Mercredi 11 octobre 2023

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Essor du secteur privé lucratif dans l'enseignement supérieur - Audition de MM. Laurent Champaney, président de la Conférence des grandes écoles (CGE) et Philippe Choquet, président de la Fédération des établissements d'enseignement supérieur d'intérêt collectif (Fésic)

M. Laurent Lafon, président. - Nous entamons cette nouvelle session parlementaire avec une série d'auditions consacrées au thème de l'éducation. Nous avons le plaisir de recevoir Laurent Champaney, président de la Conférence des grandes écoles (CGE) et Philippe Choquet, président de la Fédération des établissements d'enseignement supérieur d'intérêt collectif (Fésic), pour évoquer l'évolution de l'offre en matière d'enseignement supérieur et plus particulièrement la part prise, au sein de cette offre, par les acteurs privés.

En vingt ans, le paysage de l'enseignement supérieur français s'est profondément transformé. Historiquement occupé par l'université et les grandes écoles, il se caractérise aujourd'hui par un foisonnement d'acteurs et le dynamisme d'une offre privée composée d'établissements d'enseignement supérieur privés non lucratifs, les EESPIG, reconnus il y a dix ans par la loi Fioraso, et d'établissements privés à but lucratif dont certains ont largement tiré profit de la réforme du financement de l'apprentissage.

L'objectif de cette matinée d'échanges n'est pas d'opposer le public au privé ni, au sein de cette seconde catégorie, le privé lucratif au privé non lucratif. Il s'agit plutôt, grâce à votre connaissance du secteur et votre expertise, d'appréhender les conséquences de cette évolution et de comprendre les tensions qui sont apparues, ces derniers mois, sur le sujet.

Il s'agit aussi d'apporter des réponses aux questions légitimes des élèves et de leurs familles qui se trouvent dans l'incompréhension voire dans le désarroi en constatant que les frais de scolarité - souvent élevés - qu'ils ont déboursés ne leur garantissent ni des formations reconnues par l'État ni l'obtention de diplômes leur permettant de poursuivre leurs études dans l'enseignement supérieur.

Il s'agit enfin d'entendre vos réactions - et d'écouter vos éventuelles propositions - concernant les premières annonces des pouvoirs publics en ce domaine, en particulier la création d'un label de qualité pour l'enseignement privé évoquée par la ministre Sylvie Retailleau lors de sa conférence de presse de rentrée ou à la mise en place d'une plateforme répertoriant les formations publiques et les formations privées bénéficiant d'une reconnaissance par l'État évoquée par Anne-Sophie Barthez, directrice générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle et soutenue par la médiatrice de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur.

En un mot, nous souhaitons contribuer à dissiper le flou et la confusion qui règnent sur ce sujet et dont nos étudiants et leurs familles sont les premières victimes.

M. Laurent Champaney, président de la Conférence des grandes écoles. - Je suis directeur général de l'école nationale supérieure d'Arts et Métiers (ENSAM), qui est une école d'ingénieurs, et président de la Conférence des grandes écoles (CGE), qui regroupe 238 grandes écoles. Les deux-tiers de ces écoles sont publiques, placés sous la tutelle d'une dizaine de ministères - la Défense, l'Agriculture, l'Enseignement supérieur, la Culture... -, et un tiers sont des écoles privées, les établissements d'enseignement supérieur privé d'intérêt général (EESPIG) et les établissements d'enseignement supérieur consulaires (EESC). La Conférence des grandes écoles compte, enfin, cinq écoles hors contrat, qui délivrent des diplômes certifiés mais qui ne sont pas qualifiées d'intérêt général ni consulaires. Ce sont des écoles qui ont rejoint des groupes privés plus grands.

Nous constatons l'apparition d'acteurs nouveaux, que nous découvrons sur les salons d'orientation, proposant des formations fondées sur des titres inscrits au Répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) et disposant d'une souplesse et d'une liberté d'action que nos établissements n'ont pas. Les établissements qui délivrent des diplômes accrédités et certifiés - par l'État français et ses organismes d'accréditation comme la commission des titres d'ingénieur, le haut comité d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur, ou la commission d'évaluation des formations et diplômes de gestion (CEFDG) -, ont, du fait de la délivrance de ces diplômes ou de leur accréditation, des obligations pour accompagner les étudiants à la réussite : cela va de l'ouverture à l'international, au vivre-ensemble, à des mesures visant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Les écoles doivent ainsi mettre en place un environnement éducatif propre à former des cadres pour les entreprise de demain. En revanche, les officines qui apparaissent se contentent strictement de la partie formation professionnelle, avec des intervenants professionnels et sans équipe pédagogique à proprement parler. Nous ne mettons pas en cause la compétence de leurs intervenants, mais la formation délivrée par ces officines n'inclut pas ce volet « accompagnement » que je viens de décrire. Par ailleurs, ce modèle fonctionne par la confusion entre les outils d'accréditation et diplômes relevant du ministère de l'enseignement supérieur, d'une part, et les outils comme les titres inscrits au RNCP, qui sont entre les mains du ministère du travail, à destination des entreprises pour contractualiser avec des organismes de formation lorsqu'elles ont besoin de certains profils professionnels, ou encore comme Qualiopi, qui est une certification des prestataires d'actions de formation, d'autre part. Les officines ont détourné ces outils, en les présentant comme des garants de qualité et de reconnaissance des formations qu'elles dispensent ; elles rencontrent du succès en particulier auprès de familles qui veulent investir dans les études de leurs enfants, sans toujours maitriser les circuits de l'enseignement supérieur.

Nous sommes inquiets de ce développement, certaines de ces officines appartiennent à des investisseurs gourmands. Elles rapportent beaucoup - car une fois la formation mise en place, tout étudiant supplémentaire est un gain net. Nous nous interrogeons d'ailleurs sur la prochaine diffusion de ce modèle à des niveaux plus bas de formation. Des jeunes s'y engagent en pensant que ces officines sont des établissements d'enseignement supérieur comme les autres, pour découvrir ensuite que le diplôme délivré n'est pas reconnu, ou bien pour rencontrer bien d'autres difficultés, comme le manque de contrat d'apprentissage, l'absence d'encadrement, quand ce n'est pas la faillite de l'officine en question ... et ils réalisent, trop tard, et avec eux leurs familles, qu'ils ont payé pour rien.

Par ailleurs, nous formons des jeunes, âgés de 18 et 20 ans, appelés à devenir des cadres et cadres intermédiaires : ils auront une influence sur la vie des entreprises dans l'avenir. Cette dimension est tout à fait absente de ces officines, alors que nous la considérons vitale pour la jeunesse de notre pays. C'est pourquoi nous considérons qu'il devrait y avoir plus de régulation de cette activité, pour que la formation s'inscrive dans un environnement pédagogique au sens large suffisant. Cela se justifie d'autant mieux qu'il y a du financement public, via l'apprentissage.

M. Philippe Choquet, président la Fédération des établissements d'enseignement supérieur d'intérêt collectif. - Nous sommes honorés qu'une des premières réunions de votre commission porte sur l'éducation. Ce secteur s'est complexifié, il s'est segmenté - entre les établissements sous contrat, qui sont évalués par des instances publiques, et les établissements hors contrat, qui ont un but lucratif pour la plupart - ce qui n'est pas un problème en soi, la question étant d'abord de voir quelle est leur offre de formation pour les jeunes.

La Fédération des établissements d'enseignement supérieur d'intérêt collectif (Fésic) est la principale fédération des EESPIG, avec une trentaine d'écoles d'ingénieurs, de management, de commerce, des écoles d'art. Je suis moi-même directeur général de l'institut polytechnique UniLaSalle, une école d'ingénieurs créée il y a 170 ans, qui relève du ministère de l'agriculture et du ministère de l'enseignement supérieur. La contractualisation entre l'État et les établissements d'enseignement supérieur est ancienne - elle a vu le jour de façon presque concomitante à la création des grandes écoles spéciales lors de la Révolution.

La catégorie des EESPIG a été créée par la loi Fioraso de 2013, pour bien marquer la différence entre des établissements reconnus d'intérêt général s'inscrivant dans la mission de service public et d'autres établissements qui n'ont pas d'obligations liées à une mission de service public, par exemple l'obligation de présenter leur formation dans Parcoursup, ou encore de s'inscrire dans les politiques publiques - comme la transition écologique.

L'enseignement privé à but lucratif s'est fortement développé, au gré d'un double appel d'air. Il y a, d'abord, l'accélération de la formation par apprentissage, liée à la volonté politique louable de professionnalisation et aux besoins des entreprises. Elle a bénéficié d'un financement plus généreux. Dans le même temps, certaines filières ont connu des pénuries d'emploi et les entreprises ont commencé à recruter plus facilement en apprentissage. Ajoutez-y des subventions d'aides à l'emploi dans les PME, et vous avez un contexte favorable à l'essor de ces nouvelles formations, d'autant que les niveaux de rentabilité y sont tels - à deux chiffres, et au-delà de la première dizaine... - que le secteur a attiré des capitaux. Il s'est financiarisé, comme cela s'est déjà passé en Amérique du nord. Notre propos n'est pas d'opposer le public et le privé, de critiquer le but lucratif, nous pensons qu'il peut y avoir de la qualité partout. Nous disons que le développement très important de cette offre peut avoir des effets très négatifs sur notre système éducatif, s'il n'y a pas de régulation.

Ce développement est aujourd'hui anarchique : il est très facile de créer une société, de louer des titres à une entreprise spécialisée dans la location de titres inscrits au RNCP. Le système de contrôle qualité opéré par les opérateurs de compétences (OPCO) - les structures qui financent et sont les intermédiaires de France compétences - n'est à ce stade pas assez développé. Ce qui fait la qualité d'un enseignement et du système éducatif est le taux d'encadrement, c'est-à-dire le nombre de personnels permanents par rapport au nombre d'étudiants. Ce taux est décisif pour la formation en post-bac, surtout pour accompagner les élèves qui sont moins bien lotis, dont les familles peuvent avoir plus de difficultés. Cette fonction d'accompagnement ne peut être déléguée à l'entreprise : celle-ci forme le jeune à ses propres besoins, et pas aux besoins de la société. Alors qu'en école d'ingénieur, la commission des titres d'ingénieur nous impose un taux d'encadrement de 1 pour 20 - soit en incluant le personnel administratif, environ un salarié permanent pour 10 étudiants -, ce taux peut tomber à 1 % pour certaines de ces officines de formation, ce qui se traduit par un suivi aléatoire. De fait, l'apprentissage est court-termiste, le titre délivré n'est pas un diplôme et il ne permet pas la poursuite d'études dans le parcours Licence-Master-Doctorat (LMD), la formation proposée ne délivre pas non plus les fondamentaux qui permettront à l'étudiant d'évoluer professionnellement. C'est cela qui tire la formation vers le bas. Ces structures évoluent dans un environnement très compétitif, avec des arguments commerciaux propres à attirer des élèves et des familles qui peuvent être induits en erreur, et paient cher des formations ne donnant en réalité pas accès à ce que ces officines prétendent. Il y a urgence à réguler pour que notre système d'enseignement supérieur reste une référence au niveau international.

M. Stéphane Piednoir. - Merci pour ce panorama utile et éclairant sur l'enseignement supérieur privé. Notre objectif à tous, c'est la qualité des formations et des titres, pour que les étudiants s'insèrent et participent à la richesse du pays. Vous parlez de régulation de ces écoles hors contrat, quelles sont vos pistes ? Quid du taux d'encadrement et que pensez-vous des conditions d'octroi des crédits pour l'apprentissage, qui profitent à ces établissements ? Le ministère de l'enseignement supérieur a annoncé en juillet une plateforme répertoriant toutes les formations disponibles dans les établissements publics et privés : où en est-on ?

Comment éclairer les familles et les étudiants, qui sont parfois perdus ? Comment les aider à se repérer dans le foisonnement des cursus, des titres et des diplômes, dont les différences ne sont pas toujours dites ? Faudrait-il mieux signaler l'absence de reconnaissance par l'État ?

Enfin, les écoles scientifiques peinent à remplir leurs bancs, elles en viennent à assouplir leurs conditions d'accès, quitte à diminuer la part d'élèves venus des classes préparatoires : pensez-vous qu'il y ait un taux d'élèves, dans les écoles scientifiques, issus de ces classes préparatoires en dessous duquel il ne faudrait pas descendre, pour préserver cette voie d'accès qui a contribué à l'excellence de ces écoles ?

M. Laurent Champaney. - L'éducation est une question importante, elle doit être confiée à ceux dont c'est le métier. Nous pensons qu'on pourrait effectivement exiger pour l'ouverture d'un organisme de formation la présence d'une équipe pédagogique a minima, garante de la qualité de l'enseignement. On nous oppose la liberté d'entreprendre, mais il existe bien des professions régulées. Lorsque nous mettons en place une formation d'ingénieur, nous avons l'obligation de respecter un taux d'encadrement : pourquoi pas l'exiger aussi pour les établissements hors contrat ? Les travaux de réflexion sur la mise en place d'une régulation n'ont pas encore commencé à proprement parler, mais nous savons que nous serons associés.

La plateforme répertoriant les formations existe déjà : Parcoursup est aussi un système d'information pour le post-bac. Les logos précisent déjà si les diplômes sont reconnus par l'État. Je ne suis donc pas sûr qu'une autre plateforme soit nécessaire. Malheureusement, comme Parcoursup est décrié, ces officines font un argument commercial de ne pas y être, en promettant un contrat d'apprentissage - pour annoncer ensuite au jeune, quand il est trop tard, que telle entreprise s'est retirée et qu'en fait, il n'aura pas de stage. Il serait donc préférable, me semble-t-il, de renforcer l'intérêt collectif pour Parcoursup.

Les ministères du travail et de l'enseignement supérieur paraissent s'accorder sur l'idée de préciser le RNCP et d'imposer pour la délivrance des titres des éléments sur l'environnement de formation et sur l'équipe pédagogique. C'est une bonne chose si cela conditionne le soutien public et l'accès aux crédits de l'apprentissage. Certaines officines présentent comme un avantage le fait que leurs intervenants ne soient pas des professeurs et que l'objectif ne soit pas le diplôme mais l'acquisition de compétences. Les professionnels se substituent aux enseignants, « coachent » les élèves directement en entreprise. Voilà le modèle qu'elles défendent et qu'elles promeuvent auprès des élèves et de leurs familles. Sur ces sujets, nous sommes donc très favorables à ce que les ministères du travail et de l'enseignement supérieur définissent ensemble des critères de régulation et de contrôle.

Les classes préparatoires restent un élément de notre recrutement. Nous indiquons à la ministre de l'enseignement supérieur disposer de places. Nous pourrions y accueillir davantage d'élèves, mais en réalité, nous manquons de candidats. Les officines dont nous parlons aujourd'hui détournent une partie du flux, en laissant entendre qu'elles parviennent à d'aussi bons résultats, sinon meilleurs, avec un système plus souple, davantage orienté sur le coaching. Or, des enjeux massifs de transition écologique et numérique sont devant nous : les jeunes qui se forment aujourd'hui auront à y faire face demain en tant que cadres d'entreprises qu'ils devront adapter à ces transitions. Nous sommes convaincus que la formation exigeante dispensée dans les classes préparatoires sera un avantage, en complément des salariés formés sur terrain.

M. Stéphane Piednoir. - Le nombre d'élèves issus des classes préparatoires tend à diminuer dans les écoles d'ingénieur : fixez-vous un seuil en deçà duquel il ne faudrait pas descendre ?

M. Laurent Champaney. - Il n'y a pas de seuil, les écoles ont élargi leurs bases de recrutement parce que les entreprises demandent davantage de jeunes formés dans ces écoles, et parce que les classes préparatoires ne sont pas assez nombreuses. En particulier, il y a trop peu de jeunes femmes dans ces classes préparatoires.

M. Philippe Choquet. - La régulation doit être au service du jeune, car l'enseignement supérieur qu'il suivra aura un impact sur toute sa vie : une fois engagé dans une voie, sa capacité à faire marche arrière sera faible et il n'aura plus beaucoup d'alternatives. C'est aussi pour cela que la régulation par l'État est importante, surtout pour les jeunes les moins informés de par leur milieu familial : ils sont les premières cibles de ces officines, qui leur promettent la gratuité des études ainsi qu'un salaire grâce à l'apprentissage. Pourquoi les BTS publics ne font-ils plus le plein, alors qu'ils dispensent un enseignement de qualité et quasi-gratuit ? Parce qu'une partie des élèves se détournent vers ces officines qui leur font croire à une voie plus facile et plus efficace. Ils y sont d'autant plus sensibles qu'ils discernent mal les différentes voies dans les arcanes de l'enseignement supérieur. les jeunes des milieux plus favorisés se tournent plus vers les grandes écoles publiques, où l'on déplore d'ailleurs que le nombre de boursiers recule : c'est parce que les jeunes des milieux modestes sont plus facilement attirés par le discours des officines dont nous parlons.

La régulation est donc essentielle, il faut plus de lisibilité et de contrôle, clarifier le cadre. Il est également important de faire savoir que Parcoursup est un outil regroupant toutes les écoles garanties par l'État. Un label peut être utile, mais nous disposons déjà du statut d'EESPIG. Nous avons eu une réunion au conseil consultatif de l'enseignement supérieur privé, sur l'opportunité d'une nouvelle plateforme. Il existe déjà des plateformes, mais elles sont peu lisibles : d'importantes marges de progrès sont nécessaires pour que les éléments les plus importants soient faciles à identifier.

Il faut aussi mieux contrôler les pratiques : nous avons signalé au ministère des cas de publicités mensongères, nous avons alerté l'organisme accréditeur. Mais cela n'a entrainé aucune réaction. Si le mensonge n'est pas sanctionné, si l'administration se contente d'un rappel à l'ordre au mois de mai, alors que l'inscription à Parcoursup est close, ces procédés perdureront.

