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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Remplacement d'un sénateur

Nomination d'une sénatrice en mission

Organisme extraparlementaire (Appel à candidature)

Audition au titre de l'article 13

Décisions du Conseil constitutionnel

Retrait d'une question orale

Modification à l'ordre du jour

Pénibilité, emploi des seniors, âge de la retraite : quelle réforme en 2010 ?

Commission des affaires sociales

Porte-parole des groupes

Questions-réponses-répliques

Évaluation de la LME

Débat sur le Moyen-Orient




SÉANCE

du mardi 12 janvier 2010

56e séance de la session ordinaire 2009-2010

présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires : M. Alain Dufaut, M. Jean-Paul Virapoullé.

La séance est ouverte à 14 h 35.

Le procès-verbal de la précédente séance est adopté.

Remplacement d'un sénateur

M. le président.  - M. le ministre de l'intérieur a fait connaître au Sénat qu'en application de l'article L.O. 320 du code électoral, Mme Marie-Agnès Labarre est appelée à remplacer, à compter du 8 janvier 2010, en qualité de sénatrice de l'Essonne, M. Jean-Luc Mélenchon, dont l'élection comme représentant au Parlement européen est devenu définitive. (Applaudissements sur les bancs CRC-SPG) Au nom du Sénat tout entier, je lui souhaite la bienvenue. Puissiez-vous, madame, trouver immédiatement votre place dans notre maison, grâce à l'accueil que vous feront votre groupe mais aussi l'ensemble des sénateurs !

Nomination d'une sénatrice en mission

M. le président.  - Par courrier en date du 24 décembre 2009, M. le Premier ministre a fait part de sa décision de placer, en application de l'article L.O. 297 du code électoral, Mme Fabienne Keller, sénateur du Bas-Rhin, en mission temporaire auprès de M. Michel Mercier, ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire, et de M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État chargé des affaires européennes. Cette mission portera sur la politique transfrontalière.

Acte est donné de cette communication.

Organisme extraparlementaire (Appel à candidature)

M. le président.  - Je vous informe que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation du sénateur appelé à siéger au sein de la commission permanente pour l'emploi et la formation professionnelle des Français de l'étranger. Conformément à l'article 9 du Règlement, j'invite la commission des affaires sociales à présenter une candidature.

Audition au titre de l'article 13

M. le président.  - J'informe le Sénat que M. le Premier ministre, par lettre en date du 6 janvier 2010, a estimé souhaitable, sans attendre l'adoption des règles organiques qui permettront la mise en oeuvre de l'article 13 de la Constitution, que la commission intéressée puisse auditionner, si elle le souhaite, M. Yannick d'Escatha, en qualité de président du conseil d'administration du Centre national d'études spatiales, dont le mandat viendra à échéance le 27 janvier prochain.

Acte est donné de cette communication.

Décisions du Conseil constitutionnel

M. le président.  - Par courriers en date du 29 décembre 2009, M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat les textes de deux décisions rendues par le Conseil constitutionnel qui concernent la conformité à la Constitution de la loi de finances rectificative pour 2009 et de la loi de finances pour 2010.

Acte est donné de ces communications.

Retrait d'une question orale

M. le président.  - J'informe le Sénat que la question orale n°719 de M. Alain Fouché est retirée, à la demande de son auteur.

Modification à l'ordre du jour

M. le président.  - La présentation des voeux à l'ensemble des membres du Parlement par M. le Président de la République, le mercredi 13 janvier 2010 à 17 h 30, ainsi que l'indisponibilité de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, cet après-midi pour le débat prévu sur le Moyen-Orient, ont des incidences sur notre ordre du jour de cette semaine.

Après concertation avec le Gouvernement, ainsi qu'avec les groupes et les commissions directement intéressés, je vous ai fait adresser dès le samedi 9 janvier une modification de l'ordre du jour.

Aujourd'hui, mardi 12 janvier 2010

Cet après-midi :

- Dans quelques instants est prévu un débat d'initiative sénatoriale intitulé « Pénibilité, emploi des seniors, âge de la retraite : quelle réforme en 2010 ? ». Programmé initialement dans le cadre du projet de loi de financement, nous avions décidé de le reporter dans le cadre d'une semaine de contrôle. Cette première est sans doute un exemple à suivre pour aérer la discussion du projet de loi de financement et du budget. L'année 2010, au reste, sera une année riche en débats, propositions et échanges sur le thème des retraites...

- Débat d'initiative sénatoriale sur l'évaluation de la loi de modernisation de l'économie.

Ce soir :

- Débat d'initiative sénatoriale sur le Moyen-Orient.

Afin que ce dernier débat se tienne dans de bonnes conditions, j'invite chacun des orateurs à respecter leur temps de parole cet après-midi. (M. Guy Fischer marque son scepticisme)

Mercredi 13 janvier 2010

A 14 heures 30 :

- Désignation d'un membre de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.

Ordre du jour réservé au groupe UMP :

- Proposition de loi visant à créer une allocation journalière d'accompagnement d'une personne en fin de vie.

Si l'examen de cette proposition de loi ne pouvait être terminé avant le départ collectif prévu vers 16 heures 30 pour le Palais de l'Élysée, ce débat ne serait repris, en raison de l'emploi du temps du ministre, que le jeudi suivant au soir. Des moyens particuliers de transport seront mis à disposition des sénateurs présents en séance s'il paraissait possible d'achever ce débat avant la cérémonie des voeux.

A 21 heures :

- Débat d'initiative sénatoriale sur l'évaluation de la loi sur le service minimum dans les transports.

Jeudi 14 janvier 2010

A 9 heures :

Ordre du jour réservé au groupe socialiste :

- Proposition de loi organique portant application de l'article 68 de la Constitution, présentée par MM. François Patriat et Robert Badinter et les membres du groupe socialiste.

- Question orale avec débat de M. Jean-Louis Carrère sur l'application de la loi du 3 août 2009 relative à la gendarmerie nationale.

A 15 heures :

- Questions d'actualité au Gouvernement.

A 16 heures 15 :

Ordre du jour réservé au groupe Union centriste :

- Proposition de loi relative à la création des maisons d'assistants maternels, présentée par M. Jean Arthuis et plusieurs de ses collègues.

Suite de l'ordre du jour réservé au groupe UMP :

- Proposition de loi relative aux délais de paiement des fournisseurs dans le secteur du livre.

Éventuellement, le soir :

- Suite de la proposition de loi visant à créer une allocation journalière d'accompagnement d'une personne en fin de vie.

Pour finir, chers collègues, permettez-moi d'insister encore sur le respect du temps de parole.

Pénibilité, emploi des seniors, âge de la retraite : quelle réforme en 2010 ?

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat d'initiative sénatoriale « Pénibilité, emploi des seniors, âge de la retraite : quelle réforme en 2010 ? », programmé à la demande de la commission des affaires sociales.

Commission des affaires sociales

M. Dominique Leclerc, rapporteur de la commission des affaires sociales.  - L'année 2010 doit être l'occasion de remettre à plat notre système de retraite, affirmait le Président de la République devant le Parlement réuni en Congrès le 22 juin 2009. De fait, la modification des paramètres actuels apparaît inéluctable compte tenu de la dégradation des comptes de la branche vieillesse, accélérée par la crise. La première façon d'agir sur le pilotage du système de répartition consisterait à réduire le montant des pensions de retraite. J'exclus d'emblée ce scénario -j'y insiste car on me fait parfois dire le contraire- qui reviendrait à abaisser le niveau de vie des retraités, déjà peu élevé pour certains d'entre eux. Deuxième solution, la hausse des cotisations de retraite. Cette solution a le mérite de la simplicité. Mais, à moins que l'augmentation ne soit compensée par une diminution équivalente d'autres cotisations, elle pèserait sur la compétitivité de l'emploi et aboutirait à taxer plus fortement les jeunes générations que les précédentes, au risque d'affaiblir encore la solidarité intergénérationnelle. La troisième, privilégiée jusqu'à présent, est l'allongement de la durée de cotisation pour bénéficier d'une retraite à taux plein. En 2003, il a été décidé de porter cette durée à 41 annuités en 2012.

Doit-on désormais la porter à 42, voire à 43 annuités ? Du fait de l'augmentation de l'espérance de vie, ce serait légitime, mais l'allongement de la durée de cotisation ne produit que des effets limités sur l'âge effectif de départ en retraite. Ainsi, selon le Conseil d'orientation des retraites (COR), le recul de l'âge moyen de départ en retraite dû à la réforme de 2003 ne serait que de deux mois et demi dans le secteur privé et d'un an et demi pour les fonctionnaires.

En revanche, la remontée de l'âge légal de départ à la retraite aurait des effets plus importants. Fixé à 60 ans en 1983, cet abaissement avait été vécu comme un progrès social. Mais, aujourd'hui, la retraite à 60 ans contredit les évolutions démographiques. L'espérance de vie ne cessant d'augmenter, la période consacrée au travail au cours d'une vie est de moins en moins longue. En 1960, on passait près des trois quarts de sa vie au travail ; aujourd'hui, seulement la moitié. La logique voudrait donc que l'âge légal de départ en retraite soit repoussé, comme l'ont fait plusieurs de nos voisins européens.

Cependant, ce levier se heurte à deux obstacles de taille : le taux d'emploi des seniors et la pénibilité. La France présente malheureusement l'un des taux d'emploi des seniors les plus bas des pays développés : il n'est que de 38 %. Cette singularité résulte des politiques publiques menées depuis les années 1970 jusqu'à la fin des années 1990. Au nom de la sauvegarde de l'emploi, notre pays a incité les salariés les plus âgés à partir en préretraite pour laisser la place aux plus jeunes. Avec la multiplication des mesures d'âge, les seniors ont fini par être considérés comme inemployables. La politique de cessation anticipée d'activité des travailleurs âgés est devenue une véritable « culture de la sortie précoce », partagée par tous les acteurs du marché du travail.

Fort heureusement, cette tendance est en train de s'inverser. Je salue les efforts du Gouvernement à l'occasion de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009. Lorsqu'il était ministre, M. Gérard Larcher avait voulu favoriser l'emploi des seniors, mais les partenaires sociaux n'avaient pas fait preuve d'un enthousiasme délirant.

M. le président.  - L'enthousiasme était contenu ! (Sourires)

M. Dominique Leclerc, rapporteur.  - C'est le moins que l'on puisse dire ! A l'époque, vous avez été bien seul pour mener cette nouvelle politique.

De réelles avancées en matière d'emploi des seniors ont eu lieu depuis grâce à la libéralisation du cumul emploi-retraite, à la revalorisation de la surcote, à l'aménagement de la mise à la retraite d'office ou à la récente conclusion d'accords dans les entreprises. S'il est encore trop tôt pour dresser le bilan de ces mesures, les premiers résultats sont encourageants : la mobilisation pour l'emploi des seniors est en marche.

Je crois néanmoins indispensable, dans le contexte économique actuel, de l'amplifier. La crise ne doit pas servir d'alibi pour revenir aux mauvaises pratiques d'éviction des seniors dans le but d'ajuster les effectifs des entreprises ou d'éviter les licenciements économiques.

J'en viens au lien entre emploi des seniors et âge de départ à la retraite. La question de son relèvement doit s'apprécier au regard de la situation de l'emploi des seniors, car reporter l'âge de la retraite ne conduit pas mécaniquement à un recul équivalent de l'âge de cessation d'activité. Une récente étude montre que l'âge auquel les personnes cessent définitivement de travailler et celui auquel elles liquident leur droit à la retraite ne coïncident que rarement. Les Français arrêtent de travailler, en moyenne, un an et demi avant de prendre leur retraite : entretemps, ils sont en invalidité, en préretraite ou au chômage. Dans ces conditions, retarder l'âge de départ à la retraite sans favoriser le maintien dans l'emploi des seniors aboutirait à créer des demandeurs d'emploi supplémentaires.

Second obstacle : la pénibilité. Celle-ci mesure les inégalités d'exposition aux risques professionnels. La généralisation de la prolongation de la vie active serait donc inéquitable. La loi relative à la retraite de 2003 prévoyait une négociation interprofessionnelle : elle a commencé en février 2005 mais, en dépit de quelques avancées sur la prévention, elle s'est soldée par un échec en juillet 2008.

Il convient d'abord de privilégier une approche individuelle de la pénibilité tout en posant des règles collectives. Ce n'est pas le métier qui définit la pénibilité mais plutôt ses conditions d'exercice. Ainsi, une infirmière n'exerce pas le même métier selon qu'elle travaille dans un service de soins palliatifs, dans une maternité ou dans un établissement scolaire.

La mise en place d'un système trop généreux risquerait d'être financièrement très coûteuse. En outre, il ne faudrait pas que la promesse de préretraite permette d'imposer en retour à certains travailleurs des conditions de travail difficiles. Enfin, notons que le débat sur la pénibilité est une spécificité française : aucun pays européen n'a mis en oeuvre un tel dispositif.

Quel que soit le ou les paramètres qui seront modifiés, le problème du financement des régimes de retraite ne sera pas résolu pour autant. Il ne peut s'agir que de mesures de court terme, compte tenu de l'ampleur des besoins de financement à satisfaire à l'horizon des années 2020 et 2050. Selon les simulations de la Cnav, passer d'un âge légal de retraite de 60 à 62 ans apporterait au régime général 6,6 milliards en 2020 et 5,7 milliards en 2050 sur un déficit prévisionnel de 46 milliards.

Au-delà de cette étape d'ajustement, il est donc indispensable de réfléchir à d'autres modes de gestion de l'assurance vieillesse car elle ne permettra pas d'enrayer la dégradation des comptes de la branche vieillesse ni de répondre au vieillissement démographique. Et je n'ai pas du tout évoqué les besoins de financement des pensions civiles et militaires qui sont proportionnellement encore plus importants et inquiétants.

A l'initiative de notre commission, le Parlement a demandé au COR d'étudier les conditions dans lesquelles on pourrait transformer nos régimes par annuités en régimes par points, voire en « comptes notionnels » sur le modèle suédois.

M. Guy Fischer.  - Ca ne marche pas !

M. Dominique Leclerc, rapporteur.  - Aucun de ces systèmes ne permet d'assurer le retour à l'équilibre financier d'un régime de retraite structurellement déficitaire, mais chacun d'entre eux présente des avantages et des inconvénients. La remise du rapport du COR, le 28 janvier, constituera donc une base de travail en vue du rendez-vous de 2010. (Applaudissements à droite et au centre)

Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales.  - Après l'excellente intervention de notre rapporteur, je souhaite vous livrer quelques observations. La première porte sur l'incidence du choc démographique sur notre système de retraite. Deux phénomènes le caractérisent : l'arrivée à l'âge de la retraite, à partir de 2006, des générations nées après la seconde guerre mondiale, le fameux papy boom, et l'augmentation de l'espérance de vie de six ans depuis le début des années 1980.

En 2050, la France comptera 70 millions d'habitants, mais une personne sur trois aura 60 ans ou plus et 11 millions de Français auront 75 ans et plus, contre 5 millions en 2005. Cette évolution structurelle emporte des conséquences irréversibles sur les régimes de retraite. Évidemment, le vieillissement de la population accroît mécaniquement les dépenses de retraite, qui progressent plus vite que les cotisations. Il en résulte des déficits croissants et vertigineux : 25 milliards, tous régimes confondus, en 2020 et près de 70 milliards en 2050. Inévitablement, nous devrons faire des efforts pour répondre à ces besoins de financement. L'allongement de la durée d'assurance et de la durée d'activité sera la meilleure garantie pour assurer un haut niveau de retraite, sans faire reporter sur les actifs de demain une charge démesurée.

Ma deuxième observation concerne un sujet à la périphérie de notre débat, mais qui lui est étroitement très lié : la prise en charge de la dépendance. D'ailleurs, le Gouvernement souhaite traiter ces deux dossiers en parallèle.

Dans leur grande majorité, nos concitoyens souhaitent rester chez eux le plus longtemps possible et considèrent le maintien à domicile comme une action prioritaire que l'État doit mettre en place. Il convient donc de renforcer l'aide aux tâches domestiques et à l'accompagnement des actes de la vie quotidienne, d'améliorer l'aménagement des logements et d'accroître les aides techniques. Dans tous ces domaines, les besoins sont immenses. Or, le secteur du maintien à domicile n'a pas encore pris son essor : il reste fragmenté entre différents décideurs, différents financeurs et différents acteurs. N'est-il pas surprenant que notre politique de maintien à domicile ne soit toujours pas pilotée et financée de façon cohérente ? La Cour des comptes avait rappelé, l'an dernier, qu'en dépit de ses recommandations, les intervenants autour d'une même personne étaient toujours aussi nombreux et aussi peu coordonnés.

Face à l'augmentation du nombre des services mandataires et prestataires d'aide à domicile, se pose la question de leur qualité et de la confiance qu'on peut leur accorder. Il y a donc aussi un défi qualitatif à relever dans le secteur du maintien à domicile.

Dès l'annonce, fin 2007, par le Président de la République, d'un projet de loi sur la prise en charge de la dépendance et la création d'un cinquième risque, le Sénat a constitué une mission commune d'information entre les commissions des affaires sociales et des finances, dont j'ai l'honneur d'être membre. Dans son rapport d'étape, notre mission a expliqué pourquoi le statu quo n'était pas tenable. Des efforts financiers très importants ont certes été engagés depuis plusieurs années -allocation personnalisée d'autonomie, création de la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, instauration d'une journée de solidarité- mais la dépense publique à mobiliser pour les personnes âgées en perte d'autonomie n'a cessé d'augmenter. Elle approche aujourd'hui la vingtaine de milliards, soit un peu plus de 1 % du PIB. Cela pose la question de la soutenabilité de la dépense publique : le nombre de personnes en situation de perte d'autonomie va continuer de croître, tandis que le poids déjà lourd des prélèvements obligatoires et la montée inéluctable des dépenses de maladie et de retraite liées au vieillissement de la population rendront nécessaires des arbitrages.

Partant de ce constat, notre mission préconise une plus grande équité en faveur des bénéficiaires de l'APA à domicile, avec un mécanisme de prise de gage sur patrimoine. Elle propose également de maîtriser le reste à charge en établissement et d'accroître l'efficience de la dépense en établissements d'hébergement, de mettre en place un financement mixte du cinquième risque, avec les assurances, les mutuelles et les institutions de prévoyance, afin de créer les conditions d'une bonne gouvernance de ce risque. J'espère que ces propositions pourront enrichir le projet de loi annoncé. (Applaudissements à droite et au centre)

M. le président.  - La Conférence des Présidents a attribué un temps de parole de dix minutes aux porte-parole de chaque groupe politique et de cinq minutes à la réunion des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe. Le Gouvernement répondra aux commissions et aux orateurs. Puis nous aurons une série de questions avec la réponse immédiate du Gouvernement. La durée de la discussion de chaque question est limitée à cinq minutes. La Conférence des Présidents a attribué deux questions aux groupes UMP et socialiste et une question aux groupes UC, CRC-SPG et RDSE.

Porte-parole des groupes

M. Gilbert Barbier.  - Réformer les retraites est un sacré travail, « la mère des batailles », comme vous le dites justement, monsieur le ministre.

La réforme Fillon de 2003 devait avoir réglé les choses jusqu'en 2012. Le Président de la République a décidé de s'y attaquer dès cette année, avec raison. Plus le temps passe, plus les responsables de la Caisse nationale d'assurance vieillesse s'alarment : après 8,2 milliards en 2009, on annonce un déficit de 10,7 milliards cette année. A quoi il faut ajouter les pertes des régimes de retraites complémentaires des salariés du privé Agirc et Arrco et la situation du FSV.

Certes, l'impact de la crise n'est pas négligeable : quand les salaires patinent et que le nombre de chômeurs s'accroît, les cotisations se réduisent. Mais le problème est aussi structurel : déséquilibre grandissant entre le nombre d'actifs et de retraités, allongement de l'espérance de vie. Les mesures prises en 2003 seront insuffisantes pour faire face au papy boom. Le rythme des départs reste élevé et, même si les pensions ne sont revalorisées qu'au rythme de l'inflation, la facture va continuer de s'alourdir. La France ne peut donc faire l'économie de nouvelles mesures qui ne se limitent pas à quelques aménagements des dispositions existantes.

Sauf à changer radicalement de logique, la réforme ne peut jouer que sur la durée de cotisation, l'âge de départ à la retraite, le montant des cotisations ou celui des pensions. Il est clair que la conjoncture actuelle limite les marges de manoeuvre mais il est permis d'espérer.

Une baisse des pensions affaiblirait le pouvoir d'achat des retraités et la machine économique ; elle serait contre-productive à tous points de vue. Il n'y a qu'à voir le nombre de retraités qui fréquentent déjà les Restos du coeur, le Secours populaire ou le Secours catholique.

Augmenter les cotisations serait sans doute efficace mais c'est une décision délicate, dans un pays où les prélèvements obligatoires sont déjà anormalement élevés et alors que la crise rogne le pouvoir d'achat des salariés.

On a jusqu'ici fait le choix d'allonger la durée minimale de cotisation pour toucher une pension à taux plein. Pour beaucoup de Français, cela repousse mécaniquement l'âge de départ à la retraite. L'entrée dans la vie active se faisant de plus en plus tard, il est de plus en plus difficile d'avoir ses annuités à 60 ans. Allons au bout de la logique et reportons l'âge légal de la retraite. Je sais que l'on touche là à un symbole important, mais discutons-en sans tabou. Il ne s'agit pas de remettre en cause le droit de profiter de quelques années paisibles mais d'être réaliste devant l'écart grandissant entre la durée de la vie et la durée de l'activité professionnelle.

Certains de nos voisins européens ont fixé à 65, voire 67 ans l'âge de départ à la retraite. La France a déjà la durée hebdomadaire de travail la plus courte, aura-t-elle aussi la durée de la retraite la plus longue ? Les Français seraient-ils moins endurants que les Allemands ou les Scandinaves ?

Le préalable est bien sûr d'avancer sur l'emploi des seniors et la pénibilité au travail. Avec un taux d'emploi des seniors de 39 %, contre 46 % en moyenne européenne, la France est en deçà des objectifs assignés par la stratégie de Lisbonne. Durant des décennies, notre pays a exclu de l'emploi les salariés les plus âgés pour, disait-on, laisser la place aux jeunes. Le licenciement d'un senior est souvent utilisé comme une préretraite déguisée, payée par l'assurance chômage. Le résultat est un échec sur tous les tableaux : notre protection sociale est menacée, les entreprises se privent de salariés à l'expérience et aux compétences précieuses, le chômage des jeunes continue de croître et les seniors n'ont d'autre horizon qu'une retraite au rabais.

Le Gouvernement n'est certes pas resté sans rien faire. Il a mobilisé les entreprises pour qu'elles prennent leurs responsabilités : plus de 8 000 entreprises et 80 branches ont finalisé un accord ou un plan d'action en faveur du travail des plus de 55 ans. Soyons francs, beaucoup de ceux-ci ont été bâtis en urgence pour échapper à la sanction financière applicable au 1er janvier. Il reste à démontrer qu'ils ne se limiteront pas à des déclarations d'intention. Avez-vous des remontées de l'enquête qualitative que vous avez lancée ?

Quoi qu'il en soit, gardons-nous d'instaurer des quotas et de pénaliser les PME. Ces dernières ne disposent pas des compétences pour mener à bien une politique de gestion des salariés âgés. De surcroît, pour beaucoup d'entre elles, la crise n'est pas un vain mot ; elles luttent avant tout pour leur survie. Je crains que le délai de trois mois qui leur a été accordé ne suffise pas.

Cette évolution attendue sur l'emploi des seniors ne peut faire l'économie d'une réflexion sur la pénibilité au travail : comment maintenir un salarié âgé sur un poste de maintenance en chaudronnerie, un poste exposé aux intempéries ou supposant le port répété de charges lourdes ?

La négociation interprofessionnelle sur la définition et la prise en compte de la pénibilité, prévue par la réforme de 2003, a échoué. Cela ne m'étonne guère car cette notion de pénibilité est difficile à appréhender. S'agit-il d'un travail dangereux ? D'un travail qui induit une fatigue préjudicielle pour la santé ? D'une situation dans laquelle l'intégrité physique ou mentale du travailleur serait altérée à plus ou moins longue échéance ?

Du fait de l'intensification des tâches, due aux 35 heures, à un management défaillant ou à une organisation du travail inefficace, de nombreux salariés souffrent au travail. Cela sera-t-il demain un critère de pénibilité ? Toute définition est délicate parce qu'il s'agit de la rencontre entre un individu et son emploi. Le stress lié à de fortes contraintes de temps peut être bien vécu. Le travail de nuit peut être un choix.

Tout dépend de l'objectif. Si c'est la prévention, tous les facteurs de risque pour la santé doivent être pris en compte. Si c'est un objectif de compensation, c'est le caractère durable, identifiable et irréversible des dégâts physiques ou psychiques qu'il faut retenir, le critère le plus évident étant la réduction statistique de l'espérance de vie. Pouvez-vous nous confirmer, monsieur le ministre, que les négociations ont avancé sur ce point ? Quels facteurs de pénibilité a-t-on retenus pour ouvrir le débat sur la compensation ?

Car c'est là que se cristallisent les divergences. Certains proposent un droit collectif de départ anticipé à la retraite ouvert sur des critères de pénibilité. D'autres préfèrent un dispositif de réparation proche du mécanisme de l'invalidité, donc avec un examen médical individuel. Je ne suis pas sûr de partager l'une ou l'autre de ces conceptions. La retraite anticipée peut se justifier pour certains cas, mais elle n'est pas la solution pour beaucoup d'autres. De surcroît, elle ne concerne pas les travailleurs non salariés qui peuvent avoir aussi des métiers pénibles, et je pense là, en particulier, aux agriculteurs.

Ceux qui ont acquis une expérience peuvent travailler autrement. Ne négligeons pas la piste du reclassement ni celle du temps partiel en fin de carrière. Les salariés pourraient être mis sur des postes moins durs, comme en Europe du nord. C'est alors que, du point de vue de l'équité, on peut envisager des départs anticipés ou des retraites bonifiées pour ceux qui sont prématurément usés.

Mais cela ne doit pas devenir la règle. Il faut privilégier la prévention, en améliorant les contraintes techniques et l'organisation du travail, et la formation tout au long de la vie, qui facilitera une seconde carrière ou un reclassement. (Applaudissements à droite, au centre et sur plusieurs bancs socialistes)

M. Guy Fischer.  - L'année 2010 devrait marquer une nouvelle étape de régression pour nos retraites (M. le rapporteur s'exclame) et les salariés s'inquiètent. Ils connaissent votre façon de procéder, par touches successives !

En 1993, pour les salariés du privé, passage à 40 annuités de cotisations, prise en compte des 25 meilleures années et indexation des retraites sur les prix. Résultat : baisse de 10 à 15 % des pensions pour une carrière complète, de 20 à 25 % pour une carrière incomplète ! Selon le Conseil d'orientation pour les retraites, les économies provenaient pour 80 % de l'indexation et pour 4 % seulement du passage à 40 annuités. Mais on veut faire croire que, pour sauver notre système de retraite par répartition, il n'y a pas d'autre solution que de travailler encore plus longtemps...

En 2003, vous avez allongé la durée de cotisation pour les fonctionnaires. Quant aux mesures « phares » que représentaient le dispositif « carrières longues » et le rachat des années d'études, elles ont été progressivement vidées de leur substance. Malgré les réformes Balladur, Fillon et des régimes dits spéciaux, les comptes sociaux sont dans le rouge. Le déficit de la branche vieillesse devrait atteindre 11,3 milliards en 2010. Vous prenez prétexte de cette situation pour porter de nouveaux coups à notre système par répartition ! Vos regards convergent vers l'Allemagne qui portera l'âge légal de départ à la retraite à 67 ans à partir de 2012. (M  le rapporteur s'exclame)

Mais avec l'explosion du chômage, de la précarité, du temps partiel subi, c'est un non-sens, d'autant que n'ont pas été résolues les questions fondamentales que sont l'emploi des seniors et la pénibilité. Sans parler de l'emploi des jeunes, car tout est lié. Avec seulement 38,2 % des 55 à 64 ans en activité, la France fait figure de dernier de la classe européenne.

Je doute que la sanction financière égale à 1 % de la masse salariale pour les entreprises n'ayant pas conclu d'accord sur l'emploi des seniors ou n'ayant pas mis en oeuvre un plan d'action si les négociations ont échoué, instaurée lors du PLFSS pour 2009, apporte une réponse durable. Huit mille entreprises ont mis en place un tel dispositif ; pour les deux tiers, il s'agit de plans d'action. La loi invite les employeurs à contourner les partenaires sociaux ! Et quand bien même ces plans d'action seraient mis en oeuvre, les effets risquent d'être modestes : si 80 % des employeurs envisagent d'organiser la transmission des savoirs et le tutorat, ils ne seraient que 20 % à compter favoriser l'emploi immédiat de seniors.

Dans ce contexte, envisager d'allonger la durée de cotisations ou de reculer l'âge légal de départ est une provocation. Cela pénaliserait les salariés qui ont commencé à travailler tôt, d'autant que le Gouvernement a encore durci les conditions d'accès au dispositif « carrières longues ». Il en est de même de la suppression progressive de la dispense de recherche d'emploi pour les chômeurs approchant les 60 ans, alors qu'on incite les employeurs à se séparer de salariés censés être moins productifs et plus chers !

La prise en compte de la pénibilité doit être une priorité, alors que les négociations sont gelées depuis le 16 juillet. La faute au patronat, qui a longtemps nié que le travail pouvait être nocif à la santé des salariés puis refusé d'envisager un dispositif de retraite anticipée et de réparation, et au Gouvernement, pour avoir laissé s'enliser les négociations. Celles-ci ont toutefois permis la reconnaissance progressive de l'impact potentiellement nocif du travail sur la santé. L'espérance de vie d'un salarié est de sept ans inférieure à celle d'un cadre !

Première catégorie de pénibilité : les accidents du travail et les maladies professionnelles. Aux employeurs d'améliorer les conditions de travail, aux pouvoirs publics d'adapter les règles et les outils de prévention.

Une seconde catégorie de pénibilité est liée aux conditions mentales ou psychiques de travail, c'est-à-dire au stress. La solution passe par une modification des conditions et des rythmes de travail.

Enfin, troisième catégorie de pénibilité, celle qui résulte de l'exposition à un facteur nocif pour la santé. Le salarié dont l'espérance de vie est ainsi réduite doit bénéficier d'une retraite anticipée. Or le patronat estime ne pas avoir à financer cette mesure et entend conditionner ce départ anticipé à l'approbation d'une commission médicale, véritable « mécanisme d'invalidité bis » selon la CGT. Avec les syndicats, nous refusons cette logique médicale. L'appréciation de la pénibilité doit reposer sur la reconstitution de la carrière du salarié. Le système de commissions préconisé par le Medef reviendrait à avancer de quelques mois à peine la retraite des salariés malades du travail !

