Un lien particulier, familier et personnel, relie la figure de NAPOLÉON au petit-Luxembourg. En abritant la conjuration du 18 brumaire et la rédaction de la Constitution de l’an VIII qui instaure le consulat, l’hôtel est le témoin des intrigues qui ont permis son accession au pouvoir. En outre, hébergeant Joséphine et Napoléon BONAPARTE durant les deux premiers mois où ce dernier se trouve à la tête de la France, l’hôtel constitue un lieu chargé de sens pour l’histoire napoléonienne.

Le siège de l’Exécutif thermidorien

Édifié au milieu du XVIe siècle, l’hôtel dit du Petit-Luxembourg est la propriété successive de plusieurs personnages illustres à l’instar de François de LUXEMBOURG, qui lui donne son nom, de la Régente Marie de MÉDICIS, du cardinal de RICHELIEU, du Grand CONDÉ et de son fils. La princesse PALATINE, veuve de ce dernier, fait ériger entre 1709 et 1716, par l’architecte Germain BOFFRAND, l’aile qui porte aujourd’hui son nom. En 1778, Monsieur, comte de PROVENCE, frère de LOUIS XVI, ayant reçu le palais du Luxembourg en complément d’apanage, est contraint, devant l’ampleur des travaux à réaliser, de louer l’hôtel contigu du Petit-Luxembourg.


La Révolution joue un grand rôle dans le destin du palais et de l’hôtel. Confisqué et déclaré bien national en 1791, le palais, qui se situe au beau milieu du quartier révolutionnaire, est transformé sous la Terreur en prison. Après la réaction thermidorienne et la chute de ROBESPIERRE (1794), l’ensemble du palais du Luxembourg est affecté à la résidence et au siège du Directoire. Le décret de la Convention du 2e jour complémentaire de l’an III (18 septembre 1795) dispose que :


Le Directoire exécutif sera placé au ci-devant palais du Luxembourg, son local comprendra tous les bâtiments, cours et jardins connus sous le nom de Grand et Petit-Luxembourg, et même la partie située de l’autre côté de la rue de Vaugirard.


Il y sera pratiqué des salles et autres pièces publiques pour les audiences ordinaires et extraordinaires et des appartements destinés au logement des membres du Directoire et de son secrétaire : le tout conformément aux plans et devis qui seront annexés à la minute du présent décret.


Le Directoire exécutif sera placé provisoirement dans la partie du Petit-Luxembourg et terrain adjacent 1 .


À l’époque, le nouveau palais de l’Exécutif présente néanmoins un aspect désolé, dévasté par les pillages et les violences de la Terreur. De nombreuses dorures ont été dégradées, le rez-de-chaussée est moisi d’humidité et certaines fenêtres n’ont plus de carreaux 2 . C’est pourquoi quatre des cinq directeurs choisissent de loger dans le Petit-Luxembourg « dans les appartements du rez-de-chaussée et au premier étage de l’aile à droite 3 ». Ils y mènent une existence semble-t-il assez bourgeoise : quelques amis les rejoignent chaque décadi (le jour chômé de la semaine de dix jours républicaine) pour jouer aux cartes ou écouter de petits concerts dont ils sont eux-mêmes les exécutants 4 . Aux dires de l’un d’entre eux, LA RÉVEILLÈRE-LEPEAUX, lors de certaines réceptions d’officiels, sa femme est aux fourneaux, sa fille fait office de soubrette et lui-même passe les plats 5  : tous trois, dira Bonaparte, étaient des « chefs d’œuvre de laideurs 6  ».

Figure 2 : Jean-François CHALGRIN, extrait d’un plan du logement provisoire du Directoire exécutif. Archives du Sénat, Chalgrin 143. (JPG - 105 Ko)Figure 2 : Jean-François CHALGRIN, extrait d’un plan du logement provisoire du Directoire exéc
        Archives du Sénat, Chalgrin 143.

