Mercredi 28 juin 2023

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Avenir des concessions autoroutières - Audition de M. Patrice Vergriete, président du conseil d'administration de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France

M. Jean-François Longeot. - Nous achevons aujourd'hui notre cycle d'auditions consacré à l'avenir des concessions autoroutières. Après avoir entendu les auteurs du rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur le sujet, des dirigeants de sociétés concessionnaires d'autoroutes et des représentants de trois associations d'usagers des autoroutes, Bernard Roman, et, plus récemment, Philippe Richert, le vice-président et président par intérim de l'Autorité de régulation des transports (ART), nous accueillions Patrice Vergriete, Président du conseil d'administration de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afit France) depuis janvier 2023.

Monsieur le Président, c'est avec plaisir que nous vous recevons ce matin, près de six mois après vous avoir entendu en tant que candidat à la présidence du conseil d'administration de l'Afit France ; une candidature que les membres de cette commission avaient d'ailleurs largement approuvée.

Avant toute chose, rappelons que l'Afit France est un établissement public administratif dont le coeur de métier est le financement des infrastructures de transport. L'agence est notamment chargée de financer, au nom de l'État, les grands projets d'infrastructures et de mobilités, mais aussi la part de l'État dans les contrats de plan État-régions (CPER) ainsi que d'assurer les investissements de régénération ou de sécurisation des réseaux routiers, ferroviaires et fluviaux.

Vous avez pris la tête de l'Afit à un moment charnière pour les transports et pour l'agence. D'une part, le volet « mobilités » des CPER pour la période 2023-2027 est désormais en cours de négociation au niveau local. D'autre part, quelques mois après la publication du rapport du conseil d'orientation des infrastructures (COI), le Gouvernement devrait soumettre au Parlement une nouvelle loi d'orientation des mobilités (LOM), pour fixer un cap à la programmation des investissements en matière d'infrastructures de transport pour les dix prochaines années. Les besoins s'annoncent colossaux : le COI identifie un « mur d'investissements de 200 milliards d'euros » à horizon 2030. En conséquence, la Première ministre a annoncé en février dernier un Plan d'avenir pour les transports à hauteur de 100 milliards d'euros d'ici 2040.

Si on ne peut que se réjouir de cette prise de conscience de la part de l'exécutif, la trajectoire d'investissement qui s'annonce renforce les inquiétudes qui pèsent sur le modèle de financement de l'Afit, dont les recettes demeurent incertaines. Le produit des amendes radar - dont l'agence ne perçoit qu'une part résiduelle - a été amoindri durant la crise des gilets jaunes, tandis que la taxe sur les billets d'avion avait été différée jusqu'en 2022 du fait de la crise sanitaire. Enfin, les sociétés concessionnaires d'autoroute refusent de s'acquitter du versement à l'agence de la contribution volontaire exceptionnelle depuis 2021. Dans ce contexte, la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) constitue la recette la plus stable de l'Afit, alors même qu'elle est vouée à une attrition progressive étant donné l'objectif de décarbonation du secteur des transports.

Je vous propose d'aborder aujourd'hui deux sujets, à la lumière de cet état des lieux.

Premièrement, cette audition ne pouvait pas mieux tomber puisque le rapport d'activité de l'Afit pour l'année 2022 vient être publié. Nous serions heureux que vous puissiez nous en présenter les principales orientations et, éventuellement, les points de vigilance que nous pourrions relayer dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2024 ou de la future LOM.

Deuxièmement, nous souhaitons aborder l'arrivée à échéance des contrats de concessions autoroutières, sujet qui aura de fortes incidences sur l'Afit et, plus globalement, sur le modèle financement des infrastructures de transport.

Comment devrions-nous anticiper l'échéance des contrats de concessions en cours ? Le rapport du COI expose trois scénarii alternatifs pour gérer la fin des concessions : la poursuite du modèle actuel, la reprise des infrastructures concédées par un gestionnaire national ou, enfin, leur décentralisation à échéance aux régions qu'elles desservent. Quelle alternative vous semblerait la plus pertinente afin de sécuriser le modèle de financement des transports ?

