Prolongation de cinq interventions des forces armées

M. le président.  - L'ordre du jour appelle, en application de l'article 35, alinéa 3, de la Constitution, un débat et un vote sur les demandes du Gouvernement d'autorisation de prolongation de l'intervention des forces armées en République de Côte d'Ivoire, au Kosovo, au Liban, et en République du Tchad et en République centrafricaine -opération Eufor d'une part et opérations Boali et Épervier d'autre part.

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes.  - Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mesdames et messieurs les sénateurs, je m'exprime ce soir au nom du Premier ministre.

Avec ce débat, suivi de votre vote, nous voici au coeur du rééquilibrage des pouvoirs opéré par la réforme constitutionnelle du 21 juillet 2008. Au coeur puisque du « domaine réservé », apanage historique de l'exécutif, nous allons passer à un domaine partagé avec le Parlement, incarnation de la souveraineté nationale.

Nous avons voulu cette révision historique pour conférer plus de pouvoir au Parlement. Nous avons voulu ouvrir le fonctionnement de notre démocratie à plus de débats. Nous avons voulu que s'exerce avec plus de transparence la prérogative régalienne que constitue l'emploi de la force armée, comme cela se fait dans la plupart des grandes démocraties.

Conformément à la nouvelle rédaction de l'article 35 de la Constitution, le Gouvernement informe désormais le Parlement de sa décision de faire intervenir les forces armées françaises à l'étranger dans les trois jours suivant le début de l'opération. II soumet sa prolongation à l'autorisation du Parlement lorsque celle-ci dépasse les quatre mois.

Certaines activités militaires à l'étranger ne sont pas visées par cette procédure, notamment les échanges de militaires, les exercices, les troupes pré-positionnées en vertu des accords de défense, l'envoi d'observateurs non armés, les déplacements des navires et aéronefs dans les espaces internationaux et les escales dans les ports étrangers, ainsi que les opérations des services de renseignement ou des forces spéciales.

Cette procédure s'appliquera à l'envoi à des fins opérationnelles de forces militaires en corps constitués, c'est-à-dire des unités militaires d'un volume important, engagées en situation de crise et sur un territoire étranger. Elle concernera l'immense majorité des effectifs déployés en opérations.

Dés le 22 septembre, nous avons abordé un premier théâtre, le plus difficile, l'Afghanistan. Nous avons débattu de la stratégie de la France et de ses partenaires pour le retour de la sécurité et de la stabilité dans ce pays. Aujourd'hui, nous voulons vous informer des autres opérations extérieures en cours et vous demander d'approuver leur prolongation. Comme vous le savez, l'Assemblée nationale a voté ce soir en faveur de leur prolongation.

Cinq théâtres principaux regroupent aujourd'hui 95 % des soldats français déployés en opérations. L'Afghanistan mis à part, restent quatre zones où cinq engagements distincts prennent place : la zone regroupant le Tchad et la République centrafricaine, la Côte d'Ivoire, le Liban, le Kosovo.

Pourquoi la France y est-elle présente ? Parce que sa stratégie de sécurité a pour objectif premier de parer aux risques qui menacent tous les Français et qu'un nombre croissant de ces risques trouve aujourd'hui leur origine bien au-delà de nos frontières. Parce que la France entend jouer son rôle en faveur de la sécurité internationale et qu'elle assume pleinement ses devoirs, dans le cadre des Nations Unies. Mais aussi parce que les valeurs humanitaires ne cessent de guider son action.

Cette triple ambition nous commande de participer aux efforts de maintien de la paix, partout où notre implication peut se révéler décisive, par les moyens qu'elle engage ou par l'effet d'entraînement qu'elle suscite.

La responsabilité d'envoyer nos soldats, là où se nouent et se dénouent les crises, est immense. Le 19 août 2008, dix soldats français tombaient au combat, au cours d'une reconnaissance conjointe avec l'armée afghane. Le 22 novembre, j'apprenais le décès, à Kaboul, d'un sous-officier du 3e régiment du Génie de Charleville-Mézières. Ce 17 janvier encore, huit de nos hommes mouraient au Gabon. Avec Hervé Morin, nous plaçons dans l'ombre de leur mémoire les choix graves qui nous incombent ici.

La France n'engage pas d'opérations militaires sans nécessité impérieuse, sans stratégie, sans objectif. Elle ne les engage que là où elles sont strictement nécessaires, et dans les conditions les plus sécurisées possibles. Elle ne les engage que là où les enjeux humanitaires et stratégiques sont décisifs.

Dans tous les cas, notre engagement militaire doit être la contrepartie d'un engagement politique actif, susceptible de tirer de l'impasse les pays concernés. Dans tous les cas, nous veillons à définir dès le départ les objectifs que nous assignons à nos troupes et qui détermineront, une fois atteints, les termes de leur retrait. Exemple : engagée pour une durée limitée, dans un but précis, l'opération européenne au Tchad prendra ainsi fin dans les prochaines semaines pour laisser place à une force des Nations Unies.

Nous intervenons de plus en plus dans un cadre multilatéral : Otan, Union européenne... La présidence française a élargi le rôle de cette dernière dans le maintien de la paix et dans la gestion civile des crises en lançant trois nouvelles opérations : deux à caractère civil, au Kosovo et en Géorgie ; une à caractère militaire, contre la piraterie dans le Golfe d'Aden. A chaque fois, que ce soit dans le cadre de l'Otan ou de l'Union européenne, la France a conservé la maîtrise opérationnelle de ses forces. Elle a fait en sorte que ses troupes déployées à l'étranger soient le reflet de sa solidarité mais aussi de son indépendance.

Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale le confirme : en toute situation, « la France s'engage avec une qualité et un volume de forces suffisants pour disposer d'une représentation adéquate dans les organes de planification et de commandement de l'opération, et garantir ainsi sa liberté d'appréciation et de décision ».

Depuis une dizaine d'années, une trentaine d'opérations mobilisent en moyenne 12 000 de nos soldats à travers le monde -sans jamais remettre en cause la participation de nos moyens militaires à la sécurisation du territoire national.

Le paysage stratégique bouge. Les menaces évoluent. En 2008, la France a réexaminé sa politique de sécurité, dans le cadre d'un Livre blanc présenté par le Président de la République le 17 juin. Présidente de l'Union européenne, elle a réactualisé et complété la stratégie de sécurité de l'Union. En avril prochain, le sommet de l'Otan, à Strasbourg et à Kehl, lancera les travaux de redéfinition du concept stratégique de l'Alliance atlantique.

Nos priorités changent et nos moyens s'adaptent. Dans certaines régions du monde, où notre présence se révèle moins déterminante, il convient de réduire notre contribution ; ailleurs, de quitter des zones déjà stabilisées pour retrouver la mobilité nécessaire à d'autres participations. Les moyens de la France ne sont pas infinis.

Mesdames et messieurs les sénateurs, nous sommes intervenus en Côte d'Ivoire après la crise de septembre 2002. Au plus fort de l'épreuve, en 2004, plus de 4 000 soldats français y ont été déployés. En bloquant l'avancée des rebelles du nord et de l'ouest du pays, leur but était d'éviter que le pays ne sombre dans la guerre civile, comme l'avaient fait ses voisins, le Libéria et la Sierra Leone. En 2004, ces soldats ont défendu la sécurité immédiate de nos ressortissants. Lors du bombardement de Bouaké, le 6 novembre 2004, neuf d'entre eux ont payé ce dévouement de leur vie.

Depuis, nous avons privilégié la gestion multilatérale de la crise et contribué à un processus politique de réconciliation ouvert sur la tenue d'élections régulières. L'accord de Ouagadougou, signé le 4 mars 2007, a consacré la stabilisation politique du pays. Ayant obtenu un fort engagement des Nations Unies, nous n'intervenons plus aujourd'hui en première ligne mais en soutien de leur mission, l'Onuci.

En Côte d'Ivoire, les enjeux sécuritaires ont perdu de leur intensité ; et l'attente d'échéances électorales toujours incertaines ne justifie plus le maintien de notre dispositif militaire en l'état. D'ores et déjà, l'ONU a entamé son désengagement par une diminution de ses effectifs et par un réexamen des mandats de l'Onuci, où la France compte 200 soldats -principalement des troupes du Génie dont la mission peut être considérée comme achevée et qui, je vous l'annonce, rentreront en France cette année.

A son tour, notre pays devrait réduire de moitié le contingent de 1 800 hommes qui constitue la force Licorne, d'ici l'été 2009. Regroupées à Abidjan, nos troupes resteront en mesure d'assurer la protection et l'évacuation éventuelle de nos ressortissants ou d'accueillir des transports stratégiques destinés à l'Onuci, en cas de reprise des conflits.

Mesdames et messieurs les sénateurs, au Kosovo, où notre engagement ancien fait de nous le troisième contributeur de la KFOR, avec 1 850 hommes, la situation politique s'est, elle aussi, profondément transformée.

L'indépendance du Kosovo et sa reconnaissance comme État souverain ouvrent, depuis décembre, la voie à une mission civile de consolidation de l'État de droit menée par l'Union européenne. Cette mission Eulex est une mission ambitieuse de police et de justice dont un Français assure en outre le commandement.

La France est aujourd'hui favorable à une évolution de l'action de l'Otan au Kosovo. Elle souhaite la transformation progressive de la KFOR en force de présence dissuasive, qui permettra une réduction de son volume global et, dans ce cadre, de la participation française. Ce changement de posture demandera l'accord du Conseil de l'Atlantique Nord, après évaluation de la situation diplomatique et sécuritaire régionale.

Au Liban, depuis trente ans, la France ne poursuit qu'un objectif : renforcer l'indépendance et la sécurité du pays.

Notre travail diplomatique, intense, porte ses fruits. Le Liban a passé l'an dernier l'épreuve délicate du choix d'un nouveau président. II se prépare, en mai prochain, à des élections législatives qui doivent signer son apaisement.

Pour cette paix retrouvée, la France a versé le prix du sang. L'attentat contre le poste Drakkar en octobre 1983 ; l'assassinat odieux de notre ambassadeur, Louis Delamarre, en septembre 1981, ont été des tests de notre résolution.

La République n'a pas renoncé, elle n'a pas lâché le Liban. En 2006, lorsqu'il a fallu s'engager dans le cadre de la Finul II, elle a fourni 1 500 hommes à l'opération. Elle les a pourvus d'équipements à la fois robustes et dissuasifs, comme les chars Leclerc. Mais surtout, elle a joué, en s'engageant, un rôle moteur auprès de ses partenaires européens, dont l'engagement conditionnait à son tour l'arrêt des hostilités entre Israël et le Hezbollah.

Aujourd'hui, grâce à la Finul, la souveraineté du Liban est restaurée. Grâce à la présence française, l'armée libanaise a repris position au Sud-Liban, où elle n'intervenait plus depuis des décennies. Ce rôle stabilisateur ne se dément pas, et il mérite le maintien des soldats français au sein de la Finul renforcée, en particulier dans sa composante terrestre. S'agissant de la Finul maritime, dont nous assurons le commandement, son dispositif très dense ne se justifie plus vraiment. Les deux bâtiments de la marine nationale qui y participent seront bientôt dirigés vers d'autres missions.

