- Mercredi 4 juin 2025
- Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, instaurant un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des ultrariches - Examen du rapport et du texte de commission
- Proposition de loi visant à garantir une solution d'assurance à l'ensemble des collectivités territoriales - Examen du rapport et du texte de commission
- Audition de M. Olivier Sichel, candidat proposé par le président de la République aux fonctions de directeur général de la Caisse des dépôts et consignations
- Vote sur la proposition de nomination, par le président de la République, de M. Olivier Sichel aux fonctions de directeur général de la Caisse des dépôts et consignations
Mercredi 4 juin 2025
- Présidence de M. Claude Raynal, président -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, instaurant un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des ultrariches - Examen du rapport et du texte de commission
M. Claude Raynal, président. - Mes chers collègues, nous commençons notre réunion de ce matin par l'examen du rapport et du texte de la commission sur la proposition de loi instaurant un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des ultrariches.
M. Emmanuel Capus, rapporteur. - Mes chers collègues, il me revient ce matin de vous présenter mon rapport sur la proposition de loi de Mmes Eva Sas et Clémentine Autain instaurant un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des « ultrariches ». Sans plus de suspense, je vous en proposerai le rejet, pour des raisons que je vais vous exposer.
L'histoire de ce texte est assez récente.
Dans une note parue en juin 2023, l'Institut des politiques publiques (IPP) a constaté l'existence d'une forme de régressivité de l'imposition sur les revenus au sommet de la distribution. En effet, en retenant comme définition du revenu non pas le revenu fiscal, mais le revenu dit « économique », entendu comme l'ensemble des revenus réalisés et contrôlés effectivement par le foyer fiscal, les auteurs de cette étude estiment que le taux effectif d'imposition, tous impôts directs compris, deviendrait régressif pour les 0,1 % de foyers fiscaux les plus aisés : ce taux passerait de 46 % à 26 % pour les 0,0002 % les plus aisés.
Ce constat n'est pas propre à la France, puisque, comme le signale l'économiste Gabriel Zucman dans le rapport qu'il a publié en juin 2024 à la demande de la présidence brésilienne du G20, ce phénomène a également été documenté dans plusieurs pays développés.
L'explication principale de ce phénomène réside dans les caractéristiques du revenu de cette catégorie de population, lequel est majoritairement composé de revenus du patrimoine, et dans la possibilité de structurer ce patrimoine de façon que ces revenus soient moins imposables. Ainsi, lorsqu'ils contrôlent les choix d'une entreprise, les plus aisés peuvent choisir de ne pas verser de dividendes de façon à ne pas subir l'imposition afférente. De même, pour gérer leur patrimoine, ils recourent fréquemment à des holdings ou à des structures similaires, dont le régime fiscal est plus avantageux que celui de l'imposition sur les revenus des personnes physiques.
En contrepoint de ce constat, plusieurs points méritent d'être soulignés.
Tout d'abord, le choix de ne pas verser de dividendes peut ne pas procéder d'une volonté d'évitement de l'impôt, mais, au contraire, d'un choix de long terme axé sur le développement de l'entreprise, lequel repose sur l'investissement. Une entreprise qui souhaiterait revaloriser les salaires de ses employés pourrait également freiner le versement de dividendes.
Ensuite, le constat d'une régressivité de l'impôt au sommet de la distribution repose sur un choix méthodologique inédit qui n'a rien d'évident : l'assimilation d'une personne physique avec la société qu'il contrôle, pour déterminer la notion de « revenu économique » - les actions détenues par les sociétés dont les contribuables ont le contrôle majoritaire sont alors considérées comme génératrices de revenus pour ces derniers, contrairement au principe de personnalité de l'impôt qui sous-tend la fiscalité française.
Enfin, la notion même de régressivité recouverte par l'étude et par le rapport de Gabriel Zucman peut être considérée comme contestable. En effet, si les personnes les plus aisées veulent dépenser ces revenus, ils doivent les sortir de leurs holdings - si c'est le choix de gestion qu'ils ont fait - sous forme de dividendes ou de plus-values, auquel cas ils sont assujettis au prélèvement forfaitaire unique (PFU). Il est donc problématique d'évaluer la progressivité de l'imposition des revenus du capital à partir d'une approche statique, c'est-à-dire en omettant l'imposition impliquée par la consommation future.
Malgré ces limites réelles, Gabriel Zucman, que j'ai auditionné, a proposé, dans son rapport, la mise en place d'une taxe différentielle de 2 % sur le patrimoine des milliardaires, voire des centimillionnaires, au niveau mondial. Ce taux s'appuie sur le constat d'une forte progression du patrimoine des plus aisés sur les quarante dernières années - de l'ordre de 7,5 % par an en moyenne selon lui. Toutefois, ce constat est documenté au niveau mondial dans le rapport de M. Zucman, et non au niveau français. Surtout, la fiabilité des données sur lesquelles il s'appuie peut être remise en question, puisqu'elles proviennent du classement du magazine Forbes, qui ne renseigne pas ses sources.
Le taux envisagé pour la taxe ne tient pas compte non plus du fait que le rendement du patrimoine, s'il est positif sur le long terme, peut être négatif à court terme : la détention d'un patrimoine ne reflète donc pas systématiquement l'obtention d'un revenu associé.
J'en viens à la présentation du dispositif lui-même.
La présente proposition de loi crée un impôt plancher sur la fortune (IPF) prenant la forme d'une contribution différentielle sur le patrimoine, entendu au sens large, des plus grandes fortunes.
Elle fixe un seuil d'entrée à 100 millions d'euros de patrimoine - ce n'est pas nécessairement le seuil proposé par Gabriel Zucman -, sans prévoir aucun mécanisme de décote permettant d'atténuer l'imposition des contribuables proches du seuil d'assujettissement. Sont concernées les personnes fiscalement domiciliées en France, pour leurs biens situés en France et à l'étranger, et les personnes domiciliées à l'étranger, pour leurs biens situés en France.
L'assiette de la nouvelle contribution vise à capter la notion de « revenu économique ». Elle correspond, de fait, à une vision élargie du patrimoine, incluant notamment les biens professionnels.
Un calcul différentiel permet de déterminer le montant de la nouvelle contribution. La somme due est égale à la différence, à condition qu'elle soit positive, entre : d'une part, le montant résultant de l'application d'un taux de 2 % à la valeur nette taxable du patrimoine du redevable ; d'autre part, la somme des montants effectivement acquittés par le contribuable sur ses revenus - impôt sur le revenu, impôt sur la fortune immobilière et une partie des prélèvements sociaux.
Les autrices de la proposition de loi ont prévu un dispositif d'échelonnement du paiement de l'impôt, en cas d'impossibilité pour le contribuable de s'acquitter du montant dû, en raison d'une situation de gêne, comme le fait de devoir aliéner une partie de leur patrimoine.
Selon Gabriel Zucman, le rendement de l'impôt pourrait représenter environ 20 milliards d'euros, avec une marge d'erreur, selon lui, de 5 milliards d'euros.
Cet impôt présente, selon moi, trop de faiblesses - d'ordres constitutionnel, opérationnel et économique - pour être adopté, raison pour laquelle je vous propose le rejet de la proposition de loi. Je vais les développer.
Les autrices du texte ont bien repéré les faiblesses constitutionnelles - elles proposent de prendre le risque malgré tout, voire de modifier la Constitution en cas de censure du Conseil constitutionnel.
Dans son contrôle de la loi fiscale, le Conseil constitutionnel s'assure que l'imposition prend en compte la faculté contributive des contribuables, de sorte qu'elle n'ait pas un caractère confiscatoire. Pour ce faire, le juge constitutionnel identifie un taux marginal maximal d'imposition. S'agissant de l'imposition de la fortune, il exige d'assortir l'imposition du patrimoine d'un mécanisme de plafonnement, sauf à fixer un taux suffisamment bas. Si le Conseil constitutionnel a admis, dans une décision de 2011, un taux de 0,5 % sans plafonnement, un taux de 1,8 % n'a été validé, dans sa décision de 2012, que sous la condition d'être assorti d'un tel dispositif.
Le Conseil constitutionnel serait donc amené à censurer un taux marginal d'imposition sur le patrimoine situé entre 0,5 % et 1,8 % s'il n'était pas assorti d'un dispositif de plafonnement sur les revenus. En ne prévoyant aucun plafonnement et en fixant un taux d'imposition à 2 %, l'impôt plancher sur la fortune s'expose à la censure du juge de la rue Montpensier.
Le taux proposé pour l'IPF ne paraît pas suffisamment protecteur du principe d'égalité devant les charges publiques, dès lors qu'il n'écarte pas et implique même un risque d'aliénation, par le contribuable, d'une partie de son patrimoine pour s'acquitter de la nouvelle taxe. L'impôt plancher sur la fortune s'expose dès lors au risque d'inconstitutionnalité.
En outre, le dispositif proposé pose un certain nombre de questions d'ordre opérationnel, qui ne sont pas sans rejoindre les interrogations liées à sa constitutionnalité, et qui auraient des conséquences économiques néfastes.
Tout d'abord, la valorisation, année par année, de l'ensemble du patrimoine détenu par les contribuables, constitue une gageure, que l'entreprise à laquelle sont adossées les actions détenues soit cotée ou non.
Plus problématique encore, en l'absence d'un mécanisme de plafonnement en fonction des revenus, il est impossible de garantir la liquidité des personnes imposées. Les autrices ont d'ores et déjà prévu qu'elles pourraient étaler leur paiement sur cinq ans. Gabriel Zucman va plus loin, puisqu'il propose que l'État devienne actionnaire des sociétés détenues par ces milliardaires.
La situation est particulièrement problématique s'agissant des entreprises qui viennent d'être lancées, à savoir les start-up : les propriétaires d'actions qui, certes, peuvent être valorisées à hauteur de plusieurs milliards d'euros, ne perçoivent pas nécessairement un revenu aujourd'hui, puisque la valeur de ces actions est fondée sur les recettes futures estimées par les investisseurs en prévision des bénéfices à venir.
Le dispositif pourrait obliger certaines personnes à revendre leurs actions pour s'acquitter de l'impôt pour un montant supérieur à celui de l'impôt dû, puisque les plus-values sont par ailleurs taxées au titre du PFU.
Si le présent texte prévoit un lissage du paiement de l'IPF en cas d'impossibilité pour le contribuable de s'acquitter du montant dû, l'échelonnement ne peut dépasser cinq ans, ce qui n'est pas nécessairement suffisant lors du lancement d'une entreprise.
D'autres faiblesses importantes sont à déplorer.
Pour le calcul du montant de l'impôt plancher, le dispositif proposé ne prend pas en compte l'impôt sur les sociétés, pourtant acquitté par ceux qui contrôlent les entreprises visées. Ce choix des autrices - conforme à la proposition de Gabriel Zucman - paraît pour le moins surprenant.
Autre difficulté, l'impôt pourrait entraîner un exil fiscal dont il est impossible d'anticiper l'ampleur. En effet, à la différence des impositions sur la fortune, qui, d'après les études, ont donné lieu à un exil fiscal négligeable - de l'ordre de plusieurs centaines de contribuables -, l'IPF inclut dans son assiette les biens professionnels. Dans la mesure où les fortunes visées par l'IPF sont extrêmement concentrées - les autrices ignorent le nombre de personnes qui seraient concernées, mais les économistes que nous avons auditionnées considèrent qu'il y en aurait quelques centaines au maximum -, l'exil d'un seul des contribuables parmi les plus riches de France entraînerait une baisse potentiellement très importante du rendement de l'impôt. Ainsi, si les trois personnes les plus riches de France quittaient le territoire, le rendement de l'impôt baisserait de moitié, soit de 10 milliards d'euros. Si le risque d'exil fiscal est limité - le texte prévoyant des mécanismes pour continuer à imposer les exilés fiscaux pendant cinq ans après leur départ -, il n'est pas totalement négligeable.
Pour en terminer, l'adoption de ce texte entraînerait des conséquences économiques néfastes non négligeables.
En poussant leurs propriétaires à céder leurs actions pour acquitter l'impôt, il aurait pour effet de dissuader la création de nouvelles entreprises, notamment de start-up.
Au reste, il déstabiliserait l'actionnariat, puisque, par définition, il faudra vendre ses actions pour payer l'impôt - il faudra en vendre à une hauteur supérieure au montant de l'impôt exigé, du fait du PFU. Il en résulterait une inégalité entre les Français assujettis à cet impôt et les autres actionnaires.