Le contrôle du système de location des titres RNCP doit être renforcé. Par exemple, des officines proposent une formation sur le management du sport à partir d'un titre loué en lien avec le commerce. Le contrôle qualité sur l'utilisation de ces titres loués est aujourd'hui inexistant. Il faut être rigoureux, ce qui ne veut pas dire que nous demandons d'interdire la mise à disposition de titres : ce mécanisme peut être utile pour irriguer le territoire en offre de formations portées par de petits établissements. Nous pensons plutôt au contrôle de structures spécialisées dans la location de titres, qui font du profit avec des fonds publics. L'État ne peut distribuer de l'argent public - 8 000 à 10 000 euros par place de formation - sans contrôler la qualité de l'enseignement et le contenu du titre comme du diplôme.

Concernant les classes préparatoires, nous disposons de peu de statistiques globales sur ce que deviennent les étudiants post-bac. Ceux qui partent vers des formations sur titre, relevant du ministère du travail, sortent des radars du ministère de l'enseignement supérieur. On a beaucoup parlé de stratégies d'évitement. À l'issue d'un bon lycée parisien, par exemple, plutôt que de s'orienter vers une classe préparatoire, certains élèves s'inscrivent à l'Instituto de Empresa, à Madrid - qui accueille quelque 800 étudiants de nationalité française -, et après trois années dans ce cadre agréable d'une des meilleures écoles de commerce espagnoles, reviennent pour intégrer l'ESSEC ou l'EDHEC. Nous devons prendre en compte ces stratégies qui contournent les classes préparatoires. Les jeunes ont changé, leur sens de l'effort n'est pas nécessairement celui que nous avions, surtout depuis la crise sanitaire.

Certains sont sensibles à ce que j'appelle les « pouf schools », ces écoles qui mettent à disposition lors des journées portes ouvertes des poufs, des billards, une salle de jeux vidéos : des jeunes se disent qu'ils y seront bien, que les gens qui les accueillent ont l'air sympathiques, davantage que des professeurs de classes préparatoires. C'est cela la « pouf school », le contraire de l'exigence. Quand on parle de relocalisation industrielle, de nucléaire, de transition écologique et numérique, nous savons que nos secteurs économiques auront de plus en plus besoin de compétences et de capacités d'adaptation. Celles-ci sont dispensées bien davantage dans nos écoles que dans les officines court-termistes dont nous parlons. Or, celles-ci attirent malheureusement des jeunes issus de milieux modestes. Ces jeunes ont des capacités ; ils doivent venir dans nos filières d'excellence pour alimenter nos secteurs économiques qui auront besoin de connaissances, de compétences et de soft-skills, lesquelles ne sont pas forcément travaillées dans ces structures à visées court-termistes.

M. Yan Chantrel. - Depuis 30 ans, le nombre d'étudiants qui suivent un cursus dans l'enseignement supérieur privé a triplé, atteignant plus de 20 % des effectifs. Les trois-quarts de ces étudiants sont inscrits dans des établissements placés dans l'orbite de sociétés commerciales, comme le groupe Omnes, détenu par un fonds d'investissement britannique, ou Galileo, détenu par un fonds de retraite canadien et la holding de la famille Bettencourt Meyers.

L'essor du privé est d'abord dû à la paupérisation de l'université, à laquelle on n'a pas donné les moyens d'accueillir un nombre croissant d'étudiants depuis 2010. Il profite aussi d'une manne financière publique depuis la réforme du système d'apprentissage en 2018 qui a dopé l'alternance. Il est aussi le résultat de l'anxiété générée, chez les lycéens et leurs parents, par le manque de transparence entourant le fonctionnement de Parcoursup.

La concurrence déloyale que constitue le secteur privé lucratif à l'égard du public repose souvent sur des pratiques commerciales trompeuses. La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCRF) a révélé que plus de 30 % des établissements privés supérieurs qu'elle avait contrôlés s'étaient avérés être en anomalie en matière de pratiques commerciales trompeuses en 2020, du fait de mentions sur l'employabilité post-diplôme dépourvues de toute justification vérifiable ou sur des partenariats non formalisés avec des grandes entreprises.

Je vous invite à lire le rapport de la médiatrice de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur, qui fait état de 469 saisines concernant le privé lucratif en 2022 : des étudiants qui découvrent tardivement que le bachelor, master, doctorate in business administration (DBA) ou master of business administration (MBA) obtenus ou préparés ne font pas l'objet d'une reconnaissance par l'État ; des étudiants qui se voient refuser le remboursement de leurs frais de scolarité alors qu'ils n'ont pas pu bénéficier de leur formation en raison d'une grave maladie ou d'un refus d'octroi du visa ; des étudiants qui ne parviennent pas à récupérer leur diplôme ou une attestation de réussite parce que la société commerciale, propriétaire de leur établissement, a mis la clef sous la porte, parfois en cours d'année.

Face au grand flou entourant ces formations, la ministre a annoncé vouloir mettre en place, l'an prochain, une plateforme répertoriant les formations publiques et les formations privées bénéficiant d'une reconnaissance par l'État. Pourquoi laisser prospérer ces marchands de formations en établissant une labellisation a posteriori ? Ne devrait-on pas imposer une labellisation a priori ?

L'article L. 731-14 du code de l'éducation prévoit une sanction pécuniaire de 30 000 euros pour le responsable d'établissement qui donne à celui-ci le titre d'université ou fait décerner des certificats portant le titre de baccalauréat, de licence ou de doctorat. Ne faudrait-il pas des sanctions plus lourdes, qui frappent non seulement le chef d'établissement mais aussi les actionnaires de la société commerciale propriétaire de l'établissement ?

Face au manque de transparence sur lequel surfent ces établissements, n'est-il pas temps d'exiger que soient rendus publiques des données concernant leur performance en termes d'insertion professionnelle dont ces établissements font souvent un argument de vente sans aucune preuve ?

M. Jean Hingray. - France Universités demande des sanctions et une clarification sur la dénomination des établissements et sur les diplômes délivrés : ceux-ci ne doivent pas faire référence à la licence, master et doctorat. Elle demande en outre la vérification de la réelle inscription des diplômes délivrés au répertoire spécifique de France compétences dans tous les dossiers de demande de grade et de visas : où en est-on ? Elle souhaite également de la transparence sur la structure financière et la gestion de ces établissements, ainsi qu'une évaluation réalisée par une institution indépendante et dont les conclusions seront rendues publiques : qu'en est-il ? Faut-il des sanctions, par exemple l'exclusion de certains établissements des salons professionnels ? Que pensez-vous de l'idée d'un code de déontologie ? Faut-il rendre publics les chiffres sur l'insertion professionnelle ? Enfin, avez-vous été auditionnés par la direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle, sur l'enseignement supérieur privé lucratif ?

M. Pierre Ouzoulias. - Certaines petites officines privées développent un modèle où chacun est « l'auto-entrepreneur de sa formation », où chaque individu bricole sa formation, ce qui est la négation du principe de cursus - lequel est à la base de l'université française depuis au moins le XIIIème siècle.

Matthias Emmerich, le président de Omnes Education - un établissement détenu par un fonds d'investissement britannique qui a aussi détenu Dunlop ... -, explique que la croissance fulgurante de son groupe a été nourrie par l'apprentissage, qui compte pour un tiers de ses ressources : la croissance de ce groupe privé s'est donc largement faite grâce aux fonds publics. Il défend l'idée, ensuite, que l'enseignement supérieur aurait deux objectifs, qui constituent deux indicateurs : l'obtention de diplôme et l'insertion professionnelle. Ce faisant, il considère que la recherche est accessoire et que les enseignants doivent satisfaire ces deux objectifs avant de penser à la recherche. Cela pose une question directe, et considérable, à notre politique de recherche, sachant nos déficiences par rapport à nos concurrents européens. Or, un enseignant est aussi un chercheur, et l'on enseigne bien mieux la matière sur laquelle on recherche. Nous manquons d'ingénieurs, le nombre de docteurs baisse chaque année, les officines dont nous parlons aujourd'hui détournent une partie des jeunes qui pourraient aller vers la recherche. Des fonds publics contribuent donc à appauvrir le vivier des chercheurs, au point qu'on ne pourrait parler bientôt de nos prix Nobel qu'au passé : qu'en pensez-vous ?

Mme Monique de Marco. - Je pense que le chainon manquant est l'orientation des élèves avant le bac. Il y a un problème à l'éducation nationale où, faute de conseillers d'orientation, ce sont souvent les enseignants qui conseillent les élèves. Ne faudrait-il pas commencer par renforcer les conseils à l'orientation au lycée, voire dès la classe de troisième ?

Quels critères utiliser, ensuite, pour bien informer sur les établissements ? On évoque le taux d'encadrement, qu'en pensez-vous - et quels autres critères simples à comprendre faut-il mettre en avant ?

Enfin, connait-on le nombre global de jeunes qui se tournent vers ces établissements ?

M. Bernard Fialaire. - Ma première question porte sur les effectifs : où iraient ces étudiants si toutes les officines dont nous parlons, fermaient ? Auriez-vous les capacités de les accueillir et de les former ? Dit autrement, n'avez-vous pas aussi une part de responsabilité, en n'offrant pas toujours ou pas assez les formations qui sont demandées ?

Il faut aussi poser la question de la mixité sociale : lorsqu'on voit que quatre élèves des grandes écoles de commerce sur cinq sont passés par des prépas privées au prix exorbitant pour y entrer, peut-on parler d'égalité des chances ? Peut-on développer davantage les prépas intégrées - et combien d'élèves accèdent déjà à ce type de parcours dans vos écoles ?

Mme Samantha Cazebonne. - En tant que Française de l'étranger très impliquée dans les lycées français à l'étranger, je constate un retrait assumé des élèves vers les classes préparatoires, ceci de la part d'élèves aux profils plutôt privilégiés. Les lycées français poussent à l'excellence, mais je suis sidérée d'y voir ces dernières années, de très bons élèves se détourner des classes préparatoires et leur préférer un modèle anglo-saxon où l'on diversifie ses compétences, avec moins d'exigence. Je ne m'explique pas cette évolution, sinon parce que vous évoquez du recul que l'on constate de la part des jeunes face à l'effort.

M. Max Brisson. - Je mesure combien mon intervention sera solitaire, décalée, y compris par rapport à mon propre groupe - mais le pluralisme et la diversité comptent dans le charme du Sénat ... Vous séparez le bien du mal selon le critère lucratif, mais ce critère n'a pas le même sens pour tout le monde : je ne suis pas sûr que les parents qui inscrivent leurs enfants dans les écoles de commerce consulaires aient la même version de ce qui est lucratif et de ce qui ne l'est pas.

Comme vieux professeur de classes préparatoires, ensuite, j'ai toujours entendu les responsables d'écoles de commerce et de management vanter le fait que, chez eux, il y avait non pas seulement des professeurs mais surtout des professionnels, des chefs d'entreprises. Je les ai tant entendu mettre en avant l'existence de passerelles propres à éviter les classes préparatoires où l'on abrutissait les jeunes de savoirs académiques, alors qu'il valait beaucoup mieux être « en phase constante » avec l'entreprise. Cette musique m'est si familière que je ne peux m'empêcher de voir, dans la situation actuelle, une figure de l'arroseur arrosé : on a tant dénigré l'université et les classes préparatoires qu'on en est arrivé là, et j'avoue que j'ai du mal à vous plaindre. Les écoles ont tout fait pour échapper au monopole de l'université, nous avons développé un système propre : nous avons eu d'ailleurs le plus grand mal à expliquer à l'étranger ces classes préparatoires où les élèves, après le lycée, ne deviennent pas des étudiants... mais restent des élèves. C'est de tout cela que le privé s'est nourri, d'un système qui a d'abord fragilisé notre université.

Il y a longtemps que je combats les « marchands de soupe », il y en a toujours eu - et il y en a même dans l'enseignement public et dans l'enseignement privé sous contrat. Ce qu'il faut, c'est mettre de l'ordre, réguler, contrôler, et sanctionner quand il y a lieu. Et cela n'interdit pas de se poser des questions. Le public n'a pas été assez présent dans certaines formations, le marché a comblé des manques aussi parce que l'université a eu des pudeurs de gazelle - et les écoles consulaires ont prospéré à l'ombre du mépris de l'université pour ceux qu'on appelait « les épiciers », parce qu'ils se dirigeaient vers des écoles de commerce. Cette histoire n'est donc pas nouvelle, vous y avez une part de responsabilité. Nous devons désormais trouver les voies de la régulation, mais sans oublier que la liberté d'enseignement est un principe constitutionnel.

M. David Ros. - Cette intervention me conduit à réagir. Si le public a péché, il s'agirait de faire rédemption ? La vraie question, ce n'est pas d'opposer public et privé, mais de voir, lorsqu'on parle de but lucratif, à qui va le bénéfice. S'il va à l'enseignement supérieur, c'est acceptable, mais c'est tout autre chose s'il va à des actionnaires, qui ont d'autres intérêts. Qu'en est-il ? Y a-t-il une différence, sur ce point, entre les différentes filières ? Quelle a été l'incidence, ensuite, de la crise sanitaire ? De Parcoursup ? Il y a, encore, la question de la visibilité, de l'information : on dit que les jeunes ne s'y retrouvent pas, mais c'est aussi le cas des familles, et même des enseignants du supérieur. Je le dis en connaissance de cause. Nous manquons de statistiques dans la durée, d'infographies claires, qui soient établies par un organisme indépendant ou une délégation interministérielle et qui montrent ce qu'il en est, de l'efficacité des écoles.

Vous avez évoqué l'évitement des classes prépas via Madrid, je veux signaler aussi les doubles licences, par exemple à Paris-Saclay, qui donnent un accès à Polytechnique alors que cet étudiant aurait peut-être échoué au concours après trois ans en classe préparatoire ... On parle de recul devant l'effort : nous mettons dans ce mot le sens que nous mettions quand nous étions nous-mêmes en classe préparatoire. Des jeunes peuvent y voir autre chose et nos formations doivent le comprendre, pour que notre modèle des grandes écoles, qui a fait la force de la France dans les formations d'ingénieur, puisse perdurer.

M. Pierre-Antoine Levi. - Comment les établissements privés, en collaboration avec le ministère de l'enseignement supérieur, envisagent-ils de simplifier et de clarifier le système de reconnaissance des programmes, ceci pour éviter la confusion entre les labels, et les accréditations délivrées par différents ministères et entités ? Quelles stratégies pour assurer que les diplômes et programmes soient non seulement reconnus par l'État, mais également valorisés par les employeurs et le marché du travail ? Enfin, pensez-vous qu'un recours à la loi soit nécessaire, pour mieux réguler ?

Mme Sonia de La Provôté. - La formation vétérinaire a été autorisée dans le cadre d'une école privé. Je m'interroge sur la genèse de cette autorisation.

Quelle est votre stratégie de développement, entre toutes les formations que vos écoles dispensent ? Vous ne sauriez être présents partout, avez-vous des domaines prioritaires ?

M. Laurent Champaney. - Les questions sont nombreuses, merci de votre intérêt. La régulation a priori, c'est notre régime habituel, nous la vivons déjà.

Lorsque des industriels me font part de besoins nouveaux en formation pour le secteur nucléaire, par exemple, le calendrier que je leur présente demande une dizaine d'années : deux ou trois ans pour l'accréditation (2025), puis trois ans pour la formation d'ingénieurs (2028), puis une inscription au RNCP qui prend deux ans (2030), avant que les apprentis, trois ans plus tard encore, ne deviennent opérationnels (2033). Notre système manque d'agilité, cela vient bien sûr de l'exigence de qualité, mais aussi du fait que nous sommes des établissements publics, insérés dans des règles d'usage très strictes des fonds. Les établissements privés peuvent aller bien plus vite : ils peuvent proposer des formations quasiment instantanément, potentiellement attractives et au goût du jour, s'appuyant sur des titres qui n'ont pas grand-chose à voir avec la formation proposée.

Quant au nombre, nous avons la capacité d'accueillir plus de jeunes, nous pouvons absorber les demandes. Aussi, nous militons pour plus d'agilité, pour pouvoir mettre en place plus rapidement des formations. Nous avons confiance dans notre capacité de nous adapter, forts de ce que nous avons fait jusqu'ici.

M. Philippe Choquet. - Nous sommes dans le monde, nous raisonnons en fonction de lui, et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il est très compétitif. Notre modèle avec des grandes écoles et des classes prépas est atypique ; il évolue. Le privé existe depuis plus d'un siècle dans l'enseignement supérieur, c'est un apport très positif dès lors que cet enseignement supérieur privé participe aux missions de service public.

Il est même un gage de diversité et de stimulation, à partir du moment où les cahiers des charges sont les mêmes. Il y a toujours eu cet équilibre dans mon ministère d'origine, l'agriculture, où la loi Rocard avait organisé cette complémentarité entre le public et le privé sous contrat.

La formation vétérinaire que vous citez a été mise en place - par l'école que je dirige - suite à la demande formulée dès 2008 par le ministère de l'agriculture, face au manque de vétérinaires. Il y avait un fort besoin, mais il a fallu 14 années pour aboutir ; actuellement, 55 % des vétérinaires qui s'inscrivent à l'ordre ont obtenu leur diplôme à l'étranger. Nous n'en serions pas là si l'on avait pu ouvrir notre formation dès 2008. Du reste, la présence d'une école privée sous contrat fait que le secteur est moins prospecté par le secteur lucratif.

Les écoles d'ingénieurs sont autorisées à délivrer un diplôme de bac + 5 ; depuis longtemps, avec le système LMD, nous revendiquions la possibilité de délivrer un diplôme de bac + 3. Le ministère nous y a autorisés, mais en nous interdisant de l'appeler Licence, quand bien même nous sommes évalués par le haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres). Nous avons donc dû l'appeler « Bachelor conférant le grade de Licence » : allez expliquer cela aux parents... Les diplômes nationaux sont le monopole de l'État, pas des universités - une simplification est peut-être envisageable, dès lors que l'évaluation est indépendante.