Au Tchad et en République centrafricaine, enfin, deux opérations différentes appellent de notre part deux réflexions distinctes. La première opération, l'Eufor, procède de l'initiative française face au drame humanitaire du Darfour. Déployée le 28 janvier 2008, avec le concours de nos partenaires européens, elle a permis de réduire les attaques contre les ONG et de sécuriser la zone frontalière entre Tchad et Soudan, où se concentraient les incursions rebelles. A ce titre, elle constitue à ce jour la plus importante opération militaire de l'Union européenne et une preuve de sa crédibilité opérationnelle grandissante.

Nous avons lancé l'Eufor comme une opération transitoire, en prévision de sa relève par une force des Nations Unies : cette promesse sera tenue puisque le 15 mars prochain, la Minurcat 2 remplacera la mission européenne. Le calendrier du retrait français prévoit ainsi que d'ici l'été, 1 000 de nos 1 650 hommes quittent le pays. Jusqu'à la fin de l'année, la France continuera cependant de fournir à l'ONU l'aide technique utile à son installation ; en particulier, un certain nombre de capacités logistiques critiques qui lui permettront d'assurer progressivement son autonomie.

La logique des opérations Épervier, au Tchad, et de Boali, en RCA, est différente.

Au Tchad, notre engagement des années 1980 destiné à protéger la zone frontalière des agressions libyennes a vu son principe évoluer avec la normalisation des rapports entre les deux pays. Son but est désormais d'offrir, au centre de l'Afrique, un point d'appui militaire aux missions multilatérales de maintien de la paix et une capacité d'évacuation de nos ressortissants. Le dispositif, pourvu d'environ 1 100 hommes, a aidé à déployer l'Eufor : il continuera pour la Minurcat.

Quant à notre opération à Boali, en République centrafricaine, elle illustre parfaitement l'ambition que nous fixons à nos forces pré-positionnées sur le continent. Il s'agit avant tout d'aider les Africains à prendre en charge leur propre sécurité -c'est difficile- ; d'abord, en renforçant le potentiel des forces centrafricaines ; et ensuite, en soutenant la mission régionale de consolidation de la paix engagée par une organisation africaine, la Communauté Économique des États d'Afrique Centrale. Notre contingent sur place ne dépasse pas 200 hommes et son rôle-clé justifie entièrement son maintien.

Vous le voyez, mesdames et messieurs les sénateurs, les opérations extérieures de la France ont un sens et une nécessité, à l'instant où elles sont lancées : elles ont aussi une dynamique, un pilotage et un calendrier.

Votre assurerez désormais une part de leur contrôle -je m'en réjouis personnellement et au nom du Gouvernement- et vous garantirez que leur déroulement se poursuit avec l'appui explicite de la nation. Votre débat et votre vote ne seront pas seulement un gage de cohérence et de vigilance démocratique : ils diront aussi à nos partenaires que la France, quand elle s'engage, le fait d'une seule et forte volonté.

Ils diront à nos soldats qu'aussi loin que cet engagement les porte, notre regard et notre soutien les suivent. Vous connaissez leur compétence, leur dévouement et leur bravoure : ils doivent pouvoir compter aujourd'hui sur votre responsabilité. Ils doivent savoir qu'ils ont, par votre voix exigeante, l'appui de la Nation. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères.  - En application de l'article 35 de la Constitution, le Gouvernement a souhaité tenir un second débat au Parlement, depuis la modification constitutionnelle, sur l'intervention de nos forces armées sur les théâtres extérieurs. Notre débat intervient après celui qui s'était tenu le 22 septembre dernier à propos de notre engagement en Afghanistan.

Je me félicite de cette volonté de transparence du Gouvernement à la fois dans l'information de nos deux assemblées et dans le fait de demander leur autorisation pour la poursuite des quatre opérations dont nous avons à discuter ce soir. C'est dans le même esprit de transparence et le contrôle que la commission des affaires étrangères s'est rendue en 2008 en Côte d'Ivoire, en Afghanistan, au Liban, au Kosovo, en Bosnie-Herzégovine et, en 2009, au Tchad.

Le premier but de ces déplacements était d'informer la commission et le Sénat sur la pertinence politique et stratégique de nos engagements extérieurs et de contrôler l'adéquation des moyens mis en oeuvre pour atteindre les objectifs fixés. Il s'agissait aussi de manifester l'intérêt, l'attention et la considération du Sénat pour l'action menée par les soldats français au service de la paix internationale et de notre sécurité.

Les 13 000 militaires français déployés hors du territoire national font honneur à la France dont ils défendent, au péril de leur vie, les intérêts et les valeurs. Notre devoir est de veiller à ce que les moyens dont ils disposent pour leur mission et les conditions dans lesquelles se situent leur intervention soient optimaux tant du point de vue matériel que juridique et politique.

Chacune de ces missions a engagé deux sénateurs sur une base paritaire majorité-opposition. Elles ont été préparées en étroite coordination avec le ministère des affaires étrangères et avec le ministère de la défense. Des briefings ont été organisés avec le Centre de planification et de conduite des opérations de l'état-major. Dans chaque pays visité, des entretiens ont été ménagés avec les autorités politiques avant de se rendre sur le terrain. Nos ambassades ont été efficaces et sont parfaitement coordonnées avec les militaires. Dans la mesure du possible, ces missions ont eu lieu à l'occasion de relèves en accompagnant les unités en vol aérien militaire et en partageant les conditions de vie des militaires sur le terrain. Notre rapport d'information présente les analyses politiques et militaires réalisées à l'occasion de ces missions. Ces informations sont complétées par le dossier que nous a transmis le Premier ministre.

Je m'interroge sur les critères retenus par le Gouvernement pour demander au Parlement l'autorisation de poursuivre des opérations extérieures en cours, sachant que l'article 35 n'a pas de caractère rétroactif.

S'il est parfaitement clair que pour l'avenir, le Parlement doit être consulté pour toute opération nouvelle, il nous faut nous interroger sur la jurisprudence qui est en train de se mettre en place pour celles qui sont déjà engagées. Le Livre blanc pour la défense et la sécurité nationale a défini sept critères majeurs, mais ils valent plus pour les opérations à venir. S'exprimant devant la Finul le 6 janvier, le Président de la République a précisé ces critères en souhaitant que l'on puisse s'assurer que nos engagements correspondent bien à nos intérêts stratégiques et que la nature comme le volume de nos interventions nous procurent bien l'effet de levier escompté pour la solution rapide des crises dans lesquelles nous nous impliquons. Et nous retrouvons ces éléments dans les fiches transmises par le Premier ministre.

Tout cela crée une jurisprudence sur les opérations en cours, dont l'élément déterminant tient à la modification du contexte géopolitique d'emploi de nos forces. Des modifications sont bien intervenues sur les cinq territoires où sont regroupés l'essentiel des 13 000 hommes engagés dans une trentaine d'Opex : en Afghanistan, le renforcement du contingent français justifiait la consultation du Parlement ; en Cote d'Ivoire, la poursuite du processus de Ouagadougou et le report de l'élection présidentielle incitent à réfléchir sur le bon niveau des effectifs français, déjà sensiblement déflatés ; au Liban, le rôle puissamment stabilisateur de la Finul n'exclut pas une réflexion sur le niveau de nos forces ; la stabilisation du Kosovo et le déploiement de la mission Elex permettent de s'interroger sur le maintien du format et de la participation française à la KFOR ; la fin programmée de l'opération Eufor Tchad RCA pourrait se traduire par un renforcement du dispositif Épervier. Ces opérations s'inscrivent dans les quatre zones critiques que sont l'arc de crise Mauritanie-Pakistan, l'Afrique subsaharienne, le continent européen et l'Asie, avec un impact possible sur l'Europe.

Nous devons nous interroger sur la sélectivité de nos engagements extérieurs. Sur 270 000 hommes, nous en déployons 36 623, dont 9 796 pour les opérations multinationales, 3 503 pour les Opex bilatérales, 6 293 pour les forces de présence et 17 031 pour les forces de souveraineté. Hors forces de souveraineté dans les DOM-COM, notre présence s'équilibre en 10 000 hommes pour les opérations multinationales et 10 000 pour les opérations bilatérales et les forces de présence. Compte tenu de la loi de programmation, c'est parfaitement à la hauteur d'un pays comme la France : le Royaume-Uni déploie 15 000 hommes.

Membre permanent du conseil de sécurité, membre fondateur de l'Union européenne, comptant parmi les premiers contributeurs de l'Otan, la France a une responsabilité mondiale qui l'engage et justifie sa participation aux Opex, notre histoire et nos intérêts légitimant nos engagements bilatéraux.

Nous pouvons déployer 12 000 hommes sans problème majeur mais nous avons constaté en Afghanistan des faiblesses en équipement individuel et en matière de sécurité. Si le programme que vous avez lancé a très sensiblement amélioré ces équipements, avec les surblindages, les tourelleaux téléopérés et le brouillage contre les engins explosifs improvisés, on a également relevé des faiblesses dans le renseignement et dans l'usage des drones et, outre un déficit en matériel de mobilité pour les hélicoptères et les avions de transport, une usure accélérée du matériel.

Grâce à un effort considérable de maintien en condition opérationnelle, la situation est satisfaisante, sauf au Tchad où le taux de disponibilité des matériels est anormalement bas. Des mesures significatives ont été prises en 2008 mais les moyens affectés aux Opex pèsent sur la situation des unités stationnées sur le territoire national. Il est donc impératif de respecter la loi de programmation militaire en matière d'équipement.

Les demandes d'intervention des organisations internationales demeureront très importantes, ainsi en République démocratique du Congo, dans l'attente d'un contingent de l'ONU. Dans ce contexte, nous devons travailler sur des options d'allégement des opérations existantes en gardant comme hypothèse le déploiement de 12 000 hommes. L'option politique doit être privilégiée, comme le montre l'exemple des Kivus. Nos diplomates s'y emploient et leurs succès permettent d'éviter le déploiement de renforts.

Les pistes de travail me paraissent assez évidentes. Le Tchad présente un intérêt stratégique majeur pour la France : au coeur de l'arc de crise et au contact d'États en grande difficulté, sa stabilisation constitue un enjeu majeur. Le maintien des opérations Épervier et Boali paraît s'imposer. L'Eufor sera remplacée par un contingent de l'ONU mais le maintien d'un millier d'hommes assurera la soudure.

Le Livre blanc a prévu le retrait de Cote d'Ivoire à la fin de l'opération Licorne. La récente annonce du retrait de 1 100 hommes va dans le bon sens.

Avec le retour du reste du pays à la stabilité, on peut imaginer un rééquilibrage dans la zone nord du Kosovo et l'intervention d'autres pays.

Notre importante participation à la Finul ne doit pas faire l'objet d'une réflexion car elle est pleinement utile : sans elle, un deuxième front aurait été ouvert pendant le conflit de Gaza et des éléments incontrôlés auraient pu déclencher une réaction en chaîne. La prolongation de notre participation me semble donc une évidence. Le Gouvernement a néanmoins annoncé le retrait de deux bâtiments.

Nous ne statuons pas aujourd'hui sur notre présence résiduelle en Bosnie-Herzégovine, où l'on n'assure plus aucune opération sécuritaire. Une clôture de l'opération s'impose à court terme.