Par ailleurs, ce sont les personnes ciblées par le dispositif qui sont les plus à même d'effectuer des investissements risqués au bénéfice des entreprises en croissance. Cette nouvelle imposition nuirait donc nécessairement au financement du capital-risque. Or nous avons besoin d'entrepreneurs qui prennent des risques et investissent dans les secteurs de l'innovation, extrêmement porteurs pour l'avenir.
Enfin, comme précisé antérieurement, il n'apparaît pas nécessairement justifié de « sanctionner » par l'impôt des entrepreneurs qui, en empêchant la distribution de dividendes, ont fait le choix du développement de leur entreprise, contribuant par là même à celui de l'économie française.
Au total, si des mécanismes minorant, peut-être artificiellement, l'imposition qui pourrait être due par certains contribuables peuvent exister en France, comme dans le reste du monde, l'impôt proposé par ce texte ne me paraît pas constituer une solution adéquate pour lutter contre ces phénomènes. À cet égard, d'autres pistes existent, comme la contribution différentielle sur laquelle travaille actuellement le Gouvernement - son taux serait plus bas et elle ne viserait pas les biens professionnels -, ou encore la taxation des holdings ou des dividendes non distribués, comme elle est pratiquée en Irlande ou aux États-Unis.
En conclusion, je vous propose de rejeter le présent texte, qui est composé d'un article unique.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je remercie le rapporteur pour la qualité de sa présentation, qui va dans le détail.
Je souscris en totalité à la fois à l'analyse, aux points d'attention, aux alertes et à certaines objections, mais aussi aux propos conclusifs, qui laissent la porte entrouverte à une réflexion sur une imposition pour les plus grandes fortunes - la question est assez complexe.
La question du revenu économique est un sujet important. Il faut aussi faire attention, comme l'a dit Emmanuel Capus, au signal que nous envoyons en ces temps difficiles. Le débat n'est pas nouveau. Pour ma part, je continue de penser que la meilleure façon d'obtenir des recettes nouvelles serait d'avoir une économie en meilleure santé, c'est-à-dire produisant plus de croissance et de richesses et permettant d'augmenter les rémunérations, mais également les profits, ce qui créerait des recettes fiscales nouvelles.
Je sens revenir une fixation sur les plus riches - elle est assez habituelle dans notre pays - pour capter indûment une part de la richesse qui leur revient, sur laquelle certains considèrent que l'imposition est notoirement trop faible.
Je souscris évidemment aux conclusions du rapporteur. Nous verrons ce que donnera le débat en séance publique.
M. Thomas Dossus. - Comme l'a dit M. le rapporteur général, ce texte rouvre le débat, classique en France et typique de l'opposition entre droite et gauche, sur l'égalité devant l'impôt et sur ce que cette égalité implique.
Cette égalité existe-t-elle ? La grande richesse des travaux de Gabriel Zucman est de montrer qu'il y a, dans la plupart des grandes démocraties libérales occidentales, un évitement fiscal des plus grands patrimoines - en tout état de cause, un affaissement du taux d'impôt qu'ils paient.
Tocqueville, décrivant l'Ancien Régime, disait que l'impôt cible ceux qui sont capables de le payer et incapables de s'y soustraire. C'est exactement ce qui se passe aujourd'hui : certains arrivent à s'y soustraire par des montages financiers ou économiques.
Je pense que le constat est posé, mais je n'ai pas entendu, dans les propos qui ont été tenus, de solution pour corriger la situation, si ce n'est à la marge.
L'argumentaire avancé est exactement celui que l'on nous a tenu à Bercy - une forme de protection des personnes qui détiennent de très hauts revenus. Sauf que le chiffon rouge de l'effondrement de l'économie qu'engendrerait cette taxe vient d'être agité très fort ! Il faut raison garder.
Il y a un vrai problème d'égalité devant l'impôt. Tout le monde constate que ce problème n'est pas résolu. Mais, quand il s'agit de mettre les mains dans la mécanique, il n'y a plus grand monde.
Nous reviendrons en séance sur les argumentaires techniques. Je vous mets en garde : alors que les économies vont être cherchées partout, alors que l'heure sera à l'austérité, si nos concitoyens comprennent que certains échappent à l'impôt et peuvent accumuler de la richesse et que l'économie n'est pas en mauvaise santé pour tout le monde, nous risquons de faire monter encore plus les tensions.
Ce texte permet de trouver une solution à l'évitement de l'impôt. Je ne préjuge pas de son destin, mais, au moins, le débat aura lieu. Le débat sur l'égalité devant l'impôt sera important dans les prochains mois, vu l'état de nos finances publiques.
M. Thierry Cozic. - Je salue le talent oratoire du rapporteur pour justifier, par des arguments quelque peu caricaturaux, le rejet de cette proposition de loi.
La majorité sénatoriale fait régulièrement des procès en déconnexion à la partie gauche de l'hémicycle, mais, aujourd'hui, c'est vous qui faites abstraction de la réalité économique dans laquelle s'insère cette proposition de loi ! Les patrimoines des 500 plus grandes fortunes de France sont passés de 124 milliards d'euros en 2003 à 1 228 milliards, soit une augmentation de 890 % en vingt ans, et ces foyers à très haut patrimoine paient considérablement moins d'impôts que la moyenne des Français...
Vous avez cité l'étude de l'Institut des politiques publiques. Je rappelle que, selon ce dernier, pour 75 ménages de milliardaires, 97 % de leur revenu économique, soit l'ensemble des revenus réalisés et contrôlés effectivement par le foyer fiscal, échappe aujourd'hui au revenu fiscal.
La proposition de loi ne touche que les 0,01 % des foyers les plus riches - selon la direction générale des finances publiques (DGFiP), le patrimoine des 0,1 % s'élève, en moyenne, à 10 millions d'euros.
Pour Zucman, le nombre de foyers qui pourraient être touchés par la mesure est de 1 800.
Je suis très surpris que vous ne votiez pas cette proposition de loi, car le gouvernement français - que vous soutenez, si j'ai bien compris - a publiquement défendu la proposition contenue dans le rapport commandé par la présidence brésilienne du G20 à l'économiste Gabriel Zucman.
Il est temps, aujourd'hui, d'envisager concrètement la mise en oeuvre de cette proposition sur le territoire national. La réalité économique le justifie, et cela permettrait que la France joue un rôle précurseur en matière de taxation minimale des plus riches, comme elle a su le faire précédemment, notamment avec la taxe Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft).
Mme Ghislaine Senée. - Nous ne sommes pas tout à fait étonnés de l'avis défavorable du rapporteur.
Les constats sont partagés - du moins je l'espère ! Même si vous utilisez le conditionnel, la rupture d'égalité devant l'impôt est réelle. Elle est factuelle. Elle ne concerne pas que la France - elle a été discutée au G20. Tout le monde en convient aujourd'hui. Il n'est absolument pas normal qu'au-delà d'un seuil de patrimoine, qui est de 100 millions d'euros, l'impôt soit régressif. C'est un vrai sujet. Mon collègue Thomas Dossus l'a rappelé : l'inégalité face à l'impôt pose un vrai problème pour notre pays.
Le système fiscal n'est aujourd'hui absolument plus adapté à l'explosion des richesses. Je vais vous en donner un exemple très concret : la richesse de Bernard Arnault est passée de 33 milliards d'euros en 2016 à 192 milliards d'euros en janvier 2025 - elle a été multipliée par cinq en neuf ans ! Nous savons que cette richesse, ce sont des actifs financiers, un patrimoine illiquide, dont le taux de rendement se situe entre 7 et 10 % - il est aujourd'hui plus près de 7 que de 10. Autrement dit, même si Bernard Arnault ne se lève pas le matin pour aller travailler, ses actifs financiers lui garantissent un taux de rendement de 7 %...
Le dispositif qui est proposé est un système anti-abus. Ce n'est pas une sanction par l'impôt, monsieur le rapporteur : il s'agit de s'assurer que le taux d'imposition des 350 plus grandes richesses soit d'au moins 2 %. Cela ne concerne que 0,01 % des ménages. On nous rétorquera que cela les mettra en difficulté, qu'il faudra qu'ils vendent leur entreprise... Mais, quand on voit qu'ils ne paient aucun impôt sur le revenu et qu'ils vivent dans des conditions qui sont tout sauf minimalistes, on peut penser qu'ils auront d'autres possibilités avant d'avoir à céder leurs actifs. Puisqu'ils placent tous leurs revenus dans des holdings, ils pourraient très bien, s'ils sont dans l'incapacité de payer leurs impôts, solliciter des prêts bancaires au travers de ces holdings.
Pour la majorité des Français, c'est 50 % du salaire qui passe dans les impôts - tous impôts confondus : revenus et consommation. Au travers de la présente proposition de loi, nous demandons simplement une imposition minimale de 2 %, ce qui est négligeable.
Il s'agit vraiment, à nos yeux, d'une question d'égalité devant l'impôt. Surtout, il s'agit de mettre fin aux stratégies de suroptimisation fiscale qui existent aujourd'hui. Je pense que, là aussi, nous pouvons tomber d'accord sur le fait qu'il n'est pas normal que des stratégies de suroptimisation permettent à des personnes qui ont autant de moyens - il y a tout de même, en France, une personne dont la richesse équivaut au PIB du Maroc, à savoir 191 milliards d'euros - d'échapper à l'impôt.
Nous devons en débattre, à l'heure où la situation financière est très compliquée.
Si l'on ne peut pas viser l'égalité devant l'impôt, j'aimerais vraiment que l'on m'explique pourquoi !
M. Marc Laménie. - Je remercie notre collègue de son travail, excellent comme d'habitude.
Quel est le nombre de sociétés ou de grandes fortunes concernées par cette proposition de loi ? Notre collègue Ghislaine Senée a cité le chiffre de 350.
On peut souscrire à certains des arguments qu'elle avance. Cependant, la proposition de loi m'inspire des réserves, en ce que les grandes fortunes sont souvent de grands employeurs qui contribuent à l'activité économique sur l'ensemble des territoires.
Avons-nous une idée de la manière dont le patrimoine serait quantifié pour le calcul de l'impôt plancher de 2 % ? Il n'est pas facile de savoir ce qui doit être pris en compte.
Comment parvenir à quantifier l'exil fiscal ?
Mme Nathalie Goulet. - Oui, il faut faire attention au signal que l'on envoie. Les personnes dont on parle sont aussi les mieux armées pour faire de l'évasion fiscale. Je voterai ce texte.
M. Grégory Blanc. - Nous débattrons en séance de nos conceptions respectives du monde.
Faisons attention aux arguments que nous employons et soyons le plus précis possible. Il me paraît imprudent de dire que taxer à 2 % les personnes dont le patrimoine dépasse 100 millions d'euros dissuaderait la création d'entreprises. Pour avoir créé une entreprise par le passé, je pense que la perspective de ne payer que 2 % d'impôts pour un patrimoine de 100 millions d'euros est de nature à réjouir n'importe quel entrepreneur ou porteur de projets.
De même, n'utilisons pas, pour les patrimoines de milliardaires, des arguments qui ne valent que pour les PME. L'argument sur le versement de dividendes n'est pas pertinent pour les entreprises cotées au CAC40 ! Pour celles-ci, ne pas verser de dividendes, c'est sous-valoriser la société. Il en va de même pour le capital-risque, qui est avantageux fiscalement. Pour une société, l'investissement dans le capital-risque a aussi un effet levier.
Prenons garde aux arguments techniques que nous avançons pour masquer des désaccords politiques sur ce que doit être la fiscalité dans le pays. Si les désaccords sont politiques, portons le débat à ce niveau, mais, de grâce, ne nous replions pas derrière des arguments qui sont plus que critiquables dans la façon dont ils sont posés.
M. Pascal Savoldelli. - Je suis sans doute utopiste, car je pensais que le rapporteur allait nous proposer un avis de sagesse. Je l'ai pensé pour deux raisons : d'abord parce que la proposition de loi a été adoptée par l'Assemblée nationale, ce qui n'est pas sans valeur ; ensuite, compte tenu de l'important engagement de la majorité sénatoriale, sous l'impulsion de son président, pour trouver 40 milliards d'économies. Mais je vois que ce n'est pas le choix qui a été fait.
Nous n'allons pas faire ici le débat que nous aurons en séance.
Toutefois, je veux rappeler que les risques d'inconstitutionnalité invoquée par le rapporteur étaient déjà ceux avancés en 2010 au sujet de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Or l'ISF a été constitutionnalisé, monsieur le rapporteur.
Par ailleurs, je vous invite à nous donner, en séance, les conséquences, non seulement quantitatives, mais aussi qualitatives, de l'exil lié à l'ISF - je pense que nous avons les mêmes sources. Nous verrons ce qu'il adviendra de ce second argument...
