités connaissent une vacance de 25 % de leurs effectifs civils. La question de l'attractivité et du bénéfice de certaines primes se posent. Ainsi, il serait souhaitable de reconnaitre l'éligibilité à l'Indemnité de Mise en OEuvre et de Maintenance des Aéronefs -IMOMA- du personnel civil affecté aux mêmes fonctions et dans les mêmes niveaux de responsabilité que ses homologues militaires. Il faut également permettre une plus grande autonomie favorisant l'émergence de conception de solutions en format « industrie de guerre ». La nécessité d'adapter les standards à l'hypothèse de haute intensité est réelle, et c'est en amont des crises qu'il faut se donner le temps de l'envisager. La réforme de la DGA doit impérativement viser à réduire les délais d'acceptation de procédures ou de pièces de rechange dérogatoires.

S'agissant des services de soutien qui ne sont pas dédiés au MCO, il est regrettable que le projet de LPM fasse l'impasse sur leur adaptation à la haute intensité. Faudrait-il envisager la possibilité de réduire le nombre des services de soutien en temps de haute intensité en les réunissant au sein d'une structure ad hoc. Le soutien de la base de Gao pendant Barkhane a été modifié en ce sens. Cette expérience doit être étudiée, afin que ses effets positifs puissent être reproduits et que les freins et difficultés puissent être réduits.

Il nous reviendra de nous assurer que la prochaine LPM permet bien de renforcer le Service des énergies opérationnelles (SEO), le service du commissariat des armées (SCA) et le service de santé des armées (SSA). C'est une condition indispensable à l'efficacité d'armées tendant vers la haute intensité.

Pour s'adapter à la haute intensité, le SEO ne pourra plus dépendre autant des approvisionnements auprès de fournisseurs extérieurs et devra être mieux doté en vecteurs. Il lui faudra le bon nombre de camions citerne de nouvelle génération (CCNG), sans doute de l'ordre d'une grosse centaine

Le SCA pour sa part devra résorber les étalements dus à la non-budgétisation de la loi Egalim et à l'inflation. Il doit de plus faire face aux besoins d'équipements grands froids rendus nécessaires depuis le déploiement de la mission Aigle en Roumanie et aux coûts de métropolisation des équipements du SCA revenant de Barkhane. Il faudra aussi répondre aux besoins de modernisation des ELoCA et de sécurisation de leurs emprises, notamment à Roanne pour 18 millions d'euros.

Enfin, la situation du SSA appelle toute notre attention. Les chiffres permettant de calculer le déficit en médecins du service ne sont plus disponibles. Au dernier décompte en 2021, 136 médecins de premier recours manquaient ! L'amélioration tarde. L'hôpital d'instruction des armées (HIA) de Lyon est devenu une antenne hospitalière des armées (AHA). Les implantions locales du SSA décroissent et le SSA dépend désormais de son articulation avec le secteur sanitaire public pour faire face à l'hypothèse d'engagement majeur. Nous devons donc rester extrêmement attentifs aux modalités de coopération entre le SSA et le secteur civil sanitaire et déclarer un moratoire sur les transformations des établissements du SSA. Nous devons également donner au SSA les moyens de se porter à l'extrême avant en mettant les brigades du SSA sur roues pour accompagner la scorpionisation de l'armée de terre.

Ces points d'attention feront l'objet de propositions concrètes lors de la réunion de notre commission la semaine prochaine.

M. Rachid Temal. - Sur les stocks, quelle est votre position exactement ? S'agissant de l'article 24 du projet de LPM, l'État détermine sur la base d'un décret pris tous les deux ans, des niveaux de stocks nécessaires, demande aux entreprises de constituer ces stocks. Si ces stocks ne sont pas utilisés, que deviennent-ils ? Quelle est notre position sur ce dispositif ? Peut-on mesurer l'impact de ce dispositif pour les entreprises concernées ? Avez-vous pris connaissance de simulations ou obtenu des informations sur ce sujet au cours de vos travaux préparatoires ? On transfère totalement aux entreprises le risque inhérent à la constitution de stocks.

M. Pascal Allizard. - C'est une problématique qui relève de la compétence des rapporteurs du P144. Il y a une forte discussion sur ce point qui porte sur la dimension unilatérale de la décision de l'État de constituer un stock, ou faire constituer un stock, et sur la question de la rémunération d'un stock. Un stock coûte, les formules de calcul des coûts d'un stock sont parfaitement connues. Je vais donner un avis personnel, compte-tenu de la situation, que la question soit posée et fasse l'objet d'un débat avec les industriels ne me choque pas, mais cela ne peut pas être unilatéral et non rémunéré.

M. Cédric Perrin. - Dans le cadre des auditions faites dans le champ du P146, ce sujet a été abordé, même si nous sommes, avec Hélène Conway-Mouret, plus spécifiquement en charge des articles 23 et 25 du projet de LPM. Les industriels nous ont dit avoir découvert cet article 24 et les stocks dans le projet de LPM, sans avoir été associés en amont. Cela me choque un peu car les différentes réunions qui se sont tenues, sans nous, sur l'économie de guerre auraient dû être l'occasion de réfléchir à la manière de procéder sur cette question des stocks stratégiques. Ils semblent à la fois non-rémunérés et peuvent donner lieu à des sanctions s'ils ne sont pas constitués.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Je souhaiterais des précisions sur le service de santé des armées qui est un élément essentiel en cas de haute intensité. Je me demande ce qui peut être fait dans un contexte sanitaire national sous tension, où les médecins des armées peuvent être tentés de travailler à l'extérieur. Qu'est-ce qui est fait dans ce contexte ? Y a-t-il une vraie politique RH, pour tenter de retenir et de recruter de nouveaux personnels spécialisés dans ces chirurgies assez particulières qui sont nécessaires en temps de guerre ? Il me semble qu'il faudrait se projeter : utiliser la LPM pour analyser un problème et avoir par cette programmation la possibilité d'apporter des réponses.

Mme Michelle Gréaume. - Nous savons que le SSA souffre d'un déficit de personnel et nous ne parvenons plus à le caractériser. Les informations que nous réclamons sur ce sujet nous sont régulièrement promises mais n'arrivent pas. Cela nous inquiète d'autant plus qu'il semble qu'en haute intensité, les blessés militaires seraient « démilitarisés », c'est-à-dire qu'après un certain nombre de soins et lorsqu'ils requièrent une intervention de niveau 4, ils seraient sortis du parcours SSA pour retrouver le secteur sanitaire civil. Hors le secteur public est déjà en très grande tension sur tout le territoire. Nous avons été interpellés par les personnels des implantations du SSA à Metz et à Lyon notamment, où des transformations se préparent, l'HIA devenant AHA adossé à un hôpital civil. Nous demandons un moratoire sur ces transformations car elles pourraient mettre en difficultés l'hôpital civil et fragiliser la chaîne SSA.

Il semble nécessaire de revaloriser les soldes, salaires et primes des personnels du SSA. Les mesures prévues par le Ségur de la santé suite à la pandémie de coronavirus ont mis du temps à être étendues aux établissements du SSA, avec parfois des différences de traitement incompréhensibles entre personnels, selon leur statut ou selon l'établissement du SSA dans lequel ils sont affectés. Nous avons demandé que les primes prévues par le Ségur soient étendues à tous ces services concernés.

Il va falloir également trouver le moyen de faire revenir des médecins dans l'armée et que l'on fidélise ces personnels. Il faut une politique RH beaucoup plus volontariste, les rémunérations ne peuvent pas être inférieures à celles du secteur civil.

M. Olivier Cigolotti. - Le SSA essaie aujourd'hui d'ouvrir plus largement le nombre de postes dans les écoles de formation, mais cette formation est longue et les effets des actions menées n'auront pas d'impact concret avant longtemps.

Le système prévoit aujourd'hui que le SSA s'appuie sur le secteur civil, mais celui-ci est sous tension. Comment, en haute intensité, nos militaires pourraient-ils être prioritaires dans un système déjà dans une situation extrême actuellement ?

Nous avons identifié le manque d'une centaine de médecins, aujourd'hui le SSA fonctionne grâce à la réserve, que ce soit sur le territoire national ou lors des projections au Sahel. Heureusement que des médecins acceptent de faire des périodes de réserve conséquentes, sinon le SSA serait en grande difficulté.

Les efforts de recrutement n'auront d'impact que dans 7 à 8 ans, dans l'attente, il faut couvrir une période de pénurie par la réserve et par le développement des rémunérations et de primes de fidélisation qui doivent être accordées à l'ensemble des personnels du SSA.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Puisque l'on parle d'économie de guerre, avez-vous eu des indications d'efforts prévus dans le domaine du SSA, et ce que vous préconisez sera-t-il accepté pour rendre le métier plus attractif et pour fidéliser les personnels ?

M. Olivier Cigolotti. - Le médecin général commandant le SSA a obtenu des crédits supplémentaires dans le cadre du projet de LPM que nous allons examiner prochainement. S'agissant de l'amélioration des rémunérations, la problématique est la même que dans les hôpitaux civils, il manque des personnels dans ces secteurs, ce qui complique le recrutement. Il y a un effort financier accordé au vu de la nécessité de recruter au sein du SSA

Mme Michelle Gréaume. - Nous restons attentifs à ces problématiques. Lors de notre déplacement au centre de transfusion sanguine des armées (CTSA), nous avons demandé si la généralisation des primes prévues par le Ségur était enfin effective. C'est un dossier que nous ne lâchons pas, sur lequel nous attendons des avancées.

M. Alain Cazabonne. - Nous bénéficions d'un hôpital militaire de grande qualité, Robert Picqué, situé près d'un hôpital civil. La logique était de regrouper les deux hôpitaux sur le site militaire où se trouvaient 30 hectares disponibles, ce qui aurait coûté 50 millions d'euros à l'État. Ce dossier n'a pas abouti, malgré l'intervention des élus locaux. C'est donc l'hôpital Robert Picqué qui déménage sur le site civil de 7 hectares, cela ne permet pas de garder la piste d'hélicoptère d'urgence et quand dans une dizaine d'années il faudra agrandir les structures, il n'y aura pas de réserves foncières. C'est une mauvaise anticipation.

M. Olivier Cigolotti. - Cette tendance à la mutualisation entre une emprise militaire et un hôpital public est généralisée, on la retrouve à Bordeaux, à Lyon, à Metz. Dans bien des cas, on arrive à une saturation des équipements et des personnels, avec des effets induits de démotivation et de pertes des personnels qui démissionnent. Il y a bien là un manque d'anticipation. Lorsque l'on parle d'économie de guerre et de haute intensité, il faut se mettre en position de pouvoir traiter nos blessés et prioritairement nos blessés militaires dans des hôpitaux dignes de ce nom.

Mme Michelle Gréaume. - C'est pour cela que nous avons demandé le moratoire sur les transformations des implantations du SSA.

M. Pierre Laurent. - Pour avoir été également sollicité par plusieurs sites du SSA concernés, la grosse difficulté c'est qu'on cumule le problème de la rémunération et de l'attractivité liés au déficit de personnels hospitaliers et au déficit de recrutement avec une question structurelle propre à l'organisation du SSA et son lien avec les hôpitaux civils. Ces dernières années, il y a eu partout sur les sites concernés des procédures de regroupement et de mutualisation dans lesquelles les collectivités locales ont été incitées à investir dans le cadre de leurs discussions avec les autorités régionales de santé (ARS). Aujourd'hui, il semble qu'on ne sache plus trop dans quel sens aller. Il faudrait prendre le temps de la réflexion. Il y a un vrai désarroi sur les sites concernés faute de visibilité sur l'avenir structurel du SSA et son articulation avec les structures civiles. Vu les difficultés du SSA, on envisage de concentrer ses effectifs sur ses missions, mais ce faisant, ne risque-t-on pas d'aggraver les problèmes la situation du secteur sanitaire civil, d'accroître les problèmes de recrutement et de fidélisation. Ces difficultés n'ont pas été suffisamment anticipées, on en paie le prix et il est nécessaire de prendre le temps de l'analyse avant d'avancer dans un sens ou dans l'autre.

Dans le cadre de la LPM, on devrait avoir cette visibilité, malheureusement, il me semble qu'on ne l'a pas.

M. Olivier Cigolotti. - Nous ne pouvons que confirmer cet état de fait. Nous n'avons aucune visibilité. Nous sommes particulièrement attentifs à l'ensemble des services de soutien, que ce soient le commissariat des armées ou les services en charge du maintien en condition opérationnelle, mais nous avons avec le SSA une véritable pépite. Un seul exemple me semble parlant : le SSA est le seul service au monde à maîtriser un processus de lyophilisation du plasma et des composés sanguins, ce qui permet d'en envoyer sur l'ensemble des théâtres d'opération, y compris au profit de nations étrangères, car même les États-Unis ne maîtrisent plus au sein de leur service de santé militaire ce procédé. Nous devons donner au SSA les moyens de conserver ces technologies et capacités d'intervention sur tous les théâtres d'opération. Nous sommes donc particulièrement attentifs et nous multiplions les visites au sein de ces services pour nous assurer que nous sommes en mesure de conserver les savoir-faire du SSA et surtout les ressources humaines indispensables.

M. Cédric Perrin. - Avez-vous étudié la possibilité de donner aux infirmiers militaires plus de capacités d'action qu'ils n'en ont aujourd'hui ? C'est une problématique très présente dans les armées aujourd'hui. Il s'agirait de permettre aux infirmiers militaires de réaliser des actes qui compensent un peu le manque de médecins.

Mme Michelle Gréaume. - On s'appuie également sur ce qui a été fait dans le secteur civil. Je précise simplement qu'il ne manque pas que des médecins, les déficits du SSA concernent de très nombreuses spécialités.

M. Olivier Cigolotti. - Le modèle d'infirmier en service avancé qui se pratique sur le territoire a été dupliqué après les attentats de 2015. Cela fonctionne et permet de pallier, au moins pour partie au manque de médecins, mais cela ne résout pas totalement le problème.

Mme Gisèle Jourda. - Il est très difficile de faire ses études de médecine dans le cadre des armées. Je viens d'un département qui compte beaucoup de garnisons avec beaucoup de jeunes qui s'engageaient dans la voix de médecins militaires. Cela fait quasiment trois ans qu'aucun examen de recrutement n'a été organisé, ce qui est regrettable.

M. Olivier Cigolotti. - Le directeur central du SSA nous confirmait que l'augmentation des recrutements d'étudiants de médecine n'aurait pas les effets espérés car un certain nombre de jeunes ne finissent pas le cursus. Peut-être est-ce lié à la difficulté de la spécialisation militaire. L'élargissement du numerus clausus ne résout pas toutes les difficultés.

Mme Michelle Gréaume. - Ces difficultés ne touchent pas que le SSA. Les ouvriers d'État qui ont des compétences très recherchées dans le monde industriel reçoivent des offres alléchantes pour quitter l'armée. Leurs recrutements et gestions de carrière doivent faire également l'objet d'une grande attention.

Les recommandations sont adoptées.

La commission adopte le rapport d'information et en autorise la publication.

Groupe de travail sur le Retex de l'opération Barkhane - Examen du rapport d'information

M. Pascal Allizard, rapporteur. - Monsieur le président, mes chers collègues, avant de débuter cette intervention, je voudrais rendre une fois de plus hommage aux 58 militaires français morts au Sahel au cours de l'opération Barkhane, ainsi qu'aux nombreux militaires blessés.

Au cours de nos travaux, nous avons auditionné de nombreux responsables militaires ; nous avons également entendu des représentants du Quai d'Orsay, de l'AFD, des chercheurs spécialistes du Sahel ainsi que des représentants des ONG. Ce tour d'horizon assez complet nous a permis de faire le point sur une opération aux caractéristiques singulières.

Singulière, car comme le rappelait ici même Michel Goya, Serval puis Barkhane ont constitué les premières interventions directes et importantes de la France depuis 1978. Décidée à la suite de l'opération Serval qui avait mis un coup d'arrêt à la progression des djihadistes au Mali, Barkhane avait pour objectif, faute de pouvoir assurer une présence militaire permanente dans un espace aussi gigantesque, d'empêcher la formation d'un « Sahelistan » et de mettre la crise à la portée de l'action politique de gouvernance et de développement.

Je reviendrai d'abord très brièvement sur les principales étapes de l'opération. Nous avons d'abord eu des succès significatifs, avec l'élimination d'importants chefs terroristes comme Abou Bakr Al-Nasr, chef d'Al-Mourabitoune, en avril 2014, ou encore Djamel Okacha, chef de l'émirat de Tombouctou, en février 2019, et de nombreux autres leaders. Ces actions ont désorganisé les réseaux terroristes. L'« Etat islamique au grand Sahara » étant cependant monté en puissance de manière inquiétante dans la région des trois frontières, le sommet de Pau de janvier 2020 a donné lieu un « surge » qui a renversé la situation. L'action de la force Sabre a ainsi permis d'atteindre des hauts responsables d'AQMI et de l'EIGS, tels, en 2020, Abdelmalek Droukdel puis Bah Ag Moussa. Par ailleurs, nous sommes parvenus à mobiliser nos partenaires européens à travers cette expérience unique et réussie qu'a été la force Takuba.

