- Mardi 16 décembre 2025
- Mercredi 17 décembre 2025
- Proposition de loi visant à intégrer les accompagnants des élèves en situation de handicap dans la fonction publique et à garantir une meilleure inclusion des élèves en situation de handicap et à besoins éducatifs particuliers - Examen du rapport et du texte de la commission
- Proposition de loi visant à protéger les jeunes de l'exposition excessive et précoce aux écrans et des méfaits des réseaux sociaux - Examen des amendements au texte de la commission (sera publié ultérieurement)
- Audition de Mme Laurence des Cars, présidente-directrice du musée du Louvre
Mardi 16 décembre 2025
- Présidence de M. Laurent Lafon, président -
La réunion est ouverte à 16 h 30.
Audition de MM. Jean-Luc Martinez, ancien président-directeur du musée du Louvre, Denis Fousse, ancien directeur de l'accueil du public et de la surveillance du musée du Louvre, Maxence Langlois-Berthelot, ancien administrateur général du musée du Louvre et Laurent Le Guédart, ancien directeur du patrimoine architectural et des jardins du musée du Louvre
M. Laurent Lafon, président. - Nous poursuivons notre cycle de travaux sur la sûreté du musée du Louvre en accueillant cet après-midi M. Jean-Luc Martinez, ancien président-directeur du musée.
Monsieur Martinez, vous avez occupé cette fonction entre le 14 avril 2013, date à laquelle vous avez succédé à Henri Loyrette, et le 1er septembre 2021, date à laquelle Laurence des Cars a pris la tête de l'institution.
Vous êtes accompagné de quelques-unes des personnes qui ont composé votre équipe pendant ces huit années : M. Maxence Langlois-Berthelot, ancien administrateur général ; M. Denis Fousse, ancien directeur de l'accueil du public et de la surveillance du musée ; M. Laurent Le Guédart, ancien directeur du patrimoine architectural et des jardins.
Messieurs, nous vous souhaitons la bienvenue devant notre commission.
Nous avons souhaité vous entendre après avoir pris connaissance des conclusions de l'enquête administrative rendue le 5 novembre par l'inspection générale des affaires culturelles (Igac) et la mission de sécurité, de sûreté et d'audit (Missa), qui sont d'une grande sévérité pour la gestion de l'équipe actuelle comme pour celle mise en oeuvre sous votre responsabilité. Aucune des directions qui se sont succédé n'est exempte de reproches.
Les conclusions pointent, sur le temps long, la défaillance générale du musée dans la prise en compte des enjeux de sûreté. Cette défaillance est à la fois stratégique, avec une priorisation des missions d'accueil et de médiation culturelle par rapport à la sûreté ; organisationnelle, du fait d'une gouvernance insuffisamment formalisée sur ce sujet ; et enfin technique, du fait de l'extrême lenteur des procédures menées pour remplacer des équipements vieillissants ou obsolètes.
Il nous importe donc de recueillir vos observations face à ces constats généraux. Quelle place avez-vous donnée aux enjeux de sûreté dans la gestion que vous avez assurée ? Comment avez-vous choisi d'organiser sa gouvernance ? À quels investissements avez-vous procédé en réponse aux nombreuses failles de sécurité identifiées sous votre responsabilité ?
Au-delà de ces interrogations générales, plusieurs points nous interpellent particulièrement et appellent des réponses précises de votre part.
En premier lieu, il est extrêmement étonnant, voire sidérant, de constater que les failles de sécurité qui ont permis aux malfaiteurs de réussir dans leur entreprise le 19 octobre dernier avaient toutes été identifiées par des travaux d'audit et d'inspection menés sous votre présidence, dont les résultats étaient remarquablement concordants. Je pense bien sûr à l'audit réalisé en 2017 par l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (IHEMI), mais surtout à celui réalisé par le joaillier Van Cleef & Arpels en 2019, dans le cadre d'un mécénat de compétences techniques, qui portait plus spécifiquement sur la galerie d'Apollon.
Plusieurs des recommandations formulées à l'issue de ces travaux pouvaient être mises en oeuvre sans donner lieu à des dépenses ou à des procédures très importantes. Je pense notamment à la sécurisation de la fenêtre de la galerie d'Apollon ou à l'amélioration de sa protection périmétrique. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ces recommandations n'ont pas été appliquées, et sur quels éléments se sont appuyés les arbitrages que vous avez rendus ?
Toutefois, le problème dépasse largement la galerie d'Apollon : de nombreux constats et recommandations de l'audit de 2017 concernant la coordination et l'organisation des services, la politique de sûreté, la formation des personnels sont identiques à ceux du rapport de l'enquête administrative de 2025. Comment expliquer une telle inertie ?
À titre incident, il apparaît que vous avez vous-même remis le rapport de 2017 aux enquêteurs de l'Igac et de la Missa. Vous nous confirmerez si cela est exact. Pouvez-vous nous expliquer dans quelles conditions vous avez emporté et conservé ce document après que vos fonctions au musée du Louvre avaient pris fin ?
Cet élément me conduit à notre deuxième point d'étonnement, qui porte sur la perte de mémoire des travaux réalisés sous votre responsabilité en matière de sûreté lors de la passation de la présidence à Mme des Cars. Il importe que vous nous décriviez de manière très précise comment cette passation a été organisée et s'est déroulée, ainsi que la manière dont vous avez assuré la transmission des informations nécessaires au suivi des dossiers les plus importants pour la gestion du musée. Comment expliquez-vous, en particulier, que l'actuelle équipe dirigeante n'ait pas eu connaissance de l'audit de 2019, ni celui de 2017 a priori, avant qu'il ne soit mentionné au cours de l'enquête administrative ?
Mon troisième et dernier point d'interrogation porte, de manière plus technique, sur les conditions d'élaboration de la mise en oeuvre du schéma directeur des équipements de sûreté du musée, qui a été lancé en 2017 pour une première mise en application prévue au début de l'année 2026 seulement. Nous souhaitons comprendre de quelle façon vous avez travaillé à l'élaboration de cet outil, quel était son état d'avancement lorsque vous avez quitté la direction du musée, et quel calendrier de mise en oeuvre de ce schéma directeur vous aviez envisagé.
Monsieur Martinez, je vais à présent vous donner la parole pour un propos liminaire d'une dizaine de minutes. Les membres de la commission vous feront ensuite part de leurs interrogations, en commençant par notre rapporteur pour avis sur les crédits budgétaires relatifs aux patrimoines, Mme Sabine Drexler.
M. Jean-Luc Martinez, ancien président-directeur du musée du Louvre. - Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux de vous rendre compte de la politique, notamment de la politique de sûreté, que j'ai cherché à mettre en oeuvre pendant les années où j'ai eu l'honneur d'être président-directeur du musée du Louvre. Comme chaque citoyen français, j'ai été moi-même frappé, heurté, meurtri par ce vol, qui restera pour tous, et notamment les équipes du musée, une blessure.
Permettez-moi de rappeler deux éléments introductifs pour replacer, dans un cadre général, la politique de sûreté que j'ai essayé de mettre en oeuvre.
Comme vous le savez, j'ai eu l'honneur de diriger le Louvre pendant deux mandats, de 2013 à 2021 : un premier mandat de cinq ans, puis un second mandat de trois ans. J'ai été conservateur, puis chef de département au musée du Louvre ; j'ai en tout une expérience de vingt-cinq ans dans cette maison. Lorsque l'on m'a fait l'honneur de me confier la direction du musée, mon projet était de remettre à niveau les équipements et le bâtiment.
J'ai parlé, dans le cadre d'un projet scientifique et culturel que j'ai coordonné en 2015, des oublis du Grand Louvre. Comme je l'ai souvent répété à l'époque, quand il pleut dans une maison, il faut réparer la toiture avant de repeindre le salon. Cela vous donne un peu l'état d'esprit qui était le mien : replacer le bâtiment au centre du projet, avec une interaction avec le public - la rencontre du public et des collections. À cet égard, je me permets de rappeler que c'est un reproche que beaucoup m'ont adressé, au début de mon premier mandat notamment. Remettre la gestion quotidienne du bâtiment au coeur de nos préoccupations signifiait laisser moins de place à l'événementiel, organiser moins d'expositions, revenir sur l'affectation de 20 % des recettes de billetterie aux acquisitions.
Il s'agissait en effet de revenir à une politique d'investissement, tout simplement parce que le bâtiment avait vieilli depuis les travaux du Grand Louvre. La situation en 2013, quand j'ai pris mes fonctions, et en 2018, quand mon mandat a été renouvelé, n'était pas celle que mes prédécesseurs avaient connue. Permettez-moi de leur rendre ici hommage au nom de la continuité du service public. Pierre Rosenberg a terminé le projet du Grand Louvre en 1997 ; son mandat s'est donc inscrit sous le signe d'une politique d'investissement importante. Quant à mon prédécesseur, Henri Loyrette, se saisissant du vieillissement du projet du Grand Louvre, il avait lancé des schémas directeurs, notamment le schéma directeur de mise en sécurité incendie.
Dans ce cadre, je voudrais rappeler mes priorités quant à la mise en place d'un projet d'investissement au service d'un bâtiment vieillissant.
Lors de mon premier mandat, le projet Pyramide - un projet d'investissement de 35 millions d'euros - a consisté à réhabiliter les structures d'accueil sous la pyramide. J'ai bénéficié de toutes les études réalisées par mon prédécesseur pour le mettre en oeuvre, avec une nouvelle billetterie et de nouveaux espaces d'accueil du public. La politique d'investissement de mon deuxième mandat a concerné essentiellement les réserves externalisées, une autre des faiblesses du projet du Grand Louvre, et de refondation des espaces de réserve souterrains. Ce projet de plus de 60 millions d'euros a été mené grâce au soutien de la région des Hauts-de-France. C'est à cette occasion que j'ai mis en place un certain nombre de schémas directeurs, à la suite de mon prédécesseur Henri Loyrette. Je reviendrai ultérieurement sur le schéma directeur des équipements de sûreté et la manière dont il a été élaboré.
Permettez-moi maintenant de rappeler les conditions dans lesquelles s'est déroulée la passation des dossiers à Laurence des Cars. Sa nomination a été annoncée en mai 2021, et Mme Roselyne Bachelot, alors ministre, m'a demandé d'assurer mon propre intérim pendant plusieurs mois et de préparer les dossiers pour Mme des Cars.
Sachez que dès l'annonce de sa nomination, le 27 mai 2021 très exactement, j'ai demandé à l'ensemble des quinze directions de préparer le bilan de leurs missions et de rédiger une note sur l'état d'avancement des dossiers et des projets structurants en cours, avec les questions restant à arbitrer - nous étions dans la phase de préparation du budget de l'année 2022, qu'il m'appartenait de coordonner. Je n'ai pas procédé moi-même à ces arbitrages, puisque je ne faisais qu'assurer l'intérim de la direction. Je tiens ces documents à votre disposition, si vous souhaitez savoir exactement ce qui a été transmis à la nouvelle équipe de direction. Entre le mois de mai et le 31 août, j'ai rencontré plusieurs fois Laurence des Cars pour lui remettre ces documents et les commenter.
Je voudrais rassurer la représentation nationale sur le fait qu'il y a eu une continuité de service entre mon dernier mandat et celui de Laurence des Cars, à l'instar de ce qui s'est fait précédemment entre les mandats des différents présidents-directeurs. Bien entendu, je n'ai conservé aucune de mes archives ; j'ai tout laissé sur place. Je reviendrai sur ce point, sachant que j'avais créé le poste de responsable des archives pendant mon mandat, et que j'avais également mis en place une direction de la qualité et de l'audit interne. Il y avait également des comités de suivi de ces audits internes, qui formulaient des préconisations et préparaient tous les documents stratégiques. C'est dans le cadre de l'élaboration du budget 2022 qu'a eu lieu le tuilage avec la nouvelle présidente. Je lui avais alors indiqué que je me tenais à sa disposition, au vu de l'ensemble considérable que représente cet établissement public : 2 300 équivalents temps plein (ETP), 3 hectares de jardin et 250 000 mètres carrés.
Si Maxence Langlois-Berthelot et moi-même avons cessé nos fonctions au 31 août, la plupart des directeurs et des équipes sont restés en place. En ce qui concerne les schémas directeurs, notamment le schéma directeur des équipements de sûreté, vous pourrez interroger Denis Fousse et Laurent Le Guédart, qui ont servi les deux équipes. Il y a donc bien eu une continuité de service public, sachant que la gestion et la coordination du schéma directeur des équipements de sûreté étaient assurées par l'une des administratrices générales adjointes, Mme Valérie Forey - qui, certes, n'est restée que quelques mois après mon départ.
Nous avions recruté en 2018 un chef de projet chargé du suivi des travaux du schéma directeur sur les équipements de sûreté, Romain Salagnon. Ce chef de projet Sûreté travaillait au sein d'un comité de pilotage Sûreté dirigé par Valérie Forey, qui réunissait le groupe de travail compétent tous les quinze jours. Il existait donc bien un pilotage de la politique de sûreté au sein de la direction générale. J'ai beaucoup entendu parler du fonctionnement en silo du musée du Louvre. Je ne dis pas qu'un tel fonctionnement n'existait pas ; nous avons cependant cherché à y répondre en créant cet organe de pilotage.
S'agissant de la galerie d'Apollon, le directeur du département des objets d'art, Jannic Durand, a lui aussi servi les deux équipes : directeur de ce département sous mon dernier mandat, il l'a été au début du premier mandat de Laurence des Cars. Il a commandé le rapport Van Cleef & Arpels en 2018 pour établir le cahier des charges des vitrines de la galerie.
Je ne vous dis pas qu'il n'y a pas eu de rupture dans l'information. Je souligne simplement que, pour les années 2021 et 2022, une documentation synthétique avait été transmise à Laurence des Cars, et que les équipes en place assuraient une forme de continuité de service.
Permettez-moi de préciser, d'une part, le contexte dans lequel a été déployée la politique de sûreté au cours de mes deux mandats et, d'autre part, celui dans lequel j'ai eu à rechercher les documents que vous avez mentionnés.
Lors de mon départ de la présidence-direction du Louvre, je n'ai emporté aucune archive. Maxence Langlois-Berthelot et moi-même avons laissé l'ensemble de nos archives auprès du délégué aux archives de l'établissement, et demandé que nos archives informatiques soient également collectées sur nos ordinateurs professionnels. La direction de la qualité et de l'audit interne (DQAI) était aussi chargée du suivi des audits et de la capitalisation de ces informations.
Lorsque la Cour des comptes a commencé son étude, j'ai contacté l'actuelle équipe de direction, notamment Laurence des Cars. Je leur ai indiqué que je répondrais à la Cour des comptes de mon deuxième mandat, mais qu'il leur incombait de transmettre les documents demandés par la Cour, comme il est d'usage républicain. À la lecture des observations provisoires de la Cour, faisant suite à mon audition du 13 octobre 2025, j'ai découvert que celle-ci n'avait pas connaissance d'un certain nombre de documents, incluant le schéma directeur des équipements de sûreté, les audits réalisés, ainsi que le plan décennal de restauration du monument.
J'ai alors interrogé en toute transparence mes anciens collaborateurs afin de retrouver ces documents. L'ancien responsable de la DQAI m'a indiqué qu'il avait conservé l'audit de l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ), dont la DQAI était commanditaire ; je l'ai transmis à la Cour des comptes. Après le vol, l'Igac et l'Office central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC) ont à leur tour lancé une enquête. Laurent Le Guédart m'a indiqué avoir conservé le schéma directeur des équipements de sûreté. M. Maxence Langlois-Berthelot ayant été interrogé par les gendarmes de l'OCBC, il a également entrepris de rechercher les éléments de notre politique de sûreté de l'époque. C'est ainsi que nous avons retrouvé l'audit de 2017 parmi d'autres éléments. Tous les originaux sont bien conservés dans les archives du musée du Louvre.
Concernant la mise en oeuvre du schéma directeur des équipements de sûreté, permettez-moi de rappeler dans quel contexte il a été élaboré, notamment les événements que l'établissement a traversés lors de mes mandats.
Le 13 novembre 2015, le Louvre a fermé à la suite des attentats du Bataclan. Le 2 juin 2016, une alerte crue de la Seine nous a forcés à évacuer les collections ; quatre jours de fermeture ont été nécessaires pour les replacer. Le 3 février 2017, un attentat est survenu dans l'enceinte même du Louvre : un homme qui voulait s'en prendre aux collections a été abattu par les forces Sentinelle du plan Vigipirate. Le 24 janvier 2018, une nouvelle alerte crue de la Seine nous a contraints à une nouvelle fermeture partielle du musée. Le 2 décembre 2018, les grilles du jardin des Tuileries ont été arrachées par des manifestants, lors de l'une des manifestations paroxystiques des « gilets jaunes », tandis que des cocktails molotov ont été lancés dans le domaine du jardin des Tuileries, déclenchant un début d'incendie au Jeu de Paume. Le 22 octobre 2020, une tentative de vol est survenue au Pavillon des sessions, rebaptisé galerie des Cinq continents.
Sur l'ensemble de la période couverte par mes deux mandats, le Louvre a fait face aux risques d'inondation, d'attentat et de vol. Contrairement à ce que j'ai pu lire, la culture de la prévention contre le vol n'avait pas disparu.
Pendant la crise du Covid, le Louvre a en outre fermé six puis quatre mois sur une période de deux ans. En vous présentant ces éléments, je ne cherche pas à me trouver des excuses - je suis là pour rendre compte devant la représentation nationale. Néanmoins, il est vrai que la fermeture du Louvre durant dix mois a compliqué la mise en oeuvre d'un certain nombre de dispositifs.
Permettez-moi maintenant de vous présenter la manière dont notre équipe a répondu à cette diversité des risques.
Dès les années 2014 à 2016, nous avons établi une cartographie des risques et créé une DQAI, afin de mettre en oeuvre des audits internes et de suivre leur application.
Celle-ci réalise par exemple en 2015 un audit des services de nuit et des équipements techniques, qui met en évidence plusieurs lacunes et difficultés. Nous avons alors pris la décision de nous associer avec la préfecture de police de Paris pour conduire un certain nombre d'opérations. En 2017, un audit de sûreté est également commandé auprès de l'INHESJ, afin de faire de la sûreté du Louvre une problématique interministérielle, partagée par l'ensemble des services l'État.
Le double contexte du risque d'attentat et d'inondation et de la préparation des Jeux Olympiques de 2024 a motivé l'élaboration d'un plan de sécurisation du palais. Il existait deux schémas directeurs : un schéma directeur des équipements de sûreté, établi dans la perspective des Jeux, et un schéma directeur de sécurisation du domaine, qui prévoyait notamment la sécurisation du jardin des Tuileries.
Ces schémas directeurs s'inscrivent dans la continuité de l'action de mes prédécesseurs. Mon prédécesseur Pierre Rosenberg avait connu une série de vols, en 1997, et avait mis en place un groupe, formé de Serge Leduc, prédécesseur de Denis Fousse, et Vincent Pomarède, conservateur du département des peintures, afin de diagnostiquer l'ensemble des risques de vol au Louvre - la conscience du risque de vol était donc tout à fait prégnante sous le mandat de Pierre Rosenberg. De la même manière, Henri Loyrette a mis en oeuvre un certain nombre de schémas directeurs, notamment un schéma directeur incendie prévoyant des recrutements et des points réguliers. Ma décision de compléter le schéma directeur incendie d'un schéma directeur des équipements techniques et d'un plan décennal de rénovation du bâtiment, afin que le bâtiment et les jardins soient prêts pour les Jeux Olympiques 2024, s'inscrit dans la continuité de l'action d'Henri Loyrette.
Le schéma directeur des équipements de sûreté prévoyait d'appliquer les préconisations des deux audits que vous avez évoqués : le diagnostic de 2017, abondé et précisé, pour la galerie d'Apollon, par l'audit de Van Cleef & Arpels.
Le pilotage des schémas directeurs était assuré par un comité constitué du président-directeur, des administrateurs généraux et des administrateurs adjoints. Le pilotage du schéma directeur des équipements de sûreté, en particulier, était assuré par Valérie Forey, administratrice générale adjointe. Nous répondions à ce que vous interprétez peut-être comme de l'éclatement ou de la dispersion par une gestion centralisée de ces questions, au travers d'un groupe de travail réunissant tous les quinze jours les services de la surveillance, du bâtiment et des systèmes d'information, afin de lutter contre l'effet silo qui caractérise un établissement de la taille du Louvre. Comme je l'ai mentionné, nous avions par ailleurs recruté dès l'été 2018 un chef de projet Sûreté chargé de mettre en oeuvre les préconisations des audits, et qui était assisté de trois collaborateurs.
Nous avons par ailleurs engagé une mission de programmation d'assistance à maîtrise d'ouvrage : l'entreprise CETAB a été chargée d'établir, à partir du schéma directeur, un plan d'action Sûreté comprenant différents niveaux de protection, sous la direction de Valérie Forey. Ses principales mesures portaient sur la création d'un poste de contrôle centralisé, la révision des vitrines et le déploiement de caméras périmétriques.
Il a alors été prévu d'installer le poste de contrôle centralisé dans le pavillon de Flore, car l'établissement public gère aussi le jardin du Carrousel - qui connaît une forme de criminalité nocturne - et le jardin des Tuileries. Les deux audits avaient en outre identifié la fragilité que représentait le quai François-Mitterrand. Le pavillon de Flore nous paraissait ainsi l'emplacement le plus adéquat afin de surveiller, dans la perspective des Jeux Olympiques, à la fois les quais, le jardin du Carrousel, le jardin des Tuileries et le domaine. Des zones de sûreté, dans lesquelles des caméras seraient déployées à l'intérieur et à l'extérieur des bâtiments, ainsi que l'installation de l'hypervision, étaient prévues en 2018.
La crise du Covid a précipité la fermeture du musée et l'effondrement subséquent de ses ressources. Le ministère nous a alors demandé, par deux fois, de revoir nos investissements et nous avons choisi, chaque fois, de maintenir la priorité du schéma directeur des équipements de sûreté - je tiens à votre disposition, pour preuve, les comptes rendus des comités d'investissement lancés au mois de novembre 2020. En juin 2021, à l'issue de la seconde fermeture du musée - j'exerçais alors déjà en tant que président-directeur général par intérim et préparais le budget de l'année 2022 -, le conseil d'administration a maintenu la priorité du schéma directeur des équipements de sûreté.
Entre-temps, en 2020, au coeur de la crise sanitaire, lors de la rédaction du contrat d'objectifs et de performance (COP) pour les années 2020-2024 avec notre tutelle, le suivi du schéma directeur des équipements techniques a été placé en indicateur 19, ce qui montre bien que la sûreté était au coeur des préoccupations de l'établissement comme de la tutelle.
Par ailleurs, après l'assistance à maîtrise d'ouvrage conduite par la société CETAB, nous avons attribué au mois de décembre 2020 le marché de maîtrise d'oeuvre à deux sociétés : Risk Control et Alternet. Ainsi, en 2021, bien que retardées par le Covid, les préconisations des audits sont en cours de mise en oeuvre. Laurent Le Guédart pourra préciser mes propos. C'est sur cette base que le schéma directeur des équipements de sûreté a été présenté en comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) en mai 2021, puis a fait l'objet de nouveaux arbitrages en conseil d'administration, dans la perspective du budget modificatif de juin 2021.
Au moment où j'ai quitté mes fonctions à l'été 2021, l'avant-projet sommaire (APS) du schéma directeur des équipements de sûreté - prévoyant un budget de 54 millions d'euros - était achevé. Le lancement des marchés devait intervenir en 2022 et être suivi d'une phase d'accélération entre 2022 et 2024, pour un achèvement prévu au moment des Jeux Olympiques. Il est facile, évidemment, de refaire l'histoire rétrospectivement. Le déplacement du poste de contrôle central, le début du déploiement des caméras périmétriques étaient, en tout cas, planifiés pour protéger le domaine, et des essais de sécurisation de vitrine du musée Charles X avaient été conduits ainsi que le désenfumage de la région Napoléon.
Laurence des Cars vous donnera les éléments relatifs à la période suivante.
Les documents retrouvés sont à votre disposition, et nous sommes là pour répondre en toute transparence à vos interrogations sur la politique que nous avons mise en oeuvre.
