Mercredi 3 décembre 2025

- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 35.

Audition de M. Jean-François Fallacher, directeur général d'Eutelsat

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous avons le plaisir d'accueillir Jean-François Fallacher, devenu le 1er juin dernier directeur général de l'opérateur de satellites Eutelsat - après une longue carrière chez France Télécom puis chez Orange, où il a occupé de nombreux postes de direction notamment en Roumanie, en Pologne et en Espagne avant de diriger Orange France d'avril 2023 à mai 2025.

Créée en 1977 par dix-sept pays sous la forme d'une organisation intergouvernementale destinée à développer les télécommunications et la transmission télévisée par satellite en Europe, Eutelsat est devenue une société anonyme en 2001, puis a été introduite en bourse en 2005. Les activités commerciales de l'entreprise comprennent la transmission par satellite de 7 000 chaînes de télévision et de 1 100 stations de radio, des services d'accès à Internet par satellite et des services de communication sécurisés spécifiquement destinés aux usages gouvernementaux ou militaires qui en font aujourd'hui la seule alternative souveraine à l'américain Starlink et par conséquent un outil essentiel dans le domaine civil mais également en matière de défense. Son chiffre d'affaires s'élève à 1,23 milliard d'euros pour l'exercice 2024-2025.

Historiquement spécialisée dans l'exploitation de satellites géostationnaires, Eutelsat dispose aujourd'hui d'une flotte dite « GEO » de 34 satellites en orbite haute, soit une altitude orbitale de 36 000 km, principalement utilisés pour la diffusion de flux vidéo, c'est-à-dire la télévision par satellite, qui représente encore environ la moitié du chiffre d'affaires d'Eutelsat - soit 600 millions d'euros. Mais cette activité est en déclin avec la montée en puissance de l'utilisation des réseaux en fibre optique et des smartphones pour regarder la télévision.

Les services de connectivité rendus par les satellites géostationnaires, qui offrent des communications fiables et de grande capacité dans les zones rurales et difficiles d'accès, génèrent pour leur part 400 millions d'euros de chiffre d'affaires, un chiffre là aussi en recul en raison du développement de nouveaux usages qui supportent mal une latence de 0,8 seconde. Sur ce marché des nouveaux usages, le développement de la fibre optique, des réseaux 4G et 5G, et bien sûr, l'essor de Starlink constituent une concurrence redoutable.

C'est notamment pour faire face à ces évolutions qu'Eutelsat s'est rapprochée de l'entreprise britannique OneWeb à compter de 2021, avant de fusionner avec elle en 2023 dans le but de créer un acteur mondial de premier plan dans le domaine de la connectivité. Grâce à cette opération, Eutelsat a acquis la constellation dite « OneWeb LEO » composée de 44 stations terrestres et de 640 satellites en orbite basse, soit une altitude orbitale de 1 200 km, qui offre une connectivité haut débit permanente et à faible latence dans le monde entier, sur terre, en mer et dans les airs. L'activité de OneWeb a représenté au cours de votre dernier exercice 183 millions d'euros de chiffre d'affaires, un chiffre en croissance de 80 % sur un an.

Grâce à la combinaison de vos constellations « GEO » et « OneWeb LEO », vous êtes devenu l'unique fournisseur à proposer une couverture multi-orbites. En quoi cette offre spécifique vous permet-elle d'offrir à vos clients des services qui se distinguent de ceux de vos concurrents ? Comment inverser la tendance à la décroissance des activités qui reposent sur la constellation « GEO » et en faire un véritable atout ?

J'en viens à vos concurrents, et en premier lieu bien sûr la constellation Starlink de SpaceX, l'entreprise d'Elon Musk, qui compte actuellement 8 600 satellites en orbite basse, et vise 30 000 satellites, mais également la constellation Kuiper d'Amazon, dont le déploiement a commencé cette année et qui vise 3 200 satellites à terme, ou bien encore la constellation chinoise Qianfan, dont les premiers satellites ont été lancés fin 2024 et qui devrait à terme en compter 13 000. Quelle est votre stratégie pour assurer votre croissance face à ces mastodontes, conquérir davantage de clients et parvenir à rentabiliser vos constellations ? Comptez-vous lancer des offres d'accès à Internet grand public ou entendez-vous continuer à vous focaliser sur la vente de services aux entreprises et aux gouvernements ? Proposer des services qui ne soient ni américains ni chinois, est-ce de nature à séduire un certain nombre de pays ?

Enfin, alors que la guerre en Ukraine a montré combien le fait pour l'Europe de disposer de ses propres constellations de satellites était un enjeu essentiel de souveraineté, Eutelsat est appelé à jouer un rôle décisif dans le projet de constellation Iris² porté par la Commission européenne. Pouvez-vous nous présenter dans le détail cette constellation, les services qu'elle fournira en plus de ceux de OneWeb et les nombreux défis qui sont devant nous pour mener à bien son déploiement avec nos partenaires européens d'ici 2030 ?

M. Jean-François Fallacher, directeur général d'Eutelsat. - Merci pour votre invitation, je suis très heureux de vous présenter les enjeux, les ambitions et la trajectoire d'Eutelsat à un moment de son histoire qui me semble déterminant.

J'ai pris la tête d'Eutelsat il y a six mois, à un moment de bascule pour l'entreprise, pour au moins trois raisons : d'abord, Eutelsat est un opérateur multi-orbites grâce à notre flotte historique de 34 satellites géostationnaires et à la constellation OneWeb en orbite basse, ce qui fait de nous un acteur central de la connectivité mondiale ; ensuite, nous sommes la seule alternative européenne, souveraine et opérationnelle face à Starlink et à Amazon, dans un domaine devenu clé et stratégique pour les États ; enfin, nous finalisons une recapitalisation majeure, rendue possible par le rôle déterminant de l'État français et le suivi du gouvernement britannique, ainsi que par nos actionnaires historiques que sont Bpifrance, CMA-CGM et le Fonds stratégique de participation (FSP). Cette recapitalisation dote l'entreprise des moyens nécessaires pour poursuivre sa croissance.

