Disponible au format PDF Acrobat


Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Sénateurs en mission

Dépôt d'un rapport

Organisme extraparlementaire (Candidature)

Mise au point au sujet d'un vote

Droits des personnes placées en garde à vue (Question orale avec débat)

Questions cribles sur l'hôpital

Dépôt du rapport de la Cour des comptes




SÉANCE

du mardi 9 février 2010

68e séance de la session ordinaire 2009-2010

présidence de Mme Monique Papon,vice-présidente

Secrétaires : Mme Anne-Marie Payet, M. Daniel Raoul.

La séance est ouverte à 14 h 35.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Sénateurs en mission

Mme la présidente.  - Par courrier en date du 4 février 2010, M. le Premier ministre a fait part de sa décision de placer, en application de l'article L.O. 297 du code électoral, M. Chatillon, sénateur de Haute-Garonne, M. Guené, sénateur de la Haute-Marne et M. Buffet, sénateur du Rhône, en mission temporaire auprès de Mme Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi.

Cette mission portera sur les conséquences de la réforme de la taxe professionnelle sur l'autonomie financière et fiscale des collectivités territoriales.

Acte est donné de cette communication.

Dépôt d'un rapport

Mme la présidente.  - M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre, en application de l'article 67 de la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit, le rapport sur la mise en application de la loi n° 2009-689 du 15 juin 2009 tendant à modifier l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et à compléter le code de justice administrative.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il a été transmis à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale. Il est disponible au bureau de la distribution.

Organisme extraparlementaire (Candidature)

Mme la présidente.  - J'informe le Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation du sénateur appelé à siéger au sein du conseil d'administration de l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice, créé en application du décret n° 2009-1321 du 28 octobre 2009 .

Conformément à l'article 9 du Règlement, j'invite la commission des lois à présenter une candidature.

La nomination au sein de cet organisme extraparlementaire aura lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l'article 9 du Règlement.

Mise au point au sujet d'un vote

M. Jean-Patrick Courtois.  - Je veux faire cette mise au point au sujet du vote sur l'ensemble de la loi portant réforme des collectivités locales : M. Lardeux a été enregistré parmi les « pour », alors qu'il souhaitait voter « contre ».

Mme la présidente.  - Acte vous en est donné.

Droits des personnes placées en garde à vue (Question orale avec débat)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 50 de M. Mézard à Mme la ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés sur le renforcement des personnes placées en garde à vue.

M. Jacques Mézard, auteur de la question.  - Une démocratie qui a peur de ses citoyens est une démocratie malade ; c'est le cas de la nôtre, qui inflige chaque année à 800 000 de ses citoyens une privation de liberté, creusant le fossé entre ces citoyens et ceux dont la mission première est de les protéger.

Dans la tradition de la gauche démocratique et de tous ceux qui, dans cet hémicycle, ont manifesté sous trois Républiques un attachement viscéral aux valeurs fondamentales de la République, le groupe RDSE a voulu ce débat sur la garde à vue. Nous avons anticipé la vague médiatique qui déferle aujourd'hui sur ce sujet, qui est depuis de nombreuses années un cancer de notre justice.

Tout observateur raisonnable sait que la machine s'est emballée, que les libertés, la présomption d'innocence, le respect de la personne humaine sont bafoués, avec comme corollaire une société qui, au mieux, doute de sa justice et de ses forces de l'ordre, au pire ne les respecte plus.

Il est urgent de sortir de ce cercle malsain, pour le citoyen comme pour la police et la gendarmerie dont l'image s'est dégradée dans l'opinion, ce qui est toujours dommageable.

Notre intention n'est pas de faire le procès des forces de l'ordre, mais d'un système et de la façon dont il est utilisé et dévoyé par certains. Nombre de policiers et gendarmes ont un comportement digne, républicain, ils ont le sens de l'humain. Nous savons le professionnalisme qui est nécessaire pour faire face aux provocations, aux insultes, à la délinquance du quotidien, mais nous connaissons aussi les dérives inacceptables qui existent, et dont s'est inquiété le rapport de la commission nationale de déontologie de la sécurité. La privation de liberté doit rester l'exception, l'humiliation est à proscrire.

La situation actuelle, c'est l'arbitraire et l'absence de contrôle réel. Y a-t-il témoignage plus saisissant que celui du Premier ministre qui se déclare choqué du nombre de gardes à vue réalisées à son insu ? On avait même oublié quelque 200 000 gardes à vue concernant les infractions routières.

Dans les huit dernières années, les gardes à vue ont augmenté d'environ 250 %, sans impact démontré sur la délinquance, et elles se sont déroulées dans des locaux « inadaptés », disent certains, voire indignes.

Imprégné de la culture de l'aveu, de la volonté d'avoir « une avance sur le gibie », le régime actuel de la garde à vue est le résultat d'une évolution remontant au XIXe siècle, où elle avait été écartée par le code d'instruction criminelle et par la loi de 1897. Apparue dans le décret du 20 mai 1903 et développée par une logique procédurale, c'est en fait l'État Français qui la réglementa dans la circulaire du 23 septembre 1943.

En réalité, on était toujours dans l'enquête officieuse que le législateur a tenté de légaliser en 1958 au terme d'un débat féroce entre Jacques Isorni, avocat de la répression et Maurice Garçon, avocat tout court. Déjà, de grandes voix s'élevaient en vain, comme celle de Maurice Schumann lors de la séance de l'Assemblée nationale du 25 juin 1957 : « Il me paraît inconcevable que nous introduisions dans notre code de procédure pénale cet élément de répression, à savoir que le délai de garde à vue n'est pas le délai nécessaire pour conduire au juge mais le délai pendant lequel on commence en fait, et sans garantie, l'instruction du procès. Car les garanties fondamentales que comportait la loi de 1897, jamais les Républicains qui nous ont précédés sur ces bancs ne les auraient laissé remettre en cause ! ». Que dirait-il aujourd'hui où des centaines de milliers de nos concitoyens subissent une privation de liberté sans jamais, selon sa formule, « être conduits au juge » ?

Les réformes intervenues depuis, non seulement, n'ont pas amélioré la situation, mais, pour des raisons diverses et parfois contradictoires, l'ont aggravée. Et cette situation existe sur tout le territoire de la République. Dans ma carrière, j'ai exercé à Paris mais aussi durant plusieurs dizaines d'années en province, à Aurillac, et j'ai connu cette dérive qui touche toutes les couches de la population.

L'article 63 du code de procédure pénale permet tout : tout officier de police judiciaire peut « garder à sa disposition toute personne à l'encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction » et cela indépendamment de la gravité de l'infraction, avec, pour conséquence, la mise au secret, le retrait des objets personnels, inclus certains sous-vêtements, avec comme droits l'information sur la nature de l'infraction et la durée de la garde à vue, l'examen par un médecin et l'entretien avec un avocat. Or, les auditions commencent toujours avant la rencontre avec l'avocat. Il ne s'agit non pas ici des grandes affaires criminelles mais du quotidien de la justice. J'ai ainsi reçu de multiples coups de téléphone où l'on me disait que M. X. avait demandé mon assistance et que je pourrai venir à telle heure, une fois que l'on en aurait fini avec son audition. Voilà la pratique réelle !

L'excellent document du service des études comparées du Sénat de décembre 2009 sur la garde à vue relève deux points essentiels en droit comparé : la plupart des textes étrangers subordonnent le placement en garde à vue à l'existence d'une infraction d'une certaine gravité. Les débordements auxquels nous assistons démontrent que nous ne sommes pas dans ce cas de figure. De plus, dans tous les pays européens, sauf en Belgique, les personnes placées en garde à vue peuvent bénéficier de l'assistance d'un avocat dès qu'elles sont privées de liberté. Bref, la France, pays des droits de l'homme, est le mauvais élève de la classe. Notre législation et nos pratiques sont en contradiction avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme, jurisprudence devenue univoque avec les arrêts de novembre et décembre 2009, Danayan, Kolesnik et Savas. Oui, il y a incompatibilité entre notre droit et les jurisprudences européennes et je ne reviendrai pas, madame le ministre, sur le débat relatif à votre circulaire du 17 novembre 2009, car il est en grande partie dépassé.

Nous constatons ces dernières semaines que nombre de juridictions françaises annulent des procédures sur la base de la jurisprudence européenne. Aujourd'hui, la même procédure peut être annulée dans tel tribunal et validée dans tel autre. C'est la confusion et ce n'est plus l'État de droit.

Madame le ministre, il nous faut une réforme profonde allant d'ailleurs au-delà des propositions de loi récemment déposées par plusieurs groupes, dont le nôtre. L'officier de police judiciaire ne doit plus être le seul maître et décideur de la garde à vue, avec un contrôle quasi-inexistant du parquet : comment d'ailleurs contrôler 800 000 gardes à vue ? C'est mission impossible. Finissons-en avec les rétentions abusives de longues heures pour quelques minutes d'audition et qui sont utilisées comme des sanctions préventives ou parce que les policiers sont occupés ailleurs. Finissons-en avec les prélèvements systématiques des empreintes, dont les empreintes génétiques qui sont conservées des dizaines d'années, avec les fichages au Stic en dépit des relaxes ou des classements sans suite, pratiques dénoncées par la Cnil. Finissons-en avec les cachots d'une autre époque, d'un autre régime dénoncés par M. Delarue, Contrôleur général des lieux privatifs de liberté : « Il y a des douches mais elles ne servent à rien ! Parce qu'il n'y a ni serviette ni savon... On boit dans le creux de ses mains... On est encore dans une logique où le commissariat, comme la prison, est là pour susciter l'effroi, et pour faire « cracher le morceau ». Même si dans les locaux de garde à vue les fonctionnaires respectent massivement la déontologie. Les registres de garde à vue sont souvent mal tenus : il manque l'heure de fin de garde à vue, ou alors on fait signer la page de sortie à la personne dès son arrivée. C'est curieux. Est-ce par commodité, parce que les policiers sont débordés ? On a l'impression que la garde à vue est organisée en fonction des contraintes matérielles, pas des garanties juridiques, alors que le respect des droits de la personne doit l'emporter ».

Finissons-en avec le « menottage » injustifié, les fouilles à nu, les humiliations diverses, avec l'arbitraire total de la durée de la garde à vue, avec le flou du point de départ de la garde à vue et les prolongations dites de confort découlant de l'absence de réel contrôle, quand lesdites prolongations ne sont pas accordées de manière anticipée !