Une toute autre ambiance règne chez BARRAS dont la personnalité luxueuse et grandiloquente ne se trouve satisfaite qu’au sein du palais lui-même, et pour lui tout seul. C’est dans « la partie du grand palais qui touche au musée actuel, et qui est affectée aujourd’hui aux appartements de réception du président du Sénat 7  » que l’homme fort du régime de thermidor s’installe avec sa suite, probablement dans les anciens appartements de Marie de MÉDICIS 8 .


Pendant les cinq années du Directoire, la personnalité la plus en vue de la France révolutionnaire donne le ton en matière de mode lors de fêtes somptueuses et décadentes. Le Luxembourg devient le lieu privilégié des mondanités du tout-Paris de l’époque. Les témoignages ne manquent pas pour dépeindre la profusion de luxe et de débauche qui y règnent jour et nuit. Lors de ces bals fastueux et excentriques qui se tiennent sans discontinuer, l’intrigue, la galanterie, le jeu, se mêlent, du propre aveu d’un directeur, « à la débauche la plus infâme 9  ».


À l’emplacement actuel du cabinet de Départ et d’une partie de la salle des Conférences, BARRAS tient salon en compagnie de sa maîtresse Mme TALLIEN, surnommée « Notre-Dame de Thermidor », où paraissent, outre nombre de faiseurs d’affaires, de muscadins ou d’aristocrates corrompus, les Incroyables aux tenues antiques les plus excentriques et les Merveilleuses aux robes les plus… aérées.

Figure 3 : DUPLESSIS, BERTHAULT, Audience du Directoire en costume, Gravure (19,5cm x 25,5 cm), 1798. On peut reconnaître au-dessus des portes les « Quatre saisons » de Louis de BOULLOGNE, qui permet de situer précisément ce salon au 1er étage des salons de Boffrand. Bibliothèque du Sénat, GR007 (JPG - 158 Ko)

Figure 3 : DUPLESSIS, BERTHAULT, Audience du Directoire en costume, Gravure (19,5cm x 25,5 cm), 1798.

On peut reconnaître au-dessus des portes les « Quatre saisons » de Louis de BOULLOGNE, qui permet de situer précisément ce salon au 1er étage des salons de Boffrand.

Bibliothèque du Sénat, GR007.

Notons que déjà, à cet endroit, se rattache, à tort ou à raison, la légende napoléonienne. Mme TALLIEN, la reine des Merveilleuses ayant intégré la jeune veuve Joséphine de BEAUHARNAIS dans son salon puis dans celui de BARRAS, elle partage avec celle-ci les faveurs du directeur (qui la surnomme Yéyette). De son côté, BARRAS aurait amené avec lui BONAPARTE, ce qui fait situer à une partie de la littérature de l’époque dans ce lieu de tous les excès la première rencontre entre BONAPARTE et Joséphine de BEAUHARNAIS. Un récit entouré de bien des légendes mais néanmoins démenti par les mémoires d’Eugène et Hortense de BEAUHARNAIS 10 . Le mystère reste donc entier.

Un palais, des conspirations : Sieyès, Bonaparte et le 18 Brumaire

Cœur du pouvoir oblige, c’est au Luxembourg qu’est ourdie la conjuration du 18 brumaire. Singulière ironie du sort, le palais qui abrite le régime moribond du Directoire héberge également dans ses murs ceux-là mêmes qui, d’abord séparés, vont se concerter pour le mettre à terre.


