Mercredi 27 septembre 2023

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 9 h 15.

Projet de loi de finances pour 2024, projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 et projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 - Audition de M. Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques sur l'avis du Haut Conseil relatif au projet de loi de finances pour 2024, au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 et au projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027

M. Claude Raynal, président. - Nous recevons M. Pierre Moscovici en sa qualité de président du Haut Conseil des finances publiques (HCFP), organisme indépendant placé auprès de la Cour des comptes. En application des dispositions de l'article 61 de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), le Haut Conseil rend un avis sur les prévisions macroéconomiques sur lesquelles reposent le projet de loi de finances (PLF) et le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) de l'année, et sur la cohérence de l'article liminaire au regard des orientations pluriannuelles de solde structurel et de dépenses des administrations publiques. Il se prononce également sur le réalisme des prévisions de recettes et de dépenses du projet de loi de finances de l'année.

Lorsque le Gouvernement révise les prévisions macroéconomiques sur lesquelles reposait initialement son projet, le Haut Conseil rend également un avis sur ces prévisions et sur l'estimation de PIB potentiel sur lesquelles repose cette programmation. C'est ce qu'il a fait à l'occasion de la révision du projet de loi de programmation des finances publiques (LPFP) pour la période 2023-2027 proposée par le Gouvernement en vue de la nouvelle lecture, après l'échec de la commission mixte paritaire (CMP) de décembre dernier.

Alors que la croissance devrait être très modérée en 2024, dans le contexte d'un nouveau durcissement de la politique monétaire et d'une stagnation de la croissance mondiale, votre éclairage sur la sincérité et la crédibilité de la trajectoire budgétaire, présentée à la fois, pour l'année qui vient, mais également pour la période quinquennale à venir, sera précieux. Je note en particulier le fait que le scénario macroéconomique sur lequel repose la programmation pluriannuelle, et dans certaines hypothèses le PLF pour 2024, vous paraît optimiste. Dès lors, il est permis de penser que la trajectoire pourrait être difficile à respecter...

M. Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques. - Le Haut Conseil, qui avait rendu un avis sur la programmation des finances publiques l'année dernière, a de nouveau été saisi, conformément à la Lolf, par le Gouvernement, celui-ci-ayant modifié ses hypothèses macroéconomiques et mis à jour la trajectoire de finances publiques associée.

Dans un premier temps, je présenterai l'avis relatif aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour l'année 2024.

Le Haut Conseil des finances publiques a examiné les prévisions économiques ainsi que le réalisme des prévisions de recettes et de dépenses. Il a bénéficié de la part de l'administration fiscale d'informations enrichies sur les finances publiques, et ce dans des délais normaux. Je me félicite de cet échange de bonne qualité car le Haut Conseil peut ainsi mieux remplir son mandat, conformément à la loi organique du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques.

Le scénario macroéconomique du Gouvernement pour 2024 repose sur une prévision de croissance de +1,4 %, que le Haut Conseil juge élevée. La prévision d'un solde public de -4,4 points de PIB paraît, de ce fait, optimiste. En effet, la croissance mondiale a faibli en 2023 et devrait rester globalement inchangée en 2024, pénalisée par une inflation certes en baisse, mais toujours assez élevée, et par des politiques monétaires durablement restrictives au sein des pays développés. L'environnement économique mondial est donc peu porteur pour la croissance française et nos finances publiques. Le rebond de la croissance chinoise, résultant de la fin de la politique zéro covid, a été de courte durée. Parallèlement, les pays de la zone euro traversent une phase de ralentissement. La croissance allemande, dont le retour est prévu pour 2024, devrait demeurer modeste, entre 1 % et 1,3 %, sur une base dégradée. Au niveau mondial, l'incertitude règne concernant l'inflation et l'impact du durcissement des politiques monétaires opéré par les banques centrales.

Selon le Gouvernement, la croissance du PIB de la France s'établirait à +1 % en 2023 et à +1,4 % en 2024. La prévision pour 2023, jugée un peu élevée par le HCFP l'année dernière, est désormais plausible. C'est l'occasion pour moi de rappeler que la qualité d'une prévision économique doit être jugée par rapport au moment où elle est faite et aux informations disponibles. Il peut arriver qu'une prévision soit dépassée ; pour autant, elle doit être « centrale ».

Le HCFP considère que la prévision de croissance gouvernementale pour 2024 est élevée. Elle est ainsi supérieure à celle résultant du consensus des économistes, qui s'établit à +0,8 %, ainsi qu'aux prévisions des institutions consultées par le Haut Conseil, qui prévoient une croissance située entre +0,4% et - pour la Banque de France - +0,9 %. Certaines hypothèses du Gouvernement sont fragiles. Ce dernier suppose ainsi que le durcissement des conditions de crédit aura un impact limité sur l'investissement des entreprises et entraînera un faible recul de l'investissement des ménages. Même si cette prévision n'est pas inatteignable, elle ne constitue pas pour autant une bonne base en vue de l'élaboration de la loi de finances.

La prévision de solde public de -4,4 points de PIB, sans être là encore inatteignable, paraît optimiste. Du côté des recettes, la prévision de prélèvements obligatoires pour 2024 est élevée, tirée par des hypothèses favorables sur le rendement de certains impôts : croissance de la TVA supérieure à celle de la base taxable ; arrêt prévu de la baisse des droits de mutation à titre onéreux (DMTO). Quant aux dépenses, elles augmenteraient en 2024 de 3 % en valeur et de 0,5 % en volume. La progression serait nettement plus sensible, une fois neutralisées les mesures exceptionnelles de soutien face à la hausse des prix, soit 4,8 % en valeur et 2,2 % en volume. L'essentiel des économies présentées, c'est-à-dire quelque 16 milliards d'euros, provient du retrait de ces dispositifs, les économies structurelles étant nettement plus faibles.

En 2024, le niveau des dépenses publiques comparé au PIB sera supérieur de 1,5 point à ce qu'il était avant la crise du covid. Sur le nouveau champ dit du périmètre des dépenses de l'État, la très forte réduction du coût des mesures de soutien face à la montée des prix de l'énergie serait presque compensée par la hausse résultant des priorités gouvernementales - 7 milliards d'euros dédiés à la transition écologique ; 3 milliards d'euros pour l'éducation nationale ; des crédits supplémentaires pour les politiques sectorielles de la défense, de la justice, de la recherche et de l'intérieur. Enfin, la charge d'intérêts augmenterait en 2024 de 10 milliards d'euros par rapport à 2023.

La prévision de hausse des dépenses publiques est susceptible d'être dépassée du fait de facteurs tels que le bouclier tarifaire sur le prix de l'électricité et les dépenses de santé de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam).

Le HCFP considère donc que la prévision de déficit public en 2024 est optimiste. Ce déficit demeurera sensiblement supérieur à la limite de 3 points de PIB prévue par le pacte de stabilité et de croissance (PSC). En outre, alors que le Conseil de l'Union européenne demandait à la France de plafonner à 2,3 % l'augmentation nominale des dépenses primaires nettes financées au niveau national en 2024, le Gouvernement prévoit sur ce même périmètre une augmentation de 2,6 %.

Le projet de loi de finances contient peu de mesures d'économies structurelles. Enfin, le ratio de dette publique par rapport au PIB ne baisserait plus en 2024, après une diminution de 2 points en 2023. La croissance en valeur du PIB, moins forte en 2024 qu'en 2023 du fait du repli de l'inflation, devient moins favorable.

C'est pourquoi le Haut Conseil continue à appeler à la plus grande vigilance quant à la soutenabilité à moyen terme des finances publiques.

Dans un second temps, je présenterai l'avis du Haut Conseil relatif à la révision du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027.

Il est indispensable que la France se dote d'une loi de programmation des finances publiques pour les raisons suivantes : elle fait partie intégrante de notre ordre public financier ; c'est une nécessité politique et de bonne gestion ; c'est un engagement pris par la France au niveau communautaire, ainsi que dans le cadre du plan national de relance et de résilience (PNRR). Je souhaite donc ardemment qu'une LPFP soit votée.

Le HCFP a examiné l'estimation par le Gouvernement de la position de l'économie française au sein du cycle économique. Les deux hypothèses retenues dans le projet de LPFP sont optimistes. Le Gouvernement a légèrement révisé à la baisse son estimation du PIB potentiel, mais son évaluation de l'écart de production traduit toujours une appréciation favorable de la capacité de rebond de l'économie française, laquelle se situerait dans un creux conjoncturel. Or nous constatons tous des tensions persistantes au niveau des recrutements, qui demeurent à un niveau historiquement élevé même si leur nombre a un peu diminué.

Le Gouvernement a conservé sa prévision, optimiste, de croissance potentielle à +1,35 % sur la période 2023-2027. Il est vrai que la prévision de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) pour le début de la période, ou celle du Fonds monétaire international (FMI) pour la fin de celle-ci, s'en rapprochent. Mais elle est supérieure à celle de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), de la Banque de France ou de la Commission européenne. Elle suppose que le progrès technique et l'efficacité des facteurs de production se remettent à croître conformément aux tendances antérieures à la crise sanitaire, et qu'existe un dynamisme important de l'investissement des entreprises malgré le durcissement des conditions de crédit.

Enfin, cette prévision repose sur une évaluation des effets indéniables des réformes du marché du travail, que le HCFP estime toutefois trop importants et trop rapides.

Si la croissance prévue par le Gouvernement pour 2024 a été jugée élevée, il en va de même de celle prévue pour les années suivantes. L'hypothèse de +1,7 % en 2025 et 2026, et celle de +1,8 % en 2027 sont optimistes : elles s'appuient sur une prévision de recul important du taux d'épargne des ménages, un niveau élevé d'investissement des entreprises et une contribution positive du commerce extérieur, qui apparaît favorable au vu des tendances passées.

L'hypothèse macroéconomique du Gouvernement ne repose pas sur une prévision totalement irréaliste. Je n'utiliserai pas le terme d'insincérité, qui suppose une intention de tromper ; tel n'est pas le cas ici. Nous ne sommes pas non plus dans l'irréalisme car ce qui est envisagé n'est pas inatteignable. Pour autant, la combinaison d'hypothèses favorables est de nature à fragiliser la réalisation des objectifs de finances publiques présentés.

L'objectif de moyen terme (OMT) de la France est d'atteindre un déficit structurel maximal de 0,4 point de PIB, bien loin des 2,7 points attendus en fin de programmation. Je reconnais qu'atteindre cet OMT aussi rapidement est assez dur et, même, n'est pas souhaitable. J'observe cependant que la réduction du déficit paraît bien lente ! Si la cible s'améliore, comparée aux 2,9 points envisagés dans la version initiale, le Gouvernement ne prévoit pas de retour sous le niveau des 3 points de PIB avant 2027. Si l'on observe les programmes de stabilité de nos principaux partenaires - certes déposés il y a cinq mois - aucun ne prévoit une échéance aussi tardive. L'Irlande, la Grèce, l'Allemagne, le Portugal et les Pays-Bas avaient déjà un déficit inférieur à 3 points de PIB en 2022 ; pour l'Espagne ce sera en 2024, pour l'Italie en 2025, et pour la Belgique en 2026. Nous sommes les derniers avec la Slovaquie.

Dans ce projet de loi de programmation révisé, le Gouvernement vise une baisse un peu plus forte du ratio de dette publique que dans le texte initial. Je m'en félicite, mais la réduction serait modeste : 108 points de PIB en 2027, soit près de 4 points en cinq ans. Ce rythme ne nous permettra pas d'atteindre les 60 % dans un horizon raisonnable pour chacun d'entre nous. Cette trajectoire est donc peu ambitieuse au regard des engagements européens. C'est d'autant plus regrettable que la crédibilité de la trajectoire peut être discutée, puisqu'elle suppose des dépenses hors charges d'intérêt quasi stables sur la période 2024-2027, avec une croissance moyenne annuelle de 0,1 point en volume, ce qui est bien plus ambitieux que ce qui a été réalisé par le passé. En comparaison, la période pendant laquelle la croissance de la dépense a été la plus contenue au cours des vingt dernières années est la période 2010-2014, c'est-à-dire pendant la crise des dettes souveraines en zone euro. Les dépenses hors charges d'intérêts augmentaient alors en volume de 0,9 point en moyenne par an. Le Gouvernement envisage donc de faire beaucoup plus que le plus ambitieux de ce qui a été fait au cours des vingt dernières années !

Cette progression très limitée des dépenses reposerait notamment sur une réduction marquée des dépenses de l'État à moyen terme, qui baisseraient, en moyenne, de 0,9 point en volume.

Il faut noter que les dépenses relevant des lois de programmation sectorielle, par exemple celles relatives à la défense, seront plus dynamiques. Les autres dépenses de l'État devront, dès lors, baisser très fortement. La maîtrise de la dépense reposerait également sur la baisse des dépenses de fonctionnement des collectivités locales, qui s'établirait à 0,5 point en moyenne sur la période 2024-2027 - et ce, sans mécanisme contraignant pour y parvenir -, ainsi que sur une baisse de leurs investissements. Je vous laisse apprécier la crédibilité de ce scénario au regard du cycle électoral. Ces prévisions pourraient être contrariées par les investissements liés à la transition écologique, dont on demande pourtant qu'ils s'appuient beaucoup sur les collectivités locales.

Les dépenses des organismes de sécurité sociale augmenteraient en volume de 0,8 point sur la période 2024-2027, à un rythme inférieur à celui du PIB. Cette prévision repose sur la montée en charge progressive de la réforme des retraites et sur une évolution des dépenses de l'Ondam limitée à +2,9 % en fin de période, ce qui suppose un effort considérable.

Le respect de la trajectoire implique la réalisation d'économies très importantes à hauteur, selon le Gouvernement, de 12 milliards d'euros pérennes en 2025, réparties entre l'État et la sphère sociale, issues de la revue de dépenses - qui reste à renforcer. Ce montant est très peu documenté à ce stade. Les seules données dont nous disposons concernent les retraites et l'assurance-chômage. En conséquence, la baisse attendue du ratio de dette publique est fragile puisqu'elle s'appuie sur une prévision de croissance optimiste et sur une cible exigeante de dépense dont le respect n'est pas garanti par une documentation concrète.

Le point le plus saillant est l'augmentation spectaculaire de la charge de la dette dès 2024 et sur toute la période de programmation. Elle était de 35 milliards d'euros en 2021 ; elle sera de 57 milliards d'euros en 2024 - supérieure au budget de la défense -, et de 84 milliards en 2027 - supérieure au budget de l'enseignement scolaire. Il ne s'agit plus là de risques mais de réalités !

Je ne prône pas l'austérité, mais je crois à la volonté politique. Le volant d'économies à réaliser n'est pas hors de notre portée, mais il faut pour cela change nos comportements et nos méthodes. Il faut passer à des revues de dépense qui soulèvent vraiment le capot des politiques publiques et font le tri entre ce qui marche et ce qui ne marche pas. Je ne crois ni au rabot ni à une pensée magique faisant tout reposer sur la croissance. Il faut une action déterminée et collective, en évitant l'austérité. Personne ne souhaite que la France se trouve dans une situation où des tensions sur la dette conduiraient à des coupes brutales dans la dépense ou à de fortes augmentations d'impôts, avec dans les deux cas des conséquences très dommageables pour les ménages et les entreprises. La France n'est pas en faillite et sa dette est soutenable, mais la sagesse veut que nous n'attendions pas l'apparition du risque pour agir, car il serait alors trop tard.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Votre constat, exigeant et prudent, nous alerte collectivement. En disant qu'il fallait soulever le capot pour régler le moteur, vous avez utilisé une image que je garderai et je me ferai fort de demander au chef du garage qu'est le ministre de l'économie et des finances de procéder désormais aux réglages indispensables. Voilà deux ans, nous l'avions alerté sur le risque d'avoir à faire face à un mur de dettes ; il nous avait reproché notre pessimisme. Nous avions également prévenu que les taux d'intérêt risquaient de remonter. Je ne pensais pas que cela se ferait aussi vite...