Comment en est-on arrivé là ? Comment le train de la justice a-t-il déraillé ? Comment justifier cette augmentation exponentielle des gardes à vue en si peu de temps ? Je constate qu'aucun ministère ne s'en vante, parce que c'est indéfendable, parce que l'opinion s'émeut dans toutes ses strates, même si ces errements touchent davantage les couches populaires et les jeunes en particulier, encore que ce ne soient pas dans les zones de non-droit qu'il y a forcément le plus de gardes à vue.

M. Jacques Mézard, auteur de la question.  - Qu'en sera-t-il avec le couvre-feu pour les mineurs de 13 ans, qui pourront être amenés au commissariat ?

On est passé de la police de proximité à la police de statistique. C'est la politique sécuritaire du chiffre, le règne de la statistique où il faut multiplier les « bâtons », comme on dit, pour atteindre les objectifs. Ces statistiques relèvent-elles de la Lolf ? La multiplication des lois sécuritaires calées sur l'exploitation des faits divers est incompatible avec une bonne justice : nous sommes fort heureux, madame le ministre, que vous soyez intervenue récemment pour répondre au ministre de l'intérieur. Nombre de policiers et de gendarmes s'insurgent contre ce système contraire à la bonne marche des services : le personnel occupé et le temps passé à gérer cette machine infernale ne sont pas consacrés à d'autres tâches pourtant plus utiles à la sécurité publique.

Il ne convient pas de traiter la maladie par un remède homéopathique, ni de mettre l'édredon sur le dossier comme il ressort du rapport Léger, dont certains constats sont discutables et les préconisations dépassées. La connaissance des grands dossiers et des affaires médiatiques ne suffit pas toujours à cerner la réalité du quotidien. En effet, écrire, comme cela figure dans le rapport Léger, que l'augmentation des gardes à vue est en partie liée à l'augmentation de l'activité des services, que la pratique dominante est toutefois de ne pas placer en garde à vue pour des faits contraventionnels ni des délits pour lesquels aucune peine n'est encourue, proposer une retenue judiciaire souvent préalable à la garde à vue, est-ce bien sérieux ?

Ces dernières semaines nous vivons, de fait, le naufrage de la garde à vue : le tribunal de Bobigny, la cour d'appel de Nancy et, le 28 janvier à cinq reprises, le tribunal correctionnel de Paris ont annulé les gardes à vue en raison du non-respect des droits de la défense.

Après un travail en collaboration avec le barreau de Paris, nous avons, avec plusieurs de nos collègues du RDSE, déposé une proposition de loi qui est inscrite à l'ordre du jour du 24 mars, pour imposer une audition immédiate en présence de l'avocat : c'est ce qui se passe dans la quasi-totalité des pays européens.

De grâce, arrêtons cette méfiance épidermique à l'égard du barreau : les avocats sont des auxiliaires de justice, et ils ont une déontologie. De grands parlementaires ont rejoint cette profession et votre prédécesseur y aspire.

Madame le ministre d'État, quelles sont vos intentions ? Allez-vous donner des instructions pour qu'immédiatement, avant même la réforme indispensable, un peu de raison revienne ? Je n'ai volontairement pas cité les faits divers, y compris celui de ce matin. Nous ne sommes pas de ceux qui préfèrent une injustice à un désordre, nous ne sommes pas de ceux qui prêchent le laxisme. Dans notre groupe, nous comptons un ancien ministre de l'intérieur qui a su mener une politique claire, mariant l'ordre et la liberté. La République, c'est la liberté et l'ordre.

Nous connaissons votre sens de l'État, votre sens de l'humain. (M. Jean-Louis Carrère fait un geste de scepticisme) Les deux sont non seulement conciliables mais indispensables. En agissant vite, vous éviterez que ne se creuse davantage le fossé entre forces de l'ordre, justice et citoyens. Restaurez les principes qui font l'honneur de la République ! Vous ne pouvez rêver d'un meilleur programme pour le ministre de la justice et des libertés. (Applaudissements au centre et sur les bancs socialistes)

M. Alain Anziani.  - Je remercie Jacques Mézard d'avoir lancé ce débat auquel toute personne attachée aux libertés publiques est nécessairement attentif.

Qu'est-ce qu'une garde à vue ? C'est d'abord 24 heures dans ce que le Contrôleur général des lieux de privation de liberté considère comme « le plus médiocre des locaux administratifs les plus médiocres ».

Vingt-quatre heures, je m'excuse de cette précision, dans des odeurs d'urine, parfois d'excréments. Une garde à vue, c'est une série d'humiliations : les menottes, le tutoiement, la fouille à nu systématique, la privation des lacets, des lunettes et, pour les femmes, du soutien-gorge. Une garde à vue, c'est entrer dans le monde kafkaïen du Procès qui s'ouvre sur ces mots : « On avait sûrement calomnié Joseph K. car, sans avoir rien fait de mal, il fut arrêté un matin » ; ce monde où l'on ignore pourquoi l'on est mis à la disposition de la police. Est-ce exagéré ? La Commission nationale de déontologie de la sécurité, dans son rapport de 2008, donne l'exemple de ce couple de retraités de 70 ans, auxquels la banque avait remis par erreur deux chéquiers appartenant à d'autres clients, et qui ont été convoqués au commissariat et placés en garde à vue dès leur arrivée. Mme N. a dû se déshabiller entièrement, soutien-gorge et slip enlevés et fouillés. M. N. a été palpé alors qu'il se trouvait en slip et tee-shirt... Est-ce cela que nous souhaitons ? Ce cas serait-il une exception comme notre pays en connaît parfois en matière de libertés publiques ?

Non, à entendre le fait divers rapporté par France Info ce matin que je n'ai pas, contrairement à M. Mézard, la pudeur de taire : Anne, âgée de 14 ans, qui a été réveillée par des policiers un matin, qui lui ont signifié sa garde à vue avant de l'emmener au commissariat en pyjama. Un des policiers a déclaré n'avoir jamais menotté un poignet aussi fin. Quel délit majeur avait-on à lui reprocher ? Chacun de nous connaît des cas de garde à vue manifestement abusives.

En 2009, pas moins de 580 000 personnes ont été placées en garde en vue. Et encore, ce nombre effrayant ne tient compte ni des gardes à vue pour infractions routières, ni des chiffres de l'outre-mer, ni d'autres éléments selon M. Badinter. Au total, 900 000 Français, soit plus de 1 % de la population, auraient subi cette procédure l'an passé. Nous sommes loin de la mesure exceptionnelle de privation de liberté, prévue par le code de procédure pénale ! Que s'est-il passé entre 2004 et 2009 pour que le nombre de garde à vue passe de 380 000 à 580 000 ? Sans vouloir faire de mauvais procès, a-t-on connu avec l'arrivée de M. Sarkozy au ministère de l'intérieur une brusque dégradation de la criminalité ? Non ! La France a-t-elle subi une attaque terroriste ? Non. Nous avons assisté à une routinisation de la garde à vue qu'a dénoncée le Premier ministre lors de l'inauguration de la prison du Mans, mais qu'organisent ses services au nom de la politique du chiffre. La Cour de cassation a eu beau rappeler le principe de la garde à vue, mais qu'importe ! Car, pardonnez-moi cette phrase polémique, on ne gagne pas les élections avec le recueil des arrêts de la Cour de cassation sous le bras, ce vulgaire ouvrage que l'on consulte seulement le 14 juillet !

En réalité, l'usage de la garde à vue relève aujourd'hui, plus que de la routine, d'une culture de la répression. C'est, en quelque sorte, une sanction cousue main dans le grand arsenal de la répression. Un regard de travers, garde à vue ! Un propos déplacé, garde à vue ! Elle est un instrument pour soumettre toute personne au comportement jugé déplacé. La visite de l'avocat durant cette période ? Une simple visite de courtoisie, pour reprendre les termes de l'ancien bâtonnier de Paris ! Il faut réformer la garde à vue. En attendant que M. Badinter vous fasse part de notre position sur le rapport Léger, je dirai : ne mettons un coup de vernis sécuritaire pour effacer les atteintes aux libertés publiques ! (Applaudissements à gauche et au centre)

présidence de M. Gérard Larcher

Mme Anne-Marie Escoffier.  - Depuis quelques semaines, depuis quelques jours, la garde à vue fait la une de nos journaux. Les titres sont aguicheurs : « Il faut supprimer la garde à vue », « La garde à vue : sortir de la logique policière », « Les statistiques officielles sous-estiment le nombre réel de gardes à vue » ou encore « Fillon choqué par le nombre de gardes à vue ». Ce dernier a déclaré être choqué par « la manière dont la garde à vue est utilisée comme un moyen pour obtenir des aveux » et vous-même, madame la garde des sceaux, vous avez affirmé que les « gardes à vue seront limitées aux réelles nécessités de l'enquête, garantissant la liberté de chacun en assurant la sécurité de tous ». Dans ce climat émotionnel déclenché par les décisions de la Cour européenne des droits de l'homme et celle le tribunal de Bobigny, chacun de vos mots, madame, pèse. Dans ce contexte, ce débat paraît opportun avant que ne vienne en discussion en mars prochain la proposition de loi qu'a déposée mon groupe à ce sujet.

Comment améliorer la garde à vue ? Celle-ci, inscrite dans le code de procédure pénale en 1958, a évolué avec l'apparition de régimes dérogatoires pour le terrorisme, les stupéfiants, voire le banditisme, très encadrés par le Conseil constitutionnel. Ces évolutions ont paradoxalement pour objectif de mieux protéger les mis en cause. De fait, la garde à vue, par la privation de la liberté physique, ouvre paradoxalement un espace de liberté intérieure protectrice. Depuis la loi du 4 janvier 1993, cette procédure, contrôlée par le procureur, prévoit que la personne gardée à vue a le droit de faire aviser un proche de sa situation, le droit à un examen médical dès le début et en cours de détention et à la visite d'un avocat.

Mais à côté de la lumière, il y a toujours l'ombre. La progression des gardes à vue, sans entrer dans la querelle des chiffres, est incontestable. Soit, pour les infractions routières, la cellule de dégrisement et la garde à vue sont parfois la seule solution de sagesse. Mais il est d'autres situations largement commentées par la presse où la garde à vue paraît inexplicable, sauf à considérer que le port de l'uniforme donne tous les droits. Ensuite, la présence de l'avocat.

