Mercredi 21 mai 2025
- Présidence de M. Olivier Rietmann, président -
La réunion est ouverte à 18 heures.
Audition de LVMH - M. Bernard Arnault, président-directeur général, M. Stéphane Bianchi, directeur général adjoint, Mme Cécile Cabanis, directrice financière, et M. Marc-Antoine Jamet
M. Olivier Rietmann, président. - Mes chers collègues, à l'ordre du jour des travaux de notre commission d'enquête sur l'utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants figure l'audition de M. Bernard Arnault, président-directeur général du groupe LVMH.
Monsieur le président-directeur général, nous sommes heureux de vous recevoir, car il n'a pas été aisé de trouver une date compatible avec nos agendas respectifs.
Vous êtes accompagné de M. Stéphane Bianchi, directeur général adjoint de LVMH, de Mme Cécile Cabanis, directrice financière et de M. Marc-Antoine Jamet, secrétaire général.
Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.
Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je précise également qu'il vous appartient, le cas échéant, d'indiquer vos éventuels liens d'intérêts ou conflits d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.
Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Bernard Arnault, Stéphane Bianchi, Marc-Antoine Jamet et Mme Cécile Cabanis prêtent serment.
M. Olivier Rietmann, président. - Notre commission d'enquête, dont les membres ont été nommés le 15 janvier dernier, poursuit trois objectifs principaux : tout d'abord, établir le coût des aides publiques octroyées aux grandes entreprises, entendues comme celles employant plus de 1 000 salariés et réalisant un chiffre d'affaires net mondial d'au moins 450 millions d'euros par an, ainsi que le coût des aides versées à leurs sous-traitants ; ensuite, déterminer si ces aides sont correctement contrôlées et évaluées, car nous devons veiller à la bonne utilisation des deniers publics ; enfin, réfléchir aux contreparties qui pourraient être imposées en termes de maintien de l'emploi au sens large lorsque des aides publiques sont versées à de grandes entreprises qui procèdent ensuite à des fermetures de site, prononcent des licenciements voire délocalisent leurs activités.
Après avoir auditionné la semaine dernière M. François-Henri Pinault, président-directeur général du groupe Kering, nous avons souhaité vous entendre, car votre groupe occupe une place à part dans l'économie française et internationale. Leader mondial du luxe et première capitalisation boursière du CAC 40, votre groupe comptait environ 215 000 collaborateurs et 6 307 boutiques dans le monde en 2024.
Après une présentation succincte de l'activité de votre groupe, nous aimerions connaître votre sentiment sur les aides publiques aux entreprises.
Quelles sont les principales différences entre les aides versées en France et celles qui sont octroyées dans les pays où votre groupe est présent ? Quel est le montant global des aides publiques reçues par votre groupe en 2023 en France, en particulier celui des subventions ?
Quel est le panorama de vos sous-traitants et des aides qu'ils perçoivent ?
Avez-vous le sentiment que les aides publiques aux entreprises sont suffisamment suivies et évaluées en France ? Quelles sont selon vous les aides dont l'efficacité est avérée et celles dont l'efficacité est douteuse ? Quelles seraient vos propositions pour renforcer l'efficience des aides publiques octroyées aux entreprises ?
Seriez-vous favorable à l'introduction de conditions ou de critères qui permettent d'évaluer l'efficacité des aides ? Quelles devraient alors être les limites à la conditionnalité de ces aides ?
Je vous propose de traiter ces questions dans un propos liminaire de vingt minutes environ. Puis le rapporteur, M. Fabien Gay, vous posera quelques questions pour approfondir certains points. Enfin, les membres de la commission d'enquête pourront également vous interroger.
M. Bernard Arnault, président-directeur général. - Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis ravi de pouvoir répondre à vos questions dans le cadre de cette audition.
LVMH est le premier groupe de luxe au monde. C'est un groupe français, dont la construction a débuté en 1989, date à laquelle j'en ai pris la direction. Plusieurs caractéristiques importantes expliquent son succès.
Tout d'abord, il s'agit d'un groupe familial, géré dans un esprit entrepreneurial. Nous suivons avec un certain détachement les variations des bourses, car nous visons avant tout des investissements de long terme.
Ensuite, c'est un groupe très diversifié, rassemblant 75 maisons, essentiellement françaises, acquises depuis 1989, parmi les plus prestigieuses et les plus performantes au monde. Nous conservons un certain équilibre dans nos activités et nos métiers, malgré un environnement qui n'est pas toujours des plus aisés.
Nous avons le souci de la qualité et de la formation de nos équipes. En outre, nous laissons une grande marge de liberté à nos marques, qui bénéficient ainsi d'une large autonomie.
Enfin, le siège est à la fois restreint et dynamique, afin de faire face aux différentes situations.
En 2024, le chiffre d'affaires de LVMH était d'environ 85 milliards d'euros.
Au total, 215 000 personnes sont employées par le groupe dans le monde entier. En France, LVMH était en tête des entreprises qui recrutent le plus en 2023 et en 2024, avec des prévisions du même ordre pour 2025.
Grâce à l'activité de nos différentes maisons, nous préservons environ 280 savoir-faire du patrimoine technique et artisanal. Environ 110 000 personnes sont employées dans ces métiers et plus de 3 300 apprentis ont été formés par l'Institut des métiers d'excellence de LVMH depuis sa création en 2014.
En 2023, le groupe a investi 3,5 milliards d'euros en France, et plus de 1,5 milliard d'euros en 2024.
En France, un poste créé par LVMH génère, directement ou indirectement, quatre fois plus d'emplois chez nos fournisseurs et nos sous-traitants, soit environ 160 000. Cela représente donc 200 000 personnes en France. Par ailleurs, deux tiers de l'activité et des emplois générés indirectement sont situés en dehors de l'Île-de-France.
En 2024, nous avons investi 5,5 milliards d'euros dans le monde pour moderniser ou créer des boutiques et construire de nouveaux ateliers ainsi que des centres de recherche. En France, nous comptons 118 sites de production et d'artisanat, implantés principalement dans les territoires. Ces dernières années, nous avons ouvert plusieurs sites de fabrication en France, notamment pour Louis Vuitton. Nous avons récemment inauguré une nouvelle manufacture joaillière à Saint-Dié-des-Vosges.
Le groupe a payé 6 milliards d'euros d'impôts sur les sociétés en 2024, dont près de la moitié en France. Près de 15 milliards d'euros d'impôts sur les sociétés ont été payés en France sur dix ans. En moyenne, ces dernières années, l'empreinte fiscale totale - impôts, TVA et charges sociales - de LVMH en France s'élève à plus de 5 milliards d'euros par an.
Les salaires des collaborateurs du groupe sont parmi les plus compétitifs dans notre secteur d'activité. La majorité de nos employés en France sont associés aux performances de l'entreprise et bénéficient de l'intéressement et de la participation, avec un total pour le groupe de près de 200 millions d'euros en 2024.
Par ailleurs, quelque 3,8 millions d'hectares d'habitats de la faune et de la flore ont été préservés ou régénérés entre 2021 et 2024, et le groupe a réduit de 55 % ses émissions de CO2 liées aux consommations énergétiques en France.
Enfin, près de 11 millions de visiteurs sont venus à la Fondation Louis-Vuitton depuis son ouverture en 2014.
Avant de donner la parole à Mme Cabanis, Monsieur le président, comme je vous l'ai précisé au téléphone ce matin, je tenais à vous dire que je suis un peu choqué : en effet, le rapporteur de votre commission a trouvé opportun de faire figurer en première page de son journal, ce jour, un article selon lequel le secteur d'activité que je représente, le luxe, sabrait l'emploi : c'est précisément le contraire !