Une remarque : dans le statut d'EESPIG, les structures de financement et le mode de fonctionnement sont très similaires à ceux des universités publiques américaines, qui existent depuis 1852 et qui ont une autonomie de fonctionnement comparable à la nôtre. La reconnaissance des EESPIG est très positive, nous sommes désormais pleinement inscrits dans la mission de service public de la recherche par la dernière loi de programmation de la recherche.

M. Laurent Champaney. - Nous avons été auditionnés par la direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle, sur l'enseignement supérieur privé lucratif, et nous serons entendus la semaine prochaine par la mission que l'Assemblée nationale consacre à ce sujet.

Les universités ont des informations sur l'insertion professionnelle des étudiants ; nous les avons également, pace que c'est l'un des critères d'accréditation. Ces informations sont complexes à regrouper, la Conférence des grandes écoles fait une enquête annuelle depuis trois décennies, les résultats sont publics. Les trois dernières enquêtes montrent la très forte attractivité des diplômés de nos grandes écoles auprès des entreprises.

La Conférence des grandes écoles n'oppose pas écoles et universités, certaines de nos écoles ont le statut d'université. Nous disons qu'il y a deux systèmes et qu'ils doivent être ouverts à tous, même si leurs modalités de fonctionnement diffèrent, tout comme le lien avec les entreprises. On ne le dit jamais assez, il y a des modèles de formation très différents. Certains sont très académiques, d'autres plus professionnels. Il faut trouver un équilibre, qui ne passe pas forcément par une répartition 50/50. Certaines formations sont très professionnalisantes, et c'est très bien. Il est difficile pour un jeune de savoir en sortant d'un lycée quel environnement sera le meilleur pour lui, mais les passerelles sont très nombreuses, et l'on peut facilement basculer d'un système à l'autre.

C'est vrai que la recherche est un élément fondamental. Dans nos écoles, on fait aussi de la recherche amont, capitale pour l'évolution de nos sociétés. Nous nous focalisons sur son transfert vers les entreprises pour créer de la valeur et de l'emploi par la recherche et l'innovation. Certes, dans certaines filières très professionnalisantes, il n'y a peut-être pas besoin de cet environnement de recherche. Pour nous, l'enjeu est que cette recherche serve aux entreprises.

On a récemment intégré à la Conférence des grandes écoles des structures qui n'en faisaient pas partie, et notamment des écoles qui forment aux métiers de bouche, comme l'école Ferrandi. Ces écoles délivrent un diplôme de niveau bac+ 3, et forment des cadres, qui vont créer et diriger des entreprises. Elles font une recherche qui ne donne peut-être pas matière à des publications, mais qui promeut l'innovation dans ces entreprises et crée donc de la valeur. Il faut le prendre en compte.

M. Philippe Choquet. - Offrir une formation de base et des possibilités d'évoluer au sein de l'enseignement supérieur au niveau européen me semble essentiel. Il faut pouvoir construire un parcours pour aboutir à un titre universitaire et à un métier. La recherche est un marqueur important de ce qu'est l'enseignement supérieur par rapport à de l'enseignement professionnel. Avec l'arrivée de l'intelligence artificielle, la formation par la recherche ne sera que plus cruciale, afin de développer un esprit critique, indispensable à nos futurs ingénieurs et à nos futures cadres. Les autres pays l'ont compris, et nous devons le comprendre aussi. La logique n'est plus de transmettre des connaissances, à l'heure d'internet et de l'intelligence artificielle. Ce qui importe, c'est la formation des personnes et leur capacité à évoluer et se poser des questions essentielles pour l'avenir.

De fait, nous entrons dans des zones de turbulence dans un secteur très compétitif. Aux États-Unis, la financiarisation a été plus précoce que chez nous. Il est vrai qu'en l'absence de financement public, le boom des structures privées à but lucratif n'a été qu'un feu de paille... Chez nous, le feu de paille risque de durer un peu plus longtemps, d'être plutôt un feu de bois...

L'État doit avoir une vision de l'enseignement supérieur de demain, et de l'enseignement purement professionnel. Nos établissements offrent un gradient intéressant entre académique et professionnel. Les grandes écoles sont en principe plus professionnalisantes, et l'université progresse aussi dans ce sens.

M. Laurent Champaney. - Il y a une problématique d'orientation. Cette question est souvent reportée sur les enseignants. Nous avons milité pour que le calendrier de Parcoursup n'aille pas plus loin que la date de fermeture des établissements. Il y a beaucoup d'heures d'orientation, dont l'utilisation est disparate. Il nous a été indiqué que nous pouvions y participer. Mais nous ne voyons pas comment dégager du temps chez nos enseignants-chercheurs pour cela.

Les enjeux de transition écologique et environnementale vont rendre les métiers beaucoup plus compliqués, avec des besoins d'interactions plus forts. Les jeunes veulent des informations qui ont du sens. Nous devons aussi leur expliquer ce qu'on va attendre d'eux. Des efforts leur seront demandés pour mener à bien ces transitions. Ce sont aussi des compétences qu'ils vont acquérir dans le cadre de leurs études.

L'un de vous a posé la question de la mixité sociale. Il est clair que celle-ci n'est pas assez développée dans nos écoles. L'apprentissage est un très fort outil d'ouverture sociale. Il n'y a plus aucune barrière technique ou financière pour rejoindre n'importe laquelle de nos grandes écoles. Certes, les frais de scolarité peuvent être élevés, tout en restant très largement inférieurs à ce qu'on peut trouver ailleurs dans le monde, et en particulier en Amérique du Nord. Mais nos écoles offrent toute une gamme de mécanismes d'accompagnement, à travers des fondations ou sous forme d'apprentissage. Les barrières sont culturelles, en fait, et sans doute dès le collège : les jeunes femmes ne vont pas faire des études d'ingénieur, et les jeunes issus de milieux moins favorisés ne vont pas dans les grandes écoles. C'est sans doute de notre faute, et nous y travaillons. Toutes nos écoles ont des objectifs forts en termes de mixité sociale et de diversité.

M. Philippe Choquet. - Le mode de financement des écoles associatives me semble assez vertueux. Celles-ci doivent rendre des comptes à l'État, aux familles et aux entreprises. L'État donne une petite subvention de fonctionnement, que l'on aimerait supérieure notamment pour les activités de recherche. Nous devons donc démontrer que nous nous inscrivons dans une mission de service public. Les familles participent aux frais de fonctionnement, à hauteur d'environ 50 % à 60 % du coût réel. Les exigences d'encadrement induites par la certification engendrent en effet des coûts de fonctionnement, certes un peu moindres que dans le public, mais au fond assez similaires. Les 5 % à 10 % restants correspondent aux contrats de recherche avec les entreprises. Sans ce financement par les entreprises, nous ne pouvons pas équilibrer notre budget. Nous sommes donc obligés d'être à l'écoute de nos partenaires qui, demain, embaucheront nos élèves et qui nous associent à leur recherche.

Enfin, nous avons une couverture territoriale assez large, avec des écoles implantées dans des villes de taille moyenne ne comptant aucune école d'ingénieur. De ce fait, les collectivités territoriales ont financé une partie de nos infrastructures et nous avons donc des comptes à leur rendre. Notre mission de service public exige que nous nous impliquions localement dans des incubateurs, des pôles de compétitivité, etc. Ce mode de fonctionnement, où l'on a des comptes à rendre à différentes parties prenantes, me semble vertueux.

Le système des classes préparatoires reste une machine très intéressante de sélection et de formation. Il ne correspond peut-être plus au modèle que les jeunes se font de l'enseignement supérieur, a fortiori en outre-mer, où certains se tournent vers le Canada pour leurs études. Pour éviter les stratégies d'évitement, il est bon de proposer aux jeunes ultramarins, ou aux jeunes Français résidant à l'étranger, des cursus avec prépa intégrée, dont le niveau est excellent et présente l'avantage d'être intégrée à l'école. Les classes préparatoires peuvent être particulièrement dures dès lors que le jeune est loin de sa famille.

M. Laurent Champaney. - Vous nous avez interrogés sur les sanctions. Des dispositifs sont en place, mais on les utilise peu. Il est bien que la DGCCRF ait enquêté. Pour échapper à la sanction, on joue sur les mots. En particulier, la notion de « reconnaissance par l'État » est utilisée un peu dans tous les sens. Il n'est pas sûr, donc, que les amendes soient la solution. Un code de déontologie serait une idée plus intéressante pour faire avancer les choses.

Vous nous avez interrogés sur la quantification du phénomène. Dans les filières d'ingénierie, le système d'accréditation des titres empêche les dérives. En outre, le modèle économique des écoles est extrêmement léger : elles ne peuvent pas s'encombrer de matériel pour faire des travaux pratiques comme les écoles d'ingénieurs. Dans le numérique, le commerce ou la culture, les dérives sont plus fréquentes.

M. Laurent Lafon, président. - Une question portait aussi sur la nécessité de modifier la loi. Cela vous paraît-il nécessaire ?

M. Laurent Champaney. - Oui, surtout pour aller dans le sens de l'agilité dans les partenariats public-privé. Un adossement bien défini à des structures privées aiderait à augmenter les investissements. Bpifrance investit dans certaines structures.

M. Philippe Choquet. - Au ministère de l'agriculture, la loi portant réforme des relations entre l'État et les établissements d'enseignement agricole privés, dite loi Rocard, peut servir d'exemple pour garantir l'exécution de cette mission de service public par les établissements qui s'inscrivent dans cette logique.

M. Laurent Lafon, président. - Nous continuerons à suivre cette problématique. Nous interrogerons la ministre de l'enseignement supérieur, pour connaître son point de vue, au-delà de ses déclarations de septembre. Nous avons bien compris qu'il serait mieux de n'avoir qu'un seul interlocuteur du côté de l'État. Merci à tous.

Cette réunion a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 11 h 5.

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 16 h 45.

Projet de loi de finances pour 2024 - Désignation de rapporteurs pour avis

Sont désignés rapporteurs pour avis sur le projet de loi de finances pour 2024 :

- M. Claude Kern sur la mission « Action extérieure de l'État » ;

- Mme Sabine Drexler sur le programme « Patrimoines » de la mission « Culture » ;

- Mme Karine Daniel sur les programmes « Création » et « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture » de la mission « Culture » ;

- M. Jacques Grosperrin sur la mission « Enseignement scolaire » ;

- M. Bernard Fialaire sur le programme « Enseignement technique agricole » de la mission « Enseignement scolaire » ;

- M. Cédric Vial sur le compte de concours financier « Avances à l'audiovisuel public » ;

- M. Michel Laugier sur le programme « Presse et médias » de la mission « Médias, livre et industries culturelles » ;

- M. Jérémy Bacchi sur les crédits relatifs au cinéma de la mission « Médias, livre et industries culturelles » ;

- M. Mikaele Kulimoetoke sur le programme « Livre et industries culturelles » de la mission « Médias, livre et industries culturelles » ;

- Mme Laurence Garnier sur les crédits relatifs à la recherche de la mission « Recherche et enseignement supérieur » ;

- M. Stéphane Piednoir sur les crédits relatifs à l'enseignement supérieur de la mission « Recherche et enseignement supérieur » ;

- M. Jean-Jacques Lozach sur le programme « Sport » de la mission « Sport, jeunesse et vie associative » ;

- et M. Yan Chantrel sur le programme « Jeunesse et vie associative » de la mission « Sport, jeunesse et vie associative ».

Audition de M. Gabriel Attal, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse

M. Laurent Lafon, président. - Monsieur le ministre, nous sommes heureux de vous accueillir pour votre première audition devant notre commission dans vos nouvelles fonctions de ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. Au nom de tous mes collègues, je tiens à vous féliciter pour cette nomination et à vous souhaiter un plein succès dans cette nouvelle mission, dont nous mesurons toute la complexité.

Vous le savez déjà, monsieur le ministre, vous trouverez au sein de cette commission des interlocuteurs attentifs, exigeants mais constructifs et soucieux, à l'image de notre rapporteur pour avis du budget de l'éducation nationale, Jacques Grosperrin, d'entretenir le dialogue avec vous et vos services sur des sujets essentiels pour les élèves et l'ensemble de la communauté éducative. Je pense en particulier à la question de l'attractivité du métier d'enseignant, à laquelle nous travaillons depuis longtemps, à la lutte contre le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement, sur laquelle le Sénat s'est penché en 2021, ou encore à la politique d'inclusion scolaire.

Par ailleurs, vous le savez sans doute, la commission des lois et la nôtre ont constitué une mission de contrôle disposant des pouvoirs d'enquête consacrée aux modalités de signalement et de traitement, par les pouvoirs publics, des pressions, menaces et agressions subies par les enseignants, dont les travaux vont reprendre et dans le cadre de laquelle nous aurons le plaisir de vous entendre.

Cela étant dit, notre audition du jour est consacrée aux priorités que vous avez définies lors de votre prise de fonction. Nous aurons l'occasion de vous entendre prochainement dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances, aussi je demande aux membres de la commission de ne pas poser de questions qui y sont relatives.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous présenter votre feuille de route à la tête du ministère de l'éducation nationale ? Un mois et demi après la rentrée, pouvez-vous nous dresser un premier bilan de celle-ci et des premières mesures fortes, je pense à l'interdiction du port de l'abaya ou au report des épreuves de spécialité du bac au moins de juin. Pouvez-vous nous présenter la mise en oeuvre du « pacte » enseignant ? Êtes-vous satisfaits des premières adhésions ?

Monsieur le ministre, avant de vous laisser la parole pour une intervention liminaire d'une quinzaine de minutes, je vous signale que cette audition est captée et sera diffusée sur le site internet du Sénat.

Après votre propos liminaire, je donnerai, comme c'est la coutume, la parole à Jacques Grosperrin, notre rapporteur des crédits de l'enseignement scolaire, puis aux commissaires désirant vous poser une question.

M. Gabriel Attal, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. - Monsieur le président, cher Laurent Lafon, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est ma première audition devant votre commission et c'est même ma première audition parlementaire en tant que ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. Je suis heureux de vous retrouver, notamment Jacques Grosperrin, avec qui j'ai en particulier travaillé en tant que député lorsque nous étions tous deux rapporteurs du projet de loi relatif à l'orientation et à la réussite des étudiants, qui s'était conclu par un accord en commission mixte paritaire.

Je vous remercie de votre invitation et je profite de l'occasion pour féliciter les nouveaux élus et les nouveaux membres de cette commission.

L'éducation nationale est une préoccupation majeure des Français, à juste titre, tant l'école occupe une place singulière dans notre société et dans l'histoire de notre Nation. Vous êtes le relais de cette préoccupation. C'est pleinement conscient de votre rôle que je répondrai à vos interrogations.

L'école réunit les familles et la République au sein d'une même espérance : que, grâce à l'école, chaque enfant de France puisse s'élever et s'émanciper, afin qu'aucun destin ne soit écrit d'avance. Telle est la promesse de la République et de son école.

J'ai précisé mon ambition pour mon ministère, pour les quelque 12 millions d'élèves, pour leurs familles et pour ses 1,2 million agents, dont 860 000 enseignants. La rentrée scolaire est, chaque année, un petit miracle d'organisation et je remercie tout le personnel qui a oeuvré en ce sens.

Je souhaite vous présenter les chantiers que j'ai engagés dès ma prise de fonction.

D'abord, sachez que je suis lucide. Malgré le travail accompli au cours des dernières années, il reste beaucoup à faire pour réparer les maux de l'école, qui sont le fruit de décennies de sous-investissement, d'absence de reconnaissance de nos professeurs, de contestation de leur autorité et, plus généralement, de l'autorité des savoirs dans notre société. Ils sont également le fruit d'une école qui ne garantit plus toujours le bien-être voire même le bonheur des élèves et du personnel.

J'ai donc fixé trois priorités claires à mon ministère : élever le niveau général, réaffirmer les droits et devoirs à l'école et bâtir une école qui émancipe et rende heureux.

Première priorité : élever le niveau, par un véritable choc des savoirs. Le constat est hélas connu : notre pays connaît une baisse du niveau général depuis quelques décennies ; ainsi, un élève de quatrième de 2018 avait le niveau d'un élève de cinquième de 1995. Un an de perdu en vingt-trois ans. Nos évaluations nationales montrent qu'un élève sur trois entrant en sixième ne sait pas lire, écrire, compter correctement, qu'un élève sur deux entrant en sixième ne sait pas dire combien il y a de quarts d'heure dans trois quarts d'heure, ou encore que 25 % des candidats au brevet des collèges obtiennent moins de 4/20 en mathématiques, cette note étant la plus distribuée...

Ce retard s'accumule tout au long de la scolarité. Il faut donc agir dès les premières années, car, pour la maîtrise des savoirs fondamentaux, c'est au début de la scolarité que tout se joue, c'est à ce moment-là que l'on peut éviter un décrochage et qu'il faut replacer au coeur de l'école la notion d'exigence, condition de l'excellence et de l'égalité des chances.

Pour cela, je dispose de moyens historiques. Le projet de loi de finances pour 2024 prévoit ainsi une augmentation inédite de mon budget. Je n'entre pas dans les détails, car vous m'auditionnerez spécifiquement à ce sujet dans quelques jours, mais sachez tout de même que, depuis 2017, l'école a perdu 300 000 élèves du fait de la démographie et son budget a crû de 30 % ; c'est du jamais vu. Dans le quinquennat qui s'ouvre, nous perdrons encore 400 000 élèves du fait de la démographie - autre sujet de préoccupation - mais le budget continuera d'augmenter. De même, nous avons amélioré le taux d'encadrement et nous allons continuer de le faire.