Vous avez rappelé en janvier qu'en droit toute personne a droit à un avocat dès le début de sa garde à vue, et de manière différée dans des cas dérogatoires comme le terrorisme ou le trafic de drogue. Effectivement, un avocat est avisé. Mais que celui-ci ait été indiqué par son client ou qu'il soit commis d'office, il lui faut nécessairement un certain temps pour rejoindre le gardé à vue. Ce délai, très variable et aléatoire, peut être utilisé pour un début d'audition, avec l'idée que l'aveu sera extorqué plus aisément à ce moment. Le problème est très difficile à résoudre, sauf à créer un corps d'avocats spécialisés. On ne s'en sortira vraiment que lorsque cessera tout à fait ce culte de l'aveu qui persiste encore.

Je voudrais enfin évoquer les conditions mêmes de la garde à vue, ces humiliations morales et physiques que l'on impose dans des locaux sordides. On peine à croire que l'on soit encore dans un monde d'hommes fait pour des hommes ! Je connais votre volonté d'améliorer cela, madame la ministre, mais la propreté des lieux ne suffira pas.

J'ai tenté de dire, comme M. Mézard mais avec moins de talent, l'absolue nécessité de réviser notre droit pour que la garde à vue soit considérée comme un acte engageant la société tout entière. (Applaudissements au centre, sur les bancs socialistes et sur certains bancs de la droite)

M. Jean-Patrick Courtois.  - Le sujet dont nous débattons aujourd'hui touche à deux impératifs essentiels qui fondent notre État de droit : le devoir de la société de poursuivre les auteurs d'infractions et l'obligation faite à la justice de garantir des droits à la défense.

En dépit du développement technique de la police scientifique, avec des méthodes faisant notamment appel à l'ADN, notre système judiciaire reconnaît toujours à l'aveu, l'ancienne reine des preuves, une valeur probante particulière. Or, pendant la garde à vue, les suspects sont dans une situation de vulnérabilité psychologique et physique. Plus le mis en cause est fragile, plus il risque de tenir des propos avec lesquels il pense pouvoir satisfaire l'enquêteur, mais qui éloigneront la justice de la vérité. Vous avez dit, madame le ministre, votre volonté de rendre l'aveu en garde à vue insuffisant pour justifier une condamnation. Le groupe UMP salue cette démarche. Nous ne saurions tolérer qu'au pays des droits de l'homme, les aveux obtenus en garde à vue puissent déterminer l'issue du procès.

Afin de contrebalancer l'atteinte portée à sa liberté individuelle, il est reconnu à la personne placée en garde à vue une sphère protectrice. Les services de police judiciaire ont obligation d'enregistrer les interrogatoires de tout suspect faisant l'objet d'une mesure de détention policière en matière criminelle. Ils doivent notifier au gardé à vue la nature de l'infraction sur laquelle portent les investigations, la durée possible de la mesure, le droit de faire prévenir un proche ou son employeur, le droit d'être examiné par un médecin, la possibilité de s'entretenir avec un avocat.

En vertu de la loi du 15 juin 2000, le gardé à vue suspecté d'avoir commis une infraction de droit commun peut s'entretenir au début de la garde à vue durant 30 minutes avec un avocat. Comme l'a indiqué le Président de la République le 7 janvier 2009 devant la Cour de cassation : « On ne doit pas redouter la présence de l'avocat dès le début de l'enquête ». A l'heure actuelle, l'avocat n'a pas accès au dossier de son client en amont et ne peut assister aux interrogatoires ultérieurs. Vous envisagez, madame le ministre, que l'avocat ait accès à tous les procès-verbaux d'interrogatoire du gardé à vue et qu'il puisse assister aux auditions de son client en cas de prolongation de la mesure. C'est une bonne chose, qui ne concerne pas seulement l'avocat et son client : il s'agit aussi de s'assurer que le système répressif fonctionne correctement, que la justice s'appuie sur des preuves fiables et formule des condamnations justifiées.

La garde à vue est une mesure privative de liberté prise pour les nécessités de l'enquête à l'encontre d'une personne dont il est plausible qu'elle ait commis ou tenté de commettre un crime ou un délit. Notre droit devrait ainsi garantir qu'une personne n'est placée en garde à vue que si la contrainte est nécessaire. Or, loin de rester une décision grave, la garde à vue s'est banalisée. Leur nombre est passé de 336 000 en 2001 à 577 000 en 2008. Vous avez déclaré, madame le ministre, que la gravité des faits et les peines d'emprisonnement encourues seraient mieux prises en compte. Nous nous en réjouissons car, si l'augmentation du nombre de mises en garde à vue est à mettre en relation avec le taux d'élucidation des délits, qui approche désormais les 40 %, il est évident que certaines gardes à vues sont moins justifiées que d'autres.

Pour les crimes et délits les plus graves, l'isolement du gardé à vue paraît pleinement justifié et cette privation de liberté est plus supportable pour un délinquant chevronné. C'est pourquoi les régimes spéciaux de garde à vue en matière de terrorisme, de proxénétisme ou de trafic de stupéfiants ne sauraient être alignés sur le droit commun. Dans d'autres cas, il est difficile d'admettre que la garde à vue soit nécessaire ; une simple audition sur convocation suffirait.

Hier, un reportage télévisé présentait le témoignage d'une pharmacienne gardée à vue dans des conditions qui laissent dubitatif sur leur légalité. Et cet exemple est loin d'être marginal. C'est quotidiennement que la presse ou la télévision évoquent des cas de ce genre. Face à l'émotion qu'ils suscitent, nous ne saurions rester muets.

En l'absence d'habeas corpus, notre Constitution prévoit à son article 7 que nul « ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la loi ». Et c'est à regret que le groupe UMP constate les nombreuses lacunes de notre législation en matière de garde à vue. Les sénateurs, garants des libertés individuelles, seront particulièrement attentifs à ce que soit opérée une véritable avancée dans les droits de la défense et les conditions de garde à vue.

A ce titre, je souhaite évoquer la constante augmentation du nombre de gardes à vues en matière d'infractions routières. Le Figaro a révélé qu'en 2008 la moitié des auteurs de ces infractions ont été mis en garde à vue. De plus, en ce domaine, la garde à vue donne lieu à un usage variable. Un policier pourra décider qu'un automobiliste contrôlé positif à l'alcool sera reconduit chez lui par le passager du véhicule, alors que, dans la même situation, un autre fera conduire l'automobiliste en garde à vue. Ces incohérences semblent dues au fait que les procureurs adressent des instructions différentes aux forces de l'ordre. Prévoyez-vous un dispositif plus cohérent en la matière ? Ne doivent être mises en garde à vue pour les infractions au code de la route que les personnes susceptibles de faire l'objet d'une peine de prison. Les auteurs de ces infractions doivent traités de la même manière sur l'ensemble du territoire de la République. (Applaudissements à droite)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - A mon tour, je remercie M. Mézard d'avoir pris l'initiative de ce débat. En effet, le constat du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, la polémique des chiffres après la publication de l'enquête du journaliste Mathieu Aron, la mobilisation des avocats faisant suite à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme nous y invitaient. Tout converge pour dénoncer les dérives de notre procédure pénale. Les 580 108 gardes à vues, auxquelles s'ajoutent les 250 000 dans le cadre des délits routiers, les 37 500 des DOM-TOM, font un total de 900 000 en 2009, soit une augmentation de 54 % depuis 2000, augmentation sans rapport avec la délinquance et l'efficacité du traitement de celle-ci. Qui plus est, la durée augmente -plus de 74 % des gardes à vues dépassent les 24 heures !- dans des conditions le plus souvent déplorables du point de vue de l'hygiène et de la dignité des personnes.

Ces défaillances ne sont pas nouvelles. La violation des droits de la personne placée en garde à vue est une réalité ancienne qu'il serait hypocrite de découvrir sous le seul éclairage de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme. Le CNDS a souvent dénoncé cette situation. Personnellement, j'ai saisi la commission à neuf reprises depuis 2004. Dans l'un des cas la personne était décédée à la sortie du commissariat après de nombreux manquements des policiers.

Et tout cela rien que pour un seul cas, celui du gardé à vue mort à la sortie du commissariat. Je vous épargne la description des neuf autres cas pour lesquels j'ai saisi la CNDS.

En réalité, tout citoyen -mais en particulier les jeunes issus de l'immigration et les manifestants- peut être placé en garde à vue dès lors qu'il pénètre dans un commissariat, quelle que soit « l'affaire le concernant ».

En 2008, des syndicalistes d'EDF ont occupé les locaux de leur direction où ils ont commis quelques infractions. Ils ont été placés en garde à vue dans cinq commissariats et, dans trois d'entre eux, ils ont été fouillés à corps ; une femme de 50 ans a dû retirer son soutien-gorge. Ces syndicalistes relevaient-ils du grand banditisme, du terrorisme, du trafic de stupéfiants ?

Cette banalisation de la garde à vue est le fruit de la politique pénale menée depuis 2002. Et je m'honore avec mon groupe d'avoir déposé, sur le bureau du Sénat dès 2005, une proposition de loi visant à renforcer les droits de la défense face aux dérives sécuritaires des politiques engagées depuis 2002. La politique du chiffre initiée par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'intérieur, et poursuivie jusqu'à présent, est aujourd'hui dénoncée par cinq syndicats comme le SGP-Unité Police qui, lors de son meeting à Paris le15 janvier, a critiqué « une culture du résultat » imposée aux policiers par un gouvernement soucieux de présenter de « bonnes » statistiques de la sécurité. Or, la multiplication des interpellations débouche de plus en plus souvent sur un placement en garde à vue. Notre droit actuel -exception peu glorieuse en Europe- autorise une utilisation extensive de la garde à vue qui donne beaucoup de poids à la phase policière de l'enquête, et la « culture de l'aveu » autorise l'abus de pouvoir dans les locaux de la police, la pression psychologique et l'humiliation.

Il faut donc repenser le droit, comme nous y invite la Cour européenne des droits de l'homme. Les propositions de loi concernant la présence immédiate et surtout les prérogatives de l'avocat dès la première heure, ou concernant la limitation de la garde à vue aux infractions encourant une peine de prison de cinq ans vont dans le bon sens, mais, visiblement, le Gouvernement, s'inspirant du rapport Léger, voudrait rester en deçà, c'est-à-dire en deçà de la jurisprudence européenne.

