Loi de programmation militaire (Suite)

M. le président.  - Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la programmation militaire pour les années 2009 à 2014 et portant diverses dispositions concernant la défense.

Discussion générale (Suite)

M. André Dulait.  - Nous examinons ce texte qui dessinera les armées du futur en ce lendemain de fête nationale qui marque l'intérêt de la Nation pour nos forces armées. Transposition du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale présenté par le Président de la République en juin dernier, ce projet de loi, outre qu'il fixe les moyens humains et financiers de notre politique de défense pour les six ans à venir, est empreint du nouveau concept de sécurité nationale, ce qui n'est ni surprenant ni choquant. Demeurer nostalgique de l'ordonnance de 1959 ne permet pas de répondre aux nouveaux défis géostratégiques apparus après la fin du monde bipolaire et à la multiplication de multiples menaces difficiles à identifier Il y va de la sécurité de nos citoyens et de notre territoire ! Nous ne devons plus dresser de barrières entre sécurité intérieure et sécurité extérieure. La France, dès 1995, bien avant le 11 septembre, a connu la triste réalité des attentats ; c'est faire preuve de responsabilité que de reconnaître que la sécurité de nos concitoyens peut dépendre de la situation à Kaboul ou à Islamabad et garantir la continuité de notre État et la protection de nos concitoyens, au-delà de la résilience... Il ne s'agit en rien d'attribuer des fonctions de police à nos soldats, ce que ce texte, au reste, ne laisse en rien présager.

M. Josselin de Rohan, rapporteur.  - Bien !

M. André Dulait.  - Ensuite, face aux menaces balistiques, NRBC -soit, nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques- et informatiques, priorité est légitimement donnée aux fonctions stratégiques telles que la connaissance et l'anticipation. Le rôle du renseignement sera renforcé du stratégique au tactique, avec la création du Conseil de défense et de sécurité nationale et du Conseil national du renseignement, mouvement qui prolonge la réforme du renseignement. En matière de secret défense, le texte comble un vide juridique pour mieux protéger l'autorité judiciaire. L'extension des prérogatives de la commission consultative du secret de la défense nationale facilitera la poursuite des auteurs d'infractions pénales tout en préservant les intérêts fondamentaux de la Nation.

M. Josselin de Rohan, rapporteur.  - Exactement !

M. André Dulait.  - Nous respectons profondément l'institution militaire, si consciente des évolutions géostratégiques. La guerre classique est révolue, les conflits sont asymétriques et les menaces de plus en plus diffuses car non étatiques. Les soldats en Opex sont les premiers témoins de ces évolutions et s'y adaptent. A ce titre, je salue l'exemplarité du ministère de la défense et de ses hommes...

Mme Nathalie Goulet.  - Et les femmes ?

M. André Dulait.  - Quel autre corps a su ainsi se réformer avec succès ? Après la professionnalisation des armées durant l'exercice 1997-2002, le ministère, dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, a entrepris de réformer sa géographie territoriale. Il souhaite aujourd'hui consacrer les économies dégagées à l'amélioration des conditions et des équipements de nos soldats ; c'est toute l'ambition de ce texte. Pour la première fois, les armées bénéficient de leurs propres économies issues des restructurations et de réorganisations, notamment pour les fonctions de soutien et d'administration. Nous ne pouvons que nous réjouir de ce cycle vertueux. Livre blanc et révision générale des politiques publiques, ce texte le montre, dessinent une politique de défense cohérente. Certes, le projet de loi est débattu avec quelques mois de retard, mais l'on ne peut que saluer sa sincérité budgétaire et sa trajectoire financière crédible avec l'augmentation des moyens de la défense. Il prévoit, en effet, un engagement inédit de 377 milliards d'ici 2020, dont 185 milliards seront affectés pour la période 2009-2014, et 200 milliards au total aux crédits d'équipements. La réorganisation procure des recettes exceptionnelles grâce aux cessions immobilières et à la vente des fréquences hertziennes, Pour ces dernières, même si l'encaissement du produit, évalué à 600 millions, interviendra avec un an de retard pour des raisons indépendantes du ministère, nous saluons l'annonce de l'avance de trésorerie pour combler ce manque à gagner en 2009.

Une politique de défense, c'est aussi une politique industrielle, comme le ministre l'a souligné. Nos PME sous-traitantes connaissant de lourdes difficultés dues à la crise, ce texte bénéficiera du plan de relance et verra son enveloppe majorée d'un milliard. Monsieur le ministre, nous formons le voeu que la défense verra ses fonds garantis lorsque notre situation économique redeviendra favorable...

M. Hervé Morin, ministre.  - Moi aussi !

M. Bernard Piras.  - On peut toujours rêver !

M. André Dulait.  - Enfin, ce texte est cohérent avec nos engagements internationaux et européens. La réintégration de la France dans les structures militaires de l'Otan nous permettra d'assurer des responsabilités à la mesure de nos engagements (M. Bernard Piras ironise) dans les Opex, sans pour autant remettre en question la politique européenne de défense de notre pays.

M. Didier Boulaud.  - Il n'en a pas !

M. André Dulait.  - Relayer une sempiternelle opposition entre Europe de la défense et Otan serait anachronique : aujourd'hui, 21 pays de l'Union européenne sont membres de l'Otan et les deux politiques sont intrinsèquement liées. Le texte, en conséquence, prévoit une nouvelle augmentation de la part consacrée aux Opex qui s'établira à 630 millions en 2011. De plus, ce réajustement est pris en compte par le texte en mettant l'accent sur la coopération européenne, notamment par la réalisation d'objectifs concrets afin que l'UE joue son rôle dans la gestion des crises internationales, comme elle a su le faire pour lutter contre la piraterie dans le golfe d'Aden.

En conclusion, ce texte témoigne de la volonté du Président de la République de tenir ses engagements auprès de nos armées.

Directement et légitimement inspirée du Livre blanc sur la défense, cette loi de programmation militaire s'inscrit dans un cadre équilibré conciliant RGPP, besoins de nos armées et protection de nos concitoyens.

Les restructurations parfois difficiles dont témoigne ce texte créent, dans le même temps, des ressources exceptionnelles qu'il nous appartient de restituer au plus vite à nos armées, car la réalité qui est celle de nos soldats sur le terrain ne saurait attendre le long cours de la navette. C'est bien là l'enjeu de ce texte. Pour toutes ces raisons, le groupe UMP votera ce projet de loi en l'état. (Applaudissements à droite)

M. Robert Badinter.  - Je partage entièrement, sur un point, le sentiment de notre rapporteur pour avis de la commission des lois : il est regrettable que la question du secret défense n'ait pas bénéficié, à elle seule, d'un débat au fond. Au lieu de cela, on l'insère dans une loi de programmation militaire dont on sait, toute importante qu'elle soit, et avant même que le débat n'ait lieu, qu'elle fera l'objet d'un vote conforme. J'ai donc un peu le sentiment, en montant à cette tribune, que je vais parler en vain, puisque rien de ce que je dirai n'a de chance d'être retenu...

Ainsi que l'a rappelé le rapporteur, nous sommes face à un problème constitutionnel. Car nous sommes censés répondre à un double impératif : protéger les intérêts fondamentaux de la Nation, et au premier chef le secret militaire, ce que nul ne saurait remettre en cause ; mais aussi permettre à la justice d'exercer sa mission constitutionnelle, en recherchant et poursuivant les preuves et auteurs des infractions. Si sa démarche doit être paralysée par l'existence d'un sanctuaire, que reste-t-il de cette mission constitutionnelle ? De cela, nous devons prendre la mesure.

Les plus hautes autorités de l'État nous rappellent constamment à cet impératif catégorique qu'est la lutte contre la corruption. Cela signifie bien que l'on ne peut admettre que certaines personnes soient placées hors de portée de la justice au motif que leurs agissements délictueux sont couverts par le secret défense.

Le secret défense est conçu pour protéger les intérêts vitaux de la Nation. Il ne saurait se muer en une protection que le pouvoir politique étendrait, pour des raisons politiques, sur certains. Encore une fois, nous sommes face à un impératif catégorique, en particulier dans le cadre international : j'aimerais que les membres de la commission des affaires étrangères en prennent la pleine mesure. La corruption est un fléau, tout particulièrement en Afrique.

Notre pays, en dépit de déclarations parfois fracassantes, ne fait pas bonne figure, loin de là, dans le classement établi chaque année par Transparency international. En 2007, il se situait à la 18e place, entre le Japon et les États-Unis -ce qui consolait tout de même un peu... Aujourd'hui, il a rétrogradé à la 20e place, tandis que les États-Unis et le Japon nous distançaient.

Nous sommes un des premiers pays producteurs d'armement et de haute technologie militaire, et c'est très bien ainsi. Mais nous savons que c'est là que sévit, et tout particulièrement dans les affaires internationales, la corruption la plus grande. Or, comment la justice, saisie de pratiques délictueuses, pourra-t-elle poursuivre les infractions, y compris le versement de commissions occultes, si elle se voit opposer le secret ?

Oui au secret défense, non au secret des affaires. On ne peut pas, au nom de la protection de nos hautes technologies de défense, prétendre que le versement de telle commission occulte à telle société domiciliée aux îles Caïmans est destiné à protéger nos intérêts vitaux.

Le débat doit se circonscrire autour de cet impératif. Or, nous avons tous entendu le satisfecit du rapporteur, tant était forte l'injonction du vote conforme.

Il y a certes eu des progrès dans le temps. Je pense à la création, en 1998, de la Commission consultative du secret de la défense nationale. Le Gouvernement aurait, sur son rôle à venir, pris quelques légers engagements. Soit. Mais que l'on ne nous oppose pas, sur ce texte, la position du Conseil d'État : nulle part dans son avis il n'est suggéré de créer des lieux protégés, quand seuls des documents ou des données pouvaient jusqu'à présent l'être ! Il y aurait donc désormais, c'est là une véritable innovation, des lieux classifiés en eux-mêmes ? Et pourquoi ce paradoxe ? Parce que nous ne sommes pas capables de nous plier au bon sens qui voudrait que pour dénouer l'opposition entre un magistrat qui souhaite se saisir et l'autorité qui oppose le secret, une tierce autorité soit appelée à trancher. Dans un véritable État de droit, une telle autorité doit exister. Ce pourrait être la commission consultative elle-même, à condition que soit clarifiée par la loi organique la désignation de ses membres. Or, le texte ne prévoit qu'un avis de cette commission. On nous dit qu'il sera volontiers suivi. Soit. Il n'en reste pas moins que la décision revient, in fine, à l'autorité administrative, donc au ministre.