Les surcoûts des opérations extérieures qui correspondaient initialement surtout à des dépenses de personnel comprennent désormais d'importants crédits de fonctionnement et des contributions à des organisations internationales. Il s'agit de chiffres bruts, qui ne comptabilisent pas d'éventuels remboursements partiels -38 millions sur 833 en 2007. Le fardeau doit être mieux partagé : le dispositif Athéna de l'Union européenne n'est pas toujours satisfaisant. L'inscription en loi de finances de crédits complétés en collectif a marqué un progrès et la loi de programmation militaire a prévu de porter ce budget à 630 millions en 2011 -un montant à rapprocher de celui de 2007, qui n'est pas si exceptionnel que le prétend le ministère du budget. Les crédits mis en réserve par les différents ministères pourront être utilisés pour couvrir les surcoûts et la commission y sera très vigilante.

Je salue l'engagement exceptionnel de nos soldats et de nos diplomates, leur professionnalisme, leur ardeur et leur enthousiasme nous ont frappés, de même que le soutien des populations qu'ils protègent. Pour ces raisons, la prolongation de ces opérations militaires est totalement justifiée. (Applaudissements à droite et sur plusieurs bancs au centre)

M. Yves Pozzo di Borgo.  - En application de l'article 35 de la Constitution, notre Haute assemblée est appelée à autoriser le maintien de nos forces armées sur cinq théâtres d'opérations extérieures. Le groupe de l'Union centriste, qui a voté à une large majorité la dernière révision constitutionnelle, exprime une nouvelle fois sa satisfaction de voir un tel débat se tenir au Parlement.

Ces opérations, par ailleurs bien différentes, illustrent les responsabilités d'un pays membre permanent du Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies. Chaque intervention de nos forces armées correspond désormais à un mandat précis ou à une orientation décisive du Conseil de sécurité : on ne peut que se féliciter de ce progrès du droit. Le temps du « machin » brocardé par le Général de Gaulle est bien révolu, et la France a cessé de se singulariser dans le concert des nations pour mieux apporter son génie propre aux décisions collectives.

J'ai fait part, lors du débat budgétaire du 5 décembre dernier, de mes interrogations sur notre politique au Proche-Orient. Notre pays joue au Liban un rôle essentiel. Depuis l'orientation prise en mai 1978 par le Président Giscard d'Estaing, la France a apporté une contribution importante à la Finul. Elle a évité les pires tragédies sans empêcher, hélas, les conflits. Depuis la résolution 1 701 du Conseil de sécurité, datée du 12 août 2006, la Finul II a maintenu la paix : la ligne bleue est respectée et l'armée libanaise peut désormais se déployer au sud du pays. L'élection, le 25 mai 2008, du général Sleimane à la Présidence de la République, puis la formation d'un gouvernement de coalition autour de Fouad Siniora ont permis une détente intérieure. Souhaitons que ce fait soit confirmé par les élections législatives du printemps prochain.

A la frontière israélo-libanaise, hormis un incident mineur, aucune violation du cessez-le-feu n'a été constatée pendant la crise de Gaza. La présence militaire de la France -1 430 soldats et 430 marins sur deux bâtiments- lui permet de se faire entendre des parties en présence. Depuis 1860, notre pays s'honore de veiller sur le Liban, de garantir sa sécurité et d'apporter sa pierre à sa stabilité. Mon groupe autorisera le Gouvernement à y maintenir nos forces armées.

Plus près de nous, en Europe, l'approche est bien différente. Depuis juin 1991, l'ex-Yougoslavie vit dans l'incertitude politique la plus grande. La Slovénie, membre de l'Union européenne, de la zone euro et de l'Otan, est tirée d'affaire ; mais souvenons-nous qu'elle fut le premier pays agressé par l'armée fédérale yougoslave.

Le Kosovo aspire à la paix : c'est loin d'être acquis dans un pays qui n'est pas reconnu par l'ensemble de la communauté internationale et qui peine à faire cohabiter sa majorité albanaise et sa minorité serbe, sans compter le poids des mafias. Notre engagement s'effectue dans le cadre d'un mandat délivré par la résolution 1 244 du Conseil de sécurité, datée de 1999. Au fil du temps, les progrès de la construction européenne devraient stabiliser la région. La Croatie frappe à la porte de l'Union européenne et la Serbie aurait le plus grand intérêt à suivre son exemple. Un apaisement en Bosnie-Herzégovine permettrait d'envisager un indispensable compromis au Kosovo. Avec 1 850 hommes sur un total de 14 600, la France fait son devoir au sein de la force de l'Otan, la KFOR. Le travail de la mission civile de police et de justice de l'Union européenne, Eulex Kosovo, permettra à terme de réduire progressivement la présence militaire internationale dans cette région : ce serait le signe du retour de la paix. Le groupe de l'Union centriste autorisera le Gouvernement à y maintenir nos troupes.

La France est également présente en Afrique ; loin de moi l'idée de le remettre en cause. Cependant, je souhaite interroger le Gouvernement sur plusieurs points. En République centrafricaine, la situation demeure préoccupante ; les observateurs espèrent que le Président Bozizé mènera à son terme le « dialogue national inclusif » engagé par son Premier ministre Faustin-Archange Touadéra en vue de préparer l'élection présidentielle de 2010. Le Gouvernement peut-il nous donner des précisions à ce sujet ?

L'ancien président Ange Félix Patassé a fait part de sa volonté d'être candidat à la magistrature suprême en 2010. Or il est toujours menacé de poursuites par la Cour pénale internationale dans le cadre de la procédure ouverte contre Jean-Pierre Bemba, chef du Mouvement de libération du Congo, pour des exactions commises à Bangui entre octobre 2002 et mars 2003. Si le procureur général de la CPI délivrait un mandat d'amener à l'encontre du Président Patassé, quelles seraient les instructions du Gouvernement à nos soldats ?

En Côte d'Ivoire, où en est le recensement des électeurs, étape cruciale avant le scrutin présidentiel ? Seuls deux millions d'électeurs ont été recensés dans le district d'Abidjan au lieu des trois millions attendus, 2,5 millions au lieu de cinq dans l'ensemble du pays. Le compte n'y est pas. Nous sommes encore bien loin d'élections législatives « ouvertes à tous, libres, justes et transparentes » pour reprendre les termes du mandat politique et civil de juin 2005 de l'Organisation des Nations Unies en Côte d'Ivoire.

Au Tchad, notre engagement remonte à 1968. Notre pays a pris l'initiative d'envoyer une force Eufor pour éviter l'extension de la crise humanitaire du Darfour aux pays voisins. Mais il est temps de redéfinir clairement nos objectifs. Le Président Idriss Déby était paraît-il à Paris voici deux semaines et aurait eu des conversations diplomatiques au plus haut niveau. Je souhaite que vous éclairiez à ce propos la représentation nationale, à moins que ces entretiens soient confidentiels.

Je me réjouis qu'on ait mis un terme à la pratique qui consistait à ne pas inscrire de crédits budgétaires suffisants pour les opérations extérieures. La différence entre la provision budgétaire et le coût réel des opérations extérieures était alors comblée par l'ouverture de crédits nouveaux compensée par l'annulation de crédits d'investissements. Fort heureusement, depuis 2002, on s'efforce de faire correspondre la ligne budgétaire au coût réel. Si l'écart s'est creusé en 2008, à cause des opérations en Afghanistan et au Tchad, il devrait continuer à se réduire dans les années à venir. C'est un réel progrès de la sincérité budgétaire.

Je terminerai par une question stratégique. Pour des raisons historiques, l'Afrique est le terrain privilégié des opérations extérieures françaises. Mais l'Europe a montré sous la présidence française, à l'occasion des crises géorgienne et proche-orientale, qu'elle pouvait redevenir la puissance qu'elle a été. N'est-il pas temps qu'elle se préoccupe de ses frontières euro-asiatiques ? L'Otan et la Russie doivent-elles continuer à être les seuls acteurs militaires en Europe de l'Est ? Nous pourrions réorienter nos opérations extérieures en direction des frontières de l'Europe si nous passions des accords de coopération militaire avec les pays frontaliers, soit dans le cadre multilatéral de la politique européenne de sécurité et de défense, soit dans un cadre bilatéral.

Le groupe de l'Union centriste souhaiterait avoir des réponses à ces questions, mais il n'en votera pas moins la prolongation de l'intervention des forces armées en Côte d'Ivoire, au Tchad, en Centrafrique, au Liban et au Kosovo. (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Michelle Demessine.  - Je tiens tout d'abord à rendre hommage à nos huit soldats morts au Gabon il y a quinze jours, lors d'une mission d'entraînement. Ils ont consenti le sacrifice suprême, conformément à leur engagement.

Lors de la présentation de ses voeux aux forces armées au Liban, le Président de la République a lancé un débat sur la conformité de nos opérations militaires extérieures aux intérêts de notre pays et sur la nature et le volume de la présence militaire française à l'étranger.

Je déplore les conditions dans lesquelles est organisé ce débat. Si notre commission des affaires étrangères a dépêché des missions sur chacun des théâtres d'opération en question, en revanche, pour préparer ce débat, à aucun moment, messieurs les ministres, nous n'avons pu vous auditionner en commission. (M. Bernard Kouchner s'étonne)

Ce débat était pourtant très attendu à l'heure où jamais, depuis bien longtemps, nous n'avions eu autant de soldats français en opérations extérieures : 13 000 hommes engagés sur treize théâtres d'opérations différents. Sur ce total, 71 % sont déployés dans un cadre multilatéral avec 4 800 hommes engagés dans des opérations de l'Otan, 2 100 sous les couleurs de l'ONU et autant sous celles de l'Union européenne. Le reste, soit 3 500 hommes, est engagé dans des opérations nationales, essentiellement en Côte d'Ivoire et au Tchad.

Suivant les souhaits du Président de la République, vous nous présentez donc, monsieur le ministre, les grandes orientations d'un plan de révision, de redéploiement et de réduction de certains de nos effectifs à l'étranger. Outre ce débat général, vous nous demandez, en vertu d'une disposition de la récente révision constitutionnelle, d'autoriser votre Gouvernement à prolonger, ou non, nos interventions militaires dans cinq pays : la Côte d'Ivoire, l'ancienne province serbe du Kosovo, le Liban, le Tchad et la République centrafricaine. Bien que n'ayant pas voté l'ensemble de la révision constitutionnelle, nous reconnaissons qu'il est important que le Parlement se prononce sur l'opportunité de prolonger telle ou telle opération, d'autant que jusqu'à cette révision constitutionnelle, nous étions la seule grande démocratie parlementaire dans laquelle le Parlement n'était ni informé, ni consulté lorsque son armée étaient engagée à l'extérieur. Vous n'avez pourtant fait que la moitié du chemin puisque nous ne pouvons nous prononcer que quatre mois après la mise en place d'une opération et non pas, comme nous l'avions demandé, au moment de la prise de décision.