Le 10 juillet dernier, monsieur le ministre, vous déclariez : « Plusieurs solutions sont envisageables. On peut envisager une capitalisation plus grande ». Le mot est lâché !

M. Dominique Leclerc, rapporteur.  - Et alors ?

M. Guy Fischer.  - Les salariés savent que vous ferez tout pour substituer ce système individualiste et inégalitaire à notre système actuel, fondé sur la répartition et la solidarité. Nous espérions pourtant que la majorité avait été échaudée par la crise : ce sont 2 000 milliards de dollars placés dans des fonds de pensions qui ont disparu en quelques mois !

Enfin, nous sommes hostiles à un régime unique par points, qui nous ferait passer d'un régime à prestation définie à un régime à cotisations définies et entraînerait, à terme, l'effondrement des retraites par répartition.

Le maintien du départ à 60 ans passe par une réorientation radicale des finances sociales. Votre majorité organise sciemment l'appauvrissement de notre système en refusant de taxer les revenus du capital, d'élargir l'assiette de cotisations et en favorisant les emplois précaires. Alors que la part de richesse consacrée aux dépenses salariales a chuté de 72,8 % en 1970 à 66,2 % en 2000, vous offrez aux employeurs pour 30,7 milliards d'exonérations de cotisations ! Voilà la cause du déficit !

Je vous rappelle nos quatre propositions : réforme de l'assiette des cotisations ; cotisation sur les revenus financiers des entreprises et des institutions non financières ; mobilisation en faveur de l'emploi ; suppression des exonérations de cotisations, qui ont progressé de 13,1 % en 2008.

Mais la manière dont le ministre de la santé traite le volet « pénibilité » du travail infirmier -portant le départ de 55 à 60 ans en compensation de l'avantage accordé sur la pénibilité- augure bien mal de ce débat... (Applaudissements à gauche)

M. René Teulade.  - Tous les responsables politiques ont affirmé la nécessité de réformes pour garantir l'avenir des retraites par répartition, « expression de la solidarité entre les générations » et « facteur de cohésion nationale ». Pour être comprises et acceptées, ces réformes doivent faire l'objet d'une véritable concertation, sans opposer les retraités aux cotisants, le secteur privé au secteur public, les différents régimes entre eux. Notre assemblée en est convaincue. L'allongement de l'espérance de vie est un progrès considérable de l'humanité. Loin de se limiter à un simple débat financier, la question des retraites relève d'un choix de société. (Marques d'approbation sur les bancs socialistes)

En outre, l'avenir des retraites est une question mouvante, pour laquelle il n'y a pas une solution définitive mais, nécessairement, des adaptations successives. Si l'on veut éviter de privilégier ces deux instruments immédiatement utilisables que sont la baisse du niveau des retraites et la hausse des prélèvements obligatoires, d'autres éléments doivent entrer en ligne de compte, tels que l'emploi, l'augmentation des effectifs cotisants, la réduction du temps de travail, le taux de croissance et le partage de ses fruits, les politiques salariales, l'assiette des cotisations ou la place que notre société entend faire aux retraités. La période de la « troisième vie » permet aux aînés de jouer un rôle actif, social et économique. 30 % des maires ont plus de 60 ans et, dans une société où le temps fait souvent défaut aux actifs, les jeunes retraités soutiennent souvent leurs parents handicapés ou, sur le plan financier, leurs enfants et petits-enfants.

Renverser l'attitude à l'égard des fins de carrière, pour les adapter à la durée allongée de cotisations, nécessite une évolution des comportements des entreprises, des salariés et une modification des dispositifs existants. La cessation brutale et anticipée d'activité est un gaspillage d'expérience et de savoir qui se traduit souvent par des problèmes de santé liés à la rupture des rythmes de vie et à un sentiment d'inutilité sociale. Il faut instaurer dans les entreprises une politique nouvelle et négociée de gestion des âges, et notamment des deuxièmes parties de carrière professionnelle pour les métiers éprouvants qui ne peuvent plus être poursuivis au-delà de 60 ans.

Le choix, fait il y a soixante ans, d'un système solidaire fondé sur la répartition n'est pas négociable car il a permis au plus grand nombre d'accéder, par une retraite décente, à la dignité dans cette troisième partie de la vie. Quelles que soient les évolutions démographiques, ce sont l'emploi, la croissance, la répartition des richesses et, en fin de compte, la politique économique et sociale qui détermineront la capacité de nos régimes de retraite à respecter ce contrat de solidarité entre les générations. A défaut, après la lutte des classes, ce serait la lutte des générations ! (Applaudissements à gauche)

Mme Christiane Demontès.  - Dans notre pays, le taux d'emploi des 55-64 ans avoisine 38 % contre 45 % en moyenne européenne : nous sommes loin de l'objectif de Lisbonne fixant ce taux à 50 % des seniors dès cette année. Avec la crise, la situation s'est encore dégradée et en France, nous avons la particularité -dont nous n'avons pas à être fiers- d'un taux d'activité très bas des seniors comme des jeunes...

Depuis le 1er janvier, les entreprises d'au moins 50 salariés non couvertes par un accord ou un plan d'action pour l'emploi des seniors se verront infliger une amende égale à 1 % de leur masse salariale.

M. Guy Fischer.  - Cela a été reporté !

Mme Christiane Demontès.  - Oui mais, en plus, permettez-moi de douter de l'efficacité d'une telle loi. Quel sera l'effet de cette amende sur des entreprises qui dégagent des millions d'euros de bénéfices ?

La question de l'emploi des seniors renvoie aussi à la pénibilité, laquelle avait conditionné l'adoption de la réforme de 2003. Six ans après, le constat est amer. Malgré 18 séances de travail entre partenaires sociaux, le dispositif de prise en compte n'a jamais vu le jour, du fait du refus du patronat de financer toute compensation de la pénibilité.

Ce ne serait pourtant que justice : il suffit de se référer au rapport de l'Ined, La double peine des ouvriers, pour s'en convaincre. On y observe qu'à 35 ans, les hommes cadres supérieurs ont une espérance de vie moyenne supérieure de six ans à celle d'un ouvrier et que le différentiel est de deux ans pour les femmes. Ces cadres supérieurs vivront 34 de leurs 47 années d'espérance de vie sans handicap ou incapacité de type 1 -de vue, de mobilité-, soit dix ans de plus qu'un ouvrier. Pour les femmes, l'écart est de huit années...

Malgré cette réalité, dans la jurisprudence ou le droit positif, les références à la pénibilité demeurent fragmentaires et ne renvoient à aucune disposition du code du travail. Si, au regard de la loi, un travail peut être considéré comme dangereux, il n'est pas nécessairement pénible. C'est ce qui ressort du jugement prononcé par la cour d'appel de Paris le 9 juin 2004, lequel affirme que « le risque grave ne saurait être constitué par la seule pénibilité du travail ». Le code du travail ne fait pas d'amalgame entre pénibilité liée à l'exercice d'une fonction et mauvaises conditions de travail. Or, certains départs anticipés, souvent instaurés en guise de traitement social du chômage, sont en lien avec la pénibilité du travail, notamment dans le cas des travailleurs de l'amiante.

Force est de constater que le patronat comme l'actuelle majorité cherchent à en limiter le champ d'application aux seuls salariés ayant développé une maladie ou à rendre l'accès à la préretraite uniquement individuel. Nous ne sommes plus là dans une logique de compensation mais de réparation, et c'est ce qui explique l'échec des négociations interprofessionnelles sur la pénibilité du travail. A la logique de compensation prônée par les syndicats de salariés s'oppose celle de la réparation de l'usure. Le Medef a proposé qu'en fonction de facteurs de pénibilité préalablement déterminés, le salarié qui satisferait aux critères d'éligibilité pourrait, deux ans avant son départ en retraite, accéder à un mi-temps, le mi-temps non travaillé étant financé par la solidarité nationale. Ainsi, les employeurs, même responsables, ne seraient pas mis à contribution. Pire, c'est le salarié qui financerait les conséquences de sa dégradation. Ce n'est pas sans rappeler les franchises médicales...

Comment ne pas s'inquiéter à la lecture du rapport -adopté par la majorité- du député Poisson qui reprend les positions du Medef. Le rapporteur « n'est pas favorable à une mise en place des retraites anticipées ou cessations anticipées d'activité ou à une augmentation des droits à pension de retraite pour les travailleurs ayant été exposés à la pénibilité ». Il ajoute que « si des différences réelles en matière d'espérance de vie sont constatées entre les ouvriers et les cadres, il est impossible de considérer que la seule cause de cet écart provient des conditions de travail. La santé est une réalité suffisamment personnelle pour que soient également évoquées des considérations qui touchent au mode de vie des personnes et en particulier à la qualité de leur accès aux soins non moins qu'à leurs habitudes »...

Cela laisse sans voix... Prendre ce rapport comme base de travail des futures négociations ne répondrait pas aux attentes des partenaires sociaux. Des différences subsistent entre les organisations de salariés et d'employeurs, mais elles se sont accordées sur trois facteurs principaux de pénibilité : contraintes physiques, environnement de travail agressif et rythmes de travail. C'est sur cette base que nous devons travailler.

Les écarts entre espérances de vie justifient d'accorder des avantages spécifiques aux salariés qui ont subi des conditions de travail pénibles. Ces avantages ne doivent pas être uniquement pris en charge par collectivité. Les employeurs et le Gouvernement ne sauraient prendre prétexte du coût du travail dans la compétition internationale pour s'exonérer de leurs responsabilités. (Applaudissements à gauche)

M. Gérard Dériot.  - M. Milon, empêché, m'a demandé de le remplacer, ce que je fais avec grand plaisir.

L'occasion nous est donnée d'affirmer notre volonté de faire évoluer notre système de retraites pour lequel les réformes sont plus que jamais nécessaires, au vu des déficits croissants. Pour l'ensemble des régimes obligatoires de base, le déficit devrait être de 9,5 milliards en 2009 et il atteindrait, à législation constante, près de 15,7 milliards en 2013. A cela s'ajoute celui du Fonds de solidarité vieillesse qui sera de 3 milliards en 2009.

Deux origines à cette dégradation. La crise économique a provoqué la montée du chômage. Aussi la branche vieillesse est-elle touchée par une forte baisse de ses rentrées de cotisations salariales et le Fond de solidarité vieillesse par la diminution de ses rentrées de CSG. Mais nous devons reconnaître que, face à la crise, notre système de retraite par répartition a fait la preuve de sa solidité. Contrairement à certains pays de l'OCDE, en France, les pensions de retraite n'ont pas diminué et l'épargne retraite n'a pas souffert de la crise boursière.

A ce déficit conjoncturel s'ajoute un déficit structurel qui ira en s'aggravant avec la progression continue de la masse des pensions, due aux facteurs démographiques et à l'augmentation de l'espérance de vie. Il est donc essentiel d'apporter des réponses structurelles pour assurer la viabilité financière et sociale de notre système de retraite.

Dans la loi de financement pour 2009, nous avions voté des mesures incitant nos compatriotes à travailler plus longtemps.

Selon une étude récente de la Cnav, la surcote a produit ses premiers effets : le nombre de nouveaux retraités bénéficiaires de ce bonus a augmenté de 12,5 % au premier trimestre 2009, contre 9 % en 2008, 7 % en 2007 et 5 % en 2005 et 2006. La revalorisation de la surcote, passée de 3 % à 5 % par année supplémentaire n'y est sans doute pas étrangère. La même étude montre en outre la bonne connaissance qu'ont nos concitoyens du dispositif de cumul emploi-retraite, dont l'objectif est de permettre aux travailleurs âgés d'arbitrer librement entre un départ à la retraite choisi et la poursuite d'une activité professionnelle. Il doit être pérennisé.

D'autres sujets devront être abordés. Comme l'a souligné le Président de la République dans son discours du 22 juin devant le Congrès, « il faudra tout mettre sur la table, l'âge de la retraite, la durée de cotisation, la pénibilité (...) Toutes les options seront examinées ». L'année 2010 doit en effet être l'occasion de mettre à plat notre système de retraite, avec pour fils directeurs la solidarité intergénérationnelle et la simplification de nos dispositifs. Une réforme en profondeur est nécessaire pour garantir la pérennité de notre système par répartition ; elle doit s'accompagner d'un changement dans les comportements et les habitudes de tous les acteurs, une évolution qui encourage l'allongement de la vie professionnelle. Aucun thème n'est tabou, quand on sait que le taux d'emploi des 55-64 ans est en France de 25 % contre 48 % en moyenne dans les pays de l'OCDE et que le poids des plus de 65 ans par rapport aux 20-64 ans passera d'ici 2050 à 46 % -il n'est que de 22 % aujourd'hui.

Pour favoriser l'emploi du plus grand nombre de travailleurs, notamment des seniors, des mesures telles que la suppression de la contribution due par les entreprises qui licencient des plus de 50 ans, l'augmentation de la surcote ou la mise en place du droit individuel à la formation vont dans le bon sens. Il est impératif de supprimer tous les dispositifs qui subventionnent le retrait anticipé de la vie active, et en premier lieu les préretraites. L'âge effectif de départ à la retraite est aujourd'hui inférieur de deux à trois ans à l'âge légal, ce qui peut aussi s'expliquer par les critères d'admissibilité aux allocations chômage sans recherche active d'emploi, qui permettent aux chômeurs âgés de passer directement du chômage à la retraite. Pour relever l'âge de cessation d'activité, il est nécessaire d'assurer aux travailleurs âgés de réelles perspectives d'emplois de qualité.

Les comportements doivent changer. Ceux des entreprises, qui doivent comprendre que les travailleurs âgés sont une richesse, éviter toute discrimination à leur égard, investir dans leur formation, aménager leurs horaires et leurs conditions de travail. Ceux de l'État, qui doit adapter sa politique et faire en sorte que le service public de l'emploi réponde mieux aux besoins spécifiques des travailleurs âgés et favorise leur insertion sur le marché du travail. Ceux de nos concitoyens enfin, qui doivent se préparer à l'idée de carrières plus longues. Ce qui n'empêche pas de prendre en compte les questions de la pénibilité et des carrières longues ; il y va de l'équité.

Sans réforme, sans changement des comportements, ce sont nos enfants et petits-enfants qui seront pénalisés. Le débat doit être lancé. Nous soutenons la volonté d'agir du Gouvernement. (Applaudissements à droite)

M. Nicolas About.  - Pénibilité, emploi des seniors, âge de la retraite : ce débat semble taillé pour la Haute assemblée... (Sourires) La situation de notre système de retraites est préoccupante : 8 milliards d'euros de déficit en 2009, 11 prévus en 2010 et 13 en 2012 ; nous avons atteint en 2007 le niveau que le COR prévoyait pour 2020... Certes, le retournement conjoncturel pèse sur les comptes, mais la reprise ne permettra en aucun cas de rééquilibrer la branche. La dégradation du rapport démographique est structurelle : on comptait 3,8 actifs pour un retraité en 1970, on n'en compte plus que 1,43. Le solde se dégrade continûment depuis cinq ans en dépit des réformes déjà engagées.

C'était hélas prévisible. Je ne minimise pas l'importance de la loi de 2003, mais nous savions que cette courageuse réforme, présentée alors comme décisive, ne couvrirait que la moitié des besoins de financement. Il faut aujourd'hui en couvrir l'autre moitié. Et il faut le faire vite. Le groupe de l'Union centriste salue le volontarisme politique du Président de la République, qui a souhaité avancer de deux ans la remise à plat du dossier et en a fait à la fois le grand chantier de l'année 2010 et le marqueur de sa volonté de réforme. L'opinion est mûre, les travailleurs ont conscience que le statu quo n'est plus une option et sont prêts à faire des efforts -le récent sondage paru dans le JDD est à cet égard rassurant. Mais le consensus s'arrête sur la nécessité de faire ; les modalités de l'action sont encore inconnues -seules quelques pistes sont esquissées- et le calendrier reste un mystère.

Le groupe de l'Union centriste défendra une réforme globale, systémique et équitable. Globale parce qu'il faudra jouer gagnant-gagnant sur tous les thèmes, pénibilité -les partenaires sociaux ont échoué-, âge de départ, extinction des préretraites, surcote, cumul emploi-retraite, emploi des seniors. Systémique parce qu'il serait peu efficace d'agir séparément sur les paramètres que sont montant et durée de cotisation, montant des pensions, âge légal. Nous ne sommes a priori pas favorables à la remise en cause de ce dernier, qui aggraverait les crispations ; le départ à 60 ans est un symbole fort : passer à 62 ans ne comblerait de toute façon que 10 % des besoins de financement. Défendant depuis 2003 le remplacement de l'annuité par le point, idée qui depuis a fait son chemin, nous attendons avec impatience le rapport que le COR devrait rendre fin janvier sur les modalités du basculement vers un régime par points ou en comptes notionnels ; l'une ou l'autre de ces solutions nous semble à la mesure de l'enjeu. Nous vous interrogerons sur ce point, monsieur le ministre. La réforme ne sera enfin acceptable que si elle est équitable. Nous saluons l'effort de solidarité déjà engagé avec la revalorisation de 7 % du minimum vieillesse et la majoration de 11 % des petites pensions de réversion. Il devra être poursuivi à l'occasion de la réforme à venir. (Applaudissements à droite)

présidence de M. Jean-Claude Gaudin,vice-président

M. Xavier Darcos, ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville.  - La question des retraites est au croisement de trois enjeux fondamentaux : l'allongement de l'espérance de vie, qui est une chance pour chacun mais aussi un défi pour la pérennité de nos régimes ; le travail, notamment celui des seniors ; et la solidarité, thème qui recouvre aussi bien la pénibilité que la situation des retraités les plus modestes.

Je suis conscient de l'ampleur du sujet, de son urgence, de son importance aux yeux des Français. Du reste, tous les pays dans le monde sont confrontés au vieillissement de la population : c'est un phénomène que chaque société se doit de prendre en considération.

Le financement des retraites concerne directement la génération qui vient d'entrer dans la vie active et qui verra s'accroître de plus en plus la charge des retraites. Il faut dès aujourd'hui agir sur le déficit mais aussi sur la capacité du système à tenir les engagements. Le rapport entre le nombre de cotisants et le nombre de retraités sera de 1,5 dans dix ans et de 1,2 en 2050. Aujourd'hui déjà, à 1,8, une retraite sur dix n'est pas financée.

Le Président de la République a donc souhaité que nous engagions la réforme dès 2010. Je la prépare, avec deux objectifs : sauvegarder le système par répartition, dont la crise a bien montré qu'il est irremplaçable, et veiller à l'équité -ce qui exigera d'aborder la question de la fonction publique. Le Président de la République l'a dit devant le Congrès, toutes les questions seront sur la table. Le régime des fonctionnaires connaît une situation financière délicate, mais elle est masquée par le mécanisme d'équilibrage automatique du compte d'affectation spéciale « Pensions ». Le taux de cotisation de l'État est fixé de façon à maintenir l'équilibre : 44 % en 2000, 62 % aujourd'hui, contre 16 % environ pour les employeurs privés. Cela représente un déficit de près de 10 milliards d'euros, autant que celui du régime général. Si nous n'agissons pas, les contribuables continueront de supporter la charge de cette dérive financière.

La réforme des retraites sera nécessairement globale : on ne pourra demander des efforts seulement à certains. L'actuel gouvernement veut se montrer à la hauteur des efforts de certaines majorités dans le passé. Je pense au travail mené par le gouvernement Balladur en 1993, à la réforme courageuse de M. Fillon en 2003, ainsi qu'aux avancées décisives réalisées par mon prédécesseur M. Xavier Bertrand sur les régimes spéciaux. Tous ont cherché à concilier responsabilité et équité. Je regrette seulement que le bon sens et le courage se soient manifestés d'un seul côté : le bilan de l'actuelle opposition est inexistant...

M. Yves Daudigny.  - Et le fonds des retraites ?

M. Xavier Darcos, ministre.  - Si nous voulons sauvegarder le système des retraites par répartition, nous devrons soit allonger la durée de cotisation, soit réduire le montant des prestations, soit encore augmenter le montant des cotisations. Diminuer les pensions serait inacceptable. Quant aux cotisations, j'observe que nous avons déjà le niveau de cotisation le plus élevé d'Europe. Accroître la pression qui pèse sur les salariés serait le moyen le plus sûr de nuire à la compétitivité de l'économie. Dans un pays dont l'espérance de vie s'accroît d'un trimestre chaque année, nous n'avons d'autre solution que de travailler plus longtemps. Le partage « deux tiers, un tiers » posé par la loi Fillon entre la durée d'activité et la durée de retraite me paraît sain. Il a déjà trouvé à s'appliquer avec le passage à 41 annuités de cotisation d'ici 2012.

Travailler plus longtemps, c'est aussi augmenter l'emploi des seniors. Je veux en finir avec cette exception française : 39 % seulement de seniors en emploi, contre 44 % en moyenne dans l'Union européenne -l'objectif fixé par la stratégie de Lisbonne était de 50 % en 2010... Gâchis humain, mais aussi charge absurde pour nos finances publiques ! Je veux mettre un terme à cette injustice qui conduit à mettre à la porte des salariés en raison de leur âge...

Mme Christiane Demontès.  - D'accord.

M. Xavier Darcos, ministre.  - Au lieu de chercher à toute force à diminuer le temps d'activité, misons sur une création de richesses fondée sur la mobilisation de toutes les compétences. Je poursuis donc avec M. Laurent Wauquiez une politique volontariste en faveur de l'emploi des seniors ; elle a déjà fait ses preuves. Le taux de la surcote a été porté à 5 % pour les années accomplies au-delà de 60 ans et du taux plein : en conséquence, au premier trimestre 2009, le taux de recours à la surcote est en hausse de près de 50 %. Le cumul emploi-retraite a été ouvert à tous les salariés de plus de 65 ans et à tous les plus de 60 ans qui ont atteint le taux plein. L'âge des mises à la retraite d'office a été repoussé à 70 ans. Et la dispense de recherche d'emploi, véritable trappe à inactivité, sera progressivement supprimée. En outre, les entreprises de plus de 50 salariés devront être couvertes à partir de cette année par un accord de branche ou d'entreprise relative à l'emploi des seniors, faute de quoi une pénalité de 1 % de la masse salariale sera appliquée. Nous avons été entendus : déjà plus de 80 branches, représentant 12 millions de salariés, ont conclu ou vont conclure un accord en faveur de l'emploi des seniors, alors que seules quatre branches avaient décliné l'accord national interprofessionnel de mars 2006. Et les partenaires sociaux ne se sont pas bornés à respecter formellement les obligations légales : voyez les dispositions relatives à l'amélioration de la formation dans les industries chimiques, à la prévention de la pénibilité dans la grande distribution, au tutorat dans la métallurgie. De nombreuses branches ont créé un droit à temps partiel.

Pour travailler plus, il faut travailler mieux et équitablement. Cela impose de poser sans tabou la question de la pénibilité, en distinguant entre ce qui relève de l'amélioration des conditions de travail -objet du deuxième plan santé au travail que je présenterai vendredi au conseil d'orientation des conditions de travail- et ce qui relève de la compensation, laquelle exige de tenir compte de la pénibilité spécifique à certains secteurs. Nos longues discussions avec les partenaires sociaux ont déjà porté leurs fruits et je suis déterminé à aller plus loin.

D'autres sujets seront abordés. Le Président de la République l'a dit lors de ses voeux le 31 décembre ; la dépendance sera dans les prochaines décennies l'un des problèmes les plus douloureux pour les familles. Je salue le travail très utile réalisé par la mission d'information conjointe de vos commissions des affaires sociales et des finances, mission conduite par MM. Marini et Vasselle. L'objectif de notre réforme sera de rendre effectif le libre choix entre le maintien à domicile et le départ en maison de retraite ; et nous devons dans cette perspective envisager toutes les pistes de financement.

Ce débat porte au fond sur l'avenir même de notre démocratie sociale. Le Gouvernement ne négligera aucune idée pour concilier la diversité des situations avec les impératifs de l'intérêt général. Il sera donc attentif à vos remarques et vos propositions. (Applaudissements à droite)

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État chargé de l'emploi.  - Je remercie votre commission, et singulièrement M. Leclerc, expert sur ces questions.

Nous travaillons depuis plusieurs années sur l'emploi des seniors, d'abord sous l'impulsion de M. Gérard Larcher, puis de M. Hortefeux et à présent de M. Darcos qui met toute son énergie à faire avancer ce qui est, comme l'a rappelé avec humour M. About, une priorité majeure pour les Français... comme pour les sénateurs. (Sourires)

La France s'est enfermée depuis trente ans dans une spirale infernale, achetant des améliorations apparentes de la situation de l'emploi par les préretraites, aux dépens des seniors. Le recours à toutes les formes de préretraite s'assimile en effet à des injections de morphine et à long terme, il se révèle préjudiciable à la compétitivité et pénalisant pour les salariés. Le taux d'emploi des seniors en France -39 %, contre 70 % en Suède et près de 50 % en moyenne en Europe- est une exception. La responsabilité en revient aux politiques menées par les ministres successifs, qui ont camouflé les vrais chiffres du chômage par les préretraites ; elle en revient aussi aux employeurs et à leurs choix de gestion des ressources humaines. Enfin, les syndicats ont considéré les préretraites comme « du grain à moudre » pour gérer les conflits sociaux.

Résultat : année après année, les préretraites ont grimpé de façon vertigineuse, au point qu'en 1997 et 1998, leur niveau record a dépassé 100 000 personnes. C'est pourquoi nous conduisons depuis deux ans une politique très active sur le sujet. De nombreuses mesures ont été prises, comme la libéralisation du cumul emploi-retraite ou la fin des mises à la retraite d'office. Les résultats sont là : seuls 8 000 préretraites ont été décidées en 2009, uniquement en faveur des victimes de l'amiante.

Le deuxième volet concerne le meilleur accompagnement des demandeurs d'emploi seniors, dissuadés auparavant de rechercher un emploi, un scandale qui portait atteinte à leur dignité. Désormais, ils seront accompagnés dans leur recherche.

Le dernier volet concerne la gestion des âges dans les entreprises. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 enjoint aux branches et aux entreprises comptant au moins 50 salariés de signer avant le 1er janvier 2010 des accords ou des plans d'action destinée à recruter ou à maintenir des seniors dans l'emploi, avec des objectifs précis. M. Dériot a relevé que l'emploi des seniors avait progressé grâce à ces mesures. Que n'avons-nous entendu à leur propos ! Que l'emploi des seniors n'était pas une priorité en temps de crise, que le moment était mal choisi pour s'en occuper ! Nous avons repoussé les sirènes de la facilité si bien que pour la première fois en temps de crise depuis trente ans, le taux d'emploi des seniors a augmenté d'un point et demi pour avoisiner 40 %. Le chemin est long car inverser les mentalités culturelles relève d'une course de fond.

Aujourd'hui, 82 branches employant les trois quarts des salariés du secteur privé ont ouvert, et souvent conclu, des négociations. Plusieurs branches ont déjà déposé des accords. Je citerai l'Union des industries et des métiers de la métallurgie (UIMM), la Fédération française du bâtiment, l'Union des fédérations de transport et les industries alimentaires. Avec M. Darcos, nous avons accordé une certaine souplesse aux entreprises comptant 50 à 300 salariés qui pensaient à tort, mais de bonne foi, être couvertes par un accord de branche.

Madame Demontès, les accords conclus sont de bonne qualité. Ainsi, développer les compétences et les qualifications, l'accès à la formation et le tutorat est prioritaire pour 80 % des branches. Les trois quarts d'entre elles ont choisi d'anticiper l'évolution des carrières et la moitié ont décidé d'aménager les fins de carrière et d'améliorer les conditions de travail.

Il reste, comme dit M. Fischer, à utiliser ces outils sur le terrain. Monsieur About, des résultats concrets sont déjà observables, notamment pour diminuer le travail de nuit après 55 ans, ce dont le Parlement pourrait peut-être s'inspirer... (Sourires) Je mentionnerai aussi la validation du tutorat en faveur des jeunes salariés et la formation des recruteurs afin d'éviter toute discrimination fondée sur l'âge.

Ces mesures simples aboutissent à des résultats intéressants : ainsi, la Société générale a décidé d'augmenter de 30 % la proportion des seniors en formation ; lorsqu'ils travaillent à Carrefour, les seniors peuvent désormais passer d'un poste de nuit à un poste de jour et bénéficier d'un temps partiel progressif sans diminuer leur salaire à due concurrence.

Concrètement, nous ne nous contenterons pas d'accords de façade. La feuille de route est clairement définie et nous disposons des outils permettant d'évaluer l'application des accords. En février, nous allons réunir les branches professionnelles et les entreprises pour faire le point et envisager l'application effective ; fin avril, nous dresserons un premier bilan, qui pourra être transmis au Sénat.

Ainsi, la dynamique est progressivement enclenchée pour inverser la tendance : autrefois, les négociations portaient sur la mise à la retraite d'office des seniors ; aujourd'hui, elles ont pour objet leur accès concret à l'emploi. Cette bataille au long cours nécessite une grande opiniâtreté car il s'agit de changer notre vision de la société : alors que nous avons besoin de la solidarité entre générations, il était criminel de culpabiliser les seniors en prétendant qu'ils prenaient l'emploi des jeunes. Nous préparons l'avenir en conservant les seniors tout en préparant l'embauche des jeunes ! (Applaudissements à droite.)

Questions-réponses-répliques

M. François Fortassin.  - Pour le sujet qui nous préoccupe, la France est la lanterne rouge de l'Europe, ce dont nous nous passerions volontiers.

Des mesures ont été prises, annoncées par le Gouvernement depuis plusieurs années, sans être toujours suivies d'effet car de nombreuses entreprises ne jouent pas le jeu : elles rechignent trop souvent à recruter des salariés jugés plus chers et moins malléables, se privant ainsi d'une expérience et d'un savoir-faire inestimables. Il faut donc changer les mentalités.

Certes, plus de 8 000 entreprises de 80 branches ont signé des accords destinés à faciliter l'embauche de personnes âgées de plus de 55 ans mais l'obligation de résultat est insuffisante.

Il faut prendre en compte la pénibilité du travail car on peut être infirmière ou professeur d'éducation physique d'une certaine façon jusqu'à 45 ou 50 ans mais la pratique professionnelle doit ensuite changer. La recherche de la rentabilité maximum est source de stress pour les salariés, ce qui n'a jamais été de bonne gestion : il faut lui substituer de l'humanisme.

Que comptez-vous faire à ce propos ? Comment allez-vous soutenir l'emploi des seniors sans pénaliser les jeunes ? Comment allez-vous changer les mentalités ?

M. Xavier Darcos, ministre.  - La situation s'améliore peu à peu, le taux d'emploi des seniors ayant progressé de 2,6 points depuis 2002, pour atteindre 38,2 % entre 54 et 64 ans.

Le changement des mentalités est en cours, puisque l'on a longtemps cru aux dogmes du partage du travail, donc nous avons subi les conséquences destructrices avec les 35 heures ou la religion des préretraites. Mais notre pays a renoncé à ces démons.

