Journée de solidarité

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative à la journée de solidarité.

Discussion générale

Mme Valérie Létard, secrétaire d'État chargée de la solidarité.  - Le rapport d'évaluation d'Éric Besson, commandé par le Premier ministre, tire le bilan de la journée de solidarité instaurée en 2004 suite à la terrible canicule de l'été 2003. Cette proposition de loi, que le Gouvernement soutient pleinement, en est la traduction opérationnelle.

La journée de solidarité rapporte aujourd'hui 2,3 milliards à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA). Cette aide contribue au financement des prestations de compensation pour le grand âge et pour le handicap -449 millions pour l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) et 612 pour la prestation de compensation du handicap (PCH) en 2007. Depuis sa création, elle a également permis de créer l'équivalent de 14 000 places d'accueil à domicile ou en établissement pour les personnes âgées dépendantes et 7 700 places pour les personnes handicapées ; elle contribue aussi à l'important effort de médicalisation des maisons de retraite -73 000 places médicalisées en 200- car médicaliser, c'est aussi éviter la maltraitance.

La Cour des comptes a établi que chaque euro reçu a été alloué aux actions en faveur de l'autonomie. Les budgets existants n'ont pas été réduits, au contraire : la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 augmente les crédits consacrés aux personnes âgées et handicapées de 8,1 %.

Sans remettre en cause le principe de cette journée, nous pouvons toutefois en assouplir la mise en oeuvre, qui s'est révélée difficile. L'an dernier, 70 % des entreprises étaient ouvertes le lundi de Pentecôte, mais seuls 42 % des salariés travaillaient ce jour-là. La plupart des services publics étaient fermés, qu'il s'agisse de la Poste ou de l'Éducation nationale : 4,5 millions d'enfants ne pouvaient être accueillis pendant que leurs parents travaillaient. Enfin, les transporteurs routiers travaillant le lundi de Pentecôte ne pouvaient faire circuler leurs camions de plus de 7,5 tonnes.

Comment mettre en oeuvre un principe juste et solidaire sans désorganiser la vie des entreprises et des salariés ? En réaffirmant le caractère férié du lundi de Pentecôte tout en donnant une plus grande liberté aux salariés et aux entreprises, comme le fait ce texte.

Le Gouvernement est très attaché à la liberté de choix, notamment en matière de temps de travail. Avec cette « journée à la carte », les partenaires sociaux se réuniront dans chaque entreprise pour fixer ensemble la date de la journée de solidarité. À défaut d'accord collectif, la journée de solidarité sera soit une journée de RTT, soit un jour férié choisi par les partenaires sociaux, soit sept heures réparties sur plusieurs jours. Plus nous offrirons de souplesse aux entreprises, plus les partenaires sociaux trouveront les modalités pratiques pour faire respecter le principe de solidarité.

Ce projet de loi s'inscrit dans notre politique de solidarité afin de faire face au défi croissant du grand âge. Aujourd'hui, 1,3 million de Français sont âgés de plus de 85 ans ; en 2015 ils seront 2 millions ! Nous prenons les devants, notamment avec le plan Alzheimer qui représente 1,6 milliard d'euros. Pour anticiper ces évolutions démographiques et sanitaires, le Gouvernement a entamé une réflexion sur le « cinquième risque ». Nous voulons apporter des réponses à ceux qui ont besoin d'une aide à domicile ou d'une place en établissement, aux familles qui attendent, trop longtemps, une prise en charge.

La politique de solidarité ambitieuse du Gouvernement passe par des réformes rapides et concrètes. La proposition de M. Leonetti va dans ce sens : améliorer la prise en charge des personnes âgées et handicapées, en respectant à la fois la liberté de choix des partenaires sociaux et un principe de solidarité indispensable à la cohésion de notre société. (Applaudissements à droite et au centre)

M. André Lardeux, rapporteur de la commission des affaires sociales.  - Les événements tragiques de la canicule de 2003 ont conduit à supprimer un jour férié, le lundi de Pentecôte, afin de dégager des ressources supplémentaires destinées aux personnes âgées et handicapées.

La loi du 30 juin 2004 a institué la journée de solidarité, en majorant de sept heures la durée annuelle de travail.

Le symbole était important, mais la dimension fraternelle et solidaire a très rapidement disparu. Contrairement à l'Allemagne, où la suppression d'un jour férié, en 1994, n'avait pas posé de problème, la journée de solidarité a fait l'objet dans notre pays de nombreuses critiques très injustes et surtout témoigné d'une mauvaise volonté dans le monde du travail.

Nous répétons à l'envi que notre système de protection sociale est fondé sur le principe de solidarité, mais est-ce encore le cas quand tant de nos concitoyens renâclent à travailler sept heures de plus par an pour aider les plus fragiles de nos concitoyens ? L'an passé, la majorité des salariés n'a pas travaillé le lundi de Pentecôte...

Ce texte veut améliorer ce bilan peu flatteur, en assouplissant la loi du 30 juin 2004.

La journée de solidarité consistait à renoncer à l'un des onze jours reconnus fériés, par solidarité envers les personnes âgées et handicapées, tout en majorant légalement la durée du temps de travail, pour la première fois depuis plus de vingt ans.

Hélas, cette initiative s'est trouvée confrontée à la grande diversité des jours chômés accordés aux salariés français, ainsi qu'à de la mauvaise volonté : grèves dans les services publics, recours contentieux des syndicats, contournement de l'esprit de la loi par des entreprises, qui ont offert cette journée à leurs salariés sans contrepartie. Certaines entreprises ont tant fractionné cette journée de solidarité, que toute signification en a disparu. A ce jeu, la SNCF mérite une mention spéciale, vous en trouverez le détail dans le rapport.

Le bilan est en demi-teinte. La journée de solidarité a créé un mode de financement pérenne du système de protection sociale, qui rapporte chaque année 2,1 milliards, dont 1,85 milliard versés par les employeurs privés et publics, et 350 millions prélevés sur les revenus du capital ; le pouvoir d'achat des salariés a été préservé ; mais l'insertion de la journée de solidarité dans le droit social s'est avérée très difficile ; cette mesure n'est pas tout à fait neutre économiquement ; enfin, de trop grandes disparités de situations individuelles entre les assurés sociaux sapent la légitimité de la mesure. Dans le secteur privé, 70 % des entreprises sont ouvertes et 48 % des salariés travaillent le lundi de Pentecôte. La plupart des services publics, en revanche, sont fermés. 86 % des salariés se conforment à la loi, d'une façon ou d'une autre, durant l'année civile, mais selon des modalités très diverses.