Cependant, l'évolution du Mali, avec le premier et surtout le second coup d'Etat, a conduit le pays à s'éloigner de la France mais aussi de ses autres partenaires internationaux, jusqu'à faire venir Wagner et à rejeter la présence militaire française dans le pays, mettant ainsi fin de facto à l'opération Barkhane, avant que le Burkina Faso ne lui emboîte le pas.

Les choses auraient-elles pu se passer d'une autre manière ? J'évoquerai cette question d'un point de vue militaire, laissant à mes deux collègues l'explication politique. On peut peut-être regretter qu'un objectif clair n'ait pas été fixé dès le départ qui, une fois atteint, aurait permis de mettre fin à Barkhane. Ceci a donné l'impression d'une « opération à durée indéterminée ». Le général Castres avait évoqué devant nous des « bretelles de sortie » possibles : il y aurait eu par exemple, au tout début, l'élection présidentielle de 2013 réussie au Mali, puis les succès remportés à l'issu du « surge » de Pau. En réalité, le Gouvernement laissait aussi entendre qu'un départ pourrait avoir lieu au moment où les forces maliennes et le G5 Sahel seraient en mesure de prendre la relève. C'est peut-être là que nous avons été trop optimistes : selon de nombreux observateurs, l'armée malienne défaite et profondément corrompue de 2013 aura en réalité besoin d'une génération entière pour redevenir crédible.

Par ailleurs, notre doctrine militaire, comme celle de nos alliés, a peiné à élaborer une stratégie cohérente face aux groupes terroristes. Mme Nyagalé Bagayoko-Menone, la présidente de l'african security sector network (ASSN), soulignait ainsi devant notre groupe de travail que l'approche anti-insurrectionnelle inspirée de Lyautey et Gallieni était inopérante : on ne peut prétendre s'insérer dans le milieu quand la priorité est la protection de la force et que les soldats ne sont sur place que 4 mois. Toutes les armées locales ou étrangères sont confrontées à cette difficulté : nous n'avons pas de recette éprouvée face à un ennemi mi-terroriste mi-insurrectionnel sévissant sur son propre terrain. La conséquence, c'est que nous avons affaibli nos ennemis, mais sans jamais parvenir à mettre fin à leurs exactions. Avec l'usure des années, ceci nous a été de plus en plus reproché par les populations, créant un contexte favorable aux manoeuvres de désinformation mises en oeuvre par la junte ou par Wagner.

Il convient de tenter de tirer les leçons de ces difficultés rencontrées par l'opération. Tous les spécialistes s'accordent sur la nécessité d'une présence militaire plus discrète, afin de ne pas s'exposer au procès en inefficacité ou pire encore en intentions cachées. Il faut ainsi s'efforcer de répondre plus ponctuellement à ce que demandent nos partenaires africains. Plutôt que des formations, ce sont des financements, des équipements ou des armements, voire de l'appui opérationnel en renseignement. Sur les formations, en particulier, il faut profondément s'interroger. Aucune recette n'a fait ses preuves. Quand le président de la République parle d' « académies » dans son discours de février, en réalité on ne voit pas tellement la valeur ajoutée, car cela existe déjà depuis des décennies sous la forme des écoles nationales à vocation régionale (ENVR). Peut-être, en revanche, faut-il accueillir davantage de militaires en France pour retisser des liens de plus en plus distendus, à l'instar de ce que pratique et développe la Russie.

La deuxième réflexion porte sur nos bases militaires. Pour le moment, nous restons présents au Niger où la coopération se déroule très bien, avec un partenariat étroit pour intervenir notamment le long de la frontière malienne. Quant aux forces prépositionnées, le rapport annexé de la LPM indique que « les bases sur lesquelles des forces françaises sont déployées vont évoluer, avec une présence permanente réduite ». Toute la question est de savoir à quelle point cette présence doit être réduite, et dans quels domaines. Les militaires nous disent qu'ils ont des propositions, mais qu'ils ne pourront pas continuer à remplir toutes les missions actuelles en étant moins nombreux. Or pour pouvoir faire face aux situations exceptionnelles, comme une menace majeure sur nos ressortissants, une certaine logistique reste nécessaire. En outre, les bases sont des relais d'influence dans la durée. Nos concurrents, Chine, Russie, voire même Turquie dont on en entend de plus en plus parler, risquent d'occuper immédiatement le terrain. Nous devrons donc être attentifs à cette évolution du dispositif au cours des prochains mois, car en réalité tout reste à construire.

M. Olivier Cigolotti, rapporteur. - J'évoquerai pour ma part plus en détail les enseignements opérationnels de Barkhane, dont certains peuvent s'appliquer à la haute intensité.

Ce théâtre d'opération était caractérisé par un ennemi très mobile, évoluant sur son propre terrain et au sein de la population. Autres particularités : une élongation immense et une « abrasivité » très forte pour le matériel. Ces caractéristiques ont rendu nécessaires, d'abord, un aguerrissement physique et moral permanent, et une régénération efficace des hommes. Des « sas » post-missions, déjà expérimentés en Afghanistan, ont ainsi été systématiquement organisés par l'armée de terre. Cette organisation pourra être maintenue sur d'autres théâtres.

Les matériels ont aussi dû être adaptés en permanence à la menace prédominante des IED, avec les engins les mieux protégés : VBCI de 32 tonnes rétrofité en 2018, puis les VBMR Griffon, engagés et livrés dès 2021. Les VAB ultima ont remplacé les VAB plus anciens. Avant cela, les véhicules blindés légers (VBL) ont été dotés de kits anti-mines et les porteurs polyvalents logistiques ont été blindés. Parallèlement, des équipements de brouillage ont été installés. Aujourd'hui, les armées disposent d'environ 400 brouilleurs, dont plus des deux tiers étaient déployés au Mali. Ils seront progressivement remplacés par le dispositif « Barrage » développé par Thales, dont une demi-douzaine étaient déployés en BSS. Toutefois, ils ne sont efficaces que contre les IED déclenchés à distance, alors que la majorité sont déclenchés malheureusement par le passage du véhicule. Il s'est ainsi avéré impossible d'obtenir un véhicule protégé à 100%. L'opération a cependant permis de créer un processus d'aller-retour efficace avec les industriels pour améliorer la sécurité des véhicules.

En matière aérienne, la coordination entre le PCIAT de N'Djamena et le JFACC-AFCO (Joint Force Air Component Command - Commandement de la composante air de la force interarmées de l'Afrique Centrale et de l'Ouest) de Lyon-Verdun, a montré son efficacité. Le JFACC-AFCO a été intégré au sein du Centre Air de planification et de conduite des opérations (CAPCO), qui est désormais l'outil de Command and Control pour toutes les opérations majeures de l'armée de l'air et de l'espace. Il a notamment été utilisé pour le commandement de la composante aérienne de la force de réaction rapide de l'OTAN par la France pour l'année 2022. Par ailleurs, le système des bases aériennes projetées de N'Djamena et Niamey a constitué la « pointe de l'épée » du dispositif en BSS et a permis de tisser des liens étroits avec les partenaires tchadien et nigérien, qui perdurent actuellement. Les deux pays se montrent ainsi très allants pour monter en puissance dans le domaine aérien. Nous les aidons à combiner les différents vecteurs et à former des guetteurs aériens tactiques avancés (GATA) pour guider les avions. Des démarches similaires sont engagées dans le golfe de Guinée, avec la Côte Ivoire et le Bénin.

D'un point de vue opérationnel, le principal Retex pour l'armée de l'air découle de l'utilisation intensive du drone Reaper armé, qui a été d'absolument toutes les missions. Pour le transport, les capacités ont été décuplées par l'arrivée des A400M et du C130J, ce dernier étant arrivé en BSS début 2018, à peine trois mois après son arrivée en France. Les deux CASA fournis par les Espagnols ont également été précieux.

Autre apport essentiel lors de l'opération, qui aura des conséquences pour les adaptations à la haute intensité : le dispositif de renseignement mis en place par la DRM. En réalité, son efficacité s'est construite bien en amont de l'opération, pendant des années, en combinaison avec l'action de la DGSE. Les États-Unis, en particulier, ont salué cette connaissance intime du terrain. La fluidité de la coopération avec l'AFRICOM américain trouve aussi son origine dans le « Comité Lafayette », cadre bilatéral d'échange de renseignements mis en place après les attentats du 13 novembre 2015. Selon la DRM, les innovations mises en place pendant Barkhane valent pour la haute intensité.

Nous avons souvent rencontré lors de nos travaux la question de l'influence et du « sentiment anti-français ». Nous sommes en effet passés d'une France dotée d'un fort capital de sympathie en 2013 à une image très dégradée à fin de l'opération. Deux aspects sont à distinguer.

D'abord, un phénomène qui résulte d'une certaine usure liée à la durée de l'opération. Comme nous l'a dit le représentant du Quai d'Orsay lors de son audition, rester engagé dans une opération pendant 10 ans est en soi une anomalie ! Il y a aussi eu une certaine incapacité à communiquer sur nos véritables intérêts dans la région, ce qui a laissé le champ libre aux spéculations, allant d'un prétendu agenda caché du franc CFA, à l'exploitation des mines, en passant par une supposée complaisance avec des djihadistes qu'on nous imaginait capables d'éradiquer quand nous le voulions. Or, on nous reproche aussi un « deux poids deux mesures » s'agissant de la réaction aux putschs au Mali et à la succession du président tchadien, ou encore une arrogance persistante, notamment lors du sommet de Pau. Le deuxième aspect, c'est l'instrumentalisation sans limites de ce sentiment anti-français par Wagner et par la junte malienne. Il y a eu une sorte de convergence entre l'agenda autoritaire, anti-démocratique, très réactionnaire, de la Russie et de Wagner, et l'agenda de putschistes déterminés à durer en capitalisant sur ce sentiment anti-français.

Les leçons ont été bien en partie tirées, aussi bien par le Quai d'Orsay que par le ministère des armées, qui ont mis en place des moyens spécifiques d'influence et de contre-discours. Ceci aura une utilité quel que soit le théâtre d'opérations. Mais il faut garder à l'esprit deux choses : d'une part, nos moyens restent limités : nous ne pouvons ni ne voulons financer des « fermes à trolls ». D'autre part, le sentiment anti-français est une réalité profonde qui ne se limite pas au Sahel, mais existe aussi par exemple dans le golfe de Guinée. L'ensemble de nos interlocuteurs nous l'a confirmé : cette situation va durer. Ceci nous appelle donc à un profond renouvellement de nos relations avec les pays concernés.

Mme Marie-Arlette Carlotti, rapporteur. - Je vais pour ma part faire un zoom sur la lutte contre le terrorisme.

Les opérations Serval puis Barkhane ont été concomitantes des vagues d'attentats qui ont frappé la France dès 2015, avec Charlie Hebdo, l'hyper-Cacher, jusqu'à l'assassinat de Samuel Paty en passant par le Bataclan, Nice et beaucoup d'autres.

Le parallèle ne pouvait pas ne pas se faire avec ce qui se passait en même temps au Sahel, où les groupes terroristes menaçaient de créer un sanctuaire.

Cette crainte s'est encore accrue en 2019, avant le sommet de Pau, quand une partie des terroristes s'est alliée à l'État islamique. Certains analystes évoquaient le risque d'un « Sahelistan », base arrière des terroristes pour se projeter en France.

Lorsque l'accord d'Alger est intervenu en mai 2015, entre les autorités maliennes et l'alliance des forces rebelles, il était censé régler la crise malienne. Mais l'accord n'a jamais été respecté, chacun a préféré maintenir son pré-carré. C'est au coeur de cette situation extrêmement complexe qu'intervient l'opération Barkhane. Plusieurs de nos interlocuteurs, chercheurs ou militaires ont souligné cette complexité.

En fait, faut-il penser la lutte contre le terrorisme selon la vision que nous en avons en France et en Occident, alors que c'est un mode d'action qui, particulièrement en Afrique, revêt des formes diverses ? Les groupes sont très hétérogènes avec certes un noyau dur idéologisé, mais entouré d'hommes qui s'engagent pour des motifs le plus souvent non religieux, allant de la vengeance personnelle jusqu'à l'appât du gain.

Au Mali comme au Burkina-Faso, ce sont les multiples conflits intercommunautaires qui se sont développés, en particulier contre les Peuls trop facilement assimilés à des djihadistes, et qui dans l'avenir risquent de prendre des proportions importantes.

C'est aussi la guerre des « périphéries » contre le centre, une sorte d'insurrection contre les États centraux ayant une fâcheuse tendance à se changer en prédateurs lorsqu'ils s'éloignent des capitales.

C'est l'accroissement des inégalités entre les capitales et l'intérieur du pays qui est le principal inducteur de la révolte. La pauvreté rurale nourrit le djihadisme. Et dans les villes, c'est la montée des inégalités, qui se traduit par l'impatience d'une jeunesse qui trouve dans le sentiment anti-occidental un chemin alternatif vers l'émancipation. Enfin c'est aussi un ensemble de révoltes sociales, amplifié par une démographie très dynamique.

L'Afrique n'est pas seulement un espace géostratégique, c'est un continent de 1,3 milliard d'individus, essentiellement des jeunes, voire des très jeunes, qui se questionnent sur leur avenir, plus exactement sur leur survie. Une jeunesse sans perspective, opprimée par les dirigeants africains, qu'ils considèrent eux, souvent, comme amis de la France.

Ces menaces ne sont pas facilement gérables par une armée classique. L'opération Barkhane s'est ainsi trouvée au centre d'une situation extrêmement complexe, sans avoir de stratégie de sortie.

En même temps que la lutte contre la radicalisation, il aurait fallu lutter davantage contre les facteurs qui font basculer cette jeunesse dans le djihadisme. C'est pourquoi le gouvernement a théorisé la stratégie 3D, qui n'a pas totalement été équilibrée, ni n'a très bien fonctionnée.

Sur la question de la défense, mes collègues se sont largement exprimés.

Quant à notre diplomatie, elle est passée au second plan derrière une surexposition de la chose militaire. Une communication trop poussée sur le nombre de terroristes neutralisés a laissé croire à une toute puissance de l'armée française auprès des populations. Cette sur-visibilité a alimenté la théorie du complot et le discours sur une supposée complaisance vis-à-vis des terroristes. La guerre de communication a été défavorable à la France.

C'est une victoire pour les djihadistes, que notre diplomatie n'a pas pu ou n'a pas su déjouer. D'autant qu'elle manque de moyens : nos ambassades, en Afrique comme ailleurs, sont contraintes de fonctionner en « couteaux suisses » comme nous l'a dit un diplomate auditionné.

La survenue des coups d'État au Mali ou au Burkina Faso n'est pas sans lien avec l'accélération du sentiment anti-français. Arrivés à leur tour au pouvoir et sans possibilité de lutter contre le djihadisme, les putschistes n'avaient plus comme solution que de dénoncer le manque de résultats de la France et d'en faire un bouc-émissaire pour calmer les attentes de leurs propres populations.

Quant au développement, le bilan est ambigu. L'objectif affiché était la restauration de l'État de droit, partant de l'idée que le terrorisme fleurissait sur l'absence de biens essentiels et de services sociaux de base. Mais on a oublié, justement, que les États en question étaient corrompus et avaient perdu toute légitimité aux yeux de leurs propres populations.

L'effort financier a pourtant été massif. Les versements de l'AFD en direction des pays du G5 Sahel sont passés de 250 millions d'euros au début du conflit à un pic de 680 millions d'euros en 2019. L'Alliance Sahel, mise en place en 2017, a permis de soutenir 1 200 projets pour un montant global de 26,5 milliards d'euros. L'AFD a développé une coopération innovante avec l'État-major des armées, avec des échanges de personnels, des projets en communs, comme dans le cadre de « sursaut civil » décidé après le sommet de N'Djamena, en 2021. Cette coopération s'est développée notamment en matière d'éducation, de santé, d'eau et de gouvernance.

Pourtant, les ONG que nous avons auditionnées ont émis de nombreuses réserves sur cette situation. Ce lien défense/développement leur a donné de grosses difficultés par rapport à leur neutralité d'action sur le terrain vis-à-vis des parties au conflit et a donc généré de vraies difficultés pour leur capacité à intervenir.

Malgré des moyens significatifs, notre APD dans les zones de crises n'a pas été à l'échelle.

En l'absence du retour de l'État de droit, dans un contexte sécuritaire toujours dégradé malgré la présence des troupes françaises, nous n'avons pas fait reculer la pauvreté, d'autant que les gouvernants locaux ne nous ont pas aidés sur ce point. Ils ont manqué de volontarisme. Une partie insuffisante de la population a pu bénéficier de l'aide au développement pour réduire les incitations à rejoindre les groupes armés, en particulier chez les jeunes.