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 comporte des mesures incitant les travailleurs âgés à prolonger leur activité, avec le relèvement de la surcote, l'autorisation du cumul emploi-travail et le report à 70 ans des mises à la retraite d'office. Je ne pense pas qu'un homme comme vous puisse défendre à contre-emploi la mise à la porte de salariés pour la seule raison qu'ils aient atteint 65 ans ! (Mouvements divers à gauche)

Enfin, nous avons incité les branches et les entreprises à conclure des accords portant sur l'emploi des seniors.

M. François Fortassin.  - La bonne volonté du Gouvernement est manifeste mais le syndrome du jeunisme est flagrant dans les entreprises. Je pense que l'on ne peut pas s'en remettre au temps pour changer les mentalités : il faut des mesures draconiennes !

Mme Janine Rozier.  - Le sujet dont nous parlons comporte deux aspects : l'accès à l'emploi et le maintien au travail, difficile malgré l'expérience acquise. Certains seniors subissent des pressions en vue d'un départ anticipé. Pour surmonter leurs difficultés, bien des entreprises envisagent en priorité une cessation progressive d'activité de leurs salariés seniors.

Actuellement, la France est un très mauvais élève en Europe, avec un taux d'emploi de seulement 38 % contre 46 % pour l'ensemble de l'Union. Cessons de considérer l'inactivité après 55 ans comme un moyen de réduire le chômage !

J'approuve les mesures inscrites dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, notamment la surcote de 5 % ou le cumul emploi-retraite.

Cette loi de financement pour 2009 prévoit également que les entreprises de plus de 50 salariés doivent, à partir du 1er janvier 2010, passer un accord d'entreprise ou de branche relatif à l'emploi des seniors, les contrevenants s'exposant à une pénalité équivalente à 1 % de la masse salariale. Si nous avons la volonté de promouvoir l'emploi des seniors, seul un changement de mentalité dans les entreprises peut conduire les seniors à retrouver la place qu'ils méritent dans notre société et à voir leur savoir-faire reconnu, notamment dans les métiers manuels, qui sont une école de premier choix pour les jeunes. Monsieur le ministre, vous nous avez fait part de certaines informations à ce sujet mais puis-je en espérer davantage ?

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État.  - Madame Rozier, seules les entreprises peuvent effectivement sortir l'emploi des seniors de la spirale infernale dans laquelle il se trouvait. Raison pour laquelle nous avons demandé aux entreprises des objectifs chiffrés très précis. Ensuite, nous avons identifié, avec l'aide du cabinet de Nicole Notat, Vigeo, six domaines d'action prioritaire : la non-discrimination à l'embauche, l'évolution des carrières professionnelles pour casser le couperet des 50 ans, l'amélioration des conditions de travail, l'amélioration de l'accès à la formation -car, à partir de 50 ans, les salariés ont deux fois moins de chance d'obtenir une formation-, l'aménagement des fins de carrière et la transmission des savoir-faire en direction des plus jeunes.

Pas moins de 12 millions de salariés sont aujourd'hui couverts alors que nous sommes partis de zéro ; belle performance obtenue grâce au travail conjoint avec les services de M. Darcos. Ces résultats sont également satisfaisants au plan qualitatif : l'accord de branche dans le commerce de gros assure un maintien de rémunération en cas d'inaptitude pour les plus de 55 ans, l'accord dans la métallurgie prévoit de passer la part des salariés de plus de 58 ans de 3 à 5 %, l'accord des industries textiles étend la validation des acquis de l'expérience pour les seniors expérimentés, l'accord des entreprises de la propreté favorise la formation.

Nous n'en sommes qu'au début du chemin, nous vous proposons d'y progresser ensemble !

Mme Janine Rozier.  - Permettez-moi d'insister sur la transmission du savoir-faire des seniors dans le bâtiment et les métiers d'art. Nos châteaux du Val de Loire, nos jeunes et nos cathédrales en ont besoin !

Mme Isabelle Pasquet.  - Permettez-moi de revenir, à mon tour, sur l'obligation faite aux entreprises de conclure un accord sur l'emploi des seniors. Le bilan est pour le moins contrasté, nonobstant la communication enthousiaste du Gouvernement : des plans d'action dépourvus de mesures concrètes dans les entreprises de plus de 300 salariés, sauf exception et un report de cette obligation de trois mois pour les entreprises de 50 à 300 salariés, dont les entreprises de moins de 50 salariés sont totalement exemptées. L'exemplaire accord de la métallurgie prévoit seulement de porter de 11 à 12 % le taux de salarié de plus de 55 ans... En outre, ces accords de branche seront-ils déclinés dans les entreprises ? Monsieur Wauquiez, ne pensez-vous pas, comme vous l'avez évoqué dans la presse, nécessaire de prendre des mesures plus contraignantes et de passer d'une obligation de moyen à une obligation de résultats ? (Applaudissements sur les bancs CRC-SPG)

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État.  - Madame, qu'aucun gouvernement, depuis trente ans, toutes majorités confondues et y compris ceux auxquels votre famille politique a participé, ne se soit jamais attaqué à l'emploi des seniors devrait nous inciter tous à une certaine modestie... Nous avons écarté le système des quotas, dont nous avons déjà débattu, pensant qu'il était inefficace d'imposer aux entreprises des taux d'embauche si irréalistes que celles-ci auraient préféré payer. Nous avons voulu, avec une sanction pécuniaire représentant 1 % de la masse salariale, obliger les entreprises à évoluer, mais en fixant des objectifs raisonnables. L'accord dans la métallurgie, loin d'être insuffisant, prévoit un doublement de la part des plus de 58 ans. Cette avancée n'a pas été obtenue par le Gouvernement mais par les délégués syndicaux, les acteurs de terrain. L'emploi des seniors mérite mieux que le pessimisme et l'inaction !

Mme Isabelle Pasquet.  - Nul pessimisme dans mes propos... Il se peut que par le passé, les gouvernements n'aient pas agi, mais ce gouvernement ne prend pas assez le problème à bras-le-corps. Notre taux d'emploi des seniors est aujourd'hui de 38 % quand l'Union européenne avait fixé pour objectif en 2006 d'atteindre 50 % en 2010. De nombreux salariés attendent que la pénibilité de leur travail soit reconnue, telles les infirmières. Il est temps de prendre des mesures plus contraignantes pour faire changer les mentalités dans les entreprises. En novembre 2009, monsieur Wauquiez, vous déclariez dans Les Echos, « sans perspective de sanction, rien n'aurait bougé ». Hélas, depuis, rien n'a changé. C'est pourtant le préalable à toute nouvelle modification de notre système de retraite !

M. Guy Fischer.  - Très bien !

M. Nicolas About.  - Depuis 2003, nous défendons le remplacement de l'annuité par le point ou le basculement du système de l'annuité vers un système de compte notionnel, solutions qui nous semblent une réponse efficace au problème de financement. Dans un premier cas, la pension ne serait pas calculée en fonction des années validées mais du nombre de points comptabilisés au cours de la carrière. Dans le second, la pension dépendrait d'un capital virtuel accumulé par le salarié pendant sa carrière, auquel serait appliqué un coefficient de conversion qui dépendrait de l'âge effectif de départ à la retraite et de l'espérance de vie.

Une telle réforme systémique permettrait d'aborder le problème avec une hauteur nouvelle, de dépasser le point de crispation qu'est l'âge légal de départ à la retraite et de donner à chaque assuré les moyens d'effectuer un arbitrage entre arrêt de l'activité et montant de la pension. Pour nous, elle est le seul moyen de concilier retraite à la carte et maintien d'un haut niveau de pension. Le Gouvernement y est-il favorable ?

M. Xavier Darcos, ministre.  - Le Conseil d'orientation des retraites rendra le rapport sur le modèle suédois, dont le Parlement lui a passé commande dans la loi de financement pour 2009, dans quelques semaines, vraisemblablement en février. Nous lui avions demandé de réfléchir aux évolutions possibles en matière de calcul des pensions de retraite en poursuivant trois objectifs : simplification des 38 régimes de base obligatoires, équité entre les régimes et lisibilité pour l'assuré. Ce rapport d'une instance indépendante alimentera notre réflexion. Toutefois, monsieur About, il faut se méfier des solutions miracles... (M. Elie Brun le confirme)

M. Nicolas About.  - Ah !

M. Xavier Darcos, ministre.  - Modifier le calcul des droits ne permettra pas d'éviter de travailler plus longtemps : soyons clairs ! Mais ce changement permettra de clarifier et d'harmoniser les règles du jeu. Même si l'on peut souhaiter une réforme d'une telle ampleur, il faut commencer par procéder à des ajustements du système actuel pour rendre nos dépenses soutenables dans les dix à quinze années à venir, ce qui ne nous ne prive pas d'agir !

M. Nicolas About.  - Monsieur le ministre, je partage entièrement votre conviction !

M. Jacky Le Menn.  - En 2003, une grande organisation syndicale soutenait la loi sur les retraites, sous réserve de la création d'un dispositif de compensation de la pénibilité du travail. Que s'est-il passé depuis ? Ledit dispositif n'a pas vu le jour, le patronat s'étant refusé à le financer. Aucune définition juridique claire n'est donnée de la pénibilité dans le code du travail. L'augmentation des contraintes physiques, mentales et organisationnelles place les salariés, notamment les femmes, devant des difficultés insurmontables entre vie privée et vie professionnelle.

Enfin, tout cela s'inscrit dans le cadre d'une menace constante, pour ne pas dire d'un chantage au licenciement, fait par une majorité d'entreprises, y compris publiques, ce qui accroît la souffrance mentale des salariés qui savent que licenciement signifie chômage de longue durée et, pour les plus de 50 ans, perte définitive d'un emploi salarié.

Que compte faire le Gouvernement pour contraindre le patronat à participer au dispositif de compensation de la pénibilité du travail ? Quand arrêtera-t-il de demander à nos concitoyens de travailler plus longtemps, alors qu'il laisse les entreprises les plus prospères licencier sans vergogne ?

M. Xavier Darcos, ministre.  - Le Président de la République a évoqué la question de la pénibilité lors de son discours au Congrès. La sauvegarde des régimes de retraite exigera des efforts de tous, ce qui ne veut pas dire que l'on demandera les mêmes efforts à tous. Après trois ans de discussions, les partenaires sociaux en sont arrivés à un constat d'échec. Il nous a donc fallu prendre nos responsabilités.

Notre réflexion repose sur trois idées clés : la pénibilité ne doit pas seulement être compensée, elle doit être prévenue. C'est pourquoi je réunis cette semaine même le conseil d'orientation des conditions de travail pour y pourvoir. Ce point figurera dans l'accord sur l'emploi des seniors. Ensuite, la pénibilité ne doit pas être une notion attrape-tout. Enfin, la cessation d'activité n'est pas la seule réponse possible à la pénibilité : les postes peuvent être aménagés, le temps de travail diminué, les compétences des seniors utilisées autrement. Nous devrons explorer toutes les pistes.

M. Jacky Le Menn.  - C'est peu dire que vous ne m'avez pas convaincu. Il faudra définir le concept de pénibilité dans le code du travail, ce qui permettra de mieux adapter l'âge de départ à la retraite et le niveau des pensions pour les personnes ayant exercé ces métiers difficiles.

Enfin, je m'élève contre la notion de réparation en matière de pénibilité et je souhaite une compensation plus juste pour les personnes ayant eu une activité pénible pendant leur vie active. (Applaudissements à gauche)

M. Marc Laménie.  - Il serait juste d'accorder certains avantages en matière de retraite à des personnes qui, leur vie durant, ont exercé des métiers pénibles. Qu'est--ce que la pénibilité ? Plusieurs critères ont été avancés par les experts interrogés lors du rapport d'information de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale : le travail de nuit, le travail à la chaîne, le déplacement de charges lourdes ainsi que l'exposition à des produits toxiques tels que l'amiante. Le risque inhérent à certaines professions telles que les militaires, les policiers, les gendarmes, les pompiers, les convoyeurs de fonds ou encore les surveillants de prison doit également être pris en compte, sans oublier les professions médicales, notamment les infirmières. Si le Gouvernement ne retenait que les critères mesurables médicalement, son approche serait réductrice : les conséquences de la pénibilité du travail ne se mesurent pas toutes facilement. Ainsi, la pression et le stress qui causent de graves troubles sont difficilement mesurables. De plus, la pénibilité a évolué : certaines professions ne sont plus pénibles du fait de l'évolution technologique. D'autres le sont devenues : ainsi en est-il du travail sur ordinateur qui provoque des troubles musculo-squelettiques.

Nous devrons donc compenser certaines pénibilités inévitables par des mesures financièrement acceptables et justes pour les personnes concernées. Aussi, quelle définition de la pénibilité le Gouvernement entend-il retenir ? Comment tiendra-t-il compte de ce facteur lors de la réforme des régimes de retraite ?

M. Xavier Darcos, ministre.  - La pénibilité ne peut pas être une notion attrape-tout. Des facteurs objectifs de pénibilité doivent être définis. En partant des travaux faits durant la négociation entre les partenaires sociaux, nous pouvons distinguer ce qui relève de la compensation de la pénibilité, dont le critère essentiel doit être l'impact objectif sur l'espérance de vie, de tout ce qui relève de la validité, de l'incapacité, de l'inaptitude ou de la dangerosité. Ce n'est pas en faisant entrer sous le vocable de pénibilité l'ensemble de ces nuisances ou fatigues que l'on progresse. Les régimes de retraite n'ont en effet pas vocation à compenser l'ensemble de ces risques.

Si la définition retenue n'était pas assez précise, les conséquences seraient contraires à l'intérêt de tous. Le dispositif devra donc reposer sur un critère tangible : l'espérance de vie.

M. Marc Laménie.  - Merci pour ces informations, monsieur le ministre.

M. Yves Daudigny.  - En 2003, le Gouvernement a laissé aux partenaires sociaux le soin de définir les critères et le champ d'application de la pénibilité au travail. Nous sommes en 2010 et rien, ou presque, n'a bougé. La voie conventionnelle montre ses limites lorsque les représentants des employeurs ne veulent pas assumer leurs responsabilités à l'égard de leurs salariés.

Nous attendons que les engagements et les déclarations solennelles se concrétisent enfin pour assurer la compensation des inégalités d'espérance de vie qui résultent de l'exercice de métiers pénibles. Mais s'il faut, comme le dit le Président de la République, « que tout soit mis sur la table », les Françaises et les Français ne comprendraient pas que cette compensation se fasse au prix d'un recul de l'âge de la retraite alors que s'amplifient les contraintes physiques, les astreintes, le travail de nuit -passé de 6 % en 1991 à 15 % en 2005- et les horaires décalés. Alors qu'augmentent le nombre de maladies musculo-squelettiques et les handicaps dus aux accidents du travail, il serait paradoxal, sous couvert d'améliorer l'emploi des seniors, d'imposer à ceux qui subissent déjà les conséquences de cette pénibilité, de travailler plus longtemps encore.

Nul n'ignore que les mesures de prévention de la pénibilité sont essentielles. A cet égard, il a été suggéré d'étendre le rôle des comités d'hyène et de sécurité des conditions de travail (CHSCT) aux entreprises de moins de 50 salariés. Il convient également de renforcer les moyens et les pouvoirs de la médecine du travail. Or le Gouvernement souhaiterait en transférer la responsabilité aux directeurs des services de santé au travail, c'est-à-dire aux employeurs, ce qui supprimerait tout contrôle indépendant de la santé des salariés. La surveillance médicale serait également rendue facultative. Il est vrai que la périodicité de la visite de contrôle est passée d'un à deux ans.

Alors que la santé au travail est une question de santé publique, confirmez-vous, monsieur le ministre, ces projets qui étoufferaient définitivement la médecine du travail ?

M. Xavier Darcos, ministre.  - On peut difficilement reprocher au Gouvernement d'avoir souhaité que les partenaires sociaux concluent un accord. Les négociations ont été très longues mais n'ont pas abouti. Le Gouvernement a pris ses responsabilités et c'est pourquoi je réunirai le conseil d'orientation des conditions de travail vendredi prochain.

La question de la pénibilité ne relève pas seulement de la médecine du travail, sur laquelle nous voulons d'ailleurs avancer. Je vous rassure : vos craintes ne sont pas fondées.

Les leçons que nous recevons de l'opposition sur cette question sont un peu difficiles à entendre car, en matière de retraites, je n'ai pas le sentiment qu'à part certaines pétitions de principes, la gauche ait proposé une quelconque réforme courageuse ! (Exclamations socialistes)

M. Alain Gournac.  - C'est vrai !

M. Xavier Darcos, ministre.  - Ne reprochez pas au Gouvernement ce que le parti socialiste n'a jamais été capable de faire ! (Nouvelles exclamations sur les mêmes bancs tandis qu'on applaudit à droite)

M. Yves Daudigny.  - Merci de nous rassurer sur l'avenir de la médecine du travail.

Pour le reste, nous ne jugeons pas ce soir de la politique passée du parti socialiste mais de celle menée par le gouvernement actuel !

Un récent rapport de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Dress) démontre que les parcours professionnels ont un impact sur la préservation ou l'altération de la santé des salariés : ne serait-il pas de bonne politique humaine et économique d'étendre le rôle et le périmètre de compétence de la médecine du travail ? Ne serait-il pas opportun de mesurer le coût social et sanitaire qu'entraînent les politiques de flexibilité menées par les entreprises ? (Applaudissements à gauche)

La séance, suspendue à 17 heures, reprend à 17 h 15.

Évaluation de la LME

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat d'initiative sénatoriale sur l'évaluation de la loi de modernisation de l'économie (LME). La parole est d'abord à l'orateur du groupe qui a demandé le débat.

Mme Nicole Bricq.  - Le groupe socialiste souhaite depuis plusieurs mois que le Sénat procède à une première évaluation de la loi de modernisation de l'économie et il m'a confié la charge d'ouvrir ce débat.

La loi de modernisation de l'économie devait, selon la lettre de mission du Premier ministre à Mme Lagarde, créer des emplois et faire baisser les prix. Ce n'est pas rien ! Le Sénat s'était particulièrement investi, en créant une commission spéciale. Je remercie le président Emorine, à qui j'avais fait part de mon souci de pratiquer cette évaluation, d'avoir mis en place un groupe de travail au sein de la commission de l'économie, qui a abouti au rapport d'information de Mme Lamure, dont le titre est : Un premier bilan contrasté. Membre de la commission des finances, je peux comprendre que son ordre du jour exceptionnellement chargé en 2009 ne lui a pas laissé le temps d'évaluer les points de son ressort. J'y reviendrai donc.

Sans refaire le débat de l'été 2008, il est utile d'en retracer le contexte. Sa lecture est cruelle pour le Gouvernement, qui présentait ce texte comme emblématique de sa stratégie économique, complétant la loi Tepa votée un an auparavant. Les deux textes satisfaisaient aux éléments de langage, comme on dit chez les communicants : il s'agissait de « lever les contraintes » et de « libérer les énergies ». Mme la Ministre, dont l'optimisme n'avait d'égal que la confiance en la faculté d'autorégulation du marché, voyait du vert partout : création d'emplois dans le secteur marchand, augmentation de la consommation, crédits aux entreprises dynamiques. Bref, le Gouvernement baignait encore dans l'euphorie de sa victoire électorale alors même que la bulle financière avait éclaté aux États-Unis depuis juillet 2007 et diffusait ses pilules toxiques dans le monde entier. Aujourd'hui, nous constatons que la consommation marque le pas ; que plus de 346 000 emplois ont été perdus durant les neuf premiers mois de 2009 ; que la croissance, même révisée à 1 % par Bercy, ne nous permet pas d'espérer une reprise solide ; que les banques ne remplissent pas leurs engagements d'octobre 2008. S'il est vrai que la crise financière et ses conséquences ont pris à revers le Gouvernement, elles n'expliquent pas tout.

Quant au pouvoir d'achat, il devait mécaniquement s'améliorer sous l'effet de la concurrence qui entrainerait inévitablement une baisse des prix. On peut s'interroger sur cette course aux prix bas. Cette économie low cost contourne la question salariale, occulte le phénomène persistant de précarisation de la population active et, plus largement, évite d'affronter le débat essentiel sur la juste rémunération du travail. Cette course au prix le plus bas comporte sa part d'illusion : dans les budgets modestes, le poids des dépenses contraintes ne fait qu'augmenter d'année en année.

Quand je vois les grands distributeurs imiter ce qui existe en Russie -caisses automatisées, chambres froides où circulent les consommateurs afin d'économiser des meubles réfrigérés-, quand j'entends des exploitants de hard discount compter sur les nouveaux clients apportés par la montée du chômage, je me demande si c'est bien cette société que veulent les gens.

Quant à l'effet LME sur les prix, Mme Lamure le dit « difficile à analyser ». Elle relève le peu d'efficacité de cette loi pour rétablir l'équilibre entre producteurs et distributeurs, quand elle ne joue pas en sens contraire, et note la persistance de pratiques abusives. Son rapport insiste sur l'efficacité des contrôles menés par les services de la DGCCRF. Cet hommage mérite notre attention au moment où l'on veut les démanteler sous couvert de rationalisation. Nous nous étions déjà interrogés en 2008 sur l'efficacité de l'autorité de la concurrence pour traiter les dossiers transmis. Dans la région Aquitaine, 54 dossiers ont été transmis; l'autorité de la concurrence en a retenu 2... C'est très curieux en pleine crise économique.

Le Gouvernement a beaucoup communiqué sur le succès quantitatif du régime de l'auto-entrepreneur. Celui-ci participe de la même vision d'une société low cost quand les licenciements se multiplient. Il a été sanctuarisé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010. Cela laisse « perplexe » Mme Lamure, qui relève la concurrence fort peu loyale de ce régime et juge très insuffisante l'obligation corrélative d'attester d'une qualification minimale. Elle dénonce « l'effet substitution » et « l'effet crise » à la base de ce succès. Un auto-entrepreneur sur deux cherche un revenu complémentaire, ce qui montre bien que ce statut permet de contourner la question salariale et d'externaliser les coûts de l'entreprise.

La collecte du livret A a atteint en 2008 un niveau historique de 18,7 milliards et 6,2 millions de livrets ont été ouverts par les banques, nouvellement habilitées à le commercialiser. Sous le double effet de la baisse des taux et de la concurrence de produits d'épargne plus attractifs, on assiste de mois en mois à une collecte nette négative. Selon une étude Sofres réalisée pour la Caisse des dépôts et consignations, les épargnants sont désormais moins attachés à l'affectation de leur épargne au financement du logement social.

Le ratio minimal de 125 % entre dépôts et prêts cesserait d'être respecté dès 2014, et devrait donc être relevé. Nous serons donc vigilants sur les modalités de la centralisation qui seront définies en 2011. Dans la mesure où une clause de revoyure est prévue, nous souhaitons que le Parlement puisse donner son avis.

Nous avions attiré l'attention du Gouvernement sur le contrôle de la multi-détention de livrets A, explicitement interdite dans la loi. Le Gouvernement a brandi le risque de sanctions contre les multi-détenteurs ; il leur a donné jusqu'en décembre pour se mettre en règle, il a envoyé aux banques la liste des livrets A en doublon, il a annoncé des contrôles de ceux qui ont été ouverts en janvier 2009. Ces annonces sont peu efficaces. Fin novembre, il y avait 58,8 millions de livrets A pour 64,3 millions d'habitants ; on estimait qu'un livret A sur 5 était illégal.

Notre troisième inquiétude concerne le fléchage des fonds collectés par les banques et non centralisés par la Caisse des dépôts et consignations. Bien que les parlementaires soient revenus à la charge, l'opacité est toujours de mise sur l'utilisation de ces fonds, et la prise en compte de la volonté du législateur n'est pas vérifiable. Les banques, qui ont pourtant bénéficié d'importantes liquidités, ne respectent pas l'engagement qu'elles avaient pris d'augmenter l'encours de leurs crédits de 3 à 4 %. Elles prétendent que les demandes seraient moindres ; c'est la poule et l'oeuf !

Mme Lagarde a décidé de convoquer une fois de plus les banques pour leur demander de satisfaire à leurs obligations... sans résultat. M. Trichet a beau sommer les banques de faire leur travail, celles-ci reviennent aux produits purement spéculatifs à l'origine de la crise. L'absence de soutien bancaire obère l'engagement des PME dans la reprise. Je demanderai à la commission des finances d'exercer son contrôle en la matière, car la volonté du législateur était de financer l'économie réelle.

S'agissant de la reforme de la CDC, la loi a apporté deux innovations : la mise en place, au sein de la commission de surveillance, d'un comité des investissements obligatoirement consulté pour cessions ou acquisitions d'actifs, dont je suis membre et qui fonctionne ; l'appui de la commission bancaire à la commission de surveillance, notamment en matière de règles prudentielles. Les deux décrets respectent la loi dans sa lettre et dans son esprit. La Caisse, qui a été largement sollicitée pour soutenir l'économie, est consacrée investisseur de long terme, sous le contrôle effectif du Parlement.

Au total, cet exercice d'évaluation, à compléter, conduit à une plus juste appréciation d'une loi annoncée à grand renfort de communication : reposant sur des a priori idéologiques (M. le ministre s'exclame), sur une stratégie économique n'offrant que la perspective d'une banalisation de l'appauvrissement, elle ne peut aboutir ni au bien être social ni à l'efficacité économique. Les remarques que nous faisions lors de son examen se vérifient malheureusement déjà. (Applaudissements à gauche)

Mme Élisabeth Lamure, rapporteur de la commission de l'économie.  - La commission de l'économie a créé le 23 septembre 2009 un groupe de travail chargé de faire le point sur l'application de la LME. Je remercie le président Emorine pour son initiative, qui alimente le débat et donne plus de force et de portée au travail de contrôle parlementaire. Cette démarche, qui s'inscrit dans l'esprit de la révision constitutionnelle, mériterait d'être reconduite.

Le groupe de travail s'est concentré sur quatre thèmes : la réduction des délais de paiement ; la réforme des relations commerciales ; la mise en place du régime de l'auto-entrepreneur ; la réforme de l'urbanisme commercial. Ce bilan intervient peut-être un peu tôt mais les données disponibles permettent déjà de dresser un certain nombre de constats.

L'article 21 de la LME plafonne à 45 jours fin de mois ou 60 jours calendaires le délai de paiement convenu entre les parties. Le bilan est très positif : selon la Fédération des industries mécaniques, les délais clients ont été réduits en moyenne de 17 jours. Les 39 accords dérogatoires signés, portant sur 20 % de l'économie française, permettent une transition en douceur pour certains secteurs. S'agissant du secteur du livre, dont les spécificités justifient une exception permanente, nous examinerons cette semaine la proposition de loi adoptée par l'Assemblée.

Certaines pratiques doivent toutefois être surveillées, comme les demandes de remises ou encore l'application extensive ou erronée d'accords dérogatoires. Il faut également clarifier l'application de la loi à l'international. Tant en matière de contrôle que d'interprétation, la DGCCRF et la commission d'examen des pratiques commerciales (CEPC) ont un rôle essentiel.

Les articles 92 et 93 de la LME ont porté réforme des relations commerciales : les conditions particulières de vente sont désormais autorisées sans justification. Le fournisseur et le distributeur doivent signer une convention unique indiquant leurs obligations respectives, comprenant les marges arrière. Tout déséquilibre significatif dans la convention est assimilé à un abus.

Le bilan en la matière est beaucoup plus nuancé : les relations commerciales ne se sont guère améliorées. (M. Daniel Raoul approuve) Les marges arrière sont passées de 32 % à 11 % des prix entre 2008 et 2009, mais si les prix des produits de grande consommation ont baissé de 0,65 % au premier semestre 2009, il est difficile de mesurer l'impact de la LME. Les relations entre fournisseurs et distributeurs restent fortement déséquilibrées ; ceux-ci divergent quant à l'interprétation de la loi et des règles en matière de négociabilité des tarifs (M. Daniel Raoul approuve), de nombreux abus ont été constatés. La conclusion de la convention unique au 1er mars pose problème, nombre de distributeurs ayant engagé des renégociations.

Les contrôles et une interprétation unique de la loi doivent permettre de rééquilibrer les relations commerciales. Les pouvoirs publics ont d'ailleurs pris leurs responsabilités : sur 400 conventions contrôlées par la DGCCRF, la quasi-totalité comprenait au moins une disposition déséquilibrée. Neuf enseignes de la grande distribution ont ainsi été assignées devant les tribunaux de commerce. Le rôle d'exégète et d'observateur de la CEPC est essentiel.

Quatre constats concernant le régime de l'auto-entreprise. Le premier est que le calendrier a été tenu, grâce à l'adoption rapide des textes d'application et la forte mobilisation des institutions chargées d'accompagner les auto-entrepreneurs, soumises à de lourdes charges de gestion.

Le deuxième constat est l'effet positif sur la création d'entreprise : 528 000 créations au cours des onze premiers mois de 2009, contre 327 000 en 2008. Trois bémols toutefois : les deux tiers n'avaient toujours pas déclaré de chiffre d'affaires au troisième trimestre 2009 ; les créations d'auto-entreprises sont sans doute légèrement surestimées et il faut attendre que l'Insee et l'Acoss consolident leurs données pour avoir un chiffre exact.

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services et de la consommation.  - En effet.

Mme Élisabeth Lamure, rapporteur.  - Enfin, les auto-entreprises se substituent en partie aux entreprises individuelles classiques.

Troisième constat, le succès de l'auto-entreprise s'appuie sur une vraie demande sociale. L'auto-entreprise permet de compléter les revenus en se cumulant à un emploi ou une retraite. Une auto-entreprise sur deux aurait été créée pour exploiter ces possibilités. L'auto-entreprise permet également de tester sans risque financier un projet. La moitié des auto-entrepreneurs n'auraient pas créé leur entreprise sans ce régime. Enfin, ce régime institue un « droit à entreprendre ». L'auto-entreprise est le symbole et le moyen d'une certaine autonomie individuelle. Elle ouvre à tous la liberté d'entreprendre.

Un an après ses débuts, l'auto-entreprise suscite encore des questions. La première concerne les accusations de concurrence déloyale portées par les entreprises de l'artisanat.

Autre inquiétude, la concurrence qui pourrait se développer entre le salariat et la sous-traitance auto-entrepreneuriale, la crainte étant que des salariés soient de plus en plus remplacés par des sous-traitants auto-entrepreneurs. Une telle substitution est illégale dans certains cas : quand la relation est une relation de subordination, sa forme juridique normale est le contrat de travail. Au-delà des abus manifestes cependant, la sous-traitance est une pratique légale et les entreprises peuvent utiliser en toute légalité le régime de l'auto-entreprise pour externaliser vers des sous-traitants des tâches jusqu'alors réalisées en interne. Si pour l'instant, rien ne montre qu'un tel processus soit massivement en cours, c'est une question qu'il faut suivre de près.

Le Gouvernement doit fournir très vite un rapport économique et social sur les auto-entrepreneurs afin qu'on sache vraiment qui ils sont, ce qu'ils font, quel est l'emploi et la valeur ajoutée réellement créés, quel est l'impact sur le monde de l'artisanat, sur les comptes sociaux, sur la gestion de la main-d'oeuvre des entreprises.