Pour ce qui concerne les prévisions de croissance, vos paroles sont marquées du sceau du doute. La stratégie budgétaire et fiscale du Gouvernement repose intégralement sur une forte baisse de dépenses non documenté. Elle est donc lacunaire et les élus locaux sont préoccupés par sa soutenabilité. Si ce n'est pas de l'insincérité, ni de l'irréalisme, ni atteignable, de quoi s'agit-il ? Que faudrait-il de plus pour dire que le scénario macroéconomique et de finances publiques proposé par le Gouvernement est insincère ?

Par ailleurs, depuis 2008 et la création des LPFP, la situation des finances publiques ne s'est aucunement améliorée. Elle s'est même dégradée. Que préconisez-vous pour corriger cette fâcheuse tendance qui frappe la France plus que les autres pays ? Vous avez proposé de changer nos comportements collectifs : cela peut être douloureux, mais nous y adhérons tous.

Les règles européennes actuelles ne sont pas pleinement satisfaisantes. Que pensez-vous des propositions de la Commission à cet égard ? D'ailleurs, la LPFP ne deviendrait-elle pas caduque à partir du moment où les règles budgétaires seraient modifiées ?

Enfin, vous avez noté qu'il est difficile de concilier la bonne gestion budgétaire avec les nombreuses lois de programmation sectorielle qui ont été votées et proposent souvent des envolées de budgets. Comment éviter ces incohérences ?

Je m'interroge enfin sur la diminution de la part de la tarification à l'activité (T2A) dans le financement des établissements de santé. Comment réguler efficacement les dépenses des hôpitaux ? Faut-il en passer par une régulation des dotations ? Et quels mécanismes mettre en place pour réguler les soins de ville ?

M. Pierre Moscovici. - Vos questions s'adressent davantage au Premier président de la Cour des comptes...

Il ne revient pas au Haut Conseil d'apprécier l'insincérité budgétaire, mais au Conseil constitutionnel, qui en a donné une définition : elle se caractérise par l'intention de tromper. Mon prédécesseur, Didier Migaud, avait jugé en 2017 que la loi de finances était insincère ; nous étions en désaccord sur ce point, car il n'y avait pas, selon moi, une telle intention. Le mot « insincère » est explosif... Je le répète, les prévisions de croissance sont élevées, mais pas inatteignables. Sous un certain nombre de conditions très favorables qui se trouveraient réunies par un concours de circonstances, ce scénario est envisageable. D'ailleurs, le Gouvernement vous objectera que l'an dernier, tout le monde s'est trompé en critiquant ses prévisions. Je serais toutefois prudent à cet égard car le premier trimestre a été conforme aux prévisions, le troisième trimestre a repris une pente assez neutre, et le deuxième trimestre a été très bon pour des raisons en partie inexpliquées et qui ne forme pas une tendance. Pour 2024, il y a un écart de 0,5 point entre les prévisions du Gouvernement et de la Banque de France : c'est beaucoup.

Vous demandez où faire des économies. Il faut, selon moi, procéder à des revues de dépenses beaucoup plus approfondies. Celles qui ont été faites n'ont pas été publiées et sont restées à l'intérieur de l'administration... Le rapport de la Cour des comptes sur la situation et les perspectives des finances publiques paru en juin dernier consacre un chapitre aux préconisations : il faut que les revues de dépenses concernent l'investissement et le fonctionnement, qu'elles touchent les dépenses de toutes les administrations, qu'elles soient faites avec les acteurs, et dans la durée.

Les règles européennes seront logiquement rétablies le 1er janvier 2024. La question est de savoir lesquelles. S'agit-il des règles actuelles, procycliques, illisibles et très contraignantes ? Il y aurait alors une vague de procédures pour déficit excessif dont la France serait une cible privilégiée. Nous avons tous intérêt à ce que ce soient des règles européennes réformées qui entrent en vigueur, car il serait plus intelligent de privilégier l'incitation à la sanction, et de prendre en compte des profils de dette nationaux, ainsi que le quantum des réformes que les pays sont capables d'assumer. La proposition de la Commission serait exigeante pour les pays les plus endettés, mais plus intelligente. L'Allemagne a durci sa position. Je souhaite qu'un compromis soit trouvé dans les mois qui viennent, peut-être avec l'Espagne et les Pays-Bas.

Sur les dépenses sociales, les chiffres prévus dans l'Ondam supposent à la fois des conditions favorables et des économies très importantes, ce qui n'est pas simple. Les remèdes devront être vigoureux.

M. Vincent Delahaye. - Votre exposé confirme ce que nous pensons ici : en matière de gestion des finances publiques, l'optimisme règne ! Or la rigueur et la prudence devraient prévaloir. Vos avis sont-ils de nature à modifier les hypothèses du Gouvernement ? La fin des dépenses exceptionnelles aurait-elle dû entraîner une baisse de la dépense publique ?

Mme Sylvie Vermeillet. - Quel sera l'impact de la « non-suppression » de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) ? Et quel sera celui de la réforme des retraites sur l'activité économique ?

Mme Christine Lavarde. - Le rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale semble partager votre vision puisqu'il évoque une nouvelle révision du budget en 2024... Il serait utile de disposer d'un contrefactuel qui prendrait en compte les hypothèses du consensus des économistes.

Pour ce qui concerne le taux de prélèvements obligatoires, 89 niches fiscales vont arriver à échéance. Avez-vous évalué l'imposition supplémentaire qui résulterait de leur suppression ?

À la fin de juillet 2023, le déficit de la France a atteint 169 milliards d'euros, soit 30 milliards d'euros de plus qu'en 2022. À cet égard, l'hypothèse pour 2023 est-elle plausible ?

M. Bernard Delcros. - Comment concevez-vous l'action déterminée et collective que vous avez évoquée ?

M. Rémi Féraud. - Nous sommes tous conscients que l'augmentation de la charge de la dette change la donne. Quelle contribution l'échelon local devra-t-il fournir pour résoudre les problèmes d'endettement et de déficit public dans les années qui viennent ?

M. Claude Raynal, président. - Puisque nous avons le même âge, nous avons tous deux étudié l'ouvrage de Raymond Barre, qui était l'une des bibles en matière d'économie. On pouvait y lire que l'augmentation de la charge d'intérêts de la dette était pour partie compensée par l'augmentation des recettes de l'État, tant que les taux d'intérêt étaient inférieurs à l'inflation. Est-ce toujours vrai ? Comment peut-on l'interpréter avec ces chiffres d'augmentation de la charge d'intérêts ? Entre 2023 et 2024, vous évoquez une augmentation de la charge d'intérêts : sera-t-elle compensée par une augmentation des recettes de l'État entraînée par l'inflation ?

M. Pierre Moscovici. - J'étais plus à gauche que vous à l'époque, monsieur le président, et je n'allais pas aux cours du professeur Barre...

La prévision d'inflation est plausible, avec de légers risques de dépassement. Quant aux recettes de l'État, elles expliquent les relatives bonnes performances budgétaires de ces dernières années. Dans la zone euro et en France, la dynamique de la recette devrait être beaucoup moins bonne dans les années à venir. Autrement dit, la formidable surprise d'une augmentation des prélèvements obligatoires malgré des baisses d'impôts importantes pourrait ne pas être définitive. Rétrospectivement, on pourrait donc penser que le professeur Barre avait raison...

Non, monsieur Delahaye, le Gouvernement ne va pas du tout modifier ses hypothèses. Chacun est dans son rôle : on nous demande notre avis, nous le donnons. Il s'agit certainement d'une boussole utile, à la fois pour le Parlement, mais aussi pour le Conseil constitutionnel et pour les institutions européennes. Vous avez soulevé la question des dépenses exceptionnelles. La hausse de la dépense publique est estimée en 2024 par le Gouvernement à 3 % en valeur et à 0,5 % en volume. Hors l'impact de l'extinction des dépenses exceptionnelles liées aux différentes crises sanitaire et énergétique, cette hausse serait en volume de 2,5 % et la relative stabilité des dépenses publiques en 2024 est surtout permise par l'extinction en cours des différentes mesures d'urgence et non pas par des économies structurelles. Le Haut Conseil des finances publiques remarque, par ailleurs, que la baisse des mesures de soutien face à l'inflation énergétique entraîne le remplacement des dépenses exceptionnelles par des dépenses pérennes. En outre, il note des incertitudes entourant la réalisation de ces prévisions de dépenses, j'ai notamment cité l'Ondam. Sur les 16 milliards d'euros d'économies qui vous seront présentées cette année, 12 milliards d'euros ne sont pas des économies structurelles. Pour les années suivantes, la marche sera donc plus compliquée, car le « quoi qu'il en coûte » n'existera plus.

Mme Vermeillet m'a interrogé sur la CVAE. Comme j'ai déjà eu l'occasion de le souligner à plusieurs reprises, nous n'avons pas les moyens d'envisager des baisses d'impôts « sèches » au vu de notre situation de déficit. Certes, nous ne devons pas nous priver de tout usage de la fiscalité, car elle joue un rôle d'allocation et de redistribution. Mais nous devons faire preuve de stabilité en termes de prélèvements. Le Gouvernement peut envisager des baisses de CVAE : c'est une décision politique. Mais selon le HCFP et la Cour des comptes, il faudrait alors compenser cette baisse, soit par des prélèvements de nature différente, soit par des économies supplémentaires. C'est sans doute ce qui explique le choix de ralentir la baisse de la TVA ? Pour financer la baisse de la CVAE, on peut choisir de moins baisser la TVA. C'est une hypothèse, et une question que vous pourriez poser au ministre...

Comme à son habitude, Mme Lavarde a posé des questions extrêmement judicieuses, en particulier sur le contrefactuel. Le HCFP n'a pas pour mission de faire des scénarios, mais je peux tout de même vous donner un ordre de grandeur. Les modèles montrent qu'une baisse de 0,5 % de croissance entraîne une hausse de 0,2 point de déficit. Dans le cas où la croissance s'établirait donc bien à 0,9 % et non à 1,4 %, le déficit serait de 0,2 point de plus. Pour parvenir à un déficit de 4,4 % du PIB, il faudrait donc prévoir des prélèvements supplémentaires ou réaliser davantage d'économies. À en croire l'interview du rapporteur général de l'Assemblée nationale publiée dans L'Opinion, notre avis a été pris très au sérieux, y compris par l'ensemble des députés. En effet, monsieur Féraud, que l'on soit de droite ou de gauche, il faut baser son raisonnement sur cette donnée assez réaliste. Dans ce sens-là, le Haut Conseil des finances publiques joue un rôle très utile.

Le déficit pour 2023 est-il crédible ? Selon nos prévisions, le déficit annoncé à 4,9 % du PIB serait plausible, mais le ministre devrait pouvoir vous détailler ce point davantage que moi.

En ce qui concerne le respect de la trajectoire pluriannuelle présentée par le Gouvernement, elle suppose d'importantes économies de nature à infléchir la progression spontanée de la dépense publique. Le HCFP n'a pas pour mission de donner des conseils ou de faire des recommandations. Toutefois, un changement de méthode me paraît essentiel. Le rôle du Parlement est tout à fait central ; nous restons à votre disposition, ainsi que la Cour des comptes. Je rappelle que cette dernière a produit neuf notes thématiques. On parle souvent de l'éducation et de l'hôpital, mais le logement est également un enjeu capital. C'est une politique publique très coûteuse dont l'efficacité mérite d'être questionnée, aussi bien en termes de constructions que de parc social. Je ne dis pas qu'il faut la réduire, mais je dis qu'il faut qu'elle produise des résultats.

Idem pour ce qui concerne les dépenses fiscales. Leur nombre est considérable, leur durée est indéfinie, leur contrôle est quasi nul. La Cour des comptes propose un certain nombre de règles de bon sens, comme le fait de les plafonner dans la durée, de les évaluer et donc de les remettre en question. Il s'agit tout de même d'un montant de 90 milliards d'euros. Certes, il n'y a pas 90 milliards d'euros à gagner, mais nous pourrions sûrement faire des économies. Se pose également la question du verdissement des dépenses, des aides aux entreprises, etc. Bref, la revue des dépenses a son utilité sur la totalité du périmètre de la dépense publique.

Oui, je le redis, sans avoir recours à l'austérité, il est possible d'atteindre le quantum d'économies demandé de 12 milliards d'euros de manière intelligente, sans employer le rabot, avec plus de performances. C'est un changement culturel que nous devons engager. À défaut, la France sera tout de même contrainte d'économiser ces 12 milliards, mais dans des conditions douloureuses.

En ce qui concerne l'impact de la réforme des retraites sur la croissance potentielle, le Gouvernement intègre dans les prévisions macro-économiques une progression du PIB de 0,7 point à l'horizon de 2027 à la suite de la réforme des retraites. Le HCFP juge que ces prévisions sont surestimées. Selon les projections de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav) et de l'Insee, le maintien en activité des seniors se traduira par une hausse du taux d'activité de 0,4 et de 1 point de pourcentage à l'horizon de 2027. La prévision du taux d'activité du Gouvernement, qui se situe entre celle de la Cnav et de l'Insee, semble raisonnable. Pour autant, cela ne signifie pas que le taux d'emploi augmentera autant que le prévoit le Gouvernement, car cela signifierait que les entreprises adaptent leur comportement pour offrir un emploi à ces actifs supplémentaires et que la demande qui leur est adressé augmente en même temps. Nous l'avons constaté lors de toutes nos auditions : les hypothèses d'emplois sont plus optimistes du côté du Gouvernement, ce qui a un lien direct avec ce que je viens de dire sur les retraites.

Enfin, monsieur Féraud, la semaine dernière s'est réuni un Haut Conseil des finances publiques locales, composé des présidents des trois principales associations d'élus, des représentants des régions, des départements et des communes, du ministre de l'économie, du Premier président de la Cour des comptes, des présidents- et rapporteurs généraux des commissions des finances du Parlement, etc. Disons que l'objectif de 0,5 % est ambitieux, qu'il n'existe pas de mesures contraignantes et que ce Haut Conseil des finances publiques locales, dont le rôle est surtout consultatif, a avant tout pour mission de chercher un consensus. Ce n'est d'ailleurs pas tout à fait un Haut Conseil, à la différence du HCFP qui est prévu par la loi organique et qui comprend des personnalités indépendantes. Ce n'est pas simple. Vous pourriez poser cette question au ministre. Cette trajectoire d'effort est un élément de l'équilibrage tel qu'il est présenté dans le projet de loi de programmation des finances publiques, mais il s'agit, là encore, d'une hypothèse favorable en l'absence d'un consensus ou de mesures contraignantes, et compte tenu de certains besoins en investissement et du cycle électoral. Comment atteindre l'objectif ? Ce n'est pas impossible, mais cela nécessitera de gros efforts.

M. Claude Raynal, président. - J'ai l'impression que la question de Rémi Féraud lui est renvoyée...

M. Pierre Moscovici. - Cela fait surtout partie des questions qu'il faudra poser au Gouvernement. La question du modus operandi n'est pas notre travail. Nous constatons simplement qu'il s'agit d'une hypothèse favorable, mais qu'elle pèse sur l'équilibre des finances publiques.

M. Claude Raynal, président. - Merci, monsieur le président, de nous avoir présenté ces deux documents importants. Nous aurons évidemment plaisir à vous retrouver à l'occasion de prochains travaux sur lesquels nous sommes toujours très attentifs pour alimenter nos propres réflexions.

La réunion est close à 10 h 30.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est ouverte à 16 h 05.

Contrôle budgétaire - Service de santé des armées - Communication

M. Claude Raynal, président. - Nous allons entendre la communication de M. Dominique de Legge, rapporteur spécial des crédits consacrés à la Défense, sur le service de santé des armées (SSA).