Je suis d'accord à 100 % avec la nécessité de protéger le principe d'égalité devant les charges publiques. Pensons au pacte Dutreil, à la suppression de l'ISF... Voulez-vous que je vous dise, avec un peu d'avance, ce que dira mon rapport sur la mission « Remboursements et dégrèvements » pour le patrimoine des plus riches ? Il y a un problème d'égalité devant les charges publiques pour nos concitoyens qui travaillent.
Le débat est politique, dont acte ! À l'heure où l'on convoque notre esprit de responsabilité, où l'on nous enjoint à trouver des compromis, reprenons des amendements qui ont été déposés, y compris par des groupes qui ne sont pas de gauche, pour leur redonner une actualité dans ce débat sur la taxe Zucman.
M. Christian Bilhac. - Je vous remercie, monsieur le président, de ne m'avoir pas donné la parole juste après le rapporteur : je pense que, submergé par l'émotion, la voix nouée par la compassion à l'égard des contribuables visés par ce texte, j'aurais été incapable de m'exprimer.
Nous n'allons pas revenir sur la situation financière du pays ni sur le niveau du déficit. Nous sommes tous d'accord pour dire qu'un redressement s'impose et que des économies doivent être réalisées. Dans cet effort, il faut que chaque euro versé par les contribuables soit utilisé de la manière la plus juste possible, que pas un euro ne soit dépensé inutilement. Cependant, ne nous leurrons pas : les économies ne seront pas suffisantes pour redresser les finances publiques. Dois-je rappeler les moyens que nous devons mettre sur les missions régaliennes de l'État, sur les forces armées, la police, la justice, sur l'éducation, sur les hôpitaux... ? On ne pourra pas faire des économies partout, sauf à sacrifier tous les secteurs régaliens de l'État, ce qui est impossible.
Ce redressement doit se faire dans la justice. Sinon, il sera rejeté par les Français, et cela risque de donner encore plus de voix à des partis politiques que nous combattons très largement. La présente proposition de loi procède de cet esprit de justice fiscale.
Vous avez, monsieur le rapporteur, souligné deux écueils. Le premier est l'exil. Oui, l'exil existe, mais personne ne s'exile par bonheur, ni les pauvres ni les riches ! Quand on s'exile, c'est que l'on ne peut vraiment pas faire autrement. À cet égard, je ne pense pas que la taxation proposée entraîne un grand exil de la part des contribuables concernés. Ce n'est tout de même pas un matraquage fiscal !
Ensuite, vous avez mis en avant les risques d'inconstitutionnalité de ce texte, vous appuyant sur différents rapports. Pour ma part, je me référerai simplement à l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui, je le rappelle, fait partie du bloc de constitutionnalité. Cet article dispose que la contribution commune « doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés » : nous n'y sommes pas ! Et je ne vois pas comment l'on pourrait accepter que des personnes qui gagnent cent, voire mille fois plus que d'autres paient moins d'impôts. Il y a une injustice fiscale.
Écoutons les Français. Ils comprennent aujourd'hui qu'il faut redresser les comptes publics. Mais on ne saurait faire participer à l'effort des personnes qui gagnent 1 500 euros par mois et exonérer des personnes qui ont 500 millions d'euros de patrimoine. C'est une question de morale ! Comme le disait André Malraux, « on ne fait pas de politique avec de la morale, mais on n'en fait pas davantage sans. »
M. Bernard Delcros. - Je veux appuyer les propos de notre collègue. Nous avons voulu que les Français prennent conscience de la situation des finances publiques, du dérapage des déficits et de l'endettement, qui galope et devient insupportable, et je pense que nous y sommes parvenus, comme en témoignent les discussions que nous avons sur le terrain, dans nos départements. Cependant, nous ne parviendrons pas à faire adhérer les Français à la nécessité de faire un effort si des mesures claires ne sont pas prises en matière de justice fiscale.
J'ai entendu les arguments du rapporteur, notamment sur le risque constitutionnel, mais, de façon générale, n'oublions jamais que la justice fiscale est la condition de l'adhésion des Français à la nécessité de redresser les comptes publics.
M. Claude Raynal, président. - Je souhaite, à titre un peu exceptionnel, m'exprimer sur le fond.
C'est le rôle de la commission des finances que d'avoir une analyse technique des textes de loi. Cependant, le présent débat est beaucoup plus politique que purement technique.
Si certains arguments peuvent effectivement être invoqués, ils ne doivent pas servir systématiquement de repoussoirs, comme par exemple le risque d'inconstitutionnalité. Nous verrons bien ce que dira le Conseil constitutionnel, sans nous y substituer ! Il n'est pas du tout certain qu'il déclare le texte anticonstitutionnel.
Arguer de la possibilité d'un exil fiscal me pose aussi problème. D'une certaine façon, c'est admettre que l'on ne fait plus Nation ! D'ailleurs, les chefs d'entreprise à qui il arrive de s'exprimer maladroitement dans la presse à ce sujet se font très vite rattraper par la patrouille... Quand on a vécu dans un pays et qu'on a utilisé ses talents pour bâtir sa fortune, il est délicat de parler d'exil. Au reste, cette préoccupation n'est pas encore justifiée techniquement. Comme vous l'avez indiqué, l'imposition des grandes fortunes n'a pas provoqué d'exil...
Il faut donc être prudent sur ces questions d'inconstitutionnalité et d'exil fiscal.
Le rapporteur a dit qu'il croyait davantage à la richesse par la croissance. C'est aussi mon cas ! Tout le monde y croit. Sauf que cela fait trente ans que l'on fait des politiques pour augmenter la croissance et que ces politiques ne marchent pas - ou marchent peu... Il n'y a pas de croissance, si ce n'est très limitée - elle est à 1 % en moyenne.
Dans la période que nous connaissons, il faut faire attention aux signaux que l'on envoie. Ni le rapporteur ni le rapporteur général ne contestent qu'il y a une difficulté fiscale. Le constat est là. Mais que l'on n'essaie pas de corriger les choses me semble un vrai problème.
Je crois que nous sommes nombreux à penser que, si l'on veut résoudre notre problème de finances publiques, il faut une acceptation. Il faut que chacun ait l'impression que tout le monde fait des efforts « en fonction de ses capacités contributives », selon la formule consacrée.
L'argument du risque d'exil ne me paraît pas recevable. Il faut faire attention à ne pas trop mettre en avant l'idée que des élites risqueraient de quitter le pays, et, surtout, à ne pas l'encourager.
Enfin, moi qui ai été patron d'entreprise dans ma jeunesse, je n'aime pas beaucoup la fiscalisation sur l'entreprise. Pour moi, l'entreprise crée la richesse ! La participation des entreprises aux charges du pays est naturelle. Les routes, la formation, etc., de nombreuses choses justifient que l'entreprise doive contribuer, normalement, sans excès. C'est plutôt sur les dividendes, sur les revenus qu'il faut taxer.
Si on ne le fait pas, alors il faut le faire sur l'héritage. Mais il faut choisir ! On ne saurait le faire ni sur l'un ni sur l'autre.
Pour ma part, je ne suis pas hostile à ce que la taxation porte sur l'héritage. C'est la vision américaine : aux États-Unis, des fondations sont créées pour guider les héritages : les milliardaires américains leur laissent 99 % de leur fortune, à charge pour elles de la renvoyer dans les services publics. Ce n'est pas notre formule, mais on peut en discuter : cela a du sens.
Nous devons avoir cette réflexion aujourd'hui. À tenir des positions trop raides sur ces sujets, nous risquons de nous heurter à une incompréhension du pays. Or, s'il n'y a pas d'acceptation par la population, nous allons au-devant de très grandes difficultés.
M. Emmanuel Capus, rapporteur. - Mes chers collègues, loin d'être seulement technique, je constate que le débat passionne politiquement.
Je remercie le rapporteur général de ses remerciements et de son soutien. Je partage son analyse : je crois beaucoup plus à la richesse par la croissance qu'à la richesse par le prélèvement, notamment sur les plus riches.
Plus globalement, je crois que nous partageons l'analyse qu'il ne faut pas envoyer de signal négatif aux investisseurs étrangers : dans le choix d'acheter ou non une entreprise qui vaut plusieurs centaines de millions d'euros, la façon dont ce patrimoine est taxé en France joue incontestablement.
Thomas Dossus a cité Tocqueville ; je l'en remercie.
J'espère que personne n'a cru que je cherchais à défendre les milliardaires ! Je veux dire très sincèrement que je ne connais pas de milliardaires. Je n'en vois que dans les magazines... Nous parlons là de gens qui sont très éloignés du monde dans lequel nous, parlementaires, vivons sur nos territoires.
Mon but n'est pas de protéger une partie de la population, minime d'ailleurs - celle qui dispose des plus hauts revenus. Il est d'éviter que nous ne votions un texte qui risquerait d'être censuré par le Conseil constitutionnel ou qui nuirait à l'activité. Risque-t-il d'être contre-productif et de présenter des difficultés en termes d'efficacité ? C'est la seule question qu'il me paraît intéressant de se poser, en dehors de celle de l'égalité devant l'impôt.
Mon objectif principal est de m'attacher aux répercussions du dispositif sur l'économie, en termes de retombées et de stabilité de l'actionnariat, étant précisé que, selon l'un des enseignants de l'École polytechnique que j'ai auditionnés, son vote aurait un rendement fiscal négatif : on y perdrait plus que ce que l'on prélèverait. C'est ma principale préoccupation.
Je veux préciser à Thierry Cozic que c'est Bruno Le Maire, s'exprimant au nom du précédent gouvernement, qui s'était déclaré favorable à une taxe de ce type. Cet engagement ne lie pas le gouvernement actuel.
Thomas Dossus a évoqué le caractère mondial de la taxe. De fait, Gabriel Zucman lui-même, quand il a inventé la taxe, est parti du postulat qu'elle devait, idéalement, être mondiale.
Je pense qu'Amélie de Montchalin, défendra, elle aussi, au nom du Gouvernement, une taxe du même ordre - même si son mécanisme ne sera pas forcément le même -, mais touchant toutes les personnes dans le monde. Cela évitera les effets négatifs liés à l'évitement de l'impôt que j'ai évoqués : des personnes qui quittent la France ou qui ne s'y installent pas.
J'ai interrogé Gabriel Zucman ici même sur ce point : il considère qu'il ne serait pas grave que la taxe ne soit pas mondiale, que nous allons donner l'exemple. Je ne partage pas cette analyse : cela me paraît risqué. Si l'on crée cette taxe, il faut la créer au niveau mondial. En ce cas, il n'y aurait pas de risque d'évitement, pas de risque de concurrence. La France a déjà, sur à peu près tout, une fiscalité lourde, plus lourde que tous les autres pays du monde ; il ne faut pas en rajouter.
Madame Senée, je partage le constat, mais je n'ai pas non plus de certitudes : la mesure proposée est fondée sur une analyse de l'IPP de 2023 et sur des chiffres de 2016 basés sur les déclarations d'impôt de solidarité sur la fortune. Ces chiffres sont étayés, mais il n'y a pas non plus foison de documentation. J'ai auditionné Laurent Bach, de l'IPP, ainsi que les coauteurs, mais nous ne disposons pas de beaucoup d'éléments.
Le taux de rendement du patrimoine est de 6 % à 7 % ; c'est un taux moyen, qui connaît des fluctuations. Si nous connaissions, dans notre vie quotidienne, des taux de rendement de ce niveau, nous serions ravis !
La proposition vise-t-elle à instaurer un dispositif anti-abus ? Non ! Elle crée un dispositif de rendement qui entend prélever 20 milliards d'euros et qui touche de manière identique tous les contribuables disposant de plus de 100 millions d'euros, quels que soient leurs comportements - qu'ils fassent de l'optimisation ou pas.
D'ailleurs, je ne suis absolument pas certain qu'elle permettrait de rétablir une forme d'égalité ! Il faudrait un miracle pour que son rendement équivaille au taux marginal qui frappe ceux qui ne sont que très riches...
Enfin, je répète que d'autres dispositifs anti-optimisation sont possibles, notamment sur les holdings.
En réponse à Marc Laménie, les autrices estiment approximativement le nombre à 1 800 personnes concernées, sans pouvoir expliquer comment elles arrivent à ce chiffre - l'une d'entre elles m'a dit espérer que nous les aidions à établir ce chiffrage. La direction de la législation fiscale ne le connaît pas non plus.
Le seul chiffre dont nous disposons réellement aujourd'hui est celui de l'étude de l'IPP : Laurent Bach, lorsque je l'ai auditionné, estimait que 350 contribuables disposaient d'un patrimoine de plus de 100 millions d'euros en 2016. Par extrapolation, Gabriel Zucman arrive à peu près à 1 600 ou 1 800 aujourd'hui.