L'arrivée à échéance des contrats de concession, associée à la réduction annoncée du produit de la TICPE, va constituer un véritable défi pour le financement de l'Afit. Jean Castex, qui vous a brièvement précédé à la tête de cette institution, avait évoqué devant nous la nécessité d'être plus « imaginatif » et d'identifier de nouvelles recettes affectées. Avez-vous des propositions à formuler afin d'assurer des ressources pérennes à l'agence ?

Enfin, la contribution du secteur des autoroutes au financement d'autres modes de transport est au coeur des débats. Alors qu'un rapport de l'Inspection générale des finances a pointé du doigt la rentabilité excessive des sociétés concessionnaires d'autoroutes en début d'année, le Gouvernement a consulté le Conseil d'État afin d'expertiser deux options pour rééquilibrer les choses : un raccourcissement de la durée des concessions en cours ou une contribution fiscale supplémentaire des concessions d'autoroute. Selon des informations parues dans la presse la semaine dernière, la haute juridiction aurait exclu la première option, mais se serait montrée favorable à la seconde. Or, dès le mois d'avril, Vinci Autoroutes avait fait savoir qu'en cas de hausse de la fiscalité pesant sur les sociétés concessionnaires, elle demanderait le remboursement de la contribution volontaire exceptionnelle versée depuis 2015, « soit environ 420 millions d'euros »...

Pour rappeler les termes du débat, Philippe Richert, Président par intérim de l'ART, a souligné la semaine dernière que si les sociétés concessionnaires contribuent au financement de l'Afit à hauteur de près de 930 millions d'euros au titre de la taxe d'aménagement du territoire (TAT) et de la redevance domaniale, la baisse d'impôt sur les sociétés dont elles bénéficient depuis 2018 leur aurait permis d'économiser près de 7,9 milliards d'euros.

Dans ce contexte, comment envisagez-vous un éventuel renforcement de la pression fiscale pesant sur les sociétés concessionnaires ? Identifiez-vous, parmi nos voisins européens, des modèles dont nous pourrions nous inspirer pour que le secteur autoroutier - mais aussi l'aérien - contribue davantage au financement de modes de transports plus vertueux, conformément aux annonces de la Première ministre dans le cadre du Plan d'avenir pour les transports ?

M. Patrice Vergriete, président du conseil d'administration de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France. - Lorsqu'en janvier dernier j'étais venu devant vous dans le cadre de ma désignation, je m'étais engagé à vous présenter chaque année notre rapport d'activité. Je vous présente le rapport pour l'année 2022, où je n'étais donc pas encore président de l'agence, c'est un exercice un peu particulier mais qui est l'occasion de préciser les ambitions pour la suite, et je suis à votre écoute pour toute information que vous souhaiteriez voir figurer dans les prochains rapports d'activité de l'agence.

Ce rapport d'activité suit un semestre chargé en annonces, avec le rapport du COI et son « mur d'investissements », - il donne un bon état de la situation des besoins -, avec les annonces de la Première ministre, le plan vélo, les engagements du Président de la République sur le transport à Marseille, ou encore avec l'actualisation de la LOM et les RER métropolitains - l'actualité ne manque pas. Notre rapport d'activité 2022 établit un budget record pour l'agence à 3,3 milliards d'euros en crédits de paiement - contre 2,1 milliards d'euros en 2016 - cela correspond bien à nécessité identifiée par le COI d'augmenter les dépenses. La bonne nouvelle, c'est qu'en 2022 ce budget a été exécuté à 99,08 %, c'est satisfaisant et cela répond à une demande formulée les années précédentes. Ces crédits sont allés pour le tiers aux infrastructures routières et pour les deux tiers aux infrastructures alternatives à la route. C'est conforme aux objectifs de la LOM d'aller vers des transports plus décarbonés ; le fait de consacrer un tiers des crédits à la route est également cohérent : la route a engagé sa décarbonation, son électrification, les initiatives sont nombreuses avec les voies réservées, la lutte contre le bruit, les véhicules autonomes, la contribution des routes à la production énergétique.

