Conseil et contrôle de l'État

Mme la présidente.  - Le Sénat va maintenant examiner la mission « Conseil et contrôle de l'État ».

Interventions des orateurs

M. Jean-Claude Frécon, rapporteur spécial de la commission des finances.  - La mission « Conseil et contrôle de l'État » s'appuie sur 548,5 millions d'euros de crédits de paiement, dont 81,2 % sont consacrés aux dépenses de personnel. Les crédits du Conseil d'État et des autres juridictions administratives représentent 55,5 %, ceux de la Cour des comptes et des autres juridictions financières, 37,8 %, ceux du Conseil économique, social et environnemental, 6,7 %.

Les crédits du programme « Conseil d'État et autres juridictions administratives » augmentent de 14,8 % par rapport à 2008, du fait du rattachement de la Cour nationale du droit d'asile, à compter du 1er janvier 2009 ; à périmètre constant, la hausse n'est que de 6,7 %.

La stabilisation des frais de justice se confirme, avec une dotation de 8,8 millions. La création d'un nouveau tribunal administratif en Seine-Saint-Denis en 2009, doté de 700 000 euros en crédits de fonctionnement et de 1,5 million en crédits d'investissement, devrait répondre à l'engorgement en région parisienne.

En dépit des efforts, les délais de traitement demandent à être améliorés. Devant les tribunaux administratifs et les cours d'appel, le délai moyen dépasse un an, objectif fixé en 2002 par la loi d'orientation et de programmation de la justice. Seul le Conseil d'État prévoit un délai moyen de dix mois.

Si la récente réforme constitutionnelle a enrichi les attributions du Conseil économique et social, devenu Conseil économique, social et environnemental, les crédits pour 2009 n'augmentent que de 1,38 % : la réforme du Conseil et l'enrichissement de ses missions s'effectuent à moyens humains et budgétaires presque constants. Les problèmes pratiques posés par le changement de dénomination devront être résolus en 2009. Par nature, le Conseil, assemblée consultative, se prête mal à la mesure de la performance : les chiffres ne remplacent jamais les idées !

Le programme « Cour des comptes et autres juridictions financières » enregistre une diminution de 6 % de ses dépenses de fonctionnement, mais une hausse de ses dépenses d'investissement de 20 % en crédits de paiement et de 228,5 % en autorisations d'engagement, liée aux opérations immobilières : rénovation de la tour des archives du Palais Cambon, aménagement d'espaces de réunion à la Cour des comptes, opérations immobilières concernant les chambres régionales et territoriales des comptes. Le plafond d'emploi demeure stable, à 1 841 équivalents temps plein, mais les dépenses de personnel augmentent de 7,3 %. La réflexion sur le maillage du territoire par les juridictions financières devra être menée en concertation avec les élus locaux, dans le respect des territoires.

Sous le bénéfice de ces observations, la commission des finances, à l'unanimité, propose au Sénat d'adopter ces crédits. (Applaudissements)

M. Simon Sutour, rapporteur pour avis de la commission des lois.  - Nombreux sont les programmes qui souhaiteraient voir leur budget augmenter comme celui-ci ! A périmètre constant, exception faite du rattachement de la Cour nationale du droit d'asile, et de la création du tribunal administratif de Seine-Saint-Denis, le budget atteint 278,7 millions, en progression de 4,5 %. C'est un arbitrage budgétaire réaliste, qui répond, bien qu'imparfaitement, à la montée en puissance de la justice administrative.

Concernant le programme « Investissement », je salue l'ouverture du tribunal administratif de Toulon, qui vient juste de commencer à tenir des audiences. En tant que sénateur gardois, je me félicite de la montée en puissance du tribunal administratif de Nîmes, créé l'année dernière, qui a jugé 4 082 affaires en 2007, ce qui a soulagé les tribunaux administratifs de Marseille et Montpellier, et je me réjouis que 800 000 euros soient prévus pour le ravalement de la façade.

Enfin, je salue la création d'un nouveau tribunal administratif en Seine-Saint-Denis en 2009 : en région parisienne, le contentieux augmente de 12 % par an depuis 2002, et les délais de jugement sont supérieurs à la moyenne nationale.

L'activité des cours administratives d'appel explose : avec 26 554 nouvelles requêtes en 2007, dont plusieurs milliers imputables aux contentieux de la nationalité et des étrangers, le volume dépasse de 25,95 % celui de 2006. La cour administrative d'appel de Marseille, dont relèvent les tribunaux administratifs de Montpellier, Nice, Bastia, Nîmes et Toulon, est au bord de la saturation. L'État ne pourrait-il créer, à moyen terme, une nouvelle cour administrative d'appel dans le Grand Sud, pour combler le vide entre Marseille et Bordeaux ?

