Rétention de sûreté (Urgence)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.

Discussion générale

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice.  - (Applaudissements à droite et au centre) Je remercie votre commission, son président et son rapporteur, d'avoir saisi toute l'importance de ce texte ambitieux : il s'agit rien de moins que de mieux protéger les Français et d'aider les condamnés, dans le respect de nos principes fondamentaux. (« Très bien ! » à droite) J'entends dire que ce texte serait de circonstance, uniquement lié à l'actualité. La lutte contre la récidive est pourtant une préoccupation constante des gouvernements depuis dix ans au moins : le fichier national des empreintes génétiques, instauré en 1998 par Mme Guigou, le fichier national des agresseurs sexuels, créé en 2004, le bracelet électronique, prévu en 2005, les traitements antihormonaux, autorisés en 2005, le renforcement de l'injonction de soins, avec la loi du 10 août dernier, autant de moyens pour prévenir la récidive et réduire la dangerosité des délinquants. Depuis 2005, trois rapports de M. Burgelin, de M. Garraud et de vos collègues Goujon et Charles Gautier ont confirmé la nécessité de mieux protéger la société contre les délinquants dangereux en installant des centres fermés de protection sociale ou des unités hospitalières de long séjour.

Le sujet n'est donc pas dicté par l'actualité ! Du reste, pourquoi faudrait-il s'interdire d'agir face aux drames de l'actualité ? Il est de notre responsabilité d'améliorer la loi, la sécurité de tous, et de notre devoir d'empêcher de nouveaux crimes ! Or, les actions réalisées depuis dix ans ne suffisent pas. Des crimes atroces, barbares ont été commis par des criminels qui avaient été déjà condamnés et dont on savait qu'ils recommenceraient, qu'on savait très dangereux ! Les Français s'en sont émus : pourquoi les criminels encore sujets à des pulsions, et qui refusent de se soigner, sont - ils remis en liberté ? Pourquoi attendre de nouveaux crimes ? Faut-il continuer de fermer les yeux, réfléchir encore dix ans ? Faut-il se contenter de compatir quand des enfants comme Matthias ou Enis sont victimes de la violence, ou seulement saluer le courage avec lequel des jeunes filles comme Anne-Lorraine Schmitt résistent à leur agresseur avant de trouver la mort ?

Doit-on ne rien faire sous prétexte de ne pas céder à la pression de l'actualité ? Ce n'est pas ma conception de l'engagement politique. Nous n'avons plus le droit d'attendre !

Ce texte visait initialement les condamnés pour des meurtres, viols ou actes de torture sur des mineurs âgés de moins de 15 ans. Les députés ont souhaité que les crimes visant tous les mineurs soient concernés : il n'a pas paru souhaitable que la loi fasse une distinction entre un crime commis sur un enfant de 13 ou de 16 ans. Les députés ont également voulu que la loi concerne les crimes commis sur une personne majeure avec certaines circonstances aggravantes. Dans ce cas précis, ce n'est pas l'âge de la victime qui importe. C'est la gravité des faits eux-mêmes qui témoigne de la dangerosité de l'auteur.

Comment pourrait-on nier la dangerosité du criminel pervers qui torture les victimes qu'il viole ? Votre commission a approuvé cette nouvelle orientation, je m'en réjouis.

Sur proposition du Gouvernement, le dispositif transitoire a été étendu aux condamnés qui sont actuellement incarcérés pour avoir commis une pluralité de crimes. Cela vise les tueurs et violeurs en série. Après l'entrée en vigueur de la loi, il faudra que la cour d'assises prévoie l'éventualité d'une rétention de sûreté en fin de peine. C'est le principe du texte.

Mais d'ici là, comment prendre en charge les détenus particulièrement dangereux qui vont être libérés dans les jours, semaines, mois et années à venir ? Personne n'a intérêt à ce que des criminels reconnus particulièrement dangereux soient libérés ! Commettre plusieurs crimes, c'est un signe évident d'extrême dangerosité. Francis Heaulme ou Pierre Bodein, par exemple : avant de commettre les faits qui leur ont valu une condamnation à perpétuité, ils avaient tous deux été condamnés pour plusieurs viols ou meurtres. On aurait pu réagir avant !

On ne peut pas laisser libérer des criminels comme ceux-là après l'entrée en vigueur de la loi. Un bracelet électronique ou une injonction de soins ne seront pas suffisants pour empêcher un nouveau passage à l'acte.

La cour d'assises ne pouvait prévoir la possibilité d'une rétention de sûreté au moment de leur condamnation. Le principe de non rétroactivité des lois pénales plus sévères ne s'applique pourtant pas : la rétention est une mesure de sûreté, ce n'est pas une peine. Elle est prononcée par des juges mais elle ne repose pas sur la culpabilité de la personne, pas plus qu'elle ne sanctionne une faute : elle vise à prévenir la récidive et repose sur la dangerosité de condamnés pour faits graves. C'est une mesure préventive qui répond aux exigences constitutionnelles.

Nous devons traiter de la même façon deux criminels jugés pareillement dangereux : la date de leur condamnation ne saurait justifier une différence de traitement. Les députés, en conséquence, ont modifié la rédaction initiale. Je sais, monsieur le rapporteur, que nous n'avons pas la même lecture du texte, je connais votre souci de renforcer les conditions de placement en rétention de sûreté pour les personnes déjà condamnées. Cependant, nous ne saurions reporter l'application des mesures que nous jugeons aujourd'hui nécessaire à la protection des Français.

Ce texte s'est élargi, certains accusent le Gouvernement d'aller trop loin. Cette évolution était pourtant nécessaire, elle va dans le sens d'une plus grande protection des Français et elle renforce la prise en charge des criminels particulièrement dangereux.

Il comporte d'abord des mesures de sûreté pour les criminels particulièrement dangereux : ils seront, en fin de peine, pris en charge dans un centre socio-médico-judiciaire. Le jour de la condamnation, le condamné sera averti par le président de la cour d'assises qu'il pourra être soumis à un examen de sa dangerosité et, le cas échéant, placé en rétention de sûreté en fin de peine.

Un an avant la fin de peine, le condamné sera soumis à un examen de sa dangerosité. Si la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté estime que le condamné demeure dangereux, qu'il y a un risque de récidive, que les mesures de contrôle sont insuffisantes et qu'il faudra placer le condamné en rétention de sûreté, elle demandera au procureur général de saisir une commission régionale composée de magistrats de la cour d'appel.

Au moins trois mois avant la date de libération, cette commission régionale rendra une décision motivée après débat contradictoire sur le placement en rétention de sûreté. Cette mesure sera valable un an, elle sera renouvelable, mais elle pourra aussi prendre fin à tout moment.

La personne retenue sera placée dans un centre socio-médico-judiciaire placé sous la tutelle des ministères de la justice et de la santé.

Elle bénéficiera, de façon permanente, d'une prise en charge médicale et sociale. S'agissant de personnes atteintes de troubles extrêmement graves et profonds de la personnalité, les soins comporteront une dimension criminologique. La situation sera réexaminée chaque année.

Trois hypothèses sont à distinguer. Les condamnés pour lesquels une rétention de sûreté a été envisagée par la cour d'assises le jour de leur condamnation pourront être placés dans le centre fermé à la fin de leur peine s'ils présentent encore une dangerosité telle que leur remise en liberté, même surveillée, n'est pas possible. Les tueurs et les violeurs en série actuellement incarcérés pourront aussi être placés en rétention de sûreté à la fin de leur peine. Les cours d'assises n'ont certes pu prévoir un examen de leur dangerosité, mais celle-ci résulte des condamnations prononcées contre eux : il fallait prévoir un dispositif transitoire. Les autres condamnés et ceux qui sont actuellement incarcérés pourront être placés sous surveillance judiciaire après la fin de leur peine et se voir notamment imposer un bracelet électronique mobile et un suivi médical. En cas de manquements traduisant un regain de dangerosité, ils pourront être placés en rétention de sûreté.

J'en viens au deuxième volet du projet de loi relatif aux irresponsables pénaux en raison d'un trouble mental. La procédure ne s'achèvera plus pour eux par la notification d'une ordonnance de non-lieu. Si le juge d'instruction conclut à une irresponsabilité pénale, la décision pourra être précédée d'un débat sur les éléments à charge et l'état mental de l'auteur au moment des faits, et une audience, en principe publique, se tiendra devant la chambre de l'instruction, procédure qui n'est actuellement prévue qu'en appel, pour contester la décision prise par le juge d'instruction, comme cela a été le cas lors de l'appel du non-lieu rendu dans l'affaire du meurtre des infirmières de Pau.

Le non-lieu, la relaxe ou l'acquittement seront remplacés par des décisions d'irresponsabilité pour cause de trouble mental, inscrites, comme cela est normal dès lors que la personne est reconnue comme l'auteur du crime ou du délit, au casier judiciaire. L'Assemblée nationale a souhaité conférer aux juridictions la faculté, partagée avec le préfet, d'un placement d'office en hôpital psychiatrique. Elles pourront également soumettre la personne reconnue irresponsable à des mesures de sûreté, applicables dès l'hospitalisation aux permissions de sorties, destinées à éviter un nouveau passage à l'acte -interdiction de détenir une arme, de se rendre dans certains lieux, de rencontrer les victimes...

Enfin, si c'est la chambre de l'instruction qui déclare la personne irresponsable, elle renverra l'affaire devant le tribunal correctionnel à la requête des victimes pour statuer sur leurs demandes de dommages et intérêts. Afin de simplifier leurs démarches, le juge délégué aux victimes aura la charge, dans le cadre de ses fonctions juridictionnelles, de cette formation à juge unique.

Troisième volet : les nouvelles dispositions destinées à améliorer la prise en charge des détenus nécessitant des soins. Dans le prolongement de la loi du 10 août 2007, le détenu qui refusera des soins en détention pourra se voir retirer toutes ses remises de peine, le refus de soins étant désormais assimilé à une mauvaise conduite. Pour assurer un meilleur suivi, l'échange d'information entre le médecin intervenant en milieu carcéral et le médecin qui suivra le détenu à sa sortie de prison sera amélioré. De même, les soignants devront, afin d'assurer la sécurité des personnels intervenant en milieu pénitentiaire et celle des autres détenus, signaler au chef d'établissement les risques pour la sécurité des personnes dont ils ont connaissance. Ces dispositions, qui ne violent en rien le secret médical, ne font que traduire l'obligation qui pèse déjà sur tous les professionnels et doivent éviter que leur responsabilité pénale ne soit engagée du chef de non assistance à personne en danger.

C'est donc un texte d'envergure, équilibré et réfléchi, fait pour concilier la sécurité des Français et le respect des libertés essentielles, que vous soumet le Gouvernement. Je souhaite que notre débat soit constructif et dépasse les clivages politiques. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Jean-René Lecerf, rapporteur de la commission des lois.  - Ce texte s'insère selon moi dans la suite de la loi récente instituant un contrôleur général des lieux de privation de liberté et dans la préparation de la grande loi pénitentiaire annoncée, que nous appelons tous de nos voeux.

L'univers carcéral touche de trop près la condition humaine, il a fait l'objet de trop de rapports unanimement accablants -le président Hyest ne me contredira pas- pour que nous versions dans le manichéisme, sans rechercher le plus large consensus. Ni la souffrance des victimes ni les efforts considérables des personnels de l'administration pénitentiaire ne doivent être ignorés. Car la corrélation est étroite entre réinsertion, lutte contre la récidive, conditions de travail des personnels, aspirations des victimes et intérêt de la société.

J'entends encore une vice-présidente d'association, elle-même victime d'un violeur en série ayant récidivé dans les trois mois suivants sa libération, exprimer le souhait que le nouveau système permette d'apporter aux condamnés des soins efficaces propres à réduire la récidive au taux le plus faible possible. Je me souviens de son amertume et de sa colère en constatant que la seule activité de son agresseur pendant ses années de détention avait consisté, « à faire de la fonte » c'est-à-dire, dans les mots de l'univers carcéral, à tuer le temps par la pratique de la musculation.

Mes visites dans nos établissements pénitentiaires, dans ceux d'autres pays comme les Pays-Bas, la Belgique et le Canada, les auditions, par la commission des lois, de personnalités éminentes du monde de la justice, de la psychiatrie, de l'université, du secteur associatif, m'ont conduit à une triple conviction sur les carences auxquelles il convient de porter remède au plus vite.

Tout d'abord la proportion de détenus de troubles mentaux, estimée à quelque 20 % de la population carcérale, est considérable. Certes, les cours d'assises ont déclaré ces détenus responsables, mais leur choix ne peut qu'être largement hypothéqué par le peu de réponse qu'une psychiatrie condamnée à l'ambulatoire et dont le nombre de lits en milieu protégé a dramatiquement fondu reste susceptible d'apporter. La prison devient alors trop souvent le seul moyen de protéger la société, au risque de se transformer en plus grand asile psychiatrique de France. Comment ne pas observer que les déclarations d'irresponsabilité pénale prises en application du premier alinéa de l'article 122-1 du code pénal relatif à l'abolition du discernement ont diminué de moitié entre 1987 et 2003, tandis que l'altération du discernement, qui aurait dû constituer une circonstance atténuante en vertu de l'alinéa 2 du même article, se transformait dans les faits en circonstance aggravante ?

La prison est-elle le lieu idoine pour soigner des malades mentaux ? D'autant que si des progrès remarquables ont été accomplis pour les soins somatiques, il est loin d'en être de même pour les soins psychiatriques. Comment, dans ces conditions, espérer une évolution favorable de l'éventuelle dangerosité du détenu à la fin de sa peine ?

S'il est vrai que la rétention de sûreté vise essentiellement les personnes les plus dangereuses atteintes de troubles du comportement et qu'une majorité de psychiatres et de criminologues tendent à ranger parmi les psychopathes, reste que tous les malades souffrant de troubles psychiatriques sérieux et durables devraient pouvoir être orientés vers une unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) le temps nécessaire à leur traitement, ainsi que nous vous le proposerons par amendement. Quant à la distinction entre abolition et altération du discernement prévue par l'article L. 122-1 du code pénal, il conviendrait d'urgence de la clarifier.

Soins et traitements devraient être dispensés dès le début de l'incarcération et non quelques mois avant la date prévue pour la libération.

M. Robert Badinter.  - Très bien !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur.  - De même, la formation ou l'exercice d'une activité, qui facilitent largement la réinsertion, mériteraient d'être mieux encouragés et accompagnés.