Il est pourtant nécessaire de repenser la garde à vue pour qu'elle redevienne une mesure exceptionnelle. Trois magistrats honoraires de la Cour de cassation, Jean-Pierre Dintilhac, Jean Favard et Roland Kessous, viennent de publier un article décapant en réponse aux abus actuels : ils proposent de sortir de la logique policière qui fait qu'une personne, dès lorsqu'elle a avoué devant la police, est déjà présumée coupable, et de rendre à la garde à vue son sens étymologique : garde des personnes interpellées en flagrant délit ou sur la base de charges résultant d'investigations, pour laisser au juge l'ouverture de la phase judiciaire et, donc, des interrogatoires.

Hélas, le rapport Léger est d'une très grande frilosité -c'est un euphémisme- sur ce point, et contestable sur bien d'autres. Quoi qu'il en soit, la garde à vue doit être strictement limitée dans son champ d'application, sa durée, et ses conditions. Il faut donc réécrire les articles 63 et 77 et imposer des conditions plus contraignantes à cette grave privation de liberté. Il faut donc revenir à la rédaction ancienne « d'indices graves et concordants » et limiter cette mesure aux infractions pour lesquelles une peine de prison de cinq ans est encourue. Par trois arrêts récents -Salduz en novembre 2008, Dayanan en octobre 2009 et Savas en décembre 2009- la Cour européenne des droits de l'homme vient de redéfinir précisément les droits de la défense, le droit à un procès équitable et en particulier, les conditions de l'intervention de l'avocat en garde à vue. Ainsi, « pour que le droit à un procès équitable demeure suffisamment concret et effectif il faut, en règle générale, que l'accès à un avocat soit consenti dès le premier interrogatoire d'un suspect par la police, sauf à démontrer, à la lumière des circonstances particulières de l'espèce, qu'il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit ». En l'état actuel du droit, l'avocat intervient dès la première heure, pour un entretien de 30 minutes mais la personne peut être auditionnée avant son arrivée. Qui plus est, en 2004 la loi Perben I a prévu des exceptions au droit d'accès dès la première heure à un avocat pour certaines affaires qui relèvent de la criminalité organisée -48 heures- et pour les affaires liées au terrorisme -72 heures. C'est contraire aux exigences de la jurisprudence européenne ! Ces exceptions doivent être supprimées.

La Cour a jugé que l'intervention de l'avocat doit permettre « la discussion de l'affaire, l'organisation de la défense, la recherche des preuves favorables au gardé à vue, la préparation des interrogatoires, le soutien de l'accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention ». La personne placée en garde à vue doit, dès la première minute, se voir notifier son droit à être assistée d'un avocat avant que les auditions ne commencent. L'avocat doit avoir accès au dossier dès le début de la procédure et assister à toutes les auditions.

Il faut réaffirmer, dans le code de procédure pénale, le droit de ne pas participer à sa propre incrimination. Depuis la loi de mars 2003 sur la sécurité intérieure, si le gardé à vue jouit toujours du droit de se taire, il n'en est pas informé, ce qui laisse sceptique sur la possibilité pour le prévenu de se prévaloir d'un droit dont il ignore l'existence.

Certains pays européens ont fixé à la garde à vue une durée maximale constitutionnelle. On doit être prudent sur la question de la qualification pénale et la tendance à la criminalisation de la justice pénale qui entraîne l'application de régimes juridiques plus attentatoires aux libertés individuelles. On pense ici à l'affaire Coupat -quatre jours de garde à vue et sept mois de détention provisoire- et aux inadmissibles conséquences de la qualification facile d'actes de terrorisme. Plus elle dure, plus la garde à vue est attentatoire au principe d'égalité des armes, surtout si la personne ne bénéficie pas de l'assistance d'un avocat. De plus, il est nécessaire de sanctionner les violations des garanties procédurales par une nullité automatique de la procédure.

Enfin, la garde à vue telle qu'elle existe en France porte, trop souvent, atteinte à la dignité humaine. Le sénateur Mézard a évoqué les dernières recommandations du Contrôleur général des lieux de privation de liberté et rappelé les atteintes à l'élémentaire dignité de la personne placée en garde à vue : la vétusté des locaux, l'absence de point d'eau, retrait des lunettes. Dans son rapport d'activité 2009 la Délégation aux droits des femmes du Sénat dénonce particulièrement la pratique systématique des fouilles au corps qui ne se justifie absolument pas par des impératifs de sécurité. La Commission nationale de déontologie de la sécurité note dans son rapport de 2008 « qu'au fil des différents rapports depuis 2005 et malgré les instructions ministérielles, la CNDS est toujours confrontée à de multiples cas de menottages et de fouilles à nu mis en oeuvre sans discernement de manière quasi systématique ». Comme je l'ai dit lors du débat sur la loi pénitentiaire, les fouilles au corps doivent disparaître, remplacées par des moyens de détection électronique.

Devant la Cour de cassation, M. Fillon a estimé que « l'établissement de la sécurité est une ambition républicaine qui ne souffre d'aucune remise en question ». Le droit à la sûreté, nous sommes contraints de le rappeler, c'est le droit à ne pas être arrêté ni détenu arbitrairement. Et voilà que le Chef du Gouvernement l'invoque pour justifier les lois qui le trahissent.

Vos déclarations, madame la ministre, sur l'arrêt de la cour d'appel de Nancy et sur la jurisprudence européenne montre à quel point le Gouvernement souhaite minimiser le problème. Le bâtonnier Christian Charnière-Bournazel déclarait lors de la rentrée du barreau de Paris qu' « il n'y a point d'ordre juste sans la garantie des droits fondamentaux et notamment ceux de la défense. Il n'y a point de sécurité légitime si elle met en péril la liberté ». (Applaudissements à gauche)

M. François Zocchetto.  - Au nom de l'Union centriste, je remercie M. Mézard pour ce débat sur un sujet d'une actualité brûlante et qui servira d'introduction à de nombreux travaux qui se succèderont au Sénat. Il y a urgence car le fossé qui se creuse entre nos concitoyens, notamment les plus jeunes, et les services de police et de gendarmerie est préoccupant pour notre démocratie.

En dix ans, le nombre de gardes à vue a triplé. C'est dire combien la procédure est maintenant dévoyée. Le Président de la République avait souhaité, en janvier 2009, «  la mise en place d'un véritable habeas corpus à la française » et le Premier ministre s'est dit « choqué », en janvier dernier, par l'augmentation du nombre de ces gardes à vue.

Pourquoi cette augmentation ? D'abord parce que ces gardes à vue constituent un des principaux « critères d'évaluation de la performance » de la police et de la gendarmerie. Ensuite, à cause de la jurisprudence de la Cour de cassation, l'officier de police judiciaire pouvant toujours se voir reprocher ne pas avoir placé un suspect en garde à vue ou de l'avoir fait trop tard.

M. Robert Badinter.  - C'est rare !

M. François Zocchetto.  - Cela arrive.

Depuis la loi de juin 2000, l'avocat doit être présent dès la première heure mais pour un entretien de 30 minutes au maximum et pas vraiment utile puisqu'il ne connaît pas grand-chose du dossier. A cet égard, la jurisprudence de la Cour européenne met la France en difficulté et même si, s'agissant d'affaires ne mettant pas en cause des Français, ses arrêts n'ont pas d'application directe en droit français, le tribunal de grande instance de Bobigny, le tribunal correctionnel de Paris et la cour d'appel de Nancy ont annulé des actes faits pendant des gardes à vue, au motif qu'ils étaient contraires à cette jurisprudence. Et cela se renouvellera !

Une telle insécurité juridique est préoccupante. Quant aux conditions matérielles de la garde à vue, on sait ce qu'elles sont ; on ne souhaite à personne d'avoir à les connaître ...

Quelles évolutions sont possibles ? Supprimer la garde à vue ? Certes non, cette procédure est utile dans un certain nombre de situations. La réserver à des délits d'une certaine gravité ? La piste mérite d'être explorée à la lumière des exemples étrangers ; mais on risque d'observer une surqualification des faits reprochés. S'agissant de l'intervention de l'avocat, les propositions de loi ne manquent pas, deux au Sénat et celles de MM. Hunault et Goulard à l'Assemblée nationale ; toutes souhaitent faciliter l'accès du mis en cause à un avocat pendant la garde à vue. J'y suis personnellement favorable, pourvu que la profession mesure bien ce que sera alors sa responsabilité. Toutes les gardes à vue ne se déroulent pas en pleine journée à proximité immédiate du cabinet ou du palais de justice ; et il faudra mettre en place un tutorat qui permette aux plus jeunes, qui ne sont certes pas les moins efficaces, d'échanger sur le dossier avec des confrères plus chevronnés. J'ajoute que le temps policier n'est pas le temps judiciaire. L'accès au dossier d'enquête pendant la garde à vue risque de produire quelques frustrations, dès lors que ne s'y trouveront pas les informations que les officiers de police judiciaire n'auront pas eu matériellement le temps d'y porter.

On pourrait aussi imaginer d'étendre aux délits l'enregistrement audiovisuel des gardes à vue. Ou renoncer à la culture absolue de l'aveu, l'idée étant qu'aucune condamnation ne pourrait être prononcée par un tribunal sur la seule foi de déclarations faites en garde à vue hors la présence d'un avocat. Certains préconisent de revenir à la garde à vue originelle : ne seraient placées en garde à vue que les personnes interpelées en flagrant délit ou sur le fondement d'investigations, ce dans l'attente de la présentation à un magistrat -l'enquête se poursuivant alors devant ce dernier.

Telle est ma modeste analyse. Je sais que la situation vous préoccupe, madame la garde des sceaux, et que la question occupera une place importante dans la réforme de la procédure pénale que vous préparez. Je vous remercie de l'attention que vous y porterez. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Robert Badinter.  - C'est à la ministre des libertés que je m'adresse aujourd'hui. Mesurant l'émotion de l'opinion devant la découverte de certains aspects de la garde à vue, je pensais au rapport que la commission des lois avait élaboré sur la condition pénitentiaire et au titre qu'unanimement nous lui avions donné -« les prisons, une humiliation pour la République »- titre qui dans sa dureté n'était pas passé inaperçu. Nous aurions pu créer une commission d'enquête sur la garde à vue, et intituler son rapport : « un scandale dans la République ». La pratique de la garde à vue, ses conditions, sa généralisation appellent sans plus attendre une réaction.

