Révision du titre XV de la Constitution

M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi constitutionnelle adopté par l'Assemblée nationale, modifiant le titre XV de la Constitution.

J'informe le Sénat qu'en application de l'article 67 du règlement, Mme Borvo Cohen-Seat présente une motion tendant à proposer au Président de la République de soumettre ce projet de loi constitutionnelle au référendum. Ce n'est pas la première fois qu'une telle motion est déposée, mais c'est la première fois qu'elle l'est à propos d'un projet de loi de révision constitutionnelle dont la procédure d'adoption est prévue par l'article 89 de la Constitution. Certes, il est arrivé que l'article 11, auquel renvoie notre Règlement, ait pu être utilisé pour réviser la Constitution, mais il s'agit d'un point de droit controversé sur lequel il me paraît préférable, avant de constater la recevabilité de cette motion, de consulter la commission des lois. Je propose donc une suspension de quinze minutes pour lui laisser le temps de donner son avis sur ce point.

La séance est suspendue à 17 h 5.

19

M. Henri de Raincourt.  - Sévère !

Question préalable

Mme la présidente.  - Motion n°2, présentée par M. Mélenchon.

En application de l'article 44, alinéa 3 du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, modifiant le titre XV de la Constitution  (n° 170, 2007-2008).

M. Jean-Luc Mélenchon.  - Nous sommes réunis pour modifier la Constitution afin de ratifier le traité de Lisbonne. (« Exact » sur les bancs du groupe UMP) Je m'oppose à ce traité, mais je n'aborderai que le texte constitutionnel, en espérant réunir au Congrès une minorité des deux cinquièmes pour contraindre le Président de la République, s'il veut cette ratification, à organiser un référendum. (Mouvements divers à droite) Je m'oppose à la modification constitutionnelle parce que je suis partisan du référendum.

Non pas que nous établissions une hiérarchie aberrante entre l'autorité du Parlement et la légitimité du suffrage populaire. Pas du tout ! Nous posons un diagnostic politique : l'Europe des Vingt-sept est malade du manque de démocratie, de l'insuffisante implication populaire. Vouloir le référendum, c'est vouloir guérir l'Europe en impliquant le peuple. Dans ce cas, la forme, c'est le fond.

Et ce que nous préconisons est conforme au génie français. Aujourd'hui, on doit rester bouche-bée d'admiration devant la moindre coutume locale, mais le bon goût veut que l'on dénigre la participation des Français à l'histoire universelle, conformément à la tradition de la République française, inspirée par les Lumières, et à l'idée qu'un peuple se forme non par les communautés qui le constituent, non par les religions qui le traversent, non par les langues qui le divisent, mais par la communauté légale unique qui définit l'intérêt général. Là où c'est le peuple qui détermine l'intérêt général, là est la démocratie. Tout le contraire de ce que nous avons sous les yeux.

À cet impératif, d'aucuns objectent que l'élection présidentielle aurait donné un mandat et nous contraindrait à avaliser ce que propose le chef de l'État. Naturellement, il est légitime que M. Sarkozy applique le programme sur lequel il a été élu, mais la République n'est pas suspendue entre deux élections présidentielles, si bien que les droits démocratiques de la libre discussion demeurent. En outre, le candidat élu s'était engagé à organiser la ratification parlementaire d'un mini-traité -alors que celui-ci est plus long que le précédent- n'abordant que des questions institutionnelles - -alors que 198 articles sur 356 traitent des politiques suivies. Par suite, aucun critère invoqué pour justifier la ratification parlementaire n'est satisfait. Au demeurant, M. Sarkozy avait déclaré ici-même qu'on ne saurait construire l'Union européenne sans aller vers le peuple et recueillir son avis. Il est donc faux que nous ayons, du fait de l'élection présidentielle, mandat de ratifier le traité par la voie parlementaire.

Le premier et vrai mandat, nous l'avons reçu avec le « non » de mai 2005. Or, c'est le même texte qui revient ! Qu'a fait du référendum celui qui l'avait convoqué ? Rien ! Il a laissé faire, alors qu'il aurait dû retirer la signature de la France, afin de ne pas laisser d'autres parlements l'encercler en poursuivant le processus de ratification, après notre vote. C'était une forfaiture !

M. Josselin de Rohan.  - On ne peut pas retirer la signature d'un traité ! Vous ne connaissez pas le droit.

M. Jean-Luc Mélenchon.  - Le mot de forfaiture est fort, mais il n'est pas trop fort. Je rappelle qu'il désigne un manquement par un titulaire au devoir de sa charge. (Vives protestations à droite)

M. Josselin de Rohan.  - Vous dites quelque chose de faux !

M. Roger Romani.  - Respectez le président Chirac !

M. Jean-Luc Mélenchon.  - C'est une appréciation politique. Si quelqu'un veut m'interrompre, il peut le faire avec l'autorisation de la présidente.

Mme la présidente.  - Poursuivez.

M. Jean-Luc Mélenchon.  - Résultat incroyable: dix-huit pays se sont réunis à Madrid pour faire la leçon à la France et aux Pays-Bas, et dire que le texte s'appliquerait en tout état de cause ! J'ai mal pour ma patrie, ce jour-là, car elle ne le méritait pas.

M. Josselin de Rohan.  - Quelle arrogance !

M. Jean-Luc Mélenchon.  - À trois occasions seulement, le peuple français a refusé un texte soumis à référendum, avec toujours des conséquences immédiates. À la Libération, après le rejet de la première version, une nouvelle constituante a été immédiatement convoquée ; ...

M. Michel Charasse.  - C'est exact.

M. Jean-Luc Mélenchon.  - ... en 1969, le général de Gaulle est parti le lendemain d'un référendum au résultat négatif. Or, pour la première fois en 2005, il ne s'est rien passé alors que le peuple français avait voté non. On nous a reproché un « plan B » qui n'était pourtant qu'une invention des partisans du oui. (On approuve à gauche ; protestations à droite) Comment aurions-nous pu proposer un tel plan ? Nous n'exercions pas de responsabilités politiques à ce moment ! Il n'y aura jamais d'autre plan B que celui proposé par les États membres. Votre leçon est injuste et sournoise.

M. Josselin de Rohan.  - C'est faux !

M. Jean-Luc Mélenchon.  - La seule leçon que vous ayez retenue de 2005 est que, cette fois, vous éviteriez toute consultation populaire, contre onze en 2005 ! La Slovénie, membre tout récent de l'Union, fait les gros yeux au Portugal et lui adresse une admonestation publique parce que ce pays envisage un référendum !

M. Josselin de Rohan.  - Y aurait-il des sous-pays ?

M. Jean-Pierre Raffarin.  - La France avait des engagements antérieurs au « non » de 2005 ! L'Union existe.

M. Robert Bret.  - Respectez le peuple !

M. Jean-Luc Mélenchon.  - Il faut penser grand, avec les peuples, sur ce point je vous rends les armes. Mais que voyons-nous ? Historiquement, nous n'en sommes pas à la première tentative pour unifier politiquement l'Europe. Les Romains, les Barbares, les Capétiens, les Habsbourg l'ont tenté, sans oublier le Saint-Empire romain-germanique. La Révolution française aussi, après avoir été attaquée par la contrainte extérieure, armée jusqu'aux dents, venue pour nous faire changer d'avis. Puis vinrent les guerres de l'Empire. Les nazis aussi ont cherché à unifier l'Europe, mais nous abominons tous ce souvenir. (Sur les bancs de la commission, on conteste cette référence) Après la Seconde Guerre, une nouvelle unification a été entreprise, ...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Avec succès.

M. Jean-Luc Mélenchon.  - ... pour aboutir successivement à plusieurs Europe distinctes : la Ceca, la CED, qui a avorté, puis l'Europe des Six, des Douze, les Vingt-sept. Autant d'Europe différentes ! Les circonstances du continent coupé en deux par le Mur de Berlin et le rideau de fer ne sont pas celles d'aujourd'hui. Toutes ces expériences d'unification ont en commun d'avoir échoué. Elles ont toujours respecté la « diversité », mais n'ont jamais demandé l'avis des peuples. Ne pas comprendre qu'il est indispensable de s'appuyer sur le consentement des peuples, des quatre cents millions d'habitants, c'est ne pas percevoir que la crise actuelle finira par un fracas !

Le modèle d'aujourd'hui nie la souveraineté populaire. Je le regrette, ayant approuvé le traité de Maastricht, mais l'élargissement à vingt-sept nous a fait passer dans un autre monde. Sans transition démocratique.

M. Jacques Blanc.  - C'est pourquoi il faut ratifier le traité.

M. Jean-Luc Mélenchon.  - J'ai entendu ici d'innombrables voeux pieux, pleins d'un enthousiasme de commande : demain, viendrait l'harmonisation sociale ; demain, on combattrait le dumping ; après-demain, on lutterait contre l'ouverture aux capitaux qui ruinent le monde. Hélas, c'est explicitement interdit par le traité de Lisbonne !