Il faut renforcer l'information sur le caractère illégal et les risques de la pratique consistant à donner abusivement à une relation salariale la forme d'une relation commerciale de sous-traitance.

Il faut accompagner et former les auto-entrepreneurs et je me réjouis à cet égard qu'une des préconisations de mon rapport soit déjà devenue une réalité. Grâce à votre initiative, monsieur le ministre, deux mesures doivent entrer en vigueur le 1er avril prochain : l'attestation de qualification professionnelle avant toute création d'entreprise dans le domaine artisanal ; l'obligation d'inscription au répertoire des métiers pour les auto-entrepreneurs ayant une activité artisanale à titre principal. Grâce à ces mesures, les auto-entrepreneurs les plus dynamiques passeront à un statut plus favorable, et plus égalitaire aussi.

Enfin, je salue l'annonce de la création, cette année, de l'entreprise individuelle à responsabilité limitée, qui protégera le patrimoine personnel des artisans en cas de faillite, réforme attendue depuis plus de vingt ans par l'artisanat, que vous avez entendu.

J'en viens à l'urbanisme commercial. La mission des Commissions départementales d'aménagement commercial (CDAC) n'est pas claire et leur composition suscite la critique. La présence d'une personnalité qualifiée en matière de consommation ne va pas de soi dès lors que l'impact économique du projet n'a pas à entrer en ligne de compte. De même, placer la voix des personnalités qualifiées nommées au même niveau que celles des élus locaux est discutable.

Le rôle et les critères de décisions des CDAC ne sont pas aussi bien définis que ceux des anciennes CDEC. En l'absence de critères et de normes partagés pour définir les exigences minimales à respecter en matière de développement durable et d'aménagement du territoire, le risque est que les CDAC ne se prononcent plus que pour dire « oui ».

La notion de seuil de saisine perdure, alors que ce n'est pas l'outil adéquat pour appréhender l'impact du commerce sur les territoires. Le député Charié proposait de remplacer le critère de la surface par celui de l'envergure des commerces. L'idée mérite d'être creusée. Par ailleurs, les équipements commerciaux effectivement construits ne sont pas tenus d'être conformes aux projets qui ont été validés par les CDAC, de sorte que leurs décisions risquent de rester lettre morte.

Il n'existe pas d'outil statistique pour évaluer l'impact de la libéralisation des implantations commerciales. On ne sait pas comment évolue la carte commerciale, ce qui donne lieu à des rumeurs alarmistes sur une multiplication des installations qu'il est impossible de vérifier. On ne sait pas non plus quel est l'impact sur la concurrence et sur les prix, même si plusieurs années seront nécessaires pour qu'on observe une évolution significative de la cartographie commerciale.

L'intégration de l'urbanisme commercial à l'urbanisme reste inachevée. La réforme de l'urbanisme commercial par la LME était transitoire et un texte sur la question devait être adopté très vite. Les outils créés par cette loi ne sont donc pas opérationnels et beaucoup de questions restent en suspens : que peut comporter exactement le document d'aménagement commercial d'un Scot ? Les prescriptions et le zonage du volet commercial d'un Scot s'imposent-elles aux PLU et, au-delà, aux autorisations d'urbanisme ? Quels sont les liens entre le volet commercial d'un Scot et les CDAC ? Les avancées du Grenelle II dans ce domaine ne peuvent remplacer une réforme d'ensemble cohérente.

Dans ces conditions, il faut mettre en place dans les plus brefs délais un outil d'observation des équipements commerciaux permettant d'établir un bilan objectif de la LME. Ensuite, il faut élaborer rapidement un texte sur l'urbanisme commercial, pas un texte sur le commerce mais bien un texte d'urbanisme, car l'urbanisme commercial devra à l'avenir être avant tout une affaire d'urbanisme.

Des travaux de Jean-Paul Charié et de la contribution du Club des Scot, je retiens trois suggestions très simples : préciser et renforcer le pouvoir d'encadrement de l'activité commerciale par le Scot et le PLU ; donner la capacité aux élus locaux de contrôler les changements d'activité commerciale ; enfin, le permis de construire ne pourrait-il être le seul instrument d'autorisation de construction de commerces nouveaux, délivré bien sûr après conformité aux règles d'urbanisme des PLU, eux-mêmes conformes aux Scot, lesquels intègrent les fameux Documents d'aménagement commercial ? (Applaudissements à droite et au centre)

Mme Odette Terrade.  - Le bilan, sur quelques thèmes de la loi de modernisation de l'économie, montre encore une fois que la relance de la concurrence comme levier de la croissance, la déréglementation des activités économiques, les exonérations fiscales et sociales si chères à notre Gouvernement sont inopérantes pour la vitalité économique de notre pays et la création d'emplois. Cette loi n'a pas su enrayer la flambée du chômage, ni l'apathie de l'activité économique, notamment industrielle. Ce bilan négatif est le résultat plus global des politiques conduites par les gouvernements de droite depuis de trop nombreuses années. Les mauvais résultats de l'économie française et leurs dramatiques conséquences sociales ne s'expliquent pas seulement par cette loi de modernisation de l'économie qui n'est qu'un exemple parmi d'autres de l'incapacité de ces politiques gouvernementales à éviter les crises sociales et économiques.

L'organisation d'un débat parlementaire sur le bilan, même partiel, de la loi LME est donc une bonne chose s'il permet au Gouvernement de tirer les leçons de cet échec. Le champ des thèmes retenus est assez restreint et je regrette qu'on n'ait pas choisi d'évoquer la question du crédit à la consommation. Crédit nécessaire à nos concitoyens les plus modestes, et d'autant plus nécessaire dans cette période de crise où le Gouvernement n'a pas su tenir ses promesses d'augmentation du pouvoir d'achat. Il faudrait poser la question des crédits permanents, dit revolving, dont il semble si difficile de s'extraire et qui aggravent encore la situation de personnes en grande précarité. « Dans 70 % des dossiers, note la Banque de France, la part des personnes en situation de surendettement dont les revenus sont inférieurs ou égaux au Smic est en augmentation ».

J'en viens aux domaines soumis au bilan. Le titre de la première partie du rapport, relatif aux délais de paiement, fait part d'un « premier bilan très positif de la réforme ». Cet optimisme de notre rapporteur ne résiste pas à l'examen. On peut s'interroger sur la nécessité d'une telle réforme puisque sans y être encore soumis, un grand nombre d'acteurs économiques l'auraient anticipée. On constate une baisse relative des délais de paiement. De plus, un grand nombre d'accords dérogatoires ont été signés. Or, la LME se dispense totalement de régler la question de « l'après dérogation ». Le législateur a posé une règle assortie d'une limite temporelle en ce qui concerne la possibilité de dérogation au plafond, en reportant à plus tard les problèmes posés par la spécificité de certains secteurs. La proposition de loi relative aux délais de paiement des fournisseurs dans le secteur du livre, qui sera examinée ici demain, montre à quel point les problèmes sont complexes. Cette tendance à légiférer, en faisant de la règle l'exception, nuit à la clarté du régime juridique applicable aux différents contrats.

La réduction des délais de paiement avait été initialement prévue pour améliorer la trésorerie des entreprises. Cet objectif n'a été que partiellement atteint, ce qui s'explique en partie par l'impact différent de la loi sur la réduction des délais fournisseurs et des délais clients. Cet échec de la réforme est d'autant plus regrettable que la trésorerie des entreprises est essentielle à leur vitalité. Et l'échec est d'autant plus grave que la politique gouvernementale n'a pas su régler les difficultés récurrentes rencontrées par les petites et moyennes entreprises dans leurs relations avec les établissements bancaires. Or, pour un tiers environ des chefs d'entreprise, c'est toujours l'accès au crédit bancaire qui menace la survie même de l'entreprise.

Le rapport pose la question de « la compatibilité de certains avis avec l'esprit de la LME ». En effet, la CEPC (Commission d'examen des pratiques commerciales) tout comme la DGCCRF indiquent que « si l'obligation légale d'ordre public n'a pas donné mécaniquement lieu à une compensation au premier euro, elle ne l'interdit pas. La situation des délais de paiement peut toujours être prise en compte dans les négociations commerciales ». Cette critique est injustifiée. Les instances visées font une juste interprétation de la législation telle que l'a voulue la majorité. Nous avions dénoncé les pratiques abusives qui pouvaient naître de la réglementation sur les délais de paiement, quand la même loi étendait la libre négociabilité des conditions générales de ventes et instaurait la discrimination tarifaire. S'ils étaient prévisibles, les comportements abusifs dont le rapport fait état sont inquiétants et ils posent la question des moyens mais aussi de l'effectivité du contrôle, tant les pressions peuvent être grandes sur les acteurs économiques les plus faibles.

Dans le domaine des relations commerciales, l'échec de la loi est patent. Nous avions souligné les dangers d'une législation faisant table rase des quelques garde-fous qui subsistaient encore dans le code de commerce, notamment de son article L. 441-6, pour tenter d'encadrer le grave déséquilibre de la relation commerciale entre fournisseur, centrale d'achat ou distributeur. Il était illusoire de croire que la loi de modernisation de l'économie pouvait encadrer les marges arrière tout en prônant la libre négociation des conditions générale de vente et en autorisant la revente à perte. En consacrant dans les relations commerciales l'opacité ou la discrimination tarifaire, la loi n'a pas levé l'inquiétude des professionnels ; seuls les grands distributeurs se félicitaient d'un dispositif taillé sur mesure pour eux. Aujourd'hui, le bilan n'est guère étonnant. Selon le ministère, il y aurait une très forte diminution des marges arrière. Si cela était, comment expliquer que la baisse des prix n'ait pas été au rendez-vous et que les fournisseurs ou producteurs n'aient pas vu leurs rémunérations augmenter ? La crise laitière en particulier et celle du monde agricole en général montrent à quel point les relations entre producteurs, fournisseurs et distributeurs sont opaques et déséquilibrées.

Le prix d'un litre de lait de grande marque est multiplié par trois entre l'achat au producteur et la vente au consommateur. Il y a presque un an, consommateurs et représentants des agriculteurs ont adressé un courrier au ministre des finances et à celui de l'agriculture, tutelles de l'Observatoire des prix et des marges, pour leur demander de faire la lumière sur le processus de formation des prix alimentaires. L'opacité est toujours là. Les prix alimentaires ne cessent d'augmenter tandis que le revenu agricole continue de baisser. Selon la Commission des comptes de l'agriculture, le revenu agricole moyen par actif, déduction faite de l'inflation, a régressé en 2009 de 34 % ; ce n'est pas pour autant que le pouvoir d'achat des consommateurs a augmenté.

Même constat négatif chez les fournisseurs : la LME a produit les effets pervers que nous avions dénoncés. Pour la CGPME, « les PME fournisseurs de la grande distribution sont plus que jamais victimes d'un rapport de force défavorable, que la crise accentue ». Face à ces abus, le rapport se veut rassurant et explique que « les pouvoirs publics ont pris leurs responsabilités » grâce aux brigades LME de la DGCCRF. Mais les capacités d'intervention de celles-ci sont mises en péril par la révision générale des politiques publiques. La nouvelle localisation des services d'enquête dans les directions régionales éloigne les enquêteurs des opérateurs économiques et les effectifs de la DGCCRF sont massivement réduits, notamment dans les petits départements -ce qui laisse le champ libre aux pratiques illicites des grandes enseignes. Les personnels de la DGCCRF nous ont écrit pour dénoncer cette remise en cause de leurs missions ; que leur répondez-vous ?

Il semble qu'un nombre important d'auto-entreprises ait été créées -mais sur le papier, une grande majorité d'entre elles n'ayant pas d'activité ; le rapport relève en outre que beaucoup se sont substituées à des créations d'entreprises individuelles qui auraient de toute façon eu lieu. La loi LME n'a ainsi produit que des acteurs économiques virtuels, d'opportunité, tandis qu'elle mettait à mal le principe d'égalité devant l'impôt. Elle n'a pas résolu le problème de la création d'entreprise. Nous avions dénoncé les effets pervers d'un statut qui peut encourager le travail au noir et travestir le salarié en travailleurs indépendants. La réalité est là : il est de plus en plus courant que des salariés mal payés soient contraints d'exercer une deuxième activité.

Le régime de l'auto-entreprise inquiète légitimement les artisans, mais aussi certains au sein de la majorité. Lors de l'examen du collectif pour 2009, le président de notre commission des finances a souligné « le risque de voir d'un côté progresser l'économie clandestine et de l'autre, des auto-entrepreneurs renoncer à leur activité » et relevé que « les artisans qui, eux, sont soumis à des contraintes particulières, peuvent légitimement s'inquiéter d'une concurrence peu loyale ». Le Gouvernement serait bien inspiré de revenir sur ces dispositions.

S'agissant de l'urbanisme commercial, il faut dire les choses comme elles sont : la majorité a voté un texte qui déréglemente les implantations commerciales. Le plus grand flou perdure sur les surfaces inférieures à 1 000 m², ce qui était prévisible. Comme le rapporteur, nous souhaitons que le Gouvernement mette en place un outil d'observation des équipements commerciaux. Nous restons très circonspects sur une réforme qui trouble l'organisation de nos villes et met en danger le petit commerce de proximité.

Dans aucun de ces quatre domaines, le bilan n'est positif. On aurait pu en choisir d'autres et faire le même constat, qu'il s'agisse de l'Insee, de RFI ou du logement social après la banalisation du livret A. La politique du Gouvernement a produit davantage d'inégalité, de pauvreté et de précarité. Son échec est patent. (Applaudissements à gauche)

M. Claude Biwer.  - En ce temps de morosité économique, la France a besoin de créer des emplois, donc d'encourager la création d'entreprises. Les Français attendent, peut-être à tort, que l'État leur permette de consommer moins cher tout en rééquilibrant les relations entre fournisseurs et distributeurs. Mon appréciation des effets de la LME est en demi-teinte.

La réduction des délais de paiement était nécessaire, qui donne de la souplesse à la trésorerie des entreprises ; mais le nombre d'accords dérogatoires, qui concernent 20 % de l'économie française, doit encore diminuer. Et la « commercialisation » de la réduction des délais sous forme de ristourne doit être fermement sanctionnée ; nul ne doit pouvoir régulièrement tirer un avantage financier de son seul respect de la loi.

Le succès du régime de l'auto-entrepreneur est indéniable, d'abord parce qu'il est simple. Ce qui doit plus généralement encourager le Gouvernement à aller plus loin dans la simplification des démarches administratives, pour qu'elles soient davantage en phase avec le rythme des entrepreneurs. Dans l'excellent rapport de Mme Lamure, on lit que les chambres consulaires voient ce régime d'un mauvais oeil, qui aurait fait baisser le nombre d'inscriptions au répertoire des métiers de 30 % comme celui des participants aux prestations qu'elles proposent. Il faut transformer cette défiance en opportunité de coopération ; les chambres de commerce et les chambres de métiers pourraient adapter leurs prestations à ces nouveaux entrepreneurs et les accompagner vers la professionnalisation. Il serait même souhaitable que le régime soit limité au temps de la création de l'entreprise et du démarrage de l'activité, soit deux ans ; j'avais proposé un tel dispositif par amendement. La LME a en tout cas le mérite de montrer l'appétit des entrepreneurs pour des régimes et des démarches simplifiées, bref pour tout ce qui allège la marche de notre économie. Peut-être pourrait-on envisager un relèvement du plafond de chiffre d'affaires pour ce régime.

Dans le domaine de l'urbanisme commercial -nous avons récemment voté un texte sur un sujet connexe, les entrées de ville-, le Gouvernement entendait mettre en place de nouvelles règles du jeu dans la grande distribution afin de renforcer la concurrence et de défendre le pouvoir d'achat des consommateurs ; en d'autres termes, de favoriser l'implantation du hard discount. Il semble que ces règles ne soient pas suffisamment efficaces...

Les dispositions relatives aux relations commerciales devaient rendre l'environnement plus concurrentiel pour redonner du pouvoir d'achat aux consommateurs. Je l'avais dit en son temps : quelle que soit la sophistication des dispositions législatives, les relations sont structurellement déséquilibrées dès lors que les fournisseurs négocient avec cinq centrales d'achat hyperpuissantes. « Certaines dérives bien connues risquent de se poursuivre, le cas échéant sous d'autres formes» : ainsi le président de la commission des affaires économiques de l'Assemblée Nationale reconnaissait-il récemment que la LME était contournée. La question de fond n'est donc pas réglée. Il est bon que l'État ait assigné devant les tribunaux neuf enseignes de la grande distribution pour des pratiques abusives avec ses fournisseurs ; espérons que son zèle durera... Je salue l'action de la commission d'examen des pratiques commerciales et celle des brigades LME. Une commission d'enquête parlementaire pourrait utilement oeuvrer à leurs cotés -je ne fais ici que rappeler une proposition de loi que j'avais déposé en 2004...

L'essai n'a pas été transformé. Mais je compte sur vous, monsieur le ministre, pour apporter un peu d'air au fonctionnement de notre économie -je pense à la création d'entreprise. Pardonnez mon scepticisme sur les relations commerciales ; peut-on promettre aux Français qu'ils consommeront plus et moins cher sans que soit détérioré l'équilibre de la chaîne commerciale ? Le coût de la politique du pouvoir d'achat ne saurait être supporté par les fournisseurs ; il ne faut fragiliser ni notre agriculture, ni notre industrie. (Applaudissements à droite)

Mme Bariza Khiari.  - La loi de modernisation de l'économie fut une épreuve pour tous les groupes parlementaires : nous avions travaillé sérieusement et mené une centaine d'auditions sur plusieurs mois ; mais le texte a été débattu en urgence et s'il comptait au départ une trentaine d'articles, ils étaient plus de 120 à la fin, fort disparates.

Dix-huit mois après, un bilan était indispensable. Les travaux du groupe d'évaluation ont été menés dans la sérénité et j'en remercie le rapporteur, Mme Lamure. Le rapport est fidèle aux auditions tenues et des recommandations importantes ont été formulées. Les dysfonctionnements ont été consignés avec honnêteté. Cette évaluation était d'autant plus nécessaire qu'un premier bilan émanant du Gouvernement, en juillet dernier, manquait de nuance... Le groupe socialiste n'a pas voté en faveur du rapport car les objectifs initiaux de la loi -créer des emplois et faire baisser les prix- ne sont nullement atteints. Je remercie toutefois Mme Lamure pour la qualité de sa présidence et je salue le rapport qui a été établi.

Susciter de la croissance, de l'emploi et du pouvoir d'achat, ces objectifs n'ont donc pas été atteints. Le groupe socialiste, lors de l'examen de la loi, avait soutenu la réduction des délais de paiement ; c'est un point positif, en dépit des difficultés qui demeurent à l'international. Quant aux accords dérogatoires temporaires, l'application peut en paraître fastidieuse mais cette mesure était attendue et bienvenue. J'avais à l'époque évoqué la situation particulière des librairies et souligné que la mesure n'était guère adaptée au secteur de l'édition ni à certains autres. Le livre devrait prochainement bénéficier d'une mesure dérogatoire permanente, conforme au principe de l'exception culturelle française. Mais quid des 37 autres branches, dont la dérogation est temporaire ? La dérogation permanente prévue pour le livre par la proposition de loi de M. Hervé Gaymard doit-elle rester une exception ? Pour le rapporteur, « afin de ne pas nuire à la portée de la LME, aucune autre dérogation à la loi ne doit être accordée ». Selon moi, au contraire, la réglementation doit s'adapter aux spécificités de chaque domaine. Il faut examiner l'analyse de la DGCCRF sur l'évolution des délais de paiement dans les secteurs où existe un accord dérogatoire. S'il apparaît utile de prolonger la dérogation, pourquoi l'écarter d'emblée ?

Le crédit interentreprises tend à se substituer au crédit bancaire : le premier représente quatre fois l'encours du second, soit 600 milliards d'euros. On comprend bien l'ampleur du problème et la longueur des délais de paiement révèle tout le déséquilibre qui existe dans le rapport de forces commercial, pour ne pas dire les comportements abusifs... Nous nous félicitons donc des efforts engagés même si les résistances sont nombreuses. Il faut s'attaquer aux contreparties abusives, remises par exemple, exigées par certains distributeurs en échange de la réduction des délais de paiement. Elles sont contraires à l'esprit de la loi. Le rapport fait état de ces pratiques mais il a tendance à les minimiser. Dans les industries mécaniques, 70 % des fournisseurs ont pourtant subi de tels abus. L'action des « brigades LME » de la DGCCRF est essentielle mais ses capacités d'intervention sont sapées par la RGPP et la réduction des effectifs. La direction de la concurrence a assigné plusieurs enseignes dernièrement ; mais pour que sa mise en garde ne soit pas un coup d'épée dans l'eau, elle a besoin de ressources !

La loi LME a accordé plus de liberté aux partenaires pour négocier, en contrepartie d'un contrôle accru des comportements abusifs. Mais cette réforme des relations commerciales est un marché de dupes pour les consommateurs. La pratique des marges arrière a certes diminué mais les prix des produits sont encore à la hausse... Voyez la crise du lait : le prix perçu par l'éleveur diminue considérablement, mais le prix de vente final augmente ! Pourquoi le lien entre prix agricole et prix au rayon ne joue-t-il jamais à la baisse ?

Mme Nathalie Goulet.  - Très bien !

Mme Bariza Khiari.  - Les grandes enseignes se félicitent d'une baisse des prix mais les associations de consommateurs observent le contraire. La très faible baisse constatée ne semble guère imputable à la loi LME.

Les personnes auditionnées ont déploré la persistance du rapport de forces entre les fournisseurs et les distributeurs. Les premiers sont toujours contraints de diminuer leurs marges, au détriment de leurs salariés. La direction de la concurrence ne peut intervenir à ce niveau. Mais son pouvoir de contrôle et d'instruction des plaintes est essentiel. L'État régulateur a un rôle déterminant à jouer entre les partenaires économiques. Or, pour l'heure, le rééquilibrage des relations commerciales ne s'est pas produit. La moralisation des pratiques n'a pas eu lieu.

En matière d'urbanisme commercial, la réforme devait accroître la concurrence et défendre le pouvoir d'achat. Il n'en a rien été. Certes, l'urbanisme commercial n'est plus régi par des règles strictement commerciales mais il semble que la liberté d'installation n'a pas modifié le caractère oligopolistique de la distribution, ni la structure des prix. Quant à l'inscription de l'urbanisme commercial dans le cadre du droit commun de l'urbanisme, cette réforme est au milieu du gué. La possibilité pour les Scot de définir des zones d'aménagement commercial est encore balbutiante. Le rôle, la composition et les règles d'interventions et de décisions des commissions départementales d'aménagement commercial ne sont clairs pour personne. Je regrette le sort qui a été réservé à la proposition de loi de M. Sueur visant à éviter que les entrées de ville ne soient défigurées par l'implantation de bâtiments commerciaux uniformes et à l'architecture parfois tapageuse, sans respect du paysage urbain ni de la tradition architecturale locale. C'est pourquoi le groupe socialiste soutient les recommandations du rapport concernant un texte sur l'urbanisme commercial.

La LME a ouvert le droit, pour les commerces, à deux périodes de soldes supplémentaires, à des dates qui leur conviennent, sans souci de coordination avec les autres commerces de la zone. Ce dispositif de soldes flottantes, taillé sur mesure pour les grandes enseignes, porte un préjudice important au commerce indépendant et contribue à jeter un doute sur le juste prix. Les commerçants indépendants ne peuvent pas suivre cette course au rabais permanent.

Quant aux loyers des baux commerciaux, on constate la fermeture, parfois sans reprise, de nombreux commerces, victimes de la hausse démentielle des loyers commerciaux. Une loi avait, en 2006, modifié l'indexation des loyers, pour modérer les hausses annuelles. Cette réforme n'a toutefois concerné que les baux d'habitation, non les baux commerciaux indexés sur l'indice de la construction. Certains partenaires ont mis en place un nouvel indice, auquel la LME a donné un fondement législatif, mais il n'est pas d'application obligatoire. Tout repose donc sur la bonne volonté des bailleurs. Près de 90 % des commerçants indépendants en centre-ville ont encore des baux indexés sur l'indice du coût de la construction. Il faudrait le remplacer par le nouvel indice. (Applaudissements à gauche)

M. Yvon Collin.  - L'initiative du groupe socialiste est bienvenue pour faire le point sur l'application de la LME. A ce jour, 263 000 auto-entrepreneurs se sont déclarés mais 45 500 seulement ont réalisé un chiffre d'affaires. La distorsion de concurrence que subissent les artisans est manifeste. Les conclusions du groupe de travail de 2009 n'ont pas convaincu les organisations professionnelles. Une expertise semble nécessaire, en particulier sur les cotisations sociales.

Quant à l'encadrement des marges arrière, la LME a eu un impact limité sur les relations commerciales. C'est dommage car elle avait suscité des espoirs.

Je pense notamment à la convention écrite qui doit préciser les obligations mises à la charge du distributeur en contrepartie des ristournes et remises consenties par le fournisseur, ainsi qu'à l'indication sur la facture du fournisseur du prix payé pour les « services distincts » assurés par le distributeur. N'oublions pas en outre que l'article 93 de la loi a accru les sanctions des comportements abusifs.

Le groupe de travail mis en place par notre commission de l'économie n'a pas conclu avec certitude à une incidence favorable de la LME sur les prix. Toutefois, les marges arrière ont reculé, pour passer de 32 % en 2008 à 11 % en 2009. En outre, les prix des produits de grande consommation ont reculé de 0,65 % au cours du premier semestre de 2009.

Pourtant, les relations commerciales entre distributeurs et fournisseurs sont loin d'être assainies. A en croire le rapport, la liberté de négociation introduite par la loi a même aggravé le déséquilibre en défaveur des fournisseurs. Des pratiques abusives ont été sanctionnées par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. La condamnation des neuf principales enseignes par des tribunaux de commerce atteste la mauvaise volonté de certains gros acheteurs qui refusent de fonder la négociation sur les conditions générales de vente établies par le fournisseur. La vigilance des services de l'État est une bonne chose mais nous devons modifier le rapport de forces entre les puissantes centrales d'achats et les producteurs, notamment les petits exploitants agricoles. Cet été, certains d'entre eux ont bloqué des plates-formes de supermarchés car ils ont l'impression que leurs efforts de compétitivité ne profitent qu'à la grande distribution.

Mme Nathalie Goulet.  - C'est vrai !

M. Yvon Collin.  - Alors qu'elles se contentaient hier d'une marge de 15 %, les grandes enseignes demandent aujourd'hui au minimum 25 %. Elles contribuent à la complexité de la formation des prix pour brouiller les règles et maintenir l'opacité sur les marges. En réalité, le prix de vente dépend du nombre d'intermédiaires bien plus que des cours agricoles, d'où l'exaspération légitime des agriculteurs qui ne peuvent affronter les puissantes centrales d'achat.

La loi de modernisation de l'économie a vu le jour en pleine récession. Il est donc difficile de dresser son bilan, mais nous étions nombreux à douter dès le départ de son opportunité. On voit bien aujourd'hui que les relations commerciales n'ont guère évolué. C'est regrettable. J'aimerais que l'on reprenne ces sujets, fondamentaux pour la croissance et l'emploi.

L'initiative du groupe socialiste est donc bien excellente. (Applaudissements sur les bancs du RDSE et sur les bancs socialistes)

M. Antoine Lefèvre.  - Nous aurions voulu que ce débat ne fût pas nécessaire mais force est de constater avec Mme Lamure que, si la LME donne globalement satisfaction pour les délais de paiement, elle n'a pas atteint son objectif en faveur du secteur productif agricole. Certaines dérives ont même été aggravées, comme les écarts inexplicables entre l'évolution des prix agricoles et celle des prix de l'alimentation.

Mme Nathalie Goulet.  - Très bien !

M. Antoine Lefèvre.  - Au fil des ans, de nouvelles relations de force se sont établies entre distributeurs et producteurs. Si le bon sens économique inscrit dans cette loi avait été respecté, le monde agricole n'aurait pas subi une chute de revenu sans précédent. On a d'autant plus de pouvoir tout au long de la chaîne alimentaire que l'on est plus proche du consommateur, pour qui la variable prix est prépondérante. Mais comment expliquer que pour certaines filières agricoles, la marge des distributeurs atteigne 60 % ?

Votée pour améliorer le pouvoir d'achat, la LME semble avoir conforté la position dominante de la grande distribution. Certes, les notions de ristournes et de rabais ont disparu, mais certaines centrales prélèvent un pourcentage pour participation à leurs frais de fonctionnement. Limité à 0,5 % chez Leclerc et Lidl, ce pourcentage peut atteindre 4 % pour les fournisseurs d'Intermarché, en passant par les 2,5 % de Carrefour et les 3,5 % pratiqués par Auchan. Ainsi, certains fournisseurs trouvent en pied de facture un pourcentage quasiment identique à la marge qu'ils obtiennent, mais sans aucune contrepartie.

Quand une promotion est décrétée, un grand volume de produits est commandé à un prix imposé, dont une partie seulement est commercialisée à prix promotionnel, le reste étant vendu au prix fort mais sans répercussion vers le producteur.

Pour les producteurs de légumes, ces ristournes atteindraient 200 millions d'euros par an. Finalement, rien n'a changé sinon les termes : les producteurs vendent encore au-dessous de leur prix de revient.

Prenons l'exemple de la pomme. Les prix ont baissé de 10 centimes par kilogramme depuis la campagne 2007-2008, avec un prix logé départ moyen qui ressort à 65 centimes par kilogramme, laissant 20 à 25 centimes au producteur. Pour rentrer dans ses frais, il faudrait à celui-ci un prix logé départ de 80 centimes par kilogramme. Il est donc impératif d'assurer la transparence des prix pour garantir un juste retour au producteur et un prix équitable aux consommateurs.

Je tiens à souligner le rôle essentiel joué par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, épaulée par la commission d'examen des pratiques commerciales, pour contrôler l'application de la loi et assurer les bonnes pratiques. A ce propos, pourriez-vous nous renseigner plus avant sur le « pacte nouvelles donnes LME », qui doit préparer les négociations commerciales 2010 ? Je sais les pouvoirs publics conscients qu'il faut contrôler et réprimer les abus.

J'ai noté la remarque formulée en commission par M. César, rapporteur du projet de loi de modernisation de l'agriculture, sur les correspondances entre celle-ci et la LME. Je forme donc des voeux en cette nouvelle année pour que les relations commerciales soient définitivement assainies grâces aux efforts conjugués fournis par les brigades régionalisées de la LME, par l'Observatoire des prix et des marges, enfin par le Parlement dans le cadre de la loi de modernisation de l'agriculture. (Applaudissements à droite)

M. Pierre Hérisson.  - Le titre III de la LME devait renforcer l'attractivité du pays grâce à l'installation du très haut débit en fibre optique.

Mme Nathalie Goulet.  - Aïe !