M. Laurent Lafon, président. - Vous nous avez indiqué avoir assuré une présidence d'intérim de mai à septembre 2021, au cours de laquelle les directeurs ont été chargés de préparer des notes dans la perspective du budget 2022, mais aussi de la transmission des dossiers. Les audits de 2017 et de 2019 sont-ils mentionnés dans ces notes ?
M. Jean-Luc Martinez. - Je tiens ces notes à votre disposition. Les notes font référence au schéma directeur des équipements de sûreté et à la mise en oeuvre des préconisations des audits.
M. Laurent Lafon, président. - Ces notes ne font donc pas mention des audits ?
M. Laurent Lafon, président. - Lors des discussions que vous avez eues avec Laurence des Cars lors de la passation, avez-vous précisé l'existence de ces deux audits et échangé spécifiquement avec elle sur le sujet de la sécurité du musée ?
M. Jean-Luc Martinez. - M. Maxence Langlois-Berthelot a retrouvé les notes qui ont été transmises - vous pourrez donc juger en toute transparence.
J'ai présenté ces notes à Laurence des Cars et commenté l'état d'avancement de chacun des schémas directeurs - autrement dit l'état de la réalité des préconisations. Il n'a pas été fait mention des audits, qui étaient, selon moi, des préalables aux schémas.
De la même manière, lorsque j'ai succédé à Henri Loyrette, je n'ai pas eu connaissance des études préalables sur le risque incendie, mais du schéma directeur incendie.
Lors de la passation, il y avait un schéma directeur des équipements de sûreté, un plan Sûreté et un chef de projet. Laurent Le Guédart et Denis Fousse pourront vous donner des précisions sur la manière dont elle s'est déroulée.
M. Laurent Lafon, président. - Vous dites que M. Le Guédart et M. Langlois-Berthelot avaient conservé le schéma directeur tel qu'il était lors de votre départ, tandis que l'ancien directeur de la DQAI, Alban Lionnet, avait conservé l'audit de 2017. Quelqu'un a-t-il conservé l'audit Van Cleef & Arpels ?
M. Jean-Luc Martinez. - Non, aucun d'entre nous ne l'a conservé. Jannic Durand avait commandé cet audit afin d'avoir un cahier des charges pour la sécurisation des vitrines de la galerie d'Apollon. Le groupe Cartier - Van Cleef & Arpels a alors offert ses services, au titre du mécénat financier et du mécénat de compétences.
M. Laurent Lafon, président. - La refonte du poste de contrôle centralisé et le développement de la vidéo périmétrique étaient-ils des points centraux de l'avant-projet sommaire du schéma directeur des équipements de sûreté, tel qu'il a été arrêté lors de votre départ de l'établissement ?
M. Jean-Luc Martinez. - Oui, tout à fait.
M. Laurent Lafon, président. - Mme des Cars a soutenu que l'avant-projet détaillé qui lui a été présenté au printemps 2022 était incomplet et que les projets de rénovation du poste de contrôle central, d'intégration d'une hypervision et du développement de la surveillance périmétrique, ainsi que les éléments relatifs à la cybersécurité - qui n'est pas directement liée au cambriolage - devaient être complétés. Comprenez-vous cette remarque au regard de l'état d'avancement du schéma au moment où vous avez quitté votre fonction ?
M. Jean-Luc Martinez. - Je n'ai pas à me prononcer sur la politique de mon successeur ; je ne peux que rendre compte de mon action. Lorsque j'ai quitté mes fonctions, à l'été 2021, nous pensions que le schéma directeur des équipements de sûreté et le plan d'action associé étaient suffisants. Le poste de contrôle centralisé et le développement des caméras périmétriques devaient être prêts dans la perspective des Jeux Olympiques. Laurent Le Guédart pourra éventuellement donner des précisions sur la gestion des équipements techniques.
Néanmoins, il est normal qu'une nouvelle équipe fasse le point et s'interroge sur l'état d'avancement des projets. Je ne peux pas rendre compte de la situation au-delà de l'été 2021.
M. Laurent Lafon, président. - Monsieur Le Guédart, pouvez-vous nous apporter des éclairages sur ce qui a justifié, au printemps 2022, la relance des études consacrées au poste de contrôle centralisé et à la protection périphérique ?
M. Laurent Le Guédart, ancien directeur du patrimoine architectural et des jardins du musée du Louvre. - « Relancer des études » ne me paraît pas le terme adapté. Au printemps 2022, nous en étions à l'avant-projet définitif (APD), la dernière phase des études de conception.
M. Laurent Lafon, président. - C'est l'expression qu'a utilisée la présidente-directrice du Louvre.
M. Laurent Le Guédart. - Le périmètre du projet, depuis la restitution de la mission par l'assistant à maîtrise d'ouvrage, comportait quatre points.
Il comprenait tout d'abord la refonte totale des réseaux et la création d'un réseau dédié à la sécurité, car on ne pouvait pas mettre en oeuvre des moyens technologiques modernes avec les installations dont disposait le Louvre.
Il intégrait par ailleurs l'installation de l'hypervision, qui permet de fusionner les interfaces nécessaires à différentes technologies - équipements de vidéosurveillance, de contrôle d'accès, de détection rapprochée des oeuvres. L'hypervision est un prérequis de toute installation moderne.
Il prévoyait, ensuite, le remplacement de tous les équipements terminaux, et enfin la création d'un nouveau poste de commandement.
Ces éléments étaient inscrits dans l'avant-projet sommaire et se sont retrouvés dans l'avant-projet détaillé. Un certain nombre d'ajustements sont ensuite survenus au moment des échanges sur l'avant-projet définitif, dans le courant de l'année 2022 ; ils portaient notamment sur l'emplacement du poste de commandement, initialement prévu dans le pavillon de Flore. Cinq scénarii d'emplacement alternatifs, répartis sur l'ensemble du domaine, ont finalement été étudiés. Le scénario initial n'est pas celui qui a été retenu. Cela a prolongé un peu les études de l'avant-projet définitif, qui n'a finalement été validé qu'en fin d'année 2022, au tout début d'année 2023.
Un deuxième point a été remis en question sous la présidence de Laurence des Cars : le coût colossal du projet. On a pris la décision, en 2022, au moment de la remise de la première version de l'avant-projet définitif, de requestionner ce coût et de faire intervenir un prestataire supplémentaire pour le valider. Cette mission a été réalisée au second semestre 2022, expliquant le petit décalage dans le calendrier de validation de l'avant-projet définitif.
M. Denis Fousse, ancien directeur de l'accueil du public et de la surveillance du musée du Louvre. - En préalable, je souhaite apporter une précision. J'ai été nommé directeur de l'accueil du public et de la surveillance (Daps) du musée du Louvre en septembre 2018, avec une feuille de route claire : assurer mes missions jusqu'à la fin des Jeux Olympiques. Lorsque Mme des Cars a été nommée, cette feuille de route a été confirmée. En septembre 2024, après les Jeux Olympiques, j'ai fait valoir mes droits à la retraite. J'ai, depuis lors, laissé tous mes documents, mes agendas ; je n'ai absolument rien gardé. Nous avons organisé un tuilage qui a duré plus de six mois ; je pourrai y revenir si vous le souhaitez. J'ai été ensuite interrogé par la Cour des comptes, l'OCBC et aujourd'hui par le Sénat, et je fais appel à ma mémoire pour répondre aux questions. Ce n'est qu'hier que j'ai pu consulter quelques dossiers dans le bureau de M. Martinez.
Lorsque la présidente-directrice a pris ses fonctions, le développement d'un schéma directeur des équipements de sûreté était engagé. Il résultait d'un certain nombre de questionnements, mais aussi de recommandations de l'audit de 2017. Il y a donc eu continuité. L'administrateur adjoint qui assurait le pilotage du cercle de sécurité conduisait également celui de ce projet et, quand le nouvel administrateur adjoint est arrivé, il a posé un certain nombre de questions. Nous avons alors passé une après-midi entière à constater l'état de la situation sur le terrain, mais aussi à mesurer le retard que nous avions pris. Selon moi, ce retard était dû à la crise du Covid, qui nous avait ralentis. Cependant, compte tenu de la situation, nous ne pouvions plus attendre.
Comme les auteurs des audits, nous nous sommes questionnés sur le poste de commandement central. Le Louvre comptait six PC, construits à différentes époques et équipés de technologies différentes. Fallait-il faire table rase de l'existant ou ajouter des éléments ? Le choix a été de refaire à neuf.
Ensuite, il s'agissait de savoir si nous souhaitions avoir un seul PC ou si nous préférions en garder six avec un superviseur. Il a fallu du temps pour répondre. Nous avons fait le choix qu'avaient fait aussi les pompiers, en raison de l'éclatement géographique du musée.
Enfin, la question de l'emplacement du poste central se posait. Celui qui avait été choisi répondait à un certain nombre de critères. Puis d'autres critères ont été ajoutés après discussion et un arbitrage a été effectué, en faveur d'une installation dans un autre lieu que celui prévu initialement.
M. Laurent Lafon, président. - Les dates sont importantes, notamment pour savoir s'il y a eu retard. Au printemps 2022, l'avant-projet définitif n'a pas été jugé satisfaisant par la nouvelle présidente du Louvre, qui a demandé des compléments. Vous avez dit, monsieur Le Guédart, que le nouvel APD avait été remis au début de l'année 2023 alors que, pour nous, c'était fin 2023. Confirmez-vous la date que vous avez évoquée ?
M. Laurent Le Guédart. - L'avant-projet sommaire a été validé le 18 octobre 2021, quelques semaines après l'arrivée de Laurence des Cars et de la nouvelle équipe, ce qui montre qu'il y a eu continuité dans le dossier. Nous avons commandé l'APD à cette date et une première version a été remise en juin 2022. Une deuxième version a ensuite été remise le 28 juillet 2022. Il fallait étudier la question du positionnement des PC, valider le positionnement du PC central et expertiser le coût financier de l'opération. L'APD a été validé après une réunion de présentation qui s'est déroulée le 31 janvier 2023.
M. Laurent Lafon, président. - Pourquoi a-t-il fallu encore un an ? Que s'est-il passé pendant l'année 2023 ?
M. Laurent Le Guédart. - Je ne peux pas vous le dire puisque j'ai quitté mes fonctions le 31 janvier 2023.
M. Laurent Lafon, président. - Monsieur Fousse, vous étiez encore en poste ; pouvez-vous expliquer ce qui s'est passé pendant l'année 2023 ?
M. Denis Fousse. - Il a fallu identifier un autre endroit que le pavillon de Flore, ce qui n'a pas été évident. Il fallait également que cette installation puisse s'inscrire dans les schémas des travaux déjà programmés. Des réflexions étaient notamment en cours à ce moment-là, pour savoir où installer le nouveau département des arts de Byzance et des chrétientés en orient (Dabco).
Mme Sabine Drexler, rapporteur pour avis sur les crédits relatifs aux patrimoines. - Mes questions portent sur certains éléments relevés dans le rapport de l'enquête administrative et lors de nos auditions.
D'abord, nous avons appris que la Missa n'avait jamais été saisie par le Louvre depuis 2015. Cette instance est-elle intervenue plus tôt durant votre mandat, monsieur Martinez ? Si tel n'est pas le cas, pourriez-vous nous dire pourquoi ?
Monsieur Fousse, vous avez été à la tête de la direction de l'accueil du public et de la surveillance du musée. Selon l'enquête administrative, la dénomination même de cette direction, qui a été conservée par l'équipe suivante, traduit le peu de cas qui est fait de la question de la sûreté, qui n'apparaît pas dans l'organigramme. Quelle conception aviez-vous de votre fonction ? Quelle place accordiez-vous à la sûreté dans votre organisation et votre gestion quotidienne ?
Monsieur Langlois-Berthelot, en tant qu'administrateur général, il vous revenait d'assurer la coordination entre les services du musée, notamment sur la question de la sûreté, qui est par nature transversale. Comment analysez-vous l'action que vous avez conduite ? L'enquête administrative souligne que l'absence de portage de la question de la sûreté dans la gestion du musée résultait d'un fonctionnement en silo ; partagez-vous cette appréciation ?
Les auteurs de l'enquête administrative ont indiqué la semaine dernière que le directeur du contrôle interne, qui s'occupait de la conservation de la mémoire et des archives, était parti aux alentours de l'année 2020 et qu'il n'a pas été remplacé. Dans quelles conditions ce départ a-t-il eu lieu ? Les tâches dont il assurait le suivi ont-elles été redéployées ? Comment avez-vous organisé l'archivage des documents administratifs du musée au cours de votre mandat ?
Monsieur Le Guédart, l'audit réalisé en 2019 par Van Cleef & Arpels recommandait la prise de mesures de sécurisation à l'intérieur comme à l'extérieur de la galerie d'Apollon. À ce moment-là, votre direction a-t-elle été informée des conclusions de cet audit ? Si ce n'est pas le cas, comment l'expliquez-vous ?
En ce qui concerne la filière des agents d'accueil, de surveillance et de magasinage, l'enquête administrative questionne à la fois leurs conditions de travail, jugées harassantes, les orientations retenues pour leur formation, qui ne porte que marginalement sur la sûreté, et leur doctrine d'emploi, tournée vers la protection des personnes plutôt que vers l'intervention directe au contact d'éventuels intrus. Partagez-vous ces constats ? Comment cette doctrine d'emploi a-t-elle été forgée ? Comment avez-vous fait évoluer le recrutement et les missions de ces agents au cours de votre mandat ?
M. Jean-Luc Martinez. - Nous faisions régulièrement appel à la Missa pour valider et auditer les lieux accueillant nos oeuvres, qu'elles soient prêtées ou mises en dépôt. Ce fut notamment le cas lors de la grande opération qu'a constitué la création d'un centre de conservation du musée du Louvre à Liévin, à laquelle le ministère de la culture et la Missa ont été associés.
En ce qui concerne le schéma directeur des équipements de sûreté, nous avons fait appel à l'INHESJ. Le rapport de cet organisme interministériel aujourd'hui disparu a été transmis à la Missa, avec laquelle nous avions alors échangé. C'est ainsi que nous avons mis en oeuvre notre politique de sûreté.
J'évoquerai aussi le contrat d'objectifs et de performance, dont l'élaboration constitue un moment de dialogue avec le ministère de la culture, au sein duquel la direction générale des patrimoines et de l'architecture mobilise l'ensemble des services, dont la Missa. Le COP pour les années 2020-2024 comportait l'indicateur n° 19, qui devait permettre le suivi de la mise en place des schémas directeurs. C'est ainsi que la Missa, comme les autres services de l'administration centrale, a été mobilisée sur la stratégie du musée du Louvre.
J'en viens à l'organigramme et à la question de la sûreté. Avant de passer la parole à M. Fousse, je voudrais rappeler que, pour se saisir de ces questions stratégiques dans un établissement comptant 2 300 ETP et trois hectares, nous avons mis en place une direction générale comprenant des portefeuilles de schémas directeurs.
La sûreté ne relève donc pas seulement de la Daps. L'administratrice générale adjointe était en charge de la politique de sûreté et de sa coordination. Denis Fousse, Laurent Le Guédart et d'autres participaient à un groupe de travail sur la sûreté.
Des reproches du même type nous ont été faits, notamment par la Cour des comptes, concernant l'absence d'une direction des systèmes d'information. Dans ce domaine aussi, l'administrateur général pilotait un comité consacré aux systèmes d'information. Selon ma conception des responsabilités, l'administration générale devait piloter les schémas directeurs.
Le Louvre compte le plus grand nombre d'agents de surveillance et d'accueil de tous les musées français. J'ai la conviction que, dans ce domaine, nous avons intérêt à conserver des emplois publics. Tout le monde n'est pas d'accord et de nombreuses tentatives d'externalisation de ces métiers ont eu lieu. Notre objectif était de travailler avec ce corps de la fonction publique, de le faire monter en compétence - en matière de médiation, de sûreté et de sécurité - et de travailler à une coordination. Les exemples d'externalisation de ces fonctions dans les musées sont peu ou pas probants. En effet, aujourd'hui, il n'y a pas de société privée capable de fournir ce service. À Liévin, le choix de l'externalisation a été fait et le marché a été dénoncé récemment, parce qu'aucune société privée n'est en mesure de rendre pleinement ce service. Il faudrait recruter des centaines de personnes.
M. Denis Fousse. - Au moment de l'arrivée de Mme des Cars, nous avons eu un échange sur la situation de la Daps, une direction qui travaille 24 heures sur 24 et 365 jours par an, sur l'ensemble du domaine. Elle concourt à la sûreté du musée, mais la sûreté n'est pas son coeur de métier. Son coeur de métier, c'est l'accueil, qui comprend une partie sûreté. En effet, il faut accueillir correctement et être en capacité de gérer des flux. Ce sont les missions des agents de surveillance. Ils appliquent des procédures lorsqu'il y a des incidents ou des incivilités avec le public.
Par ailleurs, certains sont formés pour accueillir les forces de l'ordre. Ce sont des « poissons-pilotes », formés au moyen d'exercices. Ainsi, pour nous préparer aux attaques terroristes, nous avons fait des exercices avec la brigade de recherche et d'intervention (BRI), pour être en mesure d'accueillir leurs effectifs. Les repérages de la BRI ont duré pratiquement un an. Ensuite, de grands exercices ont été mis en place avec la préfecture, Athéna 1 et Athéna 2, au cours desquels les policiers de la BRI ont jugé très compliqué d'intervenir dans un musée comme le Louvre, même avec des plans et une préparation. Nous avons besoin de ces agents.
Une grande partie d'entre eux figurent sur les listes de la zone de défense et sont convoqués pour être des plastrons. Ils sont formés auprès de policiers, pour être en capacité d'accueillir les forces de l'ordre et de savoir ce qu'elles attendent d'eux. Les agents font donc essentiellement de l'accueil, mais sont sensibilisés à la sûreté.
La Daps compte notamment quatre services muséographiques, dont chacun comprend une centaine d'agents. Un cinquième service, intermuséographique, permet d'affecter des agents d'un service à l'autre. Par ailleurs, des services gèrent l'utilisation des PC de surveillance.
M. Laurent Lafon, président. - Sans entrer dans le détail de l'organisation interne, vous expliquez donc que les agents sont d'abord des agents d'accueil et qu'ils sont aussi formés à la sûreté.
M. Denis Fousse. - Il est inexact de dire que ces agents ne sont pas entraînés à des situations complexes de sûreté.
M. Maxence Langlois-Berthelot, ancien administrateur général du musée du Louvre. - Je commencerai par évoquer la priorisation. La crise du Covid a entraîné une perte de recettes de billetterie atteignant 100 millions d'euros. Cette perte n'a pas été compensée par l'État jusqu'en 2021. Autrement dit, pendant toute l'année 2020, nous avons travaillé avec 100 millions d'euros de trésorerie en moins.
Le montant des investissements, qui était en moyenne de 55 millions d'euros en 2018 et 2019, est passé à environ 45 millions d'euros en 2020, sachant que nous comptions 100 millions d'euros de moins. De plus, la subvention de l'État a baissé de 10 millions d'euros en 2020. La part des investissements consacrés à la mise aux normes bâtimentaires et au renouvellement des équipements techniques selon le schéma directeur de renouvellement des équipements techniques (Sdret) est passée, en proportion des investissements totaux, d'environ 30 % ou 35 % à plus de 55 %. Il s'agit de la traduction financière de ce qu'a dit M. Martinez sur la priorisation de la sécurité, de la sûreté et de l'entretien du bâtiment. Nous avons mis les bouchées doubles pendant la période du Covid, malgré les difficultés liées à la mise en place des protocoles sanitaires pour les entreprises. Il a fallu faire des avenants aux contrats pour que les entreprises puissent continuer à travailler, alors que le musée était fermé.
M. Laurent Lafon, président. - Sur ce point, le rapport montre clairement que le niveau d'investissement était effectivement élevé en matière de sécurité et qu'il a ralenti après vos départs respectifs. En revanche, on nous indique que les dépenses d'investissement réalisées pendant que vous étiez en poste concernaient principalement la sécurité du domaine. Est-ce le cas ou y a-t-il eu aussi des investissements dans d'autres domaines, notamment en matière de vidéoprotection ?
M. Maxence Langlois-Berthelot. - En ce qui concerne le schéma directeur de sûreté, nous en étions au stade des études préalables, qui représentent à peu près 5 % du coût du projet. La mise en place du schéma et de ses quatre volets n'avait pratiquement pas commencé à cette période.
Qu'avons-nous fait jusqu'à 2021 ? Nous avons mis en oeuvre un plan d'action d'urgence, qui a été pensé sur la base des études de l'INHESJ et portait sur ce qu'il fallait faire avant même que le schéma directeur puisse se déployer, trois ou quatre ans plus tard. Ce plan de rattrapage a coûté environ 1 million d'euros.
Pendant que des projets de rénovation des salles muséographiques étaient mis en oeuvre, nous tentions d'intégrer un maximum d'éléments pour anticiper la mise en place du schéma directeur, afin de ne pas avoir à tout refaire ensuite. Nous l'avons fait sur la base d'un zonage très précis des niveaux de sécurité pour l'ensemble des salles du musée, accueillant du public et n'en accueillant pas, sur la base d'une cartographie des risques établie précédemment et d'audits. Nous avons suivi des préconisations concernant les caméras et les équipements nécessaires, afin de les intégrer au maximum dans les salles rénovées. Au-delà de ces efforts tournés vers l'intérieur, une sécurisation du domaine a eu lieu, qui concerne le périmètre extérieur.
Pendant les années antérieures au déploiement du schéma directeur de sûreté, nous avons donc essayé d'anticiper, alors même que le cahier des charges précis et l'avant-projet sommaire n'existaient pas encore. Nous disposions d'une étude préalable. Nous avons essayé de déployer le maximum d'éléments pour anticiper l'avenir et ne pas avoir à tout détricoter ensuite. Avons-nous placé la sécurité en haut de la pile ? Oui, nous avons défendu cette priorité.
J'en viens au fonctionnement en silo. Le Louvre est un établissement très compliqué et les questions de cloisonnement existent à tous les niveaux. Cette complexité constitue un problème permanent pour le musée, qui compte beaucoup trop de directions. Lorsque je conduisais les dialogues budgétaires, j'avais affaire à vingt directions ! C'est à peu près comme l'État.
Le problème de la sécurité ayant été identifié, mon adjointe a mis en place un groupe permanent de sûreté, le 18 décembre 2018. Ce groupe réunissait la Daps, la DQAI, la direction financière, juridique et des moyens, la direction du patrimoine architectural et des jardins, et la direction générale. Il se réunissait tous les quinze jours environ, pour traiter de ces questions en petit comité. En effet, il ne s'agissait pas d'ébruiter les grandes orientations de la politique de sûreté, qui remontaient, par l'intermédiaire de mon adjointe et de moi-même, jusqu'au président-directeur du Louvre de manière relativement régulière, et très régulièrement à partir de mars 2019, alors que le document était bien avancé. Le président-directeur a validé toutes les options fondamentales en juillet 2019.
Ce groupe permanent pouvait aussi inviter certaines personnes, selon l'ordre du jour. J'y ai moi-même participé de temps en temps, alors que je n'en étais pas membre.
La politique de sûreté s'appuyait sur une cartographie des risques dont la création avait été demandée par la DQAI en 2015 et qui était actualisée chaque année. Tous les services du Louvre, y compris les départements scientifiques, avaient connaissance de cette cartographie des risques qui alimentait une politique de sûreté.
Enfin, nous avons vécu un certain nombre de crises pendant cette période. Nous avons organisé des cellules de crise sur les questions des inondations, des incendies, des « gilets jaunes » ou des attentats. À peu près toutes les directions du Louvre et les départements scientifiques étaient mobilisés au sein de ces cellules. La coopération interservices fonctionnait assez régulièrement, en raison de la nature des opérations à conduire.
Un plan de continuité d'activité a été mis en oeuvre pendant la crise du Covid, à peu près à partir du 15 mars 2020. Ce plan permettait d'organiser des cellules rapprochées pour faire perdurer les fonctions essentielles, en l'absence de visiteurs et de la plupart des agents. Par définition, une telle réponse crée de la coopération interservices et de la transversalité.
Ensuite, le 3 mai 2021, le président-directeur a présenté le schéma directeur de sûreté au collège, l'instance réunissant l'ensemble des départements scientifiques. Le 4 mai 2021, j'ai présenté le schéma au CHSCT. L'ensemble des agents du Louvre étaient donc au courant du schéma directeur de sûreté à partir du 4 mai 2021.