J'ai juré de dire la vérité : j'aimerais que nous soyons tous ici logés à la même enseigne ! Monsieur le rapporteur, pourquoi votre journal a-t-il fait sa une sur une fausse information ?
M. Olivier Rietmann, président. - Monsieur le président-directeur général, vous m'avez en effet fait part de cette remarque au téléphone, et c'est votre bon droit. Néanmoins, vous êtes aujourd'hui reçu dans le cadre d'une commission d'enquête qui concerne les aides publiques versées aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants. Par ailleurs, vous m'avez précisé disposer d'un temps limité pour cette audition : tâchons donc de le respecter.
Fabien Gay, qui est rapporteur de cette commission, est ici présent en tant que sénateur, et non en tant que représentant du journal dont il est le directeur. Libre à vous d'échanger sur ce sujet ultérieurement.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Monsieur Arnault, j'ai toujours considéré que la démocratie, c'est la dispute organisée. Les travaux de cette commission d'enquête me paraissent relever de l'intérêt général et public. Nous avons auditionné une trentaine de PDG, avec lesquels nos échanges ont toujours été courtois et argumentés, malgré certains désaccords. Mais en démocratie, les désaccords peuvent s'exprimer ! Nous l'assumons d'ailleurs parfaitement avec le président de cette commission, qui n'est pas de la même couleur politique que moi.
Venons-en au fait. Ce n'est pas le sujet de cette audition, mais je veux répondre à votre interpellation.
Comme cela arrive fréquemment, L'Humanité a publié ce matin un article relatif aux luttes sociales, qui n'avait par ailleurs rien d'une enquête au long cours.
Le groupe communiste a demandé le lancement de cette commission d'enquête dans un contexte où 300 fermetures de sites et 300 000 suppressions d'emplois étaient évoquées. Nous en avons débattu avec M. Menegaux, président de la gérance du groupe Michelin, M. Darrasse, directeur général d'Auchan Retail, et bien d'autres PDG. Pour autant, je n'ai jamais noté que L'Humanité ait publié des articles en lien avec le sujet au moment de ces auditions. Par ailleurs, la question d'ArcelorMittal a en effet été traitée dans le journal, mais autant avant qu'après l'audition de M. Alain Le Grix de la Salle.
Ce matin, un article a été publié sur les suppressions d'emplois chez Moët et Hennessy, qui appartient à votre groupe. Vous pouvez bien entendu être en désaccord avec son contenu : c'est le propre de la liberté d'expression journalistique.
Sachez que je ne tiens pas davantage le stylo de mes journalistes que vous ne tenez celui des journalistes du Parisien et des Échos.
À ce propos, ce lundi, j'ai lu dans Les Échos - qui, jusqu'ici, n'avait jamais abordé notre commission d'enquête - un article de deux pages intitulé « Les patrons face au piège des commissions ». Permettez-moi de le citer : « La ligne de crête est étroite. Face à des élus qui soufflent le chaud et le froid et jouent parfois aux enquêteurs, voire aux inquisiteurs, certains patrons peuvent perdre leur calme. En début de semaine dernière, Rodolphe Saadé, le PDG de la compagnie CMA CGM, n'en est pas passé loin. Questionné par le rapporteur de la commission d'enquête sur les aides publiques, le sénateur PCF Fabien Gay, sur le traitement de faveur dont bénéficie sa compagnie grâce à la taxe au tonnage que certains voudraient supprimer avec d'autres niches fiscales, Rodolphe Saadé n'a pas résisté à un exercice de recadrage. »
Plus loin, dans la rubrique « Le fait du jour économique » de David Barroux, on lit, à propos de notre commission d'enquête : « On n'est certes pas revenu au Tribunal révolutionnaire de Robespierre, qui coupa trop de têtes. Mais nous sommes sur une mauvaise pente de démagogie politique. »
Monsieur Arnault, je ne partage pas ce point de vue, mais il ne me serait jamais venu à l'idée d'appeler M. Louette, PDG du groupe Les Echos-Le Parisien, que je connais, parce que je place la liberté journalistique au-dessus de tout. En démocratie, les journalistes ont le droit de porter un jugement, d'argumenter, de proposer un contradictoire - à ce propos, la possibilité du contradictoire ne m'a pas été offerte par Les Échos, mais sachez que vous seriez le bienvenu si vous souhaitiez intervenir dans L'Humanité !
Enfin, vous en appelez à la transparence. Nous avons eu beaucoup de mal à réussir à vous auditionner. Pourtant, jamais les membres de la commission n'ont communiqué sur ces difficultés. Cela me paraît normal. Cependant, si vous souhaitez une transparence totale sur nos échanges, je ne suis pas certain que cela soit à votre avantage.
M. Olivier Rietmann, président. - Je rappelle qu'à aucun moment le Parlement, le Sénat ou les membres de cette commission d'enquête n'outrepassent leurs droits pour se lancer dans quelque inquisition que ce soit. Nos prérogatives de contrôle datent de l'ordonnance du 17 novembre 1958. Les aides publiques ont trait à l'argent public : elles entrent entièrement dans le champ visé par cette ordonnance.
M. Bernard Arnault. - Je reconnais entièrement l'intérêt des débats que vous présidez et la légitimité de cette audition. En revanche, j'aurais trouvé plus convenable que le rapporteur émette ses critiques à mon sujet après m'avoir entendu, et non auparavant.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Je ne vous tiens pas rigueur, d'avoir, en tant qu'actionnaire, tenu le stylo de vos journalistes. Ce n'est pas mon cas : je ne suis pas directeur de la rédaction de L'Humanité. Hier, comme un grand nombre de mes collègues pourront le confirmer, j'ai passé toute la journée au Sénat. Je n'ai pas participé, ni de près ni de loin, à la rédaction de cet article. Il m'arrive d'écrire dans ce journal, peut-être une fois tous les quinze jours. Cependant, je ne suis jamais intervenu sur la question des aides publiques, ni sur le moindre sujet intéressant des personnes auditionnées depuis le lancement de cette commission - et je ne le ferai pas avant la clôture de nos travaux, le 8 juillet.
En revanche, il me semble inconcevable de donner des ordres à la rédaction et de l'empêcher de commenter les luttes sociales, qui, vous le reconnaîtrez, sont au coeur du journal L'Humanité.
Monsieur Arnault, je suis disponible pour poursuivre cet échange après l'audition.
M. Bernard Arnault. - Il est très difficile de croire que vous n'ayez pas eu connaissance de la une du journal dont vous êtes le directeur avant qu'elle n'ait été éditée !
M. Olivier Rietmann, président. - Pour conclure, vous noterez que la presse n'a pas été invitée à nos auditions. C'est une décision que nous avons prise en accord avec le rapporteur. En outre, nous avons souhaité rester entièrement silencieux sur le sujet tant que la commission d'enquête n'aura pas rendu son rapport. La question est sensible : nous avons affaire au fleuron des industries de notre pays.
M. Bernard Arnault. - Dans un tout autre registre, je souhaiterais, pendant cette audition, échanger sur les problèmes que nous rencontrons en France sur l'emploi, en raison du contexte international et de l'action des États-Unis et de la Chine.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Certaines de nos questions porteront sur ce sujet.