Ce constat rend extrêmement humble sur la façon dont on légifère dans ce pays. On ne sait pas clairement de combien de personnes on parle, en réalité. Quoi qu'il en soit, c'est sur très peu de personnes que l'on prélèverait ces 20 milliards d'euros. Et, parmi celles-ci, une dizaine de personnes dispose d'une très grande part de ces ressources - l'une d'elles a été citée tout à l'heure.
Nathalie Goulet, oui, les personnes les mieux armées pour faire de l'évasion fiscale sont les personnes qui seraient assujetties à cette contrainte supplémentaire, mais c'est justement parce que ces personnes sont les mieux armées que je crains leur exil fiscal ! Je pense comme vous qu'elles ont les moyens de trouver des biais qui leur permettront d'échapper à cette fiscalité nouvelle en France.
Cher Grégory Blanc, je l'ai dit, on ne parle pas ici d'entreprises comme celles que nous avons pu créer. On ne parle pas de TPE, de PME. J'ai échangé avec les autrices, avec Gabriel Zucman : ils nous disent qu'il n'y a pas tant de sociétés qui seraient concernées. Les cas sont très précis et connus.
Parmi ceux-ci, il y a notamment la société Mistral AI, qui, aujourd'hui, est valorisée à des centaines de millions, voire à des milliards d'euros. Or, en réalité, Mistral ne vaut rien pour le moment ! Je parle des licornes, qui ne sont pas très nombreuses : il y en a moins de 10 par an. Si l'on créait cet impôt, il n'y aurait aucun intérêt à créer de telles sociétés en France, puisque la taxation serait plus forte qu'ailleurs. Je ne dis pas que c'est massif, mais c'est une réalité.
Un autre exemple nous a été cité, celui de la société Seb. Ce fleuron français a su traverser les crises grâce à un capital extrêmement solide. La famille détentrice des actions ne s'est pas versé de dividendes pendant des années, ce qui lui a permis de continuer à investir. Aujourd'hui, on fabrique encore des robots Seb ou Moulinex en France du fait du modèle capitalistique de ces sociétés. Ce modèle, on risque de le déstabiliser si l'on force la famille à vendre une partie de ses actions pour payer cet impôt.
Cher Pascal Savoldelli, le vote de l'Assemblée nationale joue-t-il favorablement ? Cette question m'a été posée par l'une des autrices du texte. Le Sénat étant souverain, je ne suis pas sûr que cela influence sa décision. Je note que le RN s'est abstenu, ce qui ne me pousse pas forcément à soutenir le texte...
L'impôt n'a rien à voir avec les 40 milliards d'euros d'économies du Gouvernement ! Il vise à engranger 20 milliards d'euros de recettes supplémentaires.
Monsieur Bilhac, vous avez raison d'être ému ! Je répète que le but n'est pas de défendre les milliardaires - le rapporteur général l'a très bien dit. Mais je ne voudrais pas non plus que l'on soit tenté de trouver des boucs émissaires et que l'on pense que c'est en prélevant sur les milliardaires que l'on résoudra les problèmes de notre pays. Je ne crois pas que ce soit une solution.
Contrairement à ce que vous avez dit, les milliardaires ne s'exonèrent pas de l'imposition. Ils paient déjà beaucoup d'impôts. L'imposition du milliardaire le plus riche de France atteint 26 %. Autant dire que ce dernier paie beaucoup plus que nombre de nos concitoyens ! Il paie effectivement moins, en pourcentage, que les millionnaires, qui, pour la plupart, sont au taux marginal de 46 %. Mais on ne peut pas dire qu'il ne paie pas d'impôts.
Je souscris au message de justice fiscale de Bernard Delcros, mais, comme je l'ai indiqué, d'autres dispositifs anti-optimisation sont en train d'être examinés en vue du prochain projet de loi de finances, et d'autres dispositifs pourront être proposés par le Gouvernement. Bien évidemment, il faut de la justice fiscale, mais, en réalité, le problème n'est pas du tout un problème d'égalité devant l'impôt - le Conseil constitutionnel s'exprimera sur le risque que l'impôt soit confiscatoire. C'est un problème de régressivité de l'impôt pour une part minime des contribuables, ce qui n'est pas la même chose.
Enfin, vous avez raison, monsieur le président, le débat que nous aurons en séance publique sera extrêmement politique.
Bien évidemment, nous ne nous substituons pas au Conseil constitutionnel. Je note cependant qu'au titre de l'article 40 de la Constitution, vous contrôlez régulièrement la constitutionnalité, ou en tous les cas la recevabilité d'un certain nombre d'amendements...
Au reste, je dirais que le principal risque soulevé par ce texte, c'est le caractère confiscatoire de cet impôt nouveau, dès lors que, pour pouvoir le payer, il faudra, par définition, aliéner une partie de son patrimoine. Si les personnes concernées paient un taux d'impôt moins élevé en théorie, c'est parce qu'elles ne consomment pas les dividendes, qui restent dans la société mère. Pour payer leur impôt, il faudra qu'elles les vendent... Par construction, l'impôt sera confiscatoire.
M. Claude Raynal, président. - En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, je vous propose de considérer que le périmètre de la proposition de loi comprend les dispositions relatives à la détermination du taux, de l'assiette et des modalités de recouvrement des impositions visant le patrimoine.
Il en est ainsi décidé.
EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE
Article unique
L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi n'est pas adopté.
Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte de la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale en première lecture.
Proposition de loi visant à garantir une solution d'assurance à l'ensemble des collectivités territoriales - Examen du rapport et du texte de commission
M. Claude Raynal, président. - Nous passons à l'examen du rapport et du texte de la commission sur la proposition de loi visant à garantir une solution d'assurance à l'ensemble des collectivités territoriales. Ce texte nous est connu, puisque nous l'avons très largement cosigné.
Mme Marie-Carole Ciuntu, rapporteur. - Le 27 mars 2024, la mission d'information de notre commission des finances remettait au Sénat un rapport intitulé Garantir une solution d'assurance aux collectivités territoriales. Le rapporteur de cette mission, notre collègue Jean-François Husson, avait mis au jour les difficultés croissantes des collectivités territoriales face à leurs assureurs.
Ce constat a par la suite été partagé par un autre rapport, remis au Gouvernement par Alain Chrétien et Jean-Yves Dagès.
Je ne citerai que quelques chiffres, particulièrement marquants, issus de la consultation des élus locaux menée dans le cadre de notre mission d'information : 60 % des collectivités répondantes ont indiqué rencontrer au moins un problème avec leurs assureurs, ce chiffre s'élevant même à 90 % pour les communes de plus de 10 000 habitants ; 94 % des collectivités répondantes ont indiqué avoir subi une hausse de leur prime d'assurance ; 27 % des collectivités répondantes ont indiqué que leurs assureurs leur avaient imposé une hausse de leur franchise. Enfin, de nombreuses collectivités faisaient état de leurs difficultés à conserver, voire à trouver un assureur : 20 % des répondantes avaient vu leur contrat résilié unilatéralement ; parmi elles, 41 % n'avaient reçu qu'un préavis inférieur à quatre mois ; et 24 % des collectivités répondantes ont été confrontées à un appel d'offres infructueux.
Le rapport de notre mission a fait état des raisons de cette situation : le marché de l'assurance des collectivités, à la suite d'une guerre des prix, a été déserté par de nombreux acteurs. Il est aujourd'hui fortement duopolistique, Groupama et SMACL Assurances SA se partageant une grande partie du marché. Ces dysfonctionnements du marché de l'assurance des collectivités, sur lesquels notre commission avait saisi l'Autorité de la concurrence, expliquent en grande partie les difficultés actuelles des collectivités vis-à-vis de leurs assurances.
Toutefois, ces difficultés ont été rendues insupportables par la hausse de la sinistralité, qu'il s'agisse des inondations qu'ont connues plusieurs territoires ces dernières années ou des émeutes de 2023, lesquelles ont causé des dommages quatre fois plus importants que les violences urbaines de 2005. La multiplication des émeutes, qui affecte tout particulièrement nos collectivités, soulève une difficulté majeure qui pourrait se traduire, à terme, par l'absence de couverture assurantielle de ce risque.
Face à ces constats, le gouvernement d'alors n'a guère pris la mesure de ces difficultés. Les travaux du Sénat, en particulier de notre commission des finances, ont permis des avancées : le rapporteur général a fait adopter, au sein du projet de loi Simplification, un amendement visant à imposer un préavis d'au moins six mois aux résiliations unilatérales des contrats d'assurance des collectivités territoriales. Nous avons également adopté, en octobre dernier, la proposition de loi de notre collègue Christine Lavarde visant à assurer l'équilibre du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles. Mais une réponse spécifique aux difficultés des collectivités territoriales se fait encore attendre.
Il faut reconnaître au Gouvernement actuel de s'être davantage intéressé au sujet, en organisant, le 14 avril 2025, un « Roquelaure de l'assurabilité des territoires ». Toutefois, les annonces du Roquelaure, pour bienvenues qu'elles soient, laissent bien des élus un peu sur leur faim.
C'est dans ce contexte qu'intervient la proposition de loi qui est soumise à notre examen de ce matin. Déposée par le rapporteur général de notre commission, elle vise à traduire un certain nombre des recommandations du rapport de notre mission d'information, ainsi que du rapport Chrétien-Dagès. Elle est composée de trois chapitres, chacun composé de deux articles.
Le chapitre Ier vise à conforter la concurrence sur le marché de l'assurance privée des collectivités territoriales.
À cette fin, l'article 1er prévoit de confier à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) une mission de suivi spécifique du marché de l'assurance des collectivités territoriales. Il précise également que les prérogatives de mise en garde dont dispose l'ACPR peuvent s'appliquer à des pratiques commerciales s'exerçant à l'égard des collectivités territoriales. Cet article vise à répondre aux faiblesses du suivi par les autorités de supervision du segment du marché de l'assurance privée des collectivités.
L'article 2 vise à créer un observatoire des tarifs assurantiels appliqués au secteur public, notamment aux collectivités territoriales, conformément à une recommandation du rapport Chrétien-Dagès. Il s'agirait non pas d'une nouvelle structure, mais de l'octroi d'une nouvelle mission au Comité consultatif du secteur financier (CCSF), lequel remet déjà un rapport public annuel sur les tarifs bancaires. Cet observatoire devrait permettre un meilleur suivi des pratiques commerciales sur le marché de l'assurance des collectivités, pour prévenir une nouvelle atrophie du marché et pour documenter la hausse de la sinistralité.
Le chapitre II entend rééquilibrer les relations entre les assureurs et les collectivités territoriales.
L'article 3 traduit une recommandation phare du rapport de notre mission d'information, qui était de développer la médiation en assurance auprès des collectivités et d'accompagner celles d'entre elles qui demeurent sans assurance. Il permet ainsi aux collectivités d'avoir recours à un dispositif de médiation dans les litiges qui les opposent à leurs assureurs. Cette rédaction, plus élargie que celle du Gouvernement - limitée au cadre d'un « sinistre » -, a recueilli l'approbation du médiateur de l'assurance lui-même.
En outre, le présent article permet aux collectivités de saisir le médiateur pour bénéficier d'un accompagnement dans leur recherche d'assurance. Sur ce point, il paraît préférable de coordonner le dispositif de la proposition de loi avec la création, annoncée par le Gouvernement lors du Roquelaure de l'assurabilité des territoires, d'une cellule d'accompagnement ad hoc dénommée « Collectiv'Assur » et rattachée à M. Arnaud Chneiweiss intuitu personae, et non en sa qualité de médiateur. C'est pourquoi je vous invite à adopter mon amendement COM-2, qui supprime la référence au médiateur pour l'accompagnement des collectivités dans leur recherche d'assurance.
Enfin, l'article 3 prévoyait d'inscrire dans le code des assurances que la saisine d'un médiateur suspend le délai de prescription. Si certains juristes avaient recommandé cette inscription, les auditions ont démontré que cette suspension est déjà prévue par l'article 2238 du code civil. Pour cette raison, je vous propose l'amendement COM-1, qui supprime cette disposition.
L'article 4 entend systématiser les franchises dans les contrats d'assurance conclus par les collectivités territoriales et leurs groupements pour garantir les dommages à leurs biens. Cette mesure vise, d'une part, à responsabiliser les collectivités territoriales qui souscrivent un contrat d'assurance, en encourageant une démarche de prévention, et, d'autre part, à recentrer les contrats d'assurance sur les risques les plus significatifs.