En prenant un peu de recul, je dirais que si nous savons désormais bien identifier les dépenses à réaliser dans les années qui viennent, nous ne savons pas bien répondre à cette question, qu'il faut donc mettre en débat : comment financer ce « mur d'investissements » identifié par le COI ?

Pour l'Agence, je dirais que cette question du financement comporte deux enjeux majeurs: il doit assurer un haut niveau de recettes et résoudre les problèmes posés par l'annualité budgétaire, car les investissements dans les infrastructures ont besoin de visibilité sur 10 à 15 ans au moins. On ne peut pas programmer la régénération du rail avec des accordéons budgétaires, par exemple, nous avons besoin d'une continuité des recettes. L'Afit peut être le bon outil pour piloter ces investissements, mais à condition qu'elle bénéficie d'une taxe qui lui soit intégralement affectée, plutôt qu'un financement qui dépende d'affectations partielles, et il faut que cette taxe affectée soit suffisante - nous aurons alors cette double condition d'un haut niveau de recettes et d'une visibilité suffisante pour investir dans les infrastructures de transports à hauteur des besoins.

Notre rapport d'activité 2022 établit les recettes suivantes : nous sommes à 138 millions d'euros de taxe sur les des billets d'avions, on pourrait imaginer davantage eu égard aux enjeux et au fait que le trafic aérien a repris son niveau d'avant la crise sanitaire ; les amendes radars abondent notre budget de 178 millions d'euros, proche du plafond. Le principal vient de la TICPE avec 1,2 milliard d'euros, du plan de relance, avec 660 millions d'euros, et des sociétés concessionnaires d'autoroute, avec 1 milliard d'euros. La participation des sociétés concessionnaires d'autoroute représente donc un enjeu décisif ; leur refus de verser leur contribution volontaire, en 2021 et 2022, obère notre capacité de 122 millions d'euros, un contentieux est en cours, et il semble bien que les sociétés concessionnaires d'autoroute n'aient guère l'intention de verser cette contribution cette année - le contentieux risque donc de durer.

Les questions posées par ce différend avec ces sociétés concessionnaires sont centrales. Il y a d'abord une question de justice : qui doit payer pour la décarbonation des mobilités ? Les usagers, les territoires, l'État, les entreprises ? Le ministère a engagé la réflexion sur l'évolution des concessions, le délai est court. Les usages de la route sont comparés : faut-il faire payer davantage encore les véhicules lourds ? La courte distance, ou la longue distance ? Faut-il distinguer la mobilité entre le domicile et le travail de la mobilité de loisir ? Je ne trouve pas inintéressant d'y réfléchir. Enfin, les autres pays européens ont choisi de ne pas cibler uniquement l'autoroute, mais de faire contribuer une partie plus large du réseau routier... Je n'ignore pas le traumatisme laissé par le mouvement des « bérets rouges », mais il n'empêche que la question reste posée : pourquoi un poids lourd qui traverse la France paie-t-il pour emprunter l'autoroute, et pas pour emprunter une route nationale ? Il faut trouver une réponse juste. Il y a aussi la question de la forte rentabilité des sociétés concessionnaires, on a parlé de « superprofits », le Gouvernement travaille à une taxe additionnelle, je ne verrais que favorablement l'instauration d'une telle taxe pour abonder le budget de l'Afit, elle en a besoin.

M. Olivier Jacquin. - Avec mon groupe, nous réfléchissons à l'avenir des contrats autoroutiers, ils doivent se préparer longtemps à l'avance - l'ancien président de l'ART disait qu'il fallait trois ans de préparation et deux ans pour lancer les offres, les délais sont donc courts. Nous proposons de créer un établissement public « Routes de France », qui porterait l'ensemble du réseau routier national non concédé et le réseau routier concédé à l'issue des contrats, donc sans indemnités. Une telle organisation pourrait apporter un financement stable à l'Afit. Je dois rencontrer le ministre Clément Beaune pour évoquer ce projet, il s'est enfin exprimé sur le sujet de dimanche à la radio ; que pensez-vous de notre idée d'un tel établissement public ?