C'est ici qu'une évaluation bien conduite, dont mon récent voyage au Québec m'a permis de mesurer les effets positifs, prend tout son sens. Réalisée par une équipe pluridisciplinaire à la suite d'une observation de longue durée, elle permettrait d'élaborer un parcours d'exécution de la peine correspondant à une véritable stratégie individualisée de lutte contre la récidive. Nous vous proposerons plusieurs amendements en ce sens, visant pour l'heure les personnes pouvant être soumises à la rétention de sûreté mais qui mériteraient d'être généralisées par le projet de loi pénitentiaire.

Sur la rétention de sûreté proprement dite, il convient de lever quelques ambiguïtés quant à la position de votre commission. Elle considère que cette initiative était nécessaire et met fin à un vide juridique dont les conséquences pouvaient s'avérer tragiques pour nos concitoyens. Dans chaque prison que je visite, je demande aux personnels de direction et de surveillance comme aux personnels médicaux s'ils comptent dans leur établissement des cas dont la libération en fin de peine leur paraîtrait exposer la société à un risque majeur. La réponse est toujours positive même s'il elle ne concerne qu'un nombre très faible d'individus. Certains d'entre eux, j'ai pu le constater, loin d'éprouver remords ou compassion à l'égard de leurs victimes, se plaisaient à renouveler le récit du plaisir pris à leur crime, affirmant leur intention de récidiver dès qu'ils en auraient l'opportunité. C'est avant tout pour eux que la rétention de sûreté est nécessaire et l'on peut espérer qu'elle les convaincra de se soigner sachant qu'un refus de soin pourra les priver d'une totale liberté.

Bien évidemment, la rétention de sûreté doit rester l'ultime solution. Elle ne doit pas nous faire oublier les défaillances de notre système et donc notre part de responsabilité dans les tragédies que nous avons eu à déplorer. La désastreuse affaire Evrard ne témoigne-t-elle pas d'une carence de la psychiatrie en milieu carcéral ? Lorsque j'ai visité le centre pénitentiaire de Caen, le responsable du service médico-psychologique régional me confiait qu'en raison du manque de médecins psychiatres, les demandes d'entretien individuel pouvaient attendre plus de douze mois. Carence, aussi, dans l'exécution des lois puisque le placement sous surveillance électronique prévu par la loi de décembre 2005 n'a pu être mis en oeuvre faute du texte d'application qui n'est venu qu'en août 2007, lors de la libération du détenu. Carence, enfin, dans le fonctionnement du service public, puisque l'adresse laissée par une personne dont nul n'ignorait la dangerosité aurait méritée d'être contrôlée.

Votre commission des lois s'est également longuement interrogée sur la conformité de la rétention de sûreté tant à la Constitution qu'à la Convention européenne des droits de l'homme. Sur l'application immédiate de cette réforme aux faits et aux condamnations antérieures à l'entrée en vigueur de la loi, les avis ont été largement partagés. La distinction entre mesure de sûreté et peine, ou plus précisément la distinction entre mesure de sûreté et mesure prise en considération de la personne et présentant le caractère d'une sanction, ne va pas de soi et bien imprudent serait celui qui s'aventurerait à prévoir l'éventuelle décision du Conseil constitutionnel.

De même, l'application de la rétention de sûreté aux criminels les plus dangereux sans que la juridiction de jugement ait pu prévoir expressément dans sa décision le réexamen de la situation de la personne pourrait poser problème à la cour de Strasbourg.

La Cour constitutionnelle allemande a, le 5 février 2004, validé la détention-sûreté mais, sans lui manquer de respect, je rappellerai que sa jurisprudence n'a pas plus de portée en France que celle de notre Conseil constitutionnel n'en a en Allemagne.

Sur la seconde préoccupation majeure de ce projet de loi, l'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, les opinions exprimées lors des auditions ont été plus consensuelles. A l'opposé des craintes exprimées naguère sur le risque de juger les fous, les nouvelles procédures permettent à la juridiction qui constate l'irresponsabilité pénale de se prononcer aussi sur la réalité des charges ainsi que sur les mesures de sûreté indispensables.

Les victimes y trouvent plusieurs motifs de satisfaction. L'irresponsabilité pénale est préférable au non-lieu, à la relaxe ou à l'acquittement. La comparution du mis en examen, la possibilité d'entendre des témoins et d'avoir une véritable audience publique, ainsi que l'action en responsabilité civile sont facilitées. La chambre de l'instruction de la juridiction de jugement pourra se prononcer pour une hospitalisation d'office, comme l'a prévu un amendement de l'Assemblée nationale. En cas d'urgence, ce dispositif peut se rapprocher de la judiciarisation de l'hospitalisation d'office réclamée par certains collègues, dont M. Dreyfus-Schmidt.

Votre commission attend de ce texte qu'il définisse les orientations d'une réforme ambitieuse de notre système pénitentiaire. Je ne sais si la rétention de sûreté constitue, comme nous l'a confié un éminent universitaire, une révolution juridique, mais je souhaite que la loi pénitentiaire soit la révolution à laquelle nous aspirons. (Murmures ironiques à gauche)

M. Robert Bret.  - C'est l'Arlésienne !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur.  - Sans doute la rétention de sûreté perdra-t-elle alors beaucoup de son utilité.

Je vous propose donc d'adopter ce texte amélioré par les amendements que nous présenterons. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales.  - Ce texte comporte une dimension sanitaire et sociale qui me conduit à intervenir. Jean-René Lecerf nous a livré une présentation brillante et exhaustive de ses enjeux et dispositions. Je limiterai donc mon propos aux interrogations que suscite la mise en oeuvre du nouveau dispositif de rétention de sûreté et des injonctions de soins.

La création de la rétention de sûreté, justifiée pour un nombre limité de cas pathologiques, constitue le constat d'échec de la prise en charge psychiatrique en milieu carcéral. (Mme Borvo Cohen-Seat approuve) Le développement des soins ambulatoires au détriment des hospitalisations de longue durée a, en France comme dans la plupart des pays occidentaux, contribué à accroître la population de malades mentaux et de psychopathes dans les prisons. Or, les moyens n'ont pas été mis en oeuvre pour traiter ces personnes et favoriser leur réinsertion.

La rétention de sûreté concernera chaque année une dizaine d'individus jugés incapables de vivre en société avec les dispositifs de surveillance et de soins existants. Je souhaite m'assurer que toutes les garanties seront prises pour ne pas appliquer cette mesure à des personnes qui relèveraient, compte tenu de leur état psychiatrique, de l'hospitalisation. La dangerosité criminologique ne doit pas être confondue avec la dangerosité psychiatrique, ni les malades mentaux avec les criminels. La corrélation entre l'existence de troubles mentaux et le passage à l'acte criminel, bien que non négligeable, est très faible, de l'ordre de 5 % pour les homicides.

Cela nous amène au problème de l'expertise qui présidera à la décision d'appliquer la rétention de sûreté. L'évaluation de la dangerosité est difficile, et le nombre d'experts psychiatres insuffisant : huit cents sont inscrits près des cours d'appel et de la Cour de cassation, avec d'importantes disparités géographiques. Du fait de cette pénurie, ces experts ne consacrent plus qu'une infime partie de leur temps aux consultations cliniques et deviennent en quelque sorte des « experts professionnels », ce qui ne me semble pas souhaitable. Pour éviter cet écueil, est-il prévu de rendre l'activité d'expertise financièrement plus attractive, notamment pour les psychiatres libéraux, et professionnellement mieux reconnue ?

Sur la question des droits accordés aux personnes en rétention de sûreté, j'avoue, madame le ministre, ne pas avoir bien compris vos intentions. Certes, les personnes dont l'état de dangerosité criminologique a été reconnu doivent être empêchées de nuire. Pour autant, ayant purgé leur peine, elles ne doivent plus être considérées comme des détenus. J'estime singulier que l'exposé des motifs affirme que, « pendant cette rétention, la personne bénéficiera de droits similaires à ceux des détenus ». Ne serait-il pas au contraire légitime qu'elle dispose de droits plus étendus, notamment pour les visites et les activités ? Pour cette même raison, les centres socio-médico-judiciaires doivent être créés hors des prisons et des hôpitaux psychiatriques. Il s'agit d'inventer un troisième type de lieu et de prise en charge, qui poursuive le triple objectif de protéger la société du risque de passage à l'acte criminel, de soigner, mais aussi de permettre la réinsertion. Sans être angélique, j'ai sans doute gardé quelques réflexes du médecin que je fus... Madame le ministre, pouvez-vous nous présenter les moyens qui seront mis en oeuvre, dans le cadre de la rétention de sûreté, pour favoriser une réinsertion sociale ?

Pour ce qui est de l'injonction de soins, ce dispositif, souvent essentiel à la réinsertion sociale, a été encouragé par la loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive, qui l'a étendu à d'autres mesures que le seul suivi socio-judiciaire. Or le nombre insuffisant de médecins coordonnateurs rapporté au nombre croissant de personnes concernées rend sa mise en oeuvre problématique. Le recrutement de ces professionnels se heurte, ici encore, au caractère peu attractif de la rémunération et à une évolution de la démographie médicale défavorable. La loi de 2007 prévoyait que l'effectif des médecins coordonnateurs soit multiplié par trois d'ici le 1er mars 2008, pour atteindre quatre cent cinquante médecins. Madame le ministre, pouvez-vous nous indiquer l'effectif actuel des médecins coordinateurs ? Leur rémunération a-t-elle été revalorisée, comme l'a annoncé la Direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins du ministère de la santé ?

Le recrutement de médecins coordonnateurs et de psychiatres pour intervenir auprès des détenus et, bientôt, des personnes en rétention de sûreté, souffre également de l'évolution démographique de cette profession. Il manque huit cent trente psychiatres dans le secteur public hospitalier, auquel revient la prise en charge des détenus. Selon le rapport de notre collègue Jean-Marc Juilhard, la situation va empirer et près de deux mille postes de psychiatres hospitaliers seront vacants à l'horizon 2020. En outre, ces professionnels sont mal répartis sur le territoire national et de véritables « déserts psychiatriques » apparaissent en milieu rural, dans les départements situés au nord de la Loire, dans les banlieues sensibles et en outre-mer.

Certes, l'augmentation du numerus clausus permettra de rétablir cette situation, mais des mesures correctrices s'imposent dès maintenant. Il faut ouvrir la prise en charge de ces personnes à des psychiatres libéraux -pour lesquels la pénurie est moins sensible car la rémunération y est supérieure- ainsi qu'à des équipes pluridisciplinaires. Des psychologues agréés devraient être encouragés à intervenir dans les établissements pénitentiaires, les nouveaux centres de rétention socio-médico-judiciaire et pour le suivi des injonctions de soins. Cette dernière possibilité a été ouverte par la loi du 12 décembre 2005 relative à la récidive des infractions pénales, mais le décret d'application définissant les conditions de diplôme n'a, à ce jour, toujours pas été pris. Je suis très favorable à la proposition de la commission des lois de conserver la possibilité, pour un psychologue, de mettre en oeuvre une injonction de soins. Le ministère de la santé doit prendre les mesures réglementaires nécessaires à la définition des formations autorisées pour la prise en charge des délinquants sexuels. Et je soutiens résolument la proposition de maintenir le droit, pour des médecins ayant reçu une formation adaptée, d'être recrutés comme médecins coordonnateurs des injonctions de soins afin de pallier la pénurie de psychiatres.

Madame le ministre, sans doute les précisions que vous m'apporterez lèveront-elles les quelques réticences que j'ai pu laisser transparaître, mais sur le fond je vous soutiendrai pour le vote de ce texte. (Applaudissements à droite et au centre)

Mme Raymonde Le Texier.  - C'était très bien, sauf la dernière phrase !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.  - Après avis de la commission des lois, je souhaiterais, pour la clarté de nos débats, dissocier de l'examen de l'article premier les deux amendements de suppression nos 52 et 64. (Assentiment)

M. Hugues Portelli.  - (Applaudissements à droite) Ce projet de loi traite d'un sujet douloureux sur lequel le pays attend des réponses claires et responsables. Les délinquants très dangereux dont nous devons protéger la société sont aussi des personnes qui ont droit à la garantie de leurs libertés fondamentales, mais ils ne doivent pas non plus utiliser ces droits pour les retourner contre la société, notamment contre les êtres les plus fragiles.

Ce texte courageux, fruit d'un vrai travail d'écoute fait justice de certaines critiques injurieuses, indignes du Parlement. Sachez, madame la ministre, que vous avez le soutien du groupe UMP du Sénat.

Je félicite aussi notre rapporteur, M. Lecerf, pour son travail de qualité, pour l'intérêt des auditions auxquelles il a procédé, pour sa rigueur et son honnêteté intellectuelles.

Admettre qu'une personne est inamendable : l'idée est choquante dans une société démocratique et humaniste, et pourtant, c'est la réalité pour une infime minorité, car il arrive que des hommes ne soient pas réinsérables dans notre société même après une longue peine. C'est un constat mais il faut demeurer très prudent, et très respectueux des droits humains dans la réponse à y apporter. Ne rien faire et nier cette réalité serait contraire à tout véritable humanisme.

Ce projet de loi comprend deux volets principaux. Le premier, relatif à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, avait été décrié avant même d'être élaboré. Je constate que le texte du Gouvernement fait maintenant l'objet d'un large consensus (protestations sur les bancs socialistes) et je m'en réjouis.

Le second est relatif à la rétention de sûreté et concerne les personnes condamnées à de lourdes peines, le plus souvent à la suite d'infractions sexuelles et susceptibles de récidives. C'est sur lui que le débat s'est déplacé. Ces délinquants très dangereux nécessitent un traitement particulier, protecteur de la société et de ses éléments les plus fragiles, et le projet de loi y répond en créant, sur le modèle du droit allemand...

Mme Raymonde Le Texier.  - Le droit allemand des années trente !

M. Hugues Portelli.  - ... les centres de rétention et une nouvelle mesure de sûreté, la rétention de sûreté. Sur le centre de rétention, nous avons proposé un amendement afin de mieux définir ses missions et de bien distinguer la mesure de sûreté de la peine. Je ne comprends pas que l'on puisse assimiler le traitement médical ou psychologique d'une personne à une peine. D'ailleurs, la Cour constitutionnelle allemande...

