Mercredi 17 décembre 2025
- Présidence de Mme Anne-Catherine Loisier, présidente -
La réunion est ouverte à 17 heures.
Représentants de consommateurs - Audition de Mme Marie-Amandine Stévenin, présidente de l'UFC - Que Choisir, M. François Carlier, délégué général de CLCV (Consommation, logement et cadre de vie), Mme Nadia Ziane, directrice du service juridique et défense des consommateurs auprès de la Fédération nationale Familles Rurales, et M. Olivier Dauvers, journaliste spécialiste de la consommation et de la grande distribution, animateur du blog Le Web Grande Conso
Mme Anne-Catherine Loisier, présidente. - Mes chers collègues, je vous remercie pour votre mobilisation. Nous recevons aujourd'hui : Mme Marie-Amandine Stévenin, avocate et, depuis un peu plus de deux ans, présidente de l'UFC - Que Choisir ; M. François Carlier, délégué général de la CLCV et ancien directeur des études et de la communication de l'UFC - Que Choisir ; Mme Nadia Ziane, directrice du service juridique et du département Consommation de Familles rurales, la troisième plus grande association de défense des consommateurs ; et M. Olivier Dauvers, ingénieur agricole, éditeur et journaliste spécialiste de la consommation et de la grande distribution, qui intervient régulièrement dans plusieurs émissions de télévision et anime le blog « Le Web Grande Conso ».
Cette table ronde correspond à la première de nos auditions. Nous avons choisi de les débuter en recueillant le point de vue des consommateurs. Il ne s'agit pas d'un hasard, mais d'un choix politique.
Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête sera passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du Code pénal, soit 75 000 euros d'amende et jusqu'à cinq ans d'emprisonnement, voire sept ans en fonction des circonstances. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Veuillez lever la main droite et dire « Je le jure ».
Mme Marie-Amandine Stévenin, M. François Carlier, Mme Nadia Ziane et M. Olivier Dauvers prêtent serment.
Je vous prierai par ailleurs de nous faire part, le cas échéant, de vos liens d'intérêts avec certains acteurs économiques.
Le Sénat a constitué, le 25 novembre dernier, cette commission d'enquête, qui poursuit plusieurs objectifs : éclairer les citoyens et la représentation nationale sur la construction des prix dans notre pays, qui demeure opaque malgré les récentes avancées législatives ; analyser l'influence des acteurs de la chaîne sur le niveau des prix pour le consommateur et leur caractère inflationniste ou non ; examiner le partage de la valeur, tout au long du processus de production et de commercialisation des produits, afin de s'assurer de son caractère équitable et durable pour les acteurs de l'économie ; nous assurer que les fournisseurs en amont, notamment les agriculteurs pour les produits alimentaires, mais pas seulement, bénéficient d'une rémunération la plus juste possible.
L'objectif de nos auditions est de mieux construire les prix de vente et de mesurer l'impact concret de leur construction sur nos concitoyens en tant que consommateurs.
Nous souhaitons vous interroger sur la construction des prix de vente au détail, l'influence respective de chacun des acteurs de la chaîne de valeur sur les prix, et le rôle de la grande distribution, souvent pointé du doigt. Vous pourrez aussi revenir sur les lois Égalim (pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous), et le degré auquel elles ont pu réduire l'opacité autour de la construction des prix. Les dispositifs issus de cette loi étaient en effet censés permettre la construction du prix en marche avant, depuis l'agriculteur ou le producteur jusqu'au distributeur. Nous aborderons évidemment le relèvement du SRP+ 10, l'encadrement des promotions, la sanctuarisation de la matière première agricole, ainsi que la prise en compte des indicateurs de référence dans les coûts de production.
Vous présenterez d'abord les enjeux majeurs que vous avez identifiés en matière de marge et de négociation commerciale avant que les membres de la commission vous adressent leurs questions.
Mme Marie-Amandine Stévenin, présidente de l'UFC - Que Choisir. - Je vous remercie d'avoir convié devant cette commission d'enquête les associations de consommateurs pour porter la voix de ces derniers sur le sujet des marges dont ils paient le prix. J'aimerais rappeler que, dans le budget des ménages, le poste alimentation se classe par ordre d'importance tout de suite après le logement. Il peut atteindre jusqu'à 18 % du budget des ménages modestes. À l'instar des frais de logement, il s'agit d'une dépense contrainte. Dans le contexte actuel de crise économique, certains se voient malheureusement dans l'obligation d'arbitrer leurs dépenses et donc de sauter des repas, ce qui n'est pas entendable.
Nous avons constaté une inflation considérable depuis 2020, année de la pandémie de Covid, suivie par une crise énergétique liée à la guerre en Ukraine. Ces événements conjoncturels ont pris fin depuis, or les prix n'ont pas reculé pour autant. De fait, quand l'inflation baisse en passant de 18 % à 2 % ou 3 %, les prix se maintiennent à un haut niveau. Certains prix baissent toutefois sans que le consommateur en profite, ce qui nous amène à nous interroger.
La matière première agricole ne représente que 10 % du coût total de l'alimentation ultra-transformée. Ses coûts résident dans les marges, notamment de la grande distribution. Le Parisien a publié en 2024 des chiffres à ce propos. La grande distribution a pour politique d'appliquer les marges les plus réduites possible sur des produits d'appel transformés voire ultra-transformés attirant le chaland comme de la pâte à tartiner au chocolat, du soda ou du camembert. En revanche, des marges très élevées, allant de 30 % à 40 % au moins, sont prélevées sur les autres produits. En somme, la grande distribution opère une péréquation de ses marges, dont la moyenne pourrait sembler raisonnable, alors qu'elles varient considérablement d'un rayon à l'autre.
Plus grave encore, les marges les plus élevées portent sur les produits bruts non transformés. Cette question touche à un enjeu de santé. Selon le rapport de 2022 de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, les fruits frais peuvent être grevés de marges atteignant les 40 %. Pour certains légumes, les marges s'élèvent même à 67 %. Du fait de l'équilibre financier recherché par la grande distribution, les produits bruts, sains, de saison et locaux, qui seraient donc à privilégier, donnent lieu au prélèvement de la marge la plus importante, en compensation des marges faibles sur les produits trop gras, trop sucrés et trop salés, dont la consommation est à limiter. La politique de marges de la grande distribution n'oriente donc pas le consommateur vers les bons produits.
Une étude que nous avons conduite en 2019 - et qui sera mise à jour en 2026 si les circonstances le permettent - indique qu'un kilo de pommes conventionnelles vendu à 2,04 euros est payé 1,06 euro à l'agriculteur ; la grande distribution prélevant une marge brute de 87 centimes. Un kilo de pommes bio vendu 4,19 euros est en revanche payé 1,80 euro au producteur, de sorte que la marge brute de 2,17 euros dépasse le prix de la matière agricole. Bien des rapports ont révélé que le rayon fruits et légumes vise à combler le déficit d'autres rayons. Il y a lieu de s'interroger sur la pertinence de conserver ces rayons déficitaires dans le modèle économique de la grande distribution.
L'UFC - Que Choisir dispose malheureusement de peu de données sur la construction des prix, dont le consommateur n'est quant à lui pas du tout informé, n'ayant dès lors pas conscience de ce qui se joue. Il importe de trouver des solutions. L'une, portée par l'UFC - Que Choisir, concerne le SRP+ 10. Nous avons conduit une étude sur l'impact et donc le ruissellement de ce SRP+ 10. Manifestement, il a raté sa cible. La crise agricole de l'an dernier a montré que beaucoup d'agriculteurs ne parviennent pas à vivre de leur production, alors même que bien des consommateurs ne peuvent plus se permettre d'acheter certains produits en supermarché. Rappelons que 30 % des fruits et légumes sont vendus par la grande distribution. Partant du constat de l'inefficacité du SRP+ 10, nous demandons son abrogation. Nous sommes certes conscients que cette abrogation n'est pas à l'ordre du jour.
Nous suggérons à la commission d'analyser la construction des prix de détail et des marges, catégorie par catégorie, en distinguant les produits bruts des produits transformés, d'une part, et d'autre part, les marques de distributeur des grandes et des petites marques. Un tel travail d'enquête permettrait de vérifier la bonne application du SRP+ 10. La mise en oeuvre de certains mécanismes économiques, de facturations de services notamment, pourrait en effet réduire la marge déjà très faible que prélève la grande distribution sur les produits transformés. Nous vous conseillons dans tous les cas de vous concentrer sur la dichotomie en termes de marges entre les produits les plus sains, en particulier les fruits et légumes et les produits bio, et ceux qu'il est recommandé de consommer le moins possible.
M. François Carlier, délégué général de CLCV (Consommation, logement et cadre de vie). - Une analyse de la CLCV de 2023, conduite en pleine inflation générale, faisait état d'une crainte que l'inflation s'installe durablement dans le secteur alimentaire plus que dans d'autres domaines. Cette perspective s'est malheureusement confirmée. Le fonctionnement des marchés des matières premières agricoles n'a pas suivi celui des autres commodités telles que l'énergie. Prenons l'IPA (Indice des prix agricoles). Sa courbe, après avoir fortement monté, n'a pas beaucoup redescendu, contrastant avec la franche baisse qu'ont connue les prix de l'énergie. L'IPAMPA (Indice mensuel des prix d'achat des moyens de production agricole) reflétant l'ensemble des coûts supportés par les agriculteurs en termes d'intrants notamment a, dans un premier temps, entraîné par l'inflation des matières premières, suivi l'évolution des prix agricoles jusqu'à son pic. Plus récemment, les prix des intrants ont cependant diminué, alors que les prix agricoles restent hauts. Les données sur lesquelles je m'appuie ont été recueillies de 2021 à octobre 2025.
À l'encontre d'une idée reçue, d'un point de vue historique, l'environnement de rentabilité des agriculteurs apparaît plutôt satisfaisant. L'environnement de prix des agriculteurs leur est plutôt favorable, ce qui ne signifie pas qu'ils ne rencontrent pas de difficultés par ailleurs. Les capacités de production agricoles en France et en Europe ont diminué, ce qui a tendu le marché. Une hausse des prix en a mécaniquement résulté. Logiquement, la hausse des prix aurait dû entraîner l'installation de nouveaux agriculteurs, mais cela n'a pas été le cas. Les prix des céréales ont certes chuté, les céréales se comportant comme les autres commodités telles que l'énergie. Pour ce qui concerne la viande et le lait, en revanche, les capacités de production n'ont cessé de se tendre depuis vingt ans, sans augmenter à la suite des prix. Les prix restent donc hauts et ceci suscite de l'angoisse à la CLCV, qui ne s'attend pas à les voir diminuer. Il importe de réfléchir aux moyens de retisser les capacités de production. Leur stagnation nous semble le signe d'une désaffection pour le secteur.
Une problématique touche bel et bien aux marges des industriels. Les prix des matières premières ayant beaucoup augmenté, les marges ont d'abord baissé, lorsque les industriels ont absorbé cette hausse, avant un franc rattrapage en décalage. Nous tenons un discours nuancé à ce sujet : l'environnement de prix élevé des matières premières a créé chez les consommateurs des changements de seuils psychologiques de prix, qui ont entraîné les industriels à rattraper leurs marges et probablement à privilégier des comportements opportunistes. Dans l'ensemble, le prix des matières premières reste le plus problématique dans le portefeuille du consommateur.
Les secteurs alimentaires sont plus concentrés qu'on ne le croit. Les marques sont nombreuses, mais elles n'appartiennent qu'à un nombre réduit de grands groupes. L'Autorité de la concurrence a prononcé, ces dix dernières années, dans le domaine de la grande distribution, plusieurs condamnations pour entente sur les prix. Unitairement, ces prix ne sont pas très élevés, de sorte que, s'ils augmentent par suite d'une entente, cette hausse passe relativement inaperçue. Les enquêtes de l'Autorité de la concurrence l'ont clairement montré.
Nous n'avons pas constaté d'abus sur les marges des distributeurs, encore que la remarque vaille moins pour les industriels. Les dispositions de la loi Égalim, dont le SRP+ 10, datent d'une période où les prix étaient encore bas et où le besoin se faisait jour de parvenir à un accord. Dans un certain contexte, ces dispositions se justifiaient, mais, une fois l'environnement modifié, elles n'ont plus lieu d'être. De fait, elles ont rigidifié la situation en ajoutant de la marge à la marge. La logique aurait voulu que ces seuils soient remis en cause. L'argument des syndicats agricoles ne tient pas. Je rappelle que l'environnement de prix n'est pas défavorable aux agriculteurs. Au nom du pouvoir d'achat des Français, lourdement impacté par les lois Égalim - et je songe en particulier aux ménages les plus modestes - il conviendrait de revenir sur ses dispositions.
À la CLCV, nous avons mené une enquête en septembre sur les catalogues des promotions distribués à la sortie des supermarchés. Les chips, la charcuterie et le Nutella y sont mis en avant. De fait, les promotions portent uniquement sur des aliments notés D ou E au Nutriscore. Nous ne prétendons pas qu'elles devraient porter exclusivement sur des produits bio ou notés A, mais, en tout état de cause, un équilibre serait préférable. Appliquer des promotions sur des produits mauvais pour la santé adresse en effet un signal néfaste aux consommateurs.
Mme Nadia Ziane, directrice du service juridique et défense des consommateurs auprès de la Fédération nationale Familles Rurales. - J'aimerais aborder un sujet qui ne l'a pas encore été, à savoir l'accès à l'alimentation saine, qui devient un problème de santé publique. Familles Rurales étudie depuis vingt ans combien cela coûte à une famille de quatre personnes de se nourrir en suivant les recommandations du Plan national nutrition santé (PNNS), qui préconise de manger quatre cents grammes de fruits et légumes par jour. Aujourd'hui, seuls un enfant et trois adultes sur dix respectent ces recommandations. De manière concomitante, nous observons le développement de pathologies liées à une alimentation inadaptée.
