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Table des matières



Décès d'un ancien sénateur

Décision du Conseil constitutionnel

Organisation et régulation des transports ferroviaires (Déclaration d'urgence)

Rappels au Règlement

Communication audiovisuelle et nomination des présidents de l'audiovisuel public (Loi organique - Urgence)

Discussion générale commune

Conférence des Présidents

Communication audiovisuelle et nomination des présidents de l'audiovisuel public (Loi organique  - Urgence - Suite)

Discussion générale commune (Suite)




SÉANCE

du mercredi 7 janvier 2009

47e séance de la session ordinaire 2008-2009

présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires : MM. Alain Dufaut et Jean-Noël Guérini.

La séance est ouverte à 16 h 5.

Le procès-verbal de la précédente séance est adopté.

Décès d'un ancien sénateur

M. le président.  - J'ai le regret de vous rappeler le décès de notre ancienne collègue Janine Bardou, qui fut sénateur de la Lozère de 1994 à 2001.

Décision du Conseil constitutionnel

M. le président.  - J'ai reçu de M. le président du Conseil constitutionnel, par lettre du 29 décembre 2008, le texte d'une décision du Conseil constitutionnel, publiée au Journal officiel, qui concerne la conformité à la Constitution de la loi de finances rectificative pour 2008.

Acte est donné de cette décision.

Organisation et régulation des transports ferroviaires (Déclaration d'urgence)

M. le président.  - Par lettre en date du 5 janvier 2009, M. le Premier ministre m'a fait connaître qu'en application de l'article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement déclare l'urgence sur le projet de loi relatif à l'organisation et à la régulation des transports ferroviaires et guidés et portant diverses dispositions relatives aux transports.

Rappels au Règlement

Mme Nathalie Goulet.  - Nous assistons depuis douze jours, totalement impuissants, comme la communauté internationale, aux attaques israéliennes sur Gaza. La situation humanitaire y est absolument catastrophique, la disproportion des forces est patente et il serait tout à l'honneur de notre Assemblée d'organiser un débat sur cette situation.

Je souhaiterais que la Conférence des Présidents examine ma demande car ce débat est d'une urgence absolue dans un Moyen-Orient si prompt à s'enflammer.

M. le président.  - La Conférence des Présidents se réunira ce soir à 19 heures : elle examinera cette demande et échangera avec le président de la commission des affaires étrangères. Ce sujet suscite chez nous tous un sentiment de souffrance et de douleur. Nous devons également répondre à cette situation qui pourrait déstabiliser le Moyen-Orient, et même l'ensemble du monde.

M. Jack Ralite.  - Nous allons aborder l'important débat sur la nouvelle télévision publique, que le Président de la République a qualifié de réforme « historique ». Historique, nous verrons, hystérique, nous l'avons déjà vu ! (Rires et applaudissements à gauche)

Nous sommes le 7 janvier. Or, avant-hier, à 20 h 35, la loi était appliquée ou, plutôt, imposée. Le fait accompli passe avant l'examen minutieux et l'étude contradictoire des textes par notre Assemblée.

Voix à gauche.  - C'est honteux !

M. Jack Ralite.  - C'est très grave car cela revient à dédaigner, insulter, humilier les sénatrices et les sénateurs. (Applaudissements et « Très bien !» à gauche) C'est ensuite une incivilité du pouvoir, voire, et je pèse mes mots, une pratique gouvernementale délinquante. C'est enfin un tripatouillage, un déchirement du droit, un basculement du travail législatif à partir d'une pensée unique et dominatrice.

Au temps du CPE, on avait vu une loi votée, promulguée mais pas appliquée. Aujourd'hui, on voit une loi appliquée mais ni votée ni promulguée ! (Applaudissements prolongés sur les mêmes bancs)

J'espère qu'on entendra ici autre chose qu'une indignation timorée, autre chose qu'un tonnerre de silence ! Si nous nous taisions, le pouvoir prendrait rapidement l'habitude de se passer du Sénat. Notre présidence, qui affiche son désir de changement, doit s'exprimer publiquement et fortement. Autrement, nous serions des élus hallucinés et orphelins de légitimité, mais, pour ce qui nous concerne, décidés à nous battre jusqu'au bout. (Applaudissements prolongés à gauche)

M. Jean-Pierre Bel.  - Comme Mme Goulet, nous estimons qu'un débat sur la situation au Proche-Orient est indispensable. Mais mon propos, qui se fonde sur l'article 42 du Règlement, est autre.

Il n'est pas dans mes habitudes de rappeler la Constitution : d'autres collègues le font bien mieux que moi. Néanmoins, l'article 34 de la Constitution dit que la loi est votée par le Parlement. La révision constitutionnelle de juillet 2008 a même ajouté, à l'initiative de notre collègue Assouline et contre l'avis du Gouvernement, que la loi fixe les règles concernant la liberté, le pluralisme et l'indépendance des médias.

Il est donc bien dans la compétence du législateur de fixer les règles qui concernent l'indépendance des médias, notamment dans le secteur de l'audiovisuel. Or cette indépendance tient en grande partie à la capacité des médias à se financer, et donc à ne pas dépendre du bon vouloir du pouvoir.

Madame la ministre, vous avez choisi de faire nommer le président de France Télévisions et de Radio France par le Président de la République et de supprimer la publicité dans les chaînes publiques. Certains d'entre nous estiment que nous entrons dans une sorte de berlusconisation de notre système audiovisuel.

Avec ce rappel au Règlement, je m'élève contre une pratique sans précédent : on nous demande de débattre d'un texte dont une des principales dispositions est d'ores et déjà en application !

M. Guy Fischer.  - C'est scandaleux !

M. Jean-Pierre Bel.  - Notre rôle consisterait donc à entériner des décisions déjà prises ! Il y a là une atteinte aux droits fondamentaux du législateur, du Parlement, et même aux principes de notre République.

Madame la ministre, vous n'avez pas voulu nous entendre sur un sujet essentiel pour tous les démocrates. C'est pourquoi, dans un instant, nous nous retirerons de l'hémicycle lors de votre discours pour marquer notre indignation. Rassurez-vous, nous participerons ensuite au débat pour faire entendre nos positions. (Applaudissements prolongés à gauche)

M. le président.  - Je vous renvoie, monsieur Ralite, aux propos que j'ai tenus sur une radio hier matin. J'ai rappelé que la loi était votée par le Parlement et seulement par lui.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Il y a contradiction !

M. le président.  - C'est donc à ce débat serein et constructif que je vous appelle dans les jours qui viennent : ce projet de loi sera amendé par le Sénat et ensuite, il reviendra à l'Assemblée nationale et à nous-mêmes de voter la loi définitive. Mais c'est à vous d'en décider et c'est à cela que nous sommes appelés. (Exclamations prolongées à gauche ; M. René Garrec applaudit)

Communication audiovisuelle et nomination des présidents de l'audiovisuel public (Loi organique - Urgence)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision et du projet de loi organique relatif à la nomination des présidents des sociétés France Télévisions et Radio France et de la société en charge de l'audiovisuel extérieur de la France, adoptés par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence. La Conférence des Présidents a décidé que ces deux projets de loi feraient l'objet d'une discussion générale commune.

Discussion générale commune

Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication.  - (Applaudissements à droite ; Mmes et MM. les sénateurs des groupes socialiste et CRC-SPG quittent l'hémicycle) Le 8 janvier 2008, le Président de la République a souhaité porter une grande réforme de la télévision publique, la plus importante depuis vingt ans. Le débat s'est alors engagé dans les médias et la société, une commission a été constituée, présidée par M. Copé, qui a rassemblé des personnalités diverses, des professionnels et des parlementaires. Je remercie ceux d'entre vous qui y ont participé. Lorsque les conclusions de cette commission ont été rendues, le Président de la République a précisé les lignes directrices de la réforme : affranchir la télévision publique des pressions commerciales en supprimant la publicité, la perte de ressources étant compensée par un financement approprié ; créer une entreprise unique et réformer la gouvernance des sociétés de l'audiovisuel public.

Les deux projets de loi que je vous présente mettent en oeuvre cette grande mutation ; ils portent également la création de la société « Audiovisuel extérieur de la France » qui regroupera les médias français et francophones diffusant à l'étranger, la transposition de la directive européenne « Service de médias audiovisuels » ainsi qu'une réforme du Centre national de la cinématographie et du droit du cinéma.

Il s'agit de donner à la télévision publique, qui est celle de tous les Français, une singularité et une identité plus fortes au sein d'un paysage audiovisuel de plus en plus diversifié. France Télévisions, société de grande qualité, doit pouvoir se différencier plus nettement encore par ses misions, son exigence et son ambition culturelle. Le Président de la République a souhaité qu'elle soit libérée des pressions publicitaires et des contraintes de l'audimat : la publicité y sera supprimée en deux étapes, d'abord en soirée, puis sur l'ensemble de la journée au moment de l'extinction de l'analogique. En juin dernier, il a été décidé de fixer l'arrêt partiel de la publicité à janvier 2009, ce qui était une demande forte de France Télévisions ; les équipes s'y sont préparées, les annonceurs l'ont anticipée. Malgré l'obstruction à laquelle a donné lieu le débat parlementaire à l'Assemblée nationale, il a semblé important de maintenir cette date et le président de France Télévisions a pris la décision de gestion de ne plus commercialiser les espaces publicitaires à partir de 20 heures, décision que le vote en loi de finances pour 2009 d'une dotation budgétaire de 450 millions d'euros pour la société rendait possible. Cette évolution semble d'ores et déjà appréciée des Français.

Conformément aux conclusions de la commission Copé, cette suppression ne s'appliquera pas aux décrochages régionaux et locaux de France 3 ; en outre, la publicité dite collective demeurera autorisée, de même que le parrainage et les campagnes d'intérêt général.

Le projet de loi pose le principe de la compensation, par des ressources publiques, du manque à gagner qui résulte de la suppression de la publicité. La commission Copé l'a estimé à 450 millions d'euros, somme que le Gouvernement a retenue et qui est désormais garantie par la loi de finances pour 2009 ; elle l'est aussi, dans un cadre triennal, pour 2010 et 2011. Le texte crée d'autre part deux taxes : l'une sur les recettes publicitaires des services de télévisions ou leurs régies, dont le taux sera modulé entre 1,5 % et 3 % en fonction du surplus effectif de recettes publicitaires des chaînes de télévision ; l'autre, de 0,9 %, sur le chiffre d'affaires des services de communications électroniques fourni par les opérateurs déclarés auprès de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep). Dans les deux cas, un abattement permet d'exempter les plus petits opérateurs. Je me félicite aussi que le législateur ait décidé d'indexer la redevance sur l'inflation dans le cadre du collectif pour 2008.

Le projet de loi modifie également l'organisation interne de France Télévisions qui deviendra, à l'instar de Radio France, une société nationale de programmes composée de plusieurs antennes -France 2, France 3, France 4, France 5 et RFO- dont les identités seront renforcées. C'était l'une des propositions de la commission Copé et une demande ancienne des dirigeants de France Télévisions. Le groupe public pourra également développer d'autres services, dont les caractéristiques seront définies par son cahier des charges fixé par décret après avis du CSA. Le Gouvernement est très soucieux de la diversité des programmes, qui est inhérente à celle des antennes ; je serai attentive aux propositions de la commission des affaires culturelles sur le sujet.

Cette réforme de structure s'accompagne d'une réforme de la gouvernance. Le Président de la République l'a clairement dit le 25 juin dernier : dès lors que l'État est l'unique actionnaire de France Télévisions et son financeur à plus de 90 %, qu'il en définit les missions de service public, il est légitime qu'il prenne ses responsabilités et en nomme le dirigeant. Mais le secteur public de l'audiovisuel n'est pas un secteur public comme un autre : la nomination sera soumise à l'avis conforme du CSA et à l'avis des commissions des affaires culturelles de chaque assemblée parlementaire. L'État assume ses responsabilités, le CSA contrôle et le Parlement se prononce et rend le débat public. Les députés ont souhaité que la même procédure s'applique au retrait des mandats des présidents des entreprises publiques de l'audiovisuel. Le Sénat en débattra.

Autre réforme, celle de l'audiovisuel extérieur. Le Président de la République l'a souhaitée dès la fin de l'année 2007, avec le souci que la culture française et francophone comme le regard français sur l'actualité soient mieux diffusés dans le monde. Je sais que la Haute assemblée a toujours veillé à ce que la voix de la France et de la francophonie rayonne grâce à des médias qui soient autant de relais pour notre culture, notre langue et notre vision du monde.

Le projet de loi améliore la cohérence de notre politique audiovisuelle extérieure, la lisibilité de ses orientations et l'efficacité de chacune de ses entités. A déjà été créée au printemps dernier la société « Audiovisuel extérieur de la France » (AEF), qui doit rassembler les participations publiques dans RFI, France 24 et TV5 Monde. Aux termes de l'article 51 du texte, le capital de RFI, actuellement détenu par l'État, sera intégralement transféré à AEF, cette société étant désormais chargée du pilotage stratégique et de la coordination des sociétés concernées. AEF devient ainsi la société nationale de programme chargée de l'audiovisuel extérieur de la France ; à ce titre, elle et ses filiales seront soumises à des obligations définies par un cahier des charges fixé par décret. La négociation d'un contrat d'objectifs et de moyens avec l'État devrait débuter prochainement. Ni l'existence ni le rôle de RFI, France 24 et TV5 Monde ne sont remis en cause, au contraire : avec des moyens renforcés, elles pourront développer des synergies dans le respect de leurs identités. A titre d'exemple, la rédaction en arabe de RFI pourra se rapprocher de celle de France 24 qui peine, faute de moyens financiers, à augmenter ses temps d'antenne dans cette langue. Ces rapprochements permettront de développer une vision française de l'actualité dans tout le monde arabe. II s'agit, plus globalement, de parvenir à un dispositif plus cohérent, plus lisible et plus efficace.

Ce texte est enfin la clé de voûte d'une réforme d'ensemble du secteur audiovisuel, dont l'objectif est de renforcer la compétitivité des chaînes de télévision, publiques comme privées. Le Gouvernement entend leur donner plus de souplesse en matière de publicité en s'appuyant sur la directive « Services de médias audiovisuels ». Le régime de la publicité télévisée résultant du décret de 1992 prend désormais en compte les nouvelles règles européennes. Le texte propose d'autoriser une seconde coupure publicitaire dans les oeuvres, mesure très favorable au secteur cinématographique comme aux fictions audiovisuelles de longue durée. Les chaînes programment en effet de moins en moins de films ; si nous augmentons les recettes tirées de leur diffusion, nous rendrons ces oeuvres plus attractives.

La directive ouvre en outre la possibilité de recourir au placement de produits, à l'exclusion des émissions destinées à la jeunesse. Je souhaite qu'il puisse être autorisé et que le CSA en fixe les modalités pratiques. Le placement de produits existe déjà au cinéma, créateurs et producteurs savent l'utiliser sans excès : il permettrait de trouver des ressources supplémentaires pour la création audiovisuelle. Grâce aux obligations de production, juste compensation de l'usage gratuit des fréquences hertziennes, les chaînes de télévision font vivre un grand nombre d'entreprises et d'acteurs du secteur ; elles sont aujourd'hui les principaux financeurs de la création dans notre pays. C'est grâce à elles que nous avons le troisième cinéma du monde, que notre production audiovisuelle est aussi innovante et dynamique. II est donc important que les recettes publicitaires de France Télévisions se reportent sur les autres chaînes et les médias producteurs et diffuseurs de contenus. Dans notre marché publicitaire, le hors médias et l'affichage sont particulièrement développés, à cause d'une réglementation de la publicité à la télévision particulièrement contraignante au regard des normes européennes, pourtant exigeantes et protectrices du téléspectateur. Si nous ne les assouplissons pas, le risque est qu'une partie importante des investissements se reporte ailleurs, ou même qu'ils disparaissent. N'oublions pas que c'est sur le chiffre d'affaires des chaînes qu'est assise leur contribution à la production cinématographique et audiovisuelle européenne et française : tout le monde a intérêt à leur bonne santé.

En contrepartie de ces assouplissements, les chaînes ont consenti des efforts importants en faveur des oeuvres patrimoniales. C'est le sens des accords interprofessionnels qui sont venus récemment remplacer les décrets pris en 2001 par Catherine Tasca et qui recentrent les obligations des chaînes privées dans le financement de la production indépendante. Ils prennent mieux en compte leur apport économique à la production des oeuvres qu'elles financent, ils encouragent davantage le travail des auteurs et tiennent compte de l'existence de groupes constitués de plusieurs chaînes. C'est toute l'économie de la filière audiovisuelle qui sera ainsi renforcée. J'ai déposé plusieurs amendements permettant l'application de ces accords dès l'année prochaine et j'ai demandé à Dominique Richard et David Kessler, auxquels j'avais confié cette mission sur les chaînes historiques, de la poursuivre avec les nouveaux acteurs de la TNT. Toutes les chaînes doivent en effet enrichir l'offre de programmes de qualité.

Ce projet de loi vise également à rendre les médias davantage accessibles aux personnes handicapées. Depuis plusieurs années, des efforts importants ont été réalisés en faveur des personnes sourdes et malentendantes, grâce au développement du sous-titrage et de la langue des signes. Le projet de loi entend favoriser l'accessibilité de la télévision aux personnes aveugles et malvoyantes par le développement de l'audiodescription, aujourd'hui très peu utilisée et qui consiste à insérer un commentaire oral dans un programme audiovisuel. La direction du développement des médias a élaboré un rapport sur ce sujet, présenté en juin 2008 à la commission nationale « culture et handicap » que je préside. J'ai organisé une consultation publique afin d'associer à cette réflexion les associations de personnes aveugles et malvoyantes et les professionnels de l'audiovisuel. A la suite de cette consultation, deux séries de dispositions ont été intégrées au projet de loi : le renvoi aux conventions conclues entre les chaînes privées et le CSA et aux contrats d'objectifs et de moyens des chaînes publiques, pour fixer les proportions de programmes qui devront être accessibles aux personnes aveugles ou malvoyantes. Pour les chaînes privées, seules celles dont l'audience dépasse 2,5 % seront soumises à cette obligation. Les chaînes les plus regardées seront donc seules concernées : TF1, Canal +, M6 et, demain, W9, TMC, NT1 et Gulli. Par ailleurs, il sera possible de valoriser les dépenses d'audiodescription dans le cadre de la contribution des chaînes à la production cinématographique et audiovisuelle.

Le cinquième grand chantier de modernisation est l'adaptation de la réglementation aux nouveaux « Services de médias audiovisuels à la demande », les Smad. Ces services modifient les usages en profondeur en permettant aux téléspectateurs de s'affranchir des programmes linéaires traditionnels et de visionner des programmes au moment où ils le souhaitent. L'objectif est de permettre à tous de profiter de ces nouveaux services et de faire en sorte, aussi, qu'ils fassent toute sa place à la création originale européenne et de langue française. Cela suppose de moderniser la réglementation audiovisuelle et, en transposant la nouvelle directive « Services de médias audiovisuels », le projet de loi introduit logiquement les Smad dans le champ d'application de la loi du 30 septembre 1986. Il étend ainsi notre régime traditionnel aux services les plus créatifs issus d'internet, en proposant une définition qui couvre les services de vidéo à la demande, mais également les services dits de télévision de rattrapage qui permettent de voir ou de revoir pendant une période donnée les programmes diffusés par les chaînes de télévision. A l'inverse, et conformément aux termes de la directive, les contenus créés par les utilisateurs et mis à disposition par des sites internet hébergeurs, sont clairement exclus.

Afin de ne pas freiner le développement de ces services nouveaux de vidéo à la demande et de télévision de rattrapage, nous avons privilégié une réglementation souple et progressive. La France est, avec près de cinquante services existants, à la pointe des pays européens en la matière. En prenant soin d'éviter toute distorsion de concurrence entre opérateurs, il s'agit à la fois de tenir compte de certaines conséquences du développement de ces services à fort potentiel économique et d'éviter de l'entraver. Trois séries de dispositions s'appliqueront à ces services. La protection des mineurs d'abord : face à l'explosion des contenus pornographiques sur internet, l'action du CSA s'exercera pleinement sur les Smad. Le soutien à la production européenne ensuite, car ces services devront prendre leur part dans le soutien à la création audiovisuelle et cinématographique, à l'instar des services dits traditionnels. Les Smad se verront également appliquer les principes généraux issus de la directive « Services de médias audiovisuels », par exemple ceux relatifs au respect de la dignité humaine ou à la déontologie des communications commerciales.

Enfin, ce projet de loi modernise nos outils de politique publique en faveur du cinéma. Avec une télévision publique volontariste, un système de financement de la création élargi à tous les diffuseurs et un puissant soutien de l'État à la création audiovisuelle et cinématographique, administré par le CNC, la France peut se féliciter de mener une politique ambitieuse en faveur de la création audiovisuelle et cinématographique. Depuis sa création, avec l'instauration d'une taxe spéciale sur les billets de cinéma au lendemain de la guerre, le compte de soutien du CNC n'a cessé d'être adapté aux évolutions de la création : il a été étendu peu à peu aux différentes branches du cinéma, mais aussi à la production audiovisuelle puis à la création multimédia et au jeu vidéo, couvrant ainsi toute la création patrimoniale d'images animées. Son mode de financement a été modifié en conséquence, par des contributions prélevées sur tous les marchés de l'image et redistribuées à l'ensemble de la chaîne de la création et de la diffusion. Il est impératif aujourd'hui de renforcer les bases juridiques de ce dispositif unique en son genre, dont les plus anciennes sont antérieures à la Constitution de la Ve République. Pour cela, je vous demande d'autoriser le Gouvernement à rénover par ordonnance son statut juridique et à consolider le droit du cinéma. La voie de l'ordonnance est apparue préférable en raison de l'aspect très technique des dispositions, mais aussi de la nécessité de ne pas différer plus longtemps la réforme du CNC, qui est attendue par tous.

