Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains

M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant la ratification de la convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains.

Discussion générale

Mme Rama Yade, secrétaire d'État chargée des affaires étrangères et des droits de l'homme. - Je viens solliciter de votre Haute Assemblée, en dernier lieu, l'autorisation de ratifier la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains.

En dépit de l'abolition de l'esclavage par les États européens au milieu du XIXe siècle, il en subsiste hélas ! dans nos sociétés des manifestations d'autant plus graves qu'elles sont clandestines. Destructrices pour les victimes, elles sont en revanche particulièrement lucratives pour les trafiquants.

Ce phénomène est déjà pris en compte par la communauté internationale. La convention contre la criminalité transnationale organisée, convention de Palerme, adoptée en novembre 2000, assortie d'un protocole spécifiquement consacré à la traite des êtres humains en a d'abord donné une définition internationale. La France est partie à cet instrument universel, qu'elle a ratifié en 2003, et qui comporte des dispositions de nature pénale et d'autres en faveur des victimes.

Ces efforts ont été prolongés au sein de l'Europe, tant au niveau de l'Union Européenne que du Conseil de l'Europe. Ce dernier, fortement mobilisé sur ces questions, a élaboré un instrument spécifique sur la traite des êtres humains, couvrant toutes les formes de traite, nationales ou transnationales, pour renforcer la protection des victimes, et mettre en place un mécanisme de suivi fort qui assure le respect par les États parties de leurs engagements conventionnels.

La convention a été ouverte à la signature lors du troisième sommet des Chefs d'État et de gouvernement des États membres du Conseil de l'Europe, tenue à Varsovie, le 16 mai 2005. La France l'a signée le 22 mai 2006. Vingt-neuf États l'ont signée et sept l'ont ratifiée. Après la France, seules deux ratifications complémentaires seront nécessaires pour en permettre l'entrée en vigueur.

La définition de la traite demeure inchangée par rapport à celle retenue dans le protocole de Palerme : les États membres du Conseil de l'Europe n'ont pas entendu remettre en cause les standards de l'ONU, mais construire sur ce précédent pour aller plus loin. En revanche, la convention définit la notion de victime, ce qui n'est pas le cas du protocole à la convention de Palerme.

Le chapitre consacré aux droits des victimes, constitue le coeur de la convention. Contrairement au texte de l'ONU, celui-ci ne se veut pas incitatif, mais contraignant, pour renforcer les droits des victimes. Un délai de réflexion d'au moins trente jours est institué, pendant lequel aucune mesure d'éloignement du territoire ne peut être exécutée à l'encontre de la victime. Cette mesure, particulièrement attendue par les associations, permettra aux victimes d'être soustraites aux trafiquants sans risquer l'éloignement du territoire et de prendre, hors toute pression, la décision de porter plainte ou non pour les infractions commises à leur encontre. Pendant ce délai, les victimes bénéficieront de différents droits, comme l'accès aux soins médicaux d'urgence.

La convention consacre aussi le principe de la non-sanction de la victime qui a agi sous l'effet de la contrainte, comme le demandaient les associations. Un mécanisme ambitieux de suivi de la mise en oeuvre de la convention par un groupe d'experts est créé.

Pour ce qui concerne la France, notre droit interne est conforme aux exigences de la convention. Ainsi, en matière de prévention, les actions sont essentiellement menées par des associations, subventionnées par les pouvoirs publics. En outre, le code de l'entrée et du séjour et du droit d'asile, modifié par la loi du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration, dispose qu'une carte de séjour temporaire peut être délivrée à tout étranger portant plainte pour des faits de traite des êtres humains.

Je veux également insister sur la diffusion prochaine, avec l'appui du ministère de la santé, d'un document d'aide à l'identification pratique des victimes. S'agissant des enquêtes, des poursuites et du droit procédural, les dispositions du droit interne correspondent parfaitement aux exigences conventionnelles. Ainsi, la France dispose d'un office central pour la répression de la traite des êtres humains, placé sous la responsabilité de la direction centrale de la police judiciaire du ministère de l'Intérieur.