Avant même que BONAPARTE ne rentre d’Égypte, SIEYÈS, grand ennemi de BARRAS au sein du Directoire, envisage un coup de force interne. Principal jurisconsulte du régime, il envisage, avec TALLEYRAND, FOUCHÉ et le général JOUBERT, un « coup d’État parlementaire » que la mort de JOUBERT en Italie compromet 11 . Le retour en France de BONAPARTE en octobre 1799 offre aux conjurés une occasion idéale d’utiliser l’immense popularité du vainqueur des Pyramides pour servir leur dessein. De son côté, BONAPARTE est résolu depuis plusieurs années à accéder aux plus hautes responsabilités de l’État. Le discrédit du Directoire et ses propres succès à l’extérieur comme à l’intérieur du pays l’incitent à se poser comme seul recours pour rétablir l’ordre dans le pays 12 . Il envisage donc de se faire coopter directeur. Aussi, après avoir semé les escadres de NELSON, débarqué à Fréjus en ignorant les ordres de quarantaine et remonté à Paris au cours d’une marche triomphale, le palais du Luxembourg est sa première destination.


BONAPARTE se rend dans les appartements du jacobin GOHIER (rez-de-chaussée de l’hôtel de la Présidence), président du Directoire, mais l’entente entre les deux hommes achoppe sur deux obstacles de taille. Tout d’abord, le directeur refuse d’intégrer BONAPARTE dans l’Exécutif car il sent venir un coup de force. Par ailleurs, durant l’absence de BONAPARTE, GOHIER a entretenu ouvertement une liaison avec Joséphine. L’entretien entre les deux hommes est donc glacial et BONAPARTE repart furieux. Par la force des choses, il entre dans la conspiration de SIEYÈS pour lequel il n’a néanmoins que peu de sympathie.


C’est au cours de plusieurs réunions discrètes chez Lucien BONAPARTE, rue de Miromesnil, et dans l’appartement que SIEYÈS occupe au Petit-Luxembourg, que ce dernier, TALLEYRAND et le général arrêtent la date et le plan du Coup d’État du 18 brumaire (le 17, initialement choisi, tombant un vendredi est refusé par Bonaparte qui est superstitieux). Le plan de SIEYÈS consiste à inventer une menace à Paris dans le but de faire évacuer les chambres et de les isoler. Il fonctionne dans un premier temps selon ses espérances. Pendant que les Anciens et les Cinq-Cents se réunissent au palais de Saint-Cloud, les directeurs sont, au Luxembourg, pressés de démissionner. GOHIER et MOULIN refusent et sont consignés dans le palais, sous la surveillance de MOREAU et de trois cent hommes 13 . TALLEYRAND obtient la démission de BARRAS en lui offrant deux millions de francs. Ce dernier n’en verra pourtant jamais la couleur, l’ancien évêque ayant décidé de les garder pour lui 14 .


À Saint-Cloud, les maladresses de BONAPARTE dressent contre lui le Corps législatif. Il s’en faut de peu qu’il ne soit déclaré hors la loi par les Cinq-Cents, et seules l’habilité de Lucien BONAPARTE et l’intervention énergique de MURAT sauvent la mise des conjurés. L’armée balaie le pouvoir législatif, le coup d’État parlementaire de SIEYÈS devenant de facto le coup d’État militaire de BONAPARTE 15 .

À l’époque du Consulat (1799-1804)

Le lendemain du coup d’État du 18 brumaire, qui confie l’Exécutif à trois consuls provisoires, BONAPARTE quitte l’hôtel de la rue de la Victoire pour rejoindre l’édifice qui symbolise le cœur du pouvoir. Il ne s’installe cependant pas « dans le somptueux appartement de BARRAS, dont sa femme ne connaît que trop tous les recoins, mais dans la maison plus modeste du Petit-Luxembourg16 . » Il y prend son logis, avec Joséphine, « dans l’appartement du rez-de-chaussée, que vient d’abandonner, chassé, son occupant, le directeur GOHIER17 » . D’après RŒDERER, BONAPARTE installe son salon et son cabinet en bas, sa salle à manger en haut18 .


