- Mardi 14 octobre 2025
- Mercredi 15 octobre 2025
- Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à garantir un cadre fiscal stable, juste et lisible pour nos micro-entrepreneurs et nos petites entreprises - Examen du rapport et du texte de la commission
- Proposition de loi pour la sécurisation juridique des structures économiques face aux risques de blanchiment - Désignation d'un rapporteur
- Projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales - Demande de saisine pour avis et désignation d'un rapporteur
- Projet de loi de finances pour 2026 et projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026 - Audition de M. Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques, sur l'avis du Haut Conseil
- Projet de loi de finances pour 2026 - Audition de M. Roland Lescure, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, et Mme Amélie de Montchalin, ministre de l'action et des comptes publics
Mardi 14 octobre 2025
- Présidence de M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, Mme Muriel Jourda, présidente de la commission des lois, et M. Claude Raynal, président de la commission des finances -
La réunion est ouverte à 18 h 05.
Rapport au parlement sur les jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 - Audition de M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Je remercie d'abord M. Pierre Moscovici d'avoir accepté notre invitation, à la suite de la publication du rapport de la Cour des comptes sur l'organisation, le coût et l'héritage des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. Ce rapport était demandé à la Cour par l'article 20 de la loi du 19 mai 2023, disposition introduite sur l'initiative de notre commission de la culture, sous l'impulsion de son rapporteur Claude Kern. Le rapport de la Cour des comptes vient, par conséquent, compléter le suivi parlementaire attentif que nous avons exercé tout au long de la préparation des Jeux, notamment dans le cadre des auditions réalisées régulièrement par Claude Kern et Jean-Jacques Lozach.
Ces Jeux ont constitué une réussite historique : une réussite sportive, bien sûr, mais aussi une réussite pour l'image de la France et son rayonnement.
Dans son rapport, la Cour des comptes souligne des points forts majeurs : si les dépenses d'organisation ont été élevées - 3 milliards d'euros environ, dont une part significative consacrée à la sécurité -, elles sont restées globalement maîtrisées ; les infrastructures ont été livrées dans les délais ; enfin, l'organisation logistique et la coordination ont été efficaces. Le rapport met aussi en avant l'apport du programme « Ambition Bleue » à la performance de l'équipe de France. La France a ainsi globalement démontré sa capacité à organiser un événement mondial sans défaillance majeure.
Le rapport souligne toutefois aussi des points faibles, notamment une traçabilité incomplète des coûts et un impact économique modeste, probablement non durable. Le bilan environnemental de l'événement est interrogé, de même que son bilan pour la pratique sportive. Enfin, l'héritage paraît limité sur le plan social, s'agissant de l'accessibilité ou de la valorisation du bénévolat. Vous nous préciserez ces points.
Ce bilan d'ensemble était indispensable. Il sera complété en 2026 par la Cour, au terme d'études encore en cours. Mais, au-delà du bilan, ce rapport doit nous permettre de mieux préparer les Jeux d'hiver de 2030. Nous serons particulièrement attentifs à vos propos à ce sujet. Ce retour d'expérience est d'autant plus précieux que les délais d'organisation de l'olympiade d'hiver française sont courts.
Je remercie la présidente Muriel Jourda et le président Claude Raynal de leur présence aujourd'hui et je leur laisse maintenant la parole pour compléter cette introduction.
Mme Muriel Jourda, présidente de la commission des lois. - Je voudrais tout d'abord m'associer aux remerciements du président Lafon ; votre présence aujourd'hui vous permettra de nous présenter, non pas votre dernier rapport, mais bien vos quatre derniers rapports sur le bilan des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. La commission des lois en a pris connaissance avec un intérêt tout particulier.
Comme vous et comme la plupart des commissions du Sénat, nous avons eu à débattre à de nombreuses reprises de l'organisation et du bilan des Jeux de 2024. Cela a notamment été le cas lors de l'examen de la loi du 19 mai 2023, dont le rapporteur était Agnès Canayer. Nous avons également fait un usage approfondi de nos prérogatives de contrôle, en amont comme en aval des Jeux. Agnès Canayer et Marie-Pierre de La Gontrie ont ainsi rendu un rapport d'étape transpartisan sur la sécurisation des événements cent jours avant la cérémonie d'ouverture. Enfin, Marie-Pierre de La Gontrie et Françoise Dumont ont, en février 2025, rendu un nouveau rapport d'information évaluant deux aspects précis de la sécurisation des Jeux : l'expérimentation de la vidéoprotection algorithmique et la mobilisation du secteur de la sécurité privée. Nous avons donc été loin d'être inactifs en la matière !
Je crois que nous pouvons nous satisfaire de la convergence générale de nos conclusions. Si je m'en tiens au périmètre de compétence de la commission des lois, la sécurisation des jeux Olympiques et Paralympiques a été dans l'ensemble un grand succès, malgré les doutes qui ont pu poindre en amont de l'événement. Le titre du rapport de Mmes Canayer et de La Gontrie appelait à « gagner la médaille d'or de la sécurisation des jeux Olympiques et Paralympiques ». Cette mission a été accomplie, grâce à un engagement sans faille des services de l'État et des collectivités impliquées, que je tiens ici à saluer. Cela ne signifie pas pour autant que nous ne disposions pas de marges d'améliorations - j'y reviendrai.
Nous avons pris connaissance de vos conclusions avec un intérêt particulier parce que les cérémonies de clôture parisiennes de l'été 2024 sont loin d'avoir sonné la fin de l'histoire olympique en France. Nous accueillerons dès 2030 les Jeux d'hiver dans les Alpes françaises et, là encore, la commission des lois et le Sénat se sont déjà emparés du sujet. Notre assemblée a examiné en juin le projet de loi relatif à l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2030 qui comprend, sur le modèle parisien, une série d'adaptations temporaires de notre cadre légal nécessaires à la bonne organisation des épreuves olympiques. Il prévoit par ailleurs plusieurs dispositifs inédits et permanents, en particulier s'agissant de la sécurisation des grands événements. Le rapporteur de ce texte pour notre commission est Jean-Michel Arnaud, dont le département - les Hautes-Alpes - est concerné au premier chef par l'organisation de cet événement d'ampleur mondiale.
Les conclusions de vos travaux sont donc précieuses. Elles pourront utilement contribuer aux débats dans la suite de la navette, le calendrier de celle-ci restant toutefois à définir.
Ce tour d'horizon étant fait, je souhaite vous poser trois questions d'ordre général. Je ne doute pas que les rapporteurs que j'ai nommés viendront ensuite vous interroger.
Dans votre rapport thématique sur la sécurisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, vous identifiez plusieurs enseignements à retenir pour l'avenir. Vous citez par exemple certaines difficultés au démarrage rencontrées par la préfecture de police pour gérer l'afflux massif de renforts sur la période estivale, une faible intégration des polices municipales dans le dispositif, ou encore des déficits capacitaires pour la lutte anti-drone ou la détection d'explosifs. Pourriez-vous nous exposer en détail ces différents points ?
Sur les Jeux de 2030 ensuite, nous avons approuvé cet été plusieurs adaptations temporaires de notre cadre légal pour assurer leur bon déroulement. Avez-vous identifié au cours de vos travaux d'autres points de blocage qu'il serait nécessaire de lever pour garantir notre capacité à tenir les délais d'organisation de cet événement d'autant plus complexe qu'il est éclaté dans deux régions hôtes et quatre départements des Alpes françaises ? Je pense notamment à la question délicate de l'application des règles d'urbanisme vis-à-vis de la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo) ?
Vous êtes ensuite directement concerné par deux articles du projet de loi, les articles 8 et 8 bis. Le premier consacre votre compétence pour contrôler les personnes morales publiques comme privées concourant à l'organisation des Jeux tandis que le second prévoit la remise d'un rapport d'évaluation à l'issue des Jeux. Pourriez-vous, dans la mesure du possible, nous détailler la place que vous comptez accorder aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2030 dans votre programme de contrôle ?
Je vous remercie par avance et je cède la parole à mon collègue président de la commission des finances.
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. - En tant que président de la commission des finances, je dirais que les jeux Olympiques et Paralympiques doivent avant tout être regardés sous l'angle du sport, des performances et des valeurs du sport. Pour que cet événement soit réussi, il était impératif d'assurer la sécurité des sportifs et du public. Évidemment, tout cela devait être permis dans le respect des finances publiques et de l'enveloppe prévue. La Cour des comptes a évalué le coût total des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 à 6,65 milliards d'euros. Si ce chiffre peut paraître important, vous prenez soin de préciser qu'il reste mesuré par rapport à d'autres éditions des Jeux - ceux de Londres auraient coûté 14,6 milliards en euros courants, bien qu'il soit toujours difficile de faire des comparaisons directes entre ce type d'événements.
Vous indiquez par ailleurs que le dépassement des coûts par rapport aux prévisions est resté mesuré. Le budget du Comité d'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques (Cojop) est d'ailleurs en excédent de 75,5 millions d'euros, ce qui écarte tout scénario de mobilisation de la garantie de l'État. Je m'en réjouis, la commission des finances ayant alerté à plusieurs reprises sur ce risque.
Reste tout de même que les dépenses de sécurité ont dépassé de plus d'un milliard d'euros le montant annoncé lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2024, passant ainsi de 200 millions d'euros à près de 1,5 milliard d'euros pour le budget de l'État ! Et votre rapport souligne qu'aucune véritable analyse des coûts n'avait en réalité été menée avant l'adoption de la loi de finances, ce qui est regrettable et avait déjà été mis en lumière par notre collègue Bruno Belin lors de la présentation de son rapport sur la mission « Sécurités » du budget pour 2025.
Je voudrais également saluer le rapporteur de la mission « Sport, jeunesse et vie associative », Éric Jeansannetas qui, tous les ans à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances, nous a présenté l'avancée du projet. Monsieur le Premier président, je vous donne la parole pour que vous puissiez nous présenter vos travaux particulièrement riches.
M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. - Merci de m'avoir convié pour vous faire part des principales conclusions de nos rapports relatifs au premier bilan des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. Ces travaux répondent à une commande du Parlement, inscrite, sur l'initiative du Sénat, dans la loi du 19 mai 2023, selon laquelle la Cour devait remettre au Parlement, avant le 1er octobre 2025, un rapport sur l'organisation, le coût, l'héritage des Jeux, sur les dépenses engagées par l'État et les collectivités territoriales à cette occasion, sur les recettes engendrées et sur les exonérations fiscales dont a bénéficié l'organisateur des Jeux. Il nous a aussi été demandé d'établir un bilan du recours aux bénévoles et une évaluation de la qualité de l'accueil des sportifs et des spectateurs en situation de handicap.
Avant de vous présenter nos principales conclusions, je rappelle notre méthode, qui a consisté à conduire des contrôles in itinere, c'est-à-dire tout au long de la préparation des Jeux. Depuis 2019, la Cour des comptes agit aux côtés des chambres régionales des comptes d'Île-de-France et de Provence-Alpes-Côte d'Azur. Du fait de la participation de nombreuses collectivités locales à l'organisation des Jeux, il n'était pas concevable que la Cour ne recoure pas aux chambres régionales.
Entre 2020 et 2023, le Sénat a réalisé un travail impressionnant, mais la Cour, de son côté, a fait un très gros investissement, puisque les juridictions financières ont conduit 17 contrôles, avec deux rapports transmis au Parlement, déjà, en 2022 et 2023, conformément aux dispositions de la loi olympique du 26 mars 2018. Ces rapports ont abouti à une centaine de recommandations, dont une très large part a été mise en oeuvre par les services de l'État, les collectivités territoriales concernées, le Cojop et la Solideo. On peut toujours se demander à quoi servent les rapports. En l'occurrence, ce travail a été très utile parce qu'il a permis d'identifier en amont un certain nombre de fragilités et d'y remédier, ce qui a sans doute contribué au succès des Jeux. Envisager un tel dispositif pour les Jeux d'hiver de 2030 est une bonne chose. Le projet de loi prévoit la remise d'un rapport au Parlement en 2028, ce qui veut dire qu'en réalité, la Cour des comptes et les chambres régionales des comptes se mettront au travail dès 2026.
Je tiens à souligner l'importance de ce travail d'accompagnement, qui prend d'autant plus de sens dans un contexte où l'impact de l'organisation de grands événements sportifs internationaux sur nos finances publiques peut faire débat.
Je veux remercier les équipes de la Cour des comptes. Ce travail collectif, animé par le président de la troisième chambre, Nacer Meddah, nous a énormément mobilisés et a passionné les équipes.
J'en viens au bilan des Jeux. La Cour a déjà produit, le 23 juin dernier, une première estimation du montant des dépenses publiques liées aux Jeux. Je m'étais, en effet, engagé à la faire connaître rapidement aux Français. Après tout, ce sont eux qui s'acquittent de ce coût. Il fallait commencer ce travail méthodologique de recensement des dépenses et contribuer au débat public. Cette fois-ci, les chiffres sont consolidés. Les juridictions financières se sont très fortement mobilisées. Ce travail se nourrit de trois autres rapports publiés le même jour, le 29 septembre, sur les transports et les mobilités durant les Jeux, sur la sécurité et sur la Solideo. Au-delà de ces rapports, les chambres régionales des comptes ont engagé pas moins de 15 contrôles auprès des principales collectivités territoriales concernées par les Jeux, soit 15 rapports de plus, qui devraient être publiés en novembre. Nous n'en restons pas là, puisque la Cour est en train d'achever un rapport relatif au Cojop, qui sera publié début 2026. Un second rapport de bilan sera enfin publié au premier semestre 2026 afin de mettre à jour les constats et d'examiner plus en détail la question de l'héritage, sur laquelle il nous faut attendre sans doute quelques mois. Il est d'ailleurs vraisemblable qu'au-delà même de ce rapport, nous abordions l'héritage des Jeux via le contrôle des collectivités territoriales concernées, dans les années à venir. Vous le voyez, la Cour a fourni, fournit et fournira un très gros travail sur cet événement.
J'en viens maintenant aux principaux messages du rapport, qui dresse un premier bilan de l'organisation des Jeux, mais qui en tire aussi des recommandations pour l'avenir. Il peut paraître paradoxal de formuler de telles recommandations alors que les Jeux de 2024 sont derrière nous, mais les Jeux d'hiver 2030 se profilent déjà à l'horizon. Les Jeux parisiens constituent une exceptionnelle réserve d'expérience sur laquelle il faudra s'appuyer. Nos constats et recommandations pourront servir à l'organisation d'autres grands événements sportifs internationaux dans notre pays.
Notre premier message est celui de l'incontestable réussite des Jeux au regard des objectifs des organisateurs. Les Jeux ont témoigné, bien au-delà de nos frontières, du savoir-faire français en matière d'organisation de grands événements sportifs. Les installations et les équipements ont été livrés sans retard. Les compétitions se sont déroulées de façon très satisfaisante. Les infrastructures ont été à la hauteur du défi. Le déploiement massif de forces de l'ordre a permis d'éviter tout incident. C'est un succès collectif qui a fait incontestablement rayonner notre pays dans le monde entier. Jusqu'à cinq milliards de téléspectateurs ont suivi l'événement : c'est un record. Pour notre pays aussi, les Jeux ont été une source de fierté, d'engouement populaire. Ils ont démontré nos capacités à mener à bien un projet d'envergure internationale : quand nous voulons, nous pouvons. Ils ont aussi été un beau succès pour le sport de haut niveau français. Enfin, les avancées sont notables sur les aspects sociaux de durabilité et d'accessibilité que la candidature de Paris avait mis en avant. Ayant dit cela, je pourrais presque m'arrêter, mais j'apporterai ensuite précisions et nuances.
Notre deuxième message concerne les dépenses publiques et le bilan économique des Jeux : une forte mobilisation des finances publiques ; une absence de dérapage malgré des erreurs de prévision notables ; un impact économique encore modeste à ce stade.
Le premier point concerne la forte mobilisation des finances publiques. Nous parvenons à un montant total de 6,6 milliards d'euros, composé de 3 milliards d'euros pour les dépenses d'organisation et de 3,6 milliards d'euros pour les dépenses d'infrastructures. La note d'étape de juin mentionnait 2,8 milliards d'euros et 3,2 milliards d'euros. Nous avons dû actualiser les montants en prenant en compte les dépenses des collectivités territoriales. Ces deux catégories de dépenses - organisation et infrastructures - sont très différentes. Les premières ont un impact ponctuel, lié au déroulement des Jeux, alors que les secondes ont un effet durable, en venant accroître le patrimoine de la Nation. Elles sont un investissement pérenne. Ces montants ont été revus à la hausse pour tenir compte des dépenses des collectivités identifiées depuis juin par les chambres régionales des comptes, mais aussi d'une première estimation du coût des actions engagées pour assurer la baignabilité de la Seine. Dans notre note de juin, nous avions provisoirement décidé de ne comptabiliser aucune des dépenses du plan baignade. En effet, il était alors très difficile, méthodologiquement, de faire la distinction entre les dépenses imputables à l'événement et celles qui correspondaient à la mise en conformité de notre pays avec deux directives européennes sur la qualité de l'eau. Un montant d'environ 200 millions d'euros, sur le milliard d'euros de dépenses engagées dans le cadre du plan baignade, avait été identifié. Il s'agissait des travaux réalisés en vue des Jeux ainsi que des coûts d'accélération liés. L'instruction complémentaire conduite auprès de la Ville de Paris par la chambre régionale des comptes d'Île-de-France permet de porter ce montant, toujours provisoire, à 331 millions d'euros.
Face à ces dépenses, les recettes publiques générées par l'organisation des Jeux s'élèvent à 294 millions d'euros. Elles sont composées de 83 millions d'euros de recettes de TVA perçues sur les activités du Cojop et de 196 millions d'euros issus de l'activité des services publics mobilisés pour les Jeux, c'est-à-dire Île-de-France Mobilités et France Télévisions. En réponse à l'interrogation du Parlement sur la fiscalité dérogatoire portant sur les revenus générés par les grands événements sportifs, nous évaluons les dépenses fiscales à 250 millions d'euros pour les Jeux. Toutefois, ce n'est qu'une estimation, faute de chiffrage établi par l'administration, malgré une demande de la Cour de 2021. Je réitère fermement cette demande : l'administration doit procéder sans délai à une évaluation des dépenses et recettes fiscales engendrées par les Jeux. Il n'est pas normal d'attendre cinq ans pour connaître ce chiffre, et encore, approximativement.
Ces estimations ont été réalisées selon la même méthodologie que dans la note d'étape, c'est-à-dire une approche élargie des dépenses liées aux Jeux. Ont été comptées les dépenses contribuant à la réussite des Jeux, sans qu'elles conditionnent strictement leur tenue. La Cour a aussi considéré qu'il fallait intégrer les actions des pouvoirs publics au bénéfice des populations dans une logique d'héritage, notamment les opérations d'aménagement urbain autour du village olympique et du village des médias. Je sais que cette approche n'a pas toujours été admise par nos interlocuteurs, qui voulaient absolument vendre la thèse selon laquelle les Jeux finançaient les Jeux. Non, les Jeux ne financent pas les Jeux : ces opérations ne sont pas totalement autoportées, ce n'est pas anormal de le dire et je ne vois pas pourquoi on s'obstine à vouloir imposer cette lecture. Notre méthodologie est rigoureuse et totalement justifiée. Elle répond d'abord à la commande du Parlement. Elle est cohérente avec le dossier de candidature. Elle répond au souhait exprimé par le Comité international olympique (CIO) d'un héritage. Il faut un bilan global des coûts : c'est aussi simple que cela.
Ensuite, il est nécessaire de distinguer le bilan du Cojop de celui des Jeux. Dans sa réponse, M. Estanguet critiquait vivement la Cour, mais en réalité, il se concentrait sur le Cojop, association chargée par le CIO de livrer les compétitions sportives. Ses financements étaient pour l'essentiel d'ordre privé, principalement issus du CIO, du mécénat et de la vente de billets. L'État n'a apporté au Cojop que 6 % de ses ressources, essentiellement pour financer les jeux Paralympiques. Honnêtement, la gestion du Cojop a été un beau succès, qui s'est traduit par un résultat excédentaire de 76 millions d'euros, grâce à la réussite de la billetterie et des levées de fonds. Cette somme a vocation à financer des actions contribuant au développement du sport et libère l'État de tout risque d'appel de sa garantie. Mais les dépenses du Cojop ne représentent qu'une portion réduite des dépenses réalisées à l'occasion des Jeux. Il a fallu que l'État, les collectivités et les entreprises publiques se mobilisent massivement, pour la sécurité en dehors des sites, à hauteur de 1,4 milliard d'euros, ou pour les transports, qui ont coûté 570 millions d'euros au titre de l'organisation des Jeux. En vérité, les dépenses d'organisation n'ont jamais été couvertes par les recettes résultant des Jeux, ni à Paris, ni à Londres, ni à Athènes.
Les dépenses d'infrastructures, que nous estimons à 3,6 milliards d'euros, généreront dans l'avenir des flux économiques et dégageront des externalités positives. C'est du patrimoine utile. Elles produiront aussi, pour les acteurs publics, des recettes ou des dépenses d'entretien par exemple. Ces flux-là ne sont pas évaluables à date. Il sera utile d'y revenir dans quelques années dans le cadre des contrôles futurs de ces infrastructures.
Le deuxième point est l'absence de dérapage ou de dérive budgétaire. Nous estimons que le coût des Jeux a été contenu, malgré la forte mobilisation des finances publiques. Les Jeux de Paris ont été environ deux fois moins coûteux que les Jeux de Londres. Évidemment, ce n'était pas tout à fait les mêmes Jeux, puisque ceux de Paris ont été installés au centre de la ville dans des infrastructures déjà existantes alors que ceux de Londres ont créé une nouvelle partie de la ville. Les dépenses d'infrastructures supervisées par la Solideo ont été globalement conformes aux prévisions, ce qui est plutôt une réussite. Il en va de même pour les investissements dans les transports. Il faut toutefois noter les mesures salariales significatives accordées par les opérateurs de transport pour assurer la mobilisation de leurs équipes.
Le bilan diffère sur un point : la sécurité. Le coût, élevé, a longtemps été sous-estimé. Les dépenses en la matière ont atteint 1,7 milliard d'euros, en raison de choix politiques. Organiser des Jeux au coeur de Paris, ville la plus dense d'Europe, imposait la présence massive des forces de sécurité. L'État est aussi intervenu avec vigueur et succès pour structurer le secteur de la sécurité privée afin d'éviter toute défaillance qui, comme à Londres, aurait nécessité une sorte de substitution par les forces de l'ordre et les militaires. L'État s'est fixé des objectifs et s'est donné les moyens de les atteindre. Ce n'est pas une dérive des coûts, mais une absence de prévision qu'il faut souligner. Le ministère de l'intérieur et le ministère des armées n'avaient tout simplement pas établi de prévision du coût de la sécurité et comptaient sur un hypothétique remboursement a posteriori. En 2023, le ministère de l'intérieur communiquait sur un coût de 200 millions d'euros, puis a évoqué 500 millions. Finalement, ce coût s'élève à 1,7 milliard d'euros. Si les montants en dépenses ne sont pas en soi excessifs au regard des objectifs, la Cour considère qu'il est anormal de ne pas anticiper le coût d'un tel événement. Cette leçon doit valoir pour l'avenir.
Outre cette prévision initiale défaillante, les dépenses de sécurité ont été marquées par une politique indemnitaire très avantageuse. Les dépenses de personnel ont atteint 679 millions d'euros. Le ministère de l'intérieur a dérogé à la circulaire du Premier ministre et a offert une prime plus favorable à ses agents, avec des conditions d'attribution très larges. Au total, un gardien de la paix a bénéficié en moyenne d'une hausse de son salaire de 10 % en 2024 par rapport à 2023. Ceci a d'ailleurs entraîné des effets reconventionnels sur d'autres administrations pour 30 millions d'euros. À l'avenir, dans de telles circonstances, une approche plus coordonnée et plus maîtrisée des politiques de primes mériterait d'être assurée au sein de la sphère publique. Il y a donc incontestablement des marges d'amélioration dans la perspective des Jeux de 2030.
Le troisième point est le bilan économique des Jeux. Leur impact sur l'économie française a été limité à court terme. D'une part, l'effet des dépenses publiques d'infrastructures engagées pendant la phase de préparation des Jeux a été atténué par la hausse des prix. D'autre part, l'effet direct sur le PIB a été réduit par des effets d'éviction, notamment en matière de tourisme. Ainsi, l'impact des Jeux sur la croissance économique annuelle en 2024 a été estimé par la Cour à + 0,07 point de PIB, donc moins de 0,1 point de PIB. Ce n'est pas anormal : l'année des Jeux est généralement mauvaise pour le tourisme, mais ce secteur connaît ensuite un rattrapage. L'année 2025 a sans doute été bonne - on attend le bilan. C'est encore difficile à anticiper. Dans les années à venir, il sera utile d'évaluer les flux économiques, les externalités positives, mais aussi les dépenses d'entretien générées par les 3,6 milliards d'euros de dépenses d'infrastructures.
Le troisième message que nous adressons, dont il faudra sans doute tenir compte pour les jeux Olympiques et Paralympiques d'hiver de 2030, concerne la gouvernance de ces Jeux de Paris 2024. Celle-ci s'est révélée adaptée à leur préparation : la Cour souligne le succès des actions de coordination pilotées par l'État, dans le respect des attributions des multiples acteurs concernés et sans bouleversement institutionnel.