Il convient enfin de souligner que l'effort de la France en matière d'aide humanitaire est trop longtemps resté en retrait. Ce n'est que récemment que les crédits ont atteint des montants significatifs avec 200 millions d'euros au sein du PLF 2023. Ces financements devaient être pourtant dirigés en priorité vers les pays du Sahel pour accompagner nos actions militaires, et cela n'a pas totalement été le cas.

Le prochain enjeu est sans doute le golfe de Guinée où nous avons des intérêts humains et économiques encore plus importants.

En conclusion : aujourd'hui, le terrorisme ne reflue pas en Afrique. Au contraire, il touche désormais des pays qui jusque-là en étaient complètement prémunis, comme le Mozambique, et se développe également en direction du Golfe de Guinée.

Les groupes djihadistes mettent en péril la sécurité au nord de la Côte d'ivoire, du Ghana, du Togo, du Bénin ainsi qu'à l'est du Sénégal.

Quant au ressentiment à l'encontre de la France, il s'est construit lentement. Ça n'est pas uniquement dû à l'opération Barkhane, ni à Serval. Il vient de plus loin. Je pense qu'il nous faudra des années pour inverser la tendance.

Il est temps d'élaborer une nouvelle approche de notre politique en direction de l'Afrique en tirant les leçons de ce qui s'est passé au Sahel.

M. Olivier Cadic. - Je vous remercie pour vos interventions. J'ai eu l'opportunité de voir Barkhane sur le terrain, où je garde le souvenir d'avoir mis un parachute sur le dos quand j'ai participé aux opérations de ravitaillement en vol. Les militaires ont fait un travail exceptionnel, ils sont irréprochables.

Vous avez eu raison de dire que la France a été confrontée à la première guerre informationnelle, plutôt bataille informationnelle, dans le cadre d'un conflit. Nous avons peut-être perdu cette bataille, mais nous avons beaucoup appris durant Barkhane. Je pense que nous sortons de cette expérience plus forts. Je pense également qu'il y a des réussites : nous avons neutralisé beaucoup de terroristes. Aujourd'hui, je souhaite bon courage à ceux qui suivent.

Le Ministre des armées n'a pas répondu hier à ma question sur l'Algérie. Maintenant que Barkhane s'est retiré du Sahel, les algériens sont seuls par rapport à ce qui va arriver.

Le moment du retrait permet à certains de se rendre compte de tout ce qui a été apporté par la France. Je peux vous parler du golfe de Guinée puisque j'en reviens. Les pays du golfe sont très inquiets des pressions qui arrivent du Nord. Donner une réponse claire sur la manière de les accompagner est difficile. Ces pays font désormais appel à d'autres corps d'armées, comme les SAS britanniques, pour intervenir sur le terrain.

Je suggère qu'à la suite de l'opération Barkhane, une recommandation précise que nous ne pouvons plus intervenir comme nous le faisions auparavant. L'écueil serait de se mettre en seulement en second rideau car ils n'ont pas les capacités pour répondre tout seul. Si nous ne le faisons pas, d'autres le ferons, avec toutes les conséquences qui s'en suivent comme au Mali, avec des pertes.

M. Pierre Laurent- Je veux insister sur une question évoquée par M. Pascal Allizard dans son propos. Je pense que le moment où nous sommes passés de Serval à Barkhane est un point sur lequel nous devrions davantage réfléchir. Au-delà de tout ce qui peut être dit sur l'opération Barkhane, je pense qu'il y a là une question assez essentielle. Dans la foulée de l'intervention Serval, déclenchée à la demande du Gouvernement malien pour stopper l'avancée des colonnes djihadistes vers Bamako et qui a été un succès militaire, il y a eu la décision politique de poursuivre dans une autre opération, présentée au départ comme la prolongation de la première. Au fil du temps, nous nous sommes aperçus que les objectifs militaires et politiques étaient mal maitrisés. Je continue de penser qu'aujourd'hui le bilan politique de l'opération Barkhane va avoir de lourdes et durables conséquences. Je pense que ce moment où nous avons choisi ce type d'intervention, Barkhane, sans parler de Serval, invite à la réflexion. Réécoutons aujourd'hui toutes les interventions faites devant la commission, notamment par les militaires, dont le chef d'état-major des armées de l'époque qui insistait lourdement et systématiquement sur l'impossibilité d'apporter une solution uniquement militaire à ce problème. Le Général Lecointre le disait systématiquement. De tout cela, nous n'avons pas, à mon sens, tiré toutes les leçons. Nous pouvons discuter de beaucoup de choses sur les développements de l'opération Barkhane, et j'ai eu l'occasion de m'exprimer plusieurs fois. Je pense qu'il ne faudrait pas évacuer cette question originelle qui nous ramène à l'essentiel : quel type d'intervention devrions-nous avoir sur le continent africain ?

M. Christian Cambon, président. - Je crois, d'une manière générale, que tous les interlocuteurs que nous avons reçus l'ont toujours dit : la solution militaire était parfaitement insuffisante. Sans compromis politique mené par autorités nationales maliennes, nous ne pouvions pas y arriver avec 5500 militaires dans un territoire grand comme l'Europe.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Merci pour cet excellent rapport. Est-ce qu'aujourd'hui, au vue de la dégradation de la situation sécuritaire et de ce sentiment anti-français, une place est encore possible pour la France et pour l'Europe dans cette partie de l'Afrique, tout en voyant l'arrivée d'Israël, des Rwandais et d'une présence militaire qui est tout autre que celle dite conventionnelle, que nous avons eue jusqu'à présent ?

M. Olivier Cigolotti, rapporteur. - Pour répondre à M. Pierre Laurent, je crois que si nous souhaitons avoir une vision claire de l'opération Barkhane, nous pouvons dire que c'est un succès stratégique et tactique : nos militaires ont fait un travail exceptionnel dans un territoire qui était loin d'être facile. Mais c'est aussi un échec tant sur le plan diplomatique que sur le plan de l'aide au développement. Je crois que nous avons mis beaucoup d'argent en bande sahélo-saharienne sur plusieurs pays, en matière d'infrastructures. L'AFD a consacré des budgets conséquents. Néanmoins, les populations locales n'ont pas toujours vues la nécessité de ces infrastructures.

Nous devons effectivement nous poser la question de l'aspect diplomatique. Nous n'avons pas su expliquer et communiquer sur l'intervention de la France et son bien-fondé. De nombreux interlocuteurs nous ont dit : nous aurions pu consacrer des moyens au plus près des populations, plutôt que de financer des infrastructures qui laissaient parfois perplexes les populations de ces territoires.

Mme Marie-Arlette Carlotti, rapporteur. - Sur l'avenir, par le redéploiement, le repli, la façon plus discrète à avoir sur le plan militaire et le développement de nos bases, est-ce que c'est une position de repli face à la lutte contre le terrorisme ? Ou, allons-nous continuer à accompagner certains pays ? Comment allons-nous nous y battre ? J'ai essayé de poser ces questions au Ministre des armées hier soir, mais il ne m'a pas répondu. Que va faire la France de ce point de vue maintenant ?

M. Pascal Allizard, rapporteur. - Je crois simplement que la France ne peut pas se désintéresser de cette question. Il est nécessaire de réinventer les modalités de la présence française. Effectivement, l'armée a fait un travail remarquable. Dans le rapport, nous n'avons pas développé les leçons à tirer sur la problématique des munitions, sur la problématique du ravitaillement en essence et d'autres encore : des retours d'expérience spécifiques ont été faits et sont extrêmement intéressants. La présence diplomatique française sur le continent, qui n'est pas non plus développée, est insuffisante. Le terme « couteau-suisse » évoqué précédemment est vraiment le terme qui convient. Voulons-nous nous donner des moyens diplomatiques suffisants sur le terrain : oui ou non ? Quand nous parlons de la guerre informelle, cette défaite est liée à une carence de moyens par rapport à nos adversaires. Sur développement, il est nécessaire d'aller au plus près des populations, et non pas imposer des infrastructures.

Je terminerai sur ce point. Je vous conseille la lecture du manuel de la contre-insurrection du lieutenant-colonel Galula, français, banni de l'armée française. Cependant, il y a une cinquantaine d'années, il avait a peu près décrit comment gérer effectivement les situations contre-insurrectionnelles dans les espaces comme le Mali. Lui se penchait sur l'Indochine, et l'Algérie ensuite. Or nous n'avons jamais voulu l'entendre. L'audition de Mme Bagayoko, qui nous a parlé de Lyautey et de Gallieni, était intéressante, car les choses aujourd'hui ne se passent peut être plus de cette façon-là. Il y a sans doute eu un surdosage militaire, mais une insuffisance de diplomatie, et une carence du développement. La carence de méthode, et non de financements, reste le principal défaut de cette intervention.

M. Christian Cambon, président. - Merci à tous les rapporteurs pour ces éclairages approfondis.

Les recommandations sont adoptées.

La commission adopte à l'unanimité le rapport d'information et en autorise la publication.

Questions diverses

M. Christian Cambon, président. - Nos collègues Rachid Temal et Pierre Laurent demandent la parole.

M. Rachid Temal. - Au nom de mon groupe, je m'étonne du communiqué de presse publié hier par la commission sur la loi de programmation militaire. Par ailleurs, s'agissant de l'audition de M. Sébastien Lecornu, ministre des armées, cet après-midi, nous souhaiterions que ce ne soit pas que les rapporteurs défense qui s'expriment, mais aussi les groupes politiques. Enfin, nous aimerions échanger sur l'organisation de nos travaux en vue de la LPM.

M. Christian Cambon, président. - Très volontiers. Sur le premier point, le communiqué qui est sorti hier est un communiqué purement factuel, annonçant les rapports qui sont présentés ce matin. Sur les deux autres points, j'ai donné mon accord. Le Sénat est attendu sur cette LPM. Nous aurons une discussion intéressante avec l'Exécutif.

M. Pierre Laurent. - Sur un autre sujet, disposons-nous d'informations sur la mise en place de la commission d'évaluation de l'aide publique au développement ?

M. Christian Cambon, président. - Cette commission n'a toujours pas été instituée. La définition de son rôle et la désignation de son président soulèvent des di fficultés. M. Jean-Louis Bourlanges, président de la commission des affaires étrangères à l'Assemblé nationale, a déposé une proposition de loi à ce sujet.

M. Rachid Temal. - Le Gouvernement a souhaité placer cette commission auprès de la Cour des comptes. Ce n'était pas ce que nous souhaitions au départ mais nous l'avons accepté. Le Gouvernement doit assumer ses choix. Puisque la commission est rattachée à la Cour des comptes, il paraît logique qu'elle soit présidée par son Premier vice-président.

M. Christian Cambon, président. - Il est, en effet, urgent de mettre en place cette commission d'évaluation, issue des travaux parlementaires.

La réunion est close à 12 h 10

La réunion est ouverte à 16 h 35

Projet de loi de programmation militaire - Audition de M. Sébastien Lecornu, ministre des armées

M. Christian Cambon, président. - Monsieur le ministre, nous nous retrouvons pour une seconde audition sur le projet de loi de programmation militaire (LPM). Nos premiers échanges visaient à éclairer les objectifs de la LPM. Cette fois-ci, l'idée est de revoir ce texte à l'aune du vote solennel qui vient d'intervenir à l'Assemblée nationale et qui se décompose comme suit : 408 voix pour, 87 voix contre et 53 abstentions.

Depuis que nous nous sommes vus, nous avons mené un certain nombre d'auditions en commission. Nous avons ainsi entendu le délégué général pour l'armement (DGA), les chefs d'état-major, les représentants de l'industrie. Nos rapporteurs budgétaires ont achevé un travail de plusieurs mois pour préparer ce texte au mieux. Je tiens ici à les remercier de cet important travail d'approfondissement, que je ferai publier sous la forme d'un rapport. Cet éclairage m'est très utile dans la préparation de mon rapport.

De votre côté, vous avez défendu ce texte devant nos collègues députés, avec le résultat encourageant que l'on sait. Les travaux de l'Assemblée nationale ont été intéressants et de qualité. Nous souhaiterions avoir votre analyse sur les principales modifications du texte introduites par l'Assemblée nationale.

Il revient maintenant au Sénat de discuter ce texte. Je présenterai mon rapport à la commission dans une semaine. Il était important que nous puissions vous entendre à nouveau.

Depuis le mois dernier, nos travaux nous ont confortés dans notre première analyse : nous partons, nous aussi, d'un présupposé favorable à ce projet parce qu'il poursuit le redressement de notre effort national. Au terme de cette deuxième LPM, si elle est exécutée dans les conditions envisagées, c'est un doublement des budgets des armées qui interviendra. Néanmoins, nous avons aussi identifié des points de vigilance, qui appellent des précisions complémentaires ou des modifications.

Comme plusieurs de nos collègues députés, nous avons des interrogations quant au cadencement de l'effort proposé. Pourquoi avoir rédigé une nouvelle LPM, sachant que le Gouvernement prévoit de conserver dans les premières années les marches du budget actuel de 3 milliards d'euros par an ?

Nous nous préoccupons également de la nature des recettes extrabudgétaires prévues pour couvrir les besoins de 413 milliards d'euros sur la période. Nous avons déjà eu l'occasion d'évoquer ce point. Du reste, vous nous avez adressé une lettre à ce sujet. À ce stade, nombre de nos collègues ne sont pas totalement convaincus par votre argumentation, et je pense que nous aurons l'occasion d'y revenir.

Nous sommes également très vigilants sur les conditions du contrôle par le Parlement de l'exécution de cette LPM à venir. Cela a fait l'objet de débats nourris tout au long de la matinée. Vous le savez, cela avait été un point de tension, qui aurait pu être évité, avec votre prédécesseur. Pourtant, ce contrôle par le Parlement, qui est la mission que nous confie la Constitution, a prouvé toute son utilité en 2021. Nous avions identifié à cette époque des sous-financements dont nous retrouvons malheureusement les conséquences aujourd'hui.

En tant que président de la commission, je me dois de relayer les préoccupations qui ont été exprimées par nombre de nos collègues ce matin. Il y a un vrai problème quant à l'accès des parlementaires aux informations. Il faut que vous nous éclairiez et que vous preniez des engagements fermes à ce sujet. Au cours des auditions de nos rapporteurs budgétaires, il y a eu souvent des réponses évasives. C'est parfois aussi le cas dans les réponses écrites à notre questionnaire. Vous vous étiez engagé à ce que nous obtenions des réponses, encore faut-il qu'elles soient précises. Globalement, il devient de plus en plus difficile, depuis le vote de la LPM actuelle en 2018, de mener à bien notre mission constitutionnelle de contrôle de l'action du Gouvernement.

Je ne prendrai qu'un seul exemple : plusieurs des réponses écrites à notre questionnaire sont étiquetées « diffusion restreinte ». C'est le cas, par exemple, de la réponse actualisant le tableau capacitaire qui figure dans la LPM actuelle. Comment comprendre que ce qui était public dans la précédente LPM, en 2018, soit en diffusion restreinte aujourd'hui ? Ce n'est pas acceptable. Il faut que le Parlement puisse exercer son rôle constitutionnel de contrôle. Or nous pensons que cette protection n'est pas justifiée sur des tableaux capacitaires, qui sont essentiels pour évaluer l'exécution de la loi.

L'effort budgétaire proposé à la Nation est important, et nous nous en félicitons, même si nous pensons qu'il faut sans doute améliorer certains points. Toutefois, l'importance des sommes en jeu rend indispensable l'exercice, par le Parlement, de la totalité de sa mission de contrôle sur ces sujets. Sinon, tôt ou tard, nos compatriotes - car c'est aussi l'opinion publique que nous devons emporter dans cette mobilisation - refuseront de soutenir cet effort, pourtant indispensable dans le monde toujours plus dangereux dans lequel nous vivons.

M. Sébastien Lecornu, ministre des armées. - Je vous remercie de m'accueillir pour ma cinquième audition dans le cadre de mes fonctions, et la troisième dans le cadre de la LPM. Lors de ma première audition, je m'étais engagé à revenir plus régulièrement devant vous. Cette méthode produit ses effets : dans le cadre de la commission, comme lors de ses déplacements. Plusieurs d'entre vous sont ainsi allés au contact de nos forces armées pour assister à l'exercice intitulé « Opération de grande envergure pour des armées résilientes, interopérables, orientées vers le combat de haute intensité et novatrices » (Orion), ce qui est un autre moyen pour le Parlement de contrôler l'action du Gouvernement.

Je m'efforce de ne pas me répéter à chacune de mes auditions. Je suis d'ailleurs à votre disposition, en sus des débats qui auront lieu en séance publique, pour revenir traiter un thème particulier en commission. Les choix militaires sont des choix politiques, et la démocratie représentative a plus que son rôle à jouer en la matière. Nous pourrons y revenir en comparant notre pays avec d'autres démocraties à cet égard, pour voir quelles sont nos marges d'amélioration.

Mes propos ne concerneront pas les articles de la LPM liés à l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi) et au volet numérique du projet, qui seront traités par le ministre Jean-Noël Barrot.