Ce texte propose d'assouplir le dispositif, en donnant « carte blanche » aux entreprises pour aménager au mieux, durant l'année civile, ces sept heures de travail supplémentaires. Cette idée trouve son origine dans le rapport du secrétaire d'État chargé de la prospective et de l'évaluation des politiques publiques publié en décembre dernier. Trois hypothèses y étaient mises à l'étude : une application uniforme fixée au lundi de Pentecôte ; l'abandon de toute référence au lundi de Pentecôte et le renvoi à des négociations avec les partenaires sociaux ; des efforts particuliers pour améliorer l'accueil et la garde des enfants le lundi de Pentecôte, ainsi que pour régler le cas particulier du secteur des transports.

Cette proposition de loi, en accord avec le Gouvernement, retient la deuxième hypothèse. Nos collègues députés l'ont très justement étendue au secteur public, où la journée de solidarité est moins bien respectée.

Notre commission en accepte l'économie générale.

Trois questions majeures demeurent cependant. D'abord sur le rapport des Français au travail : nous travaillons en moyenne 15 % de moins que nos partenaires de l'OCDE, les sept heures annuelles supplémentaires représentent une augmentation très modeste : le simple maintien de notre protection sociale généreuse, dépend de la production de richesse, donc du travail. Le recours au dialogue social, ensuite, sachant que la quasi-totalité des syndicats est hostile au principe même de la journée de solidarité, certains la qualifiant même de « corvée ». Il n'est guère étonnant, dans ces conditions, que seulement dix-neuf accords de branche aient été signés avec les organisations syndicales depuis 2004. En pratique, les chefs d'entreprise seront donc conduits le plus souvent, comme aujourd'hui, à fixer eux-mêmes les modalités de cette journée de solidarité, bien après le prochain lundi de Pentecôte. Enfin, si la durée de travail n'augmente pas de sept heures, la journée de solidarité ne crée-t-elle pas un prélèvement obligatoire, loin de la neutralité économique pourtant affichée ? La liberté accordée aux entreprises pour organiser cette journée ne doit pas faire perdre le ressort solidaire : un trop grand fractionnement de ces sept heures de travail sur l'ensemble de l'année, ferait perdre la conscience du geste fraternel qui avait inspiré la loi.

En définitive, mes chers collègues, notre commission vous demande d'adopter cette proposition de loi dans une version très proche de celle votée par nos collègues députés. Il restera à aborder au fond le problème de la dépendance, avec le projet de loi en préparation concernant le cinquième risque. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Yves Détraigne.  - Le bon sens l'emporte, enfin ! Il aura donc fallu quatre ans de mise en oeuvre chaotique (M. Domeizel le confirme) et trois rapports publics, pour que le Gouvernement reconnaisse ce que les Français ont tout de suite constaté : l'application de la journée de solidarité a été un modèle de désordre public !

Je passerai sur l'obligation faite aux transporteurs routiers de travailler le lundi de Pentecôte sans avoir le droit de faire circuler les poids lourds, ou sur la SNCF, qui a fait sourire la France entière en décidant que ses salariés travailleraient une minute onze secondes de plus chaque jour : un enterrement de première classe !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales.  - On ne croit pas à la solidarité !

M. Yves Détraigne.  - Qui plus est, la société nationale offrait à son personnel un bonus de rémunération, en violation de la loi, ceci pour un service inchangé de jour férié, alors que la majorité des usagers était censée aller au travail...

L'État lui-même n'a pas été exemplaire : par circulaire du 8 décembre 2004, le ministre de l'éducation nationale fixait la journée de solidarité au lundi de Pentecôte, tout en autorisant les recteurs à décider d'un autre jour pour tenir compte des réalités locales...

La loi a été détournée de son objet et j'ai, à plusieurs reprises, signalé au Gouvernement que sa mise en oeuvre a créé des situations abracadabrantes et de profondes inégalités entre les différentes catégories de travailleurs.

Il eût été plus judicieux de maintenir la contribution sans imposer une journée de travail fictif, ou de réduire d'un jour les congés annuels. Je me réjouis donc de cette proposition de loi ; le groupe de l'Union centriste la votera.

La journée de solidarité est fondée sur une ambiguïté. On a expliqué qu'en travaillant une journée de plus, on augmentait la richesse produite, donc la capacité à financer la solidarité nationale. Si les entreprises, en produisant plus, augmentent leur chiffre d'affaires, bien des activités ne créent pas de richesses nouvelles. Ouvrir une journée de plus ses services, pour une collectivité territoriale, c'est supporter des charges de fonctionnement supplémentaires, sans recettes supplémentaires. Pour les enfants qui n'avaient pas école, alors que leurs parents travaillaient, les mairies ont dû organiser un accueil ! J'en suis d'accord, tous les Français -et non seulement ceux qui travaillent dans le secteur marchand- doivent participer à cette journée de solidarité. Mais l'État reproche aux collectivités locales de ne pas assez participer à la réduction des déficits publics et il leur inflige des charges nouvelles sans contrepartie !

Que rapporte effectivement cette journée en recettes supplémentaires ? Quels coûts supplémentaires engendre-t-elle ? Les estimations qui figurent dans le rapport sont théoriques ! Quand notre pays est en panne de croissance, quand les déficits publics sont si élevés et quand l'État est à la recherche de 7 milliards d'euros d'économies, est-ce en augmentant les charges et les contraintes économiques que vous dégagerez des moyens supplémentaires pour la solidarité nationale ? Comment se plaindre du poids des prélèvements et répondre à chaque nouveau problème par de nouvelles taxes ? Libérons plutôt la croissance, pour retrouver le cercle vertueux de la création de richesses supplémentaires et des recettes induites !

Les incohérences dans la mise en oeuvre de la loi de 2004 doivent nous faire réfléchir à ce choix de société. Le texte ne tranche pas. Mais le bon sens l'emporte. Nous voterons donc la proposition de loi, avec l'espoir que les employeurs l'utilisent intelligemment et ne recréent pas de « vraies fausses journées » de solidarité. (Applaudissements au centre et sur quelques bancs UMP)

M. Claude Domeizel.  - Enfin... Après deux ans de pagaille, vous vous décidez, dans l'urgence, avant la Pentecôte 2008, à revenir sur la loi du 30 juin 2004. Cette dernière, souvenez-vous, fut votée dans la précipitation, sous le coup de l'émotion des 15 000 morts de la canicule. Je ne vais pas bouder mon plaisir à vous rafraîchir la mémoire...