Le décrochage démocratique est patent. Comment ne voyez-vous pas que les peuples ayant dernièrement adhéré à l'Europe s'abstiennent massivement ? Les Roumains se sont abstenus à 70 % lors du dernier vote ! Sont-ils moins européens que nous ? Ou ont-ils compris que l'action européenne était extérieure à leurs préoccupations démocratiques ?

M. Josselin de Rohan.  - Votez à 99 % avec vos amis !

M. Jean-Luc Mélenchon.  - Pourquoi cet acharnement à dénigrer, à humilier, à clouer le bec, à faire taire ? Les Français ne sont-ils pas dignes d'un grand débat public ? Ne peut-on débattre du fond du traité ? Qui a raison, ceux qui prétendent que le traité autorise des politiques nouvelles ou ceux qui affirment le contraire ? Seul un débat contradictoire et démocratique peut répondre. Pourquoi l'empêcher ? Vous n'êtes pas seuls en cause : lamentablement, les médias ont insisté sur la forme des querelles de personnes.

Pourquoi refusez-vous le référendum ?

M. Josselin de Rohan.  - Pourquoi en faut-il un ?

M. Jean-Luc Mélenchon.  - Je viens de l'expliquer : le peuple doit participer à la construction européenne.

Voix à droite.  - Et le Parlement ?

M. Jean-Luc Mélenchon.  - Mais personne ne nie la légitimité de la représentation nationale ! Le référendum est une réponse à la crise démocratique de l'Europe. Vous n'en avez pas voulu parce que vous en connaissez le résultat ! Nul doute, s'il avait pu en espérer un autre, que M. Sarkozy y aurait cherché une de ces marques d'amour populaire qu'il prise tant ...

Souhaitez ne pas avoir de regret ...

M. Charles Gautier.  - Des remords !

M. Jean-Luc Mélenchon.  - ... souhaitez que, face à la crise financière, lorsque les Français vous demanderont ce que l'Europe peut faire pour les aider, vous ayez autre chose à répondre que : « rien, le texte que nous avons voté ne met aucune limite à la circulation des capitaux » ! Souhaitez que, lorsqu'ils vous demanderont ce qu'il faut faire pour empêcher le dumping social, vous ayez autre chose à répondre que : « rien, le texte que nous avons voté interdit l'harmonisation, fiscale, l'harmonisation sociale, l'harmonisation environnementale » !

M. Josselin de Rohan.  - Vous dites n'importe quoi !

M. Jean-Luc Mélenchon.  - Non ! Je peux vous citer des passages entiers du traité qui me donnent raison ! Je vous mets au défi d'en débattre avec moi !

La question de la souveraineté populaire n'est pas neuve sur le continent. Nous, Français, nous le savons, nous pouvons le dire mieux que d'autres, nous qui avons fondé la démocratie, la République, et même le partage entre la droite et la gauche ! C'est lorsque le ci-devant Capet a prétendu partager dans la salle les élus entre les partisans du droit de veto et ceux de la souveraineté populaire, c'est à ce moment que droite et gauche ont vu le jour !

Sachez-le, rien n'empêchera la souveraineté populaire européenne de s'affirmer ! La crise de la démocratie européenne n'est pas celle d'une superstructure lointaine ou un inconvénient passager, c'est la crise de notre propre démocratie. Est-il raisonnable que seule la Commission ait l'initiative des lois, alors que n'y siégeront plus ni les Français ni les Allemands ? Quand ces deux peuples, les plus nombreux du continent, seront écartés, croyez-vous que l'autorité de Bruxelles sera légitime ? La représentation des peuples et la démocratie existent, il n'y a pas d'autre racine au consentement à l'autorité que la certitude que les décisions de celle-ci sont légitimes. Et il n'est de légitime que ce qui vient du peuple ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et sur les bancs du groupe CRC)

M. Patrice Gélard, rapporteur.  - Je suis contraint de dire à M. Mélenchon qu'il n'a pas défendu une question préalable. (M. Mélenchon s'exclame) Il n'a pas attaqué la révision constitutionnelle, mais le contenu du traité ; il a huit jours d'avance. (Marques d'approbation à droite) Avis défavorable !

M. Jean-Luc Mélenchon.  - Ce n'est pas très respectueux ! Répondez-moi sur le fond, au moins !

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État.  - Le Gouvernement partage l'avis de la commission. (Exclamations sur les bancs du groupe CRC) J'ai écouté attentivement M. Mélenchon, je suis prêt à débattre avec lui du contenu du traité. Mais ce n'est pas le propos d'aujourd'hui. (Marques d'approbation à droite)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Respectez la démocratie !

La motion n°2 est mise aux voix par scrutin public.

Mme la présidente.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 245
Nombre de suffrages exprimés 245
Majorité absolue des suffrages exprimés 123
Pour l'adoption 37
Contre 208

Le Sénat n'a pas adopté.

Renvoi en commission

Mme la présidente.  - Motion n°20, présentée par M. Bret et les membres du groupe CRC.

En application de l'article 44, alinéa 5, du Règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale le projet de loi constitutionnelle, adopté par l'assemblée nationale, modifiant le titre XV de la Constitution (n° 170, 2007-2008).

M. Robert Bret.  - Le dépôt de cette motion n'est pas un acte de procédure, encore moins une manoeuvre pour refuser un débat que nous appelons de nos voeux. Nous demandons depuis des semaines que la parole soit redonnée aux Français. Aux termes de l'article 11 de la Constitution, le Président de la République, sur proposition du Gouvernement ou, pendant les sessions, sur propositions conjointes des deux assemblées, peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics, sur les réformes relatives à la politiques économique ou sociale de la Nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d'un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions. La commission des lois aurait dû se pencher sur l'organisation ou non d'un référendum.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Elle l'a fait !

M. Robert Bret.  - Le traité de Lisbonne, à l'évidence, a des conséquences sur le fonctionnement des institutions, et peut juridiquement et doit politiquement être soumis à référendum comme l'a été le traité constitutionnel que le peuple français a massivement rejeté le 29 mai 2005, par cet acte de souveraineté, marquant son refus de l'Europe libérale et marchande que consacrait le texte, sans que ce refus remette en cause l'adhésion populaire à l'aventure européenne. Confrontés à leur échec, les dirigeants européens ont orchestré la relance de l'Union en contournant les peuples, sans les consulter ni même les informer. Pour la première fois dans l'histoire de la révision des traités, la Conférence intergouvernementale n'a pas été chargée d'élaborer le nouveau texte, mais simplement de retranscrire les principes et règles arrêtés par les chefs d'État et de gouvernement réunis au Conseil européen de Bruxelles des 21 et 22 juin 2007.

Le traité de Lisbonne doit passer coûte que coûte, à n'importe quel prix démocratique : voilà l'idée commune aux tenants du texte constitutionnel, qui y voient une revanche contre les peuples. Dire que l'argument d'une Europe plus démocratique avait été avancé pour faire accepter la Constitution européenne ! Même la méthode originale de la Convention, qui était peut-être la seule avancée de la Constitution, notamment parce qu'elle faisait participer des élus, est passée à la trappe, au nom d'une supposée opposition entre l'Europe et les peuples d'Europe. Les gouvernements ont préféré fermer cette parenthèse démocratique, ils sont revenus à la méthode de l'intergouvernemental, opaque et bureaucratique.

Les dirigeants européens ont donc adopté, le 13 décembre, le traité de Lisbonne lors de négociations à huis clos sans représentation des parlements.

Or, « un nombre important de dispositions de 2007 reprennent celles de 2004 » comme le rappelle le Conseil constitutionnel dans ses Cahiers n°24. Contrairement au traité constitutionnel, qui visait à remplacer les traités actuels par un texte unique, le nouveau traité se contente d'amender les traités existants. Outre le terme de Constitution, l'accessoire est écarté, mais le principal demeure ! Le traité de Lisbonne est un concentré de la Constitution européenne.

Sur le fond, on retrouve le noyau dur du projet constitutionnel, autrement dit les bases d'une Europe libérale et concurrentielle. Si la référence à « la concurrence libre et non faussée » n'apparaît plus dans le corps du traité, elle est reprise dans un protocole annexe qui a la même valeur juridique que le traité. Les politiques de l'Union, qui faisaient l'objet du titre III dans l'ancien texte, ne sont pas mentionnées dans le traité de Lisbonne : elles demeureront donc inchangées. Nos commissions des lois et des affaires étrangères, qui ont refusé d'admettre cette évidence, doivent donc à nouveau se réunir. Le Sénat ne doit pas obéir servilement au Président de la République mais faire, comme à son habitude, un travail sérieux et responsable. Or, le choix de la ratification par voie parlementaire est éminemment politique et il démontre le manque de courage de l'exécutif devant le référendum. Le traité a été conçu pour éviter une consultation populaire mais surtout pour soustraire ce texte au débat public. Or, le référendum va de soi pour une telle question. En effet, si la procédure normale de ratification d'un traité relève du Parlement, l'article 11 de la Constitution dispose que, lorsqu'un traité, sans être contraire à la Constitution, est susceptible d'avoir des conséquences sur les institutions, le Président de la République peut demander la sanction du suffrage universel. C'est évidemment le cas ici...