Par ailleurs, quatre à cinq réponses à votre questionnaire vous parviendront ce soir ou demain, avec toutes mes excuses pour ce retard.

La LPM a fait l'objet de 30 heures de débat en commission à l'Assemblée nationale et de 58 heures de débat en séance. Au total, 700 amendements ont été déposés en commission, et 1 700 en séance. Cela témoigne de l'ampleur du débat.

Le contrôle parlementaire est un sujet clé qui comprend plusieurs sous-thèmes, à commencer par la question du vote sur la revoyure. L'Assemblée nationale a souhaité prévoir une revoyure en 2027, assortie d'un vote du Parlement fin 2027, tout en partant du principe qu'un nouveau Président de la République et une nouvelle législature seraient amenés à réactualiser plusieurs orientations stratégiques.

La fréquence potentielle de ces revoyures a par ailleurs fait l'objet d'un débat important, certains l'imaginant annuelle ou bisannuelle. Or cela reviendrait à abîmer la notion même de loi-programme telle qu'elle avait été conçue par les gaullistes dans les années 1960. Ce point a évidemment retenu l'attention du Gouvernement. L'absence de proposition à ce sujet dans la copie initiale tient au fait que le Conseil d'État avait souhaité que nous retirions celles qui y figuraient, considérant que le contrôle du Parlement ne pouvait pas faire l'objet d'une initiative de l'exécutif dans un projet de loi, et qu'il revenait au Parlement lui-même de l'introduire - ce qui fut fait par l'Assemblée nationale.

J'imagine que des amendements seront déposés en séance sur ce sujet. Je tiens en tout cas à vous communiquer de nouveau notre bienveillance. Je prends aussi ma part de l'exécution de la LPM précédente sur ce point.

Par ailleurs, vous êtes nombreux à m'avoir interpellé sur les grands programmes européens de coopération industrielle - le Main Ground Combat System (MGCS) et le système de combat aérien du futur (Scaf) - qui suscitent des interrogations, notamment quant à leur transparence, ou aux intérêts militaires et industriels qu'ils représentent pour la France.

L'Assemblée nationale a souhaité - avec un avis favorable du Gouvernement - que celui-ci éclaire la représentation nationale en 2025 sur l'état d'avancement du programme MGCS et, à la fin de l'année 2025, avant l'examen du projet de loi de finances pour 2026, sur celui du Scaf - soit entre la phase 1B et la phase 2 de ce programme. Les armées, la DGA et la base industrielle et technologique de défense (BITD) française devront donc être à même, à cette date, de présenter au Parlement les conditions économiques, industrielles, logistiques de réalisation de cette phase 2.

Il s'agit là d'un point clé, d'autant que ces coopérations doivent se faire aussi en lien avec les parlements, ce qui vous permettrait d'engager des discussions avec vos homologues parlementaires allemands. En effet, ce dossier ne doit pas se jouer seulement entre pouvoirs exécutifs, mais aussi entre pouvoirs législatifs. On ne peut pas laisser trop planer le doute sur l'intérêt de ces coopérations. Il convient donc de l'objectiver.

J'en viens à l'accès aux informations. Les douze mois que je viens de passer dans mes fonctions de ministre des armées m'ont permis de mieux appréhender, avec vous, la notion de secret défense. Certaines informations sont vraiment secrètes, et ce secret doit être protégé. Les crédits liés à la dissuasion nucléaire sont en la matière un bon exemple. J'ai eu néanmoins des échanges difficiles à l'Assemblée nationale sur ce sujet.

Je reprends à mon compte une jolie phrase de Pierre Messmer : à certains secrets militaires doivent correspondre certaines discrétions budgétaires. De fait, par comparaison avec les États-Unis et le Royaume-Uni, démocraties elles aussi dotées de la dissuasion nucléaire et membres de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (Otan), la France se montre particulièrement bavarde sur le contenu de sa doctrine nucléaire et sur les programmes afférents. Nous pourrions débattre de la possibilité d'aller plus loin dans ce domaine, à condition d'assumer que le fait de trop en dire affaiblit notre dissuasion, car cela revient à révéler des informations sur les contrats opérationnels et sur nos efforts de modernisation de la composante nucléaire. Sans refuser ce débat politiquement, j'estime qu'il est bon, en ce domaine, de garder le secret.

Il existe aussi le secret lié au renseignement. J'espère avoir démontré lors de ma première audition devant la Délégation parlementaire au renseignement (DPR) que l'habilitation « secret défense » accordée aux parlementaires de cette instance n'était pas une coquetterie. Dès lors que cette habilitation existe, il convient de jouer la carte de la confiance. Nous devons faire vivre la DPR différemment, la faire fonctionner. Je me suis engagé pour ma part à m'y rendre souvent, sur de courtes durées, pour traiter de thèmes précis.

Par ailleurs, si plusieurs indicateurs sont classifiés pour de bonnes raisons de prime abord - ainsi de la disponibilité technique (DT) et de la disponibilité technique opérationnelle (DTO) -, une évolution semble possible sur ce point.

M. Christian Cambon, président. - Ces éléments n'étaient pas classifiés auparavant.

M. Sébastien Lecornu, ministre. - C'est en réalité la transmission conjointe de ces deux documents qui peut être révélatrice de certaines informations sur les contrats opérationnels. Sur la DT, nous devons faire un pas en avant. Je ne ménage pas mes efforts par ailleurs pour vous convaincre que la cohérence doit primer sur la masse. Or on ne peut priver le Parlement de l'indicateur qui lui permet de mesurer les efforts de cohérence réalisés. Le nombre d'hélicoptères est une chose, le nombre de ceux qui peuvent réellement voler en est une autre - et cela relève de la DT.

Des positions médianes peuvent être trouvées sur ce point dans le cadre de la LPM. Certaines informations pourraient par exemple être communiquées uniquement, une fois par an, par voie papier au président de la commission et au rapporteur concernés. Une telle démarche s'avérerait pertinente pour les indicateurs de la DT, car ils constituent l'un des critères sur lesquels je veux que nous soyons jugés pour la LPM à venir. L'important réside moins dans notre capacité à avoir que dans notre capacité à faire.

J'ai un doute en revanche sur l'efficience de l'indicateur DTO. Il est en effet rapporté aux contrats opérationnels, lesquels sont parfois très enchevêtrés. Je demanderai à l'état-major des armées de me présenter des propositions nouvelles d'indicateurs, que j'étudierai ensuite avec le Parlement. Nous pourrions imaginer un système dans lequel certains indicateurs existent en temps de paix, et peuvent redevenir confidentiels si l'on bascule dans un temps de guerre. Je propose à la commission de travailler en confiance et de manière imaginative sur ce sujet.

Je réponds volontairement longuement à la question relative au rôle de contrôle du Parlement, car l'acceptabilité sociétale, politique, des sommes importantes que le contribuable va consentir aux défenses militaires exige quelques résultats en matière d'efficacité. Avoir quelques indicateurs permet aussi de maintenir une saine pression : sur les équipes, et sur les industriels - pour savoir, par exemple, pourquoi tel hélicoptère a plus de mal à voler que d'autres en dépit des sommes importantes que vous aurez votées par ailleurs.

Une partie du rôle de contrôle du Parlement a été assumée à l'Assemblée. J'entends néanmoins que l'on peut aller encore plus loin au Sénat, ce dont je me réjouis. En effet, le général de Gaulle, Michel Debré et Pierre Messmer ont voulu une LPM précisément pour que tout le monde prenne sa responsabilité sur les questions militaires.

Plusieurs débats relatifs à de grands sujets militaires, diplomatiques et industriels nous ont également occupés lors de la discussion de la LPM à l'Assemblée nationale. En effet, les sujets budgétaires une fois débattus, les sujets militaires ont dominé : le format de nos armées, nos alliances, ce que l'on attend de l'armée française dans les années à venir, etc. Il est bon que nous ayons ce débat pendant l'examen de la LPM. Une LPM réussie est en effet une LPM dans laquelle on ne se méprend pas sur les objectifs militaires que l'on confie aux armées, et donc sur les moyens qu'on leur assigne pour remplir ces missions.

Le premier débat a porté sur la dissuasion nucléaire. Fabien Roussel a réaffirmé son opposition - je ne la partage pas - à la dissuasion nucléaire, tout en remettant en perspective la position du parti communiste français sur cette question. Nous avons eu un débat long et exigeant à ce sujet dans l'hémicycle, qui s'est avéré éclairant. D'autres personnes ont manifesté un autre type d'opposition, plus feutrée, à la dissuasion nucléaire, en soulignant que, si elle était utile aujourd'hui, il n'était pas certain qu'elle continue à bien fonctionner demain, et que la question de son remplacement pouvait se poser. Si ce débat est effectivement intéressant - il faut s'interroger sur l'évolution de notre dissuasion pour les vingt ou trente années à venir -, nous ne voyons pas quel pourrait être ce remplaçant.

D'autres enfin ont remis en cause la dissuasion nucléaire en mettant en avant l'importance de la part des efforts budgétaires inscrits dans la LPM qui lui est dédiée - comme si la dissuasion nucléaire n'était pas militaire, et ne protégeait pas nos intérêts vitaux.

Sur ce sujet, qui est grave, j'en appelle à la responsabilité des parlementaires. La dissuasion nucléaire ne se limite pas à un arsenal technique, ni à l'assemblage des performances de nos marins, aviateurs et ingénieurs, ni aux éléments des discours du Président de la République. Son efficacité tient également à ce que les formations politiques représentées au Parlement en racontent. Il s'agit d'un point important, car ce sujet est moins consensuel qu'il y paraît.

Le traité sur l'interdiction des armes nucléaires (Tian) et le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) ont été également débattus, certains étant parfois tentés de les placer sur un même pied. Or, si nous sommes très engagés dans le TNP, toute référence au Tian, y compris dans la LPM, me paraît susceptible d'affaiblir notre position. Une puissance dotée de l'arme nucléaire a des responsabilités à assumer.

De nombreux amendements ayant trait à la dissuasion nucléaire ont donc été débattus à l'Assemblée nationale, ce qui m'a paru sain. Le vote intervenu ce jour vaut, à mon sens, adhésion pour la dissuasion nucléaire de notre pays.

J'ai été frappé par ailleurs par la dureté, voire par la violence, des débats relatifs à nos alliances et coopérations européennes. À titre d'exemple, alors que le rapport annexé comprend une liste de pays avec lesquels la France entretient des partenariats privilégiés, de nombreux amendements ont été déposés pour supprimer l'Allemagne de cette liste, sous couvert d'un antiaméricanisme à peine déguisé. Cela a occupé plusieurs heures de débat. Or cela revenait à remettre en cause plusieurs grands préceptes qui me semblaient consensuels jusqu'alors, depuis l'après-guerre jusqu'à nos jours.

Néanmoins, certains sujets relatifs à notre souveraineté capacitaire méritaient d'être traités, et nous l'avons fait. Il fallait en outre mieux définir certains de nos intérêts en matière de coopération. Le sujet de l'Europe de la défense a fait par ailleurs réagir l'ensemble des formations parlementaires, dans un sens ou dans un autre.

Le sujet de l'Otan a été également débattu. Or il n'est plus du tout consensuel. S'il fait l'objet d'une approche très politicienne, comme c'est parfois le cas, il est difficile d'avoir un débat de qualité. J'ai d'ailleurs donné un avis favorable à un amendement de La France insoumise (LFI) pour que le Gouvernement et nos forces armées produisent un rapport sur les effets et le bilan du retour de la France dans le commandement intégré de l'Otan - l'idée étant de fournir des données objectives sur les contrats opérationnels associés, l'interopérabilité, la planification, ou encore la place des officiers français dans les organigrammes de l'Otan.

On ne peut s'intéresser au tableau capacitaire de la LPM sans s'intéresser également à nos alliances. Or, et c'est l'une de mes grandes déceptions, le tableau capacitaire et les contrats opérationnels n'ont pas été placés en regard de ce que nous attendons de nos alliances. J'espère parvenir à y remédier, avec vous, lors de l'examen du texte au Sénat. Pour notre pays et pour nos armées, c'est là que réside la clé de la cohérence globale du modèle imaginé dans les années 1960.

La question du contrôle des exportations d'armes par le Parlement a constitué un autre sujet non consensuel débattu à l'Assemblée. Une volonté de se substituer à l'exécutif s'est exprimée notamment pour l'autorisation des licences.

J'ai été frappé par ailleurs - à l'Assemblée, mais également hier soir au Sénat lors du débat portant sur la déclaration du Gouvernement relative à la politique étrangère de la France en Afrique - du faible nombre de remarques ayant trait au rôle et aux missions confiés aux armées ou à nos bases situées à l'étranger. Soit il s'agit d'un sujet consensuel, et je m'en réjouis, soit il n'est pas compris, ou on ne veut pas le traiter. À cet égard, l'opposition entre Pierre Laurent, partisan d'une fermeture de nos bases, et Olivier Cadic, favorable à une intervention militaire chaque fois que les intérêts économiques de la France sont en danger, était intéressante. Il s'agit de deux visions radicalement opposées de la doctrine d'emploi de nos bases et de nos forces armées en Afrique. Or ce qui est vrai pour les bases l'est aussi pour la plupart des missions ou des contrats opérationnels : l'opération Atalante, par exemple, ou encore la réassurance du flanc oriental de l'Otan.

On peut parler pendant des heures de marges frictionnelles et de reports de charges, mais le sujet de fond est de savoir ce que l'on attend des missions de nos forces armées. Ce débat, en partie inabouti, nous pouvons l'avoir ici de manière plus complète et non classifiée, le cas échéant avec le chef d'état-major des armées. Les seules missions ayant fait l'objet d'un débat, comme cela ne vous surprendra pas, sont Sentinelle - pour dire que les forces armées ne devaient pas intervenir sur le territoire national - et Harpie - pour dire qu'il fallait en faire plus alors que l'on était sur le territoire national. Concernant Harpie, un décès est intervenu pendant l'examen de la LPM à l'Assemblée nationale. La question des missions intérieures est également aussi complexe que celles des opérations extérieures (Opex).

Le porte-avions s'est largement invité dans les débats, avec des amendements irréconciliables, entre ceux qui voulaient supprimer le porte-avions et ceux qui en voulaient un deuxième. Le texte, issu des travaux de l'Assemblée nationale, confirme le porte-avions de nouvelle génération (PA-NG), successeur du Charles-de-Gaulle. Cela m'a permis de clarifier à nouveau l'utilité d'un porte-avions dans les différentes missions et contrats opérationnels. On ne parle pas assez de sécurité maritime et d'accès à certaines libertés maritimes.

Concernant la question du partage des rôles, on en revient à l'Otan. Les mêmes qui voulaient supprimer le porte-avions souhaitent sortir du commandement intégré de l'Otan. Il s'agit d'être cohérent : soit on laisse les clefs de la mer Méditerranée au groupe aéronaval américain, soit on dispose de notre propre groupe aéronaval et l'on préserve notre capacité d'agir.

Je me suis aussi engagé à ce que l'on fasse toute la transparence - via un rapport du Parlement - sur le coût d'un éventuel deuxième porte-avions. Cela ne veut pas dire que l'on en souhaite un deuxième ; pour être très clair, je pense que nous ne sommes pas capables de le payer. Mais comme, pour des raisons de transparence, nous allons objectiver le coût du premier, nous devrions être mesure d'évaluer, de manière théorique, comme des parlementaires me l'ont demandé, le coût d'un deuxième.

M. Christian Cambon, président. - Certains ici sont intéressés par le prix.

M. Sébastien Lecornu, ministre. - J'en suis persuadé.

M. Christian Cambon, président. - Nous n'avons toujours pas de réponse.

M. Sébastien Lecornu, ministre. - C'est assez simple : le PA-NG appartient à une classe dont le coût s'élève à 10 milliards d'euros, et les travaux menés lors des dix-huit prochains mois nous permettront d'affiner cette somme - pas à la hausse, j'espère.

La question du coût englobe celle de la souveraineté industrielle, puisque les chaufferies du porte-avions - les mêmes que celles sur les sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE) et les sous-marins nucléaires d'attaque (SNA) - dépendent d'un savoir-faire français ; si l'on achetait américain, cela coûterait moins cher ; c'est le prix de notre autonomie. Il existe trop de légendes et de fausses rumeurs sur le porte-avions pour ne pas venir le documenter devant la représentation nationale.

Avec le porte-avions, se pose aussi la question du groupe aéronaval et des missions qui lui sont confiées. Tous les parlementaires désireux de mieux comprendre les missions sont les bienvenus sur le porte-avions Charles-de-Gaulle. Parfois, un cas pratique en mer Méditerranée ou dans l'océan Indien vaut toutes les démonstrations de ministre en commission.