Quant au chapitre III, il a l'ambition d'assurer une couverture de l'ensemble des risques, en particulier de ceux qui sont liés aux émeutes.
L'article 5 porte l'élargissement de la dotation de solidarité en faveur de l'équipement des collectivités territoriales et de leurs groupements touchés par des événements climatiques ou géologiques (DSEC), pour qu'elle puisse désormais aussi couvrir le risque « émeutes et mouvements populaires ». Jusqu'ici circonscrite aux événements climatiques ou géologiques, cette dotation, élargie, constituera un dispositif de référence pour sécuriser les collectivités et leur patrimoine. Elle permettra de leur apporter une indemnisation rapide sur leurs biens non assurables, sans dépendre de la constitution d'un dispositif ad hoc par le Gouvernement.
En outre, l'élargissement du périmètre de la DSEC apparaît préférable à la création d'une nouvelle dotation dédiée à l'indemnisation des violences urbaines.
J'en viens enfin à l'article 6, qui constitue la principale disposition de la proposition de loi. Celui-ci introduit, sur le modèle du régime « CatNat », un régime d'indemnisation du risque d'émeute. Si ce régime ne concerne pas spécifiquement les collectivités, il trouve sa place dans le présent texte en raison de l'importance des dommages causés aux biens de collectivités lors des émeutes de 2023 - ils en représentaient plus du quart.
Les termes d'« émeutes » et de « mouvements populaires », issus du code des assurances, sont définis par la proposition de loi. Les auditions m'ont conduite à proposer un amendement afin de modifier cette définition. Je vous propose de considérer qu'une émeute est définie par sa masse, qui implique un « rassemblement de personnes », par l'usage de la violence et par ses aspects contestataires et revendicatifs, qui en font un mouvement dirigé contre l'autorité en vue d'obtenir la satisfaction de revendications. Si cette définition permet bien de couvrir les premières émeutes qui ont suivi la mort du jeune Nahel en 2023, elle ne permet pas d'inclure les violences aveugles qui ont pu se produire à l'occasion de ces émeutes. C'est pourquoi la définition du mouvement populaire, plus large, serait celle d'un rassemblement de personnes usant de la violence, mais spécifiquement dans le but de troubler l'ordre public. Ce critère finaliste permet de couvrir les cas de violences aveugles, tout en excluant les cas de pillages opportunistes et d'actions de commandos. Il convient également d'exclure les actes terroristes et les actes de guerre, étrangère ou civile. Si cette définition pourra continuer à être affinée durant la discussion parlementaire, je vous propose d'adopter mon amendement COM-4, qui constitue un premier pas en faveur d'une définition précise du phénomène.
Le nouveau régime d'indemnisation des émeutes et des mouvements populaires serait, comme le régime « CatNat », fondé sur une garantie obligatoirement attachée aux contrats « dommages aux biens ». En cas de refus d'assurance par un assureur, les assurés pourront saisir le bureau central de tarification (BCT), qui fixe lui-même les termes du contrat. Pour assurer une meilleure opérationnalité de ce mécanisme, mon amendement COM-6 prévoit de préciser les conditions dans lesquelles le BCT pourra intervenir : saisi d'un refus en raison du risque émeute, il devra néanmoins tenir compte de l'équilibre du contrat dans sa globalité.
Le risque « émeutes et mouvements populaires » serait couvert par une surprime, comme dans le modèle du régime « CatNat ». En l'état du texte, cette surprime est intégralement affectée à un mécanisme de mutualisation du risque. Toutefois, dès lors que le système proposé repose sur un partage du risque entre l'assurance privée et la réassurance publique-privée, il convient également de partager la surprime - c'est du reste le cas dans le régime « CatNat ». Mon amendement COM-7 procède à cette modification.
Il faut enfin aborder le mécanisme de mutualisation proposé par la proposition de loi. Celle-ci crée un fonds qui serait chargé de l'indemnisation des émeutes et des mouvements populaires « d'intensité exceptionnelle ». Afin de respecter l'article 40 de la Constitution, les auteurs du texte n'ont pas fait intervenir la Caisse centrale de réassurance dans la gestion de ce fonds. Il conviendrait, d'ici la séance publique, que les discussions avec le Gouvernement permettent d'aboutir sur ce point. Toujours est-il que l'intervention du fonds serait limitée à 1 milliard d'euros : au-delà, la prise en charge reposerait sur une garantie de l'État. Ce plafond de 1 milliard d'euros a été jugé trop bas lors de plusieurs auditions. Aussi, je vous propose un amendement COM-8 visant à rehausser ce plafond à 1,5 milliard d'euros.
Pour conclure, chers collègues, je vous propose d'adopter les articles 1er, 2, 4 et 5 de la présente proposition de loi sans modification et d'adopter les articles 3 et 6 modifiés par les neuf amendements que je vous présente - les amendements COM-3, COM-5 et COM-9 sont rédactionnels.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - La situation catastrophique du marché des assurances aux collectivités territoriales se redresse - jusqu'alors seules deux compagnies d'assurances intervenaient sur ce marché. Le Gouvernement a proposé des mesures réglementaires, c'est un premier pas. Mme le rapporteur améliore les mesures proposées par la proposition de loi. Je pense notamment à l'ajustement du rôle du médiateur de l'assurance, plusieurs personnes entendues en audition ayant estimé que la solution initiale n'était pas pleinement opérationnelle.
Je salue le travail accompli pour permettre d'envisager une garantie émeute et mouvement populaire par le biais de notre initiative parlementaire. Nous pourrions d'ailleurs inscrire ce dispositif dans le prochain projet de loi de finances, si le Gouvernement y souscrit et si le Parlement parvient à un accord. Ce dispositif répondrait aux attentes des collectivités locales, qui ont été confrontées à des impasses.
J'ai à nouveau interrogé les communes de plus de 3 000 habitants de mon département de Meurthe-et-Moselle. Il ressort de ces échanges que les collectivités ne sont pas toujours privées de couverture, mais subissent une forte hausse des tarifs, même dans les petites communes, ainsi qu'un relèvement des franchises, voire certaines exclusions. Ainsi, même si nous avons l'impression que les problèmes assurantiels des collectivités territoriales seraient réglés, la correction en cours du marché s'accompagne de modifications substantielles. Il serait utile que les deux assemblées et le Gouvernement parviennent à une solution stabilisée d'ici à la fin de l'année.
Mme Nathalie Goulet. - Je salue l'importance du travail mené, qui s'inscrit dans une démarche de suivi. Il est rare que nous procédions aussi systématiquement à de telles évaluations, qui permettent de maintenir le lien avec les collectivités territoriales. C'est une démarche exemplaire, qui illustre l'efficacité notable de notre commission.
La question du pillage - les événements du week-end dernier en témoignent - doit nous inviter à réfléchir à l'amélioration du fonds d'indemnisation des victimes d'une part, à régler le problème de la couverture assurantielle des pillages d'autre part. Les actes de ce week-end répondent non pas à une revendication politique ou sociale, mais relèvent d'une volonté de piller ou de casser. Si ces violences se multiplient, il faudra créer s'assurer de leur prise en charge. Je rappelle qu'il existe un fonds pour la sécurité intérieure de l'Union européenne, destiné notamment à soutenir financièrement les États-membres en matière de prévention, de lutte contre la criminalité et de préservation de la sécurité intérieure. Il conviendrait d'explorer cette piste, car d'autres États membres pourraient être confrontés aux mêmes enjeux. La Commission européenne pourrait démêler un certain nombre de problèmes.
M. Grégory Blanc. - Nous ne déposons pas d'amendement sur la question des franchises, mais cette question mérite d'être creusée avant l'examen du texte en séance.
Quelle est la position du Gouvernement à propos de vos amendements relatifs au médiateur, qui réduisent la portée initiale du texte ?
Par ailleurs, un grand syndicat agricole a organisé une mobilisation dans ma commune, classée en quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV), contre une grande enseigne de distribution. Des tracteurs se sont rassemblés, la manifestation a causé plusieurs centaines de milliers d'euros de dégâts. Ces dommages, bien que subis par une collectivité, ne résultent pas d'une attaque dirigée contre une autorité publique. La définition retenue dans le texte permet-elle d'inclure cette situation ?
Mme Ghislaine Senée. - J'aimerais une précision sur l'article 6, qui instaure un mécanisme de mutualisation du risque émeute, auquel je suis favorable. Cette disposition s'applique-t-elle uniquement aux garanties dommages aux biens des contrats des collectivités, ou bien également aux assurances habitation des particuliers ?
Mme Isabelle Briquet. - Il nous faudra veiller à ce que les franchises ne deviennent pas prohibitives, à la suite de l'adoption de la mesure prévue dans le texte et visant à les systématiser. C'est un mécanisme qu'il faut encadrer.
Par ailleurs, une interrogation subsiste sur la notion de mouvement populaire, qui, à mon sens, n'implique pas nécessairement une forme de violence. Faut-il en préciser la portée, ou son sens s'impose-t-il de lui-même dans le cadre du code des assurances ?
Mme Marie-Carole Ciuntu, rapporteur. - Madame Goulet, il est essentiel de maintenir le lien avec les collectivités ; c'est un axe central de notre démarche.
Il conviendra de mieux mobiliser les fonds européens, bien sûr.
La précision apportée concernant les mouvements populaires est utile : ceux-ci peuvent être pris en compte dans la couverture proposée, y compris dans les cas de pillage.
Le principe de la franchise devra s'appuyer sur les pratiques actuelles, largement éprouvées et qui semblent faire consensus. Nous souhaitons acter le principe de la franchise, tout en renvoyant à un décret et à la discussion aux partenaires pour qu'ils déterminent le bon niveau de franchise.
L'exemple cité par M. Grégory Blanc entre bien, à mon sens, dans le champ de l'article 6 : il s'agit d'une manifestation ayant dégénéré, ce qui correspond à la situation visée par le texte.
Le médiateur voit ses missions élargies : il peut intervenir non seulement en cas de conflit avéré, mais également en amont de la signature du contrat, voire en l'absence d'assurance. Cette disposition vise à offrir un accompagnement dans des cas emblématiques.
Madame Senée, la mutualisation de la surprime concernera les particuliers, les entreprises et les collectivités. Son coût, estimé à 0,5 % de la prime par un auditionné, resterait modéré.
Enfin, madame Briquet, la notion de mouvement populaire qui figure dans le code des assurances ne recouvre pas son sens sociologique.
M. Claude Raynal, président. - Concernant le périmètre de ce projet de loi, en application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, je vous propose de considérer que le périmètre de ce texte inclut les dispositions relatives au suivi et au contrôle des pratiques commerciales appliqués au secteur public en matière d'assurances ; aux modes de règlement amiable des différends en matière d'assurances ; à l'accompagnement des collectivités territoriales et de leurs groupements en matière d'assurances ; aux relations contractuelles entre les collectivités territoriales et leurs groupements d'une part, et leurs assureurs d'autre part ; au contenu des contrats d'assurance souscrits par les collectivités territoriales et leurs groupements ; aux dotations de l'État aux collectivités territoriales pour la prévention des risques et la réparation des dommages qui en résultent ; à l'assurance des émeutes et des mouvements populaires.
Il en est ainsi décidé.
EXAMEN DES ARTICLES
Article 1er
L'article 1er est adopté sans modification.
Article 2
L'article 2 est adopté sans modification.
Article 3
L'amendement COM-1 est adopté.
Mme Marie-Carole Ciuntu, rapporteur. - Je demande le retrait de l'amendement COM-10, qui vise à élargir l'accompagnement à la recherche d'assurance aux sociétés d'économie mixtes. Il me semble qu'au regard de l'intention des auteurs de la proposition de loi et des enjeux différents qui concernent des entreprises, le sujet mérite d'être traité différemment.
L'amendement COM-10 n'est pas adopté.
L'amendement COM-2 est adopté.
L'article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 4
L'article 4 est adopté sans modification.
Article 5
L'article 5 est adopté sans modification.
Article 6
L'amendement COM-3 est adopté, de même que les amendements COM-4, COM-5, COM-6, COM-7, COM-8 et COM-9.
L'article 6 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
TABLEAU DES SORTS
Audition de M. Olivier Sichel, candidat proposé par le président de la République aux fonctions de directeur général de la Caisse des dépôts et consignations
M. Claude Raynal, président. - Nous recevons aujourd'hui, en application de l'article 13 de la Constitution, tel que mis en oeuvre par la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010, M. Olivier Sichel, candidat proposé par le Président de la République pour les fonctions de directeur général de la Caisse des dépôts et consignations (CDC).