Famille Rurales a cherché des solutions à ce problème. Nous n'avons pas réussi à composer un panier de produits conforme au PNNS à moins de 533 euros par mois pour une famille de deux adultes et deux enfants, sachant qu'une telle somme représente une part quasiment inabordable d'un SMIC. Les enjeux du problème dépassent la question de la construction des marges en France. La situation actuelle porte atteinte à l'accessibilité des produits dont chacun a besoin pour être en bonne santé.
Famille Rurales est membre de l'Observatoire de la formation des prix et des marges. Un problème d'opacité se pose en France, où les données disponibles à propos des marges demeurent insuffisantes. Prenons l'exemple des fruits et légumes. Je m'inscrirai quelque peu en porte à faux par rapport à M. Carlier à ce sujet. Les deux grands perdants de la chaîne sont les producteurs et les consommateurs. L'observatoire de la formation des prix et des marges indique que, sur ce marché, le vente de leur production a rapporté aux agriculteurs 11 milliards d'euros. Les consommateurs ont payé cette production le double, soit 22 milliards d'euros, sans qu'elle ait subi la moindre transformation. La valeur des fruits et légumes est donc équivalente à la valeur créée par les intermédiaires. Ceci mérite de nous interpeller. L'observatoire de la formation des prix et des marges confronte ses chiffres à ceux de l'INSEE, selon lesquels, au cours des dix dernières années, les prix des fruits et légumes ont augmenté de 60 %, alors que le salaire moyen a progressé de 27 % seulement. La construction des marges pose donc un problème d'accès à l'alimentation saine. Les études du Crédoc (Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie) montrent que les Français consomment de moins en moins de fruits et légumes, dont on sait qu'ils contiennent pourtant une part essentielle des nutriments dont ils ont besoin.
Un autre chiffre éloquent à propos de la grande distribution nous vient de la cotation en bourse de Carrefour. Famille Rurales a partagé certains plateaux de télé avec des représentants de Carrefour jurant, la main sur le coeur, que l'Entreprise s'efforçait de son mieux de rendre des produits alimentaires de qualité accessibles au plus grand nombre. De 2020 à 2024, l'inflation alimentaire a atteint 22,5 %. Je ne prétends pas que les chiffres que je m'apprête à mettre en avant soient uniquement liés aux marges sur les produits alimentaires, bien qu'ils en résultent en partie. Toutefois, dans le même temps, les dividendes versés par Carrefour ont augmenté de 140 %. Le cours de l'action est passé de 47 centimes à 1,15 euro. Permettez-nous de douter de la bonne foi présumée des dirigeants de Carrefour, prétendant qu'ils mettent tout en oeuvre pour resserrer les marges et garantir aux consommateurs l'accès à des produits sains.
Un autre exemple assez frappant concerne le scandale de l'Outre-mer. Un protocole contre la vie chère a été mis en place en Martinique. La collectivité a renoncé à percevoir le produit de son octroi de mer. L'État a renoncé à la TVA. Des baisses de prix de l'ordre de 20 % à 25 % étaient attendues de ces mesures. Or ils n'ont diminué que de 10,8 % seulement. Certains produits comme les légumes surgelés ont même vu leurs prix progresser de 4,4 %. À votre avis, qui n'a pas joué le jeu ?
Voici quelques semaines, Famille Rurales a lancé une communication commune avec Food Watch et le Secours catholique, proposant de demander à la grande distribution, non pas de réduire ses marges, mais de les prélever différemment.
En 2021, selon l'Observatoire de la formation des prix et des marges, le rayon fruits et légumes a permis à la grande distribution d'engranger un bénéfice de 247 millions d'euros, alors que le rayon pâtisserie viennoiserie a causé 60 millions d'euros de pertes. La grande distribution accepte donc de perdre de l'argent sur des produits qu'il est préférable de ne pas consommer régulièrement pour se maintenir en bonne santé, compensant ses pertes sur les produits dont les consommateurs ont besoin pour rester en bonne santé. Famille Rurales a saisi, en janvier, le ministre des petites et moyennes entreprises, du Commerce, de l'Artisanat, du Tourisme et du Pouvoir d'achat, Serge Papin, pour l'inciter à réguler le secteur, avant tout en assurant une plus grande transparence sur la construction des marges - pourquoi pas, de manière confidentielle, dans le cadre de l'observatoire de la formation des prix et des marges. Nous n'exigeons pas que les données manquantes soient rendues publiques. Nous estimons simplement indispensable qu'une entité de contrôle examine la question.
Le SRP+ 10 n'a pas, selon les rapports dont nous disposons, représenté un gain pour les producteurs pourtant visés par sa mise en oeuvre. L'existence du SRP+ 10 apporte néanmoins la preuve qu'il est possible de réguler les marges en France. Nous ne demandons pas aux acteurs économiques de la grande distribution de gagner moins d'argent, mais d'en gagner différemment, dans un objectif de santé publique, et de repenser la manière dont ils prélèvent leurs marges. Nous proposons pour cela de sacraliser certains produits recommandés par le PNNS et que les Français ne consomment pas suffisamment, en les proposant à prix coûtant, quitte à augmenter par ailleurs les marges sur les produits les moins sains. La DGT (Direction générale du travail) chiffrait en 2012 à 20 milliards d'euros les coûts de la prise en charge des soins liés à une mauvaise alimentation. D'autres évaluations ont porté cette somme à 100 milliards d'euros. Il existe une corrélation évidente entre nourriture et état de santé. L'accès à des produits alimentaires sains relève d'une responsabilité collective.
M. Olivier Dauvers, journaliste spécialiste de la consommation et de la grande distribution, animateur du blog Le Web Grande Conso. - J'ai un défaut : j'ai l'obsession des faits, que je me refuse à travestir. Mme Stévenin, vous avancez que 10 % du prix des produits alimentaires correspond au coût de la matière première agricole et que les 90 % restants représentent la marge prélevée par la grande distribution. Je ne prétendrai pas que cela est faux. J'établirai simplement un parallèle avec les produits de boulangerie. La farine représente moins de 10 % du poids d'une baguette. Estime-t-on pour autant qu'un problème touche à la marge prélevée par le boulanger ?
Madame Ziane, vous avez parlé des dividendes versés par Carrefour. Le dividende d'une entreprise ne reflète pas son résultat. Il est la conséquence de sa politique de distribution du résultat. De 2020 à 2024, le résultat opérationnel courant de Carrefour, illustrant ce qu'a rapporté l'exploitation des magasins, est passé de 2,173 à 2,213 milliards d'euros. Le dividende n'offre qu'une représentation partielle des marges. Si je voulais tordre la réalité, je vous dirais que l'action Carrefour valait 100 euros en 2000, contre 13 euros à peine aujourd'hui. Son cours a été divisé par six en vingt-cinq ans. Je ne souhaite pas pour autant vous tirer des larmes à propos du sort de Carrefour. J'insiste simplement sur la nécessité de nous en tenir à des faits plutôt qu'à des appréciations. Je comprends que l'inflation alimentaire constitue un problème. De fait, elle l'est socialement, en raison de son caractère injuste au cours des trois ou quatre dernières années. Les prix moyens ont, selon l'INSEE, progressé de 12 % durant cette période et les salaires aussi, ce qui a évité un recul du pouvoir d'achat. En revanche, l'inflation alimentaire a atteint 25 %. Les familles modestes ont été davantage victimes de l'inflation, puisque les dépenses alimentaires représentent une part proportionnellement plus importante de leur budget. L'évolution des prix alimentaires pose donc bel et bien un problème social.
Un autre problème vient de ce que ces prix alimentaires ne baissent pas à proportion du recul des prix des matières premières. M. Carlier a relevé que les prix de ces matières premières ont récemment baissé sans que cette baisse compense toutefois leur précédente hausse. Il n'y a donc pas lieu de s'étonner que les prix alimentaires se maintiennent à un haut niveau, d'autant que des effets de cliquet s'observent sur certains sujets. Ainsi, la part correspondante à la masse salariale dans les prix en usine ou en magasin ne baissera certainement pas.
Je ne défendrai personne. Simplement, je voudrais vous faire part des analyses que je mène depuis trente-cinq ans en tant qu'observateur, n'étant ni un industriel ni un distributeur. À tous les produits de consommation sans exception correspond un prix d'acceptation. Le prix en rayon est le résultat d'un subtil équilibre entre le coût de production et ce que les marques ont identifié comme un prix acceptable aux yeux du consommateur. À cause de l'inflation du cacao, la tablette de chocolat vaut aujourd'hui plus de 2 euros, alors qu'elle pourrait très bien ne valoir que 1,75 euro. Dans notre économie libérale, les marques considèrent que, si le client accepte de payer 2 euros sa tablette de chocolat, parce qu'à un moment donné, ce prix se justifiait objectivement, il est plus avantageux de tenter à continuer de la lui faire payer 2 euros. Espérer que les prix baissent à proportion de ceux des matières premières revient à se montrer utopiste.
Je m'inscris en faux par rapport à l'idée que, par principe, les distributeurs prélèveraient de la marge sur les produits sains, c'est-à-dire les fruits et légumes, et les produits frais en général, des rayons boucherie, poissonnerie ou crémerie. Cette situation n'est qu'une conséquence d'autres facteurs. Mais pourquoi la marge est-elle la plus importante sur les fruits et légumes ? Un compte d'exploitation en magasin est une péréquation. De même, un artisan boulanger ou un abattoir établissent une péréquation entre l'ensemble des produits qu'ils écoulent. Les moins demandés, produits en plus grande quantité, sont bradés. Dans le monde des médias, les prix des publicités varient selon l'heure de diffusion ou le taux de remplissage de la grille. Cet ajustement permanent des prix relève du yield management. Ce dernier est également illustré par le fait que les passagers d'un avion ou d'un train paient chacun un prix différent en fonction du remplissage de l'appareil au moment de leur réservation. Il s'agit d'ajuster l'offre à leur demande. Il importe d'accepter que les péréquations touchent tous les secteurs d'activité. Comme les distributeurs gagnent moins d'argent sur les produits de marques, aux prix comparables d'un magasin à l'autre, ils se rattrapent sur les produits frais. Ne prenons pas le problème à l'envers. La nature ultra-transformée de ces produits n'est qu'incidentelle de ce point de vue. C'est la possibilité de comparer leurs prix entre distributeurs qui explique la faiblesse des marges prélevées dessus. La marge commerciale des distributeurs est actuellement de 23 %, alors que leurs coûts atteignent 21 %, ce qui laisse une marge nette de 2 %. Certes, ces pourcentages s'appliquent à des sommes considérables. Néanmoins, je mets au défi tous les bien-pensants des surmarges de piloter une entreprise à la marge nette de 2 %. Au moindre écart, les résultats basculent dans le négatif.
J'entends l'idée qu'il faudrait revenir sur le SRP+ 10, car il n'a servi à rien. De fait, je partage ce constat. Le ruissellement attendu ne s'est pas produit. Serge Papin, à l'époque patron d'une enseigne de la distribution, avait condensé la théorie selon laquelle la marge des fruits et légumes ne devrait pas avoir à compenser celle des produits de marque sous cette formule efficace : « il ne faut plus que le coco de Paimpol finance le Coca d'Atlanta ». L'idée - parfaitement fondée - est qu'en obligeant les distributeurs à gagner plus d'argent sur les produits marquetés, ils se montreront moins gourmands sur les produits frais. Mais en supprimant le SRP+ 10, le phénomène s'accentuera. Pour faire baisser les marges sur les produits non transformés, il faudrait au contraire imposer un SRP+ 20, qui obligerait les distributeurs à prélever au moins 20 % de marge sur le Nutella, le camembert Président et les biscuits LU, et leur permettrait de réduire en contrepartie leur marge sur les fruits et légumes. Ne vous trompez pas d'analyse. En préconisant une suppression du SRP+ 10, vous vous rendriez coupable de produire l'effet inverse de celui que vous recherchez, car la marge sur les fruits et légumes augmenterait encore. La disparition du SRP+ 10 augmenterait le besoin de marges sur les prix en mesure de le supporter. Un autre problème s'ajoute à la péréquation au sein même des fruits et légumes : celui de la politique de prix HiLo pour High Low Pricing consistant à proposer plus ou moins régulièrement des promotions. La semaine dernière, par exemple, Intermarché proposait en même temps des pommes hors de prix à 4 euros le kilo et des kiwis en promotion à 1,98 euro les six, soit 33 centimes l'unité, sans prélever sur ces kiwis la moindre marge. Ceci illustre parfaitement le principe de la péréquation en tant que stratégie commerciale.
S'il me fallait émettre une proposition, je suggérerais, sur quelques marchés symboliques comme celui des produits laitiers où la composante matière première est aisée à identifier, d'afficher le prix versé au producteur, afin de rendre présent à l'esprit du consommateur le lien entre le prix dont il s'acquitte et la somme versée à l'éleveur. À titre bénévole, je suis administrateur de l'entreprise C'est qui le patron. Celle-ci parvient à vendre du lait au consommateur au prix particulièrement élevé de 1,27 euro le litre, car elle paie la tonne de lait 540 euros aux éleveurs. Une corrélation s'observe dans ce cas entre le prix versé à l'agriculteur et celui dont s'acquitte le consommateur.
Mme Antoinette Guhl, rapporteur. - J'aimerais tout d'abord vous remercier tous les quatre, car vous avez mis l'accent sur ce pour quoi nous avons constitué cette commission d'enquête. Le projet de résolution qui la sous-tend indique que la question de l'arbitrage des marges entre des produits de diverses qualités constitue un sujet en soi.
Madame Stévenin, vous avez évoqué les produits bio, que je considère aussi comme un sujet d'importance dans la mesure où sur ces produits est prélevée une marge encore plus conséquente que sur le reste des fruits et légumes.
Nous avons souhaité vous auditionner pour commencer, car l'avis du consommateur nous intéresse en premier lieu. D'un côté, les citoyens estiment payer leur nourriture trop cher et, de l'autre, les agriculteurs ne s'estiment pas assez rémunérés. Que se passe-t-il entre ces deux extrémités de la chaîne ? Des abus sont-ils à dénoncer ? Telles sont les questions que nous cherchons à éclaircir au fil de nos auditions.