Lors du débat de 2004, je soulignais que vous aviez réussi à faire l'unanimité... contre vous : les organisations syndicales, les partis d'opposition et une grande partie de vos sympathisants, le conseil d'administration de la CNAVTS, l'UDF, les professionnels du tourisme, les évêques de France, l'opinion publique... Vous avez également ignoré l'avis du Conseil économique et social. Mais l'obstination conduit toujours à faire des bêtises que l'on est obligé de corriger ensuite. Le Conseil d'État avait réaffirmé le caractère férié du lundi de Pentecôte ; mais peu vous importait et la loi a imposé cette journée de solidarité à 70 % des entreprises, celles qui ne dépendaient pas des accords d'entreprises ou de branches.

Ce fut bien sûr la cacophonie : salariés obligés de travailler, mais services publics fermés, notamment les crèches et les écoles... La corrida de Nîmes eut lieu, malgré tout. Je vous disais en 2005 : « Quand une idée est mauvaise, il faut savoir le reconnaître. » Il vous aura fallu quatre ans pour admettre ce que des millions de personnes avaient compris tout de suite.

M. Nicolas About, président de la commission.  - Elles avaient surtout compris comment contourner le système.

M. Claude Domeizel.  - Désormais, la journée de solidarité devient un temps de travail supplémentaire de sept heures. Après tant de confusion, vous rendez au lundi de Pentecôte son caractère férié. Mais vous ne revenez pas sur le principe d'une journée de travail gratuit -l'atteinte aux fondements du droit du travail demeure. Vous ressuscitez la corvée, travail gratuit dû par le paysan à son seigneur.

M. André Lardeux, rapporteur.  - Ce n'est pas exactement cela...

M. Claude Domeizel.  - Vous attaquez par ce biais les 35 heures, vous modifiez la durée légale du travail en relevant le seuil de déclenchement des heures supplémentaires. Mais il y a plus grave : en jouant sur la culpabilisation, vous infligez aux seuls salariés un impôt déguisé.

M. André Lardeux, rapporteur.  - Ils sont les seuls à travailler 35 heures.

M. Claude Domeizel.  - Pourquoi cette solidarité ciblée ? Quid des revenus des capitaux, des stocks-options ? (M. Godefroy renchérit) Le nombre de personnes de plus de 85 ans va doubler d'ici 2015. Il est grand temps de proposer un texte à la hauteur des enjeux.

Tout le monde n'est pas tenu à la même solidarité. Quelle iniquité ! Les salariés sont déjà confrontés à la baisse notoire de leur pouvoir d'achat. Jusque dans vos rangs, madame la ministre, des députés affirment que « les réformes sont indispensables, mais doivent être justes » ! Eux-mêmes reconnaissent que le paquet fiscal de 15 milliards est injuste, que la défiscalisation des heures supplémentaires n'a rien réglé, pas plus que la déductibilité des intérêts d'emprunt. Ils réclament une meilleure répartition de l'effort fiscal, un plafonnement des niches fiscales. Ils déplorent l'effet du paquet fiscal sur les résultats des élections municipales et notent que dix millions d'électeurs ne sont pas allés voter par exaspération et lassitude. Vous avez réussi, par une politique arrogante et antisociale, à semer le trouble au sein de vos troupes !

« Les caisses sont vides » lâche avec désinvolture le Président de la République. Il n'y a qu'à supprimer le cadeau fiscal de la loi Tepa ! (M. Paul Blanc proteste) Nous sommes dubitatifs sur les 166 mesures annoncées : les plus modestes n'en feront-ils pas les frais ? J'ai en mémoire les franchises médicales...

Vous tentez, avec cette proposition, de rattraper une erreur grossière. Mais aucun débat en vue sur la dépendance, aucun bilan de l'APA, dont le nombre de bénéficiaires ne cesse de croître. L'État n'augmente pas son enveloppe, les départements assument donc non pas la moitié mais les trois quarts de la dépense totale. Les fonctions publiques, notamment locale et hospitalière, sont soumises à une contribution de 0,3 % de la masse salariale. Tout cela se traduit par un transfert de charges, donc une augmentation masquée de la fiscalité locale. Les salariés sont taxés deux fois !

Les sénateurs socialistes ne voteront pas cette proposition qui se borne à rectifier la forme d'une disposition injuste sans traiter au fond les problèmes, le manque de personnel soignant, le gel des crédits de santé, les tarifs des soins et les prix de journée... Prétendre financer la dépendance par un jour de travail non payé est une aussi grande tromperie que laisser croire que le plan Alzheimer pourra être financé par les franchises médicales.

Je vous citerai pour conclure un passage du débat sur la loi en 2004 : « Faire reposer l'essentiel de l'effort une nouvelle fois sur le travail est contestable, dans le contexte actuel de concurrence économique internationale exacerbée que nous connaissons. Exonérer les professions libérales, les commerçants, les artisans, les agriculteurs, les retraités de tout effort, est-ce juste ? Je ne le crois pas. C'est d'autant plus regrettable que notre nouveau Gouvernement avait annoncé son intention de mettre la justice sociale au coeur de ses politiques. Comment les Français pourront-ils adhérer à l'effort nouveau que vous leur demandez, s'ils ont le sentiment que cet effort n'est pas équitablement partagé ? ». C'est ce que nous pensions alors avec bien d'autres sénateurs, -n'est-ce pas, madame Létard ?- et ce que nous pensons toujours !

Pour toutes ces raisons, nous ne pouvons adhérer à la journée de solidarité, même avec les aménagements que vous proposez. (Applaudissements à gauche)

M. Nicolas About, président de la commission.  - La solidarité est une exigence difficile !

M. Louis Souvet.  - Monsieur Domeizel, je ne résiste pas au plaisir de vous répondre. Nous connaissons votre sensibilité aux problèmes sociaux. Vous avez dit en commençant votre intervention : « Je ne vais pas bouder mon plaisir » mais si nous n'avions pas fait ce que vous avez appelé une « erreur grossière », vous auriez été privé de ce plaisir ! Et je ne vous rappellerai pas d'autres erreurs, autrement graves et à l'impact économique bien plus important, que vous avez commises et que nous avons mis longtemps à réparer !