Un autre débat a suscité beaucoup de remarques et de questions, avec des avis encore une fois irréconciliables : la part d'externalisation que le ministère des armées doit consentir. Certains ne voulaient aucune externalisation - y compris pour le maintien en condition opérationnelle (MCO), ce qui me semble infaisable -, tandis que d'autres considéraient que, pour certaines tâches, surtout quand elles n'étaient pas opérationnelles et avaient une vocation civile, l'externalisation pouvait avoir du bon. J'ai pris un certain nombre d'engagements sur ce sujet, je vous renvoie au texte.

D'autres sujets débattus sont apparus plus consensuels : la question des réserves, tant au niveau de la doctrine que de la cible ; la famille des sujets blessés, avec un amendement du Gouvernement pour clarifier les missions et les moyens du service de santé des armées (SSA) dans les années à venir ; le plan Famille ; les politiques salariales du ministère, avec le sujet des fidélisations, sans opposer l'indemnitaire aux grilles indiciaires ; les mesures - dites Oscar - de protection de nos intérêts souverains, concernant les militaires de l'armée française susceptibles de travailler pour des intérêts étrangers, avec une volonté de durcir le dispositif pour englober un certain nombre de civils de la défense ; les sujets d'économie de guerre, notamment l'accès aux financements de notre BITD qui a suscité beaucoup d'amendements.

Les patchs ont également fait l'objet d'une longue discussion. Je citerai celui de l'outre-mer, sur lequel il a fallu apporter des précisions. Des amendements ont été retirés à la suite d'engagements ou de clarifications que j'ai pu exprimer sur plusieurs sujets : la question du contrat de redynamisation de site de défense (CRSD), la dépollution en Polynésie française après les essais nucléaires, ou encore l'évolution de l'opération Harpie en Guyane. Le sujet de l'innovation a également fait l'objet d'un amendement important du Gouvernement, avec les problématiques soulevées par le quantique, l'intelligence artificielle, le cyber ou encore le NewSpace.

Nous avons également procédé à la mise à jour du tableau capacitaire. Nous avons corrigé, monsieur Perrin, la « coquille » sur le drone SDT ; merci de l'avoir remarqué avec bienveillance. Je suis revenu sur le programme nEUROn, dont je sais que nous aurons l'occasion de reparler, car il s'agit d'un point important, notamment pour la transformation du standard F5. Comme je m'y étais engagé, j'ai effectué la mise à jour du tableau capacitaire lié aux aides à l'Ukraine dans le cadre du programme Scorpion, après les cessions de VAB et d'AMX 10-RC. Les négociations avec l'industriel concernant le programme Iris se sont bien terminées ; cela nous permettra, sur ce segment opérationnel précis, d'ajouter un satellite avant 2030.

Résultat de ce qui précède, et non préalable, j'ai évoqué les trajectoires financières. Notre armée française, comme j'aime le dire, est une armée d'emploi. Nous ne sommes pas là pour remplir des hangars, mais pour faire en sorte que les missions confiées aux armées fonctionnent.

Certains sujets sont apparus consensuels, je pense notamment au carburant opérationnel ; le dispositif fonctionne bien, il n'est pas utile d'y toucher. J'ai également démontré que l'idée de consacrer 2 % du PIB au budget de notre défense était intéressante, mais que, pour une armée comme la nôtre, cela ne pouvait être le seul critère. Lorsque le PIB a chuté en 2020 à cause de la crise du covid, nos crédits militaires correspondaient à 2 % du PIB ; et avec la croissance qui repart actuellement, cela risque de changer encore la donne.

Enfin, j'ai évoqué les marches. Je me suis efforcé d'expliquer qu'elles correspondaient à des besoins. Des questions m'ont été posées, notamment sur la part de la préparation opérationnelle des forces dans cette LPM. Cela m'a permis d'expliquer comment, en matière capacitaire, les marches avaient été construites.

Concernant les ressources extrabudgétaires, les députés du groupe Les Républicains ont souhaité, en commission, introduire un mécanisme de protection, pour le cas où nos prévisions s'avéreraient mauvaises. Ces ressources ont toujours existé, même si certains semblent aujourd'hui le découvrir. Si je n'ai pas réussi à être convaincant sur ce point, celles et ceux qui m'ont porté la contradiction à l'Assemblée nationale ne m'ont pas non plus convaincu, sauf à considérer que les marges frictionnelles sont à supprimer - c'est illusoire et absurde - et que les reports de charges sont inutiles - cela reviendrait à abîmer un des rares outils, conquis de haute lutte par mes prédécesseurs, qui permet au ministère des armées de gérer l'inflation. Quant aux recettes du SSA, elles pourraient être rabattues dans le budget général de l'État sans passer par le ministère des armées, et je ne vois pas en quoi ce serait une bonne nouvelle. L'amendement du groupe Les Républicains permet, en tout cas, de sanctuariser les choses sur cette question des ressources extrabudgétaires.

Beaucoup de questions ont également porté sur la transition écologique et le rôle des armées dans ce contexte. La problématique n'est pas sans lien avec le patch outre-mer et constitue un bon sujet pour les contrats opérationnels. D'autres sujets ont été rapidement évoqués, notamment la trajectoire ressources humaines ou encore les questions mémorielles.

Je suis désolé de vous apporter toutes ces précisions, mais il me semble important de vous apporter un éclairage sur les évolutions notables portées par ce projet de loi et d'évoquer aussi la nature des débats à l'Assemblée nationale.

M. Christian Cambon, président. - Merci, monsieur le ministre, pour ce compte rendu des débats à l'Assemblée nationale. Il n'a échappé à personne que la composition politique du Sénat est sensiblement différente de celle de l'Assemblée nationale. Les réactions, les prises de position et peut-être les amendements seront d'une nature différente, même si les préoccupations peuvent être semblables à bien des égards.

M. Cédric Perrin. - Monsieur le ministre, les débats à l'Assemblée nationale ont été riches et de bonne tenue, à l'exception de celui sur la dissuasion nucléaire. La volonté d'améliorer le contrôle parlementaire sur l'exécution de la programmation militaire est un sujet qui nous préoccupe. Le vote d'une LPM ne signifie pas donner un blanc-seing, et sa mise en oeuvre compte au moins autant que les intentions exprimées. S'agissant de son actualisation, nous partageons le souhait de l'Assemblée nationale de ne pas revivre la situation de 2021 qui, vous l'avez entendu ici à plusieurs reprises, nous a un peu traumatisés.

Nous avons pris acte de la montée en puissance de la réserve, avec désormais une cible intermédiaire évaluée à 80 000 réservistes à l'horizon 2030. Beaucoup de questions entourent cette montée en puissance qui porte seule l'évolution du format des armées, concernant le financement, la formation, l'équipement ou encore l'emploi.

Autre sujet : l'attention portée à la situation de nos territoires en outre-mer, en première ligne face aux bouleversements du monde.

Si les débats ont été intenses et ont permis des précisions et compléments utiles, ils n'ont pas abouti à une modification substantielle des équilibres du texte. Je pense, en particulier, aux dispositions relatives à l'économie de la défense qui, en dépit des questions de fond qu'elles posent pour nos industriels, n'ont pas été modifiées. Et je pense également à la disposition concernant la programmation financière proprement dite ; vous avez évoqué le porte-avions, je ne vais pas y revenir, mais c'est un sujet important.

Un amendement très utile et pertinent de nos collègues du groupe Les Républicains a été voté sur la compensation des ressources extrabudgétaires éventuellement manquantes.

Dans ces conditions, il ne pouvait pas y avoir de révolution sur l'aspect capacitaire. Plusieurs amendements significatifs ont néanmoins été adoptés concernant le Rafale et le SCAF. Le gouvernement a fait voter un amendement prévoyant la présentation d'un rapport d'étape sur les travaux réalisés pendant la phase 1B, et un autre annonçant que le standard F5 du Rafale, accompagné d'un drone issu des travaux du démonstrateur nEUROn, serait développé au cours de la LPM. Faut-il voir dans ces amendements le signe que la France se prépare à ce que le SCAF ne soit pas opérationnel en 2040 ? Pouvez-vous, par ailleurs, nous préciser le calendrier et les sommes envisagées pour le développement du standard F5, alors qu'il est actuellement prévu de porter le Rafale au standard F4 ?

Concernant le programme Scorpion, vous avez déposé un amendement pour accélérer la livraison de 92 Griffon et 38 Jaguar, afin de compenser les cessions à l'Ukraine. Cela démontre-t-il que, en cas de commandes, l'industrie serait en capacité d'assumer les livraisons ?

Pouvez-vous également nous apporter des précisions sur le cadencement envisagé pour ces livraisons, sur le ratio de « recomplètement » - combien de véhicules neufs pour combien de véhicules anciens - et sur le mécanisme de financement interministériel ?

Concernant le système de drones aériens pour la marine, le rapporteur de l'Assemblée nationale a modifié la cible pour 2030, invoquant la rectification d'une erreur matérielle, et l'a portée de huit à dix. Confirmez-vous qu'il s'agissait d'une erreur dans le tableau capacitaire ? Par ailleurs, le système aurait connu quelques difficultés techniques lors des phases d'essais ; pouvez-vous nous en dire davantage ?

Enfin, concernant les efforts budgétaires prioritaires, le Gouvernement a déposé un amendement précisant que les efforts sur le domaine thématique pouvaient inclure, pour partie, des financements également présentés au titre des efforts capacitaires. Pouvez-vous nous donner davantage de précisions sur ces chevauchements budgétaires ?

En outre, des précisions ont été apportées par amendement sur l'innovation. Peut-on espérer que vous agissiez de même lors de la discussion au Sénat sur d'autres objectifs, comme les drones, la défense surface-air ou les munitions ? Pour l'instant, nous disposons de gros patchs budgétaires - 5 milliards d'euros pour les drones, 16 milliards d'euros pour les munitions -, sans aucun détail. Plus largement, la réflexion concerne la décomposition de l'agrégat entre équipements, programme et budget affecté.

Monsieur le ministre, nous avions demandé à recevoir les programmes manquants dans le tableau capacitaire, ainsi que les points de passage intermédiaires des programmes en 2023, 2025, 2027, 2030 et 2035. Nous n'avons pas reçu les points de passage intermédiaires.

M. Rachid Temal. - Monsieur le ministre, vous avez commencé par dire que l'aspect financier n'était qu'une conséquence, et je partage votre point de vue. Mais, si j'étais un peu taquin, je dirais que l'on a surtout communiqué sur le montant historique.

Le point de départ, comme vous l'avez exprimé à l'Assemblée nationale, est de considérer le monde tel qu'il est ou tel qu'il sera bientôt. Nous n'avons pas eu la discussion nécessaire, préalable, car la révision de l'actuelle LPM n'a pas été possible. On peut également regretter que la revue nationale stratégique (RNS) n'ait pas davantage associé le Parlement. Pour ces raisons, il existe entre nous quelques hiatus et différences d'appréciation.

Cette LPM ne montre pas de rupture fondamentale avec notre modèle historique ; elle cherche, au contraire, à revenir à sa force conceptuelle initiale. Vous citez souvent le général de Gaulle - pour ma part, je suis plutôt gaullien que gaulliste -, mais je rappelle que ma famille politique a été à la hauteur des enjeux militaires sur ces questions, en assurant le renforcement de nos capacités de défense et de projection, ou en faisant le choix de la dissuasion nucléaire.

L'enjeu n'est pas, à mon sens, de revenir à la formation initiale, mais plutôt de nous projeter. Quand on voit ce qui se passe sur le territoire européen - avec un pays doté de l'arme nucléaire, membre du Conseil de sécurité des Nations unies, qui décide d'attaquer un autre pays -, sur le continent africain ou dans la région indopacifique, nous aurions aimé que ce constat soit le point de départ de toute la conception.

Sachant nos capacités financières limitées, sachant notre choix de maintenir un modèle complet d'armée, se pose alors la question des alliances et des partenariats. L'amendement concernant l'Otan est une bonne chose, mais il faut aller plus loin et s'interroger sur le rôle de la France dans l'Otan.

La question du contrôle parlementaire est essentielle. Je note vos efforts concernant l'accès à l'information. Le rôle du Parlement est de voter la loi, mais également de contrôler et d'évaluer les politiques publiques. Concernant le format des armées, la question des conséquences apparaît, elle aussi, essentielle. Quand on fait le tour des différents pays européens, on a parfois le sentiment que notre porte d'entrée serait plutôt l'Otan que la politique européenne de défense ; il faudra trancher sur ce sujet et en assumer les conséquences.

Vous évoquez une économie de guerre ; je suis dubitatif, car nous ne sommes pas en guerre. Ce qui est en jeu, c'est notre capacité à disposer d'un outil industriel au niveau.

Concernant les patchs, la question indopacifique est fondamentale. Dans la mesure où les Américains concentrent désormais leur vigilance sur cette partie du monde, on peut s'interroger sur l'évolution du « front européen » et sur la nature de notre soutien à partir de nos entités territoriales dans la région. 

Enfin, concernant la question des finances, je note le montant de 413 millions d'euros. Je rappelle que l'actuelle LPM comprend les années 2024 et 2025 ; cela correspond, d'après mes calculs, à environ 97 milliards d'euros. Comme la nouvelle LPM reprend également ces années, nous serions donc en deçà des 413 millions d'euros. On pourrait également évoquer les 30 milliards d'euros liés à l'inflation, sans parler du report de charges. Je ne souhaite pas critiquer, mais simplement être transparent, dans la mesure où, comme vous l'avez dit, se pose la question de l'acceptabilité sociale et économique du montant.

Notre groupe s'inscrit dans une logique de bonification de la LPM et, à l'issue du travail effectué en commission et en séance, nous déterminerons notre vote.

M. Sébastien Lecornu, ministre. - Monsieur Perrin, le contrôle parlementaire est un sujet important. Dès lors que l'on s'accorde sur le respect du secret, nous devons pouvoir tout assumer.

Au sujet de la réserve, si des questions persistent concernant les rythmes de montée de puissance, la doctrine, la formation ou encore les équipements des réservistes, je suis prêt à apporter des précisions. On ne peut pas parler de haute intensité ni d'engagement majeur chez les autres sans avoir une réflexion sur la part des réservistes et sur leur rôle dans le modèle d'armée globale - Opex comprises. Comme on l'a vu avec les missions de formation pour les partenaires, il est évident que nos réservistes ont encore des choses à apporter.

Le standard F5 s'inscrit dans la LPM. J'ai présidé, il y a quelques semaines, un comité ministériel d'investissement (CMI) qui a permis le lancement du standard F5. Cela veut dire que l'ensemble des sommes engagées pour les études et la faisabilité se trouvent dans la LPM. Cela inclut le démonstrateur nEUROn, avec une mise en service au début de la prochaine LPM. Certains ont voulu opposer le standard F5 et le SCAF ; je rappelle que nous ne sommes pas dans les mêmes temporalités, la « cohabitation » entre les deux interviendra plus tard. Il est de notre responsabilité de lancer le standard F5 qui, à l'export, doit également trouver des partenaires, dans une fidélité autour du club Rafale.

Concernant le programme Scorpion, la capacité industrielle à livrer des Griffon n'est pas la même que celle à livrer des Jaguar. Nous privilégions la cohérence à la masse. Après la livraison d'un Griffon, le service d'infrastructure de la défense (SID) doit construire le nouveau hangar, et nous devons également être en mesure de disposer des munitions, des pièces détachées et du MCO. Celles et ceux qui ont assisté à Orion ont pu constater que, en revenant aux brigades et aux divisions, l'important n'était pas de stocker, mais de préserver une capacité d'action.

Peut-on, sur d'autres sujets, proposer le même amendement que pour le patch innovation ? Oui, c'est possible. Ensuite, souhaitez-vous l'écrire dans la loi ou dans le rapport annexé ? Ou souhaitez-vous que, dans une logique déclarative, je précise les choses en séance publique ? Lorsque nous parlons de 5 milliards d'euros pour les drones, il va sans dire qu'il convient de donner le détail ; j'ai suffisamment affirmé qu'il ne s'agissait pas de rattraper un retard, mais d'effectuer un saut technologique.

On ne peut pas s'intéresser à la question des drones sans, en parallèle, s'intéresser à nos capacités souveraines en matière de lutte anti-drone. Toute cette famille participe à la transformation de notre modèle d'armée, à la prise en muscles de notre BITD. Si le Gouvernement doit produire des amendements complémentaires à ce sujet, j'y suis favorable.

Le financement pour l'Ukraine est un sujet essentiel. La méthode retenue est performante, car elle nous permet de ne pas abîmer notre modèle d'armée, mais cela représente un coût pour le contribuable ; hors LPM ne signifie pas hors budget de l'État. Le moment venu, peut-être faudra-t-il que j'éclaire à nouveau le Parlement sur le fait qu'il s'agit malgré tout de dépenses militaires pour aider un allié en guerre. Nul ne sait combien de temps cette guerre peut durer, et cela constitue des sommes importantes pour les finances publiques.

À côté de l'agrégat, il faut regarder ce qui n'est pas visible, soit parce que c'est à discrétion, soit parce que l'Ukraine a été sortie de la programmation militaire. En même temps que les marches, d'autres sommes sont engagées par l'État pour aider nos alliés ukrainiens.