M. Pierre Hérisson.  - Malheureusement, nous butons sur l'utilisation des réseaux existants en fibre optique ou en cuivre. En effet, sous le prétexte d'éviter une hypothétique distorsion de concurrence au profit de l'opérateur historique, l'intérêt général est mis à mal par l'opposition des instances concernées au dégroupage en sous-répartition, bien que cette solution soit la moins coûteuse pour les clients et la collectivité puisqu'elle s'appuie sur la sous-boucle locale en cuivre.

Les autorités constatant la frilosité des concurrents de l'opérateur historique, qui n'ont demandé aucun dégroupage en sous-répartition, en déduisent que cette solution mettrait en péril l'équité du marché. C'est une erreur et il vaudrait mieux passer une convention nationale avec l'opérateur historique afin qu'il offre aux clients éloignés et isolés un service fondé sur le prix de revient.

Je vous laisse réfléchir à cette proposition, tout en étant persuadé que nous aurions réglé bien des problèmes en créant un service universel du haut débit, une solution de sagesse et de bon sens réclamée par le Sénat.

Je m'éloignerai quelque peu du sujet en évoquant la baisse de la TVA dans la restauration, qui n'est pas une première puisqu'une mesure identique a été appliquée aux fleuristes et aux chocolatiers sans soulever autant de polémiques. Les conséquences étaient moindres...

M. Paul Raoult.  - Et comment !

M. Pierre Hérisson.  - ...mais il ne me semble pas que le changement de taux ait fait baisser les prix.

Comme vous le savez, des dispositions négociées ont permis de soutenir l'emploi, de réévaluer les salaires et de mettre des établissements aux normes.

Il est certes utile d'analyser précisément les engagements tenus mais je tiens à souligner que la baisse de la TVA est vertueuse pour la restauration indépendante et familiale. L'analyse de notre rapporteur est exacte.

Je tiens à souligner un élément de bon sens : nous allons ainsi éviter la disparition par centaines d'entreprises de restauration indépendantes. Autant que d'autres, cette profession mérite un soutien de l'État.

Bref, monsieur le ministre, vous avez bien fait de tenir bon ! (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Jean Bizet.  - Très bien !

Mme Nathalie Goulet.  - Un bilan est un bilan. La LME comportait de multiples aspects, dont le changement de statut de RFI. Varions donc les plaisirs...

Mme Nicole Bricq.  - Très bien !

Mme Nathalie Goulet.  - Certains d'entre nous s'étaient alors inquiétés des menaces pesant sur cet outil incomparable du rayonnement de la France, cet organe de souveraineté qui fut longtemps le seul à remplir une double mission : une mission d'influence -la France devant rivaliser avec les grands médias internationaux- et une mission culturelle -la France devant promouvoir ses valeurs. (Mme Nicole Bricq acquiesce) RFI n'est pas la voix de la France, elle est la voix des Français de l'étranger, de tous les francophones, de tous les francophiles. Et cette voix est en danger d'étranglement ! La Fédération des Français de l'étranger a fermement condamné « le ralentissement des activités de cette radio ». « Le processus de réduction de la diffusion », lui, « semble préjudiciable à l'équilibre global de fonctionnement de la radio, alors que le désengagement total des filières de RFI à l'étranger est programmé. » Amputer RFI de ses diffusions en langues étrangères, c'est donner l'image d'une France qui n'a pas les moyens financiers de créer une information internationale digne de ce nom. Fin janvier, Nicolas Sarkozy annonçait une aide de 600 millions d'euros à la presse écrite. Elle ne mérite peut-être pas autant d'égards, elle si avare de compliments à l'égard de certains responsables...

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - Je suis dans le même cas !

Mme Nathalie Goulet.  - Au même moment, l'État lançait un plan de licenciements massif à RFI -le seul plan social dans les sociétés publiques-, sous le prétexte que ses comptes étaient déséquilibrés, tout en autorisant à France 24 d'importantes embauches, des licenciements que M. de Pouzilhac avait formellement exclus en arrivant à la tête de la société. Le 8 décembre, une fois close la période de rétractation, 271 salariés de RFI étaient candidats au départ volontaire, soit un nombre bien supérieur aux suppressions de poste prévues. Parmi eux, cinq chefs de service sur sept, 80 % de l'encadrement intermédiaire sont partants à la rédaction en français. C'est la fuite des cerveaux, des talents et des compétences !

L'argument du déficit structurel ne tient pas à l'analyse. Outre que l'État a confirmé la recapitalisation de RFI à hauteur de 16,9 millions, somme correspondant au déficit des trois dernières années, osons la mise en perspective avec le salaire du président de RFI (marques d'encouragement à gauche) : un salaire annuel de 310 000 euros, versé aussi à la directrice générale, Christine Ockrent, supérieur à ceux de Barack Obama, d'Angela Merckel ou de Nicolas Sarkozy. Ces 310 000 euros peuvent également être comparés aux 130 000 euros du précédent PDG...

Le 18 décembre, le glas a sonné subrepticement pour 6 des 17 rédactions en langues étrangères de RFI. Le silence radio s'est fait définitivement en polonais, en albanais, en laotien et en allemand. Et ce, à la veille du 65e anniversaire des émissions en langue allemande. Incroyable ! Quant à la rédaction en turc, elle a cessé d'émettre depuis longtemps. Pour la première fois de son histoire, RFI subit un processus de strangulation intempestif et intensif. Le cas du persan, langue chère à mon coeur, est incompréhensible, eu égard à la situation explosive en Iran. Au lieu, comme les Britanniques et les Américains, de renforcer cette langue sur tous les supports, nous avons commis l'erreur majeure, l'erreur stratégique de décider l'arrêt de la diffusion du persan sur les ondes moyennes le 5 mars dernier et de ne pas remplacer cette diffusion sur FM. Les auditeurs chinois des ondes moyennes arrêtées sont livrés à une radio commerciale, sans doute intéressante mais ce n'est pas la voix de la France ! Le sabotage de RFI s'accompagne également de la vente des filiales à l'étranger. On brade à tout va en Bulgarie, à Belgrade, à Lisbonne, à Budapest.

Nous sommes loin des promesses et des discours rassurants que tenaient Mme Lagarde et M. Marini le 3 juillet 2008. J'avais alors eu la faiblesse coupable de présenter un amendement que le Sénat avait eu la faiblesse d'adopter... Au vu du sabotage organisé de RFI aujourd'hui, on comprend pourquoi ledit amendement a été retoqué en CMP ! Comme disent nos amis italiens, entre le dire et le faire, il y a la moitié de la mer ! (Vifs applaudissements à gauche et au centre)

M. Daniel Raoul.  - Quelques remarques positives pour bien commencer l'année ! Je salue l'initiative de créer un groupe de travail en amont du débat, qui devrait être reprise par les autres présidents de commission, et la fidélité de notre rapporteur au travail effectué au sein du groupe...

M. Charles Revet.  - Très bien !

M. Daniel Raoul.  - ...même si nous divergeons sur les solutions à apporter. Un petit regret, tout de même, celui de ne pas avoir bénéficié, comme nous l'avions fait lors de l'examen de la LME avec la formation d'une commission spéciale, de l'expertise de la commission des affaires sociales et de la commission des finances. Le champ de cette loi fourre-tout étant très vaste et le recul peut-être insuffisant pour juger de tous ses effets, la commission a choisi de s'en tenir à quatre thèmes mais nous aurions pu aussi évoquer, comme Mme Goulet, la question d'actualité de RFI, celle du très haut débit, dont M. Hérisson a parlé, l'ouverture des magasins d'ameublement le dimanche, chère à Mme Debré, et l'urbanisme commercial. A ce sujet, je regrette le décès de notre collègue député spécialiste de la question.

M. Gérard César.  - Hélas !

M. Daniel Raoul.  - Les élus sont désemparés devant la prolifération d'établissements de restauration exotique dans les centres-villes.

L'objet de ce débat est de faire un bilan d'étape, après seulement dix-huit mois d'application, de cette loi LME que l'on pourrait qualifier de « M.E.L » tant la pression de la grande distribution a pesé...

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - Oh non !

M. Daniel Raoul. - ...sur la rédaction de certains articles. Revenons à l'objectif de cette loi : « lever les contraintes qui empêchent certains secteurs de se développer, de créer des emplois et de faire baisser les prix ». Quel acte de foi dans le libre fonctionnement des marchés ! En fait, c'est un dogme que vous partagez avec Mme lagarde... Nous avons constaté les bienfaits de la concurrence sur le marché de l'énergie. La mise en concurrence a entraîné l'augmentation des prix, et non leur baisse ! (M. Hervé Novelli, secrétaire d'État, s'étonne) Soit, comme Nicolas Sarkozy, vous avez reconnu que le modèle social français avait permis à la France de mieux résister à la crise que ses voisins, mais vous ne cessez de vous y attaquer au nom d'une confiance aveugle dans le marché.

Le bilan de la LME est très contrasté. Il est négatif au moins sur deux points principaux : l'emploi et les prix. Quelques mots sur le statut des auto-entrepreneurs, dont Mme Demontès reparlera. Ce statut a entraîné la diminution des créations d'entreprises individuelles. Plus de deux tiers de ces entrepreneurs ne font pas de chiffre d'affaires. Qu'y a-t-il derrière ce statut ? Sans vouloir reprendre certains arguments un peu excessifs de la Capeb...

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - Je vous en sais gré !

M. Daniel Raoul.  - ...on peut s'interroger, du point de vue du consommateur, sur la réalité des travaux effectués par les auto-entrepreneurs et la responsabilité de ceux-ci. De plus, il ne faut pas confondre création d'activité et création d'entreprise, avais-je dit lors du débat sur la LME à Mme Lagarde. Ce statut conduit, en effet, à une pratique perverse : celle d'externaliser des tâches afin d'éviter des charges sans, pour autant, augmenter les salaires des personnes concernées.

Cela se pratique notamment pour la correction dans les maisons d'édition.

J'en viens aux pratiques commerciales. La date du 1er mars a été respectée mais diverses dérives ont été relevées : la DGCCRF a découvert des conventions comportant plusieurs dispositions léonines.

Nous n'avons pas voté ces articles car ils instauraient un rapport de force inégal. Reste le problème du prix de vente au consommateur. Il faudra bien que le législateur remette l'ouvrage sur le métier pour éviter, à l'avenir, des crises comme celles qui ont touché les secteurs du lait et des fruits et légumes. Malgré ce que prétend la distribution, la transparence fait encore défaut. Dans le commerce, la confiance est loin d'être la règle. Les prix se forment de façon opaque, au détriment du producteur et du consommateur. Pourquoi ne pas expérimenter le coefficient multiplicateur maximal pour les produits bruts ou peu transformés ? Ce dispositif a été introduit en 2005 dans la loi relative au développement des territoires ruraux. Même s'il n'a jamais été appliqué, il a incité les partenaires, notamment la distribution, à contenir leurs marges.

Il n'y a pas de corrélation simple entre les prix alimentaires et les prix agricoles alors que le budget alimentaire incompressible continue à augmenter pour les ménages les plus modestes. Il peut atteindre 20 % pour ceux qui ont été touchés par la crise et le chômage.

Mme le rapporteur a rappelé les contrôles effectués par les agents de la DGCCRF, qui ont permis de mettre à jour certaines dérives. Mais quid de l'avenir de la DGCCRF ? Du fait de la RGPP, ses agents n'iront plus sur le terrain. Alors que les contrôles effectués ont limité les dégâts engendrés par la loi LME, nous allons perdre ces moyens de contrôle.

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - Mais non !

M. Daniel Raoul.  - Nous en reparlerons, monsieur le ministre.

Concernant les délais de paiement, des progrès ont été réalisés, mais les dérogations se sont multipliées. Qu'adviendra-t-il à la fin du délai prévu par le législateur ? Le réveil risque d'être très douloureux alors qu'on aurait dû imposer une extinction progressive de la dérogation.

Quant à l'urbanisme commercial, il faut trouver une solution pour que les élus locaux puissent imposer dans les Scot et dans les PLU un réel contrôle de l'offre commerciale, leur permettant d'organiser des pôles de proximité tenant compte en particulier de l'allongement de l'espérance de vie et des services dont nos concitoyens âgés ont besoin. Dans les villes de plus de 20 000 habitants, les élus n'ont plus aucun contrôle sur les créations de commerce de moins de 1 000 m². Il faudra aussi revisiter le droit de préemption urbain qui comporte trop de contraintes. Les restaurants exotiques ne répondent pas aux attentes de commerces de proximité.

J'en viens aux soldes flottantes : après expérimentation, elles sont rejetées par les consommateurs et les commerces indépendants.

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - Cela dépend !

M. Daniel Raoul.  - Plus personne ne sait quel est le juste prix des choses et à quel moment il faut acheter.

Sur ces quatre thèmes, le bilan est donc très mitigé. Si je me satisfais des évolutions constatées pour les délais de paiement, je suis bien plus réservé sur le reste. (Applaudissements à gauche)

M. François Fortassin.  - La loi LME a suscité de grands espoirs : elle affichait l'ambition de « lever les contraintes qui empêchent certains secteurs de se développer, de créer des emplois et de faire baisser les prix ». On ne peut qu'applaudir à ce genre de considérations. En revanche, les résultats laissent à désirer.

Sur le plan intellectuel, la création du statut d'auto-entrepreneur était remarquable. Certains ont même employé des termes d'une grande poési, et vous savez combien j'y suis sensible. Il est quand même extraordinaire de parler d'entreprises dormantes plutôt que d'entreprises qui se cassent la figure !

Mme Christiane Demontès.  - Elles n'ont même pas décollé !

M. François Fortassin.  - Nous sommes dans un pays où les diplômes et le savoir-faire sont reconnus. Or, avec le statut d'auto-entrepreneur, on ne demande aux gens que d'être sensibles à l'appât du gain. Dans le secteur du bâtiment, on se retrouve souvent avec des consommateurs en rade ! Quand ils ont payé leurs travaux et qu'ils en sont mécontents, ils n'ont plus, comme recours, que de s'adresser à un autre entrepreneur en espérant qu'il soit un peu plus consciencieux et professionnel. Si, sur le plan intellectuel, cette mesure était très bonne...

Mme Nicole Bricq.  - Certainement pas !

M. François Fortassin.  - ...elle a eu des effets pervers.

Même chose pour les délais de paiement. C'est faire preuve, monsieur le ministre, d'une naïveté que j'admire (sourires) que de croire que les choses ont changé ! Quand un grand distributeur ne paye pas un petit producteur ou un petit industriel, ces derniers n'ont pas d'autres choix que d'attendre.

M. Yvon Collin.  - Eh oui !

M. François Fortassin.  - S'ils saisissent les autorités de contrôle, ils sont immédiatement déréférencés. La grande distribution a des moyens de coercition très importants et fait preuve d'une solidarité à toute épreuve.

On nous dit que le double étiquetage serait difficile à mettre en oeuvre. Il aurait au moins le mérite d'informer les consommateurs sur le prix payé au producteur. Certes, c'est plus facile pour le raisin ou les clémentines que pour les boîtes de cassoulet.

Mme Nicole Bricq.  - Il y a plusieurs recettes de cassoulet !

M. François Fortassin.  - Qu'on le fasse au moins pour les produits simples.

Comment accepter qu'on ne connaisse pas la date d'abattage des animaux ? En faisant un rapport avec mon collègue Bailly sur l'élevage ovin, j'ai appris qu'on vendait de la viande « fraîche » d'animaux qui avaient été abattus trois mois auparavant ! Quand je laisse pendant trois semaines un morceau de rumsteck ou des côtes d'agneaux dans mon réfrigérateur, elles ne donnent pas envie de les manger ! Ces viandes doivent donc être agrémentées de certains produits dont nous n'avons pas réussi à connaître l'origine. Il est anormal que de telles pratiques perdurent.

Cette loi a fait preuve de beaucoup de bonne volonté, mais elle a à peu près l'efficacité sur l'économie d'un sinapisme sur une jambe de bois. (Applaudissements et rires à gauche, et sur les bancs du RDSE)

M. Jean Bizet.  - Près de deux ans après le vote de la loi de modernisation de l'économie, je me réjouis que nous puissions en dresser un premier bilan.

Les délais de paiement qui ont été ramenés à 45 jours fin de mois ou à 60 jours calendaires à compter de la date d'émission de la facture sont globalement respectés. Une plus grande équité a ainsi été imposée aux différents partenaires. Cependant, selon le rapport d'Élisabeth Lamure, 20 % de l'économie y dérogent grâce à des accords spécifiques permettant une transition en douceur.

Ces jours gagnés sur les délais de paiement moyens facilitent le fonctionnement de l'ensemble des PME fournisseurs de la grande distribution. La LME sur ce point précis a atteint son but.

II en est tout autrement des relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs. Si les marges arrière ont été effectivement réduites, ces relations restent très déséquilibrées au profit des trois ou quatre enseignes qui monopolisent les échanges commerciaux nationaux. Fournisseurs et distributeurs divergent quant à l'interprétation de la loi. Toutes les conventions contrôlées contenaient au moins une disposition significativement déséquilibrée.

L'État n'est pas resté inactif. La DGCCRF a assigné devant les tribunaux de commerce neuf enseignes, lesquelles ont fait part de leur incompréhension, imaginant sans doute que les choses pouvaient continuer comme par le passé. Non, le législateur et les fournisseurs ne peuvent être ainsi mis devant le fait accompli. Une loi est élaborée et votée pour être respectée !

Monsieur le ministre, ma première question concerne ce contentieux : quand peut-on espérer obtenir, grâce aux jugements des tribunaux de commerce ainsi saisis, une interprétation unique et non ambiguë de la LME ? Les effectifs de la DGCCRF sont-ils suffisants pour diligenter tous les contrôles nécessaires ?

J'aimerais enfin aborder le partage de la valeur ajoutée dans certaines filières agricoles. Le rapport de Christiane Lambert pour le Conseil économique, social et environnemental montre que, début 2008, lorsque le lait était payé 32 centimes le litre au producteur, la marge brute du distributeur atteignait les 40 centimes. En Grande-Bretagne, lorsque le litre de lait était payé 25,82 pence le litre, la marge brute du distributeur s'élevait à 13,16 pence... Même si les producteurs parviennent à trouver, bon an, mal an, des accords de prix, les transformateurs font régulièrement état des pressions exercées par la grande distribution pour fixer un prix parfois inférieur au prix de revient du producteur !

Notre filière laitière est fragile, elle devra être restructurée si elle veut rester compétitive. Nos voisins d'Allemagne et d'Europe du Nord ont conduit d'importantes réformes que nous avons toujours repoussées à cause de la diversité de notre territoire, qui en fait aussi la complexité.

Nous connaîtrons dans les années à venir une grande volatilité des cours car nous sommes dans une internationalisation des marchés. Conscients de cette évolution, nous devons réagir sans pour autant revenir à un encadrement total des prix, qui n'est plus de saison. L'État, à partir d'un certain seuil, doit inciter à des partenariats, favoriser un dialogue qui ne soit pas une entente illégale. Nous comprenons les manifestations des producteurs, qui ne peuvent admettre qu'on leur paie le lait en dessous de son prix de revient.

J'attends des réponses précises. (Applaudissements à droite et au centre)

Mme Muguette Dini.  - L'auto-entrepreneur est l'une des innovations marquantes de la loi du 4 août 2008. L'engouement pour ce nouveau statut est réel, comme le montrent les chiffres que vous communiquez, monsieur le ministre.

Il est vrai qu'il offre de multiples avantages, au nombre desquels un régime microsocial simplifié. Ce régime consiste en un versement libératoire des cotisations sociales, calculé proportionnellement aux revenus d'activité effectivement encaissés. Pour les périodes sans revenus d'activité, aucune cotisation n'est due. Ce régime ouvre droit à une couverture sociale en termes d'avantages maladie, maternité, vieillesse et invalidité-décès.

La caisse nationale d'assurance vieillesse des professions libérales (CNAVPL) et la caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse (Cipav) sont préoccupées par les conséquences financières de cette ouverture de droits sociaux à des actifs ayant des chiffres d'affaires très faibles : de l'ordre de 2 000 euros par an. La majorité des auto-entrepreneurs qui y sont affiliés n'ont d'ailleurs pas déclaré de chiffre d'affaires du tout.

A la Cipav, un adhérent qui réalise un chiffre d'affaires annuel de 4 000 euros doit 550 euros de cotisations ; il en paie la moitié, l'autre moitié étant prise en charge par l'État. Dans une circulaire du 9 avril 2009, la direction des retraites du régime social des indépendants prend l'exemple d'un commerçant auto-entrepreneur déclarant un chiffre d'affaires annuel de 20 000 euros. La retraite de base payée par l'assuré à hauteur de 606 euros, au lieu de 966 euros, est compensée par l'État pour 360 euros. Mais les droits sont validés sur la base de 966 euros. La retraite complémentaire est payée 237 euros mais les points sont calculés sur la base de 377 euros. Si l'on compte 100 000 bénéficiaires en fin d'année, l'État devra compenser à la Cipav 30 millions d'euros en 2009, plus de 40 en 2010.

Ces évolutions portent également sur la charge de compensation démographique qui pèsera sur la CNAVPL, si les règles actuelles ne sont pas changées : l'afflux d'adhérents accroît la charge de compensation de la CNAVPL aux autres régimes de base, de 1 700 euros pour chaque actif supplémentaire, montant sans commune mesure avec les cotisations des auto-entrepreneurs. L'article 71 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 prévoit que la compensation assurée par l'État aux organismes de sécurité sociale concerne désormais les auto-entrepreneurs ayant un revenu inférieur à un seuil fixé par décret. Ce seuil doit être significatif mais il importe d'aller plus loin. Il faut que les droits ouverts aux auto-entrepreneurs soient proportionnels au montant de leurs cotisations. Cette solution n'est pas très pénalisante, compte tenu du fait que, selon le rapport de Mme Lamure, on trouverait parmi les auto-entrepreneurs 33 % de salariés et 6 % de retraités, lesquels bénéficient donc déjà d'une couverture sociale et ne trouvent dans leur auto-entreprise qu'un complément de revenu.

Je souhaite donc qu'on trouve des dispositions pour les auto-entrepreneurs qui ne pénalisent pas les finances des caisses de protection sociale.

Mme Christiane Demontès.  - Dans une situation économique et sociale profondément dégradée, avec un chômage qui oscille autour de 10 %, toute mesure créant de l'activité est positive, à condition du moins qu'elle n'ait pas des effets pervers contraires à l'objectif déclaré.

Or, ainsi que le rappelait notre collègue Nicole Bricq, lors de l'examen de la dernière loi des finances rectificative, « lorsque le statut d'auto-entrepreneur a été intégré à la loi de modernisation de l'économie, en 2008, le groupe socialiste s'est exprimé contre pour des raisons générales mais aussi au nom du risque de concurrence déloyale que ce régime suscite au regard de l'artisanat et du commerce ».

Le statut d'auto-entrepreneur est brandi comme un étendard par la majorité et le Gouvernement. Prototype de décision qui fait la fierté des grands promoteurs du libéralisme économique, il devait permettre à nos concitoyens de découvrir la création d'entreprise sans entrave administrative. C'est dans cet esprit que M. Woerth a tenu à « dire au Sénat que le succès du régime de l'auto-entreprise est incontestable. »

Les données fournies par l'Acoss en novembre dernier, qui correspondent aux comptes auto-entrepreneurs créés en Urssaf au 31 octobre 2009 et aux échéances acquittées au titre des trois premiers trimestres de l'année, montrent que l'auto-entrepreneur type est un demandeur d'emploi âgé de 44 ans, qui facture peu. Sur les 240 000 auto-entrepreneurs susceptibles de déclarer et acquitter des montants au titre de leur chiffre d'affaires, 47 500 ont déclaré avoir produit un chiffre d'affaires, soit 20 % du total de l'existant. Si nous prenons le total des chiffres d'affaires générés par les auto-entrepreneurs, nous atteignons 383 millions pour les trois premiers trimestres de 2009.

Le chiffre d'affaires moyen par auto-entrepreneur à l'Urssaf -à condition d'en avoir déclaré un- est de 4 000 euros par trimestre, soit un revenu mensuel de 1 330 euros. Dès lors, comment qualifier de réussite un dispositif qui se caractérise par 68 % d'activités dormantes ainsi que le met en exergue notre collègue Lamure dans son rapport ? Nous partageons son interrogation quant aux chances de développement de plus des deux tiers des auto-entreprises créées avant le 30 juin et qui n'ont toujours réalisé aucune opération quatre mois plus tard. Partant, quelle pertinence y a-t-il à étendre de 12 à 36 mois la durée pendant laquelle une auto-entreprise peut rester « dormante », c'est-à-dire ne réaliser aucun chiffre d'affaires, sans être contrainte de quitter le régime de l'auto-entreprise ? N'est-ce pas là inciter à l'exercice d'activité illégale ? Nous le croyons fermement.

Au-delà de ces statistiques, deux problèmes majeurs se posent. Le premier, c'est la concurrence déloyale sciemment instaurée par le Gouvernement. Il suffit de lire la presse quotidienne régionale pour le constater : partout, les fédérations professionnelles d'artisans protestent contre la concurrence nouvelle des auto-entrepreneurs. Mme Lamure écrit que « le Gouvernement a fait réaliser des simulations qui ne feraient pas apparaître un avantage systématique au profit des auto-entrepreneurs... ». Dans les faits, les présidents des Unions professionnelles artisanales avaient déjà interpellé le secrétaire d'État en juillet, et dernièrement, à l'occasion de l'assemblée permanente des chambres de métiers, il en a été de même. Comment pourrait-il en être autrement lorsque la distorsion de concurrence est telle ? C'est dans le secteur du bâtiment, qui rassemble 12 % du total des auto-entrepreneurs, que le problème est le plus crucial. Un peu partout, des artisans à la retraite ou de simples bricoleurs proposent aux particuliers de refaire leur salle de bains ou de repeindre leur cuisine à des tarifs inespérés. Entre les charges fixes, les cotisations sociales et les impôts, limités à 20 % pour les auto-entrepreneurs, les devis de ces derniers sont inférieurs de 20 à 50 % à ceux du bâtiment. C'est, à des degrés divers, la même chose dans tous les secteurs du commerce et de l'artisanat, que ce soit chez les coiffeurs, les plombiers ou les métiers des NTIC.

Autre effet pervers, que Mme le rapporteur a relevé : « un certain nombre d'employeurs peuvent être incités à substituer des auto-entrepreneurs à des salariés ». Certaines entreprises incitent leurs propres salariés à s'installer comme auto-entrepreneurs pour exécuter des tâches qu'ils réalisaient en tant que salariés au sein de l'entreprise. Comment, dans un contexte de crise, ce type de sous-traitance ne se multiplierait-il pas ?

Ainsi, les conséquences directes sur l'emploi sont indéniables. Pour le moment, nous ne disposons pas de données précises ; sans doute le comité d'évaluation sera-t-il en mesure de nous les fournir.

Ces conséquences sont d'autant plus regrettables que, selon le rapport de Mme Lamure, seuls 17 % des auto-entrepreneurs auraient été prêts, le cas échéant, à lancer leur projet même dans un autre cadre juridique.

Second problème : les conséquences sur notre régime de protection sociale qui affiche un déficit prévisionnel historique de 30 milliards pour cette année. Ce statut au régime fiscal extrêmement favorable constitue une nouvelle source de moins-perçu pour les finances sociales. Si le chiffre d'affaires total d'un milliard attendu par le secrétaire d'État aux PME avait été atteint, le déficit de cotisations sociales se serait creusé de près de 300 millions ; il ne sera que du tiers mais qu'en sera-t-il l'année prochaine alors que les perspectives en matière d'emploi sont extrêmement sombres ? Car, ne nous y trompons pas, il s'agit de faire glisser du statut de demandeur d'emploi à celui d'auto-entrepreneur nombre de nos concitoyens afin de minorer les dépenses d'assurance chômage. Mais, dans le même temps, c'est la précarité statutaire et le nombre de travailleurs pauvres -ils sont déjà 3,7 millions- qui risquent de progresser.

Enfin, l'année 2010 sera marquée par une nouvelle réforme des retraites. Dans un contexte budgétaire extrêmement difficile, comment ne pas penser que les tenants de la politique économique actuelle présenteront le statut d'auto-entrepreneur comme une solution pour les retraités disposant de faibles pensions ?

Il y a un peu plus d'un an, nous avions averti des risques que ce nouveau statut faisait peser sur notre économie et notamment sur le secteur du commerce et de l'artisanat. Un an plus tard, nous constatons que, malheureusement, nos craintes étaient fondées lorsque nous disions que « l'auto-entreprenariat installe dans une situation précaire ceux qui n'ont d'autre solution que de le choisir pour ne pas rester sans emploi ». (Applaudissements à gauche)

M. Charles Revet.  - Le succès de l'auto-entreprise est incontestable. D'après l'Insee, on a créé 291 000 entreprises sous ce régime au 1er décembre, dépassant largement l'objectif de 200 000 fixé pour 2009. Toutefois (« Ah ? » sur les bancs socialistes), ce succès doit être relativisé : des auto-entreprises demeurent inactives et certaines n'ont fait que se substituer à des créations d'entreprises individuelles qui auraient de toute façon eu lieu mais sous un autre régime.

Si ce statut encourage les bonnes volontés et a facilité une véritable floraison d'initiatives, l'ampleur de son succès inquiète, en particulier les instances de l'artisanat. Les chambres de métiers, craignant une hémorragie de leurs membres, se demandent si le statut d'artisan ou d'entrepreneur habituel, pourra continuer de financer les charges et cotisations et s'il pourra subsister. Monsieur le ministre, vous avez rencontré les représentants des artisans et vos engagements de juin dernier ont été tenus puisque le Gouvernement a déposé un amendement, lors de la discussion du projet de loi de finances rectificative à l'Assemblée nationale, prévoyant que, lorsqu'une personne exerce une activité à titre principal sous le régime de l'auto-entrepreneur, elle doit s'inscrire au registre des métiers.

Néanmoins, certains problèmes subsistent et, avec un certain nombre de mes collègues, nous avions déposé un amendement complémentaire, le 18 décembre dernier, prévoyant l'inscription au répertoire des métiers des auto-entrepreneurs exerçant une activité artisanale à titre principal et à titre complémentaire. En effet, qu'elle s'exerce à titre principal ou secondaire, l'activité réglementée, au sens de l'article 16 de la loi du 5 juillet 1996, peut présenter les mêmes risques pour les consommateurs. Il serait donc logique que cette activité fasse, dans tous les cas, l'objet d'une immatriculation, étant entendu que celle-ci oblige le créateur d'entreprise à attester une qualification minimale.

Il faut également poser la question des limites du statut d'auto-entrepreneur et des conditions de sortie de ce statut, car on ne saurait être indéfiniment auto-entrepreneur.