Concernant le programme « Fonctionnement », je salue l'amélioration des délais de jugement, malgré la hausse du nombre d'affaires traitées et alors que seuls 148 des 210 postes de magistrats administratifs prévus par la loi de programmation pour la justice ont été effectivement créés. Il ne faut pas relâcher les efforts, car l'amélioration des délais de jugement et la diminution des stocks pourrait ne pas durer, certaines réformes récemment adoptées par le Parlement risquant de développer le contentieux.

Ainsi, l'impact de la loi de mars 2007 instituant un droit au logement opposable (Dalo) reste difficilement mesurable ; on en attend une forte hausse du contentieux à partir du 1er décembre, date à laquelle les tribunaux administratifs auront à connaître des contentieux du droit au logement opposable, en plus des recours contre les rejets des commissions de médiation.

En outre, la loi généralisant le revenu de solidarité active (RSA) orientera le contentieux des commissions départementales d'aide sociale vers les tribunaux administratifs et 12 000 nouvelles affaires sont d'ores et déjà attendues, soit une croissance du nombre des entrées devant la justice administrative de près de 7 %.

C'est pourquoi, comme l'année dernière, j'insiste pour que, face à l'inflation législative, on évalue, comme l'a prévu la dernière réforme constitutionnelle, les impacts, en particulier sur les risques de contentieux, de l'adoption de toute nouvelle loi. Gouverner, c'est aussi prévoir.

L'augmentation des moyens ne suffira toutefois pas à endiguer le flot de nouvelles affaires ; j'insiste donc sur la nécessité de réformer la justice administrative, progressivement mais en profondeur, pour en améliorer encore l'efficacité. Plusieurs réformes sont en cours : l'amélioration des fonctions consultatives et juridictionnelles du Conseil d'État, l'inscription dans les textes de la séparation de fait entre activités consultatives et activités contentieuses, l'amélioration de la procédure contradictoire devant le juge administratif et la transformation du commissaire du Gouvernement en rapporteur public...

Mais le développement des recours administratifs préalables obligatoires est à mon avis la mesure la plus importante de ces prochaines années. Ce type de recours désigne l'ensemble des procédures par lesquelles une personne souhaitant contester une décision administrative qui lui est défavorable est tenue de former un recours devant l'autorité administrative préalablement à toute saisine du juge. Quatre grands domaines, représentant près du tiers du contentieux, pourraient rapidement bénéficier de cette mesure -les invalidations de permis de conduire, le droit de la fonction publique, le droit des étrangers et les affaires pénitentiaires- sans exclure pour autant tous les autres domaines.

Sous le bénéfice de ces observations, la commission des lois vous demande d'adopter ce budget.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - J'interviens à nouveau cette année car les problèmes que nous avions soulevés lors du dernier budget n'ont pas été résolus. L'engorgement de certains tribunaux administratifs perdure en raison de l'insuffisance des effectifs et de l'explosion du contentieux des étrangers et du contentieux à venir lié au droit opposable au logement. La lecture des crédits affectés au programme « Conseil d'État et autres juridictions administratives » n'apaise pas les craintes soulevées il y a un an. Certes, ce programme bénéficiera d'un effort budgétaire avec l'affectation de 60 équivalents temps plein travaillé supplémentaires pour 2009 et par l'ouverture d'un nouveau tribunal administratif en Seine-Saint-Denis, prévue à l'automne 2009. La hausse substantielle des crédits s'explique surtout par l'intégration à ce programme d'une nouvelle action, la Cour nationale du droit d'asile. Sans cette nouvelle action, l'augmentation des crédits affectés au Conseil d'État et aux autres juridictions administratives n'est que de 6,7 %. Ces crédits demeureront insuffisants tant que les juridictions administratives continueront à subir une politique gouvernementale, qui n'est pas neutre pour les contentieux administratifs.

