Mercredi 29 novembre 2023

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 9 h 00.

Commission mixte paritaire sur la proposition de loi relative à la restitution des restes humains appartenant aux collections publiques - Désignation des candidats pour faire partie de la commission mixte paritaire

La commission soumet au Sénat la nomination de M. Laurent Lafon, Mme Catherine Morin-Desailly, M. Max Brisson, Mme Béatrice Gosselin, M. Adel Ziane, Mme Colombe Brossel et M. Martin Lévrier comme membres titulaires, et de Mme Anne Ventalon, M. Jean-Gérard Paumier, Mme Else Joseph, Mme Sylvie Robert, M. Pierre Ouzoulias, M. Pierre-Jean Verzelen et Mme Monique de Marco comme membres suppléants de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à la restitution des restes humains appartenant aux collections publiques.

Projet de loi de finances pour 2024 - Crédits relatifs à l'action extérieure de l'État - Examen du rapport pour avis

M. Laurent Lafon, président. - Nous examinons d'abord ce matin l'avis budgétaire préparé par Claude Kern sur les crédits relatifs à l'action culturelle extérieure de l'État.

M. Claude Kern, rapporteur pour avis des crédits relatifs à l'action extérieure de l'État. - Les crédits du programme 185 finançant la diplomatie culturelle et d'influence s'élèvent dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2024 à 805,9 millions d'euros, soit une hausse de 8,3 % et de 62 millions d'euros par rapport à l'année passée. Les dépenses de fonctionnement et d'intervention sont portées à 721 millions d'euros, en hausse de 7,5 %.

Comme vous le savez, le Président de la République a annoncé en 2018 vouloir doubler les effectifs des élèves du réseau de l'enseignement français à l'étranger (EFE) pour atteindre 700 000 élèves en 2030. Personnellement, je suis très circonspect, depuis plusieurs années, sur la faisabilité de cet objectif et, malheureusement, l'évolution des effectifs du réseau me donne pour le moment raison. Mme Claudia Scherer-Efosse, directrice de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE), admet elle-même que cet objectif est « extrêmement ambitieux ». Par rapport à la rentrée 2022, le nombre d'enfants scolarisés dans le réseau à la rentrée 2023 n'a progressé que de 1 %. Cette faible hausse est d'ailleurs portée principalement par les élèves de nationalité tierce, c'est-à-dire des élèves qui n'ont ni la nationalité française ni la nationalité du pays d'implantation de l'établissement. Actuellement, deux tiers des élèves de l'enseignement français à l'étranger n'ont pas la nationalité française ; ils devraient être plus de 80 % à l'horizon 2030.

Le « Cap 2030 » de doublement des effectifs dans le réseau a pourtant été réaffirmé le 3 juillet 2023 lors des conclusions des consultations sur l'EFE. On peut d'ailleurs s'interroger sur les conséquences du décalage entre les objectifs fixés au plus haut sommet de l'État et la réalité du terrain. Si la subvention de l'AEFE augmente bien de 8 millions d'euros dans le budget pour 2024, cette hausse servira uniquement à financer la moitié des coûts engendrés par la refonte du statut des personnels détachés.

En effet, à la suite d'un récent contentieux, l'État est désormais tenu de financer le déménagement et les frais de transport des fonctionnaires détachés à l'étranger et de leurs ayants droit. La somme de ces mesures correspond à 30 millions d'euros sur deux années. Pour l'exercice 2024, les surcoûts liés à la revalorisation du point d'indice et à l'inflation sont quant à eux internalisés et financés sur les fonds propres de l'AEFE.

Je regrette les difficultés de recrutement des enseignants détachés dans le réseau en raison des refus de détachement de la part des académies. C'est la conséquence directe de notre difficulté actuelle à recruter des enseignants sur le territoire national. Il faut avoir à l'esprit qu'à la rentrée 2023, 230 postes étaient vacants sur l'ensemble du réseau, un nombre multiplié par deux depuis l'année dernière. En conséquence, de plus en plus de personnels français sont désormais recrutés sur des contrats locaux, ce qui constitue une aberration.

J'en viens à un autre opérateur de l'État en matière de diplomatie d'influence : Campus France. Sa subvention pour charge de service public s'élève pour 2024 à 87 600 euros, en augmentation de presque 10 %.

Entre 2011 et 2021, le nombre d'étudiants étrangers en France s'est accru de 30 %. L'année 2022 a été marquée par la reprise des mobilités étudiantes dans un contexte de relance post-covid - à l'exception de la Chine, pour lequel le vivier d'étudiants reste encore très faible. En 2022, le nombre total de visas pour études délivrés surpasse même son niveau d'avant la crise sanitaire, avec plus de 108 000 visas délivrés. La stratégie interministérielle Bienvenue en France a fixé, en 2019, l'objectif d'un demi-million d'étudiants étrangers accueillis en France en 2027, contre 325 000 en 2017, et de 15 000 bourses d'études octroyées à l'horizon 2027. Dans le PLF 2024, le poste « bourses de mobilité étudiants étrangers en France » connaît également une augmentation des crédits de 6 millions, pour atteindre 70,1 millions d'euros. La hausse de cette enveloppe permettra notamment de financer un plus grand volume de bourses, qui s'adresseront en priorité à des profils qualifiés sur des secteurs en tension.

Lors de son audition et dans les divers documents budgétaires, le ministère des affaires étrangères nous promet un « réarmement » du réseau culturel extérieur, composé des Services de coopération et d'action culturelle (SCAC), des Instituts français et des Alliances françaises. Si les crédits budgétaires augmentent effectivement, nul ne peut penser que dix équivalents temps plein (ETP) supplémentaires suffiront à réarmer le réseau culturel de la France. Si les dotations destinées aux Instituts français augmentent de 8,2 millions d'euros par rapport à l'an passé, la subvention pour charges de service public de l'Institut français demeure strictement stable.

Je tiens à alerter sur les grandes difficultés que connaissent plusieurs Instituts français. Au 31 décembre 2022, six d'entre eux avaient un fonds de roulement inférieur ou égal à la norme prudentielle de 60 jours : Chypre, Koweït, Japon, Jordanie, Jérusalem et l'Institut français de recherche en Allemagne. Pour rappel, ils n'étaient que trois fin 2021.

Du côté des alliances françaises, le soutien financier du ministère des affaires étrangères est globalement stable depuis deux ans. Pour 2024, la subvention qui leur est octroyée augmente néanmoins de 1,5 million d'euros. Les ressources propres des Alliances françaises approchent 200 millions d'euros, et leur taux d'autofinancement est de près de 95 %.

Les réseaux de diplomatie culturelle et d'enseignement français à l'étranger s'adaptent continuellement au contexte géopolitique de leur territoire d'implantation. C'est particulièrement vrai en temps de guerre. J'ai donc souhaité évoquer la situation particulière des réseaux dans deux zones de conflit mondial : l'Ukraine et le Proche-Orient.

Avant-guerre, le dispositif en Ukraine reposait sur l'Institut français d'Ukraine ; huit Alliances françaises, dont deux fermées depuis l'invasion russe du Donbass en 2014, et trois établissements d'enseignement français homologués. Ce dispositif s'appuyait sur 15 agents sous plafond d'emploi ministériel. L'Institut français d'Ukraine employait par ailleurs 19 agents de droit local. Aujourd'hui, le service de coopération et d'action culturelle de l'ambassade ne se compose plus que d'un conseiller de coopération et d'action culturelle et d'un attaché humanitaire. La situation de guerre a imposé de redéfinir les missions du dispositif d'action culturelle, qui incluent désormais un soutien à la société civile via l'aide humanitaire et la formation en France d'enquêteurs, policiers et procureurs ukrainiens. Un soutien à la mobilité étudiante est également apporté.

L'Institut français d'Ukraine a dans un premier temps su préserver un certain nombre de ses missions initiales : enseignement de la langue française, certifications linguistiques, médiathèques, promotion des études en France. Il a ensuite adapté un certain nombre de ses activités en fonction du contexte de guerre qui a fait apparaître de nouvelles demandes des partenaires ukrainiens. C'est le cas de la formation continue des professeurs de français, qui a désormais lieu en France et en Pologne. L'établissement a lancé de nouvelles coopérations, comme la formation des magistrats ukrainiens à l'école nationale de la magistrature ou la formation de conservateurs et restaurateurs en France afin de protéger les oeuvres des musées ukrainiens. Actuellement, les six Alliances françaises d'Ukraine continuent leurs activités d'enseignement en distanciel et fonctionnent en mode dégradé. Leurs locaux sont tous intacts à ce jour, à l'exception de ceux de l'emprise de Lviv, pour laquelle des aménagements sont nécessaires à la suite de leur occupation durant cinq mois par l'ambassade. Il n'est pas prévu à ce jour de recruter de nouveau des directeurs d'Alliances françaises expatriés à Dnipro, Lviv et Kharkiv.

Le dispositif d'enseignement français en Ukraine comprenait trois établissements qui scolarisaient 765 élèves à la rentrée 2021, dont 114 Français. Depuis l'offensive russe de février 2022, l'école française privée d'Odessa a fermé ses portes. Les deux autres établissements, l'école française internationale de Kiev et le lycée Anne de Kiev, sont demeurés fonctionnels, en présentiel ou en distanciel, lorsque les contraintes sécuritaires et énergétiques l'imposaient. Le lycée Anne de Kiev a rouvert ses portes avec 62 élèves à la rentrée 2022, un effectif qui a d'ailleurs doublé à la rentrée dernière. L'école française internationale de Kiev scolarise 110 élèves, contre 154 avant-guerre.

D'autre part, dans le conflit de haute intensité qui a éclaté plus récemment au Proche-Orient, les infrastructures culturelles françaises sont également au premier plan. Comme vous le savez, le 3 novembre dernier, l'Institut français de Gaza a été touché par une frappe israélienne. Le personnel, heureusement, ne se trouvait pas dans le bâtiment ; il avait déjà été évacué vers le sud de la bande de Gaza. Neuf agents de droit local qui y travaillaient et leur famille ont quitté Gaza par le poste-frontière de Rafah et sont actuellement en France en attente de régularisation de leur situation. L'institut franco-allemand de Ramallah reste fermé, en coordination avec la représentation diplomatique allemande. Notre poste diplomatique travaille à faciliter une réouverture limitée en journée, uniquement pour les cours de langue. À Jérusalem-Est et Ouest, les structures ont rouvert. L'Alliance française de Bethléem poursuit ses activités en mode dégradé, la moitié des cours étant annulés. Des professeurs locaux ont par ailleurs été recrutés à la suite du départ des volontaires internationaux.