M. Claude Domeizel.  - Je vous vois venir !

M. Nicolas About, président de la commission.  - Les 35 heures !

M. Louis Souvet.  - La canicule de l'été 2003 a révélé les insuffisances de notre prise en charge de la dépendance. Elle a été un électrochoc pour la conscience collective en révélant l'isolement dans lequel se trouvent certains de nos aînés. Nous avons comptabilisé environ 15 000 morts. 15 000 morts ! Dans un pays riche et bien organisé ! L'équivalent de la population d'une ville moyenne a ainsi disparu en quelques semaines à cause d'un phénomène météorologique !

L'espérance de vie s'accroît grâce aux progrès sociaux et médicaux et la population vieillit, ce qui multiplie les situations de dépendance et crée une charge supplémentaire pour les familles et la société. Actuellement, 20 % des adultes ont, dans leur entourage proche, un parent qui ne peut vivre seul.

Notre pays est en retard dans la prise en charge des personnes âgées à domicile comme en établissement. La loi du 30 juin 2004, en posant le principe de la journée de solidarité, a apporté un début de solution en renforçant les moyens d'aider les personnes dépendantes, en raison de leur âge ou de leur handicap.

La journée de solidarité, qui n'est pas une nouvelle imposition, exige des salariés une présence supplémentaire de sept heures par an et évite une augmentation de la pression fiscale qui risquait d'être mal ressentie.

Il est rassurant que la solidarité, au fondement de notre société, s'exprime à un moment où les liens familiaux se distendent et où l'indifférence se banalise. Les études d'opinion effectuées après la canicule ont montré que, majoritairement, les Français acceptent de travailler une journée supplémentaire en faveur de leurs aînés et des personnes handicapées. L'idée n'était d'ailleurs pas inédite, puisqu'elle avait été expérimentée en Allemagne avec la suppression de la journée dénommée Buss und Bettag.

Pour gérer les fonds, la loi de 2004 a créé la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA). Cet établissement public, doté d'un organe de surveillance associant élus, parlementaires, partenaires sociaux et milieu associatif, garantit la transparence et évite que se renouvelle l'expérience de la vignette automobile, largement détournée de sa vocation originelle. Comme l'a confirmé la Cour des comptes, le produit de la journée de solidarité a bien été affecté à des actions en faveur des personnes dépendantes. Il n'y a pas non plus eu « d'effet de substitution » car l'État et la sécurité sociale n'ont pas diminué leur contribution.

La journée de solidarité a rapporté plus de deux milliards d'euros et permis la médicalisation de 110 000 places en maisons de retraite ainsi que la création de 14 000 places médicalisées à domicile ou en établissement pour les personnes âgées dépendantes ; 7 000 places ont été créées pour les personnes handicapées, et le financement de l'APA a été complété de plus de 400 millions d'euros en 2007.

La journée de solidarité devait de surcroît créer un esprit de fraternité conforme à la trilogie républicaine qui a résisté à l'épreuve du temps, « Liberté - Égalité-Fraternité ».

Nous nous réjouissons que le Gouvernement ait maintenu le principe de la journée de solidarité. Mais nous devons aussi prendre en compte les difficultés que soulève son application. Nous avions choisi une certaine souplesse en privilégiant les accords de branche ou d'entreprise mais, sur le terrain, la dynamique de négociation ne s'est pas enclenchée. A défaut de choix, la loi avait fixé la journée travaillée au lundi de Pentecôte. Les situations les plus diverses ont été observées. Ce manque de lisibilité a contribué à l'insatisfaction de l'opinion alors même que l'idée d'une journée de solidarité avait été bien perçue.

En 2007, 70 % des entreprises étaient ouvertes, mais elles comptaient moins de la moitié de leurs salariés, à cause du problème de la garde des enfants, les établissements scolaires et les garderies publiques étant fermés. D'autre part, les jours fériés font partie de nos traditions et génèrent une activité économique non négligeable. La journée de solidarité a entraîné une diminution de 60 % de la fréquentation du Mont-Saint-Michel et posé des problèmes à la Feria de Nîmes. Enfin, elle pose un problème spécifique au transport routier car, pour des raisons de sécurité, les poids lourds de plus de 7,5 tonnes ne peuvent circuler le lundi de Pentecôte.

Ces difficultés ne sont pas insurmontables mais nécessitent une modification législative. La souplesse, qu'apporte la présente proposition de loi, est une solution de bon sens.

Le texte retient l'une des solutions du rapport Besson et aboutit à une grande liberté dans le choix des modalités de mise en oeuvre de la journée de solidarité. L'esprit de la loi du 30 juin 2004 privilégiant le dialogue social et la responsabilisation des acteurs est respecté. L'aménagement des horaires de travail permet plusieurs choix : le travail d'une journée de RTT, celui d'un jour férié ou toute autre modalité permettant l'apport de sept heures au pot commun -en excluant cependant le morcellement à raison de quelques minutes de travail supplémentaire par jour ! Parallèlement, le caractère férié du lundi de Pentecôte est rétabli à la satisfaction des familles et des organisateurs de festivités.

Cette proposition de loi permet le retour à une situation saine dès cette année. Elle évitera aussi des désordres qui auraient encore été amplifiés par les hasards du calendrier, puisque le lundi de Pentecôte succédera au « pont » de la commémoration du 8 mai 1945.

Alors que la création d'un « cinquième risque » de protection sociale est envisagée, la journée de solidarité est un puissant symbole. Notre groupe salue la détermination du Gouvernement car nous voulons tous offrir à nos parents, nos proches, nos aînés plus de soins, plus d'attention et des conditions d'existence plus dignes. Notre groupe votera cette proposition de loi. (Applaudissements à droite et au centre)

Mme Annie David.  - La présente proposition de loi n'est qu'une adaptation technique destinée à répondre à la demande du patronat, notamment de l'industrie du tourisme. Elle donne toute liberté aux partenaires sociaux, particulièrement au Medef, pour ajuster les modalités de cette journée de travail supplémentaire.

