Suivons l’itinéraire d’un visiteur de l’époque impériale entré dans le palais par l’Escalier d’Honneur. Après avoir traversé les salons des Huissiers et des Messagers d’État, il débouche dans la salle de Réunion qui se trouve aujourd’hui à l’extrémité Est de la salle des Conférences. Elle est vouée à l’introduction des sénateurs qui peuvent y échanger avant l’ouverture de la séance69 . Achevé en 1804, son décor a initialement pour objet de représenter de concert le Premier Consul de la République ainsi que son Sénat conservateur70 . Finalement, seront largement glorifiés les exploits de BONAPARTE.
Selon le témoignage unanime des visiteurs ayant pu l’observer avant sa destruction par GISORS en 1852, cette salle présente un aspect magnifique par la fraîcheur et l’élégance de sa décoration. Son ornement dessiné par CHALGRIN est toujours dans le même ton antique mais, à la différence des pièces précédentes assez sobres, celui-ci est d’ordre corinthien plus orné. De plan carré mais dotée d’un mur de forme circulaire du côté du salon des Messagers d’État, la pièce prend jour par deux fenêtres donnant sur la cour d’honneur71 . Selon GRIVAUD DE LA VINCELLE, la partie circulaire, voûtée « en cul de four, avec rosaces et caissons, imite le marbre blanc. Le soubassement de la salle est peint en albâtre oriental ; le corps, au-dessus, en albâtre fleuri et la corniche en blanc veiné, ainsi que l’architecture des cinq portes qui y sont pratiquées72 ». Une grande frise très richement sculptée borne la partie inférieure du plafond.
Le programme iconographique, d’autant plus majestueux que la salle couvre des dimensions humaines, est confié à trois grands artistes : Jean-Simon BERTHÉLEMY, Antoine-François CALLET et Jean-Baptiste REGNAULT.
CHALGRIN confie la voûte à BERTHÉLEMY qu’il juge un « artiste de mérite, qui vient [d’exécuter un dessin] dans une des salles du Muséum, qui lui fait le plus grand honneur73 ». BERTHÉLEMY lui-même décrit la voûte en ces termes :
« On propose de peindre, dans le plafond de la salle de réunion du Sénat conservateur, un sujet allégorique composé de la Prudence, qui présente le Livre des Lois émanées du Sénat ; elle tient en sa main au-dessus de ce livre, le miroir qui est son emblème caractéristique dont l’éclat donne la principale lumière pour éclairer la composition totale ; de l’autre côté du livre est la Justice, portant ses attributs qui sont le glaive et la balance ; la Force, sous les traits d’une femme revêtue des dépouilles d’un lion est appuyée sur la justice et tient d’une main la massue et de l’autre une couronne de chêne.
Ce groupe est surmonté par la Gloire qui le couronne avec l’emblème de l’immortalité. On pourrait placer au-dessous un autre groupe représentant la Paix et l’Abondance qui sont le résultat de la sagesse des lois.
Dans les quatre angles extérieurs du plafond on placera quatre figures représentant l’Agriculture, le Commerce, les Beaux-arts et l’Éloquence. Les figures seront peintes en bas-reliefs et adossées contre des écussons en losange sur lesquels seront gravés des chiffres et emblèmes du Sénat74 . »
Cette peinture est terminée quelques mois avant la proclamation de l’Empire. Sans avoir à la modifier, on lui trouve le nom d’Allégorie des Qualités et des Vertus qui font la force d’un Empire.
Jean-Baptiste REGNAULT est chargé de représenter, sur le mur de droite lorsqu’on pénètre dans la pièce par le salon des Messagers d’État, une immense composition allégorique qui occupe toute la face du mur, soit neuf mètre de long et quatre mètres soixante de haut75 . Intitulée L’Avènement de Napoléon, d’après Brigitte GALLINI76 ou bien Marche triomphale de l’Empereur Napoléon vers le temple de l’Immortalité (WEBP - 263 Ko), d’après Jacques de MENDITTE77 , la fresque est éclairée par le jour provenant des deux fenêtres dans son vis-à-vis et réfléchie par une grande glace disposée entre ces deux fenêtres. La composition comporte, selon l’habitude de REGNAULT, un grand nombre d’allégories. Au centre, « L’Empereur y est représenté le front ceint de lauriers, assis sur un char de triomphe traîné par quatre chevaux, sa main droite s’appuyant sur un sabre que lui présente Mars, dieu de la Guerre, sa main gauche posée sur les Tables de la Loi. Au-dessus de lui plane la Renommée, une couronne d’étoiles à la main78 . »
Après la destruction des trois salles de CHALGRIN remplacées par la galerie du Trône édifiée par GISORS sous le règne de NAPOLÉON III, il n’existe plus d’espace assez vaste pour accueillir une toile de telles dimensions. Roulée, elle est expédiée au Louvre jusqu’en 1901 puis dans les réserves du château de Versailles où elle se trouve depuis lors79 .
Sur le mur contigu à la salle des Séances, Antoine-François CALLET exécute un bas-relief monochrome représentant la Bataille de Marengo. Robert LEFÈVRE (1755-1830), portraitiste très prisé de la famille impériale et ancien disciple de REGNAULT, est à l’origine du Portrait du Premier Consul (bientôt modifié en Portrait de l’Empereur) prenant place en-dessous du bas-relief et donc en face de l’entrée80 . Les trois artistes font preuve d’une grande célérité puisque la décoration de la pièce est achevée à la fin de 1804, à l’époque du couronnement de NAPOLÉON Ier.
Si les trois artistes ont fait preuve d’une extrême diligence, certains reviennent pourtant à la tâche une décennie plus tard puisque « la Restauration s’empressa d’effacer les inopportuns souvenirs napoléoniens81 ». Ainsi, REGNAULT transforme lui-même son Avènement de Napoléon en Retour du Roi (voir la 2e partie de cette brochure), LEFÈVRE recouvre le Portrait de l’Empereur par celui de Louis XVIII tandis que La Bataille de Marengo est modifiée en Saint Louis combattant les infidèles82 . Mais si ces deux derniers tableaux subsistent jusqu’à la Monarchie de Juillet, celui de REGNAULT, trop abîmé par les surcouches successives après les Cent-Jours, disparaît au profit d’une allégorie d’Émile SIGNO, Législateurs sous l’inspiration évangélique.
La voûte de BERTHÉLEMY et la Bataille de Marengo sont détruits lors de la fusion des trois salles en une grande galerie du Trône en 1852.