Le dispositif en Israël compte un SCAC, l'Institut français d'Israël à Tel-Aviv, avec deux antennes à Haïfa et Nazareth, et un Institut français de recherche à Jérusalem. Tout le dispositif est resté ouvert, à l'exception de l'antenne de Nazareth, du fait de la sécurisation défaillante des locaux. Les cours de langue ont repris le 22 octobre en modalité hybride, c'est-à-dire en présentiel et distanciel. L'activité reste perturbée et soumise aux restrictions locales de limitation des regroupements de personnes. Les six établissements d'enseignement français dans la zone, quatre en Israël, un à Jérusalem et un à Ramallah, se sont conformés aux recommandations des autorités éducatives locales concernant les modalités d'enseignement, en distanciel et présentiel. Le contexte sécuritaire a engendré un départ important d'élèves à l'étranger : jusqu'à un tiers des effectifs pour certains établissements. Un soutien d'écoute et psychologique a été proposé à toutes les familles, ainsi qu'aux personnels.

Voilà, mes chers collègues, les éléments de constat et d'appréciation que je souhaitais porter à votre connaissance. Compte tenu du renforcement des crédits dédiés à la diplomatie d'influence et tout en continuant d'affirmer que l'objectif de doublement ne me paraît pas réalisable en l'état actuel, je propose à la commission d'émettre un avis favorable sur l'adoption des crédits du programme 185 du PLF pour 2024.

M. Yan Chantrel. - Merci, monsieur le rapporteur, pour votre excellent rapport.

Ce programme spécifique me semble présenter deux versants : un versant lumineux et un versant sombre.

Le premier est marqué par une réelle augmentation du budget, principalement en lien avec notre réseau culturel, les instituts français, les alliances françaises... Ces dernières, vous l'avez souligné, s'autofinancent à hauteur de 95 % grâce aux cours qu'elles dispensent. L'État joue donc un rôle réduit dans leur financement.

Le versant sombre concerne, quant à lui, le budget lié à l'AEFE. Le Gouvernement a fixé l'objectif d'un doublement du nombre d'élèves dans le réseau. Celui-ci a été fixé après une baisse draconienne du budget, lors de l'arrivée au pouvoir du Président Macron, d'un peu plus de 30 millions d'euros. Cette dernière a été compensée quelques années plus tard, mais a nettement porté préjudice à l'AEFE, qui en subit encore les contrecoups. La problématique qui est la nôtre consiste à trouver comment atteindre cet objectif de doublement des effectifs, sans profiter d'un doublement des moyens de l'agence. Autrement dit, comme M. le rapporteur l'a bien souligné, moins de compatriotes vont profiter de ces enseignements.

Nous assistons par ailleurs à une privatisation accélérée du réseau : la part d'établissements conventionnés et d'établissements en gestion directe (EGD) est en baisse, à l'inverse de celle des partenariats privés. Bien souvent, malheureusement, ces derniers ont pour seul objectif de produire des profits. Nos compatriotes les plus démunis - et c'est à porter au crédit de notre pays - profitent de bourses, qui rendent possible une certaine mixité sociale. Notre groupe y est très attaché, ainsi que la commission de la culture dans son ensemble.

Mécaniquement, en doublant les effectifs sans ajouter le moindre centime de budget pour l'AEFE ou les bourses, la part de boursiers va baisser. Or ces bourses participent au rayonnement de notre pays, au message que nous envoyons en direction d'une école inclusive, ouverte, quel que soit le niveau social. Malheureusement, nous sommes en train de perdre cette spécificité de notre modèle éducatif. Nos écoles vont être de plus en plus réservées aux personnes privilégiées, et pas toujours ressortissantes françaises. Certes, il est indispensable pour notre rayonnement que notre modèle inclue des élèves qui ne soient pas des ressortissants français. Néanmoins, sa beauté réside dans sa mixité, dans le mélange des deux types d'élèves à parts égales.

C'est la raison pour laquelle mon groupe ne peut être en faveur de ces crédits, qui nous apparaissent comme la reconnaissance que l'objectif fixé est inatteignable et imposent une pression supplémentaire sur le réseau. Même nos consuls et nos ambassadeurs ont pour objectif, par leur lettre de mission, d'ouvrir des écoles ; c'est à partir du nombre d'écoles ouvertes qu'on jugera de leur action. Cela n'est pas possible.

Mon groupe plaide plutôt pour un renforcement du service public, par une dotation suffisante, et surtout pour la fin de cette course effrénée qui met en danger la spécificité de notre réseau éducatif à l'étranger. C'est la raison pour laquelle nous ne suivrons pas l'avis du rapporteur et voterons contre ces crédits.

Mme Else Joseph. - Monsieur le rapporteur, merci pour ces informations précises et argumentées, qui nous permettent de dresser un bilan trois ans après la crise sanitaire.

Nous avons vu que l'action extérieure touche à de nombreux domaines et mobilise différents moyens. Moi aussi, je salue la hausse des crédits. Dans ce contexte international compliqué et instable, l'action extérieure de l'État doit symboliser notre ambition en faveur d'une diplomatie d'influence, pour mettre en avant l'image d'une France innovante, attractive, riche en talents, au travers de ses réseaux diplomatiques, consulaires et culturels. Il est vrai que cette volonté se traduit par des efforts de contribution volontaire dans les organismes internationaux, mais nous sommes loin de l'objectif fixé de doubler le nombre d'enfants dans le réseau EFE. On se demande donc comment la promotion de l'éducation francophone a été définie. L'ambition va bien au-delà de l'enseignement du français et comprend aussi un enseignement en France.

Je me pose également des questions sur la modernisation de notre administration consulaire, de notre diplomatie d'influence. L'enseignement francophone est en baisse, la langue française est de moins en moins attractive et son usage recule ; logiquement, notre influence s'étiole donc. Ce constat explique notre faible attractivité universitaire auprès des talents et élites étrangers. Qu'envisage-t-on pour renforcer cet enseignement ?

Je m'interroge par ailleurs sur la situation des projets d'établissements dans certaines zones du globe. Je pense notamment au projet annoncé à Taïwan il y a plusieurs années, et qui avait produit de grandes attentes. Où en est-il aujourd'hui ?

Enfin, comment pouvons-nous mieux utiliser notre réseau culturel pour promouvoir notre langue ? J'en profite pour faire le lien avec le rapport portant sur l'expertise patrimoniale internationale française, porté par Catherine Morin-Desailly et moi-même. Lors de nos travaux, nous avions constaté que la France jouit encore d'une bonne image, mais souffre d'un manque de coordination, de structuration et, peut-être, d'envie pour la faire progresser. Notre expertise est patrimoniale, mais pas uniquement ; elle est reconnue et appréciée à l'étranger. Néanmoins, nous nous heurtons désormais à la vive concurrence d'autres pays. Nous pouvons avoir l'impression que le soft power, aux yeux de certains, n'a aucune importante. J'estime pourtant que c'est notre influence qui se joue dans ce domaine. Nous devons donc trouver comment utiliser notre réseau diplomatique et culturel, lequel est dense, dans un domaine qui soulève de nombreux défis.

Monsieur le rapporteur, je vous remercie aussi d'avoir fait le point sur la situation de nos réseaux dans les zones de conflits que sont l'Ukraine et le Proche-Orient. Je suis d'accord avec l'ensemble de vos remarques, et c'est pourquoi notre groupe donnera un avis favorable à l'adoption de ces crédits consacrés à l'action extérieure de l'État.

M. Pierre Ouzoulias. - Merci, monsieur le rapporteur, pour la qualité de votre rapport et pour les nouvelles que vous nous avez données des fronts. Je pense qu'il est important de se souvenir que sur tous ces fronts, que ce soit en Ukraine ou au Proche-Orient, des ressortissants français se battent et mettent parfois leur vie en péril pour essayer de maintenir ce que nous représentons auprès de ces pays. Il me semblait nécessaire de leur rendre cet hommage.

L'excellent rapport de Catherine Morin-Desailly et d'Else Joseph nous a donné le sentiment qu'il existe un besoin de France qui n'est aujourd'hui pas satisfait. J'ai pu le constater en Arménie et en Albanie, deux pays qui me tiennent à coeur. La demande de francophonie n'y est pas satisfaite ; au contraire même, puisque la francophonie est en recul dans ces pays. Parce qu'il n'y a plus de mobilité possible pour les enseignants entre la France et l'étranger, le recrutement local est marqué par une baisse générale du niveau pédagogique. Celle-ci est reconnue et dénoncée par les enseignants eux-mêmes. En Arménie, par exemple, recruter de bons francophones localement est devenu très difficile, car les bons francophones arméniens se trouvent en France. Le constat est triste, mais vrai.

J'aimerais attirer votre attention sur un sujet préoccupant, qui est la baisse des doctorants étrangers dans l'enseignement supérieur français. Parmi les dix grandes nations qui accueillent le plus de doctorants, la France est la seule avec l'Australie à voir son nombre de doctorants étrangers baisser régulièrement, de 3 % environ par an. Aujourd'hui, la part de doctorants étrangers est de 35 %, contre 40 % jusqu'à présent. La ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche a très justement affirmé que ce recul compromet la compétitivité de la recherche nationale, car 80 % des doctorants étrangers restent en France. Autrement dit, lorsque nous arrivons à les attirer pour leur doctorat, nous parvenons à les retenir dans notre système de recherche.

Le sujet est donc celui d'une perte de l'influence française qui peut, à terme, s'avérer dramatique et poser problème pour la compétitivité de notre recherche. Cette problématique n'est pas abordée dans les plans lancés par Campus France, mais j'estime qu'il faut s'y intéresser. La précédente ministre, Frédérique Vidal, souhaitait lancer un plan concernant la Chine. Aujourd'hui, en raison des nombreux problèmes d'ingérence étrangère, l'Inde est privilégiée. Reste que, pour ces deux pays, la destination principale n'est plus la France. Il existe donc une forte concurrence internationale, pour laquelle je trouve que nous sommes de moins en moins bien armés.

Pour toutes ces raisons, nous aurons du mal à voter ce rapport, car il contient des zones d'ombre récurrentes qui, depuis une dizaine d'années, ne sont pas traitées.

M. Bernard Fialaire. - Je souhaite remercier le rapporteur pour son éclairage très intéressant sur les zones de conflits. Je salue cette ambition que nous avons pour la France, même si beaucoup de réserves peuvent être émises quant aux résultats attendus.