Je vous présenterai Eutelsat et comment notre modèle évolue, puis le contexte géopolitique et industriel dans lequel nous opérons - et enfin ma feuille de route pour conforter Eutelsat au rang de champion européen de la connectivité spatiale.

Eutelsat est un opérateur historique du secteur spatial, créé il y a 47 ans et devenu un opérateur de satellites multi-orbites engagé dans ce pivot vers la connectivité satellitaire à très haut débit. Nous avons développé un savoir-faire reconnu dans l'exploitation des satellites géostationnaires, situés à 36 000 kilomètres. À cette orbite, un satellite tourne à la même vitesse que la Terre et reste donc face au même point, un avantage qui a permis, depuis des décennies, de diffuser de la vidéo - nous diffusons ainsi 7 000 chaînes partout dans le monde : en France, en Europe, mais aussi en Afrique, dans les pays du Golfe, en Amérique du Sud et, pour certaines, aux États-Unis. Ce segment représente la moitié du chiffre d'affaires de notre entreprise, mais il est en déclin structurel, car la télévision est de plus en plus reçue par les réseaux filaires, ADSL et fibre, ainsi que par les réseaux mobiles, la 5G et les smartphones. Notre chance, c'est que nous avons aussi des satellites géostationnaires de connectivité pour fournir l'accès à Internet, un secteur développé de manière visionnaire par les dirigeants d'Eutelsat au début des années 2000 et qui nous permettent d'être présents - cette partie de notre activité représente 40 % du chiffre d'affaires de l'entreprise. Cependant, cette connectivité géostationnaire a un défaut, sa latence de 0,7 à 0,8 seconde, le temps qu'il faut au signal pour faire, à la vitesse de la lumière, deux allers-retours de la terre au satellite situé à 36 000 kilomètres. Cette latence est un problème pour certains usages d'Internet comme le gaming et plus généralement pour tout ce qui nécessite de l'interactivité, en particulier la commande à distance de véhicules sans conducteur ou de drones, laquelle est possible avec la connectivité bas débit arrivée sur le marché il y a quelques années.

Depuis trois ans, cette connectivité géostationnaire est concurrencée par l'extension des réseaux fibre et de la 5G partout dans le monde, mais aussi par les constellations basse orbite, dites LEO, comme la nôtre ou celle de Starlink. Le rachat de OneWeb il y a deux ans nous a fait entrer dans une nouvelle ère, puisque nous disposons désormais d'une constellation de 650 satellites à une orbite de 1 200 kilomètres, ce qui permet de rendre des services d'accès à internet à très haut débit avec une latence de 50 à 70 millisecondes, acceptable pour tous les usages. La couverture de cette constellation est mondiale, avec douze orbites autour de la planète. Techniquement, nous avons 41 points de présence sur l'ensemble des continents, qui sont des champs d'antennes reliant ces satellites aux backbones mondiaux ; ces 41 champs d'antennes sont reliés par un réseau fibre mondial, donnant à nos clients des débits importants à faible latence. Cette constellation offre aussi des usages inédits, puisqu'elle couvre aussi bien les terres émergées que les océans et l'espace aérien, donnant un accès à internet dans les zones les plus reculées, les déserts, sur les océans, et offrant également des usages de résilience pour les grandes entreprises. Nous avons sur ce segment plus de mille clients, des institutions et des grandes entreprises, pour un chiffre d'affaires de 183 millions d'euros l'an dernier, en progression de 84 % sur un an, pour un chiffre d'affaires total d'Eutelsat à 1,2 milliard d'euros, avec une marge d'EBITDA de 54 %. Au total, la connectivité représente la moitié de notre chiffre d'affaires : 20 % par les compagnies aériennes et maritimes - des usages arrivent dans le domaine du ferroviaire -, 17 % par les gouvernements et 13 % par des services de connectivité fixe.

Nous sommes un acteur dual : le coeur de notre métier historique est constitué de services commerciaux et civils, mais nous opérons aussi des services plus critiques qui sont utilisés par des infrastructures vitales, des gouvernements et des forces armées.

Quelques mots sur le contexte géopolitique et économique feront mieux comprendre pourquoi Eutelsat est l'alternative européenne pour la connectivité par satellites. L'industrie spatiale fait l'objet d'une compétition mondiale très intense, où les acteurs investissent massivement dans les constellations en basse orbite. Les Américains dominent le secteur avec SpaceX, société intégrée avec Starlink, très fortement soutenue par la Nasa et le Pentagone, et qui a créé un modèle intégré, avec la conception, la fabrication, le lancement, les terminaux utilisateurs et la distribution directe. Un concurrent arrive, Amazon Leo, qui a exactement le même modèle. L'effet d'entraînement va être fort. Les moyens financiers mobilisés par ces entreprises sont sans commune mesure avec ceux des acteurs européens. Pour SpaceX seulement, on parle de plus de 15 milliards de dollars de subventions publiques, de contrats ou de financements divers obtenus de la Nasa et du Pentagone - ces sociétés n'étant pas cotées, il est difficile d'avoir des chiffres précis. Ce climat concurrentiel est à la fois prometteur et difficile. Prometteur, parce que cette révolution des satellites en basse orbite a créé un marché très dynamique, dont toutes les études prévoient une croissance de l'ordre de 12 % par an jusqu'en 2033. C'est une croissance importante sur un marché qui devrait peser 11 milliards de dollars pour la seule partie entreprise. C'est prometteur parce que cette connectivité devient indispensable pour des usages de résilience et de défense.