A ce titre, le texte lui-même n'appelle guère de commentaires de notre part. Mais le rapport de notre collègue André Lardeux présente la création de la CNSA et son pendant, la journée de travail non rémunérée, comme un succès et une oeuvre de solidarité nationale largement approuvée par nos concitoyens, alors qu'elles sont un coup d'épée dans l'eau. En justifiant la taxation des seuls salariés, son rapport omet aussi de rappeler que cette invention provient de ceux-là mêmes qui ont instauré les franchises médicales pour faire payer aux malades le prix de leur maladie, qui veulent porter atteinte à la prise en charge à 100 % des affections de longue durée, qui ont préféré taxer les préretraites plutôt que les stock-options et qui ont voté 15 milliards de cadeaux fiscaux aux nantis ! Comment s'étonner que les caisses soient vides, et qu'il faille de nouveau chercher des économies de plusieurs milliards dans les poches des mêmes, avec la « modernisation des politiques publiques » ? Tout se tient, mais votre logique n'est pas la nôtre !

Cette proposition de loi nous ramène à des questions fondamentales qu'éludent le Gouvernement et ceux qui l'ont précédé. La spectaculaire croissance de l'espérance de vie appelle des mesures à la hauteur d'enjeux de société fondamentaux : la place que nous voulons accorder, tout au long de sa vie, à chacun de nous, ainsi que les moyens pour répondre à la sous-estimation des besoins des personnes âgées.

Déjà, la loi du 21 juillet 2001 créant l'APA avait suscité dans mon groupe des objections toujours fondées aujourd'hui.

Bien que constituant un progrès par rapport à la très inégalitaire Prestation Spécifique Dépendance (PSD), l'APA maintenait une forte inégalité de traitement entre domicile et établissement. Le financement avait été très rapidement insuffisant, le Gouvernement n'avait pas pris d'engagements quant au nombre d'établissements à créer ou à l'augmentation significative de personnels formés et la condition d'âge de 60 ans était maintenue. Nous étions déjà convaincus, alors, qu'il fallait créer un cinquième risque afin que la dépendance relève de la solidarité nationale.

En mai 2004, lors de l'examen du projet de loi relatif à la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et handicapées, nous avons dénoncé une régression sociale sans précédent et une décentralisation à hauts risques nuisant à l'égalité des droits sur l'ensemble du territoire et selon le degré de dépendance. Le groupe CRC et moi-même nous étions prononcés contre un texte « poudre aux yeux ». Cette orientation s'est malheureusement confirmée. La création d'une caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) constituait déjà l'amorce d'une protection séparée pour les personnes âgées et handicapées contraire aux principes de l'assurance maladie. Les associations comme les organismes de sécurité sociale -l'Acoss, la Cnam et la Cnaf- ont d'ailleurs dénoncé cette rupture du pacte de solidarité.

Cette volonté de « mettre à part » les personnes âgées et handicapées remet en cause la solidarité entre les bien-portants et les malades, entre les cotisants et les autres. Voilà qui nous rappelle les franchises médicales ! Le vieillissement et la dépendance ne devraient donc plus être pris en charge par la solidarité nationale. Il existe en outre un risque de privatisation de la prise en charge de la dépendance, le Gouvernement souhaitant privilégier la prévoyance individuelle et assurantielle. Les grandes compagnies d'assurance sont conscientes du marché qui leur est ouvert. De même, la loi relative à l'égalité des droits et des chances, à la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a créé une prestation de compensation dont le financement est des plus flous puisqu'il émarge lui aussi à la CNSA. Sans oublier la loi de responsabilités locales qui a transféré aux départements les trois grandes allocations de solidarité, RMI, APA et PCH, sans assurance d'une dotation couvrant intégralement les charges transférées.

Plus que jamais, le problème de la répartition du financement de ces prestations entre l'État, via la CNSA, et les départements demeure. La participation de l'État a diminué et des disparités importantes entre les départements sont apparues. Il s'agit pourtant de prestations sociales universelles dont les conditions d'attribution sont fixées nationalement par l'État. Les conseils généraux sont contraints d'alourdir la fiscalité qui pèse sur les ménages, via la taxe d'habitation : on prend toujours dans les poches des mêmes. Les gouvernements ont sans cesse éludé le débat de fond sur la définition d'un droit à compensation universel et de son financement, fondé sur l'expression d'une solidarité semblable à celle qui présida en 1945 à la création de la sécurité sociale.

Nous avions proposé de créer un cinquième risque sécurité sociale, celui de la dépendance, de l'incapacité ou de la perte d'autonomie, sans discrimination. Il faut répondre aux besoins de nos concitoyens les plus fragilisés de façon cohérente, universelle et solidaire, sans barrière d'âge. Quelle solidarité voulons-nous pour la France du XXIe siècle ? Nous voulons encore nous fier à la prise en charge collective, vous entendez nous faire croire que ces questions doivent désormais relever de l'initiative privée, de la couverture individuelle d'un risque, comme pour l'assurance automobile. Cela ne correspond pas à notre idée de la solidarité, nous voterons contre cette proposition de loi. (Applaudissements à gauche)

Mme Valérie Létard, secrétaire d'État.  - Monsieur le rapporteur, vous avez rappelé que, lors de la création de la journée de solidarité, en 2004, nous avons choisi, comme l'Allemagne, de travailler un jour de plus, mais contrairement à notre voisin, nous n'avons pas supprimé un jour férié. Le lundi de Pentecôte demeure légalement férié. Aujourd'hui, nous souhaitons assouplir ce dispositif original, pour que chaque entreprise puisse se l'approprier, et lui donner plus de lisibilité.

Vous avez évoqué la place des partenaires sociaux : peu d'accords de branches ont été conclus -dix-sept, qui concernent deux millions de salariés- mais les accords d'entreprises ont été nombreux. Nous souhaitons renforcer le rôle des partenaires sociaux dans la mise en oeuvre de la journée de solidarité.

La crainte que vous avez exprimée quant au dévoiement du principe de solidarité est légitime. Toutefois, avec la transformation de la journée de solidarité en sept heures de travail supplémentaires, le dispositif sera moins visible, mais plus solidaire et effectif.

Monsieur Detraigne, je partage votre analyse sur le nécessaire assouplissement du dispositif. Vous avez également évoqué le cas de la fonction publique. Selon les experts, le dispositif aboutira à dix millions d'heures de travail supplémentaires pour l'État, l'équivalent de 6 000 emplois, et de 3 600 pour la fonction publique hospitalière. Il n'y aura donc pas de charges nouvelles, mais une augmentation, grâce à la solidarité, des services publics rendus à nos concitoyens.