Nous voulions également, mais vous l'avez refusé, que le Parlement soit pleinement informé des accords de défense et de coopération militaire signés avec des pays étrangers. En effet, en dehors des mandats internationaux en vertu desquels nos troupes opèrent à l'étranger, ce sont ces accords qui fondent nos interventions et déterminent leurs formes et leurs missions. Puisque vous nous présentez une adaptation de notre dispositif en Afrique et que le Président de la République s'était engagé en février dernier, dans son discours du Cap, à remettre à plat et à rendre publics ces accords de défense avec les pays africains, je souhaite que la représentation nationale ait enfin la possibilité de les examiner pour se prononcer en toute connaissance de cause.

Enfin, l'un des moyens les plus efficaces d'éviter les crises reste encore de lutter contre l'armement des belligérants. Notre pays devrait avoir une politique plus offensive en matière d'embargo et de lutte contre les trafics d'armes. Certes, il est particulièrement engagé dans l'adoption du traité International sur le commerce des armes mais notre quatrième rang dans ce domaine devrait nous inciter à davantage montrer l'exemple.

Nous sommes très sceptiques vis-à-vis du nouveau dispositif que vous nous présentez. Il ne procède pas d'une véritable réflexion sur la légitimité de nos interventions militaires extérieures. Les grandes orientations que vous nous exposez découlent des analyses géostratégiques du Livre blanc de la défense et de la sécurité nationale. Face aux nouvelles menaces contre notre pays, ce Livre blanc recommandait de réadapter le format et la mission de notre outil de défense et appelait à être plus sélectifs dans les engagements extérieurs de nos armées dont le coût ne cesse d'augmenter. Il avait ainsi retenu sept principes directeurs pour ces opérations, parmi lesquels « une définition de l'engagement dans l'espace et dans le temps, avec une évaluation précise du coût ». La première motivation du dispositif que vous nous proposez, c'est de faire des économies.

La remise à plat de nos engagements sur le continent africain, la révision de nos accords de défense et de coopération militaire, qu'avait annoncées le Président de la République au Cap, peuvent sembler positives. Mais je crains au contraire que cela n'ouvre pas sur de nouvelles relations avec les pays africains. Cette décision, avec la réduction de nos forces pré-positionnées s'accompagne aussi, malheureusement, d'une diminution de notre aide publique au développement, ce qui masque mal un désengagement de la France dans cette partie du monde. La baisse de l'aide publique et les promesses non tenues qui étranglent l'Afrique augurent mal de la nouvelle politique avec ces pays annoncée par le Président de la République. Le décalage est flagrant entre ses paroles et ses actes qui ne vont pas dans le sens du développement, de la coopération, du partage des richesses ni, pour tout dire, du nouvel ordre mondial qu'attend l'Afrique.

Vous nous demandez aussi de nous prononcer sur le maintien ou non de certaines opérations extérieures. Pour nous, l'envoi de troupes à l'étranger est uniquement justifié par la recherche de la paix dans un cadre multilatéral. Les interventions de nos troupes à l'étranger ne sont donc légitimes que quand elles s'effectuent dans le cadre d'un mandat donné par la seule institution internationale qui privilégie le multilatéralisme et la recherche de la paix : l'Organisation des Nations Unies. Nous sommes évidemment conscients des insuffisances et, parfois, de l'inefficacité de cette grande institution et c'est pourquoi nous pensons qu'il faut absolument modifier le fonctionnement et la composition du Conseil de sécurité.

Nos interventions militaires à l'étranger ne sont justifiées que lorsqu'il s'agit de maintenir ou de rétablir la paix, de s'interposer entre des belligérants ou, bien entendu, de protéger nos ressortissants. En revanche, nous sommes totalement hostiles à la participation à des opérations de l'Otan qui résultent, comme en Afghanistan, d'un alignement pur et simple sur les intérêts de l'administration américaine. C'est pourquoi nous soutenons les opérations auxquelles participent nos forces lorsqu'elles procèdent d'un mandat s'appuyant sur une résolution du Conseil de sécurité.

Quant aux accords bilatéraux de défense ou de coopération militaire, nous voulons que le Parlement les examine lors de leur renégociation.

Face aux drames récents du conflit palestino-israélien, nous pensons que la création d'une force internationale d'interposition s'impose de toute urgence. Mais je voudrais aussi que votre Gouvernement, monsieur le ministre, prenne rapidement position en faveur des demandes de commission d'enquête sur les horreurs de cette guerre, qui ont été déposées par plus d'une trentaine d'associations de tous pays auprès de la Cour pénale internationale. De même que nous devrions soutenir les demandes d'enquête de M. Ban Ki Moon, secrétaire général des Nations Unies, après le bombardement d'écoles et de bâtiment de l'ONU dans la bande de Gaza.

En République de Côte d'Ivoire, avec la force Licorne et le soutien aux troupes de l'Onuci, nous avons 2 000 hommes sur place. La mission de la force Licorne, qui repose sur plusieurs résolutions de l'Onu dont la dernière consiste principalement à assurer la tenue d'une élection présidentielle plusieurs fois reportée, n'est pas achevée. Dernièrement, M. Choi Young Jin, représentant de l'Onu sur place, a à nouveau réclamé des autorités ivoiriennes un calendrier électoral, seul à même de sortir le pays d'une crise politique qui dure depuis cinq ans. A l'évidence, les conditions prévues par la résolution 1 721 du Conseil de sécurité ne sont toujours pas remplies. Ni le désarmement et le démantèlement des milices, ni l'identification du corps électoral, le redéploiement de l'administration et la préparation technique de l'élection ne sont assurés. Dans ces conditions, il nous semble nécessaire de prolonger la mission de la force Licorne mais en en réduisant les effectifs comme vous le proposez puisque la situation s'est en partie stabilisée. Nous souhaitons toutefois que cette décision soit prise en concertation avec les autorités ivoiriennes et qu'elle débouche à terme sur un calendrier de retrait de nos troupes.

Pour le Kosovo, où nous avons 2 000 hommes au sein de la KFOR sous un commandement Otan, nous sommes contre la prolongation de notre intervention. La présence de nos soldats, souvent engagés en raison de l'inefficacité de la police kosovare et de la Minuk, cautionne la déclaration unilatérale d'indépendance du parti kosovar au pouvoir. Cette déclaration d'indépendance de la province albanophone, qui n'a pas été reconnue par tous les pays composant la KFOR, bafoue la résolution 1 244 du Conseil de sécurité qui définissait les missions de la force de l'Otan. Le contexte ayant changé, avec le déploiement de l'opération européenne Eulex et d'une nouvelle force de sécurité kosovare, la FSK, qui se met progressivement en place, il ne faut pas maintenir notre présence militaire au Kosovo.

Avec 1 900 hommes, le maintien de notre participation à la Finul renforcée au Liban paraît nécessaire au regard des derniers événements du conflit palestino-israélien. Les missions de la Finul, qui là aussi se fondent sur plusieurs résolutions de l'ONU, sont l'exemple même de missions d'interposition et de rétablissement de la paix. Pourtant, la mise en oeuvre des résolutions de l'ONU est inachevée. Elle consistait d'une part à surveiller la bonne application du cessez-le-feu entre l'armée libanaise, le Hezbollah et l'armée israélienne, et d'autre part à appuyer l'armée libanaise pour empêcher le réarmement du Hezbollah. L'heure n'est pas au désengagement tant que la situation n'est pas stabilisée.

Au Tchad, il faut distinguer l'opération Eufor-Tchad-RCA d'une part, et les opérations Épervier et Boali d'autre part. L'opération Eufor, à vocation humanitaire, visant à protéger les réfugiés et déplacés du Darfour, doit de toute façon prendre fin le 15 mars et être relayée par une mission des Nations Unies pour la République de Centrafrique et le Tchad, la Minurcat. Le problème est que cette force ne sera pas opérationnelle avant la fin 2009. Nous proposons donc qu'une partie des effectifs d'Épervier rejoignent la Minurcat pour assurer un soutien logistique. En revanche, nous sommes contre la prolongation de la l'opération Épervier qui, malgré son objectif affiché d'aide à la stabilité du Tchad et de la sous-région, apporte avant tout un soutien contestable à un régime issu d'un coup d'État. En cela, elle est un obstacle à un règlement durable de la crise tchadienne, qui ne peut se faire que dans le cadre d'un processus de paix soutenu par la communauté internationale.

Enfin, en République centrafricaine, avec l'opération Boali, nous intervenons directement, sans mandat international, pour tenter de régler les affaires intérieures de ce pays. Derrière les objectifs affichés de maintien de la paix, notre rôle est équivoque et nous prenons parti, dans un pays souverain, pour maintenir en place un régime menacé par son opposition. Nous sommes donc également opposés à la prolongation de l'opération Boali.

Vous n'avez pas précisé l'utilisation ultérieure qui serait faite des réductions d'effectifs. Ces décisions n'ont à aucun moment été présentées devant nos commissions parlementaires. Cette absence de concertation, alors même que le Gouvernement prétend renforcer les droits du Parlement, nous fait craindre que, malgré les démentis de M. Morin, vous nous annonciez dans quelques mois que vous cédez aux demandes pressantes de l'Otan et des États-Unis de renforcer les troupes en Afghanistan.

M. Hervé Morin, ministre de la défense.  - Je n'ai jamais dit ça !

Mme Michelle Demessine.  - J'ai bien dit « malgré les démentis de M. Morin »...

Lors du scrutin public, le groupe CRC-SPG votera donc pour le prolongement des interventions en Côte d'Ivoire et au Liban, mais contre le maintien de nos troupes au Kosovo, au Tchad et en République centrafricaine. (Applaudissements sur les bancs CRC-SPG et sur certains bancs socialistes)

M. Jacques Gautier.  - Les votes qui suivront ce débat constituent une application directe de la réforme constitutionnelle adoptée en juillet dernier. En vertu de l'article 35, l'envoi et le maintien de nos troupes et matériels sur des théâtres d'opérations extérieures sont désormais soumis au Parlement.

La France, membre fondateur de l'Union européenne, symbole de la liberté et membre permanent du Conseil de sécurité, a une responsabilité particulière dans le maintien de la paix et de la sécurité internationale. Notre histoire, notre tradition démocratique et nos capacités militaires nous désignent comme l'un des premiers États vers lesquels se portent les sollicitations. Nos opérations extérieures s'appuient sur des hommes et des femmes qui ont choisi de servir notre pays et ses valeurs, parfois au prix du sacrifice ultime comme au Gabon, en Afghanistan ou en Côte d'Ivoire. Au nom du groupe UMP, je rends hommage au courage et au professionnalisme de nos soldats qui, à des milliers de kilomètres de leur famille, défendent une certaine idée de la France et de sa mission. (Applaudissements à droite)

Je rappelle à chacun d'entre nous que les votes auxquels nous allons procéder nous engagent sur la scène internationale, mais aussi vis-à-vis de nos soldats. Cette responsabilité partagée nous amènera à être plus vigilants, plus fermes, plus pressants pour les demandes de matériels et de moyens dont nos armées ont besoin. Plusieurs de nos collègues peuvent, dans le cadre de missions, témoigner du dévouement, de l'excellence de nos troupes et de leur respect des populations. J'en remercie le président de Rohan : ces déplacements nous ont permis de recueillir des informations sur la pertinence de nos engagements et expriment l'intérêt sénatorial envers nos personnels militaires.