Le premier projet d'ordonnance renforce l'organisation du Centre national de la cinématographie, qui devient un établissement public à part entière, doté d'un conseil d'administration. Par ailleurs, vous avez bien voulu, en loi de finances pour 2009, renforcer l'assise financière du CNC en lui affectant directement les recettes fiscales dont il ne bénéficiait jusqu'à présent que par l'intermédiaire d'un compte d'affectation spéciale. Le Centre national voit enfin ses missions adaptées à ce qu'est aujourd'hui le paysage médiatique, avec, notamment, le soutien à la vidéo à la demande ou à la production d'oeuvres conçues pour internet. Il s'agit de réconcilier le droit avec les faits. Cette première ordonnance réécrit aussi un ensemble de dispositions techniques du droit du cinéma, pour partie inchangées depuis 1946, pour les rendre plus intelligibles et enfin conformes à la hiérarchie des normes. Pour renforcer leur efficacité, ces dispositions seront rassemblées dans un même code. Le droit du cinéma, édifice précieux et unique en son genre, qui participe pleinement à l'exception culturelle française, y gagnera en lisibilité.

Une deuxième ordonnance perfectionnera à la marge certains outils de régulation de l'industrie du cinéma qui ont fait leurs preuves, comme le Médiateur du cinéma. Il faut une régulation de la concurrence adaptée aux spécificités de ce secteur et conforme aux objectifs de la politique publique en faveur de la création et de sa diffusion à tous. C'est la mise en oeuvre de propositions du rapport sur « Cinéma et concurrence » d'Anne Perrot et Jean-Pierre Leclerc. Ces réformes n'appellent que des modifications d'ampleur limitée à la législation en vigueur.

Bien entendu, la rédaction de ces deux ordonnances se fera dans la concertation et il semble naturel que les commissions parlementaires compétentes y soient associées, avant que ces ordonnances soient soumises au Parlement pour ratification, dans un délai de six mois pour la première et de huit mois pour la seconde.

Alors que vient de s'achever une année particulièrement brillante pour le cinéma français, avec un record d'entrées pour les films français jamais atteint depuis vingt cinq ans et qui n'est pas dû seulement à Bienvenue chez les Ch'tis, nos instruments de politique publique à l'égard du cinéma -qui font de la France le troisième pays producteur de films au monde- doivent accompagner la dynamique de ses succès.

Ce projet de loi est une réforme d'ensemble de l'audiovisuel : l'audiovisuel public, l'audiovisuel extérieur, le cinéma. Il est porté par une grande ambition qui aura des conséquences sur la vie quotidienne des Français sur le territoire national comme à l'étranger. Il apporte aussi des réponses à des débats anciens, comme celui de la publicité dans le service public.

Le Gouvernement a pris le risque de cette grande réforme culturelle et de société qui prend en compte les nouvelles conditions du marché des contenus et l'apparition d'une offre toujours plus riche, plus diverse et plus accessible. Dans trois ans, tous les Français auront accès aux dix-huit chaînes gratuites de la TNT. Au-delà, nos concitoyens s'habituent à visionner librement leurs programmes favoris, à l'heure où ils le souhaitent. Le paysage audiovisuel change aussi vite que les usages et nous devons faire en sorte que le système vertueux mis en place dans notre pays pour financer la création audiovisuelle et cinématographique perdure dans ce nouveau contexte. Il ne s'agit pas d'opposer chaînes publiques et chaînes privées. Toutes concourent à la création, toutes contribuent au financement du cinéma.

Ces deux projets de loi portent bien une réforme globale qui donne à l'ensemble du paysage audiovisuel les moyens de la qualité, de l'originalité et de l'accessibilité, au bénéfice de tous. Le Sénat s'est toujours impliqué sur ce sujet et le Gouvernement est prêt à travailler avec lui pour rendre cette réforme encore plus conforme aux attentes de nos concitoyens. (Applaudissements à droite et au centre)

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteur de la commission des affaires culturelles.  - « L'organisation du service public de l'audiovisuel est un devoir de l'État. Cette phrase n'insulte aucun avenir ; elle n'interdit aucune réforme en profondeur du service public. Elle interdit sa lente agonie. L'essentiel est d'inscrire le principe de la télévision publique dans les piliers de l'identité française. L'essentiel, c'est vrai, consiste à sacraliser la télévision publique en France ».

Par ces mots, la philosophe Catherine Clément, dans son rapport sur « L'offre culturelle sur France Télévisions » remis au ministre de la culture en 2002, a énoncé des principes qui paraissent aujourd'hui prophétiques. Il faut en effet « sacraliser » la télévision publique car elle est un vecteur extraordinaire de transmission de culture et de valeurs, c'est un patrimoine commun, un outil au service du plus grand nombre. Elle est la première pratique culturelle contemporaine, la quasi-totalité de nos concitoyens la regardant. Face à un paysage audiovisuel qui change profondément, il est urgent de moderniser France Télévisions et, d'abord, de supprimer la publicité. C'est pour la télévision publique la chance de sortir des émissions formatées, la chance d'accroître son indépendance et sa spécificité, la chance de réaliser des projets audacieux sans pour autant tomber dans l'élitisme. Les deux premiers titres de ce projet de loi visent donc, d'une part, à donner à la télévision publique les moyens juridiques et financiers de ce changement et, d'autre part, à l'inciter à mettre en oeuvre les ambitions que l'on a pour elle.

Ce qui est certain, c'est que la réforme ne se fera pas sans le groupe France Télévisions. Le groupe a d'ailleurs su prendre en main son destin, ayant déjà par exemple opéré un virage éditorial significatif ces dernières années.

France Télévisions peut donner un visage et une voix au service public.

Ce visage aura de multiples aspects qui correspondront aux lignes éditoriales des antennes ; il devra aussi refléter la diversité au sein de la maison et sur les antennes : diversité culturelle et sociale, diversité des origines et des sexes. Selon un recensement du Monitorage des médias, la présence médiatique des femmes au niveau mondial est de 21 % seulement, contre 79 % pour les hommes ; la France est encore en-deçà de cette moyenne puisque la présence des femmes n'y est que de 17,7 %.

La suppression de la publicité ne doit pas occulter les autres enjeux du texte, notamment la mise en place d'un média global. Les modes de communication et les usages médiatiques ont d'ores et déjà connu des bouleversements. On continuera certes à regarder la télévision en famille ; mais demain, la délinéarisation permettra à chacun d'y avoir accès de manière autonome et personnelle. L'internet favorisera la recherche d'information et le dialogue, le téléphone mobile sera un écran de services et d'alerte. De nouveaux produits seront proposés en amont et en aval de la chaîne premium sur tous les supports, dessinant une offre interactive pour tous les publics, notamment les jeunes. Donne-t-on à la télévision publique les moyens juridiques et financiers de réaliser ces projets ?

Je ne m'étendrai pas sur les modalités de mise en place de l'entreprise unique France Télévisions : M. Thiollère y reviendra, et je partage son sentiment qu'il faut garantir l'indépendance et le pluralisme du groupe. En ce qui concerne le financement, il évoquera la question des taxes ; je m'en tiendrai à celle de la redevance.

La redevance est le mode de financement le plus naturel, le plus dynamique et le plus pérenne de la télévision publique. Un financement tiré majoritairement de la redevance est ce qui différencie une télévision publique d'une télévision d'État.

Mme Catherine Tasca.  - Bravo !

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteur.  - Nous avons déjà abordé ce débat lors de la discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2008.

La commission sur la nouvelle télévision publique a longuement réfléchi sur le modèle de développement et le modèle culturel de France Télévisions. Ses propositions ont été largement reprises dans le présent projet de loi et le projet de cahier des charges. Le groupe de travail sur le modèle de financement a réalisé un travail important : il a estimé à 450 millions d'euros l'impact financier de la suppression de la publicité après 20 heures et à 200 millions d'euros le coût du nouveau modèle de développement de France Télévisions. Mais il s'est heurté à la difficulté d'anticiper les conséquences de la mise en place de l'entreprise unique et de mesurer précisément le coût des missions de service public confiées à France Télévisions ou encore les économies susceptibles d'être réalisées. Enfin, la possibilité d'une hausse de la redevance n'a pas été envisagée.

L'indexation de la redevance sur l'inflation, prévue par la dernière loi de finances rectificative, devrait permettre d'assurer un financement à euros constants de France Télévisions ; mais cela ne représente qu'une hausse de 40 millions d'euros en 2009. Votre commission vous proposera un amendement prévoyant d'arrondir le montant de cette contribution à l'euro supérieur après indexation ; elle vous proposera également, en raison de l'arrivée du média global et de l'utilisation de plus en plus fréquente de l'ordinateur comme récepteur de télévision, d'étendre la redevance à tout type de terminal.

Pour aller plus loin, le législateur doit bénéficier de moyens dont il ne dispose pas aujourd'hui ; le problème de la redevance doit être étudié dans tous ses aspects. Afin que nous puissions aborder la prochaine discussion budgétaire en disposant de toutes les informations nécessaires, nous proposons de confier au CSA le soin de rendre un rapport au Parlement sur le financement de France Télévisions avant chaque loi de finances. Les moyens d'enquête du CSA seront renforcés afin qu'il puisse disposer de données précises et fiables et élaborer son avis en toute indépendance. En Allemagne, une autorité indépendante spécifique est chargée d'estimer les besoins de financement de l'audiovisuel public ; nous avons estimé qu'en France, le régulateur, autorité administrative indépendante, était le mieux placé pour mener à bien un audit régulier de l'entreprise.

Le Parlement doit s'engager dès maintenant à définir le meilleur mode de financement des chaînes publiques. C'est pourquoi votre commission propose la mise en place d'un comité de suivi de la loi composé de parlementaires et chargé de formuler des recommandations avant la prochaine discussion budgétaire ; peut-être apparaîtra-t-il alors nécessaire de relever la redevance, ou de la baisser si des économies peuvent être réalisées.

Ainsi nous donnons à la télévision publique les moyens de remplir ses missions à court terme, et nous nous engageons à lui trouver à moyen terme un mode de financement satisfaisant, garanti sur plusieurs années : toute entreprise a besoin de visibilité.

Afin de renforcer dès maintenant la légitimité de la redevance, nous proposons de la mensualiser, de reconnaître aux téléspectateurs un droit de regard sur la programmation, d'affecter entièrement le produit de cette taxe aux principaux opérateurs de l'audiovisuel public et de changer sa dénomination : elle s'appellerait désormais « contribution à la télévision et la radio publiques ». Si nos propositions sont retenues, la redevance sera portée à 10 euros par mois, trois fois moins que le prix d'un abonnement auprès d'un opérateur satellitaire et dix fois moins que les dépenses moyennes mensuelles des ménages en matière de téléphonie. C'est également moins que le montant de redevance que les Français ont le sentiment de payer, qui s'établit en moyenne à 140 euros annuels.

Mais cette revalorisation de la redevance ne sera pleinement acceptée que si les programmes évoluent dans le sens d'une plus grande originalité, d'une plus large diversité et d'une meilleure qualité.

C'est l'un des problèmes sur lesquels la commission Copé s'est penchée, notamment le groupe de travail sur le modèle culturel auquel j'ai participé. Les professionnels que nous avons auditionnés, par la rigueur et la pertinence de leurs interventions, m'ont fait comprendre la richesse et la complexité de la création et de la production audiovisuelles françaises. La plupart de leurs préconisations ont été reprises dans le projet de cahier des charges : renforcement du soutien à la diversité et à la création, définition d'une nouvelle ambition culturelle, incitation à la mise en place du média global. Ce cahier des charges fait de France Télévisions un modèle pour ce qui est de l'accessibilité aux personnes handicapées, de l'accès à la culture, de la promotion de la citoyenneté, de l'éducation de la jeunesse, de la sensibilisation à l'environnement et à l'Europe.

L'Assemblée nationale a par ailleurs élargi le champ des missions de service public. C'est la raison pour laquelle la commission des affaires culturelles vous proposera de promouvoir le multilinguisme dans les programmes de France Télévisions, en rendant systématiquement accessible la version originale des oeuvres étrangères diffusées...

M. Jacques Legendre, président de la commission des affaires culturelles.  - Très bien !

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteur.  - ...et d'instituer une télévision de rattrapage gratuite sur les sites internet de France Télévisions. Les programmes financés par la contribution à la télévision et à la radio publiques doivent être accessibles gratuitement dans un certain délai après leur diffusion à l'antenne : cela rajeunira l'audience et fournira une justification supplémentaire à la hausse de la redevance.

Par ailleurs, la commission pour la nouvelle télévision publique a décrypté les raisons du succès des chaînes publiques étrangères comme la BBC. L'évolution du secteur audiovisuel public français prévue par ce projet de loi s'inscrit dans une mutation européenne globale, imposée notamment par la directive « Services de médias audiovisuels ». Le rapprochement des régimes juridiques européens devrait permettre de répondre aux impératifs de protection des mineurs, d'accessibilité des programmes et de développement des nouvelles méthodes de production et de diffusion.

Je souhaiterais enfin dissiper certaines inquiétudes. Nous veillons à ce que le secteur de la création sorte renforcé de ce projet de loi. Le risque est que plus de diversité n'engendre pas plus de création. Notre pays peut s'enorgueillir de son industrie culturelle : la moitié des films nommés aux Césars 2008 étaient coproduits par France 2 Cinéma et France 3 Cinéma. La richesse des métiers de la production pourra d'autant mieux s'exprimer que les chaînes du paysage audiovisuel français seront diverses. Nous avons pu constater l'intérêt mais aussi les craintes suscités par la constitution d'unités de programme au sein de l'entreprise unique ; la commission des affaires culturelles vous proposera des amendements visant à assurer la collégialité des décisions prises par France Télévisions pour éviter que l'entreprise unique ne signifie pas qu'une seule personne détienne dans ses mains l'ensemble de la programmation des chaînes publiques.

Garantir le financement de l'audiovisuel public, c'est préserver notre économie face à la concurrence du marché américain.

Nous souhaitons également renforcer l'identité des chaînes, notamment de France 3, la chaîne des régions.

La commission souhaite confirmer l'existence législative de la chaîne préférée des Français et préciser ses missions, en renforçant l'aspect régional. Les temps de décrochage sont insuffisants. France Télévisions devra concevoir davantage de programmes en région. Avec la mondialisation, les Français aspirent à un ancrage territorial, et France 3 est la seule à refléter la richesse de nos territoires.

S'agissant de la société de l'audiovisuel extérieur, nos amendements viseront principalement à améliorer le contrôle du Parlement et à stabiliser le conseil d'administration.

La commission Copé avait proposé de reporter la suppression de la publicité après 20 heures à septembre, ce qui aurait laissé plus de temps au débat et apaisé les esprits. A la requête du Gouvernement, le conseil d'administration de France Télévisions a appliqué cette mesure dès le 5 janvier.

M. Michel Boutant.  - Caporalisme !

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteur.  - J'en prends acte, mais, à titre personnel, je le regrette.

Nous allons vivre une période d'innovation passionnante. Dans ce nouveau paysage, le service public doit être central et exemplaire, moteur de la recherche, du développement et de la créativité. C'est un TGV que nous lançons ; il ne pourra se contenter des moyens d'un Corail ! Je me félicite que la commission ait donné un avis favorable à ce texte, sous réserve de l'adoption d'amendements ambitieux, mais propres à en conforter l'équilibre. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Michel Thiollière, rapporteur de la commission des affaires culturelles.  - Dans un TGV, il y a une cabine de tête et une cabine de queue : avec Mme Morin-Desailly, nous avons travaillé dans le même sens. (Sourires)

Rarement projet de loi aura fait couler autant d'encre. La grande histoire comme la petite ont été scrutées, analysées, voire imaginées... Un an après la déclaration du Président de la République, tout a été dit, mais tout reste à faire. La suppression de la publicité après 20 heures dès le 5 janvier dernier était une réforme importante, positive, mais ce télescopage du calendrier a pu blesser... Rappelons toutefois que ce seul sujet n'épuise pas le débat ! Le 5 janvier, France Télévisions proposait une très belle émission, qui a rencontré une grande audience. Je rends hommage aux auteurs de telles émissions, qui font honneur au service public.

Depuis vingt-deux ans, date de la dernière grande loi sur le sujet, l'audiovisuel a changé de périmètre, de volume, avec des dizaines de nouvelles chaînes désormais accessibles via le satellite ou la TNT. Nous avons le devoir de légiférer pour les années à venir. La déclaration du Président de la République, le 8 janvier 2008, a été une heureuse surprise pour nombre d'entre nous. Il a rappelé que la suppression de la publicité représentait certes un enjeu financier, mais touchait aussi aux valeurs, à la transmission, à la création, à l'éducation. Votre commission veut s'emparer de tous ces sujets, débattre au fond, sans céder à l'amertume : le Sénat doit être volontaire, ambitieux, constructif. Nous devons élaborer une vision à long terme du paysage audiovisuel, par la réflexion et le dialogue, en respectant certaines exigences fondamentales.

Première exigence : l'équilibre public-privé. Nous avons besoin d'un pôle public fort, ambitieux, populaire, « désintoxiqué » de la publicité, pour citer Pascal Thomas. Cette vocation publique entraîne des contraintes propres et des ambitions nobles. A côté, un pôle privé fort garantit la pluralité de l'offre et la diversité des contenus. Je rends hommage à ceux qui travaillent aussi bien dans le privé que le public : ils offrent des services à nos concitoyens et assurent notre présence dans le monde.

Deuxième exigence : l'indépendance, pour servir les Français, les valeurs de la République, la création. Je fais confiance à l'indépendance d'esprit des personnels pour s'affranchir des intérêts commerciaux, du formatage des idées, de la pensée unique.

Il ne me paraît pas illégitime que le Président de la République dise en toute transparence à qui il souhaite confier la présidence de France Télévisions, même s'il faut des garanties. (Mouvements à gauche) Cela vaut toujours mieux que l'hypocrisie actuelle qui veut que le CSA tienne ses délibérations secrètes, quand chacun sait sa connivence avec l'exécutif ! (Applaudissements à droite et au centre) Nous souhaitons que l'audition du candidat soit publique ; l'exigence d'une majorité des trois cinquièmes des deux assemblées est aussi une garantie. (On en doute à gauche) Il faut également prévoir une procédure garantissant la transparence et les principes républicains dans l'hypothèse d'une révocation.

Quant à l'indépendance financière, elle suppose une redevance plus dynamique, plus juste et plus lisible. Nous souhaitons connaître l'avis du CSA sur les moyens qu'il estime nécessaires pour l'entreprise unique. Les taxes instaurées sur la publicité et les fournisseurs d'accès n'ont pas vocation à être pérennes.

M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques.  - Absolument.

M. Michel Thiollière, rapporteur.  - Nous en rediscuterons après évaluation, mais les deux taxes seront opérationnelles dès 2009.

Les moyens alloués à France Télévisions pour 2009 sont assurés grâce à la participation de l'État. Il s'agit d'un budget pluriannuel, qui sera indexé chaque année. (Mme Annie David s'exclame)

Troisième exigence, sur laquelle nous serons intransigeants : le service rendu au public. Ses missions fondamentales sont l'information, la culture et le divertissement.

Voilà les missions fondamentales. J'en donnerai des exemples concrets. Nous sommes tous enracinés dans nos territoires ; nous souhaitons qu'ils vivent et que cette vitalité soit reprise et traduite dans les programmes de France 3 et sur le plan national. L'audiovisuel extérieur est une nécessité pour notre pays et une lumière attendue partout dans le monde. Mais la télévision est aussi un moyen de nous ouvrir au monde : des films en version originale sous-titrés témoigneraient d'un respect de la création et faciliteraient l'apprentissage des langues étrangères.

Je suis également favorable à ce que les émissions de France Télévisions puissent être regardées via internet pendant une semaine -une « télévision de rattrapage », en quelque sorte.

Pour le rayonnement de la France dans le monde, il est essentiel de faire savoir où en est notre pays en matière de création. Il faut aussi montrer notre vigilance républicaine par rapport à ce monde parfois fou, qui compte quelques désordres malheureux ainsi que des guerres face auxquelles nous nous sentons impuissants.

La création représente en outre quelques dizaines de milliers d'emplois ! Les créateurs ont besoin de confiance pour que notre pays, avec eux, aille plus loin. L'audiovisuel public doit être encouragé : il est aujourd'hui le premier commanditaire de fictions, mais certains craignent que l'entreprise unique se traduise par un guichet unique, nous présenterons donc un amendement tendant à garantir une commande publique diversifiée.

Les propositions de notre commission sont réfléchies et innovantes. Nous voulons faire oeuvre utile et nous entendons que le Sénat compte dans la réforme ! (Applaudissements à droite et au centre)

présidence de M. Roland du Luart,vice-président

M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques.  - La télévision tient une place particulière dans la vie de nos contemporains. Elle symbolise la modernité. En France s'ajoute à cette dimension sociale une dimension politique qui rend toute réforme délicate. Déjà la loi de 1986 avait été adoptée au forceps... Chez nous, en effet, la télévision est la pierre angulaire de la diversité et de l'exception culturelle. Et ce, grâce à la mise à disposition gratuite du domaine public hertzien en contrepartie d'une obligation de production d'oeuvres de création. Grâce également à une contribution publique au financement de cette création. Sans cela, nous ne disposerions pas aujourd'hui d'une industrie cinématographique et audiovisuelle parmi les plus dynamiques au monde.

Mais il y a eu la révolution numérique. Les Français dépendent de moins en moins de l'antenne « rateau » pour recevoir des images. Le chiffre d'affaires et l'audience des chaînes historiques décroissent avec l'apparition des nouvelles télévisions numériques et satellitaires et des nouveaux médias.