II y a là une vraie réflexion à mener et un vrai texte législatif à élaborer. Votre collègue, Éric Woerth, ministre du budget, ne s'est pas dit très favorable à ce que cette obligation soit étendue aux auto-entrepreneurs exerçant à titre complémentaire. Pourtant, pour ne pas fragiliser les chambres de métiers, une évaluation de l'auto-entreprenariat s'impose, et de façon urgente. En l'absence de contraintes et de charges, tout dispositif est forcément plus efficace : les auto-entrepreneurs, exonérés de certaines obligations, échappent aux conditions d'une concurrence loyale aux yeux des artisans soumis à toutes les contraintes de leur activité. Une telle situation ne saurait durer indéfiniment, sauf à voir l'auto-entrepreneuriat se substituer progressivement à des pans entiers de l'économie de proximité. De plus en plus de personnes, notamment des retraités, exercent une activité sous ce nouveau statut. Passe encore le cas de celui qui jardine quelques heures chez ses voisins. Mais quid de celui qui réalise une installation électrique ou de plomberie s'il n'a pas la qualification indispensable ?

Il faut donc élaborer une vraie loi pour gérer le succès de l'auto-entrepreneur, éviter les abus et traiter le problème de la sous-traitance. Vous allez devoir, monsieur le ministre, mettre bon ordre à tout cela. Avec mes collègues, nous serons attentifs aux conclusions du comité d'évaluation que vous avez convoqué pour ce début d'année, comme nous serons attentifs aux dispositions du décret, actuellement au Conseil d'État et instituant une vérification des qualifications professionnelles pour les artisans comme pour les auto-entrepreneurs. Je vous remercie des précisions que vous ne manquerez pas de nous apporter. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services et de la consommation.  - Je remercie d'abord tous les orateurs pour la qualité de leurs interventions et je salue également le travail de votre commission de l'économie, en particulier celui de son rapporteur, Élisabeth Lamure. La constitution d'un groupe d'études spécifique, en amont de ce débat, a enrichi nos échanges, d'autant que ce groupe est ici largement représenté aujourd'hui. Je salue également Jean-Paul Emorine, président de la commission, qui a pris l'initiative de créer ce groupe de travail.

La variété des questions abordées dans vos interventions témoigne bien de l'importance et de la richesse de cette loi, votée deux mois avant le déclenchement de la crise financière et qui a très concrètement aidé notre économie à mieux passer l'orage.

Qu'il s'agisse de la réduction des délais de paiement, du statut d'auto-entrepreneur ou de la négociabilité, la LME s'est révélée une formidable arme anti-crise. Mais elle a avant tout été conçue pour réformer en profondeur, structurellement, notre économie. Même si ses résultats doivent être appréciés dans la durée, un premier bilan peut en être tiré.

Pour les délais de paiement, contrairement à ce qu'a dit Mme Terrade, ce bilan est très positif. Le rapport de l'Observatoire des délais de paiement donne pour 2008 des indications précieuses : les délais clients ont été, cette année-là, -par anticipation- réduits de 2,2 jours et les délais fournisseurs de 3,5. Trois enquêtes récentes donnent pour 2009 des résultats convergents. Pour la moitié de l'échantillon sondé par l'Association des credit managers, les délais ont été réduits de 10 jours ; selon l'étude conduite par mes services, la réduction a été de 11 jours ; selon celle des assureurs-crédit, elle est comprise entre 8 et 10 jours. Nous sommes ainsi revenus à la moyenne européenne, 57 jours, au lieu de 67. Les dérogations, qui sont au nombre de 39, ne couvrent, j'y insiste, que 20 % de l'économie française. Je ne suis pas favorable, madame Khiari, à des dérogations législatives -je rappelle que la convergence est pour le 1er janvier 2012. La proposition de loi de M. Gaymard, dont le Sénat débattra très prochainement, ne concerne que le livre et a vocation à demeurer une exception. Je suis convaincu, madame Lamure, que la réduction des délais de paiement est une bonne chose pour notre agriculture ; traversant une période difficile, elle bénéficie de dérogations jusqu'en 2012 et des paliers sont prévus pour rendre la transition plus facile. M. Le Maire et moi-même y seront attentifs et préparerons des mesures d'accompagnement si nécessaire.

M. Gérard César.  - Très bien !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - En 2009, la DGCCRF a effectué près d'un millier de contrôles sur les délais de paiement ; près de 90 % des entreprises contrôlées respectent les délais LME.

Mme Nicole Bricq.  - Si cette direction est si efficace, pourquoi réduisez-vous ses effectifs ?

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - Nous poursuivrons les vérifications en 2010. Et je veux rassurer ceux qui se sont inquiétés : le regroupement des services de l'État aux niveaux régional ou départemental n'affaiblira pas l'action des agents ni l'efficacité de leur mission de contrôle. (Exclamations à gauche) Ils recevront toujours leurs instructions du ministre ; leur action restera coordonnée.

Mme Nicole Bricq.  - On en reparlera !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - Je suis favorable, madame Lamure, à une modification législative permettant de requalifier de sanction pénale en sanction civile le non-respect des délais de paiement à caractère supplétif. Au total, la LME a eu un impact décisif sur la trésorerie des fournisseurs, notamment les PME.

J'en viens au statut d'auto-entrepreneur, qui répond à une véritable attente sociétale. Pourquoi, sinon, connaîtrait-il un tel succès ? L'objectif de 200 000 pour l'année 2009 a été dépassé de moitié. Grâce à la LME, des verrous qu'on croyait éternels ont sauté. Je donnerai suite, je le dis à Mme Bricq, à M. Raoul ou à M. Revet, à deux des propositions du groupe de travail mis en place avec les organisations professionnelles. Dès le 1er avril, la qualification des auto-entrepreneurs comme des artisans sera contrôlée avant la création de leur entreprise.

M. Charles Revet.  - Très bien !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - Le décret de la loi Raffarin de 1996 n'ayant jamais été pris, celle des artisans ne l'était pas ; elle le sera. De plus, les auto-entrepreneurs exerçant une activité artisanale à titre principal devront s'affilier à la chambre des métiers pour bénéficier d'un accompagnement. Voilà deux avancées majeures, au--delà desquelles le Gouvernement ne souhaite pas aller. Non, madame Demontès, monsieur Collin, il n'y pas de concurrence déloyale. L'auto-entrepreneur ne paie pas moins de charges sociales et fiscales que les autres, il s'en acquitte simplement dans un cadre simplifié. Et puis on ne peut, dans le même temps, relever avec délectation que beaucoup ne réalisent pas de chiffre d'affaires et crier à la concurrence déloyale ! Ne cherchez pas à dévaloriser ceux qui ont décidé de se retrousser les manches et de tenter leur chance !

Le Gouvernement est attentif à préserver et à renforcer le tissu économique de proximité qu'est l'artisanat. Je présenterai le 27 janvier, en conseil des ministres, un texte créant l'entreprise individuelle à responsabilité limitée ; c'est une révolution attendue depuis des dizaines d'années. Au sein du patrimoine de l'entrepreneur seront distingués son patrimoine personnel et celui affecté à son activité professionnelle ; seul ce dernier pourra désormais être saisi.

M. Charles Revet.  - Très bien !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - Un nouveau blocage va disparaître. Je suis fier de porter ce projet de loi.

Mme Bricq a évoqué les abus auquel le statut d'auto-entrepreneur donnerait lieu. Il faut que la société se l'approprie : il n'est pas anormal que son usage mette un peu de temps à se stabiliser. Madame Demontès, sa spécificité n'en fait pas un régime dérogatoire au droit du travail. Oui, madame Lamure, il nous faut un outil statistique plus performant ; le rapport du groupe d'évaluation me sera remis début février, qui fournira des données précises sur la première année d'application de la loi.

Mme Lamure, MM. Raoul et Fortassin se sont interrogés sur ces auto-entrepreneurs qui ne réalisaient pas de chiffre d'affaires. Ils ne doivent en déclarer qu'une fois leurs clients prospectés, leurs prestations livrées, leurs rémunérations encaissées. Ce qui suppose un certain délai. Le régime est d'une grande souplesse. Un salarié, un travailleur saisonnier peut choisir un trimestre donné de ne pas avoir d'activité complémentaire. Nous avons crée un droit à entreprendre. Rien n'oblige le titulaire d'un permis de chasse à chasser tous les jours !

Mme Nicole Bricq.  - Quelle comparaison !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - La société française avait besoin de s'ouvrir à l'activité, de libérer ses énergies...

Mme Nicole Bricq.  - Cela faisait longtemps...

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - ...jusqu'alors enfermées dans trop de contraintes. En avril prochain, nous disposerons du chiffre d'affaires 2009 des auto-entrepreneurs. Il sera, je pense, proche du milliard d'euros. C'est un succès, qui produira aussi des rentrées fiscales et sociales non négligeables, de l'ordre de 200 millions. Mme Dini a exprimé sa préoccupation pour le régime de la Cipav. Mais la loi de financement pour 2010 a subordonné le trimestre de retraite accordé aux auto-entrepreneurs à un chiffre d'affaires minimum ; le problème de compensation évoqué par Mme Dini sera donc limité... Restent les problèmes de gestion, les délais de réponse à la Cipav, mais j'espère qu'ils se résorberont progressivement.

La LME a réformé en profondeur les négociations commerciales. La situation est beaucoup moins noire que ne l'ont dépeinte certains orateurs. Certes, il y a encore des abus et des déséquilibres, je suis le premier à le savoir puisque j'ai assigné en justice neuf enseignes de la grande distribution -c'est une première dans ce pays...

M. Jean Bizet.  - Très bien !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - Il ne faut pas voir là un échec de la LME : celle-ci a créé un arsenal pour le contrôle et la sanction et j'y ai eu recours. Des progrès décisifs ont déjà été observés. Les marges arrière ont dégonflé, de 32 % à 11 % aujourd'hui, soit le niveau constaté chez nos voisins. Les prix de la grande consommation ont diminué. Une nouvelle donne a été offerte aux partenaires commerciaux, fondée sur plus de liberté de négociations et donc plus de responsabilité dans la contractualisation des relations commerciales. Je serai attentif à ce que les contrats ne contiennent pas de clauses déséquilibrées. Désormais, les poursuites par l'État seront possibles. Et contrairement à ce qui a été dit, les moyens d'enquête ont été augmentés, de 50 % ! Aux 80 agents se sont ajoutés 40 agents nouvellement recrutés.

Mme Nicole Bricq.  - Pas sur les mêmes postes.

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - M. Bizet s'interroge sur le sort de ces assignations. Pour l'une d'entre elles, à Lille, j'ai demandé au juge une procédure accélérée, si bien que la sanction a été rendue la semaine dernière. Les autres jugements seront connus dans les mois qui viennent.

Madame Khiari, les soldes flottantes jouent un rôle positif d'animation commerciale. Néanmoins, je suis tout prêt à mener une évaluation plus précise : un rapport sera établi à la fin du semestre.

J'en viens à la négociation commerciale entre les agriculteurs et les distributeurs. Un plan de soutien à l'agriculture a été mis en place à la demande du Président de la République. Vous avez souligné, monsieur Lefèvre, la nécessité de mieux apprécier l'évolution des prix et des marges. C'est la raison pour laquelle un observatoire des prix et des marges a été créé en mars 2008 ; des données sur les produits laitiers ont ainsi été publiées sur le site de la direction de la concurrence. Et cette transparence, madame Terrade, induit plus de sérénité dans le dialogue entre les partenaires. Pas de boucs émissaires, mais la justice et l'équité ! M. Le Maire vous présentera bientôt un projet de loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche. Nous avons travaillé ensemble sur la formalisation obligatoire des annonces de prix, l'encadrement du prix après-vente, l'interdiction des remises et rabais en période de crise conjoncturelle, la pérennisation de l'observatoire des prix et des marges des produits alimentaires.

En matière de baux commerciaux, l'indice cité par Mme Khiari a été créé en 2008, non en 2006, et il repose sur une base contractuelle. Le Gouvernement n'est pas favorable à une obligation qui introduirait plus de rigidité dans les baux commerciaux. Le nouvel indice n'en constitue pas moins un message aux investisseurs institutionnels, banques, assurances. Ils sont incités à accepter l'application de l'indice des baux commerciaux à la demande des locataires. Je ferai le point avec eux sur cette question. Grâce à ses dispositions sur l'urbanisme commercial, la LME a développé la concurrence pour favoriser l'emploi, la création de richesses et la baisse des prix. Les commissions départementales évaluent l'impact de chaque projet, les instances de décision locale ont été réformées et simplifiées. Sur les neuf premiers mois de 2009, 2,3 millions de m², dans le cadre de projets de plus de 1 000 m², ont été autorisés, contre 2,17 millions en 2008 et 2,19 millions en 2007 : il n'y a pas d'explosion du nombre des grandes surfaces !

Le Gouvernement s'est engagé à poursuivre l'intégration du droit de l'équipement commercial dans le droit commun de l'urbanisme. Une mission d'expertise avait été confiée en 2008 au regretté Jean-Paul Charié, rapporteur de la LME à l'Assemblée nationale, qui avait remis son rapport au mois de mars dernier. L'Assemblée nationale lui a rendu tout à l'heure un hommage poignant, auquel j'ai participé. Sur la base de son rapport, et avec l'énergie et l'enthousiasme que nous lui connaissions, Jean-Paul Charié poursuivait ses consultations et souhaitait présenter une proposition de loi, mais la maladie l'a atteint avant qu'il puisse mener ce projet à terme. M. Benoist Apparu et moi-même, en concertation avec les commissions des affaires économiques des deux assemblées, allons poursuivre ses travaux. La prochaine réforme de l'aménagement commercial devra tenir compte de ce que sont actuellement les documents d'urbanisme, PLU et Scot, dans leurs volets commerciaux. Un basculement du droit de l'aménagement commercial sur le droit commun de l'urbanisme n'est en effet envisageable que si ces documents y sont adaptés. Il nous faudra également tenir compte des tendances actuelles de l'équipement commercial, c'est-à-dire le développement des petits formats de proximité et le besoin d'agrandissement et de rénovation des anciens équipements. II nous faudra aussi améliorer notre outil d'observation statistique pour compenser la perte d'information depuis l'augmentation du seuil des autorisations à 10 000 m².

M. Hérisson est très attaché à la couverture de tout le territoire par le très haut débit. Moi aussi ! L'extension du service universel au haut débit est une question à laquelle il nous faudra réfléchir dans le cadre de la transposition du paquet Télécom adopté en novembre dernier par l'Union européenne.

M. Hérisson se félicite des effets bénéfiques de la baisse de TVA dans la restauration.

Mme Nicole Bricq.  - Il est bien le seul à les voir !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - Non, je les vois aussi et les restaurateurs seront sensibles à ses propos.

Je veux aussi dire à Mme Goulet que la réforme de l'audiovisuel public a visé à mieux coordonner et moderniser les entités qui le composent. RFI est dans une situation critique car il a perdu un nombre considérable d'auditeurs ces dernières années et a connu six exercices déficitaires en huit ans. Une restructuration en profondeur s'imposait.

Quant à la banalisation du livret A, sur les onze premiers mois de 2009, la collecte nette reste largement positive : 17 milliards d'euros. S'agissant du niveau de centralisation, le Gouvernement est très attentif à ce que les sommes centralisées soient en permanence suffisantes pour répondre aux besoins de financement du logement social. L'observatoire de l'épargne réglementée participera au débat sur le niveau nécessaire de centralisation à compter de 2012. Comme vous le savez, la Caisse des dépôts est représentée au sein de cet observatoire, ainsi que le mouvement HLM par l'intermédiaire son président, votre collègue, M. Repentin.

L'administration fiscale adresse mensuellement aux banques depuis août 2009, une liste des situations de multi-détention. Sur cette base, les banques invitent leurs clients à régulariser leur situation. Il est trop tôt pour effectuer un bilan mais le progrès est considérable par rapport à la situation antérieure à la LME.

La loi a bousculé les conservatismes qui entravaient notre économie.

Il y a deux ans, les marges arrière, les longs délais de paiement et la difficulté à entreprendre passaient presque pour des éléments de notre patrimoine national. La LME a graduellement levé ces obstacles avec des transitions en douceur et des contreparties aux libertés nouvelles. Il apparaît déjà que ses résultats sont extrêmement positifs, ce qui ne met nullement en cause la nécessité d'adapter certaines dispositions aux nouvelles réalités.

M. Charles Revet.  - Bien sûr !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - Cette loi était pragmatique. Et nullement dogmatique. (Protestations à gauche) Le pragmatisme restera le mot d'ordre du Gouvernement au moment d'évaluer les impacts et de préparer les ajustements nécessaires. (Applaudissements à droite)

M. Jean Bizet.  - Très bien !

La séance est suspendue à 20 h 15.

présidence de M. Jean-Léonce Dupont,vice-président

La séance reprend à 22 h 5.

Débat sur le Moyen-Orient

M. le président.  - L'ordre du jour appelle un débat d'initiative sénatoriale sur le Moyen-Orient.

M. Jean François-Poncet, au nom de la commission des affaires étrangères.  - La commission des affaires étrangères, par la voix de son président, que je remercie de cet honneur, a, fin 2008, confié à Mme Cerisier ben Guiga et à moi-même une mission d'information sur le Moyen-Orient ; nous avons donc été amenés à faire le tour d'une douzaine de pays de cette région qui est, nous en sommes tous conscients, celle dont l'Europe est la plus proche : elle en importe une grande part de son énergie, y réalise une grande part de ses exportations, tandis que le terrorisme y trouve son origine directe ou indirecte. Une communauté de destin lie, de fait, l'Europe et le Moyen-Orient.

Les relations que les États européens entretiennent avec la région varient d'un pays à l'autre. Elles sont parfois bonnes, souvent tendues, toujours difficiles, et cela pour trois raisons. Le souvenir du colonialisme, tout d'abord, qui, s'il n'a duré que quelques décennies, de la fin de l'empire ottoman à l'indépendance, n'en a pas moins laissé un souvenir marquant ; le retour de la religion, ensuite, qui ne se traduit pas tant par une plus grande ferveur que par des pratiques plus ostentatoires dans la prière et le respect du jeûne et le retour en force du droit islamique. Évitons cependant tout contresens : la religion ne débouche pas forcément sur l'intolérance ; elle offre à ses adeptes un ancrage identitaire, apporte une réponse aux générations humiliées par les défaites du monde arabe contre Israël, si bien que l'islam s'est imposé comme le territoire de la dignité retrouvée. Le retour en force du voile n'est pas tant, contrairement à ce que l'on entend trop souvent, une régression sociale que ce qui permet aux femmes d'exercer une activité professionnelle -cela est vrai même en Arabie saoudite, où nous avons rencontré des femmes d'affaires de première importance. Troisième facteur, enfin, à l'origine de bien des tensions, la rapidité et la profondeur des évolutions sociales, qui contrastent avec l'immobilisme des régimes politiques avec lesquels l'Occident a partie liée. Ces évolutions tiennent tout d'abord au choc démographique. La population du Moyen-Orient a doublé depuis l'indépendance -elle augmentera encore de 40 % d'ici à la fin de la décennie- en même temps que progressait la concentration urbaine : Le Caire est passé, entre 1976 et 2006, de 9 à 18 millions d'habitants ; Ryad, qui n'existait pratiquement pas au début du siècle, compte aujourd'hui 5 millions d'habitants. A cela s'ajoute le changement rapide du statut des femmes qui jouent désormais, et cela concerne tous les pays de la région, un rôle économique important. Si cette progression ne va pas sans retour arrière, elle est pourtant inexorable, alimentée par la scolarisation, qui concerne 50 % des femmes. L'Iran compte plus de femmes que d'hommes dans ses universités.

Face à ces évolutions, nous sommes frappés par l'immobilisme politique : Moubarak préside l'Égypte depuis vingt huit ans, Ben Ali la Tunisie depuis vingt deux ans, Kadhafi, qui a pris le pouvoir en Lybie depuis 1969, s'apprête, semble-t-il, à le transmettre à son fils, et le même phénomène s'obverse en Syrie avec les Al-Hassad. Quant au Maroc, au Koweït, à l'Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis, les dynasties sont en place depuis l'indépendance. Nulle part ne s'est installée la démocratie, malgré la pression, en son temps, de M. Bush. Des élections ont bien lieu, mais elles sont administrées par des régimes résolus à en contourner les résultats par la manipulation des lois électorales et l'interdiction des candidats des partis d'opposition. Résultat : les peuple se soumettent mais n'ont pas confiance en leurs gouvernants. Les ressources énergétiques, pour les régimes qui en disposent, sont un facteur de stabilité. Rappelons que le pourtour du Golfe persique concentre deux tiers des ressources mondiales en pétrole et en gaz et fournit actuellement 30 % des achats de pétrole dans le monde. La Chine est devenue l'un des principaux débouchés du pétrole proche-oriental, ce qui amène la région à se tourner aujourd'hui autant vers l'Asie que vers l'Europe. Pour la Chine, cette absorption est d'autant plus facile qu'elle ne pose jamais de condition politique et s'abstient de toute intervention.

C'est un luxe que l'Europe peut très difficilement se permettre. Celle-ci est attendue au moins sur trois dossiers essentiels : le conflit israélo-arabe, le programme nucléaire iranien, la lente et dangereuse désintégration du Yémen.

L'importance du conflit israélo-arabe et la menace qu'il fait peser sur le destin du peuple palestinien est au coeur des relations entre l'Occident et le monde arabe. Celui-ci reproche à l'Occident de faire deux poids deux mesures, d'accepter qu'Israël foule les résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU aux pieds tout en se montrant intransigeant vis-à-vis des Arabes. Ainsi, l'Occident condamne les tirs de roquette du Hamas contre Israël mais a peu de mots concernant le blocus de Gaza qui en est la cause. (M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, le conteste) Les périmètres d'une solution ont été définis en 2000 sous la présidence de M. Clinton, après de longues tractations : deux États vivant côte à côte ; le tracé de la frontière entre ces deux États correspondant à celui de 1967, corrigé, le moment venu, pour tenir compte des colonies installées dans les Territoires palestiniens, lesquelles devront être territorialement compensées par des cessions israéliennes aux Palestiniens ; le partage de la capitale, Jérusalem, entre les deux États ; l'obtention du droit au retour pour les réfugiés palestiniens conditionné par l'accord d'Israël. Or nous savons précisément qu'Israël n'est aucunement prêt à accueillir des réfugiés palestiniens, si ce n'est au compte-goutte. Ces périmètres sont connus. Seuls capables de fonder la paix, ils sont peu discutés mais ils n'ont jamais été mis en oeuvre. Première cause du blocage, les acteurs du conflit. Si le Fatah, c'est-à-dire la branche du mouvement palestinien qui soutient l'Autorité palestinienne, reconnaît Israël, ce n'est pas le cas du Hamas qui propose une trêve renouvelable tous les dix ans. Ensuite -c'est mon analyse-, Israël est incapable de prendre une décision politique aussi importante que les cessions exigées de lui en raison de son système politique. Le scrutin proportionnel y impose la formation de gouvernements de coalition menant à la paralysie de l'exécutif. En conséquence, les colonies connaissent une extension ininterrompue si bien que la carte des Territoires palestiniens ressemble aujourd'hui à une peau de léopard, ce qui rend difficile la constitution d'un territoire cohérent et, donc, viable. Pour résumer la situation en une formule : Israël est politiquement trop faible pour la paix et militairement trop fort pour avoir réellement besoin de cette paix. La deuxième cause de blocage tient aux États-Unis, seuls capables d'imposer l'ouverture de négociations, qui font preuve d'une retenue décevante. Contrairement à M. Bush, M. Obama rejoint les positions de M. Clinton mais n'a pas réussi à les imposer au Premier ministre Netanyahou. Au bout du tunnel sans fin du conflit israélo-palestinien ne pointe aucune lumière. Monsieur le ministre, cette analyse pessimiste rejoint-elle la vôtre ? Que compte faire le Gouvernement pour sortir de cette impasse ?

Deuxième problème, plus récent, mais tout aussi important, la nucléarisation de l'Iran qui représente une menace pour toute la région. L'Arabie saoudite et l'Égypte ne sauraient accepter une telle évolution sans chercher à développer leur propre programme ou à se tourner vers le Pakistan. La nucléarisation du Proche-Orient serait désastreuse. L'Iran soutient que ce programme nucléaire poursuit des seules fins civiles, mais la communauté internationale n'en croit rien quand ce pays entoure son programme du plus grand secret, ne possède aucune installation permettant l'utilisation civile de l'uranium enrichi et se dote d'un arsenal de missiles balistiques. La voie diplomatique n'a pas abouti. Or Israël considère la nucléarisation de l'Iran comme une menace envers son existence. (L'orateur, victime d'un malaise, perd connaissance quelques instants ; revenu à lui, notamment grâce aux soins prodigués par M. Kouchner, il refuse de quitter la tribune et poursuit son intervention)

La nucléarisation de l'Iran à l'échéance de 2015 est entre les mains des États-Unis, sauf à imaginer que les failles qui apparaissent dans le régime théocratique de Téhéran n'entraînent, à un moment ou à un autre, son effondrement, ce qui ne semble pas imminent.

Reste le problème de la désintégration inexorable du Yémen. (L'orateur ne peut poursuivre son discours et doit descendre de la tribune ; il quitte l'hémicycle sous les applaudissements de Mmes et MM. les sénateurs)

Mme Monique Cerisier-ben Guiga.  - Avant de reprendre l'intervention de M. Jean Francois-Poncet, je voudrais lui rendre hommage. Durant toute l'année dernière, nous avons fait des voyages éreintants et j'ai admiré sa capacité à mener les discussions. Ce soir, je vais donc lire la fin de son intervention.

« La désintégration inexorable du Yémen porte en elle d'autres dangers. Le gouvernement yéménite ne contrôle plus guère que sa capitale, Sanaa. Il ne parvient ni à mâter la rébellion qui contrôle le nord, ni à écarter la menace d'une sécession du sud. Quant au centre du pays, dont le relief est presque aussi tourmenté que celui de l'Afghanistan, il permet aux tribus qui y vivent d'ignorer le pouvoir central. Du coup, Al-Qaïda y a développé des camps d'entraînement et y a replié une partie des Jihadistes, contraints de quitter l'Irak. Le Yémen est le pays le plus déshérité du Moyen-Orient mais, avec 24 millions d'habitants, il en est le plus peuplé. Il constitue une menace pour la tranquillité de l'ensemble de la péninsule arabique. L'Arabie saoudite en est fort inquiète et construit, pour tenter d'isoler son territoire du Yémen, une barrière électronique dont l'efficacité future demeure à démontrer.

« Monsieur le ministre, j'arrête ici mon propos en vous demandant si cette analyse, qui a volontairement mis l'accent sur l'instabilité du Moyen-Orient et les menaces que celles-ci comportent pour l'Occident, rejoint, dans ses grandes lignes, la vôtre.

« Le Sénat souhaiterait surtout être éclairé sur les initiatives que la France prend et envisage de prendre pour parer à ces différentes menaces. »

M. le président. - Merci, madame Cerisier-ben Guiga, d'avoir lu la fin du discours de M. François-Poncet.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga, au nom de la commission des affaires étrangères.  - Je tiens tout d'abord à remercier la commission des affaires étrangères, et notamment son président, de l'honneur qu'ils nous ont fait en nous confiant cette mission qui a été consensuelle. Nous espérions présenter un rapport transversal mais la diversité des situations nous en a empêchés. Je suis néanmoins heureuse que M. François-Poncet ait repris dans son exposé les grands thèmes qui expliquent les convulsions du Moyen-Orient et les raisons pour lesquelles l'opposition à l'Occident y est si forte. Il n'y a qu'un point sur lequel nous divergeons et qui porte sur l'opportunité de sanctions nouvelles à l'encontre de l'Iran. Actuellement, alors qu'une grande part du peuple iranien lutte héroïquement pour l'établissement d'un État de droit, serait-il juste et efficace de le sanctionner ? Le gouvernement iranien exerce une dictature : il se sert de la menace internationale pour justifier la répression interne. En accroissant les sanctions, ne renforcerions-nous pas la dictature ? Il est difficile de se faire une idée précise mais le moindre mal serait certainement le mieux. Enfin, si les sanctions échouaient et que l'Iran développe vraiment un programme nucléaire militaire, que ferions-nous ? Irions-nous le bombarder ? Aiderions-nous ou laisserions-nous Israël le faire ? Sommes-nous prêts à une quatrième guerre du Golfe ? Aucune de ces hypothèses n'est acceptable.

Il faudrait sans doute s'attaquer au problème de la nucléarisation du Moyen-Orient. Cette utopie est peut être plus réaliste que les perspectives de guerre. La miniaturisation des bombes rend la menace plus immédiate pour les peuples désarmés sur lesquels elle pèse. Nous ne serons crédibles qu'en promouvant un traité régional incluant Israël et qui fasse du Moyen-Orient une zone exempte d'armes nucléaires, comme l'Amérique latine ou l'Asie du sud-est. Cette solution est peut-être utopique, mais l'utopie est parfois plus sûre que les roulements de tambours !

Monsieur le ministre, vous avez rencontré M. George Mitchell à Bruxelles et nous sommes heureux qu'en dépit de cette journée chargée, vous ayez pu venir au Sénat pour réagir à nos propos sur la situation Israélo-palestinienne. Présidente du groupe de contact France-Palestine du Sénat, ce sujet me préoccupe particulièrement. Il y a un an, presque jour pour jour, le Sénat débattait des conséquences de l'opération punitive d'Israël contre Gaza dont M. Jean François-Poncet, moi-même et notre ambassadeur aux droits de l'homme avons pu constater l'ampleur le 29 janvier 2009. Cet événement ramenait sous les feux de l'actualité un conflit occulté par les médias et que beaucoup croyaient gelé. Après cette année 2009 qui a vu, du fait de l'armée israélienne, la mort de 29 Palestiniens en Cisjordanie, en plus des 1 400 tués de Gaza, l'arrestation de 3 456 Cisjordaniens, la destruction de 299 maisons, il n'y a plus de partenaires pour des négociations, pas plus qu'il n'y a d'arbitres. La négociation est donc impossible. Aujourd'hui, nous assistons à la séparation entre Cisjordanie occupée et Gaza assiégée, à la division entre le Fatah et le Hamas. Il n'y a donc plus de négociateurs palestiniens. Quant aux Israéliens, ils préfèrent la sécurité à la paix. Leur majorité gouvernementale est fragile et M. François-Poncet a bien expliqué pourquoi Israël, militairement trop fort et politiquement trop faible, ne peut pas payer le prix de la paix. L'absence d'arbitre explique en partie pourquoi ce conflit dure depuis soixante ans. Actuellement, l'arbitre américain n'est ni neutre, ni fort. (M. le ministre en doute) En outre, Israéliens et Américains excluent tout autre arbitre du conflit, en particulier l'Union européenne. Si je me trompe, dites le moi, monsieur le ministre ! L'Europe est divisée, elle a développé un complexe de culpabilité à l'égard d'Israël et elle fait passer les relations économiques avant toute autre considération. Elle n'use donc pas des moyens de persuasion et de pression dont elle dispose. Quand l'Europe défendra-t-elle réellement les droits des Palestiniens qui payent aujourd'hui pour ses crimes passés ? Pourquoi la France n'utilise-t-elle pas l'accord d'association de 1995 ? Pourquoi ne pousse-t-elle pas l'Union européenne à s'inspirer de l'article 2 qui permettrait de faire comprendre à Israël qu'il n'est pas possible de bafouer impunément les droits de l'homme et la légalité internationale ?