Monsieur Sichel, votre candidature s'inscrit dans une certaine continuité, puisque vous assurez l'intérim de ces fonctions depuis la nomination de M. Éric Lombard au Gouvernement le 23 décembre 2024. Nous vous connaissons depuis plusieurs années, car vous êtes directeur général adjoint de la Caisse depuis 2017 et directeur de la Banque des territoires depuis le 1er mai 2018. Je ne doute pas que vous évoquerez cette période dans votre propos liminaire.
Comme chacun d'entre nous le sait, aux termes de l'article L. 518-2 du code monétaire et financier, « la Caisse des dépôts et consignations est placée, de la manière la plus spéciale, sous la surveillance et la garantie de l'autorité législative ». La présence de parlementaires au sein de la commission de surveillance, dont notre collègue Arnaud Bazin, contribue à la mise en oeuvre de cette garantie. Nos échanges fréquents, récemment illustrés par l'invitation du bureau de la commission des finances à la présentation des résultats du groupe, permettent un suivi assez régulier de ses activités.
Par rapport à 2018, le groupe CDC a profondément évolué - ce n'est rien de le dire. Ses résultats agrégés ont plus que doublé, avec une croissance annuelle de 14 %, et se sont élevés en 2024 à plus de 5 milliards d'euros. Plus d'une trentaine d'entités et participations stratégiques composent désormais le groupe, ce qui soulève la problématique d'une plus grande coordination de ses actions au service de ses objectifs stratégiques. Je suis certain que notre rapporteur général, Jean-François Husson, et d'autres collègues ne manqueront pas de vous interroger sur ce point.
Je vous rappelle que, conformément à la loi précitée du 23 juillet 2010, cette audition est publique et retransmise en direct sur le site internet du Sénat.
Les délégations de vote ne sont pas autorisées et seuls les sénateurs présents physiquement pourront prendre part au vote, à bulletin secret.
Enfin, en vertu du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, le Président de la République ne pourrait procéder à cette nomination si l'addition des votes négatifs exprimés dans les commissions des finances des deux assemblées représentait, au total, au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés.
Vous avez été entendu à 9 heures ce matin par la commission des finances de l'Assemblée nationale. Le dépouillement simultané sera effectué après le scrutin consécutif à notre réunion.
Nos collègues Mme Marie-Carole Ciuntu et M. Marc Laménie m'assisteront pour ce dépouillement comme scrutateurs.
M. Olivier Sichel, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de directeur général de la Caisse des dépôts et consignations. - Je suis honoré de vous présenter ma candidature et mon projet au poste de directeur général de la Caisse des dépôts et consignations. Le 16 mai dernier, le Président de la République a proposé ma nomination pour cette fonction et je le remercie pour sa confiance. Je vous demande ce matin de m'accorder la vôtre.
J'exerce la fonction de directeur général par intérim depuis la fin du mois de décembre 2024, après avoir occupé pendant sept ans les fonctions de directeur général délégué et de directeur de la Banque des territoires. À ce titre, je souhaite saluer M. Éric Lombard, avec lequel j'ai travaillé dans une grande confiance au long de ces années. Je tiens également à saluer l'engagement des collaborateurs et collaboratrices du groupe, qui n'ont absolument pas levé le stylo durant la période d'intérim, bien au contraire. Si la Caisse des dépôts obtient d'aussi bons résultats, c'est à leur engagement et à la qualité de leur travail que nous le devons. Je veux ici les en remercier publiquement.
Au-delà de la procédure prévue à l'article 13 de la Constitution, cette audition revêt une importance particulière à mes yeux, tant elle s'inscrit dans la relation étroite que la Caisse des dépôts entretient avec le Parlement. Depuis plus de deux siècles, notre institution est placée, de la manière la plus spéciale, sous la surveillance et la garantie de l'autorité législative.
Ce statut singulier se traduit concrètement dans notre gouvernance. Je salue à cet égard la qualité du travail conduit avec les cinq parlementaires membres de la commission de surveillance, notamment M. Arnaud Bazin, pour la commission des finances du Sénat, et Mme Viviane Artigalas, pour sa commission des affaires économiques. Cette relation s'incarne aussi dans la régularité de nos auditions et dans les échanges en commission. Je suis convaincu que si la Caisse des dépôts a pu se développer depuis si longtemps, c'est avant tout en raison de la protection du Parlement.
Le projet que je souhaite vous présenter s'appuie sur un bilan, qui fait aujourd'hui de la Caisse un pôle de stabilité et de confiance - deux mots qui résonnent particulièrement au Sénat et qui ont toute leur importance dans le contexte économique et politique actuel. La Caisse dispose désormais de toutes les capacités d'action nécessaires pour servir davantage les territoires, soutenir les politiques publiques et accompagner nos concitoyens.
Je souhaite à présent revenir sur l'action que j'ai conduite depuis 2018 aux côtés de M. Éric Lombard. En sept ans, la Caisse s'est profondément renforcée, notamment grâce au rapprochement avec La Poste. Le bilan agrégé du groupe s'élève désormais à 1 400 milliards d'euros, conférant à l'institution une force de frappe financière majeure. Cette croissance a contribué à la robustesse de nos résultats financiers ; le résultat agrégé a atteint 5 milliards l'an dernier. Ces résultats n'ont pas de sens en tant que tels : nous n'avons pas d'actionnaires ; nous sommes un établissement public. Ces 5 milliards servent à renforcer nos fonds propres pour faire plus pour les territoires et les Français. Les fonds propres ont crû de 43 %, passant de 48 milliards à 69 milliards d'euros en sept ans. Cela fait de la Caisse un très bon contributeur au budget de l'État - plus de 2 milliards d'euros ont été versés en 2024.
Mon objectif à la tête de la Banque des territoires a été de mettre cette force de frappe financière au service des élus, des collectivités et des Français. Nous avons fait le choix de la proximité, que ce soit avec les élus ou les acteurs économiques de terrain ; concrètement, cela se traduit par une politique de déconcentration : plus de 90 % des décisions de prêt sont octroyées en direction régionale, par le directeur régional ; près de 50 % des investissements sont décidés dans les territoires par les directions régionales.
Les résultats sont là : le recours à l'épargne populaire pour le financement de l'intérêt général a plus que doublé depuis 2018 ; en 2024, nous avons prêté plus de 28 milliards d'euros au logement social et aux collectivités pour leurs projets. Nous avons multiplié par deux nos investissements. La Banque des territoires est désormais l'un des principaux financeurs des territoires et a considérablement accru son empreinte territoriale. Nous avons accompagné plus de 8 500 communes, soit un quart des communes du pays, de toute taille - y compris les communes rurales -, aussi bien métropole et qu'en outre-mer.
La Caisse des dépôts a démontré son expertise comme opérateur de projets complexes, à l'instar de Mon Compte Formation - nous gérons 40 millions de comptes personnels de formation (CPF).
Mon projet se décline en trois axes : la cohésion sociale et territoriale, la transformation écologique et la défense de nos souverainetés.
Le premier axe est véritablement l'ADN de la Caisse des dépôts. La cohésion sociale et territoriale constitue l'axe central de notre mission en faveur du logement social. En dépit de la crise qui frappe la production de logements neufs et des difficultés financières subies par les organismes de logement social et les collectivités locales, jamais les territoires n'ont été autant irrigués par les financements de la Banque des territoires.
Alors que la Caisse finançait un logement neuf sur cinq voilà dix ans, l'an dernier, ce ratio est passé à deux logements sur cinq, soit 115 000 logements financés, dont 75 % en logement social. Mon objectif est de poursuivre cette dynamique et de financer, d'ici à 2028, 350 000 logements sociaux et intermédiaires, permettant de loger 800 000 de nos concitoyens.
En plus de la cohésion sociale, il y a la cohésion territoriale. La lutte contre les inégalités territoriales est à l'origine de la création de la Banque des territoires. C'est cette conviction qui, durant ces sept dernières années, m'animait lorsque j'ai accompagné les élus pour débloquer des fonds au service de leurs projets.
Ces projets ont concerné les villes moyennes qui font partie du programme Action coeur de ville, mais aussi celles qui font partie du programme Petites Villes de demain et les quartiers prioritaires de la politique de la ville, qui ont fait l'objet d'un engagement de 1,3 milliard d'euros l'an dernier. Ils ont également concerné les collectivités d'outre-mer : nous avons débloqué 600 millions d'euros de prêts bonifiés pour Mayotte entre Noël et le jour de l'an, qui ont été bienvenus à la suite du cyclone.
Notre rôle d'acteur de la cohésion sociale se manifeste aussi dans la gestion des retraites : la Caisse gère la retraite d'un Français sur cinq, ainsi que le fonds de réserve pour les retraites (FRR).
J'ai récemment remis un rapport relatif à l'enfance protégée, c'est-à-dire le secteur de l'aide sociale à l'enfance, dont les conclusions, largement partagées par les députées de la commission d'enquête menée par Laure Miller et Isabelle Santiago devant qui je les ai présentées, soulignent la nécessité d'agir davantage pour l'accompagnement des jeunes sortants de l'ASE, en matière de logement et de formation.
Le deuxième axe est celui de la transformation écologique, dans lequel nous investissons massivement.
Le rapport Pisani-Ferry - Mahfouz a évalué le coût de cette transformation à 300 milliards d'euros. La Caisse s'est engagée à en financer un tiers, soit 100 milliards, sur la période 2024-2028. Cela concerne en premier lieu la rénovation énergétique : près de 100 000 logements sociaux ont été rénovés l'an dernier. Nous poursuivons également le programme de rénovation thermique des bâtiments publics, notamment des écoles : sur les 10 000 établissements visés, 5 000 ont d'ores et déjà été rénovés.
Nous investissons dans les réseaux de transport d'électricité pour faciliter leur modernisation et leur raccordement aux énergies renouvelables, contribuant ainsi à notre souveraineté énergétique. Nous soutenons également les mobilités propres, qu'il s'agisse des pistes cyclables ou des transports ferroviaires - nous avons investi 1,8 milliard d'euros dans les transports ferroviaires régionaux en 2024.
En matière de gestion de l'eau, le programme Aqua Prêt a permis de mobiliser 1,8 milliard d'euros pour financer des stations d'épuration ou d'assainissement et pour moderniser les réseaux d'eau, bénéficiant à plus de 25 millions de personnes.
Le troisième axe est la défense de nos souverainetés.
J'ai évoqué notre action en faveur de la souveraineté énergétique ; nous sommes également mobilisés en faveur de la souveraineté industrielle, qui est la raison d'être de Bpifrance. La Banque des territoires investira 1 milliard d'euros en fonds propres dans le cadre de la seconde phase du programme Territoires d'industrie pour favoriser l'implantation de nouveaux acteurs et accompagner la décarbonation du secteur industriel. Notre soutien au développement d'une filière française de la batterie électrique s'est concrétisé par le financement des gigafactories d'Envision à Douai, mise à l'honneur par la visite du Président de la République hier, et de Verkor à Dunkerque.
Nous contribuons également à l'autonomie stratégique européenne, en devenant actionnaires d'infrastructures de marché essentielles, à la suite des recommandations des rapports Letta et Draghi : Euronext pour les bourses européennes, et Euroclear, qui détient notamment les avoirs russes, aux côtés de nos homologues italiens et belges.
La Caisse soutient par ailleurs l'effort de défense, avec un engagement financier de 50 milliards d'euros, qui sera amplifié avec Bpifrance pour soutenir la base industrielle et technologique de défense (BITD).
Pour mettre en oeuvre ce plan stratégique au service des Français, des territoires et de notre économie, la Caisse dispose de marges de manoeuvre.
Premièrement, en fédérant plus étroitement l'ensemble du groupe - y compris La Poste, Bpifrance et les autres filiales - pour mener des actions plus cohérentes. Deuxièmement, en assumant pleinement notre rôle dans la transition numérique. J'ai un passé dans le secteur du numérique et je suis convaincu que nous sommes à l'aube d'une grande transformation technologique pour laquelle la Caisse a un rôle à jouer.
Il faut être capable de mieux fédérer toutes les énergies pour soutenir les projets émanant des territoires. Ainsi, face à la pénurie de logements étudiants, nous financerons à hauteur de 5 milliards d'euros, sur les cinq prochaines années, près de 75 000 logements étudiants. Toutes les composantes du groupe seront sollicitées : CDC Habitat pour le logement social, Icade pour la promotion, La Poste Immobilier pour le foncier disponible et la Banque des Territoires comme investisseur.