La présente réforme est une réponse à cette nouvelle donne. Rien ne sera plus comme avant. Nos grands médias ont été déstabilisés par un choc numérique -la télévision n'a plus le monopole de l'image, ni le mode hertzien celui de la diffusion- mais aussi par un choc sociologique, car regarder la télévision est une activité de moins en moins familiale et de plus en plus individuelle. De moins en moins sédentaire, aussi. A ce sujet, la télévision mobile personnelle sera-t-elle en place, madame la ministre, dans quelques mois ?

Et il y a eu un choc économique, conséquence des deux premiers. La démultiplication de l'offre a entraîné une hyper fragmentation de l'audience et une atomisation des ressources publicitaires. Un nouvel ordre audiovisuel est en train d'émerger. Il ne sert à rien de s'en réjouir ou de le déplorer. Ces évolutions, en affinité avec l'individualisme démocratique, remettent beaucoup de choses en question : fallait-il ne rien faire et assister impuissants à l'effondrement de l'audiovisuel public et privé français ? Ou vaut-il mieux réformer en profondeur le paysage audiovisuel français ?

Notre commission des affaires économiques approuve les axes majeurs de la réforme, restructuration de France Télévisions pour relever le défi numérique et suppression progressive de la publicité pour tenir un cap éditorial exigeant.

Que l'on ne se méprenne pas : l'exigence de qualité n'implique pas de tenir en mépris la part d'audience. Nous sommes attachés à une télévision fédérative qui tisse du lien social. François Mauriac, à qui L'Express avait confié dans les années soixante une chronique sur la télévision, disait de celle-ci qu'elle était « l'une des images que la France se donne d'elle-même ».

Le divorce d'avec le public n'est pas une garantie de génie ni un label de qualité.

Mme Nathalie Goulet.  - Tout à fait !

M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis.  - Je crois que nous pouvons encore améliorer la réforme. A titre personnel, je note que nous allons taxer un secteur d'activité très dynamique, au motif même qu'il est dynamique, pour financer l'obsolescence d'un autre... Cela n'est pas économiquement raisonnable. Où est la logique, où est le lien ? Certes, il y a la télévision par ADSL, mais elle est retirée de l'assiette ; et les autres composantes n'ont rien à voir avec l'image.

Le risque n'est pas tant juridique - constitutionnel- qu'économique. Les opérateurs investiront moins au moment où on leur demande un effort en matière d'installation de la fibre optique et de couverture du territoire. Faut-il fragiliser un secteur qui est pourtant un formidable relais de croissance ? Notre pays doit combler son retard d'investissement dans les nouvelles technologies de l'information et de la communication ; si ces investissements doublaient de volume, nous gagnerions un point de croissance supplémentaire ! Le président Obama, dans son plan de relance, prévoit une modernisation des réseaux de l'économie numérique et les exonérations fiscales accordées aux opérateurs sont prorogées en 2009. Je me réjouis donc que nos rapporteurs veuillent donner une base plus dynamique à la redevance.

De fait, la redevance est par excellence l'instrument apte à financer l'audiovisuel public. Je suis heureux d'avoir entendu M. Thiollière dire que les taxes n'avaient pas vocation à se prolonger indéfiniment.

J'en viens à internet, secteur prometteur et en plein développement, où la France ne doit pas être à la traîne.

Ses activités naissantes ont besoin d'un cadre juridique stable, posé en France par la loi de 2004 pour la confiance dans l'économie numérique. Nous tenons particulièrement à la distinction entre l'activité d'hébergeur et celle d'éditeur. Il ne faut pas troubler cette frontière, la jurisprudence l'a reconnu. La directive relative au service de médias audiovisuels à la demande (Smad) est excellente. Il faut rester aussi proche que possible de sa lettre.

En revanche, les membres de la commission des affaires économiques sont très dubitatifs face à l'initiative des députés, qui veulent confier au CSA la régulation de la publicité en ligne sur les sites de partage. Pour donner un fondement législatif à une régulation moins administrative et plus adaptée à ce champ d'activité, évoquée par M. Besson dans son plan France numérique 2012, nous vous présenterons un amendement en ce sens.

Voici donc une réforme nécessaire. L'enjeu est considérable, puisque la télévision forme le socle de notre exception culturelle, mais elle est aussi « un formidable outil de communication au service de l'homme », selon la formule de Jean d'Arcy, un grand serviteur du service public de l'audiovisuel à la française.

Par-delà nos divergences, parfaitement naturelles sur un tel sujet, je souhaite que nous contribuions à construire un service public de l'audiovisuel qui aide l'homme à grandir en humanité ! (Vifs applaudissements au centre et à droite)

M. Dominique Braye.  - Bravo !

M. Joseph Kergueris, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères.  - Les deux projets de loi comportent aussi des dispositions qui prolongent la réforme de l'audiovisuel extérieur lancée à l'initiative du Président de la République. Vu leur importance pour l'influence mondiale de la France et de notre langue, la commission des affaires étrangères s'en est saisie pour avis.

Bien sûr, je n'évoquerai pas l'aspect le plus emblématique de la réforme -la suppression progressive de la publicité sur les chaînes du service public- puisqu'il s'applique uniquement au territoire national. En revanche, je dirai un mot du financement de l'audiovisuel extérieur.

Notre commission a travaillé en bonne intelligence avec celle des affaires culturelles. Ainsi, une audition commune a été consacrée le 2 décembre au président de la société Audiovisuel extérieur de la France, M. Alain de Pouzilhac, et à la directrice générale déléguée, Mme Christine Ockrent. Nos conclusions sont très proches. Je tiens à saluer le travail des deux corapporteurs de la commission des affaires culturelles et du rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques.

Depuis plusieurs années, des parlementaires de diverses sensibilités demandaient une réforme de l'audiovisuel extérieur.

Contrairement au Royaume-Uni ou à l'Allemagne, la France est caractérisée par la dispersion de ses opérateurs extérieurs, avec deux chaînes de télévision et deux radios. De nombreux rapports avaient souligné que cette fragmentation nuisait à l'efficacité de notre audiovisuel extérieur, dont le budget était équivalent à celui de nos partenaires.

A l'initiative du Président de la République, un comité de pilotage a été créé sur ce sujet. Il a remis en décembre 2007 ses conclusions, qui proposent de fixer deux missions à l'audiovisuel extérieur : rivaliser avec l'influence de grands médias internationaux comme CNN ou Al Jazeera ; promouvoir la francophonie, la démocratie et les droits de l'homme. Ce rapport n'est pas resté lettre morte, puisque sa principale recommandation -la création d'une société holding Audiovisuel extérieur de la France- a été concrétisée en avril 2008. Cette entité, qui regroupe toutes les participations publiques dans les sociétés de l'audiovisuel extérieur, doit définir les priorités stratégiques et encourager les synergies. La réforme doit donc rendre l'audiovisuel extérieur français plus cohérent et plus efficace.

Fort logiquement, les deux projets de loi comportent plusieurs dispositions tendant à prolonger la réforme de l'audiovisuel extérieur.

Ainsi, la société en charge de l'audiovisuel extérieur deviendra une société nationale de programmes, à l'instar de France Télévisions et de Radio France. Les députés ont précisé que son capital resterait entièrement détenu par l'État. A mes yeux, il s'agit d'une heureuse initiative après la reprise par l'État de la participation détenue par TF1 dans France 24.

La composition du conseil d'administration de la holding et la procédure de nomination du président sont largement inspirées des règles régissant France Télévisions et Radio France.

Enfin, la conclusion obligatoire d'un contrat d'objectifs et de moyens avec l'État comblera une faille majeure : l'absence de pilotage stratégique de l'audiovisuel extérieur. En effet, cette obligation ne s'est jamais concrétisée pour Radio France internationale, alors que la loi l'impose depuis 2000.

La grande nouveauté tient à ce que Radio France internationale, France 24 et TV5 Monde seront désormais pilotées en fonction d'une stratégie globale, dans le cadre d'un contrat commun d'objectifs et de moyens, qui comportera des engagements pluriannuels de financement, indispensables dans un contexte très concurrentiel.

La commission des affaires étrangères a adopté plusieurs amendements visant à conforter cette réforme, au demeurant parfaitement cohérente avec celle de l'audiovisuel public national. On peut les regrouper en trois volets.

Tout d'abord, nous avons souhaité porter de quatre à cinq le nombre de personnalités indépendantes désignées par le CSA au conseil d'administration de la holding, comme c'est le cas pour France Télévisions.

Ensuite, nous souhaitons qu'une de ces personnalités au moins dispose d'une expérience reconnue dans le domaine de la francophonie, ce qui rassurera nos partenaires francophones de TV5 Monde.

Enfin, il nous a semblé indispensable que les commissions parlementaires des affaires étrangères soient associées au contrôle de la société en charge de l'audiovisuel extérieur : comment justifier qu'elles ne soient pas destinataires du contrat d'objectifs et de moyens, au même titre que les commissions des affaires culturelles et des finances ? Je m'étonne que cette anomalie n'ait pas été corrigée à l'Assemblée nationale.

Enfin, je voudrais dire un mot du financement de l'audiovisuel extérieur.

La loi de finances pour 2009 lui attribue quelque 300 millions, dont 65 proviennent de la redevance audiovisuelle. A titre de comparaison, plus de 3 milliards d'euros sont consacrés à l'audiovisuel public national, dont plus de 2 milliards proviennent de la redevance. A elle seule, la dotation de la chaîne franco-allemande Arte représente 300 millions d'euros, dont plus de 220 procurés par la redevance, soit presque l'équivalent des subventions versées aux opérateurs de l'audiovisuel extérieur pour une couverture mondiale !

Selon le document de programmation triennale, la subvention versée à Audiovisuel extérieur de la France diminuera, pour passer de 233 millions d'euros en 2009 à 218 millions en 2010 et à 203 en 2011. Certes, les synergies entre opérateurs devraient dégager des économies d'échelle, que je souhaite vivement, mais toute régression importante des moyens dévolus à l'audiovisuel extérieur pourrait compromettre sa réforme, vu le contexte concurrentiel. Je pense notamment au basculement vers la diffusion numérique et aux nécessaires réformes de structures, dont les effets ne sont pas immédiats.

Pour assurer à l'audiovisuel extérieur un financement pérenne, j'ai proposé par voie d'amendements en loi de finances de lui transférer la part de la redevance jusqu'ici versée à l'INA. Mme la ministre s'est alors engagée à ce que cette question soit examinée dans le cadre du contrat d'objectifs et de moyens.

Tels qu'ils ont été adoptés par l'Assemblée nationale, ces deux projets de loi ne remettent pas en cause le mode de financement de l'audiovisuel extérieur, mais il serait tentant d'utiliser la part de redevance lui revenant pour compenser la perte des recettes publicitaires de France Télévisions. L'argument selon lequel les Français ne devraient pas financer des médias qu'ils ne peuvent regarder ou écouter sur le territoire national ne me paraît pas pertinent car nombre d'entre eux résident ou voyagent à l'étranger.

Sous le bénéfice de ces observations, la commission des affaires étrangères et de la défense est favorable à l'adoption de ces deux projets de loi. (Applaudissements à droite et au centre)

M. David Assouline.  - Notre assemblée est bafouée, humiliée, et ce sentiment est partagé au-delà des bancs de mon groupe.

Le Président de la République a annoncé la fin de la publicité sur France Télévisions il y a un an. Cela ne figurait pas dans son contrat passé avec les Français pendant la campagne présidentielle, et ni le Premier ministre ni vous, madame Albanel, ni même le président de France Télévisions n'en avaient été informés. On ne trouve trace d'une telle recommandation que dans un Livre blanc de TF1 à destination du pouvoir...

Le fait du prince a été « habillé » avec l'aide du très indépendant M. Copé et d'une commission qui s'est réunie pendant des mois à seule fin de mettre en oeuvre l'annonce présidentielle. Nous avons participé à ses travaux avec pour objectif le renforcement du service public de l'audiovisuel, le maintien de la qualité de ses programmes et la poursuite de sa modernisation, déjà engagée avec le projet du média global. Quand nous avons constaté que les propositions dont accoucherait la commission menaçaient le service public, les salariés de France Télévisions -souvent décriés alors qu'ils sont imaginatifs-, la modernisation du groupe et son indépendance, nous l'avons quittée en donnant au Gouvernement le seul rendez-vous réellement démocratique : le débat parlementaire.

Faisant fi même de l'avis de la commission Copé, le Président a introduit dans la réforme la nomination et la révocation, par lui-même, des PDG de France Télévisions, de Radio France et de la société chargée de l'audiovisuel extérieur. Les projets de lois n'ont été mis à l'ordre du jour de l'Assemblée qu'en novembre, l'urgence a été une nouvelle fois déclarée et le Pouvoir n'a cessé d'essayer de faire taire les députés de l'opposition qui résistaient.

Piétinant les prérogatives des assemblées, vous avez ordonné à la direction de France Télévisions de réaliser le voeu du Président. Circulez, il n'y a plus rien à voir ! Et à quoi servons-nous ? A quoi sert la démocratie ? Vous vous en moquez. J'espère qu'il y aura quelques consciences républicaines -au-delà de mon groupe- pour vous le dire ! J'espère aussi que ce scandale, ce déni de démocratie, ce mépris du Parlement ne se passeront pas dans le silence, que ces projets de lois ne passeront pas du tout. Tout n'est pas joué d'avance car ici, nous ne sommes pas aux ordres !

Commençons par éclairer les citoyens sur l'enjeu de ce débat. S'agit-il de reprendre une idée de gauche consistant à réduire le temps de diffusion de publicités sur les antennes du service public en augmentant le montant de la redevance ? Bien sûr que non. Le Président a eu beau affirmer, en janvier dernier, sa volonté que l'audiovisuel public « ne fonctionne plus sur des critères purement mercantiles », il a toujours dit l'inverse. Son idéologie ultralibérale, sa conception de la culture et de l'audiovisuel n'est pas habitée par la conviction que la publicité et la recherche de l'audimat facile sont des nuisances. Ainsi, il a permis aux télévisions privées -qui sont celles de ses amis- d'augmenter la durée de leurs messages publicitaires et autorisé la seconde coupure des films. TF1 est pourtant une chaîne très regardée. Nos concitoyens pourraient donc y subir une overdose publicitaire et des programmes de mauvaise qualité ? Quelle supercherie !

Ceux qui affirment réaliser ce dont la gauche aurait toujours rêvé ont entretenu la confusion pour masquer le véritable enjeu de la réforme, qui s'inscrit dans la parfaite continuité de la politique conduite par le Président dans tous les domaines : favoriser les concurrents privés du service public et remettre en cause celui-ci en l'affaiblissant et en le mettant au pas.

La généalogie des cadeaux faits aux groupes privés de télévision par la droite est, à cet égard, édifiante. La loi du 5 mars 2007 a offert un deuxième canal aux éditeurs historiques, permettant à TF1 de rattraper son retard pour la télévision numérique terrestre. La loi de modernisation de l'économie du 4 août 2008 a autorisé un actionnaire à être majoritaire au capital d'une société éditant une chaîne de télévision réalisant jusqu'à 8 % de taux d'audience : TF1 peut ainsi envisager de prendre le contrôle de TMC, la chaîne leader de la TNT gratuite. Et l'arrêt de la diffusion de publicités sur France Télévisions profite principalement aux chaînes ayant la capacité de commercialiser des écrans publicitaires sur les plages horaires captant les audiences les plus importantes, c'est-à-dire TF1 et M6. L'essentiel du chiffre d'affaires réalisé jusqu'alors par France Télévisions après 20 heures, environ 10 % du montant total des investissements publicitaires à la télévision, sera donc capté par les concurrents historiques des chaînes publiques -transfert majoré par la création d'une seconde coupure publicitaire. De plus, un décret devrait prochainement décider du passage de l'heure glissante à l'heure d'horloge pour le calcul de la durée des écrans de publicité, autorisant les très longs tunnels et la diffusion de neuf minutes de publicité par heure au lieu de six. Enfin, dans une conjoncture économique difficile, TF1 et M6 ont déjà engagé une politique commerciale très offensive pour vendre leurs écrans avant 20 heures, quand la concurrence avec France Télévisions est très vive...

Il faut ajouter à cette impressionnante liste de cadeaux le prix survalorisé payé par l'État à TF1 pour acquérir la moitié des parts du capital de France 24. Ainsi, pour une mise initiale de 18 500 euros il y a cinq ans, TF1 en récupérera deux millions tout en restant l'un des principaux fournisseurs d'images de la chaîne ! (M. Dominique Braye fait mine de s'offusquer)

Ces avantages concédés sans contrepartie constituent de véritables délits de favoritisme risquant de freiner le développement des acteurs de la TNT dont le chiffre d'affaires sera taxé de 3 % dès 2009 alors que celui des opérateurs historiques ne le sera que de 1,5 %. La constitutionnalité de ce curieux dispositif fiscal est très douteuse, et la sanction des acteurs les plus dynamiques et les plus jeunes d'un secteur au profit des moins innovants fait fi de la théorie économique.

Où est d'ailleurs la cohérence de l'action économique de ce gouvernement ? Certainement pas dans la contradiction entre la volonté de faire de la France un pays moteur de la révolution numérique en mettant lourdement à contribution les opérateurs de télécommunication et l'invention d'une nouvelle taxe pesant sur le chiffre d'affaires de ces mêmes entreprises. Tout en appelant de nos voeux la participation des groupes de télécommunication au financement de la création, nous ne pouvons que nous interroger sur le bien-fondé économique des taxes créées par cette réforme.

Leurs produits ne compenseront pas le coût des nouvelles dotations consenties provisoirement à l'audiovisuel public. En outre, leur impact financier sera directement répercuté sur les prix des abonnements téléphoniques, c'est-à-dire sur le pouvoir d'achat des ménages ! L'entrée en vigueur de ce projet de loi bouleversera donc profondément l'économie du paysage audiovisuel français.

Ce texte affaiblit le service public de l'audiovisuel afin de le transformer en instruments du pouvoir. Depuis un an, rien n'aura été épargné aux collaborateurs de France Télévisions, de l'annonce de la suppression de la publicité jusqu'à l'ordre donné à la direction du groupe de ne plus programmer de publicité après 20 heures dès le 5 janvier en passant par le voeu du patron du Service d'information du Gouvernement de diffuser une « émission de communication gouvernementale » sur les antennes du service public.

Plus fondamentalement, la transformation de France Télévisions en entreprise unique, changement qui pourrait être utile pour accompagner la mutation de la télévision publique en média global, ne s'accompagne pas de garanties sur le périmètre du groupe, sur le maintien de l'identité de ses chaînes, sur leur autonomie éditoriale ni sur leurs moyens de fonctionnement. Certains, dans les sphères gouvernantes, ont entretenu ce climat d'instabilité : ainsi, lorsqu'un parlementaire réputé proche du chef de l'État multiplie les déclarations fracassantes en semblant devancer les désirs de ce dernier ou lorsque les services du Premier ministre oublient de mentionner, dans le cahier des charges de la future entreprise unique, le caractère national des programmes d'information diffusés par France 3, fragilisant le 19/20 qui est pourtant une référence en matière de journaux télévisés.

Dans le même temps, la création d'une « voix de la France » hors de nos frontières a précipité la restructuration des opérateurs de l'audiovisuel public extérieur. La suppression des programmes de RFI en de nombreuses langues, dont l'allemand et le russe, inquiète tous ceux qui sont attachés au rayonnement de notre culture à l'étranger, notamment en Europe.

C'est donc dans une ambiance délétère, marquée par les restrictions budgétaires, que les équipes de notre télévision publique continuent à travailler avec un dévouement auquel la représentation nationale doit rendre hommage et qui permet aux programmes du service public de réunir encore près de 35 % des téléspectateurs, ce qui fait de France Télévisions l'un des premiers groupes audiovisuels européens par son audience.

Comme le soulignait récemment Dominique Wolton, la réforme en cours est d'autant plus injustifiée « qu'après deux décennies de crise d'identité face aux chaînes privées, la télévision publique commençait à retrouver sa place, grâce au public qui ne l'a jamais lâchée ». Le brutal retour en arrière voulu par le Gouvernement est d'autant plus inacceptable qu'une nouvelle fois, le mépris du Parlement et de toute forme de délibération publique gouverne à l'élaboration des projets de lois le transcrivant. Conformément à la pratique en vigueur depuis mai 2007, l'annonce de la réforme par le Président de la République fut suivie d'une période de grande confusion, démontrant la personnalisation extrême du pouvoir, qui aboutit à la création d'une nouvelle structure ad hoc chargée de légiférer à la place du législateur, dans la lignée des commissions Attali, Mallet et autre comité Balladur. Réunissant des professionnels reconnus du secteur de l'audiovisuel, la commission Copé dut vite convenir que la seule solution pour assurer un financement pérenne de la télévision publique sans le complément des recettes publicitaires était d'augmenter la redevance. Immédiatement rappelé à l'ordre par le chef de l'État, le président de la commission dut battre en retraite, d'où le bricolage final de la commission Copé, alternant des réductions de coûts à la création de nouvelles taxes sans logique économique. Tous les connaisseurs de l'audiovisuel savent pourtant que l'une des deux conditions nécessaires à l'indépendance de l'audiovisuel public est un financement sûr et pérenne qui ne dépende pas du bon vouloir de l'exécutif en place. Dès lors, ce gouvernement doit graver dans le marbre de la loi un tel régime de financement, comme l'ont d'ailleurs faits de nombreux voisins de la France, comme l'Allemagne.