M. Olivier Rietmann, président. - Pour conclure sur ce point, je peux vous assurer que nous sommes tous patriotes et que nous préférerions que l'ensemble des articles de la presse nationale parlent de la réussite de nos entreprises, en rappelant qu'elles recrutent, payent des impôts et versent des salaires, plutôt que d'y lire à quelle point la situation économique est difficile - ce qui se traduit par les annonces de plans de départs volontaires, de licenciements et de restrictions. Comme vous, nous déplorons cette situation, et nous jouons chacun notre rôle pour faire avancer notre pays et favoriser son développement économique.
Mme Cécile Cabanis, directrice financière de LVMH. - Permettez-moi de remercier nos 75 maisons, car le travail de recensement des aides publiques a demandé la mobilisation de nombreuses équipes afin de répondre dans le délai imparti et de manière aussi précise que possible, bien que cette notion juridique manque quelque peu de lisibilité.
En 2023, les aides ont atteint un total de 275 millions d'euros, qu'il convient de rapporter à une contribution fiscale de 3,8 milliards d'euros et à un montant d'investissement en France de 3,9 milliards d'euros.
Je précise que nous travaillons avec environ 13 500 fournisseurs de rang 1. Nous n'avons pas d'informations sur les aides qu'ils touchent et nous n'avons aucune légitimité juridique à leur en demander. Nos fournisseurs ne sont pas donc pas comptabilisés dans les chiffres exposés.
En 2023, la contribution fiscale totale du groupe en France était de près de 4 milliards d'euros, hors TVA générée par nos activités, avec 2,5 milliards d'impôts sur les sociétés. Dans le même temps, les investissements du groupe en France s'élevaient à 3,9 milliards d'euros, ce qui démontre bien que la France est une terre d'ancrage pour LVMH.
Pour ce qui concerne les crédits d'impôt perçus par le groupe, ils étaient de l'ordre de 64,5 millions d'euros, ce qui représente seulement 2,61 % de la charge d'impôt sur les sociétés de la même année et une part similairement faible si on la rapporte aux investissements.
Ces 64,5 millions d'euros se décomposent principalement entre le crédit d'impôt recherche (CIR), à hauteur de 30,6 millions d'euros, et le crédit d'impôt au titre du mécénat d'entreprise, pour 32 millions d'euros.
Nous bénéficions donc faiblement du CIR, car celui-ci vise nos investissements attachés à la recherche fondamentale de nos activités parfums et cosmétiques. Or les dépenses éligibles au CIR n'incluent pas la partie design, or la majorité de l'innovation du groupe LVMH est liée à cette dimension. Notez que ce dispositif existe également en Italie.
En 2023, le groupe a bénéficié du crédit d'impôt au titre du mécénat à hauteur de 32 millions d'euros, pour un montant total de donations déclarées sous ce dispositif de 63,7 millions d'euros. Pour être parfaitement exact, ce montant devrait également tenir compte des 200 millions d'euros de dons notamment effectués dans le cadre de la reconstruction de Notre-Dame de Paris, mais nous n'avons pas fait de demande d'aide fiscale à ce titre.
Enfin, parmi nos maisons, nous avons recensé près de 950 partenariats avec des associations ou des fondations, dont les activités génèrent une contribution positive à l'économie et sur leur territoire d'implantation.
En 2023, la masse salariale du groupe LVMH en France était de 2,4 milliards d'euros, auxquels il convient d'ajouter 1,1 milliard d'euros de charges sociales patronales, soit un coût total de 3,5 milliards d'euros. Dans le même temps, le groupe a bénéficié de 193 millions d'euros d'aides sociales, ce qui représente 5,53 % du coût de sa masse salariale totale.
Plus des deux tiers de ces aides concernent des allègements de charges patronales qui sont liés à la redistribution de valeur aux salariés - intéressement et participation. Le tiers restant se divise entre des aides à l'apprentissage, à l'alternance et, dans une moindre mesure, pour les titres restaurants.
En 2023, le groupe a signé 1 700 contrats d'apprentissage et 200 contrats de professionnalisation pour les moins de 30 ans, ce qui représente à peu près 5 % des effectifs totaux de la France.
À ce titre, le groupe a touché respectivement 10,2 millions et 1,1 million d'euros d'aides. Si l'on replace cette aide dans une perspective plus large, elle représente 0,46 % du montant de notre masse salariale et 14,67 % du coût estimé de l'apprentissage. Ainsi, l'apprentissage revêt surtout une importance stratégique pour le groupe du point de vue de la transmission des savoir-faire.
Entre 2013 et 2018, LVMH a perçu, en cumulé, 143 millions d'euros au titre du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) - dispositif qui n'existe plus - ce qui représente, sur cette même période, 1,12 % de la masse salariale en France. En effet, le groupe, dont le ratio des rémunérations est supérieur à 3 000 euros pour la majorité de la masse salariale française, était peu éligible à ce dispositif assis sur la masse salariale de bénéficiaires hors salaires supérieurs à 2 500 euros.
Enfin, les aides relatives au secteur des médias et de la presse représentent un montant assez faible, de l'ordre de 15 millions d'euros en 2023. Bien qu'elles ne lui soient pas destinées, ces aides sont collectées à hauteur de 75 % par le groupe pour être reversées à notre distributeur de presse France Messagerie. Concernant l'utilité de ces aides, elles sont à notre sens nécessaires à la survie du secteur de la presse.
Pour conclure, nous avons formulé quelques pistes de réflexion.
En procédant au recensement des aides dont nous bénéficions, nous avons constaté que le ministère de la culture publiait sur son site l'ensemble des titres de presse auxquels il fournit des aides. Il serait utile que tous les ministères qui versent des aides procèdent à ce type d'exercice. Cependant, il s'agit d'un reporting brut : les aides ne sont pas mises en perspective du montant des prélèvements et des investissements en France. Il serait plus intéressant, en matière de comparaison et de compétitivité, de proposer des reportings sur les contributions nettes des entreprises. Le think tank Rexecode a tenté de faire cet exercice, et a montré que ce mode de calcul plaçait la France devant l'Espagne, l'Italie et l'Allemagne.
Par ailleurs, une nomenclature plus claire des aides serait nécessaire, tout comme une rationalisation du nombre et du type d'aides. Les dispositifs devraient être simplifiés, notamment pour les petites et moyennes entreprises (PME). Il arrive que nous abandonnions une demande d'aide tant le dispositif est complexe : pour de petites entreprises, cela doit être plus difficile encore.
M. Olivier Rietmann, président. - Je suis d'accord avec vous : le montant des aides peut apparaître très important, mais il faut à chaque fois le comparer à celui de la contribution de l'entreprise. En réalité, sauf dans de très rares cas, les aides ne représentent pas un pourcentage très élevé de la contribution des entreprises françaises.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Vous êtes favorable à la transparence des aides publiques. En effet, vous venez de procéder au même exercice que l'ensemble des PDG que nous avons auditionnés. Pour les grands groupes, ces aides représentent entre 3 et 7 % du résultat net global. Elles accompagnent donc le développement économique et le maintien de l'emploi sans jouer un rôle déterminant, sauf pour des secteurs très précis comme le nettoyage ou la grande distribution.
Vous avez précisé que le montant de l'exonération des cotisations sociales était de 193 millions d'euros sur 1,1 milliard d'euros en 2023. Bénéficiez-vous de l'IP Box ?
Mme Cécile Cabanis. - Non, car nous avons considéré que les procédures nécessaires pour bénéficier de cette aide étaient trop complexes au regard de ce qu'elle aurait rapporté au groupe.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Le système de détaxe permet à des touristes extra-européens d'acheter des produits, généralement de luxe, d'une valeur supérieure à 100 euros, et d'être remboursés de la TVA, soit environ 20 % du montant global de l'achat.