Eutelsat est particulièrement concernée, parce que nous sommes les seuls avec Starlink à être opérationnels, et nous voulons utiliser cette fenêtre que nous avons encore avant l'arrivée d'un nouveau concurrent américain et, potentiellement, de nouveaux concurrents chinois, qui sont tous massivement soutenus par leurs États. Nous nous battons dans ce contexte, en faisant valoir qu'Eutelsat est un atout stratégique pour la France et pour l'Europe, que nous sommes la seule alternative européenne opérationnelle. Nous avons une gouvernance stable et solide, une constellation LEO fonctionnelle et, ayant été les premiers à lancer ces satellites en bande Ku à cette altitude, nous avons aussi des droits de fréquence prioritaires, notamment par rapport à Starlink. Nous bénéficions de quarante ans d'expérience en tant qu'opérateur satellitaire et jouons un rôle central dans le programme européen Iris², l'avenir des satellites basse orbite pour l'Europe. Enfin, nous avons une empreinte commerciale forte en Europe et dans de multiples pays, plus de la moitié de notre chiffre d'affaires se situe hors d'Europe - nous réalisons 7 % de notre chiffre d'affaires en France. Le département de la Défense américain lui-même est client d'Eutelsat depuis de nombreuses années, cela illustre notre crédibilité et l'importance de disposer de solutions non seulement européennes, mais aussi non monopolistiques. Je signale aussi que nos services sont déjà massivement utilisés en Ukraine, preuve de ce positionnement unique.

Quels sont les grands enjeux devant nous ? Notre échelle doit être européenne. D'abord parce que les constellations basse orbite nécessitent des investissements très élevés et stratégiques ; certains pays voudraient disposer de leur propre constellation, mais il n'est pas dans l'intérêt européen de les dupliquer. L'autre enjeu est lié à la chaîne de valeur : nos concurrents américains contrôlant l'intégralité du cycle économique, de la fabrication au lancement, il nous faut renforcer nos partenariats avec les acteurs européens du spatial comme Airbus, Thales, Ariane, ou encore MaiaSpace, qui a pour vocation de construire de petits lanceurs réutilisables. Le partenariat européen est au coeur du projet de constellation européenne souveraine Iris², qui vise à fournir des services de connectivité à haut débit sécurisé, avec une constellation de satellites en orbite basse et moyenne - les satellites en orbite moyenne étant opérés par l'entreprise luxembourgeoise SES. Ce projet sera financé à hauteur de 10,6 milliards d'euros dans le cadre d'un partenariat public-privé : 6,6 milliards viendront de la Commission européenne et de l'Agence spatiale européenne (ESA), 2 milliards d'Eutelsat, le reste sera financé par les deux autres sociétés du consortium, l'opérateur espagnol Hispasat et nos collègues luxembourgeois de SES. Nous devons éviter les écueils des grands programmes européens que vous connaissez : la complexité, les surcoûts, la lenteur et la coopération parfois difficile entre les États. Nous devons mener à bien ce projet, car Iris² est le vecteur technologique du spatial pour une constellation qui doit être plus puissante et meilleure que celle que nous avons aujourd'hui. Les montants engagés, bien que très importants, restent modestes par rapport aux contrats gouvernementaux que des sociétés comme SpaceX obtiennent, par exemple dans le cadre du projet américain Starshield, un programme gouvernemental et militaire doté de 20 à 30 milliards de dollars de subventions. Il est donc urgent pour l'Europe et pour la France de préparer l'avenir et de ne pas dépendre seulement des États-Unis et de la Chine : c'est une question de souveraineté. Iris² est aussi un moyen de développer notre avenir et de rattraper certains retards technologiques sur des composants deep tech de ces satellites. Ce projet permettra à nos industriels les plus importants, comme Thales ou Airbus, mais aussi à des start-ups du New Space européen, de bénéficier de ces crédits et de développer les technologies dont nous avons besoin. Mais en attendant Iris², prévue pour 2030, la seule constellation souveraine, c'est la nôtre, celle d'Eutelsat.

Quelques mots sur ma feuille de route. Elle vise à installer Eutelsat comme leader européen de la connectivité et fer de lance des communications par satellite en Europe et dans le monde. Pour cela, il faut investir dans la constellation LEO. Les revenus qu'elle dégage devraient progresser de moitié dans les années qui viennent, après avoir enregistré une croissance de 84 % l'année passée et de 70 % cette année. Nous continuons à investir pour soutenir cette croissance, à hauteur de 1 à 1,1 milliard d'euros, pour remplacer nos 650 satellites, dont certains vieillissent. Notre objectif à moyen terme, d'ici à 2028-2029, est d'atteindre un chiffre d'affaires de plus de 1,5 milliard, contre 1,2 milliard aujourd'hui.

Les services au gouvernement sont au coeur de notre ambition et nous sommes devenus un acteur important de la base industrielle et technologique de défense. Nous venons de signer un contrat important - de 1 milliard d'euros - avec la DGA, baptisé « Nexus », qui s'étend sur dix ans et qui marque un tournant, car la France va combiner des capacités satellitaires militaires avec des capacités civiles que nous fournirons, sur un modèle qui existe déjà aux États-Unis. Ce contrat nous permettra de fournir des capacités sécurisées et prioritaires aux militaires français, mais aussi de renforcer la résilience de notre constellation sur les aspects cyber et de cryptage. Nous pourrons également y accoler des charges utiles à d'autres fins, y compris militaires.

Nous prévoyons d'investir pour près de 2 milliards d'euros entre 2026 et 2029. La majeure partie sera consacrée à notre constellation basse orbite pour assurer son fonctionnement, renforcer la qualité de service et la couverture mondiale face à l'augmentation de la demande. Nous avons déjà commandé 100 satellites de remplacement et nous prévoyons d'en acquérir 340 supplémentaires, fabriqués par Airbus à Toulouse. Cette démarche vise à augmenter notre capacité et à prolonger la disponibilité de notre constellation en attendant le déploiement du futur système européen Iris². À partir de 2028-2029, nous prévoyons d'investir 2 milliards d'euros supplémentaires dans la constellation Iris².

Quelques mots sur le plan de financement. La recapitalisation venant de nos actionnaires nous donnera une base solide. Nous avons exécuté une augmentation de capital réservée qui apporte à la société 828 millions d'euros, entièrement souscrite par nos actionnaires stratégiques : l'État français, l'État anglais, Bharti, CMA-CGM et le FSP. Nous sommes en cours d'exécution d'une deuxième tranche de 670 millions d'euros avec des droits préférentiels, qui s'adresse cette fois à l'ensemble des actionnaires d'Eutelsat, notamment aux petits porteurs. Notre flottant représente en effet à peu près 30 % du capital de la société, et il était légitime de donner la possibilité à ces actionnaires de participer à l'aventure. Avec cette augmentation de capital, l'État français va devenir notre premier actionnaire, à hauteur de 29 %, ce qui constitue un signal fort de souveraineté. Notre actionnariat reste international : l'État anglais conserve une présence forte de 11 % ; Bharti Telecom, groupe indien très présent en Inde et en Afrique, reste un actionnaire important et sera le deuxième de la société ; CMA-CGM, actionnaire historique, garde la hauteur de sa participation et s'engage fortement sur ce plan, tout comme le FSP, qui conserve sa place au conseil d'administration. Cet actionnariat est donc à la fois stable, puissant et reflète bien la dualité gouvernementale et commerciale de notre activité - son soutien est décisif pour la croissance que nous visons.