Quand les documents sont prêts, tout devient public et l'ensemble des personnels du Louvre est au courant. Évidemment, les présentations ne vont pas dans les détails, mais pour ce qui relève de l'organigramme, de la place de chacun, du séquençage et des montants financiers, tout est connu et tout est public. Pendant la phase initiale de conception, de fin 2018 à 2021, le décloisonnement a été organisé de façon plus confidentielle, pour les raisons que j'ai exposées. Il s'est fait de façon à la fois structurée, à travers le groupe permanent de sûreté, et par le biais de la gestion interservices des crises qui ont secoué le Louvre.
Mme Karine Daniel. - Vos exposés ont beaucoup porté sur l'organisation et les discussions internes au Louvre. En vous écoutant, on mesure la complexité et le manque de fluidité de ces processus, qui peuvent se traduire par des défaillances opérationnelles en situation d'urgence. Ce que l'on en perçoit semble assez édifiant.
Vous n'avez pas beaucoup parlé des relations avec le ministère de la culture. Comment les grands arbitrages sont-ils effectués, notamment entre les moyens affectés à l'accueil des publics et les investissements à réaliser dans le domaine de la sécurité ? Il me semble que ces décisions ne devraient pas relever de la seule réflexion interne. En effet, les enjeux sont grands et il existe parfois des dissensions entre les entités mêmes du musée. Comment les relations avec la tutelle sont-elles formalisées ? Quelle est la fréquence des interactions ? Quel est leur mode de régulation ? Cette question me paraît extrêmement importante, car, en vous écoutant, nous avons l'impression d'une entité autonome qui consacrerait beaucoup de temps et d'énergie aux processus de régulation interne, ce qui n'est pas très rassurant.
J'en viens dans un second temps aux enjeux de communication et de tuilage au moment du passage de relais entre les deux équipes de direction. Vous avez fait état de différentes réunions que vous aviez vous-mêmes organisées pour assurer cette succession lors de votre départ. Cependant, vous indiquez aussi qu'il vous a fallu a posteriori aider à rechercher des informations et donner des indications sur la localisation de tel ou tel document. Cela conduit à nous interroger sur l'efficacité des procédures mises en place, qui auraient dû permettre en temps utile à la nouvelle équipe d'avoir accès à l'ensemble des informations et à l'historique des démarches déjà engagées, afin de contribuer à la conduite des audits, de répondre à la Cour des comptes ou à d'autres instances de contrôle.
Mme Sonia de La Provôté. - Pourquoi la grille supprimée pour des raisons de prévention du risque d'incendie n'a-t-elle pas été remplacée, alors, d'une part, qu'il semblerait que son absence ait joué un rôle dans le cambriolage et, d'autre part, que ni l'architecte des Bâtiments de France ni les pompiers n'avaient formellement donné leur avis ? Il n'a pas non plus été question de remplacer le vitrage de la porte-fenêtre par laquelle les malfaiteurs sont entrés dans le musée.
Par ailleurs, vous nous dites que la cartographie des risques a fait l'objet d'une évaluation annuelle à partir de 2015. Cette évaluation s'est-elle poursuivie pendant la période qui s'ouvre avec la fin du mouvement des « gilets jaunes » et le commencement du Covid-19 ? On peut en effet s'interroger sur le fait que l'utilisation possible d'une disqueuse contre les vitrines n'ait pas été envisagée alors que des « gilets jaunes » avaient déjà utilisé cet outil pour scier les grilles des Tuileries.
Enfin, comment se fait-il que, au terme de vos fonctions, vous soyez restés en possession de documents pouvant être considérés comme sensibles puisqu'ils portaient sur la sécurité du musée ? En tant qu'élus ou professionnels, nous sommes tenus, lorsque nous quittons nos fonctions, de laisser les documents confidentiels ou sensibles liés au poste que nous occupions. Cette question doit-elle, à votre sens, être évoquée dans les nouveaux processus de sécurisation à mettre en place, d'autant que sortir des documents inhérents à la sécurité d'une institution peut en soi aussi représenter un risque ?
Mme Monique de Marco. - Dans son rapport, l'Igac fait état des problèmes de tuilage et de la conséquence de la perte de mémoire lors du changement d'équipe de direction du musée ; vous avez, pour votre part, notamment évoqué le départ de l'archiviste, qui n'a pas été remplacé. À la fin de votre mandat, monsieur Martinez, comment la transition s'est-elle concrètement organisée avec la nouvelle équipe ? Les personnes qui vous entouraient sont-elles parties de leur propre initiative ? Le départ des directeurs a-t-il été négocié avec votre successeur ?
M. Jacques Grosperrin. - Nos questions visent à déterminer la chaîne des responsabilités dans des mécanismes qui semblent particulièrement complexes. Comme dans la série Belphégor, nous essayons de comprendre le mystère du Louvre, c'est-à-dire ce qui s'est passé. Comme l'exprimait à l'instant Monique de Marco, n'est-ce pas avant tout un problème de tuilage qui se pose, à plus forte raison que vos relations avec votre successeure n'étaient peut-être pas celles d'une parfaite confraternité ? Existe-t-il une trace écrite de ce tuilage ? Dans la négative, le regrettez-vous ?
Par ailleurs, la direction d'un établissement du type du Louvre n'est-elle pas trop difficile pour un conservateur, compte tenu de la formation qui est la sienne ? D'autres profils, par exemple celui d'un préfet, ne seraient-ils pas mieux appropriés dans ce cas ?
M. Michel Laugier. - Si vous aviez encore été en place, le vol aurait-il été évité ? Un camion monte-charge aurait-il pu se garer aussi facilement devant le musée ?
J'aimerais en outre connaître le périmètre exact des responsabilités des uns et des autres, entre ce qui relève du musée lui-même et, pour les abords de l'établissement, de la préfecture de police et de la Ville de Paris. Mme Laurence des Cars, que j'ai déjà interrogée à ce sujet il y a quelques semaines, ne m'a pas apporté de réponse claire.
M. Jean-Luc Martinez. - Que la représentation nationale soit rassurée, la direction du musée rend régulièrement compte de son action auprès de sa tutelle, le ministère de la culture, lors de la préparation des réunions du conseil d'administration de l'établissement. Elle dialogue aussi avec elle dans le cadre particulier des contrats d'objectifs et de performance et des indicateurs qu'ils prévoient.
La politique d'investissement de l'établissement est présentée au cours du dernier conseil d'administration de l'année civile, qui se tient en principe au mois de novembre. Nous nous étions dotés d'un comité d'investissement qui, chaque année, rendait compte au conseil d'administration, en fin d'année, des choix stratégiques négociés avec le ministère de la culture et Bercy à l'occasion de l'élaboration du budget de l'établissement. Le schéma directeur immobilier fait, de même, l'objet d'une négociation avec la tutelle du musée.
Pendant la période du Covid, nous avions négocié avec le ministère de la culture un COP pour les années 2020-2024. Nous y avions placé en bonne place le suivi du schéma directeur des équipements de sûreté, qui faisait l'objet d'un indicateur n° 19 et d'un engagement personnel du président-directeur - puisque les indicateurs sont pris en compte pour la détermination de la part variable de sa rémunération. Au-delà de cet aspect, le suivi des indicateurs donne lieu à un dialogue avec la tutelle.
En ce qui concerne l'archivage et les différents audits, je n'ai personnellement conservé aucun document. Le responsable de la DQAI avait quitté ses fonctions en 2020 et nous devions le remplacer, mais, en attendant, son équipe était toujours en place. Elle était chargée du suivi des audits et aidait la direction générale dans sa prise de décisions. Tout établissement public administratif (EPA) ou établissement public industriel et commercial (Épic) se doit en outre d'avoir un archiviste. Lorsque Maxence Langlois-Berthelot et moi-même avons quitté nos fonctions, non seulement nous avons laissé nos archives, mais nous les avions classées avec l'archiviste de l'établissement. Nous avions pareillement fait archiver les données de nos ordinateurs.
La Cour des comptes est intervenue en 2025, quatre ans après mon départ. Comprenant que le schéma directeur des équipements de sûreté ne lui avait pas été transmis, j'ai interrogé Laurent Le Guédart qui, lui, était resté en poste, afin de savoir s'il l'avait de son côté conservé, ce qui a permis de retrouver le document. Quant au rapport de Van Cleef & Arpels, nous ne l'avions plus. C'est à la suite des questions que lui avaient posées les enquêteurs de l'OCBC que M. Maxence Langlois-Berthelot a cherché sur la copie qu'il avait conservée de son disque dur s'il y figurait des éléments à ce sujet. Au cours de nos recherches respectives, lui et moi avons retrouvé trace des dossiers transmis à Laurence des Cars lors de la passation de pouvoirs, notamment le message électronique que, en mai 2021, j'avais adressé aux directions de l'établissement pour leur demander d'assurer le tuilage avec la nouvelle équipe de direction.
Il y a donc bien eu archivage de tous les dossiers de la direction générale et transmission à la nouvelle équipe. Je précise que la direction générale d'un établissement public tel que le Louvre ne se résume pas à son président-directeur et à son administrateur général. Tous les services concourent à la continuité de service public et conservent la mémoire des dossiers. Il y a eu une forme de continuité sur le schéma directeur des équipements de sûreté, en dépit du changement de direction. Son avant-projet sommaire a d'ailleurs été validé en octobre 2021. Si, ultérieurement, un changement de politique est intervenu en la matière, il ne m'appartient pas d'en juger.
Je suggère de distinguer la situation de 2021-2022, avec un tuilage effectif par l'intermédiaire de services restés en place, de celle qui prévaut en 2025, qu'il ne m'appartient pas de juger, mais qui est peut-être, en effet, désormais caractérisée par une perte de mémoire.
M. Laurent Lafon, président. - Comprenez notre surprise : les principaux responsables actuels du musée nous disent ne pas connaître l'audit de 2017 à l'origine du schéma directeur, dont l'élaboration, entreprise la même année, se poursuit encore aujourd'hui. C'est ce qui nous conduit à vous interroger sur le tuilage.
M. Jean-Luc Martinez. - Sur la suppression de la grille, rappelons qu'elle remontait à 2003. Il vous faudra interroger mon prédécesseur...
M. Laurent Lafon, président. - L'audit de Van Cleef & Arpels en a reposé la question.
M. Jean-Luc Martinez. - La restauration du clos et du couvert de la galerie d'Apollon date de 2003. La question s'est posée de la baie pompier et de son éventuelle sécurisation. Nous avons souhaité mettre en oeuvre de deux manières les préconisations de l'audit de 2017, puis celles de l'audit de 2019 conduit par Van Cleef & Arpels. À l'intérieur du musée, sur les vitrines, nous sommes allés aussi loin que nous le pouvions en 2019 avec la technologie disponible, et grâce au mécénat de compétences de Van Cleef & Arpels. À l'extérieur, nous voulions, dans la perspective des Jeux Olympiques et dans le cadre du schéma directeur des équipements de sûreté qui devait se déployer de 2022 à 2024, sécuriser les abords du musée, notamment en installant des caméras périmétriques.
Au titre des risques d'incendie relevés dans le diagnostic sur le bâtiment figure la coupole en bois de la rotonde dite d'Apollon. C'est la seule de son genre, conservée en l'état depuis le XVIIIE siècle. Il faut évidemment trouver un équilibre entre la prévention du risque d'incendie et celle du risque de vol.
Vous m'interrogez légitimement sur ce que vous appelez la perte de mémoire. Entre 2021 et 2022, le chef de département, le directeur de l'accueil du public et de la surveillance ainsi que le directeur du patrimoine architectural et des jardins sont restés les mêmes et ont travaillé avec les deux équipes de direction. Au début du mandat de Laurence des Cars, il y a donc bien une forme de continuité du service public.
Quant à la question de savoir si un conservateur peut diriger un établissement comme le Louvre, il ne m'appartient pas d'y répondre. Cela étant, le président-directeur n'est pas seul : il s'appuie sur le binôme qu'il forme avec l'administrateur général, sur des administrateurs adjoints et sur les directeurs qui l'entourent, et il peut encore compter sur sa relation avec son ministère de tutelle. N'ayons pas une image monarchique du fonctionnement du musée du Louvre. Pour son pilotage, et pour contrebalancer les effets de silo normaux dans un établissement de sa dimension, je m'étais pour ma part entouré de quatre administrateurs adjoints.
M. Laurent Lafon, président. - Et qu'en est-il de la prise en compte de l'utilisation d'une disqueuse dans l'évaluation des risques ?
M. Jean-Luc Martinez. - C'est très compliqué : outre les échanges avec sa tutelle, le musée dialogue avec la préfecture de police et avec la Ville de Paris pour tous les aspects de sécurité à la périphérie du bâtiment. C'est l'une des raisons pour lesquelles, plutôt que nous en tenir à un audit interne, nous avions fait en 2017 appel à l'INHESJ, afin de conférer une dimension interministérielle au travail.
J'ai été un président-directeur du Louvre qui a eu des relations continues avec les maires de Paris successifs, Bertrand Delanoë et Anne Hidalgo, le maire du secteur Paris Centre Ariel Weil, le maire d'arrondissement et la préfecture. Denis Fousse a souligné les différents exercices que, avec cette dernière, nous réalisions en prévention du risque d'attentat et en préparation des grands événements. Que la représentation nationale, une nouvelle fois, soit rassurée : le Louvre n'est pas géré de façon autarcique.
Pendant mon mandat, j'ai d'ailleurs dû, avec ces différents interlocuteurs, affronter les attentats, la crise des « gilets jaunes » et plusieurs inondations. Nous avons travaillé ensemble au quotidien.
M. Laurent Lafon, président. - Je reviens à l'audit de Van Cleef & Arpels, qui aborde précisément la sécurisation de la galerie d'Apollon, en identifiant une faille, celle de la fenêtre située quai François Mitterrand. Une série de recommandations concerne l'intérieur de la galerie, d'autres la fenêtre elle-même. Les premières ont été mises en oeuvre, les secondes ne l'ont pas été. Vous nous dites que la pose de caméras était prévue dans le schéma directeur, dont vous attendiez la réalisation. Telle n'était cependant pas la seule recommandation du rapport. La vitre de la fenêtre devait aussi être renforcée, faute d'être assez épaisse et de présenter un niveau de résistance suffisant. L'enquête administrative l'a également souligné.
Le remplacement de la vitre n'était pas lié à la mise en oeuvre du schéma directeur ; pourquoi ne pas y avoir procédé ?
Pour leur part, les inspecteurs de l'Igac ont laissé entendre que la raison en tenait au travail en silo qui prévaut au sein du musée avec, d'un côté, le département des objets d'art responsable de l'intérieur de la galerie, de l'autre, la direction du patrimoine architectural et des jardins responsable des extérieurs. Laquelle de ces deux directions a été concrètement été informée des conclusions de l'audit de 2019 ? Le président-directeur ou l'administrateur général ont-ils été amenés à rendre des arbitrages privilégiant les aménagements intérieurs aux dépens des aménagements extérieurs ?
M. Jean-Luc Martinez. - Je comprends le trouble et les questions que cet audit suscite. Je rappelle cependant la chronologie : c'est l'audit commandé à l'INHESJ qui est à l'origine de la définition du schéma directeur des équipements de sûreté, du plan d'action correspondant et du recrutement d'un chef de projet, M. Romain Salagnon. L'audit par mécénat de compétences commandé à Van Cleef & Arpels est un complément pour la galerie d'Apollon qui intervient en 2019, à la demande de Jannic Durand, le chef du département des objets d'art, afin de préciser le cahier des charges des vitrines, l'ancienne vitrine présentant des difficultés de fonctionnement à la suite d'une panne. Il s'agissait de connaître quelles étaient, en 2018-2019, les meilleures préconisations face aux risques alors connus de vols, en bénéficiant du plus haut niveau d'expertise possible.
Ce n'est pas un fonctionnement en silo qui est à l'origine du choix qui a été opéré. C'est l'audit de Van Cleef & Arpels qui a permis d'améliorer le cahier des charges vitrines, puis les vitrines elles-mêmes, au-delà d'ailleurs des préconisations. Qu'elles aient ensuite plus ou moins bien résisté constitue un autre sujet.
Le clos et le couvert avec la question des équipements de sûreté - notamment le déploiement de caméras périmétriques - relevaient de l'architecte des Bâtiments de France, M. Michel Goutal.
Nous avons considéré que, si nous mettions en place toutes les préconisations sur les vitrines et celles qui concernaient le renforcement des alarmes - ce qui a été fait tant sur la vitre que sur la grille intérieure -, nous parviendrions à un niveau de sûreté satisfaisant.
M. Laurent Lafon, président. - Mais, alors qu'on lit dans le rapport d'audit de Van Cleef & Arpels : « De jour, la porte-fenêtre peut être facilement ouverte avec un carré de pompier », vous ne prenez pas de mesure pour sécuriser la fenêtre ? Le rapport précise même : « Cette porte permettrait donc d'extraire des objets et bijoux de la salle en un temps record. »
M. Jean-Luc Martinez. - Un groupe de travail a été mis en place sur la politique de sûreté du musée, animé par Valérie Forey. La remarque relative à la facilité d'ouverture de la porte-fenêtre a donc dû être suivie d'effet. Il faudrait cependant le vérifier.
M. Laurent Lafon, président. - Le vitrage, lui, n'a pas été changé.
M. Jean-Luc Martinez. - Le renforcement du vitrage comme la modification d'une baie pompier devaient faire l'objet d'une concertation avec l'architecte des Bâtiments de France.
M. Laurent Lafon, président. - A-t-elle eu lieu ?
M. Laurent Le Guédart. - Il n'y a pas eu de modification des vitrages à l'occasion de l'opération de 2019 ; ce sont des tests sur la résistance anti-UV des oeuvres qui ont été menés. Historiques, ces vitrages feuilletés avaient une valeur patrimoniale. La question particulière de l'utilisation d'une porte-fenêtre comme baie pompier n'a pas été traitée.
M. Denis Fousse. - Cette galerie, constituée de bois ancien verni et doré, est certainement l'un des endroits du musée où la charge calorifique est la plus importante. Elle implique un risque élevé d'incendie avec embrasement généralisé et extrêmement rapide. La baie en question offre un accès aux pompiers depuis l'extérieur. Dans les établissements recevant du public (ERP), tous les accès de ce type représentent des points de vulnérabilité ; ils sont cependant obligatoires dès lors qu'existent des charges calorifiques importantes, en application de l'arrêté du 25 juin 1980. La galerie d'Apollon est située dans la Grande Galerie, l'une des zones du musée les plus fréquentées du public, qui présente aussi des difficultés d'accès. Compte tenu du niveau de risque, nous devions garantir aux pompiers qu'ils ne rencontreraient, le cas échéant, aucune entrave pour intervenir.
En considération de la vulnérabilité que l'accès représentait aussi au regard du risque de vol, nous avions gardé dans la galerie, en présence du public, un poste de travail où se trouvait toujours un agent. Nous avions également maintenu un effectif permettant, en cas d'effraction en présence du public, de donner l'alerte. Le 19 octobre dernier, cinq agents étaient en faction dans le secteur et l'alerte a bien été donnée.
Le renforcement de la sécurité des accès pompier extérieurs d'un ERP suppose une réflexion globale. Elle avait été engagée au sein du musée du Louvre.
M. Laurent Lafon, président. - Le rapport de l'Igac, rédigé après le cambriolage, énonce : « Bien que des dérogations puissent être obtenues auprès de la préfecture de police, la question n'est alors posée ni à la commission de sécurité compétente du Louvre ni même au capitaine commandant le détachement de la brigade des sapeurs-pompiers mise à disposition de l'établissement. » Lors de son audition, ici même la semaine dernière, M. Noël Corbin, chef de l'Igac a précisé que le responsable de la brigade des sapeurs-pompiers présente sur le site ne voyait pas d'inconvénient au renforcement de la porte-fenêtre.
La question reste pleinement posée de savoir pourquoi elle n'a pas été renforcée ou changée.
M. Jean-Luc Martinez. - Reporter l'accès pompier dans le Salon Carré ou ailleurs dans la Grande Galerie aurait exposé d'autres oeuvres, en l'occurrence des peintures en bois, au risque d'intrusion.
Mme Sabine Drexler, rapporteur pour avis. - Vous indiquez ne pas avoir conservé d'archives. Où donc avez-vous trouvé celles que vous nous dites par ailleurs avoir pu fournir à la Cour des comptes après qu'elle vous a sollicité ?
M. Jean-Luc Martinez. - Je croyais vous avoir répondu précisément. J'ai demandé à l'ancien directeur de la qualité et de l'audit interne s'il avait conservé le rapport d'audit de 2017 réalisé par l'INHESJ. C'était le cas et il me l'a transmis. Pour le second document, le schéma directeur des équipements de sûreté, je me suis adressé à Laurent Le Guédart, qui a également pu retrouver ce document.
M. Laurent Lafon, président. - Vous évoquiez par ailleurs la nomination, après l'audit de 2017, d'un chef de projet sûreté, ce qui correspondait à l'une des recommandations des conclusions de ce travail. L'intéressé, M. Romain Salagnon, est-il toujours en poste aujourd'hui ?
M. Laurent Le Guédart. - Il a été recruté pour lancer le schéma directeur inhérent à la responsabilité du maître d'ouvrage. À ma connaissance, il a quitté ses fonctions courant 2024 ou au tout début de l'année 2025.
M. Laurent Lafon, président. - Merci de vos réponses à nos questions.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo, disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 h 30.
Mercredi 17 décembre 2025
- Présidence de M. Laurent Lafon, président -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Proposition de loi visant à intégrer les accompagnants des élèves en situation de handicap dans la fonction publique et à garantir une meilleure inclusion des élèves en situation de handicap et à besoins éducatifs particuliers - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Laurent Lafon, président. - Nous débutons notre réunion en examinant le rapport de notre collègue Marie-Pierre Monier sur la proposition de loi visant à intégrer les accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH) dans la fonction publique et à garantir une meilleure inclusion des élèves en situation de handicap et à besoins éducatifs particuliers, déposée dans le cadre de la niche du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (SER).
Je vous rappelle que l'examen de ce texte en séance publique est programmé le mercredi 7 janvier à 16 h 30.
Mme Marie-Pierre Monier, auteure de la proposition de loi, rapporteure. - Mes chers collègues, je tiens d'abord à remercier tous ceux qui ont participé aux auditions. Trois ans après la précédente proposition de loi du groupe socialiste visant à améliorer la situation des AESH, nous examinons un texte ambitieux : celui-ci vise notamment à créer un corps de fonctionnaires d'État de catégorie B afin d'intégrer les AESH dans la fonction publique.
Depuis la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées posant le principe d'une scolarisation de droit en milieu ordinaire, le nombre d'élèves en situation de handicap scolarisés a triplé. À la rentrée 2025, ce sont ainsi 520 000 élèves en situation de handicap qui fréquentent un établissement scolaire.
Fait nouveau, leur nombre est similaire dans le premier et le second degré. Là où il y avait, il y a encore quelques années, une « évaporation » au moment du passage dans le second degré, on constate désormais une capacité du système éducatif à les accompagner jusqu'aux examens. Le nombre d'aménagements, que ce soit pour le brevet, le baccalauréat ou les examens professionnels, est en constante augmentation. Je souligne d'ailleurs que l'augmentation du nombre d'élèves en situation de handicap dans le second degré nécessite une nouvelle adaptation de l'école inclusive afin d'éviter, par exemple, une rupture dans leur accompagnement lors de stages professionnels obligatoires.
Les AESH sont devenus des acteurs - ou des actrices, la profession étant féminisée à 90 % - essentiels de l'école inclusive. Au fil des années, celle-ci s'est en effet développée en priorisant l'accompagnement humain plutôt que l'accessibilité. Ce constat fait d'ailleurs consensus entre l'ensemble des acteurs : ministère, syndicats, associations, maisons départementales des personnes handicapées (MDPH).
Aujourd'hui, 64 % des élèves en situation de handicap font l'objet d'une notification d'accompagnement humain, soit près de 355 000 élèves. Ce sont 140 000 AESH qui les accompagnent au quotidien.