M. Patrice Gélard, rapporteur.  - Mais non !

M. Robert Bret.  - ... puisque le traité reprend les principales dispositions de 2004. Ce n'est pas en écartant le traité de Lisbonne du débat citoyen qu'on permettra au peuple de se réapproprier le projet européen, ce qui est très inquiétant, dès lors que la construction européenne souffre d'un déficit démocratique originel.

L'utilisation de la démocratie représentative pour échapper à l'expression directe du peuple dénature le rôle du Parlement, qui se trouve ainsi instrumentalisé par l'exécutif. Dans une démocratie, le peuple doit avoir le dernier mot et les mandataires n'ont pas le droit de violer la volonté des mandants. En se déclarant incompétent pour contrôler les lois référendaires qui sont « l'expression directe de la souveraineté nationale », le Conseil constitutionnel reconnaît que la loi référendaire est d'une essence supérieure à la loi parlementaire.

Dans ces conditions, que l'on soit favorable ou non au traité, est-il possible de passer outre la décision du peuple de mai 2005 en l'annulant par un vote du Parlement ? Comme l'a dit Didier Maus, Président de l'Association française de droit constitutionnel : « Le Parlement peut-il désavouer le peuple ? »

L'organisation d'un nouveau référendum correspond à une exigence démocratique majeure. Le traité de Lisbonne n'étant pas substantiellement différent du traité établissant une Constitution pour l'Europe, passer outre la volonté des électeurs aurait de dramatiques conséquences que votre gouvernement ne semble pas mesurer. Nos concitoyens risquent en effet de se défier de plus en plus de leur système politique et constitutionnel. La construction européenne n'aurait alors plus aucune légitimité démocratique.

Le Sénat peut encore se ressaisir ! La surdité est mauvaise conseillère. Le débat peut repartir sur des bases saines, pour peu que vous abandonniez la ratification parlementaire. (Applaudissements sur divers bancs à gauche)

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Après le succès d'estime des deux précédentes motions...

M. Josselin de Rohan.  - Grand succès !

M. Jean Desessard.  - C'est pour cela qu'il faut un référendum !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - ... vous demandez un renvoi en commission. Mais nous avons entendu des experts, des professeurs d'université, des ministres. Nous avons eu des débats extrêmement poussés en commission et écouté tous les arguments. Ce matin encore, nous nous sommes réunis pour examiner les amendements et ce n'est pas notre faute si leurs auteurs n'étaient pas présents. (Rires à droite) Le travail a été fait et bien fait, et le renvoi en commission ne servirait à rien, car il n'apporterait aucun élément nouveau.

Il est paradoxal que vous vouliez soumettre ce traité à un référendum et que vous cherchiez à éviter la réforme constitutionnelle qui rendrait éventuellement possible cette consultation. (M. Jean-Luc Mélenchon proteste) Si nous ne révisions pas la Constitution, notre pays ne respecterait pas sa signature, ce qui serait un comble !

M. Jean-Pierre Raffarin.  - Absolument !

M. Jean-Luc Mélenchon.  - Mais non !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Il faut être cohérent, monsieur Mélenchon !

Les arguments de M. Bret ne sont pas non plus recevables : l'article 53 dit que lorsqu'un traité est contraire à la Constitution, il faut la réviser.

M. Michel Charasse.  - Article 54 !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Tout cela prouve que vous n'arrivez pas à vous entendre sur un sujet difficile. Vous vous êtes séparés et vous ne parvenez pas à vous rassembler.

M. Charles Gautier.  - Nous ne sommes pas les seuls.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Quant à nous, nous voulons reconstruire ce qui a été interrompu.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Reconstruire, certes, mais autrement !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Bref, nous rejetons cette motion. (Applaudissements à droite)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Vous trahissez le peuple !

M. Patrice Gélard, rapporteur.  - Mais non !

A la demande du groupe UMP, la motion de renvoi en commission n°20 est mise aux voix par scrutin public.

Mme la présidente.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 241
Nombre de suffrages exprimés 240
Majorité absolue des suffrages exprimés 121
Pour l'adoption 34
Contre 206

Le Sénat n'a pas adopté.

M. Henri de Raincourt.  - Ça baisse !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Pouvons-nous, madame la présidente, savoir à quelle heure se terminera cette séance ? Si j'en crois la Conférence des Présidents, nous devrons poursuivre cette discussion demain à 15 heures.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Pas du tout ! La Conférence des présidents avait indiqué « éventuellement ».

M. Michel Charasse. - Non !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Compte tenu de l'avancement de la discussion, la commission recommande la poursuite du débat.

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État.  - Le Gouvernement s'en remet à la Haute assemblée : la discussion peut se poursuivre si elle le souhaite.

Mme la présidente. - Je vais consulter le Sénat.

Après une épreuve à main levée, déclarée douteuse, le Sénat décide par assis et levés, de poursuivre la discussion.

Discussion des articles

Article additionnel

Mme la présidente. - Amendement n°5, présenté par MM. Marc, Bel, Auban et Courteau, Mmes Y. Boyer, Bricq et Campion, MM. C. Gautier et Gillot, Mmes Herviaux et Jarraud-Vergnolle, MM. Josselin, Journet, Le Pensec, Lise, Miquel, Muller, Pastor, Piras et Ries, Mme Schillinger, MM. Sueur et Sutour et Mme Voynet.

Avant l'article 1er, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article 53-2 de la Constitution, il est inséré un article ainsi rédigé :

« Art. ... - Dans le respect du premier alinéa de l'article 2, la République française peut ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires du Conseil de l'Europe. »

M. François Marc. - De nombreuses langues minoritaires et régionales sont en péril dans notre pays : l'occitan, le basque, l'alsacien ou encore le breton connaissent une diminution considérable du nombre de leurs locuteurs. Face à ce problème majeur, le Président Chirac avait insisté, le 2 février 2003, lors des rencontres internationales de la culture, sur l'importance d'une mobilisation pour enrayer la disparition des langues dans le monde. En effet, au rythme actuel, la moitié des langues aura disparu d'ici un demi-siècle. Cette perte serait incommensurable ! Avec la montée en puissance de la langue anglaise, en Asie comme partout dans le monde, le sort du français lui-même sera peut-être en jeu dans quelques décennies...

D'où notre volonté de préserver ce patrimoine. Si nous voulons consolider les dispositifs éducatifs de transmission de ces langues et manifester l'engagement des pouvoirs publics dans ce sens, la signature de la Charte des langues régionales constituerait un signe incitatif. Le gouvernement Jospin avait signé certains articles jugés conformes à la Constitution. Aujourd'hui, la mise à jour de cette dernière dans le sens proposé permettrait de remédier aux difficultés que rencontrent ces langues. La langue française -dont nous tenons à réaffirmer d'ailleurs la suprématie en tant que garante de l'unité nationale- n'est ni remise en cause ni menacée. Au moment de la signature de la Charte, il était précisé que celle-ci serait ratifiée « dans la mesure où elle ne vise pas à la reconnaissance et à la protection de minorités, mais à promouvoir le patrimoine linguistique européen et que l'emploi du terme de groupe de locuteurs ne confère pas de droit collectif pour les locuteurs de langues régionales ou minoritaires ». Ce qui est en cause, c'est la reconnaissance officielle de la diversité culturelle. Partout où cette question est traitée en Europe depuis une quinzaine d'années, elle est perçue comme source d'avancées démocratiques. Pourquoi ne serait-ce pas aussi le cas en France ?

M. Jean-Luc Mélenchon. - Parce que c'est nous !

M. François Marc. - Face au péril qui menace ces langues, l'adoption de la Charte leur apporterait quelques garanties. Ce n'est pas la première fois que nous présentons cet amendement ; on nous répond toujours que ce n'est pas le moment ou que le Gouvernement prendra des initiatives dans ce sens. Or, rien n'est fait. Notre démarche n'a rien de communautariste. Au contraire, elle se veut un remède à l'humiliation qui peut pousser certains à de telles dérives. Il est temps que le Parlement puisse traiter sereinement cette question !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. - Il fallait le dire en breton !