M. Guillaume Chevrollier. - Lors de l'abandon du projet d'aéroport à Notre-Dame-des-landes, l'État avait signé un contrat d'avenir avec les collectivités territoriales pour soutenir le réaménagement de l'aéroport de Nantes-Atlantique, mais aussi pour renforcer la desserte de la ligne à grande vitesse (LGV), avec un arrêt dans le très beau département de la Mayenne. Depuis, c'est le statu quo et c'est inacceptable. Les collectivités territoriales attendent des compensations dans le volet mobilité du CPER, sur la LGV, mais aussi sur les TER, pour une régénération et une sécurisation des voies, pour satisfaire les besoins de mobilité décarbonée des Ligériens.

M. Hervé Gillé. - Vous appelez de vos voeux une taxe intégralement affectée à l'Afit, quelles en seraient la base et l'assiette ? Je vous pose cette question pour voir de quelle manière nous pourrions vous accompagner au mieux. Vous soulignez à raison qu'un bon taux d'exécution est une bonne chose, mais il faudrait aller plus loin dans le reporting parce qu'avec un fort taux d'inflation, il devient important d'évaluer les montants en euros constants. De même, les programmes peuvent être revus à la baisse ou se décaler dans le temps : avez-vous un indicateur pour mesurer ces décalages calendaires entre le « prévu » et le « réalisé » et peut-on disposer de cette information à l'avenir ?

M. Patrice Vergriete. - Quel est le point de vue de l'Afit sur le projet d'un établissement public « Routes de France » ? Pour nous, la forme juridique importe peu, ce qui compte, c'est le niveau de la recette attribué à l'agence, sa stabilité et sa pérennité.

Les engagements de l'État pour la mobilité en Pays-de-Loire relèvent du CPER, donc de la discussion entre le Préfet et le Président du Conseil régional - je ne sais pas si ces engagements répondent à l'attente régionale, et je n'ai pas d'information particulière sur la négociation en cours. Cette question m'évoque, plus largement, l'équilibre en fonctionnement du réseau ferroviaire : je suis frappé par la péréquation qui s'opère à l'échelle nationale entre les lignes LGV. Certaines lignes qui étaient rentables voient leur rentabilité diminuer. Cette baisse de rentabilité d'une partie du réseau, au lieu d'être répercutée sur les lignes qui restent les plus rentables, est répercutée sur d'autres lignes. En tant que maire de Dunkerque, je suis inquiet du cadencement des trains qui relient ma ville à Lille et Paris, que je vois diminuer chaque année. Je pose cette question simple : pourquoi, dans un pays qui devient plus riche, le service ferroviaire devient-il plus limité ? Je crois qu'il y a là un jeu de péréquation, ce qui pose plus largement la question de ce que la société veut consacrer au service ferroviaire, qui ne coïncide pas nécessairement avec la question de la rentabilité de ce service.

Quelle taxe affecter à l'Afit ? La question me dépasse et je n'échangerais pas ma place contre la vôtre, Monsieur le sénateur... Pour l'agence, ce qui compte, c'est la stabilité et la pérennité de la taxe, pour dépasser les contraintes de l'annualité budgétaire - on l'a vu avec le plan de relance, le financement pas à-coup n'est pas satisfaisant pour les investissements dans les infrastructures. Ma proposition est donc plus formelle : ce qui compte, c'est que la taxe soit intégralement affectée à l'agence, plutôt que devoir jongler avec des bouts de taxes, surtout lorsqu'elles sont promises à diminuer, comme la TICPE, et il faut aussi que le financement soit juste et équitable ; il ne peut donc incomber intégralement aux autoroutes, je crois que nous ne pourrons faire l'économie d'un débat sur cette question.