Je souhaite un éclaircissement sur un point précis concernant les publics tiers, c'est-à-dire ni ressortissants français ni nationaux du pays d'implantation de l'établissement concerné. J'imagine qu'il s'agit des enfants d'expatriés d'autres pays. Le fait qu'ils puissent étudier dans des lycées français, qu'ils puissent apprendre le français, sera-t-il bénéfique pour le nombre de futurs doctorants étrangers en France ? Faut-il s'en réjouir ? S'agit-il d'un simple constat ou d'une véritable stratégie ?

Mon groupe soutiendra l'effort fait en votant ces crédits.

Mme Laure Darcos. - J'imagine que M. le rapporteur a eu à l'esprit notre voyage qui nous avait permis, il y a quelques années, de constater que c'était les attachés d'ambassade qui emmenaient eux-mêmes les enfants palestiniens dans l'enclave de Bethléem pour s'assurer qu'ils passent tous les points de contrôle et puissent continuer à bénéficier de l'école. Depuis le 7 octobre dernier, bien entendu, je ne cesse de penser à eux et à leurs petits camarades israéliens.

Je vous remercie d'avoir évoqué l'urgence d'essayer de conforter notre réseau français d'enseignement à l'étranger. Je souhaitais revenir en particulier sur les Instituts français et sur le travail qui pourrait être mené avec les Alliances françaises. Vous le savez, ces dernières ont traversé de nombreuses crises ; nous avions d'ailleurs mené des auditions à ce sujet, il y a quelques années, avec Pierre Vimont. Pourriez-vous nous faire un point sur cette question ? Avez-vous aussi la sensation que l'Institut français n'est plus qu'une super direction du Quai d'Orsay, et plus simplement une instance permettant d'avoir une double tutelle entre la culture et les affaires étrangères, pour que la culture soit indépendante du travail mené au Quai d'Orsay et dans les ambassades ?

Nous constatons un manque de rayonnement du soft power français, mais nous allons soutenir ce rapport.

Mme Mathilde Ollivier. - Je souhaite revenir sur le sujet de l'AEFE, notamment sur cette chimère du doublement des effectifs de l'enseignement français à l'étranger. M. Chantrel a déjà longuement évoqué le statut des enfants et des bourses, dont les niveaux actuels sont largement insuffisants. Cette question ne relève pas de ce programme, mais a aussi un impact sur le rayonnement de la France et la possibilité pour les enfants français de rejoindre notre réseau scolaire à l'étranger.

J'axerai donc mon intervention sur le statut des enseignants dans les écoles et lycées français à l'étranger. Favoriser le développement des écoles privées conduit à recruter des enseignants qui relèvent du droit local, et non pas des enseignants détachés, ce qui remet en cause la qualité de l'enseignement français à l'étranger. Cette tendance favorise aussi le moins-disant social pour ces enseignants qui, selon leur pays d'implantation, peuvent être remerciés du jour au lendemain. Se pose également la question de leur formation dans les écoles, et cette baisse de niveau de l'enseignement fragilise l'image de l'enseignement français à l'étranger dans sa globalité et dans tout le réseau.

La manière dont est envisagé le développement de l'AEFE est aujourd'hui insatisfaisante. Notre objectif sera de revenir sur cette idée de doublement et de soutenir plus fortement nos EGD à l'étranger, plutôt que de nous lancer dans cette fuite en avant de la privatisation de l'EFE.

Monsieur le rapporteur, vous avez évoqué Campus France, et notamment l'objectif d'atteindre 500 000 étudiants étrangers en 2027. Ce dernier me paraît marquer un fort paradoxe avec ce qui a été voté dans le projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, c'est-à-dire un durcissement de l'accueil des étudiants étrangers et des conditions pour qu'ils puissent venir en France. On dit vouloir attirer les étudiants et les doctorants, mais la réalité de nos politiques migratoires consiste plutôt à limiter notre capacité à les accueillir.

Je souhaite également attirer votre attention sur les formations répertoriées sur Campus France. Le Sénat a organisé il y a peu une audition portant sur les universités et écoles privées, au cours de laquelle il nous a été signalé que certaines formations répertoriées seraient des arnaques. Ainsi, des étudiants étrangers s'inscrivent dans des universités en passant par Campus France et ont déjà payé les frais d'inscription lorsque leur visa leur est refusé. Les sommes, parfois importantes, ne leur sont jamais remboursées. Ces élèves se sont donc endettés de plusieurs milliers d'euros et se retrouvent dans des situations très compliquées pour poursuivre leurs études.

Enfin, j'estime qu'il nous faudrait bien plus de moyens pour soutenir notre réseau d'Instituts français et le rayonnement de la France dans le monde. Nous prenons aujourd'hui conscience de la nécessité de changer la manière dont est menée la politique d'influence française dans le monde. Les événements au Sahel, cet été, en témoignent. Nous devons sans doute réorienter une partie de notre diplomatie vers le rayonnement culturel de notre pays, qui se heurte à notre politique de visas, notamment pour les artistes et les élites intellectuelles. Les Instituts français jouent un rôle important dans la structuration de ces liens culturels et intellectuels avec de nombreux pays du monde. Nous devons donc leur apporter un soutien renforcé, et ce d'autant plus que ces Instituts français recherchent désormais des financements privés, ce qui remet en cause leur indépendance.

Nous serons donc défavorables à l'adoption de ces crédits.

Mme Catherine Morin-Desailly. - Le groupe Union Centriste soutiendra l'avis du rapporteur. Je voudrais réaffirmer la grande actualité des questions de diplomatie d'influence et de l'action extérieure de l'État. Il est important de disposer d'une politique forte et des crédits correspondants.

Comme Mme Darcos, j'ai été sensible au point qui a été fait sur la situation en Israël et en Palestine. Notre commission s'était rendue dans l'un et l'autre de ces États, car M. le Président Larcher nous avait invités à visiter les deux lors de nos déplacements dans la région. Merci d'avoir évoqué ces établissements que nous avons eu l'occasion de visiter et de nous faire un point sur leur situation dans ce contexte très compliqué et douloureux.

Je ne peux m'empêcher d'associer à la réflexion collective que nous menons présentement celle portée par M. Vial il y a quelques jours, lors de sa présentation des crédits relatifs aux avances à l'audiovisuel public. En effet, la diplomatie d'influence passe aussi par France Médias Monde, Arte, et TV5 Monde. Ils forment un tout lorsqu'il s'agit de promouvoir et défendre la francophonie, l'information et la culture.

Je me réjouis que les crédits soient en hausse ; il était temps ! Il est toujours bon de savoir pourquoi une situation est telle qu'elle est. C'est pourquoi je souhaite rappeler à nos collègues que le quinquennat de François Hollande a marqué une descente aux enfers des crédits accordés aux Instituts français. Ces derniers ont enregistré des baisses comprises entre 37 % et 47 % ! À l'époque, notre commission avait d'ailleurs émis un avis défavorable aux contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (CPOM). Le président de l'Institut français était alors Bruno Foucher. Notre décision ne signifiait pas que nous remettions en cause les missions de l'Institut français, mais que nous ne comprenions pas comment, avec les moyens alloués, il parviendrait à atteindre les objectifs fixés.

En 2017, lors du changement de gouvernement, les crédits se sont stabilisés. Reste que cette stabilisation n'est pas une solution. Il est donc important, aujourd'hui, de décider d'une forme de rattrapage pour que l'Institut français puisse mener les missions si importantes qui sont les siennes, en lien avec les Alliances françaises. À ce sujet, monsieur le rapporteur, pourriez-vous nous faire un point d'étape sur la coordination au niveau national, qui était aussi portée par Jean-Yves Le Drian ? Je tenais à rappeler l'origine de la présente situation. Il est important de s'en souvenir pour qu'ici, au sein de cette commission, nous puissions nous battre comme nous l'avions fait à l'époque en dénonçant cette baisse draconienne.

Je souhaite aussi me joindre aux propos de Mme Joseph. Il est en effet important d'améliorer la coordination entre les ministères de la culture et des affaires étrangères sur les questions d'action extérieure de l'État et de diplomatie d'influence. J'y ajoute cependant une remarque : le conseil stratégique de l'Institut français, sous la double tutelle des ministres de la culture et des affaires étrangères, ne se réunit jamais. Il se réunit tous les trois ans seulement, pour parler des CPOM. Voilà un sujet qui mériterait d'être mis sur la table ! Il faudrait demander à ce qu'il se réunisse plus régulièrement, pour s'adapter aux situations et permettre une action de fond beaucoup plus efficace.

M. Claude Kern, rapporteur pour avis. - Avant 2017, j'étais déjà rapporteur pour avis. Je puis donc confirmer que notre commission émettait toujours des avis défavorables au sujet de ces crédits, qui étaient en forte baisse et sont désormais stables. Cette année, enfin, ils sont de nouveau en hausse. Je puis vous affirmer que tous les intervenants que nous avons auditionnés, qu'ils représentent l'Institut français, les Alliances françaises ou l'AEFE, se sont dits satisfaits des crédits actuels qui leur sont alloués. Tous ont dit qu'ils aimeraient naturellement recevoir plus encore, mais ils se réjouissent de l'effort qui est fait.

Je suis personnellement sceptique concernant l'objectif de doublement des effectifs de l'enseignement français à l'étranger. La directrice de l'AEFE a mis en place une feuille de route en quatre axes, que je ne détaillerai pas ici, pour s'approcher de cet objectif.

Nous avons tous des critiques à émettre au sujet de la politique diplomatique et culturelle à l'étranger. Nous pourrions faire bien mieux. Il est vrai que cette attente de France est perceptible à l'étranger, que ce soit en Afrique, en Asie, ou même en Europe.

Le coeur de notre problème de recrutement est simple : nous manquons d'enseignants en France. Il est donc difficile de leur permettre de partir. Malgré tout, un tiers des enseignants sont aujourd'hui formés dans les seize instituts régionaux de formation (IRF). L'objectif est désormais de sensibiliser les enseignants français qui partent, afin qu'ils participent aussi à ces formations dans les IRF.

Le nombre de doctorants étrangers enregistre en effet une baisse de 8 %. Nous savons que des efforts restent à faire au niveau de Campus France.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence ».

Projet de loi de finances pour 2024 - Crédits relatifs à l'enseignement technique agricole - Examen du rapport pour avis

M. Bernard Fialaire, rapporteur pour avis des crédits de l'enseignement technique agricole. - C'est avec beaucoup d'enthousiasme que j'ai découvert cette matière, et que je vous propose cet avis.

Le programme 143 est doté, dans le PLF pour 2024, de 1,7 milliard d'euros. Les crédits connaissent une augmentation de plus de 100 millions d'euros, soit 6,2 %, par rapport à l'année dernière.