Face à une situation géopolitique de plus en plus complexe, avec des conflits asymétriques et des acteurs non étatiques -tels les pirates au large des côtes somaliennes-, notre stratégie de défense doit s'adapter en permanence. Les opérations extérieures n'ont plus rien d'exceptionnel et font désormais partie intégrante de l'activité de notre armée. Elles se caractérisent par leur durée, leur durcissement et leur dispersion géographique. Elles doivent répondre aux critères fixés par le Président de la République dans le Livre blanc de la défense et s'inscrire dans le cadre de la réforme des armées.

Tout d'abord, le choix d'envoyer des contingents dans telle ou telle région du globe découle de l'évaluation des menaces, de plus en plus diffuses et difficiles à identifier. Il faut apprécier leur gravité pour la sécurité internationale et pour nos intérêts nationaux et examiner les alternatives au recours à la force armée. Les relais de notre diplomatie doivent alors opérer afin d'impliquer les autorités et les responsables politiques des zones concernées et de les appeler à engager le dialogue.

L'« appréhension réaliste » de notre participation à la résolution des conflits constitue un autre principe directeur défini par le Président de la République en juillet 2007. Avant d'engager nos forces, il nous faut être en mesure d'assumer le niveau d'engagement nécessaire et disposer de moyens humains et matériels suffisants. Il nous faut également disposer d'une visibilité dans le temps afin d'évaluer correctement les coûts, même si nous sommes capables, comme nous l'a rappelé M. de Rohan, de mettre en place une politique de « Crash programme » et d'acheter les matériels « sur étagère ». A ce titre, je remercie le ministre pour sa réactivité vis-à-vis de l'Afghanistan.

Enfin et surtout, il faut toujours envisager les perspectives de règlement du conflit, et si possible la fin de notre intervention. Dans de nombreux cas, tel l'Afghanistan, l'action militaire est indispensable mais ne suffit pas. Il faut, comme le dit Paul Haéri, « gagner la paix de sortie de guerre » en rétablissant la sécurité afin de reconstruire une vie durable, avec une administration et des services, l'éducation, l'accès aux soins, le développement agricole et la mise en place d'une armée autochtone crédible. Cette action globale, qui nécessite de la volonté, des moyens importants, de la patience et du temps, doit être conduite avec et pour les populations locales. Cela signifie que certaines opérations extérieures vont durer et perdurer.

Mener des opérations dans un cadre multinational présuppose que notre armée dispose d'effectifs suffisants ainsi que des moyens terrestres, aériens et navals correspondants. Les efforts réalisés en 2008 et 2009 comme la loi de programmation militaire à laquelle nous travaillons vont dans le bon sens. Actuellement, plus de 13 000 hommes participent à trente opérations. La France est, avec le Royaume-Uni, l'une des puissances les plus engagées dans le maintien de la paix. Les interventions auxquelles elle participe sous le drapeau onusien -principalement l'opération Finul-Daman au Liban, avec 1 853 hommes- représentent 16 % des opérations en cours.

Au Liban, les événements de l'été 2006 et le renforcement du contingent dans le cadre de la Finul II, suivant la résolution 1 701 du Conseil de sécurité, ont été une des conditions essentielles à l'arrêt des hostilités entre Israël et le Hezbollah. Les objectifs de l'opération ont donc été atteints. Grâce à l'assistance à l'armée libanaise et au rétablissement de l'autorité effective, les négociations ont abouti à un cessez-le-feu quasi permanent. De plus, la France a bénéficié d'un levier diplomatique pour la stabilisation de la situation et pour notre action au Proche-Orient, ce qui a facilité l'action du Président de la République ces dernières semaines, lors des tristes événements dans la bande de Gaza. Dans le cadre de la résolution 1 832, nos troupes devraient stationner au Liban jusqu'en août 2009. Notre pays participe également à la force navale déployée dans ce secteur. Sur les 20 000 vérifications effectuées depuis septembre 2006, aucune n'a donné lieu à des découvertes suspectes. Il est donc judicieux d'alléger très rapidement cette partie du dispositif et je félicite M. le ministre de la défense d'avoir pris cette décision.

L'action et l'implantation de nos forces au Tchad et en République centrafricaine doivent être abordées sous le prisme d'une politique globale dans la région. Nous y menons plusieurs opérations dans un cadre national ainsi que sous mandats onusien et européen. Je tiens à rendre hommage au général irlandais Nash, à la tête des opérations Eufor au Tchad et en République centrafricaine, et à souligner l'effort consenti par la Pologne et l'Irlande. En revanche, nous regrettons de n'avoir pu mobiliser nos partenaires européens traditionnels : c'est une victoire en demi-teinte de l'Europe de la défense. Un relais a été mis en place à destination des organisations et forces de sécurité régionales, et nous avons contribué à la protection des civils, des personnels et des biens des Nations Unies et des ONG, et facilité l'aide humanitaire. Lors des violents combats à N'Djamena au début de février 2008, la France a procédé à l'extraction des personnels diplomatiques allemands et américains avec une grande efficacité.

En Côte d'Ivoire, depuis 2002, les soldats de l'opération Licorne ont participé à la sécurisation du pays et à l'accompagnement vers une sortie de crise. Le soutien de nos troupes à l'Opération des Nations Unies en Côte d'Ivoire (Onuci), depuis 2004, a permis une normalisation de la vie politique du pays. Le retrait des troupes nous paraît raisonnable puisque, parallèlement, des pays tels que le Burkina Faso ont engagé des médiations en liaison avec l'Union africaine. Lorsque les élections présidentielles auront enfin lieu, il serait souhaitable d'y envoyer des observateurs internationaux. L'attachement naturel de la France au continent africain et sa tradition d'intervention en cas de conflits ne doivent pas nous faire perdre de vue la nécessité pour l'Union africaine d'assurer le relais lorsqu'un conflit éclate.

Au Kosovo, la superposition des mandats des organisations internationales nous empêche de disposer d'une vision globale de notre action. Les soldats français déployés au nord-ouest sont intégrés dans plusieurs missions et dépendent pour les uns de la KFOR, pour les autres de la Minuk, quand d'autres attendent d'être relayés par la mission Eulex. Comprenne qui pourra !

A cela s'ajoute la déclaration unilatérale d'indépendance du Kosovo ; à ce jour, pas plus de 51 États ont reconnu le Kosovo, dont seulement 22 membres de l'Union européenne. Situation surprenante car comment les instances onusiennes ou européennes peuvent-elles engager des missions alors qu'une partie de leurs membres n'ont pas reconnu officiellement ce pays ? Monsieur le ministre, pourriez-vous nous donner des précisions sur l'action de nos troupes dans cette zone ? Le maintien de soldats français est-il nécessaire, sachant que d'autres contingents sont présents ? Le maintien de la stabilité dans les Balkans est fondamental : c'est à l'Union européenne qu'incombe prioritairement cette tâche. Il s'agit donc de définir le rôle de la France au sein de la mission Eulex.

Le caractère des Opex a changé et se traduit par une augmentation croissante des coûts. Entre 2006 et 2008, à effectifs constants, les surcoûts ont augmenté de 40 %. La budgétisation est indispensable et nous nous félicitons que la loi de programmation militaire porte les financements en loi de finances initiale à 630 millions d'euros en 2011, 510 millions d'euros dès 2009.

L'augmentation constante du coût des opérations extérieures résulte d'une surenchère en soutiens logistiques : « plus loin », « plus violent », « plus longtemps », « plus exigeant en équipement ». Nos contributions financières à l'Otan et à l'Union européenne ne sont pas près de diminuer... D'autant que la définition du « coût commun » est très restrictive, le mécanisme Athéna laissant à la charge des principaux contributeurs l'essentiel du financement. Les remboursements en 2008 représentent 37 millions d'euros, pour un surcoût total de 833 millions !

Dans une conjoncture extrêmement difficile et alors que nous procédons à une rationalisation des coûts au sein de notre propre armée, il n'est pas acceptable que les pays fournissant les moyens humains et matériels assument aussi des coûts en constante augmentation. Tous les membres de l'Union, même s'ils n'ont pas la volonté ou les moyens de participer physiquement ou matériellement, devraient contribuer à l'effort financier. Une meilleure répartition des charges conditionne la construction d'une politique européenne de défense. L'appartenance à l'Union européenne ne peut se résumer au seul volet économique, elle implique un partage de valeurs pour lesquelles chacun doit s'investir.

Le groupe UMP votera bien sûr la prolongation de nos différentes Opex et l'allégement de nos troupes chaque fois que cela est possible et nécessaire. (Applaudissements à droite et sur certains bancs au centre)

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Nos engagements extérieurs correspondent-ils bien aux intérêts majeurs de la France ? Voilà, me semble-t-il, la principale question. Le mérite des hommes n'est pas en cause et je m'associe à l'hommage qui leur a été ici rendu.

Le Gouvernement vient d'annoncer une légère réduction du nombre de nos soldats sur les théâtres d'opérations extérieures. N'est-elle pas le préalable à un redéploiement ?

Mme Michelle Demessine.  - Le ministre a démenti !

M. Bernard Kouchner, ministre.  - Je le répète : non !

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Nous en acceptons l'augure... La France est membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU et elle accomplit à ce titre un devoir supérieur au service de la communauté internationale. Je ne conteste pas le rôle que joue la France au profit de pays encore fragiles, en Afrique tout particulièrement, où les États ne se tiennent pas toujours très fermement sur leurs jambes. Je ne conteste pas le renforcement de notre présence au Proche-Orient, afin de faire respecter les résolutions de l'ONU. Mais je m'inquiète de la dérive qui correspond à l'évolution du monde. Nous intervenons de plus en plus dans le sillage de la diplomatie américaine.

Il y aurait beaucoup à dire sur le coût des opérations de l'ONU, 7 milliards de dollars aujourd'hui contre 840 millions en 1998-1999, sur la montée exponentielle des effectifs engagés, sur les conditions de déroulement des opérations de maintien de la paix. Le sous-continent indien fournit 40 % des troupes, certains pays francophones apportent aussi une contribution élevée : je pense au Maroc, au Sénégal et au Bénin.

Je n'évoquerai pas le coût de ces opérations pour la France. La dotation budgétaire ne couvre que la moitié environ des dépenses réelles. En euros constants, les surcoûts de ces opérations ont représenté, depuis 1996, 20 milliards d'euros, soit six porte-avions nucléaires. Tout cela pèse sur les dépenses d'équipement et de maintien des matériels en condition opérationnelle.

Cette évolution est le fruit d'orientations diplomatiques auxquelles, monsieur le ministre des affaires étrangères, vous avez contribué en inventant le « devoir d'ingérence ». A-t-on jamais vu le faible s'ingérer dans les affaires du fort ? Ce concept a trop souvent servi à justifier un droit à deux vitesses. L'Assemblée générale de l'ONU a, pour sa part, plus raisonnablement affirmé le « devoir de protéger » les populations.