J'aimerais savoir si vous soutenez l'idée d'un encadrement ou d'un plafonnement des marges des distributeurs sur certains produits. Pourriez-vous nous éclairer sur le rôle que peuvent jouer les consommateurs ou leurs représentants, dont vous faites partie, sur la question des marges ? Monsieur Dauvers, vous avez évoqué l'affichage des prix versés aux producteurs, en tant que manière d'informer le consommateur et donc, de l'amener à jouer un rôle. Voyez-vous d'autres manières de faire intervenir le consommateur dans la construction des prix ?
Considérez-vous que la rémunération des agriculteurs et des producteurs a bénéficié des lois Égalim ? Comment ces dispositions sont-elles contournées, le cas échéant, et comment améliorer les contrôles ? Enfin, à l'approche des fêtes de fin d'année, période d'intense consommation, avez-vous constaté des hausses de prix ou de marges ?
M. François Carlier. - Il me semble difficilement possible d'améliorer la situation du milieu agricole de ces dernières années en termes de prix. J'avance ceci en éprouvant une profonde empathie pour ce milieu agricole. Les prix sont certes un peu bas dans quelques filières, mais, dans l'élevage, qui représente une part essentielle du secteur, les prix ne sauraient être plus favorables aux producteurs.
Mme Anne-Catherine Loisier, présidente. - Cette situation est principalement liée à la baisse de la production agricole.
M. François Carlier. - Cette baisse montre en effet que de sérieux problèmes touchent les agriculteurs, mais ils ne sont pas liés à l'environnement de prix. Selon moi, il n'y a pas lieu de mettre en place des mesures assurant une meilleure rémunération aux agriculteurs.
S'agissant de l'encadrement des marges, je me rappelle parfaitement la période inflationniste de 2007 à 2009 ayant donné lieu à la création de l'observatoire de la formation des prix et des marges. D'un point de vue analytique, cet observatoire s'intéresse à la marge brute. Le problème vient de ce que nul n'est en mesure d'éclaircir le passage de la marge brute à la marge nette, hormis les responsables de la comptabilité analytique des acteurs de la grande distribution. La volonté d'encadrer les prix risque de se heurter au fait de ne pas savoir quel indicateur au juste encadrer. Un affichage de la décomposition du prix serait une bonne chose, à condition de le mettre en place sérieusement, et pas seulement à titre symbolique pour quelques produits, dans l'esprit du Nutriscore ; celui s'étant avéré un succès, car la presse comme les associations se le sont approprié.
M. Olivier Dauvers. - Je ne saurais laisser dire que nous n'avons aucune idée des marges nettes. La marge brute ou marge commerciale apparaît clairement dans les comptes d'exploitation, de même que le résultat net. La grande distribution tient aussi compte d'un autre indicateur, correspondant à la marge semi-nette. Les coûts, de personnel par exemple, ou d'amortissements, peuvent être affectés à un rayon plutôt qu'à un autre.
S'il est difficile de mettre en évidence un lien de cause à effet entre la promulgation de la loi Égalim et l'augmentation du revenu des agriculteurs, en revanche, sans ces lois, la situation des agriculteurs aurait été bien pire, car la loi Égalim écarte des négociations le prix d'achat de la matière première - ces négociations portant alors sur le prix de transport ou de l'emballage.
Abordons les fêtes de fin d'année. Le mois de décembre est le plus rentable pour les distributeurs. Il pèse en effet une fois et demie ce que pèsent les autres mois, mais à cause de surmarges ou de l'inflation ? En réalité, le panier des consommateurs se modifie ce mois-là. Comme les marges s'expriment en taux, même si la marge prélevée sur un poulet est identique à celle prélevée sur un chapon, la surconsommation et le consentement à payer à titre individuel en progrès en fin d'année génèrent plus de marge mesurée en montant total.
Mme Nadia Ziane. - Nous ne remettons pas en cause le principe selon lequel les distributeurs gagnent de l'argent. En juin 2025, ils ont publié une tribune à propos de la Stratégie nationale pour l'alimentation, la nutrition et le climat (SNANC) manifestant leur intention de participer à l'effort collectif à consentir vers une alimentation plus saine. Nous sommes tout à fait d'accord pour qu'ils revoient la manière dont ils construisent leurs marges. Quand allons-nous inverser la logique à l'oeuvre et chercher à rendre plus accessibles les produits les plus sains en augmentant les marges sur les produits ultra-transformés ? Je n'ai pas envie que l'on impose un SRP+ 20 en partant de l'hypothèse qu'un ruissellement en résultera, rendant plus accessibles les produits sains. Nous soutenons avec d'autres associations la sacralisation d'une liste de produits sur lesquels les distributeurs, qui, en juin, juraient, la main sur le coeur, vouloir être partie prenante de la SNANC, s'engagent, non pas à réduire leur marge, mais à la construire différemment. En sommes, nous sommes favorables à un encadrement des prix, mais répondant à une logique différente. En vendant à prix coûtant, les distributeurs ne perdent pas d'argent. D'ailleurs, certains, comme Système U, recourent déjà à cette pratique. La vente à prix coûtant de produits dont les consommateurs ont besoin au quotidien pour rester en bonne santé éviterait les problèmes de surmarge. Il importe en somme d'inverser la situation en se plaçant du point de vue du consommateur. Celui qui souffre de la crise et a pour seule variable d'ajustement de ses dépenses sa consommation alimentaire mérite d'être aidé. Pour y parvenir, il sera nécessaire d'imposer des mesures plus ambitieuses. Encadrer le prix de cent références sur les six mille présentes en supermarché permettrait déjà d'avancer.
Mme Marie-Amandine Stévenin. - Nous n'avons pas pour habitude de suivre l'évolution des prix du panier de Noël, alors que nous suivons celle du prix des chocolats de Pâques ou des fournitures scolaires, pour la bonne raison que les produits achetés au moment des fêtes ne sont pas consommés le reste de l'année, ce qui rend les comparaisons malaisées. Les prix des jouets augmentent à l'approche des fêtes, quoique pas à la veille de Noël. En période de crise, les consommateurs tendent à anticiper leurs achats. Une grande différence s'observe entre les prix des magasins spécialisés et ceux de la grande distribution, qui ne les augmentent pas tant que cela en fin d'année.
Certaines dispositions des lois Égalim peuvent être pleinement suivies et contrôlées. Parmi ces mesures ne figurait pas que le SRP+ 10, mais pour d'autres l'État doit aussi assumer un rôle de contrôle. Or, les contrôles n'ont pas toujours été mis en oeuvre, ou du moins pas à une ampleur suffisante. Sinon, nous n'en serions pas à la situation actuelle. À titre d'exemple, l'obligation de contractualisation ne porte dans la pratique que sur un quart de la viande. Des problèmes touchent en outre aux indices de prix interprofessionnels. Il importe de publier des indices fiables. Un rapport déséquilibré s'observe entre les agriculteurs, fort nombreux, et les industriels, en petit nombre. Tous les éleveurs vendent leur viande aux mêmes entités. Une étude que nous avons menée en janvier 2025 appelait à un contrôle des négociations, quitte à imposer des sanctions en cas de non-respect des lois Égalim, lorsque les distributeurs profitent d'un rapport de force pour imposer aux producteurs des prix qui ne sont pas corrects.
M. Yves Bleunven. - Ma première question s'adresse à la gouvernance de la commission d'enquête. J'aurais trouvé intéressant de mettre en perspective les indices disponibles depuis trente ans sur l'évolution de la consommation et notamment du budget que les ménages consacrent à leur alimentation. Bien que la commission ne s'intéresse pas qu'à l'agroalimentaire, en réalité, ses travaux se concentrent sur les prix de l'alimentaire, ce qui me semble assez normal. Aujourd'hui, le coût du logement ou de l'énergie progressent au détriment des dépenses alimentaires. Il serait malvenu que celles-ci servent de variable d'ajustement. Il ne serait pas compliqué de retrouver les marges brutes par éleveur ou par UTH (Unité de travail humain) dans chaque filière depuis trente ans, et de les mettre en parallèle avec les résultats de la grande distribution. À ma sortie de l'école d'agriculture, au début des années 1980, il nous était conseillé d'investir dans des mètres carrés de grande distribution plutôt que dans des mètres carrés de poulailler ou de porcherie.
J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt les représentants des consommateurs. Vous mettez tous en évidence la montée des prix de base, donc de la matière première. Il n'est pas surprenant que les entreprises agroalimentaires répercutent cette hausse, couplée à celle de leurs charges. Je rebondis sur la nécessité mise en avant par M. Carlier d'augmenter la production. Prenons l'exemple de la viande blanche et des oeufs, c'est-à-dire les sources de protéines les plus accessibles pour les consommateurs. En vingt ans, la filière volaille a été mise par terre, de sorte que seul un poulet sur deux consommés en France est acheté à des éleveurs français. La filière oeuf est quant à elle presque toujours autonome. La consommation des oeufs ne cesse pourtant d'augmenter, de 4 % à 5 % par an depuis cinq ans. Comment voulez-vous que la demande en progression puisse être satisfaite sans montée en puissance de la production ? Voilà pourquoi il est de plus en plus question de rayons vides. M. Carlier préconisait de développer la production agricole. Nous le voulons tous. Nous nous sommes engagés dans une démarche en début d'année avec la loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire, sauf que la volonté de redémarrer l'agriculture fait face à une association opportuniste de minorités s'opposant à peu près à tout, allant de l'écologie radicale à des associations accompagnant la décroissance. Les mouvements de consommateurs pourraient-ils s'associer, non par opportunité, mais par stratégie, aux producteurs pour augmenter la production ? Les projets d'installation d'agriculteurs ne parviennent plus à aboutir en raison des nombreuses pétitions des opposants à la production. Les consommateurs pourraient se montrer solidaires des producteurs. J'appelle les associations de consommateurs à défendre, dans une logique de solidarité stratégique, la souveraineté alimentaire. Moins nous produisons en France, plus les prix augmentent dans les supermarchés.
M. Daniel Gremillet. - J'aimerais que l'on commence par définir ce qu'est un produit sain. Il y a trente ans, un ménage dépensait 30 % de son revenu pour se nourrir. À date, ce pourcentage est tombé à 13 %. Je préside avec Anne-Catherine Loisier le groupe de suivi de la loi Égalim au Sénat. Notre dernier rapport a mis en évidence ce que nous avions dénoncé il y a déjà plusieurs années : la France est en train de perdre pied sur les produits d'entrée et de milieu de gamme. Nos concitoyens voient leur assiette se vider. La part des produits haut de gamme dans la production française s'est accrue. Il me semble terrible de constater que notre pays n'est plus en mesure de répondre aux besoins de l'ensemble des catégories sociales. J'y vois pour ma part un échec. J'aimerais vous entendre à ce propos.
Nous avons observé aussi que le consommateur a de moins en moins de choix. Le nombre de distributeurs s'est considérablement réduit à la faveur de restructurations. La concentration des distributeurs, à l'instar de celle des entreprises agroalimentaires, ne va pas sans conséquence.
Les autres pays de l'UE n'ont pas de lois Égalim, pourtant le prix de mille litres de lait y dépasse de 50 euros celui qui est pratiqué en France. Ces pays sont en train de prendre des parts de marché à la France sur les produits d'entrée et de milieu de gamme.
L'indice IPAMPA calculé en France n'a rien à voir avec cet indice appliqué à l'Allemagne ou aux Pays-Bas - et je ne parle même pas du Mercosur. Ne faisons-nous pas face aujourd'hui aux conséquences de choix ou d'exigences des consommateurs qui amènent à fragiliser la sécurité de leur approvisionnement ?
M. Olivier Dauvers. - À considérer les dix dernières années, la part des dépenses alimentaires dans le budget des ménages ne diminue plus, mais la composante servicielle de ces dépenses augmente. La part qui revient aux producteurs français continue donc à décroître. Quand nous mangeons à l'extérieur ou nous faisons livrer un repas, nos dépenses incluent des frais de service.
L'alimentaire fait malheureusement figure de variable d'ajustement du budget, car il ressort du reste à vivre. Or les dépenses pré-engagées comme le loyer ou les transports n'ont cessé d'augmenter. Oui, nous payons moins bien qu'auparavant nos agriculteurs. Pour autant, les prix ne sont pas plus bas en France, car bien des produits consommés dans notre pays ont été transformés à l'étranger. Un sachet de farine sur quatre vendu en France aujourd'hui est moulu en Allemagne, car les coûts de production industrielle y sont plus bas, pour des raisons de taille de structures et d'impôts de production. La France n'est pas compétitive dans le secteur de la transformation alimentaire, faute d'être en capacité de traiter des volumes d'ampleur. La France ne dispose pas d'outils industriels à la taille de son marché. Les impôts de production sont en outre bien plus élevés en France que dans les pays voisins.
M. François Carlier. - De multiples théories expliquent la baisse de la capacité agricole et proposent des moyens d'y remédier. D'aucuns diront que les actions des écologistes entravent la production. Ces mêmes écologistes incrimineront quant à eux les changements climatiques. Je ne trancherai pas entre ces explications. J'insisterai simplement sur ce problème de capacité agricole.
Il me semble que la consommation alimentaire subit assez peu d'ajustements, à la différence de l'habillement. L'alimentaire est considéré comme un bien économique inférieur, c'est-à-dire dont la consommation diminue proportionnellement à mesure que le revenu augmente. Il est beaucoup question des marges des distributeurs. Ponctuellement, des critiques portent sur leurs marges brutes. Le sujet relatif à l'alimentaire est lié selon nous à la concentration des industriels. La remarque vaut aussi pour les produits d'hygiène, le secteur DPH. Les condamnations pour entente sur les prix ont été nombreuses dans ce secteur.