Cette hausse bienvenue des crédits s'explique principalement par 45 millions d'euros supplémentaires pour les personnels : il s'agit de la revalorisation du point d'indice, du financement du glissement vieillesse technicité et des mesures en faveur des bas salaires. La mise en oeuvre de la réforme des lycées professionnels bénéficie pour sa part d'une enveloppe dédiée de 66 millions d'euros.

En effet, depuis cette rentrée 2023, toutes les périodes de stage des lycéens professionnels donnent lieu au versement d'une allocation par l'État. Son montant varie en fonction du type de formation et du niveau d'enseignement. Nous pouvons nous réjouir de la mise en oeuvre de cette gratification des périodes de stage dans l'enseignement agricole, et ce dans les mêmes modalités et montants qu'à l'éducation nationale. En effet, 15 % des lycéens professionnels sont scolarisés dans l'enseignement agricole, et les excellents taux de réussite aux examens démontrent que l'enseignement agricole professionnel est une voie de réussite reconnue, mais qu'il faut davantage valoriser.

Deux autres postes de dépenses sont en augmentation dans le projet de loi de finances pour 2024.

Tout d'abord, 3,8 millions d'euros supplémentaires viennent abonder le budget en faveur des assistants d'éducation. Cette hausse permettra, d'une part, d'aligner le niveau de rémunération sur celui du ministère de l'éducation nationale et, d'autre part, de renforcer les moyens d'encadrement pour tenir compte notamment de la proportion significative d'élèves internes. Cet alignement répond à une demande formulée par notre commission depuis plusieurs années.

Par ailleurs, le budget en faveur de l'école inclusive devrait également augmenter de 3,5 millions d'euros en 2024 ; 0,7 million d'euros sont d'ores et déjà inscrits au sein du projet de loi de finances. Les 2,8 millions d'euros restants doivent faire l'objet d'un transfert en gestion à partir du programme 230 « Vie de l'élève ».

Nous pouvons toutefois regretter la stagnation des moyens en faveur des établissements publics et privés, alors même qu'ils ont déjà dû faire face l'année dernière à la forte hausse des coûts de fonctionnement des écoles et des fermes pédagogiques, particulièrement énergivores. L'augmentation des coûts qui s'est poursuivie tout au long de l'année 2023 est venue à nouveau mettre à mal la situation financière de ces établissements. Or aucun dispositif de soutien n'a été mis en place pour les aider.

L'augmentation générale des moyens du programme s'accompagne d'une hausse de 20 ETP, destinés, d'une part, à renforcer les services de médecine scolaire et des services sociaux des établissements d'enseignement agricole et, d'autre part, à accompagner la mise en oeuvre des mesures de la loi d'orientation et d'avenir agricoles.

Cette hausse des ETP est rassurante au vu des importantes suppressions d'emplois entre 2019 et 2022, mais elle devra impérativement être confortée dans les années à venir pour répondre aux défis auxquels est confronté l'enseignement agricole.

En effet, face aux enjeux de renouvellement des générations d'agriculteurs, de souveraineté alimentaire et de transition climatique, l'enseignement agricole doit plus que jamais se réinventer pour former davantage de jeunes à une pluralité croissante de métiers. La cible fixée par le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire est ambitieuse : accueillir 30 % d'élèves supplémentaires à court terme.

Or, si les effectifs scolarisés au sein de l'enseignement agricole sont de nouveau en progression à la rentrée 2023, cette hausse d'environ 1 % des élèves apparaît comme étant encore bien insuffisante au regard des impératifs.

Plus précisément, les données provisoires dont dispose le ministère mettent en lumière une nouvelle progression des effectifs d'apprentis, qui vient compenser une légère baisse de la voie scolaire. Les effectifs du niveau collège demeurent stables, tout comme ceux des baccalauréats professionnels et technologiques. Ceux du CAP (certificat d'aptitude professionnelle) agricole augmenteraient de plus de 3 %.

Un point de vigilance, néanmoins : le nombre d'élèves scolarisés en brevet de technicien supérieur agricole (BTSA) diminue de près de 6,5 %. La perte d'attractivité continue du BTSA depuis 2020 est particulièrement préoccupante. Ce déclin s'explique en partie, selon le ministère, par une bascule vers l'apprentissage et une difficulté de positionnement de ce diplôme en deux ans, qui peine à trouver sa place dans l'architecture licence-master-doctorat (LMD), devenue la norme.

Au cours de son audition par la commission, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, Marc Fesneau, nous a indiqué réfléchir dans le cadre des travaux relatifs au pacte d'orientation et d'avenir agricoles à la création d'un « bachelor agro » pour attirer davantage de jeunes souhaitant bénéficier d'un système de spécialisation à bac+3. Nous serons attentifs à ce que cette annonce soit suivie d'effets dans les mois à venir.

Quelques inquiétudes persistent également s'agissant des filières « services » et « agroalimentaire ». Trop souvent encore, les élèves méconnaissent l'offre portée par l'enseignement agricole, et se dirigent par réflexe vers les formations proposées par l'éducation nationale, dont ils sont issus. Il est essentiel de renforcer la coopération entre l'enseignement agricole et l'éducation nationale sur les enjeux d'orientation pour faciliter la présentation des cursus offerts par l'enseignement agricole dans les établissements de l'éducation nationale.

La campagne « L'aventure du vivant » existe maintenant depuis plusieurs années, et doit être saluée de par son ambition. Toutefois, force est de constater qu'elle n'est pas suffisante pour augmenter durablement les effectifs scolarisés dans l'enseignement agricole. Ce dernier doit s'appuyer sur une politique de communication plus agressive, avec une vision sur le long terme, dans le cadre de campagnes dotées de fonds à la hauteur des enjeux.

Le taux de renouvellement actuel est de deux installations pour trois départs. Le désintérêt pour la filière agroalimentaire est d'autant plus inquiétant que 166 000 exploitants agricoles seront partis à la retraite d'ici à dix ans en France, soit plus d'un tiers d'entre eux.

C'est pourquoi nous devrons être particulièrement attentifs aux réponses qu'apportera la future loi d'avenir et d'orientation agricoles à ces problématiques.

Mais pour former davantage de jeunes tout en maintenant la qualité des formations et les petits effectifs qui caractérisent l'enseignement agricole, il est également essentiel d'apporter de véritables réponses à la crise d'attractivité du métier d'enseignant.

Les difficultés de recrutement ont eu un impact limité sur la rentrée dans l'enseignement agricole dans la mesure où 98,7 % des postes ont été pourvus au 1er octobre 2023. Toutefois, vous le savez, le métier d'enseignant traverse aujourd'hui une crise sans précédent d'attractivité, à laquelle n'échappera pas l'enseignement technique agricole.

L'enseignement agricole a globalement adhéré au pacte enseignant, aussi bien dans l'enseignement public que privé : 58 % des agents éligibles y ont souscrit et 65 % des briques disponibles ont été attribuées, représentant en moyenne 2,6 briques par enseignants volontaires, soit environ 240 euros mensuels supplémentaires pour les personnels engagés.

Ce pacte présente un intérêt certain, mais n'est pas suffisant face aux enjeux. D'autant plus que l'enseignement agricole se distingue de l'enseignement dispensé par l'éducation nationale de par l'existence de spécialités techniques et professionnelles comme l'agroéquipement, pour lesquelles le recrutement est d'autant plus coûteux et difficile. Dans ces conditions, l'obligation de recrutement à un niveau master 2, qui prévaut depuis 2010, peut s'avérer particulièrement bloquante pour certains établissements.

Pour pallier ces difficultés et permettre à l'ensemble des élèves, apprentis et étudiants de l'enseignement agricole de bénéficier d'un ensemble varié de spécialisations, il paraît essentiel de réfléchir à la possibilité de mettre en place, pour certaines disciplines techniques et professionnelles, un recrutement au niveau licence.

Pour éviter que les enseignements ne perdent en qualité, les enseignants nouvellement recrutés pourraient bénéficier d'une formation adaptée aux besoins au sein de l'École nationale supérieure de formation de l'enseignement agricole (ENSFEA).

En conclusion, et en raison d'une augmentation satisfaisante du budget consacré à l'enseignement technique agricole au sein du projet de loi de finances pour 2024, je vous propose de donner un avis favorable aux crédits du programme 143.

M. Christian Bruyen. - La synthèse de M. le rapporteur témoigne d'une réelle volonté du ministre concerné d'être à l'initiative. Cette volonté n'a pas échappé au rapporteur, mais lui comme moi restons inquiets sur un certain nombre de points.

La première de mes préoccupations concerne les maisons familiales rurales (MFR) et la reconnaissance de leur travail. Je considère que ce sujet est loin d'être anecdotique, bien au contraire, puisqu'il concerne 430 établissements répartis sur nos territoires mais ne bénéficient pas de l'accompagnement budgétaire adéquat. La contribution accordée par l'État est loin d'être au niveau de celle versée aux lycées publics. Cette situation est d'autant plus regrettable que les MFR recrutent des jeunes en difficulté, en souffrance, car inadaptés au système scolaire classique. Ce n'est pas la baisse des recrutements qui explique le manque d'aide de l'État, c'est au contraire le fait que l'État n'augmente pas ses contributions qui altère les conditions d'accueil et fait baisser les recrutements. Il est donc assez urgent d'agir, et toutes les pistes n'ont pas été évoquées.

Un autre sujet de préoccupation est celui de la dégradation de la démographie vétérinaire. Le ministère doit vite s'emparer de cette question et mettre en place des solutions durables.

Plus globalement, le nombre de jeunes formés reste un sujet de préoccupation. Certes, les effectifs sont en hausse, mais, de l'aveu même du ministre, ils restent insuffisants pour répondre aux besoins. Le sujet qui se pose est celui de l'attractivité des métiers, et c'est pourquoi il est essentiel de renforcer les liens entre collèges, lycées et établissements d'enseignement agricole. Il faudrait pour ce faire une mobilisation partenariale des deux ministères concernés, ce qui ne me semble pas être le cas aujourd'hui.

Comme le soulignent les représentants des exploitants agricoles, il ne faut pas oublier qu'il faut produire avant de commercialiser. Il me paraît important de garder cela à l'esprit au moment de définir les programmes de formation.

Pour conclure, malgré mes remarques et parce que ce budget est factuellement en hausse, mon groupe émettra un avis favorable.

Mme Marie-Pierre Monier. - Je souhaite saluer le travail du rapporteur, ainsi que les auditions menées pour rédiger le présent rapport.