Grâce à ces moyens supplémentaires, nous pourrons, en 2024, poursuivre certains chantiers et achever le dédoublement des classes de grande section en réseau d'éducation prioritaire (REP) et REP+ ; cela nous permettra d'enseigner à 500 000 élèves en grande section, CP et CE1 dans des classes dédoublées là où nous devons briser les inégalités de destin. Nous poursuivrons également l'effort d'accueil dès l'âge de 2 ans en très petite section avec 60 dispositifs supplémentaires, soit une augmentation de 50 %, dans des quartiers prioritaires de la politique de la ville. Nous renforcerons l'apprentissage de la lecture et la pratique de l'écriture dès le CP et tout au long de l'école élémentaire ; il y a urgence, c'est pourquoi nous renforçons la lecture de textes longs dès le CM1 et exigeons l'écriture d'au moins un texte par semaine en CM2, tout en offrant des stages pendant les vacances scolaires, dans le cadre du dispositif de l'École ouverte - dont 300 000 élèves ont bénéficié l'an dernier.

Les évaluations nationales de CM1, dont les résultats sont en cours de consolidation, nous permettront d'identifier les besoins de chaque élève.

Par ailleurs, nous dégageons, dès cette rentrée, une heure hebdomadaire supplémentaire de français et de mathématiques en sixième par groupes d'élèves répartis en fonction des besoins, afin de dispenser des cours de soutien ou d'approfondissement. La généralisation du dispositif des « devoirs faits » permet d'apporter deux heures trente de soutien par semaine ; ce sont les élèves de REP et de REP+ qui en bénéficient le plus.

Au lycée, nous rétablissons, dans le tronc commun de la première générale, l'enseignement obligatoire d'une heure trente de mathématiques par semaine. Reconnaissons-le, la suppression des mathématiques du tronc commun a été une erreur, de même que le positionnement des épreuves de spécialité du baccalauréat général et technologique en mars, qui a entraîné un absentéisme et une démotivation générale des élèves après le passage de leurs épreuves. Nous sommes pragmatiques, nous avons décidé de repousser ces épreuves à juin et, au-delà, j'en ai profité pour réaffirmer que l'année scolaire doit aller jusqu'à la fin de ce mois ; la reconquête du mois de juin est une priorité. C'est pourquoi nous programmons les épreuves tard dans ce mois, de sorte que tous les lycéens auront cours pendant la première quinzaine et que, pendant la seconde, alors que les élèves de première et de terminale se consacreront à leurs épreuves, ceux de seconde seront en stage en entreprise, en administration ou dans une association. Tous les élèves seront ainsi mobilisés jusqu'à la fin du mois de juin. De même, le brevet aura lieu en juillet, afin que les collégiens restent en cours jusqu'à la fin du mois de juin.

Dans la voie professionnelle, la réforme que nous engageons en cette rentrée augmentera de 1 milliard d'euros les moyens des lycées professionnels, afin de développer les périodes de formation des élèves en milieu professionnel. Les stages seront désormais gratifiés de 50 à 100 euros par semaine. Cela permettra de dispenser des cours en petits effectifs dans les enseignements généraux mais aussi de créer de nouvelles options, telles que l'entrepreneuriat, le codage ou des langues vivantes.

Dans le cadre de cette bataille des savoirs, j'ai également mis en place une mission réunissant des recteurs, des chercheurs, des inspecteurs de l'éducation nationale, des professeurs et d'autres professionnels de terrain, qui me remettront leurs conclusions d'ici à la fin de l'année. Il y a urgence pour élever le niveau et lutter contre tous les déterminismes. Nous échangerons peut-être sur cette mission et sur ses recommandations.

Élever le niveau exige également de lutter contre les heures de cours perdues pour les élèves. L'an dernier, quelque 15 millions d'heures de cours n'ont pas été honorées, en raison d'absences non remplacées. On ne peut pas ambitionner d'élever le niveau avec un tel volume d'heures perdues sur une année. J'ai fait de ce sujet une priorité. La moitié de ces heures perdues sont liées à l'organisation de notre système ; on doit donc éviter les absences qui peuvent l'être. En repositionnant les épreuves de spécialité au mois de juin, nous récupérons des heures perdues en mars à cause de l'organisation des examens. De même, j'assume le choix d'organiser désormais la formation continue des enseignants, non pas en dehors du temps scolaire, mais en dehors du temps de classe ; près de 2 millions d'heures de cours ont été perdues l'année dernière du fait de l'organisation de formations des enseignants sur le temps de la classe.

Quant aux absences que l'on ne peut pas éviter - il y en aura toujours dans une administration de 1,2 million d'agents -, nous devons améliorer notre capacité de remplacement. Cela rejoint votre deuxième question, sur le pacte Enseignant, qui vise à mieux rémunérer les enseignants qui s'engagent dans le remplacement de courte durée. Ceux qui s'engagent dans ces remplacements seront rémunérés 50 % de plus par rapport à l'année dernière : on passe de 41 à 70 euros brut par heure. Le but est de susciter davantage de remplacements. Vous m'interrogiez sur le déploiement de ce pacte. Les premiers chiffres sont provisoires, néanmoins, un enseignant sur quatre s'est déjà engagé dans le pacte et même un sur trois au collège et dans les lycées professionnels. C'est très éloigné des anticipations pessimistes de certaines organisations syndicales. Je remercie ceux qui l'ont fait de s'être engagés dans ce dispositif. Je disposerai d'un bilan mis à jour au retour des vacances de la Toussaint ; je vous en ferai part.

Ma deuxième priorité consiste à bâtir une école des droits et devoirs. Il s'agit d'abord du devoir de reconnaissance à l'égard de tous ceux qui font vivre l'école. Cela passe en grande partie par la rémunération et, là aussi, nous tenons nos engagements. Cette année, les professeurs sont rémunérés entre 125 et 250 euros net par mois de plus que lors de la rentrée précédente, et ce sans condition. Il y a eu deux revalorisations du point d'indice et une revalorisation socle en cette rentrée. Les professeurs néo-titulaires sont désormais rémunérés 2 100 euros net par mois, et 2 466 euros en REP+. Ces revalorisations inédites effacent en grande partie une génération de déclassement salarial pour nos professeurs et nous revenons, exprimé en point de Smic, à un niveau de rémunération supérieure à celui de 2000. C'est la plus forte augmentation de salaire dans l'éducation nationale depuis des décennies.

Il s'agit sans doute pour une grande part d'un rattrapage des dernières décennies et, pour un certain nombre d'enseignants, c'est encore difficile, mais reconnaissons qu'il n'y a pas eu d'équivalent au cours des trente dernières années. Ainsi, entre la réélection du Président de la République, mi-2022, et janvier 2024, quand la dernière mesure, qui concernera tous les fonctionnaires, entrera en vigueur - 5 points d'indice en plus -, la revalorisation des enseignants représentera 11 % de leur salaire.

Ce devoir de reconnaissance, nous le devons aussi aux accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH), qui assistent chaque jour les élèves en situation de handicap dans leur scolarité. En cette rentrée, plus de la moitié des AESH sont désormais en CDI, ce qui marque notre volonté forte de « déprécariser » ce métier, alors que l'an dernier, on était en dessous de 30 %. Parallèlement, tous bénéficient d'une revalorisation de 10 % à 13 % de leur rémunération. Évidemment, si l'on veut structurellement et véritablement améliorer la rémunération des AESH, c'est sur le temps de travail qu'il faut jouer. C'est la raison pour laquelle nous travaillons avec les collectivités locales sur le temps périscolaire. Nous travaillons aussi, à la suite de la conférence nationale du handicap, sur des missions supplémentaires qui pourraient être confiées aux AESH. Nous poursuivons également l'effort de recrutement. À l'heure où je vous parle, nos écoles comptent 15 000 AESH de plus qu'à la rentrée 2022.

L'école des droits et devoirs, c'est aussi le respect de l'autorité du maître et des savoirs et le respect des principes les plus élémentaires de notre République, comme la laïcité. Au cours des derniers mois, les atteintes à la laïcité se sont développées à un rythme inquiétant, qu'il s'agisse de la contestation des enseignements en histoire-géographie, en sciences de la vie et de la terre (SVT) et dans d'autres disciplines, ou du port de tenues non conformes à la loi de 2004. Vous le savez, j'ai assumé une décision importante au moment de ma nomination, mais elle n'aurait pas dû être vécue comme telle puisqu'il s'agissait simplement d'appliquer la loi de 2004, ce qu'a confirmé le Conseil d'État dans son avis suite aux référés de plusieurs associations sr cette décision.

Vous m'avez interrogé, monsieur le président, sur la manière dont cette mesure a été appliquée. J'en suis pour ma part très satisfait. Au cours de la première semaine de la rentrée scolaire, nous avons enregistré environ un millier de contestations de la règle par des élèves, ce qui est peu par rapport au nombre de tenues non conformes portées l'année dernière. Cela prouve qu'une grande partie des élèves concernés s'était conformée à cette obligation le jour de la rentrée. Surtout, dans la quasi-totalité des cas, nous sommes parvenus, par la pédagogie et le dialogue, à régler ces situations. Je veux d'ailleurs rendre hommage aux chefs d'établissement et à leurs équipes, ainsi qu'aux équipes « laïcité et valeurs de la République » des rectorats. C'est la preuve qu'avec de la pédagogie, du dialogue, bref de l'humain, on arrive à gérer des situations tendues. C'est un enseignement dont il faudra tirer parti, notamment sur la question du harcèlement scolaire.

Ma troisième priorité, enfin, est de construire une école qui émancipe et qui rende heureux. S'émanciper, c'est pour nos élèves la chance d'acquérir une autonomie d'esprit, un sens critique, de s'ouvrir intellectuellement à tous les savoirs et au monde. Cette émancipation passe d'abord par l'enseignement des humanités et de la culture générale. C'est pourquoi nous étendons à tous les collégiens l'accès au pass Culture.

Visiter un musée avec un guide-conférencier, assister à une représentation au théâtre, pratiquer un instrument de musique : voilà autant de découvertes et de pratiques qui fondent l'éducation artistique et culturelle de notre jeunesse et que nous développons en cette rentrée grâce à l'extension du pass Culture collectif à l'école.

Nous allons également refonder pour la rentrée prochaine l'enseignement moral et civique, j'y tiens particulièrement. L'école doit non seulement élever le niveau, mais aussi former des républicains. À cette fin, mon prédécesseur avait saisi le Conseil supérieur des programmes (CSP), qui me rendra ses propositions d'ici à la fin de l'année. Je veillerai à la place de nos institutions dans cet enseignement de la laïcité. Je sais, monsieur le président, que la mission que vous conduisez sera très utile pour enrichir ce travail. Avec l'abaya, nous n'avons évidemment pas réglé toutes les questions relatives à la laïcité, loin de là. Selon des études récentes, un enseignant sur deux déclare s'autocensurer, notamment pour des raisons de contestation de la laïcité. J'attends donc beaucoup de la mission conduite par le Sénat.

Je voudrais que nous progressions aussi sur l'éducation aux médias et à l'information, dont nous percevons chaque jour l'utilité face aux tentations de l'instantané et de l'immédiateté, qui ne remplaceront jamais l'esprit critique et le débat éclairé. L'objectif est que, dès la rentrée prochaine, nous puissions doubler le temps consacré à l'enseignement moral et civique à partir de la cinquième.

Enfin, je ne saurais parler des droits et devoirs d'une école qui rend heureux sans parler du droit absolu pour chaque élève de la République d'être en paix à l'école. Oui, le devoir du politique est de garantir à chaque élève une scolarité sereine. Je veux, bien sûr, parler du fléau que représente le harcèlement scolaire, qui a déjà fait souffrir trop de nos enfants et de leur famille, parfois jusqu'à l'irréparable.

Chaque élève a le droit à la parole. Chaque élève a le droit à l'écoute. Chaque élève a le droit d'être protégé. Voilà pourquoi le Gouvernement fait de la lutte contre le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement une cause absolument prioritaire pour notre école. Je n'accepterai pas que l'on oppose cette priorité-là à toutes celles que j'ai déjà évoquées précédemment. Comment pourrions-nous espérer élever le niveau scolaire si des milliers ou des millions d'élèves sont malheureux à l'école ? Nous devons profondément nous remettre en question sur ce sujet-là, y compris dans les pratiques qui ont pu exister.

Dès cet été, j'ai publié un décret pour que désormais les élèves harceleurs, et non les élèves harcelés, soient contraints de changer d'établissement. Dès cette rentrée, nous avons étendu le programme de lutte contre le harcèlement à l'école (pHARe) afin que 100 % de nos écoles, collèges et lycées prennent pleinement leur part d'une démarche de prévention, de détection et de résolution de chaque situation individuelle. Nous devons remettre de l'écoute et de l'humain à tous les étages, des rectorats à nos établissements. On ne luttera pas contre le harcèlement avec des plans ou des circulaires. Nous réussirons si nous changeons profondément de culture face au harcèlement et si nous nous donnons les moyens de le faire.

Les décisions présentées il y a quelques jours avec la Première ministre visent à traduire ce changement de culture. Cela passera, évidemment, par la poursuite du renforcement de la formation du personnel, par la sensibilisation des élèves et des parents, par le renforcement des moyens humains dans les académies et par la mise en place d'équipes d'intervention spécifiques. Le 9 novembre prochain se tiendra dans tous nos établissements la journée « Non au harcèlement ». Pour la première fois dans notre histoire, un temps spécifique sera consacré dans chaque salle de classe à la prévention et au recueil de la parole.

Par ailleurs, internet et les réseaux sociaux ne doivent plus demeurer des zones de non-droit où nos enfants naviguent en insécurité, des sortes de cours d'école sans règle ni supervision par aucun adulte. À cet égard, je me réjouis des amendements adoptés par vos collègues députés dans le cadre du projet de loi visant à sécuriser et à réguler l'espace numérique. Ces amendements adoptés il y a quelques minutes à l'Assemblée nationale permettront aux juges d'interdire à l'élève harceleur l'accès aux réseaux sociaux pour une durée allant jusqu'à six mois. Sans préjuger l'issue de la navette parlementaire, j'ai la conviction que ces mesures sont de nature à contribuer au renforcement de la lutte contre le cyberharcèlement.

Mesdames, messieurs les sénateurs, les Français attendent beaucoup de leur école et ils ont raison. La libération de la parole que nous observons ces dernières semaines sur le harcèlement démontre non seulement l'urgence à agir, mais aussi tous les progrès que nous pouvons accomplir si nous sommes unis pour notre école.

Toutes les priorités de l'agenda que je viens de vous présenter sont liées. On ne peut pas élever le niveau si nos élèves sont malheureux à l'école. On ne peut pas élever le niveau si nos professeurs sont malheureux d'enseigner et s'ils ne retrouvent pas la fierté et le prestige d'un métier si indispensable en démocratie. On ne peut pas élever le niveau si l'on ne retrouve pas le sens des principes, à commencer par l'autorité du maître et des savoirs.

Pour conduire toutes ces transformations, je suis convaincu que nous saurons trouver des points d'accord dans l'intérêt supérieur du pays et de sa jeunesse. Uni pour son école, notre pays n'en sera que plus fort et plus juste !

M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Quel programme ! Lors d'une audition, j'avais dit à votre prédécesseur : « soyez ministre, pesez ». Je ne doute pas de vos convictions, de votre enthousiasme ni de votre énergie.

Je salue votre initiative contre le port de l'abaya. Nous avions demandé en vain cette interdiction à votre prédécesseur. Les Français et les chefs d'établissement attendaient cette décision. Je vous félicite également de votre prise de position sur les courriers envoyés par le rectorat de Versailles. Ces gestes ne sont pas anodins : les parents vous écoutent et vous entendent, car vous représentez le ministère de l'éducation nationale et aussi la France.

Je salue également votre déplacement avec le ministre de l'intérieur, ce matin, dans une école juive à Sarcelles, en cette période tout à fait singulière. C'est grâce à de tels moments que vous symbolisez la République.

Permettez-moi néanmoins de vous alerter : à vouloir trop communiquer, on peut aussi parfois perturber les uns et les autres, qu'il s'agisse des chefs d'établissement, des enseignants ou des élèves.

Quoi qu'il en soit, sans refaire l'histoire, il faudra, tôt ou tard, se poser aussi la question sur ce qui se passe véritablement dans la classe. Certes, le budget de votre ministère est en augmentation, mais les enseignants sont peut-être aussi en attente d'autres choses...

Vous souhaitez garantir à chaque élève que, chaque jour, un enseignant sera face à lui. C'est fondamental. Vous avez évoqué les 15 millions d'heures qui ne sont pas enseignées, dont 10 % dans le cadre de la formation continue. Vous faites la nuance entre temps scolaire et temps de classe, mais on l'a bien vu avec l'ancienne ministre Vallaud-Belkacem : même en prévoyant une rémunération, cela n'a pas fonctionné. Comment allez-vous inciter - je dis bien inciter et non obliger - les enseignants à entrer dans le cadre de la formation continue, sachant que les enseignants de français - qui est l'une des deux priorités en France avec les mathématiques - bénéficient de deux fois moins de la formation continue que leurs collègues des autres pays de l'OCDE ?

Vous voulez que l'école soit un lieu où tous les enfants puissent être heureux. Vous ne souhaitez pas que la lutte contre le harcèlement entre en concurrence avec les autres objectifs. Je ferai référence à la médecine scolaire. Dans le département du Doubs, sur 15 emplois en équivalent temps plein (ETP), seulement 5 sont occupés. Je pense aussi aux infirmiers, qui participent également au repérage du harcèlement et de la souffrance.

Vous évoquez l'instauration de semaines de stage en entreprise pour les élèves de seconde, mais faisons attention à ce que ce dispositif et le service national universel (SNU) ne s'entrechoquent pas, car il s'agit d'une des priorités du Président de la République. Comment allez-vous organiser cet agenda ? Nous avons besoin de réponses, car toutes ces annonces créent des attentes parmi le personnel de l'éducation nationale et dans les entreprises.

J'évoquerai enfin l'excellente proposition de loi pour une école de la liberté, de l'égalité des chances et de la laïcité, de notre collègue Max Brisson. Elle propose des pistes intéressantes, notamment en ce qui concerne les dérogations aux modalités d'affectation des enseignants. L'article 4 de cette proposition de loi concerne la création des écoles supérieures du professorat des écoles. Il existe, en effet, un vrai problème en termes de formation. Il serait utile, à notre sens, que l'éducation nationale reprenne en main cette formation du premier degré.