Mme Nadia Ziane. - Nous avons la chance en France de pouvoir nous appuyer sur le PNNS dressant une liste de catégorie de produits à consommer pour être en bonne santé. L'alimentation saine est selon nous définie par les autorités sanitaires françaises. Le PNNS ne recommande pas de manger bio, tout en indiquant que les produits bio sont préférables à ceux de l'agriculture conventionnelle. La valeur ajoutée du bio dans l'alimentation saine est donc prise en compte.
Producteurs et consommateurs mènent le même combat. Nous aimerions que le législateur rende obligatoire l'affichage de l'origine des produits, y compris transformés. Nous ne reviendrons pas sur les débats autour de la loi Duplomb. Producteurs et consommateurs ne seront pas forcément d'accord sur tous les sujets. Toutefois, leurs intérêts convergent sur un grand nombre d'entre eux. Nous ne proposons pas de réduire la part revenant aux producteurs sur les cent produits dont nous proposons de sacraliser le prix.
M. Yves Bleunven. - L'enjeu touche à l'accroissement de la production agricole en France, mais aussi au renouvellement du parc d'élevage. La vigilance s'impose de ce point de vue. Le parc en volaille vieillit et a besoin d'être renouvelé. Or ce simple renouvellement apparaît déjà difficile à mettre en oeuvre à date. Aussi importe-t-il que consommateurs et producteurs soient solidaires.
M. Daniel Gremillet. - Je distingue les produits sains des aliments qu'il est nécessaire de consommer pour rester en bonne santé. Comment définissez-vous un produit sain ? La France a été le premier pays à parler de malbouffe, ce qui a d'ailleurs eu des conséquences délétères. Aucun jeune n'a aujourd'hui envie d'embrasser un métier accusé de produire de la malbouffe. En termes de sécurité alimentaire, le niveau d'exigence français me paraît plutôt élevé par rapport au reste du monde, y compris à l'UE. Évitons toute confusion entre la qualité d'un produit et les choix alimentaires nécessaires à une bonne santé.
Mme Antoinette Guhl, rapporteur. - Pouvez-vous nous dire comment les lois Égalim sont contournées et comment améliorer les contrôles ?
Mme Marie-Amandine Stévenin. - Je n'ai pas dit que les lois Égalim étaient nécessairement contournées, mais il faudrait que nous nous interrogions sur le respect, notamment par les industriels, des dispositions applicables en matière de fixation des prix. Je rappelle que 75 % de la viande vendue en France n'est pas contractualisée. Nous appelons à des contrôles et à des sanctions en cas d'entente. L'Autorité de la concurrence épingle régulièrement des cartels. Je cite fréquemment celui de la compote. À l'unité, le prix d'une compote demeure faible, de sorte que le consommateur ne s'aperçoit pas forcément de son augmentation. Pourtant, ces cartels emploient des méthodes quasi mafieuses. Je pourrais aussi citer celui de l'électroménager.
Nous avions surtout pris position, l'an dernier, à l'occasion de discussions houleuses à propos du revenu agricole, sur le fait que le consommateur n'était pas le seul responsable de la fixation de ce revenu. Nous n'avons pas accès aux chiffres. Donc, en l'absence d'indices publics, nous nous interrogeons. Rendre publiques les conditions des négociations commerciales améliorerait la transparence. J'estime que le libéralisme n'a pas à craindre la transparence. Une telle transparence nous permettrait de vérifier que le marché économique a joué son rôle dans le respect de la loi.
Mme Anne-Catherine Loisier, présidente. - Les prix sont fixés par le distributeur et non l'industriel. Comment analysez-vous la montée en puissance des marques des distributeurs ?
Mme Marie-Amandine Stévenin. - Je songeais à rendre publiques les négociations commerciales entre les producteurs et les industriels, et non entre les industriels et les distributeurs. Le ruissellement ou plutôt son absence constitue un problème. Les marques de distributeurs (MDD) se sont positionnées sur un créneau vacant, dans le prolongement de marques nationales identifiées et reconnues par le consommateur. Voici trente ans, le consommateur assimilait un certain type de gâteau à la marque sous laquelle il était vendu. Les distributeurs n'ayant pas à assumer de coûts de marketing proposent des produits de qualité à peu près équivalente à celle des marques nationales. Les enfants d'aujourd'hui se montrent moins attachés que les générations précédentes aux marques, qu'ils ne réclament plus forcément. Le distributeur prélève une marge de 30 % à 40 % sur ces succédanés de marques connues dont il n'a pas à assurer lui-même la promotion. Le consommateur y gagne lui aussi en réalisant des économies.
Mme Anne-Catherine Loisier, présidente. - La concentration verticale ne vous préoccupe-t-elle pas ? Les distributeurs assument aussi le rôle d'industriels.
Mme Antoinette Guhl, rapporteur. - Le distributeur fixe à la fois le prix de vente d'une marchandise qu'il a lui-même produite et celui d'un produit concurrent. Un mélange des rôles en résulte.
M. François Carlier. - Les condamnations prononcées par l'Autorité de la concurrence ont uniquement visé des industriels. L'irruption d'un distributeur met à mal l'entente entre industriels sur les prix.
M. Olivier Dauvers. - C'est avant tout l'esprit des lois Égalim qui est contourné, à travers les options laissées aux industriels pour communiquer à leurs clients, c'est-à-dire aux distributeurs, sur le prix d'achat de la matière première. Il ne faut plus laisser le choix à l'industriel d'indiquer ou non au distributeur à quel prix il a payé son lait ou ses céréales. Quand un industriel se retranche derrière certaines options, il respecte peut-être le texte de la loi, mais pas son esprit.
Voici environ cinquante ans, en 1976, à une époque où le consumérisme battait son plein, Carrefour a inventé les produits libres, c'est-à-dire libérés de tout le superflu, vendus dans des emballages blancs ne comportant que le nom du produit. Cette initiative a installé l'idée qu'il était possible de vendre un produit pour ce qu'il était et non pour ce qu'il paraissait. Il a fallu du temps pour ce système se déploie à grande échelle, car, à ce moment-là, les marques alimentaires avaient d'autant plus d'influence que celles du secteur non alimentaire jouissaient d'une faible notoriété. Un déplacement de la valeur des marques s'est opéré entre-temps, si bien qu'aujourd'hui, les consommateurs privilégient les marques d'équipement de la personne et de la maison ou les marques d'électroménager aux marques alimentaires, auxquelles ils renoncent d'autant plus volontiers que leur valeur de marque n'est pas perçue comme forte. Une montée en puissance des MDD en a résulté, au point qu'elles représentent aujourd'hui environ 35 % des dépenses et 50 % des volumes, ce qui traduit l'affaiblissement de la valeur des marques alimentaires. Cette observation reste toutefois à nuancer selon les produits. Dans certaines catégories de produits comme les légumes surgelés, ces marques représentent plus de 80 % des achats. À l'inverse, les MDD restent peu vendues dans d'autres catégories, parce que le marketing des marques a bien joué son rôle - je songe ici à l'emblématique Nutella ou aux produits de rasage - ou que le client s'inquiète de la qualité des produits, notamment pour bébés.
Je comprends le sens de votre question sur la concentration verticale, mais, factuellement, Intermarché est le seul distributeur à opérer un véritable appareil industriel incluant bateaux de pêche, biscuiteries et usines d'embouteillage. Les marques Intermarché représentent environ 5 milliards d'euros de chiffre d'affaires sur les 60 milliards d'euros que réalise le groupe Mousquetaires dans son ensemble. Leclerc exploite quant à lui deux usines : un abattoir dans les Côtes-d'Armor et une usine d'embouteillage d'eau dans le Massif central. Voilà tout.
Votre question me semblait sous-entendre qu'un distributeur était tenté de baisser les prix de ses propres produits pour pénaliser les grandes marques. Dans les faits, nous constatons toutefois l'inverse, puisque le taux de marge, dont le prix est une conséquence, sur les grandes marques est beaucoup plus faible que sur les marques de distributeur.
Mme Antoinette Guhl, rapporteur. - Le distributeur fixe à la fois le prix de ses propres produits et ceux de ses concurrents. Je me demandais si vous n'y voyiez rien d'anormal.
M. Olivier Dauvers. - La loi Galland de 1996 sur la loyauté et l'équilibre des relations commerciales a donné la main aux industriels pour fixer les prix à la consommation à travers la non-négociabilité des tarifs. Cette loi a interdit aux distributeurs de négocier les tarifs des industriels, les autorisant uniquement à négocier des à-côtés, dont les marges arrière. Une inflation alimentaire en a aussitôt résulté.
Mme Marie-Amandine Stévenin. - S'il y a une catégorie de produits dont le consommateur peut comparer les prix entre distributeurs, c'est bien celle des produits de marques. Les distributeurs attirent les consommateurs en leur proposant ces produits au meilleur prix, ce qui explique la faiblesse de la marge qu'en retirent ces distributeurs. Aucun distributeur n'a intérêt à vendre cher un produit de marque, sous peine de faire fuir les clients. Toutes les marques connues ne proposent peut-être pas de produits d'appel, mais l'annonce d'une promotion sur une grande marque détermine dans une large part le choix du magasin, quitte à payer plus des produits d'autres catégories - hormis pour les consommateurs au budget réellement contraint, qui opteront systématiquement pour les produits les moins chers.
M. Olivier Dauvers. - Nous réalisons une étude annuelle sur la corrélation entre l'image des enseignes en termes de prix et leur rendement commercial, calculé par euro au mètre carré. Cette corrélation est manifeste. Moins une enseigne est chère, meilleure est son image et donc son rendement commercial. Ceci explique l'obsession des distributeurs pour les prix, dès lors que ceux-ci sont comparables, et le niveau élevé de leurs marges sur des produits non comparables. La forte marge sur les fruits et légumes n'est donc qu'une conséquence de la non-comparabilité de ces produits d'une enseigne à l'autre. N'oublions pas que l'indice de prix est piloté par les distributeurs à la journée, avec des alignements systématiques sur la concurrence.
Mme Antoinette Guhl, rapporteur. - J'ai une dernière question, à propos des centrales d'achat à l'étranger, souvent évoquées à propos des marges.
M. Olivier Dauvers. - Il existe deux types de centrales à l'étranger : les centrales d'achat proprement dites et celles de services. Leclerc a rejoint une centrale d'achat avec Ahold Delhaize, leader de la grande distribution au Benelux et Rewe qui domine le marché en Allemagne, afin de massifier les volumes négociés auprès de 50 à 70 grands fournisseurs. Des rapports de force se jouent là entre de véritables mastodontes. Améliorer ne serait-ce que d'un point la négociation avec Coca-Cola représente une masse gigantesque. À travers ces centrales, des géants se bastonnent entre eux.
Les centrales de service sont en réalité des pompes à fric. Des données sont monnayées aux industriels, recueillies notamment à la sortie de caisse, auxquelles est attribuée une valeur extraordinaire. Tant que quelqu'un est prêt à acheter quelque chose, peu importe à quel prix, celui qui le lui vend a raison de le faire. Pardonnez-moi pour un tel cynisme, cependant il n'est plus question d'un grand distributeur et d'un petit paysan du Gers, mais de Ferrero contre Leclerc.
Mme Anne-Catherine Loisier, présidente. - De plus en plus de PME seraient amenées à négocier avec des centrales d'achat à l'étranger. Nous resterons attentifs à ce phénomène.
M. Olivier Dauvers. - Tout dépend de votre définition des PME. La liste des industriels avec lesquels a négocié la centrale d'achat Everest vient d'être publiée. Certes n'y figure pas que Coca-Cola. Pour autant, elle ne compte que cinquante entreprises. Parmi les soixante-quinze principaux fournisseurs de la grande distribution n'apparaît aucune PME. Mais peut-être est-ce une affaire de seuil. Il suffirait de considérer qu'une société au chiffre d'affaires de 500 millions d'euros peut appartenir à la catégorie des PME.
Mme Anne-Catherine Loisier, présidente. - Quelle est votre position par rapport à la publicité comparative qui inonde de plus en plus nos médias ?
Mme Marie-Amandine Stévenin. - Pour qu'il y ait publicité comparative, encore faut-il que les produits comparés soient réellement similaires. Dans ce sens, la publicité comparative ne peut porter que sur les prix des produits de marques entre les différentes enseignes. La moindre différence dans la recette rend les comparaisons infondées. Certaines chips sont notées B, d'autres, C, et d'autres encore, D au Nutriscore. Je me méfie de ce que l'on entend par produits « équivalents ». L'information délivrée au consommateur ne porte que sur les prix, alors qu'il arrive aux quantités de varier et à la composition aussi, sans parler de l'origine de la matière première. D'aucuns cherchent à culpabiliser le consommateur en lui reprochant de ne pas avoir choisi les bons produits, alors que, dans les faits, il ne dispose pas de beaucoup d'informations pour éclairer son choix.
M. Olivier Dauvers. - À l'origine, la publicité comparative ne pouvait porter que sur des produits d'une même marque vendus sous le même libellé et au poids identique. Désormais, la législation européenne autorise à comparer des unités de besoins, d'où l'essor de la publicité comparant entre elles des produits de marques de distributeur au poids malgré tout identique. La libéralisation de cette publicité comparative depuis une quinzaine d'années lui a permis de s'étendre aux fruits et légumes. Carrefour ne se prive pas, aujourd'hui, d'y recourir. Pourtant, en l'absence de marque, un navet vendu chez Carrefour n'est pas le même qu'un navet vendu chez Leclerc.
Mme Anne-Catherine Loisier, présidente. - Le montant des financements des publicités comparatives est aujourd'hui très élevé.
M. Olivier Dauvers. - Je prends le pari qu'il ne représente même pas 5 % du budget que les enseignes consacrent à leur publicité. Kantar publie tous les ans les montants bruts déboursés par les annonceurs dans tous les secteurs. Les frais de publicité alimentent la compétition permanente entre enseignes. Faire venir des clients dans une enseigne est aujourd'hui plus difficile qu'autrefois, car la superficie des locaux commerciaux a progressé dans son ensemble, alors que le nombre de consommateurs a stagné.