M. Michel Dreyfus-Schmidt.  - Encore !

M. Hugues Portelli.  - ... dans une décision de février 2004 relative à la détention-sûreté a rappelé qu'elle vise des objectifs différents de ceux de la peine de prison. Selon le juge suprême allemand, « la sanction consiste dans le fait de punir en réaction à un comportement coupable et sert à réparer la faute pénale ». En revanche, les mesures de détention-sûreté « servent surtout ... à la prévention dans des cas spécifiques, c'est-à-dire à empêcher des délits ou crimes dans l'avenir en exerçant une influence sur l'auteur ». Et la Cour conclut que « La détention à titre de mesure de sûreté n'a pas pour but, contrairement à la peine, de faire expier une faute commise, mais de protéger l'ordre public contre l'auteur. Ce n'est pas la faute pénale mais la dangerosité dont l'auteur a fait preuve qui détermine le prononcé, l'organisation et la durée de la mesure ».

On rétorquera que l'autorité de chose jugée des décisions de la Cour constitutionnelle allemande ne franchit pas les frontières, mais il est néanmoins utile de connaître l'interprétation du juge constitutionnel compétent à propos d'une loi dont le législateur français s'est largement inspiré. Nous ne pouvons pas non plus ignorer les liens entre les cours constitutionnelles d'Europe et le développement d'une base jurisprudentielle commune, notamment en matière de droits fondamentaux.

Le Conseil constitutionnel français a rendu une décision le 8 décembre 2005 sur la loi relative à la récidive des infractions pénales, qui rejoint l'appréciation de son homologue allemand. Il considère en effet que la surveillance judiciaire est « ordonnée par une juridiction, elle repose non sur la culpabilité du condamné mais sur sa dangerosité ; elle a pour seul but de prévenir la récidive (...) elle ne constitue ni une peine ni une sanction », et qu'elle n'est donc pas contraire à l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. D'après le juge constitutionnel, cette disposition n'est ni arbitraire ni disproportionnée parce qu'elle est conforme au principe constitutionnel de protection des personnes et plus particulièrement des mineurs, parce qu'elle ne s'applique qu'aux contextes les plus graves et, enfin, parce qu'elle peut prévenir des évolutions futures dangereuses. La rétention est en rapport avec le but poursuivi puisqu'elle est fondée sur l'appréciation de la dangerosité de l'intéressé après expertise médicale. Enfin, les garanties procédurales sont sérieuses et, en conclusion, le Conseil constitutionnel reconnaît la conformité à la Constitution de la rétroactivité de ces mesures. (M. Dreyfus-Schmidt lève les bras au ciel)

Mme Raymonde Le Texier  - N'importe quoi !

M. Hugues Portelli.  - Nous voulons en France un autre institut Pinel, ce centre canadien qui accomplit un travail de grande qualité avec des personnes présentant une certaine dangerosité. Des groupes de paroles sont constitués autour de psychothérapeutes qui utilisent des thérapies comportementales et cognitives et qui apprennent aussi à leurs patients à accepter cet accompagnement. Il faudra, un jour, se poser la question de la formation de nos thérapeutes, pour que ces centres puissent fonctionner avec un personnel sensibilisé à ces questions.

De même, il faut instaurer une réelle évaluation des troubles mentaux, et le plus tôt possible, afin d'aboutir à un meilleur traitement en prison. C'est pourquoi notre commission a adopté un amendement prévoyant une évaluation du délinquant au Centre national d'observation de la maison d'arrêt de Fresnes dans l'année suivant sa condamnation. Le bilan de cette évaluation serait ensuite soumis au juge de l'application des peines qui peut individualiser la peine à exécuter ou, en cas de troubles psychiatriques graves, transférer la personne dans une unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA). Si cette disposition est bonne, il faudra un jour, peut-être à l'occasion du projet de loi pénitentiaire, s'attacher aux pathologies rencontrées dans les prisons, voire créées par les conditions d'incarcération.

Le centre de rétention doit être la solution ultime pour tenter de garder sous suivi ces personnes, afin de leur permettre d'une part d'exprimer leur souffrance, mais aussi pour prévenir la commission de probables infractions particulièrement graves, dirigées contre les personnes. Car si ce projet de loi ne concerne que quelques cas, derrière chacun de ces cas, il y a une victime, une famille meurtrie, qui ont aussi le droit à la considération de notre République.

Mme Raymonde Le Texier.  - Il veut faire pleurer dans les chaumières.

M. Hugues Portelli.  - Le second axe de ce projet de loi concerne une nouvelle procédure liée à l'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. Aujourd'hui, le code pénal dispose que « n'est pas responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes ». Le projet de loi permet de reconnaître une personne irresponsable auteur des faits, ce qui présente deux avantages : permettre aux victimes de voir la justice reconnaître leur état de victime et aider la personne irresponsable, lorsque son trouble mental n'est pas trop prononcé, à admettre les faits pour pouvoir entrer dans une démarche thérapeutique.

Le groupe UMP votera sans réserve ce texte équilibré, respectueux du droit et utile pour le justiciable. (Applaudissements à droite et au centre)

M. David Assouline.  - C'est l'attaché parlementaire de la ministre ! (M. Pierre Fauchon s'indigne)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - D'abord, une remarque de forme. Je m'étonne que la commission des affaires sociales n'ait pas été saisie pour avis et que, cela étant, M. About se soit exprimé en tant que président de cette commission et non en son nom personnel...

Je dirai ensuite la consternation qui m'a saisie -et je ne suis pas la seule- lors du dépôt de ce projet de loi. Comment admettre que, avant la présentation d'une loi pénitentiaire tant attendue et partout annoncée, et alors que les trois lois récemment votées sur la récidive ne sont pas encore, ou peu, appliquées, nous soyons sommés de voter, et en urgence, une loi radicale, d'affichage politique certes, mais dont la teneur pose d'énormes problèmes ? Le rapporteur affirme qu'il y a consensus pour garder en détention les personnes dangereuses. Certes, mais il devrait aussi y avoir consensus pour « prendre à bras le corps » -pour utiliser les mots de la garde des sceaux- les problèmes de la détention, l'état calamiteux de l'offre psychiatrique et la question des moyens affectés à l'application des lois que nous votons. Or, sur cela, il n'y a pas consensus ...

Ce n'est donc pas pour débattre d'une grande loi pénitentiaire que nous nous retrouvons aujourd'hui. Pourtant, cette loi nous était présentée comme essentielle, indispensable pour que la France ne soit plus montrée du doigt à cause de l'état de ses prisons. Un Comité d'orientation de la loi pénitentiaire, installé en juillet 2007, a été chargé de réfléchir à son élaboration. Vous avez reçu son rapport le 20 novembre. Ce document présente cent vingt recommandations destinées à orienter « l'élaboration d'une grande loi pénitentiaire » et il préconise, entre autres, de faire de la privation de liberté une sanction de dernier recours, par l'utilisation des aménagements de peine, ou encore de donner un sens à la privation de liberté en constituant par exemple au sein de chaque établissement une équipe pluridisciplinaire chargée de suivre le parcours de chaque détenu. Cette loi pénitentiaire devait être examinée par le Parlement à l'automne 2008. Débattre de votre projet de loi avant même d'examiner une réforme pénitentiaire et sans tirer les conséquences de la législation en vigueur en matière de prévention de la récidive est une aberration, d'autant plus qu'aujourd'hui, nous n'entendons plus parler de cet ambitieux projet de loi.

Nos prisons sont pourtant plus surpeuplées que jamais -près de soixante trois mille personnes, un record ! -et les détenus souffrant de troubles mentaux y sont plus nombreux que jamais. Déjà, en 2000, dans son rapport intitulé « Prisons : une humiliation pour la République », la commission d'enquête sénatoriale avançait le pourcentage de 30 % de détenus souffrant de troubles psychiques à leur entrée ou au cours de leur détention.

Déjà, quelque 30 % des détenus souffraient de troubles psychiques existant au début de leur détention ou révélés au cours de celle-ci. Le rapport note un « retour à la prison de l'Ancien Régime » et observe que « la solution du moindre mal, celle de l'incarcération de psychotiques, est ainsi retenue, pour le plus grand malheur de l'administration pénitentiaire. ». Et la commission de conclure : « Paradoxe terrible, la réforme du code pénal et la nouvelle pratique des psychiatres ont abouti à un résultat inattendu : de plus en plus de malades mentaux sont aujourd'hui incarcérés. La boucle est bouclée : la prison, aujourd'hui en France, est en train de retrouver son visage antérieur au code pénal napoléonien. ».

Comme de nombreuses préconisations parlementaires, celle concernant les détenus malades mentaux est restée sans effet. Un sort analogue fut réservé au rapport Burgelin et à celui rendu en juin 2006 par nos collègues Goujon et Charles Gautier à propos des délinquants dangereux atteints de troubles psychiatriques, sans omettre le rapport du député Jean-Paul Garraud d'octobre 2006 relatif à la prise en charge des individus dangereux. Tous ont constaté l'augmentation du nombre de ces détenus et l'impuissance tant de l'administration pénitentiaire que de la psychiatrie.

Mais ce constat ne pèse guère face à l'instrumentalisation des faits divers et à l'émotion compréhensible qu'ils suscitent. Nous ne sommes même pas surpris d'examiner un texte inspiré par deux faits divers, comme ce fut le cas pour le projet de loi sur le traitement de la récidive et pour celui instituant des peines planchers. Nous finirons par légiférer quotidiennement à partir de faits divers !

La notion floue de dangerosité sert à justifier l'incarcération sans infraction, qui n'existait plus depuis la fin de l'Ancien Régime, des personnes « inamendables » ! On crée une peine après la peine en instituant des centres médico-socio-judiciaires de sûreté.

La rédaction initiale visait les seules personnes condamnées à au moins quinze ans de réclusion pour crimes, tortures ou actes de barbarie et viols commis sur des mineurs de 15 ans. Toujours prompts à la démesure, les députés ont ajouté l'enlèvement et la séquestration, en étendant le tout aux actes dont les victimes sont majeures.

Les personnes condamnées dans ces conditions et qui présentent un trouble grave de la personnalité ou une dangerosité caractérisée pourront, à l'issue de leur peine, être placées dans un centre de rétention pour un an renouvelable sans limite. Pour la première fois depuis 1789, la causalité entre une infraction et la privation de liberté disparaitra puisque la personne aura purgé sa peine. Une simple éventualité suffira à maintenir l'individu à l'écart de la société pour un temps inconnu : c'est la relégation à perpétuité.

C'est une limite que l'État de droit ne peut franchir. Pourquoi cet extrémisme, alors que le code de procédure pénale regorge de mesures dirigées contre la récidive, avec le suivi socio-judiciaire, le bracelet électronique, la surveillance judiciaire et le fichage des auteurs d'infractions sexuelles ? Alors que vos prédécesseurs présentaient ces trois dernières dispositions comme la panacée pour prévenir la récidive, vous ne semblez pas convaincue même par les peines planchers puisque vous présentez un nouveau texte six mois plus tard !

Or, par manque de moyens et de volonté politique, ces dispositifs n'ont guère été appliqués. Avez-vous un bilan de la loi du 12 décembre 2005 ? Non !

Les raisons de la délinquance ne sont jamais abordées. Exclure toute cause sociale à des troubles de la personnalité revient à fermer volontairement les yeux sur la violence qui s'exerce dans notre société.

Pour aboutir à un risque nul de récidive, vous voulez enfermer à vie des personnes susceptibles de commettre à nouveau un crime. L'étape suivante sera-t-elle d'enfermer à vie tout individu qui pourrait potentiellement commettre un crime ? Après tout, le député Bénisti et l'ancien ministre de l'intérieur devenu Président de la République estiment que des comportements jugés anormaux ou de simples antécédents génétiques permettent d'affirmer qu'un enfant deviendra délinquant, pédophile ou tentera de se suicider... Ce projet de loi ouvre une brèche vers l'enfermement de précaution.

Au Canada, aux Pays-Bas et en Allemagne qui appliquent une rétention de sûreté, les détenus considérés dangereux sont pris en charge dès le début de leur incarcération. Comment justifier que l'on ne fasse rien pendant quinze ou vingt ans et qu'on prenne ensuite médicalement en charge des personnes dangereuses ? La détention accroît souvent les troubles psychiques : pourquoi ne pas agir dès l'origine ? Les pays que j'ai cités ont organisé une prise en charge interdisciplinaire et structurée de ces détenus, alors que vous ne prévoyez aucun budget à cette fin.

Après le drame de Pau, il a été question de juger les irresponsables pénaux. Sans aller jusque-là, le texte crée une procédure juridictionnelle hybride, puisque l'audience devant la chambre de l'instruction s'apparente à un procès de droit commun mais seulement pour déterminer si la personne concernée est ou non responsable des faits dont elle est accusée. Le cas échéant, elle comparaîtra devant la juridiction compétente, qui ne pourra guère se prononcer de façon impartiale puisque l'imputation aura déjà été faite. Enfin, la déclaration d'irresponsabilité pénale sera inscrite au casier judiciaire alors qu'elle ne constitue pas une condamnation.

Les irresponsables pénaux pourront faire l'objet de mesures de sûreté. Si elles ne sont pas respectées, on pourra infliger deux ans de prison et 30 000 euros d'amende. Déclarera-t-on une nouvelle fois que l'intéressé est pénalement irresponsable ?

Décidément, ce projet de loi ne peut emporter notre adhésion ni sur la forme -puisque l'urgence a été déclarée- ni sur le fond puisqu'il bafoue nombre de principes fondamentaux, comme le montre la rétroactivité de la rétention de sûreté.

Je félicite le rapporteur, qui a fait de gros efforts pour rendre ce texte juridiquement acceptable. Hélas, la majorité de la commission des lois en a fait ce matin en sens contraire ! Je ne peux croire que notre pays s'engage dans la voie obscure proposée par le Gouvernement, qui veut utiliser la relégation sociale pour gérer les personnes considérées comme dangereuses. Avec mon groupe, je voterai résolument contre ce texte ! (Applaudissements à gauche)

M. Georges Othily.  - Notre monde compte des individus profondément pervers, qui n'ont aucune empathie pour leurs victimes qu'ils violent et tuent, notamment des enfants et des adolescents. En France, quelques dizaines de grands prédateurs de ce type ne pensent qu'à satisfaire leurs pulsions.

Je félicite M. Lecerf pour son excellent travail et les amendements qu'il propose afin de rendre ce texte plus humain. La tâche n'était pas facile.

Passer en prison quinze à vingt ans ne suffit pas à empêcher toute récidive de la part d'individus difficilement insérables, qui représentent un danger immense pour nos enfants et la société tout entière : ni la surveillance judiciaire ni le suivi socio-judiciaire ne peuvent les retenir. Le placement sous surveillance électronique reste expérimental et l'injonction de soins se heurte à l'insuffisance des capacités de prise en charge. Au demeurant, un condamné ne peut être contraint à se soigner...