M. Patrice Gélard, rapporteur. - L'amendement apparaît en effet à chaque révision constitutionnelle, mais nous ne pouvons pas ratifier la Charte. En 1999, le Conseil constitutionnel a conclu à l'incompatibilité de certaines de ses dispositions avec la Constitution, tout en indiquant que ce n'était le cas d'aucun des trente-neuf engagements souscrits. Cela n'empêche pas la France de faire une place aux langues régionales : deux cent cinquante mille élèves du secondaire reçoivent des cours dans ces langues dont la place a d'ailleurs été accrue dans l'enseignement supérieur.

En revanche, le Conseil constitutionnel a jugé que l'adoption de la Charte conférerait des droits spécifiques aux locuteurs à l'intérieur des territoires où ces langues seraient pratiquées, portant ainsi atteinte aux principes constitutionnels d'indivisibilité de la République, d'égalité devant la loi et d'indivisibilité du peuple français.

M. Jean-Luc Mélenchon. - Excellent !

M. Patrice Gélard, rapporteur. - Elle ouvrirait également le droit à pratiquer une langue autre que le français dans la vie privée, mais aussi dans la vie publique, ce qui est aussi contraire à la Constitution. Un tel choix mérite un débat plus important, par exemple lors de la grande révision constitutionnelle du printemps prochain ! Défavorable.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Les langues régionales ne sont pas l'objet du présent texte. Le Gouvernement n'entend d'ailleurs pas rouvrir pour l'instant ce débat : l'occasion s'en présentera à l'occasion de la prochaine révision constitutionnelle, comme le Premier ministre en a pris l'engagement à l'Assemblée nationale lors de la discussion d'un amendement similaire. L'enseignement des langues régionales est garanti en France. Aller au-delà serait reconnaître le droit de pratiquer, notamment dans les administrations, d'autres langues que le français, ce qui ne serait pas acceptable. Retrait, sinon avis défavorable.

M. Roland Courteau. - M. Marc avait raison : ce n'est jamais le moment de d'adopter des dispositions qui permettraient de ratifier la Charte. Pourtant, le Président de la République ne nous invitait-il pas récemment à nous enrichir de notre diversité ? Or les langues régionales sont un élément fondamental de notre culture, de notre histoire et de notre patrimoine. Faute d'une reconnaissance officielle, elles sont menacées de disparition. L'an prochain, nous célébrerons l'année internationale des langues : adopter cet amendement constituerait un bon exemple.

M. Michel Charasse. - Au fond de ce débat sur les langues régionales, il y a un malentendu. Si nous voulons ratifier la Charte, il n'y a aucun inconvénient à le faire et nous n'avons pas besoin de modifier la Constitution, dès lors que ne sont pas concernées les dispositions qui lui ont été jugées contraires par le Conseil constitutionnel : sont concernés une partie du préambule, l'article 1A partie 1, l'article 1B et l'article 7, paragraphes 1 et 4. Les autres articles se bornent à reconnaître des pratiques qui ont déjà cours en France en faveur des langues régionales. Les articles faisant problème sont ceux qui portent atteinte à l'indivisibilité de la République, à l'égalité devant la loi et à l'unicité du peuple français.

Or, et je fais appel à la science juridique du doyen Gélard, lorsque conformément à l'article 54 de notre Constitution, le Conseil constitutionnel déclare qu'un traité n'est pas conforme, il a toujours ajouté, depuis 1958, que le texte ne pourra être approuvé qu'après révision de la Constitution. Pourquoi, pour la première fois, s'est-il écarté de cette formule intangible, pour se contenter de dire que la Charte des langues régionales comporte des clauses contraires à la Constitution ? Parce que toucher au principe d'indivisibilité de la République, d'égalité des citoyens devant la loi et d'unicité du peuple français, c'est toucher à la République, dont la forme ne peut faire l'objet d'aucune révision.

Comme je ne pense pas que mes amis socialistes aient l'intention de remettre en cause notre République, la commission des lois devrait prendre l'initiative de nous sortir de la mélasse de ce débat récurrent en proposant une rédaction autorisant la ratification de la Charte et celles de ses dispositions non déclarées contraires à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Nous obligerions ainsi ceux qui, attachés aux langues régionales, ont l'impression que l'on ne veut rien faire, tout en préservant la République dans ses fondements institutionnels les plus précieux.

M. Jacques Muller.  - Bonsoir à tous, solu binander ! (Sourires) Les langues et cultures régionales, que l'on qualifie de minoritaires, appartiennent au patrimoine vivant de la France et de l'Europe. Loin de porter atteinte à l'identité française, l'alsacien, le basque, le breton, le catalan, le corse, le créole...

M. Jean-Luc Mélenchon.  - Lesquels ?

M. Jacques Muller.  - ... le flamand, et les autres langues régionales...

M. Robert Bret.  - Et la langue d'oïl ?

M. Jacques Muller.  - ... la complètent, la renforcent, et l'enrichissent. Mais notre pays s'est construit, au long des siècles, sur la négation et la répression de ces langues et de ces cultures, au nom d'un universalisme abstrait et d'un jacobinisme dogmatique. (M. Mélenchon s'exclame)

Heureusement, de nombreuses régions ont pris des initiatives en faveur de l'usage des langues régionales qui, loin d'être l'expression d'un repli identitaire, sont un facteur d'enracinement et de cohésion sociale. L'identité nationale n'est pas une réalité univoque, monolithique, c'est une réalité complexe et vivante.

La France est un des rares pays, avec l'Italie, à n'avoir pas ratifié la Charte. Lors de récents débats à l'Assemblée nationale, le ministre s'était engagé à régler cette « délicate question ». Délicate pour qui ? La même promesse nous avait été faite en 2005, et nous n'avons rien vu venir. Cessons donc de reporter le débat et que le Gouvernement prenne ses responsabilités. M. Charasse a fait une proposition constructive, qui montre que l'obstacle opposé par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 15 juin 1999 peut être levé. Sous-amendons l'amendement qui nous est proposé dans le sens qu'il a indiqué. (On s'amuse à droite) Nous avons perdu assez de temps.

M. Jean-Luc Mélenchon.  - Je ne voterai pas l'amendement, mais je tiens à dissiper un malentendu. Être hostile à la Charte n'est pas être hostile aux langues régionales (« Très bien ! » sur plusieurs bancs à droite) et je tiens à rappeler pour l'honneur de notre patrie républicaine que personne n'y interdit d'user de la langue de son choix en famille ou publiquement, de goûter la musique de son choix dans les nombreux festivals régionaux, et de se vouer librement à ce en quoi il croit.

Si la dispute porte sur l'application de l'ensemble de la Charte, alors nous butons sur une difficulté constitutionnelle, laquelle n'est pas d'ordre technique, mais philosophique.

M. Roger Romani.  - Très bien !

M. Jean-Luc Mélenchon.  - Il y a des Français, qui, par conviction philosophique, sont fondamentalement opposés à l'idée de doter des groupes de locuteurs de droits particuliers. Ce ne sont pas des jacobins dogmatiques, mais tout simplement des républicains. La France n'est pas essentialiste. Elle n'est pas la conjugaison de diversités. Elle est la communauté légale une et indivisible qui fait qu'entre l'État et la personne, il n'y a pas d'intermédiaire ; qui fait que nous sommes tous parties prenantes à la définition de la loi, laquelle s'applique à tous parce qu'elle est décidée par tous. Quiconque prétend y intercaler le droit particulier d'une communauté brise l'unité. Mes collègues doivent entendre, sans mépris, ce raisonnement.

S'il s'agit, en revanche, de n'appliquer que les dispositions qui n'ont pas été déclarées contraires à la Constitution, je dis que notre droit en a déjà retenu, avant même que la Charte ne les proclame, un très grand nombre. N'est-ce pas, ainsi, l'État républicain qui finance les postes pour l'enseignement de ces langues ? On peut considérer qu'il n'y en a pas assez, mais c'est un autre débat.

Et comment parler de langues régionales sans entrer dans leur définition ? Car de quel créole parle-t-on alors qu'il y en a sept ou huit ? Quant à la langue bretonne, admirable en bien des points, nous ne saurions la confondre, alors qu'il en existe cinq, toutes respectables, avec le manuel qui en concentre l'apprentissage, et dont l'auteur a, comme l'on sait, été condamné à mort par contumace. Cessons enfin de ne voir que des Bretons bretonnants, alors que beaucoup, qui se sentent suffisamment Français tout en étant Bretons, ne s'attachent pas à cette bataille.