Les AESH constituent désormais le deuxième métier de l'éducation nationale. Leur situation reste cependant précaire, avec un salaire moyen de 850 euros. Lors de mes travaux sur la précédente proposition de loi, on m'avait indiqué que seulement 2 % des AESH travaillaient à temps complet. C'est une question qui a été souvent posée dans les auditions, sans toutefois obtenir de réponses précises. Mais un constat s'est dégagé : dans la plupart des académies, le contrat type proposé correspond à un 62 %, soit 24 heures. Il est calqué sur la durée d'une semaine scolaire au primaire.
Par ailleurs, tant les syndicats que les collectifs d'AESH m'ont indiqué constater une dégradation de leurs conditions de travail : la mutualisation d'AESH est devenue la règle, tout comme la forte augmentation du nombre d'élèves à suivre au sein d'une même semaine. Certaines AESH accompagnent ainsi plus de dix élèves.
En outre, la loi du 27 mai 2024 visant la prise en charge par l'État de l'accompagnement humain des élèves en situation de handicap durant le temps de pause méridienne, dite loi Vial que nous avons voté à l'unanimité, a été souvent évoquée au cours de nos travaux. Indispensable, celle-ci visait, au nom de la solidarité nationale et de la continuité des apprentissages, à faciliter la prise en charge des élèves sur le temps méridien. Il s'agissait notamment d'éviter toute rupture scolaire et une déscolarisation de l'enfant l'après-midi. Cela aurait donc dû se traduire par une augmentation des heures d'accompagnement. Or, plusieurs rectorats ont décidé de mettre en oeuvre cette loi à moyens constants : concrètement, des heures d'accompagnement scolaire ont été supprimées pour pouvoir couvrir l'accompagnement sur le temps méridien, ce qui est regrettable.
Aujourd'hui, les AESH sont en souffrance et les démissions sont nombreuses. La CFDT a ainsi indiqué lors de son audition estimer qu'un tiers des AESH ont démissionné entre 2020 et 2022. Cette profession connaît un turnover important.
C'est dans ce contexte que s'inscrit cette proposition de loi, dont l'article 1er vise à créer un corps de fonctionnaires d'État de catégorie B pour les AESH. Je vous proposerai tout à l'heure un amendement pour améliorer cet article sur un certain nombre de points.
L'objectif de cet article 1er est de sécuriser la situation des AESH, d'améliorer leur rémunération et de créer des opportunités en termes d'évolution de carrière. Cette fonctionnarisation est de nature à renforcer l'attractivité de ce métier et à fidéliser les personnels.
La création d'un concours permet également la définition d'un cadre unifié de recrutement. Ce concours pourrait être académique, avec une affectation départementale.
Par ailleurs, l'article 4 pose la question du temps de travail des AESH. Il permet, par dérogation à l'obligation annuelle de 1 607 heures, de définir une quotité horaire inférieure tout en bénéficiant d'une rémunération à temps complet dans le cadre de leur futur statut. C'est le cas, par exemple, pour les enseignants ou les chercheurs, mais aussi pour d'autres corps de la fonction publique.
Le métier d'AESH va au-delà des heures d'accompagnement des élèves : il inclut des travaux préparatoires, de la coordination entre les différents acteurs et de la formation. L'ensemble de ces heures « connexes » doit davantage être pris en compte. Par ailleurs, il nous faut reconnaître la spécificité de ce métier difficile, qui présente une certaine pénibilité.
On ne peut pas demander à un AESH de faire un temps plein, ce qui correspondrait à 39 heures par semaine devant élèves, compte tenu des vacances scolaires !
Certes, cette réforme a un coût qui est conséquent, mais je tiens à souligner deux points. D'une part, l'article L. 311-1 du code général de la fonction publique affirme que les emplois civils permanents de l'État sont occupés par des fonctionnaires. C'est l'un des principes du service public. Pourquoi l'école inclusive serait-elle la seule à déroger à ce principe ?
D'autre part, peut-on accepter que l'école inclusive tienne uniquement grâce à des personnes précarisées ? Il me semble important que notre assemblée débatte et avance sur ce sujet.
J'en viens à l'article 2 de ce texte, qui vise un meilleur accompagnement des élèves malentendants.
En 2019, on dénombrait 7 700 élèves sourds scolarisés dans un établissement de l'éducation nationale. En complément de la langue des signes, il existe la langue française parlée complétée : il s'agit d'une codification de la trentaine de sons existants dans la langue française. Associée à la lecture labiale, elle permet de lever les ambiguïtés sur les sons parlés. Ce langage codé favorise l'oralisation des enfants sourds et facilite leur parcours scolaire.
Toutefois, l'absence de mention de cette langue dans le code de l'éducation entraîne des difficultés au quotidien dans son utilisation en milieu scolaire. Certains rectorats refusent la prise en charge d'heures de code en langue parlée complétée, tandis que d'autres le font en déclarant son utilisation en tant que matériel pédagogique adapté. L'article 2 permet de mettre fin à ces inégalités territoriales. Je signale, par ailleurs, que l'État a déjà été condamné à plusieurs reprises pour avoir refusé la prise en charge d'heures des codeurs en « langue parlée complétée » notifiées par les MDPH. Notre collègue Laure Darcos est particulièrement attentive à ce sujet.
Cette inscription dans le code de l'éducation est également un signal fort pour demander le déploiement des voies de formation. Actuellement, il n'existe que quelques licences professionnelles qui permettent de former des codeurs : il faut monter en puissance.
Enfin, l'article 3 vise à instaurer une réflexion au sein des collectivités territoriales compétentes sur la mise à disposition d'un local adapté aux différents dispositifs nécessaires à l'accueil des enfants en situation de handicap, en cas de construction ou de réhabilitation d'un bâtiment scolaire dont elles ont la charge.
L'école inclusive ne se limite pas à l'accessibilité du bâti ou à la présence d'un accompagnement humain. De tels locaux pourraient par exemple être mis ponctuellement à disposition de personnels médico-sociaux - ergothérapeutes, orthophonistes - dans le cadre d'un parcours de soins d'un élève notifié par la MDPH.
Certes, ce local ne résoudra pas à lui seul les questions de pénurie de ces personnels, particulièrement criante dans certains territoires, mais il me semble intéressant que l'école puisse faciliter ces parcours.
Par ailleurs, de tels locaux permettraient le développement de dispositifs d'autorégulation pour mieux accompagner les enfants souffrants de troubles du neurodéveloppement. Bien évidemment, il ne doit pas s'agir d'un local pour isoler l'élève en situation de handicap accompagné de son AESH, mais d'un lieu de rencontres avec les professionnels spécialisés.
Je tiens à le préciser, il ne s'agit pas d'une obligation pour les communes, départements ou régions de mettre à disposition ce local - ce texte demande simplement que le débat ait lieu en conseil municipal, départemental et régional lorsque la situation se présente.
Je rappelle d'ailleurs que le législateur a fait preuve d'exigences beaucoup plus fortes sur une adaptation du bâti scolaire en cas de construction ou de rénovation, quand il s'agit d'accès aux équipements sportifs.
Mes chers collègues, après un fort développement ces vingt dernières années, l'école inclusive nécessite désormais un tournant qualitatif.
Ce texte apporte une première réponse en permettant une reconnaissance et une amélioration des conditions de travail des 140 000 personnes qui sont présentes au quotidien dans les salles de classe pour accompagner les enfants.
En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, je propose que le périmètre inclut les dispositions relatives au statut et aux conditions de travail des AESH ; à l'accompagnement des enfants malentendants ; à l'adaptation du bâti scolaire à l'école inclusive.
En revanche, n'entreraient pas dans ce périmètre les dispositions relatives à la mise en place des pôles d'appui à la scolarité (PAS) ; à la mise en place du livret de parcours inclusif ; aux MDPH, à leurs notifications et à la mise en oeuvre de celles-ci.
M. Cédric Vial. - Madame la rapporteure, j'ai pu participer à l'ensemble des auditions et salue votre engagement sur ce sujet de l'école inclusive, qu'il s'agisse de l'organisation d'ensemble ou de la situation des AESH.
Toutefois, je ne partage pas l'ensemble de vos constats et propositions, même si le groupe Les Républicains ne prendra pas part au vote en vertu du gentleman's agreement qui permettra à ce texte d'être débattu dans l'hémicycle avec les modifications que vous proposez d'y intégrer. Le débat devrait être âpre, car je pense que les solutions que vous préconisez créeront plus de problèmes qu'elles n'en résoudront.
Nous sommes tous animés par la même volonté d'accompagner les enfants qui ont des besoins particuliers, qui ont parfois « un petit truc en plus », afin de les aider à devenir autonomes ou du moins à gagner en autonomie. Nous partageons le constat selon lequel l'école inclusive rencontre de nombreux problèmes, à commencer par le statut des AESH, mais vos propositions ne me convainquent pas.
Tout d'abord, la titularisation occasionnerait, selon le ministère, un coût de 4,4 milliards d'euros en année n, auquel s'ajouteraient environ 300 millions d'euros au titre du glissement vieillesse technicité (GVT). Or, ce surcoût de 4,4 milliards d'euros est supérieur au budget consacré actuellement à l'ensemble du dispositif, ce qui signifie que l'on doublerait le budget sans régler pour autant les problèmes des enfants en situation de handicap.
Ensuite, vous proposez un concours de catégorie B, qui sera donc destiné à des personnes titulaires du baccalauréat. Or, selon le ministère, près de la moitié des agents ne possèdent pas ce diplôme. On risque de tarir le vivier des futurs AESH du fait de votre réforme. De surcroît, il s'agirait d'un concours académique, ce qui empêchera les agents de réclamer un poste dans l'établissement de proximité, sans oublier le fait que les personnels qui ne disposent ni de la nationalité française ni de la nationalité européenne ne pourront plus y avoir accès.
En outre, certains AESH souhaitent exercer leur activité à temps partiel qui pourraient en tant que fonctionnaires leur être refusée pour nécessité de service. Plus globalement, les syndicats que nous avons rencontrés nous ont indiqué qu'une à deux années seraient nécessaires pour déployer ce dispositif, et notamment les heures connexes : que feront les AESH en dehors des temps de classe ? À quoi serviront ces heures ? Comment seront-elles négociées par rapport aux enseignants ?
Mettre en place ce système sans mener au préalable l'ensemble de ces discussions reviendrait à placer une bombe à retardement sous le siège du statut de la fonction publique territoriale et du statut des enseignants ! Certaines associations d'AESH - dont le collectif « AESH en action » - ont d'ailleurs jugé cette proposition de loi dangereuse.
De surcroît, l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF) n'a été auditionnée que sur l'article 3, tandis que nous n'avons pas entendu Régions de France. Pourtant, vous prévoyez une obligation pour les maires de mettre en oeuvre des solutions en matière de périscolaire, ce qui entraînera à nouveau des dépenses supplémentaires.
Hormis l'intention d'améliorer la situation, que nous partageons, vous mettez donc la charrue avant les boeufs : des discussions préalables sont requises et doivent être menées par le ministère, d'autant qu'un rapport de l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGÉSR) est en cours d'élaboration. Attendons donc les propositions qui en résulteront et demandons instamment au ministère de faire son travail - les auditions nous ont prouvé que ce n'était toujours pas le cas - à aller trop vite, nous risquons de commettre une erreur !
Mme Colombe Brossel. - Merci à Marie-Pierre Monier pour son engagement de longue date sur ce sujet. Il s'avère que les AESH se mobilisent cette semaine dans tous les départements, au moment même où nous examinons ce texte, ces personnels déplorant leur précarité, leurs mauvaises conditions de travail et donc les conditions dégradées dans lesquelles ils accompagnent une partie des enfants en situation de handicap.
Les syndicats mobilisés demandent la titularisation des AESH dans un corps de catégorie B et je trouve donc la formule de Cédric Vial sévère : quand une revendication est portée par d'autres corps structurés, j'ai tendance à penser qu'il ne peut pas s'agir totalement d'une erreur.
Plus globalement, je crois que nous convergeons pour constater que l'école inclusive est au bord de la rupture : si celle-ci devait se produire, il en résulterait une catastrophe éducative de grande ampleur et nous nous retrouverions confrontés à des plaies béantes qu'il ne serait plus possible de soigner.
Il faut donc avancer en pensant à la sécurisation des parcours et à la formation des AESH, car il n'est pas envisageable de continuer avec cette absence de formation et de reconnaissance des compétences.
Enfin, il ne me semble pas possible d'adopter un discours schizophrénique consistant à dire qu'il faut, pour résoudre la crise d'attractivité de la profession enseignante, à la fois mieux recruter, mieux former, mieux rémunérer et mieux accompagner ; et en même temps affirmer qu'une telle démarche ne serait pas appropriée pour les AESH. Nous pensons au contraire que les mêmes dynamiques doivent être mises en oeuvre, afin que les enfants en situation de handicap puissent vivre une scolarité sereine et utile.
Mme Mathilde Ollivier. - Je remercie notre rapporteure pour ce texte très important à plusieurs égards. L'école inclusive, qui permet l'accessibilité physique et pédagogique à la scolarité des enfants en situation de handicap, repose sur les AESH, qui sont un maillon essentiel de l'organisation.
Le métier d'AESH est un archétype des métiers du care, très majoritairement féminisés, mal payés, occupés à temps partiel et qui ne sont pas reconnus à leur juste valeur. En permettant leur titularisation, un concours et un statut de catégorie B, le texte apporte selon nous la bonne solution pour, enfin, reconnaître les 140 000 AESH présents dans nos écoles.
Nous soutenons donc avec force cette proposition de loi, qui permet à la fois d'améliorer le statut des AESH et de renforcer l'utilisation du français parlé complété, tout en abordant l'enjeu des locaux adaptés, ces différentes mesures étant au service d'une meilleure accessibilité physique et pédagogique.
Outre une meilleure reconnaissance des AESH, l'école inclusive doit également se baser sur des corps de l'éducation nationale tels que les réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté (Rased) - ils ont connu des coupes sévères ces dernières années -, les enseignants spécialisés ou encore les psychologues scolaires.
Mme Annick Billon. - Je remercie à mon tour la rapporteure pour les auditions qu'elle a organisées. En préalable, je tiens à rappeler que nous sommes évidemment tous soucieux de la situation actuelle des AESH, dont les conditions de travail restent précaires, malgré des avancées récentes, et dont la rémunération est insuffisante, sans oublier l'absence de prise en charge des frais kilométriques, le suivi d'un trop grand nombre d'élèves et des formations présentant des lacunes évidentes. Il en résulte, logiquement, de la souffrance au travail, de l'épuisement et des démissions.
Nous sommes également soucieux d'apporter des réponses aux familles en souffrance et aux élèves qui ont fait l'objet d'une notification, mais qui n'ont pas d'AESH. Un autre constat tient aux effectifs d'AESH, qui ont progressé de manière exponentielle en passant de 40 000 personnels à 140 000 personnels, sans aucune maîtrise de cette progression.
Par ailleurs, il nous a été rapporté que des demandes déposées auprès des MDPH sont satisfaites de crainte de s'exposer à un recours de la part des familles : quid de ces notifications, qui interviennent d'ailleurs tout au long de l'année pour un concours qui n'interviendra qu'une fois par an ?
J'ajoute que la population des AESH n'est absolument pas connue, le ministère de l'éducation nationale ayant été incapable de nous fournir des données telles que le nombre d'AESH remplissant la condition de nationalité pour un éventuel concours, le nombre de titulaires du baccalauréat ou d'une équivalence, le nombre de détenteurs d'un diplôme d'accompagnement à la personne ou encore le nombre de personnes exerçant leur activité à temps partiel - condition bloquante pour accéder à un statut de fonctionnaire.
Envisager une fonctionnarisation dans ce contexte nous semble malaisé, d'autant qu'il est question d'un coût de 4,4 milliards d'euros.
Pour en revenir aux notifications, je précise que celles-ci sont frappées du secret médical et qu'elles sont définitives, ce qui empêche toute évaluation. Or l'école inclusive doit selon moi faire progresser les élèves, ce qui devrait conduire à évaluer la notification rendue à une date donnée. En réalité, l'école inclusive est totalement hors de contrôle !
Le texte initial comportait de profondes lacunes, lacunes corrigées en partie par la rapporteure avec la réécriture totale de l'article 1er. Pour autant, les AESH que nous avons entendus refusent un accompagnement sur le temps périscolaire, tandis que le concours tel qu'imaginé présente des points bloquants en termes de conditions d'accès, d'affectation et de mobilité.
Je souhaite donc remercier la rapporteure pour ses modifications, mais je ne suis pas persuadée que toutes les failles aient été comblées, puisque le texte prévoit des obligations nouvelles pour les collectivités et impose un cadre qui ne tient pas compte des réalités à l'enseignement privé sous contrat.
De la même manière, je suis réservée sur le dispositif basé sur l'ancienneté dans la mesure où nous ne disposons, une fois encore, d'aucune statistique sur la population des AESH.
Par ailleurs, si nous sommes favorables au dispositif prévu par l'article 2, seuls deux établissements proposent des formations à la langue française parlée complétée : si l'accompagnement actuel des élèves sourds n'est pas acceptable, créer des obligations dans la loi sans avoir imaginé les dispositifs et les budgets correspondants me paraît irréaliste.
J'en viens à l'article 3 et à la délibération sur la possibilité de réserver un local. Jusqu'alors, les collectivités se sont chargées de la mise en accessibilité de leurs locaux et s'acquittent de cette tâche lorsqu'elles ont les moyens : je ne vois donc pas l'intérêt d'intégrer cette disposition dans la loi.
En conclusion, je tiens à saluer l'engagement de Marie-Pierre Monier et sa volonté de faire évoluer le texte pour tenter de nous convaincre. Nous sommes profondément attachés à l'école inclusive, à l'accueil des élèves en situation de handicap et à l'accompagnement des familles, qui peuvent se trouver dans des situations de souffrance.
Nous souhaitons aussi que la population des AESH travaille dans de meilleures conditions et que des réponses leur soient apportées. Pour autant, les propositions avancées ne nous semblent pas constituer des réponses suffisantes et nous ne pouvons que constater l'absence de consensus quant aux solutions à retenir.
Nous sommes donc opposés à ce texte, mais, en vertu du gentleman's agreement et dans le respect du travail accompli par la rapporteure, le groupe Union Centriste ne participera pas au vote.
Enfin, il y a bien un mouvement d'AESH en cours cette semaine, mais, pour ce qui concerne la Vendée, les manifestations sont principalement le fait de la CGT et de Sud et visent à nous forcer la main en cherchant à opposer les partisans de l'école inclusive et ses supposés adversaires, procédé que j'ai trouvé assez désagréable.
M. Ahmed Laouedj. - Cette proposition de loi arrive à un moment crucial. En Seine-Saint-Denis, sous tension éducative permanente, nous mesurons chaque jour les limites du système actuel. Les AESH, pourtant indispensables au fonctionnement quotidien de l'école inclusive, sont en effet maintenus dans une précarité qui fragilise tout l'édifice : temps partiel imposé, rémunération indécente, turnover constant, manque de formation, etc.
Les enfants en payent le prix. J'ai récemment été saisi du cas d'un élève de cours préparatoire à Villemomble, porteur d'un handicap ayant fait l'objet d'une notification MDPH de 15 heures d'accompagnement individuel, mais qui ne bénéficie que de 11 heures, partagées avec un autre enfant : il s'agit d'un manquement au droit, mais ce cas est malheureusement loin d'être isolé dans mon département.
Cette pénurie d'AESH, aggravée par leur statut précaire, compromet l'égalité d'accès à l'éducation. Nous ne pouvons plus demander à ces personnels d'être les piliers de l'école inclusive, tout en restant les plus pauvres de l'éducation nationale.
Cette proposition de loi apporte une réponse structurelle avec la création d'un véritable statut dans la fonction publique, un temps complet garanti, une formation renforcée et donc une meilleure qualité d'accompagnement pour nos élèves. Il s'agit effectivement d'un investissement, mais surtout d'une exigence républicaine.
Ce texte constitue ainsi une étape nécessaire pour renforcer durablement l'école inclusive et garantir que chaque élève, quels que soient ses besoins, puisse bénéficier des conditions d'apprentissage auxquels il a droit. Pour ma part, je soutiendrai cette proposition de loi.
Mme Laure Darcos. - Je tiens à mon tour à féliciter Marie-Pierre Monier pour ce texte, que les AESH attendent depuis de nombreuses années : il est enfin question de les reconnaître alors qu'ils représentent le deuxième corps de l'éducation nationale.
Je remercie également la rapporteure d'avoir pris en compte la langue française parlée complétée, car la prise en charge des enfants malentendants est insatisfaisante, et ce depuis trop longtemps.
En revanche, je ne suis pas persuadée que tous les AESH aient conscience que leur entrée dans la fonction publique les amènera à accepter des rotations et donc à être envoyés à l'autre bout d'une académie donnée, ce qui n'est pas une mince contrainte.
Je pense que le ministre actuel a bien conscience que ce texte permet de procéder à une remise à plat alors que la coexistence des pôles inclusifs d'accompagnement localisés (Pial) et des PAS est complètement chaotique dans certains endroits. Sur le fond, le ministère est sans doute intéressé par le fait de disposer d'agents à temps complet, car cela permettra de mieux accompagner des élèves. Cependant, il faudra aussi que ces personnels acceptent de rentrer dans le système de l'éducation nationale et d'aider d'autres élèves sur des temps périscolaires.
Pour toutes ces raisons, et si je suis favorable au texte à titre personnel, mon groupe s'abstiendra.
M. Pierre Ouzoulias. - Merci à nos collègues de s'être lancés dans ce travail législatif sur la base d'un dossier extrêmement incomplet, le ministère ne gérant pas les AESH et étant dans l'incapacité de nous communiquer des informations sur le nombre d'élèves accueillis, tout comme sur la gravité de leur handicap.
Il est donc essentiel que ce texte soit débattu dans l'hémicycle, car cela obligera le Gouvernement à nous apporter un certain nombre de réponses. À ce titre, je remercie vivement la majorité sénatoriale, qui a respecté le modus vivendi habituel - je préfère cette expression à celle de gentleman's agreement - régissant notre fonctionnement.
Je regrette que la dimension interministérielle ne soit pas suffisamment prise en compte dans le débat : à mes yeux, nous ne pouvons pas accepter que le ministère de la santé soit complètement absent de ce dossier, alors qu'il est responsable de la santé psychique des élèves. Je rappelle que la gravité du handicap d'un certain nombre d'enfants nécessite un placement dans des établissements spécialisés, qui n'ont pas nécessairement vocation à être placés sous la responsabilité de l'éducation nationale.
L'école intégrée ne peut pas être ouverte à pour tout le monde, car il faut bien mesurer la pression insupportable qui s'exerce sur les AESH et les enseignants. Ces derniers nous ont indiqué à plusieurs reprises qu'ils se sentent complètement démunis face à des handicaps pour lesquels ils ne sont pas formés, ce qui les met dans l'incapacité d'apporter des réponses. Dans nombre de cas, les malheureux enfants sont placés au fond de la classe... Nous ne pouvons pas tout accepter de la part des parents et il faut leur faire comprendre que l'éducation nationale ne peut pas forcément leur apporter des solutions pédagogiques appropriées, solutions qui pourraient peut-être être trouvées ailleurs.
M. François Patriat. - Toute initiative visant à renforcer le parcours inclusif des enfants et à revaloriser le métier d'AESH est bienvenue. Vingt ans après la loi de 2005 pour l'égalité des droits et des chances, des progrès pour une école pleinement inclusive ont été accomplis. Cependant, des défis importants persistent.
Des mesures ont été mises en place ces dernières années pour revaloriser le métier d'AESH et reconnaître leur place au sein de la communauté éducative. Depuis 2019, la professionnalisation du métier d'AESH s'appuie sur la généralisation du recrutement de ces personnels en contrats de droit public de trois ans et, depuis 2023, il leur est possible d'accéder à des contrats à durée indéterminée au bout de trois ans.
En outre, depuis 2024, la rémunération des AESH qui interviennent sur le temps méridien est prise en charge par l'État. En 2025, 3 200 AESH supplémentaires sont venus renforcer le contingent, et je tiens donc à mettre en exergue tous les efforts qui ont été accomplis ces dernières années.