La liste des lieux sera publiée ? Mais la commission sera-t-elle auparavant consultée ? Non ! La liste sera établie par le Premier ministre et c'est seulement après, au coup par coup, que la commission donnera son avis. Il y aura donc des lieux « top secret » : mais face à un magistrat convaincu que se trouvent là des éléments permettant de confondre les bénéficiaires ou les auteurs actifs d'une corruption à grande échelle, qui décidera de déclassifier ? Non pas une autorité administrative indépendante, ou au moins une commission ad hoc, mais le pouvoir exécutif seul. Nous en sommes là ! Et il n'y aura pas d'amendements !

Il y a un immense danger à désigner des lieux, sur notre territoire, où les magistrats ne pourront plus se rendre, sinon avec l'aval de l'autorité administrative. C'est faire échec à l'État de droit. Voilà trop longtemps que l'on joue à ce petit jeu : on crée certes des garanties, mais qui deviennent inopérantes dès lors que le Gouvernement le décide. Et c'est ainsi que l'État de droit se dissout quand la raison d'État commande. (Applaudissements à gauche et au centre)

M. Jacques Gautier.  - Il est hautement symbolique que le Sénat se prononce sur la loi de programmation militaire 2009-2014, au lendemain du 14 juillet (M. le ministre apprécie), qui a permis à la Nation de témoigner sa reconnaissance à ses armées et de rendre hommage à la compétence, au professionnalisme et au courage de nos troupes.

Nous avons le devoir, dans un contexte économique et financier pourtant difficile, de leur apporter les formats opérationnels, les équipements, la maintenance et les moyens dont elles ont besoin pour assurer leurs missions.

Cette loi de programmation ambitieuse, cohérente et réaliste, conserve à notre pays l'éventail des capacités d'un acteur militaire majeur et lui permet d'assurer sa sécurité, de respecter ses engagements internationaux, de protéger ses intérêts, tout en prenant en compte l'évolution des menaces. Le volet industriel et technologique, source d'emplois, incarne l'avenir.

La loi de programmation est novatrice. Elle intègre les conclusions du Livre blanc. L'instabilité accrue du monde nous oblige à développer nos capacités d'anticipation et de connaissance et à adopter une approche plus globale, s'appuyant sur l'ensemble des acteurs, tout en développant la polyvalence de nos forces. Mais le Livre blanc planifie les équipements et effectifs en fonction des besoins réels et des perspectives financières. Contrairement aux deux précédentes, cette loi de programmation ne définit pas un modèle d'armée, par nature figé et rapidement obsolète. Elle instaure l'évaluation : au-delà des lois de finances annuelles, plusieurs programmes seront décidés en 2011 et 2012 au vu de l'évolution stratégique et économique.

La loi de programmation consolide le financement des Opex, pour atteindre progressivement 630 millions. Les surcoûts nets seront financés par prélèvements sur la réserve de précaution interministérielle, et non au détriment du budget de la défense.

Depuis la professionnalisation de nos armées, les personnels militaires et civils ont vécu une déflation régulière des effectifs, avec un remarquable sens de l'intérêt de la Nation. Cette loi fait de l'adaptation des ressources humaines un pivot de la réussite de la programmation, d'une part, en tirant les conséquences des formats opérationnels définis par le Livre blanc en fonction de nos besoins et de nos capacités ; d'autre part, en intégrant la nécessaire réorganisation de nos soutiens et de l'administration.

Les économies brutes dégagées en fonctionnement et en personnel sont totalement sanctuarisées et leurs destinations définies : améliorer les conditions militaires, mettre en oeuvre les restructurations et accompagner socialement les personnels, dégager des marges de manoeuvres pour les équipements.

Ces sommes -1,2 milliard sur six ans- sont complétées par les recettes nouvelles dégagées par les cessions de patrimoine et de fréquences hertziennes, ainsi que par le volet Défense du plan de relance, qui permet d'atteindre un niveau d'investissement inédit et de financer des programmes indispensables. Au total, plus de 7 milliards supplémentaires seront consacrés aux programmes majeurs. Nul doute que le ministre saura rassurer ceux qui s'inquiètent des incertitudes qui pèsent sur les montants et les échéances.

Les programmes destinés au renseignement et à la maîtrise de l'information sont essentiels, car il faut anticiper. Les trois satellites du programme européen Musis remplaceront les systèmes actuels - Helios II pour la France, Sar-Lupe pour l'Allemagne- avec des capacités d'imageries tout temps, jours et nuits et des performances inégalées. Il nous faut disposer rapidement de drones sur les segments Male et Tactique et rattraper notre retard face aux Américains et aux Israéliens. Notre parc actuel de drones pourrait être complété par l'achat d'un quatrième Harfang et d'un deuxième segment sol. Surtout, nous devons choisir, pour le futur système Male, entre l'UAV d'EADS, le SDM de Dassault et Thalès sur une plate-forme Heron ou l'achat « sur étagère » du Heron israélien ou du Predator américain. Le choix doit prendre en compte les délais, les coûts, les performances et les retours en termes d'emplois. Dans le segment tactique, je me félicite que des drones Sperwer, intégrés au sein du système de drones tactiques intérimaires, soient déployés en Afghanistan. Il faut toutefois accélérer les livraisons des drones de contact Drac et les affecter d'urgence à nos troupes sur le terrain.

En matière nucléaire, les programmes prévus modernisent notre outil de dissuasion tant au niveau de la composante océanique et aéroportée que des transmissions nucléaires ou de la mise en service du laser mégajoule.

Concernant les capacités de projection, de mobilité et de soutien, nous connaissons tous les problèmes entraînés par le retard du programme A400M. Profitant du moratoire, les discussions vont bon train entre les pays concernés et l'avionneur. Nous vous faisons confiance, monsieur le ministre, pour trouver des solutions avec les pays partenaires le 24 juillet. Ce programme ne peut échouer. Les moyens de compenser le trou capacitaire existent : il faut maintenant les mettre en oeuvre en officialisant les solutions, les calendriers et les modes de maîtrise retenus.

Les capacités d'engagement et de combat concentrent 40 % des crédits d'équipement, car beaucoup de matériels sont anciens. Pour la composante aéroterrestre, l'accent est mis sur le VBCI, qui a défilé le 14 juillet : 594 VBCI sur 630 devraient être livrés pour 2014 ; les vieux AMX 10 P seraient remplacés au fur et à mesure, ce qui implique la livraison parallèle des équipements Félin pour les fantassins embarqués. La totalité de cette commande, dont la cible a été ramenée à 22 500 exemplaires, devrait être aussi effective en 2014. Le successeur du missile filoguidé Milan n'a toujours pas été défini ; peut-être faudrait-il retarder ce programme et acheter, si nécessaire sur étagère, quelques Javelin américains ou Spike israéliens. Le Canon de 155 Caesar apporte mobilité, souplesse d'emploi, allonge et précision ; nos troupes en Afghanistan ont bien besoin de ce soutien.

Je me félicite que l'on aille vers un parc homogène d'avions de combat centré sur le Rafale. La piste du réacteur M 88 en version dite Smart, délivrant neuf tonnes de poussée sur des phases spécifiques de vol, mérite d'être approfondie. La phase intermédiaire reposant sur un parc mixte de Rafale et de Mirage 2000 D modernisés semble cohérente mais avec les retraits progressifs des Mirage F1, CT et CR ainsi que des Super-étendards puis des Mirage 2000 C et N, l'objectif de 300 avions polyvalents est encore loin.

Le report en 2011 ou 2012 de la décision sur le deuxième porte-avions est positif, car un choix rapide aurait déstabilisé d'autres programmes. L'orientation prioritaire pour six sous-marins nucléaires d'attaque Barracuda représentera une réelle amélioration capacitaire et opérationnelle par rapport aux sous-marins de type Rubis.

M. le président.  - Concluez.

M. Jacques Gautier.  - Il faudra réfléchir en amont avec les utilisateurs finaux. Les Rubis ne peuvent emporter les matériels nécessaires à nos nageurs de combat, qui doivent s'entrainer avec les sous-marins allemands. Évitons cela pour les Barracuda.

En conclusion, je salue la volonté politique, la mobilisation financière et le pragmatisme qui ont présidé à l'élaboration de cette loi de programmation militaire. Sans l'effort consenti pour l'entretien et le maintien en condition opérationnelle, trop d'équipements vieillissants seraient indisponibles. Cette loi de programmation militaire ainsi que celle de 2015-2020 permettront de retrouver un niveau opérationnel satisfaisant, sans sacrifier la période transitoire. (Applaudissements à droite)

M. André Vantomme.  - Depuis vingt ans, la France projette en permanence dix à douze mille militaires dans des opérations extérieures, qui s'ajoutent à ceux pré-positionnés dans des pays avec lesquels nous avons signé des accords de défense. Ces Opex coûtent cher et sont en augmentation continue. A 852 millions pour 2008, leur coût est probablement sous-estimé ; il ne devrait guère se réduire vu notre implication croissante en Afghanistan.

Ces opérations coûteuses ont attiré la curiosité de l'Assemblée nationale, où une mission d'évaluation et de contrôle sur le financement des Opex a été mise en place, ainsi que de la deuxième chambre de la Cour des comptes et de la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat, qui a publié un rapport intitulé Les opérations extérieures sous le contrôle du Parlement.

Pour financer les Opex, le ministère puisait traditionnellement dans ses crédits d'équipement. Depuis 2005 une dotation est inscrite à cet effet dans la loi de finances initiale. Le présent texte prévoit une budgétisation plus complète et porte la provision budgétaire de 510 millions d'euros en 2009 à 570 millions d'euros en 2010 et 630 millions d'euros en 2011. Il prévoit également que les crédits mis en réserve au titre des différents ministères pourront être mobilisés pour payer la différence. Que devient alors la sincérité budgétaire ? Vous demandez aux militaires un engagement total au péril de leur vie -il y a eu 27 morts en Afghanistan- et vous augmentez l'engagement de notre pays dans certains conflits, mais vous refusez d'inscrire les sommes nécessaires dans le budget de l'État conformément aux règles de notre droit budgétaire ! Ah ! Le bel artifice que la réserve ! Qui seront donc les généreux contributeurs ? L'éducation nationale, la santé, les affaires étrangères ?