Je retiens très volontiers votre proposition tendant à ce que le prochain rapport annuel de l'agence présente les chiffres en euros constants et qu'il tienne compte des dérapages calendaires, ce sera utile et je vous remercie pour cette suggestion.

Mme Christine Herzog. - Le préfet de la Moselle vient d'adresser à Clément Beaune ses recommandations pour le tracé de l'A31 bis : connaissez-vous ce tracé et savez-vous si l'opération passe par une mise en concession ?

M. Jacques Fernique. - Votre feuille de route a changé de perspective avec les annonces de la Première ministre reprenant le scénario dit de planification écologique élaboré par le Conseil d'orientation des infrastructures, alors que la fin des concessions autoroutières en cours laisse planer une diminution de moitié de la participation des autoroutes et que le produit de la TICPE va mécaniquement diminuer avec la décarbonation de la route. J'entends votre position sur la taxation des poids lourds en dehors des autoroutes et je sais l'occasion que représente la révision de la directive Eurovignette, avec le principe du pollueur-payeur et du congestionneur-payeur. Dans ces conditions, la fameuse taxe alsacienne à venir ne vous paraît-elle pas préfigurer ce que l'on pourrait faire à l'échelle nationale ?

M. Fabien Genet. - Le département de Saône-et-Loire a pu compter sur l'Afit pour aménager et mettre en deux fois deux-voies cette « route de la mort » qu'était la route centre-Europe-Atlantique (RCEA), les travaux ont tant avancé qu'il ne restera bientôt plus que deux dossiers à cofinancer, ceux des viaducs de Charolles et de La roche de Solutré : je compte sur vous !

Je suis élu à Digoin, c'est sur cette commune que la RCEA devient l'A79, inaugurée il y a quelques mois et qui expérimente le péage à flux libre, où les barrières de péage sont remplacées par des capteurs qui détectent les plaques minéralogiques. Ce mode opératoire induit une appréhension du péage différente pour l'usager : selon vous, cela pourrait-il faciliter les possibles évolutions que vous évoquiez, tendant à instituer une taxation sur d'autres axes routiers que les autoroutes ?

M. Patrice Vergriete. - L'A31 va faire l'objet d'une mise en concession, je n'ai pas d'information particulière sur son tracé.

L'Alsace a été effectivement précurseur avec sa taxe sur le réseau routier, je pense, personnellement, qu'on gagnerait à généraliser une telle taxe. Elle utilise le péage à flux libre, c'est effectivement une piste pour mobiliser des financements, des expériences sont menées sur d'autres segments routiers dans ce sens.

Je peux aussi vous rassurer, Monsieur le sénateur : nous n'oublions pas les deux viaducs dont vous me parlez sur la RCEA en Saône-et-Loire...

M. Philippe Tabarot. - La relation entre l'Afit et les concessions autoroutières n'est pas au beau fixe, un contentieux est en cours, il manque 122 millions d'euros de contribution volontaire des concessions alors que le protocole d'avril 2015 prévoyait qu'elles verseraient 1,2 milliard d'euros sur 20 ans - ceci alors même que ces sociétés ont annoncé une augmentation des péages autoroutiers de 4,75 % en moyenne en 2023, vous avez qualifié leur attitude d'indécente. L'Afit est le dindon de la farce, elle est privée de moyens pourtant nécessaires et que nous lui trouvons à coup de collectifs budgétaires répétés. Les sociétés autoroutières mettent en avant leurs contrats, qui sont en béton, et c'est vrai que, sans vouloir plagier Bruno Lemaire, nous sommes dans un État de droit, qui protège les contrats et le droit de propriété. Aussi l'État est-il le premier responsable de la situation, qui a si mal négocié le contrat - on ne demande pas à l'acquéreur d'une voiture d'ajouter au prix qu'il a payé, au motif que la cote du véhicule a augmenté... et donc s'il y a indécence, elle est aussi du côté de l'État, qui se réfugie dans une attitude vexatoire alors qu'il a surtout manqué de clairvoyance : qu'en pensez-vous ?