Nous sommes nombreux, je pense, à tomber d'accord sur la nécessité de préserver l'enseignement technique agricole, qui est une véritable pépite de nos territoires, plus que jamais essentielle dans un contexte de transition agroécologique et de renouvellement des générations. Cet enseignement est une pépite aussi parce qu'il recourt souvent à des pédagogies innovantes. Il est de plus bien réparti sur notre territoire. Nous aurons d'ailleurs l'occasion d'en reparler prochainement, dans le cadre du projet de loi d'orientation et d'avenir agricoles, qui suscite beaucoup d'attentes. J'espère qu'il n'est pas qu'une simple Arlésienne !

Nous ne pouvons que constater que, malgré sa hausse, qui s'inscrit tout de même dans un contexte inflationniste, ce budget présente plusieurs carences. La première est fondamentale : l'absence de création de postes d'enseignants. Pour rappel, entre 2017 et 2022, 316 emplois ont été supprimés, soit l'équivalent de 10 000 postes dans l'éducation nationale. C'est énorme ! Les conditions d'apprentissage dans l'enseignement agricole ont été mises à mal par ces coupes successives. D'ailleurs, le rapport sénatorial intitulé Enseignement agricole : l'urgence d'une transition agropolitique de Nathalie Delattre en témoignait.

Nous ne pouvons pas nous réjouir de la progression des effectifs d'élèves constatée ces dernières années, et attendue puisque la baisse des effectifs avait été un sujet de préoccupation, sans appeler au rétablissement de postes d'enseignants pour accompagner cette hausse. Les suppressions de postes avaient déjà mis à mal certaines disciplines. Je pense en particulier aux travaux en groupe autour des gros animaux, qui mettaient les élèves en danger car ils étaient trop nombreux.

Certes, ce budget prévoit la création de 20 ETP. Vous avez néanmoins précisé que ces derniers sont destinés au renforcement de la médecine scolaire et des services sociaux des établissements d'enseignement agricole, ainsi qu'à l'accompagnement de la mise en oeuvre des mesures de la loi d'orientation et d'avenir agricoles. Tous les enseignants ne sont donc pas concernés, loin de là. Il faut toutefois nous poser la question, comme dans l'enseignement scolaire de manière générale, de l'attractivité de ces postes médico-sociaux, ces derniers n'étant pas toujours pourvus.

Je souhaite également vous alerter au sujet des MFR. Elles sont implantées en grande ruralité et font un travail remarquable auprès d'élèves pratiquement sortis du système scolaire. Vous étiez présents lors de leur audition, monsieur le rapporteur. Elles sont mises à mal, du moins pas assez considérées, dans ce projet de loi de finances (PLF).

Par ailleurs, dans le contexte économique et social qui est le nôtre, nous regrettons la nouvelle baisse, pour cet exercice budgétaire, des crédits des bourses sur critères sociaux, qui perdent 2,88 millions d'euros par rapport à l'an dernier. Colombe Brossel avait alerté le ministre lors de son audition par notre commission, lequel nous avait répondu que tous les élèves qui en faisaient la demande recevaient une bourse. Certes, mais le contexte économique est tel qu'il conviendrait peut-être de revoir les critères, c'est-à-dire d'allouer plus de moyens à ces élèves boursiers, car ils en ont bien besoin.

Enfin, je souhaite évoquer le pacte enseignant, mis en avant par le ministre lors de son audition comme étant l'une des pierres angulaires du renforcement de l'attractivité des postes de professeurs. Bien sûr, la logique reste celle de « travailler plus pour gagner plus ». Nous alertons cependant sur les inégalités territoriales engendrées par la mise en oeuvre de ce pacte. Vous l'avez souligné : 65 % des briques sont prises dans l'enseignement agricole, c'est-à-dire bien plus que dans l'enseignement scolaire. Cette donnée dit peut-être quelque chose du niveau des salaires des professeurs ! Peut-être prennent-ils plus de briques car leur salaire est moins élevé.

Le ministre a aussi été interrogé sur la situation des écoles vétérinaires. Une école privée a été créée, ce que nous regrettons ; nous aurions préféré la création d'une école publique supplémentaire pour former les futurs vétérinaires. Je répète que nous avons besoin de vétérinaires pour l'élevage en ruralité, afin de maintenir une activité agricole.

Pour toutes ces raisons, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (SER) se prononcera contre l'adoption des crédits.

Mme Annick Billon. - Le budget du ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire est en hausse de plus de 1 milliard d'euros ; le nombre d'élèves qui s'orientent vers l'enseignement technique agricole augmente également. L'encadrement proposé est meilleur, et le budget alloué à l'école inclusive est lui aussi revu à la hausse. Malgré tout, ces éléments positifs ne doivent pas nous faire oublier un certain nombre de points de vigilance.

Je souhaite moi aussi revenir sur la situation des MFR. La dotation à l'élève y est très inférieure à celle observée dans le secteur public. Des négociations sont en cours à ce sujet et, à en croire le ministre Marc Fesneau, auditionné la semaine dernière, elles n'ont pas encore abouti et rien ne promet qu'elles aboutissent. En cas d'échec de ces négociations, il me semble que nous serions dans l'obligation de reprendre ce sujet pour le PLF 2025. Certes, le PLF 2024 n'est pas encore adopté, mais cette préoccupation persiste. En Vendée, par exemple, je sais que ce cycle de formation est très important pour pallier les départs à la retraite à venir.

Un deuxième point de vigilance est celui de l'orientation. Le rapport rédigé par Mme Delattre il y a quelques années contenait un certain nombre de propositions. Ces dernières sont toujours sur la table. L'orientation doit rester au coeur de la problématique de l'enseignement agricole si l'on souhaite que l'augmentation des effectifs s'inscrive dans la durée. Il est temps de s'emparer des propositions qui avaient été faites et de les mettre en application.

Si un bachelor pouvait permettre de remédier à la chute inquiétante du nombre d'étudiants en BTSA, il faudra nous pencher attentivement sur cette option.

Je partage les inquiétudes de Marie-Pierre Monier au sujet du pacte enseignant. Nous avons à notre disposition une boîte à outils, inégalement utilisée sur l'ensemble du territoire et qui crée des inégalités inacceptables.

Les différentes auditions nous ont permis de mesurer l'ampleur du mécontentement concernant les rémunérations. Nous resterons donc vigilants quant au devenir du calcul. La question a été posée au ministre ; les résultats du terrain ne rejoignent pas forcément sa position.

Enfin, le nombre de postes d'enseignants est certes en augmentation, mais il doit être relativisé compte tenu de la hausse des effectifs et de la tendance des dernières années.

Le groupe Union Centriste prend en compte l'augmentation des crédits et celle des élèves, mais conservera donc quelques points de vigilance.

M. Gérard Lahellec. - À mon tour, je veux remercier M. le rapporteur pour son excellent travail de synthèse et d'objectivation. Merci d'avoir rappelé que l'enseignement agricole ne fonctionne pas si mal, et que notre agriculture de production nourricière a grandement besoin de cet enseignement pour s'inscrire dans une logique de développement durable.

Vous avez rappelé les déclarations de M. le ministre, notamment la création éventuelle d'un « bachelor agro ». Celui-ci peut être un début de solution, mais nous sommes tout de même confrontés à la problématique fondamentale de l'attractivité des métiers. J'ai lu un article qui portait sur le prix de la brique de lait, en baisse de 4 % sur les vingt dernières années pour le producteur. L'industriel, quant à lui, a vu sa rémunération progresser de 64 %, de même pour le distributeur, dont les revenus ont augmenté de 164 %. Voilà qui annonce sans doute de futurs débats dans le cadre de la prochaine loi agricole !

Je souhaite m'attarder sur ce que le rapport et le ministre ne disent pas. Je partage l'idée selon laquelle certaines catégories d'élèves en difficulté ne trouveraient pas de débouchés si les MFR n'existaient pas. Les 316 suppressions d'emplois d'enseignants survenues entre 2019 et 2022 sont loin d'être compensées, tandis que l'effort en termes de masse salariale vise plutôt les métiers médico-sociaux et non les métiers de l'enseignement. J'insiste sur le fait que l'enseignement public agricole est en difficulté. Je ne veux pas raviver ici la guerre scolaire entre secteur public et secteur privé ; nous avons besoin des deux si nous voulons développer une agriculture durable. Malgré tout, l'enseignement agricole public est en souffrance, et des dispositions sont d'ores et déjà prises dans les territoires pour innover en termes d'organisation et de structuration d'un certain nombre d'instances. Dans ma région, par exemple, nous avons beaucoup d'établissements publics agricoles, et ils coopèrent pour créer un groupement d'intérêt public (GIP) et ainsi relever certains défis de notre temps. Ces cas de figure sont peu évoqués dans les orientations en cours.

On nous annonce 20 ETP qui viendraient s'ajouter aux 10 ETP de l'année dernière. Or ceux-ci n'ont toujours pas été créés. Le bilan est donc nettement à nuancer.

Enfin, j'estime que l'organisation du travail et des rémunérations continuent à poser problème. Il faut entendre ce message, qui a été transmis au ministre lors de son audition. Celui-ci nous a dit qu'il ne s'agissait pas de « travailler plus pour gagner plus », mais de « travailler autrement pour gagner autant ». Le sens n'est pas tout à fait le même, et est même quelque peu ambigu. Des éclairages sont donc nécessaires. Je pense que tant que cette question ne sera pas traitée, nous n'aurons pas la dynamique attendue.

Certes, 56 % des enseignants de l'enseignement agricole ont signé le pacte enseignant, mais l'effet de corps est énorme. Là où il n'a pas été signé, le rejet est parfois très massif. La protestation sociale est donc, elle aussi, massive et il faut l'entendre.

En somme, ces éléments me conduisent à conclure que la qualité des objectivations contenues dans le rapport n'est pas suffisante pour nous convaincre du bien-fondé de cette proposition de budget. Par conséquent, nous ne la voterons pas.

Mme Monique de Marco. - Lors son audition de la semaine dernière, le ministre de l'agriculture a affiché des ambitions concernant la future loi d'orientation et d'avenir agricoles, notamment pour accompagner une nécessaire hausse des effectifs des apprenants en agriculture. Je rappelle que cette dernière ne pourra se faire sans augmentation des moyens de l'enseignement technique agricole. Celle-ci est-elle suffisante ?

Pour rappel, l'enseignement agricole, en particulier dans le secteur public, a connu des baisses de budget importantes qui ont engendré des difficultés de fonctionnement dans les établissements concernés. Ce PLF maintient les moyens humains existants, mais ne permet pas de pallier le passif de ces baisses budgétaires.