Mme Nadia Ziane. - Je ressortirai d'ici encore plus convaincue que, sans un encadrement législatif des prix et des marges, nous n'arriverons pas à résoudre le problème. Compter sur la bonne volonté des distributeurs pour obtenir de leur part plus de transparence me paraît vain.
M. Olivier Dauvers. - Je partage totalement ce point de vue. Je ne cesse de harceler les parlementaires pour qu'ils ne faiblissent pas au moment d'encadrer le secteur de la grande distribution.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 h 55.
Jeudi 18 décembre 2025
- Présidence de Mme Anne-Catherine Loisier, présidente -
La réunion est ouverte à 10 h 30.
Filières de producteurs - Audition de MM. Stéphane Joandel, secrétaire général de la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL), Ronan Collet, producteur de tomates et membre du conseil d'administration de Légumes de France, Mickaël Mazenod, arboriculteur et membre du conseil d'administration de la Fédération nationale des producteurs de fruits (FNPF), et Bruno Darnaud, président de la Gouvernance économique des fruits et légumes (Gefel)
Mme Anne-Catherine Loisier, présidente. - Nous continuons les travaux de notre commission d'enquête portant sur les marges des industriels et de la grande distribution.
Nous avons le plaisir de recevoir aujourd'hui MM. Stéphane Joandel, secrétaire général de la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL), Ronan Collet, producteur de tomates et membre du conseil d'administration de Légumes de France, Mickaël Mazenod, arboriculteur et membre du conseil d'administration de la Fédération nationale des producteurs de fruits (FNPF), et Bruno Darnaud, président de la Gouvernance économique des fruits et légumes (Gefel).
Messieurs, nous vous remercions d'avoir accepté notre proposition d'audition dans le cadre de cette commission d'enquête et de vous être mobilisés dans des délais particulièrement contraints.
La règle des commissions d'enquête étant de prêter serment avant d'être entendu, je suis tenue de vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal et notamment de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.
Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ». Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Bruno Darnaud, Ronan Collet, Mickaël Mazenod et Stéphane Joandel prêtent serment.
Mme Anne-Catherine Loisier, présidente. - Le Sénat a constitué, le 25 novembre dernier, une commission d'enquête portant sur les marges des industriels et de la grande distribution.
Je rappelle que cette commission d'enquête vise plusieurs objectifs : éclairer les citoyens et la représentation nationale sur la construction des prix dans notre pays, qui demeure opaque malgré les récentes avancées législatives ; analyser l'influence des acteurs de la chaîne sur le niveau des prix pour le consommateur et leur caractère inflationniste ou non ; examiner le partage de la valeur tout au long du processus de production et de commercialisation des produits, afin de s'assurer de son caractère équitable et durable pour les acteurs de l'économie ; nous assurer que les fournisseurs en amont, notamment les agriculteurs pour les produits alimentaires, mais aussi d'autres fournisseurs pour d'autres catégories de produits, bénéficient d'une rémunération la plus juste possible.
L'objet de nos auditions, dans cette phase introductive qui précède la suspension de nos travaux parlementaires, est de mesurer l'impact concret de la construction des prix de vente, hier sur nos concitoyens en tant que consommateurs, aujourd'hui sur les producteurs alimentaires, en mettant l'accent sur certaines filières.
Nous entendrons d'abord les représentants de la filière fruits et légumes, qui fait face à une forte concurrence étrangère, aux aléas climatiques et à des coûts de main-d'oeuvre importants. Nous entendrons ensuite les représentants de la filière lait, qui fait face à des enjeux différents, notamment des coûts fixes élevés et une plus forte dépendance contractuelle aux transformateurs.
Messieurs, nous souhaitons vous interroger tout d'abord sur l'évolution de vos coûts de production ces dernières années, et sur la façon dont les transformateurs et les distributeurs en tiennent compte dans la formation des prix. Il s'agira ensuite de revenir sur l'évolution de la rémunération perçue par les producteurs de vos filières, en particulier dans un contexte d'évolutions législatives récentes dont nous suivons, avec notre collègue Daniel Gremillet, la mise en oeuvre avec attention. Enfin, vous pourrez nous livrer votre regard sur les pratiques existant en matière de négociations commerciales, et sur les éventuels abus que vous identifiez.
Les lois dites Égalim ont-elles permis de mieux prendre en compte vos coûts de production dans la construction des prix de vente, notamment dans la grande distribution ? Comment évaluez-vous la transparence au niveau des prix s'agissant des produits de vos filières dans la grande distribution ? Que représentent pour vos filières les circuits de distribution alternatifs à la grande distribution, et comment les prix de vente y sont-ils déterminés ?
Voilà quelques thèmes sur lesquels notre rapporteur vous interrogera.
Nous vous proposons de dérouler cette audition en deux temps : vous présenterez les enjeux auxquels vos filières sont confrontées, en particulier en matière de négociation commerciale avec les transformateurs et les distributeurs, lors d'une présentation liminaire de vingt minutes maximum. S'ensuivra un temps de questions-réponses, d'abord avec notre rapporteure, puis avec les autres membres de la commission d'enquête.
Mme Antoinette Guhl, rapporteure. - Nous allons commencer par la question des négociations commerciales, qui est un sujet important pour l'une et l'autre de vos fédérations, notamment s'agissant de la détermination des prix.
Ma première question porte sur vos négociations avec les enseignes de la grande distribution, ainsi qu'avec les transformateurs de vos produits. J'aimerais que vous nous détailliez la manière dont ces négociations se déroulent, et que vous nous indiquiez, dans votre analyse, les points qui peuvent être problématiques pour vous.
Ma seconde question fait écho aux propos de Mme la présidente : quels sont les bénéfices de la loi Égalim pour chacune de vos filières, qu'il s'agisse des produits laitiers ou des fruits et légumes ? Vos coûts de production sont-ils mieux pris en compte ? La contractualisation des prix en amont est-elle effective ? Si oui, dans quelles conditions ? Enfin, quel est votre point de vue sur les éventuels modes de révision automatique des prix ?
M. Bruno Darnaud, président de la Gouvernance économique des fruits et légumes (Gefel). - Merci de cette invitation. Je suis producteur de fruits d'été dans le département de la Drôme, et je suis président de l'association d'organisation de producteurs (AOP) Pêches et abricots de France, ainsi que président de la Gefel, qui regroupe l'ensemble des AOP au niveau français.
En propos liminaire, je voudrais souligner trois points.
Premièrement, je parlerai plutôt des fruits et légumes frais, car la transformation des fruits et légumes n'est pas, pour moi, le sujet principal.
Deuxièmement, je voudrais insister sur la diversité des fruits et légumes. On parle de près de 100 espèces, qui ont toutes des caractéristiques différentes : certaines sont très saisonnières, d'autres sont sujettes à des importations massives. Tous les fruits et légumes ne répondent pas aux mêmes principes.
Troisièmement, les fruits et légumes représentent un marché fluctuant, journalier et souvent déséquilibré. La distribution continue de se concentrer de plus en plus : avant, on parlait de six ou sept distributeurs. Aujourd'hui, il en reste quatre.
Dans ce contexte, les producteurs tentent de s'organiser, notamment à travers les organisations de producteurs, qui sont réunies - c'est une caractéristique française - en AOP nationales. À cet égard, nous sommes un peu ennuyés, car le droit de la concurrence vient s'interposer. Nous avons en face de nous des mastodontes ; or nous entendons parfois de la part de la grande distribution que nous sommes en position dominante au niveau des AOP, que nous ne devrions pas discuter des prix ni des volumes.
Pour nous, à la Gefel, l'enjeu majeur est que l'on donne au moins aux AOP le pouvoir, non pas de fixer les prix, mais au moins de discuter des stocks et d'échanger avec la grande distribution sur ces sujets. Je rappelle que la grande distribution pèse, selon les produits, plus de 70 %, 75 %, voire 80 % des débouchés.
Face à cette distribution, les producteurs français poursuivent leurs efforts d'organisation. Mais on ne leur donne pas tous les moyens, et ils ont toujours cette épée de Damoclès du droit de la concurrence qui vient leur rappeler le risque d'une position dominante.
Je prendrai l'exemple de la pêche-nectarine. Celle-ci pèse 10 % du marché européen. Autant dire que nous sommes très loin de la position dominante, et c'est le cas pour beaucoup de produits.
M. Ronan Collet, producteur de tomates et membre du conseil d'administration de Légumes de France. - Sur l'introduction, je n'ai rien à ajouter.
En revanche, sur les questions que vous avez posées, notamment sur la loi Égalim, la filière légumes est peu concernée, car la contractualisation avec les acheteurs reste très limitée. Nous sommes le plus souvent sur un marché de gré à gré, au jour le jour, avec très peu de volumes contractualisés, et donc sans négociation commerciale annuelle.
Les acheteurs, et notamment la grande distribution, qui représente une part très importante de nos débouchés, sont très concentrés, face à des producteurs et des organisations de producteurs (OP) qui le sont beaucoup moins. Cette situation crée un rapport de force quotidien.
Toutefois, le fait de pouvoir se rassembler en OP et AOP nous permet malgré tout de rééquilibrer un peu ce rapport de force. Nous avons vraiment besoin que les modes de fonctionnement des OP et AOP soient facilités, et surtout de pouvoir échanger entre nous sur les volumes, sur la préparation de la saison, afin d'organiser et animer le marché, produit par produit.
Ce fonctionnement est également apprécié de nos acheteurs de la grande distribution et nous permet d'être plus forts et plus efficaces. Toutefois, le droit de la concurrence nous freine parfois et nous impose des limites à ne pas franchir, ce qui nous oblige à une vigilance quotidienne.
Des améliorations apparaissent nécessaires, notamment sur le mode de fonctionnement des AOP et sur les limites de ce qu'il est possible de faire, toujours dans l'objectif de servir la profession, et, au final, le consommateur.
Je souhaite enfin souligner l'importance du rayon fruits et légumes pour la grande distribution. C'est un rayon qui attire le client, sur lequel les taux de marge sont bien supérieurs à ceux d'autres rayons et d'autres produits. Il doit donc être bien tenu et proposer une large offre.
Dans d'autres rayons, des produits ultra-transformés, comme Coca-Cola ou Nutella, dégagent des marges extrêmement réduites, voire quasi nulles. On a parfois l'impression de travailler pour les autres marques, la valeur de nos produits servant à rentabiliser les magasins et à permettre de très faibles marges sur d'autres produits, qui ne sont ni de première nécessité ni forcément bons pour la santé, contrairement aux fruits et légumes.
M. Mickaël Mazenod, arboriculteur et membre du conseil d'administration de la Fédération nationale des producteurs de fruits (FNPF). - Je voudrais ajouter un point important concernant la filière fruits et légumes. C'est un marché très journalier, qui évolue en permanence tout au long de l'année, avec des fluctuations variables selon les produits.
Ces évolutions sont largement liées au climat, à la fois sur le plan de la production et sur celui de la consommation : le client n'achètera pas un poireau lorsqu'il fait chaud, pas plus qu'un melon lorsqu'il fait froid. Ces facteurs ont un impact très fort sur le marché ; ils sont difficilement prévisibles et influencent directement les cours, à la hausse comme à la baisse.
Je souhaite également rappeler que les coûts de production en fruits et légumes connaissent une hausse continue depuis plusieurs années, et ce pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, la principale composante de ces coûts reste la main-d'oeuvre, qui peut parfois représenter plus de 50 % du coût de production.
À cela s'ajoute le coût de l'énergie, qui a fortement augmenté : non seulement l'énergie de base, mais aussi toutes les taxes et les coûts de transport, qui alourdissent fortement la facture des producteurs. Il convient également de mentionner les autres intrants.
Enfin, les coûts de production augmentent aussi du fait du changement climatique et de l'évolution des pratiques. Le changement climatique entraîne des difficultés supplémentaires, parfois des baisses de production. De la même façon, l'évolution des pratiques rend parfois le métier plus difficile, certaines opérations plus coûteuses, et peut induire une baisse de production.
L'ensemble de ces éléments concourent directement au prix et au coût de revient. Il est important de rappeler que ce coût de revient n'est pas uniquement lié à une filière, mais qu'il peut être propre à chaque exploitation, et variable selon l'exposition à des aléas climatiques.
M. Stéphane Joandel, secrétaire général de la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL). - Je vous remercie d' auditionner la FNPL sur un dossier aussi important. J'ai d'abord une pensée pour nos éleveurs, confrontés à la crise sanitaire de la dermatose nodulaire contagieuse des bovins (DNC), qui fait énormément de mal dans nos campagnes, ainsi qu'aux effets du réchauffement climatique. D'où l'importance que nos exploitations disposent d'une véritable sécurité financière.
Nous étions très attachés à la création de cette commission d'enquête, que nous demandions depuis longtemps. La production laitière entretient très peu de relations avec la distribution ; en revanche, elle échange beaucoup avec les transformateurs. Or quatre grands groupes - deux privés, Lactalis et Savencia, et deux coopératives, Sodiaal et Agrial - représentent environ 60 % du lait collecté, sur un total national de 23 milliards de litres. Le chiffre d'affaires de la filière laitière dépasse 47 milliards d'euros.
Voilà un peu plus d'un an, un groupe de transformateurs a lâché 160 producteurs. Lors des auditions, ses représentants ont expliqué manquer de marges à l'export. C'est la réalité que nous vivons dans la filière laitière. Vous avez évoqué les lois Égalim ; en tant que syndicaliste, je rappelle que nous sommes aujourd'hui le seul pays à légiférer. Je vous en remercie, car ces lois ont été utiles, mais force est de constater qu'il n'existe toujours pas de véritable esprit de filière dans le secteur laitier. Malgré ces textes et l'exigence que vous avez portée, les résultats ne sont pas au rendez-vous. Je prendrai deux exemples précis.