Nous avons décidemment beaucoup de mal à respecter le principe de sincérité budgétaire dans nos interventions à l'étranger : M. le ministre des affaires étrangères continue année après année de comptabiliser de manière extra-comptable des annulations de dettes vis-à-vis de pays pauvres pour majorer artificiellement notre contribution à l'aide au développement !

Parlementaires et citoyens sont d'autant plus attachés au respect des règles comptables qu'ils ont eu vent d'enquêtes judiciaires portant sur des ventes d'armement à l'étranger... Dans le même temps le bouclier du secret défense s'agrandit. Attention à la contagion du soupçon ! La sincérité budgétaire est d'ailleurs indispensable pour que le Parlement puisse décider de l'évolution des dépenses en temps de crise.

Je finirai par une interrogation : le courage et les sacrifices de nos soldats en Afghanistan, les efforts budgétaires consentis depuis sept ans ont-ils été récompensés par les résultats obtenus sur place, par le progrès de nos valeurs et de nos idéaux ? (Applaudissements à gauche)

M. Xavier Pintat.  - Ce projet de loi de programmation est le résultat d'un travail approfondi entamé lors de la rédaction du Livre blanc : il s'agissait de revoir notre politique de défense et de sécurité en fonction du nouveau contexte international, des impératifs de sécurité de notre pays et des besoins de nos armées. Le présent projet de loi doit mettre sur les rails cette nouvelle politique en garantissant la cohérence des mesures prises. L'objectif est de mieux prendre en compte les divers facteurs qui, dans le monde instable où nous vivons, peuvent affecter notre sécurité à l'extérieur ou à l'intérieur.

Le projet de loi vise également à poursuivre la transformation de notre défense, entamée depuis la fin de la guerre froide et la professionnalisation des armées. Il est temps de réorganiser l'administration et le soutien aux armées pour les rendre plus efficaces et moins coûteux, afin de concentrer nos efforts sur l'entraînement et l'équipement des soldats.

Je crois enfin que ce projet de loi permettra à la France de mieux jouer son rôle dans les diverses instances internationales. La politique européenne de sécurité et de défense a pris corps ces dernières années : un grand nombre d'opérations très variées ont été menées. Mais il faut encore renforcer la coopération européenne, notamment dans les domaines de l'équipement, de la recherche, de la formation et de l'entraînement, ainsi qu'en mutualisant les moyens. En redéfinissant l'articulation de l'Europe de la défense et de l'Alliance atlantique, nous avons facilité l'élaboration de projets communs.

En tant que rapporteur des crédits liés à la dissuasion, à l'espace et aux systèmes de commandement et d'information, je voudrais évoquer certains thèmes qui me tiennent à coeur. Le rôle de la dissuasion nucléaire dans la stratégie de la France est confirmé : je me félicite de la cohérence entre les positions diplomatiques de la France, sa stratégie de défense et les moyens qu'elle consacre à la dissuasion. Au plan international, la France oeuvre en faveur du désarmement et de la non-prolifération. Au plan national, elle a entamé le démantèlement des sites d'essais et de production de matière fissile et la réduction du format des forces nucléaires, en particulier de la composante aéroportée. Il n'y a pas de contradiction entre notre politique et le message du Président Obama, qui évoquait récemment la perspective d'un monde sans armes nucléaires.

Ce mouvement ne pourra être poursuivi que si les deux principales puissances nucléaires consentent à réduire leur arsenal toujours considérable, et si la communauté internationale parvient à endiguer la prolifération nucléaire. En attendant, il est indispensable de maintenir notre capacité de dissuasion à un niveau strictement suffisant mais néanmoins crédible. Le projet de loi, qui prévoit le renouvellement de deux missiles et un programme de simulation, traduit bien cette ambition.

Je voudrais aussi souligner le renforcement des moyens affectés à la fonction « connaissance et anticipation ». Dans le domaine spatial, nos capacités d'observation et d'alerte progresseront, notamment grâce au programme européen Musis. Le budget spatial connaîtra au cours des prochaines années une forte augmentation, ce qui permettra d'élargir la gamme de nos moyens spatiaux mais aussi, espérons-le, d'accroître en Europe notre force d'entraînement. La loi prévoit l'acquisition, non seulement de satellites, mais d'équipements qui augmenteront nos connaissances et notre faculté d'anticipation : je pense par exemple aux systèmes de commandement et de communication ou aux nacelles de reconnaissance NG pour les avions de combat.

Comme ces équipements devaient être en partie financés par la cession de fréquences hertziennes, qui ne pourra avoir lieu cette année, vous avez promis, monsieur le ministre, des mesures compensatoires ; il est indispensable que les moyens nécessaires soient effectivement affectés à ces programmes.

Il faudra également améliorer notre équipement en drones, compromis ces dernières années par des difficultés industrielles. C'est un sujet sur lequel le comité interministériel d'investissement devra se pencher avec une attention particulière.

La défense antimissile n'apparaît qu'en filigrane dans ce projet de loi. La décision de développer notre capacité d'alerte balistique au moyen d'un satellite et d'un radar de très longue portée tend à renforcer notre autonomie d'appréciation et la crédibilité de notre dissuasion mais les échéances sont assez lointaines. Le missile Aster nous permettra d'intercepter des missiles balistiques de moyenne portée ; une version plus évoluée de l'Aster ou l'acquisition de radars de trajectographie ne sont pas encore à l'ordre du jour. Vous avez souligné à juste titre, monsieur le ministre, qu'il fallait prendre en considération la fiabilité des techniques et le coût des investissements avant de décider d'acquérir ce genre de capacité. Ne prenons pas de décisions précipitées, mais sachons que ce sujet restera d'actualité, car un certain nombre de puissances régionales -la Corée, l'Iran- cherchent à développer leurs capacités balistiques. Il serait dommage que la France, qui est en Europe le pays le plus en pointe sur la technologie antimissile, prenne du retard.

Ce projet de loi ouvre la voie à une modernisation profonde de notre défense, grâce à un effort financier accru. Comme la majorité de la commission, je souhaite qu'il entre en vigueur rapidement. (Applaudissements à droite et au banc des commissions)

M. Bernard Cazeau.  - Je parlerai essentiellement des objectifs de privatisation inscrits à l'article 11.

Dans notre pays, depuis plusieurs siècles, la politique militaire est aussi une politique industrielle et d'aménagement du territoire. L'État s'est donné des leviers d'action en créant de grands groupes industriels spécialisés, détenteurs de technologies et de savoirs spécifiques, en lien avec notre politique d'armement et les intérêts économiques de la Nation. Il a pu assurer notre indépendance stratégique par des implantations éloignées des zones traditionnelles de combat et favoriser le développement économique de bassins d'emplois défavorisés, notamment dans l'ouest et le sud-ouest de la France.

La Société nationale des poudres et explosifs (SNPE) fait partie de ce socle industriel militaire et civil. Investie dans les matériaux énergétiques et la chimie, cette entreprise publique de 4 000 salariés comporte plusieurs filiales et plusieurs implantations sur le territoire. Aussi, la perspective de sa privatisation, proposée par l'article 11, provoque-t-elle inquiétude et incompréhension.

Inquiétude, car nous savons ce qu'il adviendra des parties les moins rentables du groupe s'il est vendu : une privatisation aujourd'hui, c'est une cession demain et des restructurations après-demain. Je ne vous rappellerai pas l'histoire de Molex, cédée à Safran en 2004, revendue à des investisseurs d'outre-Atlantique en 2006 et délocalisée en Slovaquie en 2009 ! Il n'aura fallu que trois ans pour supprimer 300 emplois à Villeneuve-sur-Tarn. Il en sera de même avec des filiales de la SNPE, comme Bergerac NC, dont le résultat n'est pas satisfaisant pour le secteur privé et dont le métier et le marché se développent désormais davantage en Asie qu'en Europe. A Bergerac, la réforme de la carte militaire supprimera déjà 120 emplois avec la fermeture de l'Établissement spécialisé du commissariat de l'armée de terre ; faut-il y supprimer encore quelques centaines de plus ?

Cette perspective de privatisation suscite aussi de l'incompréhension, notamment auprès des 400 employés des filiales SNPE de Bergerac parce que les raisons financières avancées il y a quelques mois ne tiennent plus. Dans son rapport d'activité 2008, le groupe SNPE écrit en toutes lettres que l'indemnité versée par la filiale de Total-Grande-Paroisse, à la suite du sinistre d'AZF, « réduit de façon significative l'endettement financier net du groupe et aura une incidence très favorable sur le résultat net de l'exercice 2009 ». Dans le même document, on lit que « le groupe SNPE anticipe une progression de son chiffre d'affaire 2009 », de nature à compenser les incertitudes concernant ses autres activités.

Bref, un accord transactionnel satisfaisant après AZF, des contrats à long terme pour 2009, une dette en passe d'être comblée, de l'argent pour investir dans de nouvelles activités, des accords salariaux signés dans tout le groupe : l'entreprise renaît. Et pendant ce temps-là, le Gouvernement s'enferre aveuglément dans sa logique de privatisation ! A l'heure où le chef de l'État parcourt le monde et les sommets internationaux pour plaider en faveur de l'économie mixte, de la régulation, de l'intervention de l'État dans la sphère productive, son Gouvernement cède aux sirènes du tout privé ! Pendant qu'on prétend fonder un plan de relance sur l'investissement, la réindustrialisation de la France et qu'on lance un emprunt d'État pour développer l'économie, voilà qu'on pratique le délestage ! Comment concevoir que l'État garde ses entreprises dans les transports, dans l'énergie, dans le courrier, dans les médias, dans les jeux à gratter, dans le commerce de gros, mais qu'il les abandonne dans l'armement, compétence régalienne par excellence, ou dans la chimie, industrie exportatrice s'il en est ? On pourrait quand même accepter que des entreprises qui travaillent pour le carburant de nos missiles, la propulsion de nos fusées ou la chimie de spécialité demeurent dans le domaine public !

A moins que le but de tout cela ne soit de trouver des recettes puisque la loi de finances pour 2009 a prévu 5 milliards de privatisations et de cessions d'actifs. Cette motivation traduit une précipitation comptable plus qu'une réflexion industrielle. Nous nous opposerons donc à une privatisation précipitée et sans perspective et demanderons pour cela, sans grand espoir, la suppression de l'article 11. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Hervé Morin, ministre.  - Merci au président de Rohan ainsi qu'à MM. Dulait et Pintat, d'avoir reconnu la sincérité et la cohérence de cette loi de programmation que nous avons voulue réaliste.