Pour cela, il faut que le vendeur soit agréé par le système des douanes, qu'il s'assure que le résident a bien une résidence extra-européenne et qu'il dispose d'un billet retour. Or, à l'aéroport, les douanes constatent de nombreux cas de fraude. En effet, le prix d'un billet d'avion est rapidement rentabilisé si le voyageur en question en profite pour acheter une vingtaine de sacs de luxe détaxés !
M. Pinault, que nous avons interrogé à ce sujet, nous a indiqué que l'achat de produits détaxés représentait environ 20 % de son chiffre d'affaires en France, qui s'élève à 930 millions d'euros. Qu'en est-il pour LVMH ?
Considérez-vous que ce système représente une aide publique indirecte, ou, qu'a minima, il favorise la compétitivité et l'attractivité de la France pour l'achat de produits de luxe ?
Enfin, jugeriez-vous utile que le Parlement mène une réflexion sur les cas de fraude réguliers que j'ai évoqués ? L'essor d'internet a aggravé ce problème, puisque des sites tels que zapptax.com, skiptax.com ou triptax.com permettent de détaxer des produits sans procéder aux contrôles effectués par le vendeur.
M. Bernard Arnault. - Je laisse Stéphane Bianchi répondre. J'ai écouté la réponse que vous a faite François Pinault, j'y adhère pour l'essentiel.
M. Stéphane Bianchi, directeur général adjoint de LVMH. - La détaxe est une disposition du droit communautaire transposée en droit français, ce n'est pas une exclusivité française...
M. Fabien Gay, rapporteur. - Effectivement, elle existe presque partout, mais chaque pays en fixe le seuil de déclenchement, nous sommes très attractifs avec une application dès 100 euros d'achat, d'autres pays ont des seuils plus élevés...
M. Stéphane Bianchi. - Il y a également beaucoup de détaxes dans l'alcool et les spiritueux, cela aide nos filières. Nos chiffres sont comparables à ceux de Kering, la détaxe représente 20 % de notre chiffre d'affaires en France - lequel, avec 7 milliards d'euros, représente 8 % du chiffre d'affaires du groupe.
Nous pensons que la détaxe n'est pas une aide publique, mais un élément d'attractivité de la France. Le Royaume-Uni a récemment décidé d'arrêter la détaxe, Boris Johnson, alors Premier ministre, lui reprochant un coût fiscal compris entre 5 et 6 milliards de livres par an, ; une étude conduite en 2023 par le Center for Economic and Business Research, a évalué à 10,7 milliards de livres le coût de cet arrêt, avec 2 millions de touristes en moins par an. La détaxe n'est pas une aide publique, c'est un élément important d'attractivité. On peut en renforcer les contrôles, nous le faisons avec les douanes, mais ce serait une erreur de la supprimer.
La contrefaçon, elle, coûte beaucoup plus cher à l'économie française. Elle représente 467 milliards de dollars au niveau mondial, soit 2,3 % du commerce mondial. Au niveau européen, la contrefaçon s'élève à 100 milliards d'euros par an, soit près de 5 % des importations européennes. Nous travaillons sur la contrefaçon avec les douanes, nous dispensons des cours de formation à nos douaniers, aux gendarmes et aux policiers - 80 % des captures de produits contrefaits sont effectuées par les douanes, c'est par elles qu'il faut passer.
M. Olivier Rietmann, président. - Nous considérons la détaxe comme une aide publique, car l'administration fiscale décide de se priver d'une taxe due ; cependant, elle est efficace, comme vous le dites, et l'expérience britannique le confirme.
M. Stéphane Bianchi. - D'accord. Mais nous ne l'avons pas incluse dans les montants que nous vous communiquons sur l'aide publique.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Poser la question sur la détaxe, cela ne veut pas dire la remettre en cause. La douane évalue le coût fiscal à 2 milliards d'euros, vous nous indiquez que pour vous, on parle d'un chiffre d'affaires de 1,4 à 1,7 milliard, il faut y ajouter celui des autres entreprises, on arrive vite à un chiffre d'affaires très important et l'on peut dire, alors, que la détaxe est une aide au commerce intéressante parce qu'elle contribue directement à l'attractivité de notre pays - le Royaume-Uni en a fait la démonstration a contrario, et l'on sait que les gens qui achètent du luxe, si nous ne le détaxons pas en France, iront l'acheter ailleurs.
J'aimerais vous interroger sur le crédit mécénat. Un rapport de la Cour des comptes de 2018 consacre un chapitre à la fondation LVMH, soulignant qu'elle a touché, en 11 ans, 518 millions d'euros, soit en moyenne 47 millions d'euros par an, ce qui représente 8,1 % de la dépense fiscale totale pour l'État au titre du mécénat d'entreprise sur la période 2007-2017. Ce rapport de la Cour des comptes, page 57, estime que la fondation d'entreprise Louis Vuitton constitue « un cas exceptionnel par son ampleur d'utilisation des possibilités offertes par la législation fiscale en matière de mécénat. » Que pensez-vous de cette appréciation, et pouvez-vous nous dire à quoi est utilisé ce crédit mécénat ?
La Cour des comptes, ensuite, révèle un recours massif aux mécanismes d'optimisation fiscale. N'est-ce pas contradictoire de recevoir de l'argent public tout en recourant à des mécanismes d'optimisation fiscale ? Votre groupe ne fait pas exception, les autres PDG que nous avons interrogés reconnaissent recourir à de tels mécanismes et nous savons que les multinationales du CAC 40, dans leur globalité, ont recours à des mécanismes d'optimisation, chacune ayant, en moyenne, 63 filiales dans les paradis fiscaux. Selon les révélations d'OpenLux révélées par le journal Le Monde, LVMH possède 24 filiales au Luxembourg. Selon les Paradise Papers, vous avez logé au moins 6 actifs dans des paradis fiscaux.
À quoi donc utilisez-vous le mécénat d'entreprise ? Êtes-vous d'accord avec ce rapport de la Cour des comptes qui dit que votre entreprise en bénéficie de façon excessive ? Qu'avez-vous à répondre à ces révélations sur les questions d'optimisation fiscale : sont-elles exactes, ou fausses ?
M. Bernard Arnault. - Le rapport de la Cour des comptes que vous citez date d'il y a sept ans et porte sur une période où nous avons construit la Fondation LVMH, dont les travaux ont été achevés en 2014 - vous connaissez peut-être leur ampleur, ils ont été très coûteux. Nous avons agi dans le cadre de la loi « Mécénat », elle a été amendée depuis, probablement à la suite de ce rapport de la Cour des comptes. Le bâtiment de la Fondation LVMH ayant coûté très cher, le montant du mécénat, parfaitement conforme aux règles en vigueur, a été élevé. Par ailleurs, nous avons réalisé un certain nombre d'opérations de mécénat sans recourir à la défiscalisation, par exemple la reconstruction de Notre-Dame, pour laquelle nous avons investi 200 millions sans demander l'application de la loi « Mécénat », à laquelle nous aurions pu recourir. Nous avons fait de nombreuses choses sans demander l'avantage fiscal. La somme importante que vous citez est due à la dépense importante, dont nous avons assuré plus de la moitié. Nous avons dépensé une somme considérable pour créer cette Fondation LVMH qui, aujourd'hui, est visitée par beaucoup de monde, c'est l'un des grands succès artistiques où la plupart des grands musées du monde veulent venir. Chaque année, nous organisons deux expositions, dont une actuellement avec David Hockney, et une autre en préparation pour la rentrée avec Gérard Richter.