M. Dominique de Legge, rapporteur spécial. - Le service de santé des armées intervient en opération selon le principe « premiers arrivés, derniers sortis ». Alors que le renouvellement sénatorial vient d'avoir lieu et que nous reprenons nos travaux, il me semble que ce principe pourrait parfaitement s'appliquer à ma communication d'aujourd'hui : je ne sais pas, en effet, si je suis le premier projeté ou le dernier rapatrié parmi les membres de notre commission avant la reconstitution des instances du Sénat...

En matière de défense, l'année 2023 a été marquée par l'adoption d'une nouvelle loi de programmation militaire (LPM) prévoyant un effort financier important en faveur de nos armées : 413,3 milliards d'euros sur la période 2024-2030.

Il faut dire que notre outil de défense s'est trouvé considérablement fragilisé par les choix budgétaires des décennies passées. Il est aujourd'hui loin du niveau requis pour soutenir durablement un engagement des forces dans un conflit de haute intensité.

Pour répondre au défi de la remontée en puissance de nos armées, le soutien santé constitue un enjeu décisif, à ne surtout pas sous-estimer. Sans lui, aucune projection de forces, aucune opération, aucune mission n'est envisageable. Des soignants sont présents dans chaque base, sur chaque théâtre d'opérations, dans chaque frégate, dans chaque sous-marin.

Comme tout service de soutien, le SSA est placé sous l'autorité du chef d'état-major des armées. Il est doté d'un budget de 1,6 milliard d'euros, dont environ 1,2 milliard d'euros de dépenses de personnels, soit un peu moins de 4 % du budget total des armées.

Ses effectifs s'élèvent à plus de 14 000 équivalents temps plein (ETP), dont environ deux tiers de militaires et - chose rare dans les armées - environ deux tiers de femmes. S'y ajoutent un peu plus de 4 000 réservistes.

L'ambition du SSA est de proposer un modèle de soutien santé complet, qui s'articule autour de quatre composantes principales : la médecine des forces, au plus près des troupes ; un réseau de huit hôpitaux militaires, dits « hôpitaux d'instruction des armées » (HIA) ; le ravitaillement médical ; et la formation et la recherche.

Le SSA a subi de plein fouet la cure d'austérité imposée aux armées dans les années 2010. Sous la LPM 2014-2019, le SSA a connu une diminution sèche et brutale de ses ressources budgétaires et une baisse de 10 % de ses effectifs.

La profonde restructuration de la composante hospitalière en a fait la principale sacrifiée. À cet égard, la fermeture en 2016 de l'hôpital du Val-de-Grâce, établissement emblématique, a constitué, pour le SSA, un traumatisme encore perceptible.

Dans ce contexte, la remontée en puissance des effectifs des forces armées - et donc des militaires à soigner -, décidée au lendemain des attentats de 2015, a rapidement placé le SSA dans une situation d'effet ciseaux, alors que ses propres ressources humaines continuaient de diminuer.

Si la prise de conscience de la nécessité de renforcer un service de santé au bord de la rupture s'est rapidement fait jour au ministère des armées, la traduction pratique de cette volonté s'est avérée difficile. En effet, le service est confronté à une conjoncture de très fortes tensions sur les compétences, qui affecte l'ensemble du secteur de la santé. Les moyens budgétaires augmentent bien depuis 2019, mais permettent tout juste de « stopper l'hémorragie » sans parvenir à renforcer les effectifs.

En résumé, la politique de déflation a structurellement et durablement fragilisé le SSA, de telle sorte que, malgré la hausse des budgets, la reconstitution de ses capacités ne se décrète pas du jour au lendemain. Je note au passage que ce constat est applicable à la plupart des capacités militaires.

Face à ce constat, on était en droit de se demander si le SSA était en mesure de remplir son contrat opérationnel. Ma principale interrogation, lorsque j'ai choisi de me pencher sur ce sujet, était de savoir s'il arrivait que des opérations soient reportées ou même annulées faute de pouvoir déployer le soutien médical adéquat. Sur ce point, les états-majors m'ont fourni une réponse claire et nette : non, cela n'arrive jamais. Même si cela est au prix d'arbitrages difficiles, qui peuvent générer des tensions importantes dans les centres médicaux des armées, le SSA est toujours au rendez-vous des opérations. Pour autant, il est clair que ses capacités seraient très rapidement dépassées en cas d'engagement majeur des forces. L'exercice Orion, mené un peu plus tôt cette année, a clairement montré que le SSA était loin de pouvoir traiter un afflux de blessés comparable à ceux qu'on observe, par exemple, de part et d'autre du front russo-ukrainien.

Les principaux leviers pour amener le SSA au niveau requis par la haute intensité sont aujourd'hui bien identifiés.

La hausse des crédits est bien sûr nécessaire, elle est prévue par la LPM. Sur la période de programmation, les crédits hors titre 2 connaîtraient une croissance annuelle moyenne de 12 %.

De l'aveu de l'ensemble des acteurs que j'ai auditionnés, la bataille prioritaire est celle des ressources humaines, de la reconquête des compétences et de la fidélisation des effectifs, dans le contexte de fortes tensions que j'ai déjà évoqué. La LPM porte un objectif ambitieux d'augmentation des effectifs de 460 ETP.

Pour l'atteindre, tous les leviers doivent être mobilisés, à la fois financiers et non financiers. Les hôpitaux militaires éprouvent aujourd'hui de grandes difficultés à attirer des médecins civils. Non seulement ils peinent à s'aligner sur les rémunérations proposées dans le privé, mais, en plus, du fait d'une procédure lourde et très centralisée, les délais de recrutement sont si longs qu'ils découragent les candidats. Un vrai effort de simplification est donc ici à mener.

J'ai également acquis la conviction que la valorisation de l'identité militaire du SSA peut constituer un puissant élément d'attractivité. Les soignants qui rejoignent le SSA ont l'honneur de servir leur pays et accèdent à une pratique singulière et passionnante de la médecine, caractérisée par une technicité de très haut niveau, mais également par une certaine rusticité, qui tranche avec la tendance à l'hyperspécialisation qu'on observe dans la médecine civile.

Sur ce point, le SSA ne doit pas se mettre « à la remorque » du civil, mais au contraire affirmer son identité. Autrement, il serait à craindre que les besoins civils ne fragilisent la résilience de l'armée.

Ensuite, la composante hospitalière du SSA doit impérativement être consolidée. Cela suppose un effort financier conséquent. En effet, dans un contexte budgétaire extrêmement contraint, l'entretien des infrastructures a longtemps constitué la seule variable d'ajustement disponible pour les hôpitaux militaires, qui ont donc constitué une importante « dette grise ».

Le mouvement de remise à niveau a commencé, avec notamment le lancement du projet de remplacement par un établissement neuf de l'hôpital Laveran de Marseille, où je me suis rendu. Le projet, qui doit aboutir à l'horizon 2031, représente un coût aujourd'hui estimé à 300 millions d'euros. À titre personnel, je crains que ce soit bien le minimum. Le mouvement doit désormais être poursuivi dans les autres hôpitaux militaires, en particulier Percy de Clamart et Clermont-Tonnerre à Brest, où l'état de dégradation des infrastructures est également avancé.

Le second enjeu pour les hôpitaux militaires est le rééquilibrage de la relation avec le système civil. Celui-ci comporte deux dimensions.

En premier lieu, il convient de sortir de la logique qui a prévalu dans la période récente, où la principale question était de se demander dans quelle mesure le SSA pouvait aider la santé publique. S'ils ne représentent en effet que 0,5 % de l'offre de soins, les hôpitaux militaires apportent un concours qualitatif précieux : ils sont largement ouverts à la patientèle civile, à laquelle ils peuvent offrir un large éventail de spécialités, parfois rares, avec un haut niveau de performance. Dans le contexte de la pandémie de covid-19, l'opération Résilience a également montré l'utilité, en situation de crise, du SSA.

Cependant, dans la perspective de la préparation à des conflits de haute intensité et donc à un possible afflux de blessés excédant les capacités d'accueil du SSA, il est temps d'inverser la logique et de se demander comment le système civil peut apporter son concours à la politique de défense. Un protocole pluriannuel signé en 2022 entre les ministères des armées, de la santé, et du budget vise à encadrer la coopération en ce sens. Il conviendra d'évaluer celui-ci, lorsque le recul sera suffisant, notamment à l'aune des retours d'expériences issus d'exercice de type Orion. J'ajoute que le SSA me paraît particulièrement adapté à l'accueil de jeunes en service national.

En second lieu, les agences régionales de santé (ARS) doivent mieux comprendre, dans le cadre des coopérations territoriales menées avec le SSA, l'impératif de préserver, dans les hôpitaux militaires, les compétences médicales indispensables à la réalisation de ses missions. On parle ici de compétences dites « projetables », qui répondent aux besoins opérationnels prioritaires des armées, telles que la chirurgie, la réanimation, ou encore, et de plus en plus, la psychiatrie.

J'insiste à cet égard sur le cas d'un hôpital militaire particulier : l'hôpital Clermont-Tonnerre à Brest, dont la mission est de soutenir la dissuasion nucléaire. Les médecins projetés dans les sous-marins nucléaires lanceurs d'engin (SNLE) sont issus de cet hôpital. Leur expertise permet ainsi de réduire par un facteur de huit à dix les évacuations médicales réalisées depuis les SNLE par rapport à la moyenne des autres embarcations, et donc les remontées à la surface des sous-marins. Ils contribuent donc pleinement à la réalisation des missions de la force océanique stratégique. En d'autres termes, le médecin projeté fait partie intégrante du système d'armes du SNLE. Pour cette raison, il est indispensable de renforcer l'hôpital Clermont-Tonnerre, en menant bien sûr les investissements nécessaires, mais aussi en préservant les compétences médicales présentes. La confrontation des médecins de l'hôpital à une large variété de pathologies est essentielle pour maintenir leur niveau de performance. Il y va de la crédibilité de notre dispositif de dissuasion.

Pour résumer mon propos : si la composante hospitalière du SSA peut concourir à la politique d'offre de soins, il faut rappeler que, par essence, elle n'est pas un instrument de santé publique, mais, avant toute chose, un outil de défense.

Un autre axe de montée en puissance identifié est la reconstitution de capacités de soutien médical sur les théâtres d'opérations qui soient adaptées aux conflits de haute intensité.

Il nous faut recréer une capacité à déployer à l'arrière du front un hôpital de campagne dimensionné pour soutenir un engagement de niveau divisionnaire. La LPM prévoit de la constituer à l'horizon 2030, ce qui me paraît tardif eu égard à l'enjeu géostratégique.

Il faut également accélérer le renforcement en cours des capacités d'évacuation médicale aérienne, mais aussi terrestre, car cette dernière peut constituer la seule option lorsque la maîtrise du ciel est disputée. Ce renforcement est lié au programme Scorpion de modernisation de l'armée de terre : on peut regretter les décalages dont il a fait l'objet dans le cadre de la nouvelle LPM. Je m'étais longuement exprimé sur ce sujet lors de l'examen du texte au Sénat.

Enfin, il faut mener les investissements indispensables à la modernisation de la chaîne de ravitaillement et favoriser la mise à l'étude de certains modes d'action innovants prometteurs, tels que la télé-chirurgie ou l'approvisionnement en produits sanguins par drone.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je vous remercie pour cet éclairage et pour vos recommandations. Je voulais vous interroger sur les raisons expliquant la pénurie de personnels au sein du SSA. Ces tensions sont-elles le miroir de celles que l'on observe généralement dans toutes les professions de santé ? Est-ce uniquement une question de nombre de médecins et de manque de candidats ? Ou bien le manque d'attrait du SSA est-il dû aux rémunérations ? Les hôpitaux d'instruction des armées forment-ils assez de personnes ? Ces dernières restent-elles dans l'armée ou ont-elles tendance à partir dans le civil dans une proportion plus importante que jadis ?

M. Marc Laménie. - Notre rapporteur a mis en lumière un service que l'on ne connaît pas toujours. Le volet humain est essentiel. Vous mettez aussi l'accent, dans vos recommandations, sur la rénovation des infrastructures. Que signifie à cet égard la « dette grise » ? Quel est le montant des travaux à réaliser, selon vous, dans les hôpitaux ?

Existe-t-il un nombre réglementaire de médecins et d'infirmières par régiment ? Enfin, vous avez évoqué la psychiatrie. La question du mal-être est importante et d'actualité. L'armée dispose-t-elle d'assez de psychologues pour accompagner les militaires ?

M. Michel Canévet. - Le SSA est une composante des armées souvent oubliée et qui a été délaissée dans les précédentes LPM. Ses effectifs ont fortement baissé et il est temps aujourd'hui de changer de braquet en matière de ressources humaines. Mais la remise à niveau prendra du temps, car on ne forme pas des professionnels de santé du jour au lendemain, alors même que notre pays en manque déjà cruellement.

Je soutiens la recommandation n° 3 : il est important de renforcer les capacités de l'hôpital d'instruction des armées Clermont-Tonnerre de Brest, établissement essentiel qui participe au service public de santé. Il faut aussi soutenir les autres établissements à proximité, comme l'hôpital de Carhaix, notamment pour son service des urgences.

M. Antoine Lefèvre. - Le SSA est peu connu ; ce service est pourtant une pièce maîtresse de notre système de défense. Notre rapporteur propose de dynamiser les ressources humaines : existe-t-il des passerelles entre la médecine de ville et le SSA ? Est-il envisagé de créer ce type de dispositif pour les internes en médecine? Le recrutement de contractuels devrait être facilité.

Mme Christine Lavarde. - Lors de l'examen de loi de programmation militaire, notre rapporteur spécial avait évoqué des réflexions pour dégager d'éventuelles recettes supplémentaires pour les armées. Le SSA peut-il être mobilisé dans cette perspective ? Ce service est ouvert sur l'extérieur et des civils peuvent venir s'y faire soigner. Le SSA retire-t-il des bénéfices de son activité ?

M. Christian Klinger. - Pourquoi faudra-t-il attendre 2030 pour disposer de la capacité de déployer un hôpital de campagne digne de ce nom ? Ce délai est-il imputable à des facteurs financiers, humains ou techniques ? Un tel établissement peut être utilisé à d'autres fins que des fins militaires : souvenez-vous de l'hôpital de campagne de Mulhouse construit pendant la crise du covid-19. Comment expliquer ces délais ?

M. Claude Raynal, président. -Ma question portera sur votre recommandation no 4 : quels équipements et quels services doivent-ils être réservés à l'armée ? À l'inverse quels sont ceux qui peuvent être d'utilité générale et mis à disposition des armées uniquement lorsque cela est nécessaire ? Derrière cette question se pose celle de la mutualisation et des coûts. Dans une guerre à haute intensité, si les protocoles ont été bien préparés en amont, on peut mettre tous les services de la nation au service de l'armée. Notre rapporteur est-il capable de faire cette distinction - subtile, j'en conviens- entre ce qui relève spécifiquement du militaire et ce qui relève du domaine général ?

M. Dominique de Legge, rapporteur spécial. - Malheureusement, monsieur le président, je ne suis pas en mesure de fournir la clé pour opérer cette distinction très subtile, car elle dépendra forcément des circonstances sanitaires et militaires. Mais je vais essayer de vous donner quelques éléments.