Mme Nathalie Goulet.  - Très bien !

Mme Monique Cerisier-ben Guiga, au nom de la commission des affaires étrangères.  - La question palestinienne est centrale au Moyen-Orient. On nous en a parlé partout. Elle est l'abcès de fixation du ressentiment et de frustration de toute la région. Si elle était résolue, les autres problèmes seraient sans doute moins difficiles à régler. Or, la situation en Cisjordanie, à Jérusalem et à Gaza se dégrade. En Cisjordanie, il y a récemment eu des exécutions extrajudiciaires en zones de souveraineté palestinienne à Naplouse, suite à l'assassinat d'un colon. Les arrestations d'Abdallah Abu Rahma, coordinateur du mouvement non violent de Bil'in, de Jamal Juma, coordinateur de la campagne Stop the Wall, et de bien d'autres militants pacifiques, la détention arbitraire de centaines de Palestiniens, dont les deux tiers depuis plus d'un an, dénoncée par l'ONG Hamoked dans un récent rapport. Et je n'oublie pas le maintien en détention de notre compatriote Salah Hamouri, illégalement et injustement condamné, dont le Président de la République n'a jamais prononcé le nom. (Mme Dominique Voynet applaudit) Nous aimerions qu'il fasse autant d'effort pour lui que pour Gilad Shalit, pour la jeune Clotilde Reiss et pour tous les Français injustement privés de leur liberté à l'étranger. (Applaudissements sur les bancs CRC ; Mme Dominique Voynet applaudit aussi)

A Jérusalem, le récent rapport des diplomates européens en poste dans cette ville confirme nos observations : toute la politique du gouvernement israélien est orientée vers l'israélisation de Jérusalem est, en contravention de la résolution 242.

M. Philippe Marini.  - Très juste !

Mme Monique Cerisier-ben Guiga, au nom de la commission des affaires étrangères.  - Le gouvernement israélien expulse les habitants arabes, il détruit les maisons, la colonisation se poursuit pour couper complètement Jérusalem par deux lignes de colonies de son environnement arabe. Le statut de résident a été retiré en 2009 à 4 577 Palestiniens de Jérusalem et une future loi en privera tous ceux qui ont la chance d'avoir la nationalité israélienne. La déléguée générale de Palestine en France risque d'ailleurs d'en être victime.

Quel est, monsieur le ministre, le statut du rapport des diplomates européens à Jérusalem ? Je demande qu'il soit rendu public et que ses conclusions inspirent la politique de la France et de l'Union européenne.

Mme Nathalie Goulet.  - Très bien !

Mme Monique Cerisier-ben Guiga, au nom de la commission des affaires étrangères.  - Qu'allez-vous faire du projet qu'Hamoked, l'ONG israélienne, a présenté à la France pour les droits des Palestiniens de Jérusalem ?

A Gaza, tous les rapports convergent : on organise le dé-développement : les usines ont été rasées, les industriels ont fait faillite, l'agriculture périclite faute d'intrants; l'eau potable, les eaux usées, l'électricité, tout pose problème. Le blocus empêche toute reconstruction et n'a cessé de se durcir depuis 2005 : 5 000 familles restent sans abri. Ne peuvent entrer qu'une trentaine de produits sur les 9 000 recensés par l'accord de Paris. Faute de ciment, l'UNWRA en est à construire des maisons en terre.

La vie quotidienne est sous perfusion grâce aux tunnels. Et voilà que l'Égypte les ferme par un mur d'acier de 18 mètres de profondeur. Mieux vaut une économie souterraine, même maffieuse, que pas d'économie du tout : elle permet aux Gazaouis de survivre ! Si ce blocus et les tunnels renforcent le Hamas, c'est que la France, l'Union Européenne et les États-Unis mènent une politique absurde qui renforce le Hamas au lieu de l'affaiblir. (Applaudissements à gauche) La France va-t-elle continuer de laisser tuer à petit feu 1,5 million de Gazaouis ?

L'État palestinien est la pièce manquante de la stabilité du Proche-Orient, la pièce manquante de l'Union de la Méditerranée. L'ONU a reconnu dès 1948 la vocation du peuple palestinien à un État. Tous les États occidentaux proclament régulièrement leur attachement à l'avènement de l'État palestinien et se concertent à ce sujet. La conférence des donateurs tenue à Paris en novembre 2008 était organisée « pour l'État palestinien ». Est-il dans l'intérêt des Palestiniens que cet État soit proclamé à nouveau aujourd'hui ? Quelles garanties internationales lui seraient-elles données ? En Palestine, les conditions constitutives d'un État sont remplies : la volonté d'un peuple, un territoire historique, des frontières définies par la ligne de 1967. Mais c'est à une déconstruction de l'État palestinien que nous assistons depuis quinze ans : que reste-t-il des frontières potentielles avec l'annexion de Jérusalem est et l'érection du mur de séparation ? Que reste-t-il de la Cisjordanie sinon cet archipel morcelé par les routes de contournement, les check points, la colonisation qui progresse chaque jour, l'israélisation de Jérusalem est ? Que reste-t-il de ce peuple dont la division a été savamment orchestrée, le chaos étant programmé à Gaza dès le retrait de 2005 ? Avant même de penser à un État, il faut restaurer l'unité des Palestiniens.

Peut-on concevoir un État sans souveraineté, un État rhétorique ? Que pensez-vous de ces plans qui visent à remplacer une Autorité palestinienne usée et qui n'a plus de base juridique par un État qui, dans les conditions actuelles de l'occupation, serait fictif ? Nos protestations auprès d'Israël ne sont ni audibles ni crédibles ; elles dissimulent bien mal notre absence de volonté.

Alors que l'Union européenne s'apprêtait, dix ans après la Déclaration de Berlin, plus de vingt ans après la Déclaration de Venise, à faire enfin entendre sa voix, la France a été l'artisan de la suppression de la référence à Jérusalem est comme capitale du futur État palestinien, dans le texte proposé par la présidence suédoise. Comment pouvez-vous justifier cela ?

Le traitement du rapport Goldstone avait déjà illustré le caractère velléitaire de la communauté internationale et des Occidentaux en particulier. La France a raison de donner du crédit au rapport de l'ONU sur les crimes commis en Guinée ; pourquoi rejette-t-elle celui sur les crimes commis à Gaza alors qu'il est recoupé par les témoignages des soldats israéliens, par des ONG, par des témoins étrangers comme M. Zimmeray, M. François-Poncet et moi-même ?

Mme Nathalie Goulet.  - Très bien !

Mme Monique Cerisier-ben Guiga, au nom de la commission des affaires étrangères.  - Notre diplomatie s'épuise dans la gestion de menus détails, dans l'obtention de concessions infimes sur fond de brimades que nous n'accepterions d'aucun autre État. La seule mise en place de tuyaux pour la station d'épuration de Beit Lahia a nécessite des rencontres au sommet ! Et je ne parle pas des camouflets pour les visas de nos coopérants ou des entraves mises systématiquement à la circulation du bus scolaire du lycée français de Jérusalem est. Vous-même, ministre de la République française, vous êtes vu infliger le camouflet de Gaza. Nous attendons votre réaction.

M. Guy Fischer.  - C'était scandaleux !

Mme Monique Cerisier-ben Guiga, au nom de la commission des affaires étrangères.  - En dépit de l'ambition du discours du Caire, l'administration américaine n'a opéré qu'une rupture rhétorique avec la politique précédente. Le gel de la colonisation, si laborieusement obtenu, n'est qu'une farce tragique : il ne concerne pas Jérusalem est, n'est que temporaire et la colonisation se poursuit. Avec l'adoption de son texte sur la santé, le Président Obama retrouvera-t-il une capacité d'agir au Proche-Orient ?

Naguère, la France disait le droit et prenait des initiatives en faveur d'une résolution juste du conflit. Depuis 2007, à l'exception du discours du Président de la République à la Knesset, elle cherche à faire taire les voix qui, comme celle du juge Goldstone, dénoncent les crimes et celles qui, comme celle la présidence suédoise, rappellent la légalité internationale. Nous sommes nombreux à regretter que les initiatives françaises, du moins celles que nous connaissons, se cantonnent aux plans économique et humanitaire, ce qui ne gêne en rien les offensives politiques et guerrières d'Israël. Le discours de la France est de plus en plus inaudible et l'on n'y perçoit plus de cohérence. (Applaudissements à gauche)

M. le président.  - On m'a fait savoir que la santé de notre collègue était satisfaisante.

M. Michel Billout.  - Il y a un an, nous débattions de la guerre menée par Israël contre la population de la bande de Gaza. Le conflit israélo-palestinien est la cause principale des tensions dans tout le Proche et le Moyen-Orient. Régler ce conflit de façon juste et durable permettrait d'endiguer toutes les sources d'instabilité dans la région. On écarterait ainsi la menace nucléaire iranienne et le risque de prolifération à l'ensemble de la région, que menace aussi l'arsenal israélien. Cela aurait aussi des répercussions positives sur le Liban, toujours au bord de l'éclatement, et sur la Syrie, dont l'hostilité envers Israël n'aurait plus de raison d'être.

Je suis donc satisfait que nous ayons ce débat, que j'avais demandé en novembre ; je continue toutefois de regretter le refus de M. le président de la commission des affaires étrangères d'inscrire à l'ordre du jour notre proposition de résolution européenne demandant le gel de l'accord d'association entre l'Union européenne et Israël.

Mme Nathalie Goulet.  - Et la mienne !

M. Michel Billout.  - L'offensive militaire israélienne était disproportionnée par rapport aux tirs de roquettes qui l'avaient motivée, et elle a fait plus de 1 400 victimes palestiniennes, dont 60 % étaient des civils parmi lesquels un grand nombre de femmes et d'enfants. Les conditions de cette opération ont d'ailleurs suscité un rapport commandé par la Commission des droits de l'homme de l'ONU qui, bien qu'il mette aussi en accusation le mouvement Hamas, est accablant pour les autorités militaires israéliennes.

Depuis un an, la population de la bande de Gaza souffre en outre d'un blocus total qui prolonge celui instauré à la suite de la prise du pouvoir par le Hamas sur ce territoire. Cette punition collective a de dramatiques conséquences humanitaires et sanitaires : la population civile manque d'eau, d'électricité et a difficilement accès aux soins médicaux. Avec le blocus, la reconstruction des infrastructures et des habitations détruites est impossible, l'économie et l'agriculture sont asphyxiées.

Depuis un an, les divisions, qui se traduisent parfois par des affrontements armés entre factions palestiniennes, se sont accentuées. Faute d'un accord entre le Fatah et le Hamas, la direction de l'Organisation de Libération de la Palestine avait été obligée de différer, le 16 décembre dernier, la date des élections présidentielle et législative et de prolonger les mandats du président Mahmoud Abbas. Il semble toutefois ces jours-ci que puisse revenir à l'ordre du jour une réconciliation entre les différents groupes, sous les auspices de l'Égypte et de l'Arabie saoudite.

Depuis un an également, un élément nouveau est intervenu avec le triple refus du gouvernement israélien de mettre un terme définitif à sa politique de colonisation en Cisjordanie et à Jérusalem est, de reconnaître Jérusalem comme capitale des deux États ainsi que de lever le blocus de Gaza. C'est le principal obstacle à une reprise des négociations. L'impression prévaut que ce qu'il est convenu d'appeler « la communauté internationale » a laissé Israël agir en toute impunité. Nous devons réagir face à cette passivité de la communauté internationale.

Le Président Obama avait suscité de grands espoirs en se prononçant pour une solution à deux États et en demandant l'arrêt complet de la colonisation. Il a déçu en acceptant par la suite le moratoire israélien sur cette question décisive pour la création d'un État palestinien viable. L'Union européenne, qui a des atouts en tant que premier partenaire économique d'Israël et principal contributeur en matière d'aide aux territoires palestiniens, s'est toujours refusée à prendre une position qui lui soit propre. Elle se contente de suivre la stratégie de l'administration américaine et se satisfait d'un moratoire de dix mois sur la colonisation en Cisjordanie, excluant Jérusalem est.

Pourtant, la semaine dernière, l'émissaire spécial pour le Proche-Orient, George Mitchell, a évoqué la possibilité pour les États-Unis de retirer leur soutien aux garanties de prêt à Israël -système de garanties grâce auquel l'État hébreu a bénéficié de milliards de dollars de prêts à des taux préférentiels- afin de faire pression sur le gouvernement israélien : une pression de l'Union européenne concernant l'application de l'accord d'association serait pertinente. C'est toujours l'objet de la proposition de résolution déposée par le groupe CRC-SPG

Mme Nathalie Goulet.  - Et de la mienne !

M. Michel Billout.  - Quant à la France, sa position est extrêmement ambiguë. Elle a refusé de participer au vote adoptant le rapport Goldstone à l'assemblée générale de l'ONU. Et, le 8 décembre dernier, lors du conseil des ministres des affaires étrangères, la portée de la résolution proposée par la présidence suédoise prévoyant la reconnaissance de Jérusalem est comme capitale d'un futur État palestinien a été considérablement affaiblie à la suite du refus de notre pays de voir figurer cette mention. Et je préfère ne pas évoquer les déclarations de notre ambassadeur à Tel-Aviv s'interrogeant sur la crédibilité des crimes de guerre, sur la réalité du blocus de Gaza ou même, selon le Canard Enchaîné, sur la pertinence de vouloir faire cesser la colonisation.

M. Guy Fischer.  - Scandaleux !

M. Michel Billout.  - Il faut enfin relever la division des pays arabes et leur impuissance à opposer à Israël une stratégie cohérente commune. Après l'intervention militaire israélienne à Gaza, ils ne sont pas parvenus à se réunir tous ensemble, pas plus qu'ils n'ont réussi à s'accorder lors du sommet sur la reconstruction de ce territoire qui s'est tenu au Qatar à la fin mars.

Il n'est pas acceptable d'assister passivement, d'année en année, à la lente dégradation de la situation. Notre débat de ce soir n'apportera pas de solution miracle mais il n'est pas inutile que, dans un grand pays démocratique comme le nôtre, les diverses sensibilités politiques s'expriment au Parlement et fassent des propositions en vue de solutions politiques et pacifiques. Notre groupe considère qu'au vu de l'urgence et de la gravité de la situation, il est impératif, et encore possible, d'agir sur les événements. Comment agir pour que les protagonistes de ce conflit sortent de l'impasse ? Que faire pour ne pas perdre l'espoir d'une solution politique négociée, fondée sur deux États dans le cadre des résolutions de l'ONU ? Comment contraindre efficacement le gouvernement israélien à s'engager dans cette voie ? Telles sont les questions auxquelles notre pays et l'Union européenne doivent impérativement apporter des réponses. L'excellent rapport d'information de nos collègues Monique Cerisier Ben Guiga et Jean François-Poncet dégage quelques pistes que je partage en grande partie et dont le Gouvernement devrait s'inspirer. Comme le constate ce rapport, il faut avoir conscience que le gouvernement israélien n'acceptera de changer de politique que sous la pression des États-Unis et de la communauté internationale. C'est pourquoi l'Union européenne et la France devraient jouer un rôle plus dynamique, faire preuve d'une plus grande autonomie et manifester leur spécificité en exerçant de fortes pressions sur les dirigeants israéliens sur deux points essentiels : la levée du blocus de Gaza et l'arrêt total de la colonisation de Jérusalem est et de la Cisjordanie, car la poursuite de cette colonisation qui morcèle ces territoires rend impossible, de facto, la création d'un État palestinien. Ce sont deux conditions préalables à une reprise des négociations entre toutes les parties prenantes de ce conflit : je dis bien « toutes » les parties prenantes car, comme le préconise le rapport, il faudra bien un jour ou l'autre prendre contact et négocier officiellement avec le Hamas qui est l'une des composantes du peuple palestinien. Sur ces deux questions, la France doit retrouver sa liberté de parole et d'action, jouer l'important rôle de médiation que lui confèrent l'image et l'influence de notre pays dans cette partie du monde. Tout cela sans attendre les nouvelles propositions du prochain plan de paix américain. Telles sont les conditions d'une reprise des négociations devant enfin déboucher sur la création d'un État palestinien libre, indépendant, souverain, dans les frontières de 1967.

Notre pays peut aussi jouer un rôle déterminant dans une phase très délicate de la reprise du processus de paix : celle de la libération de prisonniers. D'une part, deux de nos compatriotes sont détenus de part et d'autre de façon totalement inacceptable. Je veux parler du militaire Shalit, détenu par le Hamas, et de Salah Hamouri, détenu dans une prison israélienne. Cela nous donne une responsabilité particulière. Je regrette profondément que le gouvernement français n'agisse pas de façon équitable pour la libération de nos deux compatriotes. Les parents de Salah Hamouri attendent toujours d'être reçus par le Président de la République ! D'autre part, la libération de Marwan Barghouti constituerait une chance de réconciliation des parties palestiniennes et permettrait à Israël de trouver un interlocuteur fiable.

Le groupe CRC-SPG souhaite que le Gouvernement affirme plus clairement ses positions et qu'il manifeste enfin fermement sa volonté d'aboutir à un règlement juste et durable du conflit entre Israël, les Palestiniens et les États arabes. (Applaudissements à gauche)

Mme Nathalie Goulet.  - Moi aussi, je concentrerai mon intervention sur la Palestine, pour laquelle j'ai une longue et lourde hérédité... Ce débat me fait penser à cette chanson de Barbara, Chaque fois qu'on parle d'amour :

« Chaque fois qu'on parle d'amour, on refait le même chemin en ne se souvenant de rien. Et l'on recommence, soumise, Florence, Naples, Naples et Venise. Et on se le dit, on y croit, que c'est pour la première fois. A vouloir encore et toujours s'aimer et mentir d'amour ».

Hélas, nous ne parlons pas d'amour mais de haine, de violence de menaces et d'injustices et, voyez-vous, monsieur le ministre, on ne fait même plus semblant d'y croire. On parle de Gaza, de Ramallah, de Naplouse, d'Hébron, de Bir-Zeit ou de Jérusalem. L'Histoire radote, bégaye mais avance en se dotant de moyens nouveaux de plus en plus effrayants : Al-Qaïda, le terrorisme aveugle qui n'est que le miroir de notre inertie et de la lâcheté de la communauté internationale à imposer une solution juste et durable au conflit.

Il y a un an à peine, la guerre effroyable de Gaza... Mme la Déléguée générale de la Palestine en France nous honore ce soir de sa présence. Cela prouve qu'on attend quelque chose de ce Sénat ! Mais enfin, monsieur le ministre, combien de temps encore allons-nous nous indigner à ce pupitre sans agir, combien de temps allons-nous laisser nos diplomates être bousculés et laisser s'instaurer une impunité ressentie comme une injustice et qui crée tant de soif de vengeance ?

J'ai tenté de compter les colloques, interventions, questions orales et écrites de ces vingt dernières années et puis, dans mes archives personnelles, j'ai retrouvé un article, daté de juin 1979, de mon mari Daniel Goulet, président fondateur à l'Assemblée, puis au Sénat du groupe France-Palestine et acteur infatigable de la diplomatie parlementaire. Dans cet article qui relatait sa rencontre à Damas avec Yasser Arafat, il expliquait : « La France a un rôle à jouer dans le devenir des Palestiniens ». Je crains de pouvoir, trente ans après, reprendre cet article mot pour mot. Mais une chose est certaine : depuis lors, les choses ont empiré pour les Palestiniens.

Je l'ai déjà dit à cette tribune. Quand va-t-on réaliser le coût de l'humiliation et de l'injustice ? Du « tramway de la honte » au mur du même nom, des check points à la judaïsation de Jérusalem, cette politique du fait accompli, cette politique du Prince est inacceptable.

Il est facile de sanctionner l'Iran : cela fait l'unanimité. Mais jusqu'à quand le double standard ? Israël viole depuis des décennies les résolutions internationales, celles de l'ONU, et même ses propres engagements divers et variés !

Pire, cet État encourage une politique agressive à l'égard de l'Iran, à l'heure où la nouvelle administration américaine tente de reprendre un indispensable dialogue.

Faut-il rappeler que l'Otan a aussi instauré une politique d'approche de la Méditerranée pour pouvoir y associer Israël, dont le Parlement est observateur à l'Assemblée parlementaire de l'Organisation ?

Les ministres européens des affaires étrangères doivent en tirer les conséquences, geler tout processus de rehaussement des relations bilatérales entre l'Union européenne et l'État d'Israël et suspendre l'accord de partenariat en raison du non-respect de son article 2.

L'Europe doit parler d'une seule voix, mettre un terme à une humiliation institutionnalisée des populations palestiniennes et mettre un terme à son corollaire : une immunité tout aussi institutionnalisée de l'État d'Israël qui entraîne des populations entières vers le désespoir et le terrorisme.

Comme les autres fois, je vous interroge, sans plus d'espoir : quelle politique mènera la France, quelle politique mènera l'Europe, quelles mesures concrètes prendront-elles pour que notre intervention de ce soir ait des effets tangibles sur une situation de plus en plus désespérante ? (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Michel Baylet.  - En début d'année, il est de coutume de prononcer des voeux. A l'échelle globale, nous souhaiterions que la paix s'installe mais, malheureusement, l'idéal de liberté et de démocratie est loin de gagner du terrain. Quels progrès peut-on espérer en 2010 dans cette zone ? Pour ma part, j'hésite entre espoir et déception. Dans chacun des pays, les avancées paraissent souvent faibles.

La question palestino-israélienne, qui s'éternise depuis un demi-siècle, oriente le destin du secteur. Si la paix n'est toujours pas à portée de main, le processus engagé sous Jimmy Carter à Camp David a au moins progressé dans les esprits. L'idée « deux terres, deux peuples » s'est globalement imposée. Pour autant, nous est-il permis d'espérer davantage pour cette année ? Je crains que non tant que les deux camps sont incapables de résister à la pression de leurs extrémistes. D'un côté, le Fatah, concurrencé politiquement par le Hamas, peine à s'imposer, au sein de la population palestinienne, comme l'interlocuteur unique des négociations de paix, alors qu'il le demeure pour Israël et la communauté internationale. De l'autre côté, un Premier ministre qui tourne régulièrement le dos à ses engagements. Récemment encore, Benyamin Netanyahou a autorisé la construction de 900 logements dans les territoires occupés à Jérusalem est, contrairement à ce qu'il avait promis quelques semaines plus tôt. Dans ces conditions, le défi qui consiste à garantir l'avenir du peuple palestinien sans compromettre l'existence d'Israël reste pour le moment sans issue.

En Irak, la situation évolue également de manière contrastée. On observe une relative stabilité du gouvernement Mâliki qui a fait de la sécurité et de l'État de droit ses priorités. On peut même se réjouir d'un certain recul de la violence aujourd'hui par rapport au plus fort de la guerre confessionnelle entre Sunnites et Chiites en 2006 et 2007. Le sursaut américain a certainement porté ses fruits grâce au déploiement de 30 000 soldats supplémentaires. Le ralliement des tribus sunnites, avec la création des « conseils de réveil » a par ailleurs contribué au retour d'une relative accalmie. Mais le retrait des troupes américaines risque de changer la donne car elles ont fortement secondé les forces irakiennes dans leur lutte contre l'insurrection. Les « conseils de réveil » dépendent désormais d'un gouvernement dirigé par les Chiites. Le problème kurde -vous le connaissez bien, monsieur le ministre- n'est pas résolu. Les prochaines élections pourraient créer un facteur supplémentaire d'instabilité si la majorité de Mâliki était trop mince...

Si l'Iran n'est pas un pays en guerre, il génère d'autres tensions tout aussi préoccupantes.

La tentation d'hier d'exporter la révolution islamique a été remplacée par un nationalisme paranoïaque qui n'est guère plus rassurant. L'Iran ne cache plus son ambition de disposer de la bombe atomique. En faisant obstacle aux contrôles des Nations unies, en refusant l'offre franco-russe d'enrichissement de son uranium, en dissimulant certaines de ses installations, l'Iran a démontré que la finalité de son programme nucléaire était bien militaire, quoi qu'en disent ses dirigeants. La communauté internationale doit rester ferme sur ce dossier, d'autant qu'après une élection truquée et la répression brutale des rassemblements d'opposants, le régime iranien a montré son vrai visage, celui d'une dictature autoritaire et liberticide. L'opposition, qui n'a pas hésité, pour la troisième fois depuis l'été, à braver les autorités, a chèrement payé son courage le 27 décembre dernier. Tandis qu'arrestations et exécutions se multiplient, le réveil d'une jeunesse militante et laïque suscite l'espoir.

Ces trois zones d'instabilité sont dangereuses pour les populations qui les habitent comme pour la sécurité du monde. Le terrorisme s'y nourrit au nom du jihad ; affaiblie ici, Al-Qaïda sait renaître là. L'attentat manqué contre le vol Amsterdam-Détroit du 25 décembre confirme l'émergence de nouvelles bases, en l'occurrence au Yémen, où les terroristes profitent de la faiblesse de l'État pour s'implanter. Le président Saleh n'y contrôle plus ses provinces orientales. La conférence internationale du 28 janvier devrait évoquer le cas du Yémen. Peut-on laisser naître un nouvel Afghanistan ?

Au regard de ces enjeux de sécurité, la même question se pose encore et toujours : quelle politique étrangère mener dans ces régions ? De nombreuses voies ont été explorées, sanctions, interposition, intervention militaire, médiation ; de nombreux pays se sont impliqués. J'aurais pu évoquer d'autres points de crispation, tant la situation générale est incertaine et fragile. Dans ce contexte, il est important que la politique étrangère de la France s'inscrive dans la continuité et la recherche permanente des droits des peuples et de la paix. Il serait utile aussi que l'Union européenne se montre plus active, surtout compte tenu de nos responsabilités historiques dans cette région du monde. (Applaudissements à gauche)

M. Josselin de Rohan.  - Je veux d'abord saluer le courage du président François-Poncet qui a tenu à revenir spécialement de Marrakech pour participer à ce débat, courage qu'il a certainement payé. Nous lui souhaitons tous un prompt et total rétablissement. Je le remercie comme je remercie Mme Cerisier-ben Guiga pour leur remarquable rapport, où nous avons puisé des informations de premier ordre. Leurs analyses éclairent nos délibérations.

Premier constat : le Moyen-Orient compte beaucoup pour l'Europe. Cet intérêt a sa source dans la géographie, l'histoire et l'économie. Le Moyen-Orient est le berceau de notre civilisation ; nous y sommes présents depuis les origines de notre pays ; notre approvisionnement énergétique en dépend. Carrefour stratégique entre trois continents, c'est un lieu où se confrontent les influences et les idéologies les plus diverses. Du Moyen-Orient dépendent notre sécurité et celle de l'Europe. Le meilleur moyen de lutter contre ce que nous appelons, dans un amalgame approximatif, le « terrorisme islamique » passe par une paix juste et durable au Moyen-Orient.

M. Philippe Marini.  - Très bien !

M. Josselin de Rohan.  - Des groupes certes islamiques, mais avant tout fanatiques et terroristes, prennent prétexte pour menacer et tenter de frapper nos territoires d'une politique qualifiée par eux d'inéquitable, censée faire deux poids et deux mesures entre Israël et les Arabes. Nous sommes fondés à exprimer notre opinion sur ce qui se passe au Moyen-Orient, non pour distribuer le blâme ou l'éloge mais pour apprécier la politique menée par les États de la région à l'aune de notre propre sécurité.

Les communautés d'origine moyen-orientales sont en outre particulièrement importantes en Europe ; entre 15 et 20 millions de musulmans y vivent, dont 5 en France. La communauté juive est estimée à 500 000 personnes. Malgré la retenue dont font preuve leurs responsables, une radicalisation du conflit entre Israéliens et Arabes ne pourrait que retentir sur les relations entre les communautés ; ce qui ne serait pas compatible avec notre vision de l'harmonie sociale et de l'unité nationale. Soyons vigilants à ne pas importer dans notre pays les querelles du Moyen-Orient, ni à laisser se développer antisémitisme et anti-islamisme.

Deuxième constat, à l'inverse du précédent : l'Europe compte peu au Moyen-Orient. On y loue certes sa soft power au contraire de la hard power américaine ; on y rappelle nos liens historiques, on y marque de l'intérêt pour nos entreprises ou nos produits. Mais dès que les choses se compliquent, on se tourne vers les États-Unis, davantage encore depuis l'élection du Président Obama qui, au Caire, a su tendre la main au monde musulman. Pourtant, l'Europe a été la première à reconnaître la solution des deux États avec la déclaration de Venise en juin 1980, elle a joué un rôle important à la conférence de Madrid ou lors des accords d'Oslo. Mais depuis, elle s'est effacée. Elle n'a pesé pour rien pendant les années Bush. La création du Quartet a entériné une distribution des rôles dans laquelle les États-Unis coordonnent les efforts diplomatiques et sont garants de la sécurité tandis que l'Europe paye. La contribution des pays européens pour compenser les conséquences de l'occupation israélienne en Cisjordanie s'est élevée à plus d'un milliard d'euros en 2009...

M. Didier Boulaud.  - Eh oui !

M. Josselin de Rohan.  - ...engagement qui contraste avec l'effacement politique de l'Union européenne. Pourquoi ?

La réponse est malheureusement simple -ce sera mon troisième constat : si l'Europe est impuissante, c'est qu'elle est divisée, incapable de parler d'une même voix sur la question centrale du conflit israélo-palestinien. Pour des raisons qui tiennent à l'histoire et aux tragédies du siècle dernier, nous peinons à apprécier les faits sans considération de l'identité de celui qui les commet. Les gouvernants d'Israël le savent et en tirent avantage. L'amitié franco-israélienne ne fait pourtant aucun doute. Comme l'a rappelé le Président de la République devant la Knesset, cette amitié est due « à la manière dont le judaïsme a influencé, a nourri, a enrichi la culture française » et, en sens inverse, « à l'inspiration que les pères fondateurs d'Israël ont puisée dans les valeurs de l'universalisme français ». Le Président a donné des gages de l'amitié de la France comme de son amitié personnelle pour les dirigeants d'Israël. Comme lui, nous pouvons dire : « oui, la France est l'amie d'Israël et la France sera toujours aux côtés d'Israël lorsque sa sécurité et son existence seront menacées ». Ces paroles engagent notre pays.

La sécurité d'Israël semble aujourd'hui solidement établie. Ni ses voisins ni les menaces insensées d'Ahmadinejad ne sauraient la remettre en cause. Le temps est venu pour ce pays de rechercher les moyens de mettre fin à un conflit sans issue qui n'a engendré que la haine, la destruction et le désespoir. Comment, alors que l'Europe vient de célébrer l'anniversaire de la chute d'un mur, croire qu'un mur qui coupe en deux le territoire palestinien empêche toute circulation, multiplie les vexations et les tracasseries pour les Palestiniens, puisse être autre chose qu'un instrument de ressentiment et de frustration ? (Marques d'approbation à gauche) Comment le peuple israélien, qui a tant souffert de sa dispersion, d'inhumaines discriminations et de spoliations, peut-il imposer à un autre peuple la privation d'emploi, l'expropriation de ses biens, des restrictions drastiques du droit d'aller et de venir, la possibilité même de reconstruire les logements ou les équipements détruits lors de l'opération contre Gaza ?