Pour conclure, je tiens à dire que nous vous souhaitons beaucoup de réussite à la tête de ce ministère, qui touche nombre de familles, d'enseignants et d'élèves.

M. Gabriel Attal, ministre. - Vous avez évoqué la formation continue. J'assume ce choix de positionner la formation continue en dehors des heures de cours pour limiter au maximum les heures perdues pour nos élèves. J'assume également de dire que les enseignants ont besoin de formation continue. Cette décision peut être une opportunité pour améliorer le recours à la formation continue. Moins d'un enseignant sur deux au collège et à peine plus d'un enseignant sur trois au lycée y ont recours, la situation est donc loin d'être idéale. La qualité des formations n'est pas remise en cause, mais l'organisation ne répond pas à leurs attentes. Les enseignants souhaitent des modules plus courts, sécables, dans un format hybride, sur site en établissement. C'est tout cela que nous sommes en train de mettre en place. Nous le ferons de manière progressive - 30 % cette rentrée, 50 % au 1er janvier prochain, 100 % à la rentrée prochaine -, ce qui laissera le temps à nos écoles académiques de formation continue, au réseau Canopé et autres, de déployer leur offre et de la réadapter.

Oui, une profonde réforme de la formation initiale des enseignants est nécessaire. Il s'agit à la fois d'un levier essentiel pour l'élévation du niveau de nos élèves, mais aussi pour le bien-être de nos enseignants et l'attractivité du métier. Je ne crois pas du tout à une crise des vocations : un étudiant sur quatre déclare être intéressé par l'enseignement. Par ailleurs, nous avons tous autour de nous des exemples de personnes qui, après une première carrière, ont envie de donner du sens à leur travail et envisagent de devenir enseignants.

Il s'agit plutôt d'une crise d'attractivité, comme c'est aussi le cas dans beaucoup d'autres pays. J'étais à Hambourg, hier, avec le Président de la République : l'Allemagne anticipe une pénurie de 25 000 enseignants dans les années à venir. Le Canada manque de 5 000 professeurs. Aux États-Unis, certains États réduisent la taille des programmes par manque de personnel. Cette crise d'attractivité est donc mondiale, car il existe mondialement une perte du respect de l'autorité de l'enseignant et des savoirs. La relation entre un enseignant et ses élèves n'est pas une relation d'égal à égal. Il en va de même de la relation entre un enseignant et les familles. Il est important de le rappeler et de le redire, car cela n'est plus évident pour tout le monde...

La formation initiale peut aussi favoriser l'attractivité. Les enseignants sont aujourd'hui recrutés à bac+5, mais seulement un enseignant sur cinq se dit suffisamment formé à la gestion de sa classe. Par ailleurs, la deuxième année de master, en raison des cours, de la préparation du mémoire et de l'alternance, est devenue trop chargée pour les étudiants, ce qui réduit le vivier, car beaucoup d'entre eux démissionnent.

Il faut donc revoir la formation des enseignants. Notre ambition, qui rejoint la philosophie de votre proposition de loi, est de créer les écoles normales du XXIe siècle. Une concertation en ce sens a été lancée avec les organisations syndicales. Par ailleurs, ma collègue Sylvie Retailleau, immédiatement concernée puisqu'elle est ministre de l'enseignement supérieur, et moi-même envisageons de positionner le concours avant le niveau bac+5, par exemple à bac+3, avec une entrée progressive dans le métier, ce qui permettra de conserver le niveau master. Une partie des recrutements pourra se faire par prérecrutement dès le niveau bac, avec ensuite une formation extrêmement dense, notamment sur les fondamentaux et sur un certain nombre de valeurs essentielles.

Vous avez abordé le sujet de la médecine scolaire. Nous avons effectivement besoin d'elle, notamment sur la question du harcèlement. Certains élèves, qui ont du mal à parler à leurs enseignants, au chef d'établissement ou à leur famille, préfèrent parfois s'adresser aux personnels sanitaires ou sociaux. Les postes existent, mais ils ne sont pas pourvus. Pour les médecins, le problème est global puisqu'il concerne l'ensemble du pays. Il ne sera résolu que dans quelques années, lorsque les mesures mises en place au début du précédent quinquennat sur le numerus clausus commenceront à produire leurs effets. D'ici là, il nous faudra inventer de nouvelles manières de travailler, en faisant coopérer davantage les établissements scolaires avec la médecine de ville et les établissements de santé. Cela vaut également pour les infirmières scolaires. Nous pourrions, par exemple, envisager de permettre aux infirmières scolaires d'exercer également une activité libérale. Ce sont des pistes sur lesquelles nous sommes en train de travailler.

De nombreux efforts ont également été réalisés en matière de rémunération des personnels de santé à l'école au cours des dernières années : rehaussement des grilles indiciaires, primes pour les réseaux d'éducation prioritaire (REP) et les REP+. D'autres pistes restent à explorer, mais le problème n'est pas, à mon sens, uniquement financier.

Enfin, les deux semaines de stage pour les élèves de seconde sont une mesure très importante. Les pays qui réussissent mieux que nous en matière d'orientation - l'Allemagne, la Suède ou les Pays-Bas - ont mis en place trois ou quatre semaines de stage. Oui, c'est un défi, car tous ces élèves réaliseront leur stage au même moment. Nous allons donc tous devoir nous mobiliser. J'ai rencontré la présidente de Régions de France, Carole Delga, mais aussi François Bonneau et Renaud Muselier. Les présidents de région sont très engagés sur ce sujet-là, car c'est une mesure qu'ils appelaient de leurs voeux. Ils s'efforceront donc de mobiliser le tissu économique dans leurs territoires respectifs. Les présidents de fédération du patronat se mobiliseront également, tout comme les administrations.

Pour ce qui concerne votre question sur l'articulation de ce stage avec le SNU, les élèves engagés dans ce dispositif à ce moment-là en seront dispensés, mais ils le feront à un autre moment. Il n'y aura donc pas de concurrence entre les deux dispositifs.

Mme Marie-Pierre Monier. - Vous venez, monsieur le ministre, de nous réciter l'empilement des annonces qui a marqué la rentrée scolaire. J'ai du mal à y voir autre chose qu'une tentative de diversion, dans un contexte où la première promesse de l'école - promesse d'ailleurs martelée depuis plusieurs mois par l'exécutif - devrait être de garantir la présence d'un enseignant devant chaque élève. Or cette promesse n'a pas été tenue...

Face à la fragilisation sans précédent de notre école laïque, publique et républicaine, il est plus que jamais nécessaire de restaurer la confiance et le dialogue avec tous les membres de la communauté éducative. Tout au contraire, vous faites le choix d'une démarche très verticale, sous couvert de groupes de travail à qui sont allouées seulement huit semaines pour relever le défi de l'amélioration du niveau des élèves.

Vous parlez de concertation avec l'ensemble des enseignants, mais les lignes directrices sont connues d'avance. Dans mon rapport sur le bilan des mesures éducatives du quinquennat publié en février 2022, co-rédigé avec mes collègues Max Brisson et Annick Billon, nous pointions les dérives d'une politique publique menée dans la précipitation. J'ai bien peur que ce nouveau quinquennat ne tire pas la leçon des erreurs commises précédemment.

Mes questions porteront de nouveau sur la pénurie d'enseignants. Une enquête a été réalisée par le Syndicat national des personnels de direction de l'éducation nationale (SNPDEN-UNSA). Elle relève qu'il manque plus d'un enseignant dans 58 % des collèges et des lycées à la rentrée. Certains établissements m'envoient encore aujourd'hui des mails pour m'informer qu'ils manquent d'enseignants. Quelles sont les solutions prévues pour garantir une présence d'un enseignant qualifié - j'insiste sur ce qualificatif - devant les élèves ?

Dans un collège de Gironde, le proviseur a dû publier des petites annonces et a envoyé une lettre aux parents d'élèves pour qu'on lui communique des CV. Comment faire face au déficit de remplacement tout au long de l'année à venir ? Vous l'avez vous-même expliqué dans une récente interview au journal Le Monde, les remplaçants sont déjà positionnés sur les postes vacants dès la rentrée.

Il existe de graves dysfonctionnements en matière de signature de contrats de rémunération du personnel non enseignant : assistants d'éducation (AED), AESH, assistantes sociales, assistants administratifs. Dans la Drôme, la situation est tellement dramatique que la commission départementale d'aide sociale a dû hier attribuer des aides d'urgence à plusieurs agents.

Cette situation s'expliquerait par plusieurs facteurs : manque de personnels administratifs au rectorat, nouveau logiciel qui dysfonctionne, mais aussi impréparation de la mise en place de la CDIsation des AESH et des AED. Pouvez-vous nous présenter un état des lieux et nous indiquer comment vous prévoyez de régulariser au plus vite la situation ? Ils ne peuvent pas rester sans contrat ni salaire un mois et demi après la rentrée.

Il en va de même pour les assistants sociaux : les contrats d'embauche ne sont pas signés, ce qui conduit ces agents à travailler sans salaire et hors cadre légal depuis le début de l'année scolaire. Sans parler du non-déploiement des moyens nécessaires pour couvrir l'ensemble des besoins. Vous avez insisté tout à l'heure sur l'importance de la lutte contre le harcèlement scolaire. Or ces personnels sont justement déployés pour mener ce type d'actions. Comment allez-vous régulariser leur situation ?

Ma dernière question concerne le pacte Enseignant. Vous avez beaucoup communiqué sur la revalorisation des salaires, en disant que chaque enseignant percevrait chaque mois entre 125 et 250 euros net de plus. Mais ce n'est pas exact, car la revalorisation du point d'indice de la fonction publique et d'autres avantages, ainsi que la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat de rentrée, sont intégrés dans le calcul.

M. Gabriel Attal, ministre. - Ah non, pas la prime !

Mme Marie-Pierre Monier. - La promesse d'augmenter de 10 % en moyenne tous les enseignants n'a donc pas été honorée...

À en croire les remontées du SNPDEN-UNSA, le pacte enseignant n'aurait pas été signé dans 30 % des collèges et des lycées à la rentrée. Notre position est très claire : nous sommes contre la logique de ce pacte - gagner plus si on accepte de travailler plus -, d'autant qu'il existe de grandes disparités entre territoires. Comment allez-vous assurer l'accès à ces dispositifs d'accompagnement des élèves sur tout le territoire ? Des enseignants sont amenés à remplacer des collègues absents pendant leurs heures de service. Certains effectuent même des remplacements dans des matières qui ne sont pas les leurs. Trouvez-vous ces situations normales ? Sont-elles répandues sur le territoire ?

Mme Laure Darcos. - L'année dernière, à la même époque, j'avais interrogé votre prédécesseur concernant l'absence des mathématiques dans le tronc commun au baccalauréat. Leur enseignement a été rétabli, mais à moitié, c'est-à-dire uniquement en première. En terminale, ceux qui veulent étudier les mathématiques se retrouvent dans des classes de spécialité mathématiques. Sur le plateau de Saclay, cela fait deux promotions que nous manquons de candidats pour les écoles d'ingénieurs.

Vous souhaitez que chaque enfant soit heureux dans sa classe. Il manque beaucoup d'AESH, mais il manque aussi beaucoup de place en instituts médico-éducatifs (IME). À la Ville-du-Bois, deux enfants n'ont pas eu de place en IME. Ils ne disposent pas non plus d'AESH. Ils sont donc à l'école, mais on les appelle « les enfants du couloir ». En effet, comme ils ne tiennent pas en place, ils déambulent depuis le début de l'année dans les couloirs, devant leurs petits camarades. Cette situation est intenable.

Par ailleurs, dans un lycée à Dourdan, deux élèves de première Sciences et technologies du management et de la gestion (STMG) subissent depuis quinze jours un harcèlement scolaire absolument épouvantable, à tel point qu'ils se réfugient dans le centre de documentation et d'information (CDI) de leur établissement durant les pauses pour ne pas subir d'insultes. Le proviseur a refusé de les recevoir ainsi que leurs parents. Je leur ai demandé d'appeler le 3018. Ils n'ont eu pour seule réponse qu'un mail avec le numéro de téléphone des médiateurs du rectorat de Versailles et pour seul conseil d'appeler le ministre si cela ne suffisait pas. Quel manque d'empathie ! J'en ai parlé au directeur académique des services de l'éducation nationale (Dasen). Après mon intervention, le proviseur n'a rien trouvé de mieux à faire que d'exposer ces deux jeunes devant leur classe. Ils se font traiter à longueur de temps d'intellos parce qu'ils souhaitent travailler ! Ils sont victimes de racisme anti-blanc ! Ces enfants sont aujourd'hui chez eux, ils vont devoir suivre une psychothérapie. Ils demandent une seule chose : pouvoir changer d'établissement. Oui, c'est en principe au harceleur de quitter la classe, mais il faudrait tout de même dans certains cas permettre aux victimes de changer d'établissement !

M. Gérard Lahellec. - Monsieur le ministre, je suis sénateur des Côtes-d'Armor, fils d'un ouvrier agricole et d'une ménagère sans profession. Je dois à l'école de la République d'avoir fait de moi ce que je suis. Mes premiers mots sont donc des mots de reconnaissance envers la grande institution au destin de laquelle vous présidez.

S'il est vrai que l'école ne peut pas tout, il n'est pas moins vrai qu'elle peut beaucoup et notre société en attend d'ailleurs beaucoup. Je vous donne acte d'un certain nombre d'annonces que vous nous avez faites dans votre propos liminaire ainsi que d'un certain nombre d'infléchissements ; je pense à la réhabilitation des mathématiques.

Deux points particuliers ont retenu mon attention.

Le premier point concerne la carte scolaire à laquelle nous sommes confrontés dans bon nombre de nos territoires. Nos collectivités s'engagent beaucoup, notamment en créant les regroupements pédagogiques intercommunaux (RPI), lesquels constituent peut-être un bout de réponse à la crise démographique que vous évoquiez. En ce qui concerne les fameuses cartes scolaires, ne faudrait-il pas, préalablement à toute restructuration, engager en amont une démarche visant à atteindre une offre éducative de qualité plutôt que de mettre l'accent sur les effectifs ?

Le deuxième point concerne la crise d'attractivité dont vous avez fait état. Toutes vos précisions sont les bienvenues. La concertation avec les organisations syndicales me paraît être un élément permettant d'obtenir le consensus que vous recherchez.

M. Max Brisson. - Monsieur le ministre, je ferai preuve de bienveillance, mais ne vous y habituez pas trop !

Je vous félicite, au nom des sénateurs Les Républicains, de votre nomination et de la rentrée remarquée que vous avez faite, avec un discours qui tranche avec celui de votre éphémère prédécesseur.

Je souhaite vous interroger sur quatre sujets : la laïcité, l'école en milieu rural, la formation des professeurs du premier degré et l'entrée dans le métier d'enseignant.

Tout d'abord, la laïcité. Pendant des mois, face aux chiffres préoccupants, voire alarmants, du nombre d'atteintes à la laïcité, nous avons exhorté sans relâche votre prédécesseur à agir. Comme l'a rappelé Jacques Grosperrin, les voix des chefs d'établissement, des professeurs, étaient nombreuses pour réclamer des instructions précises et un cadre clair. Je salue donc votre décision.

Ce matin, vous étiez dans une école juive, et je vous en remercie. Quelles mesures allez-vous prendre pour que les enfants de religion ou de culture juives puissent sans danger fréquenter les écoles publiques, les écoles de la République, et ce dans tous les quartiers ? Il s'agit d'un enjeu majeur en termes de laïcité. Quid également de la neutralité religieuse et politique des accompagnateurs lors des sorties scolaires ? Une sortie scolaire est une forme d'école hors les murs. Par ailleurs, le Conseil des sages de la laïcité et des valeurs de la République (CSLVR) a été bousculé par votre prédécesseur. Sa saisine ne relève désormais plus que du ministre, il ne peut plus s'autosaisir. L'élargissement de son périmètre à la lutte contre le racisme et l'antisémitisme, ainsi qu'à toutes les formes de haine et de discrimination, à l'égalité femmes-hommes et à la promotion du principe de fraternité à l'école a dilué le rôle précieux que lui avait conféré Jean-Michel Blanquer. Prévoyez-vous de revenir sur ces évolutions ?

Ma deuxième série de questions porte sur l'école rurale. Je rejoindrai les propos de notre collègue du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky. Monsieur le ministre, l'amélioration des relations entre l'éducation nationale et les maires ruraux passe par la rénovation du partenariat entre les maires et l'école de la République. C'est un sujet prioritaire. Il importe d'établir une carte scolaire pluriannuelle, s'inscrivant dans le temps long. On demande aux maires de voir de plus en plus loin, mais on laisse les Dasen et les inspecteurs de l'éducation nationale (IEN) venir à l'école avec leur règle à calculer selon des procédures dignes de la IIIe République ! Quand allez-vous repenser ce système suranné pour être en phase avec les exigences de l'État en matière d'urbanisme et surtout pour avoir une approche particulière des territoires éducatifs ruraux qui sont aussi des territoires à besoin éducatif particulier?

Le troisième point que je souhaite aborder concerne la formation des professeurs. Vous avez tenu un certain nombre de discours qui vont dans le bon sens. Vous avez aussi pris des mesures, comme pour le baccalauréat, qui sont pertinentes. Mais pour favoriser ce choc des savoirs dont vous parlez, il est nécessaire de repenser en profondeur la formation des professeurs du premier degré. Comment allez-vous faire pour que les demandes de l'employeur, à savoir l'éducation nationale, soient premières par rapport aux injonctions des universités, qui n'ont pas démontré depuis vingt ans leur capacité à former les professeurs du premier degré ? Vous avez parlé des écoles normales du XXIe siècle. Les écoles normales étaient à la main de l'éducation nationale, c'est le rôle de l'employeur qui est ici en jeu. Les magistrats ne sont-ils pas formés dans une école à la main du ministère de la justice ? Il me semble au moins nécessaire que les professeurs du premier degré répondent aux attentes de l'État employeur.