Cela n'était pas gagné d'avance. Par exemple, la maîtrise d'ouvrage des infrastructures pérennes était répartie entre trente-trois maîtres d'ouvrage, mais elle a été assurée sous la seule supervision de la Solideo. Cette dernière est parvenue - c'est un exploit - à faire travailler ces différents maîtres d'ouvrage de manière assez fluide, à faire respecter les délais et les enveloppes budgétaires. Par ailleurs, le délégué interministériel aux jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 (Dijop) s'est acquitté efficacement de sa mission. De la même façon, le comité stratégique des mobilités a joué un rôle décisif dans le pilotage du volet « transports ».
De nombreux retours d'expérience ont nourri une démarche que je qualifierai de « relativement pragmatique ». Les différents acteurs de cette gouvernance se sont ainsi efforcés de tirer les leçons des événements sportifs les plus récents et des tests simulant le déroulement des épreuves olympiques. Il ne faut pas non plus oublier le rôle des contrôles in itinere des inspections ministérielles et de la Cour des comptes.
Enfin, au niveau du Cojop et de la Solideo, le rôle des différents comités - audit, éthique, rémunérations - a été positif. Cela s'explique par l'expérience et les compétences de leurs membres, ainsi que par l'indépendance de ces instances.
Voilà autant de points forts concernant la gouvernance des Jeux de 2024, laquelle constitue bien évidemment un capital d'expériences utiles, même si un tel modèle ne saurait être répliqué intégralement dans la perspective des Jeux d'hiver de 2030, qui seront des Jeux assurément différents.
À cet égard, plusieurs enjeux se dégagent d'ores et déjà nettement.
Sur un plan financier, l'enjeu tient tout d'abord à la participation publique au budget du Cojop et de la Solideo : 462 millions d'euros d'argent public sont d'ores et déjà prévus, soit un montant supérieur à celui prévu pour les Jeux de Paris - le financement public s'élevait à 224 millions d'euros. La question porte aussi sur la garantie apportée par l'État au Cojop. Je sais que le Sénat n'a pas voté la disposition figurant à l'article 5 du projet de loi relatif à l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2030, qui autorise les deux régions hôtes de ces Jeux, Auvergne-Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d'Azur, à accorder une garantie financière au déficit du Cojop, d'un montant ne pouvant excéder le quart de ce déficit. Nous verrons ce qu'il adviendra de cette mesure au cours de la navette parlementaire.
Ajoutons que la carte des sites de compétition n'est pas encore arrêtée. Il y a notamment ce fameux match entre Val d'Isère et Méribel au sujet duquel je ne donnerai naturellement pas mon avis, mais qui laisse craindre des surcoûts mal anticipés. La Cour sera également attentive à la budgétisation des dépenses de sécurité, qui a été défaillante en 2024. Ce volet financier impliquera, vous vous en doutez, un suivi tout particulier.
La gouvernance est l'un des autres enjeux fondamentaux en vue de Jeux d'hiver de 2030. Il faudra tenir compte d'un contexte institutionnel très différent de celui de Paris. Le paysage institutionnel est en effet beaucoup plus morcelé : deux régions ; des petites communes de montagne qui ne disposent pas toujours de l'ingénierie nécessaire pour réaliser les ouvrages ; un panel d'acteurs plus complexe que pour les Jeux de 2024 ; enfin, un certain éparpillement géographique. Un tel environnement implique une coopération plus étroite qu'elle ne l'a été lors des Jeux de Paris.
Vous le déduisez facilement : les contrôles seront utiles, tant le sujet des jeux Olympiques et Paralympiques de 2030 n'est pas simple.
Le quatrième message de notre rapport porte sur l'organisation des Jeux.
Nos recommandations portent évidemment sur les comités d'éthique, d'audit et de rémunérations, les conseils d'administration du Cojop et de la Solideo, et visent toutes à faire respecter leur indépendance. Nous recommandons notamment de limiter le nombre d'instances de coordination durant la phase préparatoire, afin d'éviter tout risque de « comitologie ».
Sur ce volet « organisation » des Jeux de 2024, le bilan est globalement satisfaisant. Plusieurs points notables peuvent être relevés.
Le premier tient à ce que le Cojop, qui était chargé de la livraison de l'événement, ait eu recours à un modèle novateur reposant sur une démarche d'externalisation : plutôt que de le faire de manière directe, comme c'était le cas lors de précédentes éditions, le comité a confié la gestion de certains sites à leurs exploitants habituels ou à des entreprises événementielles. Le Cojop estime que cette gestion déléguée a permis de réduire considérablement sa charge de travail dans la phase terminale de préparation des Jeux, tout en offrant un niveau de service équivalent à celui qui a été pratiqué sur les sites gérés en interne. Il s'agit d'une modalité alternative intéressante pour de futurs grands événements sportifs, à deux réserves près : d'une part, elle n'a pas fait l'objet d'une comparaison financière globale de la part du Cojop ; d'autre part, je ne suis pas certain qu'une telle gestion puisse être répliquée partout et en toutes circonstances, tout simplement parce qu'elle suppose l'existence d'une filière événementielle locale, ce qui était évidemment le cas pour les Jeux de Paris, mais ce qui ne le sera pas forcément pour les Jeux d'hiver de 2030.
Ma deuxième remarque porte sur les bénévoles. Leur contribution a été essentielle à l'organisation des Jeux. Le recours au bénévolat a été massif, et une charte du volontariat olympique et paralympique a encadré cette mobilisation. Les bénévoles ont pu bénéficier de deux dispositifs de reconnaissance de leur engagement. Il est toutefois regrettable qu'il n'existe pas de stratégie nationale pour faire fructifier les contributions de ces bénévoles, qui ont été près de 50 000 au total.
Autre point à souligner, les Jeux ont donné lieu à des actions concrètes en matière d'accessibilité, d'équipement, de signalétique, de formation des opérateurs de transports, d'assistance et d'accueil. L'aménagement des infrastructures de transports s'est accéléré : 56 gares franciliennes et 21 stations de métro ont ainsi fait l'objet de travaux d'accessibilité. Cela étant, il faut le reconnaître, l'ambition est restée mesurée au regard des défis qui se posent au quotidien.
Toujours en termes d'organisation, le bilan social des Jeux s'avère très positif, notamment pour ce qui est des conditions de travail sur les chantiers : aucun accident mortel n'est survenu sur les chantiers des ouvrages qui étaient sous la supervision de la Solideo, ce qui, pour des chantiers de cette ampleur, est à souligner. Il en va de même des objectifs d'insertion, de l'accès au marché des TPE et des structures de l'économie sociale et solidaire (ESS). Les différentes parties prenantes se sont dotées de divers outils, tels que la charte sociale Paris 2024 ou la charte en faveur de l'emploi et du développement territorial, et ont conclu des partenariats en faveur de l'ESS.
En revanche, le bilan des objectifs fixés pour assurer la durabilité des Jeux est plus délicat à dresser. L'ambition exprimée dans le cadre de la candidature de Paris était très claire : parmi la quarantaine d'engagements en matière d'environnement pris alors, nombre d'entre eux ont évolué, ce qui rend leur suivi peu lisible. De ce fait, les résultats des évaluations publiés doivent être nuancés. Quelques enseignements peuvent toutefois être tirés : d'abord, l'importance des choix initiaux, qui limitaient fortement le nombre de constructions ; ensuite, les efforts importants menés sur les chantiers et les ouvrages pour réduire leur empreinte carbone ; enfin, l'impact majeur du transport des spectateurs accrédités. Dans la perspective des Jeux d'hiver de 2030, notre rapport préconise de confier à un comité d'experts indépendant le suivi du respect des engagements environnementaux.
J'en viens maintenant au cinquième et dernier message consacré à l'héritage des Jeux de Paris 2024. Cet héritage multiple présente des aspects positifs, mais il devra être évalué dans la durée.
Le concept d'héritage englobe tous les bénéfices matériels et immatériels à long terme permis ou précipités par la tenue des Jeux. Il constituait un axe fort de la candidature de Paris 2024. Il a été décliné dans le cadre d'une multitude de stratégies, afin de maximiser les retombées positives pour la société. Cet héritage est à l'origine de divers programmes, mais des incertitudes subsistent quant au financement et à la pérennité de ceux-ci, alors que le Cojop est en phase de liquidation et qu'ils ont été transférés à l'Agence nationale du sport (ANS).
L'héritage méthodologique des Jeux s'est révélé particulièrement riche. Je pense notamment à la supervision exercée par la Solideo, laquelle a permis la livraison des ouvrages dans les délais impartis. Dans le domaine de la sécurité, les Jeux ont été l'occasion de nombreuses expérimentations et ont permis de tirer de multiples enseignements, avec notamment une planification en amont de l'action qui a été incontestablement un facteur de succès. Dans l'ensemble, l'État a privilégié la mobilisation des outils existants, une méthode qui a contribué à ce que l'on fasse des économies budgétaires, qui a permis de constater la résilience et la pertinence de l'organisation française en matière de sécurité.
Dans le domaine des transports, la culture partagée de la gestion dynamique des flux pourrait opportunément être réinvestie dans une politique de mobilité du quotidien.
Sur le plan matériel, les Jeux de Paris 2024 ont été perçus comme un catalyseur de la politique d'aménagement urbain d'un département, la Seine-Saint-Denis. Toutefois, l'impact d'ensemble de ces Jeux sur l'urbanisme francilien ne se mesurera qu'à moyen terme. Concernant les équipements sportifs, leur niveau d'appropriation par les usagers ne pourra être évalué que progressivement. J'alerte sur le coût que représentera leur gestion à l'avenir, quelles qu'en soient les modalités, et sur la nécessité de trouver le modèle économique adapté à chacun d'entre eux. Ce point doit faire l'objet de toute notre attention, notamment au regard de la situation financière des collectivités territoriales - je pense là encore plus particulièrement au département de la Seine-Saint-Denis.
Par ailleurs, sept premiers sites de baignade dans la Seine et dans la Marne ont été ouverts durant l'été 2025, avec l'objectif, à terme, d'en ouvrir trente-deux. Si l'on continue d'enregistrer une progression du nombre d'ouvertures de ces sites, malgré des incertitudes subsistant sur la qualité de l'eau après de forts épisodes de pluie, l'ampleur des investissements à réaliser pour mener ces chantiers doit nous conduire à une certaine prudence quant à l'appréciation de l'héritage des Jeux dans ce domaine.
Permettez-moi de conclure sur l'héritage sportif des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. La Cour estime que la stratégie de haute performance portée par l'ANS a porté ses fruits en permettant à la France d'atteindre ses objectifs, notamment en termes de médailles d'or. Notre rapport souligne que l'inscription de la stratégie dans la durée doit s'appuyer sur une consolidation des facteurs de réussite, notamment le ciblage des moyens, l'amélioration de l'accompagnement de la jeune génération et le développement du secteur paralympique. Concernant le développement des pratiques sportives, la pérennisation de nombreuses mesures demeure à confirmer. Il est encore trop tôt pour en dresser un bilan définitif.
En matière d'héritage, notre rapport recommande d'anticiper au maximum les conditions de transfert des différents programmes en désignant les structures légataires et en définissant des calendriers de bascule. Nous reviendrons sur cette question de l'héritage des Jeux de Paris 2024 au cours du premier semestre 2026.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, voici les principaux constats, les principales recommandations de la Cour concernant l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. La Cour des comptes, tout comme les chambres régionales des comptes, a été au rendez-vous du contrôle et du suivi du chantier des Jeux de Paris, et ce depuis leur lancement. Nous le serons à nouveau, une fois le projet de loi idoine adopté, pour les jeux Olympiques et Paralympiques de 2030.
M. Éric Jeansannetas, rapporteur spécial de la mission « Sport, jeunesse et vie associative ». - Monsieur le Premier président, je vous remercie de la précision de vos propos.
J'ai plus particulièrement noté que, d'une part, vous aviez reconnu qu'il n'y avait pas eu de dérapage budgétaire à l'occasion de ces Jeux de Paris 2024 et que, d'autre part, vous aviez salué le bilan social des Jeux. À ce sujet, permettez-moi de témoigner de la qualité de la relation que nous avons nouée avec Nicolas Ferrand et les équipes de Solideo, dont le grand professionnalisme a certainement pleinement contribué à ce qu'il n'y ait ni dérive budgétaire inconsidérée ni problèmes majeurs sur les chantiers.
Vous avez conclu votre propos en dressant un bilan globalement positif des Jeux de Paris - les ouvrages ont en effet été livrés dans les temps, et les Jeux se sont déroulés dans de très bonnes conditions, avec un accueil du public et des sportifs des plus appréciables. À cet égard, et sans esprit de polémique, je souhaiterais cependant revenir sur les remarques que vous a adressées le président du Cojop, Tony Estanguet, lequel a reproché à la Cour des comptes, depuis sa note d'étape de juin dernier, d'avoir retenu dans son calcul des dépenses annexes, voire d'opportunité, qui ne sont pas strictement nécessaires à l'organisation des Jeux, comme la construction d'écoles, le prolongement de la ligne 14 du métro, l'enfouissement des lignes à haute tension ou les surcoûts des chantiers de rénovation du Grand Palais. Ma question est donc simple : considérez-vous que ces remarques sont pertinentes ?
Ma deuxième question est également très simple : quels enseignements peut-on tirer des Jeux de Paris 2024 en vue de l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2030 ?
Mme Françoise Dumont, rapporteure pour avis du programme 161 « Sécurité civile » de la mission « Sécurités ». - Comme vous le savez, monsieur le Premier président, la commission des lois s'est beaucoup impliquée sur le sujet de l'expérimentation de la vidéoprotection algorithmique pendant les Jeux de Paris 2024.
À la lecture du rapport de la Cour des comptes, je constate que les bilans opérationnels que nous tirons de cette expérimentation sont tout à fait similaires, à savoir des bilans mitigés qui varient notamment en fonction des cas d'usage. De fait, les conditions de mise en oeuvre de l'expérimentation ne permettaient pas nécessairement d'en déployer tout le potentiel. Notre commission a donc plaidé pour prolonger cette expérimentation, mais selon des modalités aménagées selon quatre axes : il faut selon nous prévoir la possibilité d'utiliser le dispositif en dehors des grands événements sportifs et culturels ; il faut également autoriser certains agents communaux, qui ne seraient pas policiers municipaux, à accéder aux signalements dans des conditions strictement encadrées ; il convient aussi de favoriser une autonomie accrue des services utilisateurs pour le choix et le calibrage des solutions technologiques ; enfin, il est souhaitable de renforcer l'indépendance du comité d'évaluation.
Ces aménagements, qui ont été pour partie introduits dans le projet de loi relatif à l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2030, sur l'initiative de notre rapporteur Jean-Michel Arnaud, vous semblent-ils de nature à combler les lacunes de l'expérimentation ?
Tout comme la commission des lois dans un rapport qu'elle a rendu en février dernier, vous dressez un bilan plutôt élogieux de la participation de la sécurité privée aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. Si la filière a incontestablement gagné en maturité, il serait illusoire de penser que son essor est achevé. Je rappelle que le déficit d'agents de sécurité privée s'élèverait à 20 000 personnes, selon les estimations du Conseil national des activités privées de sécurité (Cnaps). Quels leviers identifiez-vous, dans le sillage des Jeux de Paris, pour répondre à ce problème d'attractivité ?
M. Claude Kern, rapporteur pour avis pour la commission de la culture du projet de loi relatif à l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2030. - Monsieur le Premier président, en préambule, permettez-moi de vous remercier d'avoir respecté le délai que nous vous avions fixé pour la remise de ce rapport au Parlement.
Je voudrais revenir sur le dernier point que vous avez évoqué, l'héritage des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. Malgré une stratégie visant à développer une nation sportive, la Cour souligne que la pérennisation de l'héritage sportif reste incertaine, notamment faute de garanties sur le financement des programmes et d'évaluation de leur impact réel. Quelles recommandations la Cour pourrait-elle formuler afin de garantir que l'héritage sportif des jeux Olympiques et Paralympiques profite effectivement au développement durable de la pratique sportive pour tous, notamment chez les jeunes et sur l'ensemble du territoire, dans un contexte budgétaire contraint ?
La Cour constate également qu'un modèle innovant d'externalisation partielle de la livraison des sites et des compétitions a été utilisé. Toutefois, vous regrettez l'absence d'analyse comparative entre externalisation et gestion internalisée, ce qui limiterait la possibilité d'en évaluer la pertinence. Quelle est votre appréciation de l'intérêt ou des limites d'un tel dispositif dans l'organisation des grands événements sportifs à venir ?
M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur pour avis pour la commission de la culture du programme « Sport » de la mission « Sport, jeunesse et vie associative ». - Monsieur le Premier président, comment expliquez-vous la réaction des organisateurs des Jeux de 2024 à vos annonces sur le coût de ces Jeux pour la collectivité ?
Le rapport de la Cour précise que le coût global des Jeux de Paris 2024 - 3 milliards d'euros pour ce qui concerne leur organisation, et 3,63 milliards d'euros pour les infrastructures - traduit un effort financier considérable, mais contenu au regard des précédentes olympiades, et notamment des Jeux de Londres en 2012 - les Jeux de Paris ont ainsi été deux fois moins coûteux. Pourriez-vous revenir sur les principaux facteurs - mutualisation, externalisation de certaines fonctions, modération des ambitions initiales - ayant permis cette relative maîtrise des coûts ?
Dans les statuts du Cojop, il est prévu que 60 % de l'excédent dégagé serve à financer des actions contribuant au développement du sport en France. Une part de cet excédent a ainsi été affectée à la réinstallation de la vasque olympique. Pourriez-vous nous fournir des détails sur l'utilisation du boni ? L'estimez-vous pertinente ? Que préconisez-vous en matière de transparence, de contrôle et d'affectation de cet excédent, afin que nous nous assurions que cet héritage olympique profite effectivement à tous ?
Par ailleurs, la Cour des comptes relève que l'impact économique des Jeux sur la croissance française est limité - + 0,07 point de PIB en 2024 -, et doit être considéré avec prudence au vu des nombreuses incertitudes pesant sur notre économie. Comment améliorer la méthode d'évaluation des retombées économiques de ce type d'événement, à la fois sur le fond et sur la méthode ? Recommanderiez-vous la mise en place d'un comité d'experts indépendant, comme vous le préconisez pour le suivi du respect des engagements environnementaux ?
Enfin, la Cour formule un certain nombre de recommandations en matière de gouvernance et de coordination des différentes instances. Estimez-vous que le projet de loi relatif à l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2030, que le Sénat a examiné en juin dernier, est suffisamment complet dans ce domaine ? Faudrait-il apporter davantage de garanties en termes de transparence et d'éthique ?
M. Pierre Moscovici. - Messieurs les sénateurs Jeansannetas et Lozach, vous m'interrogez sur la réaction « épidermique » des organisateurs des Jeux de Paris 2024, notamment de Tony Estanguet, à la suite de la publication, en juin 2025, de la note d'étape de la Cour sur l'impact financier de cet événement. À vrai dire, je ne l'ai pas bien comprise, et je pense aujourd'hui que nous ne parlions pas tout à fait de la même chose : le Cojop a adopté un point de vue qui lui est propre, c'est-à-dire celui d'une instance financée presque en totalité par de l'argent privé, quand la Cour des comptes, elle, a répondu à votre commande, mesdames, messieurs les parlementaires, en estimant le coût global de ces Jeux de Paris, sans imputation erronée, et en tenant compte de ce qui était envisagé au moment de la candidature et des critères du CIO. En somme, la Cour n'a fait que son métier...
Peut-être la note d'étape s'est-elle heurtée à la volonté de certains de faire croire que les Jeux pouvaient financer les Jeux. J'en suis désolé, mais cette assertion est fausse. Cela ne signifie pas pour autant que le bilan du Cojop soit négatif - la preuve en est qu'il dégage un excédent. Peut-être aussi a-t-on voulu minimiser le coût des Jeux pour en faciliter l'acceptation sociale, dans un contexte où nos finances publiques sont au coeur des débats, et ce alors même que ce coût n'est pas excessif, je l'ai dit, par rapport à de précédentes éditions.
J'estime pour ma part que l'incident est clos. La Cour des comptes est une institution connue des Français, reconnue, qui fait référence : en définitive, c'est notre estimation qui s'impose, car elle est juste et exhaustive.
Monsieur le sénateur Jeansannetas, pour ce qui est des enseignements à tirer des Jeux de Paris 2024 en vue des jeux Olympiques et Paralympiques de 2030, je ne peux que vous renvoyer aux recommandations que comporte notre rapport. Il ne m'appartient pas, monsieur le sénateur Lozach, puisque vous me questionnez sur le texte relatif à l'organisation des JOP de 2030, de commenter les projets de loi dont est saisie votre Haute Assemblée. Je ne me permettrai pas de me mettre à la place du législateur. Je dirai simplement qu'il ne serait pas inutile de s'inspirer de nos recommandations, notamment en matière d'indépendance des comités d'éthique, d'audit et de rémunérations. En vérité, plus encore que les textes de loi, c'est la mise en oeuvre des Jeux qui importe, d'autant que les Jeux de Paris et les Jeux d'hiver de 2030 sont de natures totalement différentes.
Madame la sénatrice Dumont, la Cour s'est en effet intéressée à ce que l'on appelle parfois la « vidéosurveillance augmentée ». Le recours à cet outil relève d'un choix politique qu'il ne nous appartient absolument pas de commenter, d'autant que tous ces instruments sont autorisés par la loi. Nous avons simplement constaté que les dispositifs de vidéosurveillance ont été déployés sous le contrôle étroit du juge, saisi à de nombreuses reprises, ainsi que de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil). En la matière, le bilan est mitigé, parce qu'il nous a semblé que les jeux Olympiques de 2024 n'étaient pas l'événement le plus adapté à une telle expérimentation. Nous n'en tirons pas pour autant de conclusion générale et vous renvoyons vers notre rapport sur la sécurité des jeux Olympiques et Paralympiques, ainsi que vers le rapport du comité d'évaluation sur l'expérimentation de la vidéosurveillance « intelligente », présidé par Christian Vigouroux, président de section honoraire au Conseil d'État.
Pour ce qui concerne la sécurité privée, la Cour des comptes revendique d'avoir joué un rôle de lanceur d'alerte : l'un de nos rapports préalables indiquait que nous étions loin du compte dans ce domaine à l'approche des Jeux. On a pu observer une montée en puissance bienvenue des dispositifs grâce à l'implication très forte des pouvoirs publics. La formation, responsabilité essentielle du ministère de l'intérieur, est bien sûr au coeur des enjeux, et les remarques que vous avez faites sur la structuration générale de la filière me semblent parfaitement valables.
Plusieurs d'entre vous m'ont interrogé sur l'héritage immatériel des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. Cet héritage s'évalue sur le temps long, et le rapport que nous avons remis au Parlement ne constitue bien entendu qu'une première étape de cette appréciation.
Dans sa composante immatérielle, les travaux de la Cour ont souligné le legs essentiel des Jeux dans de nombreux domaines : la sécurité ; la gouvernance des pouvoirs publics ; l'insertion professionnelle.
J'évoquerai pour ma part trois héritages emblématiques. D'abord, la Cour a évalué les nombreux dispositifs mis en oeuvre à l'occasion des Jeux de 2024 pour promouvoir l'activité physique et sportive. L'ambition de changer la place du sport dans la société a profité à de nombreux publics, notamment les jeunes. Les clubs sportifs ont également bénéficié de cet élan. Néanmoins se pose aujourd'hui la question de l'inscription de cet effort dans la durée : quid du budget du ministère des sports dans le prochain projet de loi de finances ? Un deuxième héritage fondateur de cette olympiade est l'inclusion des personnes en situation de handicap, avec une visibilité inédite offerte aux sportifs paralympiques. Enfin, il faut saluer la mise en oeuvre d'un programme de haute performance sportive qui a contribué à la réussite des athlètes français en valorisant le modèle sportif national.
Vous avez été plusieurs à m'interroger sur le recours à l'externalisation. Pour les Jeux d'hiver, il faudra y regarder de près, examiner site par site les bénéfices d'une telle démarche. Pour l'instant, les données dont nous disposons en matière de gestion externalisée reposent essentiellement sur l'appréciation du Cojop lui-même, qui estime que cela lui a permis de mieux gérer - et sans surcoût - certains événements qu'il ne l'aurait fait en interne. Il faudra expertiser ce point ultérieurement pour nous en assurer. J'ajoute, s'agissant des Jeux d'hiver, qu'il conviendra de veiller, si l'on recourt à une gestion externalisée, à ce qu'il y ait une filière événementielle suffisamment armée pour répondre à l'ensemble des défis. À Paris, c'était une certitude ; l'est-ce aussi dans les régions Auvergne-Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d'Azur ?
Monsieur le sénateur Lozach, le boni de 75 millions d'euros du Cojop a été reversé dans un fonds de dotation placé sous l'égide du Comité national olympique et sportif français (CNOSF). Ce boni fera l'objet d'un contrôle de la Cour des comptes en 2026 : il s'agira de nous assurer de sa bonne utilisation. Autre point, vous suggérez d'améliorer l'évaluation des retombées économiques des Jeux par la mise en place d'un comité d'experts indépendant : cette proposition, même si elle ne figure pas dans notre rapport, mériterait d'être discutée. La Cour propose en effet la mise en place d'un tel comité pour l'appréciation du bilan ou de l'héritage des JOP en termes de développement durable ; nous pourrions donc envisager une telle formule pour l'évaluation de leur héritage économique.
M. Michel Canévet. - Concernant les rémunérations, la Cour a-t-elle observé d'éventuels dérapages qui appelleraient un recadrage dans la perspective des prochains jeux Olympiques et Paralympiques ?
