- Mercredi
12 novembre 2025
- Audition de Mme Anne-Marie Descôtes, secrétaire générale du ministère de l'Europe et des affaires étrangères
- Audition de M. Volker Türk, Haut-commissaire des Nations unies aux droits de l'homme
- Proposition de résolution européenne visant à demander au gouvernement français de saisir la Cour de justice de l'Union européenne pour empêcher la ratification de l'accord avec le Mercosur - Désignation de rapporteurs
Mercredi 12 novembre 2025
- Présidence de Mme Catherine Dumas, vice-présidente -
La réunion est ouverte à 9 h 00.
Audition de Mme Anne-Marie Descôtes, secrétaire générale du ministère de l'Europe et des affaires étrangères
Mme Catherine Dumas, présidente. - Nous avons le plaisir d'accueillir ce matin Mme Anne-Marie Descôtes, secrétaire générale du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, pour évoquer les grandes lignes du budget 2026 et les conditions de sa mise en oeuvre.
M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères aime à rappeler que son ministère fait beaucoup avec peu. Il relève à ce titre que le budget du Quai d'Orsay est comparable à celui de l'Opéra de Paris ou encore à celui de la métropole de Toulouse, ce qui laisse bel et bien songeur.
Pour notre part, nous aimons souligner l'importance du continuum entre la diplomatie et la défense, et ne pouvons que regretter que la sanctuarisation du coeur du régalien n'ait pas concerné l'action extérieure de l'État aussi bien que la mission « Défense ».
Au-delà de cette position de principe, le quasi-gel des crédits de la mission « Action extérieure de l'État » invite à s'interroger sur le sens des engagements pris en 2023 par le Président de la République à l'issue des États généraux de la diplomatie. Le schéma d'emploi, déjà revu à la baisse l'an dernier par rapport au plan de réarmement de notre diplomatie, qui devait assurer la création de 700 équivalents temps plein (ETP) à l'horizon 2027, sera nul en 2026. Les départs à la retraite feront-ils bientôt repartir la courbe des effectifs en sens inverse ? Que reste-t-il, plus largement, de l'ambition de 2023 ?
Certains chantiers sont certes prometteurs. Qu'il s'agisse de notre rayonnement ou de notre influence, des progrès seront rendus possibles, du moins l'espère-t-on, par le renforcement de notre communication stratégique et par la professionnalisation de l'organisation d'événements internationaux ou encore grâce à l'Académie diplomatique. Mais, pour le reste, les marges de manoeuvre sont comprimées par la hausse du coût de la masse salariale et certains postes non pilotables.
En outre, dans un contexte international toujours plus dégradé, les fonctions essentielles de notre action extérieure restent soumises à rude épreuve. Je songe en particulier aux dépenses de soutien au réseau diplomatique et à la sécurité de nos emprises à l'étranger. C'est également vrai de notre participation aux organisations multilatérales, ou encore de notre coopération de sécurité et de défense, par exemple.
Dans de telles circonstances, comment mieux évaluer qualitativement les résultats de notre action extérieure ? Il s'agit probablement d'une des politiques publiques dont l'évaluation est la plus difficile. Au demeurant, les documents budgétaires ne nous aident pas toujours ; mais peut-être travaillez-vous dans le sens de leur clarification.
De plus, qu'en est-il de notre capacité à mettre en oeuvre les autres volets de notre action extérieure, plus durement touchés par les efforts budgétaires en proportion de leurs moyens ? Les crédits du programme 151 baissent d'environ 1 %, ceux de la diplomatie culturelle et d'influence diminuent de 7 %, et le programme 209 est amputé de près d'un tiers de ses moyens.
Nos rapporteurs pour avis souhaiteront, je n'en doute pas, obtenir davantage d'explications ; je vous cède la parole pour un propos liminaire, avant qu'ils ne vous interrogent sur les programmes budgétaires dont ils sont chargés. Les autres membres de la commission vous poseront ensuite leurs questions.
Je rappelle que cette audition est captée et diffusée sur le site et les réseaux sociaux du Sénat.
Mme Anne-Marie Descôtes, secrétaire générale du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. - Le 28 octobre dernier, M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères vous a présenté les grands axes et les objectifs prioritaires du budget de notre ministère pour 2026, sur lesquels vous m'avez demandé de m'exprimer à mon tour.
Pour nous, la question centrale est la suivante : ce budget va-t-il nous permettre de poursuivre la transformation engagée depuis deux ans et demi pour mener à bien les trois missions prioritaires fixées par M. le ministre ? Il s'agit, premièrement, de protéger nos compatriotes à l'étranger ; deuxièmement, de défendre les intérêts de la France et des Français ; et, troisièmement, d'informer, par nos analyses, nos autorités, les Français et le reste du monde des positions internationales de la France.
Au titre de cette transformation, un certain nombre de chantiers méritent à mon sens d'être cités.
Tout d'abord, la réponse aux nouvelles menaces a vocation à garantir la bonne perception de notre action internationale. Nous nous sommes ainsi réarmés, depuis plusieurs mois, dans la guerre informationnelle. Les effectifs consacrés à la veille stratégique ont augmenté de douze ETP en trois ans. À l'heure actuelle, vingt-sept postes de travail y sont dédiés. Nous avons équipé nos veilleurs des outils dont ils avaient besoin, à Paris comme dans notre réseau, pour détecter et analyser en temps réel les campagnes ciblant les intérêts français. Nous mobilisons également l'expertise du centre de crise et de soutien (CDCS) pour contribuer à l'extension de nos capacités de veille : c'est la preuve de l'agilité de notre dispositif. Depuis cet automne, l'équipe de permanence du CDCS est équipée d'accès au logiciel Sahar pour suivre les tendances et attaques informationnelles.
Se réarmer, c'est bien sûr aussi se mettre en capacité de riposter. C'est pourquoi le ministère s'est doté d'un compte de riposte qui inclut une part d'automatisation et s'intitule French Response - un nom anglais a été retenu, le but étant d'être compris du plus grand nombre d'interlocuteurs. L'objectif est de rétablir les faits et de redresser les perceptions en poussant proactivement les lignes françaises.
Nous avons investi pour renforcer la résilience de nos réseaux numériques et nos capacités dans le champ de la cybersécurité. Ces actions ont été validées dans le cadre de la revue nationale stratégique (RNS), pilotée par le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), qui reconnaît le rôle de notre ministère en la matière. Nous avons donc retenu une trajectoire ambitieuse de déploiement de ces outils, en 2025 comme en 2026.
Nous renforçons aussi nos efforts en faveur de la sécurité économique. Nous élaborons et défendons diverses positions françaises, qu'il s'agisse de la lutte anticorruption, de la conduite responsable des entreprises, de la lutte contre la coercition économique, de la propriété intellectuelle, des standards industriels, de la sécurisation de nos accès aux approvisionnements critiques ou encore de la mise en oeuvre de normes financières pour lutter contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme.
M. le ministre l'a annoncé lors de son récent déplacement en Colombie, nous entendons traiter à la racine ce mal qu'est le narcotrafic, en faisant monter le Quai d'Orsay en première ligne. De nouveaux accords de coopération ont été signés en matière de douane et de lutte contre les criminels.
Notre ministère porte également une attention prioritaire à la robustesse de la procédure de délivrance de visas et à la lutte contre la fraude. De nombreux chantiers sont d'ores et déjà engagés. Une task force « fraude visas » a été créée avec le ministère de l'intérieur, à notre demande, afin d'avancer sur un certain nombre de dossiers structurants. Je pense en particulier à la lutte contre les officines. Il s'agit de mutualiser les informations, de mettre en oeuvre les bonnes pratiques et de sensibiliser les postes à ces questions.
Nous travaillons pour mettre en commun, avec le ministère de l'intérieur, nos indicateurs et nos outils de pilotage. Ainsi, nos postes pourront mieux identifier les filières d'immigration irrégulière et en tirer les conséquences qui s'imposent quant à la délivrance des visas.
La connaissance du contexte local par les agents des services des visas est un atout majeur de notre réseau : c'est pourquoi nous entendons la mettre à disposition du ministère de l'intérieur dans le cadre de cette action commune. Nous devons donc mieux outiller ces agents en menant à bien la modernisation de France-Visas, qui passe notamment par la dématérialisation des procédures.
La lutte contre les officines a elle aussi toute son importance. La préemption de rendez-vous et la fraude documentaire sont des enjeux de taille, face auxquels les postes et les prestataires de services sont mobilisés. À ce titre, nous avons lancé un certain nombre d'expérimentations, par exemple pour l'attribution de rendez-vous, au Maroc. Plus de 300 référents fraude assurent une veille et mutualisent les bonnes pratiques. En outre, nous formons nos agents à tous les niveaux. Des cellules transversales sont activées dans nos postes les plus exposés, et nous avons acquis divers outils de détection, qu'il s'agisse de lampes à UV, de loupes ou d'abonnement à des bases de données. De même, nous effectuons des levées d'actes d'état civil et faisons appel, lorsque c'est nécessaire, à des prestations d'expertise juridique.
Pour lutter contre la fraude sociale, des échanges d'informations ont régulièrement lieu entre les organismes de protection sociale français et les consulats. Il s'agit là d'un point extrêmement important. Ainsi, une convention de 2022 entre la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav) et le ministère a permis d'expérimenter une procédure de contrôle de l'existence des pensionnés en Algérie. Le préjudice évité par ce biais est de 7,9 millions d'euros sur les seize premiers mois de l'expérimentation.
À notre demande, les référents fraude de nos postes auront prochainement accès au répertoire national commun de la protection sociale (RNCPS). Ce répertoire centralise les données relatives aux prestations sociales versées aux assurées. En parallèle, un groupe de travail réunissant les représentants des ministères concernés se consacre à la question de la dette hospitalière des patients non-résidents non assurés en France, laquelle est estimée à environ 140 millions d'euros.
Nous poursuivons aussi la transformation de nos services aux Français. Nous achevons le déploiement de la plateforme téléphonique France Consulaire, dont la couverture mondiale sera assurée d'ici à la fin de cette année. S'y ajoute la dématérialisation des démarches offertes aux Français de l'étranger. Je citerai, à cet égard, le paiement des titres par timbre électronique, le renouvellement des passeports sans comparution, le vote par internet et le registre d'état civil électronique (Rece), ainsi que la simplification des démarches correspondantes.
Nous renforçons l'agilité et la performance de notre réseau à l'étranger, grâce à l'investissement dans la transformation numérique. De premiers cas d'usage de l'intelligence artificielle sont développés, notamment pour assurer des transcriptions, des traductions et des résumés automatisés.
Au surplus, nous menons le déploiement, sans surcoût, d'un agenda de la simplification, impliquant notamment la dématérialisation ou la suppression des trois quarts de nos formulaires ; la suppression de près de 2 000 notes administratives récurrentes en huit mois ; et le déploiement de programmes d'efficacité opérationnelle dans les consulats et les secrétariats généraux d'ambassades.
Dans la droite ligne des recommandations émises en 2023, nous aiguisons notre expertise relative aux enjeux globaux afin de mieux peser dans les négociations internationales, qu'il s'agisse du changement climatique, de l'intelligence artificielle, de la santé mondiale ou des migrations. À cette fin, nous recrutons des profils spécialisés et, surtout, nous formons nos agents consulaires.
La transformation de notre politique managériale et de notre politique des ressources humaines est assurée par la refonte des concours d'entrée, dans une logique de professionnalisation accrue. En témoignent le déploiement d'une marque employeur, pour diversifier nos viviers de recrutement ; la création de l'Académie diplomatique et consulaire ; ou encore la mise en oeuvre d'un nouveau plan d'action « égalité professionnelle » pour les années 2024 à 2026.
Nous sommes plus que jamais attractifs. J'en veux pour preuve le choix des élèves sortant de l'Institut national du service public (INSP). De même, nos concours attirent de plus en plus de candidats. Par rapport à l'année n-1, qui était déjà une année record pour la participation aux concours B et C, le nombre d'inscrits a augmenté de 38 % au concours de secrétaire des affaires étrangères Orient et de 42 % au concours de secrétaire des affaires étrangères, voie générale.
Cette transformation, qui associe bien sûr les agents, s'appuie sur le dialogue social dans l'ensemble du ministère et du réseau.
M. le ministre vous l'a indiqué : nous faisons beaucoup avec peu. Ces chantiers majeurs ont été conduits alors que, depuis 2024, le ministère contribue à l'effort de redressement des comptes publics. La baisse cumulée de ses crédits atteint 34 % en loi de finances initiale au cours des deux dernières années. Il s'agit là d'un effort sans équivalent parmi les administrations de l'État.
Malgré ces réductions budgétaires, le ministre est résolu à préserver notre capacité d'investissement dans l'avenir et à accélérer nos efforts de modernisation. La vitesse à laquelle évolue l'environnement international et les menaces diffuses que nos intérêts subissent nous l'imposent.
Nous avons donc de nouveau dû faire des choix pour préserver nos projets prioritaires. M. le ministre vous a présenté la manière dont il a rendu ses arbitrages, en soulignant que les chantiers de réforme et de modernisation ont été protégés. Pour ma part, je viens d'évoquer la communication stratégique, la transformation numérique et la poursuite de la modernisation consulaire. J'attire également votre attention sur la poursuite de notre dynamique de ressources humaines. Malgré la forte contrainte que je viens de rappeler, il convient de garantir, dans la durée, une allocation en conformité avec nos priorités de politique extérieure.
La loi de finances initiale pour 2025 a défini un schéma d'emploi impliquant 75 ETP supplémentaires, le total des ETP créés depuis trois ans en vertu de l'agenda de transformation étant ainsi porté à 325. Le ministère s'est attaché à ce que les ressources nouvelles soient mobilisées pour tenir compte de l'évolution du contexte géopolitique, sur la base des objectifs fixés par M. le ministre et M. le Président de la République.