M. Bernard Piras.  - On verra ça dans quelques années...

M. Hervé Morin, ministre.  - Monsieur Guené, l'absence d'aléas, c'est la mort ! Les aléas font la vie ! Et il faut relativiser les 7 milliards d'aléas relevés par la commission des finances pour les mettre en rapport avec un total de 186 milliards !

Il existe en effet un aléa : l'indexation peut poser problème, notamment pour la masse salariale. Mais cette règle d'indexation est valable dans les deux sens et, en cas d'augmentation de l'inflation, cette loi de programmation nous protègera !

Pour le financement de l'Otan, il s'agit de savoir comment financer les surcoûts, non de diminuer encore les effectifs pour cela.

Sur l'A400M, il y a en effet une incertitude. Mais l'abandonner, ce serait, pour les Européens, renoncer pour des décennies à une flotte militaire de transport tactique. Dans ces conditions, il faut savoir accepter certains surcoûts... Qui, dans cet hémicycle, a déjà vu un seul programme militaire exempt de surcoût ? C'est impossible car les avancées technologiques sont permanentes. Si je milite pour ce programme, ce n'est pas seulement à cause de l'emploi, c'est aussi pour que l'Europe n'abandonne pas toute capacité de construction d'un avion de transport militaire.

D'après vous, monsieur Reiner, nous n'aurions pas fait de choix capacitaires ? Mais la restructuration de la carte militaire, qui tire les conséquences de l'absence de risque de conflit en Europe centrale, c'est déjà un choix capacitaire ! Nous réduisons sérieusement nos moyens en artillerie, en blindés, nous augmentons nos moyens satellitaires et renforçons notre dissuasion par un système d'alerte avancée.

A ce sujet, monsieur Pintat, avant de se lancer dans une défense antimissile, nous devons réfléchir à son coût : dans un budget contraint, il faudrait arbitrer entre les autres programmes à supprimer pour financer celui-ci. Mais en plus, un tel programme pose de multiples questions. Quelle défense antimissile ? Contre quelle menace ? Comme on ne pourrait mener seul ce programme, avec quel allié le ferait-on et, dans ce cas, qui détiendrait la clé ? Pour toutes ces raisons, je suis très réservé...

Monsieur Reiner, nous n'avons aucun problème de recrutement et assistons à une forte remontée de la vocation militaire et de l'attractivité de l'armée.

M. Bernard Piras.  - Nous n'avons pas les mêmes informations.

M. Hervé Morin, ministre.  - Monsieur Chevènement, sur le concept de sécurité nationale, M. Pillet a répondu mieux que je ne le ferais. Dans un monde global, la menace est globale et -vous le savez, vous qui avez été ministre de l'intérieur et ministre de la défense- il est nécessaire de mutualiser l'ensemble des moyens de sécurité -je pense notamment aux services de renseignements, DGSE et DCRI-, de faire qu'ils échangent leurs informations et définissent clairement leurs priorités. Le terrorisme a aujourd'hui des aspects intérieurs et extérieurs !

Il faut replacer le débat sur l'Otan dans son vrai contexte. Depuis 1949 nous faisons partie de l'Alliance atlantique et sommes tenus de respecter l'article 5 de son traité.

Nous avons détaché plus de 150 militaires dans l'ensemble des structures et des états-majors de l'Alliance sous des gouvernements de gauche comme de droite, sans que cela pose de problème. Nous avons commandé des opérations de l'Alliance et nous y affectons des hommes en permanence. Nous envoyons des hommes risquer leur vie sous l'égide de l'Otan et vous voudriez que nous renoncions à la planification, à la préparation et à l'organisation des missions ? Il y aurait une incohérence extraordinaire !

Comme vous, je considère que l'Otan n'a pas vocation à être une ONU bis : c'est d'abord et avant tout un système de sécurité collectif. Pour peser sur la transformation de l'Alliance, il faut que les Européens et les Français y siègent car nous avons une parole singulière sur ces sujets.

Concernant le surcoût des opérations extérieures, monsieur Vantomme, c'est l'hôpital qui se moque de la charité ! En 2002, lorsque vous étiez encore dans la majorité, vous aviez voté la somme magistrale de 24 millions pour financer les opérations extérieures alors que leur montant s'était élevé à 678 millions. Je ne sais si vous teniez le même discours lorsque le ministre de la défense de l'époque, M. Alain Richard, vous présentait ces chiffres. (Exclamations sur les bancs socialistes)

M. Bernard Piras.  - Et comment donc s'appelait le Président de la République à l'époque ?

M. Hervé Morin, ministre.  - Nous sommes en régime parlementaire... (Nouvelles exclamations sur les mêmes bancs)

M. le président.  - Laissez M. le ministre s'exprimer !

M. Hervé Morin, ministre.  - Pour notre part, nous avons prévu 510 millions pour 2009, 570 millions pour 2010 et 630 millions pour 2011. Nous aurons couvert en loi de finances initiale 70 à 80 % des besoins. Avec la réserve interministérielle, une somme gelée et mutualisée, nous disposons d'une réserve de précaution, comme le fait toute collectivité territoriale bien gérée. (On s'exclame derechef à gauche)

M. Bernard Piras.  - Avec les transferts de l'État, c'est difficile de constituer des réserves !

M. Hervé Morin, ministre.  - M. Cazeau m'a interrogé sur la SNPE : lorsque cette entreprise a moins perdu d'argent, c'est quand elle cédait des actifs. Mais aujourd'hui, elle perd chaque année une trentaine de millions ! Nous protégerons le pôle propulsion de missiles balistiques de la SNPE, même si des entreprises privées, comme EADS, participent à notre dissuasion sans que cela pose le moindre problème. Nous sommes donc en train d'envisager une alliance avec une autre grande entreprise française pour préserver cette filière. En ce qui concerne le pôle munitions de la SNPE, nous examinons divers scénarios : un mariage avec une entreprise européenne ou bien une consolidation française. Enfin, la SNPE compte divers secteurs hérités du passé et nous essayons de trouver des partenaires. Ce que nous faisons, c'est ce qu'Alain Richard avait prévu en 2001 avec son projet Héraklès (exclamations sur les bancs socialistes) afin que la SNPE ne mette pas la clé sous la porte.

M. Bernard Piras.  - S'il était là, il vous répondrait !

M. François Trucy, rapporteur pour avis.  - Il a été le plus mauvais ministre de la défense que nous n'ayons jamais eu !

M. Hervé Morin, ministre.  - Enfin, concernant le secret défense, je ne peux laisser M. Badinter dire ce qu'il a dit. Il s'étonne de l'existence de dix-neuf « sanctuaires ». Mais la liste sera publiée et vous savez bien que l'exécutif est contrôlé par le Parlement (M. Bernard Piras ironise) et par les médias. On imagine mal l'exécutif publier une liste de lieux secret défense tellement longue qu'elle viderait de son sens le projet de loi. En outre, cette liste pourrait faire l'objet de recours devant le juge administratif. Grâce à la publication de cette liste, le Parlement pourra interpeller le Gouvernement.

De plus, M. Badinter estime qu'il y aurait un lien entre ces sites et la lutte contre la corruption. Jusqu'alors, je n'aurais jamais imaginé que les pièces liées à une éventuelle corruption pourraient se situer à l'ile Longue ou au centre de conduite et de planification des opérations ! Établir un tel lien est vraiment abusif.

M. Bernard Piras.  - Pourtant, c'était bien vu !

M. Hervé Morin, ministre.  - Enfin, M. Badinter estime que ces lieux deviendraient inviolables. Mais c'est déjà le cas ! En vertu du code pénal, ces lieux ne sont aujourd'hui pas accessibles aux magistrats. Si les militaires laissaient passer un magistrat, il tomberait sous le coup de l'article 413-11 du code pénal et pourrait être puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Les militaires qui auraient laissé passer le magistrat seraient considérés, en vertu de l'article 413-10 du code pénal, comme complices. M. Badinter a donc fait un contresens majeur, car dans l'état actuel du droit, aucune perquisition n'est possible dans ces lieux, sauf à saisir la commission consultative du secret de la défense nationale. Le texte que nous vous proposons permet de parvenir à un équilibre entre la préservation des intérêts majeurs de l'État et la recherche de la vérité voulue par les magistrats. (Applaudissements à droite)

M. Didier Boulaud.  - C'était laborieux !

La discussion générale est close.

Exception d'irrecevabilité

M. le président.  - Motion n°107, présentée par Mme Voynet et les membres du groupe socialiste et apparentés.

En application de l'article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la programmation militaire pour les années 2009 à 2014 et portant diverses dispositions concernant la défense (n° 514, 2008-2009).

Mme Dominique Voynet.  - A quoi bon cette séance ? Il nous est demandé d'examiner un texte important qui marque, comme toute loi de programmation, une étape majeure. Mais le Gouvernement veut aller vite en obtenant un vote conforme des deux assemblées, car l'examen de ce texte a pris un retard considérable alors qu'il a été adopté par le conseil des ministres du 29 octobre 2008.

Les députés de la majorité, qui, eux, ont été autorisés à déposer des amendements, et les sénateurs seront d'accord sur un point : le retard et l'urgence pourraient être recevables si ce retard n'était pas le fait du Gouvernement qui, ces derniers mois, a surchargé l'ordre du jour des deux assemblées de textes de circonstance souvent inutiles. En outre, l'urgence qui a été si souvent invoquée, a servi le plus souvent à limiter le rôle du Parlement alors que le Gouvernement prétendait vouloir revaloriser son travail. Les amendements des députés portent sur des points qui ne sont pas absolument essentiels, comme l'accélération des procédures permettant d'attribuer des décorations à des personnels engagés dans des opérations extérieures. Les sénateurs de la majorité sont, eux, au régime sec, au point de n'avoir déposé aucun amendement en commission sur un texte de dix-sept articles.

Pendant l'examen en commission des amendements déposés par les seuls sénateurs de l'opposition, certains membres de la majorité ont même regretté de ne pouvoir retenir telle ou telle de nos propositions.

Le Sénat n'aura le droit qu'à une seule lecture mais il aura débattu à deux reprises des manèges forains et des chiens dangereux, deux sujets qui relèvent de questions moins cruciales pour l'avenir de notre pays qu'un projet de loi de programmation militaire censé traduire les ambitions d'un Libre blanc qui a fait l'objet de dizaines d'auditions et d'un travail important de la commission des affaires étrangères et de la défense. Ce Livre blanc a suscité des analyses critiques, souvent pertinentes, et qui méritaient des réponses sérieuses. Or, le Gouvernement a déployé beaucoup plus d'énergie pour identifier les membres du groupe Surcouf qu'à nous apporter des réponses concrètes.