M. Marc-Antoine Jamet, secrétaire général de LVMH. - J'ai une extrême révérence pour la Cour des comptes, corps auquel j'appartiens encore - je ne saurais donc remettre en question ses conclusions. La Cour des comptes cite un montant de 700 millions, qui correspond en effet au prix de la Fondation. La Cour oublie de mentionner qu'il s'agit d'une convention d'occupation domaniale, qui fait que l'État retrouvera, au bout de 49 ans, la totale propriété de cette Fondation, à travers la Ville de Paris. Ainsi, d'une certaine façon, quand on parle d'aide, la collectivité publique s'est aidée elle-même. J'espère que la collectivité publique continuera, dans 35 ans, à confier au groupe LVMH la responsabilité de cette fondation, mais nous ne serons alors pas chez nous. Enfin, le prix d'entrée à la fondation Louis Vuitton est de 14 euros, c'est moins que celui du Louvre : cela démontre la politique sociale à l'oeuvre, rendue possible par cet investissement initial considérable. La Fondation LVMH est un équipement culturel important, entre 5 000 et 7 500 personnes la visitent chaque jour ; l'idée de créer une fondation à la Samaritaine, à côté du Louvre, ou à côté du Centre Pompidou, avait été évoquée à un moment ; cependant, le choix délibéré a été fait d'animer l'Ouest parisien avec un système de transport et des actions d'animation que nous prenons en charge. Je ne vous citerai pas le nombre de programmes musicaux à destination des scolaires que la Fondation propose, elle joue un rôle exemplaire en matière de diffusion du savoir et de la culture.
Si nous avions choisi un système d'amortissement, nous aurions eu une dépense qui aurait été fiscalement à peu près égale. Nous avons même renoncé à une partie de la défiscalisation sur certaines des dépenses parce que ce que nous souhaitions, c'était faire mieux que ce qui était proposé au départ. LVMH a plusieurs fois fait le choix de ne pas recourir à la défiscalisation, comme le Président Arnault vient de le souligner pour Notre-Dame.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Que répondez-vous sur les schémas d'optimisation fiscale, révélés par Le Monde et OpenLux : les chiffres cités sont-ils exacts ? Partagez-vous cette interrogation de la Cour des comptes : est-il possible de bénéficier d'aide publique lorsque l'on organise des schémas d'optimisation, voire d'évasion fiscale ?
M. Bernard Arnault. - Je m'élève totalement contre ce qui a été dit et reproduit dans un certain nombre de journaux, sans mettre en cause le vôtre cette fois-ci, Monsieur le rapporteur...
M. Fabien Gay, rapporteur. - Vous en avez parfaitement le droit...
M. Bernard Arnault. - Notre groupe est présent dans de nombreux pays. Faut-il, pour ne pas être accusé de faire de l'optimisation fiscale, fermer nos boutiques au Panama ? Faut-il ne plus avoir de filiales au Luxembourg ? Nous avons des boutiques et, à chaque fois, nous avons des filiales pour les gérer, parce qu'il faut avoir une structure juridique.
Notre groupe est probablement le plus patriote parmi tous ceux du CAC 40. Nous sommes celui qui payons de loin le plus d'impôts en France, alors que nous n'y faisons que 8 % de notre chiffre d'affaires.
En réalité, il y a quelque chose qui fait que notre groupe, de par sa taille importante et sa bonne réussite économique, attire particulièrement les critiques, surtout d'un certain nombre de journaux orientés contre l'économie libérale, capitaliste, et qui essayent de trouver des motifs de reproches - alors même que, cette année, nous subissons une augmentation d'impôts sur les bénéfices déclarés en France de 40 %. Pourquoi une telle augmentation d'impôt sur les bénéfices ? Mais parce que de grandes entreprises françaises qui font autant de bénéfices que nous, paient si peu d'impôt en France - du fait de leur délocalisations à l'étranger - que si l'État décidait une augmentation moindre, le rendement serait trop faible... Cette augmentation va nous coûter, cette année, 700 millions d'euros...
M. Olivier Rietmann, président. - Vous parlez ici de la contribution exceptionnelle : quel est son impact sur votre groupe ?
M. Bernard Arnault. - Nous sommes ceux qui paient le plus d'impôts en France et qui seront les plus augmentés cette année - alors si nous faisions de l'optimisation fiscale, c'est que nous ne serions vraiment pas doués, si l'objectif était d'optimiser, j'aurais de quoi m'interroger sur l'efficacité de mes équipes...
M. Fabien Gay, rapporteur. - Les révélations que je vous ai citées viennent d'OpenLux et des Paradise Papers, elles ont été publiées par le journal Le Monde et un groupement de 27 journalistes internationaux, qui ne sont pas des journaux néo-marxistes, loin de là...
M. Bernard Arnault. - Le journal Le Monde n'est pas marxiste, il est plutôt La France Insoumise (LFI)...
M. Fabien Gay, rapporteur. - Je vous laisse la responsabilité de vos propos...
M. Bernard Arnault. - Le mieux, dans ce journal, ce sont les mots croisés...
M. Fabien Gay, rapporteur. - J'en reviens à la question de l'optimisation fiscale. La question n'est pas de savoir si vous avez de l'activité à l'étranger, avec des structures pour le faire, mais de mettre face-à-face des aides publiques et des pratiques d'optimisation fiscale. Il y a des entreprises dont même l'État est actionnaire de référence, qui touchent des aides substantielles de l'État, et qui pourtant échafaudent de savants schémas d'optimisation fiscale, la question est d'ordre général.
Mme Cécile Cabanis. - Notre taux d'impôt est à 28,5 %, il va passer à 36,13 %, des entreprises françaises sont bien en deçà : si notre objectif était l'optimisation fiscale, nous ne serions vraiment pas doués, effectivement - et la réalité, c'est que nous ne faisons rien à but fiscal, nous travaillons pour le business, il faut vraiment que vous en soyez convaincus.
M. Stéphane Bianchi. - Nous avons des entités juridiques un peu partout dans le monde, y compris au Panama et en Suisse. Il s'agit de sociétés qui abritent d'autres sociétés, chargées de vendre nos produits. Ces structures juridiques sont nécessaires, elles ne constituent en aucun cas un schéma d'optimisation fiscale. En Suisse, nous sommes très actifs, et heureusement, car c'est un marché important pour la vente de nos montres.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Vous avez le droit de contester les chiffres et les révélations que j'ai cités.
M. Olivier Rietmann, président. - D'autant plus que vous contestez sous serment, des révélations qui, elles, n'ont pas été faites sous serment...
M. Fabien Gay, rapporteur. - Je reviens sur la question sociale - Radio France vient d'annoncer des difficultés à Moët et Hennessy, voyez qu'il n'y a pas que mon journal qui alerte, toute la presse parle des difficultés. On peut comprendre que le groupe LVMH traverse des difficultés sectorielles, liées à la guerre commerciale et à ses conséquences en particulier sur les vins et spiritueux. Cependant, vous avez choisi de maintenir un dividende stable : 12 euros en 2023, 12 euros en 2024, et 13 euros en 2025 - malgré les difficultés. Et vous le faites tout en supprimant 1 200 emplois, ce sont des non-remplacements, comme vous le dites, mais c'est bien la réalité, ce n'est pas une vérité alternative à la Donald Trump, il y aura 1 200 emplois en moins et les salariés vont devoir assumer le même travail. Ensuite, vous pratiquez le rachat d'actions, chaque année pour plus d'un milliard d'euros, et cette année encore votre conseil d'administration autorise 1 milliard d'euros de rachat d'actions. Louis Gallois nous a dit qu'il considérait ces rachats d'actions comme une perversion du système : qu'en pensez-vous ?