Pour la bonne tenue de cette Olympiade, il a été fait appel à des lois d'exception. Quels enseignements pourrait-on tirer de la mise en oeuvre de ces lois d'exception en vue d'encourager notre économie et de stimuler la croissance ?
M. Jean-Michel Arnaud, rapporteur du projet de loi relatif à l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2030. - Monsieur le Premier président, vous avez rappelé à juste titre que la gouvernance des jeux Olympiques et Paralympiques de 2030 serait, au vu de la nature même des territoires concernés, forcément différente de celle des Jeux de Paris. Compte tenu de l'héritage laissé par les jeux de 2024, mais aussi de l'éclatement géographique des territoires qui accueilleront les prochains Jeux d'hiver en France - quatre départements et deux régions sont concernés, et les différents sites sont significativement éloignés -, quelles recommandations feriez-vous pour parvenir à la gouvernance la plus opérationnelle possible ?
Vous avez aussi évoqué l'adoption en première lecture par le Sénat, le 24 juin dernier, du projet de loi relatif à l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2030. Vous avez notamment mentionné la suppression de l'article 5 que, à ce stade, le Sénat n'a pas souhaité adopter, dans l'attente de prévisions plus précises sur ce que pourrait être le coût global de ces Jeux. Disposeriez-vous aujourd'hui d'outils méthodologiques permettant d'obtenir une estimation fiable et consolidée du coût de ces Jeux d'hiver ? Si c'est le cas, quelle est-elle ? Sinon, que faire pour éclairer la représentation nationale sur ce point, et ce afin de ne pas exposer les collectivités à un risque mal évalué et à une mesure qui les contraindrait à couvrir une partie du déficit probable de ces Jeux de 2030 ?
Mme Mathilde Ollivier. - Monsieur le Premier président, vous estimez que les objectifs des Jeux de Paris 2024 en matière de sobriété environnementale ont été globalement respectés, tout en déplorant le manque d'indicateurs post-Jeux. Vous soulignez notamment la difficulté qu'il y a à déterminer si les objectifs de durabilité ont été atteints, ce qui vous amène à proposer la mise en place d'un comité d'experts indépendant pour les prochains Jeux. La durabilité et l'adaptation des territoires au changement climatique, notamment au travers des émissions de CO2, de la biodiversité et du recyclage des sites, seront l'un des principaux enjeux des jeux Olympiques et Paralympiques de 2030. Dans cette perspective, en quoi un tel comité d'experts indépendant serait-il davantage approprié ? Quelles ont été les limites de la gouvernance des Jeux de 2024 sur ce volet spécifique ?
La Cour des comptes note également que l'héritage réel des Jeux de Paris 2024, qu'il s'agisse de la pratique sportive ou de la cohésion sociale, ne peut être évalué que sur le long terme. Quel dispositif de suivi recommandez-vous pour garantir dans la durée une évaluation rigoureuse et transparente de cet héritage ? Vous avez affirmé que vous aviez un certain nombre d'indicateurs vous permettant d'estimer l'impact des Jeux de 2024 dans le domaine de la haute performance. De quels indicateurs disposons-nous pour ce qui est de la pratique sportive et de la promotion du sport ?
Mme Laurence Harribey. - Monsieur le Premier président, vous avez souligné le faible impact économique des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. Votre évaluation prend-elle en compte la dimension territoriale de la question ? Dans les territoires, on a assisté au développement de nombreux projets, qui n'étaient pourtant pas directement liés à l'organisation des Jeux : je pense aux centres d'entraînement, aux dispositifs d'accueil des équipes, etc.
Ma question n'est pas anodine : vos propos laissent entendre que l'organisation de grands événements sportifs n'est pas forcément un facteur d'attractivité pour les territoires, alors même qu'aujourd'hui de nombreuses collectivités locales expriment le souhait de s'engager dans cette voie. Quelle méthodologie nous permettrait, selon vous, d'avoir une idée plus précise de la question et d'éviter ce qui pourrait finalement se révéler être un miroir aux alouettes ?
Vous appelez par ailleurs à la mise en place d'un dispositif d'encadrement et de valorisation des bénévoles. Ma question à ce sujet est simple : le recours à un nombre toujours plus élevé de bénévoles ou de volontaires dans le cadre de grands événements sportifs ne fait-il pas courir un risque juridique inconsidéré à leur organisateur, en particulier au regard de la jurisprudence européenne actuelle ?
M. Hervé Reynaud. - L'un des quatre rapports remis par la Cour des comptes porte sur la sécurité des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. Ce dernier fait notamment état d'une intégration relativement faible des polices municipales. Or, ici, au Sénat, nous sommes très attachés à ces polices locales, car nous nous préoccupons sérieusement du continuum de sécurité dans les territoires. Pourriez-vous revenir sur les raisons qui ont conduit à cet engagement restreint des polices municipales dans le cadre des Jeux ?
Seriez-vous par ailleurs favorable à ce que les préfets puissent placer temporairement des policiers municipaux sous leur autorité dans la perspective de la tenue de grands événements ? Quelle articulation entre préfets et maires faudrait-il imaginer pour que la sécurité continue d'être garantie dans les territoires ? En cas de mobilisation exceptionnelle de policiers municipaux à l'occasion des prochains Jeux, à combien évaluez-vous la compensation financière qu'il faudrait verser aux communes ?
M. David Ros. Monsieur le Premier président, pensez-vous que certaines infrastructures d'entraînement ou certaines pratiques qui se sont développées lors des Jeux de 2024 pourraient faire l'objet d'une reprise par les collectivités locales ? Un tel savoir-faire représente certes une dépense, mais il contribue aussi à stimuler notre économie.
Ma seconde question porte sur les pratiquants et notre ambition de bâtir une nation sportive. Est-il prévu de mener une étude sur le lien entre pratique sportive et santé ? Si un tel lien était clairement établi, cela encouragerait les dépenses en faveur du développement du sport. Ce « sport par ordonnance » aboutirait à des économies substantielles, dans le domaine de la santé notamment.
M. Pierre Moscovici. - Monsieur le sénateur Canévet, nous n'avons pas constaté de dérives au niveau des rémunérations pour ce qui concerne la Solideo. Quant au Cojop, il est trop tôt pour se prononcer : l'instruction de ce dossier est en cours. Par ailleurs, je ne m'exprimerai pas sur la question des lois d'exception, car cela ne relève manifestement pas des compétences de la Cour des comptes.
Monsieur le sénateur Arnaud, vous m'interrogez sur nos propositions en matière de gouvernance en vue des Jeux d'hiver de 2030. Si je devais tirer une seule leçon des Jeux de Paris 2024, c'est l'efficacité d'une coordination interministérielle forte autour du Dijop. Ces dernières semaines, j'ai eu l'occasion de présenter, au nom de la Cour, un autre rapport relatant ce que l'on pourrait appeler une success story, celui sur le chantier de la cathédrale Notre-Dame-de-Paris. Dans ce cas comme dans celui des Jeux de 2024, on constate l'importance d'une coordination poussée et de la présence d'une administration de mission, dédiée à l'événement, qui gère le dossier de bout en bout. Cela n'a pas valeur de modèle universel, mais c'est, me semble-t-il, une voie à suivre pour organiser efficacement de grands événements ou pour mener à bien de grands chantiers.
Par ailleurs, pour répondre très directement à votre seconde question, je ne dispose d'aucun élément nouveau pour évaluer plus précisément le coût des prochains jeux Olympiques d'hiver en France, ne serait-ce que parce que les contrôles de la Cour sur les Jeux ne commenceront que l'an prochain. J'ose espérer que ces données vous seront communiquées dans le cadre de la navette parlementaire, afin que vous puissiez émettre un avis éclairé. Sur ce point, disons-le tout de même, mon intuition est que les Jeux d'hiver sont relativement - j'insiste sur ce terme - plus coûteux pour les finances publiques que les Jeux d'été. Leur organisation, leur gouvernance, leur sécurité, bref l'ensemble des paramètres seront beaucoup plus complexes à traiter dans le cadre d'une gestion birégionale, d'autant que beaucoup de petites communes y seront associées. Il ne s'agit pas d'un jugement de valeur ni d'un a priori de ma part, mais je pense que ce sera sans doute assez « sportif » ! La vigilance devra donc être de mise : il conviendra de mettre en place tous les dispositifs permettant d'apprécier les choses dans le détail et, le cas échéant, de tirer la sonnette d'alarme.
Madame la sénatrice Ollivier, la Cour des comptes n'est pas juge des performances environnementales de la Solideo ou du Cojop. Ce que nous avons constaté, c'est une très forte ambition en matière environnementale, d'ailleurs assumée dès la candidature, l'importance des efforts fournis par tous les acteurs, ainsi que certains résultats mis en exergue par le Dijop, le ministère chargé de l'environnement, ou encore la Solideo, à commencer par la réduction de 47 % des émissions de gaz à effet de serre par rapport aux Jeux de Londres. Nous avons également noté un certain nombre d'autres avancées comme l'utilisation de bornes électriques, la réduction de la pollution bactériologique de la Seine ou de l'usage du plastique lors des événements sportifs.
Cette dimension environnementale doit s'apprécier sur le long terme. Nous ne disposons pas de toutes les données nécessaires pour dresser un bilan précis. La Cour relève qu'un grand nombre d'engagements, parfois imprécis, ont été pris au stade de la candidature, et que les plans d'action qui ont été définis et mis en oeuvre ensuite par les différents acteurs ont évolué avant d'être finalement évalués par les acteurs eux-mêmes. C'est pourquoi nous proposons la création d'un comité d'experts indépendant, qui devrait pouvoir porter un regard plus neutre et objectif sur cette question.
Pour ce qui est de la haute performance sportive, nous actualiserons notre analyse à l'occasion du contrôle du Comité national olympique et sportif français en 2026.
Quant à l'impact économique des Jeux, madame la sénatrice, c'est vrai qu'il est modeste, puisqu'il est estimé à 0,07 point de PIB. Cela étant, il faut distinguer croissance et attractivité pour les territoires, un concept qui englobe aussi les externalités positives produites au niveau local. À cet égard, je trouve que la piste d'une approche multifactorielle, suggérée par Jean-Jacques Lozach, mérite d'être explorée. Le PIB n'est peut-être pas le seul indicateur utile pour chiffrer les retombées économiques d'un tel événement : il convient de prendre en considération des externalités que la Cour ne sait pas évaluer aujourd'hui, faute de disposer des instruments adéquats. J'ajoute que l'impact en termes de PIB est certes faible en 2024, mais que cela ne signifie pas pour autant qu'il le demeurera pour 2025. Quoi qu'il en soit, les retombées économiques de ce type d'événement sont par définition incertaines à court et moyen termes, parce qu'il est délicat d'en mesurer l'effet-image et parce que les effets positifs sur le tourisme sont généralement jugés comme non significatifs dans les pays qui sont parmi les principales destinations mondiales.
Madame la sénatrice Harribey, les infrastructures construites ou rénovées pour les Jeux ont bien vocation à être réutilisées après la fin des compétitions. S'agissant du bénévolat, un certain nombre de travaux ont été menés en amont des Jeux pour valoriser l'expérience des bénévoles du Cojop : je pense à la création d'un badge numérique « J'ai fait les Jeux », téléchargé par 25 235 bénévoles, qui peut être intégré par la suite au passeport de compétences sur un compte personnel de formation (CPF). Près de 18 000 bénévoles s'étaient engagés dans cette démarche fin 2024. En ce qui concerne les collectivités territoriales, certaines d'entre elles nous ont informés qu'elles avaient mis en place des actions de valorisation de type fourniture d'un passeport de l'association France Bénévolat.
Les Jeux ont mobilisé massivement les bénévoles, via les programmes du Cojop - 41 189 personnes - et ceux des collectivités territoriales - 5 188 bénévoles. À cela s'ajoute une charte du volontariat olympique et paralympique, certes non contraignante, qui a été élaborée sous l'égide du Dijop. Nous regrettons cependant, je l'ai dit, qu'aucune stratégie nationale de valorisation du bénévolat olympique n'ait été prévue. Dans la perspective des Jeux d'hiver de 2030, la Cour recommande naturellement une telle stratégie.
J'en viens aux polices municipales. Le rapport sur la sécurité montre que l'intégration des polices municipales au continuum de sécurité est imparfaite : conditions d'utilisation trop contraignantes ; trop d'interlocuteurs ; une autonomie opérationnelle insuffisante.
Le ministère de l'intérieur et les municipalités doivent en tirer les conséquences afin de mieux associer les polices municipales, éventuellement sous la double autorité du préfet et du maire. Surtout, il faut une meilleure intégration opérationnelle. Il nous semble que le modèle qui pourrait prévaloir en la matière est celui des services départementaux d'incendie et de secours (Sdis). C'est en tout cas notre recommandation.
Enfin, je terminerai sur le calendrier de reconversion des villages olympiques et paralympiques en quartiers de bureaux et d'habitations. En somme, c'est la question de l'héritage urbain des jeux.
Celui-ci devra se mesurer dans la durée. La Cour souligne qu'au-delà du calendrier de la reconversion des logements des villages en appartements ou en bureaux, opération qui relève de promoteurs immobiliers, il faudra attendre l'installation de nouveaux habitants, d'entreprises, et l'ouverture de services publics de nature à répondre à ces nouveaux besoins pour évaluer plus finement l'impact urbain des jeux. C'est d'ailleurs en 2034 que l'Institut Paris Région rendra ses conclusions définitives sur le sujet.
Pour ce qui nous concerne, nous tirons de premiers constats, mais il faudra sans doute aller plus loin. Le premier est relatif à la commercialisation des logements, qui est en cours. Les premiers habitants du village olympique arriveront à la fin de l'année 2025. Le deuxième constat porte sur le rythme de cette commercialisation, qui est très hétérogène. Selon les sites, l'évolution heurtée du marché immobilier, notamment de bureaux, a ainsi pu produire un effet haussier sur le prix de vente des logements. L'impact, notamment sur la Seine-Saint-Denis, devra être évalué dans la durée pour voir si les formidables annonces qui ont été faites se transformeront réellement en espèces sonnantes et trébuchantes et en réalisations concrètes.
Le troisième constat porte sur les équipements publics qui ont été construits dans ces quartiers : les informations requises par la Cour auprès de la Solideo sont plutôt rassurantes, ce qui nous amène à conclure que les calendriers seront tenus. Néanmoins, là encore, la vigilance reste de mise et la mission de supervision assurée par l'établissement public doit selon nous se poursuivre jusqu'à la livraison de ces programmes, qui sont une partie fondamentale de l'héritage des jeux.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Ce bilan est important. Pour la crédibilité de ces grands événements sportifs, il est essentiel de savoir combien ils coûtent et quels apports nous pouvons en attendre. Le travail de la Cour des comptes est aussi utile dans le cadre du dialogue que nous aurons avec le CIO pour les jeux Olympiques d'hiver de 2030. Monsieur le Premier président, au nom de tous mes collègues, je vous remercie.
La réunion est close à 19h30.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Mercredi 15 octobre 2025
- Présidence de M. Claude Raynal, président -
La réunion est ouverte à 8 h 05.
Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à garantir un cadre fiscal stable, juste et lisible pour nos micro-entrepreneurs et nos petites entreprises - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Claude Raynal, président. Mes chers collègues, nous examinons ce matin le rapport de notre collègue Jean-François Husson sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à garantir un cadre fiscal stable, juste et lisible pour nos micro-entrepreneurs et nos petites entreprises.
M. Jean-François Husson, rapporteur. Le régime de la franchise en base de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) bénéficie aujourd'hui à plus de 2 millions de petites entreprises, entrepreneurs individuels ou micro-entreprises, qui sont ainsi dispensés du paiement de la TVA en deçà de certains seuils de chiffre d'affaires annuel.
Révisés en loi de finances pour 2024 dans le cadre de la transposition d'une directive européenne, avant de l'être à nouveau en loi de finances initiale pour 2025, ces seuils se décomposent en quatre catégories, selon l'activité concernée : un seuil de 85 000 euros pour les livraisons de biens, les ventes à consommer sur place et les prestations d'hébergement ; un seuil de 37 500 euros pour les autres prestations de services ; un seuil de 50 000 euros pour les activités « coeur de métier » des avocats, auteurs et artistes-interprètes ; enfin, un seuil de 35 000 euros pour les activités « connexes » de ces mêmes professions.
À l'occasion de l'examen en première lecture du projet de loi de finances pour 2025 au Sénat, le Gouvernement de Michel Barnier a proposé, par voie d'amendement, en première délibération, une réforme d'ampleur des seuils d'application de la franchise en base de TVA, qui visait à instituer un seuil unique fixé à 25 000 euros pour l'ensemble des activités. Lors de cette première délibération, notre commission a émis un avis défavorable sur cette mesure, qui a par conséquent été rejetée par notre assemblée.
Notre position était motivée par le caractère particulièrement tardif de la présentation de cette réforme, la nécessité de prendre en compte la diversité des situations et des tailles d'entreprises, le montant élevé d'une telle mesure d'augmentation des recettes fiscales, avec un impact récurrent en année pleine estimé à 780 millions d'euros pour les finances publiques, dont environ la moitié pour l'État, et, enfin, le caractère limité du risque de distorsion de concurrence au niveau européen mis en avant par l'exécutif.
En seconde délibération, le Gouvernement a néanmoins déposé un amendement identique, auquel notre commission a alors émis un avis favorable par solidarité avec la majorité gouvernementale. Cette mesure a par la suite été adoptée par le Sénat, puis intégrée au texte élaboré par la commission mixte paritaire, avant d'être adoptée définitivement par les deux assemblées en séance publique - la disposition figure à l'article 32 de la loi de finances initiale pour 2025.
Cette réforme a suscité de vives réactions parmi les acteurs économiques visés, notamment de la part des auto-entrepreneurs. Ces derniers - ils sont au nombre de 134 000 à être concernés par la révision des seuils du dispositif - représentent en effet à eux seuls les deux tiers des acteurs affectés par la perte du bénéfice de la franchise en base de TVA résultant de l'abaissement du seuil de chiffre d'affaires à 25 000 euros.
Dans ce contexte, le ministre de l'économie de l'époque, M. Éric Lombard, a annoncé, dès le 6 février au soir, quelques heures seulement après l'adoption définitive du projet de loi de finances pour 2025, la suspension de la réforme, le temps d'organiser une concertation avec les parties prenantes. Cette suspension a été prorogée une première fois le 28 février jusqu'au 1er juin, avant d'être actée le 30 avril pour l'ensemble de l'année 2025.
À la suite du dépôt sur le site internet du Sénat d'une pétition ayant recueilli plus de 100 000 signatures, notre commission a conduit, au printemps 2025, une mission d'information « flash », afin d'entendre les différents acteurs concernés et de faire la lumière sur les enjeux de cette réforme. À cette occasion, nous avons relevé l'improvisation et l'impréparation de cette révision significative des seuils de chiffre d'affaires et souligné ses effets préjudiciables pour l'équilibre économique de nombreux secteurs d'activité et professions.
C'est dans ce contexte que s'inscrit la présente proposition de loi, déposée à l'Assemblée nationale le 17 avril 2025 par M. Paul Midy. Le 2 juin, nos collègues députés ont adopté ce texte en première lecture, avec des modifications, mais à l'unanimité.
L'article 1er prévoit l'abrogation de la révision des seuils de la franchise en base de TVA, avec un retour aux quatre seuils de chiffre d'affaires en vigueur antérieurement. Quant à l'article 2, il vise, conformément aux dispositions de l'article 40 de la Constitution relatives à la recevabilité financière des initiatives parlementaires, à gager la diminution de recettes de TVA pour l'État résultant du dispositif de l'article 1er.
Le texte proposé permet de conforter la sécurité juridique dont doivent absolument bénéficier les acteurs économiques concernés, alors que la suspension de la réforme actée par le Gouvernement repose, à ce stade, sur un simple rescrit de l'administration fiscale. Si aucun recours devant la juridiction administrative n'a été formé à ce jour, la direction de la législation fiscale a reconnu que « toute association professionnelle qui [...] aurait pour objet de défendre un secteur d'activité face à la concurrence déloyale aurait un intérêt à agir ».
En tout état de cause, il me semble indispensable d'adopter cette proposition de loi sans modification, et ce afin de garantir un vote conforme en séance publique.
M. Marc Laménie. - Je vous remercie, monsieur le rapporteur, d'avoir fait cet effort de pédagogie. Pourriez-vous à cette occasion nous rappeler le nombre d'entreprises concernées par la réforme des seuils applicables à la franchise en base de TVA ?
Plus largement, mes chers collègues, il nous revient, à nous parlementaires, de nous intéresser au sort de nos petites entreprises, et en particulier des artisans du bâtiment. Plus encore qu'une concurrence déloyale en matière de TVA, ceux-ci dénoncent régulièrement le poids des charges sociales et fiscales.
Mme Nathalie Goulet. - Nous sommes en présence d'un cas d'école : il s'agit là d'une mesure élaborée au doigt mouillé et sur laquelle il nous faut désormais, puisqu'on en perçoit clairement les conséquences dévastatrices sur le terrain, poser une rustine. Voici un très bon exemple de ce qu'il ne faut pas faire !
Mme Sylvie Vermeillet. - Monsieur le rapporteur, que pensez-vous de l'idée de limiter dans le temps, à cinq ans par exemple, la franchise en base de TVA pour les auto-entrepreneurs ? Un tel dispositif est certes positif, puisqu'il encourage la libre entreprise, mais il faut certainement en restreindre les bénéfices dans la durée.
M. Pascal Savoldelli. - Ces dernières années, le mot d'ordre général était toujours le même : « résilience. » Après vous avoir écouté, monsieur le rapporteur, j'ai l'impression qu'il n'est plus question désormais que de « suspension » ou d'« abrogation »...
Plus sérieusement, je suis embarrassé par ce dispositif. Une partie des auto-entrepreneurs sont en réalité des salariés déguisés, dont la rémunération est très faible. C'est pourquoi je serai a priori assez favorable à la sécurisation juridique d'une disposition qui concerne avant tout les toutes petites entreprises, et, donc, une large part du tissu économique de nos circonscriptions respectives. Pour autant, il ne faut pas perdre de vue la question de la précarité de l'emploi : seuls 10 % des 41 millions de contrats de droit privé dans notre pays sont des CDI. L'intérim, les CDD, l'auto-entreprenariat ne nous semblent pas de nature à préserver le climat social.
M. Thierry Cozic. - Nous revenons ce matin sur une disposition qui a été introduite de manière impromptue dans le dernier projet de loi de finances. Comme Nathalie Goulet, je considère qu'il s'agit là de l'exemple type d'un travail législatif mené dans la précipitation. Trop souvent aujourd'hui, les textes sont examinés en procédure accélérée, parfois même sans étude d'impact préalable. Même si nous voterons bien entendu la présente proposition de loi, nous devons nous interroger sur une telle dynamique.
Monsieur le rapporteur, le risque existe-t-il, selon vous, qu'une mesure visant à instituer à nouveau un seuil unique de franchise de TVA puisse être adoptée à l'occasion de l'examen du prochain projet de loi de finances ?
Mme Ghislaine Senée. - Nous voterons également le texte que nous examinons ce matin, car il existe une très forte demande des auto-entrepreneurs en ce sens.
Pour autant, il conviendrait de réfléchir à la pérennité de ce statut d'auto-entrepreneur : a-t-il vraiment vocation à devenir pérenne ? En séance publique, un certain nombre d'amendements seront déposés, afin que les artisans des secteurs du bâtiment et du prêt à poser puissent y trouver leur compte. Mais, dans l'absolu, nous considérons qu'un tel dispositif devrait rester temporaire.
M. Hervé Maurey. - Cette proposition de loi ne va pas clore le débat, puisqu'un certain nombre de dispositifs tendant à encadrer et à limiter les bénéfices attendus du texte que nous examinons ce matin et à revenir à la situation antérieure figurent dans le projet de loi de finances pour 2026.
M. Claude Raynal, président. - Plusieurs d'entre vous ont parlé, en évoquant cette question de la réforme du régime de la franchise en base de TVA, d'un exemple à ne pas suivre : ils ont raison, mais ne perdons pas de vue que le problème résulte avant tout de la tendance actuelle à se préoccuper davantage de sujets purement financiers et de la question du déficit que des politiques publiques qu'il conviendrait d'encourager. D'une certaine façon, on a inversé la donne : le budget ne découle plus de choix politiques ; c'est même tout le contraire.
Cela dit, le sujet des micro-entreprises est complexe à traiter : dans certains cas, les entreprises poussent leurs salariés à devenir indépendants ; dans d'autres, ce sont les salariés qui, de leur propre chef, changent de statut et choisissent la micro-entreprise parce qu'ils y voient leur intérêt.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Cette proposition de loi vise avant tout à sécuriser juridiquement le cadre fiscal de nos petites entreprises pour l'année 2025. Je précise d'ailleurs, à l'attention de Marc Laménie, que son dispositif concerne toutes les petites entreprises sans exception, indépendamment de leur forme juridique. Sur un total de 2,1 millions de petites entreprises, entrepreneurs individuels ou micro-entreprises bénéficiant actuellement de la franchise en base de TVA, la réforme prévue en loi de finances initiale pour 2025, instituant un seuil unique de chiffre d'affaires fixé à 25 000 euros, affectait 200 000 acteurs.
Hervé Maurey a raison d'évoquer les débats qui auront lieu cet automne : en plus de notre mission « flash » et du travail engagé sur cette base par la délégation aux entreprises du Sénat, l'article 25 du projet de loi de finances pour 2026 prévoit un ajustement du régime de franchise en base de taxe sur la valeur ajoutée. Cette disposition donnera effectivement lieu à des débats et permettra de faire un point sur la situation.