Monsieur Domeizel, vous avez souligné que la mise en oeuvre de l'APA a été un succès grâce à l'action des départements. La journée de solidarité, qui repose sur les efforts de tous, est confortée par ce texte qui donne plus de place aux partenaires sociaux pour sa mise en oeuvre.

La journée de solidarité n'assure qu'une partie du financement de la dépendance, à laquelle il faut ajouter les 13 milliards que lui consacre l'Ondam médico-social et le prélèvement de 0,3 % sur les revenus du patrimoine et des placements au titre de la Contribution Solidarité Autonomie (CSA).

Conformément à un engagement du Président de la République, Xavier Bertrand et moi-même avons ouvert il y a deux semaines le chantier du cinquième risque. Nous avons reçu les partenaires sociaux et, hier matin, l'Assemblée des départements de France (ADF). Nous verrons dans quelques mois, lorsque le projet de loi vous sera présenté, quelles sont, sur ces bancs, ceux qui souhaitent réellement améliorer la situation des personnes les plus en difficultés. (M. Nicolas About, président de la commission, approuve) Nous étudierons alors la meilleure façon de le mettre en oeuvre et en définirons le contenu : faut-il augmenter les places ? De quel type celles-ci doivent-elles être ? Faut-il prendre en compte le reste à charge pour les personnes placées en établissement ? (M. Nicolas About, président de la commission, le confirme) La réflexion sur ce qui est un véritable enjeu de société, amorcée avec les partenaires sociaux, doit être prolongée avec le Parlement.

Monsieur Souvet, vous avez vous aussi rappelé le bien-fondé de la journée de solidarité. Nous ne devons pas oublier les 15 000 personnes, soit une ville moyenne, pour lesquels la vie s'est arrêtée. Nous n'avons pas seulement mobilisé des moyens supplémentaires, nous avons engagé une politique de prévention, pris des mesures assurant de bonnes pratiques professionnelles et pu ainsi avancer rapidement dans le bon sens.

Vous avez indiqué que la nécessaire souplesse introduite par ce texte s'appliquera dès cette année ; les entreprises devront donc s'adapter avant le 12 mai, ce qui laisse peu de temps. L'Assemblée nationale a donc introduit une disposition transitoire permettant aux entreprises de définir les modalités de mise en oeuvre de la journée de solidarité après consultation du comité d'entreprise ou des délégués du personnel. Nous avons demandé au directeur général du travail de diffuser dans les jours prochains une instruction à destination des entreprises.

Madame David, vous avez raison de dire que ce texte n'est qu'une adaptation technique du dispositif pour lui donner plus de souplesse. Vous ne contestez d'ailleurs pas cette nécessité. Les questions que vous posez sont présentes dans le chantier du cinquième risque ; je souhaite connaître les propositions que votre groupe fera sur ce sujet, sans esprit partisan. Je vous donne rendez-vous dans quelques mois sur ces bancs pour enrichir ensemble la réflexion. (Applaudissements à droite et au centre)

Discussion des articles

Article premier

I. - Le code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 relative au code du travail (partie législative), est ainsi modifié :

1° Dans le 2° de l'article L. 3133-7, la référence : « article 11 de la loi n° 2004-626 du 30 juin 2004 relative à la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées » est remplacée par la référence : « article L. 14-10-4 du code de l'action sociale et des familles » ;

2° L'article L. 3133-8 est ainsi rédigé :

« Art. L. 3133-8. - Les modalités d'accomplissement de la journée de solidarité sont fixées par accord d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, par accord de branche.

« L'accord peut prévoir :

« 1° Soit le travail d'un jour férié précédemment chômé autre que le 1er mai ;

« 2° Soit le travail d'un jour de réduction du temps de travail tel que prévu aux articles L. 3122-6 et L. 3122-19 ;

« 3° Soit toute autre modalité permettant le travail de sept heures précédemment non travaillées en application de dispositions conventionnelles ou des modalités d'organisation des entreprises.

« À défaut d'accord collectif, les modalités d'accomplissement de la journée de solidarité sont définies par l'employeur, après consultation du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel s'ils existent.

« Toutefois, dans les départements de la Moselle, du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, l'accord ou, à défaut, la décision de l'employeur ne peut déterminer ni le premier et le second jours de Noël ni, indépendamment de la présence d'un temple protestant ou d'une église mixte dans les communes, le Vendredi Saint comme la date de la journée de solidarité. » ;

3° L'article L. 3133-9 est abrogé.

II. - 1. À compter de la publication de la présente loi et à titre exceptionnel pour l'année 2008, à défaut d'accord collectif, l'employeur peut définir unilatéralement les modalités d'accomplissement de la journée de solidarité après consultation du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel s'ils existent.

2. Le cinquième alinéa de l'article L. 212-16 du code du travail est supprimé.

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par M. Lardeux, au nom de la commission.

Compléter le cinquième alinéa (3°) du texte proposé par le 2° du I de cet article pour l'article L. 3133-8 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007, par les mots :

, sans possibilité de fractionner cette durée sur plus de deux jours

M. André Lardeux, rapporteur.  - Mme la ministre souhaite que la journée de solidarité soit effective et concrète. La commission s'est moins inquiétée de son effectivité que de son aspect concret.

Il y a un risque de saupoudrage, le cas extrême étant celui de certaines entreprises publiques. Certains le contestent, mais la circulaire que j'ai citée dans mon rapport peut laisser sceptique : elle est non seulement difficile à comprendre, mais peu transparente, et je doute que les agents de la SNCF soient tenus par une minute et douze secondes....

La commission propose d'encadrer le dispositif afin qu'il soit réparti sur deux journées par an au plus, au choix des partenaires sociaux et des entreprises concernées. Je suis par ailleurs sceptique sur le dialogue social, le rapport de M. Besson confirmant qu'on a peu signé d'accords.

Mme Valérie Létard, secrétaire d'État.  - Limiter ainsi le fractionnement de la journée de solidarité irait à l'encontre du besoin de souplesse mis en évidence par le rapport de M. Besson. Cette inutile rigidité gênerait le bon déroulement des journées de solidarité nationale et mettrait en danger les accords en vigueur.