En quelques années, de 2002 à 2008, nous avons assisté à une augmentation du nombre de gardes à vue très supérieure encore à celle, hélas, de notre déficit budgétaire ; elles sont passées, si l'on ne tient compte que des crimes et délits signalés au parquet, de 336 718 à 577 816, soit une progression de 78 %... Cette explosion a eu lieu pour l'essentiel entre 2003 et 2006, le nombre de gardes à vue étant passé de 381 000 à 535 000... Rien ne justifie cette augmentation foudroyante. Si elle trouve son origine dans l'augmentation de la délinquance, c'est un terrible aveu de l'échec de la politique sécuritaire du Gouvernement -et le démenti des baisses sans cesse annoncées.

La garde à vue s'est généralisée et banalisée sur le territoire de la République. Encore ces chiffres ne disent-ils pas tout, puisqu'on dénombre de 200 000 à 250 000 gardes à vue hors des statistiques policières, qui sont relatives aux infractions routières et concernent potentiellement tous les citoyens. Sans compter les infractions fiscales, douanières et d'autres encore. Quand on interroge les Français sur le nombre annuel de gardes à vue, les optimistes l'estiment à 30 000, voire 50 000 ; les pessimistes, à peut-être 90 000. Ils sont stupéfaits d'apprendre que la réalité est proche de 800 000 -c'est-à-dire que 2 500 personnes sont placées chaque jour en France en garde à vue.

Devant ces chiffres, nous avons le devoir absolu de nous interroger et d'apporter, madame la ministre des libertés, des remèdes. Comment, dans un pays comme le nôtre, peut-on placer en garde à vue, dans des conditions indignes, des personnes contre lesquelles il n'existe qu'une raison plausible de soupçonner qu'elles ont pu commettre une infraction ? Le bat-flanc doit-il être la règle ? La suroccupation des locaux des commissariats, au détriment des policiers eux-mêmes, doit-elle être l'habitude ? Les conditions matérielles de la garde à vue ont été dénoncées en 2006 par le comité pour la prévention de la torture du Conseil de l'Europe ; et M. Gil-Robles, homme de liberté s'il en est, s'en était ému.

Rien ne justifie pareille situation... sauf une sorte de résignation d'un côté, un défaut de crédits de l'autre et cette pensée insidieuse que celui qui est placé dans de telles conditions sera plus réceptif lorsque viendront les interrogatoires. Nous aurions dû agir depuis les mises en garde de 2006 ; mais que dire des pratiques qui ont cours aujourd'hui ? Rien n'autorise qu'on retire à un homme les lacets de ses souliers. Veut-on ainsi prévenir l'étranglement d'un policier ou le suicide du gardé à vue ? Allons donc !

Mais que l'on retire aux femmes, systématiquement, leur soutien-gorge, parce qu'elles pourraient se pendre avec : voyons ! Quelle humiliation inutile et pourtant généralisée ! Autre pratique lourde de conséquences, la confiscation des lunettes, pour empêcher le gardé à vue de se taillader les veines. Quel extraordinaire souci d'éviter les suicides, pourtant plus fréquents dans d'autres lieux... Sans lunettes, on est dans le brouillard, incapable de lire, en état d'infériorité criante devant son interlocuteur. Tout cela est un scandale.

Les garanties sont à notre portée. La Cour européenne des droits de l'homme dans les arrêts déjà cités de 2008 et novembre 2009, a rappelé que l'accès à l'avocat doit être assuré après le premier interrogatoire du suspect ; et elle souligne que les normes internationales prévoient un accès à l'avocat dès la privation de liberté -interrogatoire ou pas. Chez nous, certes, dès les premières heures, le gardé à vue a le droit de s'entretenir avec un avocat. Mais je veux le dire avec fermeté : la seule garantie qui vaille contre tous les abus et tous les soupçons, c'est la présence d'un avocat lors de l'interrogatoire. Les avocats la demandent, certainement pas pour en tirer profit, car ils n'en récolteront que des charges et des obligations, mais parce que c'est une évidence. Si un avocat est présent, finis les risques de pressions psychologiques, finis les soupçons de menaces, finie la nécessité des caméras. Et la procédure sera rendue plus sûre car il reviendra à l'avocat de soulever dans l'instant les irrégularités de procédure. La police ne sera plus l'objet de soupçons, tout sera réglé. J'approuve les jugements récents qui marquent un sursaut nécessaire : il n'y a pas d'autre voie que celle-là.

Une réforme de la procédure pénale est annoncée, mais ne nous en tenons pas à un avocat sur le modèle du coucou suisse, qui fait « coucou » à la première heure, « coucou » à la dixième heure, « coucou » à la vingt-quatrième -et entre-temps, rien. Ce n'est là qu'une apparence de garantie. Il faudra organiser des permanences, oui, et il n'est pas certain que les ténors du barreau se déplaceront, hormis pour des personnalités -mais les « people » ne forment pas le gros des 800 000 gardés à vue.

La présence de l'avocat ne signifie pas la communication intégrale à celui-ci du dossier d'enquête de police. L'obligation ne prend effet qu'à la mise en examen, l'avocat devenant alors le défendeur dans le cadre d'une procédure contradictoire. A ce stade, sont communiqués seulement les éléments justifiant le placement en garde à vue.

Il suffit de courage politique, pour briser la pesanteur qui accable notre justice depuis si longtemps. Le temps est venu d'y remédier. (Applaudissements à gauche)

présidence de Mme Monique Papon,vice-présidente

M. René Vestri.  - Le système de garde à vue fait l'objet de critiques, tant sur le fonctionnement que sur le nombre. Environ 800 000 gardes à vue ont été prononcées en France en 2009, chiffre reconnu par le ministère public.

Le Premier ministre s'est dit « choqué » du nombre des gardes à vue et de la manière dont (elles) sont utilisées « comme des moyens de pression pour obtenir des aveux alors que ce n'est pas le but de la garde à vue ». Comme en réponse à cette indignation, le tribunal correctionnel de Paris vient de déclarer irrégulières plusieurs gardes à vue pour non-conformité de notre droit aux normes européennes découlant de la Convention européenne des droits de l'homme ; le tribunal mentionne les arrêts Salduz de 2008 et Dayanan de 2009. Il relève que l'avocat ne peut pas remplir les tâches essentielles de sa profession puisqu'il n'est pas autorisé à assister aux interrogatoires et ignore les éléments récoltés par les enquêteurs. Comment alors aider le gardé à vue à préparer sa défense ?

La garde à vue est une immobilisation physique temporaire de la personne. Dans une enquête de flagrance, la garde à vue se justifie par l'existence de soupçons concentrés sur une personne qui, pour l'avancement de l'enquête, doit rester à la disposition des services.

Cependant, étant donné l'abus dont elle fait l'objet de l'aveu même du Premier ministre, j'affirme solennellement que la garde à vue devrait être limitée aux seuls cas où une peine d'emprisonnement est encourue. Au cours des derniers mois, des enseignants, des avocats, des mères de famille ont, les uns après les autres, raconté à quel point la garde à vue les met en situation d'infériorité, combien ils se sont trouvés isolés matériellement et psychologiquement, face à des enquêteurs totalement maîtres de l'instant et à la déontologie variable.

« Les gardes à vue en France sont un scandale. J'ai été fouillée à nu, photographiée comme un bandit, on a pris mes empreintes qui vont servir à nourrir je ne sais quel fichier. J'ai dû me déshabiller totalement pour la fouille. Puis j'ai été poussée dans une cellule souillée d'excréments. » Ce témoignage est celui de maître Caroline Wasserman, une jeune avocate qui a connu une garde à vue dans un commissariat de notre pays, il y a quelques mois.

« On est venu me chercher à 6 heures du matin, j'étais réveillée avec mes deux enfants dont ma fille handicapée âgée de 8 ans et mon petit garçon âgé de 18 mois. On a prévenu le père du petit garçon pour qu'il vienne récupérer son fils, mais ma fille, choquée, a été abandonnée sans assistance, errant dans la rue, car il lui était interdit de parler à qui que ce soit, de peur de dévoiler le secret de l'interpellation ». Les journalistes locaux, eux, étaient informés de toute l'opération... «  Les questions étaient incessantes, mes réponses étaient toujours les mêmes, invariables. Cela ne convenait pas aux attentes des policiers, alors, on m'a balancé : elle est folle, il faut la mettre sous tutelle ! »

La personne concernée est suivie par des médecins. Mère célibataire et fragile psychologiquement, car elle a failli perdre son enfant qui a pu être sauvé mais reste malheureusement handicapé à vie, elle n'avait jamais eu affaire à la justice avant cette garde à vue.

Elle n'avait jamais eu affaire à la justice auparavant, ce que les policiers savaient. Mais la déshumanisation gagne chaque personne en un lieu où l'on perd conscience d'être sur le territoire de la patrie des droits de l'homme. Je n'oppose pas la sécurité publique au respect scrupuleux des droits de l'homme, car nous vivons une époque difficile. Pour combattre la délinquance astucieuse, le crime et le terrorisme, les policiers ont besoin de moyens et de notre soutien. Mais je tiendrai des propos imprudents : quand la prudence est partout, le courage n'est nulle part !

Moi, René Vestri, maire de Saint-Jean-Cap-Ferrat, j'ai subi une garde à vue pendant laquelle j'ai signé n'importe quoi après le passage par la souricière où l'on m'a expédié sur le signe dédaigneux d'un parquetier méprisant. J'ai dû me rendre à l'hôpital pour des prises de sang. Je devais alors suivre scrupuleusement un traitement anticancéreux ; je devais uriner souvent, en présence d'un policier qui ne me quittait pas d'une semelle, au cas où j'aurais eu l'idée de sauter par la fenêtre des toilettes ! On m'a dit : « Avouez, signez et vous ressortirez libre. » Alors j'ai signé.

Les gardés à vue subissent, souvent seuls, des interrogatoires oppressants dont les seuls comptes rendus sont les procès-verbaux unilatéralement rédigés par les policiers. Faut-il humilier les prévenus par des traitements dégradants pour obtenir des aveux ou leur coopération ?

Le 7 janvier 2009, le Président de la République a énoncé les axes d'une réforme de la procédure pénale : la substitution d'une culture de la preuve à une culture de l'aveu ; la présence de l'avocat pendant l'enquête ; l'égalité des armes entre l'accusation et la défense, sous le contrôle d'un juge d'instruction. Hélas, le rapport Leger ne satisfait ni cette ambition, ni la jurisprudence européenne.

Les avocats du barreau de Paris, bâtonnier en tête, ont donc lancé un appel pour la suppression de la garde à vue telle qu'elle existe en France. Ils invoquent la législation européenne, considérant nulle une condamnation fondée sur la déclaration recueillie en garde à vue hors la présence d'un avocat : on ne peut condamner sur la base de déclarations auto-incriminantes recueillies sous la contrainte !