Afin d'améliorer les conditions de travail et la rémunération des AESH, la proposition de loi vise à les intégrer dans la fonction publique d'État. Cette solution soulève des interrogations, notamment au vu des conditions de nationalité et des diplômes requis pour accéder à la fonction publique, mais aussi en termes de financement. À l'heure où nous cherchons des économies, trouver 4 milliards d'euros supplémentaires me paraît être une gageure difficile à surmonter. Dans l'attente de nos débats et des évolutions qui pourront être proposées, notre groupe s'abstiendra sur le texte.
Mme Anne Ventalon. - Je salue à mon tour l'initiative de la rapporteure et réaffirme que nous reconnaissons unanimement le rôle fondamental que jouent les AESH dans l'accompagnement et la réussite, mais aussi dans le développement de l'autonomie des élèves en situation de handicap. Cependant, nous mesurons aussi la fragilité de leur statut et la précarité de leurs conditions salariales. C'est pourquoi il est indispensable de sécuriser la situation des AESH et de rendre le métier plus attractif, afin de fidéliser ces personnels et de répondre aux besoins croissants qui s'expriment. Une pénurie est même constatée dans certains départements, dont le mien, celui de l'Ardèche.
Ce texte affiche cette ambition, ce qu'il faut saluer. Toutefois, comme cela a été souligné précédemment, la proposition de loi peut faire craindre plusieurs effets de bord. Je m'interroge notamment sur les contraintes liées à un recrutement par concours, le temps de travail, l'organisation et sur les conditions d'exercice des missions - y compris les missions connexes -, sans oublier bien sûr l'impact budgétaire.
Il existe selon moi un décalage entre l'ambition affichée et les moyens réellement identifiés et alloués. L'impact budgétaire reste incertain, tout comme la soutenabilité des mesures proposées, par exemple celle qui a trait à la langue parlée complétée : seules deux licences existent, à Paris et à Lyon.
Je m'interroge donc sur les conséquences de ce texte tel qu'il nous est présenté aujourd'hui, car nous ne disposons pas d'une étude d'impact complète. Avant d'envisager un recrutement par concours, il me semblerait préférable de définir précisément les besoins, les difficultés et les contraintes du terrain, ainsi que de disposer d'un état des lieux précis qui serait dressé par le ministère, avant d'envisager d'autres voies de professionnalisation, plus progressives, dans le cadre d'une expérimentation.
Un texte est certes attendu afin de poser un cadre et d'aller vers une meilleure reconnaissance de ces personnels, mais il ne faudrait pas aller trop vite ni trop loin. À ce stade, je considère qu'il est prématuré de parler de concours et je doute que les mesures envisagées suffisent à redonner de l'attractivité au métier, notamment au regard des modalités d'affectation et des conditions concrètes d'exercice.
Enfin, comment ce texte garantit-il concrètement la continuité pédagogique pour les élèves en situation de handicap ? Je pense notamment au temps de formation, ou encore aux absences d'AESH non remplacées. C'est donc avec des réserves, mais avec un état d'esprit constructif et vigilant, que j'aborderai, comme mon groupe, l'examen de ce texte.
M. Bernard Fialaire. - Je remercie également Marie-Pierre Monier de nous permettre de débattre de ce sujet, y compris à l'intérieur de nos groupes respectifs. Nous rencontrons tous régulièrement des AESH et des familles d'enfants porteurs de handicaps, et sommes bien conscients des difficultés et des drames auxquels ils peuvent être confrontés.
Cela étant, je tiens à rappeler que le problème est aussi lié au manque de places dans les instituts médico-éducatifs (IME), vers lesquels devraient être dirigés les enfants qui ne relèvent pas de l'école inclusive : en les plaçant en milieu scolaire, on les met en souffrance, tout comme les AESH qui les accompagnent, les enseignants, et même parfois l'ensemble de la classe.
Par ailleurs, il me semble que les missions et le périmètre de l'éducation nationale devraient être mieux définis, car des confusions dommageables existent en termes de répartition des compétences. Selon moi, les AESH appartiennent au champ du médico-social, qui relève des départements, ces derniers prescrivant les prises en charge et dépistant les handicaps par le biais des services de protection maternelle et infantile (PMI). La compétence relative au handicap devrait donc être assurée par les départements. Je défendrai cette répartition de compétences au cours du débat à venir.
Mme Catherine Belrhiti. - Cette proposition de loi touche au coeur même de l'école inclusive en se penchant sur la place et la reconnaissance des AESH et, plus largement, sur les conditions concrètes d'une inclusion réussie pour les élèves à besoins éducatifs particuliers.
En juin dernier, j'avais remis un rapport au sein de notre commission, dans le cadre de l'examen en première lecture de la proposition de loi visant à renforcer le parcours inclusif des enfants à besoins éducatifs particuliers. Un constat partagé s'impose : oui, l'école inclusive a profondément progressé depuis vingt ans, dans la mesure où près de 513 000 enfants en situation de handicap sont aujourd'hui scolarisés en milieu ordinaire. Parallèlement, le nombre d'AESH a plus que triplé depuis 2017 pour atteindre plus de 134 000 agents.
S'il s'agit d'indéniables avancées, ces progrès quantitatifs atteignent cependant leurs limites. Sur le terrain, les familles, les enseignants et les AESH eux-mêmes nous disent tous que l'inclusion est trop souvent fragile et source d'inquiétude : les délais de réponse, le manque de coordination, l'insuffisance de formation et surtout la précarité statutaire des AESH constituent des freins structurels. Mon rapport de juin dernier appelait à changer de logique en passant d'une gestion au fil de l'eau à une organisation plus stable, lisible et coopérative, qui serait capable d'assurer un accompagnement de qualité dans la durée.
L'article 1er de la proposition de loi prévoit l'intégration des AESH dans la fonction publique d'État. Si cette mesure répond à une attente, reconnaître pleinement ces professionnels comme des acteurs à part entière du service public de l'éducation se heurte aujourd'hui à des problèmes sérieux, comme l'a précisé mon collègue Cédric Vial, problèmes auxquels nous n'avons pas encore de réponse. Pourtant, comme l'indiquait la rapporteure, il est nécessaire de travailler pour sécuriser les parcours professionnels, renforcer l'attractivité du métier, améliorer la formation et stabiliser les équipes, au bénéfice direct des élèves.
Toutefois, cette évolution statutaire ne saurait être une fin en soi et doit s'inscrire dans une vision globale de l'école inclusive. L'expérience des dernières années nous l'a montré : sans clarification des missions, sans formation adaptée et sans articulation claire avec le secteur médico-social, les réformes restent inabouties.
Par ailleurs, la prise en compte des besoins spécifiques des élèves sourds, notamment au travers de la possibilité d'un parcours en langue française parlée complétée, répond à une exigence de liberté de choix et d'adaptation des parcours. De la même manière, l'obligation faite aux collectivités de réfléchir, lors des constructions ou réhabilitations d'établissements, à l'existence de locaux adaptés, est une mesure qui me semble évidente. L'inclusion ne se décrète pas, elle se construit aussi dans les murs de l'école.
Pour conclure, je voudrais souligner un point de vigilance : l'inclusion ne peut reposer sur une accumulation de dispositifs ou de réponses fragmentées, elle exige une gouvernance claire, une coopération effective entre l'éducation nationale et le médico-social, et une attention constante à la réalité vécue par les élèves et ceux qui les accompagnent au quotidien.
Cette loi ouvre des perspectives intéressantes, mais il nous faut prendre le temps de construire un projet solide afin de lever les nombreux blocages. Notre responsabilité collective est d'avoir une stratégie cohérente, pragmatique et durable, afin que l'école inclusive ne soit plus un parcours d'obstacles, mais un parcours de réussite.
Enfin, une question se pose : si la fixation des obligations de service des AESH par des dispositifs statutaires vise une meilleure reconnaissance professionnelle, comment cette évolution permettra-t-elle de concilier la stabilité du temps de travail des AESH, aujourd'hui largement à temps partiel, avec la variabilité des notifications MDPH et les besoins d'accompagnement des élèves, sans recréer des rigidités organisationnelles déjà observées dans le dispositif existant ?
Mme Paulette Matray. - Je tiens à relayer le témoignage d'une AESH de mon département de Saône-et-Loire : « L'école inclusive, c'est aussi l'école en général. À l'heure où notre éducation nationale est beaucoup critiquée, donnons les moyens à l'école, aux classes, en ayant des AESH formés pour encadrer les élèves qui ont des besoins particuliers. De manière générale, nos élèves ont besoin de travailler dans de meilleures conditions. »
Mme Laure Darcos. - Certains propos de mes collègues m'ont rappelé un souvenir assez cuisant pour moi : au cours du débat sur la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance, j'avais souligné qu'il fallait éviter que l'école ordinaire ne se substitue aux IME et j'avais rédigé un article additionnel indiquant que seuls les enfants qui pourraient avoir une évolution pédagogique pourraient accomplir leur scolarité en milieu ordinaire.
Cela m'avait valu un tombereau d'injures de la part des associations de parents d'élèves autistes et d'élèves en situation de handicap, et j'avais dû, face à ce déferlement de haine, publier un communiqué de presse en amont de la commission mixte paritaire pour annoncer que je retirais mon amendement.
Ces sujets sont donc toujours très délicats : si les AESH sont en difficulté, ne sous-estimons pas le rôle des parents, qui ont parfois beaucoup de mal à reconnaître que leurs enfants ne peuvent pas accéder à un parcours scolaire ordinaire.
Mme Marie-Pierre Monier, rapporteure. - Monsieur Vial, tous les syndicats, de la Fédération syndicale unitaire (FSU) au Syndicat national des lycées, collèges, écoles et du supérieur (Snalc), considèrent que l'inscription d'un concours de catégorie B dans la loi est pertinente. Le collectif que vous avez mentionné ne contestait pas ce concours, mais l'ajout de temps périscolaire et d'internat, ce qui était initialement prévu dans l'article 1er et que nous corrigeons dans un amendement.
Pour passer un concours de la fonction publique, il faut disposer de la nationalité française ou être ressortissant d'un pays membre de l'Union européenne. Si la personne est de nationalité extracommunautaire, il est possible de la recruter en tant que contractuelle.
S'agissant du concours académique et de la mobilité, les onze syndicats qui ont participé aux auditions sont bien conscients du fait que les personnels pourront être affectés dans un établissement qui ne sera pas nécessairement à proximité de leur domicile, mais ils ont aussi mentionné un aspect bénéfique de cette évolution, à savoir qu'elle permettra de changer de lieu d'exercice plus aisément et de répondre à des besoins de mobilité.
Concernant le temps plein et le temps partiel, les collectifs et les syndicats nous ont indiqué que la plupart des temps partiels étaient subis, certaines AESH exerçant plusieurs métiers.
Pour ce qui est de la mise en place du nouveau dispositif, un travail réglementaire sera nécessaire, en conjonction avec le dialogue social.
J'en viens au bâti scolaire. Les collectivités territoriales devaient déjà, en application de la loi pour une école de la confiance, suivre les recommandations de l'observatoire national de la sécurité et de l'accessibilité des établissements d'enseignement en cas de construction ou de réhabilitation. Notre commission avait voté l'article correspondant, qui induisait donc des contraintes : le sujet a ensuite été mis en sommeil dans la mesure où l'observatoire a été supprimé en 2020. Je souligne que ma proposition est moins exigeante puisqu'elle ne prévoit qu'une possibilité, et non pas une obligation.
J'ajoute une précision sur le concours : pour ceux qui ne disposeraient pas du diplôme requis, il existe un troisième concours dans l'éducation nationale, ce point devant être traité dans le cadre du dialogue social et par voie réglementaire.
Par ailleurs, Mme Ollivier a eu raison d'évoquer les Rased, effectivement indispensables. Des dispositifs d'autorégulation existent déjà dans certains départements : dans les Côtes-d'Armor, un dispositif permet ainsi aux enfants autistes de suivre leur scolarité en milieu ordinaire grâce à un accompagnement et à un travail conjoint des éducateurs, des enseignants et des personnels médico-sociaux. Le maire concerné a pu accueillir ce dispositif, car des locaux étaient disponibles et les parents que nous avons rencontrés nous ont indiqué que cela avait changé leur vie en permettant à leurs enfants d'améliorer leurs relations sociales.
Pour en revenir au bâti, nous avions entendu, à l'occasion de la table ronde consacrée aux vingt ans de la loi de 2005, le président du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH), Jérémie Boroy, qui avait alors souligné l'importance d'appréhender l'accueil des enfants en situation de handicap à l'école dans sa globalité. Il s'est dit très satisfait par cet article relatif aux locaux, qui s'inscrit dans cette démarche.
S'agissant de la pause méridienne, de l'internat et du temps périscolaire, je souligne que la réécriture de l'article ne fait que décrire le fonctionnement actuel, sans modification.
Plus globalement, il n'est pas possible de laisser perdurer la situation actuelle, car les AESH, les enseignants, les enfants en situation de handicap et les autres enfants sont en souffrance ! Ce texte est une première pierre pour répondre aux besoins, même s'il est exact qu'il faudra au moins une année pour définir le cadre réglementaire.
Madame Darcos, je vous sais très impliquée sur la question de la langue française parlée complétée. M. Boroy nous a expliqué que les progrès technologiques permettent de faciliter l'oralisation des enfants sourds et que la langue française parlée complétée est désormais la plus appropriée. L'article 2 rappelle ce droit des familles de choisir ce codage pour la scolarité de leur enfant, ce qui n'est pas le cas dans les faits actuellement. Selon les spécialistes, la langue des signes est bien plus pénible et fatigante pour les enfants.
Monsieur Ouzoulias, je partage votre avis sur le fait que tous les enfants ne peuvent pas rejoindre le milieu scolaire ordinaire. J'ai été récemment sollicité pour le cas d'un enfant dont la famille ne trouve pas de place en IME, ce qui est effectivement un problème majeur.
Monsieur Patriat, nous n'ignorons pas les progrès qui ont été accomplis, mais les retours du terrain nous alertent bien sur l'urgence de la situation. Le directeur général des ressources humaines du ministère de l'éducation nationale lui-même a reconnu que la création d'un corps permettrait d'offrir des perspectives de carrières aux AESH et de les fidéliser.
En conclusion, je suis heureuse que nous puissions aborder ce sujet, déjà débattu par l'Assemblée nationale à l'occasion de l'examen d'une proposition de loi déposée par La France insoumise, d'un texte déposé par le groupe de la gauche démocrate et républicaine et enfin d'une proposition de loi transpartisane portée par M. Corentin Le Fur, qui est du groupe Les Républicains.
J'espère que vous changerez d'avis d'ici à l'examen du texte dans l'hémicycle, en rappelant que vous êtes libres de déposer des amendements.
Il nous faut agir face à la souffrance des AESH, qui risquent de démissionner en nombre, au détriment des enfants en situation de handicap.
EXAMEN DES ARTICLES
Mme Marie-Pierre Monier, rapporteure. - L'amendement COM-1 tire les conséquences de plusieurs remarques entendues lors des auditions.
Afin d'éviter tout transfert de compétences entre l'État et les collectivités territoriales, le corps de fonctionnaires créé ne concerne que les AESH intervenant sur le temps scolaire dans un établissement d'enseignement public. Les AESH intervenant sur le temps périscolaire et pour accompagner les étudiants conserveraient le statut actuel, celui de contractuels. Toutefois, comme c'est le cas actuellement, les AESH de l'État pourront être mis à la disposition des collectivités territoriales.
Par ailleurs, il tient compte de la situation spécifique des établissements privés sous contrat. Cet amendement s'inspire de ce qui existe pour les enseignants. Les AESH qui interviennent dans ces établissements seraient des contractuels de droit public, dont les conditions des rémunérations et de temps de travail seraient les mêmes que leurs collègues AESH intervenant dans des établissements publics.
Enfin, je propose que l'intégration d'office ne concerne que les AESH en poste depuis trois ans, soit ceux qui peuvent être « CDIsés ». Pour ceux qui ont moins de trois ans d'ancienneté, un concours réservé sera proposé.
M. Cédric Vial. - Ce n'est pas tout à fait exact, madame la rapporteure. Mieux rédigé sur le plan légistique, le texte souffre toujours de défauts : si vous avez retiré des missions complémentaires que vous aviez précédemment confiées aux AESH, vous ne précisez pas à quoi serviront les heures restantes, le temps moyen passé par les AESH devant les élèves étant en moyenne de 21 heures 40. Vous renvoyez tout à plus tard, alors que ces éléments ne sont pas neutres : il faut avoir ces discussions dès maintenant, car la loi oblige.
De plus, en matière de formation et d'organisation, vous revenez sur des dispositifs déjà compris dans la proposition de loi actuellement en navette.
En ce qui concerne les collectivités, je suis également en désaccord avec vous : dans une première version, vous disiez que l'État était responsable du périscolaire et confiiez aux AESH le soin d'assurer le temps périscolaire, sans préciser d'ailleurs s'ils étaient alors considérés comme des AESH ou comme des animateurs.
Désormais, vous indiquez qu'il faut des AESH sur le temps périscolaire et vous confiez la responsabilité aux collectivités territoriales, ce qui constitue bien une nouvelle obligation pour elles. De surcroît, vous leur imposez un recrutement par le biais de contrats à durée déterminée de trois ans ou de six ans, ce qui les prive de marges de manoeuvre. Qui payera ? Qui notifiera ? Nous allons au-devant de grandes difficultés avec de telles dispositions.
Je le répète, mes chers collègues : aucune discussion n'a eu lieu avec l'AMF à ce sujet, et il n'est pas possible de procéder ainsi. Vous ajoutez aussi la possibilité de mettre à disposition des collectivités des AESH, mais un tel dispositif n'a rien de gratuit : l'État se fera donc rembourser par les collectivités.
Enfin, vous fixez également des règles pour les établissements privés, en définissant jusqu'au niveau de rémunération. Selon moi, il est exclu de préciser tous ces détails dans la loi. Cela étant, comme je l'ai indiqué précédemment, nous ne prendrons pas part au vote.
Mme Marie-Pierre Monier, rapporteure. - Je ne procède pas aux ajouts que vous évoquez. L'article L. 917-1 du code de l'éducation dispose déjà que « des accompagnants des élèves en situation de handicap sont recrutés pour exercer des fonctions d'aide à l'inclusion scolaire de ces élèves, y compris en dehors du temps scolaire ». La discussion reste ouverte sur ce point.
L'amendement COM-1 est adopté.
L'article 1er est ainsi rédigé.
Article 2
L'article 2 est adopté sans modification.
Article 3
L'article 3 est adopté sans modification.
Article 4
L'article 4 est adopté sans modification.
Article 5
L'article 5 est adopté sans modification.
M. Max Brisson. - La qualité des relations au sein de notre commission s'appuie sur la clarté de nos positions respectives.
Je doute qu'un tel sujet puisse être traité par une simple proposition de loi, aussi intenses et fortes que soient les intentions de celles et ceux qui la portent. Notre non-participation au vote équivaut bien à une opposition totale aux orientations qui sont proposées dans ce texte, comme l'a bien exposé Cédric Vial.
Je souhaiterais que notre débat dans l'hémicycle porte bien sur l'école inclusive en tant que telle, et pas simplement sur l'éventuel statut de ceux qui la servent. Il nous faudra ainsi aborder les missions et le périmètre de l'école inclusive, ainsi que les tensions existant dans les relations entre l'éducation nationale, les collectivités locales et les MDPH.
Le texte proposé laisse bien apparaître de telles tensions, entre le passage à un éventuel statut et les notifications des MDPH : quelles que soient les solutions proposées, il faut mettre de l'huile dans les rouages de ce mécanisme. Par ailleurs, comme l'a pointé Bernard Fialaire, la dimension médico-sociale doit prendre toute sa place, car l'éducation nationale ne dispose pas nécessairement des moyens de définir l'accompagnement des enfants, bien qu'elle en supporte les coûts.
Une fois le périmètre de l'école inclusive défini, il sera temps de parler des statuts et des compétences des personnels, mais nous ne pouvons pas nous dispenser de ce débat préalable.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Proposition de loi visant à protéger les jeunes de l'exposition excessive et précoce aux écrans et des méfaits des réseaux sociaux - Examen des amendements au texte de la commission (sera publié ultérieurement)
Ce point de l'ordre du jour sera publié ultérieurement.
La réunion est close à 11 h 40.
- Présidence de M. Laurent Lafon, président -
La réunion est ouverte à 16 h 30.
Audition de Mme Laurence des Cars, présidente-directrice du musée du Louvre
M. Laurent Lafon, président. - Nous reprenons nos travaux sur la sûreté du musée du Louvre en accueillant pour la seconde fois Mme Laurence des Cars, présidente-directrice de l'établissement, et son équipe.
Madame la présidente-directrice, nous vous avons déjà entendue le 22 octobre dernier, c'est-à-dire quelques jours seulement après le cambriolage du dimanche 19 octobre, alors que nos concitoyens comme les équipes du musée étaient encore, de manière bien compréhensible, sous le choc de ces événements.
Depuis cette date, plusieurs travaux ont permis de voir un peu plus clair dans l'enchaînement des décisions et des événements qui ont conduit à mettre en échec la sûreté du musée.
Une délégation de notre commission y a été accueillie le 28 octobre pour constater l'état de ses installations. Le 29 octobre, nous avons recueilli les éclairages de votre ministère de tutelle, de la préfecture de police et de l'Office central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC). Le 6 novembre, la Cour des comptes a rendu un rapport consacré au musée.
Enfin, il y a maintenant une quinzaine de jours, j'ai pris connaissance, avec notre rapporteur pour avis sur les crédits relatifs aux patrimoines Sabine Drexler, des conclusions de l'enquête administrative diligentée par la ministre. Ces conclusions, remises le 5 novembre sans avoir été rendues publiques, ont ensuite été présentées à notre commission par ses auteurs, et ont pu être consultées par les commissaires qui l'ont souhaité.
Les éléments figurant dans ce rapport d'enquête nous ont paru trop graves pour ne pas vous demander, ainsi qu'à votre prédécesseur à ce poste, de nous fournir de nouvelles explications.
Ces conclusions sont en effet d'une grande sévérité pour votre gestion comme pour celle de l'équipe précédente. Elles établissent clairement que le cambriolage du 19 octobre, loin de constituer un événement fortuit, a été permis par une accumulation de carences dans le pilotage du musée, qui auraient pu et auraient dû être résolues à la date du vol.
Le rapport pointe ainsi la défaillance générale du Louvre en matière de sûreté. Cette défaillance est à la fois stratégique, avec une priorisation des missions d'accueil et de médiation par rapport à la sûreté ; organisationnelle, en raison d'une gouvernance peu formalisée ; et enfin technique, du fait de l'extrême lenteur des procédures de renouvellement et de modernisation des équipements.
Le rapport souligne que ces failles de sécurité avaient toutes été identifiées par plusieurs travaux antérieurs, qui avaient formulé des recommandations concordantes. Lui sont notamment annexés un audit de l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ), réalisé en 2017, ainsi qu'un audit réalisé par le joaillier Van Cleef & Arpels en 2019 dans le cadre d'un mécénat de compétences techniques, et qui portait plus spécifiquement sur la galerie d'Apollon.
Il est bien entendu toujours un peu facile de refaire le film des événements à la lumière de nouvelles informations. Dans le cas présent, il est cependant consternant de réaliser que la mise en oeuvre de quelques-unes seulement de ces recommandations aurait suffi à gagner les trente précieuses secondes qui auraient permis d'arrêter les malfaiteurs, comme l'établit le rapport de l'enquête administrative.
Afin de tirer toutes les leçons de ce cambriolage, il nous faut donc obtenir des réponses précises sur plusieurs points.
En premier lieu, il est inquiétant que vous n'ayez pas eu connaissance des audits que j'évoquais à l'instant, et que ces documents n'aient été redécouverts qu'à l'occasion de l'enquête administrative. Quelles sont les causes de cette perte de mémoire de l'institution ? Sans même parler de mémoire, comment expliquez-vous que ces recommandations cruciales n'aient pas fait l'objet du suivi administratif le plus banal ? Il me semble que cette question se pose à deux niveaux : celui de la présidence d'une part, et celui du fonctionnement quotidien des services du Louvre d'autre part.
Sur ce premier niveau, nous avons interrogé hier M. Martinez sur la transition entre sa présidence et la vôtre. Il nous a remis un ensemble de notes préparées par chacun des services du Louvre afin de vous éclairer sur les enjeux qui vous attendaient à votre prise de poste ; j'ai pu constater que ces deux audits n'y étaient pas mentionnés. Sans doute pourrez-vous nous apporter quelques éclairages complémentaires.