Ma dernière question porte sur l'entrée dans le métier d'enseignant. Comment comptez-vous mettre un terme au bizutage institutionnel que les jeunes professeurs subissent lorsqu'ils entrent dans le métier ? Force est de reconnaître qu'ils sont bizutés à leur arrivée par l'institution que vous avez désormais l'honneur de diriger...

Mme Sonia de La Provôté. - Ma première question porte sur le principe du « pas de vagues » et sur les violences envers les enseignants. Un professeur sur deux a été victime d'une agression. Nous avons auditionné votre prédécesseur il y a quelques mois, nous avons du mal à voir la stratégie qui sera mise en place. Il s'était engagé à une étude géographique et de caractérisation des agresseurs afin de pouvoir adapter les réponses apportées à ces violences. Or, je l'ai constaté encore récemment dans mon département, l'injonction de ne pas faire de vagues est toujours d'actualité.

Ma deuxième question porte sur les écoles hors contrat. Elles sont en augmentation exponentielle. Dans le primaire, on est passé de 4,9 % à 6,2 % des élèves dans le privé hors contrat. De nombreux enfants échappent donc au radar de l'éducation nationale, au sens républicain du terme. Sans jeter l'opprobre sur tous ces établissements, quel bilan tirez-vous de cette augmentation de la scolarisation hors contrat ? Avez-vous identifié des pistes d'amélioration ?

Ma troisième question porte sur l'éducation artistique et culturelle (EAC) et sur le fameux 100 % EAC que vous avez évoqué. Où en est-on et quel en est le bilan réel ? À l'époque, l'EAC reposait sur des actions portées par les établissements et les enseignants, avec un réseau d'intervenants bien identifiés qui faisaient fonctionner tout un écosystème. Le pass Culture a amené un filtre complémentaire et a fait disparaître pas mal d'actions et d'intervenants, qui n'avaient pourtant pas démérité. Si le pass Culture est un outil, il n'est pas pour autant une stratégie en matière d'éducation artistique et culturelle. Quelle est votre stratégie en l'espèce ? Avez-vous identifié des priorités ?

Ma dernière question porte sur la modification du zonage d'éducation prioritaire. Une cartographie nouvelle devait être mise en place. De nouvelles pistes devaient être explorées, notamment le suivi particulier d'élèves relevant de l'éducation prioritaire, mais n'étant pas inscrits dans des zones d'éducation prioritaire. Où en est-on sur ce sujet ?

Mme Monique de Marco. - Vous avez fait des annonces sur l'empathie. Comment comptez-vous les mettre en oeuvre ? Cela passera-t-il par l'enseignement moral et civique ? Cette année, les élèves de sixième n'ont plus de cours de technologie. L'heure consacrée à cette matière a été remplacée par une heure de mathématiques et de français, comme si la technologie n'était pas une matière où l'on utilise le français et les mathématiques ! Cette décision a été annoncée brutalement par votre prédécesseur, sans aucune concertation. Cette suppression de la technologie traduit, à mon sens, une méconnaissance totale des enjeux éducatifs du XXIe siècle. Cette matière est directement liée aux enjeux numériques et climatiques. Auriez-vous l'intention de revenir sur cette décision ? Au-delà de la sixième, comptez-vous renforcer cet enseignement ?

M. Bernard Fialaire. - Je vous félicite de vos premières prises de parole pour réhabiliter l'autorité. Vous l'avez même incarnée, c'est un point important à mes yeux. Il importe, en effet, avant toute chose de respecter les savoirs et les enseignants. Mais autorité ne signifie pas pour autant rigidité. La coopération entre l'éducation nationale, les communes, les départements et les régions me paraît un enjeu essentiel. Les départements s'occupent déjà de la médecine scolaire et des problèmes sociaux via la protection maternelle et infantile (PMI). Les assistantes sociales des établissements scolaires ne savent pas forcément ce qui se passe exactement dans les familles, au contraire des services sociaux des départements qui suivent certains enfants depuis la naissance. Une coopération renforcerait donc l'efficacité des actions.

Par ailleurs, les règles mises en place par les communes et appliquées par les éducateurs de rue ou par le secteur périscolaire ne doivent pas être différentes de celles qui prévalent dans les établissements scolaires. L'action des régions en faveur des stages et de l'orientation est également un facteur important de réussite, dans l'esprit des cités éducatives qui ont fait leurs preuves dans certains territoires.

Vous avez évoqué l'évolution de l'enseignement moral et civique. Une mission d'information sur la culture citoyenne, menée par Stéphane Piednoir et Henri Cabanel, débouchera sur une proposition de loi, que je rapporterai, tendant à renforcer la culture citoyenne. Ce texte revient sur l'enseignement moral et civique, qui devrait, à notre sens, être délesté de certains enseignements relevant davantage du code de l'éducation. Je pense aux gestes de premiers secours, aux informations données sur le don d'organes, à la sensibilisation sur les conduites addictives. Peut-être faudrait-il aussi que la rédaction de certains programmes soit moins confuse et qu'ils ne soient pas remis en question chaque année...

Ma toute dernière question provient d'une remarque formulée par le président de l'association des maires ruraux de mon département. La participation des communes aux écoles privées de chaque territoire est calculée en se fondant sur le coût d'un élève dans les écoles publiques dudit territoire. Lorsque le nombre d'élèves diminue dans certaines écoles rurales, alors que les charges restent fixes, voire augmentent en raison de la hausse du prix de l'énergie, cela renchérit d'autant la participation de ces communes au bénéfice des écoles privées. Comment pourraient-elles alors investir pour rendre leurs écoles publiques plus attractives ? Elles subissent une sorte de double peine. Ne pourrions-nous pas revoir ce mode de calcul en tenant compte des places disponibles dans une école plutôt que des places effectivement occupées ?

Mme Samantha Cazebonne. - Je vous félicite, monsieur le ministre, de vos prises de position courageuses en cette rentrée. J'aborderai trois points, qui concernent les plus de 400 000 élèves des écoles françaises à l'étranger. Mais, auparavant, je tiens à envoyer nos pensées aux communautés scolaires des lycées français de Tel-Aviv et de Jérusalem.

Je salue votre engagement sans équivoque contre le harcèlement scolaire. Vous avez envoyé des messages forts de soutien aux victimes et à leurs familles, qui reprennent espoir de voir la peur changer de camp. Si nous sommes encore au début d'un changement d'ampleur, je souhaitais évoquer avec vous la mise en place de ce dispositif prévu sur le territoire national et sa transposition aux élèves des lycées français de l'étranger.

Il existe certes des dispositifs de lutte contre le harcèlement dans un certain nombre de nos établissements français à l'étranger, mais il reste encore beaucoup à faire dans leur mise en oeuvre ainsi que dans la formation des personnels, des élèves et des parents. Nous devons, en effet, aller encore plus loin pour accompagner ces élèves et ces familles, qui n'ont parfois d'autre alternative face au harcèlement que de rentrer en France ou d'inscrire leurs enfants dans un système scolaire étranger. N'aurions-nous pas intérêt à coordonner nos forces avec l'inspection générale du ministère de l'éducation nationale, la médiatrice de l'éducation nationale, l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) et les opérateurs d'enseignement français sous la tutelle du ministère des affaires étrangères pour transposer ces dispositifs nationaux au réseau français de l'étranger ?

Vous l'avez rappelé, depuis 2020, des familles françaises dont les enfants sont en situation de handicap et scolarisés au sein du réseau de l'enseignement français à l'étranger bénéficient désormais d'une bourse pour le financement des AESH. Nous pouvons en être fiers. Ainsi, plus de 283 élèves lors de cette rentrée sont accompagnés financièrement. Si nous sommes heureux que ce dispositif se développe au sein du réseau, je souhaite appeler votre attention sur le fait qu'il faut dès à présent prévoir de nouveaux moyens en formation du personnel, qui est souvent de droit local et qui peut parfois manquer de connaissance du système pédagogique français. Ce point, monsieur le ministre, mériterait dès à présent un diagnostic de l'inspection générale.

Enfin, le décret de 2019 de l'enseignement français à l'étranger prévoit un détachement de deux fois trois ans des agents de l'éducation nationale en contrepartie de leur retour en France. Il avait été pris l'engagement de les accompagner au retour et de valoriser leurs acquis d'expérience à l'étranger. Malheureusement, aujourd'hui encore, on ne reconnaît pas suffisamment ces agents, qui maîtrisent pourtant des langues et des bivalences. À la suite des consultations d'avril dernier sur l'enseignement français à l'étranger, menées par les services du ministre des affaires étrangères et de celui de l'éducation nationale, les propositions des agents, des équipes de direction et de votre administration ont commencé à être recensées. Un groupe de travail sera-t-il créé à la direction des ressources humaines du ministère de l'éducation nationale ? Les agents détachés relevant du décret de 2019 devront préparer leur retour à la fin de l'année scolaire 2024. Il me semble impossible de ne pas reconnaître leur parcours et leur engagement. Nous accueillons aujourd'hui près de 400 000 élèves dans 580 établissements, soit 30 000 élèves en plus depuis le lancement de Cap 2030, voulu par le Président de la République. N'oublions pas que c'est aussi grâce à leur travail que l'objectif a été atteint.

M. Aymeric Durox. - Il y a encore deux semaines, juste avant mon élection, j'étais professeur d'histoire-géographie. Aujourd'hui, contrairement à ce que vous avez affirmé, de moins en moins d'étudiants veulent devenir professeurs. Par ailleurs, de plus en plus d'enseignants quittent le métier. Je ne citerai qu'un chiffre : 75 % des ruptures conventionnelles dans la fonction publique concernent des agents de votre ministère alors que ces derniers ne représentent que 64 % des agents de la fonction publique.

Il existe bien sûr un problème de rémunération. Prenons mon cas personnel. Il y a deux semaines, j'étais à l'échelon 7 et j'allais percevoir environ 145 euros en plus par mois, contre 80 euros pour mes collègues à l'échelon 8. J'allais donc percevoir 2 350 euros par mois, ce qui au bout de dix ans d'expérience, surtout en région parisienne, est assez peu, et ce sans treizième mois, sans tickets resto, sans médecine du travail et sans comité d'entreprise ; ce dernier point constitue d'ailleurs une aberration. Il reste donc des progrès à faire...

Les revalorisations que vous avez annoncées ne rattrapent pas la perte de pouvoir d'achat subie depuis trente ans. De plus, la plupart d'entre elles sont versées sous forme d'indemnités et ne comptent pas pour la retraite. Quelles sont vos pistes pour améliorer concrètement la situation matérielle des 800 000 enseignants de France ?

M. Gabriel Attal, ministre. - Je démarrerai sur la question de la rentrée scolaire. Notre objectif est que tous les postes soient pourvus. Fin septembre, lors du dernier point, nous étions à 99,95 % de postes pourvus. Ainsi, madame la sénatrice Monier, vous faites référence, non à des postes que nous n'aurions pas été capables de pourvoir, mais à des postes occupés par des professeurs absents. N'étant pas un adepte du « fonctionnaire-bashing » ou du « prof-bashing », je ne partage pas vos propos. Notre ambition est précisément de pouvoir assurer le remplacement en cas d'absence. C'est l'un des enjeux du pacte enseignant. Vous dites qu'il s'agit de missions supplémentaires, mais beaucoup d'enseignants effectuent déjà des remplacements de courte durée en réalisant des heures supplémentaires, en moyenne deux heures par semaine. C'est donc déjà une réalité dans nos établissements, simplement ils seront dorénavant mieux rémunérés puisque l'indemnité horaire passe de 40 à 70 euros.

Vous avez également insisté sur le besoin d'enseignants « qualifiés ». Je pense qu'il s'agit là d'une référence aux contractuels ? Pour ma part, je remercie et je salue les enseignants contractuels qui s'engagent auprès de nos élèves. Ils représentent 5 % de nos enseignants. Je rappelle également que 90 % d'entre eux enseignaient déjà l'année dernière. En cela, ils ont acquis une certaine expérience. Notre objectif est bien évidemment de les titulariser.

Sur la question des contrats non signés ou des salaires non versés, nous avons eu effectivement un certain nombre d'alertes, notamment à Mayotte, mais également dans le Val-d'Oise où un certain nombre de dossiers, notamment d'AESH, ont dû être repris à la main, ce qui a entraîné des délais. J'ai donné pour consigne à l'ensemble des rectorats de verser immédiatement des acomptes allant jusqu'à 90 %, de manière à éviter toute absence de rémunération.

En ce qui concerne la rémunération des enseignants, permettez-moi de corriger un certain nombre de propos. Contrairement à ce qui a été affirmé, la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat n'entre pas dans le calcul de l'augmentation de 125 à 250 euros net perçue par tous les enseignants. La revalorisation du point d'indice figure bien dans cette hausse, mais n'oublions pas que cette revalorisation répondait aussi à une demande des syndicats !

Il importe de se rendre compte du chemin parcouru. Un enseignant en début de carrière, néo-titulaire, gagnait il y a trois ans 1 700 euros net par mois contre 2 100 euros net aujourd'hui, soit 400 euros de plus. Certes, il faut continuer à revaloriser les salaires, mais dans une administration qui compte 860 000 enseignants, toute augmentation représente des sommes budgétaires très importantes.

Sur les mathématiques, nous ne sommes pas du tout au bout de ce qu'il faut faire pour redresser le niveau dans notre pays. Mais il était essentiel de rétablir cette discipline dans le tronc commun en première, comme nous l'avons fait en cette rentrée. Il nous faudra continuer d'agir en ce sens, notamment au collège, mais peut-être aussi au lycée. J'attends de voir ce que la mission exigence des savoirs me proposera.

Mme Monier, vous indiquez que huit semaines, c'est peu pour agir. Mais nous disposons déjà sur la question de l'élévation du niveau d'énormément de rapports, d'audits, d'avis, de propositions, y compris de la part de parlementaires, du conseil scientifique de l'éducation nationale, de l'inspection générale, etc. Il est peut-être maintenant temps de concrétiser. La mission que j'ai installée hier s'appuiera sur cette somme de rapports et de travaux remis ces dernières années pour faire des propositions opérationnelles. Oui, il sera possible d'avancer rapidement : nous devons à nos élèves d'élever le niveau !

Sur les mathématiques, nous allons continuer ; j'ai ouvert un certain nombre de pistes dans mon intervention à la Bibliothèque nationale de France (BnF) la semaine dernière. J'ai proposé de fonctionner, au moins sur le français et les mathématiques, par groupes de compétences au collège. C'est une piste intéressante. Les enseignants eux-mêmes le disent : lorsque des élèves au sein d'une même classe ont des niveaux trop disparates, cela tire tout le monde vers le bas. Ce n'est pas une annonce que je suis en train de faire ici, mais je souhaite que la mission puisse expertiser s'il ne serait pas opportun de penser une organisation par groupe de compétences au collège.

M. Max Brisson. - C'est la fin du collège unique !

M. Gabriel Attal, ministre. - Absolument pas ! Je ne dis pas non plus que je suis pour le retour des classes de niveau : je suis au contraire favorable à la mixité des niveaux. Il s'agit d'expérimenter simplement une nouvelle organisation. Nous le faisons d'ailleurs dès cette rentrée puisque nous fonctionnons déjà par groupe de compétences pour l'heure supplémentaire de mathématiques ou de français qui remplace l'heure d'enseignement technique dont a parlé Mme de Marco. Cela permettra peut-être aussi aux élèves qui en ont le plus besoin de fonctionner en plus petits groupes. Le Syndicat national des lycées, collèges, écoles et du supérieur (Snalc) avait fait il y a quelques années une proposition de collège modulaire. J'ai demandé à la mission d'étudier cette question, qui semble déchaîner les passions, ici, au Sénat. Je me réjouis par avance à l'idée de revenir en parler avec vous !

L'école inclusive est effectivement un sujet absolument majeur. Oui, il y a un manque de places en IME. J'ai eu l'occasion de le dire à mes collègues Aurore Bergé et Fadila Khattabi, qui se sont engagées à avancer sur ces sujets. En matière d'école inclusive, nous avons fait d'énormes progrès quantitatifs, en termes de nombre d'élèves accueillis, depuis 2017. Nous avons notamment créé 40 000 postes d'AESH. Nous sommes à présent en train de « déprécariser » ce métier en transformant plus de 50 % de ces emplois en CDI. Nous avons également prévu des revalorisations de salaire, même s'il faut continuer d'agir sur le temps de travail. Nous devons maintenant progresser vers du qualitatif. Beaucoup de professeurs des écoles, notamment, se sentent parfois dépassés. La transformation des pôles inclusifs d'accompagnement localisés (Pial) en pôles d'appui à la scolarité (PAS) est attendue. C'est une bonne piste selon moi, car cela constituera un point d'entrée unique pour les familles, y compris dans leur démarche avec la maison départementale des personnes handicapées (MDPH).

Il importe également de renforcer les heures de scolarité dans les établissements médico-sociaux. Aujourd'hui, la MDPH prescrit parfois une place en IME ou en institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (Itep), mais la famille souhaite que l'enfant aille à l'école, car il bénéficiera alors de plus d'heures de cours. Parfois, encore faute de places en IME, l'enfant est scolarisé à l'école. Il faut parvenir à renverser la vapeur. L'objectif est clair : il s'agit de mettre en place le meilleur accompagnement possible pour tous les élèves. Tous les enfants de la République, quel que soit leur situation ou leur handicap, ont le droit d'être scolarisés dans les meilleures conditions possible pour eux.

Le plus souvent, cela passe par l'école en milieu ordinaire, avec un accompagnement et une adaptation. Parfois, cela passe par une place en établissement médico-social, dans lequel il doit y avoir de l'enseignement scolaire. J'insiste aussi sur la mission qui a été confiée au président du département de la Somme, M. Haussoulier, et à Lucie Carrasco, très engagée sur les questions de handicap, à propos du rapprochement entre les établissements médico-sociaux et l'école. Je ne voudrais pas que certains cherchent à instrumentaliser ces situations difficiles sur le terrain pour essayer de nous faire revenir sur l'école inclusive.