Me Henri Leclerc a rappelé que cette question s'était déjà posée lors du rapport Delmas-Marty, mais que les policiers avaient alors déclaré que cela détruirait leur métier, à la stupéfaction de commissaires de pays européens, qui ont dit boucler leur enquête avant toute arrestation, au lieu de bâtir une affaire à partir d'aveux recueillis dans leurs locaux.

Je soutiens donc la proposition de loi déposée le 21 décembre par le député Manuel Aeschliman, tendant à instituer la présence d'un avocat pendant tous les actes de la garde à vue, afin que le prévenu soit assisté par son avocat pendant toutes les auditions et interrogatoires. Notre collègue propose à juste titre que le gardé à vue se voie notifier le droit se taire, ce qui a été institué en 2000 avant d'être supprimé en 2002. Ces dispositions s'appliqueraient à toutes les infractions punies de peines au moins égales à cinq ans de détention.

En libérant l'enquête pénale du carcan de la garde à vue pour des délits mineurs, en désengorgeant nos commissariats et salles d'écrou de centaines de milliers de gardes à vue inutiles, nous permettrons aux forces de l'ordre de se concentrer sur l'essentiel avec des moyens dégagés et la conscience nouvelle de servir la patrie des droits de l'homme !

Le comité Léger propose d'interdire le placement en garde à vue lorsque la peine d'emprisonnement encourue est inférieure à un an, mais d'ajouter une mesure coercitive plus brève. Ces suggestions méritent d'être précisées, car il ne servirait à rien de créer une garde à vue bis. La création d'une retenue judiciaire pouvant atteindre six heures mérite elle aussi une explication sur le droit de l'avocat. S'il ne peut accéder au dossier, où serait l'innovation ?

Mme la présidente.  - Veuillez terminer.

M. René Vestri.  - Premier pays à entrer dans la modernité juridique grâce à la Déclaration de 1789 et au code civil de 1804, la France s'est laissée entraîner vers le fond de la classe européenne en matière pénale. Dans un pays des droits de l'homme où tout prévenu est présumé innocent tant qu'il n'a pas été condamné, des gardes à vue humiliantes et inhumaines sont-elles acceptables ? Qu'attend la France pour se conformer à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, dont un arrêt rappelle qu'un accusé doit bénéficier d'un avocat dès qu'il est privé de liberté ? (MM. Robert Badinter et Jean-Pierre Michel applaudissent)

Mme Alima Boumediene-Thiery.  - La garde à vue est un acte grave, que le code de procédure pénale limite aux nécessités de l'enquête, mais qui s'est transformé en outil d'une affligeante banalité, ce qu'attestent les chiffres cités par M. Anziani.

Cette inflation dramatique trouve également sa source dans son utilisation comme indicateur de performance de la police : sommés de faire du chiffre, les officiers de police judiciaire utilisent le placement pour atteindre les objectifs fixés par leur ministre. Cette instrumentalisation est manifeste avec les 200 000 gardes à vue au minimum concernant des délits routiers déjà constatés. Cette mesure est parfaitement inutile, sinon pour alimenter le taux d'élucidation. Il est intolérable qu'une privation de liberté ait pu se transformer en indicateurs de performance de la police, sans la moindre limitation à son usage. Pire ! Elle est devenue un outil de gestion sécuritaire de la majorité, utilisée pour terroriser ceux qui, par exemple, ont rechargé le portable d'un étranger sans papiers.

Mesure grave, la garde à vue a été transformée par votre gouvernement en gadget sécuritaire qui alimente artificiellement les statistiques de l'intérieur et de la justice pour satisfaire aux objectifs chiffrés du Président de la République.

S'ajoute une incompatibilité juridique de la garde à vue avec la Convention européenne des droits de l'homme. La circulaire de la Chancellerie tentant de contrer cette réalité ne doit pas nous abuser : notre système est contraire à la Convention européenne des droits de l'homme. C'est malheureux, mais c'est la vérité !

L'arrêt Dayanan rendu par la Cour européenne des droits de l'homme est limpide : « l'avocat doit non seulement être présent dès le début de la garde à vue, mais il doit également pouvoir exercer toute la palette des droits de la défense ». Les parlementaires Verts en ont tiré une conséquence et immédiatement présenté au Sénat une proposition de loi. Comme l'a dit l'ancien bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Paris, Me Charrière-Bournazel, cette réforme est urgente. En effet, des gardes à vue illégales sont décidées par centaines chaque jour ! Le 28 janvier, le tribunal correctionnel de Paris a annulé cinq gardes à vue en raison de l'absence de l'avocat.

Dans ces circonstances, je voudrais annoncer les points fondamentaux d'une réforme.

Tout d'abord, la garde à vue doit être réservée aux infractions les plus graves, sans être pour autant impossible dans les autres cas. Nous proposons que cette privation de liberté soit soumise à une autorisation judiciaire lorsque l'infraction dont il s'agit est passible de moins de cinq ans de prison.

Deuxièmement, la France doit enfin reconnaître le droit du gardé à vue de ne pas participer à sa propre incrimination, donc de se taire. Ce principe est consacré par la législation européenne.

Le troisième point est le plus important, avec la prise en compte des droits de la défense grâce à la présence de l'avocat, dès le début de la garde à vue, pendant laquelle il pourra utiliser la palette variée des droits de la défense, pour reprendre les termes utilisés par la Cour européenne des droits de l'homme. Il faut sortir de l'hypocrisie consistant à faire semblant de croire que 30 minutes suffisent à communiquer avec son client. Il faut au moins deux heures. Ensuite, il est fondamental que l'avocat accède au dossier pénal.

Nous souhaitons encore que l'avocat puisse assister aux interrogatoires, conformément aux principes de la Convention européenne des droits de l'homme.

Une jeune fille de 14 ans vient d'être cueillie chez ses parents pour être emmenée en garde à vue, encore en pyjama : la garde à vue était-elle nécessaire, pour une rixe entre adolescents ? Les mineurs devraient disposer de droits plus protecteurs, mais notre système, en les assimilant dès 16 ans à des adultes, les prive de protection, leur interdit en particulier l'intervention d'un avocat.

Nous voulons que notre droit se conforme aux règles européennes, c'est le sens de notre proposition de loi, nous l'examinerons prochainement. N'oublions pas que c'est à cause d'une garde à vue que la France a été condamnée pour acte de torture par la Cour européenne des droits de l'homme. Nous demandons à ce qu'il soit mis fin à ce scandale de la garde à vue, qui est une honte pour notre pays, et que les règles d'un procès équitable soient appliquées dès la mise en cause ! (Applaudissements à gauche)

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.  - Je remercie M. Mézard pour sa question et pour le ton résolument dépourvu de toute polémique qu'il lui a donné : la situation mérite une analyse sereine, prélude à la recherche d'une solution équilibrant le besoin de sécurité et le souci de liberté.

Comme vous, j'estime nécessaire de faire évoluer la garde à vue, aussi bien son statut juridique que ses conditions matérielles. Les chiffres de la garde à vue ne figurent effectivement pas dans les statistiques de mon ministère, car ils relèvent du ministère de l'intérieur. Il y a aujourd'hui trop de gardes à vue, nous en sommes d'accord. S'il fallait corréler l'augmentation du nombre de gardes à vue à une autre statistique, je pencherais vers le taux d'élucidations plutôt que vers la baisse de la délinquance : entre 2003 et 2008, nous sommes passés de 25 à 40 % d'élucidations des crimes et délits, ce résultat est peut-être à mettre au compte de l'augmentation des gardes à vue ! (Exclamations à gauche)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - C'est polémique !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État.  - La garde à vue est devenue trop automatique, le constater n'est pas remettre en cause le travail des policiers ni des gendarmes. Comme l'a bien dit Mme Escoffier, la garde à vue doit retrouver son caractère d'instrument de l'enquête, au service de la recherche de la vérité.

Je souhaite que la garde à vue soit réservée aux seuls cas où elle est nécessaire, ce sera l'un des objets de la réforme du code de procédure pénale, dont je vous proposerai l'examen cet été au plus tard. Ce texte réaffirmera le caractère exceptionnel de la garde à vue, qui sera limitée aux situations où la peine encourue comprendra de l'emprisonnement. La règle sera donc de pouvoir être entendu librement dans les locaux de la police ou de la gendarmerie, pour une durée maximum de quatre heures, et l'on pourra également choisir le régime de la grade à vue, pour les garanties qu'il offre, notamment l'accès à un avocat.

Le texte que je vous présenterai renforcera les droits des gardés à vue, en particulier pour l'accès à un avocat. Aujourd'hui, cependant, notre droit répond déjà aux normes européennes et l'interprétation que certains font de l'arrêt Dayanan c/ Turquie, est excessive : non seulement la jurisprudence de la Cour européenne ne s'impose qu'à l'État qui est partie au conflit, car c'est seulement la convention qui est d'application directe, mais encore la France organise déjà l'accès à un avocat dans la garde à vue. Les tribunaux peuvent donc parfaitement écarter cette jurisprudence - voyez ce qu'ont décidé hier le tribunal correctionnel d'Angers, aujourd'hui la chambre d'instruction de Paris. La Cour européenne a en effet condamné la Turquie, et non la France, et la Cour de cassation a reconnu en 2007 la conformité de notre droit à la Convention européenne des droits de l'homme.

S'agissant du terrorisme et de la criminalité organisée, chacun convient de l'utilité de la garde à vue pour les investigations. Si nous avons été épargnés par des actes de terrorisme, c'est aussi parce que les forces de l'ordre ont trouvé dans notre arsenal légal des outils adaptés pour prévenir de tels actes. Les règles particulières, du reste, ne sont pas une spécificité française, elles existent dans la plupart des pays confrontés au risque terroriste, en particulier l'Espagne et le Royaume-Uni.

S'agissant de l'intervention de l'avocat, je rappelle que le régime actuel a été introduit par la loi Guigou du 15 juin 2000 relative à la présomption d'innocence : c'est à ce texte que l'on doit cette demi-heure d'entretien privé entre le gardé à vue et un avocat, c'est la loi Guigou qui a limité ainsi un tel entretien ! (Exclamations à gauche)

Voix sur les bancs socialistes.  - Et quel était le système antérieur ?