Il est dit que l'enseignement agricole doit se réinventer et doit accueillir 30 % d'élèves supplémentaires. À mon sens, cela doit passer par une communication sur l'intérêt et l'attractivité des métiers de l'agriculture et des formations associées. Or le présent PLF prévoit un budget de communication pour l'enseignement technique agricole en baisse de 14 % par rapport à l'année 2023. J'y vois un manque d'ambition au regard de l'enjeu énoncé par la campagne sur la future loi, qui est de renouveler les 50 % de la population agricole qui partiront à la retraite au cours des dix prochaines années.

J'ai déjà averti M. le rapporteur que nous ne suivrons pas son avis et que nous voterons contre ces crédits.

M. Bernard Fialaire, rapporteur pour avis. - J'ai bien entendu la préoccupation exprimée au sujet des MFR. Néanmoins, nous votons aujourd'hui le budget 2024, et les MFR nous ont affirmé, durant leur audition, que le budget pour l'année à venir était suffisant. En revanche, il faudra nous montrer vigilants pour 2025, puisque les négociations sont en cours. Reste qu'on ne peut pas voter contre un budget 2024 par simple précaution pour des discussions qui n'ont pas encore abouti pour 2025.

Vous avez tous souligné la pépite que représente l'enseignement agricole. Alors que le nombre global d'élèves baisse, celui de cette branche augmente de 1 %. Le nombre d'enseignants est quant à lui maintenu. Il faut savoir que cet enseignement s'organise autour de très petits effectifs ; une augmentation de 1 % des élèves ne requiert donc pas forcément une hausse significative du nombre d'enseignants.

Je ne sais pas si tous les enseignants vont, dans le cadre du pacte, « travailler plus pour gagner plus ». Beaucoup vont simplement être rémunérés pour un travail qu'ils faisaient déjà, ce qui est une bonne chose. Les briques choisies ont aussi leur importance. Aller faire de la promotion et de l'information au sein d'autres établissements pour recruter de futurs élèves est par exemple une bonne orientation.

On parle beaucoup des déserts médicaux, mais on sait que les déserts vétérinaires sont encore plus désertiques. Il faudra donc se confronter à cette problématique, qui relève d'ailleurs d'une réflexion complexe sur l'orientation et la sélection. Des vétérinaires sont effectivement diplômés chaque année ; le problème est que peu d'entre eux vont exercer en milieu rural. Cette désaffection s'explique peut-être par la sélection de notre enseignement supérieur, qui choisit plutôt des enfants issus des catégories socioprofessionnelles les plus favorisées dans des zones très urbaines, des enfants que l'on ne retrouve pas par la suite sur des terrains d'exercice ruraux. Il faudra donc s'interroger sur ce décalage, qui touche les vétérinaires comme les autres professions.

Augmentation du nombre d'élèves, budget en hausse... J'encourage tous ceux qui souhaitent voir le verre à moitié plein à voter ces crédits.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 143 « Enseignement technique agricole ».

Projet de loi de finances pour 2024 - Crédits relatifs à la presse - Examen du rapport pour avis

M. Michel Laugier, rapporteur pour avis des crédits relatifs à la presse. - Dans cette commission, nous croyons fermement à l'information, à son importance pour une démocratie dont le fondement est le débat, et au caractère indispensable et premier d'une presse libre et indépendante.

Benjamin Constant consacre un chapitre pénétrant à la liberté de la presse dans ses OEuvres politiques. Il y analyse en particulier l'importance pour la qualité du débat public de ce qui était déjà un média de masse sous le Directoire : « Ce ne fut point enfin la liberté de la presse qui entraîna les désordres et le délire d'une révolution malheureuse ; c'est la longue privation de la liberté de la presse qui avait rendu le vulgaire des Français ignorant et crédule, et par là même inquiet et souvent féroce. »

Dans le contexte de l'époque, Benjamin Constant s'en prend aux gouvernements qui limitaient la liberté de la presse, ce qui se traduit in fine par un appauvrissement du contrat social et une mise en danger de la société. Cette analyse conserve, hélas, aujourd'hui toute son actualité, alors que la presse est menacée non plus par les lois - je le crois, en tout cas dans notre pays -, mais par les effets conjugués de son affaissement économique et de la défiance dont elle est l'objet, comme le relève le dernier baromètre Kantar pour le journal La Croix. La perte de contact avec une information fiable, délivrée de manière professionnelle par des journalistes et non par des pseudo-experts plus avides de buzz que de fiabilité, est pour nous une menace existentielle, et certains événements vécus ces dernières années y trouvent probablement leur source.

Je fais le même constat année après année : la presse ne va pas bien. Elle a perdu depuis 2000 60 % de son chiffre d'affaires, et connaît une attrition de 10 % par an. Les titres en sont dorénavant réduits à tailler dans les coûts pour survivre, fragilisés encore plus par la crise énergétique.

Face à ce constat, les pouvoirs publics ne restent pas indifférents, et s'efforcent de trouver la parade. Néanmoins, la presse ne doit pas devenir une sorte d'espèce en voie de disparition, parquée dans son enclos et protégée des prédateurs du numérique par d'épaisses barrières budgétaires et réglementaires. Le sens du soutien public doit plutôt être d'accompagner le secteur vers un renouveau qui peine malheureusement à se dessiner.

J'en viens maintenant à la présentation du programme 180 et de ses défis pour cette année.

Je m'étendrai peu sur l'évolution des aides à la presse, qui demeurent remarquablement stables depuis plusieurs années, qu'il s'agisse des aides directes ou indirectes.

Cette stabilité appelle cependant deux remarques.

D'une part, elle pourrait sembler avantageuse en valeur absolue, puisqu'elle correspond à un nombre d'exemplaires en baisse constante. Cependant, les coûts dans la presse sont en grande partie fixes. Qu'un article soit publié mille fois ou un million de fois ne fait pas varier la rémunération du journaliste. De même, le coût de l'impression comme du transport d'un exemplaire supplémentaire est minime. En conséquence, même si le marché baisse, les frais engagés ne connaissent pas la même variation.

D'autre part, en période de forte inflation, les charges augmentent immédiatement. Je pense en particulier au portage, si important pour la presse quotidienne régionale (PQR), qui souffre des prix du carburant et de la difficulté à attirer des employés, avec une faible possibilité d'augmenter les prix.

En conséquence, la stabilité des aides traduit en réalité une baisse de pouvoir d'achat, qui se ressent dans le secteur. Pour autant, je crois pouvoir dire que les alertes portées par notre commission ont permis de limiter, en partie, les dégâts.

Ainsi, j'évoquais l'année dernière, notamment à la suite de mes travaux sur la PQR, deux préoccupations sérieuses : l'une relative à l'envolée des coûts du papier et de l'énergie et l'autre au financement de l'écocontribution auquel devait participer la presse. Petite satisfaction pour nous, nous avons été entendus, au moins partiellement.

Ainsi, le Gouvernement a finalement consenti à un geste de 30 millions d'euros en 2023 pour aider la presse face à la hausse vertigineuse de ses coûts ; grâce à une excellente collaboration avec notre collègue de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable Marta de Cidrac, une solution a pu être trouvée pour l'écocontribution qui ne pénalise ni les collectivités ni la presse.

Certes, dans ces deux cas, le succès n'est que partiel, la compensation est loin d'être intégrale et le nouveau mécanisme mis en oeuvre avec Citeo est complexe et long à se mettre en place.

Les faits sont donc là et illustrent notre capacité à peser sur les décisions du Gouvernement. Jusqu'où ira notre influence ? Telle est la question quand on aborde les deux sujets fondamentaux qui nous occupent année après année comme des marronniers : la réforme des aides à la presse et la distribution.

Les aides à la presse sont constamment décriées, et il existe un large consensus pour les réformer. Selon un schéma que nous connaissons bien avec la loi de 1986 à la suite à la commission d'enquête sur la concentration des médias, les voix s'élèvent fort pour critiquer, et se taisent pour proposer...

Ces aides directes, d'un montant de 238 millions d'euros, soit environ 20 % du chiffre d'affaires de la presse, sont concentrées sur la presse IPG (information politique et générale), et singulièrement sur la diffusion, qui représente les deux tiers de l'enveloppe. Cela pose problème, car l'évolution vers le numérique n'est que très peu prise en compte.

Les aides au pluralisme, d'un montant de 26 millions d'euros, sont pour leur part d'une grande complexité avec six enveloppes distinctes, créées au fil du temps pour répondre à telle ou telle situation particulière.

Enfin, les aides réellement disponibles pour la modernisation sont très faibles, avec 28 millions d'euros, le solde étant prélevé pour venir en aide à la distribution des quotidiens.

De tout cela, il ressort une grande opacité, qui donne lieu à des soupçons incessants, en dépit de notables efforts de transparence ces dernières années, car le montant de toutes les aides est public.

Je crois que la réforme de ces aides, sur laquelle la ministre s'est prudemment engagée lors de son audition devant la commission, doit suivre trois grands principes.

Tout d'abord, il faut respecter une logique de conditionnalité, comme cela avait été demandé par la commission d'enquête sur la concentration des médias en France. Je note d'ailleurs que le Conseil d'État a validé le 13 novembre dernier le décret, attaqué par plusieurs syndicats, sur la nouvelle obligation de présence de journalistes dans les rédactions comme condition pour percevoir des aides. Cela va incontestablement dans le bon sens.

Ensuite, il faut donner toute sa place à la presse numérique, en particulier en accompagnant fermement les titres dans la recherche d'un modèle économique viable, qui est pour l'heure incertain. Je rappelle qu'il faut entre trois et quatre abonnés numériques pour compenser la perte d'un abonné « papier ».

Enfin, il faut réfléchir à la place des aides à la distribution, qui représentent une part que j'estime bien trop élevée.

J'en viens à la question plus que jamais éternelle de la distribution.

Depuis des années, la distribution est enfermée dans un duopole mortifère. Vous avez suivi les différentes étapes, affligeantes au demeurant, et surtout coûteuses, de France Messagerie, ex-Presstalis, ex-NMPP. La nouvelle direction, avec un périmètre resserré, a fourni des efforts considérables, et me semble être sur le bon chemin. Son concurrent direct est les Messageries lyonnaises de presse (MLP). Les deux entreprises se livrent à une guerre sans merci sur un marché en attrition constante, un phénomène auquel elles ne peuvent pas grand-chose.

Dès lors, la confrontation est inévitable, d'autant plus que France Messagerie bénéficie d'aides publiques massives et d'une péréquation des MLP, qui permettent à l'entreprise d'assurer un résultat positif - ce n'est pas un miracle avec ce niveau d'aide, mais il faut le souligner car cela n'a pas toujours été le cas.