À l'origine, le statut d'auto-entrepreneur était destiné à apporter de la souplesse au marché de travail. Or ce marché et le rapport au travail ont beaucoup évolué. Aujourd'hui, les situations sont très diverses .
Pour répondre à Sylvie Vermeillet, je ne suis pas favorable, à titre personnel, à l'idée de limiter dans le temps le dispositif de franchise de TVA pour réduire la concurrence déloyale.
D'un point de vue plus général, le statut d'auto-entrepreneur présente des limites: il permet certes de bénéficier d'avantages fiscaux, mais c'est au prix d'une protection sociale amoindrie, qui peut représenter à mon sens une bombe à retardement pour les auto-entrepreneurs eux-mêmes et, à terme, pour la collectivité.
M. Claude Raynal, président. - En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, il vous est proposé de considérer que le périmètre de la proposition de loi comprend les dispositions relatives au régime de la franchise en base de taxe sur la valeur ajoutée, codifié à l'article 293 B du code général des impôts.
Il en est ainsi décidé.
EXAMEN DES ARTICLES
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je suis défavorable à l'amendement COM-1, dans la mesure où il vise à faire évoluer les seuils d'application de la franchise en base de TVA tels qu'ils figurent dans le texte. Je rappelle que nous souhaitons une adoption conforme de la présente proposition de loi.
L'amendement COM-1 n'est pas adopté.
L'article 1er est adopté sans modification.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - L'amendement COM-2 a pour objet d'obliger les assujettis établis dans un autre État membre de l'Union européenne à s'identifier auprès du service des impôts des entreprises étrangères. Or, selon la direction de la législation fiscale, la mesure proposée apparaît redondante et non conforme au cadre européen en matière de TVA. Je demande donc le retrait de cet amendement.
M. Raphaël Daubet. - Je retire mon amendement, monsieur le rapporteur.
L'amendement COM-2 est retiré.
Article 2
L'article 2 est adopté sans modification.
La proposition de loi est adoptée sans modification.
La commission a donné les avis suivants sur les amendements dont elle est saisie, qui sont retracés dans le tableau ci-après :
TABLEAU DES SORTS
Proposition de loi pour la sécurisation juridique des structures économiques face aux risques de blanchiment - Désignation d'un rapporteur
La commission désigne M. Stéphane Sautarel rapporteur sur la proposition de loi n° 877 (2024-2025) pour la sécurisation juridique des structures économiques face aux risques de blanchiment, présentée par Mme Nathalie Goulet et plusieurs de ses collègues.
Projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales - Demande de saisine pour avis et désignation d'un rapporteur
M. Claude Raynal, président. - Il vous est proposé que notre commission se saisisse pour avis du projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales, qui pourrait être inscrit à l'ordre du jour des travaux du Sénat prochainement, et de désigner M. Bernard Delcros rapporteur pour avis.
La commission des affaires sociales, saisie au fond, devrait déléguer l'examen au fond de plusieurs articles à notre commission.
La commission demande à être saisie pour avis sur le projet de loi n° 24 (2025-2026) relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales et désigne M. Bernard Delcros rapporteur pour avis.
La réunion est close à 8 h 35.
La réunion est ouverte à 9 h 00.
Projet de loi de finances pour 2026 et projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026 - Audition de M. Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques, sur l'avis du Haut Conseil
M. Claude Raynal, président. - Nous recevons ce matin M. Pierre Moscovici, après l'avoir entendu hier en tant que président de la Cour des comptes, cette fois en sa qualité de président du Haut Conseil des finances publiques (HCFP), institution budgétaire indépendante placée auprès de la Cour des comptes.
En application de l'article 61 de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), le HCFP rend un avis sur les prévisions macroéconomiques qui sous-tendent le projet de loi de finances (PLF) et le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) de l'année, ainsi que sur la cohérence de l'article liminaire au regard des orientations pluriannuelles de solde structurel et de dépenses des administrations publiques. Il se prononce également sur le réalisme des prévisions de recettes et de dépenses du PLF.
L'exercice de cette mission a de nouveau été quelque peu contrarié en 2025. En janvier dernier, le Haut Conseil a déjà été conduit à publier un avis sur les nouvelles prévisions macroéconomiques et la prévision de finances publiques actualisée du PLF et du PLFSS, dont l'examen parlementaire s'est prolongé, comme vous le savez tous ; et voilà que le PLF pour 2026, dont le Parlement entame l'examen, est déposé en pleine crise gouvernementale.
Monsieur le président, cette situation vous a conduit à vous prononcer, comme à l'accoutumée, dans un temps très court, mais aussi à rappeler, notamment à la presse, que le texte transmis au Parlement « ne pouvait pas être différent » de celui que vous avez examiné. Ce point de vue me semble être celui d'une grande majorité des membres de notre commission.
Comme vous l'avez, de même, opportunément rappelé, les avis du Haut Conseil « sont obligatoires et sont un facteur de constitutionnalité d'un budget ». J'ajoute qu'ils sont très précieux pour juger de la crédibilité des équilibres et trajectoires esquissés par le Gouvernement : l'histoire récente nous apprend qu'elle mérite parfois d'être discutée.
Vous estimez que le scénario macroéconomique pour 2026 « repose sur des hypothèses optimistes », compte tenu de l'« orientation plus restrictive des finances publiques, qui pèserait davantage à court terme sur l'activité ». En parallèle, vous pointez une hypothèse de « reprise de la demande intérieure privée volontariste » au regard du contexte d'incertitude qui pèse sur les investissements.
Si, du point de vue des recettes, la prévision paraît « globalement acceptable », l'évaluation du rendement des mesures nouvelles serait « fragile ». Surtout, la hausse des dépenses publiques paraît « très ambitieuse au regard du passé ». Elle suppose que l'intégralité des mesures évoquées dans la saisine soit mise en oeuvre, ce qui est « peu probable ».
Je vous cède la parole pour présenter en détail l'avis du HCFP et revenir sur ces différents points. Je vous rappelle que cette audition est retransmise sur le site internet du Sénat ainsi que sur les comptes du Sénat sur les réseaux sociaux.
M. Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques. - Notre avis a été rendu le jeudi 9 octobre dernier, dans un contexte effectivement très particulier.
Le Haut Conseil a reçu le 2 octobre, c'est-à-dire dans les temps, à quelques heures près, les prévisions macroéconomiques et de finances publiques du PLF et du PLFSS. Cette saisine était nécessaire pour qu'un budget soit déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale, puis examiné par les deux chambres dans les délais fixés par la Constitution.
Or, le 6 octobre, le Gouvernement a démissionné : lorsque le Haut Conseil a examiné ces textes budgétaires, nous n'avions pas de gouvernement. Nous étions donc face à une incertitude majeure quant à leur devenir : y aurait-il ou non un PLF ? Serait-il, oui ou non, celui qui nous avait été adressé ? De facto, ce ne pouvait être que celui-ci. Mais y aurait-il tout simplement un gouvernement ?
Depuis, les discussions entre forces politiques ont commencé. Il semble très hypothétique que les mesures qui sous-tendent ces prévisions soient mises en oeuvre totalement en l'état - c'est un euphémisme. Des modifications substantielles au PLF et au PLFSS ont déjà été évoquées publiquement par M. le Premier ministre.
L'avis rendu par le HCFP est donc hypothétique, ou spéculatif, et ce dès sa publication. Je préside la Cour des comptes depuis maintenant cinq ans, et je n'avais jamais vu un tel cas de figure.
Ce constat me semble assez symptomatique du fonctionnement actuel de nos institutions, mis à mal par la crise politique que nous traversons. Le budget discuté par le Parlement va différer très fortement de la copie soumise au HCFP. C'est en ce sens que nous avons dû mener, en quelque sorte, un exercice « à blanc ».
Pourtant, la consultation du HCFP n'est pas une simple étape formelle. Le Haut Conseil n'émet pas un énième avis dont on pourrait se dispenser : il n'est pas là par hasard. Nous avons tenu à créer cette instance indépendante - j'ai moi-même défendu cette initiative devant le Parlement lorsque j'étais ministre des finances - à la suite de la crise des dettes souveraines. En effet, avec l'ensemble de nos partenaires européens, nous avons alors jugé qu'il était essentiel, pour la France, de disposer d'une institution budgétaire indépendante, chargée de rendre un avis objectif et neutre sur la trajectoire des finances publiques. Un tel avis, qui a fait cruellement défaut à la Grèce en 2008, doit servir de corde de rappel en cas de déviation de la trajectoire.
Dans ce contexte inédit, les membres du Haut Conseil se sont posé une première question. En l'absence de gouvernement et dans l'incertitude totale quant au PLF, fallait-il rendre un avis ? Cette question a été évacuée en quelques secondes : il nous paraissait évident que nous devions prendre nos responsabilités en jouant le rôle institutionnel que nous confient les articles 61 et 62 de la Lolf. Si cette procédure n'avait pas été respectée, le PLF et le PLFSS auraient été entachés d'un risque majeur d'inconstitutionnalité. À tout le moins, l'absence d'avis du HCFP aurait posé un problème très difficile à trancher par le juge constitutionnel, ces documents étant obligatoires et indispensables.
Le mieux pour le pays est de disposer d'un PLF adopté par le conseil des ministres, puis déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale, ce qui a été fait hier, débattu dans les temps par les deux chambres et, si possible, adopté, ce qui suppose un délai de 70 jours. Le HCFP a donc joué son rôle, en remettant son avis sur le PLF comme sur le PLFSS. J'ajoute qu'il a respecté le délai d'une semaine fixé par la loi organique.
Nous nous sommes fondés sur la copie qui nous a été transmise, et sur cette base seulement. C'est d'ailleurs la version qui, à quelques petites modifications près, lesquelles n'affectent pas les équilibres fondamentaux, a été adoptée par le conseil des ministres, puis transmise à l'Assemblée nationale. Néanmoins, nous n'avons pas ignoré le contexte. Ainsi avons-nous souligné les difficultés méthodologiques, les aléas et les incertitudes de l'exercice.
Ces textes budgétaires contiennent un certain nombre d'éléments solides ; d'autres peuvent être qualifiés d'assez robustes ; d'autres encore sont plus hypothétiques.
Les éléments solides sont ceux qui ont trait à l'exercice 2025, lequel, après deux années noires, marquerait une toute première étape, certes limitée, mais réelle, de redressement des comptes publics. Il s'agit là d'une bonne nouvelle, dans un contexte par ailleurs très dégradé : les prévisions économiques et de finances publiques pour l'année 2025 sont dans l'ensemble crédibles. Des aléas restent bien entendu possibles d'ici à la fin de l'année, mais les prévisions actualisées dont nous disposons nous semblent assez équilibrées.
Concernant le scénario économique, les prévisions sont jugées réalistes. Le Gouvernement table sur une croissance de 0,7 % en 2025, chiffre inchangé par rapport à avril dernier. Au regard de l'acquis de croissance pour l'année en cours, qui est de 0,6 % au deuxième trimestre, l'atteinte de cette cible semble crédible. La situation politique provoque certes un surcroît d'incertitude, mais pas au point, selon nous, de remettre en cause le chiffre de la croissance annuelle.
J'en viens aux prévisions d'inflation. La hausse des prix anticipée pour 2025 est de 1,1 %. Cette prévision est abaissée de 0,3 point par rapport à celle d'avril dernier, du fait de la baisse des prix du pétrole et de l'appréciation de l'euro. Jugée à l'origine un peu élevée, elle apparaît maintenant plausible.
Qu'il s'agisse des recettes ou des dépenses, les prévisions relatives aux finances publiques sont, de même, jugées crédibles pour 2025. Comme toujours, des aléas demeurent, mais ces estimations sont cohérentes avec le scénario économique constaté et les informations disponibles à date.
D'après le Gouvernement, les prélèvements obligatoires augmenteraient de 4,1 % en 2025. La prévision a été révisée à la hausse de 2,2 milliards d'euros par rapport à avril dernier, ce qui nous semble réaliste. S'il existe encore des aléas significatifs pour les mois à venir, ils jouent dans les deux sens, en particulier pour l'impôt sur le revenu, l'impôt sur les sociétés et la nouvelle contribution différentielle sur les hauts revenus (CDHR). L'écart majeur observé en 2023, puis a fortiori en 2024, ne s'est pas reproduit : à l'évidence, l'ajustement aurait pu être assuré plus tôt.
En parallèle, le Gouvernement anticipe une progression des dépenses publiques de 2,7 % en valeur et de 1,2 % en volume. Cette prévision actualisée semble vraisemblable. Comme la prévision des prélèvements obligatoires, la prévision de dépenses pour 2025 a été légèrement revue à la hausse depuis avril dernier, de l'ordre de 3 milliards d'euros. D'un côté, la dépense de la sphère sociale devrait être un peu plus élevée que prévu, notamment compte tenu de la situation financière très dégradée des hôpitaux. De l'autre, les administrations locales connaissent un ralentissement de leurs dépenses d'investissement plus marqué qu'attendu dans les prévisions antérieures.
Au total, le scénario présenté pour 2025 repose sur un déficit public de 5,4 %, inchangé depuis avril dernier. Ce chiffre semble crédible. Le déficit structurel se réduirait ainsi de 0,7 point du PIB, ce qui est substantiel. Toutefois, j'attire l'attention sur le fait que l'effort structurel proviendrait intégralement de la hausse des prélèvements obligatoires - cette augmentation dépasserait 24 milliards d'euros. À l'inverse, l'effort en dépenses serait nul. Ce constat trahit une fois de plus notre incapacité à agir de manière résolue sur le niveau et la qualité de nos dépenses.
Il y a un an, Michel Barnier certifiait que le PLF pour 2025 assurerait un certain volume de réduction du déficit, composé à 70 % de baisses de dépenses et à 30 % de hausses des prélèvements obligatoires. Le Haut Conseil estimait que ce serait la proportion inverse. Et, in fine, l'effort structurel résulte à 100 % de hausses de prélèvements obligatoires. C'est dire s'il reste à travailler sur les dépenses : je le dis pour l'avenir.
En résumé, les prévisions économiques et budgétaires fournies par le Gouvernement pour 2025 nous paraissent crédibles. De plus, elles marquent un tout début de redressement des comptes publics. C'est un premier pas, certes limité, mais il mérite d'être souligné. En 2025, nous avons inversé la tendance.
J'en viens aux éléments d'analyse que je qualifierai de robustes. Ces derniers relèvent du scénario économique retenu pour l'année 2026, qui repose selon nous sur des hypothèses optimistes.
Certes, l'hypothèse de croissance retenue pour 2026, de 1 % en volume, n'est que très légèrement supérieure à celles des autres prévisionnistes, lesquelles sont en moyenne de 0,9 %. Mais ce scénario nous semble reposer sur un pari favorable.
Ainsi, la croissance serait plus vigoureuse en 2026 qu'en 2025, alors que la conjoncture internationale n'est pas porteuse et que l'ajustement budgétaire serait beaucoup plus important que cette année.
Dans le scénario soumis par le Gouvernement, le budget est plus restrictif. L'effet de frein sur l'activité à court terme doit donc, logiquement, être un peu plus marqué, à cause du net ralentissement de la demande publique en 2026, des effets des hausses de prélèvements et du gel des revalorisations. En théorie, ces éléments devraient se traduire par une estimation de croissance plus faible que le consensus, lequel ne repose pas sur un ajustement budgétaire si important.
En parallèle, le scénario transmis table sur une reprise de la demande privée dont l'ampleur nous paraît quand même assez volontariste.
Je pense en particulier à l'investissement des entreprises, qui rebondirait de plus de 2 % en 2026, selon ces prévisions, contre 1 % au mieux d'après les prévisionnistes. Or les comportements actuels ne permettent pas d'anticiper une telle évolution. Depuis juin 2024, l'investissement des entreprises a reculé de 1,2 %.
Quant à la consommation des ménages, elle rebondirait de 0,9 %, malgré l'absence de gains de pouvoir d'achat. Cette hypothèse suppose une baisse du taux d'épargne, phénomène annoncé depuis des années et qui ne se produit jamais. Une telle baisse est possible, elle est même plausible, le taux d'épargne atteignant désormais le record de 19 %. Mais l'ampleur du reflux de l'épargne risque fort de décevoir, comme par le passé, d'autant que l'instabilité politique accroît, comme toute forme d'incertitude, la frilosité des agents économiques et qu'il n'y a pas de stimulus à attendre du commerce extérieur. La guerre tarifaire et l'appréciation de l'euro vont limiter le rebond des exportations l'an prochain. La contribution du commerce extérieur à la croissance serait ainsi à peu près neutre en 2026.
Au total, ce scénario économique pour 2026 associe un ajustement budgétaire marqué, qui aurait un impact sur la croissance de 0,6 point de PIB, et une accélération de l'activité. Il est, selon le Haut Conseil, plutôt volontariste. Cette hypothèse est favorable, sans être impossible : une telle prévision économique n'est pas hors-sol. L'hypothèse de croissance était de 1,2 point en avril dernier : elle a été abaissée à 1 point. Elle diverge moins du consensus que lors des exercices passés - en 2024, le Gouvernement annonçait ainsi 1,4 % de croissance, alors que le consensus était à 0,8 %. Le Haut Conseil, à l'époque, s'était montré « sympa »...
Quant à la prévision d'inflation, elle est plausible, la prévision de la masse salariale étant un peu élevée.
Enfin, un certain nombre d'éléments sont plus hypothétiques. C'est en ce sens que l'avis du HCFP est un exercice « à blanc ».
Dans ce scénario, le Gouvernement prévoit une réduction du déficit public à 4,7 % du PIB l'an prochain. Ce serait là une baisse notable, de 0,7 point de PIB par rapport à 2025. Toutefois, la semaine dernière, le Premier ministre a annoncé de nouveaux chiffres, moins ambitieux. Il les a répétés hier, en mentionnant même le chiffre de 5 %. Ce n'est pas la cible figurant dans la copie qui nous a été transmise, ainsi qu'au Parlement, et les moyens permettant de l'atteindre restent encore à préciser. Nous n'avons donc pas pu expertiser ces éléments.
J'en viens à la cohérence interne du scénario sur lequel nous avons été tenus de travailler. En prenant pour base un déficit à 4,7 %, le Haut Conseil émet une première réserve, au regard du caractère un peu volontariste des hypothèses économiques qui sous-tendent cette prévision.
La prévision de croissance dite spontanée des prélèvements obligatoires nous semble globalement acceptable, et même quelque peu prudente par rapport aux hypothèses économiques. En revanche, le Haut Conseil émet des interrogations assez fortes sur les mesures d'économies en dépenses et sur les recettes nouvelles présentées.
À n'en pas douter, des mesures d'économies substantielles sur la dépense figurent dans le projet qui nous a été transmis : une année blanche sur les prestations sociales et les salaires publics ; une baisse des crédits ministériels, exception faite des crédits dédiés à la défense, qui, eux, progresseraient fortement ; un resserrement des transferts de l'État vers les collectivités territoriales ; un paquet d'économies significatif sur l'assurance maladie, notamment avec la hausse des franchises et autres participations des assurés. L'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) pour 2026 est un Ondam record : sa progression se limiterait à la moitié de la progression de l'année 2025. Au total, ces efforts représenteraient une économie de l'ordre de 17 milliards d'euros sur les dépenses publiques, par rapport à un scénario stabilisant le poids de la dépense dans le PIB.
Ce projet comprend aussi une hausse assez notable des prélèvements obligatoires en 2026. L'augmentation serait de près de 14 milliards d'euros, avec le gel du barème de l'impôt sur le revenu, de nouvelles économies sur les allégements généraux, des mesures relatives aux niches fiscales et sociales, la reconduction pour moitié de la surtaxe d'impôt sur les sociétés, la prolongation de la contribution différentielle sur les hauts revenus (CDHR) et, enfin, une taxe sur les holdings. Le projet inclut aussi une reprise de la baisse de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), interrompue l'an dernier.
Le quantum de mesures est donc très substantiel. Toutefois - je passe à la cohérence externe -, le Haut Conseil se doit d'émettre de sérieux doutes quant à leur mise en oeuvre.
Tout d'abord, même en retenant l'hypothèse, désormais très théorique, selon laquelle l'ensemble des mesures présentées seraient adoptées et mises en oeuvre, les cibles visées sont tout de même ambitieuses.
Les mesures en recettes ont un rendement parfois difficile à confirmer. Je pense par exemple au gain de 1,5 milliard d'euros escompté d'un nouveau projet de loi de lutte contre la fraude.
Du côté des dépenses, l'évolution prévue est de 0,2 % en volume. L'effort n'est pas inédit, mais il est faible, dans une perspective historique. Or, pour tenir cet objectif, il faudrait non seulement que l'ensemble des économies escomptées soient réellement dégagées, ce qui est tout de même une gageure, mais aussi que la gestion fasse l'objet d'une grande vigilance, ce qui ne fut pas tout à fait le cas ces dernières années.
Surtout, les annonces publiques et les discussions récentes laissent supposer qu'une pleine mise en oeuvre des mesures évoquées est peu probable. En parallèle, des mesures nouvelles, qui ne figurent pas dans le projet soumis au Haut Conseil, sont susceptibles de remettre fortement en cause le scénario présenté. Je pense, bien sûr, à une suspension de la réforme des retraites. Certes, le Premier ministre a annoncé que cette décision serait compensée, mais il faut s'interroger sur son coût net.
En définitive, le Haut Conseil estime que la prévision de solde public qui lui est soumise pour 2026 est fragilisée par un scénario économique volontariste et, surtout, par un risque de sous-réalisation, voire d'absence de réalisation de tout ou partie des mesures de recettes et d'économies affichées.
Les textes budgétaires étant susceptibles d'être profondément remaniés, il me semble important de rappeler quelques messages essentiels que le Haut Conseil adresse, année après année, à l'ensemble des décideurs publics, au nombre desquels les membres de la commission des finances du Sénat.
Le Haut Conseil a pour mission essentielle de s'assurer de la cohérence de la trajectoire budgétaire avec les objectifs que la France s'est elle-même fixés et les engagements qu'elle a pris à l'égard de ses partenaires européens.
Nous avons dévié plusieurs fois de cette trajectoire. Désormais, nous avons reporté à 2029 l'atteinte de l'objectif de 3 % de déficit. En avril dernier, le Haut Conseil identifiait déjà un important écart, qui a conduit au déclenchement du mécanisme de correction.
En soi, l'objectif de 3 % de déficit en 2029 n'est pas monstrueux. La France a le plus haut déficit de la zone euro, à savoir 5,4 %, le déficit moyen y étant de 3,1 %. Nous sommes en procédure de déficit excessif. En outre, je rappelle que le seuil de 3 % de déficit est celui au-delà duquel la courbe de la dette s'inverse.
Pour atteindre cet objectif, pleinement nécessaire pour arrêter l'envolée de notre dette, nous devons mener un effort de redressement dans la durée. À ce titre, l'année 2025 est une première étape. Dans le scénario soumis par le Gouvernement, la marche à franchir serait beaucoup plus haute en 2026. L'effort structurel ne serait pas de 24 milliards d'euros, mais de plus de 30 milliards d'euros, soit 1 point de PIB - 17 milliards d'euros en dépenses et 14 milliards d'euros de recettes additionnelles. À ma connaissance, un tel effort n'a été accompli qu'une fois, pendant l'année 2013.
Or, même dans ce cas, la dette continuerait à croître dans des proportions très préoccupantes. Elle augmenterait de plus de 2,5 points de PIB en 2025 et encore de 2 points en 2026 - ce sont les chiffres du Gouvernement - pour atteindre 118 points de PIB, à condition que les objectifs assez ambitieux fixés par le PLF soient atteints. À défaut, la dette s'aggravera encore.
Par cette dynamique, la France se singularise clairement de ses partenaires. En pourcentage du PIB, sa dette est la troisième de la zone euro, et c'est le seul grand pays dont la dette augmente. Au rythme où nous allons, l'inversion de la courbe avec l'Italie se produira probablement en 2029.
J'ai été commissaire européen de 2014 à 2019. À l'époque, il était presque inimaginable que la dette française dépasse celle de la Belgique, de l'Espagne ou encore du Portugal ; il était invraisemblable que nos taux d'intérêt emprunteurs soient plus élevés que ceux de ces pays et même que ceux de la Grèce. Les spreads avec l'Italie étaient de 80 points de base en juin 2024. Ils sont aujourd'hui d'à peu près zéro. Si nous continuons ainsi, nous risquons fort de payer les taux d'intérêt les plus élevés de la zone euro. D'ailleurs, les taux d'intérêt sur lesquels se fonde le PLF pour 2026 sont de 3,8 %. Ils étaient de 3 % il y a un an.
Il reste beaucoup de chemin à faire pour reprendre le contrôle de nos finances publiques, mais c'est notre devoir d'avancer en ce sens.
À cet égard, il me semble nécessaire de renforcer le rôle du Haut Conseil et d'améliorer les conditions dans lesquelles il est appelé à exercer ses missions. En étant plus exigeants à l'égard du Gouvernement sur ces sujets budgétaires, en renforçant encore nos analyses de soutenabilité de la dette, nous ne ferons qu'accroître l'information du Parlement, d'autant que le Gouvernement sera tenu de présenter des documents plus sérieux. Renforcer le Haut Conseil, c'est renforcer le Parlement.
J'y insiste, nous sommes face à un noeud coulant qui réduit progressivement nos capacités budgétaires. Nous risquons, à l'avenir, de ne pouvoir faire face à un éventuel choc conjoncturel. Notre crédibilité diminue aux yeux de nos partenaires. Le coût de la dette augmente. Pour ce qui concerne nos investissements d'avenir, nos marges de manoeuvre se réduisent, qu'il s'agisse d'écologie - c'est vital -, de sécurité - c'est essentiel -, d'innovation ou de compétitivité - comment pouvons-nous exister sans ces investissements ?