Enfin, je suis assez surpris de constater la faiblesse du salaire des artisans et ouvriers chez vous, notamment dans le cuir : il serait de 1 360 euros...
Votre entreprise traverse des difficultés, mais vous augmentez la rémunération des actionnaires, vous supprimez 1 200 emplois et vous pratiquez des niveaux de salaire dans vos ateliers et à la Samaritaine qui restent assez modérés par rapport à un certain nombre de vos concurrents : comprenez-vous, Monsieur Arnault, que cela puisse heurter et que cela pose des questions, qu'un groupe comme le vôtre, accompagné de manière importante par des aides publiques, choisisse de se séparer de 1 200 salariés plutôt que de baisser le versement de dividendes ?
M. Bernard Arnault. - En ce qui concerne les employés, il faut que je développe davantage sur la situation du cognac et du champagne. Vous avez vous-même souligné que les 1 200 personnes dont il a été question sont des cadres. Il ne s'agit pas de les licencier, mais de mettre en place un plan pour ne pas renouveler les départs volontaires ou les départs à la retraite. Nous ne pouvons pas être critiqués pour cette mesure à un moment où il y a des problèmes dans cette activité, c'est une exagération de parler de suppression d'emplois : il s'agit simplement de ne pas remplacer les départs naturels.
M. Fabien Gay, rapporteur. - L'information vient de vous, elle a été reprise par l'ensemble de la presse et il y aura 1 200 emplois supprimés : ce n'est pas une vérité alternative, Monsieur Arnaud. C'est un fait.
M. Bernard Arnault. - Si quelqu'un quitte l'entreprise, c'est qu'il a trouvé un emploi. Il ne va pas partir pour se mettre lui-même au chômage.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Là, je suis d'accord avec vous. Je ne connais personne qui se lève un matin en disant : « Tiens, je veux me retrouver au chômage de façon volontaire. » Cependant, si on y pousse, on y est bien contraint...
M. Bernard Arnault. - Quelqu'un qui part à la retraite ne se retrouve pas au chômage, cela n'a rien à voir avec un licenciement.
M. Olivier Rietmann, président. - Je vais essayer de vous mettre d'accord. Nous ne parlerons pas de suppression d'emploi, car personne ne se retrouve au chômage ; cependant, il y aura des suppressions de postes, ce qui signifie qu'il y aura moins de postes au sein de l'entreprise.
M. Bernard Arnault. - Est-il obligatoire de maintenir un nombre de postes constant ? Moralement, comme le groupe gagne de l'argent et progresse, nous avons la responsabilité de ne pas procéder à des licenciements, mais nous ne pouvons pas être tenus de maintenir un nombre constant d'emplois lorsque la conjoncture est difficile. Conserver le même nombre d'emplois n'a pas de sens - c'est peut-être le cas dans l'administration, cela participe peut-être du problème de la lourdeur de l'administration française - mais dans une entreprise privée, on ne peut pas avoir ce genre de raisonnement.
Les rachats d'actions, ensuite...
M. Fabien Gay, rapporteur. - Considérez-vous, comme Louis Gallois, que c'est une perversion du système ?
M. Bernard Arnault. - Une partie de ces rachats d'actions nous permet d'en donner gratuitement au personnel.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Surtout au top 100, moins pour les autres salariés...
M. Bernard Arnault. - Non, nous avons un plan général ouvert à tous les salariés.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Dans toutes les entreprises du CAC 40, le rachat d'actions bénéficie plutôt au top 100. Lorsqu'on reçoit 10 000 actions ou 10, vous le savez mieux que moi, ce n'est pas exactement la même chose...
M. Bernard Arnault. - Le groupe compte 200 000 salariés, ils ne peuvent pas tous recevoir des milliers d'actions...
M. Fabien Gay, rapporteur. - La distribution n'est pas égalitaire.
M. Bernard Arnault. - Elle s'applique à tous les salariés en France.
M. Stéphane Bianchi. - Notre rendement du dividende est compris entre 1,5 et 2 %, et même 2,2 % en tenant compte des rachats d'action. Toute entreprise doit rémunérer le capital, nous le rémunérons à 2,2%. Nous empruntons à des taux obligataires compris entre 2,5 et 3 % en euros, entre 4 et 5 % en dollar. Donc notre rémunération des actionnaires n'est pas démesurée.
Mme Cécile Cabanis. - Il faut parler aussi de la répartition de la valeur ajoutée. Lorsque nous réalisons 37 milliards de valeur ajoutée en 2024, près de 40 % sont affectés aux salaires, 16 % sont affectés aux investissements, 20 % à l'impôt et il reste 20 % pour le dividende.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Le partage de la valeur ajoutée est un sujet. Vos salaires moyens dans l'artisanat sont de 1 360 euros, je trouve que c'est bas, surtout quand on le compare par exemple à la valeur des sacs que vous vendez : des sacs vendus entre 1 000 et 5 000 euros sont fabriqués par des ouvrières qui touchent 1 360 euros dans le mois...
M. Stéphane Bianchi. - En 2024, c'est dans notre rapport, 4 % de nos salariés gagnent moins de 2 250 euros par mois.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Ils contribuent aussi à la richesse de l'entreprise...
M. Stéphane Bianchi. - Personne ne dit le contraire.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Devant notre commission d'enquête, Arnaud Montebourg a insisté sur l'importance de sanctuariser les aides publiques, en particulier le pacte Dutreil et le CIR. Il a souligné que, malgré le pacte Dutreil, les entreprises françaises, faute de pouvoir être reprises par les héritiers, deviennent la propriété de fonds d'investissement étrangers, attribuant cette perte de souveraineté à la financiarisation de notre économie.
Vous-même, Monsieur Arnault, vous prenez régulièrement des participations dans des entreprises françaises, comme Hermès, vous affirmez vouloir être un actionnaire de long terme et contribuer à la préservation du caractère familial de nos entreprises françaises.
Estimez-vous pertinent, pour mieux préserver le patrimoine français, de renforcer le pacte Dutreil et nos règles de transmission des entreprises ?
Mme Pascale Gruny. - Quel est le taux global d'impôt sur les sociétés que votre groupe paie ? Il y a des suppressions de postes dans certains secteurs, mais d'autres ont-ils recruté ? Enfin, êtes-vous l'objet de contrôles fréquents sur les crédits d'impôt que vous demandez, notamment le CIR et le mécénat ?
M. Daniel Fargeot. - Le groupe LVMH compte 119 ateliers de production en France et joue un rôle moteur dans la valorisation de l'excellence française et du savoir-faire français. Vous avez su le faire savoir dans le monde comme vous avez su mettre en avant un véritable savoir-être.
Fort de l'implantation de LVMH dans 81 pays, quel regard portez-vous sur les aides publiques en France, par comparaison avec d'autres pays, en particulier l'Italie ? Ces aides publiques n'apparaissent-elles pas comme des compensations face à la lourdeur de nos prélèvements obligatoires ?
Enfin, y a-t-il lieu de repenser un fléchage limité des aides publiques pour tendre toujours plus vers l'investissement et la réindustrialisation, tous deux créateurs de valeur, donc d'emploi et de richesse ?