Les deux autres consuls provisoires, ROGER-DUCOS et SIEYÈS, prennent leurs quartiers dans le corps principal de l’édifice. Le Luxembourg reste donc palais du Gouvernement. La première réunion des consuls au Petit-Luxembourg se déroule « dans le salon de l’ancien appartement du comte de Provence 19  […] ». Ils y choisissent les noms du futur personnel politique : FOUCHÉ et CAMBACÉRÈS sont maintenus respectivement à la Police et à la Justice, TALLEYRAND retrouve les Affaires extérieures et BERTHIER, fidèle de BONAPARTE depuis l’Italie, est nommé à la Guerre20. Les membres du Conseil d’État, instauré sur l’instance de CAMBACÉRÈS, sont conviés à dîner au Luxembourg où ils prêtent serment séance tenante, avant même de savoir réellement en quoi consiste leur nouvelle fonction21 . La toile d’Auguste COUDER, reproduite en couverture, illustre précisément le serment.

Figure 4 : Jean-François CHALGRIN, plan du 1er étage du Petit-Luxembourg habité, par BONAPARTE premier Consul, (logements et salons), Archives du Sénat, Chalgrin 150. (JPG - 765 Ko)

Figure 4 : Jean-François CHALGRIN, plan du 1er étage du Petit-Luxembourg habité, par BONAPARTE premier Consul, (logements et salons),
Archives du Sénat, Chalgrin 150.

Un palais pour la Constitution de l’an VIII…

Le palais abrite la gestation, du 20 novembre au 13 décembre 1799, de la Constitution de l’an VIII qui, au terme de discussions rapides mais intenses, est promulguée le 22 frimaire (25 décembre 1799).
Deux commissions intérimaires de vingt-cinq membres chacune (l’une formée d’anciens membres du conseil des Anciens et l’autre de celui des Cinq-Cents) sont constituées le 19 brumaire (9 novembre 1799) au soir pour rédiger la nouvelle Constitution. Les commissions se réunissent le lendemain dans le salon de Joséphine, au Petit-Luxembourg. Dépassées par l’ampleur de la besogne, elles s’en remettent largement à SIEYÈS, l’âme du Coup d’État, qui fait alors figure de meilleur « théoricien de l’organisation constitutionnelle22  ». Les travaux prennent pour base le projet mûri par l’ancien abbé qui envisage d’établir à la  tête de l’État un Grand Électeur, flanqué de deux sous-consuls, chargé de nommer fonctionnaires et députés. Le pouvoir largement honorifique de cette figure, au poste de laquelle SIEYÈS propose de placer BONAPARTE, serait totalement contrôlé par quatre assemblées parmi lesquelles un Sénat gardien de la Constitution23 .

Dès les premières réunions, le schéma d’un gouvernement d’assemblée prôné par SIEYÈS, où domineraient de facto les notables, est vivement critiqué par BONAPARTE qui prétend défendre la souveraineté populaire et entend établir un « pouvoir stable et fort ». Le général, fort d’une grande popularité dans l’opinion accrue par son refus du poste de Grand Électeur, passe désormais pour le défenseur du peuple et prend l’ascendant, dans les commissions, sur le juriste. « Le consul, note Jean TULARD, convoqua chez lui les commissaires chargés de rédiger la Constitution. Les séances de travail eurent lieu, onze soirs de suite, dans un salon du Luxembourg.» 24  C’est alors que BONAPARTE, malgré son inexpérience en matière de droit constitutionnel, parvient à imposer ses vues aux commissaires en prolongeant les séances jusque tard dans la nuit. De guerre lasse, ces derniers préfèrent lâcher du lest. La table de travail de BONAPARTE serait celle-là même qu’utilise encore, de nos jours, le président du Sénat25 .
Le 13 décembre 1799, le travail est achevé, débouchant sur un système où le premier Consul, investi d’un mandat décennal, dispose de l’essentiel du pouvoir. Le suffrage censitaire est aboli au profit d’un retour au suffrage universel. Le 3 nivôse an VIII (25 décembre 1799), la Constitution est promulguée… puis présentée par plébiscite au peuple qui l’approuve par 3 011 007 voix contre 1 562.