Un État trop endetté est un État impuissant. Désormais, nous devons impérativement inverser la courbe.
M'exprimant pour la dernière fois en cette qualité devant votre commission, je tiens à remercier l'équipe du Haut Conseil, qui, malgré son faible effectif, sait produire en des temps records des analyses remarquables. Je remercie également les membres du Haut Conseil, dont certains sont d'ailleurs nommés par le président du Sénat. Cette instance, extrêmement discrète et mal connue, est à la fois pluraliste et pleinement indépendante. J'espère que ses avis continueront de vous être utiles.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Au nom de la commission, je salue à mon tour le travail du Haut Conseil. Ses analyses à la fois solides et sérieuses, toujours formulées dans des délais très resserrés, sont particulièrement utiles pour éclairer le débat public et notamment les débats parlementaires.
La gravité de la situation n'échappe à personne. Nous devons être à la hauteur des circonstances : aussi, nous ne saurions reporter à demain les mesures qui s'imposent aujourd'hui.
Vous avez qualifié de « sympa » l'avis rendu par le HCFP sur le budget de 2024. Or, lorsque nous nous sommes penchés sur la dérive des comptes publics déplorée en 2024, un haut responsable de l'administration de l'État a déclaré que, du point de vue des prévisions, il s'agissait de « l'année pas de bol »... Notre commission a consacré deux rapports à cet exercice. On a pu qualifier ce travail de sévère, alors qu'il était purement factuel - qu'on les habille ou non, les chiffres sont têtus.
En outre, vous avez évoqué les réductions de dépenses mentionnées pour 2025, avant de relever que l'on aboutit à un effort constitué à 100 % de hausses de la fiscalité. Quant aux hypothèses retenues pour 2026, vous les qualifiez d'optimistes en ajoutant qu'elles vous inspirent de sérieux doutes.
Cette année, le Parlement doit certes jouer un rôle encore plus grand que d'ordinaire dans l'élaboration du budget, mais il ne sera bien sûr pas seul à décider. Il se prononcera aussi sur la base des hypothèses qui lui sont soumises. François Bayrou, alors Premier ministre, avait retenu comme objectif un déficit public de 4,6 %. Hier, Sébastien Lecornu a évoqué une cible de 4,7 %, en tout cas de « moins de 5 % ». L'effort de réduction du déficit, qui ne serait plus dès lors que de 0,4 point, serait diminué de moitié. L'objectif de 3 % de déficit en 2029 ne s'en trouve-t-il pas compromis ? On ne peut pas reporter tous les efforts et toutes les questions après l'élection présidentielle prévue en 2027. L'enjeu, c'est évidemment l'avenir des Français et la place de la France dans le concert européen. Aujourd'hui, au sein de l'Union européenne, notre pays reçoit le bonnet d'âne pour l'état de ses comptes publics : je n'en suis ni heureux ni fier.
J'en viens à une question méthodologique, qui n'est pas anecdotique.
La nouvelle présentation des efforts budgétaires retient désormais non pas le tendanciel de hausse des dépenses spontanées, dont on a beaucoup entendu parler, mais la part des dépenses rapportée à la richesse créée chaque année. Cette approche paraît, à certains égards, plus concrète et plus lisible. Quel en est, selon vous, l'intérêt ? D'ailleurs, à la fin du mois d'août dernier, vous avez publié une note méthodologique intitulée « L'Évolution des dépenses publiques « à politique inchangée » », dans laquelle vous montrez qu'il s'agit d'une convention qui, comme toute convention, est discutable.
Dans ce cadre, comment appréciez-vous le choix retenu pour le présent budget, qui affiche une économie d'environ 30 milliards d'euros, alors que l'ancien Premier ministre François Bayrou estimait qu'il eût fallu 44 milliards d'euros d'économies pour être dans la bonne marge ?
M. Vincent Delahaye. - Dans votre rapport, vous évoquez 30 milliards d'euros d'économies structurelles. Auparavant, l'analyse se fondait plutôt sur le tendanciel ; or, les deux approches semblent désormais se mêler, ce qui rend plus difficile le raisonnement.
Le Gouvernement avait indiqué que les hypothèses servant à établir ce tendanciel seraient transmises au Haut Conseil des finances publiques. Cela a-t-il été fait ? La représentation nationale n'en a, à ce jour, pas connaissance ; or j'aimerais pouvoir en disposer.
Il me semble que la majeure partie des 17 milliards d'euros d'économies faites sur les dépenses concerne celles des administrations de sécurité sociale. Quelle part relève du budget de l'État ? Ces économies sont-elles bien documentées ?
Par ailleurs, vous estimez que l'hypothèse de hausse de la masse salariale à 2,3 % est peut-être un peu élevée. Dans le même temps, les prévisions de recettes font apparaître une progression de plus de 9 milliards d'euros de l'impôt sur le revenu, soit plus de 10 %, et une hausse de la TVA de 12,5 %, représentant plus de 12 milliards d'euros de recettes supplémentaires. Vous ne qualifiez pas ces prévisions de recettes : pour 2025, vous les jugez crédibles, mais vous ne les qualifiez pas pour 2026. Pourriez-vous préciser votre appréciation devant nous ?
M. Thierry Cozic. - Au regard de la situation politique actuelle, j'ai le sentiment que le projet de loi de finances est déjà caduc.
Le Haut conseil relève que le scénario économique présenté par le Gouvernement repose sur des hypothèses « optimistes » ; je partage cette appréciation.
L'hypothèse de croissance à 1 % est légèrement supérieure à celle qu'a chiffrée le consensus des économistes, qui s'élève à 0,9 % ; compte tenu de l'effort de redressement et de son effet négatif sur l'activité, cette hypothèse me paraît trop élevée. Le Gouvernement estime l'incidence de ses mesures sur l'activité à 0,4 point ; le Haut conseil juge ce chiffre faible ; je souscris à cette analyse.
S'agissant du déficit, la cible affichée à 4,7 %. Or, hier, dans sa déclaration de politique générale, le Premier ministre a laissé la possibilité d'aller jusqu'à 5 %. Cela me conduit à considérer que l'avis est déjà caduc et que la cible ne tient plus.
Aussi, alors que l'euro a reculé d'environ 0,8 % face au dollar en une semaine, que les trajectoires du plan budgétaire et structurel de moyen terme (PSMT) ne pourront pas être respectées et que les marchés renchérissent le coût de la dette, ce budget est-il de nature à redresser les comptes publics, durablement endommagés par huit années de macronisme ?
M. Pascal Savoldelli. - Nous avons besoin d'un débat argumenté, calme et raisonné. Prétendre, par exemple, que la dissolution - et ce, quoi qu'on en pense - se chiffrerait à 15 milliards d'euros, selon l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), n'est pas sérieux. Les marchés financiers, les plateformes de trading, l'évolution du spread ou des taux d'intérêt n'ont pas à dicter la vie politique.
Le Gouvernement retient l'hypothèse d'un rebond de la consommation populaire. Je suis dubitatif : d'une part, le taux d'épargne, autour de 18 %, n'en est pas le signe ; d'autre part, je ne vois rien sur les salaires, et je constate des gels des retraites, des pensions et des prestations - « année blanche » pour les uns, « année noire » pour les autres. Tenez-vous pour fondée l'hypothèse d'un tel rebond ?
Les holdings ont parfois servi de parade pour contourner l'impôt. Que pensez-vous du rendement de la taxe sur ces structures proposée dans le projet de loi de finances ? Quel est le risque de contournement ?
M. Michel Canévet. - Le Haut Conseil fait apparaître le caractère hypothétique des perspectives qui nous ont été présentées dans le projet de loi de finances.
Le groupe Union Centriste estime nécessaire de respecter les trajectoires pour lesquelles nous nous sommes engagés à Bruxelles et de ramener le déficit à un niveau raisonnable. Deux voies existent : la première serait de faire un effort sur les dépenses. D'où ma question : à combien évaluez-vous l'effort de réduction des dépenses à réaliser en 2026 pour tenir le cap du PSMT ? La deuxième serait de prévoir des recettes supplémentaires. Aussi, quelle est votre appréciation sur une taxe sur les très hauts patrimoines, qui agite une partie de la classe politique, dont le rendement serait, aux dires de certains, de 20 milliards d'euros ? Ce chiffrage vous paraît-il crédible ? Enfin, selon vous, l'instauration d'une telle taxe aurait-elle un effet positif sur le développement économique de la France ? On constate souvent que de nouveaux outils fiscaux rapportent moins qu'attendu et peuvent avoir un effet récessif. Serait-ce le cas ici ?
M. Hervé Maurey. - Peut-on réellement parler d'un « début de redressement des finances publiques », comme vous l'avez fait, alors que la dette a continué d'augmenter en 2025 et que, selon vos propres termes, la France est le seul pays d'Europe où elle progresse encore ? Peut-on également se réjouir d'une amélioration qui tiendrait surtout à une hausse des prélèvements obligatoires, déjà très élevés en France, sans économies avérées ?
Pour 2026, le scénario semble identique : pas moins de 14 milliards d'euros supplémentaires de fiscalité ont été annoncés ; et rien ne prouve que les économies proposées soient tenues, puisqu'elles ne l'ont pas été en 2025. La situation est-elle aussi encourageante que vous le dites ? Sommes-nous incapables de réduire nos dépenses ?
Quel serait, pour 2026, le volume nécessaire d'économies budgétaires pour tenir nos objectifs, et surtout le volume possible et atteignable ?
Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - Depuis hier, nous savons que la suspension de la réforme des retraites sur l'âge et l'accélération de la réforme Touraine seront intégrées au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Quelle est votre appréciation du montant des dépenses supplémentaires à intégrer ? Il appartiendra, semble-t-il, au Parlement de déterminer les mesures d'économie nécessaire.
M. Bernard Delcros. - Ma question porte sur l'imposition des rachats d'actions instaurée l'an passé : le taux de 8 % demeure largement symbolique, l'assiette étant limitée à la valeur nominale des actions, et non à leur valeur réelle, alors même que l'écart entre les deux peut être considérable. On nous a opposé un impératif de conformité au droit européen. Partagez-vous ce diagnostic ? Existe-t-il, dans le respect du droit, une voie permettant de prendre en compte la valeur réelle des actions pour asseoir plus justement l'imposition ?
M. Pierre Moscovici. - Les questions relatives à la fiscalité des holdings ou à une taxe sur les actions ne relèvent pas de nos attributions et nous ne disposons d'aucune information particulière à leur sujet.
Dès 2024, nos avis avaient relevé le caractère optimiste des hypothèses retenues, qu'il s'agisse de la croissance, des composantes de la demande ou de la trajectoire de déficit : nous n'avons pas donné les félicitations du jury ! Nous aurions pu être plus sévères...
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Vous auriez pu ou dû ?
M. Pierre Moscovici. - Je ne suis pas homme à regretter beaucoup : je dirais « pu ». Au cours de ces cinq années, je me suis toujours gardé d'invoquer la notion d'insincérité, dont les conséquences constitutionnelles sont lourdes et qui placerait le Haut Conseil dans une position délicate. Simplement, nous l'avons dit, un écart de 0,6 point, ce n'est vraiment pas bien. Le Haut Conseil fait son office honnêtement.
S'agissant de la méthode, ni la Cour ni le Haut Conseil ne travaillent à partir du tendanciel, qui aboutit à un effort plus élevé, parce qu'il inclut une dégradation implicite du solde structurel - la dépense, à politique inchangée, est supposée augmenter plus vite que la croissance potentielle ; nous fondons nos travaux sur la définition européenne de l'effort structurel. Ainsi, aucun chiffre relatif au tendanciel n'a été transmis au HCFP. Que le Gouvernement revienne, cette année, aux notions européennes nous paraît plus clair et plus conforme aux standards : l'effort présenté s'établit ainsi à environ 30 milliards d'euros.
La question centrale demeure la cohérence du PLF pour 2026 avec les engagements européens de la France : la trajectoire vise un déficit inférieur à 3 % en 2029, avec une étape à 5,4 % en 2025. Le PLF retient 4,7 % pour 2025, proche des 4,6 % envisagés dans le PSMT transmis par le gouvernement de Michel Barnier ; en revanche, un déficit à 5 % marquerait un écart significatif. Au rythme d'un effort annuel de 0,4 à 0,5 point de PIB - les annonces nous conduiraient plutôt à 0,4 en réalité -, le passage sous les 3 % dériverait vers 2031. J'ajoute qu'une année présidentielle - ce sera le cas en 2027 - n'est généralement pas propice à un durcissement de l'ajustement ; l'effort devra être reporté à une autre année. Atteindre le seuil des 3 % en 2029 est incertain, c'est une évidence.
La Commission européenne pourra sans doute - je n'en suis pas le porte-parole - faire preuve d'une petite tolérance, mais celle-ci n'est pas illimitée dès lors qu'elle compromettrait l'atteinte crédible de l'objectif.
Oui, il y a un début d'amélioration de nos finances publiques. Le déficit est passé de 5,8 % à 5,4 %, après des années d'augmentation : il s'agit bel et bien d'une inflexion ; mais elle n'est pas suffisante, si l'on veut être en dessous du seuil des 3 % en 2029. Le rythme de réduction du déficit devra accélérer.
La France est encore loin de stabiliser son ratio de dette sur PIB. L'écart entre les ratios d'endettement de la France et de l'Allemagne dépasse désormais 50 points de PIB, alors que nos niveaux étaient identiques au lancement de l'euro, à savoir 58,9 % pour chaque pays.
La dynamique de la dette est en baisse en Espagne et au Portugal ; elle est proche de la stabilisation en Italie, même si son niveau est plus élevé que le nôtre.
Les conditions d'emprunt public de la France se sont dégradées. La charge de la dette, passée de 35 milliards d'euros en 2021 à 74 milliards l'an prochain, devrait dépasser le budget de l'éducation nationale en 2027, devenant le premier poste budgétaire de la Nation, pour la première fois de l'histoire financière de la Ve République.
Si nous ne faisons pas l'effort nécessaire, nous serons incapables de maîtriser notre dette ; aussi, repousser l'effort à plus tard pour revenir sous le seuil des 3 % est une faute à l'égard des générations futures.
Du côté des recettes, les prévisions d'évolution spontanée fournies par l'administration sont globalement acceptables et parfois prudentes - je pense à la TVA et aux cotisations -, ce qui compense partiellement les prévisions macroéconomiques un peu optimistes. Du côté des dépenses de l'État, l'effort annoncé - environ 6 milliards d'euros d'économies - est partiellement documenté ; il porte notamment sur la masse salariale : près de 3 000 emplois de l'État seraient supprimés, le point d'indice serait gelé et des mesures catégorielles sont envisagées. Ces mesures survivront-elles au débat budgétaire ?
En revanche, l'effort des administrations de sécurité sociale est considérable : fixer l'objectif national de dépenses d'assurance maladie à 1,5 % est sans précédent.
La prévision de consommation des ménages pour 2026, établie à + 0,9 % contre + 0,5 % en 2025, suppose un repli du taux d'épargne de 0,6 point, de 18,4 % à 17,8 %, en l'absence de gain de pouvoir d'achat net. Cette hypothèse nous paraît favorable, notamment parce que le gel des prestations sociales a sans doute un impact négatif sur la consommation.
À l'inverse, la prévision d'investissement apparaît élevée. L'effort de réduction des dépenses publiques prévu pour 2026 serait de 0,6 point de PIB, soit environ 17 milliards d'euros. J'y insiste : la copie qui vous est présentée témoigne incontestablement d'un progrès de cohérence interne par rapport aux exercices antérieurs, notamment l'abandon de pratiques consistant à présenter des hausses d'imposition comme des économies, ce que nous avions qualifié d'économies façon Canada Dry l'an dernier.
Reste la question du portage politique et de l'effectivité de ce budget : que subsistera-t-il des propositions initiales à l'issue du débat parlementaire ? C'est une copie très bien réalisée par les administrations dans une période de flottement politique. C'est en ce sens que notre exercice demeure, pour partie, à blanc. Je relève tout de même que l'effort de 0,6 point de PIB est conforme à la règle européenne de dépense primaire nette en situation de déficit excessif.
Enfin, s'agissant des retraites, une suspension - et non une abrogation - jusqu'à l'élection présidentielle aurait, à court terme, un coût de quelques centaines de millions d'euros en 2026 et d'environ 2 milliards d'euros en 2027 - je n'ai pas de raison de mettre en doute les chiffres avancés par le Premier ministre hier. Aujourd'hui, le déficit des régimes de retraite s'établit à 6,6 milliards d'euros. Il resterait globalement à ce niveau jusqu'en 2030, si la réforme était mise en oeuvre. Sans me prononcer sur l'opportunité de cette réforme, j'en rappelle l'effet financier : elle dégagerait d'ici à 2030 environ 10 milliards d'euros. À l'inverse, si la réforme était stoppée, il faudrait trouver 10 milliards d'euros pour éviter que le déficit ne se dégrade vers 17 milliards d'euros en 2030. Au-delà de 2030, nos estimations indiquent une accélération marquée de la dégradation : un déficit proche de 15 milliards d'euros en 2035, puis de 30 milliards d'euros en 2045.
Il subsiste donc, au total, des enjeux d'équilibre du système de retraite et, plus largement, de soutenabilité de nos finances publiques, qui devront être pleinement assurés, d'une manière ou d'une autre, dans le cadre du débat public - dès à présent et, le cas échéant, lors de la prochaine élection présidentielle.
En somme, deux horizons se dessinent : le court terme, dont l'évaluation rejoint les indications données hier par le Premier ministre, et le long terme, qui engage des choix fondamentaux - choix de société autant que choix financiers. Il appartiendra au législateur de les trancher, d'abord à l'occasion du présent PLF.
Voilà les éléments que je souhaitais porter à votre appréciation. Je vous souhaite bon courage pour ce débat budgétaire et je salue le rôle déterminant que le Parlement, et singulièrement le Sénat, est appelé à jouer dans la période particulière que traverse notre vie politique.
M. Claude Raynal, président. - Je vous remercie, monsieur le Premier président, de vos réponses et de l'action menée. Depuis cinq ans, nous avons beaucoup travaillé ensemble ; nous aurons peut-être l'occasion de nous revoir à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances de fin de gestion (PLFG), sans certitude. En tout état de cause, je salue, à travers vous, l'engagement du Haut Conseil et de la Cour des comptes et vous adresse, à titre personnel, mes voeux les plus sincères pour la suite.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Projet de loi de finances pour 2026 - Audition de M. Roland Lescure, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, et Mme Amélie de Montchalin, ministre de l'action et des comptes publics
M. Claude Raynal, président. - Nous avons le plaisir de recevoir ce matin M. Roland Lescure, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, et Mme Amélie de Montchalin, ministre de l'action et des comptes publics, qui, tout juste renommés dans leurs fonctions dimanche, viennent nous présenter le projet de loi de finances (PLF) pour 2026, délibéré hier matin en conseil des ministres. Je vous souhaite à l'un comme à l'autre la bienvenue et vous adresse tous mes voeux de réussite dans cette période qui, nous le savons, ne sera pas de tout repos.
L'objectif est ambitieux : faire adopter par le Parlement un budget pour la France d'ici au 31 décembre en répondant non seulement aux exigences de maîtrise des déficits et de la dette publique, mais aussi à la demande forte des Français d'une juste imposition des revenus et des patrimoines. Il vous faudra également rassurer face à l'incertitude pesant actuellement sur l'investissement des entreprises et sur la consommation des ménages.
Vous devrez donc trouver la bonne formule, laquelle, me semble-t-il, ne figure pas encore dans ce projet de loi de finances, tel qu'il a été transmis au Parlement. Et comment le pourrait-elle, alors que les grandes orientations budgétaires et fiscales ont, finalement, si peu varié depuis leur présentation en juillet par l'ancien Premier ministre François Bayrou ? Le Premier ministre actuel l'a reconnu en affirmant ceci : « nous savons déjà qu'à la fin, cela ne sera pas le budget Lecornu » ; « le budget qui sera voté ne sera pas le budget initial du Gouvernement ». Je ne peux que vous le confirmer...
Autant avais-je déploré, l'an dernier, un budget préparé à la va-vite, autant, cette année, la couleur était-elle annoncée depuis quelques semaines. Il est donc d'autant plus regrettable que ce budget soit transmis au Parlement au dernier jour permettant de l'adopter dans les délais constitutionnels, soit une semaine après le délai limite prévu par la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), à savoir le premier mardi d'octobre.
Selon le Haut Conseil des finances publiques (HCFP), dont le président vient de nous présenter l'avis, le scénario macroéconomique pour 2026 repose sur des hypothèses optimistes compte tenu de l'orientation plus restrictive des finances publiques, qui pèserait davantage à court terme sur l'activité, et repose sur une hypothèse de reprise de la demande intérieure volontariste au regard, précisément, de ce contexte d'incertitude.
Monsieur le ministre, madame la ministre, pouvez-vous nous en dire plus sur cette rétroaction entre mesures d'économies, qu'il s'agisse de hausses d'impôts ou de coupes dans les dépenses, d'une part, et dynamisme de l'activité économique, d'autre part ? Dans le détail des recettes et des économies, dans quelle mesure votre budget et ses mesures nouvelles répondent-ils à l'objectif de produire davantage que défend, à en croire sa déclaration de politique générale, M. le Premier ministre ?
M. Roland Lescure, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique. - La période que nous traversons a usé les mots, jusqu'à parfois les vider de leur sens. Je pèse chacun des miens ; ils m'engagent. L'instabilité de notre situation politique rend plus pressante encore notre responsabilité d'assurer stabilité, visibilité et confiance aux Français, aux ménages, aux entreprises, aux investisseurs.
Cela suppose, ce qui est un bon début, de doter la France d'un budget pour 2026. Cette exigence de responsabilité est collective. Notre premier devoir était de déposer ce projet de budget dans le respect des délais prévus par la Constitution. Nous sommes aujourd'hui dans les temps pour que les soixante-dix jours du débat parlementaire puissent avoir lieu.
Ce projet de budget est le fruit d'un travail de longue haleine. Je vous remercie, madame la ministre, pour le travail exceptionnel que vous avez accompli depuis que vous avez été nommée, le 23 décembre dernier. Je souhaite aussi saluer l'action exemplaire des agents de nos ministères, qui ont oeuvré sans relâche à la préparation du texte que nous vous présentons aujourd'hui, malgré les soubresauts du calendrier politique.
Ce budget tend à définir un point d'équilibre possible, sans exclure que d'autres soient envisageables. Il constitue un point de départ, et non le point d'arrivée. S'ouvre donc le chapitre des discussions parlementaires. Le Premier ministre l'a dit, nous serons à l'écoute de vos propositions. En outre, il s'est engagé à ne pas recourir à l'article 49, alinéa 3, de la Constitution pendant les débats. Nous sommes donc tous garants de l'aboutissement d'un compromis si nous voulons doter la France d'un budget pour 2026.
Toutefois, concession ne veut pas dire déraison. Justice fiscale ne veut pas dire surenchère fiscale. Le compromis politique que nous atteindrons ne fera pas de lui-même disparaître notre dette. Je serai donc intraitable sur notre trajectoire budgétaire.
Nous conserverons l'objectif d'un déficit inférieur à 3 % du PIB en 2029. Ce n'est pas pour faire plaisir à Bruxelles. Jeudi et vendredi, à Luxembourg, mes collègues européens m'ont dit leur préoccupation quant à la situation française, mais ils soutiennent nos efforts de redressement et nous font confiance. Ce n'est pas non plus pour faire plaisir aux marchés financiers, même si cela est important pour notre souveraineté. Cependant, un déficit inférieur à 3 % du PIB en 2029 permettra de stabiliser notre dette, alors même que notre objectif à toutes et à tous doit être sa décrue.
Voici donc la vision que je défendrai sans relâche : adopter un budget qui mette un coup d'arrêt à la hausse de la dette et rétablisse nos comptes publics, en préservant la croissance, l'emploi et la transition écologique, impératif absolu, avec un effort équitablement réparti.
Il y va de la pérennité de nos services publics comme de celle de notre modèle social. Il y va de la préservation de notre souveraineté et de la crédibilité de la signature de la France et de nos engagements envers nos partenaires européens et internationaux. Il y va de notre responsabilité face aux générations futures. Je connais bien le Sénat, puisque cela fait huit ans que nous oeuvrons ensemble, et sais que cette notion de responsabilité est inhérente à la manière dont vous travaillez.
Pierre Moscovici vous a dit que ce budget relève un peu d'une construction parfaite, d'un plan d'architecte, mais c'est vous qui en serez les bâtisseurs. Et afin de partager cette responsabilité commune et que nous soyons au même niveau d'informations, Amélie de Montchalin et moi-même vous transmettrons régulièrement des éléments sur les conséquences des dispositions qui auront été votées en commission comme en séance, en dépenses, en recettes et en déficit. Certes, certains amendements ne pourront être chiffrés en temps réel, mais ces estimations permettront d'éclairer vos débats. Elles devront être notre boussole, le fil d'Ariane des compromis qui émergeront.
En 2025, nous tous, les parlementaires - j'en étais à l'époque -, avons été au rendez-vous en adoptant un budget, avec une cible de déficit à 5,4 % du PIB. À ce stade de l'année, cet objectif est à portée de main. Notre responsabilité consiste à nous assurer que ce chiffre soit tenu.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Voilà qui nous change !
M. Roland Lescure, ministre. - Je tiens d'ailleurs à saluer les collectivités territoriales, qui ont accompli des efforts significatifs.