Après trop de drames, nous devons corriger cette faiblesse de notre droit, dans le respect des principes démocratiques et des droits de l'homme -qui sont d'abord ceux des victimes.

Les faits démontrent qu'à l'issue de leur détention, certains condamnés restent très dangereux. Grâce au nouveau texte, ils resteront sous le contrôle de la justice tant qu'ils représenteront une menace pour la société.

La disposition principale, c'est le placement de la personne, à la fin de sa peine, si le risque de récidive est très élevé, dans un centre médico-judiciaire où il lui sera proposé de manière permanente une prise en charge médicale et sociale destinée à mettre fin à la rétention. Celle-ci n'est pas une peine, mais une mesure de sûreté dont l'objectif est la protection des citoyens.

L'extension du dispositif, proposée par l'Assemblée nationale aux victimes de plus de 15 ans, ne paraît pas justifiée ; le viol est un crime odieux, l'âge de la victime ne change rien à l'appréciation du risque de récidive. De même, la date de réalisation du fait criminel ne devrait pas empêcher l'application du nouveau dispositif : c'est le risque élevé de récidive qui doit entraîner la mise en rétention de sûreté. Celle-ci doit ainsi s'appliquer aux criminels actuellement en détention, ce qui n'est pas contraire au principe de non-rétroactivité de la loi pénale, puisque la rétention n'est pas une peine.

M. Bernard Frimat.  - Scandaleux !

M. Georges Othily.  - C'est pourquoi j'ai cosigné l'amendement 78 à l'article 12.

Je dis à ceux qui le contestent encore que le dispositif est en vigueur depuis quatre-vingt ans aux Pays-Bas, qu'il est appliqué en Allemagne, en Belgique ou au Canada. Faudrait-il permettre, en dépit du bon sens, la remise en liberté non ou mal surveillée d'un individu au potentiel criminel avéré ?

Il est essentiel aussi de mettre la victime au centre de notre appareil judiciaire, naturellement dans le respect des droits de la défense. Le deuxième grand objectif du texte est ainsi d'améliorer le traitement juridique de l'irresponsabilité pénale pour troubles mentaux par les juridictions répressives, afin de mieux répondre aux attentes des victimes, de permettre aux familles de faire leur deuil -le viol ayant été reconnu devant tous comme ayant eu lieu. Aujourd'hui, face à l'auteur d'une infraction reconnu pénalement irresponsable, le juge d'instruction rend une ordonnance de non-lieu, expression particulièrement offensante pour les victimes. Les familles veulent savoir par qui et comment le crime a été commis, elles veulent connaître les mesures prises à l'égard de son auteur. Que celui-ci soit ou non responsable pénalement, c'est pour les victimes le même traumatisme et les mêmes souffrances. Rendre justice aux victimes, c'est la première exigence de la justice. Comme le rappelle l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme, la sûreté est un droit imprescriptible.

Ce texte présente toutes les garanties au regard des droits des personnes.

M. Michel Dreyfus-Schmidt.  - Et la rétroactivité ?

M. Georges Othily.  - La majorité du groupe RDSE le votera.

présidence de M. Philippe Richert,vice-président

M. Pierre Fauchon.  - Traiter de la rétention de sûreté, c'est évidemment prendre le risque de pénétrer dans un monde inconnu que la science n'a pas encore bien éclairé mais qui effraie par la cruauté de ses manifestations. C'est le monde de la dangerosité criminologique, caractérisé par la distinction fondamentale opérée entre les actes délibérés qui engagent la responsabilité de leur auteur et ceux qui le sont moins ou ne le sont aucunement, à l'égard desquels il n'est plus question de responsabilité mais de déterminisme ou de fatalité et qui sortent pour cela du champ pénal. La juridiction pénale doit exercer en l'espèce une responsabilité particulière, qui est celle du partage entre les exigences de la sécurité et les droits de l'homme.

C'est à leur intersection que se situe la rétention de sûreté, qui n'est pas une peine, mais une mesure de protection à l'égard des autres, et aussi, on l'oublie trop souvent, à l'égard de soi-même. Notion nouvelle, elle n'échappe pas au risque d'être perçue comme un avatar de la peine d'emprisonnement, alors qu'il faudrait la rapprocher de la détention préventive ou, mieux, de l'hospitalisation d'office. L'assimilation à la peine, chers collègues socialistes, procède à mes yeux de la facilité et de la polémique.

M. Bernard Frimat.  - Vous y excellez !

M. Pierre Fauchon.  - Des voix particulièrement autorisées ont évoqué une peine après la peine, ce qui est abusif, voire caricatural au regard d'une réalité que nul ne conteste : il existe des individus qui ne peuvent s'empêcher de commettre des crimes dans lesquels ils trouvent leur accomplissement. Je conseille à qui veut bien m'entendre la lecture d'une nouvelle écrite par Evelyn Waugh il y a plus d'un demi-siècle intitulée La petite sortie de M. Loveday ; on y voit un étrangleur de femmes qui, après des années de détention exemplaires, bénéficie d'une permission de sortie, revient après deux heures et s'en déclare parfaitement satisfait. Il a répété sur la première femme rencontrée le crime commis trente-cinq ans plus tôt. Qui peut nier qu'il faut mettre de tels individus hors d'état de nuire ?

Il faut dès lors accepter de passer du couple faute-punition à celui de dangerosité-prévention. Si l'exécution de la peine purge les conséquences du crime, il importe de prévenir les conséquences de la dangerosité dans une démarche de caractère sanitaire et non morale ou moralisatrice : soigner pour empêcher, non pour punir. Le devoir de la société est de refuser la fatalité du crime ; c'est ce qui justifie la rétention, dans l'intérêt des victimes potentielles comme de l'individu concerné lui-même, en lui évitant une récidive qui le conduirait à nouveau en détention, dans des conditions bien plus éprouvantes qu'en rétention.

Je souscris à l'essentiel des dispositions du texte. Encore faut-il que le régime de la rétention n'apparaisse pas, mise à part la privation de liberté, ce qui n'est pas rien, comme une détention qui ne dit pas son nom. Quelle idée le Gouvernement s'en fait-il ? Quelles seront les conditions d'habitat -des chambres et non des cellules ? D'hygiène ? De vie quotidienne -qui doit être aussi libre que possible ? Quelles possibilités de loisirs ? Les réponses à ces questions apaiseraient bien des inquiétudes.

Une autre question appelle de nécessaires précisions, notamment pour répondre aux accusations de rétroactivité : la référence, comme condition préalable, à une condamnation originelle d'une particulière gravité. Je comprends que l'expertise de dangerosité, qui peut provoquer la décision de rétention, soit limitée aux individus ayant fait l'objet d'une telle condamnation, ayant purgé leur peine et dont la prochaine mise en liberté oblige à poser la question de leur dangerosité. Mais il s'agit là d'une condition préalable, non du fondement de la mise en rétention.

Il s'en suit que ce fondement, qui réside dans l'état mental de la personne concernée au moment de l'expertise médicale, est nécessairement postérieur à la loi : dès lors il n'est pas question de rétroactivité.

M. Michel Dreyfus-Schmidt.  - Pas du tout !

M. Pierre Fauchon.  - Encore ne faut-il pas donner à penser que le constat de la situation actuelle ne fait que révéler une situation d'origine qui n'a pas évolué. C'est l'interprétation qu'accréditerait une rédaction qui exigerait non seulement une condamnation originelle mais aussi le constat dès l'origine de l'état de dangerosité et la prévision, voire la prescription d'une expertise à la fin de la peine. C'est bien l'état de santé à cette dernière date, et non celui constaté quinze ou vingt ans plus tôt qui provoque la rétention.

On peut dès lors s'interroger sur l'opportunité d'ajouter cette exigence de prévision ou de prescription initiale. Il faudrait, dit-on, une décision de caractère juridictionnel pour éviter la censure de la Cour européenne des droits de l'homme. Mais la rétention n'est pas une peine et la Cour de Strasbourg ne s'est pas prononcée dans une matière aussi nouvelle pour elle que pour nous. Le rapporteur propose d'ailleurs que la décision de la commission régionale ait ce caractère juridictionnel. La référence à une prévision, et plus encore à une prescription originelle paraît superflue et pour tout dire, saugrenue.

Je proposerai donc de la supprimer, ce qui éliminera tout souci de rétroactivité.

Enfin, une critique éventuelle de la Cour de Strasbourg, qui n'interviendra pas avant bien des années et qui pourra toujours donner lieu à une modification de la loi, serait moins fâcheuse qu'une censure prochaine du Conseil constitutionnel pour cause de rétroactivité. Si l'on veut bien réduire à l'essentiel l'article premier, l'article 12, qui s'efforce laborieusement d'éviter la rétroactivité, n'aura plus de raison d'être et l'ensemble du texte se trouverait ainsi allégé de compléments inutiles qui ne font que l'obscurcir.

Tel est donc mon état d'esprit, assuré que je suis de la nécessité de ce texte mais soucieux d'une rédaction aussi simple, aussi claire et aussi directe que possible. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Robert Badinter.  - Je tiens tout d'abord à exprimer à notre rapporteur à la fois mes remerciements, qui sont partagés par tous les membres de la commission des lois, et mes félicitations. En d'autres temps difficiles, j'aurais demandé la publication de ce rapport par acclamation, en faisant simplement une restriction sur les conclusions finales. Vous avez bien fait, monsieur le rapporteur, de recentrer le problème de la création de la rétention de sûreté.

Certes, il aurait mieux valu commencer par débattre de la loi pénitentiaire pour ensuite mieux s'interroger sur le cas particulier des criminels particulièrement dangereux.

Je centrerai mes propos sur la création de la rétention de sûreté. Un constat, tout d'abord, qui ne se veut en rien polémique. On ne peut pas dire que son annonce ait provoqué, de la part de celles et de ceux qui seront amenés à la mettre en oeuvre, un quelconque enthousiasme. C'est même tout le contraire : j'ai été frappé de constater que, de tous côtés, qu'il s'agisse des associations de magistrats, d'avocats ou de psychiatres, l'inquiétude et parfois la protestation étaient de mise. Les organisations de défense des droits de l'homme, notamment la Commission nationale consultative des droits de l'homme, ont fait des mises en garde et exprimé leurs plus fermes réserves.

Nous aurions mieux fait de commencer par la loi pénitentiaire, que nous attendons avec impatience, si nous avions été dans une démocratie tranquille et non agitée. Un crime odieux, l'affaire Evrard, a mobilisé, à juste titre, l'opinion publique. Il s'agissait d'un pédophile condamné à vingt-cinq ans d'emprisonnement et qui, après avoir passé dix-sept ans derrière les barreaux, avait récidivé. Combien de fois avait-on connu depuis trente ans des affaires identiques ? Les chroniqueurs que j'ai interrogés m'ont répondu : aucune. Cette affaire est donc unique. Le devoir du Parlement était de se saisir de cette question, non pas pour se substituer à la justice, mais pour tenter, comme dans l'affaire Outreau, de comprendre ce qui avait bien pu se passer, en interrogeant tous ceux qui s'étaient occupés de ce criminel. Il fallait savoir pourquoi sa dangerosité n'avait pas été détectée, pourquoi il voyait un psychiatre tous les quinze mois, pourquoi certains médicaments étaient prescrits. Bref, il aurait fallu, d'un cas unique, tirer les enseignements publiquement. Une commission parlementaire dont les débats sont retransmis à l'immense avantage de permettre au public de savoir et au législateur de prévoir. C'est pourquoi je parle d'une démarche démocratique apaisée.

Vous avez préféré rédiger un avant-projet de loi qui a suscité bien des réserves. Sa première version, remise au Conseil d'État, méconnaissait la Convention européenne des droits de l'homme et violait le principe de non rétroactivité de la loi pénale. Le Gouvernement a donc modifié son texte pour répondre aux exigences de la Convention, en s'inspirant de l'exemple allemand. S'agissant de la rétroactivité, les choses sont, pour moi, d'une extrême clarté : il est absolument impossible d'annoncer à un individu en cours d'exécution de peine, condamné à une époque où la rétention de sûreté n'existait pas, qu'après avoir purgé sa peine, il sera placé, peut-être à perpétuité, dans un établissement fermé gardé par des personnels pénitentiaires. Une telle peine aggraverait considérablement sa situation personnelle. Appliquer une telle disposition aux individus déjà condamnés, c'est porter atteinte au principe fondamental de non rétroactivité. Les amateurs d'histoire savent que Mirabeau, au moment de la rédaction de la Déclaration des droits de l'homme, disait : « Là où la loi pénale est rétroactive, la liberté ne peut être, son ombre même ne subsiste pas ». Ce sera au Conseil constitutionnel de se prononcer mais la rétention de sûreté, telle que vous nous la proposez, altère les principes fondamentaux de notre justice.

Depuis la grande révolution, seule la justice a le pouvoir d'emprisonner un homme à raison d'une infraction commise ou éventuellement, à titre exceptionnel, à raison d'une infraction dont il est fortement soupçonné d'être l'auteur. Même la relégation de jadis, supprimée en 1970, était une peine complémentaire prononcée par la cour d'assises contre l'auteur d'un crime. Pas de prison, pas de détention sans infraction : tel est le fondement de notre justice criminelle depuis deux siècles. Pourquoi est-il essentiel ? Parce que depuis les Lumières et la Révolution, nous considérons que l'être humain est doué de raison. S'il viole la loi, expression de la volonté générale, c'est précisément parce qu'il est doué de raison et il doit répondre de ses actes devant les juges. La justice dans une démocratie repose sur une certaine idée de la liberté humaine et de son corollaire : la responsabilité de celui qui viole la loi.

Or, au-delà des mots, nous franchissons, avec la rétention de sûreté, la ligne qui sépare la justice de liberté fondée sur la responsabilité de l'auteur d'une infraction, d'une justice de sûreté fondée sur la dangerosité appréciée par des experts psychiatriques d'un auteur virtuel d'infractions éventuelles. Il s'agit bien d'un changement profond de notre justice et je ne crois pas que ce soit un progrès.

Que propose-t-on ? Placer en rétention, pour une période d'un an reconductible indéfiniment, des êtres humains, non pour ce qu'ils auront fait mais pour ce qu'ils sont présumés être : des individus dangereux. On quitte le domaine assuré des faits, des règles de preuve, pour nous aventurer dans une voie qu'ont empruntée d'autres sociétés -nous savons lesquelles. Rien de tel aujourd'hui mais il n'est pas inutile de le rappeler. Ces individus ne seront plus emprisonnés comme des condamnés après un procès public, mais retenus comme des criminels virtuels, par décision d'instances composées de magistrats qui se prononceront à partir d'expertises -avec tous les aléas que cela comporte- et rendront un verdict de dangerosité criminologique. Je plains ces magistrats : si, par malheur, il y a récidive -en matière de viol, le taux de récidive est de 1 %- l'opinion publique tiendra pour responsable le magistrat qui aura refusé la rétention. Invoquera-t-il l'expertise psychiatrique ? Quand la justice de sûreté remplace la justice de liberté, elle devient une justice psychiatrique.