M. Ronan Dantec. - Un point de vigilance : la taxe de solidarité sur les billets d'avion, dite taxe « Chirac », rapporte quelque 400 millions d'euros cette année, elle finance l'Agence française de développement, en tout cas l'action face aux ravages du sida, et il ne faudrait pas, à force de dire qu'elle ne représente pas grand-chose, qu'on en vienne à la supprimer ! Elle apporte 200 millions d'euros à l'Afit, ce n'est pas rien : je crois que nous devons la défendre plutôt que la mettre en cause, et même élargir son assiette, en y incluant par exemple les jets privés. Pour le reste, j'abonde pour dire qu'on ne peut avoir des camions qui traversent la France sans contribuer à l'entretien des routes ni à la transition des mobilités, nous payons toujours l'échec de l'écotaxe et une négociation avec les sociétés autoroutières qui a été du grand n'importe quoi.

M. Jean-Claude Anglars. - Je voudrais évoquer l'A68 qui forme un maillon de l'axe reliant Toulouse et Lyon, mais il reste toujours à aménager 40 kilomètres entre Rodez et Sévérac-le-Château dans l'Aveyron. Un accord a été trouvé entre le département de l'Aveyron et la région pour prendre en main cette portion, à travers une mise en deux fois deux voies ou une autoroute non concédée ; or, on a du mal à savoir quelle sera la participation de l'État, et même à négocier avec celui-ci sur ce sujet alors que l'assise foncière est déjà acquise : avez-vous des éléments d'explication ?

Mme Angèle Préville. - La part du financement venant de la TICPE allant diminuer, comment envisagez-vous de mettre plus de justice dans le financement des infrastructures de transports, pour que tous ceux qui les utilisent, paient effectivement ? Ensuite, comment développer l'usage du vélo, notamment en ruralité, sachant qu'il y est nécessaire de développer des voies spécifiques, parce que c'est aussi un problème de sécurité routière ? Quel est votre programme en la matière ? Combien est-ce que cela coûterait ?

M. Patrice Vergriete. - J'ai effectivement parlé d'indécence de l'attitude des sociétés autoroutières, mais je distingue le plan politique et le plan juridique. Je crois que si les sociétés autoroutières sont fondées à défendre tous leurs intérêts sur le plan juridique, je crois aussi que sachant leur rentabilité, le moment est politiquement malvenu de refuser de verser leur contribution volontaire, c'est cela qui est indécent et qui choque nos concitoyens.

La taxe dite « Chirac » sur les billets d'avion a abondé le budget de l'Afit à hauteur de 138 millions d'euros en 2022, le transport aérien pourrait effectivement participer bien davantage à notre budget et je suis personnellement favorable à ce que l'assiette de cette taxe soit élargie, par exemple aux jets privés.

Sur l'A68, les travaux envisagés relèvent du volet mobilité du CPER, les crédits ont été alloués et les moyens de faire sont là.

L'Afit est tout à fait légitime à soutenir le développement du vélo. Nous avons eu ce débat en interne à l'occasion d'une enquête que la Cour des comptes vient de consacrer à l'agence, j'ai défendu l'idée d'une participation aux mobilités du quotidien - même si les collectivités territoriales sont bien sûr en première ligne sur ces sujets, comme je le suis à Dunkerque. Mais cela n'est pas toujours facile à suivre en termes d'exécution, car il s'agit de modestes montants répartis entre une multiplicité de collectivités territoriales ce qui peut être source de décalages calendaires car quelques-unes enregistreront forcément des retards. Mais en termes de symbolique, soutenir les mobilités du quotidien, y compris le vélo, est aussi une manière essentielle de participer à la décarbonation.

M. Jean-François Longeot, président. - Merci pour vos réponses précises. Nous devons réfléchir à des financements pérennes et affectés pour l'Afit France.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 10 h 30.