L'année 2024 pourrait cependant être utilement mise à profit pour sortir de cet éternel recommencement. Elle correspond à la dernière année où 9 millions d'euros seront prélevés sur les crédits du fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP) au profit de France Messagerie. Par ailleurs, le Gouvernement a lancé une nouvelle mission confiée aux inspections des finances et des affaires culturelles, dont la ministre, lors de son audition, a indiqué attendre les conclusions.

Même si je me demande ce que cette mission pourra apporter à la compréhension d'une situation déjà très bien documentée, par nos travaux comme par ceux d'autres instances, je veux croire que, cette fois-ci, une solution pérenne sera enfin mise en place. En termes strictement industriels, cette solution est simple dans son principe : il faut mutualiser complètement le « dernier kilomètre » entre PQR, presse quotidienne nationale (PQN) et les parutions à périodicité plus longue et élargir les missions des dépositaires centraux pour leur permettre de trouver un meilleur équilibre économique. Cela n'en pose pas moins de redoutables questions logistiques et, plus encore, de mécano juridique entre les différents et trop nombreux intervenants.

Comme vous le voyez, il y a de bonnes chances que j'évoque de nouveau ce sujet devant vous l'année prochaine...

J'en viens à mon point final : les États généraux de l'information (EGI).

Annoncés par le Président de la République dans le courant de la campagne électorale au printemps 2022, les EGI ont été lancés le 13 juillet 2023, avec un an de retard, ce qui a pris le secteur de court. La lettre de mission du Président de la République a été transmise aux membres du comité de pilotage le 2 octobre 2023. Elle met en avant la nécessité de préserver les principes fondamentaux hérités des Lumières qui imposent l'accès à une information libre pour permettre aux citoyens de se forger une opinion éclairée. Elle souligne les défis tant économiques que technologiques qui mènent à « l'émergence d'un nouvel ordre mondial de l'information ».

Les EGI, dont le délégué général est Christophe Deloire, le secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF), ont commencé leur travail, avec des objectifs ambitieux et des membres de haut niveau. Certains d'entre nous ont déjà été entendus, dont notre président, Monique de Marco, Jean-Raymond Hugonet et moi-même, car l'organisation a souhaité s'appuyer sur les travaux parlementaires déjà existants, ce qui est de bonne pratique. J'ai par ailleurs participé à l'une des innovations des EGI, avec un dialogue organisé - je remercie au passage Jérémy Bacchi - avec des lecteurs du quotidien La Marseillaise en octobre dernier.

Que peut-on donc attendre de ces États généraux ? Seront-ils un nouvel avatar de ces instances mises en place à grand renfort de communication et dont on perd rapidement la trace ? Seront-ils à l'origine d'un renouveau dans la réflexion autour de la presse dans les prochaines années ? Il est bien entendu encore trop tôt pour le dire, mais le champ d'intervention est si vaste que j'avoue avoir quelques criantes pour eux...

Pour ma part, je crois, comme je l'ai indiqué devant les EGI, que la meilleure garantie d'indépendance de la presse est sa prospérité économique. Cette perspective est pour l'instant éloignée, mais tous les efforts des pouvoirs publics devraient porter sur ce point pour en finir avec le paradoxe d'un monde où l'information est centrale et où ceux qui la produisent sont paupérisés. Je suivrai donc avec attention les travaux des EGI, et il nous faudra certainement les entendre pour évaluer le pragmatisme de leurs propositions - on sait que le sujet peut rapidement devenir inflammable.

Pour résumer cet avis, je serai d'un optimisme très prudent ou d'un pessimisme mesuré sur la capacité des pouvoirs publics à accompagner enfin la presse vers un retour à l'équilibre.

Sous le bénéfice de ces observations, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption de crédits relatifs à la presse pour 2024.

Mme Else Joseph. - Merci pour ces éléments d'information très clairs. Si les crédits augmentent, on voit cependant mal quelles sont les priorités du gouvernement.

Média classique par excellence, la presse, confrontée à une crise structurelle antérieure à l'apparition d'internet, fait l'objet d'une attention constante des pouvoirs publics, dans le contexte d'une crise de confiance de son lectorat. Un soutien financier est apporté à ce secteur stratégique pour la vitalité de notre démocratie. Néanmoins, les inquiétudes sont nombreuses : les entreprises sont soumises à la loi du marché dans un environnement très concurrentiel et le modèle économique de la presse écrite ne semble plus fonctionner alors que les habitudes des Français changent. Comment permettre le pluralisme des médias ? Où en est-on de la transformation numérique, qui semble inachevée ? Les moyens prévus sont-ils suffisants pour moderniser la presse ?

Outre la concurrence des plateformes numériques, on constate un effondrement des recettes publicitaires depuis quinze ans. La récente problématique de la hausse des coûts, entre autres du papier, aggrave la situation. La presse subit un cumul de difficultés.

La question de l'Agence France-Presse (AFP) n'a pas été évoquée. Elle est l'une des trois agences mondiales de presse et est contrôlée par l'État. On note des résultats positifs depuis 2019, notamment grâce à un effort de réduction des charges d'exploitation et d'augmentation des recettes commerciales. L'information fait l'objet de polémiques, comme on l'a vu récemment avec le traitement des sujets sur le Proche-Orient. Nous devons rester vigilants sur la situation de l'AFP, qui reste un atout stratégique de premier plan.

La question des aides à la diffusion de la presse, qui connaissent une faible hausse des crédits, reste d'actualité. Ces aides doivent permettre un accès à l'information de tous les citoyens sur tout le territoire. Pourriez-vous nous donner des précisions sur la nouvelle aide à l'exemplaire suite à la réforme du portage et du postage ?

Je suis également vigilante sur la situation de France Messagerie, avec la problématique particulière de l'outre-mer.

En ce qui concerne le pluralisme, on constate une très légère hausse des crédits. Les aides sont apportées à des titres, notamment de la PQR, qui disposent de faibles recettes publicitaires. La PQR est fragilisée par la hausse du prix du papier et par le fait qu'elle n'a pas achevé sa transition numérique. Je veux insister sur l'absence de concurrence, qui entraîne peut-être une moindre émulation. Dans mon territoire, il n'existe qu'un seul groupe de presse : on donne la parole à certains élus mais pas à d'autres, parce qu'ils ne sont pas du bon bord politique... C'est pourquoi nous devons toujours garder en vue l'objectif du pluralisme. Je n'oublie pas non plus la presse ultramarine, dont certains titres connaissent des difficultés.

Enfin, il faut évoquer l'accès à la presse de certains publics réputés rétifs - je pense aux jeunes : ce sont ceux qui lisent le moins la presse, à laquelle ils préfèrent les réseaux sociaux, qui sont des faux amis de la lecture et de l'information. Avons-nous des pistes pour encourager les jeunes à se tourner vers la presse ? L'extension du pass Culture aux abonnements en 2024 permettra-t-elle d'améliorer la situation ?

Notre groupe votera en faveur de l'adoption des crédits relatifs à la presse.

M. Pierre-Antoine Levi. - Je voudrais tout d'abord féliciter Michel Laugier pour la qualité et la pertinence de son rapport. En ces temps où l'intégrité de l'information et la liberté de la presse sont cruciales pour le maintien de notre démocratie, notre rôle en tant que parlementaires est de soutenir les piliers fondamentaux de cette dernière.

Le programme 180 « Presse et médias » représente un engagement vital pour la préservation et la promotion d'un paysage médiatique diversifié et indépendant en France. Nous sommes conscients des critiques concernant les aides à la presse, souvent jugées opaques et complexes, et concentrées sur la presse papier au détriment du numérique. Il est impératif de lancer une réforme de ces aides pour garantir la transparence et leur adaptation aux réalités actuelles du secteur.

L'Agence France-Presse, dont nous avons auditionné le président il y a quelques jours, reste malgré les récentes polémiques un pilier essentiel de notre paysage médiatique. L'augmentation de son budget de 6 millions d'euros pour 2024 est un témoignage de notre engagement envers une presse de qualité indépendante. Dans un monde où la désinformation est omniprésente, soutenir l'AFP est un acte essentiel pour garantir autant que possible une source d'information fiable et objective.

Le plan de soutien à la filière presse en réponse à la crise structurelle du secteur est un autre élément clé. Il combine des crédits budgétaires et des dépenses fiscales pour soutenir la presse dans sa transition écologique et numérique. Les États généraux de l'information, lancés avec un an de retard, sont une étape cruciale. Nous attendons de cet exercice une profonde réflexion sur les défis actuels de la presse, en tirant les leçons des États généraux de la presse écrite de 2008 et en identifiant les problèmes à résoudre pour un paysage médiatique plus robuste et diversifié.

Le soutien aux médias de proximité, aux radios locales et associatives, est également essentiel.

L'aide à la distribution de presse est une démarche cruciale pour garantir un accès équitable à l'information. L'effondrement de Presstalis et la reprise par France Messagerie ont mis en lumière la nécessité d'un réseau de distribution efficace. En 2024, l'aide à la distribution de la PQN d'information politique et générale est maintenue à un niveau exceptionnel. Concernant l'avenir de France Messagerie après 2024, il est crucial de réfléchir à une refonte globale, éventuellement en spécialisant la société sur la PQN, tout en assurant la continuité de la distribution de la presse écrite sur tout le territoire.

L'intégration de la presse dans le pass Culture est une avancée notable qui favorise l'accès des jeunes à la diversité de médias. Cela renforce leur engagement culturel et leur compréhension du monde. Nous regrettons cependant que la presse papier soit exclue du dispositif et espérons voir cette lacune comblée dans l'avenir.

Le programme 180 ne se contente pas de répondre aux défis actuels : il anticipe les transformations futures et renforce les fondements de notre démocratie, en garantissant une presse libre, diversifiée et accessible à tous.

Le groupe Union Centriste émettra un avis favorable sur ce programme et votera le rapport de Michel Laugier.

Mme Sylvie Robert. - Je veux féliciter notre rapporteur, qui connaît bien le sujet. Pour avoir assisté à quelques auditions avec lui, j'ai constaté que nous allions vers une confrontation inéluctable entre les différents acteurs, dans un contexte de tensions assez fortes.

À la lecture du programme 180, je suis animée par un sentiment en demi-teinte. Certes, avec les États généraux de l'information, on se dit que ce budget est en quelque sorte un budget d'attente, avant la prise de décisions de fond, notamment sur la réforme des aides à la presse. L'année 2024 est en quelque sorte une étape, sans inflexion manifeste.

Je souhaiterais évoquer quelques points de vigilance.