Figure 5 : L'article 15 de la Constitution de l'an VIII instaure le Sénat conservateur, Bibliothèque du Sénat, RFP1092.A. (JPG - 193 Ko)

Figure 5 : L'article 15 de la Constitution de l'an VIII instaure le Sénat conservateur,
Bibliothèque du Sénat, RFP1092.A.

… qui crée le Sénat conservateur

BONAPARTE remodèle considérablement la partie « exécutive » du projet de SIEYÈS en conférant au premier des consuls une grande prééminence par rapport aux deux co-consuls et aux assemblées. Il juge moins utile de modifier en profondeur la facette législative. Aussi, les nombreuses attributions du Sénat conservateur (le conservateur de la Constitution) ainsi que sa nature originale sont le fruit du débat d’idée entre la conception verticale du pouvoir de BONAPARTE et la vision parlementariste de SIEYÈS.

Parmi les quatre assemblées qu’institue la Constitution, Corps législatif, Conseil d’État, Tribunat et Sénat conservateur, ce dernier, particulièrement cher à SIEYÈS, a une importance capitale. Le nom même du Sénat, qui fait explicitement référence à la Rome antique, en dit long sur le rôle que SIEYÈS lui impartit. S’il n’est pas doté du pouvoir législatif, attribut du Corps législatif et du Tribunat, le Sénat conservateur, composé de soixante membres qui deviennent rapidement quatre vingt, (ils seront cent vingt à la fin de l’Empire) a deux fonctions.

La première, essentielle, qui explique son appellation, consiste à veiller à la conservation de la Constitution de l’an VIII. Dans les faits, le Sénat est juge de la constitutionnalité des actes des autres assemblées qu’il peut invalider (article 21). Mais paradoxalement, comme le fait remarquer Jacques de MENDITTE, le Sénat ne « conservera » la Constitution de l’an VIII que deux ans et cinq mois, celle de l’an X (1802) que deux ans et huit jours, celle de l’an XII (1804) certes dix ans mais celle du 6 avril 1814 pas même deux mois26 .

Néanmoins le Sénat conservateur incarne une chambre « fondatrice » du système consulaire. Les sénateurs élisent non seulement les consuls mais aussi les membres du Corps législatif, du Tribunat, les juges de cassation et les sept commissaires aux comptes27 . En somme, le Sénat coopte l’ensemble du personnel supérieur de la République consulaire. Signe qu’ils appartiennent à une institution au-dessus et à l’écart de la conjoncture électorale, ses membres délibèrent à huis clos, sont inamovibles et désignés à vie.

La Constitution, qui attribue un pouvoir et une influence immenses au Sénat, notamment la faculté de désigner les consuls, les lui confisque pourtant immédiatement. En effet, son article 20 désigne nommément les nouveaux consuls : BONAPARTE, CAMBACÉRÈS et LEBRUN. En outre, le pouvoir de la chambre haute dans la nomination des membres des autres corps, s’il est réel, se trouve dans les faits largement soumis au pouvoir consulaire qui propose les listes de candidats.

Figure 6 : D'après Alain DI STEFANO, Insignes et médailles des sénateurs, Paris, Public-réalisations, p. 48. (JPG - 26 Ko)

Figure 6 : D'après Alain DI STEFANO, Insignes et médailles des sénateurs, Paris, Public-réalisations, p. 48.

Les deux premiers sénateurs, nommés par la Constitution, sont les anciens consuls provisoires SIEYÈS et ROGER-DUCOS. En cooptant le reste des membres du Sénat, celui-ci acquiert une légitimité plébiscitaire découlant directement de la nation. « Collège sacré de la République consulaire », le Sénat conservateur constitue dès lors « l’un des ressorts essentiels de ce régime : la cooptation du personnel politique et administratif par l’oligarchie issue du plébiscite constituant28  ». D’où son nom qui fait explicitement référence à l’institution fondamentale de la Rome antique.

