Paris, le 7 novembre 1859
Monsieur le Président,
J'ai l'honneur d'adresser à Votre Excellence la copie exacte de l'enquête administrative à laquelle je me suis livré, du 31 octobre au 4 du courant. L'expéditionnaire n'ayant fini de copier qu'hier au soir, je n'ai pu vous l'adresser que ce matin. Je garde l'original entre mes mains.
Il résulte des diverses dépositions que j'ai entendues et de mon appréciation personnelle que la cause de l'incendie qui a détruit la salle des séances du Sénat ne peut être attribuée qu'à l'imprudence du Sieur Alexandre Domicile, ancien lampiste, au service du Sieur Chabrier, entrepreneur de l'éclairage du Palais. Au premier janvier 1858, j'avais substitué dans l'intérêt du service et dans celui des finances de l'administration le service de l'éclairage direct à l'entreprise. Près de deux ans d'expérience prouvent combien j'ai eu raison ; le matériel des lampes s'est mieux entretenu, et une économie sur ce service de six mille francs par an a été le résultat de cette mesure. A cette même époque, je congédiai le Sieur Alexandre qui jamais n'avait appartenu à l'administration du Sénat, et qui, à cause de son grand âge et à ses infirmités, ne pouvait faire aucun bon service. Pendant mon absence et lorsque le Sieur Gérard, lampiste du grand Palais, était momentanément malade, M. Chalamel, adjoint au régisseur, sur la demande pressante des Sieurs Séguin, feutier, et Briet, brigadier des hommes de service, a fait revenir Alexandre.
Le Sieur Briet a chargé Alexandre du nettoyage du grand lustre de la salle des séances, lequel n'en avait aucun besoin, car il n'avait pas été allumé pendant la dernière session. Il n'y avait seulement qu'à dépoter l'ancienne huile qui était dans les lampes et à frotter avec un torchon. Le Sieur Briet a prêté à Alexandre un fourneau en fer, sa propriété, qui servait dans sa propre cuisine. Le Sieur Séguin a fourni du charbon et le Sieur Alexandre a porté ce réchaud dans la salle du lustre qui était toute en plancher de sapin, l'a allumé pour faire fondre la potasse dont il avait besoin pour nettoyer le lustre ; le réchaud reposait sur le plancher, que la chaleur du fourneau échauffait fortement. Pendant cette opération délicate, aucune surveillance n'a été exercée ni par M. Daveluy, chef du service, ni par M. Chalamel, son adjoint, ni même par Briet. C'est à ce fait qu'il faut attribuer l'incendie et ne pas chercher d'autre cause. Dans les dépositions que j'ai entendues, des mensonges m'ont été faits ; on m'avait assuré que le nettoyage du lustre avait été terminé le samedi 22 octobre, tandis que le Sieur Alexandre y était encore les lundi et mardi 24 et 25, et qu'il y a été vu par le Sieur Simon, chauffeur du calorifère. J'ai renvoyé de nouveau le Sieur Alexandre, avec défense de le laisser rentrer au Luxembourg. C'est à M. le juge d'instruction à apprécier si la justice a des comptes à demander à cet homme.
M. Daveluy est hors d'état, en raison de sa mauvaise santé, de surveiller le service actif du Palais, qui est dans ses attributions. Je lui ai écrit, ainsi que nous en étions convenu, pour qu'il déléguât cette partie de ses attributions à son adjoint, M. Chalamel, qui, plus actif que lui, pourra s'en occuper. Ce dernier aura sous ses ordres directs le Sieur Briet, qui le secondera dans l'accomplissement de cette fonction importante.
Je viens d'écrire à M. le Préfet de police pour lui demander un poste de pompiers au Luxembourg, composé de deux pompiers, un caporal et une pompe. Je me suis entendu avec M. de Lacondamine, commandant le corps des pompiers, pour que les hommes qui feront le service du Palais du Luxembourg soient toujours pris dans la même compagnie, afin que dans peu de temps ils connaissent tous l'intérieur du palais qui est un véritable dédale, surtout dans la partie haute.
Je viens d'établir un service de nuit chargé de faire des rondes, avec un pompier de garde, et pour être certain que ces rondes se fassent aux heures indiquées, je veux faire placer aux endroits les plus importants des compteurs qui indiqueront d'une manière certaine l'heure où les rondes auront été faites. C'est ainsi que cela se pratique dans les théâtres, les palais et les grands établissements de la capitale. Les combles du grand Luxembourg, qui sont habités par un grand nombre de ménages, offrent un danger en cas d'incendies ; la plus grande surveillance est nécessaire pour les prévenir. Elle sera exercée le mieux possible.
Voilà, Monsieur le Président, les résultats de l'enquête à laquelle je me suis livré et les mesures que j'ai crû devoir prendre ; j'espère qu'elles auront votre approbation.
Je vais faire frapper quelques médailles, que je délivrerai au nom du Sénat aux pompiers qui ont montré le plus de zèle et d'énergie, dont le colonel Lacondamine m'a remis la liste.
C'est la seule reconnaissance que nous puissions donner à ces hommes qui nous ont rendu un immense service, en renfermant l'incendie dans d'étroites limites et l'empêchant de se propager dans tout le palais.
Veuillez recevoir, Monsieur le Président, l'hommage de mon respectueux attachement.
Le Grand Référendaire
Général Marquis d'Hautpoul