Ces nouveaux effectifs ont permis de donner plus de robustesse à notre réseau diplomatique, notamment dans les zones de crise. En 2024, 60 % des créations de postes ont concerné le réseau à l'étranger. En 2025, ce taux atteint 75 %, la priorité ayant été accordée à la zone Afrique du Nord - Moyen-Orient et à la zone Afrique.
Le PLF pour 2026 prend pour base un schéma d'emploi neutre. Certains estimeront qu'il est en retrait par rapport à la trajectoire fixée par le Président de la République en 2023. Pour ma part, je vois avant tout dans ce projet de budget la préservation d'un acquis, alors que plusieurs ministères doivent voir leurs effectifs baisser l'année prochaine. Cette stabilisation nous permet de cranter les créations de postes des dernières années et, ainsi, de poursuivre une politique dynamique par la réallocation de nos moyens.
Ce travail est facilité par le regroupement de toute la masse salariale du ministère sur le seul programme 105, depuis le 1er janvier dernier.
Chaque année, nous sommes évidemment confrontés à des besoins nouveaux. Nous nous efforçons, en conséquence, de gagner en productivité, notamment grâce à nos projets de modernisation. Nous sommes ainsi en mesure d'assurer un certain nombre de redéploiements.
Dans cette logique, la création du service France Consulaire n'a exigé aucune création nette d'ETP. Nous avons procédé uniquement par redéploiement.
De même, le redéploiement de l'application de gestion à l'étranger Crocus, interfacée avec Chorus, a constitué une simplification majeure pour les agents : il a permis la dématérialisation des comptabilités des postes et simplifié les échanges avec l'administration centrale, ce qui a également ouvert la voie à un certain nombre de redéploiements - au total, 19 ETP ont été supprimés à la direction des affaires financières.
Nos efforts resteront dirigés, en priorité, vers le renforcement de notre réseau à l'étranger. Ont été annoncées un certain nombre d'ouvertures ou de réouvertures de postes. Je pense au consulat de Nuuk, au Groenland, mais aussi aux postes de Benghazi, en Libye, et de Damas.
L'évolution du réseau se fonde en particulier sur la transformation de notre réseau consulaire, sur le renforcement de notre présence en Indopacifique, sur l'évolution de notre dispositif en Afrique, sur le renforcement de notre présence dans le voisinage russe et en Arctique, ainsi que de notre dispositif de communication stratégique. Tous ces redéploiements seront définitivement arbitrés par M. le ministre d'ici à la fin de l'année.
Au prix de priorisations, les crédits du programme 105, « Action de la France en Europe et dans le monde », permettent de préserver les fondamentaux et de poursuivre les réformes les plus structurantes. Les formes de conflictualité ne cessent d'évoluer et de s'aggraver. Les rapports de puissances se durcissent, les luttes d'influence s'intensifient, le droit international et le multilatéralisme sont aujourd'hui remis en cause. Dans ce contexte, notre mission d'analyse politique est absolument essentielle. Pour la mener à bien, nous devons nous y préparer.
Nous contribuons au système multilatéral, ainsi qu'aux institutions qui oeuvrent à la paix et à la sécurité internationale, lesquelles représentent le premier poste de dépenses du programme 105, hors base salariale. Les contributions financières aux opérations de maintien de la paix représenteront 205 millions d'euros. Lorsqu'on les additionne aux dix contributions obligatoires les plus importantes, destinées à l'ONU, à la Facilité européenne pour la paix (FEP), à l'Otan et au Conseil de l'Europe, on atteint 84 % de crédits concentrés sur les grands enjeux de sécurité qui touchent nos compatriotes. En tout, 768 millions d'euros serviront à maintenir notre pays au rang d'acteur majeur du système multilatéral, garant de ces équilibres.
Dans le prolongement de nos contributions internationales, notre coopération de sécurité et de défense opérera un pivot vers de nouvelles zones géographiques, comme l'Indopacifique, tout en consolidant le travail engagé sur le flanc est de l'Europe. Elle se saisira en outre de nouvelles thématiques, comme la lutte contre l'immigration irrégulière et la criminalité organisée sous toutes ses formes.
Un certain nombre de dossiers sont considérés comme prioritaires pour 2026.
Le premier, c'est la formation de nos agents. L'Académie diplomatique et consulaire, créée l'an dernier, va poursuivre sa montée en puissance, avec un budget stable de 6 millions d'euros et 8,25 ETP, dont une création de poste en 2024 et sept créations en 2025. Elle va renforcer la formation initiale et continue tout en poursuivant le rapprochement avec les citoyens - je pense à la Fabrique de la diplomatie, au collège des hautes études de l'Académie diplomatique (Chead), à l'Académie diplomatique d'été ou encore à la réserve diplomatique citoyenne. Cette instance contribuera aux échanges avec le monde de la recherche et développera des partenariats avec les organismes de formation des pays prioritaires.
Le deuxième, c'est la sécurité de nos emprises. Dans ce domaine, les besoins sont immenses. Ils ne pourront évidemment pas être tous couverts. Nous allons renforcer prioritairement la sécurité de nos emprises diplomatiques et consulaires, grâce à une hausse globale de crédits de 5 millions d'euros. Au titre des investissements, 28 millions d'euros permettront de poursuivre des travaux de remise à niveau et d'adaptation aux menaces. Parmi les principales opérations nouvelles envisagées pour 2026, et qui devront être arbitrées en programmation, figurent la sécurisation du site de la nouvelle ambassade à Doha, pour 2 millions d'euros, et la remise aux normes de sécurité de l'ambassade de France à Lomé, pour 1 million d'euros. Dans le cadre d'un travail mené conjointement avec la direction de l'immobilier, ces crédits permettront d'assurer l'ouverture de nouveaux postes. Ainsi, une enveloppe de 1,7 million sera dédiée à la réouverture de l'ambassade de France à Damas et 500 000 euros seront destinés à l'ouverture du consulat général à Nuuk.
L'opération emblématique d'extension et de réhabilitation de l'aile des archives du Quai d'Orsay (ERA) commencera en 2026. Elle offrira une capacité de 600 postes de travail supplémentaire sur le site du Quai d'Orsay. Il s'agit d'un projet réellement structurant, qui, à terme, permettra de réduire de sept à trois le nombre de nos sites parisiens. Pour accompagner ces travaux, nous avons dû prendre à bail un site temporaire, le site Spallis, en Seine-Saint-Denis, près du village olympique. Pendant les cinq années que doit durer le chantier, 300 postes de travail y seront accueillis. L'exposition des agents aux nuisances pendant ces travaux sera ainsi limitée ; on protégera ainsi leur santé tout en assurant leur sécurité.
Les travaux engagés à l'étranger seront poursuivis. Quant à l'entretien du parc immobilier, qui avait fait l'objet d'une mesure de réduction de 15 millions d'euros au titre du PLF pour 2025, en commission mixte paritaire (CMP), il bénéficiera d'un rebasage partiel à hauteur de 7,5 millions d'euros. En 2025, nous avons dû renoncer à de nombreuses opérations, dont 80 opérations annuelles de réparation représentant 2,5 millions d'euros et 83 opérations structurantes, pour un total de 8,4 millions d'euros. Les crédits dont il s'agit constituent réellement un minimum pour mener toutes les opérations prioritaires de 2026. Je pense notamment à la réouverture de notre ambassade de Damas, qui exige des travaux de sécurisation.
Comme tous les professionnels, nos agents ont besoin d'outils toujours plus performants. Le budget de la direction du numérique sera ainsi augmenté de 5 millions d'euros. Grâce à ces fonds, nous pourrons continuer d'accompagner les évolutions des métiers de la diplomatie par la transformation numérique, en mettant en oeuvre des technologies innovantes. Je pense à la fois à divers cas d'usage en matière d'intelligence artificielle et au renforcement de la lutte contre les risques de cybersécurité.
De même, nous avons besoin de monter en puissance pour poursuivre le déploiement d'une communication stratégique ambitieuse, dans le contexte de guerre informationnelle que j'ai rappelé. Les crédits de la direction de la communication et de la presse progresseront de 10 millions d'euros. Nous pourrons ainsi étendre et mieux cibler nos actions à l'étranger, occuper l'espace diplomatique et faire évoluer les perceptions. Nous devons mettre à disposition du réseau diplomatique des outils de veille de qualité, permettant de monitorer en direct l'activité des réseaux sociaux. Nous serons dès lors à même d'opposer une riposte plus rapide, sous forme de messages ou de contenus audiovisuels destinés à des audiences étrangères. Il faut, en particulier, développer des narratifs adaptés à chaque région et à chaque public cible.
En parallèle, nous devons rester visibles, crédibles et influents face aux différents enjeux globaux. Tel est le sens de l'organisation du sommet du G7, pour laquelle nous avons prévu une enveloppe de 20 millions d'euros, et du sommet Africa Forward, au printemps prochain, doté d'une enveloppe de 7,5 millions d'euros.
J'en viens maintenant à notre action consulaire. À ce titre, les crédits du programme 151 sont certes en baisse de 1 %, mais les moyens consacrés aux grands chantiers de modernisation sont renforcés. Au total, 9,1 millions d'euros supplémentaires y sont dédiés par rapport à 2025 pour améliorer la qualité du service rendu aux Français de l'étranger et permettre aux agents consulaires de se concentrer davantage sur leur coeur de métier, en apportant une attention particulière aux publics les plus fragiles et peu familiers de l'environnement numérique. Les enquêtes de satisfaction sont désormais systématiques. Le but est de mieux prendre en compte les attentes des usagers des services consulaires, et les résultats obtenus sont très positifs : le taux de satisfaction dépasse 90 %.
Une cellule Excellence consulaire a été créée à la rentrée pour aider nos postes à améliorer, dans la durée, la qualité du service public.
Plusieurs projets emblématiques seront, en 2026, en voie de finalisation.
Le service France Consulaire, qui couvre à ce jour 175 pays et plus de 80 % des inscrits, achèvera son déploiement à l'échelle mondiale à la fin de cette année civile. Y seront en effet inclus les pays restant à couvrir sur le continent américain et en Océanie. Ce centre de contact et de réponse téléphonique renseigne et accompagne les usagers dans leurs démarches du quotidien. Son franc succès se confirme, les taux de satisfaction le prouvent : 89 % des usagers se déclarent satisfaits de la qualité de la réponse obtenue, 94 % sont satisfaits de la qualité de l'accueil et 90 % sont satisfaits du délai d'attente.
La loi du 13 juin 2024 a prolongé jusqu'en juillet 2027 l'expérimentation du Rece. Le but est de dématérialiser intégralement l'état civil dont le ministère est dépositaire pour en moderniser la gestion et simplifier les démarches des usagers. Ce projet ambitieux a d'ores et déjà permis la délivrance dématérialisée de plus de 4 millions de copies d'actes d'état civil, dans un délai de quatre jours. Les développements, financés en 2026 à hauteur de 3,8 millions d'euros, porteront sur la création, la mise à jour et la conservation d'actes dématérialisés.
Le vote par internet est aujourd'hui plébiscité : au total, 75 % des votants lors des élections législatives anticipées de 2024 y ont eu recours. Le taux a même atteint 85 % des votants lors de l'élection législative partielle de la cinquième circonscription des Français de l'étranger, qui vient de se tenir. Le vote par internet sera de nouveau mis en oeuvre en 2026 pour l'élection des conseillers des Français de l'étranger. Je précise qu'une nouvelle solution de vote comprenant notamment, pour cette occasion, la possibilité pour l'électeur de s'identifier, sera offerte grâce à l'identité numérique certifiée France Identité.
L'expérimentation du renouvellement des passeports sans comparution, menée pendant un an au Canada et au Portugal, reprendra pour deux ans avant la fin de cette année. Elle sera élargie à l'Australie et à l'Espagne ; le projet de décret est actuellement à l'examen du Conseil d'État.
L'effort de soutien aux Français de l'étranger est également maintenu en 2026 : 107 millions d'euros seront consacrés à l'aide à la scolarité, avec une enveloppe de 104 millions d'euros pour les bourses scolaires. Les moyens alloués sont certes en baisse de 4,9 millions d'euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2025, mais ils sont en ligne avec la prévision d'exécution de cette année.
Face aux besoins constatés, l'enveloppe dédiée à l'accompagnement des élèves en situation de handicap est portée à 2,5 millions d'euros, en hausse de 0,5 million d'euros par rapport à l'an passé.
Les crédits consacrés aux affaires sociales s'élèveront à 19,6 millions d'euros. Ils accuseront ainsi une légère baisse, de 0,7 million d'euros par rapport à 2025 ; mais l'enveloppe budgétaire reste substantielle, notamment grâce au maintien de la dotation allouée aux aides sociales directes, pour 15,2 millions d'euros, et au dispositif de soutien au tissu associatif des Français de l'étranger (Staf), pour 1,6 million d'euros. Une enveloppe de 1,4 million d'euros sera consacrée aux organismes locaux d'entraide et de solidarité (Oles), une autre enveloppe, de 0,8 million d'euros, étant dédiée aux dépenses de rapatriement après rétro-transfert de 0,5 million d'euros au profit du ministère du travail, de la santé, des solidarités et des familles. Cette mesure a été programmée au titre de la prise en charge des soins et hospitalisations en Nouvelle-Calédonie des Français du Vanuatu.
Nous venons d'accueillir la quatrième conférence des diplomaties féministes à Paris. Sachez que nos services consulaires sont également très investis dans la protection des femmes françaises à l'étranger, qu'elles soient victimes de violences conjugales ou intrafamiliales, d'agressions sexuelles ou de mariages forcés. Face à ce défi, comme dans bien d'autres domaines, nous faisons mieux sans dépenser plus. Nous veillons surtout à renforcer le dispositif d'information et d'accompagnement des victimes.