Monsieur Temal, merci d'être parti de l'importance de la menace. J'entends la frustration autour de la RNS, mais, lors de mes auditions ici, concernant la voûte nucléaire, le risque cyber, les fonds marins ou le spatial, j'ai toujours commencé par cela. J'espère que les chefs d'état-major en ont fait de même devant vous.

Pour être transparent, je pense que, dans le cadre d'auditions non retransmises, nous pourrions aller plus loin. Cela concerne, par exemple, les cas pratiques sécuritaires que l'on redoute, ou bien les cas de figure de déstabilisation de pays plus ou moins proches de la France qui pourraient engager nos armées d'ici cinq ou dix ans. Cela permettrait de comprendre ce qui ne se voit pas dans la LPM. Avec nos militaires, nous sommes beaucoup repartis de ces cas pratiques, soit parce que l'on avait pris du retard, soit parce qu'ils correspondaient à des sauts technologiques nouveaux. Ces questions n'ont pas fait l'objet de suffisamment de débats ; or, ce sont des points historiques, il y aura un avant et un après en matière spatiale, en matière de guerre des mines et de cyber également.

Les contrats opérationnels sont satisfaits dans le cadre de cette LPM. Concernant le cadencement, par honnêteté envers ceux qui nous succéderont, j'ai tenu à ce que l'année 2027 soit un point de passage important. Quand, par exemple, sont évoqués les termes de logique divisionnaire ou de brigade pour l'armée de terre, l'idée est d'être capable de se référer à un modèle constitué cohérent de combat, soit dans un format Otan cadre, soit dans un format hors Otan pour d'autres missions expéditionnaires. Le Président de la République souhaite pouvoir donner à son successeur des capacités opérationnelles qui fonctionnent. Les germes de la dissuasion nucléaire datent de la IVe République.

Le rôle de la France dans l'Otan est un autre sujet important, que ce soit en temps de paix ou en temps de guerre, en dissuasion comme en planification, sur terre et dans les mers. Sur les missions et les capacités expéditionnaires que l'on souhaite voir confier à nos armées, se pose la question de l'Afrique. Le débat, qui a commencé cette nuit dans l'hémicycle, doit se poursuivre.

De 2000 à 2010, on s'en tenait à de l'interposition de type onusien ; de 2010 à maintenant, on a évolué vers une culture expéditionnaire de lutte contre le terrorisme, ce qui n'est pas la même chose ; en ce moment, il s'agit plutôt d'opérations d'évacuation de ressortissants (Resevac), avec notamment l'opération Sagittaire au Soudan, ce qui relève encore une fois d'autres compétences. Il s'agit toujours de repartir de cas pratiques en se disant : sommes-nous capables de le faire ? Sous quel préavis ? Pour combien de temps ?

Certes, la France n'est pas en guerre ; vous avez raison de le rappeler, car cela permet aussi de lutter contre un certain nombre de narratifs. Le Président de la République avait employé cette expression, car il s'agit pour nous d'aider un allié en guerre. C'était le moment où il fallait aider l'Ukraine et où vous, parlementaires, nous mettiez la pression pour justifier les cessions d'armes à l'Ukraine. Notre BITD a vocation à aider nos alliés et partenaires et à exporter. Aussi, pour être crédible, il s'agit de basculer dans une économie de guerre ; je ne justifie pas l'expression, mais redonne son contexte d'emploi.

De fait, nous sommes engagés dans une économie industrielle de défense, avec chaque semaine le souci de délivrer des obus à temps et en quantité suffisante, sans parler de la défense sol-air et des équipements terrestres. Si l'on n'est pas capable de le faire pour l'Ukraine aujourd'hui, je ne vois pas comment l'on serait en mesure de le faire pour la France demain.

Sur les aspects budgétaires et militaires, nous observons des « bosses » qui correspondent à des besoins physiques et financiers. Si l'on prend l'exemple du porte-avions, on aurait beau établir une marche à 10 milliards d'euros dès l'année 2024, le PA-NG ne sortirait pas plus vite des chantiers de l'Atlantique ; on se retrouverait avec des autorisations d'engagement (AE) qui ne se solderaient pas par des CP, et les CP dureraient pendant cinq ou dix ans après avoir fait gonfler virtuellement le budget des armées.

Ce qui est vrai pour le porte-avions l'est également pour les SNA de classe Suffren, pour l'ensemble des SNLE et pour une partie des programmes spatiaux. Quel que soit le vainqueur de l'élection présidentielle en 2027 et quelle que soit l'identité du ministre des armées entre les années 2028 et 2034, ils devront composer avec des « bosses » capacitaires, liées à la dissuasion et aux grands programmes. Tous les vingt ou vingt-cinq ans, il est nécessaire de procéder à une remise à niveau de la dissuasion nucléaire ; ainsi, la dissuasion actuelle doit beaucoup à Jacques Chirac et à Nicolas Sarkozy. De même, des CP seront nécessaires pendant plusieurs années, quoi qu'il arrive, pour la modernisation des missiles de la composante aéroportée ou pour les SNLE.

Nous évoquons ici des crédits pour des besoins physiques. Quand vous étiez maire et que vous votiez la construction d'une piscine, cela ne se traduisait pas tout de suite en CP ; c'est au moment où démarraient les travaux de la piscine qu'il s'agissait de sortir les CP. Je ne compare évidemment pas la dissuasion nucléaire avec une piscine municipale, mais les principes budgétaires sont les mêmes et beaucoup de choses s'imposent à la morphologie de la construction des marches.

On dit souvent que ce sont les mêmes marches, sous-entendant qu'il s'agit des mêmes sommes. Nous ne devons pas induire nos concitoyens en erreur. Chaque fois, il s'agit de 3 milliards d'euros supplémentaires, avec un effort qui s'additionne. En 2018, la marche s'élevait à 1,8 milliard d'euros, contre 11,6 milliards en 2023, pour atteindre 14,7 milliards d'euros en 2024 ; 17,5 milliards en 2025 ; 20,7 milliards en 2026 et 23,7 milliards en 2027, terme du mandat présidentiel. Les deux tiers de l'effort s'effectuent durant les dix années du mandat d'Emmanuel Macron, et un dernier tiers ensuite, pour aboutir à une marche de 36,6 milliards d'euros en 2030. Telle est la règle, ou alors il ne faut pas que la LPM enjambe un scrutin présidentiel, ce qui ne s'est jamais vu depuis 1960.

M. Rachid Temal. - Ce n'est pas le débat. Deux ans ont été retranchés à l'actuelle LPM.

M. Sébastien Lecornu, ministre. - L'argument est rhétorique. Cela voudrait donc dire, avec ce qui se passe en Ukraine, qu'il ne fallait pas lancer une LPM en urgence, et qu'il aurait fallu décaler la revalorisation des grilles indiciaires pour nos soldats ? La LPM n'est pas qu'une courbe avec des marches ; ce sont aussi des objectifs que nous nous assignons.

M. Rachid Temal. - Vous pouvez prendre des décisions sans changer la LPM.

M. Sébastien Lecornu, ministre. - C'est en contradiction avec ce que vous dites par ailleurs sur le contrôle parlementaire. La LPM consiste à prendre des éléments qui relèvent du domaine de l'exécutif et du réglementaire pour les basculer dans une loi de programme et permettre au Parlement de décider. Ainsi, les grilles indiciaires ne s'apparentent pas à du législatif, et l'achat de tel ou tel équipement non plus. En 2021, vous nous reprochiez de ne pas avoir voté et j'en ai pris acte ; et lorsque le Président de la République, avec la situation en Ukraine et le renouvellement de son mandat, a souhaité redémarrer avec une nouvelle LPM, vous auriez préféré attendre...

M. Olivier Cigolotti. - Monsieur le ministre, notre groupe est conscient des efforts consentis par la Nation au profit de nos armées. Dans le programme 178 de cette LPM, 69 milliards d'euros bénéficieront à l'entraînement et à l'activité des forces ; 49 milliards d'euros seront alloués à l'entretien programmé du matériel ; et 18 milliards d'euros serviront pour les différents services de soutien.

Nous ne pouvons que nous réjouir de vos propos sur la DT, la DTO et les contrats opérationnels. Autant nous pouvons souscrire au fait que, concernant la dissuasion, il n'est pas souhaitable de communiquer un certain nombre d'indicateurs, autant il nous apparaît nécessaire et opportun d'obtenir des éléments non classifiés ou en diffusion restreinte sur des équipements moins sensibles.

Je souhaite revenir sur l'entretien programmé du matériel (EPM). Nous avons besoin de disposer des annuités concernant l'EPM, afin de suivre les contrats opérationnels, ainsi que des indicateurs en matière de DTO ; cela est important pour les rapporteurs du programme 178, mais aussi pour les autres programmes. Les parlementaires doivent pouvoir assumer leurs missions, sans révéler au grand public ni à des compétiteurs qui n'auraient pas une totale bienveillance à l'égard de la Nation des éléments stratégiques ou sensibles.

Concernant le PA-NG, nous ne pouvons que nous réjouir de la validation du programme. Dans le rapport que nous avions réalisé avec mon collègue Gilbert Roger, nous avions envisagé la prolongation éventuelle du Charles-de-Gaulle, mais nous n'avions en aucun cas envisagé la construction d'un deuxième PA-NG. Il serait déraisonnable d'engager une telle démarche, sachant la dette conséquente que nous laisserons aux prochaines générations.

En matière de cohérence, nous avons un peu de mal à comprendre comment nous allons passer de la sur-disponibilité à l'éventuelle sur-usure du matériel. Dans la LPM précédente, le programme Scorpion notamment, dont la cible a été décalée dans cette LPM, était conséquent sur le sujet. Notre inquiétude porte sur la sur-usure du capital technique de nos armées. Pouvez-vous nous donner des détails ? Quels arbitrages font paraître rentable une sur-utilisation des matériels, sachant le coût inévitable en matière d'EPM ?

M. François Patriat. - Le débat à l'Assemblée nationale m'a, en effet, paru de bonne tenue. Cela aboutit à un texte équilibré, avec des avancées. Ce matin en commission, j'ai entendu à la fois des inquiétudes et des frustrations. Dans votre discours liminaire, vous avez répondu sur le secret de la défense, la dissuasion et le contrôle parlementaire - je note, à ce titre, que dans la loi votée hier on trouve des réponses à ces questions.

Dès 2017, le Président de la République a engagé une politique de rupture. Dans le cadre de la LPM 2024-2030, il est nécessaire que la France continue de renforcer ses moyens pour au moins trois raisons : d'abord pour garantir son autonomie stratégique, ensuite pour assurer ses engagements en tant qu'allié de l'Otan et membre de l'Union européenne (UE), et enfin pour être une puissance d'équilibre.

Il s'agit, pour nos capacités de défense, de passer d'une loi de réparation à une loi de transformation. J'ai apprécié vos réponses concernant notamment les drones et l'enjeu de la souveraineté française.

Sur la question du financement, tout le monde a salué l'importance de l'effort. Je mets en garde mes collègues contre l'idée qu'il aurait fallu faire davantage. Je rappelle que la position de la France, telle qu'elle est évaluée par les agences de notation, est aujourd'hui menacée. Si l'on faisait davantage, on imagine les conséquences au niveau des taux d'intérêt. J'appelle donc mes collègues à la raison, afin de pouvoir tenir nos engagements qui me semblent à la hauteur d'un projet à la fois efficace et équilibré.

M. Sébastien Lecornu, ministre. - Le raisonnement sur les DT et les DTO est un peu le corollaire de celui sur la cohérence et la masse. Pendant des années, on a « nourri » le Parlement avec le seul tableau capacitaire, ce qui arrangeait d'ailleurs bien les industriels. Autrefois, les crédits diminuaient et il s'agissait de garder une cohérence. Le risque, bien identifié, est de perdre cette cohérence en crise de croissance, avec des lobbies divers et variés qui font que tout le monde achète sans se préoccuper de la crédibilité militaire ou de l'affecter à des contrats opérationnels concrets, et au mépris également de nouveaux segments.

Le décalage du capacitaire se fait au nom de la cohérence. Un Griffon, c'est bien, mais un Griffon avec un parking et des pièces détachées, comme je le disais précédemment, c'est mieux. Plus globalement, une brigade ou une division sans capacités de frappe dans la profondeur, sans défenses sol-air et sans moyens de lutte anti-drone, cela ne sert à rien. Tel est l'enjeu pour nos alliés ukrainiens en ce moment : comment peuvent-ils protéger à la fois leur ligne de front, les infrastructures civiles et les villes ? Cela doit nous inspirer, notamment pour la protection de nos fonds marins, avec nos SNLE, nos câbles et nos oléoducs.

Parce que nous disposons de la dissuasion, nous éviterons certaines menaces. Ou alors la dissuasion ne dissuade plus ; ou alors nous n'avons plus d'alliés, et c'est un autre débat. La passion du tableau capacitaire ne doit pas nous écarter des contrats opérationnels tels qu'ils existent vraiment.

Concernant la sur-usure du capital capacitaire, il s'agit de tempérer avec, quand même, des arrivées massives ; du Rafale en passant par les Griffon, cette LPM ne manquera pas de délivrer. Il est frustrant de se dire que ce qui a été voté en 2018 mette autant de temps à s'incarner ; c'est le sort de tous les programmes militaires depuis les années 1960.

Le vrai sujet autour de l'utilisation concerne non pas le format organique, mais celui des opérations. Il s'agit de la disposition à faire corps d'armée, de la capacité à mener une grande coalition navale autour du groupe aéronaval. Le modèle de cohérence se situe là également. Pour cela, je vous invite à faire des choix ; ou alors nous décidons de suivre un autre modèle, celui des États-Unis. Il n'en a jamais été question, et je ne veux pas non plus qu'on laisse entendre que cela puisse se faire.

Pour quelles batailles, pour quelles guerres veut-on engager nos armées ? C'est là le vrai enjeu d'une LPM, et l'on ne peut pas dire que sommes assaillis de recommandations ou de contributions en la matière.

Monsieur Patriat, vous avez ressenti de la frustration. J'ai également ressenti, dans les débats politiques sur les questions militaires, un peu de frustration. Il semble difficile de reconnaître que nous donnons des moyens. Je demande simplement que l'on ne soit pas plus dur avec ce gouvernement, qui augmente les moyens pour nos armées, qu'avec d'autres, à une période où ces moyens diminuaient.

J'ai été maire d'une ville qui a connu, en 2008, la fermeture d'un laboratoire de la direction générale de l'armement (DGA) et, dans les années 1990, la fermeture d'un régiment du train ; je sais donc ce que représente une diminution des moyens dans une LPM. Je n'ai pas le souvenir que nous étions aussi sévères à l'époque sur les ressources extrabudgétaires ou les marges frictionnelles, avec les ministres qui fermaient des régiments et des bases.

M. Christian Cambon, président. - D'une manière générale, le Sénat s'est toujours méfié des recettes extrabudgétaires.

M. Sébastien Lecornu, ministre. - C'est dommage, car il s'agit de recettes supplémentaires pour le ministère.

M. Christian Cambon, président. - Encore faut-il savoir lesquelles...

M. Sébastien Lecornu, ministre. - Avec le SSA, c'est assez transparent. À ce compte, quand le ministère des armées vend du patrimoine, les sommes ne doivent plus lui revenir et repasser dans le budget général de l'État ; les parlementaires se sont toujours battus contre cela jusqu'à présent... Le SSA accomplit des actes médicaux qui donnent droit à un remboursement de l'assurance maladie ; cela doit-il être encore affecté au ministère des armées ou bien repasser dans le budget global ?

J'ai voulu montrer ces ressources budgétaires et, quand je vois les débats suscités, je le regrette. Il y a toujours eu des reports de charges et des marges frictionnelles, y compris lorsque d'autres gouvernements présentaient des LPM avec des budgets qui diminuaient.

On peut toujours faire plus. Auparavant, les objectifs étaient généreux, mais l'exécution ne se faisait pas à l'euro près. Désormais, quand on fixe des objectifs, il s'agit de s'assurer de la soutenabilité, car il y va de notre crédibilité.

Par ailleurs, l'aide à l'Ukraine pèse pour nos concitoyens. Elle se situe en dehors des 413 milliards d'euros de la LPM, mais représente de l'argent pour le contribuable.

M. Pierre Laurent. - Monsieur le ministre, j'ai le sentiment que, malgré toutes vos explications, demeurent beaucoup d'interrogations sur les concepts et les priorités stratégiques de cette LPM. Le fait de ne pas avoir eu de débats approfondis sur la RNS ni, précédemment, sur l'actualisation de la LPM risque d'affecter celui sur cette LPM. Par exemple, ce concept répété comme un mantra, disant qu'il faut préparer la guerre pour avoir la paix, mériterait un débat en soi ; il me semble, en tout cas, très discutable au regard du monde dans lequel nous vivons.