Pour autant, ainsi que nous l'a également indiqué M. Martinez, un certain nombre de responsables sont demeurés en poste après son départ, à la tête de services qui ont bien dû recevoir ces audits, les mobiliser pour préparer le schéma directeur des équipements de sûreté, puis les conserver. L'audit de 2017 est en effet présenté par M. Martinez comme l'élément déclencheur de ce schéma directeur, tandis que celui de 2019 avait été spécifiquement commandé pour la sécurisation de la galerie d'Apollon. Que ces documents ne soient pas remontés à un moment ou un autre dans la vie quotidienne des services en pleine phase d'élaboration du schéma directeur est donc extrêmement étonnant.
En second lieu, vous déclariez devant nous le 22 octobre dernier : « Je n'ai pas arbitré en faveur d'une priorité plutôt que d'une autre. J'ai fait de la sécurité une urgence absolue. » L'inspection générale des affaires culturelles (Igac) et la mission de sécurité, de sûreté et d'audit (Missa) dans l'enquête administrative ainsi que la Cour des comptes dans son rapport thématique aboutissent malheureusement à la conclusion inverse.
Évoquant une « dilution des responsabilités », une « dérive doctrinale profonde » et une « inversion des priorités », ils estiment que le Louvre n'est pas doté d'une culture de la sûreté. Cette lacune résulte, selon eux, d'une double sous-estimation : celle du risque de vol d'oeuvres, illustrée dans votre cartographie des risques, et celle de la vulnérabilité de l'établissement, malgré la multiplication des cambriolages touchant à la fois des musées dans différents lieux de France et les alentours du Louvre. Cette mauvaise évaluation de la situation vous a notamment conduite à ne jamais solliciter l'intervention de la Missa, tandis que la fonction de sûreté n'avait pas été identifiée dans l'organigramme de l'établissement, et que la formation des agents de surveillance était, comme le note l'enquête administrative, insuffisante.
Ces travaux soulignent également que la préparation du schéma directeur ne vous dispensait pas de mettre en oeuvre des mesures d'urgence : la protection de la fenêtre de la galerie d'Apollon par une grille, ou, plus simplement encore, l'actualisation des fiches de procédure des agents.
Ces constats concordants portés par plusieurs organismes d'inspection ont-ils fait évoluer votre analyse de la situation ?
Enfin, et ce sera mon troisième et dernier point, M. Le Guédart, qui est demeuré à son poste de directeur du patrimoine architectural et des jardins au début de votre mandat et jusqu'en janvier 2023, nous a indiqué hier que l'avant-projet définitif de ce schéma directeur avait été arrêté à la fin du même mois de janvier 2023, à temps pour permettre son application lors des Jeux Olympiques. Quelles sont donc les raisons précises qui ont justifié par la suite le report de sa mise en oeuvre ?
Le rapport annuellement rendu par le Louvre sur la mise en oeuvre de son contrat d'objectifs et de performance (COP) attribuait en 2024 ces décalages à de multiples raisons - la complexité du projet, des raisons budgétaires, la charge de travail des équipes -, soit un empilement de motifs imprécis qui n'ont convaincu ni la Cour des comptes, ni l'Igac et la Missa dans l'enquête administrative.
Madame la présidente-directrice, vos déclarations ont évolué sur le schéma directeur des équipements de sûreté depuis octobre dernier, ce qui a semé un certain trouble. Il est temps que vous nous expliquiez clairement l'existence des retards et leurs raisons.
Mme Laurence des Cars, présidente-directrice du musée du Louvre. - Vous avez souhaité m'entendre à nouveau après avoir pris connaissance des conclusions de l'enquête administrative rendue le 5 novembre dernier par l'Igac. Je répondrai bien volontiers à toutes vos questions, comme je l'ai toujours fait.
En préambule, je souhaite vous présenter les enseignements qui ont déjà été tirés du vol du 19 octobre 2025. J'ai la profonde conviction que le Louvre ne doit pas être jugé à l'aune de la crise qu'il traverse, mais bien à la façon dont il va tirer toutes les leçons des récents événements pour se transformer et se renforcer. C'est la raison pour laquelle je voudrais également partager avec vous la vision d'avenir que je défends pour le musée, puisque le Louvre de demain s'écrit dès aujourd'hui.
Le vol du 19 octobre a cruellement mis en lumière nos fragilités en matière de sûreté.
Je reviendrai en premier lieu sur les mesures que nous avons déployées depuis le vol et qui se poursuivront évidemment dans les mois à venir. Dans les jours qui ont suivi le 19 octobre, nous avons agi rapidement et concrètement pour renforcer la protection du musée et de ses abords, en concertation avec le ministère de la culture et le ministère de l'Intérieur.
Certaines de ces mesures d'urgence sont déjà effectives, d'autres le seront dans les tout prochains jours. L'installation des dispositifs de mise à distance s'est terminée cette semaine. Ils sont visibles quai François-Mitterrand. Je remercie la Ville de Paris et la préfecture de police de leur accompagnement.
Un poste avancé mobile de la police nationale sera opérationnel dès vendredi prochain au rond-point du Carrousel. Il assurera plusieurs fois par an une présence des forces de police sur le domaine du Louvre. Je remercie le préfet de police Patrice Faure pour son écoute attentive.
Le lot 1 du schéma directeur des équipements de sûreté a été signé et notifié hier, ainsi que je m'y étais engagé. C'est dans ce cadre que nous allons accélérer le déploiement de cent caméras périmétriques supplémentaires. Elles seront implantées au cours de l'année 2026 et permettront une protection renforcée des abords du musée.
Nous poursuivons le remplacement complet de toutes les grilles classées au titre des monuments historiques qui entourent le palais du Louvre. Il s'agit du schéma de sécurisation du domaine lancé après l'épisode des « gilets jaunes » ; j'avais eu l'occasion d'évoquer ce sujet fondamental lors de mon audition du 22 octobre dernier.
Nous terminons enfin le recrutement du coordonnateur Sûreté rattaché à la présidence du Louvre. Ce coordonnateur nous permettra de faire face à l'évolution rapide des menaces, aussi bien physiques que virtuelles, qui pèsent sur notre établissement. Il aura pour mission de renforcer notre architecture de sûreté afin de toujours mieux protéger les collections nationales, les agents du Louvre et les neuf millions de visiteurs que nous recevons chaque année. Il sera aussi et surtout le garant d'une véritable culture de la sûreté au sein de l'établissement.
Le vol du 19 octobre a également révélé ce que j'avais commencé à identifier dès 2022 : une fragilité de nos chaînes de transmission, tout particulièrement dans le suivi des dossiers les plus sensibles.
Le Louvre est le lieu du temps long. Il est fondamental de s'appuyer sur le travail mené par les précédentes équipes pour porter un regard parfaitement informé sur le bâtiment et les collections qu'il abrite. Le départ de certains de nos collaborateurs entraîne une perte de mémoire parfois irrémédiable pour l'établissement.
Beaucoup a été fait depuis 2023 sous l'impulsion de Marie Lacambre, directrice financière, juridique et des moyens ici présente. Il faut continuer en ce sens, aller plus vite et plus fort, par la mise en place de processus cohérents, unifiés et exhaustifs de partage des informations, par le respect le plus strict des procédures de transmission, par une conscience aiguë des enjeux de confidentialité au sein du musée. C'est pourquoi un audit interne sera lancé dès le mois de janvier prochain. Il aura pour mission de tracer les chaînes de transmission d'informations et fera toute la lumière sur nos faiblesses afin d'y apporter des solutions efficaces et pérennes.
J'aurai bien sûr l'occasion de répondre précisément à vos questions sur les dysfonctionnements pointés par le rapport de l'Igac et sur notre part de responsabilité. Mais permettez-moi d'abord de partager la vision qui guide notre action, car c'est elle qui donne sens aux mesures que nous déployons.
Les mesures d'urgence que je viens de décrire sont indispensables, mais elles ne suffiront pas. Le vol du 19 octobre n'est pas un accident isolé. Il révèle des fragilités structurelles que seul un projet d'ensemble peut traiter durablement si nous voulons dépasser cette crise, poursuivre la transformation du Louvre et le faire entrer véritablement dans le XXIe siècle.
Nous devons être à la hauteur de l'enjeu. Le Louvre est un lieu sans pareil, dont le rayonnement, la puissance et l'envergure sont uniques au monde. Ainsi, 2 300 agents le servent chaque jour avec fierté et passion, et je veux les saluer devant vous. Pour nos concitoyens, il est un témoin de l'histoire de notre pays et incarne notre idéal républicain. Pour tous ceux qui le visitent, il est un symbole de la France, un lieu de découverte où dialoguent 9 000 ans d'histoire.
Au cours de ces dernières semaines, l'attachement de nos publics ainsi que des partenaires et amis du Louvre, en France et dans le monde, ne s'est pas démenti. Nous continuons d'accueillir des milliers de visiteurs chaque jour, sans baisse de fréquentation. Nous présentons actuellement deux magnifiques expositions. Nous continuons de recevoir des messages de solidarité et d'amitié du monde entier. Ce puissant soutien renforce le sens de notre mission quotidienne.
Pour que le Louvre demeure ce formidable lieu d'apprentissage et de plaisir que nous chérissons tant et que le monde nous envie, il nous faut apporter des solutions puissantes aux défis qui s'imposent à lui. Pas de demi-mesures ou de rustines. Notre musée a un besoin profond d'évolution.
Ces défis sont parfaitement identifiés. J'ai eu l'occasion, à plusieurs reprises, de les partager auprès de la représentation nationale. Nous devons faire face à l'obsolescence des infrastructures techniques de l'établissement, à la fragilité toujours croissante du Louvre - à la fois palais et musée -, au déséquilibre des flux de publics avec une fréquentation massive de certaines de ses salles, tandis que d'autres sont presque vides alors qu'elles abritent d'innombrables chefs-d'oeuvre, et à des conditions de travail de plus en plus difficiles pour nos agents.
Tous ces sujets sont indissociables, tous revêtent la même importance. Ils sont au coeur du projet Louvre - Nouvelle Renaissance, annoncé par le Président de la République le 28 janvier dernier. C'est pourquoi ce projet inclut cinq schémas directeurs dont la mise en oeuvre est absolument nécessaire : le schéma directeur des équipements de sûreté, notifié lundi dernier, sur lequel je pourrai revenir évidemment ; le schéma directeur des équipements électriques ; le schéma directeur de sécurité sur le risque incendie ; le schéma directeur des circulations mécanisées ; le schéma directeur du génie climatique, avec la rénovation des réseaux hydrauliques et des ventilo-convecteurs.
Louvre - Nouvelle Renaissance est à la hauteur de l'immensité et de la complexité de ce lieu, qui accompagne l'histoire de France depuis neuf siècles, expose plus de 30 000 oeuvres et s'inscrit dans un domaine de 37 hectares. Ce projet est ambitieux, à l'image du Louvre et des défis que le musée affronte. Il est adossé à des financements calibrés et à des ressources identifiées. C'est un projet réaliste, nécessaire et responsable. Je suis déterminée à le défendre.
Voilà les convictions qui sont les miennes et que je souhaitais rappeler. Je me tiens à présent à votre disposition pour répondre à vos questions.
M. Laurent Lafon, président. - Nous avons du mal à remonter le fil de l'histoire du schéma directeur des équipements de sûreté et à comprendre pourquoi, alors que son élaboration a été engagée en 2017, il ne sera mis en oeuvre qu'en 2026.
Lorsque nous vous avons interrogée quelques jours après le cambriolage, vous nous déclariez avoir, à votre arrivée, pris à bras-le-corps le sujet qui n'en était qu'au stade de la réflexion et accéléré l'élaboration du schéma directeur, en précisant : « il n'y a pas de retard dans la mise en oeuvre du schéma directeur. »
Pour la période qui s'ouvre avec votre prise de fonctions, nous avons compris qu'un avant-projet sommaire avait été soumis au vote du conseil d'administration en octobre 2021 et qu'un avant-projet détaillé avait ensuite été présenté au printemps 2022. Vous nous aviez déclaré il y a quelques semaines avoir amendé cet avant-projet détaillé, qui vous paraissait insuffisant sur l'hypervision, la surveillance périmétrique et la cybersécurité - ce dernier aspect n'étant pas en cause dans le cambriolage, nous le laisserons à part.
De leur côté, M. Martinez et son équipe ont précisé que la technologie d'hypervision et la rénovation du poste central de surveillance étaient au coeur de l'élaboration du schéma directeur dès 2018. On nous a indiqué que, à votre demande et à partir du printemps 2022, la possibilité a été étudiée d'une autre localisation du poste de commandement (PC) central - d'abord prévue dans le pavillon de Flore - et, ce qui ne nous avait jamais été dit précédemment, qu'une contre-expertise financière s'était intéressée au coût des mesures tel qu'il ressortait de l'avant-projet détaillé, et qui s'élevait à 56 ou 57 millions d'euros.
Ce travail a été réalisé et a donné lieu à un avant-projet détaillé définitif, approuvé et soumis au vote du conseil d'administration le 31 janvier 2023. Les procédures d'appel d'offres ont, elles, été lancées en décembre 2024. Il s'est donc écoulé pratiquement deux années entre l'approbation de l'avant-projet détaillé définitif et le lancement des appels d'offres.
Tant le rapport annuel de performance du Louvre, rédigé par vos équipes et envoyé à la tutelle, que la récente enquête administrative confirment des retards. Trois raisons sont mises en avant : la complexité administrative, la charge de travail des équipes et le coût budgétaire.
Enfin, si l'appel d'offres a été lancé, il semblerait qu'il n'ait pas encore été officiellement attribué dans son intégralité. C'est une année supplémentaire de passée, alors même que le rapport annuel de performance prévoyait une notification plus rapide des marchés.
En définitive, il apparaît qu'il y a bien eu des retards. Or, si le schéma directeur des équipements de sûreté était entré plus tôt dans sa phase opérationnelle, qui aurait permis la pose des caméras périmétriques, cela aurait conduit, sinon à empêcher, du moins à retarder le cambriolage du 19 octobre. Les raisons de ces retards sont de diverses natures, mais elles sont notamment d'ordre budgétaire.
Pouvez-vous nous éclairer plus avant sur les conditions de l'élaboration de ce schéma directeur ?
Mme Laurence des Cars. - Conseillée par mon équipe et le comité de sûreté du musée, j'ai voulu m'assurer que le périmètre du schéma directeur était le plus complet possible.
La question de la cybersécurité est absolument capitale. Nous renforçons également le nombre de caméras périmétriques ainsi que la couverture vidéo dans les espaces muséographiques. Nous l'étendons en outre à d'autres entités relevant du domaine du Louvre, notamment le Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF). Décision est donc prise d'augmenter la « voilure » du schéma directeur, dont nous faisons une priorité dans la transformation et la modernisation du musée.
Il s'y est, en effet, ajouté une demande de réévaluation financière. Dans l'état antérieur du projet, le coût du schéma directeur était évalué à environ 50 millions d'euros. Les études en portent désormais le coût à 80 millions d'euros, et c'est ce montant qui, validé et correspondant à un projet de grande ampleur, a fait l'objet d'une programmation budgétaire pluriannuelle.
En ce qui concerne le poste de commandement, cinq localisations différentes ont été examinées depuis l'engagement de la réflexion sur le schéma directeur. Parmi elles figurait, en lien avec l'organisation des Jeux Olympiques, la proposition du pavillon de Flore du fait de sa proximité, à l'une des extrémités du palais, avec le jardin des Tuileries. J'ai écouté les débats internes au comité de sûreté du Louvre sur la pertinence de cette localisation assez excentrée. Plusieurs de ses membres ont souhaité que le poste de commandement soit plutôt placé au centre du palais, en liaison directe avec la direction de l'accueil du public et de la surveillance (Daps) et la direction générale du musée. Pour des raisons d'efficacité et de rapprochement des directions sur la question de la sûreté, c'est en définitive une localisation de ce type qui a été retenue.
Tel est le fond de la révision du schéma directeur, que j'assume parfaitement, comme j'assume d'avoir poussé plus loin ce qui était déjà avancé dans les études. Le développement du schéma directeur des équipements de sûreté d'un musée comme le Louvre représente une responsabilité immense, avec des investissements de plusieurs dizaines de millions d'euros ; l'architecture choisie doit tenir dans le temps, mais aussi pouvoir évoluer.
En aucun cas je n'ai mis de coup d'arrêt à quoi que ce soit. À l'élaboration du schéma directeur correspond un mouvement continu de réflexion sur son perfectionnement, à l'écoute des professionnels qui nous entourent et des bureaux d'études qui nous accompagnent.
M. Francis Steinbock, administrateur général adjoint du musée du Louvre. - Vous avez entendu hier Denis Fousse et Laurent Le Guédart, avec qui nous avons travaillé en étroite collaboration, de manière tout à fait fluide. Nous sommes partis du projet de schéma directeur des équipements de sûreté, dans l'état dans lequel il se trouvait, en l'interrogeant, puis en constatant qu'il était bien mené. Il n'a jamais été question de le remettre en cause et l'architecture globale du projet n'a en rien changé.
Le choix de ne pas maintenir le PC central au sein du pavillon de Flore tient au fait que ce bâtiment est isolé dans le palais : il ne communique pas directement avec lui, sa sortie s'effectue sur la chaussée et il est situé à plusieurs centaines de mètres de la direction générale. Autant de caractéristiques qui nous ont paru fâcheuses.
Concernant les conditions d'avancement du projet de schéma directeur, nous appliquons le code de la commande publique. Nous l'avons en l'occurrence appliqué de manière scrupuleuse, compte tenu du caractère sensible du sujet et afin de prévenir tout risque de contentieux. Cela suppose de prendre du temps pour tous les marchés, en particulier en séparant la phase des candidatures de la phase des offres. Il a ainsi fallu quatorze mois, avant l'arrivée de Laurence des Cars, pour sélectionner le maître d'oeuvre et un an pour passer les marchés, ce qui est tout à fait normal.
Nous avons validé l'avant-projet définitif en février 2023 et avons, quelques mois après, écrit à la tutelle afin de l'en informer. C'est aussi à ce moment que nous avons souhaité obtenir une contre-expertise financière.
Ce stade de l'avant-projet définitif restait éloigné de la phase opérationnelle. Il fallait encore engager la phase dite « projet », avec la rédaction de toutes les pièces techniques, ce qui représentait des centaines de pages, car l'ensemble du domaine était concerné.
C'est un travail gigantesque qui a été effectué. Le bureau d'études techniques, notre prestataire, nous a rendu une première version en juillet-août 2023. Nous n'en étions pas satisfaits, car la qualité documentaire était sur certains points insuffisante. Nous avons donc demandé une deuxième version. Celle-ci nous a été remise à l'automne suivant et nous l'avons validée le 22 décembre 2023.
Une fois les documents techniques en notre possession, c'est la phase administrative de rédaction des pièces de marché qui a été engagée. Elle s'est déroulée durant l'année 2024, concomitamment au débat budgétaire avec le ministère, puisque nous n'avions pas encore eu notification des crédits qui permettraient de financer les différents schémas directeurs. Cette année 2024 a donc été cruciale. Nous avons une nouvelle fois écrit à la tutelle le 18 décembre 2024 pour l'informer de l'état d'avancement du projet. Le 20 décembre 2024, nous avons lancé les marchés permettant en définitive d'attribuer, hier, le lot 1.
Le projet est complexe et nous l'avons conduit dans le pur respect des procédures administratives. Si nous n'avons pas tardé pour en valider les différentes étapes, l'ampleur de son objet imposait de laisser du temps au prestataire pour la rédaction des pièces techniques.
M. Laurent Lafon, président. - Ce que vous nous dites ne correspond pas à ce que vous avez écrit à votre tutelle.
Le rapport annuel de performance de 2023, émanant de votre établissement, précisait bien que, à la fin de cette même année, la rédaction des documents de consultation pour l'appel d'offres et celle des cahiers des charges techniques avaient été menées à terme, mais que l'appel d'offres interviendrait début février 2024, conduisant à une notification des marchés de travaux au mois de novembre 2024. Or l'appel d'offres n'a été lancé qu'en décembre 2024, dix mois plus tard et il n'aura été notifié qu'en décembre 2025, soit encore douze mois supplémentaires.
Dans le rapport annuel de performance suivant, en 2024, vous constatez qu'un retard a été pris - pourquoi n'en reprenez-vous aujourd'hui pas le terme alors qu'il est inscrit dans des documents que vous avez vous-mêmes produits ? - et vous en expliquez les raisons, en indiquant que la publication de l'appel à candidatures avait eu lieu le 20 décembre 2024 et que l'objectif était de choisir des candidats fin février 2025, pour lancer la publication des marchés de travaux début mars 2025.
Vous répétez à votre tutelle que, entre l'attribution des marchés et le lancement des travaux, il faudra environ trois mois. De fait, il aura fallu quasiment une année. Et vous continuez de nous expliquer qu'il n'y a pas de retard. Pourriez-vous nous dire clairement ce qu'il en est ?
M. Francis Steinbock. - Il y a effectivement eu un retard dans la mesure où les procédures ont été lancées plus tardivement que prévu et que les délais inscrits dans le COP n'ont pas été tenus, mais ce n'est pas un retard au sens où il y aurait eu volonté de bloquer le projet, avec le choix d'en financer prioritairement d'autres. C'est la complexité de ce projet et le fait que nous ne disposions pas encore des crédits nécessaires à sa réalisation, avec un nouveau montant de 80 millions d'euros et un échelonnement du paiement sur plusieurs années, qui ont été au coeur du problème. Nous ne pouvions nous engager dans une procédure de lancement de marchés sans certitude quant à leur financement.
M. Laurent Lafon, président. - L'annonce du projet global de rénovation Louvre - Nouvelle Renaissance et sa négociation avec votre tutelle entrent-ils aussi en ligne de compte dans le retard pris pour la mise en oeuvre du schéma directeur des équipements de sûreté ?
Mme Laurence des Cars. - Absolument pas. Les deux sujets sont totalement séparés. Les schémas directeurs sont en cours de déploiement. Nous constatons un retard non dans la conception du marché, mais dans son instruction administrative.
Le schéma directeur des équipements de sûreté est un projet de longue haleine, que plusieurs présidents-directeurs successifs ont souhaité et porté. Il en était déjà question du temps d'Henri Loyrette et n'avait alors pu aboutir pour des raisons budgétaires. Je l'ai repris à mon tour, en l'amendant, ce que j'assume totalement, sans en retarder la réalisation, nos arbitrages étant intervenus très rapidement en 2022 et 2023. Ce sont des procédures de passation de marchés particulièrement lourdes et complexes ainsi qu'un contexte budgétaire lui-même compliqué, dans l'attente de la décision de la tutelle, qui sont en cause.
M. Laurent Lafon, président. - La tutelle a arbitré sur le schéma directeur des équipements de sûreté. Il figure dans le contrat d'objectifs et de moyens de l'établissement.
M. Francis Steinbock. - Ce n'est pas un contrat d'objectifs et de moyens, mais un contrat d'objectifs et de performance. La tutelle n'y prend aucun engagement financier.
M. Laurent Lafon, président. - Vous ouvrez donc les procédures sans cet engagement financier ?
M. Max Brisson. - Ce n'est pas un maire qui ferait cela !
M. Francis Steinbock. - Nous savions que nous pourrions lancer le schéma directeur des équipements de sûreté et le schéma directeur des équipements électriques, nos deux priorités absolues. Nous avions échangé avec notre tutelle tout au long de l'année 2024, lors des comités de pilotage, sur nos besoins de financement correspondants.
Le COP ne fait que tracer de manière prévisionnelle la direction que nous allons prendre. À aucun moment la tutelle n'y indique qu'elle subventionnera tel ou tel investissement.
Mme Sabine Drexler, rapporteur pour avis sur les crédits relatifs aux patrimoines. - La ministre nous a annoncé la semaine dernière en séance publique qu'elle confiait à Philippe Jost, qui a relevé le défi de la reconstruction et de la réouverture de la cathédrale Notre-Dame de Paris, la mission de réorganiser en profondeur le musée du Louvre. M. Jost assurera cette mission « auprès » de vous, madame la présidente-directrice, et sa tâche excédera le champ de la sûreté et de la sécurité - la ministre ayant déclaré que « la réorganisation du Louvre est absolument indispensable » et que « des mesures indispensables sont à prendre, bien au-delà de la sûreté et de la sécurité ».