J'en viens au programme 185 et donc aux crédits consacrés à notre diplomatie culturelle et d'influence.
Les crédits proposés sont en baisse de 7 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2025. Il s'agit de concilier, d'une part, l'objectif de maîtrise renforcée de la dépense publique et, de l'autre, la poursuite de notre politique d'influence et de notre action culturelle extérieure.
Au total, plus de 80 millions d'euros de moyens sont alloués au réseau culturel et de coopération à l'étranger, hors crédits non spécifiques d'intervention. Cette enveloppe est préservée, dans un contexte marqué par les fragilités dont souffrent plusieurs de nos établissements. Je précise que préservation n'est pas synonyme d'immobilisme : notre réseau continuera d'évoluer de manière dynamique, ce qui pourra conduire à la fermeture de telle ou telle antenne des instituts français les plus déficitaires.
Les subventions aux opérateurs s'élèvent à 420,5 millions d'euros. Ces crédits sont ventilés entre l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE), pour 391,6 millions d'euros, l'Institut français, pour 25,5 millions d'euros, et Campus France, pour 3,4 millions d'euros. Les baisses prévues, en particulier la réduction de la subvention de l'AEFE, impliquent une réflexion quant à l'évolution du modèle économique de chacun de ces opérateurs, sans remise en cause de son statut ou de ses missions.
En parallèle, 56,3 millions d'euros de crédits sont destinés à notre politique d'attractivité universitaire et scientifique. Il s'agit, en premier lieu, des bourses de mobilité étudiante, le contexte très contraint imposant une baisse de 19 % de ces moyens. Nous avons dû, en conséquence, hiérarchiser les programmes et nous recentrer sur les publics les plus prioritaires. Le ministère continue d'oeuvrer au doublement du nombre de boursiers en France à l'horizon 2027 - c'est la stratégie interministérielle « Bienvenue en France » -, en dépit de la tendance baissière de nos moyens.
S'y ajoutent 43,5 millions d'euros de crédits non spécifiques d'intervention, mobilisés dans le réseau culturel et de coopération. Cette enveloppe est en baisse de 6 millions d'euros.
Nous poursuivons les dynamiques amorcées en 2024 : réarmement du réseau, renforcement de l'attractivité universitaire et scientifique, priorisation de nos dispositifs d'intervention et de coopération. Bien sûr, nous devons être en capacité de répondre aux enjeux d'influence ou stratégiques : cette exigence est inchangée. Le programme 209, consacré à la solidarité avec les pays en développement, est le principal programme mis à contribution.
À ce titre, nos outils bilatéraux seront les dispositifs les moins affectés : ce choix structurant a été opéré par M. le ministre, sur la base d'observations formulées par plusieurs d'entre vous quant à la valeur ajoutée que de tels outils constituent pour notre influence.
En 2026, ce programme sera doté de 1,1 milliard d'euros en autorisations d'engagement et de 1,5 milliard d'euros en crédits de paiement ; la baisse des moyens est donc de 22 % par rapport à l'an passé.
L'effort de redressement des comptes publics a été réparti de manière à ce que nous puissions honorer nos engagements obligatoires ou politiquement majeurs, tout en préservant autant que possible le canal bilatéral. Nous avons donc décidé de transférer la plupart de nos contributions multilatérales vers le programme 184. La coopération multilatérale hors humanitaire est réduite à 61 millions d'euros, dont 37 millions d'euros à destination des organisations de la francophonie - la France conserve jusqu'en 2026 la présidence du sommet de la francophonie.
Le contexte budgétaire nous contraint également à redimensionner notre aide projet. Le plan d'affaires de l'Agence française de développement (AFD) s'établit à 333 millions d'euros, ce qui traduit une baisse de 51 % en autorisations d'engagement. Les dispositifs du Fonds Équipe France (FEF) bénéficient quant à eux d'une enveloppe totale de 80 millions d'euros, en recul de 41 %. Cette trajectoire permet de financer les chantiers déjà engagés et laisse à nos ambassades des marges d'action pour lancer de nouveaux projets.
Conformément à nos priorités stratégiques, nous continuons de monter en puissance dans la lutte contre la désinformation, les moyens de France Médias Monde augmentant de 10,6 millions d'euros.
Au titre des géographies prioritaires, l'aide budgétaire à la Palestine est maintenue à hauteur de 8 millions d'euros. Une hausse de crédits permettra d'abonder le nouveau fonds de reconstruction de l'Ukraine à hauteur de 21 millions d'euros en autorisations d'engagement. Quant à la coopération décentralisée, elle est renforcée, le but étant d'ancrer véritablement la diplomatie dans nos territoires : ce budget est en hausse de 8 millions d'euros. Nous espérons susciter des cofinancements de la part des collectivités territoriales et, ce faisant, provoquer un effet de levier.
L'aide humanitaire est maintenue à un niveau légèrement supérieur à celui de 2017, s'élevant à 294 millions d'euros. Nous avons fait le choix de préserver le coeur de notre dispositif de réponse aux crises : le fonds d'urgence humanitaire et de stabilité disposera de 194 millions d'euros. L'aide alimentaire programmée, ainsi que les contributions volontaires humanitaires aux Nations unies, s'élèveront à 50 millions d'euros.
Enfin, notre contribution au Fonds européen de développement (FED) s'établit à 124,7 millions d'euros, en baisse de 13 %. Elle diminuera progressivement jusqu'à l'extinction de ce fonds.
Le ministère a vocation à faire face à de nombreuses crises. C'est à la fois notre lot quotidien et le coeur de notre action. À cet égard, j'insiste sur le CDCS, qui permet une coordination exemplaire des moyens de l'État. De nombreux partenaires comptent sur cette structure, notamment en cas d'évacuation.
L'action du CDCS a été particulièrement remarquable cette année. Au total, 12 000 appels ont été reçus pendant la guerre des Douze Jours. On a également relevé un record de consultation du site « Conseils aux voyageurs ». S'y ajoutent la libération de nos otages et les évacuations assurées au Proche-Orient.
En 2026, nous préservons la capacité de préparation du CDCS. Ses moyens de fonctionnement s'élèvent à 5,9 millions d'euros. La hausse est modeste par rapport à 2025 ; elle n'est que de 0,04 million d'euros. Le CDCS sera néanmoins armé pour assurer la préparation du ministère et de son réseau à la gestion de crise ; appuyer les postes diplomatiques et consulaires dans l'élaboration de leurs plans de sécurité, accessibles via l'application Phèdre, bientôt mise à jour ; poursuivre le renforcement de la capacité de réponse téléphonique adossée à une cellule de crise en cas d'afflux massif d'appels ; améliorer encore les fiches de conseils aux voyageurs, dont la certification ISO 9001 a été renouvelée cette année et qui ont totalisé 21,9 millions de consultations en 2024 ; développer et promouvoir le service Fil d'Ariane auprès du grand public ; assurer la veille sécuritaire face à l'ensemble des risques auxquels nos compatriotes à l'étranger peuvent être exposés ; poursuivre le renouvellement des moyens de communication radio et satellitaires de nos postes ; poursuivre la constitution de points de regroupement des biens de première nécessité, matériels et produits de santé ainsi que divers matériels nécessaires à la gestion de crise dans les postes exposés ; organiser les cellules de crise et assurer le retour de nos ressortissants le cas échéant.
En gestion, nous serons conduits, comme chaque année, à financer sous enveloppe les éventuelles opérations d'évacuation, qui ne font pas l'objet d'un budget dédié ou d'un dégel de la réserve de précaution. Je rappelle qu'à ce titre l'affrètement des appareils militaires nous est refacturé, à hauteur d'environ 1 million d'euros par affrètement.
Pour 2025, l'enveloppe de 1,5 million d'euros budgétée en loi de finances initiale au titre de la gestion de crise n'a pas suffi. On a dû l'abonder en gestion en repriorisant nos dépenses, pour tenir compte des dépenses réelles, qui, à ce jour, s'élèvent à 2,7 millions d'euros.
J'espère que ces éléments vous aideront à évaluer la qualité de notre action, étant entendu que la paix reste évidemment notre objectif majeur.
Mme Catherine Dumas, présidente. - Merci de cet exposé très complet, par lequel vous avez répondu par avance à un certain nombre de questions.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur pour avis de la mission « Action extérieure de l'Etat » sur le programme 105 « Action de la France en Europe et dans le monde. - Je m'exprime également au nom de ma collègue corapporteure Valérie Boyer, que je vous prie de bien vouloir excuser.
Tout d'abord, comment le secrétariat général se prépare-t-il à la réactualisation du livre blanc de notre diplomatie, que M. le ministre a appelée de ses voeux ? Le dernier livre blanc remonte à 2008 ; il avait été élaboré sous la présidence d'Alain Juppé et de Louis Schweitzer, lequel vient de nous quitter.
Ensuite, en matière immobilière, la Cour des comptes a formulé sept recommandations dans son rapport du printemps dernier. Comment le ministère les accueille-t-il ? Vous avez mentionné la rationalisation des sites parisiens ; quid de l'important bâtiment de Nantes, qui accuse le poids des décennies, mais accueille des services essentiels, notamment pour les Français établis hors de France ? Cette emprise n'exige-t-elle pas, elle aussi, un projet stratégique ?
Enfin, vous insistez sur les nouvelles menaces auxquelles notre pays est confronté. Qu'en est-il du spatial, domaine dans lequel la réponse internationale est peu structurée ? N'est-il pas nécessaire d'investir dès maintenant dans l'élaboration de codes de conduite et de normes spécifiques ? On voit les limites des organisations internationales traditionnelles, par nature généralistes : dans les domaines liés aux nouvelles technologies, ne faut-il pas plutôt miser sur les organisations internationales sectorielles ?
À cet égard, notre diplomatie événementielle est remarquable - on se souvient du lancement, en 2020, du partenariat mondial sur l'intelligence artificielle (PMIA). Mais comment nos initiatives peuvent-elles s'inscrire dans la durée ?
Mme Anne-Marie Descôtes. - En matière spatiale, M. le Président de la République doit faire aujourd'hui un certain nombre d'annonces importantes, à l'occasion de l'inauguration du centre de commandement opérationnel de l'Otan, à Toulouse. J'ajoute que, dans quelques jours, aura lieu à Brême une réunion du conseil de l'Agence spatiale européenne (ESA) au niveau ministériel, et qu'un sommet dédié aux questions spatiales sera organisé au premier semestre de 2026 avec nos amis allemands.
Face à ces enjeux majeurs, nous devons affirmer notre souveraineté en tant que Français et, surtout, en tant qu'Européens, ce qui suppose à la fois des investissements et un travail normatif dédié. Nous devons sans doute être plus présents dans les organisations spécialisées.
Le domaine spatial n'est pour ainsi dire pas régulé aujourd'hui, alors même que nous assistons à la montée en puissance d'un certain nombre d'acteurs. Il s'agit là d'une menace considérable. Je ne saurais préempter les annonces de M. le Président de la République, mais nous sommes bien sûr pleinement mobilisés, avec le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche comme avec le ministère de l'économie.
Nous devons mieux nous organiser à l'échelle européenne : ce sera là un axe très important de la discussion du prochain cadre financier pluriannuel (CFP) avec la Commission européenne.
L'intelligence artificielle fait l'objet d'un suivi dédié ; le Président de la République a confié ce travail à Mme Bouverot, qui a été son envoyée spéciale pour l'organisation du sommet consacré à ce sujet. Il ne faudrait pas que les chantiers annoncés restent lettre morte. En février prochain, les Indiens, qui ont organisé avec nous le sommet relatif à l'intelligence artificielle, organiseront un nouveau sommet international. L'intelligence artificielle est un enjeu majeur, en particulier pour nos entreprises.
Nous avons accueilli avec tout l'intérêt qu'il mérite le rapport de la Cour des comptes relatif à l'immobilier du ministère. Ce travail est le fruit d'échanges très étroits avec les services du Quai d'Orsay. Un certain nombre de recommandations sont déjà entièrement appliquées, comme la mise en oeuvre d'une gouvernance plus réactive et le développement d'outils permettant une meilleure connaissance de notre parc immobilier. Reste que nous avons énormément à faire avec très peu de moyens. Nous devons prioriser notre action, alors que les dépenses de sécurisation des emprises sont considérables.
Le site de Nantes est pour nous une priorité. Je m'y rendrai d'ailleurs de nouveau avant la fin de l'année : un certain nombre de travaux d'entretien lourd y ont déjà été menés, notamment au titre de la sécurisation. Ce site ne sera pas délaissé. Nous finalisons un schéma d'ensemble pour assurer la rénovation des bâtiments et l'accueil de nouveaux services - à terme, nous voulons réunir 1 200 agents sur le site nantais. Mais la rédaction de ce document est compliquée, les bâtiments se dégradant plus vite que nous ne l'avions anticipé. Il s'agit là d'un vrai défi.
À mon tour, je salue la mémoire de Louis Schweitzer, qui avait beaucoup oeuvré au dernier livre blanc. Nous restons fidèles au vaste travail qu'il a accompli, que ce soit à ce titre ou en faveur de la diplomatie économique.
À ma connaissance, M. le ministre n'a pas prévu de révision du livre blanc à ce stade. Dans le contexte que nous connaissons, nous nous efforçons de suivre les recommandations formulées en 2023. Ces dernières guident très largement les modernisations mises en oeuvre, qu'il s'agisse de la sécurité des Français, de la préservation de notre influence ou de la guerre informationnelle.