Dans l'esprit du texte, il appartient aux partenaires sociaux d'organiser le déroulement. Je propose donc le retrait de l'amendement, afin de conserver une souplesse maximum. Même la SNCF n'applique pas un régime uniforme à tous ses salariés. Laissons les entreprises libres de s'adapter à la réalité du terrain !

M. Jean-Pierre Godefroy.  - Très bien !

M. Nicolas About, président de la commission.  - Vous avez l'art de présenter les choses...

Il est vrai que le régime appliqué à la SNCF est très hétérogène. Cette journée se réduit parfois à une minute trente secondes ou une minute quarante secondes par jour. (Marques d'indignation à droite) Juste le temps de se laver les mains ! Est-ce l'image de la solidarité, qui plus est dans une entreprise qui coûte si cher à la collectivité ?

Ne pouvant retirer l'amendement adopté par la commission, je m'en remets à la sagesse de la Haute assemblée. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Claude Domeizel.  - Vous mettez en cause les accords passés.

Ainsi, les deux cents communes de mon département devraient reprendre toute la procédure, y compris la consultation des comités techniques paritaires !

En outre, ce dispositif pourrait faire dépasser la durée quotidienne maximale du travail (dix heures), voire la durée hebdomadaire maximale (quarante-huit heures).

M. Nicolas About, président de la commission.  - Il y a les RTT !

M. Claude Domeizel.  - Je ne vous ai pas interrompu !

M. Nicolas About, président de la commission.  - On travaille trop en France !

M. Claude Domeizel.  - Ne voulant pas ajouter le ridicule au ridicule, nous voterons contre.

M. Yves Détraigne.  - A la tribune, j'ai souhaité que les employeurs ne créent pas de vraies-fausses journées de solidarité, comme celles qui existent depuis trois ans.

Cet amendement va dans le bon sens. (Applaudissements à droite)

Mme Catherine Procaccia.  - L'amendement empêcherait de morceler cette journée en minutes quotidiennes. Monsieur Domeizel, la solidarité n'est pas une corvée pour nous.

M. Claude Domeizel.  - Nous n'avons aucune leçon à recevoir en ce domaine !

Mme Catherine Procaccia.  - La solidarité envers les personnes âgées dépendantes est quelque chose d'important.

Sur un autre plan, la rédaction du texte m'inquiète, car elle autorise à compenser la journée de solidarité par la suppression d'un RTT. Or, certaines conventions collectives fixent à sept heures la durée d'un jour de travail, alors que les RTT auraient une amplitude plus grande. La différence peut ne pas excéder quelques minutes, mais leur éventuelle rémunération susciterait des casse-têtes pour les directions des ressources humaines. Je souhaite qu'une circulaire précise ce point.

M. Nicolas About, président de la commission.  - On verra cela en CMP.

Mme Valérie Létard, secrétaire d'État.  - Entreprises et partenaires sociaux doivent négocier librement.

Madame Procaccia, un document « questions-réponses » est en ligne depuis 2004, avec une actualisation régulière. Dans les prochains jours, nous ajouterons votre question et la réponse, qui intéresseront tous les DRH.

M. Jean-Pierre Godefroy.  - Lorsque nous examinons la modernisation du droit du travail, vous ne voulez pas mettre en cause les accords existants. Aujourd'hui, vous n'hésitez pas à le faire !

Cet amendement contre-productif aggraverait le désordre que vous voulez supprimer.

M. Dominique Leclerc.  - Lorsque j'entends dire que des accords seraient compromis, je me demande si quelqu'un connaît la réalité. La France qui travaille ne se réduit pas à la SNCF. Heureusement ! Elle est avant tout constituée de petites entreprises comptant quelques salariés.

Avec dix salariés, j'ai mis en oeuvre la journée de solidarité la première année. Ce ne fut pas possible ensuite, car les salariés ont des conjoints, ce qui rend inapplicable un régime avec date libre. Pour la plupart des PME, le dispositif se réduit à une contribution supplémentaire.

La journée de solidarité avec libre fixation de la date est un échec.

M. Claude Domeizel.  - Votez contre l'échec !

M. Dominique Leclerc.  - Non : je suis réaliste.

M. André Lardeux, rapporteur.  - Il est décidément difficile dans ce pays d'encourager les gens à travailler. Réservons cela aux Chinois et à quelques autres peuples de la planète !

M. Claude Domeizel.  - Ce n'est pas ce que nous avons dit !

M. André Lardeux, rapporteur.  - C'est ce qui sous-tend vos paroles.

Quant au dialogue social, je constate, avec M. Besson, qu'il n'a guère existé en ce domaine.

On nous promet de revaloriser le rôle du Parlement, partant le dialogue entre les deux assemblées. Et aujourd'hui, je constate qu'on veut nous museler. Tirez-en les conséquences : il sera inutile de voter certaines réformes !

M. le président.  - Le Gouvernement demande que l'amendement soit mis aux voix par scrutin public.

M. Nicolas About, président de la commission.  - L'urgence n'a pourtant pas été déclarée sur ce texte, dont nous sommes saisis pour la première fois. Nous avons l'audace de formuler une proposition, que la navette pourra modifier. Je ne vois vraiment pas ce qui oblige à obtenir un vote conforme.

M. Claude Domeizel.  - La Pentecôte, c'est demain, ou presque !

M. Nicolas About, président de la commission.  - Sans doute, mais je m'associe pleinement aux propos du rapporteur.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 327
Nombre de suffrages exprimés 320
Majorité absolue des suffrages exprimés 161
Pour l'adoption 40
Contre 280

Le Sénat n'a pas adopté. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. le président.  - Personne ne vote l'article premier ?

M. Nicolas About, président de la commission.  - On peut effectivement se demander pourquoi on le voterait, dès lors que cette journée n'est même pas effectuée...

M. Paul Blanc.  - Moi, je vais le voter, mais je ne le considère que comme un premier pas. Lors des débats sur la loi du 11 février 2005, le Sénat a insisté pour que la solidarité nationale finance la compensation du handicap ; je ne voudrais pas qu'on l'oublie. La journée de solidarité a été instaurée à cause de la canicule de l'été 2003, bien avant que la loi du 11 février soit votée. Nous avons tous vocation à être un jour dépendants. Dès lors que vous achetez une voiture, vous avez vocation à avoir un accident, la loi vous impose donc de vous assurer. C'est pareil avec la dépendance : nous avons tous vocation à le devenir, il faut donc une assurance.