L'AFP est confortée, ce qui est une bonne chose. Néanmoins, nous ne connaissons pas encore le contenu du contrat d'objectifs et de moyens (COM), lequel aurait pu donner aux parlementaires que nous sommes des indications sur l'adéquation entre les missions et les moyens.

Les aides à la presse ne baissent pas beaucoup, de 0,3 %, mais le manque de réflexion sur leur contenu est regrettable.

Sur le volet « médias », je suis surprise que l'aide sélective aux autrices et auteurs de podcasts soit supprimée, alors même que les podcasts sont en plein développement et qu'ils constituent un moyen pour les jeunes non seulement de s'informer, mais aussi de s'approprier de grandes problématiques contemporaines.

Sur l'aide à la distribution, c'est un sujet important sur lequel la vigilance est de mise. On constate les difficultés du transfert du postage au portage, notamment pour la presse IPG. L'objectif de portage, qui était de 87 % en 2023, a baissé à 74 % en 2024. Les États généraux de l'information permettront peut-être d'aller plus loin ; le Sénat a fait beaucoup en la matière.

Le rapporteur a évoqué le débat que nous avons eu avec la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable sur la question de l'écocontribution et de Citeo. Il serait intéressant que les deux commissions s'emparent, un an après, de l'évaluation de ce dispositif.

Enfin, s'agissant de la distribution, une mission de l'inspection générale des affaires culturelles (Igac) et de l'inspection générale des finances (IGF) doit rendre ses conclusions d'ici à la fin de l'année. Nous pourrons évaluer le bien-fondé du système de distribution de la presse, notamment avec l'évolution des usages. Les questionnements sont nombreux dans nos territoires. Cette mission sera peut-être l'occasion de prévoir des dispositions plus pérennes et mieux adaptées aux usages de demain.

Ce budget ne nous satisfait donc pas pleinement.

M. Jérémy Bacchi. - Merci pour ce brillant rapport qui fait le tour des enjeux que rencontre la presse dans notre pays. Pendant cette année 2023, marquée par des événements internationaux, le rôle de la presse n'a cessé de faire débat, signe d'un attachement de nos concitoyens à une information la plus objective, documentée et juste possible. Ce n'est malheureusement pas le cas de tous les pays du monde ; de ce point de vue, nous pouvons donc nous en réjouir.

La presse connaît un certain nombre de difficultés, notamment liées à la baisse des recettes issues de la publicité - près de 60 % de recettes en moins en une vingtaine d'années. Cela s'explique par la concurrence du numérique, même s'il faut nuancer ce fait, les recettes liées au numérique étant trois ou quatre fois moindres que celles liées au papier. La transition numérique que vous appeliez de vos voeux, monsieur le rapporteur, et que je partage doit s'accompagner d'un soutien de la puissance publique encore plus fort à la presse, notamment à la PQR.

Vous avez évoqué à juste titre la hausse des coûts du papier, qui est passé de 400 à 800 euros la tonne en deux ans, et du carburant. L'augmentation du tarif unitaire d'un quotidien n'est pas totalement extensible.

Par conséquent, toute la filière associée à la diffusion et à la vente de la presse traverse une grave crise, voire menace de s'effondrer. Les acteurs l'ont bien compris et ont multiplié les initiatives pour reconquérir un plus large lectorat. Dans un tel contexte, l'appui de la puissance publique à la presse est essentiel, car au-delà de l'aspect économique se posent évidemment des enjeux de démocratie. La question de la pluralité et de la diversité de la presse, y compris de la presse d'opinion, encore plus touchée que la PQR, doit nous alerter en tant que législateur.

D'autres canaux de diffusion tendent à supplanter la presse depuis quelques années, ce qui fait peser des risques relativement graves sur la vérification de l'information et sur le débat démocratique : il s'agit des réseaux sociaux qui, pour une part croissante de la population, font office de nouveaux médias d'information. Journaliste, c'est un métier qui ne s'improvise pas. Nous avons donc intérêt à travailler au renforcement de la presse.

Nous accueillons favorablement l'augmentation de presque 12 % des aides au pluralisme et la reconduction des aides à la modernisation et à la distribution, notamment au portage de la presse. Dans un contexte national et international où se multiplient les fausses informations, qui peuvent être instrumentalisées - parfois de l'étranger - pour déstabiliser le débat démocratique, le renforcement des moyens alloués à l'AFP nous paraît essentiel pour garantir la fiabilité de l'information et des sources.

Il conviendra, tout au long de l'année à venir, de rester à l'écoute des acteurs du secteur, et d'être extrêmement attentif à ce qui sortira des États généraux de l'information. Comme ma collègue Sylvie Robert, j'ai le sentiment d'être dans un entre-deux, avec peut-être l'année prochaine - espérons-le ! - de grandes annonces pour conforter la presse.

Mme Monique de Marco. - Merci pour ce rapport très intéressant, et pour cette citation de Benjamin Constant : une presse libre et une information fiable sont effectivement indispensables. La baisse du chiffre d'affaires des titres de presse fragilise le système.

Une anecdote : quand je veux acheter un exemplaire du journal Le Canard enchaîné le mercredi matin avant de venir en commission, je constate que les kiosques parisiens sont fermés (Sourires.) Je me contente alors, comme beaucoup d'entre nous, de la presse en ligne.

En ce qui concerne les aides à la presse, on ne peut pas dire qu'il n'y ait pas eu de propositions de loi, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, notamment pour rendre ces aides conditionnelles. Quelques avancées ont été faites : il faut, par exemple, un nombre minimal de journalistes, mais on pourrait aller plus loin - nous verrons ce qui sortira des EGI.

Je ne comprends pas pourquoi le crédit d'impôt pour un premier abonnement à la presse a été abandonné - apparemment, il n'a pas rencontré de succès. Mais a-t-il bénéficié d'une publicité suffisante ?

Pour conclure, je ne sais pas s'il faut avoir beaucoup d'espoir dans les EGI, qui ont déjà pris du retard. Il ne faudrait pas qu'ils finissent comme la Convention citoyenne pour le climat, c'est-à-dire dans un oubli sidéral.

Pour ces raisons, nous nous abstiendrons sur ces crédits.

M. Bernard Fialaire. - À mon tour de féliciter le rapporteur.

Effectivement, dans le contexte des États généraux de l'information, on voit bien qu'il s'agit d'un budget intermédiaire, que je soutiendrai.

Je veux revenir sur une de mes préoccupations, la PQR, vue par un grand nombre de lecteurs comme une presse d'information. Les collectivités, parfois sous le prétexte vertueux de soutenir la presse locale, financent largement la PQR et en profitent pour exercer leur influence : certains titres sont des organes de propagande permanente des collectivités qui les financent. J'espère que les EGI nous permettront d'aborder ce sujet et de trouver des solutions.

M. Michel Laugier, rapporteur pour avis. - Mes chers collègues, je vous remercie pour vos interventions qui étaient davantage des observations que des questionnements.

Madame Joseph, la PQN passe au numérique plus rapidement que la PQR. Plusieurs titres ont déjà davantage d'abonnés numériques que d'abonnés « papier ». En province, on est encore attachés à lire son journal le matin - et les kiosques sont ouverts tôt le matin, madame de Marco ! Il faut noter que la crise du covid a accéléré le passage au numérique.

Si certains achètent leur journal en kiosque, d'autres le reçoivent à domicile. La réforme « Giannesini », qui a permis de mettre 42 millions d'euros sur la table pour le transport de la presse, est en train d'être appliquée : son efficacité ne peut pas encore être mesurée. D'autres problèmes ont dû être réglés : je pense aux prix du papier et des carburants, ou à la mise en place de zone à faibles émissions (ZFE) - la plupart des personnes qui livrent n'ayant pas de véhicule électrique.

En ce qui concerne la PQR et la concurrence, il est aujourd'hui très compliqué de lancer un nouveau titre, car il faut un modèle économique. Le seul nouveau titre mis sur le marché cette année a été La Tribune Dimanche. Rappelons-le, beaucoup de titres de la PQR tiennent encore la route économiquement parce qu'ils diversifient leurs activités : salons, foires, courses de bateaux, festivals...

La presse ultramarine bénéficie d'une aide spécifique. Le problème vient du périmètre forcément limité de leur diffusion. Le Quotidien de la Réunion connaît quelques difficultés; aux Antilles, il a fallu l'intervention des pouvoirs publics pour qu'un industriel investisse dans la presse.

En ce qui concerne les jeunes, outre le pass Culture, avait été ouverte la possibilité d'avoir un crédit d'impôt pour un premier abonnement. Madame de Marco, le Gouvernement n'a pas forcément fait de publicité sur ce dispositif, et les 150 millions d'euros prévus ont été très peu utilisés, ce qui a conduit à sa suppression. Quand on veut tuer son chien, on l'accuse d'avoir la rage... Ce qui est important, et j'espère que les EGI aborderont cette question, c'est l'éducation aux médias et à l'information. Comment trouver la véritable information entre ce qu'on lit dans les journaux, ce qu'on regarde sur les réseaux sociaux et ce qu'on voit sur les chaînes d'information, où l'on confond journalistes, éditorialistes et invités ? Sans même parler de l'influence des pays étrangers au travers des réseaux sociaux, évoquée par Jérémy Bacchi...

Je n'ai pas parlé de l'AFP, car elle est sur la bonne voie. Elle a retrouvé un équilibre économique ; le COM devrait être signé dans les prochains jours : nous y verrons plus clair. Le développement des vidéos a été payant ces dernières années, et son PDG souhaite continuer dans cette voie.

Madame Robert, oui il est difficile aujourd'hui de maintenir à flot la presse. La réflexion est en cours, nous verrons les solutions proposées.

La distribution de la PQN est un vrai problème - la PQR organise elle-même sa distribution, et cela se passe bien. On a du mal à comprendre pourquoi elle coûte aujourd'hui plus cher alors qu'il y a de moins en moins de numéros à distribuer.

Monsieur Fialaire, les éditeurs de PQR sont en concurrence avec les magazines et journaux des collectivités territoriales. Certes, les collectivités peuvent intervenir mais leurs actions font aussi partie de l'actualité du territoire. Il ne faut pas oublier que la PQR vit aussi grâce aux annonces légales : si elles disparaissent un jour, l'équilibre économique serait difficile à trouver.

M. Laurent Lafon, président. - J'ai proposé à Christophe Deloire, le délégué général des États généraux de l'information, de venir devant notre commission lorsque les travaux seront assez avancés - pour l'instant, ils en sont encore aux auditions.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 180 « Presse et médias ».

La réunion est close à 11 h 10.