Le Gouvernement maltraite le Parlement. Faut-il pour autant que le Parlement renonce à ses droits ? Personne n'oblige les sénateurs à ne pas déposer d'amendements ! Le Sénat qui a su, à d'autres moments, résister à la volonté du Gouvernement pour améliorer un texte, comme la loi sur l'hôpital, ou pour refuser de remettre en cause un dispositif utile, comme celui qui fixe le pourcentage de logements sociaux, ne devrait pas renoncer à ses droits au motif que le président du groupe majoritaire est devenu ministre des relations avec le Parlement !

Et au motif que le président d'un autre groupe qui a su marquer son autonomie dans des moments importants de la vie démocratique a lui aussi hérité d'un portefeuille important.

La loi de programmation militaire nous est présentée alors que nous n'avons pas adopté les orientations du Livre blanc ; en juillet 2009, le Sénat est saisi d'un texte qui est censé être en vigueur depuis le 1er janvier dernier et il doit se conformer au vote de l'Assemblée nationale ! Le Livre blanc devait proposer une stratégie pour les quinze prochaines années ; la commission chargée de ce travail réunissait experts, personnalités qualifiées, parlementaires. Le précédent document datait de 1995, le monde avait changé, il fallait redéfinir la stratégie et l'organisation des pouvoirs publics. On se souvient de la démission de la députée Mme Patricia Adam et du sénateur M. Didier Boulaud parce que les décisions importantes semblaient se prendre à l'Élysée, sans la moindre considération pour le travail de la commission. Dés la parution du Livre blanc, nous avions demandé au Gouvernement de préciser ses intentions. On nous offrit un débat sans vote, en juin 2008, à quelques jours du début de la présidence française de l'Union européenne. Débat agréable, dont nous espérions qu'il fût utile et au cours duquel le ministre confirma : « au regard des avancées de l'Europe de la défense, la France se montre ouverte, sous certaines conditions, à l'idée de retrouver sa place dans le dispositif militaire de l'Alliance atlantique, sauf pour les questions nucléaires. » On connaît la suite : la présidence française s'est achevée sans avancée notable dans le domaine de la défense ; quelques mois plus tard, le Président de la République décidait le retour de la France dans le commandement intégré de l'Otan, décision avalisée au sommet de Strasbourg. Nombre de députés de la majorité y étaient franchement hostiles et le Premier ministre dut engager la responsabilité de son Gouvernement en mars 2009. Pendant que le Président de la République faisait connaître sa position aux dirigeants de l'Otan, les sénateurs recevaient un os à ronger : encore un débat sans vote !

Le Livre blanc, rédigé avant même que cette orientation ait été arrêtée, n'en tient pas compte. Tout comme il ignore l'infléchissement de la position américaine et les ouvertures faites par le nouveau président de ce grand pays pour préparer un monde sans armes nucléaires. Dans le monde entier, on a salué les paroles fortes de M. Barak Obama à Prague. En France, on a évacué la question d'un revers de main, considérant qu'il ne s'était rien passé.

Ce texte renforce les pouvoirs du Président de la République et son domaine réservé ; sa mainmise est totale sur les questions de défense et de sécurité. En présidant un Conseil de défense et de sécurité nationale aux compétences élargies, le chef de l'État empiète sur les responsabilités du Premier ministre. La redistribution des rôles au sein du Gouvernement s'opère au profit du ministre de l'intérieur, comme l'indique le transfert de la gendarmerie placée sous son autorité.

Mais il y a plus préoccupant encore : les articles 12 et suivants étendent le secret de la défense non plus seulement à des documents mais à des lieux, selon des modalités que même certains membres de la majorité ont jugées discrétionnaires et sur lesquelles ils ont exprimé des réserves. Nous les partageons, M. Badinter l'a bien dit. Les dispositions en cause sont en contradiction avec l'esprit de nos lois fondamentales, en particulier l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée n'a point de constitution. »

Le Conseil constitutionnel a rappelé « l'indépendance de l'autorité judiciaire » dans sa décision du 1er mars 2007 et l'interdiction de porter des « atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction » dans deux décisions de 1999 et 2006. Le Conseil constitutionnel a aussi jugé que, au regard du principe de l'indépendance des autorités judiciaires, il n'appartient « ni au législateur ni au Gouvernement de censurer les décisions des juridictions, d'adresser à celles-ci des injonctions et de se substituer à elles dans le jugement des litiges relevant de leur compétence ». Considérant ces décisions ainsi que la mésaventure de la loi Hadopi, dans laquelle le Gouvernement a tenté de substituer une autorité administrative à l'autorité judiciaire, je ne vois pas comment nous pourrions considérer que le présent texte est conforme à l'esprit du droit. La séparation des pouvoirs, l'indépendance de l'autorité judiciaire sont totalement méprisées.

La liste des lieux classés secret défense relève de l'exécutif sur simple avis de la commission consultative du secret de la défense nationale (CCSDN). Quelle est la place du Conseil d'État ? Le régime de perquisition applicable impose qu'une « déclassification » ait été décidée à la demande du magistrat. Elle relève de l'autorité administrative, sur simple avis de la CCSDN, sans recours possible. Le délit de dissimulation de l'article 12 vise uniquement les lieux abritant des éléments couverts par le secret défense, non les lieux classifiés en tant que tels. Cette loi offre donc au Gouvernement le privilège de créer des zones de non-droit législatif, sans avoir à s'en expliquer. Que l'État protège les intérêts stratégiques fondamentaux du pays, personne ne le conteste. Monsieur le ministre, ne me répondez pas en justifiant l'usage du secret défense, expliquez-moi pour quelle raison son usage devrait aujourd'hui être étendu.

La loi doit concilier défense des intérêts fondamentaux et séparation des pouvoirs, indépendance de l'autorité de la justice, protection des libertés fondamentales, en l'occurrence la liberté d'information. Or ici, le déséquilibre est patent ! Ces dispositions sur le secret défense auront en outre des effets immédiats sur le travail des magistrats, effets qui s'ajouteront aux conséquences de la suppression des juges d'instruction. Le Président de la République a qualifié de fable certains propos tenus par des magistrats et par les proches des victimes. Quelle désinvolture, sur un sujet aussi grave et douloureux !

Je voudrais croire que le souci de justice est largement partagé et que les magistrats pourront travailler en toute sérénité, sans pressions d'aucune sorte ni freins à leurs enquêtes. Mais comment, en conjuguant la suppression des juges d'instruction et l'extension discrétionnaire du secret défense, pouvez-vous espérer qu'une enquête se déroulera dans de bonnes conditions ?

Si le Sénat refuse de tenir compte des réserves formulées par quelques-unes des plus éminentes figures de la majorité, il sera demain impossible d'aller saisir dans un ministère ou dans une entreprise les contrats litigieux, les documents compromettants, les éléments douteux. Il sera impossible de saisir la corruption, de l'arrêter et de la sanctionner. Le secret défense sera utile, en temps de paix, pour protéger la délinquance financière, les bénéficiaires de commissions et rétro-commissions, les bandits en col blanc.

Je ne peux pas croire, monsieur le ministre, que ce soit là l'objectif du Président de la République et de la majorité. Et je veux croire que vous saurez, sur ce point, me répondre autrement que par la dénégation indignée ou la dénonciation de je ne sais quelle fable. Le Sénat s'honorerait de déclarer irrecevable ce projet de loi. (Applaudissements à gauche)

M. François Pillet, rapporteur pour avis.  - Nous ne nous indignerons pas mais chercherons ce qui peut nous rassembler. Le président Badinter a évoqué la difficulté juridique qui naît de la rencontre entre deux principes constitutionnels, deux plaques tectoniques.

Pas plus que vous, nous ne voulons permettre aux corrompus d'échapper à la justice : nous faisons nôtres les mots de M. Badinter, oui au secret de la défense, non au secret des sales affaires. Et faut-il refuser le secret professionnel lorsqu'il peut handicaper la recherche de la vérité sur les sales affaires ? Recherchons le consensus et l'équilibre. Je ne crois pas me livrer à une critiquable exégèse lorsque j'estime que l'avis du Conseil d'État évoque très clairement les lieux classifiés : il incombe au juge d'instruction, « lorsqu'il envisage de pénétrer dans une telle zone, de respecter la nécessité impérieuse d'éviter tout risque de compromission du secret de la défense nationale, compromission qui pourrait résulter du seul fait de sa présence dans cette zone, sous peine d'encourir les sanctions pénales qui assurent la protection de ce secret ». Le Conseil d'État dit en délié ce qui est écrit en plein dans le projet de loi. Aujourd'hui, c'est l'incertitude juridique qui empêche le juge de pénétrer dans certains milieux et qui sanctuarise ces lieux. Nous voulons que personne ne soit à l'abri de la justice et que, lorsqu'il existe des abris, ceux-ci deviennent perméables. Voilà pourquoi le texte pose les critères de définition de ces lieux, les conditions de déclassification. Il n'autorise pas tout mais il autorise plus qu'actuellement. Il est juridiquement faux de dire que le secret de la défense s'étend. Il recule et c'est l'état de droit qui avance. Il est abusif d'évoquer des zones de non-droit. Rejetons cette motion. (Applaudissements à droite)

M. Josselin de Rohan, président de la commission.  - Défavorable.

M. Hervé Morin, ministre.  - Défavorable.

A la demande du groupe socialiste, la motion n°107 est mise aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 338
Nombre de suffrages exprimés 326
Majorité absolue des suffrages exprimés 164
Pour l'adoption 140
Contre 186

Le Sénat n'a pas adopté.

Question préalable

M. le président.  - Motion n°42, présentée par M. Boulaud et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2009 à 2014 et portant diverses dispositions concernant la défense (514, n° 2008-2009).

M. Didier Boulaud.  - Au lendemain de la fête nationale, je veux d'abord rendre hommage aux hommes et aux femmes engagés pour la défense de notre pays.