Madame la présidente, vous l'avez rappelé, j'ai fait toute ma carrière chez des opérateurs de télécoms et dans l'opérationnel, et j'y ai transformé, avec les équipes extraordinaires que j'ai eu la chance de côtoyer dans différents pays, et notamment en France, des structures au service des clients, tout en gardant la vision du marché.

Je vois trois leviers de transformation pour Eutelsat. D'abord, il faut accélérer la dynamique commerciale dans le B2B, le « business to business », auprès de nos très gros clients que sont les compagnies aériennes et maritimes - je pense que le ferroviaire va aussi beaucoup se développer, car la qualité du Wi-Fi dans les trains n'est pas encore à la hauteur. Nous devons également renforcer notre constellation pour garantir la continuité et la qualité du service. Troisième levier, nous allons stimuler l'innovation et les partenariats compétitifs. Nous travaillons non seulement avec les acteurs industriels de longue date dans le secteur spatial, mais aussi avec les nouveaux acteurs du New Space, ces start-ups porteuses d'innovation et de modèles disruptifs dont nous avons besoin.

Eutelsat est au coeur de la chaîne de la valeur spatiale. En tant qu'opérateur, nous faisons le lien entre les fabricants, les lanceurs et les applications technologiques. L'industrie spatiale européenne fait face à des coûts plus élevés et à une perte de compétitivité par rapport aux États-Unis. Les cycles de développement, qui restent très longs, doivent être raccourcis pour être plus en phase avec ce que nous voyons outre-Atlantique. Airbus est notre partenaire stratégique majeur : il était engagé dès le démarrage du projet OneWeb au Royaume-Uni en 2005 et il reste un fournisseur clé pour la première génération de cette constellation. Thales est aussi l'un de nos principaux fournisseurs, et l'entreprise est également, avec Airbus, au coeur du projet Iris².

Nous espérons que le projet de fusion Bromo, entre les segments « espace » de Thales, Airbus et Leonardo, permettra de créer un champion européen, vecteur de compétitivité grâce aux synergies, au partage des investissements et à des investissements forts dans les nouvelles technologies. L'écosystème du New Space sera lui aussi déterminant pour garantir la souveraineté du spatial en France et en Europe, et pour être au rendez-vous de nos concurrents américains et bientôt chinois.

Le défi est immense, mais l'opportunité est grande, elle aussi. Nous sommes face à des concurrents dotés de ressources quasi illimitées et de stratégies très agressives. Depuis quelques semaines, Starlink distribue gratuitement les terminaux en France, ainsi que leur installation. Nous devons maintenant démontrer qu'Eutelsat propose une solution européenne fiable, sécurisée, souveraine et en démontrer la valeur. La France joue un rôle essentiel dans cette bataille. La décision de l'État français de soutenir Eutelsat marque un tournant stratégique pour l'entreprise, car la connectivité spatiale n'est plus seulement une question commerciale et industrielle, c'est aussi une question d'indépendance pour nos pays. Nous sommes donc à ce moment unique de notre histoire, où nous nous battons pour prouver que nous sommes l'acteur le plus résilient et le plus adapté aux besoins de souveraineté spatiale dans le contexte géopolitique que nous connaissons.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci pour ce propos liminaire déjà très complet. Vous rappelez l'importance d'être unis à l'échelle européenne alors que, nous le savons, l'Allemagne paraît sur une position bien singulière.

M. Patrick Chaize. - Votre actualité immédiate est l'opération de recapitalisation de 1,5 milliard d'euros, au terme de laquelle l'État français détiendra 29 % du capital de l'entreprise, contre 13 % aujourd'hui. À quoi servira cette augmentation de capital ? Quels sont vos besoins en investissement pour maintenir la constellation OneWeb opérationnelle, alors que ces satellites ont une durée de vie d'environ sept ans et que les plus anciens ont été lancés en 2019 ? Tous les satellites que vous achèterez ont-ils vocation à être fournis par Airbus ? Enfin, quel est le nombre de satellites en jeu et pour quel montant ? Parallèlement, comment assurez-vous la soutenabilité de votre dette, qui s'élève à 2,7 milliards d'euros à la fin de l'année 2024 ?

Deuxième sujet : Eutelsat apparaît avant tout comme une entreprise franco-britannique, chacun des deux États possédant respectivement 29 % et 11 % de son capital après la recapitalisation. Alors que l'Allemagne paraît envisager de se doter de sa propre constellation en orbite basse et que l'Italie a été fortement tentée par un accord avec Starlink pour ses communications sécurisées, comment convaincre ces pays, mais aussi d'autres comme l'Espagne ou la Pologne, de rejoindre Eutelsat ? Y aura-t-il vraiment de la place pour plusieurs constellations concurrentes en Europe ? Une telle démarche n'entrera-t-elle pas en concurrence frontale avec Iris² ?

Mme Anne-Catherine Loisier. - Notre commission et celle des affaires européennes se sont beaucoup investies pour soutenir votre satellite Konnect VHTS, nous avons pris position à un moment où ce sujet n'était pas encore gagné. Le Sénat s'est également impliqué sur le projet Iris². Ces dernières années, le secteur satellitaire accélère, certainement en raison de la guerre en Ukraine et des tensions internationales, chacun comprend que le monde du spatial est aujourd'hui celui qui permettra de faire la différence.