M. Bernard Kouchner, ministre.  - La responsabilité, c'est capital.

M. Jean-Pierre Chevènement.  - La France a entrepris un rapprochement avec l'Otan depuis 1996 : il accroît le risque d'une guerre des civilisations. Le monde est menacé par l'anomie ; l'état de droit est, dans de nombreuses régions, évanescent. Autre facteur de guerre, le renversement de l'équilibre des puissances : l'unipolarité a laissé place depuis cinq ans à la multipolarité. L'intérêt de la France est-il de suivre les États-Unis ou de préserver sa capacité de médiation ? Dans un monde devenu multipolaire, l'Europe, donc la France, sera-t-elle elle-même un pôle ? Certes, l'élection de Barack Obama a marqué une rupture avec la période récente, où les États-Unis ont semblé hésiter entre trois ennemis potentiels, le monde arabo-musulman, la Russie et la Chine.

Où est l'intérêt de la France ? D'abord dans la paix avec ses grands voisins. La priorité est la solution du conflit israélo-palestinien, y compris par l'envoi de troupes. En Irak, la prudence s'impose. En Iran, nous n'avons pas à jouer les imprécateurs. Quant à l'Afghanistan, nous savons bien que les racines du mal sont ailleurs.

Avec la Russie, nous n'avons aucune raison de nous laisser entraîner dans les conflits du Caucase. La gestion de la crise géorgienne par le Président Sarkozy l'été dernier a été pragmatique, elle a sauvegardé l'essentiel, le partenariat stratégique entre l'Union européenne et la Russie.

Dans ce déplacement des équilibres du monde, j'ai le sentiment que nous sommes de plus en plus aspirés par la politique américaine. La réintégration de l'organisation intégrée de l'Otan serait un mauvais signal adressé au monde -en particulier aux grands pays du sud et à la Russie- comme aux responsables militaires et politiques. Quand la France adhère à une organisation internationale, ce n'est pas pour assurer des fins de carrière prestigieuses à ses hauts serviteurs, militaires ou civils. Et rien ne prouve que les États-Unis aient renoncé à élargir l'Otan à l'Ukraine et la Géorgie, ce qui entraînerait de graves problèmes avec la Russie. La première guerre mondiale a éclaté en raison d'alliances trop rigides ; il serait sage de garder nos distances à l'égard de plans de défense douteux. A Williamsburg, les États-Unis avaient déjà voulu intégrer le Japon à l'Otan. L'institut John Hopkins a été chargé de réfléchir au nouveau concept stratégique de l'Otan. Qu'en est-il ? Les Européens se sont-ils concertés sur ce sujet majeur pour sa sécurité ?

Notre priorité doit aller au recentrage sur l'Afrique et le Proche-Orient, la première parce qu'elle est une zone traditionnelle de nos intérêts et une région francophone, le second parce que s'y déroule la crise matricielle des relations internationales. Il faudra en revanche savoir se désengager des Balkans, Kosovo mais aussi Bosnie-Herzégovine ; et conclure les opérations Licorne en Côte d'Ivoire, Eufor au Tchad. Je m'interroge enfin sur certaines économies de bouts de chandelle...

M. le Président.  - Il faut conclure.

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Des coupes claires sont indispensables, d'autant plus que le Livre blanc programme une baisse des effectifs pouvant être projetés, ce qui impliquerait en toute logique un renforcement des capacités matérielles et de transport.

Le contrôle du Parlement, renforcé par la récente révision constitutionnelle, sera bienvenu, s'il est exercé sans faiblesse, afin de forger un outil militaire efficace. Nous en reparlerons à l'occasion du projet de loi de programmation militaire. (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE et CRC-SPG)

M. Aymeri de Montesquiou.  - Le Conseil de sécurité a mené vendredi dernier, à l'initiative de la France et du Royaume-Uni, une réflexion sur la façon d'améliorer les opérations de maintien de la paix. Pour M. Le Roy, secrétaire général adjoint en charge de ces opérations, « 2009 sera une année pivot ». Leur nombre, leur complexité, leurs difficultés de financement posent des problèmes qu'il faut résoudre rapidement. Les interventions de nos forces armées soulèvent les mêmes questions.

Désormais, le Parlement est appelé à voter sur la prolongation du maintien des forces armées sur les théâtres extérieurs. Le Sénat a fait à nouveau la preuve de sa vocation internationale grâce au président de la commission des affaires étrangères, qui a décidé de missionner une délégation dans les pays où se déroulent les Opex. L'objectif militaire de celles-ci est la cessation ou le contrôle des hostilités ; mais, étant de plus en plus imbriquées avec les opérations civiles, elles tendent désormais à s'organiser de telle sorte que les militaires sont en charge de la sécurisation de l'environnement, les forces de police et de justice, de la consolidation de l'État de droit et les techniciens, des missions d'expertise.

Si nous ne pouvons nous soustraire à des missions visant à consolider la paix et la sécurité, nous devons mieux définir leur champ d'action et leur coût. Lors du débat sur l'envoi de troupes supplémentaires en Afghanistan, j'avais plaidé pour que la charge soit partagée entre effort de paix et effort de guerre. La France est profondément attachée au multilatéralisme ; elle se doit, comme le dit M. Védrine dans son rapport au Président de la République, de « contribuer de la meilleure façon possible à la résolution des problèmes du monde. La France a une expérience, une créativité et un savoir-faire tout à fait particuliers. ». Il est vrai que nous connaissons bien les régions de l'arc de crise Mauritanie-Pakistan, que le Livre blanc définit comme axe d'intervention prioritaire. C'est le cas aussi de certains pays d'Afrique ou du Liban, pays que le Président de la République a choisi pour présenter ses voeux aux forces armées et avec lequel nous avons des liens anciens. Notre action pour le maintien de la paix dans cette zone conflictuelle du Moyen-Orient reste prioritaire.

En tant que vice-président de la commission des finances, j'attache une importance particulière au financement des Opex. Au sein de la mission « Action extérieure de l'État », les contributions internationales obligatoires sont en forte augmentation en 2009 : 692 millions d'euros, dont la moitié consacrée aux opérations de maintien de la paix, soit 340 millions contre 271 millions en 2006. Quant aux dépenses supplémentaires engagées sur les théâtres d'opérations par les ministères de la défense et de l'intérieur, elles seront à peine remboursées -37 millions sur 833 en 2008-, ce qui est tout à fait anormal. Et je ne parle pas des surcoûts des opérations de l'Otan et de l'Union européenne, qui ont triplé depuis 2006.

Il est certes souhaitable de budgétiser ces opérations en loi de finances initiale, ce qui est fait depuis 2005, mais il faut renoncer à les compléter en collectif, par un décret d'avances ou des annulations de crédits d'équipement des armées. Il faut savoir que s'agissant des Opex, l'exécution des dépenses est en moyenne le double de la provision en loi de finances ! Le contrôle de la prolongation du maintien de nos troupes nous fait l'obligation de demander des comptes. Lorsque les opérations de maintien de la paix sont décidées par la communauté internationale ou l'Union européenne, elles doivent en supporter la charge financière, au contraire de ce que prévoit aujourd'hui le mécanisme « Athéna ». Vous devez demander, monsieur le ministre, une mutualisation des coûts.

La politique étrangère européenne est devenue une réalité sous l'impulsion de la présidence française. Son corollaire est une défense européenne : il faut pérenniser les Opex dans la perspective d'une force européenne ; la participation à la résolution des conflits doit être un catalyseur. Il faut aussi renouveler l'articulation entre l'Otan et l'Union. Je partage le constat de Bronislaw Geremek qui, auditionné dans le cadre du Livre blanc fin 2007, déclarait : « lorsqu'on regarde les dépenses militaires et qu'on les compare à d'autres modèles, on voit quelle puissance pourrait avoir l'Europe pour mener sa politique. Mais elle ne l'utilise pas car l'unité européenne, dans ce domaine, n'est qu'à son début. (...) Si, dans le domaine de la douceur, l'Europe est un géant, dans celui de la dureté, elle reste un nain. Cela peut être changé. ».

La majorité des membres de mon groupe votera le maintien de nos forces. Les armes françaises servent au nom de la paix avec un professionnalisme, une efficacité et un sens de l'honneur reconnus par tous. (Applaudissements à droite et sur les bancs du groupe du RDSE)

M. André Vantomme.  - A côté de la loi, le contrôle est la deuxième grande fonction du Sénat. Dans une publication de notre assemblée disponible sur son site internet, on peut lire que ce contrôle s'exerce sur le Gouvernement en séance publique et de façon permanente par le travail des commissions et des délégations du Sénat ; pour être efficace, cette mission de contrôle exige une information permanente, riche, diversifiée et proche de l'actualité. C'est dire que son efficacité dépend de la qualité de l'information et des conditions dans lesquelles elle est fournie.

Le Premier ministre a fait part à M. Bel de son souci d'un débat digne et responsable. Le président du groupe socialiste avait évoqué l'article 35 de la Constitution, exprimé ses craintes que le débat sur un sujet aussi lourd de conséquences fût escamoté et demandé, le 15 janvier, que le Gouvernement apportât rapidement tous les éléments d'information utiles. Je regrette que cette démarche n'ait pas retenu l'attention du Gouvernement. Heureusement, le président de la commission des affaires étrangères a veillé à ce qu'une délégation paritaire de deux sénateurs pût s'informer, par des déplacements conduits entre avril 2008 et janvier 2009, de la pertinence politique et stratégique de nos engagements et manifester à cette occasion la considération que le Parlement porte à l'action de nos soldats. Qu'en sera-t-il cependant à l'avenir ? Pourquoi, monsieur le ministre de la défense, n'avez-vous pas fourni à la commission les informations nécessaires ? Vous auriez peut-être obtenu le consensus si souvent nécessaire en ces matières. Pourquoi ce mutisme jusqu'au dernier moment ? Nous n'avons pas eu cette information « permanente, riche, diversifiée et proche de l'actualité » dont parle le site du Sénat. Le Gouvernement a avancé masqué. Malgré ses efforts, la commission n'a pu mener les auditions qu'elle aurait souhaitées ; le rapport qu'elle a rédigé a été diffusé le 23 janvier au soir...

Nous aurions eu besoin d'une analyse détaillée et argumentée de chacune des Opex, et la réponse à des questions simples : quelle pertinence politique et stratégique ? Comment contrôler l'adéquation des moyens mis en oeuvre ? Quels sont les objectifs politiques ultimes de chaque opération ? Le rapport d'information de la commission est éclairant ; de là à pouvoir juger la pertinence de la prolongation ou de la réduction des Opex, il y a un grand pas. Plus grave : la presse nous a appris que la France allait réduire la voilure ; et le Président de la République comme le Premier ministre annoncent un resserrement de nos dispositifs. Le sentiment est que notre débat est sans enjeu, les décisions étant prises par l'exécutif et déjà mises en application.

M. Hervé Morin, ministre.  - Sauf si vous en décidez autrement !

M. André Vantomme.  - Ce n'est pas notre conception de la mission de contrôle du Parlement. Nous assistons à un dévoiement de l'article 35-3, la clarté n'est pas au rendez-vous. On peut s'étonner que le Parlement, pour des décisions aussi importantes, qui engagent la vie de nos soldats, ne dispose pas d'une évaluation de ce qui est fait en Côte d'Ivoire, au Liban ou au Kosovo ni d'éléments sur l'évolution des crises en cours.