Au fond, une question pourrait être la suivante : a-t-on besoin d'un SSA ? En effet, un patient, qu'il soit militaire ou civil, est toujours un patient. Mais la bonne question, me semble-t-il, est plutôt celle-ci: comment fait-on en temps de guerre pour soigner les blessés ? Les militaires souffrent-ils de pathologies spécifiques - auquel cas le SSA pourrait s'apparenter à un service de médecine du travail ? Plus fondamentalement, les armées ont besoin d'une médecine qui lui soit propre parce qu'en raison de la singularité de leur mission, leur rapport au risque est différent du reste de la société. La société civile exige un service public de la santé totalement sûr, qui apporte le maximum de sécurité. Il ne peut en aller de même pour la médecine militaire qui, par essence, doit accepter une dose de risque. Comme l'a souligné le major général de la Marine lorsque je l'ai entendu, un sous-marin ne peut accueillir à bord, faute de place, qu'un seul médecin et non plusieurs spécialistes de différentes pathologies !

Comment faire dès lors ? Les médecins du SSA ont une connaissance particulière d'un certain nombre de disciplines qui sont essentielles pour traiter les blessures occasionnées au combat. C'est le cas notamment de la traumatologie. Dans l'armée de l'air et de l'espace, les militaires ont parfois des pathologies liées aux variations de pression et à leurs effets sur le coeur. Les médecins du SSA ont acquis une vraie compétence en ce domaine, tout comme dans celui de l'infectiologie pour traiter les maladies rencontrées dans les opérations extérieures, notamment en Afrique. Ces expertises sont mises au service des civils en cas de besoin.

L'enjeu est de trouver le meilleur moyen pour que nos militaires puissent avoir accès aux meilleurs spécialistes, quel que soit l'endroit du globe où ils sont déployés. Les militaires fondent beaucoup d'espoir sur la télémédecine, voire la télé-chirurgie, qui permettrait aux médecins des armées présents sur les théâtres d'opérations d'être accompagnés, à distance, par des spécialistes pour soigner ou même opérer.

En conclusion, je serais tenté de dire que si l'on n'a pas forcément besoin d'une médecine militaire en temps de paix, on a besoin, en revanche, en temps de guerre, de pouvoir disposer, dans l'urgence, d'expertises particulières sur des pathologies précises. Il est difficile de penser que l'on pourra déployer des spécialistes de toutes les disciplines, en nombre, suffisant, sur tous les théâtres d'opérations.

Vous avez été nombreux à m'interroger sur la capacité des armées à recruter des personnels de santé, alors que l'on peine, dans de nombreux territoires, à trouver des médecins et à accéder aux soins. La médecine militaire rencontre les mêmes difficultés de recrutement. Le volet humain est essentiel : je rappelle que les dépenses de personnel représentent trois quart du budget du SSA ! La vraie question est celle de la fidélisation des professionnels de santé. En vertu de leur statut militaire, ils ne peuvent exercer que pendant un certain nombre d'années, tandis que plusieurs d'entre eux sont tentés de rejoindre le privé qui offre de meilleures rémunérations, après avoir accompli la durée minimale de service exigée.

Madame Lavarde, les hôpitaux militaires ne représentent que 0,5 % de l'offre de soins : leur concours est donc marginal, tandis que plus de 70 % de leurs patients sont civils. C'est pourquoi, lorsque nous avons voté la loi de programmation militaire, nous avons tenu compte des recettes versées par la sécurité sociale à raison de l'activité civile des hôpitaux militaires.

Monsieur Klinger, je me demande comme vous pourquoi il faudra attendre 2030 pour pouvoir disposer d'un hôpital de campagne ! Ces délais sont dus tout simplement à des arbitrages réalisés dans le cadre de la loi de programmation militaire qui font que la construction ne pourra pas intervenir avant ! En attendant, il faut continuer de développer en parallèle nos dispositifs d'évacuation médicale. Il est toutefois possible, je crois, de transformer des avions militaires de transport en hôpitaux de premiers secours.

Monsieur Lefèvre, des passerelles entre les médecines civiles et militaires existent, même si elles nourrissent plutôt les fuites de médecins militaires vers le civil... La réponse est la télémédecine : celle-ci permet au médecin généraliste engagé sur le front de recevoir les conseils d'une sorte de back office, installée à l'arrière, pour soigner au plus près.

Michel Canévet a raison : l'hôpital de Brest joue un rôle crucial dans notre système de dissuasion nucléaire. Les médecins projetés dans les sous-marins nucléaires lanceurs d'engin sont issus de cet hôpital. Leur présence à bord permet aux sous-marins de rester en immersion plus longtemps.

Marc Laménie, la « dette grise » est une dette différée : il s'agit des investissements qui ont été reportés, mais qu'il faudra bien réaliser un jour. En attendant, les bâtiments et les équipements continuent à se dégrader. Je n'ai malheureusement pas d'évaluation précise à vous communiquer sur les moyens nécessaires pour procéder à une remise à niveau des hôpitaux militaires dans leur ensemble.

En ce qui concerne la psychiatrie, les besoins en médecins psychiatres sont considérables et l'armée a du mal à en recruter. On pourrait croire que les militaires sont endurcis, mais en réalité la guerre reste traumatisante. Les opérateurs qui réalisent un tir de missile et qui savent, grâce aux écoutes, ce qu'il se passe lorsqu'il atteint sa cible, peuvent être fortement affectés.

Enfin, monsieur Husson, il existe des tensions en matière de recrutement de médecins militaires. Au risque de ne pas être politiquement correct, la forte féminisation du SSA engendre de nombreux congés maternité pendant lesquels les postes ne sont pas couverts à temps plein. Un autre frein aux recrutements tient à la rémunération, souvent inférieure à celle proposée dans le civil, et aux lourdes contraintes de ces postes, qui exigent une très grande disponibilité.

M. Claude Raynal, président. - Je vous remercie.

La commission adopte les recommandations du rapporteur spécial et autorise la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.

La réunion est close à 16 h 45.

La réunion est ouverte à 17 h 05.

Projet de loi de finances pour 2024 - Audition de MM. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, et Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics

M. Claude Raynal, président. - Messieurs les ministres, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, pour la dernière réunion de notre commission avant le renouvellement du Sénat à la suite des élections, nous avons le plaisir de recevoir cet après-midi MM. les ministres Bruno Le Maire et Thomas Cazenave, qui viennent nous présenter le projet de loi de finances (PLF) pour 2024, après sa présentation ce matin en conseil des ministres.

Si M. Le Maire connaît très bien notre commission, c'est la première fois que nous recevons M. Cazenave en tant que ministre délégué chargé du budget et je lui souhaite donc la bienvenue parmi nous.

Je rappelle que notre réunion porte sur le projet de loi de finances pour 2024 et non sur le projet de loi de programmation des finances publiques, sur lequel l'audition du président du Haut Conseil des finances publiques (HCFP) portait également ce matin, le Haut Conseil ayant rendu son avis sur la trajectoire révisée des finances publiques proposée par le Gouvernement en nouvelle lecture de ce texte.

Les sujets sont toutefois liés, puisque ce budget s'inscrit dans la trajectoire définie dans le projet de loi de programmation des finances publiques. Ainsi se fonde-t-il sur un scénario de croissance en 2024 que le Haut Conseil, de même que de nombreux économistes, trouve optimiste. Sans doute pourrez-vous apporter des éléments de réponse sur ce point, messieurs les ministres.

Comme l'an passé, le Gouvernement a fait précéder ce dépôt d'une phase de consultation dans le cadre des dialogues de Bercy. Certains d'entre nous ont pu y participer, mais nos collègues souhaiteront certainement aborder de nombreux sujets avec vous cet après-midi. Nous entamons désormais la phase proprement dite d'examen parlementaire du projet de loi de finances.

Je vous laisse donc la parole pour un propos liminaire, avant de la céder au rapporteur général et à l'ensemble des commissaires de la commission des finances qui souhaiteront vous poser des questions.

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. - Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, je suis très heureux de vous retrouver pour la septième fois afin de vous présenter un projet de loi de finances.

Le projet de budget pour 2024, j'ai eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises, est présenté dans un contexte très particulier. L'économie française résiste, le taux de croissance est de 1 %, la création d'emplois se poursuit, notre pays est devenu le plus attractif pour les investissements étrangers en Europe. Toutefois, dans le même temps, nous faisons face à une inflation persistante, qui brouille tous les repères. Elle pèse terriblement sur la vie quotidienne de nos compatriotes et suscite beaucoup d'anxiété, pour ne pas dire de nervosité, dans la société française. Ce projet de loi de finances doit donc nous permettre de relever trois défis, qui s'inscrivent dans des calendriers différents.

Le premier défi, c'est de mâter définitivement l'inflation. Le deuxième, c'est de désendetter le pays et de réduire les déficits. C'est, comme le Premier président de la Cour des comptes l'a rappelé, un impératif catégorique alors que les taux d'intérêt ont pris 300 points de base en l'espace de quelques années. Le troisième défi, c'est de dégager des marges de manoeuvre à un moment où il est indispensable d'investir dans la transition écologique, mais aussi dans la défense et dans la sécurité face au retour de la guerre en Europe. Il nous faut rendre ces trois défis conciliables dans le projet de loi de finances : la lutte contre l'inflation, le rétablissement des comptes et l'investissement. Cela suppose de la méthode, de la détermination et une très grande clarté dans les choix politiques.

Il faut d'abord mettre fin à la flambée des prix et poursuivre la lutte contre l'inflation, laquelle commence à donner des résultats, puisque celle-ci ralentit aujourd'hui en France. Cela implique de mettre en oeuvre une politique budgétaire cohérente avec la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE). Alors que l'argent devient cher, que la BCE restreint la mise à disposition de liquidités et appuie sur le frein, rien ne serait plus absurde, même s'il peut être tentant d'ouvrir les vannes de la dépense budgétaire, que d'appuyer sur l'accélérateur. Nous irions tous dans le décor ! C'est là un choix de politique économique, clair et assumé. Nous ne pouvons pas rouvrir de nouveau les vannes de la dépense budgétaire, d'abord parce que la situation de nos finances publiques ne le permet pas, ensuite parce que cela serait absurde en termes de politique économique et en contradiction totale avec les efforts de la BCE pour ramener l'inflation au niveau cible de 2 %.

Autre principe de politique publique : l'État ne peut pas tout payer. Je revendique donc le choix que nous avons fait de faire appel aux distributeurs, aux industriels et aux entreprises privées. Je préfère obtenir des efforts de leur part plutôt que de céder à la facilité de la dépense publique.

Olivia Grégoire et moi avons travaillé pendant plusieurs semaines sur les prix dans la grande distribution et nous avons obtenu des industriels et des distributeurs qu'ils bloquent ou baissent les prix de 5 000 références. Je préfère ça plutôt que de nouvelles subventions ou de nouvelles aides. Nous avons également demandé à Total de bloquer les prix à la pompe à 1,99 euro le litre au-delà du 31 décembre ; nous l'avons obtenu. De même, nous avons demandé à un certain nombre de distributeurs de vendre à prix coûtant ; nous l'avons obtenu. Peu importe donc les moqueries que peuvent nous valoir ces choix politiques, nous les maintiendrons parce que nous ne viendrons à bout de l'inflation que collectivement. Avoir toujours recours à la dépense publique est une bien mauvaise idée, sachant en outre que la charge de la dette s'élèvera à 74 milliards d'euros en 2027.

Par ailleurs, je rappelle que l'État prend toute sa part à la lutte contre l'inflation en indexant les prestations sociales, les retraites et le barème de l'impôt sur le revenu sur l'inflation. Le bouclier anti-inflation, il est là : il représente 4,5 milliards d'euros pour l'indexation des prestations sociales et des minima sociaux, 14 milliards d'euros pour les retraites et 6 milliards d'euros pour l'impôt sur le revenu, soit 25 milliards d'euros au total.

Aussi, quand j'entends certains dire que l'inflation permet à l'État de se remplir les poches, je me dis qu'ils sont soit mal informés, soit malhonnêtes. Comme je ne peux pas croire à la malhonnêteté des responsables politiques, de quelque bord qu'ils soient, je vais leur donner l'information : l'augmentation des recettes de TVA liée à l'inflation, c'est 10 milliards d'euros, soit deux fois moins que ce que nous dépensons pour la revalorisation des retraites, des minima sociaux et l'indexation du barème de l'impôt sur le revenu.

Pour dire les choses encore plus simplement, l'inflation coûte très cher à l'État. Aussi je ne laisserai personne - personne ! - dire que l'État s'en met « plein les poches », parce que le dire, c'est affaiblir l'État. Je le dis à tous ceux qui veulent devenir chef de l'État un jour : ils seraient bien mal avisés de critiquer le comportement de l'État alors qu'il protège nos compatriotes. L'État ne cherche pas à se remplir les poches en période inflationniste, bien au contraire : il dépense plus qu'il ne reçoit.

Par ailleurs, face à la situation très particulière des carburants, nous avons pris des décisions afin de protéger ceux qui travaillent. Nous assumons ce ciblage, car nous pensons qu'il faut aider en priorité ceux qui se rendent sur le lieu de travail. Dans ma circonscription rurale, certaines personnes parcourent 50, 60, voire 120 kilomètres par jour. L'augmentation des prix des carburants est insupportable pour elles. Cela leur coûte plus cher d'aller travailler que de rester chez elles ! Comme le coeur de notre politique, c'est le travail, nous avons décidé de mettre en place une indemnité carburant pour les travailleurs des cinq premiers déciles. Au total, 4,3 millions de personnes sont concernées. L'indemnité est fonction du véhicule, assuré, bien entendu. Son montant est de 100 euros, ce qui représente une économie de 20 centimes par litre de carburant sur six mois. Cette dépense me paraît légitime et nécessaire.

Voilà pour ce qui concerne le premier objectif du PLF : faire baisser l'inflation et protéger ceux qui en souffrent le plus, soit les plus modestes, ceux dont les revenus sont les plus faibles.

Ce premier défi doit se conjuguer avec le deuxième, qui est d'accélérer notre désendettement. L'objectif à long terme est d'atteindre 2,7 % de déficit public en 2027, un endettement de 108 % et un taux de prélèvements obligatoires de 44,4 %, contre 45,4 % aujourd'hui. Pour tenir cette trajectoire, il faut que le pied d'appel soit solide.

Le projet de loi de finances pour 2024 prévoit 16 milliards d'euros d'économies. Certains trouveront que ce n'est pas suffisant, mais ces économies ne sont pas faciles, contrairement à ce que j'entends dire ici ou là. Il n'est pas facile de supprimer totalement le bouclier sur le gaz et sur l'électricité. Nous le ferons parce que les prix du gaz et de l'électricité sont revenus à la normale. Cela représente 10 milliards d'euros d'économies. Il n'est pas simple de réaliser des économies sur les politiques de l'emploi. Nous le ferons alors que nous approchons d'une situation de plein emploi. Nous recentrerons les dispositifs d'aide exceptionnelle aux entreprises, ce qui permettra de réaliser une économie de 4,4 milliards d'euros.

Au total, l'État dépensera 491 milliards d'euros en 2024, contre 496 milliards d'euros en 2023, soit 5 milliards d'euros de moins. C'est un effort notable dans une période d'inflation.

Cette première marche doit être accompagnée d'une politique plus structurelle de réduction des déficits, de choix plus avisés en matière de dépenses publiques et d'accélération du désendettement.

L'accélération du désendettement reposera sur trois principes très simples. Le premier, c'est la croissance. Je ne crois absolument pas à un désendettement par l'austérité. L'austérité tue la croissance, c'est la croissance qui permet de réduire le niveau de dette publique par rapport à la richesse. La meilleure façon de réduire la part de la dette publique dans la richesse, c'est d'abord d'augmenter la richesse par la croissance. Cela restera le principe cardinal de notre politique. Si nous voulons continuer de diminuer les impôts, si nous voulons engager une baisse d'un milliard d'euros de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) l'année prochaine, c'est pour nourrir la croissance, qui permettra ensuite d'accroître notre prospérité et de réduire la part de la dette publique.

Le deuxième levier, ce sont les réformes de structure : la réforme des retraites et celle de l'assurance chômage rapporteront, à elles deux, près de 25 milliards d'euros à l'horizon de 2027. Seules des réformes de structure permettent de dégager des économies aussi significatives.