C'est une voie dans laquelle je ne pourrai m'engager. La rétention de sûreté ne peut que méconnaître les principes d'une justice de liberté. Au nom du principe de précaution criminelle, on maintiendra en détention « thérapeutique » des êtres humains auxquels aucune infraction n'est imputée, par crainte qu'ils n'en commettent une !

Depuis la Révolution, on enseigne que mieux vaut un coupable en liberté qu'un innocent en prison (Murmures sur les bancs de l'UMP) ; je l'ai enseigné moi-même. Les temps vont changer.

M. Pierre Fauchon et M. Alain Gournac.  - Parlez des victimes !

M. Robert Badinter.  - Pour prévenir un crime virtuel, la nouvelle justice de sûreté va détenir des hommes qui n'auront rien fait, au nom de leur dangerosité présumée. Si, sur trente retenus, vingt-neuf ne correspondent pas au diagnostic, pourquoi les retenir pendant des années au nom d'une décision de justice ?

L'homme dangereux va remplacer l'homme coupable devant notre justice. Que devient, dans ce système nouveau, le principe premier de toute justice, celui de la présomption d'innocence ? (Applaudissements à gauche)

M. Alain Gournac.  - Pas un mot pour les victimes !

Mme Bernadette Dupont.  - (Applaudissements sur les bancs UMP) Il est difficile de succéder à un orateur comme Me Badinter...

La remise en liberté de la personne ayant commis un crime sur un mineur -meurtre ou assassinat, torture ou acte de barbarie, viol, enlèvement ou séquestration- après une détention égale ou supérieure à quinze ans, appelle des précautions extrêmes. Des drames récents ont été sans conteste l'oeuvre de récidivistes. Ce projet de loi prévoit, en fin d'exécution de la peine, une rétention de sûreté pour toute personne qui présenterait des troubles graves de la personnalité, des troubles mentaux et une dangerosité entraînant une probabilité de récidive. Cette mesure s'appliquerait également à des personnes ayant commis des actes criminels sur des majeurs.

Ne pas laisser en liberté des individus dangereux est une évidence et une nécessité. Toutefois, quel aura été l'effet d'une longue incarcération ? La prison a-t-elle offert au détenu les moyens d'une réflexion sur lui-même, des soins appropriés ? Était-ce la solution adaptée ? Chacun connaît la faiblesse de notre système pénitentiaire en matière de soins, qui n'est pas imputable à la seule surpopulation. Malgré les efforts des équipes d'encadrement, le manque de moyens est flagrant : on manque de médecins, les délais d'attente pour une consultation psychiatrique sont interminables. Les conditions de travail des médecins, leur rémunération sont-elles suffisamment incitatives ?

Les détenus concernés ont besoin dès leur incarcération d'une évaluation, d'une prise en charge humaine, sanitaire et sociale adaptée, d'un suivi régulier. Il faut traiter en amont avant de prévoir l'aval. Plusieurs mesures ont été annoncées : sept cents places vont être crées dans dix-sept unités hospitalières spécialement aménagées à partir de 2009, et le nombre de médecins coordinateurs va être porté à cinq cents dès cette année.

Tous les intervenants, professionnels ou bénévoles, doivent être entendus dans ce débat essentiel, qui touche au respect des droits de l'homme. Nous ne pouvons prendre le risque de l'arbitraire.

Le Sénat fait des propositions. Que sa sagesse soit entendue, notamment sur la question de l'évaluation ou sur la substitution de la notion de juridiction à celle de simple commission pluridisciplinaire. Je salue au passage le travail de la commission et de son rapporteur.

Tout condamné doit bénéficier d'un suivi. Sortir libre, sans avenir, sans ami, sans famille, est facteur de récidive.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Très juste !

Mme Bernadette Dupont.  - Le travail de réinsertion doit démarrer au plus tôt. J'ai noté, en visitant une prison, le taux d'illettrisme des détenues. La scolarisation est indispensable pour la réinsertion.

Principe de précaution, mesure de sûreté, nouvelle peine, privation de liberté : le terme doit être clair, et le verdict prononcé dans l'intérêt général, le respect des libertés essentielles et la protection de la société. Mais je fais le voeu que ce projet de loi n'ait à s'appliquer que dans des cas extrêmes. (Applaudissements à droite et au centre)

Mme Alima Boumediene-Thiery.  - Je pensais que législateur devait se tenir à l'écart de la politique-spectacle, que la loi avait pour vocation de répondre à des enjeux sociétaux, sans surfer sur l'émotion véhiculée par les médias. Naïvement, je pensais que la politique ne devait pas relayer les coups de force médiatiques ou l'instrumentalisation des faits divers. Manifestement, ce temps est révolu. Ministre de l'intérieur, M. Sarkozy s'employait déjà à créer des peurs afin de se présenter comme seul garant de la sécurité...

Je suis choquée de vous entendre citer ici des prénoms de victimes pour justifier votre projet, même si je comprends la souffrance des familles. On ne légifère pas dans l'émotion, la colère ou la souffrance. La justice n'est pas la vengeance ! Aujourd'hui, à chaque fait divers son projet de loi. Permettez-moi de vous rappeler qu'une loi est au service de l'intérêt général et non de l'intérêt individuel.

Pourquoi une telle urgence à faire voter ce projet de loi scandaleux, qui ne sera applicable que dans quinze ans, sauf à violer le principe de non rétroactivité ? Cette précipitation est préjudiciable à la qualité de la loi. A ce rythme, nous ne serons bientôt plus qu'une simple chambre d'enregistrement !

Un seul article de ce projet de loi remet en cause tous les principes fondamentaux de notre droit pénal. Encore un texte qui prône la répression au détriment de la prévention. Encore une tentative déplorable de surfer sur l'émotion des Français pour instaurer une politique de l'enfermement. Encore un affichage médiatico--égislatif.

Ce projet de loi ouvre une brèche qui deviendra une plaie béante dans notre politique pénale, jusqu'ici régie par les principes des Lumières. Après le bagne, vous nous proposez tout bonnement la mise à mort sociale des personnes dangereuses : après la prison, la rétention. Autant dire, la peine après la peine.

Notre droit pénal dispose très clairement que toute peine doit être nécessaire et proportionnelle au fait reproché et que seul un jugement équitable peut en décider. La juridiction que vous créez de toute pièce privera des individus de leur liberté non en raison d'un acte répréhensible mais en raison de leur état, de leur « dangerosité ». Parle-t-on de la dangerosité psychiatrique ou de la dangerosité criminologique ? Vous les confondez...

La rétention de sûreté est une peine puisqu'il y a privation de liberté. Elle intervient à l'expiration de la peine du condamné, sans en être une modalité d'exécution puisqu'elle ne s'intègre pas dans le quantum de la peine. Le condamné aura payé sa dette envers la société, il n'aura pas commis de nouveau crime mais il sera privé de liberté. On pourrait concevoir une rétention de sûreté qui se substituerait en partie à la peine : c'est sur ce fondement que le Conseil constitutionnel a considéré que la surveillance de sûreté était conforme à la Constitution. Or, ici, la rétention de sûreté s'ajoute à la peine, elle ne se fonde ni sur un jugement initial, ni sur un jugement intervenant à l'issue de la peine : elle est anticonstitutionnelle. Vous érigez un véritable couloir de la mort, où l'individu sera enfermé à vie en raison de sa « dangerosité » et de la probabilité qu'il commette un crime. C'est contraire aux principes les plus fondamentaux de notre droit pénal.

L'article 5 de la Convention européenne des droits de l'homme dispose que nul ne peut être privé de liberté, sauf dans des cas énumérés -où ne figure pas la « dangerosité ». Seule une condamnation judiciaire peut entraîner une privation de liberté. Or, la rétention de sûreté n'est pas dans la condamnation initiale puisque l'individu a déjà purgé sa peine pour le crime qu'il a commis. Pour contourner la difficulté, ce texte prévoit que la mesure de sûreté est possible lorsque « la juridiction a expressément prévu dans sa décision le réexamen de la situation de la personne ». Le réexamen de la situation de la personne concerne généralement les aménagements de peine ou la liberté conditionnelle, il est toujours profitable au condamné et n'a jamais pour effet d'aggraver la peine ni d'en augmenter le quantum ou la durée.

Le Conseil constitutionnel nous rappelle qu'une mesure de sûreté est, dans tous les cas, « prononcée pendant une durée qui ne peut excéder celle correspondant au crédit de réduction de peine ou aux réductions de peines supplémentaires dont le détenu a bénéficié et qui n'ont pas fait l'objet d'une décision de retrait. » S'agissant en l'occurrence d'une personne condamnée à quinze ans de prison minimum, le réexamen a pour objectif soit la libération conditionnelle soit l'aménagement de la peine du détenu. Jamais il ne peut en prolonger les effets au-delà de la peine prononcée ! Ce texte, à l'inverse, recourt au réexamen pour prolonger la peine après la prison, de façon arbitraire, indigne et contraire au droit à la liberté et à la sûreté. Dans un arrêt de 2002, la Cour européenne des droits de l'homme a jugé contraire à l'article 5 de la Convention européenne une mesure de privation de liberté fondée sur la dangerosité d'un individu qui a déjà purgé sa peine de prison.

La rétention de sûreté est également contraire au principe de la présomption d'innocence. En purgeant sa peine, le condamné a fait amende honorable et acquitté sa dette à l'égard de la société, mais on le prive de liberté sans qu'il ait commis de crime, comme s'il ne pouvait plus être innocent.

On ne saurait punir un futur délinquant : celui qui a purgé sa peine de prison est un homme libre. L'enfermer sans avoir établi qu'il a commis un crime, ou en tentant de rattacher sa privation de liberté à un crime commis il y a quinze ans, est contraire à l'article 9 de la Déclaration de 1789 en vertu duquel « tout homme est présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable ».

Enfin, cette mesure est également contraire au principe non bis in idem, en vertu duquel nul ne peut être puni deux fois pour les mêmes faits. La Convention européenne des droits de l'homme n'autorise pas la réouverture d'un procès, sauf faits nouveaux ou découverte d'un vice fondamental de la procédure précédente. Hormis ce cas, l'autorité de la chose jugée ne peut être contestée par une mesure complémentaire, ni par un nouveau jugement. Le réexamen de la situation d'une personne condamnée ne vaut pas réouverture de son procès et il ne saurait primer sur l'autorité de la chose jugée, notamment en ce qui concerne le quantum de la peine prononcée. La commission que vous allez instituer agirait au-delà du jugement initial : elle jugerait une seconde fois !

La juridiction hybride que vous souhaitez mettre en place n'est pas une juridiction de jugement, ni une autorité administrative mais une justice d'exception, contraire à tous les principes de notre droit pénal, une justice qui ne se prononce plus sur les faits, mais sur des hypothèses et des virtualités, une justice inique et indigne de notre République ! Vous psychiatrisez la criminalité tout en criminalisant la psychiatrie. Avez-vous même songé au refus du personnel psychiatrique d'exercer en milieu pénitentiaire ? Aux conditions déplorables de détention et à la surpopulation carcérale, comme au manque de moyens de l'administration pénitentiaire ? La loi pénitentiaire n'était-elle pas prioritaire ? Mais vous ne songez qu'à l'enfermement pour toute réponse à la récidive...

Ce texte instaure une relégation, une mort sociale, lente mais certaine pour les individus les plus dangereux. Nous voterons contre, même si nous soutenons M. Lecerf dans son effort pour le rendre acceptable moralement et juridiquement au regard de la Constitution ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Jean-Pierre Sueur.  - Quand des règles fondamentales de notre droit sont remises en cause, celles mêmes qui fondent notre droit depuis 1789, on ne peut retenir son besoin de s'exprimer, de s'alarmer. Votre texte, madame le garde des sceaux, ne vise rien moins qu'à enfermer des êtres humains non pour les punir d'un crime mais sur la base d'une éventualité, d'une possibilité, d'une virtualité, d'un hypothétique acte, d'un crime toujours imaginable. C'est contre notre droit, vous le savez bien, comme nous le savons tous ici !

La rétention de sûreté est une mesure dangereuse. On en vient à se demander pourquoi Michel Foucault a écrit tant de pages sur l'enfermement ! Dix jours étaient à peine passés depuis la promulgation de la dernière loi sur la récidive que le Président de la République, depuis le perron de l'Élysée, appelait à un nouveau train de mesures : est-ce une bonne façon de faire ?

Je citerai la tribune récente de Mme Guigou : « Les lois ont prévu le suivi psychiatrique des condamnés à une longue peine dès le début de leur incarcération. Francis Evrard a-t-il été soigné en prison alors qu'il y a passé trente-deux ans ? Non ! Le service médico-psychologique régional du centre de détention de Caen où il a été détenu a fermé en juillet 2005 ses douze lits par manque de psychiatres ! Pourquoi Francis Evrard n'a-t-il eu un rendez-vous avec le juge d'application des peines (JAP) que sept semaines après sa libération en juillet 2007 ? Parce qu'un JAP traite 750 dossiers ! Était-il soumis à la surveillance judiciaire qui aurait dû l'obliger à se présenter régulièrement au commissariat ? Non ! Francis Evrard avait-il un bracelet électronique mobile qui aurait permis de le suivre dans ses déplacements ? Non ! Cela aurait évité que la justice perde sa trace, qu'il se déplace dans sept départements différents et qu'il récidive une nouvelle fois. Enfin, il y a l'hospitalisation d'office dans un hôpital psychiatrique, le temps nécessaire, d'un condamné libéré mais jugé dangereux, mesure prise par le préfet sur avis médical. Francis Evrard, qui avait déjà récidivé, a-t-il été hospitalisé d'office ? Non ! Les lois existant depuis dix ans pour lutter contre la récidive des délinquants sexuels n'ont donc pas été appliquées par manque de volonté et de moyens. J'ai demandé un bilan avant tout nouveau texte. Refus ! »

Madame le garde des sceaux, il y a tant à faire pour appliquer la loi ! Nul besoin de recourir à des dispositifs qui portent atteinte aux fondements mêmes de la République ! Les aumôniers de prison s'inquiètent eux aussi de cette rétention de sûreté parce qu'elle sanctionne des coupables qui ont fini de payer leur dette et ils demandent plus de moyens pour le suivi des prisonniers.