Figure 7 : JEUFFROY graveur, bustes des trois consuls en habits brodés. Celui de BONAPARTE est en haut du champ, LEBRUN à droite, CAMBACÉRÈS à gauche. Médaille frappée le 30 floréal an X (20 mai 1802) par le Corps législatif à l'occasion de la promulgation du traité d'Amiens, Archives du Sénat, 2M792 (JPG - 52 Ko)

Figure 7 : JEUFFROY graveur, bustes des trois consuls en habits brodés.

Celui de BONAPARTE est en haut du champ, LEBRUN à droite, CAMBACÉRÈS à gauche. Médaille frappée le 30 floréal an X (20 mai 1802) par le Corps législatif à l'occasion de la promulgation du traité d'Amiens,
Archives du Sénat, 2M792

Notons que le Conseil d’État occupe, du 25 décembre 1799 au 19 février 1800, le Petit-Luxembourg. C’est lors de sa première séance extraordinaire, tenue dans un des salons de Boffrand, qu’il adopte son premier règlement29 . C’est ici également que ses trois premiers présidents de section jurent fidélité à la Constitution devant les consuls30 . Il quittera l’hôtel en même temps que les Consuls, en février 1800, pour les suivre aux Tuileries.


Fin février 1800, lors de l’une des dernières réunions des Consuls dans le cabinet de BONAPARTE31 , ceux-ci décident en effet de s’installer avec le Conseil d’État au palais des Tuileries, ancienne résidence royale. Ils laissent le palais du Luxembourg au Sénat, tandis que le Tribunat s’établit au Palais-Royal et le Corps législatif au Palais-Bourbon. L’article 7 alinéa 1 de la loi sur la mise en activité de la Constitution du 3 nivôse an VIII (24 décembre 1799), affecte officiellement « le palais du Luxembourg au Sénat conservateur32  ».

Dans l’attente de l’hémicycle que l’architecte Jean-François CHALGRIN est chargé de construire, les sénateurs siègent durant quatre ans dans le grand salon de Boffrand, aile orientale du Petit-Luxembourg, où se tenaient jusqu’alors les séances publiques du Directoire. Pour le traitement des sénateurs, la réparation et l’entretien du palais et des jardins et les dépenses de toutes sortes du Sénat, le sénatus-consulte du 14 nivôse an XI lui affecte une somme de quatre millions à prendre « sur le produit des forêts nationales33  ».

Acheter une fidélité : les sénatoreries

Dans les premiers temps du système consulaire, l’indépendance des sénateurs est protégée par leur inamovibilité à vie (article 15 de la Constitution de l’an VIII). Pour les soustraire à la critique, les séances ne sont pas publiques, seuls des comptes rendus étant publiés dans le Moniteur (article 23). Enfin, pour s’assurer de tout risque de concussion et de corruption, l’article 22 leur octroie le plus important traitement de la République immédiatement après ceux des consuls, égal au vingtième de celui du Premier Consul, soit 25 000 francs de traitement annuel.

Au cours du processus de monarchisation du consulat, BONAPARTE met en place un système encore plus généreux susceptible de consolider l’attachement des membres du Sénat à son égard. Le sénatus-consulte du 14 nivôse an XI (4 janvier 1804) accorde ainsi à chaque sénateur la dotation à vie d’une sénatorerie, c’est-à-dire d’un domaine « doté d’une maison et d’un revenu annuel, en domaines nationaux, de vingt à vingt-cinq mille francs34  ». Par souci d’équilibre géographique et d’enracinement de cette élite, le texte prévoit qu’il y aura une sénatorerie par arrondissement de tribunal d’appel (art. 1) et que leur nouveau propriétaire sera tenu « d’y résider au moins trois mois chaque année » (art. 3). Pour autant, à la fin de l’Empire, moins d’une quarantaine de sénatoreries seront effectivement instituées et distribuées.