Enfin, le troisième levier, ce sont les revues des dépenses publiques. Elles nous ont déjà permis d'identifier 2 milliards d'euros d'économies à terme sur le dispositif Pinel et plusieurs centaines de millions d'euros sur les opérateurs de l'État. Ces revues seront poursuivies chaque année jusqu'en 2027. Une quinzaine de secteurs publics seront examinés chaque année, l'objectif étant d'augmenter notre rendement par rapport au PLF pour 2024 et ainsi de mieux dépenser l'argent des Français.

Ces revues des dépenses, aussi nécessaires soient-elles, ne seront pas suffisantes. Pour être efficaces et durables, elles doivent s'inscrire dans une réflexion plus globale sur les missions de l'État, sur le périmètre de l'action publique et sur les fondements de notre modèle social. Nous sommes arrivés au point où ce débat démocratique doit avoir lieu. Sans cela, il n'y aura pas d'équilibre des finances publiques. J'invite tous les parlementaires qui le souhaitent à participer à cette réflexion.

Autre objectif, nous devons préparer l'avenir et investir en ce sens. Nous investirons d'abord dans l'éducation et la santé, priorité du Président de la République. Ensuite, nous investirons dans le régalien avec la loi de programmation militaire (LPM), la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi), et la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice, afin de garantir la sécurité de nos compatriotes.

Cet investissement doit porter, en priorité absolue, sur la décarbonation de notre économie afin de faire de la France la première économie décarbonée à horizon de 2040 en Europe.

Nous porterons le budget de MaPrimeRénov' à 5 milliards d'euros, nous amplifierons la vente de véhicules électriques grâce à un bonus et à la mise en place du leasing à 100 euros par mois dès mi-novembre, et nous continuerons de favoriser la production d'énergie nucléaire en achevant les négociations avec EDF sur le tarif de l'électricité.

Nous allons convertir la fiscalité, en passant d'une fiscalité favorable aux énergies fossiles à une fiscalité qui apporte des avantages exclusifs aux énergies vertes. L'accord trouvé avec les agriculteurs et avec le secteur des travaux publics prouve que nous pouvons dialoguer et aboutir à un compromis afin de reverser l'intégralité des recettes du fossile vers le vert, sur la base d'un accord solide.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Je suis très heureux de vous présenter le budget de l'État, résultat d'une méthode - le dialogue - et d'un esprit de responsabilité - Bruno Le Maire a évoqué une boussole pour agir pour l'avenir.

Ce PLF 2024 est la consécration de la transition écologique en tant qu'urgence absolue. Avec ce budget, nous permettons un financement historique de la dette écologique, à côté de notre dette financière. Le PLF prévoit un investissement supplémentaire de 10 milliards d'euros dédié au financement de la transition écologique, et donc à la mise en oeuvre de la stratégie de planification écologique présentée par la Première ministre ; cela se traduit très concrètement par 7 milliards d'euros de crédits de paiement supplémentaires. Par exemple, nous permettons la construction des RER métropolitains dans le cadre de la prochaine génération des contrats de plan État-Région ; 550 millions d'euros seront engagés pour la rénovation thermique des bâtiments de l'État ; le « plan haies » bénéficiera de 110 millions d'euros d'engagements ; le fonds chaleur recevra 300 millions d'euros supplémentaires pour le chauffage urbain et la décarbonation du chauffage des entreprises et des ménages ; les collectivités locales bénéficieront de la pérennisation du fonds vert, porté à 2,5 milliards d'euros dont 500 millions d'euros pour la rénovation des écoles, comme annoncé par le Président de la République. Nous inciterons tous les acteurs à s'engager en faveur de la transition écologique en créant un crédit d'impôt pour l'investissement dans l'industrie verte pour soutenir la décarbonation de notre industrie, mais aussi en renforçant le malus automobile pour les voitures les plus polluantes. Nous cherchons à amplifier tous les leviers pour le financement de la transition écologique en dotant par exemple le futur plan d'épargne avenir climat d'un régime fiscal incitatif et en mettant à contribution les gestionnaires des infrastructures des transports les plus émetteurs pour financer le transport ferroviaire.

Les collectivités ont aussi un rôle majeur à jouer. Nous travaillons avec les associations d'élus pour permettre la généralisation des budgets verts dans les collectivités territoriales. L'enjeu est de nous doter d'une boussole commune et d'adapter nos outils financiers à la nouvelle donne écologique.

Ce budget est également celui du réarmement des services publics pour nos concitoyens : nous investissons massivement dans nos services publics, garants de notre cohésion sociale : plus 3,9 milliards d'euros pour l'éducation nationale, 1 milliard d'euros pour la recherche et l'enseignement supérieur, 3,3 milliards d'euros pour nos armées, 1 milliard d'euros pour le ministère de l'intérieur, 500 millions d'euros pour la justice. Nous augmentons la rémunération des enseignants, nous permettons la poursuite du programme d'investissements dans les matériels prévu par la LPM, nous finançons l'acquisition de nouveaux matériels pour notre police.

Au-delà de ces chiffres, le service public, ce sont des femmes et des hommes. Ce budget 2024 permettra de recruter 6 700 agents publics supplémentaires pour l'État et 1 580 pour les opérateurs de l'État. Nous créons 3 000 postes d'accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH), 1 900 postes pour la justice, 2 600 postes pour la police, et recrutons 700 agents supplémentaires pour mettre en oeuvre la transition écologique. Ces créations sont une réponse à ceux qui nous reprochent d'avoir délaissé nos services publics : rien n'est plus faux.

Arrêtons d'opposer l'État et les collectivités locales : nous portons ensemble les services publics. Les concours financiers de l'État aux collectivités s'élèvent à 54,8 milliards d'euros en 2024 et la dotation globale de fonctionnement (DGF) augmentera à nouveau de 220 millions d'euros - après une hausse en 2023 qui était la première depuis 12 ans. Dès cet exercice budgétaire, pour renforcer les capacités d'investissement des collectivités, nous étendons le fonds de compensation de la TVA (FCTVA) aux dépenses d'aménagement, évolution très attendue par de nombreux élus et qui représente un effort de 250 millions d'euros pour l'investissement public local.

Ce projet de loi de finances, ce sont aussi de grands équilibres avec un cap clair : la réduction des déficits publics. Investir pour l'avenir, c'est maîtriser nos comptes publics. Je souhaite tenir un langage de vérité, puisque vous connaissez aussi la réalité de nos comptes. L'État a pu protéger massivement parce qu'il avait réduit son déficit public en 2018 à 2,3 % du PIB. Un État qui consacre plus aux intérêts de la dette qu'au budget de l'éducation nationale - ce qui sera le cas en 2027 - ne peut plus prétendre être tourné vers l'avenir.

Les dépenses de l'État vont passer de 496 à 491 milliards d'euros, une baisse historique, qui s'explique d'abord par la sortie des dispositifs de crise. Les mesures exceptionnelles mises en oeuvre au plus haut de la crise énergétique ne peuvent pas durer ; nous devons en sortir progressivement. Ce sera le cas en 2024 où nous dépenserons 14 milliards d'euros de moins pour les mesures exceptionnelles.

Mais en même temps nous devons lutter contre la vie chère et redonner du pouvoir d'achat aux Français. C'est pourquoi nous revalorisons les tranches du barème de l'impôt sur le revenu, tout comme les pensions et les minima sociaux, en créant un véritable bouclier contre l'inflation. Les économies, importantes, sur le budget viennent des réformes structurelles : nous économiserons 350 millions d'euros sur la politique de l'emploi avec la réduction du chômage, et 500 millions d'euros en améliorant l'efficacité et l'efficience de notre politique de formation professionnelle. Ainsi, le déficit budgétaire en 2024 va baisser, passant de 165 milliards d'euros à 145 milliards d'euros. Nous tiendrons la cible de 4 % de solde public. Nous devons continuer dans cette lancée et trouver 12 milliards d'euros d'économies structurelles. C'est pourquoi nous allons relancer et muscler les revues de dépenses qui associeront naturellement les parlementaires.

Enfin, ce PLF est un PLF antifraude. Avant d'être un enjeu financier, la lutte contre la fraude est un enjeu de cohésion et de justice sociale. Il n'y a pas de consentement à l'impôt si l'État n'est pas en mesure de garantir à nos concitoyens que tous ceux qui doivent payer des impôts le font effectivement. Le PLF et le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) vont instaurer une dizaine d'outils juridiques nouveaux pour mieux lutter contre la fraude, dont voici quelques exemples : face à la nouvelle donne numérique, nos administrations pourront déréférencer les vendeurs des plateformes numériques qui ne respectent pas leurs obligations fiscales. Nous allons autoriser les agents du fisc à mener des cyberenquêtes sous pseudonyme. Nous lutterons contre ceux qui achètent à l'étranger et revendent en France sans payer la TVA. Nous allons créer une peine complémentaire de privation des bénéfices des crédits et des réductions d'impôts pour les particuliers condamnés. Nous mettrons en place un nouveau délit d'incitation à la fraude fiscale afin de poursuivre tous les intermédiaires qui proposent des montages d'évasion fiscale, sans attendre la condamnation de leur client. C'est une manière d'empêcher la fraude à la source et nous le ferons également pour les fraudes aux aides sociales. Enfin, nous créons des sanctions administratives pour lutter contre la fraude aux aides publiques.

En parallèle de la création de 1 500 postes à la direction générale des finances publiques (DGFiP) sur le contrôle fiscal, c'est 1 000 agents supplémentaires d'ici à 2027 qui se consacreront à la lutte contre la fraude au sein des caisses de sécurité sociale. Enfin, nous devons renforcer la sécurité de nos agents en leur permettant de délocaliser certains contrôles et d'en réaliser anonymement. Il s'agit de les protéger, en écho au drame qui est survenu en novembre dernier. Nous proposons ces mesures dès le texte initial, mais nous sommes en situation de l'enrichir. Lors des dialogues de Bercy, et certains d'entre vous y ont participé, la lutte contre la fraude a été évoquée par la plupart des participants et nous sommes preneurs de vos propositions dans ce domaine comme dans d'autres.

Enfin, ce PLF repose sur une méthode, le dialogue. J'ai réuni les parlementaires de tous bords lors des dialogues de Bercy ou de réunions bilatérales. Nous avons associé naturellement les associations d'élus locaux et les entreprises pour construire ce budget.

C'est aussi une main tendue aux collectivités territoriales. Dans le cadre du pacte girondin, nous avons créé avec Bruno Le Maire le Haut Conseil aux finances publiques locales (HCFPL) pour échanger d'égal à égal entre l'État et les collectivités territoriales, et s'agissant du PLF, à l'issue des dialogues de Bercy, nous avons identifié des thématiques communes sur lesquelles les différents groupes du Sénat comme de l'Assemblée nationale souhaitent travailler - le logement, la justice fiscale, la transition écologique... Nous sommes à votre disposition pour continuer à enrichir le texte qui vous est présenté, un texte initial qui n'est pas le texte final.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je remercie le ministre de l'économie et des finances - durable, car il est inoxydable, présent depuis le premier gouvernement nommé en 2017 après l'élection du Président de la République. Je souhaite la bienvenue au ministre des comptes publics. Au Sénat, nous avons toujours eu des débats constructifs et apaisés, malgré nos désaccords.

Beaucoup d'entre nous sortent d'une période intense de dialogue et de visites sur le terrain. Il y a un monde entre une partie des propos que vous venez de tenir et la situation ressentie sur les territoires.

Je commencerai par deux remarques générales sur les grands équilibres de ce PLF.

D'une part, avec les transferts de TVA à d'autres personnes morales que l'État, le budget de l'État devient hypersensible à la volatilité de l'impôt sur les sociétés, qui prend une place essentielle dans ses ressources, ce qui n'est pas souhaitable.

D'autre part, vous prévoyez plusieurs milliers d'équivalents temps plein (ETP) supplémentaires en 2024. Cela me conduit à vous interroger sur la ligne du Gouvernement sur les recrutements dans la fonction publique ? Le Président de la République a renoncé à la suppression de 50 000 postes dans la fonction publique d'État qu'il avait initialement promise. Quelle est donc la ligne actuelle ? Le Président de la République ne l'a pas évoquée dans sa prise de parole dimanche dernier.

Monsieur le ministre de l'économie, je suis assez frappé par votre souplesse et ce que j'appellerais la pratique du grand écart. D'un côté, vous présentez une image sérieuse, apôtre de la rigueur, voire une forme d'austérité, souriante certes. Mais, de l'autre, depuis six ans que vous êtes ministre des finances, jamais vous n'avez baissé la dépense publique. Même si l'on retranche les mesures exceptionnelles ou de crise : ces dépenses ont toujours augmenté, que ce soit en valeur ou en volume. Tous les jours, ou presque, de nouvelles annonces de dépenses d'un ministre, de la Première ministre, voire du Président de la République, chargent la barque.

Le PLF 2024 prévoit encore une hausse de 2,2 % des dépenses hors mesures exceptionnelles.

Je pense qu'il faut agir plus et faire moins de déclarations qui perdent l'opinion et les élus, avec le danger que cela représente. Les finances magiques, ça n'existe pas !

Votre programmation budgétaire jusqu'en 2027 est fondée sur une seule hypothèse : votre capacité à faire baisser la dépense publique comme jamais aucun gouvernement n'est parvenu à le faire précédemment.

Vous vous abritez derrière la revue de dépenses, censée faire économiser des dizaines de milliards d'euros. Or, je ne vois pas d'économie : toutes les dépenses budgétaires sont à la hausse. D'ailleurs, monsieur le ministre des comptes publics, vous nous en avez fait un florilège en annonçant des hausses un peu partout.

La réalité, c'est l'absence quasi totale d'économies structurelles. D'ailleurs, vous financez des mesures pérennes grâce à la disparition des mesures exceptionnelles. Vous tentez de renvoyer la balle, voire la responsabilité, aux parlementaires, comme l'an dernier. Chacun son rôle : l'exécutif doit assumer des choix, les proposer, et ensuite les deux assemblées se prononcent.

Messieurs les ministres, quand allez-vous proposer une réduction des dépenses publiques, une meilleure gestion de nos finances publiques ?

J'évoquerai un deuxième sujet, les carburants. Je rappellerai les déclarations récentes du Gouvernement, que j'ai eu du mal à suivre : l'an passé, une remise généralisée qui coûte 8 milliards d'euros, ensuite un chèque carburant, puis l'annonce par la Première ministre d'une autorisation de vente à perte, avec un projet de loi disparu une semaine après l'annonce. Et aujourd'hui vous nous parlez désormais d'une aide ciblée de 100 euros par an pour les ménages modestes... Quel est l'objectif, quels sont les montants consacrés et combien de foyers seront concernés ?

Par ailleurs, pouvez-vous nous dire quel est le niveau effectif de consommation des crédits pour l'aide ciblée à destination des gros rouleurs mise en place en 2023, avec combien de bénéficiaires ? Pour mémoire, un milliard d'euros de crédits avaient été inscrits en 2023.

Je poursuivrai sur le prix de l'énergie et de l'électricité. Vous avez déclaré que vous ne laisseriez pas ce prix augmenter de plus de 10 % en février prochain, comme le prévoit la Commission de régulation de l'énergie (CRE). Mais cette année ces prix ont augmenté de 10 % en catimini au milieu de l'été, remettant en cause votre engagement initial de plafonner l'augmentation à 15 % sur l'année. Peut-on vous croire pour 2024 ? Vous n'avez pas tenu votre parole pour 2023. Par ailleurs, cet engagement est-il compatible avec la fin du « quoi qu'il en coûte » ?