Je ne saurais non plus taire ce climat général, que traduit un certain rapport de l'Inserm, ou encore cet entretien du candidat Sarkozy avec Michel Onfray, où celui qui allait devenir Président de la République confiait sa croyance en une prédisposition génétique pour le crime.

Madame le garde des sceaux, si un criminel récidivait après que la commission aurait décidé de ne pas lui appliquer de rétention de sûreté, cette commission serait-elle responsable ? Et en cas de récidive après un passage par la case « rétention de sûreté » ? Qu'en dira l'opinion ? Et le Président de la République ? Ira-t-on, alors, jusqu'à revenir à cette solution extrême que notre civilisation a repoussée depuis plus de vingt-cinq ans, grâce en partie à notre collègue M. Badinter ?

M. About dit bien que les « retenus » ne seront pas des détenus : mais que seront-ils alors ?

Nous pensons aux victimes nous aussi ! Elles méritent mieux que ce texte ! Elles attendent que dès le premier jour de détention, tout soit fait pour qu'en plus de surveiller et punir, la prison aide à guérir, à préparer l'avenir, à prévenir la récidive !

Il faut enfin, avec tout le soin nécessaire, assurer l'accompagnement de celui qui recouvre la liberté. C'est ce que les victimes attendent et méritent, c'est ce que notre société doit exiger. (Applaudissements à gauche)

La discussion générale est close.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux.  - Je remercie tout d'abord le rapporteur, M. Lecerf, d'avoir rappelé les enjeux complexes de ce texte et la nécessité de prendre en charge les délinquants les plus dangereux.

Je rejoins le président About sur la nécessité de s'entourer de toutes les garanties quant à la rétention de sûreté : ce texte les présente. Je le rejoins aussi sur la nécessité d'une prise en charge psychiatrique dans les prisons. Je m'y attelle, avec Mme Bachelot, et rappelle que les unités spécialisées regroupent plus de 970 personnels de santé, dont 288 psychiatres. Nous envisageons de mettre en place des groupes de paroles destinés à améliorer le suivi des malades. Des unités spécialisées aménagées vont être créées qui devraient compter, à l'horizon 2011, quelque 700 places. Mme Bachelot entend en outre mettre en place une unité mobile dans chaque SMPR. Le nombre des centres de ressources spécialisés dans la prise en charge des délinquants sexuels sera porté de sept à vingt-six dès cette année.

Il a insisté, comme Mme Bernadette Dupont, sur la nécessité de renforcer les personnels assurant le suivi des injonctions de soin. Je lui indique qu'un plan spécifique de formation a été mis en place et qu'un arrêté a été publié revalorisant l'indemnité des médecins coordonnateurs, lesquels sont passés à plus de 200 au lieu de 150, tandis que notre objectif est, avec Mme Bachelot, de les faire passer à 500 d'ici à la fin de l'année.

On ne peut forcer une personne à se soigner. La rétention de sûreté répond à cette difficulté. Vous avez cité l'exemple de Francis Evrard : n'oublions jamais qu'après avoir commencé des soins, il a catégoriquement refusé de les poursuivre, sans que l'administration pénitentiaire dispose d'aucun moyen de le contraindre. D'où la nécessité de ce texte.

Je remercie M. Portelli d'avoir clarifié les termes du débat : la rétention de sûreté n'est pas une peine mais une mesure de sûreté destinée à assurer la sécurité de nos concitoyens. J'ai entendu bien des commentaires qui se voulaient définitifs sur l'inconstitutionnalité de cette mesure. Faut-il rappeler à leurs auteurs qu'il reviendra, le cas échéant, au Conseil constitutionnel et à lui seul de trancher ? Je pense au reste, comme M. Portelli, que les attendus de la décision du juge constitutionnel allemand sur une loi dont nous nous sommes largement inspirés ne sont pas indifférents...

Je rappelle à Mmes Borvo Cohen-Seat et Boumediene-Thiery que de la commission Burgelin jusqu'au rapport de leurs collègues MM. Charles Gautier et Goujon, nombreux sont les travaux qui ont conclu à la nécessité d'une prise en charge des délinquants dangereux. Certains ont même, si je ne m'abuse, envisagé la création de centres fermés (protestations à gauche) ne présentant pas les mêmes garanties démocratiques que la rétention de sûreté (nouvelles protestations sur les mêmes bancs), laquelle, devant être évaluée tous les ans, est de fait limitée à un an. (Exclamations à gauche) Quant à la loi pénitentiaire, que l'on attend depuis l'époque de Mmes Guigou et Lebranchu, elle vous sera soumise avant la fin du premier semestre 2008. Quant à vos propos sur l'utilisation politicienne qui serait faite des faits divers, je les récuse. Les faits divers existent, la justice ne peut les ignorer. Pour prendre un exemple qui dépasse nos frontières, sans les attentats du 11 septembre...

M. Charles Gautier.  - Un fait divers ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux.  - ...le mandat d'arrêt européen, instrument dont nul ne contestera l'utilité, n'aurait pas vu le jour.

Je remercie M. Othily d'avoir rappelé que la rétention de sûreté est bien, comme son nom l'indique, une mesure de sûreté et M. Fauchon d'avoir insisté sur le fait que ce régime ne peut être assimilé au régime de la détention. Je le rassure, en même temps que Mme Boumediene-Thiery, sur la prise en charge dans les centres médico-sociaux à l'issue de la peine : un suivi individualisé y sera assuré en vue de la réinsertion. Il sera organisé autour d'activités quotidiennes -groupes de parole, thérapies, prise en charge médicamenteuse. (Marques d'ironie à gauche) Il ne s'agit pas de créer des lieux de relégation. Nous nous appuyons sur les exemples étrangers réussis, notamment le centre Pieter Baan aux Pays-Bas.

Je vous sais, monsieur Badinter, très attaché, comme je le suis, à la condition pénitentiaire. Je relève que vous considérez que ce texte est conforme à la Convention européenne des droits de l'homme.

Pas de prison, dites-vous, sans infraction. Mais les centres médico-sociaux ne sont pas des prisons. Ils doivent permettre à des individus dangereux atteints de troubles rares de recevoir des soins et de réintégrer la société. Pas de privation de liberté, dites-vous, sans infraction. Mais que faites-vous du placement d'office en hôpital psychiatrique des individus considérés comme dangereux pour eux-mêmes et pour autrui ? (Exclamations à gauche)

MM. Jean-Pierre Sueur et Charles Gauthier.  - Cela n'a rien à voir !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux.  - La rétention de sécurité répond à la même logique d'ordre public : il s'agit d'assurer la sécurité de la société et d'éviter de nouvelles victimes. Ce texte ne permettrait-il que d'empêcher un viol ou un acte barbare, que d'épargner une seule victime, il serait utile et nécessaire. (Applaudissements à droite et au centre)

Mme Dupont a appelé de ses voeux une grande loi pénitentiaire. Je la rejoins sur la nécessité de reconnaître le travail de tous les acteurs, et notamment l'apport incomparable des aumôniers. Je la rejoins aussi quand elle rappelle l'exigence qui est celle de la justice : associer fermeté et humanité. Car, madame Boumediene-Thiery, la fermeté est nécessaire. Nous jouons des faits divers, dites-vous ? Non, nous prenons nos responsabilités. Peut-on rester sans réaction face au viol d'un enfant ?

La rétention de sûreté, monsieur Sueur, n'est pas une peine après la peine. C'est une mesure de sûreté après la peine. Ne travestissez pas les intentions de ce texte. Personne n'a jamais dit que le crime a une origine génétique.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Hélas si !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux.  - Mais le fait est qu'il existe des criminels capables de crimes odieux, contre la dangerosité desquels nous devons tout faire. Et je vous rappelle que la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté consacre déjà la dangerosité de certains criminels au regard non de la psychiatrie mais de la criminologie. Ce texte est nécessaire parce qu'il doit leur permettre de se soigner pour mieux s'insérer. (Applaudissements à droite et au centre)

Exception d'irrecevabilité

M. le président.  - Motion n°51, présentée par M. Yung et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

En application de l'article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence (n° 158, 2007-2008).

M. Richard Yung.  - Ce texte apporte une mauvaise réponse à un problème grave, qui émeut l'opinion publique et auquel, bien qu'il ne concerne que quelques cas, personne ne peut rester indifférent, pas plus que personne n'a le monopole de l'affliction pour les victimes. Mais une bonne justice pénale doit se construire dans la réflexion, non dans l'émotion et la compassion.

Évaluation a minima, enfermement sec, manque de soins pendant la peine : votre texte n'apporte que de mauvaises réponses. Une autre politique est possible, qui ne peut se construire que sur le bilan des nombreuses mesures mises en place ces dernières années : suivi socio-judiciaire, fichier électronique, surveillance judiciaire, injonction de soins, traitement de la récidive, bracelet électronique. Avant de légiférer, penchons-nous sur les résultats de ces dispositifs. Au lieu de vous lancer dans des inventions nouvelles, donnez aux dispositifs qui existent les moyens de fonctionner.

Il y a plus grave : ce texte méconnaît les principes reconnus par notre bloc constitutionnel et les conventions internationales dont la France est partie.

Tout d'abord, les dispositions de l'article premier instaurant une rétention de sûreté sont contraires au principe de légalité des délits et des peines. Selon l'article 34 de la Constitution, « la loi fixe les règles concernant (...) la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables ». Madame le ministre, contrairement à vos affirmations, la rétention de sûreté constitue bien une peine. Il ne s'agit pas d'une restriction, mais d'une privation totale de liberté qui ne rentre pas dans le champ des mesures de sûreté. La suspension du permis de conduire, l'interdiction d'approcher la victime ou l'injonction médicale sont des mesures annexes à la peine principale. Par sa gravité, sa puissance et sa force, la rétention de sûreté que vous proposez est une peine.

Selon le nouvel article L. 706-53-13 du code de procédure pénale, c'est une juridiction de jugement qui devra prévoir, quinze ou vingt ans en amont, le réexamen de la situation de la personne à la fin de sa peine. Dans la pratique, ce sont la commission pluridisciplinaire, puis la commission régionale, qui ne sont pas des juridictions de jugement, qui apprécieront la dangerosité de la personne ou le risque de récidive. Cette sorte de justice déléguée oeuvrera à partir des recommandations des experts psychiatriques. Ce tour de passe-passe viole l'esprit du code de procédure pénale.

La rétention de sûreté revêt aussi le caractère d'une peine car l'exposé des motifs indique que, pendant la rétention, les personnes bénéficieront d'un régime similaire à celui des détenus. Ces personnes n'ayant pas commis d'infraction, le président About a déjà indiqué combien cette disposition est choquante. La rétention de sûreté pourra-t-elle faire faire l'objet d'une grâce ou d'une amnistie ? Si la réponse est négative, comment justifier que la peine qui aura conduit à cette rétention puisse en bénéficier ? La rétention de sécurité viole donc à plusieurs reprises le principe constitutionnel de légalité : c'est une dangereuse récidiviste !

Dans le système proposé, la privation de liberté résulte, non pas de la commission d'une infraction criminelle, mais d'une « particulière dangerosité caractérisée par la probabilité très élevée de commettre à nouveau » une infraction. Pour contourner une difficulté majeure, la définition des critères de cette rétention, vous avez assimilé la dangerosité au risque très élevé de récidive. L'enfermement ne découle donc plus d'un lien de causalité entre un fait et un préjudice, mais d'un simple pronostic. L'application arbitraire du concept de « dangerosité » portera atteinte à la présomption d'innocence. Voilà en quelque sorte restaurée la lettre de cachet, symbole honni de l'arbitraire de l'Ancien Régime.

Dans sa décision des 19 et 20 janvier 1980, le Conseil constitutionnel affirme que le législateur doit « définir les infractions en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l'arbitraire ». C'est un argument de plus pour dénoncer la violation du principe de légalité des peines.

Les dispositions instaurant une rétention de sûreté ne répondent pas non plus au principe de non-rétroactivité de la loi pénale. Le professeur Gilles Lebreton a indiqué, lors de son audition, que, selon la Cour européenne des droits de l'homme, le maintien en détention doit reposer sur des motifs de même nature que la condamnation initiale. Cela ne sera pas le cas puisque ce maintien dépendra, non des faits, mais de l'évaluation de la dangerosité de la personne et du risque de récidive. S'il est demandé pour manquement aux obligations de surveillance judiciaire, le principe de non-rétroactivité des peines sera contourné.

Certes, le Conseil constitutionnel admet que des mesures produisent des effets rétroactifs. Il l'a autorisé, dans sa décision des 19 et 20 janvier 1981, pour l'entrée en vigueur de sanctions pénales, mais plus douces. Dans sa décision du 8 décembre 2005, il a admis l'application immédiate d'une loi instituant des mesures de sûreté n'ayant pas la nature d'une peine. Cependant, la rétention de sûreté étant une peine, l'article 12 du projet de loi modifié par l'amendement gouvernemental viole le principe de non-rétroactivité énoncé à l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : « nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ».

Les dispositions relatives à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental méconnaissent également certains principes constitutionnels. Les articles 3 et 4 bafouent le principe de séparation des fonctions d'instruction et de jugement. Dans sa décision du 22 novembre 1978, le Conseil constitutionnel a interdit que celles-ci soient exercées pour la même affaire par les mêmes organes. Or les déclarations d'irresponsabilité pourraient être rendues par un juge d'instruction ou une chambre d'instruction, sans renvoi devant une juridiction de jugement. La juridiction d'instruction se prononcerait alors sur la qualification matérielle des faits, en violation du principe de séparation.

Les dispositions relatives à la déclaration d'irresponsabilité pénale ne répondent pas non plus aux exigences constitutionnelles garantissant le droit à un procès équitable. La procédure décrite à l'article 3 s'apparente à un procès public. Puisqu'une juridiction d'instruction, et non une juridiction de jugement, se prononcerait à la fois sur l'irresponsabilité pénale et l'imputabilité des faits, la présomption d'innocence du malade mental ne serait pas garantie. Ces dispositions méconnaissent l'article 66 de la Constitution et la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ainsi que l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui dispose que « tout accusé a le droit (...) de se défendre lui-même ». La nouvelle procédure prévoit que la comparution de l'accusé est autorisée à la discrétion du président de la chambre de l'instruction, qui peut la refuser. Dans certains cas, l'état de la personne ne lui permet pas de comparaître publiquement. Mais qu'en serait-il si celle-ci voulait se défendre et n'était pas convoquée ? Le caractère contradictoire de la procédure n'est donc pas assuré.