Parfaitement au fait de ces problématiques, notre commission des affaires culturelles souhaite que le financement de l'audiovisuel public soit assuré par une ressource dynamique et pérenne et elle propose d'indexer l'évolution du taux de la redevance sur l'inflation. Mais son augmentation, si minime soit-elle, serait une rupture d'autant plus inacceptable pour le chef de l'État que le sous-financement chronique que subit France Télévisions depuis quelques années est directement lié au retour de la droite au pouvoir en 2002. Ainsi, le gouvernement Raffarin a rapidement mis un terme au plan de développement numérique de France Télévisions conçu par Marc Tessier, qui prévoyait la création d'une chaîne d'information en continu ainsi que d'une antenne jeunesse et de huit télévisions régionales. II est vrai que ce projet risquait de déstabiliser TF1, dont les dirigeants refusaient le développement numérique. Parallèlement, les pouvoirs publics organisèrent le tarissement du financement de ce plan ambitieux, qui était assuré par une augmentation progressive de la redevance. Ainsi était brisé le cercle vertueux enclenché par la loi Trautmann-Tasca d'août 2000 et concrétisé par la signature du premier contrat d'objectifs et de moyens liant France Télévisions à l'État, dont la poursuite aurait achevé la transformation de la télévision publique en un groupe puissant et diversifié, doté d'une stratégie numérique ambitieuse et d'un financement public pérenne et dynamique.

La seule annonce de la future suppression de la publicité des antennes de la télévision publique a entraîné la migration d'une part importante des investissements publicitaires vers les chaînes privées dès 2008 et elle a pesé sur l'équilibre économique de France Télévisions.

Expliquez-nous, madame la ministre, comment les dirigeants de France Télévisions pourront financer les investissements nécessaires à la transformation des antennes publiques en média global, dont le coût annuel a été évalué à 200 millions par la commission Copé, tout en assurant le retour à l'équilibre des comptes ! Expliquez au Sénat, chambre représentative des collectivités locales, comment, soumise à de telles contraintes financières, la direction de France Télévisions pourra continuer à faire fonctionner les antennes régionales de France 3, auxquelles les Français sont si attachés. Sauf à croire aux miracles, la réponse est simple : il faudra supprimer de nombreux emplois et tailler dans les programmes.

En définitive, le but de ce projet de loi n'est-il pas de remettre en cause l'indépendance de l'audiovisuel public ? Le chef de l'État a d'ailleurs déclaré publiquement qu'il rêvait « d'en finir avec le journalisme de dénigrement pour promouvoir un journalisme pédagogique de l'action gouvernementale ». La reprise en mains que connaissent RFI et France 24 s'inscrit parfaitement dans cette logique, avec les licenciements, depuis septembre, de trois responsables de la rédaction de France 24, professionnels reconnus dont deux sont des journalistes titulaires du prix Albert Londres. C'est cette même logique qui est ici à l'oeuvre, avec la nomination et la possible révocation des dirigeants des chaînes publiques par l'exécutif. Désormais, pour durer, ces derniers ne devront pas déplaire au pouvoir. Dans un tel contexte, comment les journalistes pourront-ils être libres de leurs choix éditoriaux ? C'est à l'intégrité et à la crédibilité mêmes du travail des journalistes et de tous les professionnels de la télévision publique que cette réforme porte aujourd'hui atteinte.

A l'initiative du groupe socialiste, notre Assemblée a amendé le projet de loi constitutionnelle voulue par le Président de la République : désormais, « la loi fixe les règles concernant la liberté, le pluralisme et l'indépendance des médias ». Il revient donc au législateur de proposer un régime de nomination des dirigeants de l'audiovisuel public indépendant. Pourquoi ne pas prévoir leur élection par les conseils d'administration des sociétés qui seraient majoritairement composés de personnalités qualifiées désignées par un CSA enfin indépendant ? Si ces deux projets de loi n'étaient pas amendés afin de garantir l'indépendance du service public de l'audiovisuel, leur inconstitutionnalité serait évidente.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Absolument !

M. David Assouline.  - Notre République connaitrait une heure sombre si elle oubliait ce que Victor Hugo déclarait devant l'Assemblée nationale le 11 octobre 1848 : « La liberté de l'Assemblée, sa dignité même sont intéressées à la plénitude de la liberté de la presse ». On dirait aujourd'hui à la liberté des médias. Mais je sais que le Sénat est capable de provoquer ce sursaut. Ce sera son honneur, et la démonstration spectaculaire de son utilité. (Applaudissements à gauche)

M. Hervé Maurey.  - Permettez-moi, tout d'abord, de vous faire part de la désapprobation, pour ne pas dire de l'indignation, du Sénat quant aux conditions dans lesquelles nous examinons ce projet de loi. (Approbations à gauche)

Nous devons en effet examiner un texte dont la mesure principale, aux yeux même de son instigateur, le Président de la République, est la suppression de la publicité sur les chaînes publiques, disposition désormais sans objet puisque obtenue par une décision du conseil d'administration de France Télévisions, à la demande expresse de son actionnaire, l'État. Nous y voyons une marque de mépris pour le Parlement, et surtout pour le Sénat, dont on nous dit pourtant qu'il faut revaloriser son rôle. (Applaudissements au centre et à gauche) Dans ses voeux au Parlement, le Président de la République a répété ce matin même qu'il voulait un Parlement fort. (Exclamations à gauche) La suppression de la publicité sur France Télévisions n'avait certainement pas un caractère d'urgence de nature à justifier la mise à l'écart de notre Assemblée ! D'ailleurs, la commission Copé avait souhaité que cette mesure n'entre en vigueur qu'en septembre.

Je ne vois pas en quoi l'allongement excessif des débats à l'Assemblée nationale justifie que le Sénat soit privé d'un examen au fond de cette mesure, sauf à considérer que notre assemblée ne sert à rien.

Il aurait été plus correct et plus respectueux des droits et prérogatives du Sénat de différer d'un mois, voire de deux, l'application de cette disposition plutôt que de procéder ainsi.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Absolument !

M. Hervé Maurey.  - Cette décision ne crée pas le climat de confiance et de sérénité pourtant nécessaire aux bonnes relations entre le Gouvernement et le Sénat, d'autant plus que notre Assemblée reste à convaincre du bien-fondé de cette réforme.

Pour tout dire, on peut même s'interroger sur la nécessité d'examiner ces textes ! Mais nous ne voterons pas les motions de l'opposition, parce que nous voulons débattre au fond de l'autonomie et du financement du secteur public de l'audiovisuel, parce que nous voulons améliorer le texte.

Nous nous réjouissons que France Télévisions devienne un média global, nous nous félicitons de sa transformation en une entreprise unique, ce qui permettra de dégager de réelles économies, estimées par la commission Copé à 140 millions d'euros. Nous pouvons donc espérer un audiovisuel public rationalisé et attractif. Ce qui est bien, mais pas suffisant. Car pour être en mesure de rivaliser avec ses principaux concurrents, il doit aussi être autonome. Le mode de désignation du président de France Télévisions suscite les critiques de certains, y compris au sein du groupe centriste ; il ne me pose pas de problème particulier, pas plus qu'il n'en pose à la majorité du groupe : il n'est pas anormal que le dirigeant de France Télévisions soit choisi par son actionnaire, d'autant que la procédure me semble bien encadrée. Le vote négatif de la commission des affaires économiques sur la nomination du président du Haut conseil des biotechnologies démontre que les parlementaires savent exercer pleinement leurs prérogatives. Les députés ont par ailleurs bien fait de calquer la procédure de révocation sur celle de nomination ; un dirigeant aisément révocable n'a aucune autonomie.

Tout irait bien sans la question du financement. Je ne suis personnellement pas convaincu que publicité et télévision de qualité soient antinomiques. France Télévisions a su ces dernières années prouver sa spécificité de chaîne publique, malgré la publicité, comme le montrent des émissions comme Des racines et des ailes ou les adaptations de Maupassant qu'elle a produites. Pourquoi une chaîne publique devrait-elle être totalement déconnectée de l'audimat ? Comme le souligne justement son cahier des charges, elle doit intéresser sans ennuyer et garder une dimension populaire.

J'ai d'ailleurs du mal à comprendre qu'on s'attaque à un problème qui ne se pose pas quand il y en a tant à régler. Qui demandait la suppression de la publicité ?

M. Jean-Pierre Sueur.  - Personne !

M. Hervé Maurey.  - Personne ! Pas les téléspectateurs en tout cas, même s'ils ne s'en plaindront sans doute pas. N'y a-t-il pas de sujets plus urgents à traiter ? Ne devrions-nous pas plutôt débattre de questions qui intéressent plus directement les Français ? J'ai quelque scrupule à discuter aujourd'hui d'un tel texte en urgence... (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Je ne suis pas hostile au principe de la suppression de la publicité, c'est la solution qu'ont retenue la plupart des pays européens. Les socialistes la demandent depuis longtemps, qui devraient s'en réjouir. Mais, honnêtement : pas aujourd'hui et pas à ces conditions ! Quand le Président de la République l'a annoncée, la situation était bien différente. Je rejoins M. Balladur, peu suspect d'antisarkozisme, qui déclarait le 13 octobre qu'il fallait suspendre la suppression pour dispenser l'État d'aider France Télévisions ; il se demandait aussi s'il ne serait pas opportun d'affecter les économies au financement du RSA plutôt que de créer encore de nouvelles taxes. Lors de l'annonce du Président de la République, le déficit prévisionnel du budget de l'État pour 2008 était de 41 millions ; il sera de 57 millions, et bien au-delà en 2009. Avons-nous réellement les moyens de nous priver des recettes publicitaires ? Assurément, non ! Je partage le propos du rapporteur général de l'Assemblée nationale qui regrettait la suppression de la publicité, celle-ci étant à ses yeux un moteur de la consommation au moment où la croissance fléchit. Je rappelle enfin que l'audiovisuel public fait face à la crise économique, mais aussi au surcoût de la double diffusion jusqu'à l'extinction de l'analogique et du passage à la haute définition : le moment ne pouvait pas être plus mal choisi.

Plus grave sans doute, la suppression de la publicité n'est pas acceptable dans ces conditions, qui n'offrent pas à France Télévisions la garantie d'un financement autonome et pérenne, seul moyen d'assurer son avenir et sa qualité et même, plus que le mode de désignation de son président, son autonomie. Le seul mode de financement possible est la redevance ; tous les pays occidentaux procèdent ainsi. Elle est de 116 euros en France, mais dépasse 200 euros au Royaume-Uni et en Allemagne ; elle rapporte dans ce dernier pays deux fois plus que la nôtre ! La redevance n'a pas augmenté depuis 2001, ce qui correspond, selon la Cour des comptes, à une baisse en termes réels de l'ordre de 10 %, situation que notre commission des affaires culturelles déplore avec constance.

Nous proposerons non de l'aligner sur celle de nos voisins mais d'en élargir l'assiette à ceux qui n'ont pas de téléviseur et regardent la télévision sur leur ordinateur, ce qui se pratique en Allemagne et pourrait rapporter 30 millions d'euros. Nous proposerons qu'elle soit payée, après un abattement de 50 %, par les occupants des résidences secondaires -quand on en a une, on peut payer 60 euros- avec un plafonnement global à 1,5 fois le montant de la redevance. Nous suggérerons de l'augmenter de 3 ou 4 euros, soit une augmentation de 3 % : je ne connais pas de Français qui ne pourrait y faire face. Et je rappelle que cinq millions de foyers en sont exonérés. Je suis affligé que le Gouvernement n'ait pas eu le courage politique d'accepter l'augmentation de 2 euros que le Sénat a votée à l'initiative de sa commission des affaires économiques : on ne fait pas de réforme quand on n'a pas les moyens de la financer ! Vous avez préféré des taxes, pensant qu'elles passeraient mieux politiquement parce qu'indolores, mais tout le monde sait qu'elles seront répercutées sur les consommateurs : les conséquences sur le pouvoir d'achat seront bien pires : elles pourraient se traduire par l'équivalent d'une treizième facture par an !

Il n'y a donc pas d'autre solution que la redevance. Si vous la jugez injuste, réformez-la, mettez en place la commission annoncée par le Premier ministre, fixez un calendrier et revenez nous voir dans quelques mois ! Mieux vaut attendre pour que soit mise en place une solution véritablement adaptée aux enjeux. En tout cas, dire qu'on va en débattre après le vote de ce texte, ce n'est pas sérieux.

Vous nous proposez donc deux taxes. Encore ! Dois-je rappeler que nous appartenons à une majorité qui s'est engagée à diminuer les prélèvements sur les entreprises pour favoriser l'emploi ? L'exemple de la défunte vignette ou de la taxe additionnelle sur les contrats d'assurance devrait vous faire réfléchir. France Télévisions n'a aucune garantie au-delà de 2011. Comment construire l'audiovisuel public fort que nous appelons tous de nos voeux sans lui assurer les moyens de son ambition ? Vous laissez son financement au bon vouloir des gouvernements futurs.

Plus préoccupant peut-être, ces taxes sont illégitimes. Quelle curieuse démarche de financer une société en taxant ses concurrents...

M. Jean-Pierre Sueur.  - Étrange !

M. Hervé Maurey.  - ...et de lier les ressources de l'audiovisuel public à la réussite du privé ! D'autant que la publicité est déjà taxée à 6,28 %. Si l'Assemblée nationale a amélioré le dispositif en le limitant à l'effet d'aubaine, l'affaire reste complexe et personne ne sait combien elle rapportera, en tout cas pas les 80 millions d'euros annoncés. La taxation des opérateurs de télécommunication est encore plus baroque ; il n'y a aucun rapport entre l'activité de ces sociétés, dont la part audiovisuelle est d'ailleurs exclue de l'assiette, un comble, et la télévision. Comment ne pas s'étonner que 85 % du financement n'aient aucun rapport avec la production et la diffusion d'images ? Les fournisseurs d'accès à internet financent déjà le CNC. Quitte à taxer, il eût mieux valu taxer la vente de téléviseurs ; leur production étant déjà délocalisée, la mesure n'aurait aucun effet en termes d'emplois.

En réalité, vous cherchiez une assiette large pour dégager des recettes et votre choix s'est porté sur ce secteur qui paye ainsi son dynamisme. Taxer ceux qui réussissent me semblait pourtant aux antipodes du projet du Président de la République ! Dans quelques jours, nous allons débattre du plan de relance du Gouvernement. Ce plan ne mentionne à aucun moment le numérique comme moteur de l'économie. Aux États-Unis, Barack Obama a fait le choix inverse en centrant son plan sur les télécommunications et le numérique ; nous, nous préférons taxer ce secteur, l'un des plus dynamiques et des plus stratégiques de l'économie, alors que, selon l'Insee, près de 170 000 emplois seront détruits au premier semestre.

Nous demandons en outre à ce secteur de financer le plan « France numérique 2012 » présenté en octobre par le Président de la République lui-même. Comment ce plan, ambitieux et justifié, sera-t-il réalisé si les entreprises sur lesquelles il repose sont lourdement taxées ? La couverture numérique du territoire -internet haut débit ou téléphonie mobile- est une priorité. Beaucoup trop de territoires, les sénateurs le savent bien, en sont encore privés. Je préfère que les opérateurs soient incités, et même obligés, à couvrir les zones blanches plutôt que d'être une fois encore ponctionnés.

Si cette taxe devait être adoptée par le Sénat, nous demanderions, au minimum, que les investissements réalisés pour assurer la couverture du territoire soient déduits de l'assiette taxable et que le taux de 0,5 % proposé par notre rapporteur, conformément aux conclusions de la commission Copé, soit préféré à celui de 0,9 %.

Ce texte comporte des éléments positifs : nous approuvons votre volonté de rationaliser le service public audiovisuel, nous soutenons les ambitions que vous lui fixez, mais nous ne comprenons pas votre refus d'en tirer les conséquences financières. C'est pourquoi votre projet de loi n'est pas, en l'état, acceptable pas pour l'Union centriste.

Nous avons à coeur, vous le savez, d'apporter notre soutien au Gouvernement et nous souhaitons réellement pouvoir voter ce projet de loi, mais il faudra pour cela que vous acceptiez de nous entendre et de prendre en compte nos remarques et propositions. Nous sommes vos partenaires, nous avons toujours été des alliés loyaux et nous entendons le rester. Mais être dans la majorité ne signifie pas être des « godillots ». (Exclamations ironiques sur les bancs socialistes) Etre partenaire n'implique pas de dire toujours oui, même quand on refuse de nous entendre. La solidarité n'implique pas d'approuver le contraire de ce à quoi l'on croit. Le groupe du Nouveau centre a montré à l'Assemblée nationale qu'il souhaitait être d'avantage entendu, c'est dans le même esprit que le groupe Union centriste du Sénat aborde l'examen de ce projet de loi : avec le sincère espoir de pouvoir vous apporter son soutien. (Applaudissements au centre)

M. Jack Ralite.  - Le 5 février 2008 de 16 à 20 heures, notre commission des affaires culturelles avait réuni une table ronde « Quelles réformes pour le secteur de l'audiovisuel ? ». Étaient présentes les cinq chaînes historiques et des organisations professionnelles : en tout, 26 personnes extérieures, mais aucun syndicaliste, aucun journaliste, aucun artiste, aucun chercheur, aucun représentant des téléspectateurs. Nous étions dans la foulée du coup d'éclat présidentiel du 8 janvier annonçant la suppression de la publicité à la télévision publique, sans que la ministre de la culture ni le président de France Télévisions en soient avertis.

Une étude du cabinet Goldman et Sachs du 6 novembre 2007 annonçait : « Nous nous attendons à ce que le secteur audiovisuel français connaisse des changements importants dans les mois qui viennent, ce qui devrait être un facteur positif pour TF1 et M6 ». Une étude de la Société générale du 2 novembre 2007 tonnait contre le « cadre réglementaire le plus contraignant en Europe » pour la télévision. Quant au Livre blanc -ou plutôt au cahier de doléances- de TF1, il présentait dans le détail la réforme du Président. Cela illustre le lien étroit entre pouvoirs économique et politique. Comme si les affaires du Gouvernement étaient désormais réduites au « gouvernement des affaires ». Pour sa part, Mme la ministre était intervenue au Mipcom d'octobre 2007. Un courtier en bourse avait commenté : « tout est positif dans ce projet  » Les grands diffuseurs commerciaux avaient déjà reçu une cascade de cadeaux en 2006 et 2007, tout cela sous le régime du nouvel « Esprit des Lois » : le dogme libéral franco-européen de « la concurrence libre et non faussée ». Le 9 janvier, le secrétaire général de l'UMP, M. Devedjian, jugeait qu'il y avait « peut-être un peu beaucoup de chaînes publiques » et suggérait « quelques privatisations ». Et le président du groupe UMP, Jean-François Copé, estimait qu'on pouvait faire des économies à France Télévisions.

Sur France Inter, le 3 décembre, le député UMP Frédéric Lefebvre expliquait que la télévision publique avait 11 000 employés et que toutes les télévisions privées n'en avaient que 8 500. CQFD... Il oubliait que l'essentiel des effectifs de la télévision publique est lié au maillage du territoire par les équipes d'information et de production de France 3, facteur majeur de démocratie et de cohésion sociale. Ce point est essentiel pour les sénateurs, proches des collectivités territoriales.

C'est la première fois en Europe, comme en Amérique du Nord, qu'un président d'un groupe de chaînes de télévision publique est nommé par le chef de l'État. C'est contraire à la démocratie. Le chef de l'État n'est ni un patron ni un actionnaire. La télévision et la radio publiques appartiennent aux citoyens, ils doivent s'en mêler directement et par l'intermédiaire de leurs élus. L'État et a fortiori le Gouvernement n'y agissent que par délégation et ne doivent y exercer qu'une influence minimale, voire nulle. L'autonomie de l'audiovisuel public est et doit demeurer un principe cardinal de notre démocratie. Or le projet de loi organique met en cause l'indépendance et l'autonomie des chaînes publiques. Pire le droit monarchique de nommer est complété par le droit princier de révoquer : c'est une première dans la tradition du service public à la française ! Quand TF1 a été privatisée, on a parlé de « mieux-disant culturel », ici c'est « le mieux-disant autoritaire ». Ce n'est pas la fin d'une hypocrisie, mais le début de l'arbitraire. L'avis demandé au CSA est effarant puisqu'il a été qualifié « d'hypocrite » par le Président lui-même. Quant à l'avis des commissions culturelles du Parlement, c'est une joyeuseté indécente quand on sait comment le pouvoir actuel les traite et... annule leurs décisions, fussent-elles unanimes !

Nous proposons, quant à nous, que les Assemblées créent une commission permanente spécialisée sur l'audiovisuel, les médias et le pluralisme qui traitera de toutes les questions concernant le domaine des images et des sons. C'est cette commission qui proposera une liste de cinq noms de candidats à la présidence de France Télévisions, liste qui sera examinée par le CSA, lui-même reconfiguré, puis le conseil d'administration de France Télévisions -lui aussi recomposé afin d'être plus représentatif- procédera à l'élection de son président. Une telle formule respectera davantage l'autonomie des entreprises publiques. Le Président de la République n'aura pas le pouvoir de révocation puisque cela ne peut advenir que pour des fautes très graves qui dépendent alors de la justice ordinaire. La loi organique n'a plus lieu d'être et nous en demandons la suppression, l'élection du Président de France Télévisions étant mentionnée dans l'article 8 du projet de loi ordinaire.

Le financement de France Télévisions est insuffisant dans la première période, de 2009 à fin 2011 : il faudrait 650 millions d'euros et l'État n'en apporte que 450. Il n'est pas pérenne puisque non précisé au-delà des trois ans alors qu'une gestion responsable exigerait une garantie de recette reposant sur une redevance fixée à l'avance pour au moins dix ans, comme dans le cas de la BBC où le montant indexé de la redevance est un pilier essentiel du contrat passé entre les citoyens au travers du Parlement et l'opérateur public.