J'insiste sur la RNS, à laquelle nous avons largement contribué et qu'il s'agit aujourd'hui de déployer, notamment dans son volet international.
M. Guillaume Gontard, rapporteur pour avis de la mission « Action extérieure de l'État » sur le programme 151 « Français à l'étranger et affaires consulaires ». - Je m'exprime également au nom de mon collègue député Ronan Le Gleut, qui vous prie d'excuser son absence.
Les aides sociales relevant du programme 151 regroupent les aides directes versées aux Français de l'étranger, personnes ou familles ayant de très faibles revenus ou ponctuellement en difficulté. Incluant notamment l'allocation aux adultes handicapés (AAH) et l'allocation de solidarité, elles sont attribuées par les commissions permanentes pour la protection sociale des Français de l'étranger ; leur montant, de 15,2 millions d'euros, est inchangé dans ce PLF.
Dans son récent rapport, la Cour des comptes préconise une étude d'impact relative à ces aides, laquelle pourrait être confiée à une structure spécialisée dans l'évaluation des politiques publiques. Quelles suites le ministère entend-il donner à cette recommandation ? Il serait utile de connaître les caractéristiques des publics bénéficiaires et leur évolution, les critères d'attribution et surtout l'efficacité de ces aides.
Cette année, l'enveloppe destinée aux bourses scolaires des élèves de l'enseignement français à l'étranger baisse une nouvelle fois, de près de 5 millions d'euros. On invoque la diminution continue du nombre d'élèves boursiers observée depuis 2022 ; le recul serait de 10 % entre l'année 2023-2024 et l'année 2024-2025.
Pour ajuster au mieux le montant et les critères de distribution de ces bourses, il est indispensable de connaître précisément le public visé et les facteurs de la baisse observée. L'enjeu est de taille : il y va du rayonnement de notre pays et de la solidarité nationale. Il semble qu'aucune étude de cette nature n'ait encore été menée. Le ministère a-t-il l'intention de conduire un tel travail et d'en partager les résultats avec la représentation nationale ?
Enfin, le 15 juin dernier, à l'occasion de sa visite au Groenland, le Président de la République a annoncé l'ouverture d'un consulat de France à Nuuk : quelles seront ses missions ?
Mme Anne-Marie Descôtes. - La France est le seul pays d'Europe disposant d'un tel régime d'aides sociales destiné à ses expatriés. J'ajoute qu'il s'agit d'un système robuste. Au-delà des secours d'urgence et des rapatriements, les allocations versées représentent 15,2 millions d'euros pour 4 206 allocataires en 2025. En outre, 1,14 million d'euros a été accordé à 86 associations venant en aide aux Français en difficulté.
Nous avons sollicité nos postes à l'occasion des conseils consulaires des bourses scolaires de l'automne, afin de mener une évaluation. De même, nous leur avons demandé de mesurer l'impact des aides sociales accordées.
Peut-être pourrait-on demander à la Cour des comptes ou à d'autres organismes de contrôle de nous aider pour mener ce travail très minutieux, auprès des familles et des bénéficiaires ; nous ne sommes peut-être pas les mieux outillés pour l'accomplir. Je confirme, quoi qu'il en soit, que la baisse des demandes a été déterminante dans l'allocation du budget.
Quant à la création d'un consulat général au Groenland, elle présente un caractère éminemment politique et même géostratégique, face aux volontés expansionnistes exprimées par le président des États-Unis. La France va commencer par installer une antenne, avec l'aide de Copenhague.
M. Didier Marie, rapporteur pour avis de la mission « Action extérieure de l'État » sur le programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence ». - L'an dernier, Mme Catherine Dumas et moi-même, co-rapporteurs pour avis du programme 185, estimions que l'ambition de l'État en matière de diplomatie culturelle et d'influence était contrariée par les baisses de crédits. Cette année, avec une nouvelle coupe de près de 46 millions d'euros, cette ambition nous semble en grande partie abandonnée. De plus, le programme 185 aura subi en 2025 trois surgels budgétaires successifs, souvent annoncés à la dernière minute. Cette imprévisibilité contraint vos services à un véritable pilotage à vue, alors même que ce domaine exige de la constance.
Cette diminution touche en particulier l'AEFE, dont la subvention pour charges de service public diminuera de 25 millions d'euros. Outre le fait que l'objectif de doublement des effectifs d'élèves à l'horizon 2027 semble désormais définitivement enterré, cette baisse interroge sur la soutenabilité financière de l'Agence. De fait, la trésorerie de l'AEFE pourrait, à la fin de l'année 2026, tomber à un niveau historiquement bas, autour de 9 millions d'euros. Dans le même temps, les besoins immobiliers des établissements en gestion directe ne cessent de croître et la dégradation de certaines infrastructures fragilise leur attractivité. Dans la concurrence que se livrent les établissements à l'étranger, la qualité des locaux comme des installations sportives constitue pourtant un critère déterminant pour les familles.
Au cours d'une audition devant notre commission, la direction de l'AEFE a indiqué engager une refonte de son modèle économique afin de faire face à cet effet de ciseaux entre des charges croissantes et des ressources en baisse. Pouvez-vous nous préciser les pistes envisagées dans ce cadre, notamment celles relatives à l'élargissement de l'assiette de participation à la rémunération des résidents et des détachés en matière de cotisations sociales, ainsi que les conséquences de ces évolutions sur les agents, les établissements et les familles ?
Un second sujet est celui des bourses étudiantes. Depuis la fin de l'été, les postes à l'étranger ont pour consigne de ne plus en notifier les demandes, ce qui met à mal nos relations avec nos partenaires, parfois co-financeurs. Aussi, les bourses de mobilité verront leur montant diminuer de 20 %, passant de 70 millions à 56 millions d'euros, ce qui est une première. Dans ces conditions, comment votre ministère entend-il faire en sorte que la France demeure une destination attractive pour les mobilités étudiantes internationales ?
Mme Anne-Marie Descôtes. - Notre diplomatie culturelle constitue sans aucun doute un vecteur d'influence qu'il nous faut maintenir et savoir mieux exploiter dans ce contexte extrêmement contraint. Pour ce faire, essayons d'être le plus agile possible et appuyons-nous sur le maillage international que forme notre réseau des Instituts français, des instituts régionaux de formation (IRF) et des alliances françaises. Grâce à ce savoir-faire, nous tenterons de faire mieux avec des moyens en baisse.
L'AEFE est une matrice de la francophonie ; de plus, elle permet de promouvoir notre vision du monde et nos valeurs au travers de notre système éducatif. Nous connaissons son rôle dans la formation locale des élites et le service qu'elle apporte aux familles expatriées. Toutefois, il ne faut pas se voiler la face : l'AEFE est en très grande difficulté, alors que la subvention pour charges de service public ne cesse de diminuer. C'est un outil qu'il faut préserver, mais il est impératif de repenser son modèle économique pour qu'il soit soutenable.
La crise actuelle n'est pas imputable à l'AEFE elle-même. Elle résulte de la baisse de sa subvention, de la hausse continue de sa masse salariale due à des décisions réglementaires sur le taux de pension civile ou la revalorisation indiciaire, mais aussi des particularités qui s'accumulent - je pense aux exemptions selon la situation géographique - et du déclin démographique dans certaines régions, autant de facteurs qui expliquent la mise en place d'un groupe de travail interministériel réunissant l'AEFE et tous les ministères concernés : finances, éducation nationale... Sans préjuger des décisions qui seront prises par mon ministre puis par le conseil d'administration de l'Agence, il faudra se pencher sur la contribution des familles au travers des frais d'écolage, les conditions d'emploi et de rémunération des agents, et, à plus long terme, le pilotage de la politique d'homologation.
Sans parti pris, j'affirme que nous sommes dans une situation extrêmement difficile. Nos moyens restent très en deçà de ceux de nos concurrents, ce qui pose question. Les familles qui bénéficient de ce réseau unique doivent accepter de faire un effort supplémentaire et exceptionnel pour l'aider à passer ce cap.
Concernant la mobilité étudiante, nous ne devons surtout pas abandonner, dans un contexte de contraintes budgétaires, ce levier extrêmement important pour notre influence. Il faut recentrer cette politique de façon thématique et géographique. La baisse de près de 20 % de l'enveloppe allouée aura évidemment des répercussions, mais nous devons nous concentrer sur des secteurs prioritaires et de pointe, comme celui des hautes technologies, dans lesquels nous avons intérêt à rester attractifs et à maintenir ces échanges d'étudiants étrangers.
M. Christian Cambon. - Je laisserai à Patrice Joly le soin de plaider une nouvelle fois en faveur d'une sauvegarde, dans la mesure du possible, des crédits d'aide au développement, qui subissent un éreintement jamais vu.
Je souhaite attirer votre attention sur les difficultés que rencontrent nos consulats généraux, notamment les plus grands, face à l'augmentation croissante des demandes de titres de séjour. Je pense en particulier au rôle de la société TLScontact : nous soupçonnons des trafics de rendez-vous dans un certain nombre de pays. En effet, des personnes achètent des créneaux puis les revendent contre des sommes incroyables. Cela paralyse l'action de nos consulats et nuit à notre image auprès des consulats des autres pays.
Par ailleurs, la France a soutenu la résolution 2797 du Conseil de sécurité des Nations unies sur le Sahara occidental, où je me rendrai demain. Quarante pays ont d'ores et déjà décidé d'ouvrir un consulat soit à Laâyoune, soit à Dakhla. La France peut-elle profiter de son nouveau positionnement par rapport au Maroc pour envisager l'ouverture d'un consulat au Sahara occidental ?
Mme Hélène Conway-Mouret. - Vous avez commencé votre propos en disant que vous faites beaucoup avec peu. J'ajouterai : avec de moins en moins chaque année...
J'entends la requête de mon collègue concernant l'ouverture d'un nouveau consulat au Maroc, à ceci près qu'il est prévu de regrouper à Agadir l'Institut français et le consulat local. Ce projet rencontre une certaine opposition de la communauté française, qui s'oppose à la vente de la propriété. Comment le ministère justifie-t-il ce choix, alors que le nombre de Français sur place augmente considérablement et que le Maroc porte un intérêt particulier au développement du sud du pays ? Cette opération a-t-elle fait l'objet d'une évaluation immobilière indépendante et d'une analyse coût-bénéfice ?
J'ai également une question sur le Mali. Quels sont les moyens budgétaires et humains mobilisés pour assurer la protection d'un éventuel rapatriement de nos ressortissants ? Le ministère recommande à ces derniers de prévoir un départ temporaire du pays par des vols commerciaux, quand ils sont encore disponibles, et cela dès que possible. Avez-vous prévu des mesures particulières pour garantir la continuité consulaire et la sécurité de nos agents sur place ?
Enfin, concernant le vote électronique pour les Français de l'étranger, vous avez parlé de transformation numérique. Il est vrai que le budget en la matière augmente. Un test grandeur nature a été réalisé, sur lequel nous avons énormément de retours d'expérience : des problèmes techniques ont été signalés et certaines personnes n'ont pas pu voter. Prévoyez-vous de partager l'analyse et les conclusions de ce test ? Un nouveau test sera-t-il organisé et, le cas échéant, des améliorations techniques sont-elles prévues ? Il faudra que ce soit le cas pour que l'ensemble des Français appelés à voter puissent le faire lors des élections de 2026.
Mme Anne-Marie Descôtes. - Monsieur Cambon, la réduction de l'enveloppe de l'aide publique au développement (APD) de 51 % entre 2025 et 2026 a des conséquences. Nous redéfinirons nos priorités : nous privilégierons le bilatéral au multilatéral et nous nous centrerons sur la solidarité face aux crises, l'investissement dans les grands défis et la recherche d'alliances.
Tout cela doit être cohérent avec le travail que nous menons dans les instances internationales, notamment, depuis 2023 avec le Pacte de Paris pour les peuples et la planète (4P), sur le financement du développement. La situation est compliquée du fait des contraintes de moyens pour de nombreux pays européens et pour l'Union européenne elle-même, au moment où les États-Unis font des choix radicalement différents des nôtres, choix qui mettent les pays bénéficiaires de leurs fonds dans des positions extrêmement délicates.
Concernant la sécurité en matière consulaire, nous devons mieux outiller nos établissements. La lutte contre les officines semblables à celle que vous avez évoquée est un enjeu majeur. Pour contrecarrer le phénomène que vous avez décrit, nous avons expérimenté une attribution aléatoire de rendez-vous au Maroc. En outre, nous souhaitons nous appuyer davantage sur les prestataires de services externalisés (PSE) et disposons de solutions techniques pour mieux lutter contre la fraude. Nous avons aussi multiplié pour les postes l'acquisition d'outils de détection comme les lampes, les loupes et, par le biais d'un abonnement, des bases de données. Nous essayons également de fournir un appui en matière d'expertise juridique pour débusquer la fraude au plus près des dossiers.
Sur le Sahara occidental, nous travaillons avec nos amis marocains. Nous attendons que les discussions avec l'envoyé spécial des Nations unies, sur le fondement du plan du Maroc, aboutissent pour savoir comment les choses se développeront à long terme et avoir ainsi une vision claire de notre éventuelle présence consulaire. Dans l'intervalle, nous ne sommes ni inactifs ni absents de cette zone.
Concernant le Mali, les vols commerciaux sont possibles. La communauté binationale est très importante et voudra certainement rentrer en France. Nous ne pouvons pas anticiper les retours, mais notre vigilance sur la situation est maximale et le CDCS est totalement mobilisé pour accompagner nos compatriotes.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Qu'a-t-il été mis en place pour les accompagner ?
Mme Anne-Marie Descôtes. - Sur place, notre équipe est très réduite, mais elle fait au mieux pour répondre aux communautés françaises. Ceci dit, les familles devront prendre leur propre décision.