M. Robert del Picchia.  - Très bien !

M. Didier Boulaud.  - Cette année encore, nos armées et la gendarmerie ont été très sollicitées, et nous n'oublions pas ceux qui sont tombés au service de la France. Ils ont droit à notre reconnaissance. Cela nous engage et notre responsabilité est de leur accorder les moyens nécessaires. Le débat se doit d'être digne. Or nous sommes contraints à un débat en trompe-l'oeil. Corseté par un Gouvernement aux ordres de l'Élysée, la majorité s'oppose pourtant à ce qu'on en débatte et balaie tous nos arguments d'un revers de la main. Censure inacceptable et procédé d'autant plus indigne que le retard historique de ce projet est de votre seul fait ! Vous voulez bâcler la discussion ; notre question vise à vous contraindre au débat, même si nous savons le prix que vous lui attachez.

Le débat, vous le refusez. On parlait pourtant de revalorisation du rôle du Parlement ; il paraît même que l'on a révisé la Constitution à cet effet. Reste que la loi portera le nom du ministre qui n'a guère de motifs d'en être fier : on parlera de la loi-prog Morin, mort-née en dérapage incontrôlé ! Mais c'est votre choix...

Quand il s'agit de donner aux armées les moyens dont la France a besoin pour faire face aux menaces et jouer son rôle au service de la paix, on ne saurait s'en tenir aux approximations. Le vote conforme interdit au Sénat de jouer pleinement son rôle. Ce texte est le faux-nez d'une série d'articles parasites, ainsi sur les lieux classifiés. En outre, alors que vous aviez refusé un débat suivi d'un vote sur le Livre blanc, dont les conclusions étaient un peu téléguidées par le Président de la République -je peux en témoigner puisque j'y ai participé-, il a été annexé au projet.

M. Hubert Falco, secrétaire d'État à la défense et aux anciens combattants.  - Qu'y a-t--il de choquant à cela ?

M. Didier Boulaud.  - Tout y passe. Il suffit d'un arrêt sur image sur l'article 5 qui traite du nouveau concept de sécurité nationale et crée de nouvelles structures auprès du Président de la République. Que l'on me comprenne bien, je juge qu'une coordination des renseignements était nécessaire, mais pourquoi la réaliser sous l'autorité du secrétaire général de l'Élysée ? C'est que les émeutes de banlieue de 2005 ont laissé des traces dans l'esprit de celui qui était à l'époque un ministre de l'intérieur à la peine. En héritiers attardés du bushisme débridé, il nous faudrait considérer que les banlieues sont quadrillées par des réseaux dormants islamistes n'attendant qu'un signe venu d'Orient pour se lever contre la civilisation judéo-chrétienne. Mais nous ne partageons pas cette vision simpliste.

Une fois ce texte adopté et le pouvoir du Président de la République renforcé, le ministre de l'intérieur sera le détenteur de toutes les décisions. La gendarmerie a été bradée, beaucoup par une ancienne ministre de la défense passée à l'intérieur, un peu par son successeur. Où sont le Premier ministre et le ministre de la défense ? La présidentialisation de la défense méritait un vrai débat, pas ce détournement législatif !

Ce texte officialise sur le plan législatif le changement stratégique opéré par Nicolas Sarkozy du temps de la présidence Bush. La présidence française a fait la démonstration de la place insignifiante de l'Europe de la défense : personne n'est dupe de l'abandon en rase campagne de cette belle ambition.

Enfin le projet est dépourvu de tout dessein en matière de stratégie industrielle, si ce n'est le mécano qui prépare la privatisation de la DCNES et de la SNPE. Il était pourtant possible, je l'ai dit, d'envisager d'autres évolutions.

Le procureur le plus farouche des aléas financiers qui guettent votre projet n'est pas très loin. Je vous recommande, puisque son auteur ne l'a pas fait, l'avis de la commission des finances. Il pourrait vous alerter mais quelle pertinence et que la lumière qu'il jette sur ce texte est crue ! L'héritage de la précédente programmation n'a pas été soldé et les promesses ne sont pas crédibles. Une révision interviendra en 2012 : voilà la programmation glissante dont la vie active ne sera, au mieux, que de trois ans. Une nouvelle loi est d'ailleurs prévue pour la période 2013-2018. Il s'agira de prendre en compte la situation des finances publiques, dont on imagine aisément qu'elle ne permettra pas une augmentation annuelle des dépenses de 1 % en volume.

Le Président de la République nous a expliqué benoîtement que la vérité, c'est qu'il a trouvé à son arrivée une situation financière plus que difficile, qu'il manquait 6 milliards par an à la défense : « qui peut me dire que cet objectif est seulement crédible ? ». Voilà qui exécute l'ancienne ministre de la défense et le Gouvernement auquel il a lui-même appartenu.

Quand nous tirions alors la sonnette d'alarme, cette vérité ne semblait pas bonne à dire à la majorité qui votait les budgets la tête dans le sable...

M. René Beaumont.  - Et qui vient de gagner les européennes !

M. Didier Boulaud.  - Les armées ne cessaient de regretter les retards des programmes d'armement majeurs -rappelez-vous la polémique après une tragique embuscade ! Les Parlements britannique et allemand ont débattu de l'engagement en Afghanistan, où la violence reprend, comme les Allemands viennent d'en faire l'expérience. Le conflit sera dur et long. En quoi ce texte y prépare-t-il nos soldats au moment où les États-Unis demandent plus de troupes et où l'Otan, que nous avons rejointe sans restriction, parle de 10 000 hommes ? Il nous serait agréable d'avoir votre réponse au moment de voter votre loi qui durera moins que la guerre en Afghanistan.

Cette programmation nous conduit dans l'impasse. Les choix de fond ne sont pas faits, et l'on table sur les engagements de crédits antérieurs.

Les nouveautés en matière d'équipement sont rares avec l'acquisition programmée après 2014 d'un dispositif de détection des tirs de missiles balistiques et la poursuite du développement des capacités de renseignement satellitaire. En revanche, le texte révise durement à la baisse certaines cibles telles que les drones, les équipements Félin, les hélicoptères Tigre, les frégates Fremm et missiles de croisière sans remettre en cause, ce qui n'étonnera personne, les Rafale dont la livraison est prévue selon un calendrier pour le moins baroque : livraison du dernier appareil annoncée pour 2036 ! Il y a fort à craindre, hélas !, que les moyens de transport aériens ne seront pas au rendez-vous en 2014. Autrement dit, on étale, on reporte, on éparpille, on pulvérise (sourires), on réduit les commandes mais on maintient tous les programmes... Vous êtes passés maîtres en procrastination !

Quant à l'Europe de la défense, elle piétine. Intervenant sur la réintégration de la France dans le commandement de l'Otan, je m'étais vu répondre qu'il « y aura davantage de défense européenne ». Malgré quelques moissons d'étoiles on a plutôt l'impression du contraire. Même l'Otan au titre de la Force internationale d'assistance à la sécurité n'a pas eu son mot à dire sur le remplacement du général Mac Kiernan à la tête des deux missions en Afghanistan. Est-ce en réduisant nos moyens que l'on pèsera sur les décisions de l'Union européenne et de l'Otan ?

Un mot sur la réduction des effectifs avec la suppression de 54 000 postes à terme. Que penser de ce gigantesque plan social en période d'explosion du chômage, sinon que le pari est douteux, voire cynique ? Le financement de 2009 à 2014 de l'augmentation des dépenses d'équipement doit être assuré par les 3 milliards des réductions d'effectifs et les 3,5 milliards des recettes exceptionnelles. Or notre méfiance est alertée quand les principales sources d'économie sont la création des bases de défense et la centralisation de l'entretien lourd du matériel aérien et terrestre sur quelques sites. Outre que ces mesures rencontrent plus de difficultés que prévu, il n'est pas certain que les économies seront au rendez-vous des budgets 2010 et 2011 d'autant que certains craignent une sous-estimation de la masse salariale et que, monsieur le ministre, vous envisagez déjà de réduire le nombre de bases. Je ne doute pas que les collectivités qui pensaient accueillir ces bases en seront très rapidement informées...

Mme Nathalie Goulet.  - On peut l'espérer !

M. Didier Boulaud.  - Enfin, si l'on ajoute l'inquiétude très largement partagée sur l'avenir des recettes exceptionnelles, le fragile équilibre financier du texte semble bien compromis. Ultime remarque sur les réductions d'effectifs prévues pour les fonctions de soutien. Êtes-vous en mesure de confirmer qu'une fois la purge achevée, les effectifs combattants seront au niveau souhaité par le Livre blanc, soit 30 000 combattants, projetables à 8 000 km et dans un délai de six mois pour une durée d'un an, suivie d'une action de stabilisation ? De nombreux personnels choisissent, malgré le difficile marché de l'emploi, en plus grand nombre que prévu, de nouveaux horizons professionnels, ce qui n'est guère rassurant pour notre outil de défense et le conduira, à terme, à occuper un rôle supplétif au sein de l'Otan.

Le contexte général de ce projet de loi, ce sont vos erreurs depuis 2002 ; le contexte particulier, le chômage avec 2 000 chômeurs de plus par jour, un commerce extérieur qui connaît un déficit de 20 milliards en 2006 et une dérive des comptes publics telle qu'on s'en bouche les yeux et les oreilles ! Et on voudrait nous faire croire que ces difficultés sont dues à la seule crise internationale ! Personne ne saurait nier son rôle mais rappelez vous les propos tenus par le Premier ministre qui déclarait déjà en septembre 2007 la France en faillite. Le Premier président de la Cour des comptes ne s'y est d'ailleurs pas trompé en indiquant que la moitié du déficit public prévu en 2009 résulte de la baisse des impôts et d'une maîtrise des dépenses très insuffisante. M. Seguin ne fait que confirmer ce que nous vous disons depuis des mois et des années : votre politique, depuis 2002, conduit le pays à la faillite car votre politique est mauvaise ! Comment vous croire quand le déficit budgétaire de 2009, 120 milliards, représentera la moitié des recettes nettes de l'État ? Tôt ou tard, vous passerez outre à vos promesses et puiserez dans les caisses de la défense !