Au-delà de 2011, l'insuffisance devient béance, et une menace majeure pour le périmètre de France Télévisions. Il faudra alors trouver un milliard : 830 millions pour la suppression de la publicité et 200 pour les programmes de remplacement. L'actuelle compensation des 450 millions d'euros proposée par l'Élysée coûtera bien plus cher que prévu au budget général, puisque la majorité de l'Assemblée nationale a déjà minoré les taxes sur la publicité des télévisions privées et sur les opérateurs de télécommunications et les fournisseurs d'accès à internet. De plus, ce financement doit encore être examiné par la Commission européenne dont l'opinion est incertaine. Comment le Gouvernement ose-t-il présenter un plan de financement aggravant dans de telles proportions le sous-financement déjà récurent de France Télévisions et pour lequel le Président de la République avait même envisagé une augmentation de la publicité ?

Nous avançons trois propositions. Premièrement, une augmentation de la redevance et sa modulation selon les revenus. C'est la seule significative et légitime mesure garantissant la pérennisation du service public. Le Premier ministre propose qu'une commission parlementaire et professionnelle soit créée pour étudier un produit de substitution à la redevance. Nous récusons ce projet, y compris la composition d'une telle commission. L'expérience de la commission Copé est suffisante pour ne pas être renouvelée. Les parlementaires qui représentent l'intérêt général doivent avoir la maîtrise de l'élaboration des solutions. Certes, ils doivent auditionner, mais ils ne coproduisent pas la loi avec une partie des intéressés, notamment avec des lobbies industriels ou autres. Cherchez : dans la proposition du Premier ministre, où sont les syndicalistes, les artistes, les techniciens, les chercheurs et les représentants des téléspectateurs ?

Deuxième proposition : nous envisageons une taxe de 1 % sur la totalité des investissements publicitaires bruts dans et hors médias, à l'exception de ceux concernant le spectacle vivant, la presse écrite quotidienne, l'édition et le cinéma. Une telle taxe assise sur une assiette de 32 milliards rapporterait plus de 300 millions par an.

Nous proposons enfin de renoncer à la suppression de la part de publicité demeurant sur France Télévisions en 2012. (Mme Catherine Tasca approuve) Dans une proposition de loi relative à l'audiovisuel d'avril 1999, que j'avais élaborée durant six mois de travail avec des personnalités représentatives et pluralistes, l'article 6 soulignait l'importance d'un financement mixte du service public de radiotélévision, avec une composante publicitaire plafonnée et des clauses indiquant que les contrats pour la publicité ne pouvaient être fondés sur l'audience des émissions mais uniquement sur des critères liés à l'heure de diffusion.

Quant au pluralisme, je reprendrai les mots de la Déclaration des droits de la culture, énoncée au Zénith en novembre 1987, en disant que c'est un élan qui s'impose, car rien ne vit qu'au pluriel : pluralisme de la culture, des arts, des esthétiques et des techniques, de goûts et des couleurs ; pluralisme qui ne vise pas au démembrement ni au décloisonnement mais qui permet à chacun de rester soi-même tout en découvrant l'autre. Pour ce qui est de la télévision, l'article 4 de cette proposition de loi stipulait que le pluralisme est au coeur des missions du service public, qui doit « informer, cultiver et distraire » le public le plus large possible.

Quant à la politique de création, il faut la libérer de l'esprit des affaires, qui l'emporte aujourd'hui sur les affaires de l'esprit. Un beau monde aujourd'hui tire l'art vers le bas en le marchandisant à outrance, en le transformant en marques et en produits, ce que Claude Lévi-Strauss exprimait dans Tristes tropiques par cette phrase terrible : « L'humanité s'installe dans la monoculture, elle s'apprête à produire la civilisation en masse comme la betterave. » Mais Nicolas Sarkozy préfère répondre à la demande, comme il l'écrivait à sa ministre le 1er août 2007. La réponse à la demande, c'est la logique du marketing. A cela s'oppose l'exigence de Vilar : « offrir aux gens ce qu'ils ne savent pas encore qu'ils désirent ». Comme disait Man Ray, « la différence entre les hommes politiques et les artistes, c'est que les artistes n'ont pas besoin de majorité ». Le divertissement, le rire, le plaisir, l'intelligence, la science non plus n'ont pas besoin de majorité ! Une télévision généraliste ne doit pas raboter les savoirs et les créations sauvages !

Une politique de création doit comporter des obligations de production pour toutes les chaînes et tous les supports techniques de diffusion. Elle doit s'allier à l'innovation technologique, d'où l'importance de la recherche dans ce domaine, que Pierre Schaeffer avait bien comprise, afin que la « belle numérique » se joigne à « la bête fabuleuse » : c'est ainsi qu'André Breton appelait la création.

Il y a d'autres considérations dans notre approche de la télévision publique, et nos amendements visent à y répondre. Il ne faut pas tout mettre en droit, mais nous vivons dans un monde où les groupes privés ont souvent une loi d'avance, comme le disait M. Hersant et comme l'a montré la direction de TF1 lors de l'élaboration du présent texte. Mais il faut faire confiance aux femmes et aux hommes qui assument avec conscience et professionnalisme leurs missions de service public et qui ne craignent pas l'inconnu mais redoutent, à juste titre, les formes formatées par un État et un Président omniscients et omniprésents.

Fallait-il évoquer le contenu de la programmation dans l'exposé des motifs et le cahier des charges ? Les programmes et les horaires de la télévision publique ne doivent pas être fixés par l'État et les grands groupes, sauf à célébrer les noces de l'étatisme et de l'affairisme. Voilà l'idéologie des affaires dont parlaient Adorno et Horkheimer dans leur texte sur les industries culturelles ; Malraux n'en disait pas tant.

Je viens de dessiner une orientation, mais je ne cache pas mes interrogations : il n'y a rien de pire que d'avoir réponse à tout. La société Orange nous a fait savoir que l'Assemblée nationale avait voté un amendement lui retirant une exclusivité qui favorisait ses abonnements. A l'évidence, le lobbying de Vivendi et Canal + est à l'oeuvre, car ces groupes recevront de gros cadeaux si la loi passe telle quelle. Nous sommes confrontés à la guerre économique des entreprises, qui ne s'accordent que pour mettre à bas les régulations et faire payer les citoyens. Ces groupes n'étaient pas soumis jusqu'à présent à la même régulation et n'avaient pas la même fonction : Vivendi et Canal s'occupaient des contenus, Orange des contenants. Si la loi est appliquée à tous ces acteurs de la même façon, elle favorisera Orange ; dans le cas contraire, elle favorisera Vivendi et Canal +. On peut dire que ce sont les beautés du capital ; mais il faudra bien trouver le moyen de résoudre cette contradiction. Nous devrons avoir en vue l'intérêt général et ne pas nous contenter d'arbitrer entre des lobbies. Nous ne sommes pas encore à Bruxelles, où 25 000 fonctionnaires font face à 17 000 lobbyistes !

Je m'interroge également sur le devenir numérique et intermédia de France Télévisions. Je préfère le mot « intermédia » à l'anglicisme « global media » qui envahit la langue gouvernementale... (Sourires) Si la modernisation technique est un prétexte pour justifier l'entreprise unique et supprimer des chaînes, nous la refusons. Mais la modernisation technologique est nécessaire et fait partie des missions du service public ; elle nécessite des investissements, de la recherche et de la formation, alors que les moyens financiers de la télévision publique sont réduits par ce projet de loi. Comment plaider pour une nouvelle politique industrielle tout en poursuivant une mesquine démarche comptable ?

Les producteurs ont passé avec les auteurs et les chaînes un accord sur les moyens dont ils disposeront ; ils disent avoir obtenu satisfaction. Or ils ont obtenu des chaînes publiques une augmentation des obligations de production, et concédé à TF1 une diminution de ces mêmes obligations ! Le contrat favorise le secteur privé et ne s'accompagne pas d'un financement pérenne du service public. Le pouvoir ne voulait pas arbitrer et s'est défaussé sur les intéressés, qui ont raisonné en fonction de leurs seuls intérêts ; une fois encore, la loi ne fait que sanctifier un contrat particulier.

Les personnels et la direction de France Télévisions réclament le droit de produire en interne. Certains poussent les hauts cris parce qu'ils ont aujourd'hui un quasi-monopole. Pourtant, même la RAI sous Berlusconi, ZDF et ARD sous la coalition des chrétiens-démocrates et des sociaux-démocrates, la BBC sous le thatchérisme ou le blairisme se sont toutes vu accorder ce droit !

Il existe par ailleurs un différend sur la définition de l'oeuvre patrimoniale : les producteurs de documentaires souhaitent que soient reconnus non seulement les documentaires de création mais aussi ceux qui sont produits pour des émissions comme Thalassa, Des racines et des ailes ou Capital. On ne peut pas rejeter leur demande d'un revers de main : les documentaires de Cinq colonnes à la une sont aujourd'hui édités en DVD.

J'évoquerai enfin un trou noir dans la présidence française de l'Union européenne, que l'on a pourtant couverte de louanges : M. Sarkozy n'a pas souhaité organiser une rencontre des représentants de toutes les chaînes publiques européennes pour réfléchir à la création d'un pôle public européen capable de lutter contre la domination hollywoodienne sur l'industrie des programmes. Cette initiative aurait une autre stature que la quête éperdue de « champions nationaux », qui se solde généralement par un fiasco ruineux pour nos concitoyens : je pense notamment aux mésaventures de Jean-Marie Messier ou à celles du Crédit lyonnais... Il faut envisager la politique publique dans le domaine de l'audiovisuel et des médias en ayant en tête la réussite d'Airbus et d'Ariane ! N'attendons pas la prochaine présidence française de l'Union pour y travailler.

Les lois Sarkozy ont un défaut fondamental : c'est de traiter l'audiovisuel et les médias comme un monde fini alors que ce monde, comme la vie, est ouvert à l'infini. Flaubert écrivait le 18 mai 1857 : « Aucun grand génie n'a conclu et aucun grand livre ne conclut parce que l'humanité elle-même est toujours en marche et ne conclut pas. Homère ne conclut pas, ni Shakespeare, ni Goethe, ni la Bible elle-même. » L'Histoire de la télévision n'est jamais écrite ! Prenons au sérieux l'inachèvement ! Les lois Sarkozy se présentent comme un tout, un accomplissement définitif ; leur auteur n'aime que les actes de puissance, les actes finaux et ne rêve que de retour à l'ordre. Il veut une télévision pédagogique, culturelle, une télé-école s'adressant à des citoyens considérés comme des élèves, ce qui signifierait que la véritable école est la télévision. Il veut une télé sans rivage, mais non sans mirage, parce que commerciale : la « télé-caddy ». Il n'y aurait plus que deux lieux porteurs de socialité : l'écran et l'hypermarché. Comme l'écrit le chercheur Pierre Musso, « c'est couper la représentation du monde en deux, en opposant l'État grand éducateur au marché libre et divertissant. Tel est le message subliminal, la dichotomie que ce projet de loi voudrait inscrire dans l'imaginaire populaire des téléspectateurs : tantôt vous êtes des citoyens que l'État éduque et surveille, tantôt vous êtes des consommateurs dont le marché se plaît à satisfaire les désirs. » Refusons cette logique. Entendons plutôt cette vieille mais fulgurante maxime : « On noue les boeufs par les cornes et les hommes par le langage. » (Applaudissements à gauche et sur quelques bancs au centre et à droite)

Mme Catherine Dumas.  - Avant-hier, en famille et en direct, j'ai partagé avec des millions de Français un moment particulier, ouvrant une nouvelle ère pour un service public libéré de la contrainte de la publicité. La télévision publique revient à sa vocation première : culture, information, divertissement. Plus libre, plus audacieuse, elle pourra prendre des risques, miser sur la culture et la création, la fiction, le documentaire, les programmes historiques, scientifiques, citoyens, éveillant les esprits aux grands défis de notre temps.

M. Jean-Luc Fichet.  - Avec quels moyens ?

Mme Catherine Dumas.  - France 2 avait d'ailleurs choisi lundi un magazine de culture et de découverte qui illustrait parfaitement ces nouvelles opportunités.

M. David Assouline.  - Ça fait longtemps !

Mme Catherine Dumas.  - Avec cette nouvelle télévision publique, la qualité des programmes primera sur la sacro-sainte course à l'audimat. (Mme Annie David s'exclame)

Nous avons vécu lundi un moment historique car les grandes réformes audiovisuelles sont rares. Le poste de télévision occupe une place considérable dans la vie de nos compatriotes, et tout changement dans ce domaine suppose du courage. Notre Assemblée n'en a jamais manqué : c'est grâce à l'impulsion décisive du Sénat, droite et gauche confondues, que la TNT a vu le jour. Du courage, il nous en faudra pour moderniser le service public de l'audiovisuel, afin de répondre aux évolutions sociétales et technologiques, pour affirmer sa spécificité et garantir sa qualité. De courage, la présente loi est empreinte. C'est une grande réforme culturelle. Le service public sans publicité : la gauche en a longtemps rêvé, et c'est une nouvelle fois notre gouvernement qui le fait ! (Murmures à gauche)

M. David Assouline.  - C'est original !

Mme Catherine Dumas.  - Le Président de la République a annoncé sa volonté de libérer la télévision publique de la publicité et de la dictature de l'audimat.

Mme Catherine Tasca.  - « La dictature de l'audimat » ? Pas possible !

Mme Catherine Dumas.  - La réforme de l'audiovisuel public mérite un débat de fond et non des postures politiciennes, des petites phrases, des indignations factices ! (Exclamations à gauche)

Ce projet de loi substitue à la logique aléatoire de la ressource publicitaire, qui pâtit de la crise...

M. Jean-Pierre Sueur.  - La ressource aléatoire de TF1 !

Mme Catherine Dumas.  - ...un financement public garanti, pérennisé et stable, dont le montant a été fixé par la commission Copé, dont je salue le travail. L'État garantira 450 millions par an pendant les trois prochaines années à France Télévisions, et nous l'avons déjà inscrit dans la loi de finances pour 2009. Dans un contexte économique incertain, c'est un gage de sécurité. Nos commissions surveilleront chaque année l'utilisation de ces crédits, dans le cadre de la loi de finances. Ce financement sera dynamique puisque indexé sur l'inflation, tout comme la redevance, l'une des plus basses d'Europe, à moins de 10 euros par mois, et pour laquelle il nous faudra trouver un équilibre, sans entamer le pouvoir d'achat des Français. La redevance devra, à terme, être modernisée : son nom, sa présentation sont source de confusion.

La télévision publique doit retrouver la liberté d'être elle-même, différente, inventive, de prendre des risques et d'affirmer sa singularité. Cela passe par la création et la diffusion de fictions ambitieuses, de chefs d'oeuvres du patrimoine cinématographique, de programmes culturels comme du théâtre en direct, mais aussi par des émissions plus populaires et audacieuses comme Plus belle la vie, programme qui n'aurait jamais rencontré son public sur une chaîne privée.

Sortons de la caricature : non, le Gouvernement ne fait pas de « cadeaux » aux chaînes privées !

M. Michel Boutant.  - Si !

Mme Catherine Dumas.  - Le texte prévoit de taxer leurs recettes publicitaires. Spécificité française, les télévisions privées concourent à la création audiovisuelle à travers leurs obligations de production. Ces obligations étant assises sur le chiffre d'affaires des chaînes, tout le monde a intérêt à ce qu'elles soient en bonne santé ! (M. Jean-Pierre Sueur s'exclame) C'est pourquoi il fallait ouvrir les fenêtres publicitaires des chaînes privées, en transposant la directive « Service de médias audiovisuels » et en autorisant la seconde coupure publicitaire. La réglementation française est parmi les plus strictes, et les circuits publicitaires se sont diversifiés : il fallait agir pour que les investissements publicitaires ne se reportent pas vers le hors-média ou l'affichage qui n'ont pas d'obligations de production. La programmation de fictions longues permettra de mieux financer les programmes de création.

Non, le Gouvernement ne souhaite pas un retour à l'ORTF ! Le président de France Télévisions sera désigné par une triple autorité.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Et une grande autorité !

Mme Catherine Dumas.  - Nous allons gagner en transparence...

M. Jean-Pierre Sueur.  - En autoritarisme !

Mme Catherine Dumas.  - ...et mettre fin à un système de nomination hypocrite. (Mme Annie David s'exclame) Des personnalités de talent pourront être candidates. Un CSA qui donne un avis conforme, des commissions parlementaires qui valident ce choix : peut-on vraiment y voir du totalitarisme ? Comment le représentant du principal actionnaire pourrait-il ne pas avoir son mot à dire dans la nomination du président ?

Ce texte ne remet pas en cause le périmètre de la télévision publique mais lui offre les moyens de ses nouvelles ambitions. Aujourd'hui holding, France Télévisions va devenir une entreprise unique réunissant différentes antennes. Cela lui permettra d'avoir une direction et une stratégie homogènes, de simplifier les contraintes de gestion de chaque chaîne et de faire émerger des synergies. Nous veillerons à ce que ce nouveau statut renforce l'identité des chaînes, garantisse l'indépendance et l'identité éditoriale des rédactions et conforte les missions de service public des cinq chaînes. Dès son arrivée à la tête de France Télévisions, Patrick de Carolis s'est attaché à développer les synergies internes afin de construire un groupe plus cohérent et efficace, capable de tenir son rang face aux opérateurs privés et d'améliorer la qualité de ses programmes -preuve que cette réorganisation était nécessaire !

Enfin, le projet de loi confirme la vocation régionale de France Télévisions, à travers la diffusion de décrochages spécifiques, de programmes reflétant la diversité régionale et l'information de proximité. Le développement régional de France 3 reposera sur la création de « web TV » via internet, à partir des vingt quatre bureaux régionaux d'information, sur un décrochage régional au sein du dernier journal et sur le renforcement de l'offre régionale du 19-20.

Cette réforme est l'occasion d'inventer un nouveau service public de la communication audiovisuelle.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin.  - Qui peut le croire ?

Mme Catherine Dumas.  - Le service public a déjà fait bien plus que le privé pour le développement du média global. Il doit continuer à démontrer sa formidable capacité d'innovation, car l'avenir de l'audiovisuel se joue sur ce terrain. Ce projet de loi propose une réforme globale et cohérente, qui mise sur la qualité, l'originalité et l'accessibilité des contenus, au bénéfice de tous. C'est un plan de réforme complet, sans précédent. Comme l'a rappelé le président Larcher, il faut que le Sénat prenne toute sa part dans cette réforme. Le groupe UMP aborde ce débat dans un esprit d'ouverture et sera attentif aux contributions de tous les groupes, pourvu qu'ils enrichissent le texte.

Madame la ministre, c'est un texte courageux et audacieux que vous défendez.

Mme Catherine Tasca.  - Elle ne l'a pas choisi !

Mme Catherine Dumas.  - Le groupe UMP lui apportera tout son soutien. (Applaudissements à droite)

M. le président.  - J'ai été saisi de trois motions sur chacun des deux textes en discussion : nous les aborderons à l'issue de la discussion générale, après la réponse du Gouvernement.

La séance est suspendue à 19 h 15.

présidence de Mme Monique Papon,vice-présidente

La séance reprend à 21 h 30.

Conférence des Présidents

Mme la présidente.  - Voici les conclusions de la Conférence des Présidents sur l'ordre du jour des prochaines séances du Sénat.

JEUDI 8 JANVIER 2009

A 10 heures 30, l'après-midi, après les questions d'actualité au Gouvernement, et le soir

LUNDI 12 JANVIER 2009

A 15 heures et le soir

MARDI 13 JANVIER 2009

A 16 heures et le soir, le matin étant réservé aux questions orales

MERCREDI 14 JANVIER 2009

A 15 heures et le soir

JEUDI 15 JANVIER 2009

A 9 heures 30, à 15 heures et le soir

Et, éventuellement, VENDREDI 16 JANVIER 2009

A 9 heures 30, à 15 heures et le soir

- Suite des projets de loi organique et ordinaire sur l'audiovisuel public.

(Le Gouvernement a accepté d'inverser l'ordre initial de discussion prévu pour ces deux textes ; le projet de loi organique sera donc discuté avant le projet de loi ordinaire)

MARDI 20 JANVIER 2009

Ordre du jour réservé :

A 16 heures :

- A la demande du groupe CRC-SPG, proposition de loi abrogeant le service minimum à l'école.

- A la demande du groupe UMP, proposition de loi sur l'exécution des décisions de justice et les conditions d'exercice de certaines professions réglementées.

Le soir :

- Question orale européenne avec débat sur le bilan de la Présidence française de l'Union européenne.

MERCREDI 21 JANVIER 2009

A 15 heures et le soir

JEUDI 22 JANVIER 2009

A 9 heures 30, l'après-midi, après les questions d'actualité au Gouvernement, et le soir

Et, éventuellement, VENDREDI 23 JANVIER 2009

A 9 heures 30, à 15 heures et le soir

- Collectif pour 2009 et projet de loi sur l'accélération des programmes de construction et d'investissement publics et privés.

MARDI 27 JANVIER 2009

A 16 heures et le soir, le matin étant réservé aux questions orales

MERCREDI 28 JANVIER 2009

A 15 heures

JEUDI 29 JANVIER 2009

A 9 heures 30, à 15 heures et le soir

Et, éventuellement, VENDREDI 30 JANVIER 2009

A 9 heures 30, à 15 heures et le soir

- Projet de loi de programme relatif à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement.

En outre,

MERCREDI 28 JANVIER 2009

Le soir :

- Débat et votes sur les demandes du Gouvernement d'autorisation de prolongation de l'intervention des forces armées en Côte-d'Ivoire, au Kosovo, au Liban, et au Tchad et en République centrafricaine (Opérations Eufor et Epervier-Boali).