S'agissant du test du vote électronique, nous sommes tout à fait d'accord sur le principe de partager l'analyse de son efficacité.
Madame la sénatrice, je ne réponds pas à votre question sur Agadir. Je vous demande de me laisser la possibilité de revenir ultérieurement vers vous, pour vous donner des éléments plus précis sur l'opération immobilière que vous avez citée.
M. Olivier Cadic. - Je félicite la directrice des Français à l'étranger et de l'administration consulaire pour la décision de revoir le modèle économique de l'AEFE, que j'appelais de mes voeux depuis plus de dix ans, afin de favoriser le développement du réseau en faisant payer le « juste prix » au « juste coût », comme l'a si bien dit la directrice générale de la mondialisation. Je serai plus critique sur les procédures liées aux nouvelles emprises.
J'appuie la demande de ma collègue concernant la situation d'Agadir, mais d'autres sites posent difficulté. Nous avons eu de fausses bonnes idées en matière d'immobilier, comme nous avons pu le constater à New York ou pour la résidence de l'ambassadeur au Cap ; il est difficile de revenir en arrière. Au nom de la rationalisation, plusieurs projets de fusion de consulats avec des instituts français sont envisagés, comme à Barcelone.
À Agadir, j'ai constaté que le projet immobilier de vente du consulat, dont nous sommes propriétaires, pour le déplacer sur le site de l'Institut français fait l'unanimité contre lui sur le terrain, d'autant que nous disposons de nombreuses solutions de substitution qui se révéleraient plus performantes au niveau budgétaire. Quelle est la procédure de conciliation en cas de fortes résistances concernant des projets immobiliers ? Puisque les hypothèses du prix de cession du site d'Agadir sont très contestées, puis-je vous demander, comme ma collègue, de recevoir les parlementaires pour analyser ce projet avant toute décision ?
Mme Michelle Gréaume. - Malgré vos explications, madame la secrétaire générale, le budget 2026 acte à nos yeux une rupture profonde dans notre conception de l'action extérieure. Le programme 185 baisse de 65 millions d'euros. L'Agence pour l'enseignement français à l'étranger perd près de 70 millions d'euros et Campus France, chargé de l'attractivité universitaire, recule de 15,4 millions d'euros.
Ces coupes ne sont pas neutres, car, de fait, nous renonçons progressivement à être une puissance d'accueil. Nous passons d'une diplomatie culturelle fondée sur la solidarité, l'éducation et l'accès universel à la langue française à une diplomatie de marché, où la sélection des publics et la marchandisation de nos institutions deviennent la règle. Désormais, nos opérateurs sont sommés de générer des recettes propres pour compenser la baisse des crédits ; les familles, les étudiants et les usagers deviennent les financeurs de l'influence française. De fait, l'AEFE augmente ses frais de scolarité et l'Institut français multiplie les certifications payantes. Ce qui était un service public mondial de la culture et de l'éducation devient un instrument d'accès réservé, tourné vers les élites solvables.
Pendant ce temps, les effectifs diminuent : cinquante-cinq postes sont supprimés à l'AEFE, des agents contractuels sont précarisés et des missions sont externalisées. C'est toute la chaîne humaine de la diplomatie culturelle qui s'affaiblit. En réduisant les crédits de la culture et de la coopération intellectuelle, la France affaiblit son rayonnement pacifique et sa capacité à défendre un modèle fondé sur l'émancipation et la diversité culturelle.
Ma question est donc directe : le Gouvernement assume-t-il de transformer la diplomatie culturelle française en instrument de puissance économique, au risque d'abandonner sa vocation universaliste ? Comment comptez-vous, avec un budget en baisse et des effectifs sous tension, garantir que l'action extérieure de la France reste un outil d'émancipation et de dialogue plutôt qu'un levier de compétitivité sélectif ?
Mme Anne-Marie Descôtes. - Monsieur Cadic, je vous remercie de souligner que le travail de la direction des Français à l'étranger et de l'administration consulaire (DFAE) est visible ; le taux de satisfaction que nous obtenons montre que nous avons atteint notre cible. La souplesse de l'organisation et de l'affectation des moyens y sont pour beaucoup, même si je sais qu'il y a encore des marges de progression.
La question du juste coût se pose et il faut l'aborder sans parti pris. La difficulté de l'AEFE a toujours résidé dans ce grand écart entre le service rendu aux familles, qui peuvent bénéficier de bourses, et notre volonté d'exercer une influence. La réduction de la subvention de service public ne permet pas de répondre aux enjeux.
Vous avez cité la situation de Barcelone, sur laquelle je ne suis pas en mesure de vous répondre précisément. En revanche, je donne mon accord, comme pour Agadir, à une discussion sur le fondement des éléments d'analyse qu'auront rassemblés la nouvelle directrice de la direction des immeubles et de la logistique (DIL) et ses équipes. L'on ne comprend que plusieurs années plus tard si tel choix a été mauvais : évolution du marché immobilier local, des relations entre la France et tel pays... Les décisions sont difficiles, je ne jette la pierre à personne : les projets nécessitent non pas d'avoir raison seul contre tous, mais d'obtenir l'acceptation sur place.
Nous échangerons avec vous sur ces sujets et, plus largement, sur la politique culturelle et d'influence. Nous essayons de faire au mieux en recentrant nos priorités. De plus, nous nous efforçons de faire en sorte que nos opérateurs, qui sont des acteurs importants de cette politique - j'ai parlé de l'Institut français, mais je pense aussi à Campus France et à Expertise France -, conservent les moyens et l'agilité nécessaires pour travailler de façon ciblée et, si possible, sur le fondement d'alliances et de partenariats. En effet, seuls, nous ne pouvons pas financer l'intégralité des opérations que nous cherchons à promouvoir.
Nous n'abandonnons pas pour autant notre vocation universaliste et la politique de présence, de débat public et d'influence que nous mettons en oeuvre de façon totalement transversale avec la direction de la communication et de la presse, la direction de la diplomatie culturelle, éducative, universitaire et scientifique, et l'ensemble de notre réseau.
M. Roger Karoutchi. - Nous ne donnons pas beaucoup de moyens à notre audiovisuel public extérieur. Vous avez cette année un peu augmenté ceux de France Médias Monde en prenant quelques millions sur l'APD ; cette hausse est-elle pérenne ou n'est-elle valable que pour 2026 ? Par ailleurs, y a-t-il une stratégie réfléchie au Quai d'Orsay, en lien avec le ministère de la culture, pour avoir un pôle audiovisuel extérieur plus autonome, par rapport à l'ensemble de l'audiovisuel public national ?
N'allons-nous pas vers des difficultés ? La Suisse envisage de se retirer dans deux ans du financement de TV5 Monde, France Médias Monde arrête un certain nombre d'émissions dans plusieurs langues... Dans la guerre informationnelle dont nos ministres ne cessent de parler, n'avons-nous pas intérêt, au-delà des déclarations, à avoir un pôle extérieur beaucoup plus puissant ?
Je rappelle que le budget total de TV5 Monde et de France Médias Monde représente 400 millions d'euros, quand la Chine dépense pour cette politique 7 milliards à 8 milliards d'euros, la Russie 3 milliards et la Turquie pratiquement autant. Ne sommes-nous pas en situation de faiblesse ? Cela n'a-t-il pas joué dramatiquement contre nous en Afrique ?
M. Jean-Luc Ruelle. - L'année dernière, je vous avais interrogée sur l'absence d'informations exactes quant au chiffrage des biens immobiliers détenus par le ministère à l'étranger. Vous m'aviez répondu que vos données étaient précises : 21 000 biens étaient répartis dans le monde. Or il est indiqué dans un rapport de la Cour des comptes de mai 2025 que, en juin 2024, le ministère gérait 2 158 biens regroupés sur 1 130 sites. Une différence de périmètre explique peut-être cet écart.
Par ailleurs, la Cour des comptes juge dans son rapport que le « système d'information patrimoniale [est] à la traîne ». La base de données immobilières n'est pas pleinement opérationnelle ou fiable, l'évaluation comptable des biens est incomplète et le schéma directeur immobilier pluriannuel pour l'étranger est davantage descriptif que prospectif. La commission interministérielle chargée d'émettre un avis sur les opérations immobilières de l'État à l'étranger (Cime) fonctionne, mais son rôle stratégique reste à renforcer. Enfin, les effectifs spécialisés sont insuffisants pour couvrir la complexité des opérations à l'étranger.
La Cour des comptes a formulé sept recommandations, dont « élaborer un plan de contrôle des données immobilières à l'étranger », « fixer des critères précis et opposables pour l'instruction des dossiers soumis à la Cime, sous la forme notamment d'indicateurs de performance », « définir les sites prioritaires et les contraintes [...] pour orienter les schémas directeurs immobiliers à l'étranger » et « renforcer l'expertise immobilière ».
Où en est la mise en oeuvre de ces recommandations et quel calendrier prévoyez-vous ? Cela rejoint les préoccupations évoquées par mes collègues sur les choix négatifs constatés a posteriori.
Mme Anne-Marie Descôtes. - À titre personnel, monsieur Karoutchi, un audiovisuel extérieur plus puissant serait le bienvenu. Après débat en ce sens avec le ministère de la culture et d'autres parties prenantes, il nous a semblé essentiel de conserver un pôle distinct du reste de l'audiovisuel public, car nous nous adressons à un public qui ne demande pas le même traitement de l'information. Nous avons fait un effort dans ce contexte budgétaire difficile et nous veillerons à ce qu'il soit pérenne.
Lors du sommet franco-allemand de Toulon a été prise la décision de faire travailler France Médias Monde avec Deutsche Welle. Dans le contexte de guerre informationnelle, nous pourrons par ce partenariat mettre nos expertises en commun, à défaut de nos moyens, supérieurs du côté de la Deutsche Welle et bien supérieurs chez nos principaux concurrents : par nos méthodes de diffusion de l'information, nous sommes plus respectueux des règles de bonne conduite que certains de nos compétiteurs.
Nous travaillons également en partenariat avec les pays que nous voulons aider et accompagner, notamment pour la formation des journalistes, point important lorsque l'on prône une information de qualité. France Médias Monde accomplit dans ce domaine une mission essentielle. Toutefois, nous devons réfléchir à l'évolution de son modèle sur le long terme, notamment pour TV5 Monde.
En ce qui concerne l'immobilier, en complément de ce que j'ai déjà indiqué précédemment, nous conduisons plusieurs actions à la suite des demandes de la Cour des comptes, dont le travail nous a été très utile. La Cour l'a constaté, établir un schéma précis de nos emprises immobilières à l'étranger et en analyser précisément la valeur est difficile. Dans les six prochains mois, nous allons établir neuf schémas pluriannuels relatifs à nos plus grands postes à enjeu immobilier. Nous engageons une réforme du mode de fonctionnement de la Cime, pour mieux éclairer les décisions. Nous avons établi un nouveau processus d'instruction des opérations immobilières, qui comporte notamment une évaluation de leurs coûts et bénéfices à moyen terme. Ces éléments devraient permettre d'améliorer notre travail en la matière et de répondre à la demande de la Cour des comptes.
Le projet de vente du consulat d'Agadir s'inscrit dans un double contexte : d'une part, les activités d'examen des visas ont été regroupées à Rabat et à Casablanca, ce qui a provoqué une réduction des effectifs du consulat d'Agadir ; d'autre part, les fonctions de consul général et de directeur de l'Institut français ont été fusionnées. Monsieur le sénateur Cadic, l'opération n'est encore qu'à un stade préliminaire. Une étude est en cours pour étudier la possibilité d'un regroupement sur le site de l'Institut français et évaluer les coûts et les bénéfices d'une telle opération. Elle n'en est qu'à un stade préliminaire, et nous partagerons avec vous ses conclusions.
M. Olivier Cadic. - Peut-être pourrons-nous tenir une réunion sur le sujet ?
M. Christian Cambon. - À ma connaissance, le consulat d'Agadir est à moitié vide du point de vue immobilier. La France est propriétaire d'un immense terrain qui n'est pas du tout valorisé. La réflexion de l'ambassadeur porte sur cela.
Mme Anne-Marie Descôtes. - C'est une partie des éléments de la réflexion actuelle. Il faut également prendre en compte les effectifs à la suite du regroupement des activités. Encore une fois, la réflexion n'est qu'à un stade préliminaire, et nous en partagerons les conclusions. Quant à la situation du consulat de Barcelone, monsieur le sénateur, j'ai également noté votre demande.
Mme Catherine Dumas, présidente. - Madame la secrétaire générale, nous vous remercions de votre intervention très complète. Plus que jamais, nous avons besoin du grand professionnalisme des personnels du Quai d'Orsay. Par leurs interventions, mes collègues ont témoigné de l'intérêt de notre commission pour l'action de la France en Europe et dans le monde. Ils se sont également fait l'écho des nombreuses incertitudes qui pèsent sur le programme 105 : les marges de manoeuvre sont réduites, dans un contexte international dégradé, et notre commission sera particulièrement vigilante sur ce sujet.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion, suspendue à 10 h 40, est reprise à 10 h 45.
Audition de M. Volker Türk, Haut-commissaire des Nations unies aux droits de l'homme
Mme Catherine Dumas, présidente. - Mes chers collègues, nous avons maintenant le plaisir et l'honneur de recevoir M. Volker Türk, haut-commissaire des Nations unies aux droits de l'Homme.
Monsieur le haut-commissaire, je vous souhaite la bienvenue devant notre commission. Il n'est sans doute pas exagéré de dire que le monde où nous vivons aujourd'hui n'est plus celui de 2022, année où vous avez pris vos fonctions.