Il ne faut cependant pas nous en tenir à cela : toutes les administrations publiques ont des efforts à faire. Elles ont été au rendez-vous en 2025. Je voudrais saluer ici l'action de mon prédécesseur, Éric Lombard, qui, avec Amélie de Montchalin, a permis de faire voter le budget et d'avoir un pilotage renforcé de nos finances publiques. Nous poursuivrons cet effort de maîtrise de l'exécution du budget et de transparence renforcée auprès des représentants de la nation.
La croissance a résisté, avec un acquis de 0,6 % à l'issue du deuxième trimestre. Compte tenu des prévisions de la Banque de France et de l'Insee d'une croissance de 0,3 % au troisième trimestre, le total pour 2025 devrait atteindre 0,7 %, ce qui est conforme à la prévision du Gouvernement actualisée au printemps, contre 0,2 % en Allemagne. Notre taux de chômage reste stable à 7,5 %, proche de son plus bas niveau depuis quarante ans. La crise inflationniste est définitivement derrière nous, avec une inflation de 1,1 %, contre 2 % en 2024. Ainsi, le pouvoir d'achat des Français progresse de 0,8 % cette année, après 2,6 % en 2024.
Toutefois, nous ne sommes pas tirés d'affaire. Le contexte international incertain constitue un aléa important pour l'année prochaine. Malgré une lueur d'espoir au Proche-Orient depuis deux jours, la guerre persiste aux portes de l'Europe et le climat d'incertitude internationale affecte notre économie, sans compter les secousses liées aux droits de douane imposées par les États-Unis et aux pressions agressives de la Chine. Cela engendre des comportements plus attentistes de la part des ménages et des entreprises, dont l'investissement a fléchi cette année.
Cela étant, les fondamentaux de notre économie sont sains. Ainsi, pour l'année 2026, nous prévoyons une croissance de 1 %, en légère accélération tirée par la demande domestique, grâce à une inflation maîtrisée de 1,3 %, nettement inférieure à la moyenne européenne. Je vous rappelle que le taux d'épargne atteint 18 % en 2025, soit quatre points de plus qu'avant la crise de la covid, ce qui traduit une inquiétude. La baisse modeste du taux d'épargne que nous prévoyons marque un rétablissement de la confiance. Or les incertitudes politiques génèrent de l'inquiétude économique. Notre capacité à faire voter un budget en temps et en heure sera donc un gage très fort pour les marchés, pour nos partenaires européens et, avant tout, pour nos concitoyens.
Le point faible de notre pays n'est pas son économie, mais ses finances publiques, précisément ses dépenses. Ainsi, notre déficit public est le plus élevé de la zone euro en 2024, le troisième de l'Union européenne après la Roumanie et la Pologne. En 2029, nous serons les derniers de la zone euro, avec la Belgique, à voir notre déficit passer en dessous de 3 % du PIB. Notre dette, à la fin du premier trimestre, s'élevait à 114 % du PIB, la troisième la plus élevée derrière la Grèce et l'Italie. Au cours des deux dernières années, nous avons été dégradés par les principales agences de notation. Le 12 septembre, Fitch a retiré la France de la catégorie des émetteurs de très haute qualité. Nous avons changé de division...
Le coût de notre dette a augmenté significativement et le taux de nos obligations à dix ans dépasse de plus de 80 points de base celui de l'Allemagne, même si, depuis hier, cela va un peu mieux, car les marchés financiers considèrent que la stabilité politique est un gage de stabilité tout court. La charge de la dette de l'ensemble de nos administrations publiques était de 60 milliards d'euros l'année dernière, et atteindra 65 milliards cette année. L'année prochaine, elle approchera les 74 milliards d'euros.
Si ces indicateurs sont inquiétants, ils ne sont pas irrémédiables. Ils nous invitent à une action résolue et immédiate. D'autres avant nous l'ont fait : le Canada et la Suède dans les années 1990 et, plus récemment, la Grèce, le Portugal, l'Espagne et l'Italie. Nous aussi, nous pouvons y parvenir. Ce budget nous met sur ce chemin en fixant une trajectoire de redressement ambitieuse, mais atteignable. Nous prévoyons donc une réduction du déficit des administrations publiques à 4,7 % pour 2026 ; notre dette publique atteindra 118 % du PIB, soit deux points de plus que cette année, et le programme de financement de l'État sera de 310 milliards d'euros.
Au regard de tous ces indicateurs et du risque encouru, notre devoir à tous et notre responsabilité, à Amélie de Montchalin et à moi, c'est d'être intraitables sur le respect de notre trajectoire budgétaire. Cet objectif est cohérent avec un retour du déficit sous les 3 % à l'horizon 2029.
Ce budget est d'équité ; il mobilise les plus fortunés. C'est un budget souverain, ce qui est important pour le ministre de l'industrie que j'ai été durant deux ans et demi. Je salue Sébastien Martin, qui m'a rejoint pour être chargé de ce dossier important. L'industrie est la colonne vertébrale de notre souveraineté. C'est la raison pour laquelle nous proposons de poursuivre la baisse des impôts de production. Ainsi, la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) baissera de 1,3 milliard d'euros en 2026. Il ne s'agit pas d'un cadeau pour les grands patrons, mais bien d'un investissement dans 300 000 entreprises pourvoyeuses de millions d'emplois partout en France afin de de poursuivre la réindustrialisation de notre pays, parce que l'industrie est le nerf de la guerre.
L'innovation est également au coeur de notre stratégie industrielle depuis des années. Nous avons des ingénieurs et des chercheurs de qualité. J'en profite pour saluer les travaux de Philippe Aghion, qui a reçu avant-hier le prix Nobel d'économie, sur le rôle crucial des politiques économiques en soutien à l'innovation, qui visent à encourager la recherche et à faciliter l'émergence d'entreprises innovantes. C'est pourquoi les moyens en faveur de la recherche seront accrus. Le crédit d'impôt recherche (CIR), atout clé pour notre compétitivité depuis quarante ans, sera préservé.
Ce budget, enfin, poursuit le verdissement de notre économie. Dans un environnement budgétaire contraint, chaque euro compte : notre maître mot en la matière est l'efficacité, qu'elle soit budgétaire, économique ou environnementale. Nous prévoyons 500 millions d'euros de nouveaux engagements pour la décarbonation de l'industrie et 500 millions d'euros pour la production d'hydrogène décarboné. Nous avons relancé MaPrimeRénov' le 30 septembre dernier et nous la pérennisons, en finançant une partie de son coût par la hausse du volume des certificats d'économie d'énergie. Nous continuons à soutenir la production d'énergie renouvelable, tout en mettant à contribution les installations ayant bénéficié d'un soutien important par le passé.
Le projet de budget que nous vous présentons est responsable dans son ambition de redressement et équitable dans la répartition de l'effort. Il est réaliste, bien qu'ambitieux, dans ses orientations. Ce budget lucide concilie les urgences d'aujourd'hui et les besoins de demain. Je souhaite profondément que le compromis vers lequel nous nous dirigerons préserve ces équilibres. Je serai le garant déterminé de notre impérieux devoir de redresser les finances de ce pays : face à chaque « plus », il nous faudra trouver un « moins ». Ce texte est désormais le vôtre. Discutez-le, critiquez-le, amendez-le et, je l'espère de tout mon coeur, votez-le ! Offrez un budget à la France !
Mme Amélie de Montchalin, ministre de l'action et des comptes publics. - Politiquement, le moment est nouveau : il est temps d'assumer le fait que nous n'avons pas de majorité absolue et que c'est bien au Parlement d'exercer toutes ses prérogatives, alors que le monde a changé. Pour assurer la stabilité et la prospérité du pays, comme je suis souvent venue vous le dire ces derniers mois, il nous faut trouver un chemin d'efficacité et, surtout, d'humilité.
Nous avons la responsabilité de trouver des solutions, des compromis et, avant tout, un budget pour la nation avant le 31 décembre. Vous aurez, comme en février 2025, beaucoup de pouvoir : celui d'aider le pays à bâtir ce compromis. Nous l'avons fait une fois et nous pouvons, à mon sens, le refaire.
Vous me connaissez : ma méthode a été de vous dire toute la vérité et d'être la plus transparente possible avec vous. Cela a permis de bâtir le compromis du mois de février. Depuis, au travers des comités d'alerte et des auditions - je tiens à remercier M. le président et M. le rapporteur général de nos échanges nourris -, nous avons obtenu ensemble un résultat : celui d'avoir tenu notre cible de déficit pour 2025. De manière assez solide, crédible et réaliste, comme l'a reconnu Pierre Moscovici - mais restons humbles, car il peut encore se passer beaucoup de choses -, le déficit atteint 5,4 % du PIB. Ce n'est ni un miracle ni de la magie, c'est de la méthode : au compromis a succédé, tous les mois, un suivi des recettes et des dépenses par Éric Lombard et moi. Nous avons informé le Parlement des ajustements et décisions en cours. Cela est essentiel à la confiance entre nous et afin de bâtir le compromis suivant.
Ce budget est un projet. Cela tombe bien, car sur tous les documents, il est mentionné : « projet de loi de finances ». Ce n'est donc pas le point d'arrivée. Il s'agit d'une base pour préserver notre souveraineté en réduisant une nouvelle fois notre déficit, tout en ayant bien conscience que ce n'est qu'une étape vers la stabilisation, puis la baisse, de notre dette par rapport à notre PIB. Il manifeste le double engagement de concilier les priorités stratégiques du pays et celles du quotidien des Français.
Ce budget contient des choix forts. D'abord, celui de réinvestir dans notre défense et notre sécurité, avec 6,7 milliards d'euros de plus pour nos armées, 600 millions de hausse pour le ministère de l'intérieur et 200 millions supplémentaires pour le ministère de la justice. Les priorités sont la lutte contre la criminalité organisée, le narcotrafic et l'insécurité.
Nous assumons aussi de poursuivre nos investissements pour l'éducation nationale, en recrutant les jeunes au niveau de la licence et non plus du master, afin de mieux les former. Nous assumons d'investir dans la recherche. Même si les hausses concernées ne sont pas considérables, c'est un choix politique que de poursuivre ce soutien.
Nous assumons, enfin, de continuer notre appui à la transition écologique et énergétique, ainsi que le fait de regarder en face le coût du vieillissement, qui va nous amener à augmenter nos dépenses de santé et d'autonomie de 5 milliards d'euros l'année prochaine.
Dans cette optique, il nous faut cependant retrouver des marges de manoeuvre, ce que nous assumons également. Bien loin d'un rabot généralisé, nous avons fait des choix. Ainsi, chaque ministre pourra vous indiquer où se trouvent les augmentations et réductions de moyens. Il ne s'agit pas de faire des calculs arithmétiques boutiquiers, mais bien de remettre les politiques publiques au centre des arbitrages, même si les choix sont parfois difficiles. Cela amène à une baisse des crédits des ministères hors défense, ainsi qu'une diminution des dépenses de fonctionnement en valeur hors ministères régaliens avec, par exemple, 20 % de moins sur les dépenses de communication. Une partie de la baisse des crédits concerne la lutte contre la fraude, en particulier s'agissant du compte personnel de formation (CPF).
Sur la sécurité sociale, notre choix est de stabiliser le poids de notre dépense de santé dans le PIB, qui a augmenté d'un point depuis la période du covid et augmente cette année encore. Cette part s'accroît en raison de la forte dynamique des médicaments, ainsi que de la croissance de 6 % sur un an des arrêts maladie et des indemnités journalières, aboutissant à une progression de plus de 25 % en quelques années.
Nous devons encore travailler sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale, mais là aussi, nous cherchons à maîtriser nos dépenses. Sur les retraites et les prestations, nous avons fait le choix de ne pas procéder à une revalorisation au niveau de l'inflation, qui serait de 1,3 % l'année prochaine. Toutefois, pour les retraites, la seule démographie, avec 330 000 retraités de plus, décès compris, entraînera des dépenses supplémentaires de 6 milliards d'euros. Il nous faut assumer nos obligations vis-à-vis des générations qui arrivent à la retraite, mais aussi tenir compte du coût de ce virage démographique.
Là où l'État, hors défense, s'impose une stabilité des dépenses en valeur, ou « zéro valeur », nous proposons que les dépenses de fonctionnement des collectivités augmentent de 2,4 milliards d'euros, tandis que leurs recettes s'accroîtraient de 4,2 milliards d'euros. La différence, à peu près 2 milliards d'euros, serait consacrée aux investissements ou à l'épargne. La croissance des dépenses de fonctionnement sera certes limitée à l'inflation, donc à un niveau moindre qu'au cours des années précédentes, mais elle existe. Il n'y a donc pas de saignée, c'est-à-dire une baisse nette.
Nous faisons également un effort de simplification des normes. Vous m'avez souvent interrogée sur le décret « tertiaire » ou sur des normes qui créent des dépenses contraintes. Pour une valorisation d'environ 1,6 milliard d'euros, nous souhaitons réviser un certain nombre de normes, non pas pour ignorer nos objectifs, mais pour simplifier la manière, par exemple, de rénover les bâtiments publics et les écoles. Aujourd'hui, les surcoûts liés à l'excès de normes découragent les maires de s'engager dans ces grands projets nécessaires.
Enfin, sur la fiscalité, nous aurons ensemble de très nombreux débats, dans la plus grande transparence possible. Nous pourrons nous retrouver sur quatre sujets.
Premièrement, nous voulons mettre fin à la dérive liée au maniement par certains contribuables des holdings : le détournement d'une fiscalité pensée pour le monde de l'entreprise afin de se constituer un patrimoine personnel. Pour ce dernier, la fiscalité est connue : le plan d'épargne en actions (PEA), l'assurance vie et le prélèvement forfaitaire unique (PFU). Nous proposons donc de taxer les actifs de holdings non investis dans les PME européennes, dans des entreprises ou au service de l'innovation.
Deuxièmement, nous pourrions nous rassembler autour de la taxe sur les petits colis. Il est en effet inacceptable que les commerces de toute la France soient confrontés à une concurrence très déloyale due à l'inondation de biens produits dans des circonstances sociales et environnementales très dégradées et qui, par ailleurs, sont à 80 % des produits non conformes, que ce soit en matière de sécurité ou de qualité, ou encore parce qu'il s'agit de contrefaçons.
Troisièmement, sur les niches fiscales et sociales, nos propositions ne sont que le strict reflet de vingt ans de rapports parlementaires, de la Cour des comptes ou du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) sur des dispositifs obsolètes ou mal ciblés. Nous aurons ces débats.
Quatrièmement, nous entendons lutter activement contre la fraude, notamment sociale, en musclant notre arsenal juridique.
En conclusion, ce budget prévoit un déficit de 4,7 % du PIB. Il tend à définir un choix pour réconcilier nos besoins et nos moyens, les contraintes d'aujourd'hui et la protection de demain et des générations futures, et chercher une forme d'équité entre les générations, entre les secteurs et entre les acteurs publics. C'est un projet : une fois ce cadre posé, les équilibres comme la manière de faire peuvent changer. Vous me trouverez au banc pour accompagner ce qui sera un moment de compromis.
Nous aurons donc des débats sur le pouvoir d'achat, sur les entreprises, sur la fiscalité, sur les services publics, sur la transition écologique. Désormais également en charge de la fonction publique, je m'engagerai résolument pour qu'il y ait, en porte-étendard de nos décisions, non pas des slogans, mais bien une vision claire des conséquences de ce que nous bâtissons ensemble.
Nous devons tout faire pour que les Français retrouvent de la stabilité, pour leur donner un budget. Nous devons le faire avec la détermination et le sens collectif que nous leur devons.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Madame la ministre, monsieur le ministre, je vous souhaite la bienvenue dans notre commission, qui adore travailler et débattre. Il est heureux que vous souhaitiez le faire, mais cela n'est ni plus ni moins que la norme : le Gouvernement propose, nous débattons et nous votons : nous n'allons pas inventer l'eau tiède !
Comme vous l'avez dit, monsieur le ministre, la réalité des faits, c'est le déficit fort préoccupant de nos comptes publics. Les comptes sont à la dérive : qui les assume et quelles en sont les raisons ? Nous avons conduit une mission d'information sur la dégradation des finances publiques depuis 2023. Vos réponses permettront un débat plus serein, indispensable à tout compromis.
La France a changé de division, dites-vous : en termes sportifs, cela s'appelle une relégation ! Quant à l'image de la France, il est certes agréable que des Français aient obtenu deux prix Nobel, mais si un prix devait concerner les comptes publics, nous ne pourrions que le voir passer...
Ma circonspection est grandissante sur la « méthode Macron » : baisser les impôts de production et l'imposition des sociétés, celle des hauts patrimoines et celle des ménages pour constater, quelques années plus tard, que faute de mesures d'économies simultanées, il faut réintroduire des ersatz de ces prélèvements, sous forme de dérogations ou de rustines temporaires, souvent complexes et génératrices de rentes pour ceux qui savent manoeuvrer dans le code général des impôts.
Mettez-vous à la place des entreprises et de nos concitoyens : de quelles visibilité, lisibilité et, surtout, mises en perspectives bénéficient-ils pour leurs décisions stratégiques ? Je m'étonne d'ailleurs du niveau particulièrement élevé des prévisions d'investissement associées au PLF 2026, à rebours de ce que l'on entend dans le monde de l'entreprise.
En réalité, à quoi avons-nous assisté ? À une baisse de l'impôt sur les sociétés avant la mise en place d'une surtaxe exceptionnelle sur celui-ci ; à une trajectoire de baisse de la CVAE, étalée, puis reportée, puis anticipée ; à une suppression de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), suivie de la création d'une taxe sur les holdings patrimoniales ; à une réforme des retraites présentée comme inéluctable, puis suspendue, suspension devant être compensée financièrement, mais sans proposition concrète à ce stade...
Il n'est pas surprenant, dans ce contexte, que les entreprises reportent leurs investissements et que les ménages épargnent 19 % de leur revenu, un niveau jamais atteint. Il manque, de toute évidence, un cap. La feuille de route exposée par le Premier ministre en septembre - « certains impôts augmenteront, mais d'autres diminueront » - ne me semble pas aller dans le sens d'une réelle clarification. L'automne arrive, les temps brumeux aussi...
Je m'interroge, premièrement, sur ce projet de budget qui comporte quatre-vingts articles, soit 70 % de plus que dans le PLF 2023 et trois fois plus d'articles fiscaux qu'alors. Cela donne à réfléchir, l'effort d'équilibre pour l'exercice 2025 ne venant que des recettes fiscales. Or l'on ne cesse de nous répéter que les circonstances sont inédites, que ce gouvernement « de mission » a pour seul objectif de faire adopter un budget et qu'il faudrait pour cela trouver le plus petit dénominateur commun. Par ailleurs, alors que le temps d'examen de ce budget sera particulièrement contraint, n'est-il pas contre-productif de présenter un texte aussi dense ?
Deuxième interrogation : sur 30 milliards d'euros d'effort structurel de réduction du déficit, le HCFP nous dit que 17 milliards d'euros proviennent de baisses de dépenses et que près de 14 milliards d'euros correspondent à de nouvelles hausses d'impôts. Ne faudrait-il pas faire porter davantage l'effort sur la dépense publique qui a, malheureusement, fortement augmenté depuis 2019 ? Le Gouvernement est-il ouvert à davantage de mesures de baisse de dépenses permettant d'alléger cette fichue charge fiscale pesant sur nos concitoyens ?
Par ailleurs, dans sa déclaration d'hier, le Premier ministre a indiqué qu'il ne serait « pas le Premier ministre du dérapage des comptes publics ». Pouvez-vous confirmer que l'objectif du Gouvernement, pour 2026, reste bien un déficit public de 4,7 % du PIB et non de presque 5 % du PIB ? Je rappelle que la France s'était engagée, dans le cadre du plan budgétaire et structurel de moyen terme (PSMT), à atteindre un déficit de 4,6 % du PIB pour l'année qui vient. Surtout, cette cible correspond à la trajectoire que nous nous sommes fixée pour revenir à 3 % en 2029, afin d'éviter une hausse incontrôlée de notre dette publique.
Je rappelle que la loi de programmation des finances publiques, adoptée le 18 décembre 2023, soit il y a moins de deux ans, prévoyait un déficit public à 4,4 % du PIB en 2024, contre 5,8 % réalisé ; pour 2025, 3,7 % contre 5,4 % ; enfin, pour 2026, 3,2 % - bien en dessous de 5 % donc - contre 4,7 % à 5 % prévus actuellement.
Au sein de la commission des finances, nous devons contempler la brutalité incontournable des chiffres, avec laquelle il n'est malheureusement pas possible de faire des compromis. Compte tenu du noeud coulant de la hausse de la charge de la dette, qui pourrait approcher les 110 milliards d'euros en 2029, les choix difficiles que nous refusons de faire aujourd'hui pourraient devenir impossibles demain. Or nous avons un grand besoin de marges de manoeuvre pour investir dans l'innovation, la défense et la transition écologique, sans oublier le domaine régalien. Pouvez-vous donc nous rassurer sur vos intentions ? Prévoyez-vous de mettre à jour le PSMT pour nous dire à quel rythme la cible de 3 % en 2029 sera atteinte, ce qui serait un gage de crédibilité ?
Par ailleurs, sur l'exécution budgétaire en 2025, confirmez-vous l'atteinte de la cible de déficit de 5,4 % cette année ? L'exposé général du PLF indique que la part attribuée à l'État des recettes de TVA diminuerait de 4,5 milliards d'euros par rapport à la prévision initiale, principalement en raison de la baisse de la croissance des emplois taxables et de la consommation des ménages. Or il n'est pas habituel que la TVA diminue, alors que la croissance est positive.
En outre, chaque mot compte, comme vous l'avez rappelé, monsieur le ministre. Or vous avez affirmé que le troisième alinéa de l'article 49 de la Constitution ne serait pas utilisé pendant les débats. Le sera-t-il à leur issue ?
M. Roland Lescure, ministre. - Peut-être n'avons-nous pas inventé l'eau tiède, monsieur le rapporteur général, mais l'eau est un peu plus chaude que d'habitude : renoncer à l'utilisation de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution marque un changement de méthode. Bien sûr, nous respecterons la Constitution. Le Premier ministre a mentionné le non-recours pour l'ensemble de la procédure budgétaire. L'obtention d'un résultat dépendra donc de nous tous. Au cours des trois années précédentes, à l'Assemblée nationale, où je siégeais, les votes étaient vus comme étant sans conséquence en raison de l'usage de cet instrument. Cette fois-ci, nous devrons être conscients de l'impact des mesures votées. Voilà une nouveauté.
Qui assume ? Amélie de Montchalin et moi assumons le point où nous sommes aujourd'hui. Depuis 2017, j'ai été président de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, ministre de l'industrie et vice-président de l'Assemblée nationale. J'assume le bilan, mais n'oublions pas le positif : chômage au plus bas depuis quarante ans, usines qui rouvrent, crédibilité sans égale de la France, pays le plus attractif d'Europe depuis six ans. Mais j'assume aussi le moins positif, notamment notre situation budgétaire.
Vous avez, tout comme nous, travaillé sur les raisons du déficit : multiples crises, mais aussi erreurs de prévision ayant entaché notre capacité à atteindre les objectifs votés, comme le montrent les écarts observés en 2023 et en 2024. Nous faisons en sorte que cela ne se reproduise pas avec, notamment, le cercle des prévisionnistes, mais aussi des mécanismes d'alerte. Au moins, pour 2025, nous semblons respecter les prévisions. Cela n'implique pas de le faire sur toutes les lignes : ainsi, pour la TVA, nous sommes en dessous, mais pour l'impôt sur les sociétés, nous les dépassons.
Certes, la France a été reléguée, mais il faut viser la remontée. Le Canada était bien plus bas que nous durant les années 1990, mais ils sont revenus en ligue des champions avec une notation AAA. C'est donc possible et nous devons y arriver.
Vous avez eu raison d'insister, monsieur le rapporteur général, sur la lisibilité et la visibilité à moyen terme, pour les entreprises comme pour les ménages. Or nous souhaitons que ces derniers puisent dans leur épargne.
Je serai le garant de nos objectifs pour 2029. Nous sommes là pour mettre en oeuvre la stratégie de moyen terme sur laquelle nous nous sommes engagés auprès de la Commission européenne, et nous devons la tenir. Il ne s'agit pas de faire plaisir à Bruxelles, même si les ministres des finances de la zone euro ont les mêmes préoccupations que nous. Nous agissons surtout pour nos concitoyens. Afin de stabiliser la dette, nous devons atteindre un déficit inférieur à 3 % du PIB en 2029, et pour donner de la visibilité, il faut lever les incertitudes politiques et s'appuyer sur des prévisions ambitieuses, mais crédibles. C'est le cas : nous sommes en ligne avec le consensus pour l'année prochaine.
Ce budget prévoit un déficit de 4,7 % du PIB. Dans le cadre des débats budgétaires, j'aimerais que devant chaque « plus » l'on retrouve un « moins ». Toutefois, le Premier ministre a affirmé qu'il était essentiel de rester sous les 5 %. On ne peut pas entrer dans une négociation en annonçant que tout est fixé. Par ailleurs, les 5 % ne sont pas un fétiche ; mais si l'on veut atteindre les 3 % en 2029, nous ne pouvons pas trop relever la marche. Nous construisons un escalier dont les marches doivent être égales.
Enfin, au 1er janvier prochain, nous aurons 8 milliards d'euros de dépenses supplémentaires incompressibles, du fait de la charge de la dette. D'ailleurs, la Commission européenne retire cette dernière des mesures de dépense, se concentrant sur les éléments sur lesquels nous avons la main. Pour atteindre une réduction de 17 milliards d'euros, il faut donc faire un effort de 25 milliards d'euros.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Votre question principale porte sur nos ambitions en termes d'économies. La France est toujours intéressée par les impôts, la dépense apparaissant plus intangible.