MARDI 3 FEVRIER 2009

A 16 heures et le soir, le matin étant réservé aux questions orales

MERCREDI 4 FEVRIER 2009

A 15 heures et le soir

JEUDI 5 FEVRIER 2009

A 9 heures 30, l'après-midi après les questions d'actualité au Gouvernement et le soir

- Éventuellement, suite du projet de loi relatif à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement ;

- Projet de loi relatif à l'organisation et à la régulation des transports ferroviaires.

En outre,

MERCREDI 4 FEVRIER 2009

A 18 heures :

- Dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes.

L'ordre du jour est ainsi réglé.

Communication audiovisuelle et nomination des présidents de l'audiovisuel public (Loi organique  - Urgence - Suite)

Mme la présidente.  - Au terme de la discussion générale commune, nous examinerons les trois motions déposées sur le projet de loi organique, puis les trois motions portant sur le projet de loi ordinaire. Le vote sur l'article unique constituant le projet de loi organique sera réservé après l'adoption du projet de loi ordinaire.

Discussion générale commune (Suite)

M. Jean-Pierre Plancade.  - Que le Gouvernement nous demande de nous prononcer sur un texte dont une partie est déjà entrée en application...

M. Yvon Collin.  - Eh oui !

M. Jean-Pierre Plancade.  - ...est inconvenant. Ceux qui ont voté hier la réforme constitutionnelle, pensant sincèrement qu'elle contribuerait au renforcement du rôle du Parlement, constatent aujourd'hui l'affront infligé au Sénat. Ces pratiques dépassées jettent un discrédit sur la classe politique tout entière, je tenais à le dire solennellement au nom du RDSE.

Ces deux textes sur l'audiovisuel public nous inspirent des positions nuancées. Nous sommes entièrement convaincus que la transformation de France Télévisions en une entreprise publique unique permettra à cet opérateur de mieux affronter la concurrence mondiale et de relever les défis de demain. Tout a été dit à ce sujet par les rapporteurs, dont je tenais à souligner la qualité des travaux. Nous sommes également favorables à la suppression de la publicité comme source de financement. Notons toutefois que la publicité, qu'on le veuille ou non, fait aujourd'hui partie intégrante de notre paysage audiovisuel, de notre culture et de nos moeurs. Nous sommes également favorables à l'existence d'un secteur privé car nous pensons la concurrence stimulante. Mais, pour que cette concurrence soit réellement fructueuse, il faut garantir une même solidité financière aux deux acteurs. Et c'est là que le bât blesse : avec une aide publique de 450 millions et la création de deux taxes, la pérennité du financement de l'audiovisuel public n'est pas assurée après 2011. Au reste, était-il urgent de mettre ainsi à contribution un budget de l'État dont le déficit atteint déjà 57 milliards ? Était-il urgent de créer en pleine période de relance des taxes qui pèseront, de surcroît, sur les opérateurs au moment même où l'État et les collectivités territoriales leur demandent de procéder à de nouveaux investissements ?

Pour nous, la redevance est l'outil naturel du financement du service public...

Mme Catherine Tasca.  - Tout à fait !

M. Jean-Pierre Plancade.  - ...le seul à même de garantir son autonomie.

Enfin, s'agissant des conditions de nomination des présidents, la méthode choisie a le mérite de la clarté...

M. Jean-Pierre Sueur.  - C'est le moins que l'on puisse dire !

M. Jean-Pierre Plancade.  - Certes, ces nominations seront soumises à l'avis du CSA et des commissions des affaires culturelles du Parlement. Mais compte tenu des résultats obtenus au Royaume-Uni, en Espagne et, surtout, en Italie, cette démarche ne semble pas assurer la liberté intellectuelle, essentielle à toute démocratie authentique et moderne.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Très bien !

M. Jean-Pierre Plancade.  - Pour toutes ces raisons, madame le ministre, la majorité du groupe RDSE ne votera pas ce texte. (Applaudissements sur les bancs RDSE et à gauche)

Mme Catherine Tasca.  - A mon tour, madame le ministre, je veux vous dire notre indignation devant le procédé que vous avez utilisé pour contourner le Parlement sur la suppression de la publicité, présentée comme la mesure phare de cette réforme depuis un an. Cette offense faite au Sénat en dit long sur votre respect du Parlement, malgré les beaux discours entendus lors de la récente révision constitutionnelle. Non contente de décréter l'urgence, vous vous seriez volontiers passée d'un débat au Sénat, ce qui ne sera pas sans conséquence sur les relations entre l'exécutif et le Parlement.

Point n'est besoin de revenir sur la philosophie qui guide ces textes depuis l'annonce du 8 janvier 2008. Nombreux sont les parlementaires, dont certains de la majorité, à l'avoir clairement décryptée et dénoncée. L'écran de fumée de la commission Copé s'est dissipé, même les participants de bonne volonté se sentent aujourd'hui leurrés par ce simulacre de concertation, sans compter que l'adoption d'amendements de députés de la majorité a déséquilibré encore un peu plus le texte aux dépens de l'audiovisuel public. Après que M. de Carolis, suite à votre ferme invitation, a décrété lui-même la fin de la publicité, quelle place reste-t-il pour un véritable débat au Sénat ? Le sujet est pourtant fondamental : sont en jeu le droit à l'information, la liberté d'expression et de création.

Il ne suffit pas de se parer des plumes de la modernisation et de proclamer « une grande ambition culturelle » pour farder la vraie nature de votre réforme qui n'a d'autre but et n'aura d'autre résultat qu'un affaiblissement durable de l'audiovisuel public, privé des moyens nécessaires à sa modernisation et à son développement. Votre réforme pèche doublement : elle place l'audiovisuel public sous sujétion financière, alors même que le secteur privé disposera de moyens supplémentaires ; elle la place sous sujétion politique, en confiant la nomination de ses dirigeants -France Télévisions, mais aussi Radio France et société de l'audiovisuel extérieur- au seul Président de la République. Voilà qui inquiète tous les démocrates de ce pays, attachés à un service public indépendant.

Vous rompez de la sorte avec l'ambition née au début des années 80, sous l'impulsion du Président Mitterrand, et qui depuis semblait faire largement consensus : mettre l'audiovisuel public à distance du pouvoir politique en confiant la nomination des présidents des chaînes à une autorité indépendante, garante du pluralisme et de la diversité. Je devance vos allégations : vous faites si peu confiance à vos propres arguments que vous et votre ami Frédéric Lefebvre êtes allés exhumer mes propos dans des articles de presse, certains vieux de près de vingt ans. C'est trop d'honneur que vous me faites. Vous oubliez qu'en politique, si la pensée est libre et la réflexion nécessaire, ce sont les actes qui comptent. Or, jamais les gouvernements de gauche auxquels j'ai eu l'honneur d'appartenir n'ont osé un tel retour arrière. Qui croyez-vous convaincre, madame la ministre, lorsque vous présentez cette régression comme vertueuse parce qu'elle lèverait une hypocrisie, le CSA ayant agi trop souvent, selon vous, sous l'influence du politique ? Si tel est votre diagnostic, que n'avez-vous proposé une réforme des missions et de la composition de cette instance ? Lever une hypocrisie ? Mais comment qualifier votre refus de décompter le temps de parole présidentiel, dont use et abuse l'actuel titulaire de l'Élysée ? Mais n'est-ce pas votre majorité qui a nommé à la tête du CSA, dont vous dénoncez les faiblesses, un ancien directeur de cabinet d'un ancien Premier ministre issu de vos rangs ? Mais n'est-ce pas votre majorité qui, au lieu de réformer un système dont chacun reconnaît qu'il demande à être amélioré, renforcé, démocratisé, légalise des relations incestueuses entre le politique et le médiatique ? Nous faisons mal, alors faisons pire ! Plus qu'un renoncement, c'est une faute politique, démocratique, morale que vous commettez.

Voyons un peu les faux-nez dont vous habillez cette régression. D'abord, l'avis conforme du CSA dont la composition résulte intégralement de nominations réalisées par un seul et même parti, le vôtre. Expliquez nous, madame la ministre, par quel miracle le CSA, aujourd'hui suffisamment suspect à vos yeux pour justifier que lui soit retirée la compétence de nommer le président de France Télévisions, deviendrait demain suffisamment vertueux pour que son avis conforme soit garant d'une nomination incontestée. Autre faux-nez, les votes qualifiés des deux tiers des commissions des affaires culturelles des deux assemblées, niveau que la gauche n'a jamais été en capacité d'atteindre au cours de la Ve République -le mode de scrutin du Sénat n'y est pas étranger- et qui fera du Parlement plus une chambre d'enregistrement des desiderata du Président qu'un pouvoir de contrôle. Nous sommes très loin de la modernisation qui prétendait guider la révision constitutionnelle.

Votre réforme, madame la ministre, opère ce qu'aucun pays démocratique n'avait osé entreprendre : mettre dans les mains du seul Président de la République la nomination et la révocation des présidents de l'audiovisuel public. Faut-il vous rappeler que le service public n'est pas un instrument de l'État mais un outil au service de l'intérêt général ? L'audiovisuel public est un bien commun dont l'État a le devoir de respecter et de garantir l'indépendance et la solidité. Faut-il vous rappeler que le Conseil constitutionnel, par une décision du 26 juillet 1989, fait de la nomination des présidents de l'audiovisuel public par une autorité administrative indépendante une « exigence de caractère constitutionnel » « afin d'assurer l'indépendance des sociétés nationales et de concourir à la mise en oeuvre de la liberté de communication proclamée à l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen » ?

J'en viens au financement, tare majeure de cette réforme. La suppression de la publicité sur les chaînes publiques ne saurait être envisagée qu'à la condition que soit effectivement assuré le remplacement intégral et pérenne des ressources ainsi supprimées et des ressources nouvelles pour couvrir toutes les missions nouvelles que vous leur assignez. Or, six ans de gestion de droite ne vous ont pas permis, c'est le moins que l'on puisse dire, de dégager les moyens de vos ambitions. Vous en venez même à déstabiliser l'ensemble du secteur. Car votre solidarité avec les grandes chaînes vous aveugle. Les taxes nouvelles que vous proposez d'instaurer ne résolvent rien. Déjà réduites de moitié par les députés de la majorité, elles ne permettent que des rentrées aléatoires et placent l'audiovisuel public dans une situation de sous-financement chronique, d'insécurité financière accrue et de dépendance budgétaire totale. Au-delà, c'est même la philosophie de ces taxes qui pose question : comment accepter que le financement de France Télévisions puisse dépendre de la bonne santé publicitaire et financière de ses concurrentes privées ? Comment ne pas voir combien il est anachronique d'aller rechercher le financement de l'audiovisuel public auprès de la nouvelle économie numérique ? Comment accepter l'impasse totale que vous faites sur la TNT et la situation spécifique des dix-huit chaînes gratuites, auxquelles vous appliquez la même imposition qu'aux chaînes historiques, au risque de les étouffer dans l'oeuf ? Même impasse sur les télévisions locales, toutes en situation de grande fragilité. Erreur économique ou, là encore, volonté de favoriser les grandes chaînes privées ?

Sans financement garanti au-delà de 2011, on voit mal, madame la ministre, comment France Télévisions pourra remplir sans difficulté ses missions, comment il lui sera possible d'assumer les conséquences financières de l'entreprise unique et multimédia qu'elle a vocation à devenir. Un mot sur cette transformation. Les missions de l'audiovisuel public requièrent certes une coordination, une cohérence, un projet commun : de ce point de vue, le principe de l'entreprise unique est juste. Nous avions engagé la dynamique en créant une holding par la loi du 1er août 2000. Mais les objectifs de diversité et de pluralisme exigent aussi de multiples centres d'initiative, une diversification des interlocuteurs face aux créateurs et producteurs et des offres de programmes différenciées pour toucher les différents publics. On est loin du compte et l'amendement n°615 de MM. Kert et Lefebvre reste pétition de principe.

Le financement de l'audiovisuel public est la clé de son indépendance. La redevance, qui offre le double avantage de la stabilité des recettes et la transparence de leur affectation, reste, à cet égard, un levier précieux, que vous refusez pourtant d'actionner. Son indexation sur l'inflation était le minimum que vous puissiez faire, elle a levé quelque espoir. Mais c'était compter sans votre volonté farouche de réduire le financement de l'audiovisuel public à peau de chagrin. J'en veux pour preuve l'absence de mesure de rattrapage du niveau de la redevance après six années de gel. Ici même, lors de l'examen du collectif budgétaire, la commission des affaires culturelles, bravant tous les arguments dilatoires, a réussi à faire adopter sur tous ces bancs un petit ajustement pour améliorer, dès 2008, le socle de la redevance. Hélas, la commission mixte paritaire y a mis bon ordre. Les recettes supplémentaires liées à l'indexation ne contribueront pas à accroître la compensation de la perte de recettes publicitaires. Comment, madame la ministre, ce maigre surplus viendra-t-il renforcer le budget de 2009 et comment, à l'avenir, l'augmentation résultant de l'indexation parviendra-t-elle au budget de France Télévisions ? C'est clair, l'audiovisuel public dépendra largement du budget de l'État.

Je veux, pour conclure, évoquer la dimension culturelle de votre projet. D'une main, vous exigez du service public « plus de culture », sans lui en donner les moyens, au risque de l'enfermer dans une mission réductrice.

Au risque aussi de rompre l'équilibre difficile, que nous avons toujours défendu, entre chaînes publiques et privées, équilibre qui est, pour les citoyens, la meilleure garantie de liberté et de qualité des programmes. De l'autre main, vous opérez un transfert considérable de ressources au profit du privé. Vous n'avez guère d'égards pour le « mieux-disant culturel » que vos amis politiques ont si bien vendu en 1986. Je crains que les créateurs et producteurs, aujourd'hui rassurés par les accords signés avec les chaînes, ne passent un marché de dupes. Avec un audiovisuel public mis sur le flanc, vers qui pourront-ils se tourner pour que vive une création ambitieuse, diverse, indépendante ?

Votre reforme ouvre une ère très sombre pour le paysage audiovisuel français. C'est pourquoi nous la combattons, avec l'espoir que ce texte sera réellement modifié par le Sénat. (Applaudissements à gauche)

M. Pierre Hérisson.  - J'ai eu l'honneur d'être un des rapporteurs de la loi relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle, ainsi que de la loi pour la confiance dans l'économie numérique, laquelle a autorisé les collectivités territoriales à établir et exploiter des réseaux de télécommunications en cas d'insuffisance de l'offre privée. Les élus des territoires ruraux savent ce qu'il en coûte en termes de développement économique, de dynamisme, d'accès aux services et à la culture, d'être dépourvu d'accès au haut débit ou à la téléphonie mobile. L'intervention de la puissance publique est donc nécessaire pour accélérer les connections, favoriser le dégroupage et permettre le développement de la concurrence.

Cette fracture géographique est-elle en passe de se résorber ? La question ne sera bientôt plus posée en termes quantitatifs mais en termes qualitatifs : on ne se préoccupera plus du pourcentage de territoire ou de la population toujours pas couverts ou connectés mais de la technologie à laquelle ils ont accès.

Deux aspects doivent être pris en compte. D'abord, l'aspect strictement économique : l'innovation numérique a un coût qui peut devenir dirimant. On rejoint là une problématique classique de la pauvreté : alors même que, globalement et statistiquement, l'offre se diversifierait, que les flux augmenteraient et que l'usage se répandrait, la fracture numérique se maintiendra, voire s'aggravera, parce que le développement bénéficiera davantage à certaines couches de la société qu'à d'autres.

Le second aspect est sociétal. Offrir à chaque citoyen la même possibilité d'accès au numérique est indispensable pour que la France s'inscrive dans l'ambition européenne de développer une économie de la connaissance. C'est le gage d'un partage égal et équitable du savoir, l'assurance d'un fonctionnement démocratique du pouvoir.

L'Association nationale des élus de la montagne a voté une motion sur le développement de la TNT et la couverture numérique audiovisuelle du territoire, lors de son congrès d'octobre 2008. Cette motion propose la création d'un groupe de travail conjoint avec le CSA pour analyser le calendrier et les conséquences du basculement prochain de l'analogique vers le numérique. Certains amendements que je défendrai s'en inspirent.

Nous devons être en mesure de déterminer et d'anticiper la situation et les coûts du passage au numérique pour les foyers qui n'ont d'autres recours que le satellite pour recevoir la télévision. Il faut donc établir une cartographie précise de ces territoires et dresser une grille de coût de partage pour le passage au numérique par voie satellitaire. Dès lors que les trois chaînes peuvent escompter une économie de coûts de diffusion, il s'agira de savoir quelle sera, pour l'installation d'une réception satellite gratuite numérique, la part supportée par les chaînes et celle supportée par les téléspectateurs des zones non reconduites en couverture hertziennes. Le coût est le premier élément mis en avant par les 10 ou 20 % de personnes qui manifestent leur scepticisme face au passage au numérique. Le coût d'une réception satellitaire est actuellement dix fois plus élevé que celui d'un simple adaptateur pour ceux qui disposent d'une réception hertzienne.

Puisque la période s'y prête, je conclurai mon propos par un voeu : que l'on puisse affirmer résolument que l'innovation numérique peut profiter à tous ! (Applaudissements à droite et au centre)

Mme Marie-Christine Blandin.  - Le Proche-Orient est à feu et à sang, la crise appelle à mobiliser toutes les énergies, l'approvisionnement en gaz russe est sous tension, le Grenelle est renvoyé de mois en mois, les caisses sont vides, et nous allons débattre, en urgence, du renoncement à une recette privée qui profitait à un outil public ! Quelle clairvoyance !

Le 17 décembre, vous avez déclaré devant l'Assemblée nationale, madame la ministre : « La reforme sera mise en oeuvre dès le 5 janvier prochain, avec la suppression de la publicité ». Que faisons-nous ici ? Un an après que le Président eut exprimé ses intentions inédites de supprimer la publicité des écrans de l'audiovisuel public, et quelques jours après que les chaines concernées ont mis en oeuvre ce dispositif, contraintes et forcées, vous voici devant la Haute assemblée bafouée, mise devant le fait accompli. C'est dire le peu de crédit qu'il faut accorder à la prétendue revalorisation du rôle du Parlement !

Six ans après l'année Victor Hugo, nous saurons nous inspirer de ce grand républicain. Il avait fustigé le Sénat méprisé par Napoléon, parce que celui-ci disait, le 5 avril 1814 : « un signe était un ordre pour le Sénat, et il faisait toujours plus qu'on ne désirait de lui ». Et déjà, en 1805 : « les lâches ont eu peur de me déplaire ». (Applaudissements à gauche) Les temps ont changé et, malgré la curieuse installation du trône de l'Empereur dans la Salle des Conférences, nous allons débattre et nous battre, et le Sénat vous montrera, comme il a su le faire sur certaines décisions scélérates, qu'il est source de résistance et d'exigences démocratiques, en particulier quand il s'agit d'un bien commun comme l'audiovisuel public.

Derrière la proposition symbolique et régressive de la nomination, et surtout de la révocation par le Président de la République du président de la télévision, derrière la séduisante disparition de la publicité, se dissimule la fragilisation programmée des chaines payées par les citoyens et conçues pour les citoyens, au profit des groupes privés, nourris d'amitiés élyséennes, de cadeaux réguliers, comme les canaux libérés par le passage au numérique, nourris de la seule ambition de s'enrichir, quitte à abêtir et à abrutir, comme le disait cyniquement Patrick Le Lay à propos de TF1 : « Ce que nous vendons, c'est du temps de cerveau humain disponible » pour la publicité.

La lecture du Livre blanc de TF1 est édifiante : votre projet en est directement inspiré. Et vous l'accompagnez de coups de boutoir contre les règles anti-concentration. Ils sont tellement sûrs de leur affaire qu'ils ont imposé dans l'accord interprofessionnel avec les sociétés de gestion collective et des producteurs la phrase suivante : « Il est expressément convenu que TF1 pourra dénoncer unilatéralement le présent accord ; en tout état de cause, en l'absence de mise en oeuvre et d'entrée en vigueur des modifications de la législation en matière de publicité télévisée ». Eux aussi semblent avoir une haute idée du rôle des parlementaires ! Leur message est clair : si vous ne votez pas la seconde coupure de publicité (article 46), nous faisons exploser les accords.

On ne peut pas prétendre protéger les auteurs et les oeuvres, et dire : « Grâce à cet article, TF1 et M6 vont pouvoir diffuser des Fellini ou des Visconti dès 20 heures 30. Ce sera un grand acquis. Certes, le prix à payer sera que ces films soient coupés par des interruptions publicitaires, mais cela en vaut la peine. ». Que verront les spectateurs ? La Dolce Vita, la Voce della Luna avec « Le camembert qui ne coule pas » ; les Damnés, les Nuits blanches avec les couches anti-fuites ; Mort à Venise interrompu deux fois par l'assurance « Zéro tracas, zéro blabla ! » (On rit) Thomas Mann et Visconti valent mieux que cela, les spectateurs aussi. Votre titre de ministre de la culture vous invite à éviter ce séquençage vulgaire. Notre mandat de parlementaires nous rend responsables du service public, mais aussi de ce qui se passe sur les chaînes privées.

Le voile étant levé sur les exigences des puissants et gâtés amis du Fouquet's, j'en viens à trois axes qui sous-tendent votre projet de loi : la suppression de la publicité, la télévision publique de demain et la nomination du président. Les Verts appellent de leurs voeux une société plus sobre, plus solidaire, moins productrice de déchets et de gâchis, moins consommatrice des ressources des générations futures. C'est dire combien nous combattons le mécanisme d'embrigadement que nous fait subir la publicité, pour vendre des produits inutiles, de fausses voitures écologiques, des lessives qui polluent et des cosmétiques douteux.