Eutelsat est-il présent en Ukraine, alors que Starlink y est largement mobilisé ? Qu'en a-t-il été à Mayotte, après le passage du cyclone Chido ? Plus généralement, comment Eutelsat pourrait-il demain nous aider à résoudre des défis, y compris dans des situations de catastrophes naturelles ?

Vous avez évoqué votre endettement et vos projets de croissance. Je voudrais en savoir davantage sur le choix des lanceurs : quelle répartition entre SpaceX et Arianespace ? La connexion hybride GEO et LEO constitue-t-elle un avantage véritablement durable et votre recapitalisation vous permettra-t-elle de faire face aux enjeux d'investissement ?

Ces derniers mois, Air France a malheureusement choisi Starlink pour ses connexions Wi-Fi. Comment l'expliquez-vous ? Et comment faire pour que demain, la SNCF ou les grandes compagnies maritimes choisissent la technologie européenne ?

Enfin, le couple 5G et ce que l'on appelle les NTN, les Non-Terrestrial Networks, est une technologie d'avenir, Starlink en commercialise des abonnements, y compris en France. Comment vous inscrivez-vous dans ces nouvelles perspectives grand public ?

M. Jean-François Fallacher. - À quoi servira l'augmentation de notre capital ? Principalement à la commande de nouveaux satellites : nous en avons déjà commandé 100 et nous allons en commander 340 supplémentaires. Pourquoi ? Parce que ces satellites ont une durée de vie de sept à neuf ans, contre quinze à vingt ans pour les satellites géostationnaires, il faut donc les remplacer, ou bien il n'y a plus de service - nous lancerons les premiers lots de ces satellites dès la fin de l'année prochaine. Ensuite, cette augmentation de capital renforce notre bilan et va nous permettre de retravailler notre dette, que nous avons contractée par le passé à un niveau coûteux. L'agence Moody's vient de réévaluer notre note, c'est une bonne nouvelle et nous allons pouvoir renégocier de meilleures conditions d'endettement et baisser nos frais financiers, au bénéfice de nos investissements.

Notre premier actionnaire va devenir l'État français mais nous sommes d'abord une entreprise internationale, nos clients sont internationaux et notre chiffre d'affaires est surtout réalisé à l'export. Nous accueillerions volontiers d'autres États en plus de l'État britannique, au départ Eutelsat était une entité européenne, et nous nous appuyons sur le contrat avec le ministère de la défense pour nous rapprocher d'autres États européens. Deux autres acteurs importants du satellite sont dans notre capital : SES et Hispasat, qui sont également membres du consortium Iris², nous coopérons pour bâtir cette constellation européenne.

Y a-t-il de la place pour plusieurs constellations européennes ? Le ministère de la défense allemand paraît effectivement demander une constellation en orbite basse à des fins purement militaires et qui soit souveraine. Il ne m'appartient pas de commenter la décision d'un État partenaire, mais je rappellerai deux chiffres : avant que nous la rachetions, la constellation OneWeb représentait déjà un investissement de 7 milliards de dollars, réalisé par les fondateurs comme SoftBank, divers groupes américains, puis l'État anglais et l'opérateur indien Bharti - et sa réalisation avait pris huit ans, entre le projet, initié en 2015, et l'exploitation commerciale en 2023. Il faut du temps, ces constellations ne sont pas seulement constituées de satellites mis en orbite, il faut également disposer d'un segment sol qui fonctionne - nous en avons 41 pour la nôtre, chacune est constituée de 8 à 12 antennes qui suivent les satellites, elles sont réparties sur les cinq continents pour disposer d'une couverture terrestre complète : tout cela prend du temps, ces stations terrestres sont implantées sur des sites isolés, il faut y apporter les réseaux, des fibres redondantes qui portent beaucoup de trafic, et les relier à un « backbone » mondial. Il faut, encore, obtenir les fréquences et disposer des antennes clients, ces antennes plates qui sont des « phase arrays », c'est-à-dire des micro-antennes déphasées qui créent un faisceau virtuel. Les satellites en orbite basse sont nombreux et vont très vite : nous avons 12 orbites qui passent par les pôles avec plus de 50 satellites chacune, ils font le tour de la planète en moins de deux heures. Les constellations demandent donc des moyens colossaux et du temps, il serait dommage que l'Europe se disperse et se lance sur des projets concurrents ; nous disons aux entreprises allemandes avec qui nous sommes en relation, que le projet européen Iris² est un cadre idoine pour se développer et que nous avons, avec Eutelsat, des solutions concrètes à apporter.

Nous sommes très présents en Ukraine, nous y avons vendu toute la capacité de notre constellation OneWeb, nous y avons donc plusieurs milliers d'antennes actives...

M. Daniel Fargeot. - Qui paie ?

M. Jean-François Fallacher. - Nous sommes passés par un distributeur allemand. Nous avons des discussions avancées avec la Commission européenne pour fournir aux Ukrainiens de la connectivité géosatellitaire, dans le cadre du même dispositif que le projet Iris². Nous avons rencontré le ministère de la défense ukrainien à Bruxelles, avec la Commission, nous avons de quoi intensifier notre présence, il y a encore de la marge de manoeuvre. Cependant, nous n'avons pas une place aussi importante que Starlink, qui a plus de capacité que nous - ses satellites se situant à 600 km et les nôtres à 1200 km, il lui en faut davantage que nous pour une même couverture, mais ses capacités vont bien au-delà, ce qui est décisif puisque le nombre de satellites détermine le nombre d'antennes qu'on peut faire fonctionner sur le terrain.