Enfin, le PLF propose la transposition de la directive européenne visant à assurer un niveau minimum d'imposition mondial des grandes entreprises, avec une proposition de taux de 15 %. Comment ce taux s'articulera-t-il avec celui de l'impôt sur les sociétés français, qui est actuellement à 25 % ? Et quelles recettes fiscales cet impôt pourrait-il engendrer en France ?

M. Claude Raynal, président. - Rien ne vaut une bonne séance de rentrée pour répondre à un nombre significatif de questions du rapporteur général et tout à l'heure des sénateurs...

M. Bruno Le Maire, ministre. - C'est toujours un plaisir de répondre aux questions pertinentes du rapporteur général.

Je partage votre avis sur l'impôt sur les sociétés et la TVA, mais tout le monde veut de la TVA. La part de recettes de TVA revenant à l'État atteint juste 50 %. Lorsqu'on supprime la taxe d'habitation, pour un coût de 20 milliards d'euros, c'est la TVA, recette dynamique, que veulent les collectivités locales.

Je suis non pas un apôtre de l'austérité, mais des comptes publics bien tenus. Je serais un ministre des finances inoxydable : en 2017 et 2018, nous avons rétabli les finances publiques et sommes sortis de la procédure pour déficit public excessif, avec des décisions courageuses, comme la suppression de tous les emplois aidés. Ce n'était pas facile.

Nous avons pris des décisions structurelles pour revenir sous les 3 %, et je vous invite à faire des propositions pour revenir sous ce seuil en 2027.

Mon objectif n'est pas l'austérité, mais d'avoir de la dépense publique bien employée et qui augmente moins vite que l'inflation.

Je ferai aussi preuve d'un peu de malice : dans votre famille politique, certains disent qu'il faut rétablir les finances publiques, mais ne cessent de proposer des dépenses supplémentaires : supprimer la TVA sur les carburants - 10 milliards d'euros ! - ou octroyer une remise sur les carburants, comme nous l'avons fait l'année dernière, sur la proposition du groupe Les Républicains à l'Assemblée nationale, ce qui nous a coûté 12 milliards d'euros. Et puis d'autres, comme Bruno Retailleau, président du groupe Les Républicains au Sénat, et le Président du Sénat, dont je salue la sagesse, ont dit que ce n'était pas possible. Je me range plutôt de leur côté, eux qui estimaient qu'une remise générale sur les carburants était une triple erreur.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Mais vous l'avez commise.

M. Bruno Le Maire, ministre. - Nous l'avons faite sur proposition du groupe Les Républicains à l'Assemblée nationale. Je suis obligé de le reconnaître...

M. Daniel Breuiller. - La faute est partagée...

M. Bruno Le Maire, ministre. - C'est une erreur pour les finances publiques, car cela coûte trop cher ; une erreur pour le climat, car nous subventionnons ainsi les énergies fossiles ; une erreur géopolitique puisque la Russie et l'Arabie saoudite ont réduit leur production de pétrole pour faire augmenter les prix. Les prix se stabiliseront voire augmenteront au-dessus du niveau actuel de 85 dollars le baril. Entraîner nos finances publiques dans un puits sans fond serait irresponsable. Il faut aider ceux qui travaillent et accélérer l'indépendance énergétique de la France en déployant les véhicules électriques, les biocarburants... Cela prend du temps et il y a un délai entre la solution immédiate et ce que peuvent se payer les contribuables. Mais un leasing à 100 euros dès le 15 novembre sans apport initial est une solution, de même que l'accélération du déploiement des bornes de recharge rapide, y compris en zone rurale. Je préfère investir dans ces solutions pour notre indépendance qu'être pieds et poings liés à l'Arabie saoudite et à la Russie. Ce serait folie de dépenser l'argent public pour acheter du pétrole, qui irait dans les poches de MM. Poutine ou ben Salmane.

L'indemnité carburant, comme l'année précédente, concernera 4,3 millions de foyers pour 430 millions d'euros. Nous pouvons débattre du ciblage, mais nous privilégions les plus modestes : une majorité des bénéficiaires est en zone rurale, et c'est légitime.

La CRE évoque une augmentation de 10 à 20 % en janvier, mais c'est hors de question. Nous ne sommes pas là pour créer des inquiétudes supplémentaires chez nos compatriotes. Nous verrons quels choix nous devrons prendre en fonction du prix de l'électricité. Celui-ci a baissé car EDF en produit davantage et a remis en fonctionnement des réacteurs arrêtés pour corrosion sous contrainte. Je félicite les agents d'EDF de ce travail considérable effectué dans des délais rapides. Notre priorité est d'avoir le plus grand nombre de réacteurs en état de fonctionnement et de réaliser d'ici à 2035 les six nouveaux réacteurs pressurisés européens (EPR).

L'imposition minimale sur les sociétés sera effective début 2025 après le règlement des difficultés techniques. Elle rapportera 1,5 à 1,6 milliard d'euros par an, soit une recette fiscale significative.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Je félicite le rapporteur général pour sa réélection.

Concernant la part des économies structurelles, nous revoyons la politique de l'emploi à mesure que le chômage baisse, par exemple sur les contrats aidés dans le secteur marchand. Nous économisons 500 millions d'euros en renforçant l'efficience de la politique de formation et en révisant les coûts-contrats. Les excédents générés par l'assurance chômage sont la conséquence à la fois des bonnes performances du marché du travail et de la réforme de l'assurance chômage.

La révision des dispositifs fiscaux évalués et jugés peu efficaces comme le Pinel constitue aussi des réformes structurelles. Dès 2024, nous enclencherons donc des réformes structurelles, mais celles-ci devraient être beaucoup plus importantes à partir de 2025 avec 12 milliards d'euros d'économies attendues. Nous allons faire passer la part des dépenses publiques dans le PIB de 57,7 % à 53,8 %. C'est un effort très significatif, puisqu'elles progresseront en volume moins vite que le PIB, avec un effort renforcé sur le périmètre État. Nous avons donc une trajectoire ambitieuse de baisse progressive et continue de la dépense publique. Nous sommes ouverts à toutes les propositions des parlementaires lors des revues de dépenses. Il est indispensable d'ouvrir le chantier du coût de notre organisation collective, comme déjà évoqué lors des dialogues de Bercy. Notre organisation collective génère une dynamique de dépenses très importante entre l'État, ses agences et les collectivités territoriales. Je suis convaincu, comme les élus locaux, que nous pouvons faire plus simple et donc moins coûteux. Travaillons ensemble sur ce type de réformes structurelles qui permettraient de ralentir le rythme de la dépense.

M. Claude Raynal, président. - À titre personnel, j'ai goûté l'échange piquant sur les chèques énergie ou la réduction du prix de l'essence... Vous avez raison, d'un côté il y avait le groupe Les Républicains à l'Assemblée nationale, tandis qu'ici leur groupe était beaucoup plus prudent...

M. Bruno Le Maire, ministre. - C'est la sagesse...

M. Claude Raynal, président. - Les députés Les Républicains ont une part de responsabilité dans les 12 milliards d'euros de la mesure, mais vous-même aussi, en disant oui, au bénéfice d'une alliance que l'on peut dire de circonstance...

M. Vincent Éblé. - Éphémère...

M. Claude Raynal, président. - ... car elle n'aura pas duré longtemps. Au final, la mesure aura coûté 12 milliards d'euros à tout le monde. Donc j'ai du mal à vous féliciter les uns et les autres...

M. Michel Canévet. - Ici, nous préférons le débat parlementaire pour aboutir à un budget le plus équilibré possible, plutôt que les seuls dialogues de Bercy, pour autant qu'ils soient utiles néanmoins. Le groupe de l'Union centriste avait proposé un report de la baisse de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Nous sommes heureux que le Gouvernement nous ait entendus sur ce point. Nous aurions souhaité aussi le report de la suppression de la redevance audiovisuelle, car cela représente 3,2 milliards d'euros de dette supplémentaire chaque année. Nous vous ferons part d'autres propositions.

Les éventuelles aides sur les carburants doivent être dédiées à ceux qui travaillent et en lien avec les employeurs, comme le suggère le ministre. Il faut associer le secteur privé.

Nous sommes très inquiets de la situation du logement, qui est en panne. Les ménages modestes devraient pouvoir disposer de prêts à taux zéro (PTZ) pour accéder à la propriété, facteur essentiel d'insertion.

Sur la fiscalité, vous avez évoqué l'accord avec les agriculteurs. Il faudrait suivre la même trajectoire pour les travaux publics. Une trajectoire différenciée serait source d'inégalités de traitement, notamment faute de solution alternative sur les modes de propulsion des engins. Ne pénalisons pas l'activité d'entreprises, au risque sinon de réduire d'autres recettes.

Il faut accompagner les entreprises du secteur de la pêche, qui souffrent terriblement.

Près de 90 % des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) sont en déficit, ce qui appelle des mesures fortes. L'équilibre du PLFSS est difficile à trouver, mais il faut que la solidarité s'exerce et que ces établissements fonctionnent.

Nous apprécions qu'on revienne au remboursement par le FCTVA des aménagements de terrains, mais il reste à régler le décalage de versement de la TVA à de nombreuses collectivités : il est anormal que les collectivités se voient rembourser la TVA plus de deux ans après avoir réalisé un investissement.

M. Marc Laménie. - Merci de votre présentation. Malgré des avancées significatives, l'autonomie financière des collectivités territoriales reste un problème latent. Actuellement, les communes ne conservent que les taxes foncières. La taxe d'habitation est compensée à l'euro près, l'État reste historiquement le premier partenaire des collectivités territoriales avec l'ensemble des dotations de fonctionnement. Des inquiétudes persistent pour la DGF, malgré la revalorisation.

Quel avenir pour les aides à l'investissement, comme la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) ou le fonds vert ?

M. Hervé Maurey. - Je suis toujours très étonné de l'autosatisfaction des membres du Gouvernement, très éloignée de ce que l'on entend sur le terrain, qu'on soit ou non en campagne électorale...

Vous prétendez que la réduction de la dette est une priorité, mais son niveau est inédit, et nous allons emprunter 285 milliards d'euros cette année. Nous sommes le troisième pays le plus endetté. Ce matin, le président du Haut Conseil des finances publiques estimait que l'on pouvait faire beaucoup mieux sans austérité. Pourquoi ne pas s'engager dans cette voie ?

Le compte n'y est pas pour le Haut Conseil des finances publiques locales. Le Gouvernement annonce très fièrement une augmentation de 220 millions d'euros des dotations - soit 0,8 % - alors que l'inflation des collectivités territoriales se situe entre 4 et 5 %. Cette année encore, il y aurait 1 milliard d'euros de perte. Les collectivités territoriales ne peuvent indéfiniment servir d'amortisseur ; de plus, les maires ont été extrêmement choqués que le Président de la République mette sur le dos des communes l'augmentation de la taxe foncière.

Avec Stéphane Sautarel, je suis rapporteur spécial sur les transports. La taxe sur les concessions devrait rapporter 600 millions d'euros. Quelle répartition est prévue entre les aéroports et les autoroutes ? Comment éviter toute répercussion sur les usagers ? Les contrats de concessions autoroutières sont plus favorables aux concessionnaires qu'aux usagers...

Comment se répartissent les 700 millions d'euros prévus pour les infrastructures, entre le routier et le ferroviaire, notamment pour la régénération et la modernisation du ferroviaire ?

Vous avez accepté qu'Île-de-France Mobilités augmente la part du versement mobilité. Les autres autorités organisatrices de la mobilité (AOM) veulent le faire ; cette autorisation est-elle un précédent ?

Mme Christine Lavarde. - Ma première question concerne le crédit d'impôt sur l'industrie verte, dont le coût cumulé a fortement augmenté entre les annonces initiales - 2 milliards d'euros - et ce qui figure dans le budget - 3,7 milliards d'euros... J'avais compris que les coûts associés à l'industrie verte devaient être nuls pour les finances publiques grâce aux économies sur les dépenses brunes. Comment assurez-vous cette neutralité ?

Vous êtes largement revenu sur le bonus écologique. Il nous est difficile d'avoir un avis éclairé sur les montants alloués aux bonus cette année si nous ne connaissons pas la grille des véhicules éligibles ou si nous la découvrons au milieu, voire à la fin de l'instruction du PLF. Il serait cohérent que nous en disposions avant l'examen des crédits de la mission.

Dernier sujet, plus compliqué : nous avons bien noté l'élargissement de l'enveloppe du FCTVA. De quelle enveloppe parlez-vous désormais : uniquement le compte 212 « Agencements et aménagement de terrains » et des sous-comptes 2121 et 2128 ? Que faites-vous alors des comptes 213 « Construction » et 215 « Réseaux » qui sont particulièrement utilisés dans l'aménagement des zones d'aménagement concerté (ZAC) ? L'aménagement des ZAC repose sur des contrats de concession. Pour qu'ils puissent être de nouveau éligibles au FCTVA, il faudrait revenir sur l'abrogation qui a été faite en loi de finances initiale (LFI) pour 2019 de l'article 1615-11 du code général des collectivités territoriales (CGCT). Parlementaires, nous ne pouvons faire cette modification, contrairement au Gouvernement. Je souhaite disposer de toutes ces précisions sur des dispositions réglementaires même si nous n'allons voter que des crédits consacrés au FCTVA.

Toujours sur le FCTVA, j'ai bien noté que dans la LPFP votée en 2022, 7 milliards d'euros de crédits étaient ouverts en 2024 ; dans la nouvelle LPFP corrigée, l'enveloppe atteint 7,1 milliards d'euros, soit une augmentation uniquement de 100 millions d'euros, ce qui n'est pas cohérent avec les 250 millions d'euros supplémentaires annoncés. Avez-vous revu la prévision des dépenses socles dans la trajectoire et avez-vous bien ajouté 250 millions d'euros, ou l'effort n'est-il que de 100 millions d'euros en 2024 ? Qu'en sera-t-il des dépenses de 2022 et de 2023 ? La règle risque d'être un peu différente entre ceux qui sont compensés en année N et ceux qui sont compensés avec retard.

M. Antoine Lefèvre. - Les perspectives financières du PLF et de la LPFP laissent supposer un optimisme gouvernemental dépassant la réalité des indicateurs macroéconomiques : non seulement la voilure des recettes budgétaires et fiscales se réduit, mais l'État se réengage dans un « quoi qu'il en coûte » court-termiste. Ce dimanche a été annoncé un nouveau chèque carburant pour les 50 % des ménages les plus modestes, avec à la clef une addition de plus de 500 millions d'euros. Il serait plutôt audacieux de se réjouir de prévisions de croissance à 1,4 % en 2024 quand le déficit demeurerait à 4,4 %, avec une charge de la dette de 285 milliards d'euros, faisant de la France le premier émetteur de la zone euro, d'autant que cette prévision de croissance ne saurait être atteinte qu'en respectant des conditions extrêmement optimistes, selon le Premier président de la Cour des comptes. La France sera le dernier pays, avec la Slovaquie, à repasser sous le seuil des 3 % en 2027. À l'aube de la renégociation des critères de Maastricht prévue en 2024, pensez-vous tenir un discours crédible devant nos partenaires européens ? La promesse de geler le livret A à 3 % jusqu'au 1er janvier 2025 pourra-t-elle être tenue ?

M. Christian Klinger. - Lundi, devant la commission des finances de l'Assemblée nationale, vous avez indiqué que l'augmentation de la fiscalité du gazole non routier (GNR) pour les agriculteurs et les entrepreneurs de travaux publics serait affectée à l'accompagnement de ces professions. Quel sera le bilan financier global ? Toutes les recettes fiscales supplémentaires ont-elles vocation à être transformées en dépenses nouvelles ? Prévoyez-vous, dans le budget, d'affecter juridiquement ces recettes à des dépenses, et si oui, sous quelle forme et avec quel suivi ?