L'absence de débats en amont sur la nature de la conflictualité mondiale, sur les menaces, leurs causes et la manière de les prévenir, est regrettable. J'espère, malgré tout, que nous parviendrons à lever tous ces non-dits afin d'éclairer les choix politiques des uns et des autres.

Nous allons engager beaucoup d'argent. Nous savons que ces 413 milliards seront sanctuarisés. À cela s'ajoute ce que nous dépensons en ce moment pour l'Ukraine. Par ailleurs, il est précisé dans la LPM que ces sommes s'entendent comme un minimum ; d'ores et déjà, nous ouvrons la porte à des moyens supplémentaires. Il s'agit donc d'expliquer ce que nous allons faire de ces sommes considérables, dans un moment où il manque de l'argent pour d'autres enjeux qui, pour certains comme le réchauffement climatique, ont à voir directement avec la question de l'insécurité mondiale.

Nous ne manquerons pas de poser un certain nombre de questions sur la dissuasion. Je vous ai entendu faire une référence à l'Union soviétique à ce sujet, mais le rapport des communistes au nucléaire est une histoire profondément française. Après la Deuxième Guerre mondiale, parmi ceux qui inventent l'énergie nucléaire, il y a de grands scientifiques français, au premier rang desquels Frédéric Joliot-Curie qui va contribuer à la création du Commissariat à l'énergie atomique (CEA), dont il sera d'ailleurs banni, quelques années plus tard, au moment de la guerre froide.

Ces grands scientifiques français expriment, dès le départ, leur opposition à l'utilisation militaire de cette énergie. Ils vont se mobiliser pendant longtemps - et les communistes avec eux - contre la constitution des arsenaux nucléaires que nous connaissons aujourd'hui. Les communistes ont toujours considéré que la seule perspective historique raisonnable était l'élimination de toutes les armes nucléaires. Ensuite, dans les années 1970, les communistes, prenant acte de l'état de la question, se sont ralliés à l'idée d'une dissuasion nucléaire française, tout en précisant deux choses : stricte suffisance et poursuite de l'effort d'élimination de ces armes ; d'où notre débat sur le Tian et TNP ; vous opposez les deux traités, contrairement à nous. À cet égard, le TNP est actuellement en panne, l'article 6 du traité n'est pas appliqué.

Par ailleurs, la forte augmentation des crédits se justifie-t-elle au nom de la stricte suffisance des arsenaux ?

De nombreuses questions se posent sur le modèle d'armée que nous sommes en train de construire avec la LPM. Lorsque le Président de la République a parlé d'économie de guerre et de haute intensité, lorsqu'il a annoncé cette somme de 413 milliards d'euros, beaucoup de nos collègues s'attendaient à la fois à poursuivre le renouvellement de la dissuasion et à renforcer l'équipement de nos forces.

Or nous allons avoir une dissuasion modernisée, avec un très fort investissement à la clé, mais aussi un étalement de plusieurs programmes, qui n'était peut-être pas attendu, ce qui conduit à un débat stratégique. Nos forces resteront principalement des forces de projection. Les forces dont nous disposerons sont dimensionnées pour s'inscrire dans des guerres à l'extérieur de nos frontières, dans le cadre de l'Otan. La question est de savoir pour quelles guerres. Avec qui ? Pour quels objectifs ? Ces questions, pour l'instant, ne sont pas débattues.

Concernant les espaces communs, se pose la question de la souveraineté numérique. Le PDG de Dassault, récemment auditionné, a beaucoup insisté sur le cloud souverain ; ce sujet, dans l'idée d'une construction de notre souveraineté numérique, me semble insuffisamment traité. On peut protéger nos câbles sous-marins, mais on peut aussi s'interroger sur la territorialisation de nos centres de données.

Concernant les bases, la question est de savoir le type de partenariat de sécurité et de défense que nous voulons construire demain avec des pays africains souverains. Je ne pense pas que les bases, telles qu'elles existent aujourd'hui, répondent à cette question.

M. André Guiol. - Depuis plusieurs semaines nous examinons en commission les contours de la future loi de programmation militaire avec l'éclairage de nos collègues rapporteurs pour avis sur le budget de la mission « Défense ». La majorité d'entre nous s'accorde à dire que l'effort de 413 milliards d'euros prévu sur sept ans à partir de 2024 est conséquent même si certains aspects peuvent être discutés. Cet effort est nécessaire et bienvenu compte tenu du nouveau contexte géopolitique, et notamment du conflit ukrainien, aux portes de l'Europe. Le groupe Rassemblement démocratique et social européen (RDSE) est favorable à la hausse des moyens de nos armées. Les arbitrages sont toujours difficiles car la précédente loi de programmation a consisté à combler un retard accumulé dans presque tous les domaines : l'équipement, la préparation opérationnelle, le renseignement ou encore les conditions de vie des militaires. S'agissant de la nouvelle programmation, je relève un schéma d'emplois en hausse, des mesures visant à attirer et fidéliser les militaires, le renforcement des cibles des matériels au bénéfice de nos trois armées et la prise en compte des nouveaux espaces de conflictualité. À cet égard, le rapport annexé mentionne la nécessité d'augmenter notre capacité de surveillance et d'action dans les espaces maritimes, notamment les fonds sous-marins jusqu'à 6 000 mètres. C'est une bonne chose compte tenu des enjeux colossaux concernant les câbles numériques, les oléoducs, dans des espaces où naviguent des drones sous-marins de surveillance, de défense et d'attaque. Je regrette que cette compétence, que possédait la France il y encore quelques années, avec la conception par les bureaux d'études toulonnais, que je connaissais bien, du sous-marin SM 97 renommé depuis le Nautile, exploité par l'Ifremer, ne soit pas mieux explicitée dans la LPM afin d'améliorer plus significativement notre capacité de surveillance et d'intervention dans le milieu sous-marin.

Plus globalement, je m'interroge sur la soutenabilité de cette loi de programmation. L'étalement des cibles de matériels et la question de l'inflation, dont l'impact serait de 30 milliards d'euros, invitent mon groupe à attendre tous les éléments demandés et évoqués en commission pour se prononcer définitivement sur ce projet de loi, même si vous avez en déjà apporté quelques-uns.

M. Guillaume Gontard. - Merci, Monsieur le Ministre, pour vos explications. J'aurais pu évoquer le Tian ou le contrôle des ventes d'armes, mais nous aurons l'occasion d'avoir ce débat. Je souhaiterais aborder un sujet que vous avez effleuré. Nous savons qu'en raison du réchauffement climatique, le nombre de catastrophes naturelles en métropole comme outre-mer va augmenter, comme le rappelle le rapport du GIEC de mars 2023, avec des aléas qui seront à la fois plus forts et plus fréquents : cyclones, sécheresses, incendies, inondations, glissements de terrain, comme cela a été le cas dans la vallée de la Roya en 2020. Or les moyens alloués à la sécurité civile demeurent insuffisants. On ne pourra donc pas, ou difficilement, pallier l'augmentation de ces aléas. Ce risque apparaît plus tangible et imminent qu'un conflit de haute intensité sur notre sol. Christophe Béchu nous a demandé de réfléchir à une adaptation avec une augmentation des températures de 4°C. Considérant les moyens qui seront consacrés aux armées et la volonté de doubler la réserve opérationnelle, pensez-vous opportun que l'armée, et notamment la réserve, vienne épauler la sécurité civile avec la mise en place d'une logistique militaire pour l'évacuation de populations sinistrées, le blocage de périmètres, etc. ? Cela impliquerait une formation spécifique et la mise à disposition de nouveaux moyens pour faire face à ces enjeux.

Plus généralement, les aléas climatiques, avec leurs conséquences sur notre souveraineté qu'elle soit sanitaire, alimentaire ou énergétique, sont-ils pris en compte dans la nouvelle organisation et l'orientation stratégique des missions de nos armées ? Cela rejoint ce que disait Pierre Laurent sur les choix en ce qui concerne le type d'armée et les missions dévolues à nos forces que porte cette LPM.

M. Dominique de Legge. - Je souhaite évoquer trois points. Le premier concerne l'inflation dont l'impact s'élèverait à 30 milliards d'euros. Pouvez-vous nous en dire plus sur la répartition de cet impact sur toute la période ? Cette répartition a des conséquences sur notre lecture de l'effort consenti.

Le deuxième point concerne l'outre-mer. Pourriez-vous nous en dire plus sur ce qui est prévu en matière d'infrastructures liées au personnel comme aux matériels ? Pour m'être rendu à La Réunion et à Mayotte, je me suis rendu compte qu'un effort devait être fourni.

Enfin, vous avez annoncé une rallonge budgétaire d'1,5  milliard d'euros pour 2023. Dans les auditions que j'ai pu faire et en me rapprochant de Bercy, je n'ai pas eu de confirmation de cette somme. Quand et comment sera-t-elle débloquée ? À quoi sera-t-elle affectée ? Faut-il la décompter dans les 400 ou les 413 milliards d'euros de la LPM ?

M. Sébastien Lecornu, ministre. - Le Président Laurent a de nombreuses interrogations sur les priorités stratégiques. La lecture du monde et la lecture de notre diplomatie impactent beaucoup le format des armées. Appartenir ou non à l'OTAN a des conséquences. Si nous disposons de la dissuasion nucléaire, ce n'est pas la même chose que si nous n'en disposons pas. Ce questionnement est clé. Nous pouvons toujours faire des revues nationales stratégique, des heures de débat, des livres blancs, cela n'effacera pas des désaccords profonds, qu'il faut acter. Le débat à l'Assemblée nationale a permis de le faire.

Je ne fais pas mienne l'expression : « si tu veux la paix prépare la guerre ». Le chef d'état-major des armées évoque la nécessité d'avoir une « guerre d'avance », ce qui est très différent. Il s'agit d'être prêt pour la guerre de demain et pas pour celle d'hier. Il a raison. Notre modèle d'armée n'est pas un modèle agressif. J'ai été frappé de voir des amendements à l'Assemblée nationale prévoyant de durcir tel ou tel équipement. L'armée française n'envisage pas d'envahir les pays limitrophes. Je le dis sur un ton provoquant, mais je crois que c'est utile de redire ce qui est attendu des armées.

Je pense que nous sommes clairs sur ce que nous attendons des armées. Nous considérons que nous devons participer à l'OTAN et nous devons dissuader les agressions qui viendraient de l'extérieur de l'OTAN, notamment du compétiteur russe. De même, nous considérons que nous devons lutter contre le terrorisme en Afrique ou ailleurs, promouvoir la liberté d'accès maritime, ou nous protéger contre les menaces cyber qui peuvent venir de différents « proxies ». Si vous estimez que le débat n'a pas suffisamment eu lieu, nous pouvons l'avoir de nouveau. Nous avons tous une appréciation de qui sont nos compétiteurs et d'où viennent les menaces. Dans le cas où nous ne pourrions pas nous accorder sur l'origine des menaces, accordons-nous au moins sur leur nature. La prolifération nucléaire existe, nous pouvons évoquer le Tian et ou le TNP, nous y reviendrons en séance. Deux pays au moins sont en situation de prolifération, dont un situé près de nous. Ce n'est pas le nombre de chars ni le nombre de véhicules blindés qui va régler le problème.

J'ai noté une interrogation, lors du débat sur l'Afrique, sur les partenariats de sécurité avec les États souverains. Ne pensez-vous pas que nos bases y concourent ? Je pourrais vous démontrer que tel est bien le cas. Si nous ne disposons pas de forces prépositionnées pour faire de la formation, en flux, en permanence, ce que nous ferons sera inefficace. Nous pourrons envoyer un bataillon de formation de temps en temps mais sans forces prépositionnées, nous n'aurons pas l'effet de masse que les armées des pays africains attendent de nous. Si nous avons des forces, nous devons en effet nous demander quels sont leurs contrats : de l'appui au combat ou seulement de la formation ? Pendant que nous parlons des marges frictionnelles, nous n'évoquons pas ces sujets clés.

Vous indiquez que la LPM représente une enveloppe significative. Je partage ce point de vue. Nos concitoyens s'interrogent sur les conséquences sur d'autres services publics. Nous rendrions un mauvais service aux armées en opposant les différents budgets de la nation. Il faut être capable d'avoir un budget militaire qui corresponde aux besoins de notre défense, de la défense de nos intérêts vitaux, de nos intérêts tout court, de notre sécurité et peut-être d'intérêts qui concernent nos alliés.

Ne fallait-il pas répondre aux demandes des autorités maliennes confrontées au terrorisme ? Je soutiens la décision prise par François  Hollande.

Je vous saurai gré d'admettre que la copie est cohérente. C'est un point clé de la discussion de la programmation militaire. Le débat peut être long, mais au final la question essentielle reste : qu'attendons-nous de notre modèle d'armée ?

S'il faut traiter certains sujets à huis clos, j'y suis prêt. Je pense que c'est nécessaire d'un point de vue démocratique. En délégation parlementaire au renseignement (DPR), grâce à ce format à huis clos, j'ai pu répondre précisément à des questions sur la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), la direction du renseignement militaire (DRM) et la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD).

Sur la dissuasion, la stricte suffisance est fondamentale. La dissuasion correspond toujours à 13 % du budget, mêmes si les crédits globaux augmentent. Il y a toujours une bosse, et je ne l'ai pas caché tout à l'heure dans mon propos. Il n'y a pas de remise en question de la stricte suffisance. Ces sommes sont affectées à des sauts technologiques de modernisation pour que notre capacité à dissuader soit toujours effective. Si certains pays musclent leur défense, il faut tout simplement que nous musclions nos capacités. Dès lors que les capacités acoustiques à entendre un sous-marin nucléaire sont de plus en plus sophistiquées, il est clair que nous devons améliorer la discrétion des sous-marins nucléaires.

M. Christian Cambon, président. - On peut se demander quelle est l'utilité, pour certains pays, d'avoir plusieurs milliers de têtes nucléaires.

M. Sébastien Lecornu, ministre. - Seuls les pays concernés pourraient répondre cette question. En ce qui nous concerne, la stricte suffisance reste l'alpha et l'oméga de notre doctrine strictement défensive de protection de nos intérêts vitaux, vis-à-vis d'une menace venant d'un agresseur étatique.

Monsieur Guiol, sur les fonds sous-marins, la capacité d'intervention à 6 000 mètres de profondeur constitue un enjeu important. Des entreprises de votre région et de votre département seront concernées. Le slot de Naval group sera installé à La Londe-les-Maures.

Monsieur de Legge, sur la soutenabilité financière, la copie est cohérente. Je vous ferai parvenir des éléments écrits sur la manière dont Bercy et le Ministère des armées ont construit l'hypothèse de 30 milliards d'euros consommés par l'inflation. Ces hypothèses reposent sur des indicateurs dégradés. En cas d'inversement de la tendance, les marges d'action que nous retrouverions seraient affectées au ministère. La LPM 2019-2025 reposait sur des facteurs macro-économiques qui étaient bons. Pour de bonnes raisons, Florence Parly a procédé à des investissements qui n'étaient pas prévus dans la LPM, dans le cyber, le spatial, ou pour la construction du siège de la DGSE au Fort-neuf de Vincennes. De fait, il y a toujours des éléments qui ne peuvent pas figurer dans la programmation initiale.

L'enveloppe de 1,5 milliard d'euros supplémentaires n'est pas comprise dans les 413 milliards d'euros du projet de LPM. L'idée est d'opérer un tuilage entre les deux LPM.

Monsieur le Président Gontard, le réchauffement climatique est un sujet clé. Par exemple, l'opération Héphaïstos a été imaginée pour quelques départements bien précis pour lutter contre les incendies et les feux de forêts, l'été en particulier, et désormais aussi l'hiver et dans des départements au nord de la Loire.

J'en donnerai un second exemple, qui est probablement l'une des plus belles missions que l'armée française accomplit même si elle est difficile : l'opération Harpie. Les forces armées et les gendarmes sont engagés dans la lutte contre le scandale environnemental, sanitaire et humanitaire que constitue l'orpaillage illégal.

Dans l'Indopacifique, comme l'a indiqué le sénateur Temal lors d'une audition précédente, les micro-États seront confrontés à des catastrophes naturelles. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous devons positionner davantage de forces outre-mer.

Le ministère des armées doit montrer l'exemple. C'est un grand propriétaire foncier, avec de nombreuses « passoires » énergétiques, de nombreuses zones Natura 2000. Vos collègues de l'Assemblée nationale ont voté des amendements à l'unanimité. C'est une bonne chose car ce sera la première LPM qui mette en avant ces sujets. Ils sont clés car nous ne pouvons pas dissocier les sujets climatiques des sujets de sécurité.

Les questions relatives à l'outre-mer concernent le territoire national. Nous actons le fait qu'il existe des menaces spécifiques, en fonction de l'environnement régional du territoire concerné. Mayotte et le canal du Mozambique en sont des exemples. Sur la pêche illégale, il est évident que c'est un immense enjeu dans l'océan Indien et dans l'océan Pacifique. Du fait de la pression démographique en Asie, des flottilles de pêche vont de plus en plus loin et sont de plus en plus agressives. Les actions qu'elles mènent sont à mi-chemin entre la pêche illégale et une forme de terrorisme des mers compte-tenu des techniques agressives et violentes employées. Nous ne sommes pas encore confrontés à ces situations grâce au travail remarquable de nos forces.