Nous avons fait le choix, tout d'abord, de ne pas faire de rabot. Notre budget, qui n'est qu'un projet, est construit sur le principe du zéro valeur pour les dépenses de l'État hors défense, c'est-à-dire aucune croissance en euros sonnants et trébuchants. Au sein de chaque mission, vous trouverez des économies, mais aussi des hausses de dépenses, le tout aboutissant à des dépenses de fonctionnement et de crédits ministériels en baisse, hors défense.
Pour les collectivités, nous faisons le choix du « zéro volume » pour les dépenses de fonctionnement, c'est-à-dire une hausse limitée à l'inflation, soit un effort réel, mais moindre que celui de l'État.
Quant aux dépenses de santé, nous visons une part de PIB stable. L'effort est donc différencié entre ces trois versants.
François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, a clairement affirmé que, pour atteindre un déficit à 3 % du PIB en 2029, la France, pendant trois ans, devait avoir une dépense totale stable en volume hors charge de la dette. Ce projet de budget suit cette ligne, puisque la dépense totale, en volume, augmente de 0,3 %, tandis que notre dépense totale primaire, c'est-à-dire hors charge de la dette, évolue de 0 % en volume. C'est assez inédit.
Bien évidemment, la croissance ne peut qu'aider, de même qu'une reprise de l'activité. Mais cette proposition est intéressante et éloignée de ce qu'ont fait la Grèce, l'Italie et l'Espagne sous les ordres de la troïka avec, par exemple, une baisse des retraites en valeur. Nous, nous les stabilisons, en assumant que les nouveaux retraités ne subissent pas de baisse de pension par rapport aux anciens. La hausse des dépenses de fonctionnement des collectivités devrait atteindre 1,1 %, contre 1,7 % pour leurs recettes. Ce n'est pas du tout ce que la troïka proposait pour les collectivités portugaises...
Sur la fiscalité, j'assume notre choix d'une hausse du taux de prélèvements obligatoires à 43,9 % du PIB. Et nous assumons sa concentration sur les grandes entreprises, les plus fortunés, les holdings et les niches fiscales bénéficiant aux ménages les plus aisés. Cependant, ce taux reste inférieur aux 44 % enregistrés en 2019. Le déficit était alors inférieur à 3 % du PIB et la sécurité sociale à l'équilibre. Par conséquent, nous devons aboutir à une réduction des dépenses, que nous avons enclenchée. Ainsi, en 2025, les dépenses publiques représentaient 56,8 % du PIB, contre 56,4 % prévus pour 2026. La part des dépenses dans le PIB diminue alors et celle de la fiscalité augmente, tout en restant inférieure au niveau de 2019.
Pourquoi tant d'articles, monsieur le rapporteur général ? Pour bâtir un compromis, il faut être clairs, avec des études d'impact et des textes. Habituellement, un projet de loi comporte quatre-vingts articles une fois adopté, dont seulement vingt étaient présents dans le texte initial, le reste étant adopté par des amendements, parfois déposés par un ami député ou sénateur... Si l'on croit à la transparence et aux pouvoirs du Parlement, sans usage de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, ni au début, ni au milieu, ni à la fin de l'examen du texte, nous vous devons un travail sérieux et des articles amendables.
Bien des mesures sont d'ailleurs le fruit de vos travaux, ainsi que de ceux du CPO ou de la Cour des comptes, remontant parfois à des décennies. Les rapports s'empilent, sans que nous en tirions les conséquences : je serai, au banc, ouverte à transcrire leurs recommandations dans le PLF.
Enfin, j'ai lancé une mission afin de comprendre l'origine du décalage, qui semble désormais structurel, entre croissance et TVA. L'on a d'abord pensé à un problème d'élasticité, puis aux exportations... Désormais, nous devons examiner la question de la fraude ou des franchises de TVA. J'ai demandé à mes équipes une vision plus transversale et créative. Je présenterai les résultats de ces travaux et, surtout, j'espère pouvoir proposer des solutions. Par ailleurs, si nous sommes en dessous de la prévision pour la TVA, nous la dépassons dans d'autres domaines. Ainsi, le caractère crédible et réaliste de nos prévisions, selon le HCFP, montre que nous avons été sérieux et méthodiques. Nous continuerons, parce que nous vous le devons.
M. Vincent Delahaye. - Vous avez mentionné les travaux parlementaires. Je signale que, en juillet, j'ai présenté le rapport intitulé L'aide médicale de l'État, une réforme nécessaire.
Sur les recettes, il nous a été promis le détail des prévisions sur la TVA. J'espère qu'il en sera de même pour l'impôt sur le revenu. En effet, les recettes de ce dernier devraient augmenter de 9 milliards d'euros en 2026, à quoi s'ajouteraient 12 milliards d'euros supplémentaires pour la TVA. Je trouve ces hausses, de plus de 10 %, très optimistes.
Quant aux dépenses du budget général de l'État, elles augmentent de 13,5 milliards d'euros, soit 3,1 %, le triple de l'inflation, quand les collectivités sont limitées à une fois... En outre, le personnel employé par l'État augmenterait de 8 800 postes, pour une diminution totale de 3 700 postes, sécurité sociale incluse, soit 10 000 postes économisés sur celle-ci. Pourriez-vous nous le confirmer ?
Enfin, quel est le détail de l'effort demandé aux collectivités territoriales ? Atteint-il 2 milliards d'euros ou 5 milliards d'euros ?
Mme Vanina Paoli-Gagin. - Hier, le Premier ministre a évoqué un nouvel acte de la décentralisation, disant qu'il ne faut pas décentraliser des compétences, mais des responsabilités, avec des moyens budgétaires et fiscaux, ainsi que des libertés, y compris normatives. Si c'est bien le cas, vous trouverez au sein du groupe Les Indépendants - République et Territoires des alliés fidèles. Mais quel est le sens, alors, des coupes dans les budgets de nos collectivités à travers ce projet de loi de finances ? La suppression d'un échelon serait-elle à l'ordre du jour ?
Ensuite, sur les holdings patrimoniales, ne risquons-nous pas de briser l'élan d'acculturation des business angels dans notre pays, ainsi que du financement des start-up et des petites entreprises ?
Enfin, notre groupe émet un satisfecit sur la mesure tendant à taxer les petits colis, qui reprend un amendement de Pierre Jean Rochette et moi-même déjà adopté par le Sénat.
Mme Christine Lavarde. - Nous souscrivons à votre constat sur l'économie, monsieur le ministre. Cependant, il appelle à un véritable sursaut. Or il ne nous semble pas que revenir sur la réforme des retraites soit un acte responsable.
Par ailleurs, vous vous déclarez satisfait du niveau du chômage, alors que nous enregistrons 6 400 dépôts de bilan d'entreprise en septembre, ce qui est un record.
Madame de Montchalin, vous avez déclaré, le 16 juin dernier, devant cette commission : « D'aucuns diront qu'il nous faut des recettes ; d'autres, dont je suis, estiment que l'on pourrait commencer par réduire la hausse de la dépense. » Or, compte tenu du prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne (PSR-UE), des dépenses liées à la défense et de la charge de la dette, nous relevons une hausse des dépenses de l'État sur le périmètre du budget général et du prélèvement sur recettes au profit des collectivités. Pour trouver la baisse annoncée, il faut inclure les comptes spéciaux et les budgets annexes, pour aboutir à une réduction des crédits. Nous n'avons donc pas la même lecture que vous sur le budget de l'État...
Sur le sujet des agences, il nous manque le « jaune opérateurs ». Cela étant, après un examen rapide des plus grosses agences, je ne retrouve pas les baisses de dépenses promises. Si j'approuve votre action sur le budget de l'Ademe (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie), tendant à le rendre plus transparent, je n'identifie pas de baisse de la dépense. Et il est désobligeant pour des parlementaires de lire que le budget d'intervention sera déterminé en décembre par le conseil d'administration...
Enfin, sur un plan technique, le 16 juin dernier, vous vous disiez favorable au fait de ne plus parler en points de PIB, par souci de transparence. Or c'est toujours le cas, la dépense étant la seule donnée macroéconomique libellée en milliards d'euros.
J'émets toutefois un satisfecit aux équipes de la direction du budget : je constate que des amendements, jugés inopérants l'année dernière, sont désormais repris dans le projet de loi de finances, par exemple sur la fiscalité du petit nucléaire...
M. Pierre Barros. - J'espère que les débats sur le projet de loi de finances iront jusqu'au bout. Cependant, la copie initiale annonce la couleur. Même sans utilisation de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, restent tout de même ses articles 47 et 34, ainsi que le vote bloqué et la seconde délibération... Si les débats n'aboutissent pas en raison de telles méthodes, vous en serez comptables !
Ce PLF est explosif, notamment pour les collectivités. Par exemple, sur le dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités territoriales (Dilico), vous proposez une ponction plus forte sur les communes, portée à 720 millions d'euros contre 250 millions d'euros l'année dernière, ainsi qu'un abaissement du seuil d'éligibilité. Plus de communes seront donc prélevées, ainsi que tous les EPCI, et les reversements seront lissés sur cinq ans au lieu de trois. Cela servirait à abonder le fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (Fpic), sans reversement si la croissance des dépenses est supérieure à celle du PIB plus un point, soit 1,7 % pour 2026, ce qui est très ambitieux. Sur ce point, il y aura débat, combat, et chacun votera !
M. Thomas Dossus. - Vos interventions font tomber la fable d'un budget écrit à la craie blanche, auquel nous pourrions tous contribuer... Nos débats seront en fait très cadrés.
Outre l'usage du troisième alinéa de l'article 49 de la Constitution, renoncez-vous également aux secondes délibérations, mal vécues au Sénat l'an dernier, et qui ont précédé la chute du gouvernement Barnier ?
Quant à la suspension de la réforme des retraites, dépendra-t-elle d'un amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), conditionnant ainsi l'adoption de celui-ci, ce qui nous poserait problème vu les orientations prises, ou d'un texte de loi, et selon quel calendrier ?
Enfin, le Haut Conseil pour le climat (HCC) a alerté, cet été, sur la sortie de la trajectoire carbone prévue par les accords de Paris. Nous vous avions mis en garde, l'an dernier, sur des réductions portant sur les crédits consacrés à l'écologie. Aujourd'hui, vous annoncez une stabilité de ceux-ci et une division par deux du fonds vert. Dans ces conditions, comment la trajectoire climatique de la France sera-t-elle respectée ? À Bruxelles, des discussions ont même lieu sur une modification des objectifs, c'est-à-dire une annulation de nos engagements, ce qui ne manque pas de nous inquiéter à l'approche d'une COP de Belém qui ne s'annonce guère positive.
M. Didier Rambaud. - Dans mon groupe, le Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI), siègent de nombreux élus ultramarins. Je me fais donc leur porte-parole quant à la portée de l'article 7 tendant à réformer le régime d'aide fiscale à l'investissement productif outre-mer, contre lequel ils sont vent debout. Pour une économie de 350 millions d'euros, la cohésion de ces territoires est en jeu - mes collègues parlent de suicide social, de bombe, d'un projet dangereux.
Par ailleurs, j'approuve le principe de la transformation de l'abattement de 10 % sur les pensions de retraite en un forfait de 2 000 euros par personne. En effet, je ne supporte pas la sacralisation des retraités, qui ne sont pas un monde homogène. En particulier, beaucoup vivent mieux que leurs enfants. Néanmoins, certains, qui touchent des retraites inférieures à 1 700 euros, paieront plus d'impôts. Le forfait devrait aboutir à une économie de 800 millions d'euros. Quel serait le coût s'il était fixé à 2 500 euros ?
M. Thierry Cozic. - Madame la ministre, monsieur le ministre, vous consacrez beaucoup d'énergie à ignorer l'éléphant dans la pièce : la taxation des plus aisés. Initialement, j'ai beaucoup apprécié la nouvelle taxe de 2 % sur le patrimoine des holdings. Mais en Macronie, le diable est dans les détails : en effet, le dispositif tend à exonérer presque toute la fortune détenue dans les holdings. Par exemple, la taxe ne s'appliquerait ni aux titres de participation, comme des actions Hermès, ni aux immeubles utilisés pour une activité, comme les bureaux. Ainsi, comme pour la contribution sur la rente inframarginale de la production d'électricité, vous avez imaginé tous les moyens de neutraliser son rendement et au moins 90 % de la fortune des milliardaires ne sera pas concernée. Vous avez dit vous inspirer de la taxe sur les holdings en vigueur aux États-Unis depuis 1937, mais vous omettez de préciser que celle-ci ne contient aucune exonération. Pour nous faire avaler la mesure, vous promettez un rendement de 1 milliard d'euros. Mais si l'on suit l'exemple de la contribution sur la production d'électricité dont je viens de parler, le montant atteindrait plutôt quelques centaines de millions d'euros...
En définitive, ce projet de loi de finances comprend vingt-neuf nouvelles mesures fiscales, de la hausse de l'imposition des retraités aux écotaxes. Cependant, aucune ne fait entrer les milliardaires dans le champ de la solidarité nationale. Encore une fois, vous restez sourds à la demande de justice fiscale. Pendant les débats, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain veillera à y remédier.
Mme Isabelle Briquet. - Les collectivités sont grandement mises à contribution.
L'article 11 accélère le rythme de suppression de la CVAE, pourtant repoussée à 2030 par la loi de finances pour 2025, une compensation à l'euro près via la TVA étant annoncée. Or la dynamique de celle-ci est à la baisse. Quelles garanties apporterez-vous en matière de compensation ? Cette dernière sera-t-elle territorialisée, pour ne pas pénaliser les territoires industriels ? Surtout, comment justifiez-vous l'aggravation de la dette par des baisses d'impôt non compensées ?
Ensuite, je relève la création du fonds d'investissement pour les territoires (FIT), fusion de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) et de la dotation politique de la ville (DPV). C'est l'occasion pour le Gouvernement de réduire le montant total de 200 millions d'euros, soit 12 %, ce qui s'ajoute à la baisse de 150 millions d'euros de 2025.
En outre, ce nouveau dispositif, aux critères d'éligibilité curieux, constitue un second mécanisme d'encadrement des dépenses. Ainsi, en 2026 et en 2027, l'enveloppe par département des communes éligibles à la DETR ne pourra être inférieure à celle de 2025, de même que pour la DPV. Qui, alors, supporte la baisse des dotations ?
Mme Frédérique Espagnac. - En tant que rapporteure spéciale de la mission « Économie », j'associe Thierry Cozic à ma question sur le montant de l'enveloppe allouée au déploiement de la fibre, de 250 millions d'euros, quand la Cour des comptes recommande un minimum de 343 millions d'euros. Comment justifiez-vous cet écart ?
Au-delà de la baisse de la dotation aux collectivités évoquée par Isabelle Briquet, je suis inquiète quant aux critères d'éligibilité. Ainsi, seules les communes et les EPCI ruraux au sens de l'Insee seront éligibles. Beaucoup de communes éligibles à la DETR ne le seront donc pas dans le nouveau dispositif. En outre, les communes n'ont presque plus d'autres aides. Ainsi, dans mon département, le préfet a décidé d'un plafonnement de l'aide aux communes. Je ne vois donc pas comment les communes rurales et de montagne pourront faire face à leurs difficultés. Le groupe socialiste s'opposera fermement à la suppression de la DETR.
Enfin, je reprends les propos de mon collègue sur les outre-mer : ce qui se prépare est une bombe sociale. Nous ne pouvons l'accepter !
Mme Nathalie Goulet. - Nous allons aborder, au Sénat, un « tunnel antifraude », ce qui est une bonne nouvelle. Ainsi, le 5 novembre, sera examiné un texte issu de la commission d'enquête constituée aux fins d'évaluer les outils de la lutte contre la délinquance financière, la criminalité organisée et le contournement des sanctions internationales, présidée par Raphaël Daubet, et qui contient des dispositifs de lutte contre le blanchiment. Seront ensuite présentés le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales, le projet de loi de financement de la sécurité sociale, puis le projet de loi de finances.
Madame la ministre, comment tout cela s'organisera-t-il ? Consentirez-vous, s'agissant du texte relatif à la fraude qui sera examiné en première lecture au Sénat, à nous laisser de la latitude, en particulier au vu des difficultés que vous pourriez rencontrer à l'Assemblée nationale ? Qu'en sera-t-il pour le PLF et le PLFSS ? Il ne faudrait pas que le dispositif destiné à lutter contre la fraude soit par trop morcelé, et donc illisible. Rappelons-nous que le Conseil constitutionnel a censuré plusieurs dispositions de la loi du 30 juin 2025 contre toutes les fraudes aux aides publiques...
M. Roland Lescure, ministre. - Madame la sénatrice Lavarde, s'il convient de dresser un constat sans concession et lucide de la situation, il ne faut pas pour autant nier nos atouts. Aujourd'hui, l'économie française ne se porte pas si mal. Au deuxième trimestre 2025, nous avons fait mieux que l'Italie, l'Allemagne, les Pays-Bas et l'ensemble de la zone euro, et ce grâce aux entrepreneurs, aux salariés et aux exportateurs. La courbe de nos exportations a commencé à se redresser et nous retrouvons des marges de manoeuvre dans ce secteur.
Aujourd'hui, nous faisons face à de très fortes incertitudes et la pression politique doit diminuer pour que les investissements repartent. Mais, encore une fois, les choses ne vont pas si mal.
Le nombre de défaillances d'entreprises est certes élevé, mais je dois préciser que les chiffres du mois de septembre émanent d'un cabinet de conseil et que ceux de la Banque de France pour la période n'ont pas encore été publiés.
Il est vrai que 67 000 défaillances d'entreprises, c'est considérable ; nous vivons l'heure de vérité du « quoi qu'il en coûte ». Durant la crise de la covid, nous avons évité ces défaillances, qui désormais augmentent. Plus précisément, les chiffres du deuxième trimestre 2025 indiquent une hausse de 2 % sur un an des défaillances, dont un grand nombre concernent des entreprises d'un seul salarié, c'est-à-dire des auto-entrepreneurs, dont l'activité est très volatile.
J'en viens à la réforme des retraites, que j'ai soutenue. J'ai participé à un gouvernement qui l'a défendue et qui a failli tomber pour cette raison ! Pour autant, sa suspension est le prix du compromis que nous devons faire. Or la culture du compromis, le Sénat l'a davantage que l'Assemblée nationale ; il conviendrait de prendre exemple sur vous... Grâce à ces pas en avant, à ces victoires pour les uns qui sont forcément des défaites pour d'autres, nous disposerons d'un budget d'ici à la fin de l'année, ce qui permettra de rassurer tout le monde et de rendre 2026 lisible pour les entrepreneurs, les investisseurs et nos partenaires européens. Cela en vaut la peine !
S'agissant des impôts de production, malgré toutes les baisses que nous avons décidées, ils sont cinq fois plus importants en France qu'en Allemagne - 3,5 points de PIB contre 0,7 point dans ce pays. C'est énorme ! Pour les investisseurs internationaux, c'est l'un des freins à l'investissement sur le sol français. Bien que nous soyons contraints, nous devrons faire tout ce qui est possible pour les diminuer. Par ailleurs, le crédit d'impôt recherche (CIR) est un élément moteur pour ces investisseurs, car il permet d'ouvrir des centres de recherche employant des ingénieurs et des chercheurs ; il faut donc le maintenir.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Je commencerai mon propos en évoquant les prévisions en matière de TVA et d'impôt sur le revenu. Le projet prévoit des mesures de périmètre sur la TVA, notamment une mesure liée à la dotation globale de fonctionnement (DGF) des régions - un montant de 5 milliards d'euros. Par ailleurs, nos prévisions sont toutes revues dans le détail par le Haut Conseil des finances publiques, présidé par le Premier président de la Cour des comptes, lequel a considéré qu'elles n'étaient pas décorrélées de la croissance prévue, mais que cette dernière était quelque peu élevée. Je le rappelle, la différence entre la prévision du consensus économique et la nôtre est de 0,1 point. Cela signifie que notre modèle de prévision est juste. Par ailleurs, il faut distinguer les données brutes et les données nettes, c'est-à-dire hors dégrèvements, niches fiscales et remboursements. On compare souvent des éléments qui ne sont pas tout à fait comparables.
Concernant les dépenses de l'État, les crédits budgétaires ministériels passent de 326 milliards à 331 milliards d'euros, soit une augmentation de 5 milliards. Le budget du ministère de la défense est en hausse de 6,7 milliards d'euros, et ceux des autres ministères en baisse de 1,5 milliard. Le périmètre des dépenses de l'État, hors charge de la dette, augmente de 10 milliards d'euros.
En d'autres termes, sachant que le budget des armées doit augmenter de presque 7 milliards d'euros et que notre pays doit contribuer au budget européen à hauteur de 5,7 milliards d'euros supplémentaires, on constate, toutes arguties comptables mises à part, une baisse effective des crédits ministériels, hors crédits de la défense, de 1,5 milliard d'euros.
Si l'on excepte l'éducation nationale et la réforme de la formation des enseignants, le nombre des emplois publics est en baisse d'environ 3 000 postes : 2 000 sur le périmètre de l'État et 1 000 sur celui des caisses de sécurité sociale. Les emplois qui relèvent de mon ministère, celui des finances publiques, diminuent également, soit une baisse de 550 effectifs qui fait suite à la réorganisation d'ores et déjà engagée. En tant que ministre de la fonction publique, je considère que comptabiliser le nombre d'emplois comme s'il s'agissait de bâtons n'a aucun sens si l'on n'a pas une vision des politiques publiques, des services publics et de leur organisation.
La hausse de 8 000 emplois que l'on observe inclut donc la réforme du recrutement des enseignants : le fait que nous les recrutions deux ans plus tôt donne l'impression qu'il y en a beaucoup. Nous avons souhaité, aussi, accompagner les écoles rurales. Pour autant, cette dynamique, que le ministre de l'éducation nationale vous présentera, est maîtrisée.
L'effort de 5 milliards d'euros demandé aux collectivités s'inscrit dans une analyse tendancielle : si l'on conservait les règles fiscales et de dépenses actuelles, les dépenses de fonctionnement augmenteraient à peu près de 6,5 milliards d'euros. Nous proposons que ces dépenses progressent de 2,4 milliards d'euros, ce qui correspond à la hausse de l'inflation. Les dépenses de fonctionnement des collectivités sont donc, dans notre projet de budget, en augmentation de 1,1 %. Quant aux recettes globales des collectivités, elles augmentent de 1,7 %, soit +4,2 milliards d'euros.
Il s'agit d'un effort certain pour les collectivités, mais celui de l'État est quasiment double en proportion, puisque nous nous astreignons à un zéro valeur - nous ne répercutons ni l'inflation ni la hausse du PIB.
Concernant le Dilico, nous proposons d'instaurer une différenciation lors du reversement aux collectivités afin d'inciter celles-ci à investir davantage. Nous souhaitons valoriser les dépenses d'investissement par rapport à celles de fonctionnement. Vous aurez l'occasion de débattre de ce mécanisme.
Concernant la taxe sur les holdings, sur laquelle m'ont interrogé Mme Paoli-Gagin et M. Cozic, nous ne souhaitons pas vider le dispositif de sa substance. Vous connaissez mon engagement sur ce sujet : les mécanismes fiscaux à l'oeuvre montrent que notre système permet aujourd'hui, légalement, d'utiliser la fiscalité des entreprises à des fins d'optimisation de la fiscalité sur le patrimoine personnel. Nous souhaitons exclure du champ de la taxe tous les éléments qui correspondent à un investissement productif - le capital-investissement, les PME européennes, etc. Soyez donc rassurée, madame Paoli-Gagin, nous protégeons l'investissement productif.
Nous assumons, monsieur Cozic, de ne pas inclure dans l'assiette de la taxe les titres de participation. Les seules personnes concernées par la non-fiscalisation des titres de participation sont celles qui exercent un contrôle sur l'entreprise. Si j'investis dans l'entreprise Accor alors que mon métier n'a rien à voir avec l'hôtellerie, cet investissement sera considéré non pas comme un titre de participation, mais comme un placement financier, et sera donc taxé. En revanche, si j'investis en tant qu'actionnaire actif dans une entreprise qui est mon outil de travail, alors cet investissement ne sera pas taxé. Il s'agit de distinguer entre l'investissement, par lequel on s'engage dans l'entreprise, et le placement, qui est similaire à celui que nous faisons tous en souscrivant un PEA ou une assurance vie.
Sur le plan immobilier, les bureaux qui servent, au sein d'une holding, aux activités professionnelles ne seront pas taxés. En revanche, un chalet ou un avion qui serait utilisé à des fins personnelles sera taxé. La ligne de partage est claire. Elle l'est tout autant entre la trésorerie qui est utile à l'entreprise, au réinvestissement, et celle qui est destinée à être transmise, dans le cadre du pacte Dutreil par exemple.
Le rendement de cette taxe serait de 1 milliard d'euros ; selon le député Jean-Paul Mattei, qui connaît bien le sujet, ce chiffre serait sous-estimé. Il y aura débat...
Madame Lavarde, 60 % des dépenses de l'État correspondent à des transferts effectués au bénéfice de la sécurité sociale, des collectivités, des entreprises et des ménages. Ces transferts bénéficient donc à l'économie réelle, raison pour laquelle il est difficile de réduire ces dépenses.