M. Daniel Breuiller. - Ce sera mon dernier commentaire général, puisque je quitte bientôt cette belle assemblée. Monsieur le ministre, vous avez une grande constance dans vos choix budgétaires. J'étais heureux de vous entendre parler de la « folle dépendance » au pétrole - il y a aussi une folle dépendance au gaz de schiste lorsqu'il se substitue au pétrole. J'encourage ces progrès sémantiques !

Les 7 milliards d'euros supplémentaires consacrés à la transition écologique sont une « moyenne » bonne nouvelle. J'attends de voir en détail les affectations, a priori plutôt dans l'industrie verte que dans d'autres champs de la transition. Nous vous proposerons des aménagements. Si nous voulons tenir la trajectoire Pisani-Mahfouz, cela supposerait que les collectivités territoriales investissent 14 milliards d'euros... Comment le pourraient-elles ? Les 220 millions d'euros supplémentaires au titre de la DGF ne permettent pas une hausse, car ce montant n'empêche, en réalité, pas une baisse de la capacité d'action des collectivités territoriales, monsieur Cazenave. Ce n'est pas à vous que je dois le faire exprimer publiquement ! Les collectivités auront des difficultés à prendre leur part à cette transition alors qu'elles en sont un maillon essentiel.

Je vous remercie de reprendre quelques-unes de nos propositions que vous aviez rejetées pour le PLF 2023 : l'augmentation MaPrimeRénov', la taxation des autoroutes, la réduction de l'avantage défiscalisé d'Airbnb, ainsi que le report de la suppression, hasardeuse, de la CVAE. Mais vous prenez des décisions par petites touches sans changer vos choix fondamentaux.

Vous avez évoqué un triangle contraint, auquel j'ajouterai un côté : le refus de tout nouveau prélèvement sur les plus aisés, y compris sur les superprofits, même si vous avez fini par obtenir une taxation européenne.

Financer les services publics et la transition écologique nécessite de trouver de nouvelles recettes, sinon nous nous perdrons dans le triangle des Bermudes. Nous subissons actuellement un réchauffement de 1,2 degré, avec des conséquences dramatiques chaque année, et nous nous avançons vers une France à +3,5 ou 4 degrés. Personne ne peut dire ce qu'il en sera... La dette climatique est au moins aussi importante que la dette financière et peut bouleverser totalement notre cohésion sociale. Faites preuve d'intelligence : plutôt que d'attendre un an pour amender, écoutez attentivement les amendements proposant un impôt de solidarité sur la fortune (ISF) vert pour financer davantage cette transition. D'autres amendements écologistes pourraient enrichir ce budget puisqu'il est ouvert et non bouclé, selon M. Cazenave.

M. Claude Raynal, président. - Merci pour cette dernière intervention en commission.

M. Jean-Michel Arnaud. - Vous cherchez des recettes complémentaires. J'espère que vous intégrerez la proposition du président Marseille de taxer les profits exceptionnels. Il s'agit non pas de faire l'aumône auprès des grands groupes pétroliers, mais de faire en sorte que ceux qui se sont gavés puissent restituer une partie de leurs surprofits. Je vous remercie des soutiens fiscaux pour l'accession à la propriété des ménages.

J'ai noté la prorogation de quatre ans du PTZ. Acceptez qu'il ne soit pas uniquement dédié aux ménages modestes urbains dans des logements collectifs, mais aussi aux jeunes gens dans les campagnes, y compris pour une maison individuelle, qui reste le modèle dominant dans le secteur agricole.

Je vous remercie d'avoir annoncé ce matin, dans la presse, que vous étiez favorable au report de l'interdiction de location de certains logements disposant d'un mauvais classement énergétique. Pouvez-vous nous le confirmer ici ? J'espère que vous vous en ferez l'avocat au sein du Gouvernement pour éviter une crise majeure du logement.

Cet été, nous avions évoqué à Briançon le bouclier tarifaire. J'ai lu avec attention la prolongation temporaire du bouclier tarifaire sur l'électricité. Qu'en est-il des discussions entre EDF et des opérateurs publics ou parapublics, comme des communes ou des régies de remontées mécaniques, qui ont été méprisées par EDF dans sa dernière proposition ? EDF leur propose 50 euros pour un surcoût de 400 euros par rapport aux factures habituelles. Par exemple, la commune de Saint-Léger-les-Mélèzes se retrouve en grande difficulté faute de pouvoir payer ses factures : 90 % du déficit lié à ce surcoût n'est pas compensé ni accompagné par l'État. La collectivité est en grave difficulté.

Mme Frédérique Espagnac. - Tout à fait.

M. Didier Rambaud. - La création d'un impôt minimum pour les grandes entreprises et les multinationales est une mesure phare de ce PLF. Pour sortir de l'ambiance un peu rabat-joie de cette commission,...

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - C'est une mauvaise interprétation !

M. Didier Rambaud. - ...il s'agit d'une victoire pour notre pays : depuis 2017, la France agit aux côtés de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Peut-on envisager une application au niveau européen pour les particuliers ?

Sur la TVA, le ministre Cazenave a décliné toutes les mesures. Le Sénat était particulièrement actif sur la lutte, complexe, contre la fraude à la TVA. Quelles sont les prochaines étapes de cette lutte ?

M. Bernard Delcros. - Nous saluons le crédit d'impôt pour les industries vertes. Quelles filières concernera-t-il, et avec quelle ventilation ?

Nous saluons le plan de lutte contre la fraude et les moyens consacrés. Avez-vous évalué les recettes potentielles qui en résulteraient ?

Plusieurs dizaines de niches fiscales arrivent à échéance en fin d'année. Allez-vous les évaluer pour savoir s'il faut les reconduire ?

Je m'associe à MM. Canévet et Arnaud sur le PTZ : le recentrage ne doit pas se faire au détriment des zones rurales. Attention aux définitions : dans une zone non tendue, on ne doit pas priver des jeunes d'accéder à la propriété. C'est un sujet extrêmement sensible et plus important qu'il n'y paraît. J'en appelle à votre bienveillance et à la concertation.

M. Albéric de Montgolfier. - Monsieur Cazenave, je vous invite à lire et à écouter le Sénat à la veille du PLF : si le Gouvernement l'avait écouté sur la hausse de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), nous n'aurions pas eu le mouvement des « Gilets jaunes » ; et nous aurions eu depuis sept ans la taxation solidaire des plateformes...

Êtes-vous prêts à nous communiquer l'avis du Conseil d'État sur le PLF ? Sinon, pour quelles raisons ? Avez-vous quelque chose à cacher ?

M. Thierry Cozic. - Ce PLF ressemble à un vertigineux exercice d'équilibrisme, tant le « trilemme » auquel vous souhaitez faire face est antinomique. Cet exercice chute devant la nécessité affichée d'engager la transition écologique, tout en maintenant la cohésion sociale, et en mettant en place des politiques d'austérité budgétaire. Vous ne voulez pas de hausse d'impôt et souhaitez verdir l'économie, mais avec peu de mesures pour augmenter le pouvoir d'achat.

Vous voulez investir massivement dans la transition écologique. Mais sans nouvelles recettes fiscales et en baissant trop les dépenses publiques comme l'éducation ou le social, vous aboutissez à un triangle d'incompatibilités.

Pour faire face à nos engagements de réduction des gaz à effet de serre d'ici à 2030, les besoins de financement sont importants, selon le rapport Pisani-Mahfouz. Le financement de la transition climatique représenterait un surcroît d'investissement de 2,3 % du PIB par an, soit 66 milliards d'euros. Nous en sommes très loin !

Selon Pierre Mendès-France, « gouverner c'est choisir ». Choisir, c'est aussi renoncer. En refusant les moyens nécessaires à la transition écologique, vous renoncez à vos propres engagements.

Monsieur Cazenave, vous reconnaissiez récemment nos deux dettes, l'une budgétaire, l'autre écologique. Au regard de vos choix dans ce PLF, la première semble conditionner la seconde. Pourtant, des solutions existent et le groupe socialiste en propose, comme l'ISF vert et le renforcement de la progressivité de l'impôt. Les personnes ayant la chance d'avoir une meilleure situation doivent contribuer davantage. Seriez-vous prêt à soutenir ces mesures de bon sens pour combler ces deux dettes, tout en faisant preuve de justice sociale ?

M. Stéphane Sautarel. - Le désendettement mériterait d'être plus important. Je reviens sur l'inflation et le rythme de la transition écologique. Vous avez évoqué les contraintes normatives et réglementaires sur les bâtiments et la mobilité. Si ces aspects étaient reconsidérés dans le contexte de l'inflation actuelle, ils ne coûteraient pas à l'État. Nous appelons à une réforme réglementaire et de révision du calendrier dans lequel nous sommes engagés sur de nombreux sujets, dont le rythme n'est pas soutenable actuellement.

Mon deuxième point concerne les collectivités territoriales. Je ne reviendrai pas sur la DGF et le FCTVA, qui ont déjà été évoqués. Je dirai simplement qu'il convient que le Gouvernement fasse davantage confiance aux collectivités territoriales. Le ministre des comptes publics a dit que nos coûts de structure étaient importants. Il suffirait pourtant de supprimer un certain nombre d'agences ou d'opérateurs de l'État et de faire confiance aux collectivités territoriales pour faire « maigrir » notre dépense publique ! Je suis d'ailleurs surpris, à cet égard, que vous proposiez d'augmenter le nombre de postes au sein des opérateurs de l'État.

Enfin, je voudrais vous interroger sur les RER métropolitains. Une enveloppe de 700 millions d'euros est prévue dans le projet de loi de finances, mais, au printemps, il était question de 800 millions d'euros dans le cadre des contrats de plan État-région (CPER) et l'on sait que le coût de réalisation des 13 RER métropolitains identifiés s'élève à 15 ou 20 milliards d'euros. Ces dépenses ne seront pas soutenables pour les collectivités si une ingénierie financière spécifique n'est pas mise en place. En tout cas, je note l'écart entre les annonces du Gouvernement et les crédits réellement débloqués.

Mme Frédérique Espagnac. - Vous avez annoncé, dans une interview parue dans Le Parisien, la réduction de l'abattement fiscal - actuellement de 71 % - pour la location de meublés de tourisme classés dans les zones tendues, afin de l'aligner sur celui de la location classique de meublés, qui s'élève à 50 %. Comptez-vous également réviser les plafonds - très élevés - de revenus locatifs qui permettent de bénéficier de ce régime : ces derniers s'établissent à 188 700 euros pour la location de meublés classés et à 77 000 euros pour les autres meublés. À titre de comparaison, les loueurs de logements nus de longue durée ne bénéficient que d'un abattement de 30 % si les revenus locatifs n'excèdent pas 15 000 euros : ce dernier régime reste donc désavantageux, alors même que la location vide est moins rentable. Ce sujet est particulièrement sensible dans les Pyrénées-Atlantiques et au Pays basque.

Avec Bernard Delcros, nous avons rédigé deux rapports, l'un dans le cadre de nos travaux au Sénat et l'autre qui a été remis à Jean Castex, alors Premier ministre, sur la préservation des zones de revitalisation rurale (ZRR). Nous préconisions notamment, afin d'accompagner la revitalisation des communes, la création d'un dispositif complémentaire, les ZRR+, qui comporterait une bonification de la dotation de solidarité rurale (DSR), des exonérations fiscales pour les entreprises, mais aussi pour le secteur médical et celui des aides à la personne, notamment les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes. Je voudrais donc vous interroger sur l'automaticité de ces exonérations fiscales, notamment pour les entreprises et les professions libérales, et sur les aides destinées aux collectivités. Ce projet de loi de finances comporte-t-il des mesures concernant les ZRR ?

M. Charles Guené. - Les relations entre l'État et les collectivités territoriales ne sont pas bonnes ! Le Gouvernement a pourtant installé cette année le Haut Conseil des finances publiques locales. Est-ce le résultat des échanges épistolaires que nous avons eus ? Cette initiative en tout cas est intéressante et je m'en réjouis, mais tout n'est pas encore formalisé ni bien défini. Certaines personnes n'ont pas été invitées et le cadre reste informel.

Surtout, pour que le dispositif fonctionne, il faut de la confiance. Hier, au Comité des finances locales (CFL), nous devions nous prononcer sur un projet de décret précisant les modalités de répartition de la part dynamique de TVA à la suite de la suppression de la CVAE. Les ministres et leurs services nous ont bien expliqué quel serait le montant de TVA qui serait perçu par les collectivités, mais lorsqu'il s'est agi d'obtenir des éclaircissements sur les 650 millions qui avaient été distraits l'an passé au profit de la finance verte et des départements, nous n'avons pas eu d'explication et la discussion s'est arrêtée là. C'est typique : le Gouvernement et les collectivités ne cessent, comme vous l'avez dit, monsieur le ministre, de se renvoyer la balle et la responsabilité, au lieu de parler du fond des sujets. Si l'on veut avancer, il faut parler vrai, tout mettre sur la table et éviter de passer notre temps à nous chicaner.

M. Jean-Baptiste Blanc. - Dans un entretien publié dans Le Parisien, vous avez proposé de réviser le barème du prêt à taux zéro pour mieux l'ouvrir aux jeunes ménages et de créer un prêt à taux bonifié. Or le texte du projet de loi de finances ne contient pas ces mesures ; il réduit au contraire la portée du prêt à taux zéro. Comptez-vous introduire vos propositions par voie d'amendement ? Ma question fait écho à celle de Jean-Michel Arnaud sur le zéro artificialisation nette (ZAN) ; nous ferons d'ailleurs des propositions sur ce sujet dans les prochaines semaines. C'est aussi la question de l'avenir du modèle pavillonnaire en milieu rural qui est posée.

L'article 17 limite dans le temps ou supprime vingt et une dépenses fiscales, dont douze qui concernent le logement. S'agit-il seulement de modifications techniques ? Quelle est votre réflexion sur la réorientation, nécessaire, de ces dépenses fiscales vers la transition écologique et la réduction de l'artificialisation dans le logement et l'urbanisme ?

Enfin, que pouvez-vous nous dire concernant la réforme de la fiscalité des locations meublées ?

M. Bruno Le Maire, ministre. - Vos questions sont nombreuses... Nous allons nous efforcer d'y répondre, avant de retourner sur les bancs de l'Assemblée nationale pour l'examen du projet de loi de programmation des finances publiques.

M. Canévet m'a interrogé sur le report de la suppression de la CVAE : il est sage, alors que la situation de nos finances publiques est tendue, d'étaler dans le temps la baisse de la CVAE, même si je suis convaincu que la diminution des impôts de production est une nécessité absolue. Plus tôt nous pourrons supprimer ces derniers, mieux cela sera pour l'industrie française ! Les effets positifs de la réindustrialisation sont nombreux : revitalisation de certains territoires, meilleurs salaires, hausse de la qualification et de la productivité des salariés, etc.

En ce qui concerne les abattements sur le GNR pour les agriculteurs, les entreprises de travaux publics et les transporteurs routiers, les situations de ces secteurs sont très différentes. Les droits d'accise sur le gazole s'élèvent à 60,75 centimes d'euro par litre de carburant. Pour les agriculteurs, ils sont de 3,89 centimes, soit le niveau le plus faible en Europe. Dans les travaux publics, ils sont un peu plus élevés. Pour les transporteurs, ils s'établissent actuellement à 42 centimes, soit plus que la moyenne européenne.

Nous avons eu des discussions avec ces secteurs pendant six mois et nous avons trouvé des accords. Il me semble que cette méthode est exemplaire si nous voulons réussir la transition écologique, trouver des consensus, comprendre les contraintes de chacun et apporter des réponses. La brutalité, ça ne marche pas ! On ne fera pas la transition écologique à coup de diktats. Il faut associer les gens, les écouter et trouver des solutions. En tout cas, telle sera toujours ma méthode.