Quelles langues régionales donc, et combien ? L'ancien ministre de la formation professionnelle que je suis sait que le vocabulaire technique manque. S'il ne s'agit que d'appeler une fusée fuseï, le jeu n'en vaut pas la chandelli ! Et que ceux que je ne traite pas de communautaristes ne me traitent pas de jacobin intransigeant, c'est un pléonasme ! (Rires à droite)

Rendre obligatoire l'usage des langues régionales dans les tribunaux ou la traduction des formulaires administratifs serait un rempart contre le communautarisme ? C'est le contraire ! Ne confondons pas notre République une et indivisible avec ces pays où l'on réprime, en effet, ceux qui ne parlent pas la langue officielle. Le français est une langue de liberté. Imposée par les rois, elle a pourtant facilité la libre circulation des opprimés sur tout le territoire de la République. La langue française est une langue de liberté, qui reconnaît la liberté de toutes les langues. (Applaudissements sur plusieurs bancs à gauche et à droite)

M. Nicolas Alfonsi.  - J'ai appris le corse avant le français, que je continue de pratiquer difficilement (Sourires)

Si j'incline à suivre les arguments de M. Charasse, ils ne m'interdisent pas de poser une question aux auteurs de l'amendement. Comment concilier le respect du premier alinéa de l'article 2 de notre Constitution avec les multiples dispositions de la Charte, dont beaucoup, M. Mélenchon l'a rappelé, sont déjà appliquées ?

Si je n'écoutais que mon coeur, je voterai des deux mains cet amendement. Mais je m'interroge sur ses conséquences. Comment ne pas comprendre les réticences du Conseil constitutionnel à la lecture du chapitre 9 de la Charte, relatif à la justice ? Exigera-t-on, devant les tribunaux, autant d'affidavit qu'il y a de langues régionales ? Faudra-t-il, de même, traduire tous les documents administratifs ? Mais qu'est-ce que la langue de la République sinon celle qui s'applique à la vie administrative ?

D'où ma perplexité. La solution serait sans doute législative, et consisterait à extraire de la charte les points qui permettraient de trouver un accord général.

Si l'amendement était retiré, cela nous rendrait service. (Applaudissements à droite et au centre)

M. François Marc. - On pourrait dire beaucoup de choses sur l'histoire de la France et de ses langues.

M. Jean-Pierre Bel. - Et beaucoup de contre-vérités !

M. François Marc. - Oui, et nous en avons entendu ce soir ! En réalité, les langues régionales minoritaires sont en train de disparaître dans notre pays. Selon les prévisions de l'Unesco et d'autres organisations internationales, la moitié des langues devraient s'éteindre durant les trente prochaines années dans le monde.

Dans nos régions, 2 % au plus des enfants apprennent à devenir des locuteurs réguliers de langues régionales. Cela ne risque pas de mettre en danger l'unité de la République ! La déclaration de la France précisant que l'on pouvait ratifier la charte, signée sous le gouvernement Jospin - gouvernement auquel appartenaient certains de nos collègues- prenait des précautions pour éviter que le texte ne serve à reconnaître ou protéger des minorités. Si la charte était adoptée, la préservation de notre patrimoine linguistique serait assurée.

Nous voulions faire avancer les choses en ce sens. Madame le garde des Sceaux, pouvez-vous confirmer votre engagement de débattre de cette question très prochainement ? Cela serait préférable à l'adoption d'un amendement prévoyant des propositions nécessitant un réexamen. Cela fait six ans que l'on nous répond en remettant cette question à plus tard : votre engagement nous laisserait espérer une solution acceptable pour les mois à venir.

Mme Rachida Dati, garde des Sceaux.  - Je vous confirme ce que je vous ai dit tout à l'heure. Nous aurons ce débat lors de la révision constitutionnelle qui suivra les travaux du comité Balladur.

M. Philippe Richert. - Pour compléter l'intervention de M. Muller, je précise que je suis un ardent défenseur des langues régionales et, comme M. Alfonsi, j'ai appris - nous l'appelons le dialecte- l'alsacien avant le français. Cependant, il s'agit d'abord d'une affaire familiale. De nombreux donneurs de leçons n'ont jamais appris la langue régionale à leurs enfants.

Notre préoccupation, aujourd'hui, est de faire avancer l'Europe et d'adopter le traité de Lisbonne, dont je suis un fervent partisan. Le Bas-Rhin, comme toute la région Alsace, est très favorable à l'apprentissage des langues régionales, mais cette question n'a pas sa place dans notre débat de ce soir. Et il faudra associer le ministre de l'éducation nationale aux discussions à venir sur ce point.

Voilà pourquoi, quoique défenseur des langues régionales, je ne suis pas favorable à cet amendement. (Applaudissements à droite)

M. François Marc. - Les auteurs de l'amendement souhaitent que l'amendement soit maintenu.

A la demande du groupe UMP, l'amendement n°5 rectifié bis est mis aux voix par scrutin public.

Mme la présidente. - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 259
Nombre de suffrages exprimés 251
Majorité absolue des suffrages exprimés 126
Pour l'adoption 29
Contre 222

Le Sénat n'a pas adopté.

Article premier

Le second alinéa de l'article 88-1 de la Constitution est remplacé par les dispositions suivantes :

« Elle peut participer à l'Union européenne dans les conditions prévues par le traité de Lisbonne modifiant le traité sur l'Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne, signé le 13 décembre 2007. »

Mme la présidente.  - Amendement n°6, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC.

Supprimer cet article.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - En 2005, le projet de loi constitutionnelle modifiant le titre XV de la Constitution comportait un article premier complétant l'article 88-1 de la Constitution par un second alinéa prévoyant que la République « peut participer à l'Union européenne dans les conditions prévues par le traité établissant une Constitution pour l'Europe signé le 29 octobre 2004 ».On nous avait dit à l'époque que la généralité de cette formule avait pour but de lever l'ensemble des obstacles juridiques à la ratification du traité établissant une Constitution pour l'Europe. Et que lorsque ce traité constitutionnel entrerait en vigueur, les dispositions de cet article s'appliqueraient. A l'époque, la possibilité que le peuple français se prononce contre la Constitution européenne n'avait pas été envisagée une seule seconde : tout avait été validé par avance par le Gouvernement. Pourtant, le peuple français a massivement refusé le TCE. Et après la victoire du non, qu'est-il advenu de l'article premier du projet de loi constitutionnelle de 2005 ? Comme nous l'avions prévu, il est resté dans la Constitution française, et nous voici aujourd'hui réunis pour adopter un nouveau projet de révision constitutionnelle dont l'article premier prévoit de remplacer les dispositions du second alinéa de l'article 88-1. Cette procédure aurait pu être évitée par la notification expresse de l'inapplicabilité de l'article premier en cas de rejet de la ratification. Mais ne s'agissait-il pas, sous couvert de cohérence juridique, de valider par avance une disposition non acceptée par le peuple et, par conséquent, de passer outre la souveraineté nationale ?

Il est regrettable de constater que le même schéma a été retenu aujourd'hui : il s'agit ici, comme en 2005, de faire valider par avance le traité de Lisbonne. Mais cette fois-ci aucun risque n'a été pris, le Président de la République a décidé de contourner le peuple et d'instrumentaliser une nouvelle fois le Parlement. C'est inacceptable et c'est pourquoi nous demandons la suppression de cet article premier.

Mme la présidente.  - Amendement n°3, présenté par M. Charasse.

I. Rédiger comme suit le début du texte proposé par cet article pour le second alinéa de l'article 88-1 de la Constitution :« Sous les réserves d'interprétation résultant des décisions du Conseil constitutionnel n° 2004-505 DC et n° 2007-560 DC des 19 novembre 2004 et 20 décembre 2007, elle peut...

II. Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé : 

« Tout acte européen qui méconnaît les décisions précitées du Conseil constitutionnel est nul et de nul effet à l'égard de la France. »

M. Michel Charasse.  - Je défendrai en même temps l'amendement n°4 qui porte sur l'article 4 mais qui a le même objet.

Dans ses décisions des 19 novembre 2004 et 20 décembre 2007, le Conseil constitutionnel a estimé que dans la mesure où le traité sera loyalement et strictement appliqué conformément à son texte même, les principes de la République française ne seront pas remis en cause. Les dispositions, par exemple, qui reconnaissent le communautarisme à travers les minorités et les églises et qui suppriment toute limite et condition à la pratique des cultes, ne peuvent comporter, selon le Conseil constitutionnel, aucune incidence pour la République française laïque et indivisible. Le Conseil n'a donc pas recommandé de révision constitutionnelle pour tenir compte de ces divers points : au demeurant, une révision aurait été impossible car l'article 89 de la Constitution interdit de réviser la République.

Malgré les réserves exprimées par le Conseil constitutionnel et les conclusions qu'il en tire, la République n'est cependant pas à l'abri de toute atteinte. Si on peut raisonnablement penser que les responsables européens et les institutions de l'Union européenne respecteront les principes de la République, personne ne peut dire ce que feront les juges de Luxembourg, ni ceux de Strasbourg compétents en ce qui concerne la Convention européenne des droits de l'Homme -et on sait qu'ils ne sont pas très attachés à la République, pas très laïcs et plutôt communautaristes.