En conclusion, cet ensemble législatif n'est pas cohérent et recevable par le Parlement. Les mesures relatives au secret défense, à l'organisation des pouvoirs publics et à l'organisation de la défense, qui remettent gravement en cause des principes fondamentaux, devraient faire l'objet de textes législatifs sur mesure. En particulier, nous refusons de cautionner un tel cavalier législatif sur le secret défense qui rompt des équilibres nécessaires au bon exercice de la justice dans notre démocratie. Sa sincérité budgétaire n'est ni manifeste ni prouvée. Son équilibre financier, précaire dès l'origine, est bousculé par la politique gouvernementale qui ne fait qu'aggraver la crise. Ce texte est déjà caduc. L'héritage de la loi de programmation 2003-2008 pèse si lourdement que nous ne sommes pas face à une nouvelle programmation mais devant une lettre d'intentions que le Gouvernement ne saura tenir. En conséquence, il est nécessaire d'opposer la question préalable au texte d'autant que la commission saisie au fond n'a pas tenu compte des amendements issus de l'analyse approfondie du projet de loi. Son irrépressible désir de faire plaisir au pouvoir exécutif a été plus forte que son désir intime d'améliorer le texte... Je vous invite donc, mes chers collègues, même si c'est beaucoup vous demander, à corriger cette anomalie en votant la question préalable ! (Applaudissements à gauche ; M. Jean-Pierre Chevènement applaudit également)

M. Josselin de Rohan, rapporteur.  - Rien n'ayant trouvé grâce aux yeux de M. Boulaud, je ne répondrai pas à chacune de ses critiques. Cela serait trop long... (Sourires à droite)

Ce texte, loin de mêler des dispositions de nature très diverse, est constitué de mesures qui concernent toutes la politique de la défense et ont pour point commun de mettre en oeuvre les orientations du Livre blanc qui a d'ailleurs fait l'objet d'un débat dans cette assemblée, certes sans vote, parce qu'il ne s'agit pas d'un texte législatif.

Les mesures concernant les crédits, les effectifs et les mesures d'accompagnement liées ont été amplement discutées de même que les dispositions sur le secret défense et l'organisation des pouvoirs publics. Ces dernières résultent de la dernière réforme constitutionnelle qui rappelle clairement le rôle de chef des armées du Président de la République. A ce titre, il est parfaitement normal qu'il préside le nouveau Conseil de défense et de sécurité. Au reste, nous ne faisons que mettre en accord le droit avec les faits. Qui peut soutenir que le Président de la République n'a pas exercé la direction des opérations armées lors des grandes crises depuis 1958 ? Les présidents de Gaulle lors des crises de Berlin et de Cuba, Giscard au moment de Kolwezi, Mitterrand lors de la guerre du Golfe,...

M. Hervé Morin, ministre.  - Et M. Chevènement ici présent ?

M. Josselin de Rohan, rapporteur.  - ...Chirac pour le Kosovo. Cela entre pleinement dans les attributions du chef de l'État. Quant au Premier ministre, il ne joue pas un rôle subalterne dans la politique de défense. Pour s'en convaincre, il suffit de se reporter à la loi de programmation militaire : celui-ci est appelé à suppléer le Président de la République dans certains comités -le cas n'est pas rare- et coordonne l'action du Gouvernement en matière de défense. L'accusation est donc infondée.

Les dispositions sur l'industrie de défense sont parfaitement liées à l'objet de ce texte qui ne remet en cause aucun principe fondamental. La sincérité budgétaire n'est guère douteuse au regard de l'adéquation des programmes et des crédits et des moyens votés en 2009 en loi de finances initiale comme en loi de finances rectificative. Je n'aurai pas la cruauté de vous rappeler ce qui s'est passé en 1998 et en 2001...

M. André Dulait.  - Oh si !

M. Josselin de Rohan, rapporteur.  - ...où les fameuses encoches ont eu pour conséquence que nos navires ne pouvaient plus naviguer, nos hélicoptères ne pouvaient plus voler et nos chars ne pouvaient plus rouler ! (Protestations à gauche) Il a fallu une loi de programmation militaire pour rétablir l'équilibre. Si nous n'y sommes pas entièrement parvenus, figurez-vous, c'est qu'il y avait un retard énorme à rattraper ! Le Gouvernement que vous souteniez est à l'origine dudit retard ! (Applaudissements à droite)

M. Bernard Piras.  - Peut-être, mais qui était alors le chef des armées ?

M. Josselin de Rohan.  - Monsieur Piras, je ne me flatte de vous convaincre, je m'y essaierais si vous veniez plus souvent en commission...

Pour conclure, monsieur Boulaud, méditez ces propos de Rivarol : « C'est un terrible avantage que de n'avoir rien fait, mais il ne faut pas en abuser. » (Applaudissements à droite)

M. Hervé Morin, ministre.  - Avis défavorable.

Mme Michelle Demessine.  - Ce texte est effectivement un curieux mélange des genres : outre des mesures financières qu'il est normal de trouver dans une loi de programmation, il comporte de véritables cavaliers législatifs. Les mesures relatives au secret défense, à l'adaptation du code de la défense au nouveau concept de la sécurité nationale, à l'organisation et l'équilibre des pouvoirs publics ou encore à l'industrie de la défense auraient effectivement dû figurer dans des textes distincts. Ensuite, sa sincérité budgétaire est douteuse. Vous faites le pari de financer la défense par une réduction drastique des effectifs, avec 54 000 postes supprimés d'ici 2015 dont 8 390 en 2009. De cette saignée, vous escomptez 2,7 milliards d'économies auxquels il faut ajouter un milliard attendu des restructurations d'implantations. Résultat, des territoires sinistrés par le départ des unités, des emplois supprimés dans l'industrie, des programmes annulés ou étalés comme la construction du second porte-avions, des véhicules blindés de combat d'infanterie, des hélicoptères Tigre et des frégates multi-missions. Monsieur le ministre, vous savez bien que la réforme de la carte militaire induira des coûts en équipements d'infrastructure et en accompagnement social et que les économies escomptées risquent fort de se transformer en surcoût... Enfin, les prévisions de recettes exceptionnelles, de nombreux orateurs l'ont dit sur plusieurs bancs, sont très aléatoires. Pour toutes ces raisons, le groupe CRC-SPG votera la question préalable.

A la demande du groupe socialiste, la motion n°42 est mise aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 338
Nombre de suffrages exprimés 327
Majorité absolue des suffrages exprimés 164
Pour l'adoption 141
Contre 186

Le Sénat n'a pas adopté.

Discussion des articles

Article premier

Les dispositions du présent chapitre fixent les objectifs de la politique de défense et la programmation financière pour la période 2009-2014.

M. le président.  - Amendement n°80, présenté par M. Boulaud et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Dans cet article, remplacer l'année :

2009

par l'année :

2010

M. Daniel Reiner.  - Un amendement modeste qui, en ne modifiant qu'une date, rétablit la vérité. Il est, de fait, surprenant que la programmation militaire débute alors même que la moitié de l'année budgétaire est passée... Les services de Bercy, comme, je suppose, les vôtres, monsieur le ministre, s'activent déjà pour préparer l'exercice 2010.

Toutes les dépenses afférentes à la mise en oeuvre de la loi de programmation sont-elles budgétées ? Sinon, la présentation de données essentielles à la formation de l'équilibre budgétaire serait faussée, ce qui entacherait lourdement le principe de sincérité budgétaire élevé au rang de principe de valeur constitutionnelle par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 29 décembre 1993 et inscrit dans la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001.

Personne n'ignore que l'équilibre de la nouvelle loi de programmation militaire repose sur un pari audacieux : réduction de format et réorganisations militaires afin de dégager de nouvelles marges de manoeuvre financières. Mais sans les ressources exceptionnelles, le pari s'écroule. Or, ces ressources-là semblent aussi exceptionnelles qu'introuvables...

On est en droit de s'inquiéter, enfin, de l'exécution réelle des budgets en cours et à venir. Dès le 21 septembre 2008, le Premier ministre, en déplacement à Calvi, martelait : « Je suis à la tête d'un État qui est en situation de faillite sur le plan financier ; je suis à la tête d'un État qui est depuis quinze ans en déficit chronique ; je suis à la tête d'un État qui n'a jamais voté un budget en équilibre depuis vingt-cinq ans. Ça ne peut pas durer. »

Je crains fort, dans le contexte économique actuel, que le budget de la défense ne soit la victime désignée d'arbitrages budgétaires désespérés, conséquences directes de votre réponse à une crise qui signe la crise de votre politique économique.

Quel crédit accorder, dès lors, à une loi qui programme le passé ?

On peut s'interroger sur la sincérité de la progression des crédits d'équipement. La réforme du ministère devrait, dites-vous, dégager des marges de manoeuvre. D'où la nécessité d'engager rapidement cette réorganisation, qui passe par une très forte déflation d'effectifs. Pari fort risqué dans la situation de nos finances et alors que le chômage grimpe...

M. Hervé Morin, ministre.  - Votre temps de parole aussi...

M. Daniel Reiner.  - Faire débuter cette nouvelle programmation en 2010 marquerait un premier pas vers la sincérité.

M. le président.  - Je rappelle que les orateurs disposent de trois minutes pour défendre leurs amendements.

M. Josselin de Rohan, rapporteur.  - Pour la cohérence de la programmation 2009-2014, l'annuité 2009 ne peut être dissociée. Défavorable.

L'amendement n°80, repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.

L'article premier est adopté.

Article 2

Est approuvé le rapport annexé à la présente loi, qui fixe les orientations relatives à la politique de défense et aux moyens qui lui sont consacrés au cours de la période 2009-2014 et précise les orientations en matière d'équipement des armées à l'horizon 2020.

Mme Virginie Klès.  - Nous serions donc saisis d'un texte censé fixer les orientations relatives à la politique de défense et aux moyens qui lui sont consacrés au cours d'une période 2009-2014 -dont M. Reiner nous a dit ce que l'on pouvait en penser-, dans le respect de la transparence et de la sincérité... On est loin du compte. Car voici un nouveau texte fourre-tout, mélangeant décisions législatives et volontés capricieuses du Président de la République.

Cet article 2 ne prévoit ni plus ni moins que l'approbation indirecte par le Parlement du Livre blanc dont le rapport annexé n'est rien d'autre que la synthèse. Un texte doctrinaire, issu de la seule volonté présidentielle, n'ayant fait l'objet d'aucun débat, rédigé par des civils, dans le mépris et l'ignorance affichée des avis militaires, recueillis « pour le fun », comme diraient nos enfants. (On s'indigne à droite)

Ainsi, le point 2.3.1 du rapport annexé, qui traite de la nouvelle base militaire d'Abu Dhabi, pose bien des questions. On peut d'abord s'interroger sur les procédures décisionnelles et le contrôle des structures ad hoc utilisées pour la construction d'un équipement si lourd. La fameuse transparence voulue par le chef de l'État ? Mais ces infrastructures militaires sont-elles autre chose que la base du président, dont la création a été gérée de A à Z par l'Élysée, dans le plus grand secret ? L'ouverture d'une nouvelle base à Abu Dhabi ne se fera pas au détriment de la présence française en Afrique, dites-vous. Mais comment, puisque l'armée doit aussi payer son tribut à la RGPP ? Les militaires rappellent pourtant que la présence des forces françaises renforcées en Afghanistan sera durable, soulignant qu'une nouvelle élongation stratégique permanente dans le golfe arabo-persique serait coûteuse, surtout pour conduire des missions qui se déroulent actuellement sans anicroche. Force est de constater, une fois encore, que le Président de la République est sourd à leurs arguments éclairés. Qui paiera ce « redéploiement » ? La base de Djibouti ne sera-t-elle pas touchée, alors que les qualités stratégiques de cette grosse installation française ont été confirmées par l'augmentation de la piraterie et que le point 2.3.3 du rapport annexé prévoit spécifiquement la lutte contre les trafics ? Ou bien sera-ce la participation des forces armées à l'aménagement du territoire ou à la sécurité civile intérieure, notamment lors de catastrophes naturelles ou technologiques ?