Avez-vous été associée à cette décision ? Quel sera le positionnement de M. Jost dans l'organigramme du Louvre ? Son intervention remet-elle en cause une partie de vos prérogatives ? Enfin, de quelle nature sont ces mesures qualifiées d'indispensables ?
Par ailleurs, si tel est bien le cas, pourquoi n'avez-vous pas jugé utile de faire intervenir la Missa depuis le début de votre mandat ?
Nous avons appris la semaine dernière que deux audits de sûreté avaient en revanche été réalisés depuis le début de ce mandat : le premier en 2023 sur le risque d'intrusion par voiture-bélier, le second en août 2025 sur la situation générale de la sûreté de l'établissement, réalisé par le service opérationnel de prévention situationnelle (Sops) de la préfecture de police. Quelles sont les raisons qui ont motivé ces audits ? Ont-ils été déclenchés à votre demande ? Pourquoi faire intervenir les services de la préfecture de police plutôt que la compétence spécialisée de la Missa ?
Ma troisième question s'adresse à M. Pham. Selon l'enquête administrative, les défaillances du musée dans la gestion de sa sûreté viendraient de l'organisation en silo de son administration - dont il résulte notamment que le service chargé des bâtiments n'a pas eu connaissance des conclusions de l'audit de Van Cleef & Arpels de 2019, conservées par le service des objets d'art. Il vous revenait, en tant qu'administrateur général, de procéder à cette coordination. Quel regard portez-vous sur cette situation ? Comment expliquez-vous une telle absence de communication entre services, qui confine à l'absurde ? Quelles mesures correctives allez-vous mettre en place ?
L'enquête administrative pointe en outre les carences de la gestion des archives du musée, soulignant notamment la faiblesse des effectifs qui y sont affectés. Comment expliquez-vous cette situation ? Quelle est l'ampleur du retard pris en matière d'archivage et comment allez-vous y remédier ?
En ce qui concerne la filière des agents d'accueil, de surveillance et de magasinage, l'enquête administrative questionne à la fois leurs conditions de travail, jugées harassantes, les orientations retenues quant à leur formation, qui ne porte que marginalement sur la sûreté, et enfin leur doctrine d'emploi, qui est tournée vers la protection des personnes plutôt que l'intervention directe au contact d'éventuels intrus.
Comment réagissez-vous à ces constats ? Comment cette doctrine d'emploi a-t-elle été forgée ? A-t-il envisagé de la faire évoluer à la suite des actions menées par les activistes pour le climat - lesquelles ont donné, selon l'enquête administrative, une image désastreuse de la sécurité du musée ? Quel est le profil des agents aujourd'hui recrutés ? Quelle est la proportion parmi eux d'agents formés à intervenir au contact d'éventuels intrus, et notamment d'anciens militaires ?
Enfin, pouvez-vous nous donner des précisions sur les nouvelles recettes qui seront désormais affectées aux dépenses de sûreté de l'établissement ? Si la règle d'affectation de 20 % des recettes de billetterie aux acquisitions évolue, comme cela a été annoncé, quelle sera la part de ces ressources consacrée à la sûreté ? Suivez-vous également la préconisation d'y affecter une partie des produits de la licence de marque du Louvre Abu Dhabi ?
Mme Laurence des Cars. - M. Philippe Jost est un professionnel reconnu de tous, qui a accompli un travail remarquable au service de l'établissement public chargé de la restauration de Notre-Dame. Je me réjouis que des talents de ce niveau accompagnent le Louvre dans sa transformation. Je précise que c'est moi qui l'ai approché pour solliciter son aide dans les grands chantiers qui nous attendent.
L'annonce de la nomination d'un coordonnateur Sûreté est, elle, imminente. Il s'agira aussi d'un professionnel reconnu, expert de la sécurité et de la sûreté. Il sera directement placé à mes côtés. Sa mission consistera précisément à corriger une question fondamentale dans la grande maison qu'est le Louvre, à savoir le travail en silo, ce cloisonnement de la formation et cette difficulté à y appréhender dans son ensemble la question de la sûreté. Celle-ci concerne a minima trois directions au plus près, mais aussi l'intégralité des agents. Les enjeux de formation figurent d'ailleurs parmi les mesures d'urgence.
En ce qui concerne la Missa, deux courriers des 17 juillet 2023 et 18 décembre 2024, annexés au rapport de l'Igac, ont été envoyés à la tutelle pour l'informer de l'état d'avancement du schéma directeur des équipements de sûreté. Ils ont été adressés conjointement au directeur général de l'architecture et des patrimoines, à qui revient la saisine de la Missa, au secrétariat général ainsi qu'au fonctionnaire de défense et de sécurité - le C2RMF, qui dépend de la direction générale de l'architecture et des patrimoines, a également été informé par écrit à deux reprises. Ces courriers sont malheureusement restés sans réponse du ministère qui, cependant, était et reste parfaitement informé de l'état d'avancement du schéma directeur.
Je confirme avoir demandé deux audits à la préfecture de police de Paris sur des sujets très spécifiques pour lesquels son expertise nous était précieuse : les dispositifs anti-véhicule bélier et la surveillance de nuit.
Les premiers dispositifs anti-véhicule bélier viennent d'être posés devant la porte des Lions et à l'accès du tunnel Lemonnier, qui sert à la réception des livraisons du musée. Leur déploiement se poursuivra tout autour du palais et du domaine.
Il nous a paru intéressant de faire appel aux compétences d'un tiers sur les enjeux très sensibles de la surveillance de nuit, pour nous conseiller sur l'amélioration et l'évolution des dispositifs existants ainsi que dans l'organisation des équipes. Je remercie nos interlocuteurs de la préfecture de police des excellentes relations que nous avons eues avec eux et de la pédagogie dont ils ont fait montre.
M. Kim Pham, administrateur général du musée du Louvre. - Pour répondre à votre question sur la doctrine d'emploi des agents d'accueil et de surveillance, ces agents relèvent du code du patrimoine et non du code de la sécurité intérieure. Il n'entre donc pas dans leur mission de contrer par la force des actes d'intrusion à l'intérieur du musée.
En revanche, nous mesurons combien leur formation professionnelle à la sûreté doit être renforcée. La décision a été prise par la présidente-directrice, immédiatement après le vol du 19 octobre, d'augmenter de 20 % le budget total de formation du Louvre, soit 200 000 euros. Cette somme supplémentaire sera totalement consacrée à des formations de sûreté, qu'elles soient très spécialisées comme en matière de vidéosurveillance ou plutôt orientées vers la culture et l'approche générale de la sûreté. Elles concerneront les agents d'accueil et de surveillance, et plus généralement l'ensemble des agents du Louvre.
La doctrine d'emploi que j'ai évoquée est assez commune dans la plupart des États européens. La définition y est la même, celle d'agents présents pour surveiller et avoir ce réflexe de la sûreté, non pour faire usage de la force en cas d'intrusion. Leur rôle est de circonscrire le risque, en retardant les agissements malveillants et en appelant les forces de police. Si cette doctrine devait évoluer, s'agissant d'une filière de fonctionnaires, elle aurait à être examinée et repensée avec le ministère.
M. Laurent Lafon, président. - Et sur les recettes affectées aux dépenses de sûreté de l'établissement ?
M. Kim Pham. - C'est bien la tarification additionnelle pour les visiteurs non européens - elle devrait rapporter 15 millions d'euros la première année et sans doute davantage après, jusqu'à 20 millions d'euros annuellement - qui permettra le financement des investissements massifs de l'ensemble des schémas directeurs, dont celui de la sûreté. S'y ajoute une subvention publique annuelle de l'ordre de 10 millions d'euros. Le coût du seul schéma directeur des équipements de sûreté, qui représente de manière pluriannuelle un total de 80 millions d'euros, peut être couvert par ces deux sources de financement.
Mme Marie Lacambre, directrice financière, juridique et des moyens du musée du Louvre. - La délégation aux archives a été créée en 2011. Selon les années, elle a compté un ou deux agents. La mise en place du versement des archives électroniques date de 2018. À partir de 2020-2021, des versements très importants sont intervenus, en lien avec le déménagement de plusieurs centaines d'agents qui occupaient les locaux de l'aile Rohan.
La stratégie mise en place à partir de 2022-2023 a consisté à rationaliser les locaux, à vérifier qu'ils étaient adaptés à la conservation des archives et à enrichir les outils de conservation, tels que les registres des entrées, les tableaux d'état des fonds, les registres des éliminations et les registres des recherches et des communications, indispensables à une gestion adaptée des archives.
Enfin, un système d'information archivistique (SIA) a été développé. Il recense aujourd'hui les notices d'archives qui seront mises à la disposition des agents à partir de janvier 2026, leur permettant de localiser les fonds et d'en demander la communication. Celle-ci sera évidemment soumise à l'accord préalable du service concerné.
Mme Marie-Pierre Monier. - Le rapport de l'Igac révèle des failles structurelles graves dans la gestion de la sécurité d'un établissement qui incarne le patrimoine national. Il fait état de dispositifs vétustes, d'une chute brutale des dépenses d'investissement en matière de sécurité, passées de 12 millions d'euros entre 2019 et 2022 à 3 millions d'euros seulement pour la période de 2023 à 2026, et d'un défaut manifeste de tutelle de l'État. À cela s'ajoute un point particulièrement préoccupant : le renouvellement intégral des équipes à l'arrivée de la nouvelle direction, avec une perte du savoir-faire accumulé, dans un moment où le souci de la continuité de l'expertise aurait dû prévaloir. Enfin, le rapport met en lumière un déséquilibre profond, une culture de l'accueil du public qui a progressivement supplanté celle de la sécurité, comme si ces deux exigences étaient incompatibles alors qu'elles devraient être indissociables.
Il ne faut pas chercher à dédouaner de ses responsabilités le ministère de tutelle du Louvre. Pour mémoire, le ministère de la culture siège au conseil d'administration de l'établissement public ; il est donc informé de la situation en matière de sécurité et contribue aux arbitrages relatifs aux moyens qui lui sont consacrés. Rappelons d'ailleurs que, pour les trois exercices budgétaires successifs 2024, 2025 et 2026, la dotation pour charges de service public du Louvre est en baisse.
Je vous poserai donc les questions suivantes. Le rapport de l'Igac a mis en évidence la faiblesse de la relation du Louvre avec sa tutelle. Quel était, de votre point de vue, l'état de vos échanges et l'implication du ministère de la culture dans le pilotage de l'établissement ? Certains de ces échanges vous ont-ils conduite à réorienter vos choix ? Enfin, pouvez-vous nous préciser les modalités du tuilage avec votre prédécesseur ?
M. Pierre Ouzoulias. - Je n'ai pas bien saisi les conditions de nomination de M. Jost : est-ce vous, madame la présidente, qui le recrutez, ou est-ce la tutelle qui le désigne à vos côtés ? Je n'ai pas non plus compris la durée de sa mission. La ministre nous a indiqué une durée de trois mois. Je ne vois pas ce qu'il est possible de réaliser dans un laps de temps aussi court.
Par ailleurs, il ressort du débat sur le projet de loi de finances pour 2026 qu'il revient au Louvre de dégager sur ses ressources propres l'essentiel des crédits de 80 millions d'euros nécessaires à sa mise à niveau dans le domaine de la sûreté. Comment pouvez-vous aujourd'hui poursuivre tous vos travaux sur le grand projet Louvre - Nouvelle Renaissance, alors que la quasi-totalité de vos ressources propres sera ainsi affectée à cette mise à niveau urgente et rapide du plan de sécurisation ? Sur ce point, une décision de la tutelle est-elle intervenue, vous demandant de satisfaire l'un ou l'autre objectif ?
Enfin, j'ai régulièrement posé des questions sur les réserves extérieures du musée, mais les réponses que j'ai obtenues se contredisent. Un audit de la Missa a-t-il été réalisé sur leur sécurisation contre les risques de vol et d'incendie ? La ministre m'a répondu par l'affirmative, l'Igac par la négative.
M. Max Brisson. - L'ordre du jour de notre commission prévoit que nous auditionnions la présidente-directrice de l'établissement public du musée du Louvre et non tout son état-major. Pour autant, je vous remercie, messieurs, madame, de ce cours sur la commande publique et le respect des procédures, que vous avez jugé nécessaire de faire devant la chambre des territoires et des collectivités. Je vous remercie également de votre analyse du temps administratif ; les maires de mon département seraient cependant tombés plusieurs fois de leur chaise en vous écoutant...
C'est à vous maintenant, madame la présidente, et à vous seule, que je m'adresse. Lors de votre première audition par notre commission, le sentiment commun des sénateurs était la sidération. Pour certains - ce n'était pas mon cas, j'en conviens -, c'était également un sentiment de compassion à votre égard. Peu à peu, à la sidération ont succédé la stupéfaction, l'incompréhension puis la colère. Ce soir, avec vos collaborateurs, vous empilez les justifications, qui ne font nullement une explication.
Depuis dix ans, votre maison a donc connu une avalanche de rapports, certains confidentiels, d'autres rendus publics, aux recommandations oubliées ou différées. Ainsi, dès 2015, puis en 2017, deux rapports d'audit confidentiels sur la sécurisation du musée pointaient déjà l'ensemble des dysfonctionnements. En 2022, 2023 et 2024, trois rapports soulignaient, quant à eux, le retard pris dans la mise en oeuvre du schéma directeur des équipements de sécurité.
Le constat est néanmoins implacable : la galerie d'Apollon n'est toujours pas sécurisée et le schéma directeur des équipements de sécurité, qui devait être achevé avant l'organisation des Jeux Olympiques, n'est toujours pas mis en oeuvre.
Vous dites avoir pleinement conscience de la vulnérabilité du musée. Pourtant, sous votre présidence, les moyens budgétaires consacrés à la sécurité n'ont jamais été à la hauteur. Sous votre présidence, l'organigramme officiel, révélateur des priorités d'une direction, n'a jamais placé la sécurité au coeur de l'institution. En d'autres termes, vous avez fait des choix politiques. C'était votre droit. Quand ces choix politiques entraînent des conséquences, vous devez en assumer seule l'entière responsabilité. C'est là votre devoir.
Mes questions sont les suivantes : comment avez-vous pu affirmer ne pas avoir eu connaissance des rapports remis à votre prédécesseur, alors qu'ils ont été retrouvés dans les archives ? Pensez-vous que la représentation nationale puisse accepter une passation de pouvoir aussi désordonnée entre deux hauts fonctionnaires de l'État ? Comment avez-vous pu laisser vos équipes de sécurité sans instructions claires, sans procédure établie, sans formation adaptée, autrement dit, sans aucun cadre officiel face à l'aléa d'une situation de crise et de danger ? Comment avez-vous pu laisser le plus grand musée du monde, le plus visité, l'un des plus aimés du public, l'un de nos joyaux nationaux, dans un tel état de vulnérabilité ? N'aviez-vous pas pour mission première de garantir sa sécurité et l'intégrité de ses collections ? Par exemple, pouvez-vous assumer le choix de la localisation du PC central de sécurité ? Par ailleurs, la nomination de Philippe Jost par la ministre de la culture n'est-elle pas pour vous un désaveu cinglant ?
Finalement, madame la présidente, n'est-il pas temps pour vous de confirmer votre intuition première et, cette fois, d'imposer votre démission ?
Mme Monique de Marco. - Le rapport de l'enquête administrative souligne le problème de fonctionnement en silo et la perte de mémoire des services sur la question de la sécurité. Comment la passation de pouvoir s'est-elle déroulée en 2021 ? Avez-vous renouvelé une partie, voire une grande partie de l'équipe de direction, ce qui a pu contribuer à la perte d'informations ?
Avec le projet Louvre - Nouvelle Renaissance, qui prévoit une nouvelle entrée dans le musée et la création de nouvelles salles, l'objectif est d'atteindre 12 millions de visiteurs par an. Il représente un coût de 1 milliard d'euros. Vous le qualifiez de réaliste et responsable. N'a-t-il cependant pas été la priorité au détriment de la sécurité et de travaux d'urgence, dont les marchés ne seront lancés qu'en 2026 ? Vous affirmez que les deux sujets sont distincts, mais le projet Louvre - Nouvelle Renaissance n'en requiert pas moins pour sa réalisation, outre les équipes d'architectes qui, semble-t-il, ont déjà été sélectionnées, la mobilisation d'une partie de votre propre effectif, dont les moyens ont pourtant été quelque peu amputés ces derniers temps. Au sujet de ce projet, le rapport de la Cour des comptes de novembre 2025 indique qu'il a été engagé sans étude préalable ni évaluation du coût de fonctionnement induit par l'ouverture de nouveaux espaces. Comment répondez-vous à cette critique ?
Mme Sonia de La Provôté. - Il s'avère quelque peu compliqué d'isoler la vérité au milieu de propos qui fluctuent dans le temps. Ce qu'il en ressort avec certitude, c'est que le tuilage, au moment du changement de présidence, a été ou inexistant ou insuffisant.
Le rapport de l'Igac met en évidence, dans la cartographie des risques, une sous-estimation du risque de vol par intrusion, le risque d'accès à l'étage n'ayant, lui, tout simplement pas été identifié. L'inspection préconise évidemment de réévaluer de toute urgence ces risques. Où en est-on de ce travail ?
Il semble aussi que ce soit un préalable essentiel à la mise en place du plan de prévention et du schéma directeur des équipements de sûreté. Prévoyez-vous de réviser le schéma directeur en conséquence ? Ce serait évidemment désastreux, mais les retards s'accumulent en raison de la désorganisation d'un travail qui ne suit pas l'ordre logique des priorités.
Vous proposez un plan de formation exceptionnel pour développer la culture de la sûreté, la vigilance et les exercices avec les forces de sécurité. Si, à cet égard, beaucoup de retard a également été pris et doit être rattrapé, un calendrier précis de mise à niveau de la formation et des connaissances du personnel du musée est-il bien prévu dès le premier trimestre 2026 ?
Une refonte totale des procédures de crise et d'alerte devait intervenir avant la fin de 2025. A-t-elle été réalisée ? Il a en effet fallu constater que, le 19 octobre dernier, la diffusion des messages d'alerte par le PC central a été, pour certains agents, inaudible, faute de canal prioritaire ; c'est pour le moins peu conforme à l'importance du lieu et à celle des collections qu'il abrite. Aussi, est-il prévu que les fiches de procédure, qui n'ont pas été révisées depuis 2016, le soient, comme pour la cartographie, de manière urgente ?
Enfin, un problème d'organigramme et d'autorité fonctionnelle, notamment en matière de sécurité, semble se poser à l'occasion de l'engagement du projet Louvre - Nouvelle Renaissance. L'organigramme sera-t-il clarifié, de telle sorte que toute personne travaillant au musée, et quel que soit son domaine de compétence, soit à même de connaître la répartition exacte des responsabilités et la chaîne décisionnelle ?
Mme Laure Darcos. - Rappelons le contexte dans lequel Mme des Cars a pris ses fonctions : c'était immédiatement après le traumatisme de la crise du Covid, et il convient de ne pas oublier le chaos qui prévalait alors, en particulier dans les établissements culturels qui accusaient des déficits abyssaux et dont les conditions de réouverture au public restaient à déterminer.
Dans les ministères, lors d'une passation de pouvoir, ce sont surtout les administrations qui agissent, notamment les directeurs de cabinet. Dans le cas qui nous occupe, j'apprécierais à mon tour d'obtenir des précisions sur le tuilage qui a pu exister, car, de son côté, M. Martinez est resté évasif sur la question. Nous ne savons en particulier pas si la question de la sécurité avait été abordée entre vous.
Toute la responsabilité du cambriolage vous incombe aujourd'hui, mais M. Martinez a exercé ses fonctions pendant près de dix ans et il était lui-même très embarrassé pour répondre au sujet de la galerie d'Apollon. Comment se fait-il que de telles carences soient passées aussi longtemps inaperçues de la tutelle ? Son correspondant auprès du musée ne dispose certes pas nécessairement de l'autorité suffisante pour faire remonter les urgences au cabinet ministériel, ce que le rapport de l'Igac et de son chef, Noël Corbin, a bien mis en évidence.
Mme Agnès Evren. - L'audition d'hier a apporté de nouveaux éclairages sur l'état d'avancement du schéma directeur des équipements de sûreté à l'été 2021, sur les modalités de la passation de pouvoir et sur les choix opérés par la suite. Ils n'en appellent pas moins des précisions de votre part, tant ils contredisent vos propos devant notre commission.
La sécurité relevant du temps long, il faut insister sur le fait que M. Martinez a été président du Louvre de 2013 à 2021. Cela représente déjà huit ans d'inaction en matière de sécurité, malgré un contexte de menaces accrues pesant sur nos musées. La vérité est que la sécurité n'a jamais été une priorité, ni sur le plan des investissements ni du point de vue de l'organisation. Nous assistons, depuis quelques semaines, à une espèce de partie de ping-pong entre les deux équipes qui se sont succédé, chacune se renvoyant la balle, au lieu de reconnaître sa part de responsabilité dans les erreurs fatales qui ont été commises. C'est une chaîne continue de défaillances et d'absence de hiérarchisation des priorités qui a conduit à un tel cambriolage, qui s'est déroulé en quelques minutes, en plein jour et en plein centre de Paris.
Sur la transmission des alertes relatives à la sûreté du musée, nous ne savons qui croire. M. Martinez évoque une continuité du service public parfaitement assurée ; quant à vous, vous indiquez ne pas avoir eu connaissance de certains audits antérieurs à votre prise de fonctions. Au terme de l'audition d'hier, il semblerait cependant qu'un tuilage de plusieurs mois ait été organisé avec votre prédécesseur et que des notes de synthèse aient été échangées entre vous. Deux des principaux directeurs de l'établissement sont du reste demeurés en place après votre arrivée ainsi que les équipes clés dans le domaine de la sûreté. Qu'est-ce qui, selon vous, n'a pas été transmis : les documents eux-mêmes, leur portée ou leur caractère prioritaire ? Ou avez-vous considéré que les alertes existantes n'étaient pas suffisamment étayées pour justifier une action immédiate ?
Enfin, que pouvez-vous dire aujourd'hui, madame la présidente, aux Français qui sont meurtris et indignés pour les rassurer sur la sécurité du plus grand musée du monde et de ses collections ?
M. Jean-Gérard Paumier. - Avec ces auditions, une seule chose apparaît clairement : la vulnérabilité au vol de la galerie d'Apollon était connue de tous, avec de surcroît un risque d'incendie élevé. Les différents audits, notamment celui de Van Cleef & Arpels, attestent de la prise de conscience des équipes du Louvre de la nécessité de renforcer la sécurité. En revanche, les auditions nous laissent perplexes sur les raisons pour lesquelles peu de suites ont été données à ces audits, ce qui a conduit au désastre du 19 octobre dernier.
Une question me taraude, qui n'a pas encore été évoquée lors de nos auditions et qui ne semble pas avoir effleuré les équipes successives du Louvre : pourquoi ne pas avoir déménagé les joyaux de la Couronne de France dans un endroit plus sûr du musée, le temps de sécuriser la galerie d'Apollon dont la fragilité était connue ? Envisagez-vous d'ailleurs de déménager ce qu'il en reste ?
M. Jacques Grosperrin. - Sans doute, madame la présidente, êtes-vous lasse des mêmes questions que l'on ne cesse de vous poser depuis le cambriolage. Nous ne le sommes pas moins et si vous aviez été plus franche lors de votre première audition, nous n'en serions pas là.
Lorsque je vous avais posé la question de savoir si vous aviez présenté votre démission à la ministre, vous m'aviez répondu par l'affirmative. Vous ne m'aviez en revanche pas précisé, alors que je vous le demandais, si vous aviez présenté votre démission par écrit ou simplement à l'oral. Il est vrai que le flou de vos réponses, plus généralement, nous interpelle.
Vous ne répondez toujours pas à nos questions ou vous vous défaussez sur les collaborateurs qui vous accompagnent une nouvelle fois, les mettant à leur tour dans une situation difficile. Un patron doit assumer ses responsabilités. En acceptant les vôtres, aviez-vous bien mesuré l'ampleur de la tâche qui vous attendait ? Le Louvre n'est certes pas une simple Maison des jeunes et de la culture (MJC) et le récent vol qu'il a subi représente avant tout la perte d'une partie du patrimoine historique de la France, auquel nous sommes attachés.