Il est donc nécessaire, pour éviter de se trouver un jour dans une situation de « vice de consentement » -puisque nous aurions approuvé un traité non conforme à notre Constitution- et d'être contraints d'appliquer des règles non approuvées par le peuple français, de préciser qu'en ce qui la concerne, la France ne peut participer à l'Union européenne et adhérer au nouveau traité que dans les conditions et limites posées par les décisions des 19 novembre 2004 et 20 décembre 2007.

Je propose donc de mettre dans la Constitution cette « réserve d'interprétation ». Tout récemment encore, le président du Groupe libéral du Parlement européen - un Anglais- affirmait que, une fois le traité adopté, la laïcité et l'interdiction du voile en France ne seraient plus applicables.

J'avais fait la même proposition à l'occasion du TCE. A l'époque, le ministre des affaires étrangères m'avait assuré que la France déposerait des réserves sur ce point. Je suis prêt à ne pas déposer ces deux amendements si le Gouvernement m'assure que la France présentera bien des réserves d'interprétation.

Ce ne serait pas sans précédent puisqu'en 1977, le Parlement français l'avait exigé, lorsqu'il avait autorisé la ratification du traité relatif à l'élection de l'Assemblée européenne au suffrage universel ; l'article traditionnel de ratification a été assorti d'un préambule qui figure d'ailleurs dans la brochure Pouvoirs publics. La loi d'autorisation peut parfaitement faire référence aux décisions du Conseil constitutionnel et clairement préciser, comme en 1977, que tout acte européen qui ne respecte pas ces réserves est nul et de nul effet pour la France. Il faut nous éviter demain la mauvaise surprise d'applications jurisprudentielles de juges qui n'ont pas la même conception que nous de la République.

M. Jean-Luc Mélenchon.  - Excellent !

Mme la présidente.  - Amendement n°8, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC.

Compléter le second alinéa de cet article par une phrase ainsi rédigée :

Cependant, les dispositions du deuxième alinéa du paragraphe 2 de l'article 42 du traité sur l'Union européenne ne s'appliquent pas à la France.

M. Robert Bret.  - L'Union européenne voudrait, semble-t-il, définir progressivement une politique de sécurité et de défense commune. Mais, pour ce faire, il serait grand temps de lever toute ambiguïté vis-à-vis de l'Otan. Si l'Europe veut réellement se doter d'une politique de défense commune, elle doit, une fois pour toutes, se défaire de son statut subordonné au sein de l'Otan. Or, le traité de Lisbonne, comme les précédents, par des formules alambiquées s'efforce de dire une chose et son contraire, de mettre en avant la défense européenne tout en proclamant la nécessaire compatibilité avec l'Otan. C'est ce qui ressort clairement du premier paragraphe de l'article 24 et du deuxième alinéa du paragraphe 2 de l'article 42. Le premier dispose : « La compétence de l'Union en matière de politique étrangère et de sécurité commune couvre tous les domaines de la politique étrangère ainsi que l'ensemble des questions relatives à la sécurité de l'Union, y compris la définition progressive d'une politique de défense commune qui peut conduire à une défense commune ». Au contraire le deuxième alinéa du paragraphe 2 de l'article 42 prévoit que « La politique de l'Union (...) respecte les obligations découlant du traité de l'Atlantique Nord pour certains États membres qui considèrent que leur défense commune est réalisée dans le cadre de l'Otan et elle est compatible avec la politique commune de sécurité et de défense arrêtée dans ce cadre ». L'ambiguïté demeure donc ! Pis, sans savoir quelle sera la politique de l'Otan dans l'avenir, on s'engage les yeux fermés à ne jamais avoir de politique en rupture avec elle. Cet article 42, qui subordonne la politique de sécurité et de défense commune à l'Otan, contrevient au principe affirmé à l'article 3 de notre Constitution selon lequel « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». A la lecture de telles dispositions, qui figuraient déjà dans le TCE et qui avaient suscité de vives critiques en 2005 on ne peut que déplorer l'absence de volonté d'autonomie politique de l'Europe et son attachement à son statut subordonné au sein de l'Otan sous commandement américain.

Mme la présidente.  - Amendement n°10, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC.

Compléter le second alinéa de cet article par une phrase ainsi rédigée :

Cependant, les dispositions du deuxième alinéa du paragraphe 3 de l'article 42 du traité sur l'Union européenne ne s'appliquent pas à la France.

M. Robert Bret.  - Le deuxième alinéa du paragraphe 3 de l'article 42 prévoit que « Les États membres s'engagent à améliorer progressivement leurs capacités militaires ». Et que l'Agence européenne de défense « identifie les besoins opérationnels, promeut des mesures pour les satisfaire, contribue à identifier et, le cas échéant, mettre en oeuvre toute mesure utile pour renforcer la base industrielle et technologique du secteur de la défense, participe à la définition d'une politique européenne des capacités et de l'armement, et assiste le Conseil dans l'évaluation de l'amélioration des capacités militaires ». Ces dispositions sont très claires : il s'agit de demander toujours plus de mobilisation toujours plus d'argent pour la fabrication des armes. Il est inquiétant de constater que le seul domaine où le traité de Lisbonne, comme le TCE, encourage les États à augmenter leurs dépenses publiques, c'est le budget militaire. Il n'y a aucune perspective de convergence vers le haut des systèmes de protection sociale mais la militarisation croissante de l'Union est bel et bien prévue ! Il est affligeant de constater que l'Europe choisit de se laisser entraîner par les États-Unis dans la spirale infernale de l'augmentation des capacités militaires. L'Union européenne, pour peser sur la scène internationale, aurait pu faire le choix de privilégier la coopération ou la préservation de l'environnement. Malheureusement, en Europe aussi, l'après 11 septembre et l'instauration d'un nouvel ordre mondial répressif sur fond de discours va-t-en-guerre ont entraîné une formidable relance des capacités militaires. Cet alinéa du paragraphe 3 de l'article 42 porte atteinte à la liberté de choix et à l'indépendance du pays et l'assujettit à la politique des États-Unis. C'est un chemin dangereux que les dirigeants européens et votre gouvernement veulent faire prendre à notre pays et à l'Europe. Cet article qui pousse à la course aux armements contrevient à l'alinéa 15 du Préambule de 1946 auquel renvoie celui de la Constitution de1958 selon lequel « Sous réserve de réciprocité, la France consent aux limitations de souveraineté nécessaires à l'organisation et à la défense de la paix ». La France et ses partenaires européens ont besoin de faire ensemble progresser la sécurité internationale, de s'engager dans la voie du désarmement et de contribuer à la résolution négociée des conflits dans le respect des principes des Nations Unies et du multilatéralisme. Ce deuxième alinéa du paragraphe 3 de l'article 42 va à l'encontre de la défense de la paix et du désarmement.

Mme la présidente. - Amendement n°12, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC.

Compléter le second alinéa de cet article par une phrase ainsi rédigée :

Cependant, les dispositions du paragraphe 7 de l'article 48 du traité sur l'Union européenne ne s'appliquent pas à la France.

M. Robert Bret. - On nous vante les clauses passerelles comme simplifiant le fonctionnement de l'Union, supprimant notamment les risques de blocages. Mais les parlements n'y ont gagné qu'un pouvoir d'empêchement -relatif- et en aucun cas un pouvoir de proposition. Il faut une motion identique votée par l'Assemblée nationale et le Sénat. Ce dernier aura un droit de veto lorsque l'Assemblée sera d'une autre couleur politique que lui... Enfin, la transmission aux parlements n'est pas toujours évoquée dans le traité, je songe à la politique étrangère et de sécurité commune. Voilà qui relativise encore le pouvoir d'opposition des parlements nationaux.

Mme la présidente. - Amendement n°14, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC.

Compléter le second alinéa de cet article par une phrase ainsi rédigée :

Cependant, les dispositions de l'article 106 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ne s'appliquent pas à la France.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - La question des services publics et de la pertinence de la libéralisation agite les peuples au-delà de nos frontières... Notre conception, conforme au préambule de la Constitution de 1946, n'est pas celle du traité de Lisbonne ! Les dispositions relatives aux services publics, que les Français refusaient en 2005, ne doivent pas s'appliquer dans notre pays.

Mme la présidente. - Amendement n°16, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC.

Compléter le second alinéa de cet article par une phrase ainsi rédigée :

Cependant, les dispositions de l'article 282 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne s'appliquent dans le respect de l'article 3 de la Constitution.

M. Robert Bret. - Le principe d'indépendance de la BCE est contraire à la souveraineté telle qu'inscrite à l'article 3 de notre Constitution.

Mme la présidente. - Amendement n°18, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC.

Compléter le second alinéa de cet article par une phrase ainsi rédigée :

Cependant, la participation de la France à l'Union européenne s'effectue dans le respect du principe de laïcité posé à l'article 1er de la Constitution.