Selon moi, le numérique doit se penser à l'échelle européenne et de façon humaniste. À la Banque des territoires, j'ai cherché à réduire la fracture numérique. Nous avons soutenu massivement le déploiement des réseaux d'initiative publique (RIP). En 2018, ils couvraient 500 000 prises contre 12 millions aujourd'hui. Notre pays a réussi une transformation exceptionnelle, en raccordant au haut débit tous les territoires ruraux. Il subsiste quelques zones blanches : en Alsace, monsieur Christian Klinger, le taux de raccordement est de 99 % ; quelques fermes dans les Vosges ne sont pas raccordées, souvent car les propriétaires ne le souhaitent pas.
L'inclusion numérique est également un enjeu central. C'est pourquoi nous soutenons les 4 000 conseillers numériques, qui aident les usagers à s'approprier les outils digitaux.
Le numérique est un levier pour mettre en oeuvre nos objectifs stratégiques, transformer le pays à long terme, mieux utiliser nos investissements et piloter nos politiques publiques. La Caisse doit contribuer encore davantage au déploiement et à la maîtrise de cette technologie, en se fixant trois objectifs : tout d'abord, la protection de nos données stratégiques - les données des élèves dont les établissements utilisent le logiciel Pronote sont déjà protégées par La Poste, à qui il appartient ; il faut aller plus loin pour les données de santé - ; ensuite, la réduction de nos dépendances aux technologies étrangères, compte tenu du contexte géopolitique ; enfin, la maîtrise des infrastructures essentielles : les data centers, le cloud, les grands modèles d'intelligence artificielle. Nous devons maîtriser notre destin numérique, pour choisir des solutions plus éthiques, plus responsables, plus frugales.
Pour mener à bien ces chantiers, la Caisse des dépôts dispose de compétences humaines et de marges de manoeuvre financières. Je tiens à le mentionner, l'extension du groupe et la plus grande proximité avec les territoires ont été menées à un coût maîtrisé ; la commission de surveillance y veille. Ce sera aussi le cas pour les missions que nous allons accomplir dans les années à venir.
Fractures territoriales, cohésion sociale, transition énergétique, autonomie stratégique : tels sont les défis auxquels notre pays est confronté. La Caisse des dépôts contribuera à y répondre, comme elle le fait déjà, en accompagnant les mutations et en finançant les choix stratégiques que vous, parlementaires, ferez pour notre pays. Tel est mon engagement, ainsi que celui de l'équipe que j'aurai l'honneur de conduire, et de l'ensemble des collaborateurs de la Caisse des dépôts que je tiens, une fois encore, à saluer.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Nous vous accueillons avec plaisir au sein de notre commission des finances, dont vous connaissez bien la configuration, tant vos précédentes fonctions vous ont conduit à intervenir régulièrement devant nous.
Avant qu'il soit procédé au vote sur la proposition formulée par le Président de la République, je souhaite revenir sur un certain nombre de points que vous avez évoqués.
Le groupe a connu une croissance significative et soutenue de ses résultats ces dernières années. Dans le contexte macroéconomique actuel, marqué par un recul progressif de l'inflation, considérez-vous que cette tendance favorable est susceptible de se poursuivre ?
Par ailleurs, la situation de nos finances publiques est particulièrement préoccupante. Dans ce cadre, comment la Caisse entend-elle s'impliquer sur les sujets majeurs que sont la transition écologique et l'effort de défense ? Il ne s'agit évidemment pas pour elle de se substituer à l'action de l'État, mais bien d'examiner de quelle manière elle peut contribuer au besoin de financement de ces priorités.
Pourriez-vous nous indiquer l'état d'application de l'article 125 de la loi de finances pour 2025, qui prévoit une ponction de trésorerie à hauteur de 221 millions d'euros sur la trésorerie de la Caisse des dépôts et consignations dédiés au plan France 2030 en cours d'exercice? Ce prélèvement avait été voté à l'initiative du Sénat ; à ma connaissance, il n'a pas encore été réalisé. Pouvez-vous nous apporter des garanties sur sa mise en oeuvre ?
J'estime par ailleurs que le rôle d'investisseur de long terme que joue la Caisse s'inscrira de plus en plus dans une perspective européenne, qui implique nécessairement une coordination étroite avec nos partenaires continentaux. Comment appréhendez-vous ce travail de coopération ?
Dans le contexte d'élargissement des domaines d'intervention du groupe depuis 2017, comment comptez-vous renforcer la coordination et la cohérence des actions conduites par ses différentes entités ?
On constate, ces derniers mois, un renforcement de l'intervention de la Banque des territoires, notamment en tant que prêteur en urgence pour faire face aux catastrophes sociales ou climatiques, notamment à Mayotte ou en Nouvelle-Calédonie, territoires ultramarins dans lesquels les capitaux privés sont particulièrement réticents à s'engager. Ce rôle est-il, selon vous, destiné à s'affirmer durablement ? Et comment s'articule-t-il avec les interventions d'autres financeurs publics ?
La Banque des territoires couvre désormais un nombre croissant de collectivités. Comment entendez-vous maintenir, voire accélérer, l'accompagnement des collectivités territoriales ? Il me semble que les territoires ruraux doivent être davantage soutenus et accompagnés de manière plus souple. Cet accompagnement pourrait être renforcé au moyen de solutions de financement en faveur de l'implantation ou du maintien des services publics. J'évoque ici, au-delà de l'immobilier scolaire, la question cruciale des gendarmeries, notamment dans les zones rurales, où les modèles d'implantation peinent à s'appliquer.
Toujours sur la question territoriale, plusieurs filiales du groupe interviennent localement, notamment la Banque des territoires et La Poste. Jusqu'où estimez-vous possible d'améliorer la coordination de leurs actions, voire de mutualiser certains de leurs moyens, afin de faciliter le soutien aux projets locaux ?
Je souhaite aborder à présent un autre sujet qui intéresse particulièrement notre commission : celui de l'assurance des collectivités territoriales. Nous avons examiné ce matin, à partir du rapport de notre collègue Marie-Carole Ciuntu, une proposition de loi visant à garantir une solution d'assurance à l'ensemble des collectivités territoriales. Pourquoi CNP Assurances, filiale du groupe La Poste, ne s'engage-t-elle pas davantage sur ce marché ?
Vous avez évoqué dans vos réponses écrites votre préférence pour la création d'un fonds grand public dédié au financement de la BITD. Pourriez-vous nous en préciser les avantages ? En quoi ce véhicule vous paraît-il plus adapté qu'un produit d'épargne spécifique ?
S'agissant du logement, qui demeure au coeur de l'activité de la CDC et de CDC Habitat, notre pays connaît des difficultés structurelles. La Cour des comptes, dans un rapport de juin 2024, a souligné que vos objectifs en matière de production de logements neufs n'avaient pas été atteints. Quelle stratégie comptez-vous adopter pour répondre aux besoins non satisfaits de logements dans les territoires moins denses, notamment en zone rurale, où les modèles portés historiquement par les bailleurs sociaux semblent aujourd'hui à bout de souffle ? Existe-t-il, selon vous, un nouveau modèle d'intervention dans lequel la Caisse pourrait s'engager ?
M. Arnaud Bazin. - La commission de surveillance s'est régulièrement penchée sur la question des effectifs de l'établissement public. Vous avez justement rappelé l'ampleur du développement des activités de la Caisse. Nous avons noté que cette croissance pouvait se faire à effectifs constants, après une phase de montée en charge due, notamment, aux exigences accrues en matière de cybersécurité, dans le prolongement des observations formulées par les superviseurs. Estimez-vous que le dimensionnement actuel de vos équipes est désormais stabilisé et suffisant pour faire face aux missions que vous avez exposées ?
Par ailleurs, il n'existe pas de souveraineté industrielle sans souveraineté énergétique. La Caisse est susceptible d'intervenir tant pour le transport que pour la production d'électricité. Concernant le transport, Réseau de transport d'électricité (RTE) porte des projets représentant environ 100 milliards d'euros d'investissement. Ce sujet constitue-t-il, à vos yeux, une priorité ? En matière de production, la relance de la filière nucléaire implique également un effort de financement de l'ordre de 100 milliards d'euros. Si, demain, des arbitrages devaient être rendus entre plusieurs financements, considérez-vous que ces deux sujets - production et transport d'électricité - devraient être considérés comme prioritaires par la Caisse des dépôts ?
M. Grégory Blanc. - Des polémiques ont parfois émergé par le passé sur les choix d'investissement opérés par la Caisse, notamment s'agissant de la transparence. Vous n'avez pas abordé ce point dans votre intervention. Quelles sont vos orientations, à ce sujet, pour le mandat que vous sollicitez ?
Le troisième plan national d'adaptation au changement climatique (Pnacc) chiffre à 143 milliards d'euros le montant des dégâts liés aux catastrophes naturelles d'ici à 2050. Nous savons par ailleurs que le système assurantiel pourrait s'effondrer si le seuil des 2,5 degrés Celsius de réchauffement est franchi. Dans le même temps, l'inspection générale des finances (IGF) estime à 21 milliards d'euros le montant des investissements annuels que le secteur public local devrait engager chaque année d'ici 2030, et nous en sommes aujourd'hui très éloignés.
Votre prédécesseur affirmait que les collectivités locales disposaient encore d'une capacité d'emprunt significative pour faire face au mur d'investissements. Mais le Gouvernement rappelle, lui, que toute dette contractée par les collectivités alourdit mécaniquement le déficit public au sens des critères de Maastricht. Comment conciliez-vous ces deux réalités ? Envisagez-vous la création de véhicules de financement permettant de répondre aux besoins sans alourdir les comptes publics ?
Vous avez évoqué les enjeux de la gestion de l'eau et de la décarbonation, mais pas la dépollution, notamment en zone rurale. Or les besoins y sont importants, pour des capacités de financement souvent plus faibles. Comment abordez-vous cette problématique ?
M. Hervé Maurey. - Premièrement, dans un contexte budgétaire extrêmement contraint, existe-t-il un risque que l'État vous impose de nouvelles contributions ou missions ? Plus généralement, la Caisse pourrait-elle être amenée à jouer un rôle d'amortisseur pour compenser les impacts financiers subis par les collectivités territoriales ?
Deuxièmement, vous avez indiqué que des progrès considérables avaient été accomplis en termes de fracture numérique, ce qui est vrai. Toutefois, de nombreux sujets subsistent. La Cour des comptes a récemment souligné que les raccordements restants étaient les plus complexes et les plus coûteux. Le New Deal mobile, censé résoudre les problèmes de couverture, n'a pas tenu toutes ses promesses ; le Gouvernement a fait savoir qu'il ne comptait pas renouveler ce dispositif. Or dans mon département, l'Eure, des élus se tournent vers des solutions technologiques qui posent des problèmes de souveraineté - vous voyez, je pense, à quoi je fais allusion.
Troisièmement, la Banque des territoires n'est pas, en pratique, l'acteur proposant les offres de prêt les plus avantageuses pour les collectivités ; ne devrait-elle pas, au contraire, être systématiquement la banque la plus compétitive ?
Quatrièmement, l'amélioration thermique des bâtiments publics est très difficile à réaliser pour les collectivités dans le contexte budgétaire actuel. Avez-vous envisagé une solution de portage permettant aux collectivités de mener ces rénovations sans accroître leur endettement ?
M. Grégory Blanc a fait allusion à une récente émission télévisée qui a suggéré que les fonds issus du livret de développement durable et solidaire (LDDS) pouvaient être alloués à des secteurs peu vertueux en matière environnementale. Que répondez-vous à ces critiques sur le manque de transparence ?
M. Marc Laménie. - Le rôle de la Caisse des dépôts reste souvent mal connu dans l'opinion publique. Il importe de renforcer, sur ce point, les efforts de pédagogie et de communication. Quelles sont vos orientations en la matière ?
Concernant les effectifs et les moyens humains, comment s'organise aujourd'hui la répartition entre le siège et le terrain ? La question de la proximité est essentielle, notamment pour les élus locaux qui rencontrent des difficultés dans l'accès aux prêts proposés par la Banque des territoires. Quelles actions menez-vous pour renforcer votre présence de terrain et améliorer la fluidité du dialogue avec les collectivités territoriales ?
Nous avons voté le 27 mai dernier le projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte. Il prévoit des investissements de l'ordre de 3 milliards à 4 milliards d'euros, notamment pour l'eau potable et la construction d'écoles. Comment la Caisse des dépôts peut-elle articuler son action avec ces investissements ?
Enfin, vous avez évoqué un effort de 1,8 milliard d'euros dans le transport ferroviaire. Pourriez-vous préciser la répartition de cet investissement : s'agit-il de régénération du réseau, d'acquisition de matériel roulant ou d'autres interventions ?