D'abord, la loi Égalim a institué l'Observatoire de la formation des prix et des marges (OFPM). Or la filière laitière est l'une des seules où la transformation ne fournit pas ses chiffres. Nous avons essayé de les obtenir par de nombreux moyens, y compris des pressions exercées avec l'OFPM. Malgré cela, le taux de remontée est de 18 %. Et l'OFPM le dit clairement : on ne peut continuer ainsi. Certains groupes se sont développés à l'extérieur, ont créé beaucoup de valeur, mais ne veulent pas respecter les producteurs.
Ensuite, pour les produits alimentaires, la dernière loi Égalim de 2023 prévoit trois options dans les conditions générales de vente afin de tenir compte de la matière première agricole. La troisième option, celle de la négociation par les producteurs de la matière première agricole (MPA) en valeur, est d'une opacité totale, car la MPA est exprimée en pourcentage et mélangée à la matière première industrielle (MPI). Les transformateurs prennent ce dont ils ont besoin sur la MPI et nous donnent ce qui reste au titre de la MPA. Cette troisième option devrait aujourd'hui disparaître, puisqu'elle repose sur un tiers de confiance, souvent le commissaire aux comptes, et entretient une forte opacité.
Un autre sujet majeur d'inquiétude concerne la souveraineté alimentaire. On en parle beaucoup, mais, dans les faits, il ne reste plus que le lait où elle subsiste encore. Et même dans cette filière, nous avons perdu la souveraineté sur la matière grasse.
Nos demandes sont donc les suivantes.
D'abord, lorsqu'une OP ou une coopérative négocie, la MPA doit être sanctuarisée et connue avant l'envoi des conditions générales de vente (CGV) aux distributeurs. Ceux-ci doivent avoir connaissance du prix payé.
Ensuite, le Centre national interprofessionnel de l'économie laitière (Cniel) traverse de grandes difficultés. Siégeant aujourd'hui à son bureau, je constate que nous n'avons plus de vision commune de la filière laitière française, ce qui est extrêmement préoccupant. La loi Égalim impose à l'interprofession de fournir des indicateurs de coûts de production : pour le marché intérieur, pour l'export, et pour le « couple beurre-poudre ». Sur le dernier élément, les indicateurs sont attendus depuis plus de trois ans, mais les transformateurs refusent de communiquer leurs chiffres.
La colère des éleveurs est d'autant plus forte que nos voisins nordiques sont payés entre 30 et 50 euros de plus. La différence tient à un modèle coopératif, allant du producteur jusqu'à la commercialisation, avec un défi à relever : maximiser le revenu. En France, le poids des industriels privés est trop important et nos deux grandes coopératives n'ont pas d'indépendance. À titre d'exemple, 40 % du volume laitier d'Agrial est transformé par Savencia. Cette situation constitue une faiblesse pour la filière française.
Enfin, il est indispensable de faire évoluer la contractualisation. Les volumes doivent être portés collectivement par les OP aux transformateurs. Lorsque des producteurs ont été laissés sur le bord de la route, comme ce fut le cas avec Lactalis, nous avons réussi à les « recaser » ; si une telle situation se reproduisait aujourd'hui, ce serait beaucoup plus compliqué. L'inverse, en revanche, n'est pas possible. Nous ne disposons pas de l'arme permettant de dire que, en l'absence d'accord sur le prix, un volume de 100 millions de litres sera retiré au profit d'autres acheteurs.
Il est donc nécessaire d'adapter le cadre juridique afin que les OP disposent de contrats collectifs avec les transformateurs. Les producteurs doivent être identifiés non à l'entreprise, mais à l'OP. C'est d'une importance capitale, tout comme la MPA doit être négociée avant les CGV.
Mme Antoinette Guhl, rapporteure. - Merci pour vos interventions, qui montrent bien que, dans l'une et l'autre des filières, les problématiques sont distinctes.
Lorsque l'on parle des marges de la grande distribution, les fruits et légumes sont très souvent cités. Pas plus tard qu'hier, nous avons auditionné des associations de consommateurs, qui ont toutes indiqué que les fruits et légumes constituaient le rayon où les marges étaient les plus importantes. Comme vous l'avez souligné, monsieur Mazenod, nous sommes bien dans une situation où les fruits et légumes servent d'arbitrage : les produits leaders affichent des marges quasi nulles, tandis que les fruits et légumes supportent des marges bien plus élevées.
À vous entendre, je comprends que le rapport de force avec la grande distribution, tant dans la fixation des prix finaux pour le consommateur que face aux marques leaders, est largement défavorable aux filières. Or c'est bien ce rapport de force qui détermine le prix.
Dès lors, comment améliorer ce rapport de force face à la grande distribution ? Disposez-vous de pistes pour rendre ces négociations, qu'elles soient quotidiennes ou concentrées sur certaines périodes de l'année, plus équilibrées ?
M. Bruno Darnaud. - Je formulerai deux ou trois remarques et répondrai ensuite à vos questions. Vous avez évoqué la question des marges ; je souhaiterais intervenir plus particulièrement sur les produits d'importation. Dans le secteur des fruits et légumes, les importations sont en effet nombreuses. On évoque souvent un taux de 50 % dans la filière, mais ce chiffre doit être relativisé, dans la mesure où il inclut les produits exotiques. Cela étant, certains produits sont très fortement importés.
Or les marges appliquées sur les produits d'importation ne sont pas les mêmes que sur les produits français. Il s'agit là d'un enjeu majeur. Les distributeurs ne prennent pas ou très peu de marge sur les produits étrangers, qu'ils utilisent comme produits d'appel. Nous sommes donc confrontés à deux situations dans le secteur des fruits et légumes : soit les volumes importés sont très importants - c'est le cas pour la tomate -, ce qui déstabilise complètement le marché ; soit, dans de nombreuses filières, les volumes sont plus faibles, mais ils servent à établir des prix de référence qui tirent ensuite vers le bas les prix des produits français. C'est là l'un des sujets majeurs.
Ma deuxième remarque concerne le problème des promotions et des prix de fonds de rayon. Les consommateurs ont souvent l'impression que les marges sont énormes, notamment car la différence est très importante entre le prix de promotion et celui de fonds de rayon. Là encore, l'absence de politique d'enseigne unifiée constitue l'une des principales difficultés. Une enseigne peut décider d'une promotion nationale : dans ce cas, le même prix est appliqué dans l'ensemble des magasins de l'enseigne. Mais de plus en plus de distributeurs, qu'ils disposent de magasins indépendants ou intégrés, laissent une liberté totale à leurs directeurs. Souvent, on constate une volonté manifeste de ne pas mettre en valeur le produit de fond de rayon, avec des tarifs affichés qui conduisent légitimement les clients à s'interroger.
Le consommateur se sent perdu ; il ne comprend plus la formation du prix. Une semaine, il bénéficie d'une promotion ; la suivante, il se trouve face à un prix de fonds de rayon trois ou quatre fois supérieur à celui de la promotion.
Nous échangeons évidemment avec les distributeurs sur ces sujets, mais je souhaite insister de nouveau sur la question des importations. Parfois, ce sont les volumes importés qui déstabilisent les marchés ; dans d'autres cas, c'est leur influence sur la fixation du prix de référence. Je le constate très concrètement lorsque nous cherchons à basculer de la production espagnole à la production française pour la pêche ou l'abricot. Les distributeurs nous expliquent que le basculement est effectué, mais, dans les faits, il subsiste toujours 10 %, 15 %, voire 30 % de produits espagnols, à des prix défiant toute concurrence. Et l'on nous indique que, si nous voulons vendre, nous devons nous aligner.
Pour répondre à votre question sur le refus de vente, la réponse est non. Pour nos produits, les frais ont été largement engagés en amont. Certes, il peut rester parfois le coût de la cueillette, mais lorsque la marchandise est stockée, l'ensemble des coûts a déjà été supporté. Ne pas vendre aggraverait donc encore la perte. Nous ne disposons pas de cette capacité de résistance, sauf, une fois encore, à travers les discussions menées au sein des OP et des AOP.
S'agissant des promotions, je souhaite également souligner le manque de souplesse des distributeurs. Les discussions sur les promotions se tiennent parfois trois ou quatre mois à l'avance, notamment pour en fixer les dates. De ce fait, en cas d'à-coups de production, il leur est difficile de réagir rapidement. Nous tentons de remédier à ce problème. Il n'en demeure pas moins que ces discussions restent essentielles, y compris pour les distributeurs, qui reconnaissent que les AOP leur permettent d'avoir une vision d'ensemble de la production.
Nous essayons de rééquilibrer les relations, tout en restant conscients que nous sommes très petits. Lorsque le distributeur souhaite imposer, il impose.
Et je me permets d'insister sur ces décalages assez étranges que l'on constate parfois entre la politique nationale du distributeur et la politique menée au niveau de ses magasins. Nous réalisons des contrôles en magasin tout au long de l'année et nous constatons des pratiques assez surprenantes qui font perdre ses repères au consommateur.
M. Ronan Collet. - Pour compléter, je dirai que la question des promotions est particulièrement révélatrice. Les distributeurs souhaitent disposer de promotions tout au long de l'année et sur l'ensemble des produits en rayon, ce qui déstabilise complètement la perception du prix par le consommateur : un même produit est en promotion durant une semaine, puis affiché trois à quatre fois plus cher la semaine suivante.
Certains prix de fonds de rayon sont très élevés, mais nous constatons parallèlement des promotions sur le même produit à des prix parfois extrêmement bas, avec une marge écrasée. Certains fruits et légumes font aussi l'objet d'importations à prix très bas toute l'année ; dans le même temps, des produits français équivalents sont proposés avec des marges importantes, et donc des prix élevés en rayon. Ces pratiques conduisent logiquement le consommateur à privilégier les produits d'importation et à délaisser les produits nationaux.
L'exemple de la tomate est flagrant, avec des tomates d'origine marocaine vendues toute l'année 99 centimes d'euros la petite barquette. Les producteurs français ne peuvent pas rivaliser avec de tels prix, sauf à perdre de l'argent. Pour le même grammage, les barquettes des producteurs français sont donc vendues beaucoup plus cher, non seulement car le prix payé aux producteurs français est plus élevé, mais aussi parce que les distributeurs réalisent une marge plus importante sur ces produits.
Comme il y a des promotions toute l'année, le consommateur a l'impression de se faire avoir lorsqu'il achète un produit hors promotion, ce qui n'est pas nécessairement le cas.
Quant à la manière de réduire le rapport de force en défaveur du producteur, nous en appelons pour notre part au bon sens. La modération des marges existe déjà, mais elle n'est pas toujours appliquée. Nous aimerions une meilleure implication des acheteurs et une meilleure défense de la production nationale. Il est anormal qu'ils réalisent plus de marges sur la production française que sur les productions étrangères, lesquelles sont produites à bas coût, dans des conditions sociales et environnementales différentes de la production française. Dans ces conditions, si l'on veut pouvoir rémunérer justement un producteur français, il faut payer son produit plus cher que le produit d'importation. Non seulement il faut agir par la loi, mais il faut aussi en appeler au bon sens et aux intérêts de tous vis-à-vis de la grande distribution.
M. Mickaël Mazenod. - Je me permets d'ajouter quelques mots sur la distinction entre les produits en promotion, les produits premier prix et les produits de fonds de rayon, et sur les écarts importants observés entre ces catégories.
Pour les produits premier prix ou en promotion, les agriculteurs ne couvrent pas toujours leur coût de revient, mais ces ventes permettent de dégager le marché. La partie « fonds de rayon » est celle qui permet de couvrir les charges annuelles. Or cette part se réduit de plus en plus, et c'est précisément cet écart qui pénalise la production française. Lorsque l'écart de prix est trop important, on ne peut pas reprocher au consommateur de ne pas choisir systématiquement le produit le plus cher.
Comme l'a rappelé Bruno Darnaud, l'écart entre produits importés et produits français constitue un enjeu central. Il ne s'agit pas de supprimer les promotions, qui restent un outil nécessaire pour dégager le marché, mais de les positionner au bon moment, lors des pics de production. Elles ne peuvent servir de référence pour le reste de l'année sans affecter gravement le coût de production.
Il arrive ponctuellement que des producteurs refusent de vendre, notamment lorsque la récolte n'est pas effectuée. C'est possible dans les filières qui ont un délai très court entre la cueillette et la commercialisation, par exemple la cerise. Lorsque le coût de ramassage n'est pas couvert, les fruits peuvent être laissés sur l'arbre. En revanche, pour la majorité des espèces, une fois la récolte réalisée, les coûts sont engagés et il faut aller au bout du processus.
M. Stéphane Joandel. - S'agissant de la filière lait, comme je vous l'ai indiqué précédemment, nous entretenons très peu de relations avec la grande distribution ; nous travaillons essentiellement avec nos transformateurs. Pour répondre à votre question, madame Guhl, nous ne refusons pas de vendre. Le lait est une denrée périssable, collectée toutes les quarante-huit ou soixante-douze heures, puis vendue aux transformateurs. Or il arrive fréquemment que certains transformateurs ne communiquent le prix qu'après la collecte. À titre d'exemple, certains producteurs n'ont appris le prix d'achat du mois de novembre que ces derniers jours. Ce décalage d'un mois est fréquent, et c'est inadmissible.
Le terme qui nous est le plus souvent opposé, au sein de l'interprofession, est celui de « compétitivité ». J'aimerais en comprendre le sens. Si la filière ne parvient pas à dégager de marges et à rémunérer correctement ses producteurs, il faudrait peut-être s'asseoir autour d'une table et discuter en toute transparence. Un transformateur nous expliquait récemment qu'un emmental allemand arrivait moins cher sur nos étals, alors même que le prix du lait payé au producteur était plus élevé, avec une différence de 50 euros par tonne. Cette situation ne peut que nous interpeller.
Il manque aujourd'hui dans nos campagnes une forme de reconnaissance, c'est l'une des causes de nos actions syndicales en 2024. Certains industriels de l'agroalimentaire se sont développés à l'international et souhaitent désormais recourir davantage à l'importation, sans les mêmes exigences de qualité ni le même système social que celui que nous défendons.