Le texte proposé à l'article 3 méconnaît en outre le principe de nécessité des peines posé par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Il est incohérent de punir de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende, en cas de non-respect d'une mesure de sûreté, une personne déclarée irresponsable pénalement. Et je ne développerai pas les problèmes liés à l'inscription au casier judiciaire des déclarations d'irresponsabilité pénale.

Même après les corrections demandées par le Conseil d'État, et le dépôt d'amendements eux-mêmes sous-amendés, plus d'une dizaine de causes d'inconstitutionnalité fragilisent ce texte. Celui-ci fait eau de toute part, sans aller jusqu'à dire qu'il amène au naufrage du droit pénal sur les récifs de la Constitution... Ces écueils, vous les connaissez, mais vous cherchez à attirer l'attention de l'opinion publique en laissant au Conseil constitutionnel la responsabilité de renvoyer votre mauvaise copie. Nous vous proposons donc d'adopter l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-René Lecerf, rapporteur.  - La commission est tout à fait défavorable à cette motion. Lors de nos travaux, nous nous sommes longuement interrogés sur quatre questions de constitutionnalité. Sur les deux premières, la réponse est claire et incontestable.

Nous nous sommes interrogés sur la nature de l'autorité qui pourrait prononcer la mesure et avons pris la précaution de transformer la commission de rétention de sûreté en juridiction.

Donc, nous prenons toutes les précautions vis-à-vis de l'article 66 de la Constitution, l'autorité judiciaire étant la gardienne des libertés.

Sur la proportionnalité de la mesure au regard du but recherché, le texte prend également toutes les précautions nécessaires. La rétention de sûreté n'est que le dernier recours, lorsque toute autre mesure -inscription au Fichier informatisé, injonction de soins, placement sous surveillance électronique mobile- s'est révélée insuffisante. En outre, le texte prévoit la révision annuelle de la situation des personnes en rétention de sûreté et leur permet de demander tous les trois mois à la commission régionale qu'il soit mis fin à cette mesure. La Constitution est donc là encore respectée.

Les deux autres points -la cause de la privation de liberté et l'application de la disposition dans le temps- posent problème, je le reconnais, et je ne serai pas aussi catégorique que la garde des sceaux ou M. Yung. Ce sera au Conseil constitutionnel lui-même de se prononcer. Nous en avons discuté en commission et en discuterons à nouveau en examinant les amendements. Même si le Conseil constitutionnel s'il est saisi, ce qui est probable, considère que la rétention de sûreté est assimilable à une peine, il n'est pour autant pas inutile d'en débattre ici. La commission des lois, pour sa part, avait envisagé d'autres solutions : par exemple renforcer la surveillance judiciaire par l'assignation à résidence pour les personnes condamnées à seulement quinze ans de réclusion criminelle. Il est utile de poursuivre cette discussion.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux.  - Je demande naturellement au Sénat de rejeter cette motion. J'ai déjà dit que la rétention de sûreté n'était pas une peine, mais une mesure de sûreté. Vous nous dites que, dès lors qu'il y a privation de liberté, il y a peine. Non ! La peine ou la sanction consiste dans le fait de punir un comportement coupable. La mesure de sûreté a pour vocation de prévenir la récidive.

La Cour constitutionnelle allemande l'a dit clairement dans sa décision de février 2004. « La détention à titre de mesure de sûreté n'a pas pour but, contrairement à la peine, de réprimer une faute commise mais de protéger l'ordre public contre l'auteur. Ce n'est pas la faute pénale mais la dangerosité dont l'auteur a fait preuve qui détermine le prononcé de la détention-sûreté ».

Je l'ai dit tout à l'heure : il existe des cas de privation de liberté qui ne sont pas des peines : l'hospitalisation d'office n'est pas une peine. Elle aussi peut être prolongée tant que la dangerosité persiste. La détention provisoire n'est pas une peine, car la présomption d'innocence s'applique jusqu'à la condamnation définitive.

La rétention de sûreté est une mesure nécessaire, proportionnée et strictement encadrée. Elle intervient à l'issue d'une procédure en plusieurs étapes qui garantit parfaitement les droits des personnes concernées. Elle concilie la liberté individuelle et le droit de nos concitoyens à être protégés par l'État. Le Conseil constitutionnel le rappelle dans chacune de ses décisions sur ces questions : il appartient au législateur d'assurer cette conciliation.

Nous parlons de criminels condamnés lourdement pour des actes d'une extrême gravité en lien avec un trouble aigu de la personnalité. De criminels qui n'ont pas encore surmonté ce trouble et dont le potentiel d'un passage à l'acte est par conséquent très élevé. Ces criminels recommenceront s'ils sont remis en liberté avant que ne soit traitée la cause de leur dangerosité. Il s'agit donc d'user à leur égard d'une rigueur strictement nécessaire pour leur éviter une nouvelle condamnation encore plus lourde et éviter d'exposer de nouvelles victimes à un très probable passage à l'acte.

La déclaration d'irresponsabilité respecte le procès équitable. La chambre de l'instruction ne statuera pas sur la responsabilité, mais sur l'existence de charges suffisantes. C'est radicalement différent.

Le texte prévoit clairement les droits de la défense de la personne qui comparaît. A chaque fois qu'elle sera en état de se défendre et qu'elle demandera à venir, sa présence sera obligatoire. Si elle n'est pas en état de se défendre, elle sera représentée par un avocat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Nous voterons sans aucune hésitation l'exception d'irrecevabilité défendue par nos collègues socialistes.

Je sais que nous sommes dans l'urgence et que vous voulez voir adopter votre loi, mais cela ne justifie pas qu'on joue allègrement sur les mots. Oui, la rétention de sûreté est une peine puisqu'elle consiste en une privation totale de liberté, pour une durée qui pourrait bien être indéterminée et, de surcroît, pour une infraction qui n'existe pas. C'est donc une sanction : il est d'ailleurs prévu que les personnes retenues disposeront des mêmes droits que les détenus. Même vous, monsieur le rapporteur, avez affirmé hier soir sur Public Sénat qu'enfermer quelqu'un, peut-être à vie, constituait a priori une sanction.

Décider l'application immédiate de la rétention de sûreté aux personnes condamnées avant l'entrée en vigueur de la loi viole le principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère. Et quand bien même la rétention de sûreté serait une mesure de sûreté, nous ne sommes pas dupes : le Gouvernement a sciemment interprété la décision du Conseil constitutionnel du 8 décembre 2005 dans un sens qui l'arrange. Si le Conseil a validé la rétroactivité en matière de surveillance judiciaire, ce fut pour des raisons bien précises et notamment parce que « la surveillance judiciaire est limitée à la durée des réductions de peine dont bénéficie le condamné ; qu'elle constitue ainsi une modalité d'exécution de la peine qui a été prononcée par la juridiction de jugement ». Le Gouvernement n'a retenu que le considérant suivant, qui précise, il est vrai, que la surveillance judiciaire « repose non sur la culpabilité du condamné, mais sur sa dangerosité ; elle a pour seul but de prévenir la récidive ; ainsi, la surveillance judiciaire ne constitue ni une peine ni une sanction ».Le Gouvernement écarte ainsi délibérément les motivations de fond du Conseil constitutionnel, pour qui cette surveillance judiciaire n'est qu'une modalité d'application de la peine. Or, la rétention de sûreté n'est pas une modalité d'application de la peine, puisqu'elle débutera au moment même où prendra fin la peine d'emprisonnement. Le législateur doit prendre ses responsabilités et alors dire que toute personne présentant certaines caractéristiques doit être enfermée par décision de l'autorité administrative.

Enfin, la rétention de sûreté applicable à des condamnés dangereux ne correspond à aucune exception à la liberté de la personne, admise par l'article 5 de la Convention européenne des droits de d'homme.

Vous avez cru bon, madame la garde des sceaux, de faire un parallèle avec le 11 septembre mais comparaison n'est pas raison. Vous avez cité le mandat d'arrêt international, moi je vous citerai Guantanamo et ses centres de détention et de torture externalisés partout dans le monde. Le 11 septembre ne justifie pas les traitements qu'on inflige à ceux qui sont détenus dans ces centres. Qu'on prenne des mesures contre le terrorisme, d'accord ! Qu'on prenne des mesures contre des actes odieux, d'accord ! Mais à faire de faux parallélismes, on en vient à justifier l'injustifiable.

La motion n'est pas adoptée.

Question préalable

M. le président.  - Motion n°83, présentée par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC.

En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence (n° 158, 2007-2008).

Mme Josiane Mathon-Poinat.  - Ce projet de loi traite, d'une part, des mesures envisagées pour prévenir la récidive de certains criminels condamnés pour des actes particulièrement graves, et qui ont purgé leur peine et, d'autre part, de la manière dont est constatée l'irresponsabilité, pour cause de trouble mental, des auteurs d'actes graves qui ne pourront faire l'objet d'une condamnation pénale.

Quel est le point commun de ces deux situations ? Le concept de dangerosité, sur lequel je m'attarderai quelques instants. Cette dangerosité conduirait à la récidive dans le premier cas, à la répétition d'un épisode malheureux de la maladie mentale dans le second.

Introduire un nouveau concept pénal est une décision grave. La notion doit être rigoureusement définie et correspondre à une réalité objective. Le projet de loi ne s'embarrasse pourtant pas de telles précautions, bien que ce nouveau concept ne soit qu'une « notion émotionnelle, dénuée de fondement scientifique », comme l'a observé la Commission nationale consultative des droits de l'homme.

En effet, notre système judiciaire se fonde sur des faits avérés, non sur une prédiction incertaine, alors que ce texte ferait reposer la décision du juge sur un diagnostic de dangerosité innée ou acquise, comme si certains étaient naturellement, génétiquement prédisposés à devenir pédophiles par exemple. Pour eux, nul besoin de justice : il suffit de les reléguer au ban de la société. Nous ne pouvons tolérer que l'on prive quelqu'un de liberté sur une base aussi incertaine.

La doctrine qui sous-tend le projet de loi veut que la peine serve aussi à empêcher les crimes « qui pourraient être commis à l'avenir » par des personnes dont on pense qu'elles « continueront de commettre des crimes abominables ». Or, de nombreux travaux montrent qu'un aléa considérable accompagne toute « prédiction du comportement futur ». Que l'évaluation soit faite par deux experts au lieu d'un seul n'apporte pas de garantie scientifique. La dangerosité n'est pas définitive ; elle ne peut être appréciée hors d'un contexte et d'une situation. On ne peut condamner par anticipation !

Pour rassurer le législateur, l'exposé des motifs mentionne plusieurs États, dont les Pays-Bas, qui « disposent déjà de dispositifs comparables ». Or, les principes en vigueur à l'étranger sont très différents. Ainsi, le placement intervient en substitution à la peine aux Pays-Bas, lorsque la personne en cause a été déclarée au moins partiellement irresponsable pénalement. Le dispositif belge est analogue, alors que vous voulez un placement après la fin de la peine, qui plus est sans limitation de durée. Il est vrai qu'une rétention de sûreté postérieure à la peine existe en Allemagne. Mais ce dispositif, issu de l'époque hitlérienne (exclamations au banc des commissions), intervient dans un système pénal bien moins répressif que le nôtre en matière de détention. D'ailleurs, la rétention ne peut y être prononcée qu'après de multiples infractions. En fait, l'article 208 du code pénal russe est le seul comparable au projet de loi français, un collège de magistrats validant l'avis d'une commission médicale pour mettre à l'écart toute personne présentant une dangerosité sociale, notamment politique.

Loin d'harmoniser notre droit avec la législation européenne, ce texte extrêmement répressif établit en filigrane un lien entre dangerosité et maladie mentale, puisqu'il assimile des malades à des délinquants potentiels. Or, la grande majorité des intéressés ne présente aucun danger. Intégrer dans le même projet mesures de sûreté pour les personnes les plus dangereuses et révision de la procédure pénale des irresponsables mentaux n'atténue pas cette confusion. La stigmatisation qui en résulte fait obstacle à l'intégration sociale des personnes atteintes de maladies mentales. Comme une loi de 1990 permet de retenir préventivement les malades mentaux dangereux pour eux-mêmes ou pour autrui, aucune catégorie juridico-administrative nouvelle n'est justifiée pour les condamnés à quinze ans de réclusion au moins.

Aucune équivalence certaine n'est scientifiquement établie entre état psychiatrique et dangerosité criminelle. Une commission pluridisciplinaire devra se prononcer, alors qu'un psychiatre n'a pas de compétence pour apprécier la dangerosité criminelle ou sociale.

Les exemples étrangers, néerlandais et allemand, auxquels se réfère le Gouvernement montrent que l'évaluation est déterminante. Aux Pays-Bas, elle se déroule sur plusieurs semaines, avec une observation pluridisciplinaire et quotidienne de la personne, placée dans des conditions aussi proches que possible de son mode de vie habituel. Cette expertise coûte 1 000 euros par jour et peut durer sept semaines. En Allemagne, l'expertise est effectuée par des spécialistes bénéficiant d'une formation continue. Or, contrairement à ce qui se passe dans ces pays, votre texte ne comporte aucune garantie en ce domaine, alors que la France manque cruellement de médecins formés à l'expertise et que ceux inscrits sur les listes des cours d'appel exercent sans évaluation de leurs compétences.

Dans leur rapport d'information de 2006, nos collègues Philippe Goujon et Charles Gautier préconisaient la création de centres d'expertise où la personne pourrait être observée pendant plusieurs jours. Votre projet ne s'embarrasse pas d'une telle garantie.

Aujourd'hui, un nouveau seuil est franchi puisque la présomption d'innocence est remplacée par la présomption de dangerosité. La suppression du lien entre infraction et sanction revient à substituer le fantasme au fait. Cette justice de sûreté contredit la notion même de responsabilité pénale.

Cette philosophie de l'enfermement est manifestement contraire à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui proscrit toute détention hors les cas prévus à son article 5. La logique d'enfermement est d'ailleurs clairement revendiquée par le texte, puisque « pendant cette rétention, la personne bénéficiera de droits similaires à ceux des détenus ».

En réalité, la culture du risque zéro, sous prétexte de combattre la récidive, appelle des législations toujours plus attentatoires aux libertés publiques. Quelles perspectives votre loi propose-t-elle aux condamnés ? Ils devront attendre l'issue de leur peine pour savoir si leur incarcération sera poursuivie, mais en ignorant pourquoi et pour combien de temps. Comment mener une politique de réinsertion dans ce cadre ? L'état désastreux des services psychiatriques des prisons limite le rôle des soignants à la distribution de médicaments, souvent de substitution, sans accompagnement des personnes malades. Ce texte aggravera le caractère pathogène des prisons françaises. Fondé sur une notion subjective, il laisse place à l'arbitraire le plus total, sans aucune utilité pour les personnes soignées. Une fois de plus, le Gouvernement choisit le « tout-répressif » et la relégation en faisant l'impasse sur la misère des hôpitaux psychiatriques et des prisons.