Il y a quelques mois, Alternative für Deutschland (AFD), c'est-à-dire l'extrême droite allemande, a annoncé qu'elle mettait désormais au coeur de son projet politique le rejet de l'école inclusive. J'ai observé qu'en France, lors de la dernière élection présidentielle, un candidat a commencé à toucher du doigt ce sujet-là. Je ne veux pas que l'on revienne sur ce progrès qu'est l'accueil à l'école des élèves en situation de handicap. Nous devons donc être capables de répondre aujourd'hui aux préoccupations qui sont exprimées par les familles, par les élèves et par les professeurs des écoles.

J'en viens à la question du harcèlement. Nous étudierons plus précisément le cas qui a été évoqué, mais, de manière générale, si l'on dit qu'il revient à l'élève harceleur, et non à l'élève harcelé, de changer d'établissement, cette décision doit intervenir en dernier ressort. Il faut au préalable tout faire pour régler la situation pour éviter d'en arriver là, notamment dans le premier degré. Cependant, les élèves harcelés doivent savoir qu'ils peuvent toujours faire ce choix s'ils le souhaitent.

Une visibilité pluriannuelle est effectivement nécessaire sur la qualité éducative dans le monde rural. Un engagement a été pris à cet égard par la Première ministre dans le cadre du plan France Ruralités. Il existe désormais une instance au sein des directions des services départementaux de l'éducation nationale (DSDEN), dont je suivrai de près la mise en oeuvre.

L'attractivité du métier d'enseignant est un enjeu majeur, qui s'articule autour de plusieurs sujets : la rémunération, la formation initiale et le déroulement de la carrière. Nous devons pouvoir proposer davantage de progression salariale et d'opportunités aux enseignants en milieu de carrière. Il faudrait également leur donner la possibilité de valoriser leurs compétences ailleurs s'ils le souhaitent. Les jeunes d'aujourd'hui ne se voient pas exercer le même métier toute leur vie ; pourquoi en irait-il autrement dans l'éducation nationale ? Il ne faut pas donner l'impression aux jeunes candidats au métier d'enseignant qu'ils ne pourront jamais changer de voie si l'envie leur en prend. Nous devons donc oeuvrer pour la valorisation des carrières.

La question des affectations et des mutations est en outre essentielle. Certains contractuels préfèrent en effet ne pas devenir titulaires pour pouvoir rester dans leurs académies. S'il existait un système parfait susceptible de contenter tout le monde, j'ose espérer que mes prédécesseurs l'auraient mis en oeuvre ! Nous pourrions néanmoins imaginer un système susceptible de garantir à un enseignant qui accepterait une affectation donnée un retour dans son académie d'origine au bout d'une certaine durée passée en poste. Cela fait partie des sujets dont nous discutons avec les organisations syndicales. J'ai également missionné le conseil scientifique de l'éducation nationale pour y travailler. Tous ces travaux s'appuieront aussi sur vos propositions.

M. Laurent Lafon, président. - Vous pourrez vous référer à la proposition de loi de Max Brisson pour une école de la liberté, de l'égalité des chances et de la laïcité.

M. Max Brisson. - Vous pourrez également consulter le rapport d'information Métier d'enseignant : un cadre rénové pour renouer avec l'attractivité rédigé il y a quelques années par Françoise Laborde et moi-même.

M. Gabriel Attal, ministre. - Nous étudierons ces éléments.

Gérald Darmanin et moi-même nous trouvions ce matin dans une école juive de Sarcelles pour réaffirmer la promesse de la République de protéger tous ses enfants, qu'ils soient scolarisés à l'école publique, dans une école privée ou dans une école confessionnelle. Un important déploiement de forces de sécurité est en cours pour sécuriser tous les établissements de confession juive, particulièrement les écoles. Je remercie le ministre de l'intérieur et ses services pour la sécurité ainsi apportée à ces élèves. Il est de notre responsabilité de répondre à l'inquiétude des familles, en mobilisant tous les moyens nécessaires.

La sécurité des élèves de confession juive dans l'école publique est également un sujet majeur. L'antisémitisme se déploie depuis plusieurs années dans les établissements scolaires. Plusieurs familles ont d'ailleurs fait le choix de scolariser leurs enfants dans le privé pour cette raison.

Nous avons reçu plusieurs alertes ces derniers jours concernant des agressions et des intimidations d'élèves de confession juive en lien avec la situation internationale. De tels faits sont inadmissibles et nous serons intraitables à leur sujet. J'ai demandé hier que mes services en soient systématiquement informés et que ces agissements donnent lieu à une saisine systématique du procureur de la République, qu'une plainte ait été déposée ou non. La police et la justice sauront se montrer réactives. Des sanctions disciplinaires seront également prises à l'encontre des élèves concernés. Je le dis clairement : les élèves qui intimideraient, agresseraient, menaceraient des élèves de confession juive ou envisageraient de le faire auraient de bonnes raisons d'avoir peur, car nous serons intraitables.

J'en viens à la question relative à la neutralité religieuse des accompagnateurs de sorties scolaires. Ce sujet m'a fait beaucoup réfléchir, car il concerne des sorties qui s'effectuent dans le cadre scolaire mais qui ne se font pas dans l'enceinte de l'école. J'ai fini par être convaincu par une tribune parue il y a quelques années dans Le HuffPost, intitulée « Pour le droit des mères voilées à accompagner les sorties scolaires » et dont le résumé se présente ainsi : « Je ne pense pas qu'il faille réglementer la tenue des parents d'élèves comme celle des élèves. Autant la loi de mars 2004 était tout à fait nécessaire pour sortir du cas par cas et sanctuariser l'intérieur de l'école, autant il faut savoir faire preuve de souplesse quand il s'agit des parents et des sorties scolaires. Pour une raison simple, qui tient à une certaine idée de la laïcité, mais aussi de l'école publique. » Cette tribune a été signée par Caroline Fourest, que l'on ne peut pas accuser de relativiser la laïcité, à l'école ou dans la société. Autant ma détermination est absolue concernant l'application de la loi de 2004 dans l'école de la République, autant j'assume de ne pas revenir sur les règles en vigueur sur ce sujet. J'entends que cela puisse donner lieu à des débats et que des propositions différentes soient présentées par les groupes politiques, mais j'assume ma décision.

J'ai rencontré dès ma nomination Dominique Schnapper, la présidente du Conseil des sages de la laïcité et des valeurs de la République. Cette instance sera rétablie dans ses prérogatives. Je ne crois pas néanmoins que mon prédécesseur ait souhaité l'empêcher de travailler. Le Conseil peut s'autosaisir dès qu'il le souhaite et le coeur de son travail est l'application de la laïcité dans l'éducation nationale.

Je débattrai de la question de l'école normale avec la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche. Les liens entre la formation des maîtres et l'université sont un beau sujet de débat. Nous aurons cette discussion avec les organisations syndicales et les universités.

Madame de La Provôté, je me pencherai sur l'impact du label 100 % EAC dont vous avez parlé. L'objectif de ce label est de renforcer l'accès de nos élèves à la pratique artistique et à l'éducation artistique et culturelle. Nous étudierons les points que vous avez soulevés. Nous dresserons également le bilan du pass Culture collectif à l'école. Ce système me semble utile, car il fournit un budget pour organiser des activités culturelles, à raison de 25 euros par élève et par an, mais il mérite d'être plus mis en avant. J'ai de grandes ambitions concernant la culture générale à l'école et le développement de l'éducation artistique et culturelle, notamment dans le premier degré.

Il existe environ 1 900 écoles hors contrat. Les deux tiers des élèves scolarisés le sont dans le premier degré, le tiers restant dans le second. Le nouveau cadre juridique instauré sous le précédent quinquennat a entraîné une forte hausse du nombre de contrôles : nous sommes ainsi passés de 174 contrôles au cours de l'année scolaire 2013-2014 à 668 pour l'année scolaire 2021-2022. Les services veillent à ce qu'aucun établissement ne puisse ouvrir sans avoir été déclaré.

J'en viens à la question sur l'empathie. Le terme n'est peut-être pas le plus approprié, nous pourrions aussi parler d'altruisme, de rapport à l'autre, de tolérance ou de bienveillance. Bref, l'idée est de donner corps à l'ambition de Rousseau d'instruire l'esprit tout en éduquant le coeur. Les pays qui ont fait reculer le harcèlement scolaire sont ceux qui ont investi massivement sur ce sujet dès les premières classes. C'est le cas, par exemple, du Danemark. La méthode danoise est d'ailleurs déployée dans des écoles à Saint-Ouen ou à Paris. Certains établissements appliquent d'autres méthodes, à l'image des ateliers à visée philosophique organisés à l'école primaire par la fondation Savoir être et vivre ensemble (Seve) du philosophe Frédéric Lenoir. Je crois beaucoup à ces initiatives.

J'ai saisi le Conseil supérieur des programmes pour qu'un programme sur le sujet soit disponible pour le premier degré à la rentrée 2024 et je souhaite que, dès janvier 2024, on ait, dans chaque département, au moins une école qui expérimente des temps d'apprentissage du rapport à l'autre et de l'empathie.

La décision de mon prédécesseur de remplacer une heure d'enseignement technologique par une heure de soutien en mathématiques ou en français visait à ne pas surcharger l'emploi du temps des élèves. Cependant, cela ne signifie pas que nous renonçons à nos ambitions en matière de découverte de la technologie.

Je consulterai le rapport de la mission d'information sur le thème « Comment redynamiser la culture citoyenne ? ». Le Conseil supérieur des programmes saura s'y référer dans le cadre de ses travaux relatifs aux programmes d'enseignement moral et civique (EMC).

J'ai reçu par ailleurs plusieurs saisines concernant l'augmentation de la participation financière aux écoles privées. Une réunion de travail devra être organisée avec les associations d'élus et les représentants de l'enseignement privé.

Le déploiement du plan interministériel de lutte contre le harcèlement à l'école nécessitera la mobilisation de tous. Je remercie les sénateurs qui se sont engagés sur le sujet. J'avais reçu Colette Mélot, auteure d'un bon rapport sur cette question. L'objectif est d'aller vers 100 % de prévention, 100 % de détection et 100 % de réaction face au harcèlement. Le déploiement de ce plan devra concerner également les établissements français situés à l'étranger, qui jouent parfois un rôle de laboratoire pour certaines initiatives.

J'en viens à la question de la formation des AESH dans le réseau de l'enseignement français à l'étranger. Le financement des AESH dans les établissements du réseau relève non pas de l'éducation nationale, mais des familles. Cependant, leur recrutement peut s'effectuer en collaboration avec les établissements. Des aides financières spécifiques peuvent en outre être déployées par l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger, dont la tutelle est assurée par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères. L'AEFE prévoit par ailleurs des actions de formation destinées à ses personnels.

Le zonage de l'éducation prioritaire sera revu, mais je ne peux vous dire quand cela se fera. Toutefois, nous nous en approchons. L'objectif est de mettre ce zonage en cohérence avec la nouvelle cartographie des quartiers prioritaires de la politique de la ville. Si nous appliquions les critères de la cartographie actuelle sans les modifier, 200 établissements intégreraient l'éducation prioritaire, quand 200 autres en sortiraient. Des questions se posent donc sur les critères permettant de relever de cette éducation, et sur la façon dont nous pouvons accompagner les établissements sortant de cette catégorie. Nous devrions avoir avancé sur le sujet d'ici à 2024 ou à 2025.

M. Pierre Ouzoulias. - L'école « hors les murs » ne se distingue pas de l'école dans la classe et doit être à ce titre encadrée par le personnel de l'éducation nationale. C'est une question statutaire et non vestimentaire.

Dans les Hauts-de-Seine, les dix établissements présentant l'indice de positionnement social le plus élevé sont des établissements privés, quand les dix qui affichent l'indice le plus faible sont publics. Votre prédécesseur avait eu le courage de soulever cette question. Une convention a ensuite été signée avec l'enseignement catholique, peu susceptible de contraindre les établissements à changer leurs politiques. Est-il légitime que l'État donne autant d'argent à des établissements privés sous contrat qui ont fait le choix économique de privilégier des élèves venus de milieux favorisés ?

Mme Catherine Belrhiti. - Votre souhait de « reconquérir le mois de juin » en proposant notamment un stage de deux semaines pour les élèves de seconde part d'une bonne intention, mais risque de s'avérer difficile à mettre en oeuvre, surtout dans les régions rurales, compte tenu du manque d'offres disponibles.

Nous assistons bel et bien à une crise des vocations. De nombreux enseignants choisissent ainsi désormais de quitter le métier à l'issue de leur année de stage. Les élèves deviennent de plus en plus difficiles. De plus, les classes de niveau unique ne fonctionnent pas. Il faut revoir ce système, en instaurant des classes de niveau. Il faut des classes pour accompagner les enfants les plus en difficulté, mais aussi des classes d'excellence.

Enfin, il serait bon d'insister davantage sur les devoirs dans l'enseignement civique et moral et non seulement sur les droits.

M. Cédric Vial. - L'augmentation, de 50 % en cinq ans, des moyens financiers et humains consacrés aux AESH n'est pas suffisante pour répondre aux attentes des familles et des élèves. L'institution scolaire et les enfants se trouvent donc mis en difficulté. Sans modification profonde du système et de sa gouvernance, cette massification de l'accompagnement atteindra forcément ses limites. Or cela nuit à une politique efficace d'inclusion scolaire.

Dans mon rapport d'information Modalités de gestion des AESH, pour une école inclusive, que je vous ai transmis cet été, j'ai formulé une vingtaine de propositions à ce sujet, qui accordent la priorité aux mesures d'accessibilité - physique, matérielle, et surtout pédagogique -, lesquelles sont du premier ressort de l'école. L'accompagnement humain, évidemment essentiel, ne peut intervenir qu'en complément de ces mesures.

Une organisation administrative corrigée est requise, ainsi qu'une prise en charge des enfants en situation de handicap continue et de meilleure qualité. L'important est que chacun soit à sa place. Chaque enfant doit pouvoir bénéficier de l'accompagnement dont il a besoin, ce qui n'est malheureusement pas le cas aujourd'hui.

La modification des Pial soulève plusieurs questions et suscite quelques craintes. En outre, la fusion du cadre d'emploi des AESH avec celui des AED est une mauvaise idée. Il y a d'autres pistes plus intéressantes à explorer, dont nous sommes prêts à discuter avec vous.

Enfin, la remise en cause du financement par l'État de la prise en charge des AESH sur le temps périscolaire, notamment méridien, pose problème. Elle entraîne en effet une rupture dans la prise en charge des enfants, qui ne sont plus au centre de la politique d'inclusion. L'enseignement privé se retrouve en outre sans solution pour la prise en charge de ces enfants sur le temps méridien, car son mode de financement via le forfait scolaire ne lui permet pas.de le financer. On assiste donc à un phénomène d'exclusion de ces enfants du privé vers le public, alors qu'il s'agit souvent de ceux qui nécessitent la prise en charge la plus lourde. Cela pose un problème majeur dans nos politiques d'inclusion. J'ai déposé une proposition de loi sur ce sujet. Nous souhaiterions avoir votre soutien pour revenir à une politique d'inclusion pour tous, dans tous les types d'établissements et pour tous les élèves.

M. Yan Chantrel. - La mixité sociale à l'école est la grande absente de vos propos. Or il s'agit d'un problème central. Cette mixité est en effet le meilleur outil de lutte contre l'assignation à résidence. La France présente un taux de reproduction sociale très élevé. Un débat avait été organisé au Sénat sur ce sujet avec votre prédécesseur, sur l'initiative de notre groupe.

De nombreuses initiatives existent, qui ont des résultats concrets. Nous souhaiterions passer à l'étape supérieure et nous voudrions que vous puissiez accompagner les départements pour le déploiement des initiatives qui fonctionnent. Quelle est votre stratégie pour parvenir à une réelle mixité sociale dans les établissements de notre pays ?

Mme Colombe Brossel. - Patrick Kanner m'a chargée de souligner l'importance de l'école du futur, dans laquelle des pédagogies innovantes sont expérimentées.

Nous avons l'impression qu'un tournant libéral a été pris, via notamment l'instauration de classes de niveau pour la sixième. Je vous ai entendu avec soulagement dire que vous ne souhaitiez pas revenir sur le collège unique. Rétablir en effet l'école de la sélection sociale qui prévalait auparavant serait une grande erreur. Quelles valeurs souhaitez-vous donc défendre quand vous parlez d'école du futur ?

Quel avenir pour le fonds de soutien au développement des activités périscolaires (FSDAP) ? Nous avons découvert par voie de presse il y a quinze jours, sans concertation avec les collectivités locales, que le taux de prise en charge associé à ce dispositif allait être modifié. À la suite de la réaction des collectivités locales, et d'une saisine de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF), vous êtes finalement revenu sur cette décision. Cependant, la disparition de ce fonds est prévue dans le projet de loi de finances pour 2024. Quelle est votre position concernant les communes qui appliquent encore le système des cinq demi-journées d'apprentissage par semaine ? Quid de l'avenir de ce fonds ? Certaines collectivités territoriales ont fait le choix de la gratuité des activités proposés, ce qui rejoint vos propos relatifs aux projets culturels dans le premier degré.

La question de la mixité sociale et scolaire est par ailleurs essentielle. Les avancées réalisées à ce titre en 2022, notamment la publication des indices de position sociale (IPS), ont mis en lumière certaines inégalités criantes. Des outils ont été proposés par votre prédécesseur, portant notamment sur la sectorisation multicollèges ou multilycées, l'ouverture des établissements dits « favorisés » par l'accueil des élèves boursiers et l'ouverture de sections d'excellence dans les établissements les moins favorisés. Le chemin proposé manquait d'ambition, mais avait le mérite d'exister. Quelles suites avez-vous prévues à cet égard, et sur quelle temporalité ?