En effet, la guerre en Ukraine, après la sidération initiale, s'est en quelque sorte installée dans le paysage. Les massacres du 7 octobre ont provoqué une offensive israélienne d'une ampleur sans précédent, pendant laquelle la préservation de la vie des civils s'est effacée devant l'objectif stratégique d'éradication du Hamas, lequel n'est du reste toujours pas atteint. La violence se déchaîne au Soudan, en République démocratique du Congo, dans des conflits qui semblent sans issue.
Dans ces circonstances, le retour au pouvoir de Donald Trump semble entériner l'entrée dans une ère marquée par l'expression brutale de la puissance. Le droit ou les institutions internationales n'y apportent plus aucun frein. Il est symptomatique que la première puissance mondiale, qui se réclamait jusqu'à présent des droits de l'Homme - non sans parfois une certaine hypocrisie, sans doute - pour justifier son hégémonie mondiale, ait complètement tourné le dos à ce discours. Désormais, les États-Unis agissent au nom des seuls intérêts américains. Vous avez déploré ce nouveau cours des choses, cette « nouvelle normalité », selon vos propres mots, en dénonçant les frappes menées par les États-Unis contre des embarcations transportant des trafiquants de drogue vénézuéliens, sans cadre légal ni élément de preuve. La force, sur le plan international, ne se pare plus des oripeaux du droit.
Ce comportement débridé se double d'attaques en règle contre les institutions internationales, dont la fonction première était de réguler le recours à la force, ainsi que contre le multilatéralisme. Les États-Unis ont ainsi cessé de financer l'ONU, ses actions de maintien de la paix et la plupart de ses organismes, dont l'institution que vous dirigez.
Il est vrai que ces organismes n'étaient pas exempts de tout reproche. Depuis longtemps, la présence de dictatures comme l'Iran au sein de certaines instances, dont le Conseil des droits de l'Homme - ce pays a même pu y présider certaines réunions -, soulève des critiques. D'autres pays, comme Israël, s'estiment systématiquement ciblés par l'ONU et victimes d'un « deux poids, deux mesures », alors que d'autres dénoncent au contraire l'impunité dont bénéficierait l'État hébreu.
Tous ces bouleversements ne montrent-ils pas que, au fond, des notions prétendument universelles ne le sont pas, ou qu'elles peuvent du moins faire l'objet d'interprétations radicalement divergentes ? Les réalistes avaient-ils raison d'avancer que les relations internationales sont une jungle où les États ne sont guidés que par la recherche de la puissance et de la sécurité ? En d'autres termes, comment, dans ce monde, défendre les droits de l'homme ? Sur quelles valeurs se fonde votre action, selon quelles modalités se déploie-t-elle, et avec quels moyens ?
Après votre exposé liminaire, j'inviterai mes collègues à vous poser leurs questions.
J'indique pour finir que cette audition est captée et diffusée sur le site internet du Sénat ainsi que sur les réseaux sociaux.
M. Volker Türk, Haut-commissaire des Nations unies aux droits de l'homme. - Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre invitation à discuter de la situation des droits de l'homme dans le monde. Avant toute chose, à quelques jours du dixième anniversaire des attentats terroristes de Paris, je tiens à rendre hommage aux victimes et à exprimer ma profonde solidarité à l'égard de leurs familles et de tout le peuple français.
Comme sans doute jamais depuis la création des Nations unies, les droits de l'homme se trouvent à la croisée des chemins. D'un côté, dans toutes les régions du monde, les populations continuent d'exiger le respect de la dignité, de l'égalité et de la justice, et donc de les soutenir ; de l'autre, ces mêmes droits sont de plus en plus menacés tandis que l'ordre international établi pour les protéger est effectivement sous pression.
Je commencerai par mentionner les guerres et les conflits violents dans le déclenchement desquels le non-respect des droits humains et du droit international et humanitaire n'a jamais été aussi important.
Au Soudan, la chute d'El Fasher est absolument dévastatrice, aggravée par dix-huit mois de siège et une famine persistante, qui atteint la phase 5, selon le Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC). Mon bureau reçoit des informations alarmantes selon lesquelles, depuis que les Forces de soutien rapide ont pris le contrôle d'El Fasher, elles commettent des atrocités, y compris des exécutions sommaires, des violences sexuelles et d'autres violations graves. Dans la région du Kordofan, on assiste clairement aux préparatifs en vue d'une intensification des hostilités, alors que les meurtres et les destructions se multiplient. Tous les pays doivent respecter l'embargo sur la vente d'armes au Darfour décrété par le Conseil de sécurité des Nations unies, mais il est clair que cette mesure doit être étendue à l'ensemble du pays, ainsi que nous l'avons toujours demandé. La protection des civils, l'accès humanitaire complet, la fin du conflit et le retour à un gouvernement civil sont les priorités absolues. Une session extraordinaire du Conseil des droits de l'homme des Nations unies se tiendra sur ce sujet à Genève vendredi prochain.
À Gaza, toutes les parties doivent faire preuve de bonne foi dans la mise en oeuvre du cessez-le-feu. J'exhorte tous les États qui disposent d'une certaine influence à faire tout ce qu'ils peuvent pour faire garantir le respect de cet accord. Israël doit assurer l'acheminement de l'aide humanitaire à grande échelle, conformément à ses obligations, garantir l'accès aux médias indépendants et aux observateurs des droits humains.
En Cisjordanie occupée, je suis inquiet des violences commises par Israël et les colons, notamment en lien avec l'expansion des colonies. Plus de mille Palestiniens ont été tués au cours des deux dernières années, en grande majorité par les forces de sécurité israéliennes. Les droits humains doivent être au coeur de toute solution durable. Notre bureau, qui existe depuis plus de trente ans, examine comment il peut contribuer à améliorer la situation et à bâtir de la confiance entre les communautés. La réconciliation passe par la reconnaissance des décennies de souffrance et de division ; les auteurs de toutes les violations commises le 7 octobre 2023 et ensuite doivent rendre des comptes.
La guerre en Ukraine est de plus en plus meurtrière pour les civils. Les écoles, les hôpitaux, les maisons et les abris sont constamment bombardés. Les attaques de la Fédération de Russie contre les infrastructures énergétiques essentielles sont particulièrement préoccupantes à l'approche de l'hiver. Je le sais pour m'être rendu en Ukraine en décembre 2022, et vous pouvez imaginer à quel point la population, surtout les personnes âgées et vulnérables, souffre de l'absence d'électricité lorsqu'il fait -20 degrés dehors. Nous avons besoin de la paix, comme cela est indiqué dans la Charte des Nations unies.
Dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC), les parties au conflit continuent de commettre de graves abus et violations contre les civils. Les efforts de paix doivent conduire à des améliorations sur le terrain, à commencer par un véritable cessez-le-feu. Les auteurs des violations doivent rendre des comptes. Le procès de l'ancien chef de guerre Roger Lumbala, poursuivi pour des crimes contre l'humanité commis en RDC il y a plus de vingt ans, commence aujourd'hui à Paris : c'est la preuve que, même si cela prend du temps, la justice finit toujours par être rendue. C'est pour cela que, depuis des années, notre bureau recueille des documents sur toutes les situations de guerre ; nous sommes présents en Ukraine et à Gaza, et nous réunissons une documentation que nous remettrons peut-être un jour à la justice.
Le conflit en Birmanie a une fois de plus disparu des gros titres des journaux internationaux, mais les civils, en particulier les Rohingyas, continuent de payer le prix le plus cruel ; ils gardent néanmoins leurs aspirations démocratiques, veulent un avenir viable dans lequel toutes les communautés peuvent vivre en paix et sans discrimination.
En Haïti, la crise continue de dégénérer. J'exhorte les États à soutenir la Force de répression des gangs mandatée par le Conseil de sécurité des Nations unies. Notre travail est d'accompagner le processus, de travailler avec la police et les forces internationales pour assurer le respect des droits humains.
Nous devons faire beaucoup plus pour prévenir les conflits et les crises ; les droits humains nous montrent le chemin à suivre. Prenons l'exemple d'El Fasher : je suis intervenu plus de dix-huit fois dans la presse pour sonner l'alarme, y compris en septembre dernier. Nous souhaitons développer davantage la coopération avec le Conseil de sécurité et le Conseil des droits de l'homme, afin d'améliorer la réaction à nos sonnettes d'alarme. Il faut que la documentation que nous réunissons ait plus d'effet sur la réalité. Nous le savons, les violations des droits humains sont un signal qui indique de possibles tensions, lesquelles peuvent ensuite dégénérer. Les discriminations contre les minorités, les discours de haine, la répression des manifestations pacifiques, le recours excessif à la force par la police, l'impunité, le refus persistant de donner accès à la nourriture et aux soins de santé, sont tous des signes de tensions sociales et de possibles conflits violents.
Le respect de tous les droits humains - ce qui inclut les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, ainsi que les droits relatifs à l'environnement - est un facteur de stabilité, de prospérité et de paix. De plus en plus souvent, les États tentent d'avancer l'argument de la souveraineté nationale pour dissimuler, voire justifier des violations horribles. Les situations que j'ai mentionnées nous rappellent que les droits humains sont une question d'intérêt international, au vu des conséquences des conflits. L'intensification des menaces contre les droits humains s'explique aussi par le fait que ceux-ci sont un concept puissant, concret, qui représente un rejet total de l'exceptionnalisme. Que les droits humains soient une cible conforte leur statut pour l'humanité. Je suis préoccupé par le fait que ceux qui cherchent à les attaquer sont de plus en plus coordonnés et financés, et qu'ils opèrent à travers les frontières. Le Forum parlementaire européen pour les droits sexuels et reproductifs a révélé que près de 1,2 milliard de dollars américains avaient été mobilisés par des groupes « anti-droits » à travers l'Europe entre 2019 et 2023. Des tendances similaires s'observent probablement dans d'autres régions. L'impact se fait déjà ressentir, notamment pour les femmes victimes de violences, les personnes LGBTQ+, les migrants et les réfugiés. Des attaques, des menaces et des pratiques de harcèlement ont lieu dans toutes les régions du monde contre les médias indépendants, la société civile, ainsi que contre les institutions internationales et leur personnel. Ces mouvements ne feront que nuire à l'ensemble de nos sociétés, approfondir les inégalités et les divisions, et éroder la confiance.
Mon bureau, vous le savez, est un partenaire fiable qui a pour mission d'appuyer l'universalité des droits humains et de réagir d'une seule voix. Dans les situations de conflit, nous surveillons, documentons et signalons les violations et les abus, en recueillant les preuves qui peuvent servir à tenir pour responsables les auteurs des violations. L'année dernière, mon bureau a mené quelque 11 000 missions de surveillance des droits humains dans 92 pays. Au fil des années, la France a apporté une contribution très importante à ce travail, en Haïti, dans les territoires palestiniens occupés ou en Ukraine notamment, mais également en Syrie, où je me suis rendu au début de cette année. Jusque-là, nous n'avions jamais été acceptés dans ce pays, et nous devions travailler depuis Beyrouth ; nous établissons une présence sur place, en essayant de soutenir les efforts nationaux, pour renforcer les capacités des autorités et de la commission pour la justice transitionnelle à l'égard de la protection des droits humains. Rien n'est parfait, mais la logique, très importante, est engagée.
En Haïti, nous avons aidé des groupes de travail judiciaires spécialisés dans la lutte contre l'impunité, la corruption et les violences sexuelles. Nous travaillons également avec l'Union africaine et les missions de paix régionales pour développer les pratiques respectant les droits humains. En 2024, notre plaidoyer a permis la libération de plus de 3 000 personnes détenues arbitrairement dans le monde. Nous ne communiquons pas beaucoup sur ce sujet, car il implique des démarches très confidentielles, mais nous sommes en discussion avec les autorités de plusieurs pays, pour toute personne subissant une détention arbitraire ; je salue à cet égard la récente libération de deux Français détenus en Iran.
Nous développons également une nouvelle base de données qui fournira des informations actualisées sur les crises et renforcera la protection des défenseurs des droits de l'homme.
Comme vous le savez, nous sommes au coeur du plaidoyer pour l'abolition universelle de la peine de mort. Nous voyons les conséquences de nos démarches, notamment grâce à l'aide de la France. Nous gagnons du terrain : malgré la recrudescence du nombre d'exécutions dans quelques pays, de plus en plus d'États sont en train d'abolir la peine de mort. Je salue l'engagement de la France, qui s'apprête à accueillir le neuvième congrès mondial contre la peine de mort l'année prochaine. J'ai eu la chance de rencontrer Élisabeth Badinter l'année dernière ; le récit de la lutte de son mari était très émouvant. Il s'agit d'un exemple de portée mondiale, et je suis heureux d'avoir pu consulter le manuscrit du fameux discours prononcé devant l'Assemblée nationale.
Nous travaillons avec les États, les parlementaires et les magistrats, mais aussi avec la société civile, pour améliorer la situation des droits humains en développant la formation. Dans le cadre de la lutte contre les inégalités, nous plaidons en faveur d'une économie respectueuse des droits humains, surtout à l'égard de toutes les politiques financières ; je pourrai développer ce point si vous le souhaitez. Nous travaillons avec plusieurs États, du Chili au Rwanda en passant par le Népal, pour intégrer les droits humains, économiques et sociaux dans l'élaboration de leurs budgets et pour renforcer leurs lois en matière de travail, de santé et de sécurité sociale. Ces actions ont un impact direct sur les intérêts économiques de la France : plus de stabilité sur ces sujets a des conséquences positives sur le commerce.
Nous constatons que l'espace civique se réduit dans toutes les régions, y compris durant les périodes électorales. Nous effectuons un suivi pour identifier les premiers signes de menaces qui pèsent sur la population, tirer la sonnette d'alarme et contribuer à atténuer les dommages.