L'entrée en vigueur de cette convention est attendue avec intérêt par de nombreuses organisations non gouvernementales car elle contribuera à renforcer les efforts de la communauté internationale dans la lutte contre un fléau qui doit nous mobiliser et associer étroitement les États dits « d'origine » à ceux qualifiés « de destination ».

Sa ratification par la France, dont les autorités sont pleinement engagées dans la lutte contre cette forme particulièrement odieuse de criminalité et qui ont soutenu dès l'origine les efforts du Conseil de l'Europe en faveur d'un texte ambitieux, sera un signe supplémentaire de notre détermination à lutter contre ce fléau et d'en accompagner au mieux les victimes. (Applaudissements)

M. Jean-Guy Branger, rapporteur de la commission des affaires étrangères.  - Monsieur le ministre des affaires étrangères, je suis particulièrement heureux d'être venu de Strasbourg, où je siège au Conseil de l'Europe, pour notre ordre du jour, avant de retourner à l'assemblée de Strasbourg, en tant que président de la commission de l'immigration, pour participer aux travaux de la commission sur l'égalité entre les hommes et les femmes, portant sur la lutte contre les violences faites aux femmes.

La traite des êtres humains est une atteinte intolérable aux droits de l'homme. Comme vous l'avez rappelé, elle fait aujourd'hui un nombre croissant de victimes à travers le monde, y compris en Europe.

L'Organisation des Nations Unies a élaboré, dès novembre 2000, un protocole additionnel à sa convention contre la criminalité transnationale organisée, qui visait à « prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants ». Notre pays a ratifié ce protocole de Palerme en 2002. Le Conseil de l'Europe a également jugé nécessaire d'élaborer un texte comportant des exigences supérieures, particulièrement en matière de protection des victimes.

C'est dans ces circonstances qu'a été établie, en 2005, la présente convention, aujourd'hui signée par vingt-neuf États membres, dont la France, mais ratifiée jusqu'à présent par seulement sept d'entre eux, alors que son entrée en vigueur en requiert dix, dont huit États membres du Conseil de l'Europe. La ratification française sera donc particulièrement opportune.

Cette convention, traité global de protection des victimes de la traite, comporte des actions de prévention, ainsi que de poursuite des trafiquants.

Ce texte s'applique à toutes les formes de traite, nationale ou transnationale, liée ou non au crime organisé, quelles qu'en soient les victimes et les formes d'exploitation. La définition de la traite, couvre l'ensemble des opérations : « de recrutement, de transport, de transfert, d'hébergement ou d'accueil de personnes, par la menace, ou le recours à la force, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d'autorité ou d'une situation de vulnérabilité, pour obtenir le consentement d'une personne aux fins d'exploitation ».

Cette exploitation prend diverses formes : prostitution, travail forcé, esclavage, servitude, prélèvements d'organes... Le consentement de la victime ne vaut pas lorsque l'un des moyens énoncés a été utilisé, précision importante puisque la menace est fréquemment employée. Je rappelle aussi que toute personne de moins de dix-huit ans est considérée comme un enfant.

Le grave phénomène de la traite ne cesse de croître, y compris sur le continent européen : jusqu'à 500.000 victimes, sans doute plus. Les restructurations économiques et politiques dans les anciens territoires de l'URSS y sont pour beaucoup, comme les crises balkaniques ; les réseaux criminels ont également découvert tout l'intérêt de l'ouverture des frontières ou des nouvelles technologies. Surtout le trafic des êtres humains est aussi rémunérateur est moins risqué que d'autres. Les femmes, les enfants en sont les premières victimes, mais les hommes sont eux aussi touchés par le travail forcé.

Depuis 1958 la France dispose d'un Office central de répression de la traite des êtres humains, auquel je rends hommage pour la qualité de son travail. Mais le phénomène est désormais d'ampleur transfrontalière. La coopération policière au sein de l'office européen de police accroît les moyens de lutte et la commission vous propose d'adopter le présent texte.

L'article unique du projet de loi est adopté.