M. Nicolas About, président de la commission.  - Sauf pour les plus pauvres !

M. Paul Blanc.  - Il en va tout autrement pour le handicap qui relève de la solidarité nationale.

L'article premier est adopté.

Article 2

I. - L'article 6 de la loi n° 2004-626 du 30 juin 2004 relative à la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées est ainsi rédigé :

« Art. 6. - Pour les fonctionnaires et agents non titulaires relevant de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État, de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale et de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière ainsi que pour les praticiens mentionnés à l'article L. 6152-1 du code de la santé publique, la journée de solidarité mentionnée à l'article L. 3133-7 du code du travail est fixée dans les conditions suivantes :

« - dans la fonction publique territoriale, par une délibération de l'organe exécutif de l'assemblée territoriale compétente, après avis du comité technique paritaire concerné ;

« - dans la fonction publique hospitalière ainsi que pour les praticiens mentionnés à l'article L. 6152-1 du code de la santé publique, par une décision des directeurs des établissements, après avis des instances concernées ;

« - dans la fonction publique de l'État, par un arrêté du ministre compétent pris après avis du comité technique paritaire ministériel concerné.

« Dans le respect des procédures énoncées aux alinéas précédents, la journée de solidarité peut être accomplie selon les modalités suivantes :

« 1° Le travail d'un jour férié précédemment chômé autre que le 1er mai ;

« 2° Le travail d'un jour de réduction du temps de travail tel que prévu par les règles en vigueur ;

« 3° Toute autre modalité permettant le travail de sept heures précédemment non travaillées, à l'exclusion des jours de congé annuel. »

II. - Les dispositifs d'application de l'article 6 de la loi n° 2004-626 du 30 juin 2004 précitée en vigueur à la date de publication de la présente loi et qui sont conformes au I du présent article, demeurent en vigueur.

Toutefois, dans les départements de la Moselle, du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, la journée de solidarité ne peut être accomplie ni les premier et second jours de Noël ni, indépendamment de la présence d'un temple protestant ou d'une église mixte dans les communes, le Vendredi Saint.

M. le Président.  - Je suppose que, par cohérence, l'amendement n° 2 à l'article 2 n'a plus d'objet. (Assentiment)

L'article 2 est adopté.

Intervention sur l'ensemble

Mme Annie David.  - Ce texte ne nous convient pas, il ne répond pas à l'attente de nos concitoyens puisque les salariés sont seuls à devoir financer la solidarité. En 2003, M. Raffarin a légiféré dans l'urgence en réponse à la surmortalité due à la canicule. Ce faisant, il a engagé une privatisation inacceptable de la sécurité sociale. Le discours de M. Paul Blanc m'inquiète : la création de la CNSA est fondée sur l'idée que la dépendance et la solidarité ne devaient plus dépendre de l'assurance maladie mais d?une assurance ad hoc. Ce n'est pas notre conception de la solidarité, et la CNSA ne répond pas aux besoins existants, faute que soient mobilisés les financements suffisants. Les établissements spécialisés sont ceux qui manquent le plus cruellement de moyens, et c'est aussi eux qui ont connu la majeure partie des décès de l'été 2003.

La création de la CNSA ne répond pas aux difficultés financières des handicapés et des personnes dépendantes. Ils étaient 30 000 à manifester le 29 mars dans les rues de Paris. Mes collègues Guy Fischer et Michelle Demessine étaient avec eux. Qu'exigeaient-ils ? Le Smic ! Car la réalité est brutale pour votre gouvernement : l'APA ne suffit pas pour survivre. Voilà le texte de lancement de la campagne du collectif « Ni pauvres, ni soumis » : « Aujourd'hui, des centaines de milliers de personnes handicapées ou atteintes de maladies invalidantes qui ne peuvent pas ou plus travailler, sont condamnées à demeurer toute leur vie sous le seuil de pauvreté. Le mouvement réclame un revenu d'existence égal au Smic brut ».

Et que répond votre gouvernement ? Encore moins de solidarité nationale, à laquelle il préfère la solidarité familiale, comme en témoigne la récente tentative de récupérer l'APA sur succession. Vous renvoyez le problème à la structure familiale, à l'individu, quand les familles attendent une solidarité nationale, un geste collectif. Vous projetez de demander à chaque Français de se constituer une épargne dépendance, tout comme vous voudriez qu'ils se constituent seuls une cagnotte « risque chômage », ou cotisent individuellement pour leur retraite. Notre commission a entendu, dans le cadre de la mission dépendance, les associations demander en choeur un financement solidaire. Or, la seule réponse de votre majorité a été d'instaurer des franchises médicales.

L'allongement de la durée de la vie est un bienfait mais encore faut-il que notre pays prenne la mesure de cette évolution. Et je doute que l'aménagement de cette journée de solidarité constitue la réponse adaptée, pas plus que le projet de loi que vous nous préparez sur le financement assurantiel. Madame la ministre, vous avez dit que des négociations sont en cours. Notre groupe y prendra toute sa part, ainsi que, comme d'habitude, à la discussion parlementaire.

J'ai entendu dans cet hémicycle des propos, sur le monde du travail, qui m'ont heurtée. Parler de « la difficulté de mettre la France au travail », c'est insulter tous ceux qui se lèvent tôt chaque jour pour aller gagner leur vie ; c'est aussi insulter tous ceux qui ont perdu leur emploi et qui « galèrent » entre Assedic et Anpe dans un système qui leur est incompréhensible et qui les méprise. Dans nos interventions, nous, nous n'insultons jamais le Medef ni le patronat.

Mme Catherine Procaccia.  - Ah bon ?

Mme Annie David.  - Les travailleurs sont respectables et doivent être respectés ! (Applaudissements à gauche)

La proposition de loi est adoptée.

Organismes extraparlementaires (Nominations)

M. le président.  - La commission des affaires économiques et la commission des affaires culturelles ont proposé des candidatures pour deux organismes extraparlementaires. La Présidence n'a reçu aucune opposition dans le délai d'une heure prévu par l'article 9 du Règlement. En conséquence, ces candidatures sont ratifiées et je proclame :

- M. Francis Grignon membre du Conseil national de la sécurité routière ;

- Mme Catherine Dumas membre de la Commission du dividende numérique.