Mme Josiane Mathon-Poinat. - Le principe de laïcité est inscrit à l'article premier de la Constitution. Or le traité de Lisbonne, dès son préambule, se réfère à l'histoire religieuse comme élément fondateur de l'Europe. Ces mots ne sont pas anodins. Dans le même temps, le Président de la République annonce le « retour du religieux » et tente d'aligner la France sur des États européens qui accordent aux églises un rôle officiel de partenaire. A terme, c'est une remise en cause de la séparation des églises et de l'État. Le Président de la République propose même de faire entrer les forces religieuses au Conseil économique et social. Il devrait méditer ce propos tenu par le général de Gaulle en 1958 : « la France est catholique, mais la République est laïque »...

M. Sarkozy, à Rome, a évoqué « Les racines de la France essentiellement chrétiennes », il a estimé qu'un « homme qui croit est un homme qui espère. L'intérêt de la République c'est qu'il y ait beaucoup d'hommes et de femmes qui espèrent. » Il a appelé de ses voeux « l'avènement d'une laïcité positive »... Selon lui, dans la transmission des valeurs et dans l'apprentissage de la différence entre le bien et le mal, « l'institution ne pourra jamais remplacer le pasteur ou le curé. » Quelle charge contre la loi de 1905, contre la laïcité ! C'est la rupture... avec le pacte républicain ! Et à Ryad, ensuite : « C'est peut-être dans le religieux que ce qu'il y a d'universel dans les civilisations est le plus fort ». Comme lui a répondu un journaliste dans un article fort pertinent, si le religieux est de retour, raison de plus pour nous féliciter de la protection que nous assure une République laïque ! M. Sarkozy a cité Malraux qui aurait dit : « Le XXIe sera religieux ou ne sera pas ». Il semblait y voir une vérité absolue. Je crois, pourtant, que le XXIe siècle sera laïc ou ne sera pas ! Avec cet amendement, nous nous rebellons contre les menaces qui pèsent sur la laïcité.

M. Patrice Gélard, rapporteur. - Ma réponse vaudra aussi pour les amendements à l'article 2, similaires.

L'amendement n°6 est contraire à la position de la commission, avis défavorable. Les amendements n°s3 à 18 posent un problème de fond : les réserves d'interprétation peuvent exister, mais doivent être soulevées avant la signature d'un traité. Après, elles ne sont plus possibles.

M. Michel Charasse. - On peut déposer des réserves jusqu'à la ratification du traité, donc après sa signature ! C'est ce que nous avions fait par exemple pour la convention européenne des droits de l'homme : lors de la ratification, nous avions refusé les recours individuels, pour les accepter ultérieurement.

M. Patrice Gélard, rapporteur. - On ne peut rien rajouter unilatéralement à un traité.

M. Michel Charasse. - On ne rajoute pas, on indique des réserves d'interprétation.

M. Patrice Gélard, rapporteur. - Tous les amendements expriment la même conception des réserves, conception que je ne partage pas. Le n°8 vise des dispositions qui sont déjà en vigueur. Sur le n°12, il n'est pas envisageable de poser unilatéralement des réserves après la négociation, et un droit de veto est donné déjà au Parlement français. Retrait ou rejet.

Sur le n°14, je souligne que le traité de Lisbonne est plus proche de la conception française des services publics que de la conception communautaire. Un protocole annexé reconnaît le rôle essentiel et le pouvoir discrétionnaire des États membres dans l'organisation des services d'intérêt général économique et admet une diversité et des disparités fonction des situations géographique, sociale, culturelle. Les principes posés sont la qualité, la sécurité, l'égalité de traitement, la promotion d'un accès universel...Vous avez donc satisfaction. Retrait ou rejet.

La rédaction peu claire de l'amendement n°16 conduit à s'interroger sur sa portée juridique concrète. Une fois de plus, on nous propose une réserve d'interprétation. Avis défavorable.

Le Conseil constitutionnel n'a pas estimé que le traité de Lisbonne menaçait le principe de laïcité par la seule référence à « l'héritage religieux de l'Europe », héritage qui peut être chrétien, juif, musulman... La commission partage cet avis. Elle est donc défavorable à l'amendement n°18.

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État.  - Monsieur Bret, l'article premier du projet de loi constitutionnelle tend à permettre la ratification du traité de Lisbonne, qui sera soumis le 7 février à la représentation nationale. Comme je l'ai souligné à plusieurs reprises, nos institutions mettent les ratifications parlementaire et référendaire sur un pied d'égalité. Le Gouvernement est donc défavorable à l'amendement n°6.

Le Conseil constitutionnel a considéré que les dispositions du traité de Lisbonne relatives aux droits fondamentaux n'appelaient pas de modification constitutionnelle, puisqu'elles doivent être interprétées conformément aux traditions communes aux États membres. Les propos de M. Graham Watson sur la laïcité n'engagent que lui. C'est un homme fort estimable, mais peut-être pas le meilleur connaisseur de notre droit. En outre, les réserves relatives aux traités communautaires doivent être formulées au moment de leur signature. Par ailleurs, je n'ai pas retrouvé l'intervention de M. Barnier faite le 16 février 2005.

M. Michel Charasse. - Je vous la ferai parvenir.

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État.  - Avis défavorable à l'amendement n°3.

Comme l'a indiqué M. le rapporteur, l'amendement n°8 n'a pas de lien direct avec la révision constitutionnelle, ni d'ailleurs avec le traité de Lisbonne puisque la disposition visée résulte du traité de Nice. Sur le plan politique, la politique européenne de sécurité et de défense a été conçue sans antagonisme avec l'Otan, puisque vingt et un des vingt-six membres de l'Union font partie de l'Alliance atlantique -d'ailleurs, la France commande actuellement la KFOR dans le cadre de l'Otan- mais l'autonomie de décision des deux institutions est garantie.

Le Gouvernement est défavorable à l'amendement n°10, d'ailleurs contradictoire avec le précédent, puisque l'accroissement des capacités militaires est indispensable à la création d'une Europe de la défense. L'Union européenne s'est dotée d'une capacité opérationnelle autonome, illustrée par exemple dans les Balkans et en Afrique. Hier, le conseil des ministres des affaires étrangères de l'Union a décidé de conduire une nouvelle opération en relation avec la crise du Darfour, pour protéger les civils. Le traité ouvre la voie à une coopération élargie en ce domaine, notamment pour les opérations de désarmement et de stabilisation après la fin des conflits. Les décisions doivent être prises à l'unanimité.

L'amendement n°12 concerne la prise de décision par le Conseil européen statuant à la majorité qualifiée. Mais le recours à cette procédure doit avoir été décidé à l'unanimité. En outre, tout parlement national peut faire obstacle à cette décision dans les six mois. Ainsi, la disposition visée ne méconnaît pas l'article 3 de la Constitution.

À propos de l'amendement n°14, j'observe que les règles de concurrence s'appliquent à la gestion des services d'intérêt économique général, mais seulement si elles ne font pas échec à leur mission. En outre, le traité ne fixe pas le régime de propriété des entreprises dans les États membres, qui gardent une pleine compétence pour gérer les services économiques d'intérêt général.

Le Gouvernement est donc défavorable aux amendements n°s13 et 14.

L'indépendance de la Banque centrale européenne, antérieure au traité de Lisbonne, n'est en rien contraire à la Constitution, comme l'a constaté le Conseil constitutionnel. Par ailleurs, le traité de Lisbonne reconnaît l'existence de l'eurogroupe et autorise les États de la zone euro à prendre seuls les décisions qui les concernent et à représenter l'union monétaire, notamment face aux États-Unis, à la Chine et au Japon. Avis défavorable à l'amendement n°16.

Le 18 est inutile, puisque le Conseil constitutionnel estime que le nouveau préambule n'est pas contraire au principe de laïcité.

M. Michel Charasse. - Il ne reste plus qu'à prier : Oremus !

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État.  - D'ailleurs, l'article 4 du traité dispose que l'Union « respecte l'égalité des États devant le traité ainsi que leur identité, inhérente à leurs structures fondamentales », donc la laïcité de la France.

M. Michel Charasse. - Et la « fille aînée de l'Eglise » alors ?

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État.  - Retrait sinon rejet.

M. Michel Charasse. - J'ai abordé aujourd'hui les réserves d'interprétation, mais je retire les deux amendements que j'ai déposés, pour les reprendre dans le projet de loi tendant à autoriser la ratification du traité, conformément à ce que M. Barnier avait dit en 2005.

Les amendements n°s3 et 4 sont retirés.

Les amendements n°s 6 ,8, 10,12, 14,16 et 18 ne sont pas adoptés.

L'article premier est adopté.

Article 2

À compter de l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne modifiant le traité sur l'Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne, signé le 13 décembre 2007, le titre XV de la Constitution est ainsi modifié :

1° Il est intitulé : « De l'Union européenne » ;

2° Les articles 88-1 et 88-2 sont remplacés par les dispositions suivantes :

« Art. 88-1. - La République participe à l'Union européenne constituée d'États qui ont choisi librement d'exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tels qu'ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007.