Comme lors des précédentes lois répressives, aucune place n'est accordée aux dispositifs d'insertion et de probation. Pourquoi ne pas entamer un suivi médico-social dès le début de l'incarcération ? Pourquoi ne pas placer l'intéressé dans un centre socio-médico-judiciaire dès le début de la peine ? Tant qu'on ne s'occupera du devenir des condamnés qu'à leur sortie de prison, la détention demeurera un temps mort. (Applaudissements sur les bancs CRC)

M. Jean-René Lecerf, rapporteur.  - Mme Mathon-Poinat estime qu'il n'y a pas lieu de débattre. Est-ce à dire que le problème ne se poserait pas ? Il n'est que trop manifeste, de même que le vide juridique.

Des directeurs de prison, des médecins et des psychiatres de l'administration pénitentiaire ont reconnu que certaines personnes incarcérées poseraient de sensibles problèmes de sécurité lors de leur remise en liberté. Mais je suis d'accord avec notre collègue pour déplorer le retard de notre pays dans l'évaluation de la dangerosité. Ce texte permettra de le combler, puisqu'il organise une réelle évaluation pluridisciplinaire. Je précise à ce propos que la commission pluridisciplinaire est un organe administratif. L'étude, effectuée notamment par des médecins, des psychiatres et des travailleurs sociaux au Centre national d'observation -aujourd'hui situé à Fresnes- prendra plusieurs semaines, six au moins grâce à un amendement de M. Badinter.

Vous objectez le coût de ces initiatives. Pourtant, le budget de la justice est celui qui a le plus progressé entre 2002 et 2007, avec une hausse de 38 %. Il enregistre également la plus forte hausse inscrite dans la dernière loi de finances. D'ailleurs, les centres pour mineurs pratiquent des prix de journée comparables. L'évaluation est nécessaire ! Aujourd'hui artisanale, elle doit devenir plus fiable, avec des statistiques et des références actuarielles. Il n'y aura jamais de certitude ni de risque zéro, mais nous obtiendrons une appréciation sérieuse de la dangerosité.

Ce projet de loi répond donc largement à vos préoccupations, ce qui justifie de repousser la question préalable.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux.  - Même avis.

La motion n'est pas adoptée.

Renvoi en commission

M. le président.  - Motion n°50, présentée par M. Collombat et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

 

En application de l'article 44, alinéa 5, du Règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale le projet de loi (n° 158, 2007-2008), adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.

M. Pierre-Yves Collombat.  - S'il faut continuer à délibérer, comme le souhaite M. le rapporteur, c'est avant tout parce cinq questions essentielles ont été jusqu'à présent contournées.

Première question : faut-il légiférer hors-sol ? Autrement dit, sans les moyens d'appliquer ce que nous votons ? La commission de suivi relève que les moyens d'application des lois précédentes manquent, faute de professionnels et le rapporteur admet que l'évaluation de la dangerosité est très insuffisante en France. La commission de suivi regrette encore qu'aucune évaluation des mesures de sûreté prises depuis la loi Perben II n'ait été conduite et note que la notion de dangerosité à la sortie de prison n'est pas encore bien définie par les praticiens. Le rapporteur relève que le Centre national d'observation de Fresnes, élément central du dispositif, ne dispose ni des méthodologies, ni des moyens propres à assumer sa mission. Selon le professeur Senon, seules trois ou quatre équipes seraient à même de traiter les délinquants sexuels souffrant de troubles de la personnalité ou du comportement. On est loin du dispositif québécois, son centre Pinel et son réseau de praticiens !

Deuxième question : comment articuler les mesures de sûreté existantes, l'alourdissement permanent des peines, la simplification des procédures et la nouvelle rétention de sûreté ? La loi pénale forme système, on ne peut y importer des dispositifs venus de pays étrangers qui punissent moins sévèrement que nous -la peine pour inceste est de quatre ans en Allemagne et de douze ans chez nous ! Selon M. Lameyre, « dès 1990, sur le vieux continent, notre pays est celui qui condamnait à la prison le plus fréquemment et le plus longuement les auteurs de viol ». Selon le Conseil de l'Europe, au 1er septembre 2005, la part des détenus condamnés pour une peine égale ou supérieure à dix ans, hors perpétuité, est plus élevée en France, avec 21,5 %, que dans la plupart des autres pays de l'Union européenne, particulièrement ceux qui pratiquent les mesures de sûreté : 1,6 % en Allemagne, 4,9 % aux Pays-Bas, 7,6 % en Angleterre.

Peut-on sérieusement continuer à empiler les dispositifs répressifs sans se poser la question de leur efficacité et de leur articulation ? La France peut-elle conjuguer les peines à durée déterminée les plus lourdes, les peines incompressibles les plus longues, la détention à perpétuité avec l'équivalent des peines à durée indéterminée des Anglo-saxons ?

Troisième question : la rétention de sûreté peut-elle trouver sa place dans notre code pénal ? En France, une condamnation pénale ne peut résulter que d'actes intentionnels ayant ou non créé un dommage, d'actes non intentionnels ou de l'omission d'obligations ayant crée un dommage, ou d'actes préparant la commission de délits comme l'association de malfaiteurs. La rétention de sûreté n'entre dans aucun de ces cas, elle est déterminée simplement par une probabilité de récidive, un état de la personnalité.

Les sanctions prononcées par les juridictions pénales sont des peines, principales et complémentaires, avec des modalités d'application. Le nouveau code pénal le dit, les jurisprudences du Conseil constitutionnel, de la Cour européenne des droits de l'homme et de la Cour de cassation le confirment. C'est pourquoi, la surveillance judiciaire après la libération du condamné n'a pu être étendue, malgré le souhait du Gouvernement, au-delà de la durée des réductions de peine dont il a pu bénéficier.

Tout se brouille avec la rétention de sûreté, étrange chimère qui tient à la fois de la peine, de la mesure de police et du soin médical. C'est une peine, en effet, car prononcée par un magistrat et ne s'appliquant qu'à des personnes lourdement condamnées. Pour être compatible avec notre ordre juridique, elle ne saurait donc être appliquée rétroactivement. Si la rétention de sûreté prononcée dans le cadre de l'exécution d'une peine est une peine, celle prononcée après son exécution n'en est pas une. « Dès lors qu'un condamné a effectué sa peine, il sort du champ judiciaire », nous a dit le procureur général Viout.

C'est aussi une mesure de police, qui trouve son origine, non dans une infraction, mais dans le risque qu'une personnalité fait courir à la société. Indéfiniment renouvelable, elle ne peut être une peine. Avec logique, le procureur général Viout en conclut que la décision relève de l'autorité administrative. Pour lui, qu'un juge pénal puisse prononcer des mesures restrictives de liberté indépendamment d'une reconnaissance de culpabilité pénale brouille les rôles. Il y voit une rupture avec l'état du droit en vigueur et un retour en arrière -retour en arrière encore plus considérable qu'il ne l'imagine, puisque sont ainsi passées par profits et pertes la Déclaration des droits de l'homme et la Convention européenne du même nom. Donner à une autorité administrative le pouvoir de priver de liberté à vie une personne exempte de maladie mentale et pénalement responsable, telle est la « rétro-novation » qu'est la rétention de sûreté.

Pour ajouter à la confusion, la rétention de sûreté est aussi un traitement, mal défini, certes, mais autre chose qu'un enfermement-sanction. Le problème, c'est qu'il n'existe pas vraiment de traitement des troubles de la personnalité ou du comportement ; là-dessus, le consensus des experts est total. Il n'existe pas plus de définition incontestable des troubles de la personnalité ou du comportement sexuellement déviant. Les traitements existants sont empiriques et leurs résultats aléatoires ; c'est particulièrement vrai des personnes visées par le texte, celles qui assument leur comportement et refusent d'en changer. Le professeur Senon constate « le désarroi du monde judiciaire comme sanitaire face aux problèmes posés par les personnalités pathologiques de type psychopathique (...) qui interpellent la justice par leurs récidives comme par leurs troubles graves du comportement, notamment dans les institutions pénitentiaires ». Comme le note le rapporteur, « les personnes atteintes de troubles graves de la personnalité ne sont pas, en l'état actuel des connaissances, susceptibles de soins ».

Même au Québec, le pragmatisme, pour ne pas dire le bricolage, est de mise. Les résultats du traitement des délinquants sexuels n'y sont guère probants, nuls pour les plus dangereux d'entre eux. L'Institut Pinel, au Québec, avance un taux de réitération des délinquants sexuels traités de 15 % -13,5 % en France. Selon le criminologue américain Hanson, rien ne prouve que les délinquants sexuels bénéficiant d'une prise en charge récidivent moins que les autres. Au Québec, seuls deux délinquants sexuels dangereux sur trente-huit ont été remis en liberté, et encore pour cause de vieillesse ; les traitements n'ont eu aucun effet.

Si elle est une peine, la rétention de sûreté n'a pas grand intérêt ; mesure de police, elle n'est pas compatible avec notre ordre juridique ; mesure de soin, son efficacité n'est pas démontrée. C'est dire, comme le note le rapporteur, son « caractère très novateur ».

Quatrième question : que veut dire « évaluer la dangerosité » ? Toute la fiabilité du dispositif dépend de la réponse à cette question. « Définir la dangerosité reste (...) une entreprise malaisée tant les approches de cette question sont multiples et parfois contradictoires » écrit le rapporteur. Définir, certes : que dire alors d'évaluer ? On ne sait rien des méthodologies -pourtant le diable se loge dans les détails. Ici, approche pluridisciplinaire veut dire bricolage avec les moyens du bord. « Nous sommes prudents et modestes », nous a dit le directeur du centre Pinel, conscient des limites de ses équipes.

La dangerosité n'est pas une grandeur physique, son évaluation résulte d'un calcul de risques. Le classement dans la catégorie « dangereux » est un arbitrage entre la probabilité de la récidive et l'horreur de ses conséquences ; au Québec, le taux varie de un à cinq selon les provinces. On n'a en outre aucune certitude qu'une personne classée dangereuse passera à l'acte, ni qu'une autre qui ne l'est pas ne récidivera pas.

Selon l'exposé des motifs du texte, la rétention de sûreté ne « pourra s'appliquer que de façon exceptionnelle, dans des cas d'une particulière gravité. Elle ne devrait concerner chaque année qu'une dizaine à une vingtaine de condamnés ». Le rapport évoque cinquante-huit cas. En Allemagne, l'équivalent de la rétention de sûreté touche trois cent cinquante personnes, soit, ramené à la population française, deux cent quatre vingt dix personnes. Passer de dix à soixante puis à trois cents, c'est prendre le risque considérable d'ôter à tort la liberté à quelqu'un, le risque de voir se multiplier des « Outreau » silencieux. Le directeur du centre Pinel, après nous avoir indiqué que 15 % des délinquants sexuels récidiveraient, nous a posé la vraie question : « faut-il aussi incarcérer les 85 % qui ne récidivent pas pour faire cesser toute récidive ? ».

Cinquième question : en n'acceptant plus le risque de la liberté, quelle société construisons-nous ?

Pas un totalitarisme au sens classique, même s'il a bien des affinités entre le désir profond de sécurité qui travaillent nos sociétés et celui-ci. L'origine de la législation allemande nous le rappelle. Mais c'est autre chose qui est en train de se jouer. Comme le disait Michel Foucault, le rapport d'un État à la population se fait essentiellement sous la forme de ce qu'on pourrait appeler « le pacte de sécurité » : « L'État qui garantit la sécurité est obligé d'intervenir dans tous les cas où la trame de la vie quotidienne est trouée par un événement singulier, exceptionnel. Du coup, la loi n'est plus adaptée ; du coup, il faut bien ces espèces d'interventions, dont le caractère exceptionnel, extralégal, ne devra pas apparaître comme signe de l'arbitraire mais au contraire d'une sollicitude. C'est cette modalité là du pouvoir qui se développe ». Toute la question politique est le prix à payer, en termes de liberté et de démocratie, d'autonomie personnelle, de sociabilité pour cette société de sécurité qui se construit sous nos yeux et que Mme la garde des sceaux nous vante. Totalitarisme mou d'un genre tout à fait nouveau où le peuple est à lui-même son propre tyran.

Toutes ces questions valent bien un retour en commission. (Applaudissements socialistes)

M. Jean-René Lecerf, rapporteur.  - S'il fallait prouver que le retour en commission est inutile, l'excellence et la pertinence des propos qui viennent d'être tenus le démontreraient amplement. M. Collombat a montré une grande maîtrise et une parfaite connaissance des problèmes dont nous débattons et j'ose espérer que la commission des lois a participé à cette information. J'ai d'ailleurs été très sensible aux propos aimables que les différents groupes ont tenus à mon égard.

Vous savez bien que la commission des lois ne s'est pas intéressée à la dernière minute à cette question. Il y a deux ans, nos collègues Goujon et Charles Gautier ont rédigé un important rapport qui, en grande partie, a contribué à forger mes convictions.

Nous avons procédé à de nombreuses auditions : une quarantaine de personnalités ont été entendues par la commission ou par le rapporteur qui, fréquemment, a été accompagné d'une dizaine de ses collègues. C'est dire tout l'intérêt que ces auditions suscitaient.

Des missions tout à fait passionnantes ont été menées en France et à l'étranger, notamment en Belgique où nous avons pu juger de la cohérence de leur système à l'égard du traitement des malades mentaux. Nous avons également été en Grande-Bretagne. Je serai un peu plus indulgent que vous pour le Québec : le traitement de la délinquance sexuelle donne des résultats intéressants et les deux délinquants sexuels qui ont recouvré la liberté étaient considérés comme des délinquants dangereux. Le plus souvent, ils ne sortent pas, sauf lorsqu'ils sont très âgés et qu'ils ne sont plus en mesure d'être dangereux.

Si nos opinions, qui ne recouvrent d'ailleurs pas les clivages politiques habituels, divergent parfois, cela ne signifie nullement que nous soyons mal informés. C'est pourquoi le retour en commission ne me semble pas justifié.

La motion n°50, repoussée par le Gouvernement, n'est pas adoptée.

La séance est suspendue à 18 h 50.

présidence de M. Roland du Luart, vice-président

La séance reprend à 21 h 35.