Le poids du contentieux des étrangers reste très important : il représente 47 % du total des affaires enregistrées en 2007 devant les cours administratives d'appel. Entre 2003 et 2007, la progression a été de 576 %. Devant les tribunaux administratifs, les requêtes relatives à ce contentieux représentent 27,3 % et la progression est constante, en raison de l'introduction de la procédure de refus de titre de séjour assortie d'une obligation de quitter le territoire. Nous dénoncions déjà ce fait l'année dernière, tant sur le plan politique que pour le fonctionnement des juridictions administratives, totalement engorgées par ce contentieux. Cela ne fera que s'aggraver en raison de l'adoption, par le Gouvernement et sa majorité, de nouvelles lois qui, par les droits de recours devant le juge administratif qu'elles instaurent, gonfleront les chiffres du contentieux administratif. Avec la loi relative au logement opposable -qui pourrait occasionner quelques dizaines de milliers de recours par an-, la loi sur le service minimum d'accueil des élèves ou encore avec le contentieux lié au RSA, dont l'impact sur les juridictions administratives n'a pas du tout été pris en compte dans ce projet de budget, le Gouvernement fait peser sur les juridictions administratives des responsabilités qui ne sont pas les leurs. Comment, dans ces conditions, leur demander de réduire les délais de jugement sans augmenter considérablement leurs effectifs ? Les moyens restent insuffisants pour des exigences gouvernementales toujours plus importantes, au détriment de la qualité de la justice rendue.

Cette exigence de rendement, qui se traduit par une prime à la statistique, a d'autres conséquences : elle élargit les hypothèses dans lesquelles les requêtes présentées devant les tribunaux administratifs peuvent être traitées par ordonnance, ou encore le recours de plus en plus fréquent au juge unique.

Une réforme en cours ne laisse pas non plus de nous inquiéter : l'intervention du commissaire du Gouvernement serait supprimée pour un certain nombre de contentieux. Enfin, le décrochage entre le régime indemnitaire des magistrats administratifs et celui des magistrats des juridictions financières est aujourd'hui entériné. Pourquoi ce décrochage, sinon en raison de la RGPP ? La revalorisation sur trois ans du régime indemnitaire des magistrats administratifs ne résoudra pas le problème de l'alignement du régime indemnitaire des magistrats administratifs sur celui des grands corps de l'État.

Nous voterons contre les crédits affectés à la mission « Conseil et contrôle de l'État », et plus particulièrement contre ceux affectés au programme « Conseil d'État et autres juridictions administratives » : les tribunaux administratifs restent engorgés et l'augmentation des effectifs ne suit pas celle des contentieux. La création d'un tribunal en Seine-Saint-Denis n'améliorera pas la situation : il est créé pour désengorger le tribunal de Cergy-Pontoise qui, lui-même, avait été créé pour désengorger celui de Versailles. D'ailleurs, sa création absorbera, en 2009, l'essentiel, voire la totalité, des créations de postes. Vous ne pourrez pas faire peser indéfiniment sur les juges administratifs les conséquences de vos politiques ; je pense à l'immigration bien sûr, mais aussi au droit au logement opposable ou au RSA.

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État chargé des affaires européennes.  - Je remercie M. Frécon d'avoir parfaitement décrit les programmes et souligné les problèmes des juridictions administratives, comme l'a fait aussi Mme Borvo. La création du tribunal administratif de Seine-Saint-Denis désengorgera les juridictions d'Ile-de-France. Le problème central reste celui des délais de jugement.

Au Conseil d'État et dans les tribunaux administratifs, la réduction des délais s'est poursuivie en 2008. Au Conseil, le délai prévisible moyen de jugement devrait se situer autour de dix mois, ce qui est inférieur à l'objectif d'un an. Dans les tribunaux administratifs, le délai prévisible moyen de jugement devrait se situer autour de un an et un mois. Ainsi, au regard de la tendance constante depuis 2002 -un mois de moins par an environ-, l'objectif d'un délai inférieur à un an apparaît à portée de main, même si la progression du contentieux -qui sera particulièrement alimentée en 2009 par le nouveau droit opposable au logement et par le RSA- incite à rester prudent.

Pour les juridictions financières, une réforme a été annoncée par le Président de la République ; un travail interministériel se poursuit et la réforme sera lancée au premier semestre 2009 après consultation des élus.

L'augmentation nette de 6,7 % des crédits affectés aux juridictions administratives est, dans le contexte actuel, significative. Il fallait faire face aux besoins grandissants de ces juridictions et l'effort fait pour le tribunal administratif de Nîmes et ses façades est éloquent. Nous étudierons, monsieur Sutour, votre demande d'une cour administrative d'appel pour le Grand Sud, entre Bordeaux et Marseille.

Le recours administratif préalable obligatoire est un moyen simple et peu coûteux d'obtenir la révision d'une décision administrative. Il s'appliquera dans les contentieux relatifs à la suppression du permis de conduire, à la fonction publique ou au droit des étrangers.

Enfin, dans le domaine pénitentiaire, l'ouverture des prétoires, conforme à un arrêt de 2007, renforce les droits des personnes incarcérées. Ces avancées répondent à une exigence d'efficacité et de respect des droits individuels. Il faut donc voter les crédits correspondants. (Applaudissements sur les bancs UMP)

Les crédits de la mission sont adoptés.