Mon bureau soutient les réseaux de femmes, qui sont exposées à un plus grand risque de violence et à des déficits de financements dans de nombreux pays. Nous analysons le recul en matière d'égalité des genres dans la société civile pour trouver des solutions. Je salue l'adoption de la déclaration politique pour défendre les droits des femmes et des filles et l'égalité de genre adoptée par la France et trente autres États, qui s'engagent à adopter des approches féministes en matière de politique étrangère.
Madame la présidente, nous coopérons avec les États, les entreprises des réseaux sociaux et la société civile pour que les lois et les politiques relatives aux technologies émergentes, notamment l'intelligence artificielle, respectent les droits humains. Nous continuons de soutenir le travail du Conseil des droits de l'homme et celui des organes prévus par les traités, essentiels à l'écosystème des droits humains. En guise de clarification, je tiens à préciser que les rapporteurs spéciaux sont indépendants de mon bureau ; ils émanent du Conseil, dont je respecte l'indépendance autant que je souhaite que la mienne soit respectée. Dans la discussion publique, il y a parfois une confusion entre les rapporteurs spéciaux et le Haut-Commissariat aux droits de l'homme.
Toutefois, malgré tous les défis, l'espoir demeure. Nos nombreux sondages montrent que les populations du monde entier rejettent, en grande majorité, un monde cruel et haineux : la flamme de la liberté, de la justice et de la dignité ne peut être éteinte si facilement ; on a besoin de cette mobilisation et de cette inspiration.
Par exemple, si l'on considère les mouvements de jeunesse dits « génération Z », on constate que les jeunes sont animés par les questions des droits humains. Je ne dis pas qu'il n'y a pas de problème dans ces mouvements, ce sont des sujets très complexes, mais il y a au fond une volonté de faire mieux, pour avoir un monde meilleur. Nous travaillons étroitement avec la société civile dans tous ces pays et le système multilatéral des Nations unies peut jouer un rôle très important à cet égard. Nous sommes en train de célébrer le quatre-vingtième anniversaire des Nations unies et le secrétaire général a lancé l'initiative intitulée ONU80. Pour ma part, au cours des trois premières années de mon mandat de haut-commissaire, j'ai conduit un processus de réforme au sein de mon bureau afin de rendre notre travail plus efficace.
Toutefois, nous ne pouvons pas accomplir cela sans financement et, à cet égard, je ne vous le cache pas, le Haut-Commissariat se trouve dans une situation financière très précaire. Vous l'avez indiqué, cela tient notamment au fait que le budget régulier des Nations unies n'est plus financé par les États-Unis, pour le moment - j'espère que les Américains reviendront un jour -, mais, en tout état de cause, nous prévoyons un déficit d'environ 100 millions de dollars cette année, ce qui représente 20 % du montant nécessaire pour mettre en oeuvre efficacement notre mandat. Je remercie la France, qui contribue depuis près de trente ans au financement de mes services ; j'espère qu'elle continuera de le faire, surtout pendant cette période très difficile.
À vrai dire, le sous-financement montre déjà ses effets négatifs. Par exemple, quatorze mécanismes d'enquête soutenus par mon bureau ne disposent aujourd'hui que de la moitié du personnel qui leur est normalement dévolu, et la commission d'enquête sur la situation d'urgence dans l'est de la RDC, mandatée par le Conseil des droits de l'homme, n'est actuellement pas du tout financée. Nos équipes travaillant en Colombie, en RDC, au Myanmar, en Tunisie et au Yémen ont dû être drastiquement réduites et aucun financement n'a été trouvé pour le déploiement de conseillers en droits humains dans douze pays, bien que ces derniers aient exprimé le souhait de les accueillir. Enfin, huit de nos missions ont dû être fermées cette année.
L'impact de cette situation sera bien entendu ressenti par les populations du monde entier et je crains que les dictateurs et les autocrates ne se réjouissent de cette moindre surveillance. Les premières victimes en seront les défenseurs des droits de l'homme issus de la société civile. En outre, dans le contexte des grands défis actuels - changement climatique, intelligence artificielle -, nous craignons une diminution des contraintes et des normes internationales. Or c'est un domaine où l'action nationale ne suffit pas ; un cadre international s'impose. Bien évidemment, nous travaillons étroitement avec nos partenaires au sein de l'ONU sur tous ces sujets et cette coopération revêt une importance capitale.
Plus que jamais, nous avons besoin d'une alliance mondiale pour les droits humains. Nous oeuvrons à la construction d'une alliance interrégionale qui associera les États membres, la société civile, les parlementaires - je l'espère -, des philanthropes, des entreprises, des jeunes et des universitaires, afin de placer la question des droits humains au coeur de la conscience publique et politique. En effet, ces questions paraissent parfois abstraites ; il faut au contraire les rendre concrètes, en les reliant à la vie quotidienne des citoyens et en montrant combien les actions menées au niveau mondial sont étroitement liées aux réalités des Français, par exemple. C'est un travail de communication qui reste à faire, car notre action produit des résultats positifs, y compris pour vos concitoyens, même si ces effets ne sont pas toujours immédiatement perceptibles.
M. Loïc Hervé. - Monsieur le haut-commissaire, je souhaite tout d'abord vous remercier de la compassion que vous avez exprimée à l'égard de nos compatriotes victimes du terrorisme en 2015.
Je souhaite également vous dire combien nous avons été touchés par vos paroles à l'égard de Robert Badinter, qui fut sénateur. En tant que garde des sceaux, il défendit l'abolition de la peine de mort au Sénat, lequel a d'ailleurs adopté conforme le texte de l'Assemblée nationale, ce qui a évité la réunion d'une commission mixte paritaire - c'est donc, formellement, le Sénat qui a adopté définitivement le texte. Notre ancien collègue a fait don au Sénat de son discours, à la fois dactylographié et manuscrit, en faveur de l'abolition, qui figure maintenant parmi les trésors de la bibliothèque du Sénat.
Je vous remercie enfin d'avoir répondu à l'invitation du président Perrin. Étienne Blanc et moi-même vous avons rencontré à la fin du mois de juillet dernier, en marge du sommet des présidents de parlement et, grâce à notre ambassadrice ici présente, nous avons pu engager avec vous des échanges importants sur deux sujets que nous pourrions poursuivre aujourd'hui.
Le premier concerne les droits des parlementaires. En effet, Étienne Blanc préside, au sein de l'Union interparlementaire, la commission chargée de suivre la situation des mille parlementaires incarcérés, assignés à résidence, empêchés d'exercer leurs fonctions, voire disparus.
Le second porte sur la situation des minorités en Orient, notamment celle des chrétiens, un autre thème sur lequel Étienne Blanc travaille activement.
Pour ce qui concerne la situation budgétaire de votre bureau, je vous remercie de votre franchise et de votre clarté. Nous partageons avec Mme Jurgensen une préoccupation : la volonté de défendre la place diplomatique de Genève, qui constitue, en Europe, un pôle majeur de l'Organisation des Nations unies ; l'ONU en Europe, c'est Genève. Votre bureau contribue à cette position éminente et nous devons, au nom du multilatéralisme, rester attentifs à la préservation de cette place genevoise. La localisation choisie, voilà près d'un siècle, pour le siège de la Société des Nations a valeur historique considérable. Nous devons la préserver.
M. Volker Türk. - Je me rappelle bien notre rencontre à Genève en juillet dernier.
La question des droits des parlementaires est évidemment au coeur de notre action. Nous travaillons en étroite collaboration avec l'Union interparlementaire, qui est toujours rapidement informée des problèmes qui se font jour en cette matière et nous entreprenons, de notre côté, les démarches nécessaires, cela fait pleinement partie de notre mandat. Nous suivons en particulier les périodes électorales, qui sont des moments critiques. J'ai ainsi dû prendre la parole hier au sujet de la Tanzanie, où certains opposants ont disparu ou sont empêchés de faire campagne.
Ce phénomène constitue l'une des manifestations les plus emblématiques du rétrécissement de l'espace civique, car il concerne les parlementaires. Nous observons une tendance croissante à remettre en cause les immunités, qui devraient pourtant être garanties dans tout État membre de l'ONU. Sur ce sujet, nous menons à la fois des démarches individuelles et des actions à l'échelle globale. Vous avez eu raison d'en souligner l'importance ; les parlementaires, à bien des égards, se trouvent aujourd'hui dans une situation comparable à celle des journalistes.
Quant aux minorités, chrétiennes ou autres, leur protection constitue pour nous un point d'attention, notamment en Syrie, mais aussi dans de nombreux autres pays.
Permettez-moi enfin d'évoquer le Palais Wilson, siège de mon administration. Avant d'être au Palais des Nations, le siège de la SDN a été au Palais Wilson, d'ailleurs pendant la majeure partie de son existence. Genève est la ville des droits de l'homme pour le monde entier, mais la crise budgétaire à laquelle nous sommes confrontés nous contraint à des mesures extrêmement difficiles ; nous risquons de perdre environ trois cents postes cette année.
Mme Michelle Gréaume. - Monsieur le Haut-commissaire, j'interviens au nom de mon collègue Robert Wienie Xowie, qui est Kanak, dont je vous prie d'excuser l'absence.
Votre prédécesseure, Michelle Bachelet, avait publiquement exprimé son inquiétude face aux violences policières en France, notamment lors des mouvements des « gilets jaunes ». Elle avait alors appelé les autorités françaises à diligenter des enquêtes impartiales sur les cas d'usage excessif de la force. Six ans plus tard, ces préoccupations demeurent : les révélations récentes de plusieurs médias sur les évènements de Sainte-Soline montrent des faits d'une extrême gravité - tirs tendus, propos haineux, satisfaction ressentie face aux blessures infligées -, filmés par les propres caméras des gendarmes.
Ce décalage pose la question de la capacité de nos mécanismes internes à garantir des enquêtes réellement indépendantes et rejoint les alertes déjà formulées par vos services. Le rapporteur spécial sur les défenseurs et défenseuses de l'environnement, Michel Forst, a d'ailleurs souligné que ces violences n'étaient pas de simples dérapages mais relevaient d'une stratégie de maintien de l'ordre particulièrement brutale.
Dans le même temps, la situation récente en Kanaky-Nouvelle-Calédonie a soulevé de nouvelles inquiétudes, avec des témoignages de violence et d'usage disproportionné de la force, dans un territoire qui figure encore sur la liste onusienne des territoires non autonomes.
Monsieur le Haut-commissaire, dans la continuité du mandat de Mme Bachelet, entendez-vous rappeler à la France la nécessité de faire toute la lumière sur ces affaires, en métropole comme en Kanaky, par le biais d'enquêtes véritablement indépendantes, y compris sur la chaîne de commandement ? Plus largement, estimez-vous que la doctrine actuelle du maintien de l'ordre en France reste conforme aux standards internationaux que promeut votre office ? Enfin, comment comptez-vous transformer vos recommandations et rapports en résultats mesurables ?
M. Volker Türk. - C'est un sujet que nous continuons d'aborder avec les autorités françaises. L'usage excessif de la force demeure en effet une préoccupation majeure en matière de droits humains.
Cela étant dit, la France dispose d'un véritable État de droit, elle est dotée d'un système judiciaire, de checks and balances - de contre-pouvoirs - qui jouent un rôle essentiel dans la préservation des libertés fondamentales ; il y a en outre la Cour européenne des droits de l'homme, sise à Strasbourg. L'existence d'un cadre normatif contraignant incarne l'un des acquis les plus précieux de l'après-Seconde Guerre mondiale. Bien évidemment, si nous pouvons jouer un rôle à cet égard, nous continuerons de le faire.
M. Jean-Luc Ruelle. - Monsieur le Haut-commissaire, une récente campagne de communication portée par une agence de l'ONU a choisi de représenter l'émancipation féminine à travers l'image d'une femme voilée, non d'un simple voile, mais d'un niqab ; et il ne s'agit pas de n'importe quelle agence, c'était l'UN Women Agency.
Ce choix a suscité une incompréhension profonde. Le voilement intégral du corps des femmes n'est pas un symbole de liberté, c'est la manifestation d'un contrôle social, d'une contrainte, d'un effacement imposé à des millions de femmes, souvent au détriment de leurs droits les plus élémentaires. Accoler à cette image le slogan « When women lead, peace follows » relève au mieux d'une naïveté confondante quant à la place réellement laissée aux femmes dans les sociétés où le voilement intégral est imposé, au pire d'une validation implicite d'idéologies et de normes qui les privent de leur voix et de leur autonomie.
Comment l'ONU peut-elle justifier l'usage de codes visuels qui entrent en contradiction avec l'objectif même qu'elle entend défendre ?
M. Volker Türk. - Je n'ai pas connaissance de cette campagne, mais, du point de vue des droits humains, l'autonomie constitue évidemment un principe fondamental. Dans la défense des droits des femmes, nous tâchons de faire en sorte que cette autonomie inclue l'intégrité du corps, qui doit être absolument respectée.
Il existe un comité, le comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes, dans lequel ont siégé d'éminentes Françaises. Il a joué un rôle essentiel dans l'élaboration de la doctrine relative à ces droits, en y intégrant expressément la notion d'autonomie.
Mme Catherine Dumas, présidente. - Notre collègue Ruelle soulève là une question majeure.
M. Mickaël Vallet. - Tout d'abord, je souhaite souligner à quel point nous sommes honorés de pouvoir échanger directement avec vous ce matin, monsieur le Haut-commissaire. C'est un moment important pour le Sénat et pour notre commission.