Quand vous invoquez Bourdieu et Derrida pour combattre la publicité dans le domaine public (M. Jean-Pierre Sueur s'exclame), nous disons chiche et demandons pourquoi tant de laxisme sur les enseignes et publicités illégales qui obstruent nos paysages et enlaidissent nos villes. Pourquoi tant de hargne contre les déboulonneurs de pub, condamnés à un euro symbolique par la justice et contre lesquels l'État a fait appel ? La publicité n'est-elle mauvaise que pour la télévision publique ? Mais alors pourquoi privilégier l'après 20 heures, au risque de surcharger de publicités les jeunes spectateurs et d'encourager leur consommation d'aliments surchargés en sucre, qui font les diabétiques et les obèses de demain ? (Applaudissements à gauche)

Avant de toucher à une ressource, il faut définir une ambition, des objectifs, des moyens, sécurisés par un débat public et enrichis de l'expertise des professionnels et de la parole des spectateurs. Ce ne fut pas la méthode du Président. Tel Napoléon III décrit par Victor Hugo, « il touche à tout, il court après les projets ; ne pouvant créer, il décrète... Il aime la gloriole, les paillettes, les grands mots... » J'espère que ce texte ne sera pas un coup d'État contre la télévision publique !

Pas moins de huit syndicats sont mobilisés. Le déficit de départ s'élève à 135 millions d'euros, les missions nouvelles ne sont pas assez financées, les accords d'entreprises sont incertains... La navigation va osciller entre Charybde et Scylla : soit les ressources humaines comme variable d'ajustement, soit à terme la vente d'une chaîne publique. Pourquoi ce texte ne cite-t-il ni le nom des chaînes ni le mot « régions » ? France 3 est-elle déjà promise ?

Déjà soumises à de multiples contraintes, les antennes régionales risquent de voir certaines de leurs éditions locales d'information supprimées au profit de la publicité avant 20 heures. Et avec un créneau supplémentaire de onze minutes sans un euro de plus, elles devront travailler plus sans moyens supplémentaires. On use des techniques bien connues de l'audit interne ou de l'Inspection générale des finances pour préconiser l'abandon de la production. Les Français sont pourtant très attachés au travail des équipes locales : du quotidien des habitants d'Hautmont soufflé par la tempête à l'errance des milliers de sans-papiers de Sangatte, elles nous donnent à voir et à réfléchir.

Le paysage audiovisuel français doit rester équilibré par un fort groupe public, gage de force et de diversité pour la création, d'indépendance de l'information, bénéficiant de moyens durables et garantis. Une refondation peut être bienvenue, tout comme une étude de l'audience. Mais ne confondons pas multiplicité de canaux privés et pluralité des contenus, que seul un service public libre, financé de façon pluriannuelle, peut garantir. Or le privé affiche une croissance de 7 % quand le public plafonne à 2,5. Notre redevance stagne à 116 euros pour 205 en Allemagne. Et le Président lance un oukase populiste, bafouant la commission Copé : pas d'augmentation ! Son service de communication -qui a, lui, augmenté de 292 % !- préconise de préempter des espaces pour de la pédagogie sur les réformes : combien de temps faudra-t-il pour expliquer que l'on supprime les juges d'instruction ?

Dans le fragile attelage que vous préparez, il n'y a évidemment pas de place pour les télévisions locales associatives ou l'élaboration d'un label d'intérêt public ou d'éducation populaire, ni de pistes pour une véritable contribution « culture et communication » prélevée sur la publicité.

Quant aux nominations par le Président de la République, les arguments qui mettent en avant l'avis conforme du CSA et des commissions parlementaires concernées se résument par : le Président nomme et révoque, avec l'accord de sa majorité... Or le désaccord est exceptionnel et se limite à des prises de positions personnelles qui s'évanouissent le jour du vote.

Les démocraties modernes ont renoncé à ce genre de pratiques pour affirmer la séparation des pouvoirs et l'indépendance des médias et des journalistes. Cette décision s'inscrit dans un faisceau de restriction des libertés : la France n'arrive que trente-et-unième dans le classement de Reporters sans Frontières « en raison de cas de censure persistants, de perquisitions dans des rédactions et d'un manque de garanties concernant la protection des sources ».

Vous n'avez, madame la ministre, ni l'ambition, ni l'envie d'un statut à la chinoise de ministre de l'information et de la propagande, mais quand le pouvoir détient l'épée de Damoclès de la révocation, point n'est besoin de dire et d'ordonner. Personne ne va vérifier les dires de M. Darcos qui nie les suppressions de postes dans un lycée parisien. Et les plans rapprochés et les sons choisis font paraître chaleureux l'accueil du ministre de l'intérieur aux Antilles en 2006 alors que les « bienfaits de la colonisation » y étaient contestés. On enlève un détail sur une photographie déplaisante ou on renvoie le directeur de rédaction si le mal est fait... Tout est en place pour un pilotage vertical des médias et l'entrisme du privé. Votre ministère a, quant à lui, accueilli une émission docile de Guillaume Durand et créé un site internet avec la participation d'opérateurs privés...

Ce n'est pas de cette gouvernance que nous voulons. J'espère que nous serons nombreux pour relever ces deux défis : sauver l'audiovisuel public et montrer que le Sénat refuse d'être mis devant le fait accompli. (Vifs applaudissements à gauche)

M. Ladislas Poniatowski.  - Que la suppression de la publicité, élément phare de cette loi, soit effective depuis le 5 janvier ne me fait pas particulièrement plaisir. (MM. Jean-Pierre Plancade et Jean-Pierre Sueur approuvent) Pour reprendre des expressions familières, j'ai le sentiment d'être pris pour un zozo ou pour le dindon de la farce ! (Sourires)

M. David Assouline.  - Alors, révoltez-vous !

M. Ladislas Poniatowski.  - Vous n'en portez pas, madame la ministre, la seule responsabilité car l'opposition à l'Assemblée nationale y a pris part en se livrant à une obstruction agressive.

M. David Assouline.  - Ne l'avez-vous jamais fait dans le passé ?

M. Ladislas Poniatowski.  - Je ne suis pas, par principe, hostile à la suppression de la publicité mais m'inquiète du manque à gagner de 450 millions d'euros pour la télévision publique, que ce texte et la loi de finances ne compensent pas totalement. La télévision de qualité a un coût, et le budget de France Télévisions pour 2009 accuse d'ores et déjà un déficit de 135 millions.

Et vous faites un beau cadeau de début d'année aux chaînes privées, qui vont bénéficier des 14 % de part du marché publicitaire de la télévision publique. Ce cadeau n'est pas le premier.

Mme Catherine Tasca.  - Oui, la chaîne bonus !

M. Ladislas Poniatowski.  - En 2000, Mmes Trautmann et Tasca ont fait adopter une loi limitant la publicité sur les antennes du service public, accordant alors 150 millions à TF1 et M6.

M. David Assouline.  - On avait augmenté la redevance !

M. Ladislas Poniatowski.  - Certes, mais le cadeau y était, reconnaissez-le.

Ce projet de loi nous propose un système de financement complexe, reposant sur la taxation des recettes publicitaires -que nos collègues députés ont déjà réduite de moitié- et sur celle des fournisseurs d'accès internet -dont le montant est difficile à chiffrer. De vrais doutes pèsent sur la réalité de la compensation prévue, notamment pour le financement des émissions nouvelles, et sur sa pérennité, qui n'est pas assurée après 2010. La seule ressource assurée est la redevance. Son indexation est une première étape, mais elle est insuffisante.

La redevance est de moitié plus élevée en Grande-Bretagne et deux fois plus en Allemagne. Il n'est bien sûr pas question de l'augmenter d'un coup dans de telles proportions, mais il nous reste une marge de manoeuvre. Mon regret tient à la brutalité de cette décision. Pourquoi une telle précipitation ? Cette suppression arrive au pire moment. Certes, vous ne pouviez prévoir la crise, mais elle est là. Vous auriez pu modifier le rythme d'entrée en application de cette réforme, en l'étalant sur plusieurs années : une diminution progressive de la publicité compensée par une augmentation toute aussi progressive de la redevance.

La nomination du président de France Télévisions suscite débat et agitation : Je souhaite faire une seule observation qui se résume en une seule phrase : plus jamais Philippe Guillaume. Sous le second mandat de François Mitterrand, la Haute autorité désigna le 10 aout 1989 Philippe Guillaume comme président de France Télévisions, contre l'avis du gouvernement de l'époque, dont vous faisiez partie, madame Tasca ; le candidat du pouvoir, c'était M. Hervé Bourges. Ulcéré par la nomination de Philippe Guillaume, neveu de Jacques Chaban-Delmas, le pouvoir en place s'était alors livré à une véritable guerre d'usure quotidienne. Les représentants de l'État qui siégeaient au conseil d'administration avaient des consignes précises pour dénigrer le travail de cet homme, pour contester ses choix, voire ridiculiser ses décisions. A chaque fois qu'il demandait des moyens supplémentaires, le Gouvernement refusait de les lui accorder. Le pouvoir de l'époque a finalement eu sa peau, au propre comme au figuré. Il se trouve que je le connaissais et que je l'appréciais : après un an et quatre mois, il démissionna le 18 décembre 1990. Six mois plus tard, il décédait de maladie et d'épuisement. Je me permets de penser qu'il y a un lien entre ce qu'on lui a fait subir et ce qui s'est passé.

M. David Assouline.  - Vous êtes médecin ?

M. Ladislas Poniatowski.  - C'est pourquoi je me suis permis de rappeler ce triste épisode.

M. Jean-Luc Fichet.  - C'est scandaleux !

M. Ladislas Poniatowski.  - Écoutez-moi, même si ce que je dis ne vous plait pas ! J'ai rappelé cet épisode pour souligner qu'il n'est pas possible que le président de France Télévisions ne bénéficie pas du soutien de l'État actionnaire. Toutes les garanties d'indépendance sont illusoires : la nomination du président par le CSA, dont on connaît le mode de désignation des membres, ne garantit pas l'indépendance. La désignation par l'exécutif, même après avis du CSA et des commissions des affaires culturelles du Parlement, ne garantit pas non plus l'indépendance. Mais pourquoi ne pas avoir pris le temps de la réflexion, notamment pour évaluer ce que pratiquent de nombreux pays européens, à savoir la nomination du président par le conseil d'administration ?

M. Jean-Pierre Plancade.  - Par exemple !

M. Ladislas Poniatowski.  - Voici quelques chiffres de 2007 qu'il faut néanmoins manier avec une certaine prudence, car personne n'a l'apanage de la qualité, ni d'ailleurs de la médiocrité.

Les programmes de la télévision publique sont à la fois variés et diversifiés, avec 20 % de fictions, 19 % d'informations, 29 % de documentaires et de magazines et 17 % de divertissements. TF1 consacre 31 % de ses programmes au divertissement et M6 44 % à la fiction majoritairement américaine, ces deux chaînes ayant choisi la performance commerciale et l'audimat.

France Télévisions accorde une large place aux oeuvres de fiction française : 61 % sur France 2 et 91 % sur France 3, contre 51 % sur TF1 et 15 % sur M6.

Ces choix ne se font pas prioritairement au détriment de la qualité ni de l'audience. Il n'y a qu'à voir les scores réalisés par Chez Maupassant, Guerre et Paix, Le clan Pasquier, Notable donc coupable, Équipe médicale d'urgence ou par Les Oubliées.

Le secteur public a d'autres spécificités : France 2, France 3 et France 5 ont proposé les deux-tiers des documentaires diffusés sur les chaînes françaises ; 61 % des spectacles vivants se trouvent sur France Télévisions, avec de beaux résultats, 1,4 million de téléspectateurs pour Cyrano de Bergerac, 1,8 million pour Le Trouvère, 5,4 millions pour Faisons un rêve, 8,1 millions pour Les Fugueuses.

Enfin, 60 % de l'offre sportive se trouve sur France Télévisions qui propose plus d'une centaine de disciplines sportives alors qu'il n'y en a que quatre -foot, rugby, auto-moto et golf- sur TF1 et une -le foot- sur M6. Ces quelques chiffres ne signifient pas qu'il y a d'un côté la qualité et de l'autre la médiocrité, mais ils montrent que la télévision publique, loin d'être élitiste, sait s'adresser à de nombreux publics à des heures de grande écoute. Il ne faudrait pas remettre en cause cet équilibre en la privant des recettes dont elle a besoin.

Je ne voterai donc pas l'article 18 consacré à la suppression de la publicité compte tenu des menaces qui pèsent sur les ressources de France Télévisions. Je voterai l'article 5 consacré à la nomination du président de France Télévisions, en dépit de son imperfection, et j'attends vos réponses aux questions qui vous ont été posées pour apporter mon soutien lors du vote final. (Applaudissements à droite et au centre)

Mme Catherine Tasca.  - Rappel au règlement ! Je ne peux laisser sans réponse les propos infamants qui ont été tenus par notre collègue ce soir à propos de la disparition de Philippe Guillaume. Je les mets sur le compte de la passion inspirée par l'amitié qui vous liait.

M. Ladislas Poniatowski.  - C'est exact !

Mme Catherine Tasca.  - Il n'est cependant pas acceptable que vous fassiez le lien entre les conditions objectivement difficiles de la présidence de France Télévisions à cette époque et la disparition de cet homme dans les mois qui ont suivi du fait de sa maladie. De tels propos sont infamants et ne sont pas dignes d'être tenus dans cet hémicycle. Dans d'autres lieux, ils pourraient être qualifiés de diffamatoires.

Nous tenons à rappeler que l'organisme de régulation de l'époque s'était déterminé tout à fait librement, ce qui prouve que les pressions d'alors n'étaient pas celles auxquelles nous assistons aujourd'hui. La nomination de Philippe Guillaume ne correspondait sans doute pas aux voeux de l'exécutif mais nous avons mené, autant que faire se peut, un dialogue ouvert et parfaitement transparent. Certes, les relations étaient difficiles, d'autant que France Télévisions traversait une phase délicate, mais vous ne pouvez nous imputer la disparition d'un homme que je connaissais et que j'estimais. (Applaudissements à gauche)

Mme la Présidente.  - Quelques mots de réponse, monsieur Poniatowski...

M. David Assouline.  - A un rappel au règlement ?

M. Ladislas Poniatowski.  - Vous avez eu tort de penser que je vous imputais la responsabilité de la disparition de Philippe Guillaume.

M. Jean-Luc Fichet.  - C'était pourtant très net !

M. Ladislas Poniatowski.  - Vous entendez ce que vous voulez bien entendre ! Je tiens à votre disposition de nombreux articles de presse de l'époque qui démontrent qu'il était soumis à des attaques incessantes. (Exclamations à gauche)

M. David Assouline.  - On ne vous demande pas de charger la barque ! Excusez-vous !

M. Ladislas Poniatowski.  - Peu de personnes, surtout dans un état de santé précaire, auraient supportées pareille pression.

M. Serge Lagauche.  - Le bouleversement imposé à la télévision publique n'a rien d'une réforme. Ces deux textes sont nés d'une lubie présidentielle, la suppression de la publicité sur France Télévisions, et non d'un projet global et cohérent pour notre audiovisuel public. Ils ne préparent pas notre télévision publique à l'avenir. Bien au contraire, ils déstabilisent un équilibre fragile entre télévision publique et privée, déjà menacé par la révolution numérique.

Le contenu de ces textes autant que la gestion de ce dossier démontrent une grande méconnaissance de ce secteur économique et un mépris flagrant pour l'audiovisuel : vous n'auriez jamais joué au chamboule-tout avec le secteur industriel. Pourtant, l'audiovisuel représente plus de 200 000 emplois directs et indirects, soit bien plus que l'aéronautique.

Revenons sur la méthode, celle du fait du prince. Une annonce du Président de la République sans aucune consultation, qui a pris de court tout le monde, y compris vous, madame la ministre. Une réforme voulue par personne sauf par le Président et les dirigeants de TF1. Une commission chargée d'occuper le terrain, alors que les arbitrages étaient déjà ficelés. Un calendrier totalement aberrant : un dépôt des projets de loi repoussé pour cause d'impréparation et de tergiversations gouvernementales et l'application prématurée et précipitée de sa mesure phare.

Ce calendrier s'est traduit par une marche forcée, il aboutit à court-circuiter la discussion parlementaire et à piétiner le Sénat. Que ce mépris et cette insulte envers notre Haute assemblée suscite si peu de réaction de la majorité montre bien qu'il n'y a pas que l'audiovisuel public qui est mis au pas. Ce n'est certainement pas en prenant les sénateurs pour des figurants, pour ne pas utiliser un autre mot pourtant plus approprié à l'ampleur de l'affront subi, que le Gouvernement revalorisera le Parlement !

Et prétendre que la gauche a rêvé de cette réforme et que vous faites ce que nous n'avons pas pu faire est une supercherie intellectuelle. Nous n'aurions jamais fait cela maintenant, ni de cette manière. Quand nous avons envisagé de supprimer la publicité sur la télévision publique, nous avons pris en compte le principe de réalité économique. Nous voulions le faire très progressivement et, surtout, nous nous sommes donné les moyens d'une réelle compensation.

Le Président de la République s'est largement glorifié d'être le premier à procéder à une dotation en capital de France Télévisions : c'est oublier un peu vite que le gouvernement Jospin avait inscrit, dans le contrat d'objectifs et de moyens de France Télévisions pour 2001-2005, une dotation en capital de 152 millions sur cinq ans, et que c'est précisément la droite qui n'a pas honoré cet engagement à partir de 2002.

Faut-il vous rappeler également que, jusqu'en 2002, le montant de la redevance a été régulièrement revalorisé et qu'il n'a pas changé depuis sauf à la baisse ? En multipliant les exonérations sans les compenser totalement, en misant sur des économies de collecte et un taux de recouvrement surévalués, et en refusant catégoriquement, année après année, d'augmenter la redevance audiovisuelle dans son montant et dans son assiette, vous avez organisé le sous-financement de l'audiovisuel public. Vous avez pêché par manque d'ambition et, maintenant, vous vous enfoncez dans une faute politique majeure.

Le courage politique, que le Président de la République entendait incarner, aurait voulu que ce même Président de la République, au vu de la réalité économique du secteur et du contexte financier, revienne sur sa décision, quand il en était encore temps. Il aurait pu et dû alors expliquer à nos concitoyens que nous n'avions pas les moyens de nous payer le luxe d'une télévision publique sans publicité, que la situation économique du pays ne le permettait pas, que ce n'était pas une mesure prioritaire pour le pays, et que, dans ces conditions, il avait décidé de se concentrer sur les besoins réels des Français. Au lieu de cela, il s'est entêté, et aujourd'hui nous sommes dos au mur : la publicité est déjà supprimée après 20 heures.

Dans ce contexte, le seul moyen de financer durablement cette suppression à marche forcée, sans compromettre l'évolution de France Télévisions vers le media global qui nécessite des investissements importants, réside dans une redevance audiovisuelle rénovée. La suppression de la publicité sur France Télévisions doit être compensée à l'euro près par la redevance. Nous avons une des redevances les plus faibles d'Europe, ce à quoi il faut ajouter un ensemble de mesures limitant l'efficacité de cette contribution. Le principe de la prise en charge intégrale par l'État des exonérations sociales est largement bafoué par la pratique du plafonnement de cette prise en charge, ce qui fait porter par l'audiovisuel public la politique sociale de l'État. La minoration de l'assiette avec l'exonération des résidences secondaires, la non-application à la détention d'ordinateurs pouvant recevoir la télévision, tout cela joue contre la logique de la redevance. Il faut inverser la tendance.

C'est à l'impôt qu'il revient de financer le service public. Nous sommes bien conscients que nous ne sommes pas dans l'air du temps en réaffirmant ce principe fort. Les Français ont été habitués, avec la droite, à la paupérisation des services publics, l'impôt est devenu un gros mot. Si la redevance est impopulaire, c'est en partie parce que nombre de nos concitoyens n'en connaissent pas quels services elle finance réellement. Inversons la tendance et faisons de la redevance la source de financement naturelle et garantie de notre audiovisuel public en tant que contribution directe et recette affectée. Menons une grande campagne pédagogique d'explication sur les enjeux du secteur audiovisuel liés à la révolution numérique et sur l'utilité de la redevance pour les affronter. Sur ce dossier, le courage politique consiste à réaffirmer clairement le lien direct entre redevance et service public audiovisuel, au lieu de se fourvoyer dans une compensation aléatoire et alambiquée.

Le mode de compensation proposé par le Gouvernement est hypocrite et pervers. Hypocrite parce qu'il permet au Président de la République de sauver la face, mais pas à nos concitoyens de préserver leurs deniers. Le Président, qui se veut celui du pouvoir d'achat, refuse d'augmenter une contribution directe pour ne pas susciter l'impopularité mais n'a aucun scrupule à voir la facture des opérateurs de téléphonie mobile augmenter pour compenser leur nouvelle taxation, et donc le pouvoir d'achat des ménages baisser. Tout simplement parce qu'il peut en reporter la responsabilité sur les opérateurs.

C'est de plus un mode de financement économiquement pervers, contradictoire avec le plan numérique annoncé récemment par ce même gouvernement. Vous êtes allés chercher l'argent chez les opérateurs de téléphonie mobiles et les FAI, dont le lien avec la suppression de la publicité sur France Télévisions est plus que ténu. Vous réduisez les marges de manoeuvre du secteur numérique au lieu d'en faire un levier de la relance économique. Et vous ôtez ainsi toute possibilité pour l'avenir de faire participer ce secteur au financement de la création.

Ce mode de financement est aussi fiscalement pervers parce que le produit de cette taxe n'est pas affecté. Rendez-vous aux prochaines lois de finances lorsque mes collègues majoritaires de la commission des affaires culturelles regretteront en choeur et impuissants la mauvaise pratique du Gouvernement qui utilisera le produit de cette taxe pour tout autre chose que l'audiovisuel.