Dans sa recommandation no 2, M. Corbin conseille d'instituer et d'organiser une véritable passation de pouvoir. Comment celle qui vous a concernée s'est-elle déroulée ? Que vous êtes-vous dit avec M. Martinez ? Rien n'en transparaît, comme si vous essayiez de protéger quelqu'un ; mais qui ? Vous-même, vos collaborateurs, votre tutelle ? Nous avons besoin de comprendre ce qui s'est passé. L'audit de Van Cleef & Arpels avait révélé le risque de cambriolage. Comment concevoir que vous n'en ayez pas pris connaissance à votre arrivée ?
Au cours de la première audition, vous nous avez expliqué que les douze agents du musée présents au moment du vol avaient bien réagi en faisant évacuer les lieux. Douze agents face à deux personnes qui avaient posé leurs outils ! Nous pouvions attendre davantage de leur part.
Enfin, vous nous dites avoir choisi Philippe Jost et lui avoir demandé de vous rejoindre. N'est-ce pas un aveu d'impuissance, à moins que cela ne vous ait été imposé ?
Je conclurai comme mon collègue Max Brisson : pourquoi êtes-vous encore à votre poste ?
Mme Laurence des Cars. - Sur la question du tuilage et de la transmission des informations, je rappelle le calendrier. Ma nomination est annoncée fin mai 2021 et je rencontre Jean-Luc Martinez à plusieurs reprises en juin et juillet 2021. Il assure alors la présidence par intérim jusqu'à la fin août 2021. Moi-même, je continue à présider les musées d'Orsay et de l'Orangerie pendant cette période.
Pour ces rendez-vous, mon prédécesseur a effectivement préparé des dossiers, sans doute quelque peu hétérogènes dans leur contenu et leur degré de précision, répartis par directions transversales et par départements et qui constituent une sorte de photographie du Louvre, de son état, de son organigramme et de son organisation. Nous faisons aussi le point sur les différents chantiers muséographiques, ceux qui étaient en cours et ceux à venir, notamment au sein du département des antiquités grecques, étrusques et romaines, que Jean-Luc Martinez avait dirigé auparavant. La programmation culturelle, les acquisitions, avec d'ailleurs des questions liées aux trésors nationaux, sont également abordées. Le sujet des schémas directeurs est bien sûr évoqué, quoique de façon nécessairement synthétique, les différentes directions s'en étant déjà emparées. Enfin, nous traitons de la préparation du budget initial pour 2022.
Cette dernière s'avère complexe, car, au début de l'été 2021 et ainsi que Mme Darcos l'a relevé, nous ne sommes pas encore sortis de la crise du Covid. L'une de mes priorités a été, en réponse à la demande de la tutelle, de faire reprendre leur poste de travail à tous les agents et de relancer la fréquentation du musée du Louvre, qui avait chuté à deux millions de visiteurs par an. En d'autres termes, le modèle économique et budgétaire de l'établissement avait été terriblement mis à mal. Jean-Luc Martinez et moi-même n'avions ni l'un ni l'autre de visibilité sur ce qui allait se passer, et c'est dans ces conditions que j'ai dû transmettre les premières orientations budgétaires à Kim Pham, qui allait me rejoindre comme administrateur général le 1er septembre 2021, à ma prise de fonctions. Nous avons partagé avec la tutelle nos interrogations relatives à l'élaboration du budget de 2022.
Il importe aussi de rappeler la mobilisation de l'établissement public au moment des Jeux Olympiques, le Louvre s'étant retrouvé au coeur du dispositif, lors de la cérémonie d'ouverture et en accueillant la vasque olympique. Les équipes de la Daps, sous la houlette de Denis Fousse, ont été particulièrement mises à contribution, avec la pression considérable d'accueillir des milliers de visiteurs supplémentaires venus assister à Paris aux jeux Olympiques. Je salue leur travail exemplaire, conduit en lien avec la préfecture de police et le Comité d'organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques (Cojop).
La revue générale des dossiers effectuée avec Jean-Luc Martinez a eu lieu tout à fait normalement. Au cours de nos échanges, nous convergions sur certains sujets et discutions de nos choix respectifs sur d'autres.
Nos échanges incluaient la question des schémas directeurs.
Le schéma directeur sur le risque incendie était en cours de développement depuis plusieurs années. Il sera achevé dans un an et demi à peu près et représente un travail absolument capital. Le schéma directeur des équipements de sûreté était encore en 2021 dans sa phase d'étude, tandis que la sécurisation du domaine était déjà engagée. Celle-ci se terminera en 2026 avec la restauration de la grille des Tuileries, côté Concorde, et la pose d'un dispositif antibélier. Je rejoins ici Jean-Luc Martinez quand il déclare qu'il y a eu continuité de l'action de l'État. Il n'y a pas du tout eu de rupture, même en l'absence de procédure normalisée de passation de pouvoir.
J'ai connu une autre passation de pouvoir au musée d'Orsay avec Guy Cogeval et je puis vous dire que l'ambiance n'était pas tout à fait la même. Le ministère de la culture se pose la question de normaliser et d'organiser ces passations de pouvoir. On pourrait par exemple concevoir la tenue d'une réunion stratégique des deux présidents au sein du cabinet du ministre.
Jean-Luc Martinez et moi-même nous connaissions bien. Nous avions déjà travaillé ensemble sur le Louvre Abu Dhabi et entretenions des rapports des plus courtois et confraternels.
Par ailleurs, je n'arrive pas en 2021 avec une nouvelle équipe complète se substituant à la précédente. Ce sont un administrateur général, un administrateur adjoint et un directeur de cabinet qui m'accompagnent. Les autres directeurs de l'établissement ne changent pas, ce qui est évidemment un élément de continuité dans l'organisation du musée et dans la transmission de l'information. En matière de sûreté, Denis Fousse, que vous avez entendu hier, est resté mon directeur de l'accueil et de la surveillance jusqu'à une époque récente. Je me suis énormément appuyée sur ses recommandations, car il connaissait parfaitement le Louvre, ses équipes, ses forces et ses faiblesses. C'est sur sa recommandation que j'ai décidé, contre l'avis de Bercy, de l'établissement d'une jauge à 30 000 visiteurs par jour, afin d'éviter les phénomènes de saturation, mais aussi pour des raisons de sécurité du public, de conditions de travail des agents et de sécurité des oeuvres.
Dès le mois de juillet 2021, j'ai commencé à recevoir - y compris au musée d'Orsay où je me trouve encore - les directeurs des services transversaux et les directeurs de département pour évoquer avec eux les projets et l'état d'avancement des différents dossiers. Dans une période de redémarrage extrêmement lent et incertain, j'ai senti qu'il allait falloir déployer énormément d'énergie pour que cette grande maison se remette en ordre de marche. Ce sera l'une de mes priorités, qui est d'ailleurs très clairement énoncée dans la lettre de mission, rendue publique, que la ministre de la culture m'a adressée en janvier 2022, quelques mois après ma prise de fonctions, et je pense d'ailleurs avoir rempli les objectifs qui m'avaient alors été assignés.
Les conditions de cette passation de pouvoir sont donc très simples et très directes, de personne à personne. Pour autant, les deux audits qui ont été mentionnés à plusieurs reprises aujourd'hui ne m'ont pas été transmis.
Dans le cas de l'audit de Van Cleef & Arpels, il est permis de conjecturer que la raison en tient au fait que le changement des vitrines de la galerie d'Apollon avait été réalisé en 2018-2019 et que le dossier était clos. Je me souviens d'un échange à l'automne 2021 avec le directeur du département des objets d'art de l'époque, Jannic Durand, qui avait piloté cette opération et qui me disait être tout à fait rassuré par le nouveau dispositif, bien plus sûr que le précédent, de présentation des joyaux de la Couronne dans la galerie d'Apollon. Jannic Durand avait du reste insisté pour aller au-delà des préconisations du rapport de Van Cleef & Arpels, en choisissant pour les vitrines un verre encore plus résistant.
Le rapport d'audit de 2017 de l'INHESJ est plus global et a, à l'évidence, nourri les réflexions à l'origine des premières ébauches du schéma directeur des équipements de sûreté. Je n'en ai pas non plus eu connaissance à mon arrivée, sans doute parce qu'on en était à ce moment à une autre étape de sa conception.
Dès le lendemain matin du cambriolage du 19 octobre dernier, j'ai demandé à l'ensemble des équipes de me remonter les dossiers qui concernaient les chantiers intervenus dans la galerie d'Apollon depuis une vingtaine d'années. Nous savions que deux grands chantiers y avaient été entrepris. Le premier, en 2003-2004, avait consisté à en restaurer notamment les plafonds. Il correspond aussi à la dépose de la fameuse grille, dont je vous annonce la réinstallation prochaine, avant Noël.
J'ai reçu des documents dans un ordre dispersé et c'est là que j'ai constaté notre désorganisation. Je le reconnais et j'en prends ma part de responsabilité. Je ne vous dirai pas que tout va bien, nous sommes dans une situation de crise et nous devons rebondir en remettant de l'ordre. Il est de mon devoir d'accompagner et de piloter le Louvre dans cette période complexe et difficile. Il y va aussi de mon honneur de le faire avec une vision, un cap, pour protéger cette institution et les équipes qui y travaillent.
Lorsque j'ai été entendue en audition le mercredi 22 octobre, trois jours après les faits, je n'avais pas encore eu connaissance du rapport Van Cleef. Je n'en ai pris connaissance que le lendemain, tandis que nous compulsions tous les documents que les services nous avaient remis. Sa lecture m'a, comme vous, extrêmement troublée.
C'est une coordinatrice de travaux de la direction de l'architecture, de la maintenance et des jardins qui nous a transmis ce document qu'elle connaissait et qui était archivé uniquement au sein de cette direction. Nous l'avons communiqué à notre tour immédiatement au cabinet de la ministre, aux inspecteurs de l'Igac ainsi qu'à l'OCBC.
Vous me direz que je protège mon prédécesseur - que je salue avec beaucoup d'amitié et d'estime -, mais je pense que le dossier était clos, les travaux ayant été effectués dans la galerie d'Apollon. Dans un musée tel que le Louvre, on passe constamment d'un chantier à un autre. Plus de deux ans s'étaient écoulés depuis l'inauguration des nouvelles vitrines et de la nouvelle présentation des collections, à laquelle j'avais assisté en tant que présidente du musée d'Orsay. À ma prise de poste au Louvre, et après les propos que m'avait tenus le directeur du département des objets d'art, je n'avais aucune raison de remettre en cause ce travail.
Le point que nous soulevons, vous et moi, est un défaut dans l'organisation de la mémoire du Louvre. C'est pourquoi j'ai décidé de diligenter un audit interne en janvier prochain, pour que nous organisions enfin cette transmission de la mémoire de l'établissement, avec des processus clairs lorsque, les uns et les autres, nous y quittons nos fonctions. La mémoire du temps long est capitale pour bien saisir le « palimpseste » architectural et muséal du Louvre. Je constate avec vous l'immense faiblesse actuelle de cette maison sur ce point.
Il m'appartient de la corriger dans l'urgence et avec beaucoup d'exigence. M'y aideront Philippe Jost ainsi qu'un coordonnateur Sûreté, car un enjeu de fuites, totalement inadmissibles, de certains documents sensibles est également apparu. Il nous faut inculquer une culture de la sûreté, de responsabilité, de discrétion et de réserve. J'ai fait déposer une plainte contre X, après qu'un organe de presse a diffusé des informations sensibles. La marche est longue, mais nous ne pouvons continuer en l'état. Sans doute est-ce d'abord la redécouverte du rapport Van Cleef & Arpels qui a été l'élément déclencheur d'une prise de conscience profonde dans l'établissement sur les aspects de sûreté.
M. Laurent Lafon, président. - Ce rapport, vous ne pouviez le mentionner devant nous, au Sénat, en octobre dernier, parce que vous n'en aviez pas encore connaissance. Il en allait cependant différemment quand vous avez été entendue ensuite à l'Assemblée nationale ; or vous ne vous y êtes pas non plus référée.
Mme Laurence des Cars. - Aucune question ne m'a été posée sur ce rapport à l'Assemblée nationale. Je ne l'y ai à dessein pas mentionné.
M. Laurent Lafon, président. - Les députés eux-mêmes n'en avaient alors pas connaissance et ne pouvaient donc vous interroger.
Mme Laurence des Cars. - Le rapport contenait des informations des plus sensibles et l'audition était publique. Il était en cours d'analyse, en particulier par l'Igac, et constituait un élément important de l'enquête conduite par l'OCBC. Peut-être ai-je eu tort, mais j'ai pris la responsabilité de ne pas le mentionner devant la représentation nationale. Si la question m'avait été posée, j'aurais reconnu son existence, sans cependant entrer dans le détail.
M. Laurent Lafon, président. - Et sur la question des budgets ?
M. Kim Pham. - Sur la question des budgets, il est important de souligner que le rapport de l'Igac s'arrête en 2025. Or la période 2023-2025 a correspondu à des phases de définition des besoins pour le schéma directeur des équipements de sûreté et de conception du projet. Au cours de ces phases, il est inévitable que les dépenses soient moindres que lorsque les investissements physiques sont réellement effectués. Lesdits investissements doivent débuter en 2026, puis monteront en puissance à partir de 2027.
Ce rapport de l'Igac se centre, à juste titre, sur les investissements, mais les dépenses de fonctionnement, qu'il s'agisse des prestataires de sûreté ou de maintenance, ont connu une forte progression.
Mme Laurence des Cars. - De la même manière, nous avons profité de tous les chantiers muséographiques de rénovation pour mettre notre sûreté à niveau. Je me permets de signaler l'ouverture récente de la galerie des Cinq continents, des salles de peinture espagnole et d'une partie des salles de peinture italienne, espaces qui ont été complètement rénovés.
Vous verrez aussi les résultats de ces dépenses de fonctionnement à l'entrée de la porte des Lions, dépenses de fonctionnement qui ne sont certes pas de l'investissement, mais qui contribuent à renforcer la sûreté du Louvre, notamment avec le déploiement de 135 caméras entre 2023 et 2025, pour un montant de 1,2 million d'euros. Ce n'est pas rien, et, là encore, nous n'avons pas attendu que le schéma directeur pour nous doter d'équipements modernes et dignes du Louvre.
Par ailleurs, j'ai signé une réponse au rapport de l'Igac qui est à la disposition de la commission. Elle permet de préciser un certain nombre de choses, notamment à propos de cette dynamique d'investissement.
S'agissant des 80 millions d'euros déployés dans le cadre du projet Louvre - Nouvelle Renaissance, je rappelle qu'il est question d'un schéma pluriannuel, déployé à partir des modes de financement tels que la surtarification extraeuropéenne et la subvention pluriannuelle de 10 millions d'euros de l'État. Comme je l'ai souvent dit, le projet Louvre - Nouvelle Renaissance repose sur deux jambes, avec, d'un côté, des schémas directeurs techniques de rénovation, le schéma de sûreté étant le plus important, et, de l'autre côté, des solutions structurelles.
Nous ne pouvons pas, en effet, nous contenter de « réparer » le Louvre sans toucher à des questions structurelles. Pour rappel, le problème du Louvre - auquel de nombreux directeurs de musée souhaiteraient être confrontés - réside dans son immense succès. Nous allons ainsi annoncer 9 millions de visiteurs pour cette année, avec une jauge de 30 000 visiteurs par jour, pour une pyramide qui a été conçue pour accueillir 4 millions de visiteurs, d'où des effets de saturation.
Il en résulte une remise en cause de l'entrée unique, tandis que le quadrilatère Sully, qui n'a pas été traité par le projet du Grand Louvre, commence à présenter des problèmes bâtimentaires : la rénovation de cet ensemble patrimonial important est au coeur du projet Louvre - Nouvelle Renaissance. S'y ajoute la présentation insatisfaisante du chef-d'oeuvre universel qu'est la Joconde, qui mérite un espace dédié.
Ce projet de longue haleine fixe un cap de transformation qui projette le musée dans l'avenir, à la fois en termes de besoins techniques de rénovation et de solutions structurelles. À titre de comparaison, le British Museum a présenté il y a quelques mois un plan similaire, avec un concours architectural remporté par l'architecte franco-libanaise Lina Ghotmeh. Le coût de ce projet est estimé à plus de 1 milliard de livres sterling, cette grande institution publique prenant aussi conscience de la nécessité de sa rénovation : l'obsolescence du bâti et des infrastructures techniques est avérée et très comparable au Louvre. De la même manière, le Metropolitan Museum of Art de New York a engagé une série de transformations d'ampleur.
Ce qui se joue aujourd'hui avec le projet Louvre - Nouvelle Renaissance, c'est non seulement la rénovation et la réparation du musée, mais aussi le maintien de son rang de plus beau et de plus grand musée du monde. Il existe actuellement un danger de déclassement du Louvre : tel est le constat que j'ai déjà dressé devant la représentation nationale et les médias, et empêcher ce déclassement doit être notre cap pour les années qui viennent.
M. Laurent Lafon, président. - J'en reviens à la cartographie des risques et au fait que le risque intrusion n'avait reçu qu'une faible cotation, celle-ci ayant même diminué entre 2023 et 2024.
Mme Laurence des Cars. - Il s'agit bien d'une erreur. Ce risque a effectivement été sous-estimé sur la base d'informations remontant de la direction de l'accueil et de la surveillance, mais je l'assume. Cela illustre bien la nécessité d'un renforcement de la culture de la sûreté, y compris au sein des équipes chargées de l'accueil et de la surveillance, au moyen du plan de formation qui démarrera dès le mois de janvier.
M. Max Brisson. - Cette conversation devient insupportable : nous ne recevons pas les réponses attendues !
M. Laurent Lafon, président. - Mme des Cars répond aux questions qui lui sont posées, et l'audition n'est pas terminée, monsieur Brisson.
M. Martinez nous a indiqué qu'il avait mis en place un comité de pilotage dédié à la sûreté en 2018, comité qui se réunissait tous les quinze jours. Cette instance existe-t-elle toujours ?
M. Laurent Lafon, président. - Les questions de sécurité y sont-elles abordées ?
Mme Laurence des Cars. - Absolument.
M. Laurent Lafon, président. - Un comité de pilotage a-t-il été spécifiquement dédié à la galerie d'Apollon ?
Mme Laurence des Cars. - Nous avons renforcé notre comitologie depuis le 19 octobre : je préside chaque semaine un comité consacré au déploiement des mesures d'urgence, dont dix-sept ont été rendues publiques...
M. Laurent Lafon, président. - Pardon de vous interrompre, mais un comité de pilotage avait-il identifié un risque particulier pour cette galerie ?
M. Laurent Lafon, président. - M. Martinez nous a également indiqué qu'il avait recruté un chef de projet Sûreté, M. Salagnon.
M. Francis Steinbock. - Effectivement. Recruté par l'ancienne équipe, M. Romain Salagnon a continué à travailler avec nous, puis a souhaité quitter l'établissement. Nous l'avons remplacé et un nouveau chef de projet a pris ses fonctions depuis la rentrée 2025.
M. Laurent Lafon, président. - Quand M. Salagnon est-il parti ?
M. Francis Steinbock. - Au début de l'année 2025.
M. Laurent Lafon, président. - M. Martinez a aussi évoqué le fait qu'un plan d'action existait avant la finalisation du schéma directeur, ce qui recoupe une autre remarque formulée par les inspecteurs de l'Igac : selon eux, la conception du schéma directeur n'empêche en aucun de réaliser des investissements d'urgence. Disposez-vous d'un tel plan d'action ?
M. Francis Steinbock. - Des mesures d'urgence ont bien été mises en oeuvre pour un montant d'environ 700 000 euros à la suite du rapport de 2017 de l'INHESJ. Ces opérations ont été effectuées en 2018 et en 2019 ; ensuite, ces mesures d'urgence ont été stoppées puisque nous étions passés à l'élaboration du schéma directeur. De 2020 à 2022, les grandes dépenses ont été consacrées à la sécurisation et à la périmétrie.
M. Laurent Lafon, président. - J'entends bien, mais la remarque portait sur le fait que l'élaboration du schéma directeur n'empêchait pas de mener des actions. Vous nous indiquez donc, monsieur Steinbock, que vous préfériez attendre l'élaboration du schéma directeur...
M. Francis Steinbock. - Des mesures ont été mises en oeuvre sur la période 2018-2020.
Mme Laurence des Cars. - Toutes les actions de modernisation dans les salles sont accompagnées de remontées en matière de sûreté : l'ensemble des travaux muséographiques des années 2023-2025 se sont ainsi accompagnés de mesures d'urgence telles que l'installation de caméras, afin d'accompagner la vie quotidienne de l'établissement.
Cinquante mesures d'urgence sont en cours de déploiement, mais je ne les détaillerai pas toutes en raison de leur caractère sensible. Le schéma directeur n'empêche pas des avancées concrètes dans une série de domaines.
M. Laurent Lafon, président. - La directrice de la surveillance vous a remis une note le 26 octobre - après le cambriolage - mettant en lumière l'absence de prise en compte des risques d'intrusion. Elle écrit notamment que « le scénario du 19 octobre n'a pas été envisagé ».
Je comprends de vos interventions que ni vous, ni M. Pham, ni M. Steinbock n'avez eu connaissance du rapport Van Cleef & Arpels ; il apparaît que la responsable de la sûreté - qui est commissaire de police, il me semble - n'a elle-même pas eu connaissance de ce document.
M. Laurent Lafon, président. - Le fait qu'une responsable de la sûreté n'ait pas pris connaissance d'un rapport relativement récent nous étonne.
M. Kim Pham. - Son prédécesseur n'a pas eu connaissance de ce rapport ou ne le lui a pas transmis. Il me semble qu'il a indiqué hier qu'il n'en avait pas eu connaissance.
M. Laurent Lafon, président. - Par ailleurs, le rapport indique qu'il a fallu une dizaine de jours pour obtenir un nombre stabilisé du nombre d'agents présents dans la galerie d'Apollon au moment des faits. Comment l'expliquez-vous ?
M. Kim Pham. - Je doute que nous ayons été aussi imprécis : la question nous a en fait été posée sous plusieurs angles différents, en nous demandant combien de personnes avaient aperçu les cambrioleurs, puis combien de personnes avaient procédé à l'évacuation. De fait, les personnels de la salle voisine ont prêté main-forte pour cette opération. De plus, une personne est restée après la fin de son service, ce qui a pu contribuer à l'équivoque, mais nous savons exactement quels agents étaient présents, et ceux-ci ont fait leur devoir.
M. Laurent Lafon, président. - Vous me permettrez une dernière question, un peu plus personnelle : au regard des événements du 19 octobre et de leurs conséquences durables pour le Louvre, avez-vous des regrets par rapport à ce qui aurait pu être fait avant cette date, madame la présidente ?
Mme Laurence des Cars. - J'aurais bien évidemment souhaité aller plus vite. Pour autant, nous avons été pleinement mobilisés sur ces questions de sûreté via le schéma directeur. Très solide, ce dernier nous fixe désormais un cap clair pour améliorer la sûreté du Louvre.
M. Laurent Lafon, président. - Vous avez annoncé que vous alliez remettre en place la grille, ce qui est une question lancinante depuis vingt ans : pourquoi est-il possible de la réinstaller aujourd'hui sans que cela pose la moindre difficulté, alors que cette perspective est exclue depuis deux décennies, soit par l'architecte des Bâtiments de France (ABF) pour des raisons esthétiques, soit pour des questions liées à la sécurité incendie ?
Mme Laurence des Cars. - La décision me paraît s'imposer. Par ailleurs, nous allons déplacer la baie pompiers, en accord avec le service prévention sécurité incendie (SPSI) et en lien avec notre architecte en chef des monuments historiques.
Mme Sonia de La Provôté. - Le déploiement étant prévu jusqu'en 2033, les budgets correspondants sont-ils bien programmés ?
Mme Laurence des Cars. - La surtarification et le soutien de l'État nous permettront de déployer le schéma directeur de manière sécurisée dans les années qui viennent. Plus vite nous irons, mieux ce sera.
M. Laurent Lafon, président. - Je vous remercie.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 h 30.