Certains responsables politiques français, y compris dans notre commission, et une partie de l'opinion publique estiment que l'ONU serait désormais majoritairement composée de dictatures ou de régimes autocratiques. Je regrette que les collègues qui tiennent ce discours ne soient pas parmi nous aujourd'hui pour vous exposer leurs arguments, car, selon moi, il s'agit d'arguments faciles, destinés à éviter de parler du fond des choses et des difficultés des diplomates à faire vivre le multilatéralisme. En effet, comme le dit un grand diplomate français, Maurice Gourdault-Montagne, « les autres ne pensent pas comme nous ». Il faut donc composer avec cette réalité et ne pas se limiter à une vision autocentrée, selon laquelle la France serait la patrie des droits de l'homme, alors qu'elle est la patrie de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Cela ne doit pas nous exonérer d'étudier certains sujets ; au contraire, cela nous oblige. D'où la question de Mme Gréaume : la France est-elle exempte de tout reproche ? Elle peut progresser sur certains sujets, par exemple en matière de reconnaissance faciale, de liberté syndicale, de maintien de l'ordre.
Mme la présidente a évoqué le poids croissant des autocraties dans les instances de l'ONU. Pourriez-vous nous parler, monsieur le haut-commissaire, de votre action dans ce contexte ? Comment fait-on appliquer les principes de l'ONU dans un environnement où l'idéal démocratique pèse moins lourd ? Votre réponse nous éclairera sans doute sur la réalité, la difficulté, mais aussi la beauté de votre mission.
Je souhaite également vous interroger sur l'espace méditerranéen. Considérez-vous que le respect du droit international, notamment du droit de la mer et du devoir de secours aux naufragés, sans considération des raisons pour lesquelles une personne est en train de se noyer - quand on se noie, on se noie, on ne peut pas répondre à une enquête administrative sur son embarquement, sa destination ou son visa -, relève de votre action ou qu'il relève du droit maritime ? Ce sujet n'est pas mineur, on compte plus de 40 000 morts en dix ans. Quels sont les États qui coopèrent réellement ? ceux qui ne coopèrent pas ? ceux qui font semblant ?
Enfin, lors de son déplacement à l'Assemblée générale des Nations unies il y a deux ou trois ans, la délégation du Sénat avait été très favorablement impressionnée par le travail de l'organisme chargé du recueil des preuves des exactions de Daech en Irak. Ce fut un moment marquant pour nous et nous avons ensuite reçu en audition une responsable française de cette équipe. Cette mission souffrait de difficultés de financement et risquait de ne pas pouvoir se poursuivre, en raison notamment du risque de veto de certaines puissances. Où en est aujourd'hui ce travail ? A-t-il pu être mené à bien ? Quels en sont les apports ?
M. Volker Türk. - Je pense que c'est presque devenu une mode de critiquer le multilatéralisme et les Nations unies. Je ne dis pas qu'il ne faut pas porter de critique, mais il faut le faire en ayant conscience de la complexité des choses.
Le grand atout dont le monde a bénéficié après la Seconde Guerre mondiale, l'Holocauste, les atrocités, la grande dépression économique, a été la création d'un ordre juridique normatif clair en matière de droits de l'homme. Et ce cadre ne peut être supprimé du jour au lendemain, même si certains tentent de le faire. L'affaiblissement actuel du système onusien dans le domaine des droits humains le démontre : si l'on ne nous donne plus de financements, cela fragilisera énormément le Haut-Commissariat, mais cela prouve la valeur de ce cadre normatif.
Je m'adresse trois fois par an au Conseil des droits de l'homme pour présenter un panorama général des droits de l'homme dans le monde. Ce moment fait l'objet d'une attention particulière ; souvent, durant la semaine qui précède, les ambassadeurs des pays qui connaissent une tendance autoritaire ou une restriction des libertés demandent à me rencontrer, car ils craignent d'être publiquement mentionnés. Or ces échanges préalables - c'est de la diplomatie silencieuse - permettent d'obtenir des engagements concrets. Avant de faire des déclarations publiques, je cherche à obtenir des engagements de la part de ces pays, et l'on obtient souvent des changements de pratiques grâce à ces engagements. Si je n'obtiens pas de tels engagements, alors je prends publiquement la parole. Cette dimension, plus discrète, est fondamentale.
Prenons l'exemple du Sri Lanka. La situation de ce pays est complexe, le gouvernement semble vouloir oeuvrer à la réconciliation, notamment avec la population tamoule ; il y a un espoir. Lorsque je me suis rendu sur place en juin dernier, des centaines de victimes et de proches de disparus ont demandé à me voir. Ils voulaient témoigner mais ils exprimaient également une attente immense, l'espoir que les Nations unies mettent la pression sur les autorités afin que le gouvernement agisse pour retrouver les personnes disparues et diligente des enquêtes médico-légales. Cela montre l'espoir que représente l'ONU, en particulier pour les sociétés sorties de la guerre ou soumises à des régimes répressifs.
J'ai vu le même espoir chez les défenseurs des droits de l'homme au Venezuela, au Nicaragua, en Biélorussie ou même en Russie. Vladimir Kara-Mourza m'a raconté que, lorsque j'ai fait une déclaration à la presse sur son cas, son avocat lui en a montré la copie dans sa cellule et cela lui a donné une immense force morale ; « On ne m'oublie pas », s'est-il dit.
C'est dans ces circonstances extrêmement difficiles que nous devons disposer de tous les outils requis pour faire notre travail. Il y a deux volets : le plaidoyer public, bien sûr, mais aussi un travail diplomatique patient, avec les gouvernements, la société civile et les autorités judiciaires. Nous menons de plus en plus d'actions en tant qu'amicus curiæ, nous fournissons des mémoires devant les juridictions nationales et internationales. C'est un travail inestimable.
Sans cette action, le monde deviendrait plus chaotique, anarchique, et les régimes autoritaires et dictatoriaux en profiteraient. C'est un travail qui est parfois difficile à expliquer, car on ne voit que les plaidoyers publics.
C'est vrai, monsieur le sénateur, il n'y a pas d'exceptions, aucun pays n'est parfait, y compris en Europe, en France ou dans mon propre pays, l'Autriche. C'est tout le sens de l'examen périodique universel, au cours duquel tous les États membres sont placés au même niveau pour être évalués par les autres États membres. Cet exercice est indispensable à la protection effective des droits humains.
Enfin, en ce qui concerne les liens entre droits humains et droit maritime, nous travaillons en étroite coopération avec le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) et l'Organisation maritime internationale (OMI). Nous avons élaboré des lignes directrices sur le sauvetage des personnes en mer, sur le fondement de l'obligation coutumière de secours aux personnes en détresse. Ce dispositif combine plusieurs régimes juridiques : le droit maritime, les droits humains et les droits des réfugiés.
En ce qui concerne le travail d'enquête sur les exactions de Daech en Irak, que j'ai suivi dans mes fonctions antérieures, je n'ai pas connaissance des derniers développements. Je vous transmettrai des informations plus récentes à ce sujet.
M. Philippe Folliot. - Je partage l'opinion de Loïc Hervé sur la place de Genève. Voltaire lui-même, dès le XVIIIe siècle, ne s'y était pas trompé...
Vous avez évoqué la notion d'État de droit, à laquelle nous sommes attachés comme à la prunelle de nos yeux. Bien entendu, tout est perfectible, et la France n'est sans doute pas exempte de tout reproche, mais laisser penser qu'elle manquerait à ses obligations en matière de maintien de l'ordre n'est pas acceptable.
Prenons un exemple concret. Michel Forst, rapporteur spécial des Nations unies sur les défenseurs et défenseuses de l'environnement, s'est rendu dans le Tarn. Il y a dans ce département, dont je suis élu, un projet de construction d'une autoroute, l'A69, reliant Toulouse à Castres. Ce chantier a suscité des manifestations très violentes et des opérations illégales d'occupation de sites. Or, lors de sa visite, le rapporteur spécial s'est concentré exclusivement sur les aspects liés au maintien de l'ordre, sans chercher le moindre équilibre dans son analyse ; pas un mot sur les élus agressés, sur les riverains gênés par ces occupations illégales, pas un mot de compassion pour les gendarmes blessés lors de ces évènements. Cette absence d'équilibre nous heurte, car elle donne une image de partialité aux institutions de l'ONU, qui ne correspond pas du tout à l'opinion que j'ai de votre action. La question se pose de la même manière à propos de la Nouvelle-Calédonie, qui a subi également des actions d'une grande violence ayant entraîné de nombreuses victimes.
L'État de droit exige le maintien d'un minimum d'ordre, lorsque certains individus choisissent des moyens illégaux pour exprimer ou imposer leurs opinions.
Je souhaite également vous interroger sur un sujet spécifique, celui des disparitions forcées. Dans les dictatures et les régimes autoritaires, ce phénomène se développe de plus en plus, pour terroriser les populations. Lorsqu'une personne est arrêtée en raison de ses opinions politiques ou de son engagement, sa situation est déjà grave, mais lorsqu'elle disparaît, sans que sa famille sache qui l'a arrêtée ni pourquoi, la tragédie prend une dimension supplémentaire. C'est, si vous me permettez l'expression, une forme de double peine : on prive l'individu de sa liberté et l'on prive ses proches de sa présence, sans savoir qui l'a fait ni pourquoi.
Le haut-commissariat mène-t-il des actions spécifiques pour dénoncer ces pratiques et tenter d'y mettre un terme ?
M. Volker Türk. - Je vous l'ai dit, je n'ai aucune autorité sur les rapporteurs spéciaux du Conseil des droits de l'homme. Ils sont indépendants, je n'ai pas la possibilité de leur donner des instructions. Lorsque je me prononce sur des manifestations, j'insiste toujours sur le fait qu'elles doivent être pacifiques, dans le strict respect du principe de non-violence. Nous sommes toujours très clairs sur ce point. Comme je l'ai précisé, il y a d'une part le haut-commissariat et, d'autre part, les dispositifs du Conseil des droits de l'homme. Nous sommes deux entités distinctes et indépendantes l'une de l'autre.
En ce qui concerne les disparitions forcées, il s'agit en effet d'un sujet majeur dans de nombreux pays, qui s'étend d'ailleurs à la répression transnationale : on observe de plus en plus fréquemment des enlèvements commis à l'étranger, notamment en Asie du Sud-Est, mais aussi en Europe. Des opposants politiques ou des défenseurs des droits de l'homme disparaissent ainsi, sans laisser de trace.
Vous l'avez souligné, c'est une situation atroce. Je rencontre régulièrement des familles qui, même trente ans après les faits, continuent de souffrir d'ignorer ce qui est arrivé à leurs proches. Je recommande fortement, à cet égard, le film brésilien Je Suis toujours là, sorti en 2024, qui illustre avec force la douleur d'une famille dont le père, enlevé par les militaires, a disparu pendant des décennies, avant que la vérité ne soit enfin établie. Chaque fois que je rencontre des familles confrontées à de tels drames, je ressens profondément leur détresse.
Dans les pays où nous sommes présents, comme au Mexique, au Sri Lanka ou en Syrie, nous menons des actions de terrain. En Syrie, par exemple, nous étions derrière la création d'un mécanisme destiné à traiter la question des personnes disparues - on estime leur nombre à environ 200 000, mais on ne connaît pas le chiffre exact -, et c'est l'une des préoccupations les plus fréquemment exprimées par la population syrienne.
Nous tâchons en outre de développer des dispositifs de reddition de comptes, pour prévenir la répétition de tels actes. Deux organes travaillent spécifiquement sur ces questions : le groupe de travail sur les disparitions forcées et le comité institué par la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.
Je souhaite enfin évoquer un signe d'espoir : au Bangladesh, où il y a de nombreuses disparitions forcées, que mon bureau dénonce depuis des années, plusieurs disparus ont été retrouvés ; certains avaient été emprisonnés sans voir la lumière du jour pendant huit ans. Par ailleurs, le gouvernement de transition a signé la Convention contre les disparitions forcées et a engagé un vaste processus de réforme pour éviter que de tels actes ne se reproduisent. Ce travail peut inspirer d'autres pays confrontés à des situations similaires.
Toutefois, je le répète, les disparitions forcées constituent une réalité affreuse. En Corée du Nord, cette pratique existe toujours.
M. Mickaël Vallet. - Je tiens à remercier M. le haut-commissaire de s'être exprimé en français. Vous n'y étiez pas obligé, monsieur le haut-commissaire, et lorsque l'on s'exprime dans une langue étrangère, même si on la maîtrise très bien, l'exercice est forcément plus difficile.
Mme Catherine Dumas, présidente. - Merci de cette remarque très pertinente, mon cher collègue.
Monsieur le haut-commissaire, je vous remercie d'être venu devant notre commission. Cette audition revêtait une grande importance pour nous, car elle nous a permis de vous entendre directement. Nous avons bien compris que les menaces qui pèsent sur les droits humains se multiplient et s'appuient désormais sur des moyens financiers considérables.
Votre intervention a également été précieuse, parce que vous avez replacé la question des droits humains dans le cadre de la conscience politique et de la conscience publique, en soulignant le lien profond entre les comportements collectifs et les comportements individuels.
Enfin, vous avez conclu en prononçant, à plusieurs reprises, le mot d'espoir. Nous choisirons donc, nous aussi, de clore cette audition sur cette note.
Je souhaite également saluer la présence parmi nous de Mme l'ambassadrice Jurgensen, représentante permanente de la France auprès des Nations unies à Genève.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo en ligne sur le site internet du Sénat.
Proposition de résolution européenne visant à demander au gouvernement français de saisir la Cour de justice de l'Union européenne pour empêcher la ratification de l'accord avec le Mercosur - Désignation de rapporteurs
La commission désigne M. Pascal Allizard et Mme Gisèle Jourda rapporteurs sur la proposition de résolution européenne n° 99 (2025-2026) visant à demander au gouvernement français de saisir la Cour de justice de l'Union européenne pour empêcher la ratification de l'accord avec le Mercosur.
La réunion est close à 11 h 55.