M. Lucien Stanzione. - En tenant compte de l'ensemble des aides publiques et réductions fiscales dont bénéficie votre groupe, quelle est votre politique de redistribution de la valeur en règle générale ? Quelle est votre politique de redistribution de dividendes à vos actionnaires dès lors que vous êtes en exercice bénéficiaire ? Quelle part de la plus-value redistribuez-vous en salaire, en participation ? Envisagez-vous de rembourser des aides publiques perçues à l'État dès lors que vous enregistrez des bénéfices ?
Mme Martine Berthet. - Est-ce que certaines de vos entreprises bénéficient du crédit d'impôt en faveur des métiers d'art ? Si oui, quels sont les avantages ? Si non, qu'est-ce qui pourrait être amélioré à cet égard ?
Mme Anne-Sophie Romagny. - En tant que sénateur de la Marne, je vous remercie d'avoir tenu ces propos rassurants, le champagne étant très concerné par la crise en cours - je suis rassurée que vous écartiez les suppressions d'emplois.
Vous avez évoqué la décarbonation avec un objectif de réduire les émissions carbone de 55 % : quelle en est l'année de référence ? Disposez-vous d'aides à la décarbonation ?
M. Jérôme Darras. - Quels dispositifs d'aide aux entreprises vous paraissent-ils particulièrement pertinents et efficaces dans d'autres pays, dont nous pourrions nous inspirer ? On a cité le CIR en Italie, y a-t-il un dispositif équilibré global d'aide aux entreprises dont on puisse s'inspirer ?
M. Marc Laménie. - Je salue votre implantation territoriale, très importante - nous avons des projets avec vous dans les Ardennes, en particulier. Percevez-vous des aides des collectivités territoriales ? Et quel est l'impact de la contrefaçon ?
M. Thierry Cozic. - Je voudrais revenir sur la guerre commerciale lancée par Donald Trump et sur les propos que vous avez tenus lors de la dernière Assemblée générale de LVMH, où vous avez, me semble-t-il, adopté une position très anti-européenne, allant jusqu'à dire que l'Union européenne était « un pouvoir bureaucratique qui passe son temps à émettre des réglementations. »
Je ne suis pas là pour défendre la réglementation européenne, elle devient kafkaïenne. Cependant, à vous écouter, si Washington rétablissait des taxes de 20 % sur les biens européens, ce serait de la faute de l'Union européenne. Vous dites que si l'Europe ne peut pas négocier de façon intelligente, il y aura des conséquences pour beaucoup d'entreprises.
Eu égard aux aides publiques dont bénéficie votre groupe, ne pensez-vous pas qu'un patriotisme plus affirmé aurait été de mise, d'autant que les biens que vous produisez ont une identité fortement liée à notre pays ? C'est ce que nous a dit François-Henri Pinault, PDG de Kering, en soulignant qu'il n'y aurait guère de sens à fabriquer des sacs Gucci, italiens, au Texas...
Alors que le groupe LVMH a développé son savoir-faire dans notre pays en étant accompagné par la puissance publique, allez-vous choisir de partir aux États-Unis ou allez-vous garder le cap en Europe et notamment en France où l'État reste et restera à vos côtés ?
M. Fabien Gay, rapporteur. - Vous êtes un patriote, Monsieur Arnault, vous venez de nous le dire. Dans la situation actuelle, le Président de la République, appelant au patriotisme économique, a demandé aux entreprises françaises de retarder l'annonce d'investissements aux Etats-Unis, le ministre des affaires étrangères est allé dans le même sens. Cela n'a pas empêché Sanofi de faire des annonces, ni CMA-CGM, au sujet d'investissements massifs outre-Atlantique, et vous étiez encore la semaine dernière aux Etats-Unis, je le sais puisque nous avons dû repousser en conséquence votre audition. Vous êtes aussi le seul Français à être allé dans le bureau ovale, à Washington, le jour de l'investiture de Donald Trump. Dès lors, que pensez-vous des déclarations du Président de la République ? Et de celles de Donald Trump ? M. Pinault dit que quand il vend un sac, il vend un bout de France ; vous, vous acceptez de produire au Texas, parce que c'est là qu'est votre marché, alors même que, on le voit pour les tanneries, le travail n'est pas fait de la même manière. Que pensez-vous des déclarations du Président de la République et du ministre des affaires étrangères : est-ce vous qu'ils visaient, en appelant au patriotisme économique ?
M. Olivier Rietmann, président. - Il est important d'apporter un équilibre dans les déclarations. Quand on a interrogé Rodolphe Saadé sur le fait que CMA-CGM allait investir 20 milliards de dollars aux États-Unis, il a répondu qu'en fait, son entreprise y investissait déjà entre 3,5 et 5 milliards par an depuis des années - cette annonce, c'est donc surtout de la communication politique du président Trump.
Lorsque le président de la République française appelle à faire du patriotisme économique, je pense que cela signifie que nos entreprises doivent être florissantes, se développer et profiter des systèmes avantageux à l'étranger, pour que ces richesses bénéficient au système français. C'est là, à mon avis, du véritable patriotisme économique.
Il est important de rappeler que nous ne sommes pas en guerre avec les États-Unis et que nous ne pouvons pas faire pour tous les pays les mêmes recommandations aux entreprises - le contexte est différent de celui de la Russie, par exemple. Le patriotisme économique peut passer par des ententes économiques et financières avec les États-Unis, dans le but de développer les entreprises françaises, ce qui profiterait davantage à la France.
M. Bernard Arnault. - Je voudrais commencer par les dernières questions, cela me paraît assez important. D'abord, je l'ai dit dans mon exposé liminaire, le groupe LVMH est peut-être le groupe le plus patriote du CAC 40. Pour toutes les raisons que j'ai développées : l'emploi, les investissements, les ateliers en France, les impôts que nous y payons, sans commune mesure avec le chiffre d'affaires que nous y réalisons...
Ensuite, quand j'ai repris le groupe LVMH et notamment Louis Vuitton en 1989, il produisait déjà aux États-Unis : rien de nouveau sous le soleil. Aujourd'hui, il y a un avantage à notre situation, compte tenu de la menace qui pèse sur nous, à savoir les droits de douane américains dont on ne sait pas encore exactement où ils vont aller. Lorsqu'un de mes concurrents déclare qu'il n'a pas envie de fabriquer aux États-Unis, pays où ses ventes ont fortement chuté, cela ne me surprend pas. LVMH n'est pas dans cette situation : nos ventes augmentent et donc nous allons devoir vendre plus aux États-Unis. Faut-il arrêter l'expansion qui existait déjà et l'implantation qu'on avait déjà aux États-Unis, parce que l'on reçoit des consignes ? Je pense qu'il est très préjudiciable que l'État se mêle de la gestion des entreprises privées - en général, cela mène à la catastrophe. Je ne pense pas qu'il soit très opportun de tenir compte des conseils de ce genre, d'où qu'ils viennent.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Nous le dirons au Président de la République...