Comment une authentique démocratie comme Israël peut-elle s'accommoder des atteintes aux droits de l'homme établies par le rapport Goldstone ou se satisfaire de la déstabilisation de l'Autorité palestinienne ? Les terribles images diffusées lors de l'opération « Plomb durci », comme le témoignage de nos collègues Jean François-Poncet et Monique Cerisier-ben Guiga, jettent une lumière cruelle sur la tragédie de Gaza. Aucune cause ne peut justifier la destruction délibérée d'hôpitaux, d'écoles ou les attaques contre les populations civiles. (Marques d'approbation)

Menahem Begin ou Itzhak Rabin ont un jour décidé de franchir les lignes de leur camp et de tendre la main à l'adversaire. C'est ce processus que les États-Unis et l'Union européenne doivent encourager. Les pays arabes, et même le Hamas, ont admis que les frontières de 1967 pourraient servir de base à un règlement. En proposant un moratoire ou un gel de la colonisation en Cisjordanie, le gouvernement israélien a implicitement reconnu que celle-ci était un obstacle à la paix. Il est urgent que les discussions reprennent. Mais il faut pour cela que le gouvernement israélien ait un interlocuteur crédible et représentatif de l'opinion palestinienne. En déstabilisant l'Autorité palestinienne, en lui faisant ressentir son impuissance, en la privant de toute autonomie, il la condamne à l'inexistence ; pire, il fait apparaître le Hamas, que par ailleurs il stigmatise, comme la seule force incarnant la résistance. Quant aux dirigeants du Fatah, ils doivent être conscients que les divisions intestines s'exercent au détriment de la cause palestinienne et servent d'alibi utile à la partie adverse. (M. Philippe Marini approuve)

Pour faciliter l'établissement d'une paix durable au Proche Orient, notre pays doit inciter l'Union européenne à élaborer des propositions concrètes permettant la reprise du dialogue entre Israéliens et Palestiniens. Nos rapporteurs en ont énuméré quelques-unes : le gel total des colonies, la libération des prisonniers détenus dans chaque camp, celle de Marwan Barghouti comme de Gilad Shalit, la fin des expulsions, la levée complète des barrages en Cisjordanie ; mais aussi l'engagement des factions palestiniennes de cesser les attentats sur le territoire israélien. Les aides financières de l'Union pour la reconstruction à Gaza pourraient être conditionnées au respect de ces conditions.

L'élection du Président Obama a fait naître un espoir au Proche-Orient dans la mesure où il a marqué une plus grande attention de son pays à la condition des Palestiniens, où il a prôné une vision moins unilatérale du conflit, où il a pris clairement position contre l'extension de la colonisation. L'Union européenne doit appuyer cette vision. Ce sera un test de sa crédibilité.

Le conflit vieux de soixante ans au Moyen-Orient ne met pas en cause uniquement l'avenir de la Palestine ou d'Israël mais la paix dans le monde. On n'ose imaginer les conséquences d'un raid israélien sur les installations nucléaires iraniennes...

M. Didier Boulaud.  - Ce serait du joli.

M. Josselin de Rohan.  - ...ni celles d'une attaque d'Israël par l'Iran. Depuis l'intervention israélienne dans la bande de Gaza, l'Union pour la Méditerranée, qui pourrait être un trait d'union puissant entre l'Europe, l'Asie et l'Afrique, est en panne.

Il est de l'intérêt de tous les protagonistes de sortir du face à face stérile et meurtrier. C'est l'intérêt des Palestiniens qu'on en finisse avec le blocus de Gaza : quel responsable palestinien soucieux des intérêts de son peuple peut-il souhaiter que cette situation perdure ? C'est également l'intérêt des Israéliens, car le temps ne joue pas en leur faveur. Pour sortir du statu quo, c'est au plus fort de tendre la main ; c'est à Israël de faire le premier pas. Or le gouvernement israélien ne le fera que s'il est convaincu qu'il y va de son intérêt. Pour des raisons tenant au système politique, et en particulier au régime électoral, ce premier pas est difficile à faire, voire impossible. Israël ne bougera vraiment que si les pressions internationales sont plus fortes que les pressions nationales. Ni la France ni aucun pays européen ne sont suffisamment écoutés du gouvernement d'Israël pour l'en persuader. Les États-Unis le sont. Le veulent-ils ? Tel semble être le cas. Mais le Président Obama n'y arrivera pas tout seul. L'Europe peut l'aider -encore faut-il que les Européens soient unis. C'est pourquoi il est urgent de travailler à l'émergence d'un consensus européen et d'une plus grande coopération transatlantique. Puisse le colloque qui se tiendra ici les 28 et 29 janvier prochains y contribuer. (Applaudissements)

M. Philippe Marini.  - Le Président de la République a bien voulu me confier, en décembre 2008, une mission d'analyse et de contact au Proche-Orient. C'est pourquoi les rapporteurs et moi, nous sommes suivis de capitale en capitale : notre feuille de route était très similaire.

Paradoxalement, à la suite des événements de Gaza, et tout au long de 2009, de grands espoirs sont nés. On a espéré des négociations entre les différentes parties palestiniennes et plusieurs fois, l'on a failli déboucher sur un accord grâce à la médiation égyptienne. La rupture est intervenue après la divulgation du rapport Goldstone qui a provoqué une crise profonde au sein de la partie palestinienne. En 2009, la France a poursuivi son approche de toutes les parties en présence. Il y a dans tous les pays du Proche-Orient une attente considérable à l'égard de la France. Quel chef d'État est en mesure de s'exprimer à Ryad, à Jérusalem, à Damas, devant les interlocuteurs les plus divers, séparés par des conflits très vifs, et de susciter la plus grande adhésion et les plus grandes attentes ? La France, par sa relation avec la Syrie de Bachar El Assad, a ouvert des portes et utilisé les ressources de cet exceptionnel carrefour de l'Orient. En 2007, en 2008, la France s'est remise au coeur du jeu. Elle a quelque chose de plus à apporter que ses partenaires.

Mais des contradictions sont à l'oeuvre et la question palestinienne est depuis soixante ans la plus difficile et la plus symbolique au monde. On observe à nouveau aujourd'hui une montée des périls, une extrême sensibilité dans la zone. Les incidents de l'automne à Jérusalem ont montré qu'une étincelle peut provoquer les plus grands désordres. On sous-estime pourtant le risque. Plusieurs orateurs ont souligné la politique insidieuse et persévérante de transformation de Jérusalem. C'est l'aspect le plus symbolique pour des millions de personne dans le monde ! Le problème est politique mais aussi religieux, véritable miroir de nos différentes identités. Comment espérer contourner la difficulté et ne régler que l'accessoire ?

Des personnes très savantes, de grands techniciens, voire technocrates de la négociation internationale, ont peut-être, par leur approche, piégé la mission Mitchell. Vous avez rencontré M. George Mitchell, monsieur le ministre, sans doute pourrez-vous nous éclairer sur ce point ? Sa mission avait suscité de très grands espoirs en raison de sa personnalité, de son ouverture d'esprit, de ses résultats antérieurs, de son objectivité. Et il y avait une similitude entre l'Irlande et la Palestine. Mais la tâche a pris beaucoup de temps et lorsque les sujets ont enfin été déblayés, à l'automne, l'état de grâce était passé pour le Président Obama.

Le patrimoine de la communauté internationale, ce sont les accords d'Oslo et le peu qui existe d'institutions palestiniennes, acquises difficilement par la négociation. Or, où en sont-elles ? Les mandats sont achevés et la situation fait penser à celle du Parlement libanais pendant la guerre civile : chacun fait mine d'ignorer que le temps est révolu, qu'une légitimité plus fraîche est nécessaire. Si nous laissons se déliter le patrimoine, que pourrons-nous opposer à la montée des périls ? Y a-t-il une alternative au schéma de deux États, qui a les faveurs de la communauté internationale ? Ce serait le schéma à un État, si Israël remplit tout l'espace entre la ligne de 1967 et le Jourdain, avec une très puissante minorité qui deviendra un jour majorité.

M. Josselin de Rohan.  - Absolument.

M. Philippe Marini.  - Il y a là un profond levier de déstabilisation des deux côtés du Jourdain. L'existence de la Jordanie serait en cause. Et l'onde de déstabilisation toucherait la péninsule arabique, l'Égypte... On peine à imaginer ce qui se passerait si le concept des deux États ne se concrétisait pas.

Où pouvons-nous puiser encore de l'espoir ? Deux négociations sont possibles. D'État à État, d'abord. Israël est toujours en guerre avec la Syrie et la position syrienne détermine celle du Liban. Si l'on peut suivre la piste syrienne, on fera un pas considérable en direction de la paix. Il est temps de rendre le plateau du Golan à la Syrie et de faire en sorte que ce pays se réforme, diversifie ses relations et compte sur la France et l'Europe. Il y a un pays avec lequel nous pouvons travailler en ce sens : la Turquie car elle partage nos vues et connaît comme nous la réalité complexe de la région.

La négociation israélo-palestinienne ne pourra, elle, intervenir que si les interlocuteurs ont la légitimité requise. L'unité palestinienne est un préalable. La politique du cordon sanitaire autour du Hamas s'est révélée dramatiquement inefficace.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga, au nom de la commission des affaires étrangères.  - Absolument.

M. Philippe Marini.  - L'exclusive lancée à l'encontre du Hamas lui a au contraire conféré une légitimité comme pôle de résistance. La situation néanmoins peut évoluer : le Hamas peut changer, est-il si loin du Hezbollah ?

Le règlement libanais repose sur l'acceptation par la communauté internationale d'une force, encore militaire, jouant le jeu des institutions, présente dans le système parlementaire et au Gouvernement. Y a-t-il une fatalité à ce que ce modèle ne s'applique pas un jour au Hamas ?

Bien sûr, nul ne doit être naïf, surtout pas les représentants de la France, et les efforts doivent être partagés. Les valeurs de ce mouvement doivent être compatibles avec la sécurité d'Israël dans ses limites de 1967, à quelques ajustements près.

Les deux pistes que j'ai mentionnées sont utiles. Selon les moments, l'une ou l'autre pourra servir et il faudra peut-être emprunter un jour les deux.

Notre pays peut jouer un rôle, puisqu'il est crédible auprès de tous les intéressés. M. de Rohan a eu infiniment raison d'insister sur notre relation avec Israël, car il faut être agréé par les deux parties. Cela suppose une certaine réserve dans les analyses, même si l'on aurait parfois envie d'en dire plus et même si, comme l'a dit une très haute personnalité morale du XXe siècle, mieux vaut construire des ponts que des murs ! (Applaudissements à droite et au centre)

Mme Josette Durrieu.  - Mon propos sera centré sur le conflit israélo-palestinien.

Je salue Mme la Déléguée générale de la Palestine, grâce à qui les Palestiniens nous écoutent.

La situation est bloquée. A qui le statu quo profite-t-il ? Sûrement au Hamas, du moins à Gaza ; mais aussi à Israël.

L'enlisement est une réalité, le recul en est une autre : le principe des deux États semble atteint, l'État palestinien n'est plus qu'un fantôme occupé, colonisé, morcelé ; Jérusalem est, grignoté, tend à disparaître et il n'y a plus de gouvernement légitime. Le président Abbas est prolongé. La situation n'a jamais été aussi grave.

Israël existe et doit être reconnu, mais son existence est-elle assurée en l'absence d'État palestinien ?

Mme Monique Cerisier-ben Guiga, au nom de la commission des affaires étrangères.  - Très bien !

Mme Josette Durrieu.  - Les Palestiniens sont divisés. En 2006, un déni de démocratie a refusé de reconnaître le résultat d'élections que nous avions pourtant validées. On connaît la suite, avec la guerre de Gaza et le blocus. Clairement, la réconciliation palestinienne passe par de nouvelles élections, que nous ne sommes pas en mesure d'organiser. Quand auront-elles lieu ?

Le nouveau président américain avait suscité beaucoup d'espoir car il avait, à juste titre, remis le conflit israélo-palestinien au centre du débat. Au démarrage, sa stratégie était bonne, mais la tournée du sénateur Mitchell s'est achevée sans résultat malgré l'intérêt des paroles prononcées. Vint ensuite la volte-face présidentielle et le discours malheureux de Mme Clinton.

L'Union européenne est un nain politique mais un bon payeur. Nous avons consacré des centaines de millions d'euros à divers projets. Ainsi, le système informatique Asycuda devait gérer les douanes, dans un pays sans frontières où les douanes ne contrôlent donc rien du tout. Ce logiciel, le plus performant du monde, pourrait éventuellement gérer les douanes de Gaza avec l'Égypte, mais il ne fonctionne pas à Ramallah. Dommage. De même, l'application Seyada devait assurer un réseau entre les tribunaux cisjordaniens, dont nous formons les juges. Est-ce réellement une priorité ? Il est impossible d'instruire les forces de police en Palestine, dont le territoire est occupé à 80 % par Tsahal. Mais dans les autres 20 %, ces policiers sont efficaces. Et que penser du cadastre en Cisjordanie ? Jusqu'à quand va-t-on continuer à payer ainsi ?

Quelles sont les raisons de cette situation ? Bien sûr, Blair, et surtout Bush, mais aussi la faiblesse d'une Europe divisée et l'obstination destructrice d'Israël. Comme Barnavi le répète, si ça continue ainsi, c'en sera fini du rêve israélien. Mais qui peut le faire comprendre aux gens sensés de ce pays ? Il faut mieux faire connaître le rapport Goldstone car au-delà des murs et des miradors, il évoque des pratiques condamnables.

La communauté internationale doit revenir aux principes : on ne peut déposséder les Palestiniens de leurs terres et de leurs droits. Bien sûr, la victoire électorale du Hamas en 2006 était consternante mais il fallait l'accepter au lieu de commettre un déni de démocratie. Le Hamas peut-il évoluer ? Il reste en tout état de cause un interlocuteur inévitable. Comment la France et l'Europe peuvent-elles ne pas rappeler certains droits des Palestiniens et des peuples du Moyen-Orient ?

Évoquant le droit au retour des Palestiniens, Arafat m'a dit à la Moukhata que les Palestiniens installés au Chili ne reviendraient évidemment pas, mais que leur droit au retour était un principe sacré.

Le droit à la résistance à l'oppression est inscrit dans notre Déclaration des droits de l'homme de 1789. Fille de résistant, je n'accepte pas que l'on identifie la résistance au terrorisme. On transforme des résistants en terroristes quand on les ignore... Il faudrait rappeler le droit à la résistance et redéfinir le terrorisme.

J'en viens à la politique des « deux poids, deux mesures » dont M. François-Poncet a parlé. Il ne s'agit pas seulement des résolutions de l'ONU, jamais respectées par les Israéliens, mais aussi du nucléaire : que l'on refuse la prolifération nucléaire en Iran, soit, mais pourquoi accepter l'armement nucléaire de l'Inde et du Pakistan, deux États signataires du traité de non-prolifération et laisser planer l'ambigüité sur Israël qui a la bombe sans le dire ?

M. Didier Boulaud.  - Très bien !

Mme Josette Durrieu.  - On ne peut bâtir la paix sur le cynisme. Il faut remettre un peu de morale dans tout ça.

Quelque soixante ans après, la paix est loin, comme a dit Bachir El Assad, que j'ai rencontré deux fois l'an dernier. Certains se satisfont du statu quo, pas moi.

Comment assurer la sécurité et la paix des Israéliens et des Palestiniens ? Quel est le risque de prolifération nucléaire au Moyen-Orient ? Quelles solutions appliquer avec quels acteurs ? Moshe Dayan disait qu'il était impossible de vivre sans solution.

On peut citer quelques objectifs immédiats, comme l'arrêt de la colonisation et de l'occupation, la fin du blocus et l'échange des prisonniers, c'est-à-dire du soldat Shalit contre 12 000 prisonniers palestiniens !

Quelles peuvent être les acteurs de la paix ?

Les seuls exclus du processus direct sont les Israéliens et les Palestiniens, incapables d'y participer pour des raisons différentes.

Les États musulmans ont fait une grande partie du chemin, avec le plan du roi Fahd, exposé à Beyrouth en 2002, qui reste sur la table. Parmi les États médiateurs, je citerai bien sûr la Syrie, qui veut récupérer le Golan et normaliser la situation tout en protégeant la résistance palestinienne.

Devant l'incapacité des uns et des autres, il faut mettre une solution sur la table. Monsieur le ministre, est-il exact à ce propos que les États-Unis préparent un plan de paix destiné à régler le conflit en deux ans, comme il est écrit dans Maariv ? C'est à la fois une interrogation et un voeu. (Applaudissements à gauche. Mme Goulet applaudit également)

Mme Dominique Voynet.  - Le Sénat est-il utile ? Voilà un sujet qui a fait couler beaucoup d'encre. Certains saluent sa prudence, sa sagesse, d'autres déplorent son conformisme. Mais la question, ce soir, ne se pose pas car le rapport qui sert de support à notre débat fournit, sur une situation éminemment complexe, un diagnostic minutieux, dressé avec précision et discernement, sans exonérer quiconque de ses responsabilités dans les blocages : nous ne pouvons que saluer le travail de M. François-Poncet et de Mme Cerisier ben Guiga.

Hélas, ce rapport n'aura guère d'impact puisque bon nombre de ses recommandations n'ont manifestement pas été portées à la connaissance de ceux qui, à l'Élysée, décident des orientations de la diplomatie française, de ceux qui, chaque fin de semaine, portent la bonne parole dans les capitales du Moyen-Orient.

Car quelle est réellement la position de la France et comment nos interlocuteurs pourraient-ils s'y retrouver face aux signaux contradictoires qu'elle envoie ?

Une simple évocation des crises qui parcourent la région suffira à traduire l'ampleur des inquiétudes. En Iran, les aspirations démocratiques exprimées par une large partie de la population lors des fêtes religieuses de l'Achoura ont été réprimées dans le sang par un régime dont on peut craindre qu'il n'ambitionne de se doter de l'arme nucléaire. L'Irak, dont il est à présent admis que l'invasion a été décidée sur le fondement d'arguments fallacieux reste confronté au défi du maintien de son unité, les États-Unis ayant imposé, après la destitution de Saddam Hussein, une architecture institutionnelle ignorant la donne locale et propice à un éclatement confessionnel matérialisé par plusieurs années de chaos. L'Afghanistan, déjà handicapé par l'affrontement des expansionnismes sur son territoire, au XIXe siècle, instrumentalisé durant la Guerre froide par la mobilisation des intégrismes pour des causes étrangères, subit une nouvelle intervention qui, si émanant de la communauté internationale, elle est juridiquement légitime, n'a pas évité les faux pas stratégiques : manque de coordination, insuffisante prise en compte du tissu multi-ethnique et interreligieux. « La France n'enverra pas un soldat de plus en Afghanistan » déclarait en octobre dernier le Président de la République, quand le Président Obama était encore en phase de réflexion. Il semble que celle de Nicolas Sarkozy ne soit pas achevée puisqu'il n'exclut plus, aujourd'hui, de renforcer le contingent français, alors que le retour de la France dans le commandement intégré de l'Otan n'a en rien contribué à renforcer l'autonomie décisionnelle de notre pays...

M. Didier Boulaud.  - Bien au contraire !

Mme Dominique Voynet.  - ...et que le maigre espoir de la communauté internationale de voir émerger une « bonne gouvernance » en Afghanistan a fait long feu. Mais n'est-ce pas cette même communauté internationale qui avait accepté l'établissement, dans ce pays, d'un système constitutionnel qui facilite les fraudes électorales avant de valider le résultat du scrutin présidentiel truqué de 2009 ?

Quant au conflit israélo-palestinien, souvent qualifié de « conflit de faible intensité », il est, quelle ironie, à son maximum de tension et les risques d'explosion sont réels. Devant le refus d'Israël de stopper la colonisation illégale, qui rend chaque jour plus difficile la création d'un État palestinien digne de ce nom, le dialogue est au point mort. Les habitants de Gaza, étranglée par un blocus aux conséquences humanitaires lourdes, ont vu s'abattre sur eux une pluie de bombes meurtrières dans le cadre d'une opération militaire dont le nom, « Plomb durci », résume la somme de cynismes qui conduisent, comme le fait en ce moment même l'Égypte, à finir de clôturer, jusqu'à plusieurs mètres sous terre, la cage que constitue désormais Gaza.

Je conviens qu'il serait bien hasardeux à moi de prétendre résoudre une équation sur laquelle ont buté tant de dirigeants politiques. L'argumentaire qui pourrait conduire à la constitution de deux États voisins vivant en paix est pourtant bien établi. Mais la communauté internationale est coupable de maladresses, si ce n'est de calculs douteux. Après avoir poussé à un scrutin démocratique dans la bande de Gaza, les Occidentaux ont ainsi refusé de reconnaître la victoire du Hamas et de le considérer comme un interlocuteur. La France et ses partenaires se sont alors pliés à l'option américaine, reniant un processus qu'elle avait pourtant soutenu. Vous n'étiez certes pas en responsabilité, monsieur le ministre, mais au contraire de nos rapporteurs qui ont courageusement engagé le dialogue à Damas, vous persistez à vous couper de l'un des principaux acteurs de ce conflit et de la possibilité, par conséquent, de travailler efficacement à remettre le dialogue sur les rails : une telle position contribue à radicaliser le Hamas et à décrédibiliser les professions de foi démocratiques de l'Occident. A quoi bon alors avoir envoyé, en 2008, pour établir le contact, un diplomate français qui, aujourd'hui en retraite, ne cesse de clamer qu'il est temps que la France change de posture ?

Comment imaginer exercice plus difficile que celui auquel nous nous livrons ce soir ? Que dire qui n'ait déjà été dit mille fois ? L'Europe n'a pas une influence suffisante, même si l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne peut contribuer à renforcer sa parole, pour peu qu'elle s'émancipe des égoïsmes nationaux qui ont amené, encore aujourd'hui, à choisir une parfaite inconnue pour diriger sa diplomatie, comme pour mieux se prémunir contre une véritable direction politique de l'Union. A l'heure où les craintes d'attaques terroristes sur les sols américain et européen sont à leur paroxysme à la suite de l'attentat manqué sur le vol Amsterdam-Détroit et de l'attentat meurtrier sur la base de Khost en Afghanistan, fin décembre, il serait opportun, sans pour autant baisser la garde face aux terroristes, de repenser notre approche. Car après huit ans de « guerre contre le terrorisme », le constat est sans appel : la menace est plus que jamais d'actualité et la démonstration est faite que cette guerre-là ne peut pas être gagnée par les moyens ainsi déployés. La démocratie que nous prétendons exporter s'est égarée dans les méandres de la manipulation électorale, de la négociation sans résultat, de la détention arbitraire, de la torture. N'est-il pas temps de nous assurer que la façon dont nous mettons en oeuvre les principes et les règles que nous avons édictés puisse recueillir l'adhésion des autres États ? Je forme le voeu que mon pays renforce son engagement auprès des sociétés civiles en mouvement. Il fut un temps où nous savions le faire, auprès des démocraties de l'autre côté du rideau de fer. Des peuples attendent aujourd'hui notre soutien, nos moyens matériels, un renforcement de nos relations. Notre pays peut et doit leur répondre. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes.  - Je rends hommage à M. François-Poncet, qui a eu la volonté de nous délivrer jusqu'au bout son message. Je salue son talent et son courage. Je salue votre rapport, passionnant et fouillé, madame. Mais ce débat en est-il bien un ? Car si j'étais à votre place, j'aurais pu tenir des propos semblables, et si vous étiez à ma place, vous ne renieriez pas certaines des phrases que je vais prononcer.

Je remercie M. Marini d'avoir rappelé qu'aucun pays plus que la France n'est en ce moment entendu, écouté, sollicité par les pays arabes et Israël sur les conflits du Moyen-Orient. Tout n'est pas parfait mais qui le serait sur ce problème si difficile au sujet duquel vous avez rappelé qu'il faut se garder, comme on le fait trop souvent aujourd'hui, d'oublier que l'existence d'Israël est née de la guerre mondiale et de l'holocauste ?

Sur le rapport Goldstone, il y aurait beaucoup à dire, comme sur la façon dont les ONG israéliennes ont souligné les excès de la guerre à Gaza. Mais qui plus que la France a condamné le déchaînement de l'armée israélienne à Gaza, comme l'a fait le Président Sarkozy, les yeux dans les yeux, même si, dans le même temps, nous continuons à condamner les tirs de roquette ? Nous maintenons cette condamnation de l'intervention à Gaza, comme celle de la poursuite de la colonisation. Si au dernier moment, nous nous sommes abstenus à l'ONU, avant de voter contre, ce n'est pas faute d'avoir travaillé dans le dialogue sur un texte qui a suscité tant d'incompréhension du côté de nos amis palestiniens. Vous me demandez ce que je fais pour la bande de Gaza ? Je vous réponds que je travaille, cela a été signé aujourd'hui, à la reconstruction de l'hôpital Ash-Shifa de Gaza, que je connais bien, pour y avoir été médecin.

M. Mitchell, représentant de l'administration américaine, s'est arrêté en France hier, sous un bon prétexte, celui du suivi de la Conférence dite de Paris, un succès en termes tant économiques que politiques. Cette conférence s'intitule, d'ailleurs, conférence internationale des donateurs « pour l'État palestinien », et non « pour la création d'un État palestinien ». Il a été décidé lors de cette réunion de réunir les experts autour du comité ad hoc dirigé par la Norvège et, peut-être, d'organiser une nouvelle Conférence de Paris en 2011 si les conditions le permettent. Pour être écouté au Moyen-Orient, il faut être écouté par les deux parties, merci de l'avoir souligné. Certaines positions excessives, que j'ai prises par le passé, sont improductives. La situation évolue, a constaté M. Mitchell, tout peut se bloquer : les Égyptiens ont récemment rencontré l'administration Obama, le Premier ministre israélien Netanyahou a fait la proposition, certes insuffisante, d'un moratoire de dix mois pour les colonies à l'exclusion de Jérusalem, proposition qui est connue des Palestiniens. L'Europe, c'est-à-dire Mme Ashton, M. Blair, au nom du Quartet, M. Moratinos, le ministre espagnol et moi-même, a assuré M. Mitchell de son soutien aux initiatives américaines en faveur de la reprise des pourparlers entre Palestiniens et Israéliens, qui avaient permis sous le gouvernement Olmert d'aboutir à une carte relativement satisfaisante pour les deux parties, bien meilleure qu'elle ne l'est aujourd'hui. Mais avons-nous jamais cessé de soutenir ces rencontres ? Non. Y a-t-il un espoir ? Oui, si nul ne sait combien ce conflit fera encore de victimes, nous savons qu'il aboutira à la création de deux États. Sur les Territoires, des progrès considérables ont été accomplis, grâce au Premier ministre de l'Autorité palestinienne Fayyad. Pas moins de 200 projets ont été menés à bien et une liste complémentaire devrait nous être proposée dans quelques jours. L'argent de la Conférence de Paris a été dépensé à 50 % à Gaza. Faut-il poursuivre sur cette voie ? Oui. Comment ? La réponse ne nous appartient pas. Aucun autre pays n'a eu une attitude aussi exigeante que la France, malgré votre sévérité à son égard. La position des États-Unis a changé, vous l'avez souligné, mais non celle de la France. Nous avons plus ou moins accepté le moratoire comme une avancée.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga, au nom de la commission des affaires étrangères  - Quelle avancée ?

M. Bernard Kouchner, ministre.  - D'après M. Mitchell, M. Netanyahou se situerait aujourd'hui davantage au centre qu'à droite de la politique israélienne. D'après les derniers sondages, 70 % des Israéliens approuvent la création de deux États et une large majorité, 57 %, accepte aussi Jérusalem pour capitale de ces deux États. Ne me cherchez pas querelle concernant la position de l'Union européenne ! La position unanime de l'Union le 28 décembre est le texte le plus avancé que nous ayons pris. La phrase que M. Sarkozy a prononcée à Jérusalem et à Ramallah concernant la capitale des deux États était nécessaire pour obtenir une position unanime des Vingt-sept. Les Suédois avaient proposé « Jérusalem est ».

Nous notons également un mouvement chez les pays arabes. A ce propos, merci d'avoir reconnu que la France a, contre l'avis des États-Unis, engagé le dialogue avec la Syrie car nous sommes persuadés que tout ce qui pourra contrecarrer l'influence iranienne va dans le bon sens. Faut-il prendre pour interlocuteurs le Hamas ? On ne peut pas être plus palestinien que les Palestiniens ! Pour le moment, cela ne ferait que fausser le jeu d'avancées et de propositions que doit faire la France. Est-il possible de convaincre le Président Abbas ? C'est à lui de s'engager alors qu'il n'est pas dans une bonne position face à ses amis arabes, lesquels ont proposé, rappelons-le, l'initiative de paix arabe que nous avons saluée. Peut-on lui demander un geste de générosité comparable à celui de M. Sadate ? Peut-être en est-il le seul capable. Pour cela, il faut beaucoup de fermeté, d'engagements peut-être écrits dans ce qui pourrait être, même si je préférerais éviter ce terme, une feuille de route ; en un mot, des certitudes -c'est mon point de vue personnel- qui iraient jusqu'à la reconnaissance de l'État palestinien à une date précise.

« Nous ne pouvons pas avancer sur ce dossier sans unité entre les deux rives de l'Atlantique » nous a dit en substance M. Mitchell. Nous soutenons cette position et les engagements que cela suppose. Notera-t-on une évolution dès les semaines suivantes ? Je l'espère. Ce débat, où les rôles étaient interchangeables, était-il utile ? Je le crois et remercie les orateurs d'y avoir participé chacun avec son talent. Les accusations portées contre la politique de notre pays, on ne les entend qu'ici, pas là-bas ! (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. le président.  - Avant de lever la séance, permettez-moi de souhaiter au nom du Sénat un prompt rétablissement à M. François-Poncet.

Prochaine séance aujourd'hui, mercredi 13 janvier 2010, à 14 h 30.

La séance est levée à minuit et demi.

Le Directeur du service du compte rendu analytique :

René-André Fabre

ORDRE DU JOUR

du mercredi 13 janvier 2009

Séance publique

A 14 HEURES 30

1. Désignation d'un membre de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, en remplacement de Mme Esther Sittler.

2. Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à créer une allocation journalière d'accompagnement d'une personne en fin de vie. (n°223 rectifié, 2008-2009)

Rapport de M. Gilbert Barbier, fait au nom de la commission des affaires sociales. (n°172, 2009-2010)

Texte de la commission. (n° 173, 2009-2010)

A 21 HEURES

3. Débat d'initiative sénatoriale sur l'évaluation de la loi sur le service minimum dans les transports.