Je m'en étonne d'autant plus que le travail d'analyse aurait déjà été accompli. « Le ministère de la défense passe actuellement en revue la totalité des opérations extérieures (...) afin de réduire la voilure de certaines Opex dont le coût ne cesse d'augmenter -on devrait atteindre le milliard d'euros cette année. La participation française à la Finul II, au Liban, pourrait ainsi décroître progressivement, à l'instar du retrait déjà amorcé en Côte d'Ivoire », pouvait-on lire dans L'Express du 6 décembre 2008. Pour nous, aborder tous les thèmes relatifs à la défense, débattre de tous les aspects des missions confiées à nos soldats est une exigence démocratique.

Compte tenu de l'état de nos finances et de l'incapacité de ce Gouvernement à relancer une économie mal en point avant même la crise financière (marques d'ironie à droite), la tentation est forte de réaliser des économies en réduisant le nombre des opérations extérieures. Mais la contrainte économique, si forte et pressante soit-elle, ne peut pas être le seul critère ! Ces dernières années, les armées ont donné à plusieurs reprises des signes de surchauffe, notamment l'armée de terre, en raison de la multiplication des opérations. Celles-ci ne sont pas des promenades de santé : nos soldats s'engagent dans des conditions de plus en plus difficiles, notamment en Afghanistan, ce qui implique un investissement différent en termes d'entraînement des hommes, de capacité des matériels... Bref, l'heure est à la remilitarisation des interventions pour préparer des guerres qui, demain, seront peut-être plus cruelles. Alors que les Opex sont désormais plus longues, plus dures et plus dispersées, nous devons veiller à ne pas laisser nos soldats s'engluer dans des opérations incertaines. Plus que le coût, considérons le sens, les objectifs et les conditions de l'engagement pour évaluer la pertinence de ces opérations, tout en nous préoccupant de conserver des moyens suffisants aux forces non mobilisées à l'extérieur. Or le sens de ces opérations, quand elles s'éternisent, tend à se diluer quand la question de la sortie de crise devrait être abordée dès le début, de même que les « caveatisations » excessives, voire des mandats inadéquats, empêchent de remplir les objectifs fixés. Les militaires réclament légitimement des règles d'engagement plus claires.

Nos armées, le Livre blanc l'a confirmé, sont sollicitées au maximum de leurs possibilités.

M. Hervé Morin, ministre. - C'est faux !

M. André Vantomme.  - Tout nouvel engagement entraînera donc un désengagement effectif ailleurs. La RGPP est aussi passée par là ! Si l'on ne peut plus multiplier les opérations, nous aimerions disposer des analyses, sans doute fines et détaillées, qui justifient que l'on enlève des forces ici ou là, de même que nous souhaiterions en savoir plus sur la façon dont le Gouvernement appréhende leur cadre multilatéral. Car, si nous avons en mémoire les déclarations du Président de la République sur l'appréciation souveraine de la France et ses corollaires que sont la liberté d'action et de capacité d'évaluation permanente, plus de 60 % de nos Opex sont engagées conjointement avec l'Otan, l'ONU ou encore l'Union européenne pour 36 623 militaires français engagés. (M. Hervé Morin, ministre, conteste ce chiffre)

Enfin, le problème du financement : le cadre budgétaire de ces opérations graves, qui engagent la vie de militaires et l'image de la France, est traité avec une rigueur toute élastique... (Marques d'ironie au banc du Gouvernement). Dans un passé récent, le Gouvernement a pris l'engagement de ne plus financer les Opex par prélèvement sur les crédits d'équipement des armées. Néanmoins, impossible de lui délivrer un brevet d'orthodoxie financière quand les Opex ont coûté 852 millions en 2008, ce qui a nécessité de compléter les 510 millions de crédits en loi de finances initiale par des financements adéquats lors du collectif. Cette situation alimente nos incertitudes. Comment le Parlement peut-il exercer sa mission de contrôle s'il ne connaît pas les intentions du Gouvernement ?

Avant de conclure, je veux rappeler solennellement toute la considération que nous portons à l'action de nos soldats, toute notre compassion et notre émotion à l'endroit de ceux qui ont perdu la vie en servant la France et de leurs familles. Nos militaires remplissent leurs missions dans des conditions difficiles aux côtés des troupes des pays alliés : la comparaison des équipements est souvent peu flatteuse... (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat le confirme) Au-delà des divergences légitimes et républicaines qui peuvent surgir dans nos débats, le groupe socialiste a le souci de s'associer à tous les groupes politiques du Sénat pour envoyer un message de reconnaissance et de soutien aux forces armées engagées à l'extérieur. Mais, parce que le Premier ministre n'a pas créé les conditions d'un véritable débat sur l'évolution des Opex, nous ne prendrons pas part au vote. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Dominique Voynet.  - En trois petites heures à l'Assemblée nationale, puis au Sénat, sera expédiée la formalité consistant pour le Gouvernement à obtenir du Parlement l'autorisation de prolonger l'intervention de nos forces armées. (Exclamations à droite et au centre)

M. Yves Pozzo di Borgo.  - Vous n'avez même pas pris la peine d'assister au début du débat !

M. Hervé Morin, ministre.  - Quel culot !

Mme Dominique Voynet.  - Cette procédure, issue de la dernière réforme constitutionnelle, consiste-t-elle vraiment en un renforcement des pouvoirs du Parlement ? Au vrai, la décision appartient au seul Gouvernement ; l'autorisation du Parlement n'est requise que quatre mois après l'engagement de l'opération. Ce dernier peut-il la refuser lorsque la crédibilité internationale de l'exécutif, la sécurité des troupes fraîchement déployées sont en jeu ? Non, sans doute, car, malgré de vifs questionnements, ce serait manquer à notre devoir de solidarité et de respect envers les morts au combat. Faut-il, pour autant, accepter de nous prononcer sans être véritablement informés ? Pas davantage. Certes, le ministre de la défense a été auditionné par la commission il y a quelques jours, mais c'était de la loi de programmation militaire et du fardeau que représentent les opérations extérieures pour le budget de la défense dont il était question. Nous avons dû nous fâcher pour que des fiches techniques nous soient fournies, dont le caractère succinct laisse de nombreuses questions sans réponse. De toute façon, si l'on en croit la presse, les décisions sont déjà prises. Le ministre de la défense a pris soin, dans les colonnes d'un quotidien ce matin, de rappeler clairement que du Gouvernement et du Parlement, « chacun est dans son rôle, on n'est pas dans la codécision ».

M. Hervé Morin, ministre.  - C'est le principe de la séparation des pouvoirs !

Mme Dominique Voynet.  - On ne saurait mieux dire combien l'avis du Parlement n'est sollicité que pour la forme... J'attendais tout de même, monsieur le ministre, que vous nous en disiez davantage lors de votre intervention.

M. Christian Cambon.  - Si vous aviez assisté à ce débat, vous auriez su que M. Morin n'est pas encore intervenu !

Mme Dominique Voynet.  - J'ai écouté le discours de M. Kouchner dans mon bureau !

Il est donc question de prolonger l'intervention des forces armées sur cinq « théâtres » d'opérations, terme militaire, d'état-major, que je n'apprécie guère. Monsieur le ministre, pour l'heure, ma religion n'est pas faite. Quelles sont les motivations du Gouvernement ? S'agit-il, au regard du coût croissant des opérations extérieures, d'anticiper les décisions qu'imposera une armée réduite à 50 000 hommes ? S'agit-il de dégager davantage de troupes pour l'Afghanistan, comme le souhaiterait le Président des États-Unis ? On nous affirme que cela ne sera pas le cas, mais la situation peut évoluer... S'agit-il de procéder à un ajustement des effectifs et des moyens, voire à une redéfinition des mandats ? Quels sont les éléments qui permettent de réduire notre présence au Kosovo qui était, jusqu'à peu, présentée comme indispensable ? Josselin de Rohan a rappelé combien la situation reste tendue à Mitrovitsa et dans un pays dont l'indépendance reste contestée par de puissants voisins.

Chacun mesure l'intérêt de l'engagement français au Liban, y compris dans sa composante navale, pour restaurer l'autorité de l'armée libanaise au sud du pays et éviter la reprise des affrontements entre Israël et le Hezbollah.

Nous restons perplexes sur ses modalités. A quoi servent, au plan militaire, les très coûteux chars Leclerc ? Je veux croire qu'il y a une sorte de rationalité dans leur emploi...

A propos du Tchad, je partage le souci exprimé par Mme Demessine lorsqu'elle a souligné l'absence de mandat international fondant les opérations Épervier et Boali, auxquelles il convient de mettre un terme, et l'intérêt de prévoir un bon dispositif de tuilage entre l'Eufor et la relève qu'opérera l'ONU, avec la Minurcat. Je partage aussi son souhait d'un retrait rapide de Côte d'Ivoire, dès lors que l'élection présidentielle et les législatives se seront déroulées de façon acceptable.

Au-delà, je veux insister sur les conditions dans lesquelles la France peut intervenir en Afrique. Sont-ce les efforts déployés dans l'indifférence générale par des militants longtemps caricaturés -je salue la mémoire de François-Xavier Verschave, décédé récemment- ou est-ce l'écho donné à quelques procès retentissants mettant en cause d'éminents responsables politiques ? Il semblait que les leçons avaient été tirées de l'impact désastreux pour l'image de notre pays de sa politique africaine, et qu'une véritable rupture avait été opérée avec une politique qui a si longtemps consisté à soutenir des oligarchies avides et des dictateurs brutaux, à vendre des armes et, via des accords de coopération militaire aux secrets jalousement gardés, les moyens de s'en servir, à défendre des « intérêts français » trop souvent limités à la mise en coupe réglée des ressources naturelles et minières, à l'exportation de déchets dangereux, à la vente d'éléphants blancs : véhicules de prestige, flottes aériennes, armes sophistiquées, usines clés en main et aussi, ce n'est pas du folklore, à la circulation de valises de billets alimentant les caisses noires des partis politiques.

Je ne veux faire aucun procès d'intention, même si, comme beaucoup, je pressens que, si rupture il y eut, elle n'est pas achevée, comme en témoigne le sort réservé à Jean-Marie Bockel qui prétendait signer l'acte de décès de la Françafrique. Le serait-elle qu'il faudrait à la France, pour ne pas être suspectée de vouloir garder une ombre portée sur ce qui fut si longtemps son pré carré, qu'elle se garde d'intervenir militairement, sur la base de sa connaissance ancienne du continent africain, dans des pays où elle serait suspectée d'en revenir à des pratiques anciennes.

Nous sommes tout à fait hostiles à des interventions qui ne seraient pas fondées sur la base d'un mandat international clair, si je mets de côté des opérations à l'objet précis, bien limitées dans le temps, destinées par exemple à évacuer des ressortissants dans une zone de conflit. C'est encore plus vrai en Afrique, où la France ne saurait intervenir sur des bases ambiguës. Son passé colonial, ses intérêts nourrissent une méfiance qu'on peut juger excessive mais qui existe et dont nous devons tenir compte si nous voulons la dépasser.