M. Bernard Arnault. - Les États-Unis sont le premier marché du monde, il est très important pour l'Europe de trouver un accord avec les États-Unis. Or, jusqu'à aujourd'hui, cela me paraît relativement mal parti. Je pense que la négociation doit être menée de manière constructive. Elle doit être menée pour aboutir, avec des concessions réciproques. Vous avez vu ce qu'ont fait les Anglais, ils ont très bien négocié. J'espère parvenir, avec mes modestes moyens et mes contacts, à convaincre l'Europe d'avoir une attitude la plus constructive. Pour la France, le risque est majeur, en particulier pour le cognac et le champagne - mais surtout pour le cognac. J'ai le sentiment qu'en France, on n'est pas pleinement conscient du problème : 80 % des ventes de cognac dans le monde se font en Chine et aux États-Unis. Il y a un problème très sérieux avec la Chine, suite aux difficultés qu'a faites l'UE pour les voitures électriques chinoises importées en Europe, et on a le problème de la négociation globale des droits de douane avec les États-Unis. Imaginons le pire, avec une augmentation des droits de douane d'environ 40 % pour la Chine, et l'absence d'accord avec les Etats-Unis : il y aurait des répercussions dramatiques sur la viticulture de la Charente, qui emploie environ 80 000 personnes et représente 80 % de l'activité. Nous achetons de l'eau de vie à des petits producteurs et si la demande s'arrête, nous serons dans l'obligation d'arrêter d'acheter.
Ce problème, majeur sur le plan social, doit vous intéresser particulièrement, Monsieur le rapporteur. Il faut que l'Europe négocie non pas en brandissant des menaces, en allant à Washington menacer l'administration du président des États-Unis, mais comme l'ont fait les Anglais : il faut discuter avec les Américains, les Etats-Unis sont le premier marché du monde, c'est ce que j'ai dit lors de l'assemblée générale de LVMH.
La question de la bureaucratie est une autre chose. La bureaucratie est partout, en France comme ailleurs. Il faut une prise de conscience de l'enjeu de la crise en cours, vous pourriez, au Sénat, y contribuer. Car le jour où il y aura rupture, il sera trop tard, ce sera une catastrophe.
M. Olivier Rietmann, président. - Si les États-Unis constituent notre premier marché, l'Europe est également le premier marché des États-Unis. Nous avons donc les moyens de négocier, avec 450 millions de consommateurs.
M. Bernard Arnault. - Il faut aborder le problème d'une manière positive. L'Europe est un allié traditionnel des États-Unis, et réciproquement. M. Trump est très ouvert à la négociation. Si on le menace de cesser nos investissements aux Etats-Unis, le résultat sera inverse à celui que nous voulons. C'est sur quoi j'interviens modestement. Je ne sais pas si j'y arriverai, mais je suis convaincu qu'il est dans l'intérêt général du pays de coopérer, il faut prendre conscience de ce problème et motiver les pouvoirs publics pour agir. Il faudrait aussi que nous allions en Chine pour discuter, c'est ce que font les Anglais et ils ont raison.
M. Marc-Antoine Jamet. - Sur la décarbonation, nous avons des cibles précises : en 2026, pour le scope 1 et le scope 2, nous visons une réduction de 50 % de notre production de gaz à effet de serre, et nous poursuivrons nos efforts par la suite. Nous avons déjà doté 21 maisons d'une trajectoire précise, avec un calendrier et une chronologie pour arriver à une diminution de leurs émissions carbone. Le scope 1 et le scope 2 concernent la production et le transport ; le scope 3 concerne les fournisseurs. Nous nous sommes fixé les mêmes objectifs pour 2030 - nous avons considéré qu'il fallait prendre cinq années de plus pour sensibiliser les fournisseurs, nous sommes en train de le faire. Nous avons un programme général appelé LIFE (LVMH Initiatives For the Environment), qui oblige nos maisons à respecter des rendez-vous chiffrés, là où la synergie du groupe peut exister.
Un mot sur la contrefaçon et sur l'apprentissage. La contrefaçon représente un chiffre d'affaires de 100 milliards d'euros pour l'Europe, 467 milliards d'euros pour le monde. Environ 15 millions de produits contrefaits sont saisis chaque année dans notre pays, la France n'est pas dans le top 10 des pays les plus menacés, car nous avons une vraie collaboration avec les forces de l'ordre et il y a une vraie prise de conscience du problème. En revanche, il est clair que le paiement par carte, la commande par Internet et l'arrivée par voie postale facilitent la contrefaçon, c'est quelque chose contre lequel nous devons lutter.
J'attire votre attention sur un phénomène qui prend de l'importance, qui s'appelle les dupes - des produits qui ressemblent aux produits de marque, des « comme si », que des magasins proposent en toute légalité sans le moindre respect pour les créateurs des produits originaux, pour la fabrication ; des magasins de « dupes » s'ouvrent dans les centres-villes des villes moyennes, c'est une catastrophe pour l'emploi, pour la création et pour la signature de la France.
Le groupe LVMH perçoit très peu d'aide pour les métiers d'art, mais nous avons 280 métiers et nous avons mis en place l'Institut des métiers d'excellence, une expérience extraordinaire. Nous avons environ 3 000 postes d'apprentis, l'Institut des métiers d'excellence comprend des promotions de 300 apprentis, nous faisons régulièrement une tournée dans toute la France pour le promouvoir - on l'appelle l'opération « You and Me ». Nous allons en Seine-Saint-Denis, Monsieur le rapporteur, nous organisons à Clichy-Montfermeil des défilés dans le cadre de l'intégration républicaine. Nous poursuivons trois objectifs : recruter des jeunes dans les quartiers de la politique de la ville, sécuriser ces métiers qui disparaîtraient si nous ne les valorisions pas, et recruter les jeunes une fois formés. Par cette seule opération, nous sommes très présents dans les métiers d'art, dans l'apprentissage et dans les quartiers.
M. Stéphane Bianchi. - Nous touchons peu d'aide financière des collectivités territoriales, mais leur soutien est très important. Je prendrai quelques exemples. Dans les cinq dernières années, nous avons ouvert cinq ateliers pour Louis Vuitton en France. Pour ce faire, nous nous sommes mis en relation avec les acteurs locaux, nous avons travaillé de près avec France Travail pour expliquer exactement le type d'emploi que nous recherchions, France Travail a établi des programmes et financé des formations de 400 heures - à la fin, nous avons embauché 90 % des gens qui ont été formés dans nos ateliers.
Tout n'est pas une question d'argent. Les collectivités ont travaillé avec nous, quelle que soit la couleur politique.
M. Bernard Arnault. - Je suis tout à fait d'accord avec M. Montebourg : il est fondamental de conserver notre patrimoine économique, il faut un contrôle français des entreprises.
M. Olivier Rietmann, président. - C'est d'actualité : une proposition de loi a été déposée à l'Assemblée nationale pour préserver le pacte Dutreil, elle sera examinée début juin. Sachez qu'ici, au Sénat, nous y veillons particulièrement. Le pacte Dutreil contribue à la pérennité de nos entreprises, à leur développement, c'est la clé de notre commerce extérieur - car ce sont les entreprises, en particulier les ETI, qui ont une véritable capacité exportatrice. Or, il faut du temps pour arriver à faire une ETI, il faut passer par la transmission et non par la vente, la dispersion de l'entreprise.
M. Marc-Antoine Jamet. - À Avignon, onzième département le plus pauvre de France, nous avons deux opérations la semaine prochaine, mais nous pourrions citer tous les départements puisque nous y soutenons régulièrement des actions. Nous allons, à Avignon, organiser des défilés au Palais des Papes, ce sera une grande fête, avec évidemment des retombées touristiques et économiques.
M. Lucien Stanzione. - Merci de vous investir en Avignon !
M. Olivier Rietmann, président. - Merci pour votre participation active - et pour tout le travail que le recueil d'informations vous a demandé.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 19 h 50.