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État.  - Idem pour la possibilité d'étendre la garde à vue à 72 heures pour les affaires de terrorisme et de stupéfiants ! Ces équilibres n'ont pas été remis en cause par la loi Lebranchu de 2002, qui a complété la loi Guigou !

Or, les principes de la Cour européenne auxquels vous faites référence remontent à 1996 dans l'arrêt Murray. (Exclamations socialistes) Si l'on avait estimé à l'époque qu'il fallait appliquer un autre droit, il était possible de le faire !

Pour que le climat soit constructif...

M. Jean-Pierre Sueur.  - Enfin !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État.  - ...Il faut éviter de jeter des anathèmes ou de soupçonner tel ou tel de vouloir porter atteinte aux libertés, surtout quand celui-ci ne fait qu'appliquer des décisions dont vous avez pris l'initiative. (M. René-Pierre Signé s'exclame)

Par rapport au texte de 2000, conforté en 2002 par Mme Lebranchu, la réforme de la procédure pénale que je prépare prévoit un certain nombre d'avancées.

M. Jean-Pierre Sueur.  - C'est bien ! (Sourires)

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État.  - En matière criminelle et correctionnelle, aucune condamnation ne pourra être prononcée sur le seul fondement de déclarations faites hors l'assistance d'un avocat. Sans attendre le texte, j'ai déjà appelé l'attention des parquets sur ce point par dépêches du 18 novembre et du 30 décembre 2009.

Pendant la première période de garde à vue, l'avocat pourra recevoir une copie au fur et à mesure des procès-verbaux d'auditions de son client dès qu'ils auront été transcrits. Si les auditions sont prolongées au-delà de 24 heures, le gardé à vue pourra durant toute la durée de la prolongation être assisté par son avocat lors des auditions et ce dernier pourra poser des questions et faire des observations. C'est aussi une avancée par rapport aux dispositions actuelles, monsieur Badinter.

Le problème ne concerne pas seulement la situation juridique mais aussi les conditions matérielles de la garde à vue. Je veillerai à faire respecter les recommandations du Contrôleur général des lieux de privation de liberté sur l'état des locaux de garde à vue et des mesures de sécurité devant être prises à l'occasion d'une telle mesure : si la garde à vue est une nécessité de l'enquête, elle ne doit pas porter atteinte à la dignité de la personne. Les locaux de la garde à vue ne relèvent pas de la responsabilité du ministère de la justice mais de celui du ministère de l'intérieur. Comme je suis passé d'un ministère à l'autre, j'assume parfaitement ce problème. La situation s'est néanmoins améliorée depuis 2002 grâce à la construction de nouvelles gendarmeries et de nouveaux commissariats. S'il y a un scandale, monsieur Badinter, c'est peut être que l'on n'a pas pris plus tôt les mesures financières permettant la rénovation des locaux des commissariats et de gendarmerie. J'en ai vu beaucoup pour lesquels les conditions de travail des gendarmes et des policiers n'étaient guère meilleures que celles de ceux qui se trouvaient dans des locaux de garde à vue.

M. René-Pierre Signé.  - Ce sont les conseils généraux qui bâtissent !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État.  - Le scandale, c'est de ne pas mettre en accord ses actes avec ses paroles ! (Exclamations socialistes)

Il en va de même avec les mesures de sécurité prises dans le but d'éviter que les gardés à vue ne portent atteinte à leur intégrité physique. Si nous avons des devoirs vis-à-vis de ces personnes, il y a des cas où ces mesures vont beaucoup trop loin. Certains d'entre vous ont dénoncé des excès que je déplore. Même s'ils ne relèvent pas de la loi, il importe que nos textes permettent un plus juste respect de la personne.

M. Jean-Patrick Courtois.  - Très bien !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État.  - Les conditions de garde à vue ne doivent pas porter atteinte à la dignité des personnes. Je ne suis pas ici pour analyser des situations particulières, monsieur Vestri, mais pour fixer des règles qui s'appliquent à chacun. Cette exigence figurera explicitement dans le futur code de procédure pénale. Sans attendre, j'ai rappelé aux procureurs généraux par circulaire du 1er novembre l'importance des visites régulières des locaux de garde à vue par les procureurs de la République. D'ailleurs, j'ai noté des améliorations. Le rapport public annuel de 2008 du garde des sceaux montre une bonne tenue générale des registres, une bonne notification des droits mais une indignité de certains locaux dont la liste a été communiquée au ministère de l'intérieur.

Dans le cadre de la future réforme de la procédure pénale, l'amélioration des conditions de garde à vue est une priorité. Le projet de réforme de ce code, que je soumettrai très prochainement à la concertation, sera l'occasion d'une discussion approfondie permettant de rénover profondément toute notre procédure pénale, notamment notre système de garde à vue, dans un double souci d'efficacité dans la lutte contre la délinquance, mais aussi de protection des libertés individuelles. (Applaudissements à droite et sur divers bancs au centre)

La séance, suspendue à 16 h 55, reprend à 17 heures.

Questions cribles sur l'hôpital

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle les questions cribles sur l'hôpital. J'appelle chacun au respect de son temps de parole.

M. Alain Milon.  - Dans son titre premier, la loi HPST, sur laquelle le Sénat a beaucoup travaillé et qui a passé avec succès l'épreuve du Conseil constitutionnel, met en place, dans son titre premier, une nouvelle gouvernance de l'hôpital et une nouvelle organisation territoriale de la santé. Vous avez installé hier le comité de surveillance de l'application de ce titre premier, présidé par M. Fourcade. Madame le ministre, où en sont les décrets d'application de ce titre premier ? Où en est-on sur le terrain ? L'exemple de Beauvais que l'on nous a donné hier est, certes, idéal, mais paraît quelque peu idyllique. Le titre IV concerne les agences régionales de santé, ces mastodontes que certaines mauvaises langues qualifient de « super préfets de la santé ». Leur création nécessite des regroupements de services tels que la Dras, la Dass et autre Cram, y compris -c'est une première depuis longtemps- des services médico-sociaux. Quand les ARS seront-elles opérationnelles ? Quid des ARH en place ? La loi HPST suffit-elle à répondre au principal souci de la population et des professionnels de santé : le maintien de la permanence des soins et une meilleure répartition des soins sur le territoire ? Madame la ministre, tiendrez-vous l'engagement que vous avez pris de publier tous les textes d'application de cette loi un an après son entrée en vigueur ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports.  - Monsieur Milon, à l'ancien rapporteur de la loi HPST du Sénat que vous êtes, je me contenterai de rappeler que les ARS ont pour but de décloisonner la médecine de ville, l'hôpital et le médico-social, de rapprocher nos concitoyens de la médecine en y introduisant de nouveaux acteurs tels que les élus et les professionnels de santé et de regrouper les forces de l'État et de l'assurance maladie. La mission a donc été remplie grâce à un travail approfondi du Parlement, notamment du Sénat. Mais, si j'ose dire, cela se paye ! La loi est passée de 33 articles à 135, ce qui augmente mécaniquement le travail réglementaire ! Pour autant, tous les textes d'application -huit ordonnances avec leur loi de ratification, 130 décrets en Conseil d'État et 70 décrets simples- seront publiés à l'échéance fixée par le Président de la République, soit le 21 juillet. Une vingtaine de décrets ont été adoptés, ce qui rend imparfaitement compte de l'avancée de notre travail. De fait, nous sommes en phase de concertation. Une nouvelle salve de décrets importants sera publiée en mars. L'engagement sera donc tenu !

M. Guy Fischer.  - Bref, il y a du souci à se faire !

M. Alain Milon.  - Madame le ministre, le texte comptait 135 articles après son passage au Sénat, 151 après son examen par l'Assemblée nationale !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre.  - Soit !

M. Alain Milon.  - Ce texte, après avoir suscité l'angoisse des professionnels lors de son examen au Sénat, est aujourd'hui très attendu. Il ne faudrait pas décevoir cette attente en publiant les textes d'application avec retard !

M. Jacky Le Menn.  - Pour nous, la possibilité de déléguer des missions de service public à des opérateurs privés, inscrite dans la loi HPST, risque d'entraîner la vente à la découpe des missions de service public, la marchandisation de la santé publique et une fragilisation des hôpitaux publics, même regroupés en communautés hospitalières de territoire. En cela, elle menace l'égal accès à la santé de tous, qui est l'honneur de l'hôpital public français. Depuis plusieurs mois, l'hospitalisation privée orchestre des campagnes de presse qui caricaturent les hôpitaux publics ou, de manière plus insidieuse, laissent croire que le secteur lucratif exerce les mêmes missions de service public, mais à moindre coût. Ces campagnes justifient le démantèlement des missions du service public de santé et la politique de suppression massive d'emplois : plus de 3 500 suppressions de postes prévues d'ici 2012 à l'AP-HP. Laisser ce discours insidieux prospérer est inacceptable. Madame le ministre, merci de préciser ces plans de suppressions massives d'emplois dans les hôpitaux publics et de confirmer que la délégation des missions de service public se limitera au seul cas de carence dûment constatée dans l'hospitalisation publique.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre.  - Permettez-moi de vous rassurer sur les moyens de l'hôpital. Son Ondam progresse de 3 % cette année alors que la richesse nationale a reculé de 2,25 %. Le plan d'investissement de 10 milliards lui est principalement destiné. Voilà la preuve que nous voulons, au contraire, sauvegarder les missions de service public. Quant aux campagnes médiatiques orchestrées par le secteur privé, je les ai publiquement dénoncées devant la Fédération hospitalière de France à Saint-Etienne, je suis prête à le faire à nouveau devant vous. Pour soutenir l'hôpital public, nous lui destinons en priorité l'aide à la contractualisation et les missions d'intérêt général et avons repoussé la convergence de 2012 à 2018. Si certains hôpitaux publics sont en déficit, les deux tiers d'entre eux sont non seulement à l'équilibre, mais encore excédentaires. Le déficit n'est pas une fatalité ! L'hôpital public doit s'adapter à l'hôpital de demain !