« Art. 88-2. - La loi fixe les règles relatives au mandat d'arrêt européen en application des actes pris par les institutions de l'Union européenne. » ;

3° Dans la première phrase du premier alinéa de l'article 88-4, les mots : « les projets ou propositions d'actes des Communautés européennes et de l'Union européenne comportant des dispositions de nature législative » sont remplacés par les mots : « les projets d'actes législatifs européens ainsi que les autres projets ou propositions d'actes de l'Union européenne comportant des dispositions qui sont du domaine de la loi » ;

4° Dans l'article 88-5, les mots : « et aux Communautés européennes » sont supprimés ;

5° Après l'article 88-5, sont ajoutés deux articles 88-6 et 88-7 ainsi rédigés :

« Art. 88-6. - L'Assemblée nationale ou le Sénat peuvent émettre un avis motivé sur la conformité d'un projet d'acte législatif européen au principe de subsidiarité. L'avis est adressé par le président de l'assemblée concernée aux présidents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission européenne. Le Gouvernement en est informé.

« Chaque assemblée peut former un recours devant la Cour de justice de l'Union européenne contre un acte législatif européen pour violation du principe de subsidiarité. Ce recours est transmis à la Cour de justice de l'Union européenne par le Gouvernement.

« À ces fins, des résolutions peuvent être adoptées, le cas échéant en dehors des sessions, selon des modalités d'initiative et de discussion fixées par le règlement de chaque assemblée.

« Art. 88-7. - Par le vote d'une motion adoptée en termes identiques par l'Assemblée nationale et le Sénat, le Parlement peut s'opposer à une modification des règles d'adoption d'actes de l'Union européenne dans les cas prévus, au titre de la révision simplifiée des traités ou de la coopération judiciaire civile, par le traité sur l'Union européenne et le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tels qu'ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007. »

Mme la présidente. - Amendement n°7, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC.

Supprimer cet article.

Amendement n°9, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC.

Compléter le texte proposé par le 2° de cet article pour l'article 88-1 de la Constitution par une phrase ainsi rédigée :

Cependant, les dispositions du deuxième alinéa du paragraphe 2 de l'article 42 du traité sur l'Union européenne ne s'appliquent pas à la France.

Amendement n°11, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC.

Compléter le texte proposé par le 2° de cet article pour l'article 88-1 de la Constitution par une phrase ainsi rédigée :

Cependant, les dispositions du deuxième alinéa du paragraphe 3 de l'article 42 du traité sur l'Union européenne ne s'appliquent pas à la France.

Amendement n°13, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC.

Compléter le texte proposé par le 2° de cet article pour l'article 88-1 de la Constitution par une phrase ainsi rédigée :

Cependant, les dispositions du paragraphe 7 de l'article 48 du traité sur l'Union européenne ne s'appliquent pas à la France.

Amendement n°15, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC.

Compléter le texte proposé par le 2° de cet article pour l'article 88-1 de la Constitution par une phrase ainsi rédigée :

Cependant, les dispositions de l'article 106 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ne s'appliquent pas à la France.

Amendement n°17, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC.

Compléter le texte proposé par le 2° de cet article pour l'article 88-1 de la Constitution par une phrase ainsi rédigée :

Cependant, les dispositions de l'article 282 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne s'appliquent dans le respect de l'article 3 de la Constitution.

Amendement n°19, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC.

Compléter le texte proposé par le 2° de cet article pour l'article 88-1 de la Constitution par une phrase ainsi rédigée :

Cependant, la participation de la France à l'Union européenne s'effectue dans le respect du principe de laïcité posé à l'article 1er de la Constitution.

M. Charles Josselin. - Je voudrais évoquer le rôle des parlements nationaux. J'ai eu l'honneur de présider pendant huit ans la Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne ; nous déplorions alors notre extrême difficulté à disposer à temps des informations aux mains du Gouvernement. J'avais même déposé une proposition de loi, qui avait été adoptée, pour faire obligation à celui-ci de nous les communiquer comme il convenait.

M. le ministre des affaires européennes a insisté, en commission, sur le lien existant entre démocratie européenne et démocratie nationale, lien, nous a-t-il dit, qui est désormais établi. Mais la liaison le sera-t-elle ? Les parlements nationaux se voient confier un rôle exigeant, celui de contrôler le principe de subsidiarité. Les délégations des deux assemblées feront l'essentiel du travail ; elles doivent disposer de moyens à la mesure de cette responsabilité, d'autant que la législation et la réglementation européennes ne cessent de se densifier et de se techniciser. Il faudra aussi que les parlementaires, qui sont nombreux à vouloir faire partie de ces délégations, s'y investissent davantage. Il faudra encore que se développe la coopération interparlementaire, à laquelle la Cosac peut contribuer, et le dialogue avec le Parlement européen, avec les membres duquel, malheureusement, les occasions de rencontre sont rares. Des initiatives doivent être prises en ce sens.

Il faudra enfin que le Gouvernement ait la volonté d'entretenir un dialogue constant avec le Parlement, et singulièrement avec ses délégations. L'implication du Parlement, cher collègue Mélenchon, c'est aussi l'implication du peuple au travers de ses représentants. Elle dépend largement de la bonne application des règles européennes et de leur bonne transposition en droit interne. C'est bien parce que le Parlement ne participe pas à l'élaboration de la norme européenne qu'il est si difficile de la transposer.

Le Gouvernement a obligation de transmettre les actes législatifs lorsqu'ils sont présentés devant le Conseil ; mais c'est trop tard, à ce moment l'affaire est bouclée. Nous devons anticiper et avoir connaissance des textes au moins en même temps que les lobbyistes de Bruxelles. Nous y sommes prêts. Une relation de confiance solide nous y aidera.

M. Patrice Gélard, rapporteur. - M. Peyronnet et moi-même avons abordé cette question dans les rapports qu'a repris le comité Balladur. Je ne doute pas que nous en débattrons au printemps prochain.

Mme la présidente. - J'ajoute que la Conférence des présidents a accordé une attention toute particulière à ces documents.

M. Jean-Luc Mélenchon. - Je donne acte à mon collègue Josselin que l'implication du Parlement est une des formes de l'implication populaire. Mais j'ai un doute sur la nouveauté dont on habille le contrôle par les parlements nationaux du principe de subsidiarité. « Un grand progrès », nous a dit M. Karoutchi ...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Un droit de veto est même prévu.

M. Jean-Luc Mélenchon. - Oui, mais il faut que neuf Parlements se soient accordés pour constater que le principe est mis à mal -ils ne peuvent, bien sûr, se prononcer sur le fond de la disposition en cause ... ; puis leurs conclusions sont soumises à la Commission, qui peut alors -peut, seulement- maintenir ou amender ladite disposition. Ai-je bien compris ? Si c'est cela, ce n'est pas grand-chose...

Mme la présidente. - Puis-je considérer que les amendements sur l'article sont défendus et que les avis de la commission et du Gouvernement sont connus de l'assemblée ? (Assentiment)

L'amendement n°7 n'est pas adopté, non plus que les amendements n°s9, 11, 13, 15, 17 et 19.

L'article 2 est adopté.

L'article 3 est adopté.

Interventions sur l'ensemble

Mme Alima Boumediene-Thiery. - Les sénateurs Verts réaffirment leur ambition d'une Europe véritablement sociale et environnementale, en phase avec l'aspiration des gens. Ils avaient rêvé d'une consultation européenne, donnant sens à un projet commun validé ou non en commun, puis attendu une consultation en France. Ils dénoncent aujourd'hui avec force la décision du Président de la République et de sa majorité de refuser au peuple sa libre expression. Après le refus de 2005, il aurait été démocratique et cohérent de consulter à nouveau les citoyens. M. Sarkozy a manqué de courage politique.

Les abstentions de Mmes Voynet et Blandin et de M. Muller marquent leur refus de prendre position à cette étape du processus. Le « non » de M. Desessard et le mien disent le nôtre de la manoeuvre du Gouvernement.

Nos votes, dans leur diversité, témoignent qu'une construction européenne qui ne se fait qu'au sommet perd en qualité et éloigne la confiance. Nous continuerons notre lutte commune pour un grand espace démocratique, respectueux des droits humains et de la diversité culturelle, attentif aux ressources naturelles, à la justice planétaire, et garant de la paix.

L'ensemble du projet de loi constitutionnelle est mis aux voix par scrutin public de droit.

Mme la présidente. - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 320
Nombre de suffrages exprimés 258
Majorité absolue des suffrages exprimés 130
Pour l'adoption 210
Contre 48

Le Sénat a adopté. (Applaudissements à droite et au centre)