Mme Christine Lavarde. - Dans le cadre du plan France 2030, la Caisse est amenée à lancer des appels à manifestation d'intérêt (AMI) sur des thématiques très diverses ; j'ai trouvé deux exemples sur votre site : l'un concerne le domaine agricole, il s'agit de l'AMI « Entrepreneurs du vivant », l'autre porte sur la culture et l'intelligence artificielle.
Comment la Caisse traite-t-elle ces AMI ? Dispose-t-elle des compétences nécessaires pour en assurer l'analyse et le suivi ? Recrute-t-elle des profils spécifiques ? Et surtout, cette organisation vous semble-t-elle durable ou conviendrait-il de la réinterroger, en limitant le rôle de la Caisse à celui de payeur, sans l'associer à l'instruction opérationnelle des projets ?
Dans le même esprit, si demain certaines subventions publiques étaient converties en prêts à taux zéro ou en prises de participation, la Caisse pourrait-elle devenir l'opérateur unique de l'État pour ce type d'outils ?
Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - Vous avez exprimé votre volonté de renforcer le soutien de la Caisse au financement de la BITD. À quelle hauteur entendez-vous vous engager, et selon quelles modalités concrètes ?
La Caisse a annoncé son intention de réduire sa participation au capital de Transdev. Cela suscite une certaine préoccupation. Certes, Transdev est un acteur très présent à l'échelle internationale, mais c'est aussi une entreprise rentable, qui contribue aux finances du groupe. Il est, selon moi, d'intérêt général de maintenir une forte présence publique dans le secteur des transports. Comment justifiez-vous ce désengagement partiel ?
Pourriez-vous nous dire un mot sur les conséquences que vous anticipez de l'essor de l'intelligence artificielle sur les métiers de la Caisse ?
M. Michel Canévet. - Vous avez évoqué l'accompagnement par la Caisse de projets de gigafactories. L'État n'est plus toujours en mesure de verser des subventions d'ampleur pour soutenir ces implantations. Dans ce contexte, la Caisse pourrait-elle prendre le relais en accordant des prêts, éventuellement garantis par l'État ? En a-t-elle la capacité financière et opérationnelle ?
M. Thierry Cozic. - Comment comptez-vous articuler vos priorités entre la rentabilité financière et votre mission de service public ?
Vous avez évoqué le rapprochement avec La Poste, ainsi que les enjeux de transition écologique et de souveraineté industrielle. Quels seront, selon vous, les grands axes d'investissement de la Caisse dans les prochaines années ?
M. Albéric de Montgolfier. - À de nombreuses reprises au cours des vingt dernières années, j'ai tenté de monter des projets avec votre établissement et je n'y suis jamais parvenu. La raison est simple : la Caisse met du temps à réagir, davantage que les établissements bancaires... Obtenir un rendez-vous relève souvent du parcours du combattant.
Partagez-vous ce constat ? Existe-t-il des marges d'amélioration ?
Mme Marie-Carole Ciuntu. - Un changement de politique est-il en cours au sein de la Caisse concernant le secteur des maisons de retraite ? Envisagez-vous de vous désengager de ce domaine ?
M. Jean-Baptiste Blanc. - Comment améliorer la coordination entre les différents programmes déployés par l'Agence nationale de l'habitat (Anah), l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) ou l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) ? On sait qu'ils peuvent entrer en concurrence...
Comment la Caisse pourrait-elle accompagner les collectivités territoriales dans le financement de l'objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) ?
M. Olivier Sichel. - La Caisse des dépôts a prouvé sa résilience ces dernières années ; elle a su traverser la crise du covid comme la remontée brusque de l'inflation. Je suis confiant dans notre capacité à gérer le contexte macroéconomique actuel. Le risque aurait pu se présenter au cours des six mois d'intérim, où il y a souvent des accidents, alors même que nous étions confrontés à la « pentification » des taux obligataires à la suite de l'arrivée à la Maison blanche de Donald Trump ; or je puis d'ores et déjà vous dire que l'année 2025 sera bonne, car nous avons déjà réalisé 80 % de notre programme de plus-value.
Sur la transition écologique, nous proposons des financements de long terme à des taux très attractifs, à savoir le taux du livret A plus 0,4 point, soit 2,8 %, alors que l'État émet aujourd'hui à dix ans à 3,65 %.
En revanche, nous ne cherchons pas à être concurrentiels sur les financements de court terme : c'est le rôle des banques privées, du Crédit Agricole, de Banque populaire ou encore de la Caisse d'épargne. D'ailleurs, nous nous concentrons sur le financement de l'investissement de long terme, pas sur les besoins budgétaires courants.
Concernant la dette des collectivités locales, je vais défendre une position forte : elles ne sont pas responsables du niveau de la dette publique française. Les collectivités représentent seulement 8 % des 3 300 milliards d'euros de dette publique et leur endettement n'a progressé que de 1,7 % l'an dernier. Je fais entièrement confiance aux élus locaux pour prendre les bonnes décisions, parce qu'ils le font dans la proximité.
Monsieur de Montgolfier, la Banque des territoires a augmenté son activité de prêt de 12 milliards à 28 milliards d'euros, et ses investissements de 1,8 milliard à 8 milliards d'euros, preuve de notre réactivité. Bien sûr, certaines équipes peuvent être moins performantes, surchargées ou réagir un peu moins bien, mais nous y veillons.
La Banque des territoires est organisée pour être plus présente sur le terrain, auprès des élus, qu'au siège.
Monsieur Bazin, à effectifs constants, nous pouvons répondre à nos missions, sauf si de nouveaux grands mandats nous sont confiés, comme sur les retraites ou dans le cadre d'une réorganisation de la gestion du plan France 2030, évoquée par Mme Lavarde. Notre effectif est restreint, quelque 6 000 personnes, pour 1 400 milliards d'euros d'actifs. D'ailleurs, la commission de surveillance nous incite fortement à la performance opérationnelle.
Madame Carrère-Gée, l'intelligence artificielle nous permettra de gagner en efficacité opérationnelle, notamment pour rédiger des rapports et renforcer la lutte contre la fraude, par exemple pour Mon Compte Formation.
Les prêts en urgence sont malheureusement appelés à se développer en raison du changement climatique, et je pense aux événements qui ont eu lieu, hier encore, dans la Loire, au grand dam des agriculteurs. Nous avons créé un prêt catastrophes naturelles à destination des collectivités territoriales pour financer en urgence la reconstruction d'équipements publics endommagés.
S'agissant des participations du groupe, nous appliquons trois critères : l'intérêt général, l'intérêt social et l'intérêt patrimonial. Transdev - je pourrais aussi citer l'exemple d'Egis - réalise plus de 70 % de son chiffre d'affaires à l'étranger, avec 30 000 chauffeurs de bus aux États-Unis : est-ce que la Caisse doit continuer à financer un tel développement ? Nous ne le pensons pas, c'est pourquoi nous avons cédé la majorité à notre partenaire allemand Rethmann, tout en conservant 34 % du capital. Nous continuons à siéger au conseil d'administration de Transdev et je suis très attentif aux contrats signés avec l'Île-de-France et à l'ouverture à la concurrence de la ligne Nice-Marseille.
Les sommes ainsi dégagées peuvent être redéployées sur des secteurs prioritaires, comme celui des Ehpad. Compte tenu des enjeux liés au vieillissement de la population et face au risque de dépeçage d'Orpea par des hedge funds, nous sommes entrés au capital pour moraliser les pratiques, à partir de standards élevés dans la formation et l'encadrement. En parallèle, nous investissons 4 milliards d'euros dans les Ehpad publics et soutenons un modèle associatif avec Arpavie et le Groupe SOS.
Le soutien au monde rural est l'une de mes grandes préoccupations. Des discussions que j'ai avec les élus, je retiens que le premier besoin est l'ingénierie et le conseil. Nous avons mis en place le dispositif Rural Consult, qui dispense 6 000 conseils par an aux communes de moins de 5 000 habitants et aux intercommunalités de moins de 50 000 habitants. Nous avons aussi soutenu la création, par Dominique Faure, de l'Institut des hautes études des mondes ruraux. Quant au logement en milieu rural, nous déployons une centaine de foncières, adaptées à chaque territoire, comme BreizhCité en Bretagne ou celle qui est née dans le Territoire de Belfort sur une friche d'Alstom.
L'assurance des collectivités pourrait être explorée au travers de CNP Assurances, qui fait partie du groupe. Mais cette entité reste aujourd'hui spécialisée dans l'assurance de personnes et n'intervient que marginalement en assurance dommages.
S'agissant de la défense, Bpifrance lèvera deux fonds : un pour financer la BITD, auquel nous contribuerons ; un second ouvert au grand public. Bpifrance est l'institution la mieux armée, si je puis dire, pour jouer le rôle d'actionnaire des entreprises. En revanche, la Banque des territoires financera les infrastructures de défense, comme les logements de gendarmes, via des financements innovants, en recourant aux bailleurs sociaux, afin qu'ils ne pèsent pas sur le financement des collectivités.
En matière de dépollution, nous investissons dans les fonds Ginkgo et Brownfields ; nous menons de grandes opérations de dépollution.
Sur le ferroviaire, nous avons financé plus de 500 rames via des structures d'achat régionales déconsolidantes, comme nous l'avons fait avec les régions Grand Est, Hauts-de-France, etc. Ainsi, une structure acquiert des matériels ferroviaires, s'endette et les met à disposition de l'opérateur, le plus souvent la SNCF.
La mission de service public de La Poste repose sur quatre axes : l'accessibilité bancaire ; l'aménagement du territoire - ce sont les 17 000 points de présence, auxquels je suis très attaché - ; le service postal universel ; et la distribution de la presse - le fardeau est un peu lourd pour les postiers, à mon sens, si bien qu'il faut imaginer une nouvelle répartition de cette tâche, d'autant plus qu'elle se digitalise. Comme vous l'a sans doute déjà expliqué Philippe Wahl, ces missions sont sous-compensées et ont donc coûté 1,2 milliard d'euros, dont 475 millions d'euros pour la seule presse.
Sur la transparence : selon moi, nous avons un bon niveau de transparence. Nous indiquons les entreprises dans lesquelles nous investissons. Nous publions chaque année nos votes en assemblées générales, soit 8 000 votes : notre taux de contestation s'élève à 30 % et notre taux de contestation sur les rémunérations des dirigeants atteint 72 %. Nous sommes un actionnaire exigeant. Les accusations de Reclaim Finance comportaient des inexactitudes majeures ; je les conteste. Il est plus simple de faire un scandale sur une chasse à courre dans une forêt, qui n'est d'ailleurs pas dans le fonds d'épargne, que d'analyser les 28 milliards d'euros que nous avons mis en oeuvre... Nous avons un très bon niveau de transparence ; la Caisse est fortement engagée en faveur de la cause environnementale. Nous avons un dialogue exigeant avec les entreprises ; nous avons d'ailleurs publié une doctrine en la matière.
Sur le numérique, j'assume un engagement fort. Après avoir dirigé Alapage.com et Wanadoo, je milite pour un numérique européen, humaniste, opposé aux logiques transhumanistes. C'est le sens de notre soutien au cloud souverain via Numspot et à l'intelligence artificielle française avec Mistral. Nous n'utilisons pas OpenAI. La localisation des données et la maîtrise des infrastructures sont cruciales. La Caisse doit être exemplaire en ce domaine, dans ses achats comme dans ses usages.
M. Claude Raynal, président. - Je me permets de rappeler que les thématiques que vous avez abordées relèvent, à l'échelle gouvernementale, de la compétence d'une dizaine de ministres. C'est dire l'ampleur des secteurs couverts et la diversité des questionnements suscités. Cette situation illustre pleinement l'envergure désormais atteinte par le groupe Caisse des dépôts. Je vous remercie de votre présentation, monsieur Sichel.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Vote sur la proposition de nomination, par le président de la République, de M. Olivier Sichel aux fonctions de directeur général de la Caisse des dépôts et consignations
La commission procède au vote sur la proposition de nomination de M. Olivier Sichel aux fonctions de directeur général de la Caisse des dépôts et consignations.
Puis la commission des finances du Sénat procède au dépouillement, simultanément à celui de la commission des finances de l'Assemblée nationale, en présence de M. Claude Raynal, président, ainsi que de Mme Marie-Carole Ciuntu et M. Marc Laménie, secrétaires en leur qualité de scrutateurs.
Le résultat du vote, qui sera agrégé à celui de la commission des finances de l'Assemblée nationale, est le suivant :
Nombre de votants : 24, Blancs : 2, Pour : 22, Contre : 0.
La réunion est close à 12 h 30.