L’organisation interne et les finances du Sénat


Le titre II du sénatus-consulte du 14 nivôse an XI porte le règlement de l’administration économique et financière du Sénat. L’article 8 prévoit ainsi que l’institution disposera de « deux préteurs, un chancelier et un trésorier, tous pris dans son sein », nommés pour six ans, pouvant être réélus et habitant dans l’enceinte du palais du Luxembourg35 . Les préteurs sont chargés de « tous les détails relatifs à la garde du Sénat, à la police et à l’entretien de son palais, de ses jardins et du cérémonial » et disposent, pour cette tâche, de l’aide de deux messagers, six huissiers et six brigades de gardes36 .
Les Archives sont placées sous l’autorité d’un chancelier. La Bibliothèque a la garde des sceaux du Sénat et les appose sur tous les actes qui en émanent.

Pour financer une telle maison, outre les quatre millions de francs prélevés sur le produit des forêts des domaines nationaux, sont alloués au Sénat des biens nationaux affermés pour un revenu annuel d’un million. Le Sénat est chargé de l’administration de ces biens37 . Parmi eux, le théâtre de l’Odéon, victime d’un incendie en 1799, reconstruit à l’identique par CHALGRIN.

Jean-François CHALGRIN

Au tournant des XVIIIe et XIXe siècles, le tourbillon des événements de la période révolutionnaire et impériale n’a pas épargné le palais du Luxembourg. Pour autant, celui-ci, fort mal en point à la fin du XVIIIe siècle, sort architecturalement rénové de cette époque tandis que son statut s’élève de celui de résidence princière à celui de palais législatif. Il doit en grande partie cette nouvelle jeunesse à l’architecte CHALGRIN.


Né à Paris le 22 octobre 1739, Jean François Thérèse CHALGRIN entreprend des études d’architecture comme élève de Giovanni Niccolo SERVANDONI (1695-1766) puis d’Étienne Louis BOULLÉE. Il obtient à dix-neuf ans le grand prix d’architecture pour son « programme d’un pavillon de plaisance » et séjourne entre 1759 et 1763 à l’Académie de France à Rome. Il s’y imprègne sans aucun doute du cachet italien qu’il n’abandonnera jamais et dont le palais du Luxembourg porte maintes traces architecturales. Employé, à son retour en France, comme inspecteur des travaux de la ville de Paris, il se fait connaître pour ses nombreuses réalisations telles que l’hôtel de Saint-Florentin ou l’église Saint-Philippe-du-Roule (1774-1784). Selon Jacques PATUREAU, « le nom de CHALGRIN apparaît pour la première fois au Luxembourg, ou plus précisément au Petit-Luxembourg, en 1770, lors de la construction en matériaux provisoires, d’une salle de bal demandée 38  » à l’occasion du mariage du futur LOUIS XVI et de MARIE-ANTOINETTE.


Après avoir été reçu à l’Académie royale d’architecture en 1770, CHALGRIN est nommé intendant des bâtiments puis premier architecte du comte de PROVENCE. Ses projets concernent alors essentiellement le palais du Luxembourg et ses dépendances, devenus en 1779, propriété de ce dernier. Dès 1781, l’architecte propose un premier projet pour améliorer le Palais et agrandir le jardin.


CHALGRIN est nommé par le Directoire, en décembre 1795, l’un des trois membres du nouveau Conseil des Bâtiments civils 39 . Resté au même poste sous le Consulat puis sous l’Empire, CHALGRIN donne au Luxembourg les attributs du palais législatif : un vaste escalier d’honneur et un hémicycle flanqué de deux salles d’apparat.
Auteur des plans de l’Arc de triomphe de l’Étoile, dont il ne verra jamais la réalisation complète, il meurt le 21 janvier 1811, son ami Thomas Pierre BARAGUEY (1748-1820), ancien contrôleur des bâtiments lui succédant.