Mais, comme je l'ai indiqué tout à l'heure, nous ne partageons plus toujours la même vision au sein de l'interprofession laitière. Certains acteurs privilégient une logique commerciale plutôt qu'une logique de production, et cette orientation nous semble dangereuse. Renoncer à une vision commune, c'est prendre le risque de perdre notre souveraineté alimentaire.
Au-delà de la question alimentaire, l'élevage laitier garantit l'occupation des territoires, en particulier dans les zones difficiles. Pour avoir longuement échangé avec de nombreux élus locaux - maires, conseillers municipaux ou départementaux -, je peux notamment témoigner de l'impact sur le risque d'incendie : lorsque l'élevage disparaît, les territoires se couvrent de broussailles et deviennent extrêmement vulnérables. Le modèle de la polyculture-élevage permet de maintenir l'équilibre du système environnemental ; il préserve la biodiversité et favorise le captage du carbone par les prairies. Ne l'oublions pas !
Aujourd'hui, nous avons encore la capacité de réagir, mais il faut rappeler à certains acteurs leurs responsabilités. C'est dans l'intérêt collectif que chacun trouve son intérêt personnel. Lorsque l'on raisonne à l'inverse, le système ne fonctionne plus.
Mme Anne-Catherine Loisier, présidente. - Compte tenu de l'actualité de ces débats, je souhaite revenir brièvement sur vos propos initiaux.
Vous avez d'abord évoqué les difficultés rencontrées par les OP et les AOP avec le droit de la concurrence. Avez-vous des griefs particuliers à nous signaler ? Lorsque vous indiquez qu'il conviendrait d'approfondir le statut ou la mission des OP et des AOP, quels axes préconisez-vous de développer ?
Vous avez ensuite souligné que vos produits subissaient une marge plus importante que celle appliquée aux produits importés, sans toutefois vous étendre sur la question de votre rémunération. Comment celle-ci a-t-elle évolué au cours des dernières années ? Disposez-vous de pistes d'optimisation des coûts de production ? Existe-t-il encore des marges de manoeuvre en la matière ?
Enfin, s'agissant de la filière lait, vous n'avez pas abordé la question des contrats tripartites. Je sais qu'ils sont peu nombreux, mais, au regard des débats internes que vous évoquez et des zones d'opacité que l'on perçoit, ces contrats peuvent-ils constituer un outil de transparence ? Sont-ils utilisés et, le cas échéant, pourquoi restent-ils marginaux ?
M. Bruno Darnaud. - Pour répondre à votre première question sur le droit de la concurrence, plutôt que de faire un grand discours, je vous donnerai un exemple très concret, survenu cet été dans la filière melon.
La filière était très en colère contre les pratiques de la grande distribution, notamment les opérations à 0,99 euro la pièce, sur lesquelles les producteurs de melon perdent de l'argent. Les acteurs de la filière ont souhaité engager une discussion avec les distributeurs sur ces opérations. En réponse, ces derniers ont adressé un courrier à la Gefel indiquant qu'il était anormal d'aborder ces sujets au sein de l'interprofession et évoquant un possible non-respect du droit de la concurrence. Le message était clair : « Vous allez trop loin ; ce sujet relève des relations interentreprises. »
Même en l'absence de contentieux formel, cet exemple précis, survenu cet été après une communication publique qui était sans doute malvenue, illustre la pression exercée par les distributeurs sur le fondement du droit de la concurrence. Nous vivons en permanence avec cette épée de Damoclès au-dessus de notre tête. Les OP et, plus encore, les AOP jouent un rôle essentiel, mais nous sommes toujours sur le fil du rasoir, et les distributeurs ne manquent pas de nous rappeler que la fixation des prix en magasin relève exclusivement de leur compétence. Nous souhaitons simplement être rassurés sur notre capacité à discuter. Il ne s'agit nullement d'imposer quoi que ce soit, mais de pouvoir échanger. Or, aujourd'hui, même la discussion devient parfois impossible, sous la pression du droit de la concurrence.
M. Ronan Collet. - En ce qui concerne les légumes, la détermination du coût de revient est particulièrement complexe, car elle suppose de prendre en compte l'ensemble du cycle de la culture. Le jour de la récolte, ce coût n'est pas encore connu avec précision. De nombreux aléas peuvent en effet intervenir et le faire varier fortement : des problèmes sanitaires affectant la culture, ou encore une flambée des coûts de l'énergie, comme nous l'avons connue ces dernières années.
Nous procédons à des estimations au moment du semis, puis nous établissons les calculs définitifs au moment de la récolte du fruit ou du légume. La détermination du coût de revient d'un légume est donc un exercice délicat.
Par ailleurs, comme je l'indiquais précédemment, il s'agit d'un marché de gré à gré, qui se construit au jour le jour. Le prix fluctue en fonction de la disponibilité du produit sur le marché. C'est déjà une première manière d'ajuster le prix au coût de revient. Il faut également avoir à l'esprit que l'ensemble des postes de charges nécessaires à la production d'un légume augmente de façon continue et que, ces dernières années, certains postes ont connu des hausses très importantes.
Je pense notamment à la main-d'oeuvre, qui représente une part significative du coût de revient d'un kilogramme de légumes. Celle-ci a fortement augmenté ces dernières années, en raison des revalorisations successives des salaires, et en particulier du Smic depuis 2020. Pour la tomate, par exemple, la main-d'oeuvre représente environ 40 % du coût de revient d'un kilogramme, ce qui a un impact considérable.
Je prends souvent l'exemple de la tomate, parce que j'en suis producteur, mais cette culture mobilise également beaucoup d'énergie. Or les coûts énergétiques ont fortement augmenté ces dernières années, notamment du fait des conflits géopolitiques, ce qui a pesé lourdement sur le coût de revient.
Il s'agit d'événements imprévisibles, impossibles à anticiper, et que nous avons pourtant subis de plein fouet. C'est également pour cette raison que la contractualisation est extrêmement complexe, puisque nous ne connaissons jamais précisément notre coût de revient à l'avance. Cela doit néanmoins être intégré par les acheteurs et par la grande distribution.
Au quotidien, ce sont les producteurs et les vendeurs qui donnent la tendance, qui expliquent la situation et qui font un travail de pédagogie auprès des acheteurs, afin de leur faire comprendre qu'il est parfois nécessaire d'acheter nos produits plus cher, en raison de telle ou telle augmentation de charges. Cela fait pleinement partie de la négociation journalière.
M. Mickaël Mazenod. - Je ne reviendrai pas sur l'ensemble des éléments qui ont déjà été évoqués, nombre d'entre eux étant parfaitement similaires. Je souhaiterais simplement apporter un éclairage sur la question de la rémunération dans le secteur des fruits.
De manière générale - en dehors de situations particulières -, la rémunération est en baisse. Un premier indicateur en est la diminution du nombre de producteurs et des surfaces exploitées en fruits en France. C'est là un signe clair de découragement.
Nous constatons donc une baisse de la rémunération, conjuguée à une augmentation de la charge de travail, qu'il s'agisse des contraintes réglementaires ou du travail physique sur l'exploitation. Lorsque l'on met ces éléments en perspective, en y ajoutant la hausse des coûts, l'attractivité du métier diminue et la rémunération recule. C'est une réalité.
Jusqu'aux années 2000-2010, nous avions bénéficié de gains réguliers de productivité, grâce à la mécanisation et à diverses améliorations techniques. Aujourd'hui, ces gains ont disparu. Comme je l'indiquais précédemment, nous faisons même face à une perte de productivité. Nous ne pouvons donc plus améliorer notre rémunération par l'investissement ou par l'évolution des pratiques. Les augmentations de charges prennent désormais le dessus et, conjuguées à cette baisse de productivité, entraînent une dégradation du résultat et de la rémunération.
Dans le même temps, nous sommes confrontés à des produits importés, en provenance d'Europe ou du reste du monde, qui ne sont pas soumis aux mêmes normes, qu'elles soient sociales ou environnementales. Lorsque l'on met ces éléments en balance, notre produit devient mécaniquement moins attractif pour le consommateur, même si l'on peut mettre en avant sa qualité ou son ancrage dans nos terroirs.
Au final, c'est le portefeuille du consommateur qui décide. Si nous ne vendons pas nos produits, nous n'avons pas de rémunération ; si nous les vendons à un prix trop bas, nous perdons également de l'argent. Cette situation rend extrêmement difficiles l'amélioration de la rentabilité et la restauration de l'attractivité des filières.
Nous perdons, année après année, de la souveraineté alimentaire, sur l'ensemble des productions. La part de la production française recule continuellement : ce phénomène ne touche pas uniquement les producteurs car toutes les filières sont concernées, depuis les fournisseurs de matériel agricole jusqu'aux coopératives, et, dans certains cas, l'industrie agroalimentaire de transformation.
Mme Anne-Catherine Loisier, présidente. - Je vous remercie de vos réponses. Si vous le pouvez, je vous serais reconnaissante de bien vouloir nous transmettre l'ensemble des documents permettant d'étayer vos propos.
M. Stéphane Joandel. - S'agissant de vos questions relatives à la loi Égalim, je peux confirmer que celle-ci a eu un effet pour les producteurs de lait ; il faut le reconnaître. La FNPL avait d'ailleurs joué un rôle moteur pour la faire aboutir et obtenir une rémunération plus juste.
L'objectif affiché était de parvenir, sur le marché intérieur, à une rémunération équivalente à deux Smic pour les éleveurs laitiers. En 2024, nous atteignons environ 1,6 Smic. Il subsiste donc un écart, que nous souhaitons combler.
Concernant les contrats tripartites, quelques initiatives ont été engagées, mais elles demeurent marginales. Pour conclure un tel contrat, il faut naturellement l'accord des trois parties. Or, lorsque l'un des acteurs s'y oppose - ce qui est fréquent -, le contrat ne peut voir le jour. Les coopératives nous indiquent clairement qu'elles redoutent de devenir de simples prestataires de services, ce qu'elles considèrent comme dangereux pour leur modèle.
Ces contrats sont donc possibles, mais restent exceptionnels. Dans ce que l'on pourrait qualifier de logique de « poker menteur », il est parfois difficile d'identifier les responsabilités respectives du transformateur et du distributeur. En revanche, le producteur demeure la variable d'ajustement. C'est précisément ce que nous avons voulu dénoncer dans le cadre de la loi Égalim.
Mme Antoinette Guhl, rapporteure. - Avant de donner la parole aux autres sénateurs et sénatrices, je souhaiterais vous interroger sur la question des produits biologiques dans chacune de vos filières.
Nous avons auditionné hier l'association UFC-Que Choisir, qui a réalisé une étude, notamment sur les pommes biologiques. Il en ressort que les marges pratiquées peuvent conduire à un doublement du prix de vente entre un produit biologique et un produit non biologique. Or, les marges étant déjà élevées sur le non-biologique, cela aboutit à une surmarge importante sur le biologique. Je souhaiterais connaître votre analyse sur ce point.
Par ailleurs, s'agissant du lait biologique, une baisse de la collecte est régulièrement évoquée. Comment analysez-vous cette évolution et quelles perspectives voyez-vous pour cette production ?
M. Bruno Darnaud. - Comme je l'ai déjà évoqué, il existe de nombreuses espèces de fruits et de légumes, qui ont chacune leurs caractéristiques. Dans les filières bio, chacune d'entre elles connaît des problématiques, des contraintes techniques et des difficultés différentes.
S'agissant du prix, il est important de souligner que le revenu d'un producteur, en bio ou en conventionnel, dépend avant tout de son volume de production : même si le prix évolue, la rémunération reste le produit d'un prix par un volume.
La diminution du nombre de vergers, les enjeux liés aux normes phytosanitaires ou à l'eau : tout ce qui contraint la production fait perdre de la compétitivité. Dans les filières bio, le point déterminant est de savoir si le volume produit par le producteur va être suffisant pour permettre d'arriver à un prix cohérent pour le consommateur.
Il peut exister des marges abusives en bio, mais le fond du problème demeure le volume de la production. Lorsque la filière maîtrise la technique, celui-ci peut être suffisant. Encore faut-il qu'il y ait ensuite une demande correspondante, compte tenu des prix. On observe, dans le cas des pêches et des abricots, qu'à partir de 4,20 euros le kilo, par exemple, le consommateur décroche. Or en bio, le prix peut être encore plus élevé.
Encore une fois, chaque filière est différente : celle des pommes est parvenue à régler ses problématiques techniques et produit presque un peu trop, c'est-à-dire qu'elle est en suroffre, tandis que la filière des pêches et des nectarines connaît encore de très grandes difficultés techniques.
M. Ronan Collet. - Produire en bio coûte plus cher qu'en conventionnel ; le coût de production doit donc être répercuté sur les prix en rayon si l'on veut que la marge reste stable. Il est cependant vrai que les marges sur le bio, pendant longtemps, étaient bien plus importantes qu'en conventionnel. C'est certainement une des raisons du désintérêt du consommateur pour le bio observé ces dernières années. La balle est dans le camp de la grande distribution pour recréer un équilibre et faire en sorte de regagner la confiance des consommateurs.
M. Mickaël Mazenod. - L'impulsion dépend toujours, in fine, de l'offre et de la demande. Par ailleurs, en effet, toutes les filières sont différentes. Celle de la pomme connaît plutôt une dynamique de déconversion du bio, car nous étions allés trop vite et trop loin. Les prix du marché étaient inférieurs, en chiffre d'affaires par hectare, aux coûts de production.
M. Stéphane Joandel. - La filière laitière a connu beaucoup de conversions au bio en 2018 et 2019. Il y avait un marché segmenté et une demande des consommateurs. Le covid a détourné le consommateur du bio, ce qui a impacté très fortement la filière. Si celle-ci retrouve une bouffée d'oxygène, c'est que beaucoup de producteurs se sont déconvertis.