Quelle est notre offre grand public ? Nous sommes présents à travers notre satellite KVHTS et l'offre satellite d'Orange en France, mais nous ne voulons pas investir ce segment pour OneWeb, pour la simple raison que nous n'y serions pas compétitifs face à Starlink dont l'offre bénéficie de son échelle. En revanche, pour le monde des grandes entreprises et de la défense, nous sommes capables de créer des réseaux privés virtuels et de faire de la cybersécurité. Nous avons des partenaires forts, interconnectés, qui nous permettent de nous adapter à des métiers spéciaux : le maritime, avec des partenaires comme Marlink ou Speedcast ; l'aérien, avec des antennes très spécifiques qui nécessitent des validations avec les constructeurs et une nouvelle validation de l'avion une fois l'antenne posée. Nous avons aussi des partenaires spécialisés qui disposent de forces d'intervention dans tous les aéroports du monde. Nous travaillons donc beaucoup avec des partenaires qui ne se contentent pas de revendre nos services, mais qui sont interconnectés à notre backbone et capables de rendre des services. Notre technologie a été conçue pour le monde de l'entreprise, pour les gouvernements, voire le secteur militaire, c'est là que nous avons des atouts de vente et que nous pouvons continuer à nous battre. Aujourd'hui, nous n'avons donc pas vocation à aller sur le segment grand public, d'autant que toute offre devrait être mondiale : nous avons l'autorisation de 180 pays, c'est encore une barrière à l'entrée que nous avons franchie et qui nous permet de vendre nos services aux entreprises et aux institutions publiques, mais nous ne sommes pas compétitifs pour une offre grand public.

S'agissant des lanceurs, SpaceX et Falcon 9 sont incontournables, car ils ont une capacité et une régularité de lancement très importantes. Nous donnons la priorité à Ariane et à son futur lanceur, nous allons aussi passer par le petit lanceur français Maia pour remplacer nos satellites - il faut savoir qu'avec Ariane, on lance 90 satellites à la fois, avec SpaceX, 45, et qu'on recourt à de petits lanceurs comme Maia lorsqu'on a seulement quelques satellites à lancer, c'est le cas pour les remplacements. Nous privilégierons Ariane et Maia, mais nous devrons compléter par d'autres. Nous voulons aussi signer des accords avec d'autres lanceurs - nous avons notamment lancé dans le passé avec des Indiens - afin de disposer d'alternatives en cas de sujets de souveraineté avec les lanceurs américains.

Vous avez abordé le sujet clé de la 5G dite non terrestre et la capacité des acteurs satellitaires à compléter le réseau mobile terrestre. Eutelsat n'est pas dans cette activité. Nos satellites et la constellation OneWeb fournissent un accès à très haut débit mondial, mais pas la possibilité de communiquer avec les mobiles. Starlink en est capable, avec une constellation dédiée de plus de 600 satellites et l'entreprise a acheté pour 17 milliards de dollars de fréquences aux États-Unis à la société Echostar, pour s'assurer une autonomie par rapport aux acteurs des télécoms américains et pouvoir vendre des services mobiles directement. Dans la corbeille d'Echostar se trouvent aussi des fréquences européennes, dites bande S de 2 gigahertz, elles seront remises en compétition en 2027, ce sera un point de passage important. Je ne vous dis pas qu'un tel projet n'est pas dans nos cartons, mais nous devons composer avec nos moyens financiers qui, pour être importants, ne sont pas illimités et nous ne voulons pas courir plusieurs lièvres à la fois, mieux vaut nous concentrer sur ce que nous faisons aujourd'hui et sur ce que nous voulons faire.

Un point sur notre présence à Mayotte. Nous n'avions pas de couverture OneWeb lorsque le cyclone Chido s'est déchaîné sur l'île, parce que la station terrestre qui doit permettre la couverture de cette partie du monde, située en Tanzanie, a pris du retard. En fait, il nous manque encore trois stations terrestres pour compléter notre couverture de la planète : une station au Sénégal, elle est réalisée par Sonatel, du groupe Orange, et sera opérationnelle à la fin du premier trimestre 2026 ; une station en Tanzanie, celle qui permettra de couvrir Mayotte, et dont la mise en service est prévue au début du deuxième semestre 2026 ; enfin, une station dans les îles Marshall, qui devrait être opérationnelle fin 2026 - nous aurons alors comblé les trous que nous déplorons aujourd'hui dans la zone d'Afrique de l'Est et nord Madagascar, donc Mayotte, dans une zone d'Afrique de l'Ouest autour du Sénégal, et dans le Pacifique Sud.

La combinaison des orbites moyenne et basse est-elle pérenne ? Elle a des avantages, en particulier parce qu'avec les satellites en orbite basse, qui passent très vite, les antennes des clients doivent faire ce qu'on appelle du roaming, changer de satellite environ toutes les trois minutes ; cela peut entraîner des microcoupures, qui peuvent gêner quand elles deviennent importantes ; à l'inverse, le satellite géostationnaire présente une latence forte, mais il est très stable, sans roaming : les deux systèmes sont complémentaires et il est intéressant de les combiner pour certains usages, en particulier maritimes ou aériens, et pour la résilience de l'ensemble puisque si l'un a un problème, l'autre peut prendre la relève. Cependant, la connectivité géostationnaire va décroître, nous espérons qu'elle restera à un plateau, il faut être prudent en la matière - nous pensons que le marché de la diffusion vidéo par satellite géostationnaire va rester, jusqu'à une couverture complète par les mobiles, qui connaît une compétition particulièrement rude.

M. Gérard Lahellec. - Sénateur des Côtes-d'Armor, je suis voisin de Lannion et de Pleumeur-Bodou, petite commune connue pour son magnifique radôme, qui abritait la première liaison intercontinentale en 1962.

Notre culture territoriale est marquée par l'histoire des télécoms et nous sommes sensibles à l'univers fascinant des activités satellitaires : il y a une part de rêve, nous en avons grandement besoin. Vous jouez un rôle structurant dans la souveraineté européenne, ce qui est essentiel. J'ai malheureusement sous les yeux, dans mon Trégor, quelques exemples douloureux de restructurations qui bouleversent lourdement le paysage du numérique, en particulier les décisions récentes de Nokia et d'Ericsson, les deux seuls équipementiers de téléphonie qui subsistent en Europe. Cela crée de l'inquiétude, de l'émotion et appelle à la responsabilité.

Votre activité est un atout que nous devons valoriser et conforter, dans un contexte où la concurrence est rude - le mot est peut-être faible, face à la domination américaine, à l'arrivée d'Amazon et à l'émergence de constellations chinoises. En attendant la finalisation d'Iris², vous êtes la seule alternative à Starlink, qui a aussi été un outil diplomatique unilatéral des Américains en Ukraine, ce qui n'a pas été votre cas. Cela pose la question de la gouvernance, car la nature duale de l'infrastructure, conçue à la fois pour des communications gouvernementales sécurisées et pour le numérique civil, est un enjeu : qu'en pensez-vous ?