Je suis évidemment satisfaite que ce débat au Parlement puisse avoir lieu et apporte enfin un peu de transparence dans le processus de décision visant à l'engagement de troupes françaises en dehors du territoire national. C'est un tout premier pas, loin, très loin de cette codécision qui vous révulse et que la Constitution ne prévoit en effet pas. Comme mes collègues du groupe socialiste auquel je suis apparentée, je ne prendrai pas part aux votes. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Hervé Morin, ministre de la défense.  - On était dans une bizarrerie politique, une curieuse spécificité française : notre Parlement était le seul de l'Union européenne à n'avoir pas son mot à dire sur l'envoi ou le maintien de forces en opérations extérieures. Dans les autres pays, les ministres de la défense devaient se rendre devant le Parlement chaque fois que l'exécutif voulait prendre une telle décision. Cette exception française était d'autant plus bizarre que le parlementarisme est né du vote de deux impôts, celui que versent les contribuables et l'impôt du sang.

Je comprends donc mal qu'on vienne aujourd'hui la bouche pincée dans un tel débat. Je suis venu devant votre commission trois fois ces quatre derniers mois ! Le rôle du Parlement n'est pas davantage la codécision que cette « coproduction législative » chère à certain président de groupe de l'Assemblée nationale. (Sourires sur les bancs UMP) L'exécutif a des fonctions, le législatif en a d'autres. Il revient à ce dernier de délibérer, de voter des lois et de contrôler la manière dont l'exécutif les applique.

Notre débat de ce soir est sain car il oblige l'exécutif à mener un travail de réflexion. Chaque fois que l'on envoie des militaires, certains trouvent des raisons pour les y maintenir. La situation n'est jamais assez stabilisée. Je l'ai vu à propos de la Bosnie-Herzégovine. Les militaires en place sur le terrain jugeaient leur action terminée ; j'avais donc obtenu la fin des opérations européennes. Il n'a pas fallu quinze jours pour que fleurissent les rapports émanant des services de tel ou tel pays et démontrant que non, décidément, la situation n'était pas assez mûre. Voilà pourquoi j'apprécie ce débat parlementaire : il nous oblige à nous interroger sur la pertinence qu'il y a à maintenir nos forces en opérations extérieures.

Vous m'interrogez, monsieur de Rohan, sur les crash programmes : en fait, la décision remontait au mois d'août. Vous avez pu voir l'efficacité de nos drones en Afghanistan et des autres équipements nouveaux. L'hélicoptère Tigre va se substituer aux Gazelle ; un hélicoptère Caracal va venir en sus.

M. Vantomme juge que les opérations extérieures ne sont pas assez financées. Sans doute a-t-il oublié ses votes entre 1997 et 2002, quand les opérations extérieures ne recevaient pas le moindre centime ! Nous en sommes aujourd'hui à 510 millions, nous passerons à 570 en 2010 et à 630 en 2011. Nous avons en outre inscrit dans la loi de programmation de quoi financer le complément sans être obligé d'annuler aucun programme d'équipement.

Il est vrai que le financement commun d'Athéna est inapproprié ; je n'ai cessé de me battre sur ce thème pendant la présidence française. Je ne cesse de répéter que les règles de l'Union européenne et celles de l'Otan doivent être identiques. Comment voulez-vous qu'on s'y retrouve si l'une finance les évacuations sanitaires ou le fret stratégique, par exemple, et l'autre pas ? Que nos forces soient sous drapeau Otan ou sous drapeau de l'Union européenne, les règles doivent être les mêmes. Sur les Vingt-sept, vingt-et-un États sont membres de l'Otan !

La France restera engagée au Kosovo quoique la situation s'y soit équilibrée. C'est aujourd'hui pour la police et la justice que notre mission est la plus pertinente mais nous maintenons une force de dissuasion pour éviter le pire.

Que ferait la France en République centrafricaine ? Elle y est pour maintenir la paix et les institutions, pour donner à cet État les moyens de sa souveraineté, pas pour régler des problèmes politiques internes. M. Idriss Déby est venu à Paris en visite privée, sans que ni M. Kouchner ni moi-même ne l'ayons reçu.

Mme Demessine se dit hostile par principe aux opérations de l'Otan. Puis-je lui rappeler que celle-ci n'agit pas d'elle-même, par une décision du Conseil de l'Atlantique Nord, mais sur mandat des Nations Unies ? Vous avez l'Afghanistan en tête, mais le Kosovo ? Vous voulez à toute force voir, comme M. Chevènement et Mme Voynet, des cartes cachées sous la table dans la perspective d'un renforcement en Afghanistan. Comment le dire ? Nous ne cessons de le répéter, le Président, le Premier ministre, M. Kouchner et moi-même, il n'en est pas question...

Mme Michelle Demessine.  - Pour l'instant !

M. Hervé Morin, ministre.  - Nous avons consenti un effort important en 2007 et pris des responsabilités dans la région Est en 2008. J'aurai sans doute à y revenir, puisqu'on me pose la question tous les trois jours, mais je répète qu'il n'est pas question d'un renforcement en Afghanistan.

M. Chevènement a brossé une vaste fresque qui dépassait le cadre de ce débat -il a même pris des chemins de traverse. Oui, les équilibres traditionnels ont changé ; oui, l'hyperpuissance américaine a évolué ; oui, il y a des transferts de puissance ; oui, le monde du XXIe siècle est plus multipolaire. Nous avons en conséquence revu notre stratégie avec le Livre blanc sur la défense et la sûreté nationale auquel le Parlement a été associé, de même que nous aurons des débats sur les forces pré-positionnées et les accords de défense, d'ailleurs tous publiés au Journal officiel. L'engagement pris au Cap par le Président de la République est clair : les accords de défense seront revus. Les discussions sont en cours et nous reconsidérerons nos dispositifs pré-positionnés : un sur la côte Atlantique, un, stratégique, à Djibouti, un autre à Abou Dhabi, la nouvelle base négociée alors que François Mitterrand était Président de la République et Édouard Balladur Premier ministre, et maintien d'éléments au Gabon dont on a vu l'importance en février. Les accords renégociés seront présentés au Parlement.

Je crois avoir fait le point mais, bien entendu, la loi de programmation militaire nous fournira l'occasion de revenir sur les équipements et les engagements. Jamais le budget d'équipement n'avait autant augmenté depuis 1958 : aux 10 % de la loi de finances initiale sont venus s'ajouter le 1,5 milliard d'euros du plan de relance, soit une hausse de 20 % en 2009. Nous n'avions jamais obtenu un pareil effort : je serai en mesure de vous rassurer. (Applaudissements à droite et au centre)

L'autorisation de la prolongation de l'intervention des forces armées en République de Côte-d'Ivoire est mise aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 225
Nombre de suffrages exprimés 225
Majorité absolue des suffrages exprimés 113
Pour l'adoption 225
Contre 0

Le Sénat a autorisé la prolongation de l'intervention des forces armées en République de Côte d'Ivoire.

En application de l'article 35, alinéa 3, de la Constitution, le Parlement a donc autorisé la prolongation de l'intervention des forces armées en République de Côte-d'Ivoire.

L'autorisation de la prolongation de l'intervention des forces armées au Kosovo est mise aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 226
Nombre de suffrages exprimés 223
Majorité absolue des suffrages exprimés 112
Pour l'adoption 198
Contre 25

Le Sénat a autorisé la prolongation de l'intervention des forces armées au Kosovo.

En application de l'article 35, alinéa 3, de la Constitution, le Parlement a donc autorisé la prolongation de l'intervention des forces armées au Kosovo.

L'autorisation de prolongation de l'intervention des forces armées au Liban est mise aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 226
Nombre de suffrages exprimés 226
Majorité absolue des suffrages exprimés 114
Pour l'adoption 226
Contre 0

Le Sénat a autorisé la prolongation de l'intervention des forces armées au Liban.

En application de l'article 35, alinéa 3, de la Constitution, le Parlement a donc autorisé la prolongation de l'intervention des forces armées au Liban.

L'autorisation de prolongation de l'intervention des forces armées en République du Tchad et en République centrafricaine dans le cadre de l'opération Eufor est mise aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 224
Nombre de suffrages exprimés 224
Majorité absolue des suffrages exprimés 113
Pour l'adoption 200
Contre ...24

Le Sénat a autorisé la prolongation de l'intervention des forces armées en République du Tchad et en République centrafricaine dans le cadre de l'opération Eufor.

En application de l'article 35, alinéa 3 de la Constitution, le Parlement a donc autorisé la prolongation de l'intervention des forces armées en République du Tchad et en République centrafricaine dans le cadre de l'opération Eufor.

L'autorisation de prolongation de l'intervention des forces armées en République du Tchad et en République centrafricaine dans le cadre des opérations Boali et Épervier est mise aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 225
Nombre de suffrages exprimés 225
Majorité absolue des suffrages exprimés 113
Pour l'adoption 201
Contre ..24

Le Sénat a autorisé la prolongation de l'intervention des forces armées en République du Tchad et en République centrafricaine dans le cadre des opérations Boali et Épervier.

En application de l'article 35, alinéa 3, de la Constitution, le Parlement a donc autorisé la prolongation de l'intervention des forces armées en République du Tchad et en République centrafricaine dans le cadre des opérations Boali et Épervier.

Prochaine séance aujourd'hui, jeudi 29 janvier 2009, à 9 h 45.

La séance est levée à minuit quarante.

Le Directeur du service du compte rendu analytique :

René-André Fabre

ORDRE DU JOUR

du jeudi 29 janvier 2009

Séance publique

A NEUF HEURES QUARANTE-CINQ ET QUINZE HEURES

1. Suite du projet de loi (n°42, 2008-2009), adopté par l'Assemblée nationale, de programme relatif à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement.

Rapport (n°165, 2008-2009) de M. Bruno Sido, fait au nom de la commission des affaires économiques.

LE SOIR

2. Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de finances rectificative pour 2009.

Rapport (n°180, 2008-2009) de M. Yann Gaillard, rapporteur pour le Sénat.

3. Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012.

Rapport (n°181, 2008-2009) de M. Yann Gaillard, rapporteur pour le Sénat.

4. Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi pour l'accélération des programmes de construction et d'investissement publics et privés.

Rapport (n°187, 2008-2009) de Mme Élisabeth Lamure, rapporteur pour le Sénat.

_____________________________

DÉPÔTS

La Présidence a reçu de :

- Mme Élisabeth Lamure, rapporteur pour le Sénat, un rapport fait au nom de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi pour l'accélération des programmes de construction et d'investissement publics et privés ;

- M. Jean-Pierre Vial un rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale sur le projet de loi relatif au transfert aux départements des parcs de l'équipement et à l'évolution de la situation des ouvriers des parcs et ateliers (Urgence déclarée - n°14, 2008-2009) ;

- M. Francis Grignon un rapport fait au nom de la commission des affaires économiques sur le projet de loi relatif à l'organisation et à la régulation des transports ferroviaires et guidés et portant diverses dispositions relatives aux transports (Urgence déclarée - n°501, 2007-2008) ;

- Mme Joëlle Garriaud-Maylam un rapport fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse relatif à la coopération transfrontalière en matière judiciaire, policière et douanière (n°142, 2008-2009) ;

- de M. André Dulait un rapport fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de l'Australie concernant la coopération en matière de défense et le statut des forces (n°422, 2007-2008).