S'agissant de la « tyrannie des distances », l'A400M changera beaucoup la donne. Mais il faut trouver le bon équilibre avec l'échelon national d'urgence. Cela pose aussi la question des équipements. Pendant longtemps, les outre-mer ont eu les matériels les plus anciens. C'est la raison pour laquelle, j'ai souhaité augmenter le nombre d'hélicoptères, qui n'est pas satisfaisant. Je rappelle que la Polynésie française est grande comme l'Europe, la Nouvelle-Calédonie est grande comme l'Autriche, et la Guyane grande comme le Portugal. L'imagerie spatiale et les drones doivent y trouver des terrains d'application. Est-ce qu'une LPM suffira pour répondre aux questions sécuritaires propres aux Outre-mer ? Non, parce que les outre-mer sont également confrontés à l'hybridité. Tous les enjeux qui s'étaleront sur 10 ou 15 ans, comme le cyber, concerneront aussi les Outre-mer.

M. Olivier Cadic. - « Gagner la guerre avant la guerre » est la formule retenue par le chef d'état-major des armées (CEMA) dans sa vision stratégique. C'est une approche qui me convient et qui a fait ses preuves pendant la guerre froide. Je reviens sur une question évoquée hier soir en Séance : 93 % des ressources de l'Algérie proviennent du Sud algérien. Pour la première fois depuis dix-sept ans, le chef d'état-major de l'Algérie s'est rendu en France. Quelle est son analyse de la situation sécuritaire au Sahel depuis la fin de l'opération Barkhane ? Envisage-t-il de renforcer notre coopération militaire ?

La LPM prévoit un budget total de 4 milliards d'euros pour le cyber. C'est un effort qui mérite d'être souligné. J'ai été surpris et rassuré par le niveau des capacités qui ont été récemment présentées à Rennes pour répondre aux défis cyber. Le département de la défense américain a lancé en juillet 2022 une initiative pour un cloud de défense intitulé Zero Trust Reference Architecture qui prévoit d'associer les grandes entreprises américaines du secteur de l'économie numérique. J'ai auditionné hier sur ce sujet le directeur fédéral de la cybersécurité à la Maison Blanche et je remercie les services américains pour leur coopération avec le Parlement français. La Maison Blanche a annoncé une augmentation du budget de la cyberdéfense au rythme de 5 milliards de dollars supplémentaires chaque année. Le budget annuel des États-Unis dans le domaine de la cyberdéfense est sans commune mesure avec les budgets annuels prévus par la LPM entre 2024 et 2030.

Une démarche similaire au cloud de défense américain est-elle envisagée ? Si oui à quel niveau et sur quel budget ?

M. Sébastien Lecornu, ministre. - Le dialogue avec les Algériens est permanent. Je tiens d'ailleurs à les remercier car, lors du redéploiement de la force Barkhane du Mali au Niger, leur aide a été précieuse. Nos services de renseignement travaillent ensemble pour préserver nos pays d'une propagation de la menace sécuritaire. En privé, certains de mes interlocuteurs ont estimé que les propos entendus à Paris sur l'opération Barkhane n'étaient pas mérités, eu égard au sacrifice de nos soldats.

Je vous remercie pour vos propos sur le volet cyber ; le travail initié par Jean-Yves Le Drian, et conduit par la DGA, avance bien. Des projets similaires au cloud de défense américain sont prévus dans cette LPM, mais ils seront plus modestes puisque nos moyens ne sont pas comparables à ceux des États-Unis.

Mme Hélène Conway-Mouret. - La concomitance du développement de certains équipements majeurs et du renouvellement de la dissuasion nucléaire est-elle réaliste ? Est-il possible de tout financer en même temps ? L'engagement de ces crédits ne va-t-il pas se faire au détriment des petits programmes ?

Par ailleurs, lors des auditions, certains industriels, qui s'inscrivent dans la logique d'économie de guerre, c'est-à-dire produire plus et plus vite, déplorent un manque de compétence, une pénurie d'ouvriers qualifiés et d'ingénieurs. N'est-il pas temps de promouvoir l'attractivité de l'industrie de défense dans le cadre d'une mobilisation des ministères autres que le ministère de la défense, pour répondre à ces besoins ?

Enfin, il est important de rappeler que la France n'a aucune ambition hégémonique. Notre présence en Afrique est destinée à répondre aux besoins de nos partenaires. Nous avons été critiqués au motif que nous ne serions présents que pour nous-mêmes. Cela n'est pas le cas. Au Mali par exemple, nous avons répondu à une demande. À l'avenir, nous devons marteler ce vocabulaire de partenariat. Un outil intéressant est développé à Abidjan : il s'agit du projet d'Académie internationale de lutte contre le terrorisme, dans lequel la France et la Côte-d'Ivoire sont engagées. Nous pourrions travailler à partir de cet exemple pour en développer d'autres.

M. Sébastien Lecornu, ministre. - S'agissant de votre inquiétude concernant le financement de la dissuasion nucléaire et des équipements majeurs, tout est dans la copie. Dans certaines situations, nous n'avons pas le choix : c'est le cas concernant la « scorpionisation », dans la mesure où nous sommes déjà au bout de ce que nous pouvons attendre des véhicules de l'avant blindés (VAB).

Dans d'autres cas, le volet nucléaire et le volet conventionnel sont liés. Le Rafale fait ainsi partie des contrats opérationnels de la dissuasion. Le basculement vers le tout Rafale satisfait à la fois la partie conventionnelle et la partie nucléaire. 

Mme Hélène Conway-Mouret. - Peut-on tout financer en même temps ?

M. Sébastien Lecornu, ministre. - C'est prévu. La réparation, la transformation et la rénovation demandent des efforts et des choix, mais nous sommes partis des contrats opérationnels.

S'agissant des petits programmes, au contraire, ils sont nombreux. Les capacités et les perspectives données à la BITD permettent aux industriels de prendre des risques. Je suis prêt à déposer un amendement dans le rapport annexé mentionnant des exemples de petits programmes intéressants.

S'agissant du manque de compétences, j'admets que c'est un combat industriel français, peu importe d'ailleurs la nature de l'industrie. En ce moment, il existe une tension sur le marché du travail. Il y un effort collectif, culturel à fournir, en arrêtant de pointer du doigt les marchands d'armes. Cela vaut pour l'accès au financement bancaire comme pour l'attractivité en matière de ressources humaines. Ce ne sont pas des métiers suffisamment valorisés d'un point de vue sociétal. On parle davantage de responsabilité sociale de l'entreprise (RSE) que de patriotisme industriel militaire. Or notre modèle repose sur cela.

Les sommes importantes que nous engageons constituent également une contribution à nos industries de défense qui sont présentes aux quatre coins du pays. Si nous achetions américain, cela serait peut-être moins cher, encore que cela ne soit pas certain. Il faut réexpliquer le modèle global de la BITD avec ses tensions et ses contraintes, dont la question des ressources humaines. À cet égard, la question de la réserve industrielle de défense peut se poser. J'ai également rappelé aux industriels qu'avec les perspectives que nous leur donnons, ils pourraient intéresser leurs salariés à la performance. Tout cela participe de l'acceptabilité sociétale des dépenses militaires.

Mme Nicole Duranton. - L'examen du texte à l'Assemblée nationale a montré les défis d'ampleur auxquels sont confrontées nos armées sur le plan de l'attractivité des métiers et de la fidélisation des militaires. Nous avons une armée de grande envergure, qui assure une formation initiale et continue de nos militaires, ainsi que du personnel civil. Ces formations de grande qualité rendent ces personnels très attractifs sur le marché de l'emploi. Vous l'avez rappelé dans votre intervention : il est essentiel de revaloriser les grilles indiciaires et d'accroître leur progressivité. Pouvez-vous nous en dire plus sur ces améliorations envisagées ?

M. Sébastien Lecornu, ministre. - Le rehaussement du niveau du SMIC a entraîné le rehaussement de la solde du soldat. Comme aucune réflexion d'ensemble n'a été menée, les grilles indiciaires des différents grades se sont tassées avec le temps. L'écart entre les soldes d'un soldat de première classe, d'un caporal, caporal-chef avec la solde d'un sergent, sergent-chef, second-maître s'est réduit. Dans le même temps, jamais nos armées n'ont confié autant de responsabilités aux sous-officiers. Or pourquoi devenir sous-officier, avec les responsabilités que cela implique, alors que les différences de soldes sont minimes ? À l'Assemblée nationale, nous avons assisté à un grand saupoudrage, non susceptible d'atteindre les effets escomptés. Il faut travailler pour recréer des seuils attractifs pour l'ensemble de nos soldats qui prennent des responsabilités. Cette réflexion doit également concerner le volet indemnitaire. Être sous-officier dans un sous-marin ou exercer des fonctions de combat, ce n'est pas la même chose qu'exercer d'autres fonctions. Il faut donner de la souplesse, de la subsidiarité dans la chaîne de commandement et imaginer des instruments, à destination par exemple des cybercombattants qui sont « chassés » pour intégrer des entreprises privées.

M. Philippe Folliot. - Je suis parlementaire depuis 2002 et j'ai, à ce titre, examiné tous les projets de loi de programmation militaire depuis cette date. À mes yeux, le projet qui nous est soumis cette année est le plus intéressant, eu égard aux moyens alloués.

À la fin du siècle dernier, les forces de souveraineté comptaient quelque 15 000 militaires. Au début de la loi de programmation militaire en vigueur, ils n'étaient plus que 8 300 environ ; aujourd'hui, ils sont un millier de moins. Dans le rapport annexé au projet de loi, il est indiqué que les capacités de nos forces de souveraineté constituent « un impératif pour la nouvelle loi de programmation militaire ». Comment cet impératif se traduira-t-il ?

M. Sébastien Lecornu, ministre. - La programmation militaire est plus intéressante lorsque les moyens augmentent, c'est certain. Toutefois, cette augmentation donne lieu à des discussions nourries sur l'orientation des crédits et les choix industriels, au regard notamment du contexte stratégique - Indopacifique, Ukraine et terrorisme. Le sujet n'est donc pas consensuel.

S'agissant des forces de souveraineté, il existe des menaces spécifiques aux territoires ultramarins, compte tenu de leur environnement régional : terrorisme au Mozambique, pays voisin de Mayotte ; pêche illégale avec des contestations d'acteurs étatiques ou non étatiques, qui testent notre capacité à assumer notre souveraineté. Par conséquent, il est important de renforcer les contrats opérationnels des trois armées, en veillant à mieux répartir la présence des forces dans les territoires. L'organisation de l'opération Harpie est très spécifique. Les Forces armées en Nouvelle-Calédonie (FANC) sont quant à elles principalement basées à Nouméa, ce que je déplore ; j'ai donc demandé une révision de la stratégie de déploiement.

Par ailleurs, j'ai appelé à une meilleure prise en considération de la question climatique dans nos opérations de souveraineté, auxquelles les unités du génie vont davantage participer. Enfin, la surveillance spatiale est essentielle pour nos territoires d'outre-mer, tant pour les questions maritimes que pour les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) - que vous connaissez très bien - ; dès lors, le recours aux satellites d'observation sera accru.

M. Pascal Allizard. - Une question commune avec mon collègue Yannick Vaugrenard sur le programme 144 : nous nous étions félicités de l'augmentation de l'ordre de 10 % des crédits pour les études amont sur la durée de la LPM, mais le tableau des crédits annuels qui nous a été transmis montre qu'entre 2024 et 2027, ce montant est en nette diminution. Ce n'est qu'à partir de 2028 que le seuil du milliard d'euros est atteint.

Non seulement c'est un effort en fin de loi de programmation mais c'est aussi une régression par rapport à la situation actuelle. Il s'agit peut-être d'une erreur administrative, auquel cas on s'en réjouira.

Quant aux services de renseignement, il est prévu la création de 1 100 postes. Or, il ressort des auditions que nous avons menées qu'il est difficile de recruter et de fidéliser les personnels et qu'une fuite des contractuels est observée.

Le coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme détient une compétence en matière de coordination interministérielle des politiques de ressources humaines des services de renseignement. Sans empiéter sur les politiques propres à chaque service, ce comité ne serait-il pas légitime pour élaborer une politique de ressources humaines interministérielle appuyée sur une politique publique de renseignement afin d'homogénéiser les rémunérations, de construire des parcours professionnels et de mutualiser les formations ?

M. Sébastien Lecornu, ministre. - Certains périmètres ont évolué. Il n'y a pas une ligne qui n'augmente pas à l'année N+1, même si on peut débattre du rythme d'augmentation.

Quant au tableau capacitaire, j'ai préféré un tableau relatif au format des armées, un tableau de parcs, plutôt qu'un tableau de commandes, ce qui me semble légitime sur le plan démocratique. On ne fait pas la guerre avec un bon de commande mais avec un matériel qu'on nous a livré et qui fonctionne. Cela renvoie à la question de la disponibilité technique soulevée par M. Cigolotti.

C'est important parce qu'on ne peut pas avoir un contrôle démocratique par le Parlement sans affiner à nouveau tous ces indicateurs et ces critères qui sont parfois anciens, il faut bien le reconnaître. C'est ce que je suis en train de faire avec la disponibilité technique opérationnelle.

Quant aux politiques de ressources humaines des services de renseignement, il est normal qu'elles relèvent des ministères compétents, peut-être encore plus pour le mien dans la mesure où vous avez des sujets qui sont propres au statut militaire et d'autres qui sont propres au civil.

Je pense que la DGSE a un travail important de fidélisation à réaliser. Il y a là aussi un enjeu d'épaisseur. J'ai rencontré beaucoup d'agents qui ont voulu partir parfois pour des raisons qui peuvent sembler dérisoires ou parce qu'ils reçoivent des propositions du secteur privé qu'il ne nous est pas possible de concurrencer. Parfois, ces agents partent aussi parce qu'ils n'ont pas obtenu 150 euros d'augmentation qui leur auraient permis de payer une facture par exemple. Il ne faut pas faire de généralisation mais dans les sommes que vous vous apprêtez à examiner dans le cadre de la programmation, il y a des outils qui vont permettre à chaque employeur public au sein du ministère de trouver des solutions de fidélisation. De plus, un amendement a été adopté à l'Assemblée nationale sur la part de militarité de la DGSE parce qu'un des moyens, aussi, de fidéliser, c'est d'assurer cette militarité qui, à bien des égards, peut être un facteur d'attractivité. Le métier du cyber est aussi un métier de combattant.

M. Cédric Perrin. - Pour remplacer le lance-roquette unitaire, un appel d'offres européen semble envisagé. Or, vous avez été très clair, lorsque vous avez annoncé que vous alliez dégager 600 millions d'euros pour financer cet équipement, en indiquant que vous demanderiez une étude sur une solution souveraine. Si toutefois un appel d'offres européen est lancé, il est clair que nous n'irons pas vers une solution souveraine française.

M. Sébastien Lecornu, ministre. - Le principe doit être celui d'une solution souveraine. L'exception, si elle existe, pour des raisons opérationnelles, serait d'avoir recours au HIMARS américain, et pas à un autre équipement. Il n'y aura pas d'appel d'offres européen. Je forme le voeu que nous puissions avoir une solution souveraine. J'ai demandé à la DGA d'en objectiver le coût. Les 600 millions d'euros sont dans la copie. Si nous nous lançons dans une solution souveraine, nous devrons néanmoins nous interroger : s'agira-t-il d'un HIMARS français ou de quelque chose d'autre ? Je vous rappelle que le châssis des LRU est déjà américain. Nous n'avons jamais été 100 % souverains.

Il ne vous a pas échappé que le Président de la République a parlé de frappes dans la profondeur la semaine dernière lors de son intervention lors du sommet de la Communauté politique européenne. La défense sol-air et la frappe dans la profondeur sont deux éléments du combat opérationnel et du combat terrestre et aéroterrestre de demain qui sont absolument clés. En revanche, je n'ai pas encore d'élément sur le calendrier. Il y aurait une fierté pour nos forces à disposer d'un équipement français, mais nous ne pouvons pas leur dire que celui-ci arrivera dans 10 ans.

Il y a souvent une prise de risques. À l'Assemblée nationale, j'ai découvert une forme d'aversion au risque dans les choix politiques et militaires. Notre modèle repose sur une prise de risques, ce qui implique d'accepter des retards, des délais, des aléas, des incertitudes.

M. Christian Cambon, président.  - Je veux rappeler le désir de tous nos collègues d'une grande transparence sur les éléments que vous nous communiquerez. Nous voulons vous accompagner dans l'élaboration de cette loi de programmation militaire. Pour cela, il faudra que vous nous transmettiez les éléments qui nous permettront d'exercer la mission constitutionnelle qui nous est confiée.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La séance est close à 19 heures et sept minutes.