Le compte n'y est pas et le manque à gagner pour France Télévisions a encore été alourdi par les dispositions adoptées à l'Assemblée nationale. Ainsi, contrairement à votre engagement de ne pas toucher à RFO, déjà dans une situation difficile, vous avez, madame la ministre, étendu la suppression de la publicité aux antennes de RFO. Dans votre hotte de Noël pour la télévision privée, vous aviez oublié les Antilles. ATV aura donc, elle aussi, son cadeau. Ce à quoi il faut ajouter la réduction de l'assiette de la taxe sur les recettes publicitaires des opérateurs et le plafonnement de l'indexation de la redevance sur le taux de l'inflation.

En réalité, vous n'avez aucune ambition pour le service public, ou plutôt vous avez pour unique ambition de l'appauvrir et de le mettre sous tutelle. Les modes de nomination et de révocation proposés pour la présidence de France Télévisions sont, à cet égard, symboliques. D'ailleurs, en exigeant de Patrick de Carolis qu'il propose lui-même en conseil d'administration la suppression de la publicité après 20 heures, vous avez montré l'efficacité de la menace du couperet d'une éventuelle révocation. Vous mettez ainsi un coup d'arrêt à l'évolution historique du secteur audiovisuel vers son émancipation du pouvoir politique. Sous prétexte que la nomination par le CSA ne donnait pas toutes les garanties d'indépendance, vous instaurez une nomination par décret. Il fallait effectivement sortir de l'hypocrisie. Mais au lieu de réformer le système pour qu'il soit plus démocratique et transparent, vous choisissez le retour en arrière ou, plutôt, le Président de la République impose à sa majorité ce retour en arrière.

Contrairement à vous, nous avons, nous, une vraie ambition pour un service public audiovisuel fort et pérenne. Nous vous proposerons de revoir le système avec un objectif fondamental : plus de démocratie. Plus de démocratie dans la nomination du CSA : nous préconisons un conseil d'administration composé à moitié par la majorité et à moitié par les groupes minoritaires des assemblées parlementaires, ce conseil d'administration élisant ensuite le président du CSA en son sein. (Mme Catherine Tasca apprécie) Parce que l'indépendance des médias audiovisuels suppose l'indépendance à l'égard du pouvoir politique de l'autorité de régulation de ces mêmes médias.

Plus de démocratie dans les directions des sociétés du service public de l'audiovisuel et de la radio par l'institution d'un conseil d'administration représentatif des intérêts de l'audiovisuel public et respectueux des différentes composantes de la vie politique. Leur président serait élu au sein du conseil d'administration, parmi les personnalités qualifiées.

Nous proposerons également de donner un caractère législatif aux dispositions de la Charte des devoirs du journaliste figurant à l'avenant audiovisuel de la convention collective nationale de travail des journalistes, et de renforcer la protection des journalistes. L'existence d'un médiateur de l'information et des programmes au sein de chaque société nationale de programmes, afin d'entretenir un dialogue continu et direct avec les auditeurs et téléspectateurs, doit être inscrite dans la loi.

Trois principes forts, sur lesquels nous ne transigerons pas, fondent notre vision de la communication audiovisuelle et du service public de télévision. D'abord l'indépendance des médias, et particulièrement de France Télévisions parce que la télévision publique appartient aux Français, qu'elle est au service de l'intérêt général et ne peut pas être le jouet du Président de la République. Ensuite la garantie d'un financement pérenne à hauteur des besoins pour que France Télévisions affronte correctement l'ère numérique. L'indépendance et le financement à hauteur des besoins sont deux exigences inséparables : on ne peut avoir l'une sans l'autre. Enfin, la promotion du pluralisme, de la création et de la diversité culturelle.

Notre ambition est de garantir une compensation intégrale des pertes de recettes financières et de sortir l'audiovisuel public de l'insécurité financière dans laquelle vous le placez pour l'avenir. La suppression de la publicité après 20 heures est entrée dans les faits, mais il n'est pas question de nous lier pour 2011. N'ajoutons pas à cette première faute économique un aveuglement coupable : il sera économiquement impossible de faire concorder la suppression totale de la publicité et l'extinction de la diffusion analogique au profit du numérique. Nous ne savons que trop bien où vous nous menez en organisant le sous-financement chronique de l'audiovisuel public : aux plans sociaux et à la réduction de son périmètre ! D'autant que, en même temps, vous inscrivez dans la loi l'exigence de l'équilibre du résultat d'exploitation. C'est condamner France Télévisions d'avance : passer au média global nécessite des investissements importants et non rentables dans les premières années ; or, l'objectif assigné à l'entreprise unique est avant tout la rationalisation des coûts, la réalisation d'économies.

De même, il faut être naïf pour ne pas s'apercevoir que TF1 a des visées sur France 4, car le groupe Bouygues voudrait ainsi rattraper son erreur stratégique face à la TNT. Quant aux groupes de la presse quotidienne régionale, ils ne verraient pas d'un mauvais oeil le dépeçage de France 3.

Nous sommes attachés à une information pluraliste et indépendante de qualité portée par le service public, au niveau national, régional et local. Notre audiovisuel public a une forte notoriété internationale, France 2 et France 3 reçoivent de nombreux prix à l'étranger, notamment dans le domaine de l'information. Nous devons conserver notre rang parmi les chaînes qui vont au front à l'international, y compris sur le net, dans le cadre du média global. France Télévisions constitue un formidable outil industriel. Mais vous avez freiné tous ses projets de développement pour ne pas gêner le privé, par exemple dans les projets de chaîne d'information ou de chaîne internationale où vous n'avez pas pu vous empêcher de donner une part du gâteau à TF1 qui, au passage, va réaliser une belle plus-value.

Cette preuve d'allégeance du Président de la République à l'égard des grands groupes privés, tout particulièrement de la communication, suscite les pires craintes pour l'avenir de notre démocratie. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Paul Virapoullé.  - La situation en outre-mer est différente puisque, du fait d'un amendement gouvernemental voté par les députés, la publicité reste permise sur RFO jusqu'en 2011. Mais, en même temps, il est prévu d'y percevoir une taxe sur les opérateurs et les fournisseurs d'accès internet, ce qui est injuste.

RFO fait l'objet de critiques souvent excessives : elle coûte cher, près de 250 millions, la grille des salaires varie selon les fuseaux horaires, la productivité est faible, la créativité médiocre et la chaîne ne relaye pas outre-mer la richesse de la culture française, ni celle de la culture des pays d'outre-mer en France. Or, l'intérêt d'un audiovisuel public ultramarin réside précisément dans ce va-et-vient culturel. C'est pourquoi je propose que vous mettiez à profit ces trois années de répit pour procéder à un audit de RFO, en liaison avec le Sénat et l'Assemblée nationale, et que, avec M. Jégo, vous lui fixiez des objectifs en matière de création et de studios cinématographiques.

Nos lumières et nos paysages n'ont rien à envier à ceux de la Californie ou de Bombay : nos territoires pourraient servir de studios vivants de création cinématographique, et contribuer à la richesse du pays. Nous ne tendons pas la main : notre stratégie est celle du donnant-donnant, du gagnant-gagnant !

Nous disons au Gouvernement : chiche ! Vous avez trois ans pour rebattre les cartes de RFO, redistribuer ses moyens et redéfinir ses missions, pour faire de RFO un atout pour la culture française outre-mer !

Le Gouvernement veut différer la suppression de la publicité sur RFO jusqu'en novembre 2011, mais il prévoit d'instaurer dès à présent la taxe de 0,9 % sur les fournisseurs d'accès à internet. J'en appelle à votre solidarité : les fournisseurs d'accès doivent déjà faire face à la position dominante de France Télécom. L'outre-mer souffre d'une fracture numérique qui freine considérablement son développement ! Il conviendrait de différer de trois ans l'instauration de cette taxe : c'est une mesure d'équité et de bon sens, que propose également la commission des affaires économiques.

Grâce au décalage horaire, nous pourrions assurer des services dans le domaine des télécommunications avec une meilleure productivité. Mais nous ne le pouvons pas parce que l'ADSL coûte dix fois plus cher qu'en métropole ! (On en convient au banc des commissions) Le Président de la République, le Gouvernement et nous-mêmes sommes d'accord pour créer, dans le cadre de la loi sur l'outre-mer que nous examinerons dans quelques semaines, une zone franche globale dans les quatre départements d'outre-mer, concernant quatre secteurs prioritaires ; la communication en sera le secteur prioritaire transversal. Il serait paradoxal d'adopter aujourd'hui une mesure qui aggraverait la fracture numérique de l'outre-mer !

Rappelons quelques chiffres : 30 % des foyers en outre-mer ont accès à l'ADSL, contre 70 % en métropole ; 90 % sont abonnés à France Télécom, 8 % seulement à Outremer Télécom, alors qu'en métropole la part de marché de France Télécom n'est que de 50 %, contre 25 % pour SFR et 20 % pour Neuf. Les offres « triple play » sont très peu diffusées. L'offre de base de France Télécom dans les DOM propose un débit de 512 kilobits pour 50 euros par mois, sans téléphone ni télévision ; celle d'Outremer Télécom propose un débit d'un mégabit pour 39 euros, téléphone et télévision inclus. L'accès au câble sous-marin Safe est facturé 460 euros par mégabit et par mois, contre 10 euros en métropole. Peut-on nier que cela constitue un frein au développement économique de l'outre-mer ?

Voilà les quelques voeux que je souhaitais formuler. (Applaudissements au banc des commissions, à droite, ainsi que sur certains bancs de la gauche et du centre)

M. Robert del Picchia.  - Eh bien non, je ne parlerai pas de la publicité (marques d'étonnement amusé sur divers bancs), ni de la nomination du président de France Télévisions, ni de sa révocation, ni d'aucun des sujets dont nous avons entendu parler ce soir. Le débat actuel est très hexagonal ; pourtant ce projet de loi a des implications à l'extérieur de nos frontières.

En tant que sénateur des Français de l'étranger, j'attache une grande importance à l'audiovisuel extérieur de la France. Je suis également un ancien journaliste, et j'ai été correspondant à l'étranger de plusieurs organes de presse et de radiotélévision : j'ai donc une certaine connaissance pratique de ces matières. L'audiovisuel extérieur permet aux deux millions de Français établis hors de France de maintenir des liens étroits avec leur pays ; il participe également à la promotion de la francophonie et de nos valeurs à travers le monde.

Je me félicite que ce projet de loi comporte des dispositions confortant la réforme de l'audiovisuel extérieur, lancée il y a quelques mois par le Président de la République. Il fallait du courage pour reprendre ce chantier trop souvent délaissé.

L'audiovisuel extérieur de la France dispose de financements comparables à ceux de nos voisins. Mais la dispersion des opérateurs empêchait jusqu'ici la mise en place de synergies et d'un pilotage stratégique. La création d'une société de holding regroupant l'ensemble des participations publiques dans les sociétés de l'audiovisuel extérieur permettra de renforcer la cohérence et l'efficacité de notre action. Face à des concurrents anciens -CNN, BBC...- ou récents -Al-Jazira, les radios locales...-, notre place était menacée.

Or RFI joue un rôle majeur, notamment dans l'Afrique francophone. On entend souvent critiquer la partialité de sa ligne éditoriale, mais il faut défendre le travail des journalistes et leur indépendance.

Mme Catherine Tasca.  - Bravo ! Il y a de quoi faire ! (M. David Assouline approuve également)

M. Robert del Picchia.  - Mais force est de reconnaître que le modèle radiophonique hérité de la guerre froide, qui est encore pour une grande part celui de RFI, n'est plus adapté aux évolutions géopolitiques ni aux pratiques issues des nouvelles technologies. Il est indispensable de renforcer la part de ces dernières, par exemple de diffuser les émissions de radio sur internet. Par ailleurs, le mode d'organisation de RFI n'est pas compatible avec une gestion moderne et efficace.

TV5 Monde occupe une place à part dans ce paysage. A la suite de négociations avec nos partenaires francophones, il a été décidé que la société de holding ne détiendrait que 49 % du capital de cette chaîne, contre 100 % du capital de RFI et de France 24 : TV5 sera donc pour elle un partenaire et non une filiale. (Mme Christine Albanel, ministre, acquiesce) Cela n'interdit pas les synergies entre les trois opérateurs, pour ce qui est de la distribution, des fonctions administratives, mais aussi du journalisme. Après avoir été journaliste à la radio, j'ai appris à exercer mon métier sur internet et à la télévision : les reconversions sont toujours possibles, avec de la bonne volonté et une formation adéquate !

La chaîne TV5 Monde est menacée par le basculement de l'analogique au numérique. Elle pourrait produire davantage d'émissions originales. Mais elle dispose d'une audience plus large que celle qu'on lui reconnaît officiellement : j'ai pu constater qu'elle suscitait l'intérêt de nombreux Français établis hors de France, mais aussi du public étranger, francophone ou non.

France 24 a été créée en décembre 2006 dans le but d'offrir un point de vue français sur l'actualité internationale. Voilà qui semble plus nécessaire que jamais, au vu des événements récents : je pense notamment à la situation au Proche-Orient. La plupart de ceux qui critiquent cette chaîne ne l'ont jamais vue. On ne peut nier ses succès : elle a été élue chaîne d'information de l'année en 2008. Elle dispose de journalistes de qualité, souvent jeunes et rompus aux nouvelles technologies, et ses parts de marché progressent, notamment au Maghreb ; son site internet est également beaucoup visité.

Je me réjouis donc des dispositions de ce projet de loi qui viennent conforter la réforme de l'audiovisuel extérieur. Un contrat d'objectifs et de moyens entre l'État et la société de holding définira les priorités stratégiques du secteur. Les règles de gouvernance de l'entreprise seront inspirées de celles de France Télévisions et de Radio France. J'approuve entièrement les amendements de la commission des affaires étrangères, qui visent à renforcer la francophonie au sein du groupe en permettant à un spécialiste de ce sujet de siéger au conseil d'administration...

M. David Assouline.  - Ce n'est pas sérieux !

M. Robert del Picchia.  - ...et à associer les commissions des affaires étrangères des deux assemblées au contrôle parlementaire de la société.

Son budget ne représente que 300 millions, contre 3 milliards pour l'audiovisuel public. L'audiovisuel extérieur ne doit pas servir de variable d'ajustement... Je sais le Gouvernement attentif à son bon fonctionnement, dans l'intérêt des Français de l'étranger. Je soutiens ces deux projets de loi, et je vous souhaite bon courage, madame la ministre ! (Applaudissements à droite)

La discussion générale est close.

Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication.  - Je suis persuadée que cette réforme est une bonne réforme. Certes, elle a été lancée par le Président de la République...

M. Jean-Pierre Sueur.  - Pourquoi « certes » ?

Mme Christine Albanel, ministre.  - ...mais quelles sont les grandes réformes culturelles qui ont été réclamées à cor et à cri par nos compatriotes ? C'est après coup qu'ils les vivent comme nécessaires !

M. Jean-Pierre Sueur.  - Ils sont nuls ! Ils ne demandent rien pour la culture !

Mme Christine Albanel, ministre.  - Souvent, on ne sait pas imaginer autre chose... Dans les années 80, qui demandait un nouvel opéra à Bastille, une nouvelle grande bibliothèque, un nouveau Louvre ? Ces grands projets ont coûté fort cher, et ne bénéficiaient qu'à Paris...

M. Jean-Pierre Sueur.  - Ils rapportent énormément, culturellement et économiquement !

Mme Christine Albanel, ministre.  - La réforme que nous proposons aujourd'hui touche tous les Français, pour un coût bien moindre ! De véritables deuxième et troisième parties de soirée, un journal à 22 heures 30 sur France 3, c'est autre chose que les tunnels de publicité qui encadraient le journal télévisé... Nous avions déjà une bonne télévision publique, mais elle peut être encore plus imaginative, plus audacieuse, plus créative.

Tous les acteurs se sont préparés à cette réforme : les équipes se sont mobilisées, les grilles ont été élaborées, les annonceurs ont pris en compte la suppression partielle de la publicité. Dans le débat parlementaire, nous avons été confrontés à l'obstruction délibérée de la gauche. (M. Jean-Pierre Godefroy proteste) Reporter cette importante réforme aurait fragilisé France Télévisions, économiquement, psychologiquement, professionnellement. Nous avons donc demandé à son président d'anticiper cette mesure, qui va désormais recevoir force de loi, de même que la suppression totale de la publicité, après une clause de revoyure, les modalités de compensation, la question de la gouvernance et celle de l'audiovisuel extérieur.

Les ressources de l'audiovisuel public ne sont pas négligeables, avec 3 milliards d'euros, dont 2,5 de ressources publiques. Le contrat d'objectifs et de moyens prévoit une augmentation de 3 % par an. La loi de finances a prévu 450 millions pour compenser le manque à gagner entraîné par la suppression de la publicité, montant fixé par la commission Copé après avoir entendu les professionnels et France Télévisions. C'est un engagement fort de l'État !

Je regrette que l'indexation de la redevance ait été interrompue : c'est un manque à gagner. Deux nouvelles taxes ont donc été instaurées. Il est naturel de taxer les ressources publicitaires des chaînes privées, qui bénéficieront d'un transfert, sous réserve que la conjoncture le permette. Quant aux opérateurs de télécommunications, ils sont peu nombreux, produisent et utilisent des images, ont un chiffre d'affaires de 42 milliards et des marges bénéficiaires d'environ 20 % : la taxe proposée ne risque pas de les mettre en péril ou de provoquer une hausse significative de leurs tarifs.

La création d'une société unique, sur le modèle de Radio France, renforcera la cohérence, les synergies et la mutualisation, tout en maintenant l'identité des différentes chaînes, dont le projet de loi préserve la ligne éditoriale.

On a souvent dit qu'il serait logique de permettre à l'État actionnaire, qui garantit les ressources et fixe le cahier des charges, de nommer les dirigeants de France Télévisions. Dans un paysage multiple, où chacun recevra bientôt la TNT, y compris dans les zones de montagnes, où beaucoup ont le satellite ou le câble, où l'on passe sans arrêt de la télévision à l'ordinateur, il est cohérent et logique que le président des chaînes publiques soit nommé par l'État. L'avis conforme du CSA et le vote du Parlement, condition d'un débat public, sont des garanties importantes. On se donne la liberté de faire appel à des personnes qui n'auraient pas été candidates dans l'ancien système. François Mitterrand avait demandé à son ancien directeur de cabinet, André Rousselet, de prendre la tête de Canal + : cela a été une grande réussite. Pourquoi ne pas proposer la présidence de France Télévisions, par exemple, à quelqu'un comme Jean Drucker, qui n'aurait pas été spontanément candidat ?

Nous dépensons autant pour notre audiovisuel extérieur que nos voisins européens, mais de façon éclatée. Il faut trouver des synergies pour nous faire mieux entendre : il en va de la promotion de la francophonie, chère à nombre d'entre vous (M. le président de la commission approuve vigoureusement), mais aussi de la voix de la France.

Ce texte s'inscrit dans une réforme globale de l'audiovisuel. Il n'est pas question de faire des cadeaux aux chaînes privées, mais il est de l'intérêt de tous que leurs ressources soient confortées car les obligations en matière de création cinématographique et audiovisuelle sont assises sur leur chiffre d'affaires, qui n'est guère flamboyant...

Les décrets Tasca sont remplacés par un accord interprofessionnel, que tous les acteurs ont signé. Il facilite la circulation des oeuvres, met l'accent sur la production et le patrimoine. C'est une belle ambition.

Ainsi, les investissements que France Télévisions consacre à la production audiovisuelle passeront de 365 à 420 millions en 2011. Il s'agit d'un effort considérable pour la création.

Nous vous proposons donc une réforme d'ensemble, ce dont les créateurs ont conscience. A preuve, le réalisateur Pascal Thomas écrivait dans Le Monde (M. David Assouline s'exclame) qu'« avec un espace télévisuel où seront absents les films publicitaires, tout est possible parce que c'est l'usage qui crée la forme de la culture », c'est « la liberté de création retrouvée ». (Mme Catherine Tasca et M. David Assouline en doutent) Nous créons les conditions d'une nouvelle télévision dont la mise en place nécessitera du temps. Je vous donne rendez-vous dans un an, date à laquelle la réforme apparaîtra à tous pour ce qu'elle est : évidente, précieuse.

M. David Assouline.  - Et le déficit ? Le plan social ?

Mme Christine Albanel, ministre.  - Tout le monde s'en dira alors satisfait. J'espère vous en convaincre ! (Applaudissements sur plusieurs bancs à droite)

M. David Assouline.  - Ce n'est pas gagné !

Prochaine séance demain, jeudi 8 janvier 2009, à 10 h 30.

La séance est levée à 23 h 30.

Le Directeur du service du compte rendu analytique :

René-André Fabre

ORDRE DU JOUR

du jeudi 8 janvier 2009

Séance publique

A DIX HEURES TRENTE

1. Discussion du projet de loi (n°145, 2008-2009), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision et du projet de loi organique (n°144, 2008-2009), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à la nomination des présidents des sociétés France Télévisions et Radio France et de la société en charge de l'audiovisuel extérieur de la France.

Rapport (n°150, 2008-2009) de Mme Catherine Morin-Desailly et M. Michel Thiollière, fait au nom de la commission des affaires culturelles.

Avis (n°152, 2008-2009) de M. Bruno Retailleau, fait au nom de la commission des affaires économiques.

Avis (n°151, 2008-2009) de M. Joseph Kerguéris, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

A QUINZE HEURES ET LE SOIR

2. Questions d'actualité au Gouvernement.

3. Suite de l'ordre du jour du matin.

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DÉPÔT

La Présidence a reçu de M. Jean-Louis Masson une proposition de loi tendant à la responsabilisation des cyclistes en cas d'accident avec des piétons.