Vous parlez d'investissement stable avec Airbus et Thales, c'est une bonne chose, il faut une préférence européenne : pensez-vous que ce soit possible, avec les financements dont nous aurions besoin jusqu'en 2031 ?

M. Christian Redon-Sarrazy. - Que pensez-vous de votre niveau de coopération avec l'État ? Votre constellation est-elle une alternative crédible et souveraine face à vos concurrents actuels et futurs ?

M. Bernard Buis. - Eutelsat vient d'inaugurer avec Orange un téléport au Lamentin, en Martinique, pour assurer la liaison avec votre constellation OneWeb. Prévoyez-vous d'en implanter dans d'autres territoires ultramarins et, si oui, avec quels objectifs ?

M. Jean-François Fallacher. - Pour que la couverture de notre constellation soit mondiale, nous avons besoin de 44 stations d'antennes sur terre ; nous en avions 39 lorsque j'ai rejoint la société en juin dernier, nous en sommes à 41 et nous planifions d'atteindre 44 à la fin de l'année prochaine. La station installée à la Martinique fait partie de notre plan d'ensemble, elle a été réalisée par Orange et livrée il y a un peu plus d'un mois, elle assure la couverture d'une partie du continent latino-américain et de toutes les Caraïbes. Une station vient d'être livrée en Arabie saoudite, elle couvre le canal de Suez, décisif pour le secteur maritime. Les prochaines stations seront livrées au Sénégal, en Tanzanie et dans les îles Marshall.

Je qualifie volontiers d'excellentes les relations que nous entretenons avec l'État. Nous avons des discussions quotidiennes avec le ministère de la défense et avec la DGA pour voir comment étendre l'usage de notre constellation et comment utiliser nos futurs lancements pour embarquer des charges utiles qui auront des missions de recherche, d'observation, voire plus militaires. Je suis très satisfait également de la façon dont l'État s'implique dans le projet Iris².

Quand Elon Musk a fermé Starlink en Ukraine puis qu'une deuxième fois, il a menacé de le faire à nouveau, chacun a pris conscience de notre dépendance européenne, un peu comme pendant la crise sanitaire pour nos approvisionnements - et Eutelsat est apparu à tous comme la seule alternative pour un réseau satellitaire européen. Le conflit ukrainien a aussi démontré l'importance des instruments civils dans les combats, parce qu'ils sont bien moins chers alors que la durée de vie de ces équipements, même quand ils sont militaires, est très faible sur le champ de bataille. C'est ce qui a aussi conduit la DGA à prendre en considération la constellation Eutelsat OneWeb, pour des fins militaires. Nos outils servent également à des usages non belliqueux, par exemple les contrats importants que nous avons avec le ministère américain de la défense pour ce que les Américains appellent le « soldier entertainment » : des soldats américains, à l'étranger, peuvent utiliser Eutelsat pour contacter leur famille ou regarder Netflix, c'est un usage non militaire mais important pour les armées.

L'intérêt des ministères de la défense pour nos satellites est notable en Europe et au-delà, en particulier dans les pays qui cherchent une alternative aux produits américains, comme le Canada ou le Groenland. Le conflit ukrainien a montré que des moyens civils pouvaient être utilisés sur le front, ce qui constitue peut-être une nouvelle doctrine.

M. Pierre Cuypers. - Notre économie s'appuie entièrement sur l'ensemble de ces réseaux et, sans faire de la science-fiction, quelle vous paraît la fragilité de vos réseaux de satellites ? Avez-vous un pare-feu en cas de conflit ? Que se passe-t-il en cas d'attaque ?

M. Marc Séné. - Ma question porte également sur la sécurité. Les besoins souverains, civils comme militaires, nécessitent des garanties très élevées en matière de sécurité des communications, de résilience des réseaux et de protection des infrastructures critiques. Les menaces cyber, l'exposition au brouillage et la vulnérabilité des constellations multiplient les risques. Quelles garanties concrètes êtes-vous en mesure d'apporter aux autorités françaises et européennes pour assurer un niveau de cybersécurité, d'intégrité et de résilience conforme aux besoins souverains ?

M. Daniel Fargeot. - Vous êtes dans la position de David contre Goliath, le géostationnaire décline, vous êtes très endetté, votre refinancement va vous permettre d'investir environ 4 milliards d'euros et votre chiffre d'affaires se situe autour de 1,5 milliard ; vous allez bientôt devoir affronter de nouveaux concurrents, en particulier Amazon, qui déploie 2 300 satellites pour vendre ses premiers services d'ici à la fin de l'année. Dans ces conditions, votre modèle sera-t-il en mesure de faire face à une concurrence qui s'accélère avec Amazon, l'Inde et la Chine, lesquels disposent de moyens financiers bien plus importants que vous ? Pourquoi rester focalisé sur le B2B et ne pas investir sur le grand public ? Ne trouvez-vous pas dangereux d'être dépendant de SpaceX pour vos lanceurs ?

M. Jean-François Fallacher. - Nos relations avec l'État sont excellentes sur les sujets de défense, nous travaillons avec l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi) et la direction générale de la sûreté nationale (DGSN), en particulier sur les sujets de cyberdéfense. Nous réalisons des audits réguliers, de nouvelles modalités figurent dans le contrat Nexus que nous avons signé avec le ministère de la défense, sur la sécurité physique de nos sites et sur la sécurité électronique et cybernétique de nos systèmes. C'est un sujet majeur, nous y investissons beaucoup.

Vous m'interrogez sur le brouillage, je ne saurais entrer ici très avant sur le sujet. On a vu en Ukraine l'importance du brouillage des GPS sur le champ de bataille. Or, nos antennes peuvent être connectées à un autre système que le GPS, moins facile à brouiller, c'est un avantage. Nous en avons vendu beaucoup sur le front ukrainien, notamment au ministère de la défense américain. Cela fait partie des aspects que nous examinons très précisément et sur lesquels nous avons commencé à développer une certaine expertise.