Par ailleurs, une partie des consommateurs veulent consommer bio, mais cette part n'augmente pas.
Ensuite, on parle beaucoup de la grande distribution, mais la restauration hors domicile (RHD), par exemple dans les écoles, devrait aussi privilégier les produits français. Le prix est un frein qui pourrait être levé, notamment via le levier du gaspillage alimentaire. Ce sujet est important pour la FNPL et la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA). Celle-ci, par l'intermédiaire de Jean-Michel Lemétayer, a par exemple fondé l'association Solaal. On m'a indiqué que nous gaspillions actuellement entre 26 et 30 % de la production agricole. Si nous parvenons à éviter ce gaspillage, cela pourrait diminuer les coûts.
Mme Antoinette Guhl, rapporteure. - La mise en production de barquettes de tomates cerises « bleu-blanc-rouge » a-t-elle eu un impact particulier sur la filière tomate ?
M. Ronan Collet. - Nous avons en effet mis en circulation des barquettes « bleu-blanc-rouge » destinées aux tomates cerises. Ce travail a été réalisé au niveau de l'appellation d'origine protégée (AOP) nationale « Tomates et Concombres de France » qui a créé un packaging commun dans l'idée de faire face aux barquettes de tomates cerises d'importation vendues au prix de 99 centimes d'euros l'unité.
Le problème demeure le même : depuis le lancement du projet en 2025, nous attendons que les distributeurs jouent réellement le jeu, car nous n'avons pas encore eu de retours majeurs de leur part. Comme d'habitude, ceux-ci auraient préféré qu'on s'aligne sur le prix des tomates cerises importées plutôt que d'investir dans cette démarche. Nous discutons avec eux, mais ce n'est pas simple.
Mme Anne-Catherine Loisier, présidente. - Il me semble que cette initiative reçoit néanmoins l'assentiment des consommateurs, à l'instar des opérations approchantes sur le lait français. Si vous avez des chiffres sur le sujet, j'aimerais que vous nous les communiquiez.
M. Stéphane Joandel. - Le drapeau « bleu-blanc-rouge » fonctionne dans la filière du lait, car le consommateur est attaché à l'origine française de la production. Nous avons en revanche d'énormes difficultés avec certains transformateurs, qui refusent de promouvoir l'origine France du lait.
Par ailleurs, il y a parfois des pratiques de tromperie du consommateur dans l'étiquetage du produit. Nous avons constaté dernièrement qu'au Brésil, certains acteurs - en l'occurrence, la marque Président - utilisaient indûment le drapeau « bleu-blanc-rouge ». Nous pourrons vous communiquer les éléments si vous le souhaitez.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Mes questions concernent les territoires ultramarins. Tous les produits laitiers importés y sont vendus à des prix excessivement élevés. Selon les territoires, la production laitière locale n'y existe quasiment pas, ce qui entraîne une forte dépendance aux importations de lait ultra haute température (UHT), de poudre de lait ou de matières grasses ensuite transformées et conditionnées sur place. S'ajoutent à ces étapes celles du fret maritime, du stockage - et donc des coûts portuaires - ainsi que des dispositifs fiscaux spécifiques comme l'octroi de mer. Pour le consommateur ultramarin, cette succession d'intermédiaires rend la formation du prix difficile à comprendre. Localement, on entend toujours parler des marges de distributeurs, jamais de la marge éventuelle des autres intermédiaires. Serait-il possible d'obtenir un document recensant, pour les produits laitiers et les fruits et légumes importés, et sans indication de prix dans un premier temps, tous les acteurs de la chaîne logistique d'importation vers l'outre-mer ?
M. Stéphane Joandel. - Je vous propose de me rapprocher de l'interprofession laitière afin d'obtenir ces éléments.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Très souvent, lorsque nous examinons la constitution des marges, il y a un producteur, puis différents acteurs : une structure qui organise le transport routier, l'autre le transport maritime, ainsi qu'une structure qui assure le stockage. J'aimerais obtenir une liste détaillée de ces acteurs et de leur marge, présentée de manière simple.
Mme Anne-Catherine Loisier, présidente. - Une table ronde spécifique sur l'outre-mer doit avoir lieu au sein de cette commission d'enquête. Nous y reviendrons avec les acteurs spécialistes.
M. Ronan Collet. - S'agissant des légumes, Légumes de France comprend une antenne outre-mer à qui je poserai la question.
Mme Audrey Linkenheld. - En ce qui concerne la RHD, la loi Égalim du 30 octobre 2018 prévoit une part obligatoire de production locale et bio. Les collectivités concernées font tous les efforts possibles pour atteindre les objectifs en la matière. Elles ont, malgré leur budget contraint, le souhait politique d'y arriver.
M. Stéphane Joandel. - Égalim, en effet, impose à la RHD certaines exigences. Mais elle n'oblige pas les grossistes à prendre en compte les coûts de production. Autrement dit, la restauration collective réussit à proposer des produits de production française, mais dans le cas du bio, elle ne parvient pas à garantir une rémunération suffisante du producteur.
Mme Audrey Linkenheld. - Le sujet n'est donc pas que les produits de la RHD soient locaux ou français, mais que la rémunération des producteurs soit convenable.
M. Stéphane Joandel. - Les transformateurs nous disent que ces marchés publics sont très concurrentiels, très compliqués et peu transparents. Par ailleurs, l'engagement prévu par Égalim d'introduire 25 % de bio dans la RHD n'a jamais été respecté.
Mme Anne-Catherine Loisier, présidente. - En tant que rapporteure de la loi Égalim, je confirme que l'engagement d'introduire 25 % de bio est inscrit au titre II relatif à la RHD. Dans la pratique, ce n'est pas suivi par tout le monde. Nombre de régions, de départements et de municipalités ont fait des efforts sur la restauration scolaire, mais les disparités d'un territoire à l'autre sont fortes. Par ailleurs, les grossistes ne sont en effet, à ce jour, pas soumis à Égalim, ce qui reste perfectible.
Nous avons beaucoup parlé du titre I sur les négociations commerciales, et peu du titre II, dont la mise en application, notamment en ce qui concerne la RHD, reste à contrôler. Je rappelle, par exemple, que l'État s'était engagé à ce que 100 % de la viande servie dans les administrations publiques soit française. Ce n'est pas le cas à ce jour ; des marges de progression demeurent donc.
Mme Audrey Linkenheld. - Pourrions-nous organiser un focus sur ce sujet ?
Mme Anne-Catherine Loisier, présidente. - Nous avons un comité de suivi d'Égalim qui travaille sur ces différents aspects et qui pointe des évolutions. C'est, à mon sens, l'une des raisons pour lesquelles il y a eu finalement plusieurs Égalim : chaque nouvelle loi est venue corriger et ajuster les manquements de la précédente. Il est clair que le volet de la RHD est, en effet, un sujet majeur pour les producteurs.
M. Yves Bleunven. - Premièrement, alors que la souveraineté alimentaire a été consacrée cette année « intérêt majeur de la France », avez-vous des solutions pour lutter contre l'invasion massive de la tomate marocaine sur le marché français ?
Deuxièmement, au sein de votre filière lait, la concentration des opérateurs - dont certains montrent des côtés un peu dominateurs - et le manque de transparence de leurs méthodes font que vous ne disposez pas de tous les éléments pour connaître le prix véritablement payé au producteur. Qu'attendez-vous concrètement en matière de transparence, aussi bien en ce qui concerne les produits de grande consommation (PGC) que les produits destinés à l'export et très transformés ?
Troisièmement, où en êtes-vous dans les AOP sur une marque identifiée « souveraineté alimentaire » ? Vous avez évoqué l'initiative des barquettes de tomates « bleu-blanc-rouge », mais j'ajouterai que les barquettes Azura sont trompeuses : à les regarder, on peut avoir l'impression qu'il s'agit d'un produit français.
M. Ronan Collet. - S'agissant des tomates, la solution est, selon moi, collective et multiple.
Notre premier pas au sein de l'AOP « Tomates et Concombres de France » a été la barquette souveraine. Elle a été créée pour faire face à cette barquette Azura, présente en grande quantité dans les rayons de tous les distributeurs. Je le dis très simplement : si l'on continue comme ça, ce sera la fin de la filière tomate cerise en France - et j'espère que ce ne sera pas le cas de la tomate en général.
On ne peut pas être compétitif par rapport à la tomate d'importation. Nous, producteurs de tomates, avons fait l'effort de concevoir une barquette de tomates cerises avec un prix de cession diminué, pour qu'elle soit proposée à un prix raisonnable en rayon. Tout le monde doit jouer le jeu : la grande distribution, qui doit les commander, les mettre en rayon, et baisser sa marge - cela n'a pas été le cas de tous les distributeurs en 2025 - et le consommateur, qui a la responsabilité de faire un acte d'achat souverain et de préférer payer un petit peu plus cher pour une tomate française.
On sait dans quelles conditions, tant sur le plan social qu'environnemental, et où les tomates françaises ont été produites. En revanche, on sait que les tomates extra-européennes sont produites dans des pays où la ressource en eau est rare, dans des conditions peu transparentes, avec une main-d'oeuvre quinze fois moins chère qu'en France. Nous ne pouvons faire face à un tel dumping social et environnemental. L'effort doit être collectif et partagé entre les distributeurs, les consommateurs et les producteurs.
Par ailleurs, nous travaillons en effet à une marque française. La barquette « bleu-blanc-rouge » était un premier pas, peut-être faudra-t-il aller plus loin.
M. Yves Bleunven. - Pour avoir de l'impact, cette marque doit être transversale et interfilière. Il faut éviter de multiplier les logos « souveraineté alimentaire ». À l'échelle régionale, la marque Produit en Bretagne est un bon exemple. Inventée en 1995 pour défendre l'emploi en Bretagne, on retrouve aujourd'hui son logo sur des produits alimentaires, mais aussi des services. C'est la preuve qu'un logo unique peut rassembler toutes les filières.
M. Bruno Darnaud. - Pour les fruits, la filière pomme a lancé la marque Vergers écoresponsables en 2011. Nous avons été rejoints par la filière pêche et abricot en 2013, et la filière prune est en train de nous rejoindre.
Mais il ne suffit pas d'afficher qu'un fruit est produit en France. Un cahier des charges doit être construit et associé à la marque, avec une qualité gustative - le consommateur doit pouvoir faire la différence avec un produit étranger - et une qualité environnementale.
Les AOP, fruits comme légumes, se rassemblent pour travailler dans ce sens-là, mais les cahiers des charges associés doivent être vérifiés par des organismes certificateurs et ont un certain coût. Nous tentons de rassembler les producteurs, qui y sont plutôt réceptifs, mais ces travaux prennent du temps. La marque Vergers écoresponsables, par exemple, a été fondée en 2011, et nous ne commençons à grandir que maintenant. Il a fallu habituer les acteurs, dont le distributeur, qui, aujourd'hui, met plutôt la marque en avant face aux produits espagnols et italiens.
Cela passe, en effet, par des marques plus collectives et plus larges. Elles sont aujourd'hui multiples ; nous essayons de les rassembler au niveau des AOP.
Mme Anne-Catherine Loisier, présidente. - Nous voyons en effet fleurir des démarches territoriales bien identifiées. Il me paraît pertinent que vous ayez une lecture transversale de ce sujet, afin d'éviter une multiplication excessive des marques.
M. Stéphane Joandel. - Qu'entend-on par souveraineté alimentaire ? Il existe beaucoup de définitions. Or la souveraineté alimentaire, vitale pour nos consommateurs, a été perdue dans toutes les filières de production, sauf celle du lait.
Par ailleurs, s'agissant de la transparence, nous, la FNPL, souhaitons que l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires (OFPM) récupère un pouvoir coercitif et soit en capacité d'imposer aux distributeurs la transmission de leurs données.
Deuxièmement, nous souhaitons que l'option 3 de la loi Égalim soit supprimée au profit des options 1 et 2, afin de retrouver une forme de transparence des négociations.
S'agissant de l'export, j'ai souligné qu'il fallait, dans Égalim, construire des indicateurs de coûts de production là où nous ne parvenons pas à obtenir de la transparence de la part des transformateurs. Lorsque Lactalis a lâché les producteurs en affirmant ne pas gagner d'argent sur l'export, il était impossible de savoir si c'était vrai. Peut-être l'était-ce en raison du coût de notre système social. Lactalis a peut-être simplement privilégié son profit, ce qui serait inacceptable. Nous devons réussir à décortiquer ces choses-là.
J'attire votre attention sur le fait que les pays nordiques créent de très grosses coopératives. FrieslandCampina et Milcobel vont atteindre 11 milliards de litres de lait. DMK et Arla vont fusionner et atteindre 20 milliards de litres. En France, cela signifierait qu'une seule coopérative gère presque toute la production de lait. Ces pays ont investi parce qu'ils veulent une juste rémunération des producteurs.
La France produit 24 milliards de litres de lait et compte quatre transformateurs qui se sont implantés partout dans le monde. Parmi les 32 milliards de litres de lait produits par l'Allemagne, premier producteur de lait en Union européenne, seulement 5 milliards sont développés à l'extérieur. Ces chiffres doivent nous interpeller. Je crains, dans les années à venir, que le lait ne connaisse le même sort que la volaille : un poulet sur deux est importé en France, ce qui n'est pas compréhensible.
Au bout d'un moment, les citoyens comme les politiques doivent dire « stop ». Nous devons renforcer nos coopératives, car c'est le meilleur système.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Pourrait-on réfléchir à un logo, ou une marque « France » qui identifierait les produits - pas seulement alimentaires - fabriqués en France ?
Mme Anne-Catherine Loisier, présidente. - C'est effectivement le fil conducteur de beaucoup de débats sur le textile et sur d'autres types de produits. Nous nous rejoignons sur ce point.
Messieurs, je vous remercie de vos interventions, et n'hésitez pas à nous communiquer tout document que vous jugeriez utile.
La réunion, suspendue à 11 h 50, est reprise à 11 h 55 à huis clos.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 12 h 30.