Concernant les opérateurs de l'État, nous avions identifié des économies à hauteur de 2 milliards d'euros et une diminution possible de 1 700 équivalents temps plein (ETP). Elles concerneraient l'Agence française de développement (AFD), les chambres de commerce, des parcs nationaux pouvant être fusionnés, l'Institut national de la consommation, l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) et l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). Ce travail a passablement souffert du contexte politique, mais le Premier ministre souhaite reprendre plusieurs desdites propositions.
Nous allons établir le tableau liminaire, en milliards d'euros, et nous vous le transmettrons afin que vous disposiez d'un document lisible.
Concernant le fonds vert et l'écologie, les crédits de paiement (CP) de la mission « Écologie, développement et mobilités durables », hors engagements contractuels liés à la transition écologique et aux contrats d'énergies renouvelables - ces charges augmentent avec les prix de l'énergie, que nous ne contrôlons pas -, augmentent de 0,5 %, et les autorisations d'engagement (AE) de 5,7 % pour atteindre 24,2 milliards d'euros. Par ailleurs, les certificats d'économie d'énergie (C2E) sont en hausse de 2,5 milliards d'euros ; ils devraient atteindre à terme 9,5 milliards d'euros. Nous débattrons de la répartition des dépenses et des crédits. Nous ne sacrifions donc pas nos dépenses « vertes ».
Pour ce qui est du fonds vert, nous tenons compte du cycle électoral - en l'occurrence les élections municipales de 2026. Il en est d'ailleurs de même, à hauteur de 200 millions d'euros, en ce qui concerne les dotations des collectivités que nous fusionnons.
Madame la sénatrice Briquet, la CVAE ne bénéficie plus aux collectivités - certains s'en plaignent, d'ailleurs, en particulier à ma droite... - ; en conséquence, elle n'a pas d'impact sur leurs recettes.
Concernant les outre-mer, je souhaite rappeler quel est le contexte général.
Le budget des outre-mer est de 5 milliards d'euros. Une grande part de ces crédits provient des exonérations prévues dans la loi du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer (Lodéom). Les crédits effectifs dépensés dans ces territoires pour l'accès à l'eau, le logement, la cohésion sociale, en bref les politiques publiques, représentent moins de la moitié du budget des outre-mer. À ces 5 milliards d'euros de crédits budgétaires, qui incluent cette compensation pour charges sociales exonérées, il faut ajouter 5,5 milliards d'euros correspondant à des niches fiscales. La proposition que nous faisons dans le projet de loi de finances aurait, sur ces niches fiscales, un impact de 100 millions d'euros en 2026, sur un total de 5,5 milliards d'euros. Par ailleurs, nous proposons une réforme de la Lodéom dont l'impact serait de 350 millions d'euros, sur un total de 1,5 milliard. Vous en débattrez.
Le projet de loi que nous présentons contient aussi des dispositions relatives à la transcription des mesures sur la vie chère outre-mer, à la stratégie quinquennale pour reconstruire et développer Mayotte, aux nouveaux moyens techniques et humains dédiés à la sécurité et à la lutte contre la criminalité organisée ou au soutien exceptionnel à la Nouvelle-Calédonie. Par ailleurs, nous stabilisons les crédits de paiement en matière de logement, alors même, comme je le disais à l'instant, que le cycle électoral pourrait justifier une baisse.
Avec la ministre des outre-mer, nous sommes prêtes à travailler avec les élus ultramarins, territoire par territoire, car nous considérons que les outre-mer ne sont pas des variables d'ajustement. Pour autant, il convient d'aménager les niches fiscales dont le ciblage n'est pas satisfaisant. Nous mènerons un travail très sérieux à cet égard.
J'en viens à la réforme de l'abattement fiscal des retraités.
Cet abattement représente aujourd'hui 10 % des revenus avec, pour un couple, un plafond de 4 400 euros. La réforme que nous proposons est de nature sociale, car un quart des ménages retraités en seraient bénéficiaires, les gagnants étant les plus modestes d'entre eux. Par ailleurs, 84 % du rendement proviendraient des 20 % de retraités les plus aisés. Cette réforme permettra donc une redistribution.
L'abattement actuel est anti-progressif : plus vos revenus sont élevés, plus vous en bénéficiez. Un abattement forfaitaire, en revanche, bénéficie davantage aux retraités modestes qu'à ceux qui sont aisés. Pour de nombreux ménages, cet abattement sera plus généreux qu'il ne l'est aujourd'hui.
Concernant la fibre, je vais me pencher sur cette différence entre 250 millions et 343 millions d'euros qui a été évoquée, avant de vous répondre...
Madame la sénatrice Goulet, vous aurez toute latitude pour déposer des amendements sur le texte relatif à la fraude. Les projets de loi de finances et les projets de loi de financement de la sécurité sociale ne sont pas des outils que le Conseil constitutionnel considère comme viables pour ce type de dispositions. Je préconise donc que nous travaillions plutôt dans le cadre du texte sur la fraude, afin de donner une vision globale. Nous sommes prêts à accueillir une grande partie des propositions issues de la commission d'enquête dont vous étiez le rapporteur.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - Concernant la taxe sur les petits colis postaux, et au vu de l'ampleur de l'effort que doivent fournir les douanes, pourquoi se limiter à une taxe de 2 euros sur chaque colis expédié ? Quel délai vous donnez-vous pour convaincre la Commission européenne d'instituer des droits de douane sur les colis de moins de 150 euros ?
Pierre Moscovici nous a dit tout à l'heure qu'en 2025 le redressement du déficit avait reposé exclusivement sur les prélèvements obligatoires, lesquels représentent cette année 14 milliards d'euros de l'effort, contre 17 milliards pour les dépenses. Vous engagez-vous à ne pas accepter une dégradation de cette répartition ?
Quelle est la ventilation, entre âge de départ et nombre de trimestres, du coût pour 2026 et 2027 de la suspension de la réforme des retraites ?
Dans le code de la sécurité sociale, à compter de quelle génération l'âge de la retraite sera-t-il fixé à 64 ans ?
Mme Florence Blatrix Contat. - La baisse de 3,3 milliards d'euros des niches fiscales concerne essentiellement les ménages, les étudiants, les retraités, et elle épargne largement les entreprises. Or la commission d'enquête sénatoriale sur les aides aux entreprises a démontré que ces niches coûtaient 43 milliards d'euros et qu'il fallait les rationaliser.
Le Comité d'évaluation des politiques d'innovation (Cnepi) a certes indiqué que le CIR avait des effets positifs pour les PME, mais que ce n'était pas avéré pour les grandes entreprises. Pourquoi n'a-t-on pas cherché à supprimer ce crédit d'impôt dans les cas où il est moins efficient ?
Si la création d'une taxe spécifique sur les emballages non recyclés va dans le bon sens, elle s'accompagne d'une augmentation trop lourde de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) sur le stockage et la valorisation énergétique. Cette hausse pourrait représenter de 260 millions à 480 millions d'euros supplémentaires d'ici à cinq ans, pour atteindre 1,2 milliard d'euros. Le paradoxe est total : vous prétendez verdir la fiscalité, mais in fine ce sont les collectivités et les contribuables locaux qui supporteront cette charge. Les metteurs sur le marché de produits jetables demeurent largement épargnés. Dans votre projet, à peine 100 millions d'euros issus de la TGAP seraient réaffectés au fonds économie circulaire. Pourquoi le Gouvernement choisit-il, à nouveau, de faire peser le coût de la transition écologique sur les collectivités plutôt que sur les producteurs de déchets ?
Mme Ghislaine Senée. - Je reviens sur le sujet de la taxe Zucman. Les mesures que vous présentez, notamment la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, permettront-elles de « rétablir la balance », alors que la situation actuelle est très défavorable à nos concitoyens ? Pouvez-vous nous assurer que les foyers particulièrement ciblés par la taxe que vous proposez paieront leur impôt à hauteur de leurs capacités financières, comme le dispose l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ?
J'aimerais partager votre optimisme sur la vitalité des entreprises. Les défaillances sont à un niveau jamais été atteint depuis 2009, à l'époque de la crise des subprimes. Les petites entreprises sont très inquiètes. Or le CIR bénéficie surtout aux grandes entreprises, lesquelles profiteront aussi de la réduction de la surtaxe dite Barnier, quand les PME souffrent de l'inondation de notre marché par les produits chinois. Par ailleurs, les crédits de la mission « Travail et emploi » vont diminuer à hauteur de 2,5 milliards d'euros. Que comptez-vous faire, de manière très concrète, pour ces PME en très grande difficulté ?
M. Pascal Savoldelli. - Le CIR représente entre 6,6 milliards et 7 milliards d'euros d'argent public. Les cinquante premières entreprises bénéficient de 45 % du bénéfice du dispositif ; les deux cents premières, les deux tiers. Le ruissellement vers l'ensemble des entreprises n'est pas au rendez-vous : il faut corriger cela.
Ghislaine Senée a évoqué les défaillances d'entreprises. La CGT a recensé 300 plans de sauvegarde de l'emploi et estime à 300 000 le nombre d'emplois menacés. Les 13 000 emplois de la métallurgie et les 4 000 de l'industrie chimique ne sont pas des auto-entrepreneurs... Il faut le dire, les 211 milliards d'euros d'aides publiques versées aux entreprises ne ruissellent pas !
Vous nous dites que vous n'utiliserez pas le 49.3 - dont acte. Supposons que l'Assemblée nationale adopte de nouvelles recettes. Le Gouvernement s'engage-t-il alors à relever, à la même hauteur, le niveau des dépenses dans le tableau d'équilibre ? Comment ventilerez-vous ces nouveaux crédits ?
Pourquoi ne vous est-il pas venu à l'esprit de toucher au pacte Dutreil ? En cas de transmission d'une entreprise à un héritier ou à un donataire, l'exonération des droits de mutation est de 75 %. Il faut réduire la voilure !
M. Michel Canévet. - Le groupe de l'Union Centriste est attaché au respect de la trajectoire dans laquelle nous sommes engagés en ce qui concerne les comptes publics. Les « pays du Club Med » ont réussi à améliorer significativement leur situation. La France, quant à elle, est parmi les plus mauvais élèves de l'Europe : nous ne pouvons l'accepter.
Pour tenir la trajectoire, différentes mesures peuvent être mises en oeuvre. Nous ne sommes pas opposés à l'instauration de nouvelles formes de taxation dès lors que celles-ci contribuent au développement économique, via une amélioration de la compétitivité de l'économie de notre pays.
Nous demandons qu'un effort soit fait en matière de lutte contre les fraudes de toute nature et l'évitement fiscal. En ce sens, la taxation sur les holdings qui est proposée nous paraît aller dans le bon sens.
Le rendement de la contribution exceptionnelle sur les bénéfices des grandes entreprises, que nous avons adoptée cette année, a été évalué à 8 milliards d'euros. Allons-nous effectivement encaisser cette somme ? Idem pour les 2 milliards d'euros de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus. Lors les débats sur l'instauration d'une taxe supplémentaire sur les « ultrariches », certain ont imaginé des rendements totalement farfelus. Il faut ramener les choses à leur juste réalité.
M. Bernard Delcros. - Votre budget intègre plusieurs mesures de justice fiscale qui vont dans le sens de ce qu'a défendu le groupe Union Centriste ces dernières années. Nous nous en réjouissons ; elles sont d'ailleurs attendues par nos concitoyens.
Ma première question porte sur les rachats d'actions. Nous avions fait des propositions lors des précédents budgets : la mesure a finalement été mise en place dans le projet de loi de finances pour 2025, via une taxe de 8 % sur ces opérations. Le rendement n'est pas au rendez-vous, car la taxation est assise sur la valeur vénale des actions et non sur leur valeur réelle. Or nous savons qu'il y a un décalage très important - de 1 à 1 000, voire de 1 à 2 000 - entre ces deux valeurs. Quand nous avions mis en avant ce point l'année dernière, vous aviez évoqué une question de compatibilité avec le droit européen. Quelles pistes pourrions-nous suivre pour lever cet obstacle ?
Ma seconde question concerne les collectivités. Si je me réjouis que vous ayez préservé le fonds national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT), dont l'effet de levier est important, je suis en revanche opposé à la disparition de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) - c'est bien de cela qu'il s'agit. En effet, seront éligibles au nouveau fonds d'investissement pour les territoires des communes rurales, bien sûr, mais également des villes dès lors qu'elles répondent aux critères de population des quartiers prioritaires de la politique de la ville. Comme son nom l'indique, la DETR était, quant à elle, réservée aux communes rurales. Pour moi, il s'agit donc bel et bien d'une disparition de la DETR. Et je ne parle même pas du montant global, qui passe de 1,6 milliard à 1,4 milliard d'euros... C'est un très mauvais message qui est adressé aux territoires ruraux.
Mme Sylvie Vermeillet. - Ma première question concerne le compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions », dont je suis la rapporteure spéciale. Les pensions civiles et militaires représenteront 66 milliards d'euros en 2026 ; le CAS « Pensions » s'élèvera, lui, à un peu plus de 69 milliards d'euros. L'État devra augmenter son taux de contribution employeur, de 78 % à 82,28 %. Comment répartirez-vous les 69 milliards d'euros du CAS « Pensions » ? Uniformément sur l'ensemble des ministères ou en imputant à chaque ministère ce qui relève de ses pensions ?
Ma seconde question concerne les CEE, qui sont abondés de 2,5 milliards d'euros. La Cour des comptes a indiqué, dans un rapport de juillet 2024, que leur reconduction ne pouvait perdurer sans réforme d'ampleur. Le dispositif est coûteux pour des effets difficilement estimables, puisque les économies d'énergie sont surestimées d'au moins 30 % et que la lutte contre la fraude est quasi inexistante. Allez-vous réformer le dispositif ?
M. Roland Lescure, ministre. - Madame la sénatrice Carrère-Gée, je rappellerai que le Premier ministre a parlé hier de suspension, et non d'abrogation. Suspendre, ce n'est pas abroger. Abroger, c'est faire sauter la caisse, et pour longtemps. Suspendre jusqu'à l'élection présidentielle, c'est se donner le temps d'avoir un débat, dans le cadre d'une conférence sociale, sur l'élaboration de réformes alternatives qui permettraient de garantir dans la durée le financement du modèle de retraite par répartition, auquel nous sommes tous attachés.
Je tiens à saluer le Premier ministre, qui a fait cette annonce importante, mais aussi l'ensemble des groupes républicains à l'Assemblée nationale, qui étaient contre la dissolution et qui ont décidé de faire des efforts pour aller les uns vers les autres. Boris Vallaud et Laurent Wauquiez ne sont d'accord sur pas grand-chose ; je les ai pourtant entendus dire hier qu'ils étaient prêts à débattre grâce aux avancées faites par le Gouvernement. Tel est le prix de la stabilité politique.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - Mais quel en est le coût ? À partir de quelle génération s'appliqueront les 64 ans ?
M. Roland Lescure, ministre. - Le Premier ministre a évoqué un coût de 400 millions d'euros en 2026 et de 1,8 milliard d'euros en 2027.
Madame la sénatrice Senée, vous avez évoqué la nécessité d'aider les petites et moyennes entreprises, notamment pour faire face à une concurrence internationale très forte. Oui, il faut les aider, et nous l'avons déjà beaucoup fait. Notre pays connaît un niveau historique de créations d'entreprises, et ce depuis quelques années. Mais le libre-échange n'est pas une religion : il s'agit d'un modèle économique qui ne fonctionne que si tout le monde joue le jeu. Nous avons commencé à agir sur ce point, avec la taxe sur les petits colis et la clause de sauvegarde sur l'acier. Cette dernière mesure est une décision européenne très importante, à laquelle j'ai beaucoup oeuvré lorsque j'étais ministre de l'industrie, pour protéger nos aciéries, pour produire de l'acier non seulement made in Europe, mais aussi plus vert - je sais que vous y êtes sensible.
Les bonus automobiles sont aujourd'hui réservés à des véhicules produits en Europe, ce qui était interdit il y a encore trois ans. Nous avons convaincu la Commission européenne qu'il fallait intégrer le bilan carbone de la production automobile. Le leasing social concerne des véhicules produits en Europe. Aujourd'hui, le véhicule électrique le plus vendu en France est la Renault 5 : elle est fabriquée à Douai. Je suis convaincu que l'on peut à la fois faire croître la production et faire décroître les émissions.
Monsieur le sénateur Savoldelli, la France est le pays qui taxe le plus les entreprises et qui les aide le plus. Je remercie votre collègue Fabien Gay pour le travail qu'il a accompli comme rapporteur de la commission d'enquête sur l'utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants. Les aides versées aux entreprises à hauteur de plusieurs dizaines de milliards d'euros - je ne donnerai pas de chiffre, car les avis sur la question sont partagés - représentent de l'argent public. Nous vous devons la transparence en la matière, et c'est ce que nous ferons dans le cadre des exercices budgétaires à venir.
N'oublions jamais que nous sommes le pays qui taxe le plus et qui aide le plus. Je suis satisfait que la CVAE baisse de 1,5 milliard d'euros, mais, quand on soustrait l'ensemble des aides que nous apportons aux entreprises des taxes qu'elles paient, nous continuons de prélever davantage que partout ailleurs en Europe. De mon point de vue, le CIR est donc un outil extrêmement utile, qu'il faut préserver.
Nous avons créé 130 000 emplois industriels, après en avoir détruit des millions pendant des années. Il faut continuer sur cette lancée. Je ne vais pas crier victoire, mais nous avons au moins stabilisé la situation ; nous ne sommes plus en train de détruire notre appareil productif. Depuis trois ans, nous ouvrons plus d'usines dans notre pays que nous n'en fermons.
Concernant l'impôt sur les sociétés, monsieur le sénateur Canévet, nous aurons « la vérité des prix » sur la surtaxe à la fin de l'année, au moment du dernier acompte. Le montant sera peut-être un peu en dessous de 8 milliards d'euros. Nous disposons des chiffres du premier semestre : ils sont légèrement supérieurs à nos prévisions, notamment du fait de bénéfices plus importants que prévu en 2024.
Monsieur le sénateur Delcros, la taxe sur les rachats d'actions fait partie des taxes qui ont vocation à s'étendre si elles marchent bien. J'ai été investisseur pendant vingt-cinq ans : je déteste les entreprises qui rachètent leurs actions. Avec l'argent gagné, on peut faire mieux qu'améliorer le bénéfice par action. Il est préférable d'augmenter le bénéfice ou les dividendes, de continuer à investir dans l'économie. Soyons clairs, l'objectif de cette taxe est d'aller vers son extinction, parce que nous souhaitons désinciter les entreprises à faire ce type d'opérations. Se pose la question de l'assiette : si vous avez trouvé la pierre philosophale qui consiste à s'éloigner de la valeur vénale en allant vers la valeur de marché, qui est très volatile, nous sommes preneurs...
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Madame Carrère-Gée, concernant les petits colis, nous avons réussi à trouver un accord sur l'union douanière : à partir du 1er janvier 2028, une taxation pourra être appliquée aux colis qui ne sont pas soumis à des droits de douane. Cela nécessitera un travail très important ; nous sommes d'ailleurs candidats pour accueillir l'Autorité douanière de l'Union européenne à Lille.
Pourquoi 2028 ? Quand M. Trump annonce qu'il décide de taxer les importations, les bureaux de poste cessent d'envoyer des colis aux États-Unis tant la mise en place de ces droits de douane est complexe à réaliser en raison de l'énorme volume à traiter.
Par ailleurs, 80 % des biens que nous importons ne sont pas conformes, soit parce qu'ils ne respectent pas les normes de sécurité, soit parce qu'ils sont issus de la contrefaçon, soit parce que leur valeur déclarée n'est pas conforme. Il faut donc mener des contrôles. Deux options se présentent : soit nous utilisons les impôts des honnêtes contribuables pour payer les scanners, les douaniers et la DGCCRF (direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) ; soit nous demandons à ceux qui nous envoient ces biens de payer les contrôles. C'est ce que nous mettons en place avec la redevance sur les petits colis.
La France, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg se sont coordonnés. Notre objectif est de mettre en oeuvre cette taxe le 1er janvier 2026 ; des débats auront donc lieu dans chaque parlement. Mais nous avons surtout obtenu un accord en Conseil Ecofin (affaires économiques et financières) il y a quelques mois pour que l'ensemble des pays européens instituent une taxe de 2 euros par article à partir du 1er novembre 2026. Les colis arrivent massivement en France, en Belgique et aux Pays-Bas : nous sommes inondés de produits, mais nous sommes aussi devenus une plateforme pour toute l'Europe. Si nous sommes les seuls à taxer, les colis arriveront de l'autre côté de la frontière et le problème ne sera en rien résolu.
Le calendrier est donc le suivant : les redevances le 1er novembre 2026, les droits de douane le 1er janvier 2028. Pourquoi ne pas avoir prévu un montant supérieur à 2 euros par article ? Parce que, dans le droit actuel, la taxe doit être proportionnée aux dépenses de contrôle.
Sur les aides aux entreprises, comme l'a dit le ministre de l'économie et des finances, nous vous devons la transparence. J'irai même plus loin : il faut faire preuve de transparence à l'égard du comité social et économique (CSE). Une loi de 2008, qui n'est toujours pas appliquée, prévoit qu'il n'est pas possible d'avoir accès au guichet d'aides publiques si les minima de branche sont inférieurs au Smic. Il faut mettre cette mesure en oeuvre.
Il faut aussi aller plus loin dans les outils de partage de la valeur : les distributions d'actions gratuites devraient être soumises à des taux minimaux quand elles concernent toute l'entreprise et à des taux majorés quand les dirigeants sont les seuls concernés. Nous devons progresser sur de nombreux sujets - partage de la valeur, intéressement, protection et transparence du dialogue social -, parce que les entreprises touchent des aides ; néanmoins, ces aides sont une contrepartie à des impôts beaucoup trop élevés pour permettre aux entreprises d'être compétitives.
Sur les déchets, votre question concerne l'article 21 du projet de loi de finances. Avant tout, je veux vous faire remarquer, puisque vous êtes les premiers à ne cesser de me demander de la simplification, que cet article en comprend une très importante : la TVA sera désormais de 5,5 % sur toutes les activités de collecte et de traitement des déchets. Auparavant, on comptait soixante-dix catégories, ce qui était totalement illisible et très coûteux pour les collectivités. L'État compensera les éventuelles diminutions de recettes liées à cette baisse de TVA.
La France est le pays ayant les plus mauvais résultats en matière de recyclage du plastique. Elle paie 1,6 milliard d'euros d'amendes à la Commission européenne. Nous ne recyclons que 26 % du plastique, contre 42 % dans le reste de l'Union européenne. Il ne me semble donc pas absurde que l'incinération et la mise en décharge continuent d'être largement désincitées, sinon on ne recycle pas !
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'incinération des déchets peut servir à alimenter les réseaux de chaleur.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Certes, mais de nombreux incinérateurs ne sont pas branchés à des réseaux de chaleur : il s'agit alors d'une perte sèche.
J'en viens au débat sur la taxe Zucman. Notre proposition permet-elle de lutter contre des abus d'utilisation du droit commercial et fiscal pour se constituer un patrimoine personnel ? Elle constitue, selon moi, un très grand progrès. Permet-elle de taxer les biens professionnels des entrepreneurs ? C'est là le coeur du débat. Notre gouvernement a fait le choix de dire non.
Monsieur le sénateur Savoldelli, j'ai beaucoup aimé votre question ! Vous me demandez si une augmentation des recettes votée par les députés conduirait automatiquement à des dépenses à se répartir. Mais la procédure budgétaire n'est pas faite ainsi. C'est seulement à la fin de vos délibérations que l'on établit le solde. Il n'y a pas de cagnotte !
M. Pascal Savoldelli. C'est bien vous qui arbitrez le tableau d'équilibre !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Je n'arbitre pas le tableau d'équilibre : je transpose le résultat de vos débats dans un tableau. Si je pouvais arbitrer, il n'aurait pas été nécessaire d'avoir recours au 49.3 !
Monsieur Delcros, je vous remercie de votre satisfecit sur le FNADT. En ce qui concerne la DETR, l'article de fusion préserve l'enveloppe pour les communes rurales. Ce sujet nous occupera largement, mais il n'est pas écrit que les communes rurales seront pénalisées par la fusion. J'ai repris une demande que vous aviez formulée depuis des mois. Vous avez en effet tous souhaité que le préfet de département soit l'acteur central et unique, afin d'assurer la cohérence de l'ensemble des demandes de soutien à des projets de territoire. Nous tenons compte du cycle électoral dans lequel nous nous trouvons ; cette fusion n'est pas un moyen déguisé de réaliser des économies.
Enfin, s'agissant du CAS « Pensions », madame la sénatrice Vermeillet, nous essayons de sortir de la dialectique entre ce qui correspond à l'équivalent d'une cotisation retraite et ce qui est l'équivalent d'une cotisation d'équilibre. C'est la suite du fameux débat lancé par M. Bayrou lorsqu'il était Premier ministre sur le coût caché des retraites. Ce coût caché n'existe pas, mais nous essayons de rendre la discussion plus compréhensible. L'étape suivante consistera à transcrire cela en chiffres. Il faut que nous cessions de faire ce que vous avez décrit, c'est-à-dire de faire monter le taux, ce qui correspond simplement à un ajustement de la subvention d'équilibre. L'année 2026 est donc, à mon sens, une année intermédiaire. Les services se préparent à mettre en place cette réforme structurelle en 2027. Dans l'intervalle, nous conservons le mécanisme actuel, perfectible et peu lisible, qui entraîne de nombreuses polémiques inutiles.
M. Claude Raynal, président. - Je vous remercie pour les premières explications que vous nous avez apportées sur le projet de loi de finances pour 2026.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 12 h 55.