Enfin, je souhaite vous alerter sur le devenir des jardins d'enfants pédagogiques. Ces structures, que l'on trouve à Strasbourg, à Paris et un peu à Marseille, offrent aux enfants en situation de handicap un accueil en milieu ordinaire et en mixité. Il existe 22 jardins d'enfants à Paris, qui accueille 800 enfants. Or Pap Ndiaye a reconnu que ces structures avaient souffert de façon indirecte de l'application de la loi de 2019 concernant l'instruction obligatoire à 3 ans et qu'il était nécessaire de trouver une solution juridique. Une dérogation a donc été mise en oeuvre pour cette année. Vous engagez-vous à poursuivre ce système dérogatoire ou, à tout le moins, à empêcher la disparition des jardins d'enfants qui participent à des missions importantes de service public ? Les familles, les professionnels et les élus attendent de le savoir.

M. Adel Ziane. - J'ai été heureux de vous entendre citer Saint-Ouen, ville dont je suis élu. Depuis 2022, Saint-Ouen est ville pilote pour l'expérimentation du dispositif « Fri For Mobberi », ou « libéré du harcèlement », inspiré des pays scandinaves.

La question des AESH a été très souvent évoquée au cours de la campagne électorale. Malgré les efforts réalisés, de nombreux parents de Seine-Saint-Denis n'ont malheureusement toujours pas d'accompagnement individualisé pour leur enfant.

Vous avez évoqué en outre 15 millions d'heures de cours non dispensées. Nous connaissons bien ce problème en Seine-Saint-Denis. Un adolescent de 18 ans qui passe son baccalauréat a ainsi été privé d'une année entière de cours au fil de sa scolarité. Ce n'est plus seulement une question d'inégalité, mais un manque d'équité républicaine. Le Gouvernement doit être capable de traiter ce problème. Un travail est d'ailleurs en cours entre les services départementaux de l'éducation nationale et les municipalités pour mettre en place des conventions visant à favoriser le recrutement des AESH sur un statut unique « éducation nationale ».

Combien de postes d'AESH ont-ils été ouverts pour la rentrée scolaire ? Quelles sont les perspectives d'ouvertures de postes et de recrutements ? Les conventions que je viens d'évoquer pourraient-elles constituer une solution pertinente, par la mise en corrélation entre les services des communes et ceux de l'éducation nationale dans les départements ?

Il existe 200 Cités éducatives labellisées en France, dont une douzaine se trouvent en Seine-Saint-Denis, traduisant la volonté des acteurs locaux de l'éducation de travailler ensemble. Ces cités s'inscrivant dans le cadre de conventions triennales, nous attendons la confirmation du renouvellement de celles qui ont démarré en 2020.

Vous avez dit que la pédagogie pouvait renverser la sociologie. Des questions se posent néanmoins concernant la mixité sociale et la mixité scolaire. De nombreuses évaluations ont mis en évidence l'intérêt, pour tous les élèves, d'un brassage social établi dans la durée. Ce dernier permet en effet d'aider les plus faibles sans pénaliser les plus forts. Un récent rapport de France Stratégie soulignait en outre que l'exposition des élèves de milieux sociaux défavorisés ou de faible niveau scolaire à leurs pairs plus favorisés présentait des bénéfices importants à moyen et long termes : réduction du décrochage scolaire, amélioration des trajectoires scolaires et professionnelles, etc. Le rapport ajoute que « les mesures visant la mixité sociale et scolaire dans l'enseignement ont donc un effet positif potentiel important sur la mobilité sociale des jeunes défavorisés. » C'est une forme de promesse républicaine que l'école doit porter et dont nous serons amenés à discuter prochainement.

M. David Ros. - Depuis la réforme du baccalauréat, nous constatons que le fait de demander aux élèves de choisir une spécialité au milieu de leur année de seconde aboutit à la mise à l'écart des sciences de la vie. Or nous avons un besoin considérable de personnels scientifiques, notamment dans le domaine médical. Des évaluations ont-elles été menées sur ce point, sur l'ensemble du territoire national ?

Par ailleurs, au vu des défis qui s'annoncent dans les domaines de la santé, du numérique ou de l'intelligence artificielle, le meilleur endroit pour former les personnes appelées à enseigner, donc à sensibiliser les jeunes à ces questions, n'est-il pas l'université, à condition d'intégrer dans leur formation les aspects liés à la recherche, pour le premier comme pour le second degré ? De la sorte, nous produirons non un choc des savoirs, mais des savoirs de choc !

La ville d'Orsay est la dernière ville en Île-de-France, avec Paris, à appliquer le rythme scolaire de cinq matinées travaillées. Les parents interrogés sur le sujet au moment de l'adoption du projet éducatif ont voté à plus de 70 % pour le maintien de ce rythme. Les enseignants sont quant à eux favorables à la suppression de la plage du mercredi matin. Nous nous trouvons donc dans une situation paradoxale. Le système dérogatoire de quatre jours est en effet devenu la règle. Cela pose des problèmes : des formations sont organisées le mercredi matin, il est difficile de trouver un remplaçant pour cette demi-journée. L'expérimentation de cette réforme se poursuivra-t-elle ?

Mme Mathilde Ollivier. - Fin août 2017, alors que je commençais ma dernière année d'études franco-allemandes, à Lille, j'ai publié une annonce sur Leboncoin pour proposer des cours de soutien en allemand en parallèle de mes études. Or un collège de Boulogne-sur-Mer m'a appelée pour me proposer un poste de professeur d'allemand à mi-temps, alors que mes études ne portaient pas sur l'enseignement. J'ai évidemment refusé cette proposition. On ne peut offrir un enseignement de qualité en recrutant ainsi des personnels non qualifiés. Cet exemple montre en outre les difficultés de recrutement rencontrées par l'éducation nationale, qui perdurent six ans après.

Comment les signataires du pacte enseignant se répartissent-ils entre hommes et femmes, sachant que ce dispositif risque d'augmenter les inégalités salariales ?

Alors que la perspective de faire des études supérieures en France constituait une part importante de l'attractivité du réseau éducatif français à l'étranger, de nombreux jeunes, francophiles et francophones, n'ont pu mener ce projet à bien du fait du blocage des visas décidé par la France en réponse aux événements survenus au Niger et dans le Sahel. Cette situation a eu un impact désastreux sur nos relations avec eux, alors qu'ils joueront un rôle crucial dans nos relations futures avec leurs pays. C'est un danger pour nos établissements et pour l'AEFE. Cela revient en outre à bloquer des élèves qui ont effectué toute leur scolarité dans nos établissements. Un engagement de votre ministère et du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche serait essentiel sur ce sujet.

J'espère enfin que vous inclurez à votre réflexion sur la formation professionnelle le développement des enseignements professionnels jusqu'au baccalauréat professionnel dans les établissements français à l'étranger.

Mme Agnès Evren. - L'association Marion la main tendue, fondée par Nora Fraisse, enregistre une hausse de 150 % de sollicitations de familles victimes. Or elle est, dans le même temps, confrontée à une baisse de 30 % de ses dotations depuis deux ans et se retrouve donc dans une situation financière compliquée. Comment l'éducation nationale pourrait-elle renforcer son partenariat financier avec cette association ? Envisagez-vous par ailleurs de relancer le comité d'experts qui avait été constitué par Jean-Michel Blanquer, qui ne s'est plus réuni depuis le départ de ce dernier de la rue de Grenelle ?

M. Laurent Lafon, président. - Aurez-vous besoin d'un texte de loi sur le sujet de l'école normale du XXIe siècle ?

M. Gabriel Attal, ministre. - Tout dépend de ce que nous ferons. Plus notre démarche sera ambitieuse et plus le besoin d'une loi se fera sentir. Cependant, une loi n'est pas forcément nécessaire, y compris pour des réformes structurantes.

M. Max Brisson. - Nous nous en sommes aperçus !

M. Gabriel Attal, ministre. - Mais une absence de loi ne signifie pas une absence de débat avec les parlementaires. Je continuerai à travailler avec vous, en coconstruction, unis pour notre école.

Pour ce qui concerne la mixité scolaire, je ne souhaite pas rouvrir la guerre entre les écoles. Je souhaite que les parents puissent toujours avoir le choix. Cette considération peut malheureusement paraître un peu théorique pour certaines familles, notamment des familles de classe moyenne, qui se demandent si leurs enfants pourront s'élever socialement dans l'école publique. Ces interrogations ne sont pas liées au nombre d'élèves par classe, supérieur dans le privé ni à la qualité d'entretien des locaux, qui est meilleure dans le public. C'est une question de niveau. Dans l'enseignement privé, il y a toujours un enseignant devant les élèves et des pédagogies différenciées sont employées. De plus, l'enseignement privé offre davantage d'expériences de vie professionnelle, car, dans bien des cas, des stages sont organisés tous les ans. Il en résulte une inégalité pour les élèves de l'enseignement public.

Le premier levier de la mixité sociale, c'est de faire en sorte que les familles puissent avoir le choix et puissent se dire que leurs enfants pourront réussir à l'école publique. Nous devons donc répondre aux doutes et aux inquiétudes qui s'expriment, notamment en investissant davantage dans les établissements les plus défavorisés. Nous avons investi massivement dans l'éducation prioritaire depuis 2017 : dédoublement des classes, petits déjeuners gratuits, etc. Des études de la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (Depp) font état d'une réduction des écarts de 15 % à 40 % sur le français et les mathématiques entre les élèves d'éducation prioritaire et les autres grâce au dédoublement des classes. La pédagogie peut donc renverser les déterminismes et briser les parcours qui sont encore écrits à l'avance pour trop d'élèves. Les inégalités sociales se reproduisent en inégalités scolaires. Pour y remédier, nous devons montrer que nous investissons massivement et que nous innovons dans ces établissements, et donner ainsi envie aux familles d'y rester. Leur principal souci est en effet que leurs enfants disposent des meilleures conditions pour réussir leurs apprentissages. À charge pour nous de leur rappeler que la mixité sociale est l'une d'entre elles, notamment par son impact positif sur le climat scolaire. En revanche, nous n'arriverons pas à régler cette situation en empêchant les familles qui le souhaitent d'inscrire leurs enfants à l'école privée.

Nous avons ouvert pour la rentrée quinze sections internationales, toutes situées dans des établissements d'éducation prioritaire. Nous poursuivons les dédoublements des classes, nous allons ouvrir les collèges de 8 heures à 18 heures dans les quartiers prioritaires de la ville. Nous dépensons 8 500 euros par élève et par an en primaire à l'école publique, contre 7 000 euros en 2017 et 5 000 euros dans l'enseignement privé. Il faut à présent que ce changement se ressente. Nous sommes en outre passés de 24 à 21 élèves par classe en moyenne au primaire.

La discussion engagée par mon prédécesseur avec l'enseignement catholique a abouti à un accord pour développer la mixité sociale en augmentant le nombre d'élèves boursiers. Dans tous les rectorats, des instances spécifiques travailleront dans chaque territoire pour atteindre cet objectif de mixité. Je m'inscrirai dans la ligne de ce travail. Par ailleurs, je souhaite poursuivre le travail commencé sur les affectations, en m'inspirant notamment des efforts courageux de l'académie de Paris pour renforcer la mixité sociale.

L'une des premières décisions du Président de la République en 2017 a été de redonner aux communes la liberté de conserver la semaine de quatre jours et demi ou de revenir à celle de quatre jours. Par la suite, 90 % des communes ont fait le choix de revenir à quatre jours. S'est ensuite posée la question du financement des activités périscolaires pour les communes ayant choisi de maintenir le rythme de cinq demi-journées alors qu'il ne s'agissait plus d'une obligation nationale. Depuis 2013, elles bénéficiaient d'un financement de l'État via le FSDAP, qui est monté jusqu'à 400 millions d'euros avant 2017. En 2017, le fonds a été maintenu, même s'il ne s'agissait plus d'une compétence obligatoire pour les communes. Or la Cour des comptes a plaidé pour sa disparition, en nous exhortant à utiliser ces moyens pour soutenir l'effort des collectivités sur des dispositifs comme l'École ouverte ou les vacances apprenantes.

Il a donc été décidé l'an dernier de mettre fin progressivement à ce fonds, en le divisant par deux à la rentrée 2023, sa disparition étant programmée pour 2024. Tous ces éléments figuraient dans les documents budgétaires du projet de loi de finances pour 2023, y compris dans les rapports pour avis produits par les commissions. En revanche, aucune concertation n'a été effectuée avec les élus locaux. Ils n'ont pas été formellement prévenus. Ce n'est effectivement pas la bonne méthode. La Première ministre et moi avons donc choisi de maintenir le fonds pour l'année 2023, et d'ouvrir le dialogue avec les élus pour son évolution à compter de la prochaine rentrée. Je publierai un arrêté en ce sens dans les prochains jours pour rétablir le montant des crédits. La question se pose de savoir s'il faut maintenir le fonds pour tous ou en cibler l'usage sur les collectivités les plus fragiles. Une partie importante de ce fonds est en effet perçue par de très grandes collectivités. Ainsi, 5 millions d'euros sont octroyés à la mairie de Paris, soit moins de 1 % des gains représentés par l'augmentation massive de la taxe foncière. J'ajoute que la mairie de Paris nous doit 48 millions d'euros pour la décharge des directeurs d'écoles - elle a arrêté de nous rembourser ce qu'elle nous doit à ce titre depuis 2019. Je propose donc que l'addition soit partagée et exhaustive.

Les jardins d'enfants sont concernés par la mesure d'abaissement de l'âge de l'instruction obligatoire à 3 ans, qui a été décidée dans la loi de 2019. Pour permettre à ces établissements, qui accueillent des enfants de 18 mois à 6 ans, de s'adapter, une période transitoire de cinq ans avait été accordée. Or elle expire à la rentrée 2024.

Les jardins d'enfants n'ont pas été bien accompagnés pour assurer leur transformation, notamment en raison de la crise sanitaire. Il est urgent toutefois de prendre une décision, car les familles concernées ne peuvent rester dans l'incertitude plus longtemps. D'après mes informations, près de 70 jardins d'enfants accueillent des enfants de moins de 3 ans et des enfants de plus de 3 ans. Nous vous indiquerons prochainement la façon dont nous souhaitons avancer sur le sujet. À cet égard, trois options se présentent : conserver l'échéance de septembre 2024, la prolonger pour se donner les moyens d'accompagner les jardins d'enfants, y compris juridiquement, ou permettre aux jardins d'enfants existants de poursuivre leur activité en veillant à ce qu'ils fassent l'objet d'un contrôle particulier, pour ne pas mettre à mal l'obligation de scolarité à 3 ans. En revanche, il n'est pas question d'autoriser l'ouverture de nouveaux jardins d'enfants. Nous nous efforcerons d'avancer rapidement sur cette question.

Je reviens sur l'accueil des enfants en situation de handicap : 4 000 postes d'AESH ont été ouverts en 2023, soit un nombre équivalent à celui de l'année 2022. À quotité moyenne de travail inchangée, cela permet de recruter encore 6 500 AESH cette année. L'an prochain, 3 000 postes seront créés, nous pourrons donc recruter environ 4 800 AESH supplémentaires.

L'enjeu est d'améliorer leurs conditions de travail. Au sortir de la Conférence nationale du handicap (CNH), il a été dit qu'il n'était pas question de forcer tous les AESH à devenir assistants à la réussite éducative (ARE) ni de fusionner leur corps avec celui des AED. L'idée est en revanche de s'interroger sur l'opportunité de la création d'un troisième métier, susceptible de faire se rejoindre AESH et AED au bénéfice des personnels - du fait de l'augmentation de leur temps de travail, donc de leur rémunération - et des élèves.

Par ailleurs, 80 Cités éducatives arrivent à échéance fin 2023 et 46 fin 2024. Nous souhaitons les labelliser de nouveau, en une seule fois. On a soumis à ma signature une instruction conjointe avec le ministère de la ville allant en ce sens et que j'adresserai aux préfets et aux recteurs.

J'en viens à l'impact de la réforme du lycée. Nous observons en classe de première une hausse d'attractivité des enseignements de spécialité des sciences de la vie et de la terre et de physique-chimie. En terminale, en revanche, on note une baisse d'attractivité des SVT. Cela tient à l'abandon d'une spécialité qui doit s'effectuer entre la première et la terminale. Les choix des enseignements de spécialité scientifiques sont toutefois en hausse, de 4,2 %, ce qui est positif. Je serai vigilant néanmoins sur cette question. Un rapport de l'inspection générale de l'éducation nationale sur la réforme du lycée a été publié récemment.

Je ne dispose pas encore de données genrées concernant le recours au pacte enseignant. J'espère en recevoir après les vacances de la Toussaint. J'entends les inquiétudes qui ont été exprimées à ce sujet, mais je ne pense pas qu'elles se confirment dans la réalité.

Mes services ont échangé étroitement avec ceux du ministère des affaires étrangères pour trouver des solutions sur mesure pour l'accueil en France des élèves scolarisés dans l'enseignement français à l'étranger dans les zones en crise. Cette situation concerne peu de personnes. Il ne faut pas hésiter à nous faire remonter les situations qui posent problème.

Nous étudierons par ailleurs la façon dont nous pourrions développer des filières professionnelles dans l'enseignement français à l'étranger.

Enfin, j'ai reçu Mme Fraisse, dont l'association réalise un travail important. Elle a rencontré des difficultés avec la ville de Paris, qui lui a retiré son local. D'autres problèmes ont pu survenir par ailleurs avec le ministère ces dernières années. Toutefois, il est indispensable d'associer toutes les bonnes volontés sur la question du harcèlement. Nous avons besoin de la mobilisation collective. Mon souhait est donc d'avancer avec cette association. Je crois beaucoup, de manière générale, au rôle des associations dans les établissements scolaires.

M. Laurent Lafon, président. - Je vous remercie, monsieur le ministre, de vos réponses.

Cette réunion a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 19 h 20.