Avec les agriculteurs, nous nous sommes mis d'accord sur une augmentation des accises de 2,85 centimes par litre de carburant, par an, jusqu'en 2030. À cette date, les agriculteurs conserveront un avantage fiscal très élevé, de presque 50 % par rapport au niveau des accises sur le gazole en France : ce n'est que justice et cela me paraît être un bon accord.

Les entreprises des travaux publics ne sont pas, à la différence des agriculteurs, exposées à la concurrence internationale. En outre, elles bénéficient d'une indexation des contrats sur l'inflation. Pour ce secteur, l'évolution sera un peu plus rapide, avec une hausse des accises de 5,99 centimes par litre de carburant par an.

La hausse sera ainsi lissée dans le temps et l'intégralité des recettes fiscales supplémentaires ira aux secteurs concernés. Certes, il ne s'agit pas d'une affectation juridique, car le droit ne permet pas d'affecter ces taxes, mais, grâce à une transparence totale, il sera possible de vérifier que les recettes supplémentaires iront bien à la transformation des exploitations agricoles et des entreprises de travaux publics.

Nous avons abouti à ces accords après six mois de discussions et des dizaines de réunions. C'est la bonne méthode, j'y insiste, en matière de transition écologique. On n'impose pas, on discute et on trouve des compromis. Certes cela prend du temps. Toutefois je préfère cette méthode à ceux qui font des déclarations péremptoires dans les médias pour affirmer qu'il faut supprimer tous les avantages fiscaux sur le GNR, mais qui, finalement, décident de ne rien faire lorsqu'ils sont confrontés aux protestations et aux manifestations des professions concernées. Entre ne rien faire et sortir progressivement des énergies fossiles, je préfère la seconde option.

Monsieur Maurey, il n'y a pas d'autosatisfaction dans mes propos. Je rappelle simplement les bons résultats de l'économie française, que l'on doit aux salariés et aux entrepreneurs. Oui notre dette est élevée, mais elle est soutenable : le spread, l'écart de taux d'intérêt avec l'Allemagne, est stable depuis 2022, autour de 50 ou 60 points de base et n'a pas explosé. C'est la preuve que nous devons maintenir notre trajectoire de désendettement.

La taxe sur les infrastructures de transport de longue distance devrait rapporter environ 600 millions d'euros - 150 millions prélevés sur les aéroports et 450 millions sur les concessions autoroutières. À ceux qui pensent que cette taxe aboutira à une explosion du prix des péages, je rappelle que nous nous sommes assurés auprès du Conseil d'État que l'instauration de cette taxe ne modifierait pas la règle selon laquelle les tarifs des péages sont fixés par arrêté du Gouvernement. Ils suivent l'inflation, mais les sociétés concessionnaires d'autoroutes ne pourront pas répercuter cette taxe sur les usagers. Cette dernière ne vise qu'à faire en sorte que les activités polluantes, qui utilisent des énergies fossiles et brunes, financent la transformation écologique du pays et le transport ferroviaire.

Madame Lavarde, le coût du crédit d'impôt sur les industries vertes n'a pas changé. Cela dépend de la période de référence. Nous prenons 2030, soit un niveau plus élevé qu'en 2027 : 3,7 milliards d'euros - qui devraient rapporter 23 milliards d'euros d'investissement - iront principalement aux batteries électriques. Nous ouvrons énormément d'usines de batteries électriques en France, par exemple dans le Vercors. Une partie plus modeste ira aux éoliennes, aux panneaux photovoltaïques et aux pompes à chaleur... Nous souhaitons accélérer la montée en puissance.

Accorder un crédit d'impôt sur ce type d'activité n'a de sens que si l'on favorise la production industrielle française et européenne. Je suis déterminé à livrer ce combat. Il ne sert à rien de développer l'industrie verte pour avoir nos propres pompes à chaleur, batteries et véhicules électriques si l'on donne des bonus à des industries extra européennes. Je plaide pour que, comme en Chine et aux États-Unis, il y ait des aides à contenu européen : soit un produit industriel comprend 60 % de contenu européen et il a droit à l'aide, soit il ne la touche pas. Cela heurte beaucoup la doxa de certains en Europe, mais ce n'est pas le premier combat que je livre - je pense aux GAFA, à la taxation minimale, à la taxe carbone aux frontières... Je compte sur le soutien de la représentation nationale.

Nous n'avons pas encore rendu les derniers arbitrages sur le bonus. Nous voulons augmenter les aides à l'achat d'un véhicule électrique pour les classes moyennes et modestes. Cela n'a de sens que si ces aides sont réservées aux véhicules les plus respectueux de l'environnement. Ceux-ci sont produits en Europe : tant mieux !

Monsieur Lefèvre, nos prévisions de croissance sont en phase avec celles de l'OCDE et du Fonds monétaire international (FMI).

Le taux du livret A sera bien maintenu à 3 %. J'ai signé un arrêté et j'ai l'habitude de respecter ma signature.

Monsieur Klinger, j'ai répondu sur la fiscalité du GNR et l'affectation.

Je salue la dernière intervention de Daniel Breuiller et le remercie pour la qualité du travail que nous avons fait ensemble. Oui, nous évoluons. Si le débat au Parlement ne faisait pas progresser les parlementaires et les ministres, il ne servirait à rien. Voilà l'intérêt du débat démocratique serein et approfondi qui a lieu au Sénat : faire bouger les lignes. Nous l'avons fait sur MaPrimeRénov' - augmentée de 1,6 milliard d'euros - sur la CVAE - je veux aller le plus vite possible - et sur les locations Airbnb - nous allons modifier la fiscalité. Je me félicite de ces victoires utiles pour la collectivité.

Monsieur Arnaud, je suis prêt à parler de la contribution sur la rente inframarginale, c'est-à-dire les recettes récupérées sur les profits élevés réalisés par certains énergéticiens. Mise en place en 2022 par l'Union européenne, prorogée en 2023, elle s'arrête à la fin de l'année. Si les parlementaires veulent la maintenir, nous sommes ouverts à la discussion.

L'interdiction de location des passoires thermiques commençait pour les logements classés G+ au 1er janvier 2023. Je demande que l'application soit soutenable pour les propriétaires. Or cela pose problème dans de nombreuses copropriétés où il n'y a pas d'accord. On ne peut pas leur dire : « débrouillez-vous ! ». Les solutions sont encore beaucoup trop complexes actuellement.

Les diagnostics de performance énergétique (DPE) sont-ils l'instrument le plus efficace pour évaluer une passoire thermique ? Ils favoriseraient le chauffage au gaz, au détriment de celui à l'électricité. Est-ce cohérent ? Je suis ministre, mais aussi citoyen : j'écoute mes compatriotes, qui veulent plus de clarté, de simplicité et d'accompagnement. Ils ont raison. Tel était l'objet de la discussion que j'ai eue avec des lecteurs du journal Le Parisien. Ces discussions sont aussi utiles que celles avec le Parlement pour la présentation du budget.

Redonnez-moi la liste des communes concernées par la renégociation avec EDF. Je suis agacé : il y a un principe. J'ai demandé au président d'EDF de faire preuve de diligence. Quand une commune s'approvisionne à des tarifs beaucoup trop élevés, elle doit pouvoir renégocier ses contrats. J'apprends par des maires ruraux ou de montagne qu'EDF leur accorde généreusement un chèque de 50 euros par mois. Ce n'est pas possible !

M. Jean-Michel Arnaud. - Exact.

M. Bruno Le Maire, ministre. - Donnez-moi la liste des communes et leurs contrats. Mon énergie est inépuisable pour défendre nos concitoyens et nos communes.

Monsieur Rambaud, l'impôt minimum sur les multinationales sera mis en place à partir de 2025 et apportera des recettes en 2026. Il est possible de prévoir la même chose pour les particuliers, mais seulement au niveau européen. Il ne s'agit pas de pénaliser la France fiscalement. Si l'on m'explique que les plus fortunés voient, pour des raisons légales, leur niveau d'imposition baisser, et qu'il faudrait mettre en place une telle imposition européenne minimale, je suis prêt à en discuter. Je l'ai fait pour les plus grandes entreprises, qui avaient les moyens de réduire leur impôt en dessous des 15 %.

Monsieur Delcros, je vous ai répondu sur le crédit d'impôt pour les industries vertes.

Monsieur de Montgolfier, la commission des finances du Sénat peut accéder à l'avis du Conseil d'État. Je ne souhaite pas rendre celui-ci public, car cela pourrait donner des arguments à nos adversaires pour attaquer les dispositifs fiscaux français. Le risque est trop élevé. Le président et le rapporteur général de votre commission ont tout pouvoir pour fournir ces informations aux sénateurs, en s'assurant qu'elles ne soient pas divulguées.

Monsieur Cozic, l'indexation des prestations est une réponse très efficace au pouvoir d'achat, sans compter la contribution sur les carburants.

Monsieur Sautarel, je suis d'accord avec vous sur le rythme de la transition écologique.

Madame Espagnac, je vous confirme un abattement de 71 à 50 % pour les locations de meublés classés dits principalement Airbnb. Nous ferons attention à ce que les gîtes ruraux ne soient pas concernés ; c'est une vraie inquiétude. Enfin, nous alignerons les seuils - 288 700 euros à 72 600 euros - pour que la mesure soit efficace, juste et qu'elle protège le Pays basque cher à notre coeur à tous les deux.

Monsieur Guené, le HCFPL est un instrument extraordinairement efficace, permettant un dialogue d'égal à égal entre l'État et les collectivités territoriales. Je n'en peux plus des postures et des pétitions de principe où, par médias interposés, on dit que l'État reproche aux collectivités territoriales d'avoir un niveau d'épargne brute trop élevé, tandis que les collectivités territoriales se plaignent d'être fauchées. Il faut discuter sérieusement autour de la table. La composition finale du HCFPL n'est pas arrêtée. Je cherche l'efficacité et la simplicité, d'où la nomination de représentants de l'Association des maires de France (AMF), de Régions de France et de l'Assemblée des départements de France (ADF). Oui à un possible élargissement à d'autres associations d'élus, mais sans être cinquante...

Monsieur Blanc, les évolutions sur le PTZ ne figurent pas dans le PLF, car elles sont le fruit de la discussion avec les députés. Nous avons reconnu que le choix gouvernemental initial était trop fermé. La redéfinition du barème du PTZ faisait qu'avec des taux plus élevés et des apports plus faibles, plus personne ou presque ne pouvait en profiter. Tel n'était pas l'objectif. Nous devons faire évoluer le barème pour que les classes moyennes aient accès au PTZ. Je suis prêt également à réviser des éléments de zonage et à travailler sur un prêt à taux intermédiaire, un peu inférieur au prix du marché.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Monsieur Canévet, après le rapport sur les Ehpad de Christine Pires Beaune à la Première ministre, un fonds d'urgence de 100 millions d'euros a été mis en place. Nous expérimentons par ailleurs dans le PLFSS de nouveaux modes de financement. Il s'agit d'une réforme structurelle.

Monsieur Laménie, je vous renvoie aux travaux du rapporteur général de l'Assemblée nationale : l'autonomie fiscale des collectivités territoriales baisse, mais leur autonomie financière augmente. Dans le dernier PLF, nous avons ouvert plusieurs outils appréciés des élus locaux comme la majoration de la taxe d'habitation sur les résidences secondaires (THRS) et nous avons étendu le périmètre d'application de la taxe sur les logements vacants. Cela leur permettra de répondre aux difficultés de logement.

La DGF augmentera de 220 millions d'euros après une hausse de 320 millions d'euros, et le fonds vert augmentera pour s'établir à 2,5 milliards d'euros. Les concours financiers augmentent de plus de 1 milliard d'euros entre le PLF 2023 et le PLF 2024.

Monsieur Maurey, la taxe foncière est un impôt 100 % local. La majorité ne souhaite pas revenir sur l'évolution des bases foncières votée en 2016, indexée sur l'inflation. Les élus peuvent donc faire tous les choix possibles : soit baisser leur taux face à l'augmentation de la base, soit le maintenir - comme l'ont décidé 85 % des communes -, soit l'augmenter. C'est très bien ainsi. Nous avons dû batailler à l'Assemblée nationale contre des groupes d'opposition qui voulaient plafonner l'évolution des bases foncières. Notre solution est plus respectueuse de la libre administration des collectivités territoriales et de leur autonomie fiscale, mais l'État n'est pour rien dans l'évolution de la taxe foncière.

Madame Lavarde, effectivement ce n'est pas à travers le PLF qu'on choisit les comptes éligibles au FCTVA. Je vous confirme que seul le compte 212 est concerné, et non les comptes 213 et 214. Nous ne faisons pas de rétroactivité en raison du coût que cela représenterait pour les finances publiques. Toutes les associations d'élus ont salué notre décision et le périmètre concerné : 250 millions d'euros, ce n'est pas rien dans la période actuelle. On ne retrouve pas exactement ces chiffres dans la LPFP, car c'est une chronique progressive. On arrivera à 250 millions d'euros en 2026. Je suis à votre disposition pour vous apporter davantage de précisions.

Monsieur Breuiller, il ne faut pas comparer les 7 milliards d'euros de la transition écologique de l'État avec la part publique du rapport Pisani-Mahfouz. Bien sûr, il n'y a pas de transition écologique sans les collectivités territoriales. Nous encourageons l'investissement par le fonds vert, nous réorientons les investissements vers les enjeux de la transition écologique, nous mobilisons 100 milliards d'euros de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) sur les enjeux climat. Un amendement voté lundi soir en commission des finances de l'Assemblée nationale sur la LPFP prévoit une trajectoire pluriannuelle de financement de la transition écologique, ce qui permettra de faire toute la clarté sur les financements publics et privés. Cela était attendu par de nombreux groupes politiques.

Les ministres Christophe Béchu et Dominique Faure déclineront les enjeux de la transition écologique dans des COP régionales. C'est une bonne méthode.

Monsieur Rambaud, les prochaines étapes de lutte contre la fraude à la TVA sont notamment le dropshipping, pour lutter contre ceux qui, sur des sites internet, importent des produits fabriqués à l'extérieur et les revendent en France sans application de la TVA. Nous allons renforcer notre dispositif pour les sanctionner. L'injonction numérique permettra de déréférencer sur des plateformes de commerce en ligne des entreprises qui ne respectent pas leurs obligations fiscales. Nous créerons aussi une représentation fiscale unique pour collecter la TVA, car ces sujets sont extrêmement techniques. Il est parfois très difficile, pour les agents de la DGFiP, de remonter la fraude à la TVA.

Monsieur Delcros, tant pour les dépenses fiscales que sociales, nous allons plafonner et conserver l'échéance à trois ans de toutes les niches pour garantir leur bonne évaluation. Bruno Le Maire vous a répondu sur votre proposition de travail sur le PTZ.

Monsieur de Montgolfier, je suis très heureux d'échanger au Sénat. Vous aviez fait des propositions de lutte contre la fraude à la TVA dans vos travaux antérieurs, qu'on retrouve dans notre plan contre la fraude : nous nous inspirons des travaux des deux chambres.

Monsieur Sautarel, je suis très preneur de vos pistes d'économies pour l'État, les agences et les collectivités territoriales. Je vous invite à participer à la revue de mission pour réaliser des réformes structurelles. Toutes les bonnes volontés sont les bienvenues pour ce chantier colossal.

M. Claude Raynal, président. - Je vous remercie. Je salue Gérard Longuet qui nous a toujours bluffés par la qualité de ses interventions en tant que rapporteur spécial de la mission « Enseignement scolaire ». Je remercie également Charles Guéné, rapporteur spécial de la mission « Relations avec les collectivités territoriales », ainsi que Daniel Breuiller, rapporteur spécial de la mission « Travail et emploi ». Deux heures après son arrivée pour remplacer une sénatrice élue à l'Assemblée nationale, il parlait comme s'il était là depuis six ans ! C'est un vrai savoir-faire. Merci pour tous vos apports à notre commission.

La réunion est close à 18 h 30.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.