Enfin, cette installation militaire dans le Golfe persique illustre un changement de position stratégique. Le nouvel accord de défense signé par le Président de la République avec les Émirats arabes unis place désormais Paris au premier rang en cas de conflit avec l'Iran, la France les défendra « avec tous les moyens militaires », y compris donc le recours à l'arme nucléaire. Comment se fait-il que ce nouvel accord ait été conclu à un niveau bilatéral -alors que la France, sur la seule décision du chef de l'État et contrairement, une fois encore, à l'avis militaire, vient de réintégrer le commandement de l'Otan- et renferme des clauses secrètes ? Où est la transparence vis-à-vis des parlementaires, promise par le chef de l'État et rappelée dans le point 5.1 du rapport annexé ? La France offrira donc désormais une protection nucléaire à un pays sans coordonner ses actions avec l'Otan ni avec les États-Unis. L'émergence de la France comme puissance nucléaire dans la région du Golfe pourrait bien ainsi exacerber les tensions dans cette partie du monde : le chef de l'État en porte seul la responsabilité.

J'en viens à cette grande première dans l'histoire militaire : la vente par l'armée française du système des communications sécurisées entre la France et les différentes unités déployés sur un théâtre d'opération extérieure et les bâtiments de la marine nationale assuré par le satellite Syracuse. Voilà encore une opération clandestine et honteuse. Le 29 mai dernier, lors de la réunion de la Commission exécutive permanente, les représentants des états-majors ont été fermement invités à valider, dans le plus grand secret, une décision prise quinze jours plus tôt par le chef de l'État. Pris par surprise, convoqués à l'Élysée, en l'absence de leur ministre, ils n'ont pas eu d'autre choix que de s'exécuter. Rompez ! Et la véritable raison de l'opération, qui ne rapportera pas plus de 400 millions d'euros alors que l'investissement total s'élève à 3 milliards depuis 1980 pour des satellites qui assurent l'ensemble des communications militaires cryptées entre le commandement et les unités déployées sur les théâtres d'opérations ? Boucler le financement de la loi de programmation !

En 2011, les satellites seront donc la propriété d'une société privée. Et, comble de l'absurdité, l'État louera désormais ses canaux de communication. Comme d'autres clients, d'ailleurs, puisque l'acheteur sera autorisé à sous-louer les infrastructures... Cette affaire, qui suscite de fortes réticences dans le commandement, soulève un certain nombre de questions auxquelles je crains de n'avoir jamais réponse. Est-il normal qu'une telle décision, la privatisation, des communications tactiques opérationnelles, n'ait fait l'objet d'aucun débat, ni au Parlement ni ailleurs ?

Qui est responsable en cas de bug ? Comment garantir la confidentialité des codes, le secret défense ? (On s'impatiente à droite)

En résumé (exclamations à droite) : mépris répété des avis de l'état-major, opacité des décisions prises unilatéralement, ambitions démesurées par rapport aux moyens alloués. Nous ne pouvons que nous opposer à cet article.

M. le président.  - Amendement n°81, présenté par M. Boulaud et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Rédiger comme suit cet article :

Le Gouvernement déposera, à l'ouverture de la prochaine session ordinaire 2009-2010, un projet de loi qui proposera les orientations relatives à la politique de défense et aux moyens qui lui sont consacrés au cours de la période 2010-2014.

Tous les ans, un débat sera organisé au Parlement sur les orientations relatives à la politique de défense, sur leur mise en oeuvre et sur les orientations en matière d'équipement des armées.

M. André Vantomme.  - Comment accepter que la définition de la politique de défense soit reléguée à une annexe du projet de loi de programmation ? Réduire la défense à un sous-ensemble de la sécurité nationale, c'est s'en tenir à une vision purement sécuritaire de l'organisation de l'État. Le Gouvernement, qui se targue pourtant de revaloriser le rôle du Parlement, fait fi d'un débat de la représentation nationale, qui aurait été l'occasion de recréer le consensus national sur la défense, mis à mal depuis 2007. L'article 8 de la loi de programmation militaire 2003-2008, qui prévoyait un débat tous les deux ans, est resté lettre morte. Cette annexe constitue un chèque en blanc. La définition d'une nouvelle stratégie exige un large débat devant la Nation. Nous demandons un débat annuel, afin de revaloriser réellement le Parlement. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Josselin de Rohan, rapporteur.  - L'amendement est irrecevable au titre de l'article 41, car il enjoint au Gouvernement de déposer un projet de loi. Sur le fond, défavorable : nous souhaitons une programmation de 2009 à 2014.

M. Hervé Morin, ministre.  - Défavorable.

L'amendement n°81 n'est pas adopté.

Rapport annexe

M. le président.  - Amendement n°94, présenté par M. Boulaud et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Au début du rapport annexe, ajouter un alinéa ainsi rédigé :

La défense a pour objet d'assurer en tout temps, en toutes circonstances et contre toutes les formes d'agression, la sécurité et l'intégrité du territoire, ainsi que la vie de la population.

M. Didier Boulaud.  - II s'agit de définir l'objet de la défense avant d'en décliner les aspects et les missions. Nous ne souhaitons pas que la défense devienne un sous-ensemble de la sécurité nationale. La définition donnée par l'ordonnance de 1959, socle de la doctrine française et objet d'un consensus national, comprend la notion de défense globale. Le concept importé de « sécurité nationale » n'a pas la même force de frappe intellectuelle. Nos concitoyens sont instinctivement attachés à cette définition de la défense, qui doit être rappelée devant la représentation nationale.

M. Josselin de Rohan, rapporteur.  - Défavorable. La définition proposée à l'article 5 est plus complète.

M. Hervé Morin, ministre.  - Nous avons déjà eu maintes fois ce débat, en commission et dans l'hémicycle. Avis défavorable.

L'amendement n°94 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°92, présenté par M. Boulaud et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

A la fin du premier alinéa du rapport annexé, remplacer le mot :

Elle

par la phrase et les mots :

Le Livre blanc sera discuté et adopté par le Parlement. La loi de programmation militaire 2009-2014

M. Didier Boulaud.  - La Commission du Livre blanc, installée par Nicolas Sarkozy, fut chargée de définir une stratégie globale de défense et de sécurité pour les quinze prochaines années. Les parlementaires socialistes membres de la commission, dont j'étais, ont démissionné pour protester contre l'ingérence du Président de la République et les orientations imposées depuis l'Élysée.

Il faut aujourd'hui ouvrir le débat devant la représentation nationale. Vous modifiez, en catimini, l'équilibre des pouvoirs en matière de défense et de sécurité. Vous bousculez le consensus national autour de l'ordonnance de 1959. Ce rapport annexé est hors programmation et mériterait un débat ad hoc devant la représentation nationale.

M. Josselin de Rohan, rapporteur.  - Ne vous en déplaise, le Livre blanc a été discuté au Parlement ! Jamais auparavant un Livre blanc n'avait été préparé par une commission comportant des personnalités extérieures, avec des parlementaires de l'opposition, dont vous-même ; jamais il n'y avait eu d'auditions publiques, jamais il n'avait été rendu compte de l'avancement des travaux devant les commissions parlementaires ; jamais un Livre blanc n'avait donné lieu à un débat en séance publique ! Ne versons pas dans la surenchère. Cet amendement sort du domaine de la loi. Le Gouvernement peut toujours faire approuver une déclaration, mais il est seul juge de l'opportunité.

M. Hervé Morin, ministre.  - Défavorable.

L'amendement n°92 n'est pas adopté.

M. le président. - Amendement n°47, présenté par Mmes Voynet, Blandin et Boumediene-Thiery et MM. Desessard et Muller.

Dans le deuxième alinéa du rapport annexé, supprimer les mots :

et qui se traduit en particulier par de nouveaux contrats opérationnels ;

Mme Dominique Voynet.  - Un contrat est un accord qui lie plusieurs parties par des obligations réciproques. Ici, les « contrats opérationnels » désignent davantage des objectifs à atteindre que de réelles obligations.

La rédaction de l'alinéa est en outre ambiguë : elle ne précise pas si les prérogatives du Président de la République et du ministre de l'intérieur sont élargies, aux dépens du ministre de la défense, à des contrats opérationnels dont le champ est élargi à la sécurité intérieure et civile.

M. Josselin de Rohan, rapporteur.  - La notion de contrat opérationnel est en usage dans les armées de longue date et revêt une signification concrète. Avis défavorable.

M. Hervé Morin, ministre.  - Défavorable.

L'amendement n°47 n'est pas adopté.

Prochaine séance aujourd'hui, mercredi 16 juillet 2009, à 9 h 30.

La séance est levée à minuit et demi.

Le Directeur du service du compte rendu analytique :

René-André Fabre

ORDRE DU JOUR

du jeudi 16 juillet 2009

Séance publique

A NEUF HEURES TRENTE

1. Suite du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la programmation militaire pour les années 2009 à 2014 et portant diverses dispositions concernant la défense (n°462, 2008-2009).

Rapport de M. Josselin de Rohan, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n°513, 2008-2009).

Texte de la commission (n°514, 2008-2009).

Avis de M. François Pillet, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (n°493, 2008-2009).

Avis de M. François Trucy, M. Jean-Pierre Masseret et M. Charles Guené, fait au nom de la commission des finances (n°548, 2008-2009).

A 15 HEURES ET LE SOIR

2. Questions d'actualité au Gouvernement.

3. Discours du Président du Sénat.

4. Déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur l'orientation des finances publiques pour 2010.

5. Éventuellement, suite du projet de loi relatif à la programmation militaire.