Pour les satellites, le scénario catastrophe principal est celui des débris, il est équivalent pour toutes les constellations en basse orbite. Chez Eutelsat, nous portons une attention toute particulière à ce sujet, car le pire qui puisse arriver est qu'un objet explose à notre altitude de croisière. Un satellite OneWeb se déplace à 17 000 kilomètres par heure ; un boulon qui le percute à cette vitesse le fait exploser, ce qui en fait exploser d'autres, puisqu'ils sont tous à la même altitude. Nos équipes surveillent en permanence les trajectoires de nos satellites par rapport aux bases de données de débris. Elles sont à même, si nous entrons dans le rouge, de modifier légèrement la trajectoire d'un satellite pour minimiser la probabilité de collision. Nous prêtons également une grande attention à la sécurité de nos stations terrestres, qui sont des points de vulnérabilité.

Notre modèle économique n'inclut pas le grand public, simplement parce que nous n'avons pas les armes, la taille, ni la capacité de nous battre sur ce segment. Je le connais bien pour avoir passé trente ans chez Orange, à travailler l'offre en direction du grand public : il faut des moyens colossaux en termes de distribution et de prix. Nous voulons rester sur le segment de la grande entreprise, ce marché pèsera 11 milliards de dollars en 2033, ce n'est pas une niche - et c'est suffisant pour notre développement. Nous voulons rester focalisés et continuer à générer de la croissance, nous avons des arguments concurrentiels par rapport à Starlink. Nous estimons que nous avons une fenêtre jusqu'à fin 2026, avant l'arrivée d'Amazon et des constellations chinoises, qui seront très offensives en Asie-Pacifique et en Afrique.

M. Henri Cabanel. - La souveraineté européenne ne dépendra-t-elle pas surtout de la stratégie politique et diplomatique française pour convaincre les autres pays d'Europe de faire une constellation européenne ? La bataille se jouera sur la compétitivité, il faut investir des dizaines de milliards d'euros, les Britanniques et Français ne peuvent rivaliser seuls avec Starlink, Amazon ou les Chinois, qui ont une capacité à investir bien plus importante que la nôtre : qu'en pensez-vous ?

Ensuite, quelle politique de lobbying menez-vous pour convaincre les autres entreprises, notamment européennes, de vous suivre dans votre stratégie ?

Mme Marie-Lise Housseau. - La Russie, au début de la guerre en Ukraine, a fait exploser l'un de ses propres satellites. Quelles alliances avez-vous au niveau européen, ou même avec les États-Unis, pour protéger les satellites en cas de conflit de plus grande ampleur ? Que se passerait-il si certains de vos satellites étaient détruits ? Quelles en seraient les conséquences pour le tissu économique en France et en Europe ?

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - La conférence ministérielle de Brême a abondé le budget de l'ESA. L'Allemagne a confirmé un investissement beaucoup plus important que celui que la France aurait dû consentir pour maintenir son positionnement. Cela est-il de nature à vous inquiéter ou à avoir des répercussions sur vos activités ?

M. Jean-François Fallacher. - Je souscris entièrement à votre propos sur l'importance de la diplomatie française ; elle est très active, et nous sommes très satisfaits du soutien que nous apporte le gouvernement français sur tous les plans, y compris celui-là. Pour les moyens, nous comptons beaucoup sur le projet Iris² ; il représente 4 milliards d'euros d'investissement privé, apportés en grande partie par Eutelsat, mais aussi par SES, notre concurrent luxembourgeois, et par Hispasat. L'ESA contribuera à hauteur de 2,6 milliards d'euros, ces fonds proviennent de tous les pays européens, notamment de l'Allemagne. L'ESA vient de voir son propre budget progresser de 17 %, c'est une très bonne nouvelle ; l'Allemagne s'y engage plus qu'avant, c'est aussi le signe qu'elle entend avoir des retombées industrielles dans le spatial. L'Italie est également présente, notamment à travers Telespazio et des entreprises italiennes du domaine spatial. L'ensemble constitue un signal fort de l'engagement européen dans le spatial.

Quant au scénario d'agression militaire sur nos constellations de satellites, je ne vais pas en dire beaucoup, mais vous devinez facilement que nous sommes très contents d'avoir signé un contrat avec la DGA et le ministère de la défense.

Sur la question des débris, nous suivons en temps réel ce qui se passe dans l'espace, grâce à des sociétés spécialisées qui mesurent et traquent les trajectoires des débris. Nous sommes préparés à des scénarios où nous perdrions quelques satellites, c'est une raison pour laquelle nous en avons en « backup », pour avoir des capacités de remplacement.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente, rapporteur. - Merci de votre disponibilité.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Proposition de loi visant à conforter l'habitat, l'offre de logements et la construction - Désignation de rapporteurs

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - J'ai déposé avec le président Darnaud, la proposition de loi n° 171 (2025-2026), visant à conforter l'habitat, l'offre de logements et la construction. Elle sera inscrite à l'ordre du jour de la séance du 13 janvier prochain. En conséquence, le délai limite pour le dépôt des amendements de commission sera fixé au mardi 23 décembre à midi et nous examinerions le texte en commission le mardi 6 janvier dans l'après-midi.

Pour le rapporter, je vous propose la candidature de Mmes Sylviane Noël, Amel Gacquerre et de M. Marc Sené.

Il en est ainsi décidé.

Actualisation du rapport d'information n° 528 (2018-2019) : « La France, un champion agricole mondial : pour combien de temps encore ? » - Désignation d'un rapporteur

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je vous propose de désigner un rapporteur pour actualiser le rapport d'information n° 528 (2018-2019) : La France, un champion agricole mondial : pour combien de temps encore ? qui avait été présenté en 2019 par Laurent Duplomb - en particulier les chiffrages relatifs à notre dépendance aux importations et à la compétitivité de la « ferme France ». Les conclusions de cette mission sont attendues pour janvier 2026.

Je vous propose de confier à nouveau cette mission à M. Laurent Duplomb, en sa qualité de président du groupe d'études Agriculture, élevage et alimentation.

Il en est ainsi décidé.

La réunion est close à 11 h 20.