M. Jacky Le Menn.  - Je ne suis pas convaincu. Le développement des communautés hospitalières de territoire via le regroupement d'hôpitaux, prévu dans la loi HPST, se traduira par des suppressions massives d'emplois. Le rassemblement des 37 hôpitaux parisiens en douze groupes hospitaliers entraînera la suppression de 1 000 emplois cette année et 3 000 autres d'ici 2012. Il aura des conséquences dramatiques sur les conditions de travail des professionnels de santé et l'accès aux soins des plus démunis. Les missions de service public doivent être déléguées aux cliniques commerciales seulement lorsque cela est strictement nécessaire, dans un cadre très contrôlé et pour un temps limité.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre.  - Madame la présidente, M. Le Menn ayant bénéficié de treize secondes de temps de parole en plus, je compte obtenir un petit complément lors de ma prochaine intervention. (Sourires)

M. Guy Fischer.  - Depuis plusieurs mois, la fédération hospitalière mène une campagne de dénigrement de l'hôpital public accusé d'être trop coûteux. C'est tout à fait inacceptable : les hôpitaux publics, qui ne sélectionnent ni les patients ni les pathologies rentables, sont victimes d'un mode de financement qui doit être revu, celui de la tarification à l'activité. Pour les hôpitaux déficitaires, la sanction est connue : placement sous tutelle de l'État via l'ARS. Autrement dit, vous réservez à l'hôpital public le même traitement qu'aux collectivités : plutôt que de leur donner les moyens de remplir leurs missions, vous prenez leur contrôle pour mieux les affaiblir. (Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre, le nie vigoureusement) RGPP oblige, les annonces de suppressions de postes et les plans de retour à l'équilibre se multiplient.

Selon le conseil exécutif de l'AP-HP, 3 000 à 4 000 postes seront supprimés dans les deux années à venir, avec à Paris, la réorganisation de l'Hôtel-Dieu et de l'hôpital Armand-Trousseau. Aux Hospices civils de Lyon, 200 postes par an seront supprimés jusqu'en 2013, ce qui aura pour conséquence la fermeture de certains sites. Dans l'Essonne, l'hôpital Clemenceau à Champcueil et l'hôpital Dupuytren à Draveil seront concernés par ce recul important de la médecine hospitalière de proximité. Cette politique comptable fragilisera les conditions d'accueil des patients les plus pauvres et les conditions de travail d'un personnel que tous s'accordent à juger insuffisant en nombre.

Allez-vous mettre fin à une gestion strictement comptable de l'hôpital public, dont le directeur est devenu avec la loi HPST le financier en chef ? Apporterez-vous enfin aux établissements publics de santé les financements nécessaires à l'accomplissement de leurs missions de service public ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre.  - Nous avons les dépenses de santé les plus élevées du monde, et elles croissent chaque année davantage que la richesse nationale !

J'ai veillé à ce qu'il soit tenu compte du fait que l'hôpital public accueille à la fois les personnes en grande difficulté et celles qui sont atteintes des pathologies les plus lourdes. L'application de ces coefficients de précarité et de célérité a permis d'accorder des financements supplémentaires à l'AP-HP.

Le nombre d'agents de la fonction publique hospitalière avoisine le million, dont 90 000 à l'AP-HP. Il faut penser que l'hôpital de demain, c'est de moins en moins de durée de séjour pour des patients en difficulté aiguë. Il faudra donc assurer la transition technique et démographique Le total ne diminue pas, il augmente même de 25 000 par rapport à l'an dernier.

Mme Annie David.  - Vous parlez chiffres, nous répondons postes. Vous prétendez en créer : où ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre.  - Là où le besoin s'en fait sentir.

Mme Annie David.  - Si vous alliez visiter les hôpitaux, vous verriez dans quelles conditions le personnel doit assurer la qualité des soins. Allez à l'écoute de la population rurale, vous l'entendrez vous réclamer des hôpitaux de proximité et de qualité ! (Applaudissements sur les bancs CRC)

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre.  - Tous les lundis et tous les vendredis, je visite des hôpitaux publics. Je suis récemment allée à Henri-Mondor, à Trousseau, à l'hôpital de Beauvais, à celui de Lons-le-Saunier. Je connais parfaitement les réalités du terrain ! (Applaudissements sur les bancs UMP ; exclamations sur les bancs CRC)

M. Jean Boyer.  - La loi HPST a remis à plat la gouvernance du système hospitalier. Cette réforme préfigure une refonte de la carte hospitalière. Pour ce faire, a été créé un pilote régional, l'Agence régionale de santé, et a été désigné un patron à l'hôpital, le directeur.

Nous aimerions avoir des précisions quant aux modalités concrètes de l'installation des ARS. Quel calendrier avez-vous arrêté, notamment pour les décrets d'application ? Quelles étapes ont déjà été franchies ? Quels objectifs sont assignés aux nouveaux directeurs généraux d'agences régionales de santé ?

En ce qui concerne la gouvernance de l'hôpital, même incertitude. Deux décrets importants sont attendus, celui relatif au conseil de surveillance et celui portant statut du clinicien hospitalier. Où en est-on ?

J'attire également votre attention sur la crainte actuellement exprimée dans les départements ruraux sur la redistribution des moyens hospitaliers impliquée par la réforme de la gouvernance. Comment, dans cette perspective, ferez-vous respecter le principe d'égal accès à des équipements médicaux de pointe dans les zones de montagne et, plus généralement, en marge des grands centres urbains ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre.  - Les directeurs préfigurateurs des agences régionales de santé ont été nommés. Ils préparent l'installation des agences. Les décrets et les deux ordonnances nécessaires paraîtront d'ici le 1er avril. Après communication en conseil des ministres, les directeurs des agences seront nommés ; pour la plupart, ce seront les préfigurateurs.

Les décrets sur la gouvernance sont en préparation. Ils devraient tous être publiés d'ici la fin mars ou le début d'avril.

M. Jean Boyer.  - Nous apprécions tous que les décrets paraissent rapidement.

Je connais votre détermination à faire en sorte que les départements ruraux bénéficient aussi d'hôpitaux de proximité qui soient également de qualité.

M. Gilbert Barbier.  - Ces dernières années, la situation financière des hôpitaux publics, en particulier des CHU et des grands centres hospitaliers, s'est profondément détériorée. En 2008, le déficit cumulé des établissements a atteint 592 millions d'euros. C'est, il est vrai, un peu moins qu'en 2007 mais tout de même pas une performance !

Certains voudraient réduire le problème à sa seule dimension financière. Je ne crois pas que le déficit de l'hôpital soit une fatalité. Le retour à l'équilibre est possible avec un contrôle de gestion plus rigoureux, une meilleure organisation interne et une restructuration des activités. C'est d'ailleurs le sens des réformes proposées depuis 2003 et de la loi « Hôpital, patients, santé, territoires ». De nombreux établissements ont signé avec les ARH des contrats de retour à l'équilibre financier en échange d'une aide nationale pour les aider à repartir de bon pied.

Début 2008, l'Igas s'était alarmée des résultats préoccupants de ce système : mesures limitées au regard des objectifs, absence de coordination avec la stratégie médicale, suivi insuffisant. Très peu de plans de redressement proposaient d'abandonner ou de restructurer certaines activités.

S'agissant des restructurations en général, la Cour des comptes a souligné à plusieurs reprises le retard pris par les établissements publics de santé. Le patient veut avant tout accéder à des soins de qualité, lesquels ne peuvent à l'évidence être dispensés dans tous les établissements dans de bonnes conditions.

A Perpignan, Nicolas Sarkozy a fixé les objectifs de qualité de sécurité et aussi la nécessité de retour à l'équilibre budgétaire des hôpitaux publics pour 2012. Alors que les ARS vont entrer en fonction cette année, pouvez-vous nous apporter des précisions. Combien d'établissements ont retrouvé l'équilibre ? Combien sont encore engagés dans le dispositif de PRE en 2010 ? Combien sont concernés par des opérations de restructuration ?

M. Guy Fischer.  - Combien ont été fermés ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre.  - Nous étions ensemble vendredi à visiter votre bel hôpital de Lons-le-Saunier, un établissement qui est en équilibre, comme 61 % des établissements français, preuve que l'équilibre est possible. Il est même une condition de leur pérennité puisque ce qui pâtit en premier du déséquilibre, c'est l'investissement, dont on saisit aisément l'importance pour une médecine de plus en plus technicisée. Le déficit est souvent dû à une mauvaise utilisation des moyens, à cause d'une mauvaise organisation. Il faut donc aider les établissements à s'organiser mieux.

Le déficit global a déjà été réduit en 2008 ; les chiffres de 2009 seront bientôt connus et ils montreront une nouvelle diminution. Les efforts sont donc couronnés de succès.

M. Gilbert Barbier.  - L'objectif de retour à l'équilibre des hôpitaux est une impérieuse obligation et une question de bon sens. Comment un CHU peut offrir aux patients des soins de qualité, investir dans la recherche, moderniser ses équipements s'il est en déficit constant ?

Il ne s'agit évidemment pas d'imposer une logique comptable à l'hôpital. Mes collègues du groupe RDSE sont inquiets du recrutement de directeurs formés dans des écoles de gestion plutôt qu'à l'ENSP.

Mais le retour à l'équilibre doit être partagé par l'ensemble de l'équipe de direction et les équipes médicales doivent se l'approprier, c'est une condition de pérennité de l'activité.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre.  - Je vous indique que 218 établissements ont signé un contrat de retour à l'équilibre : ils sont plus nombreux que ce qu'exigerait l'application des critères retenus, ce qui signifie que beaucoup ont préféré une démarche préventive.

Mme Marie-Thérèse Hermange.  - La refonte de la carte hospitalière est un défi majeur pour la région Ile-de-France : le budget de l'AP-HP est en déséquilibre de 100 millions d'euros en 2008 et le déficit cumulé atteindra un milliard d'euros en 2010 sans économies. La réduction des déficits, madame la ministre, sera-t-elle fondée sur la problématique médicale ou s'inspire-t-elle uniquement d'une logique comptable et financière ? Les regroupements et fusions seront-ils opérés avec beaucoup de conséquence ? Le service de pédiatrie spécialisée de l'hôpital Trousseau est transféré à Robert-Debré et à Necker, le CHU devenant alors hôpital général. Pourtant, il y a cinq ans, on y a inauguré une grande maternité.

M. Guy Fischer.  - Voilà la cohérence...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Eh oui ! Et la maternité de Trousseau remplaçait celle de Saint-Vincent de Paul, supprimée !

Mme Marie-Thérèse Hermange.  - Un service d'Ambroise-Paré transféré à l'hôpital européen Georges-Pompidou, cela signifie 3 000 actes supplémentaires, sans création de postes à Georges-Pompidou ! Tel autre service de l'Hôtel-Dieu réalise des actes à un coût de 40 % inférieur à la moyenne de l'AP-HP : pourquoi doit-il subir des suppressions de postes ? Nous voudrions que prévale une logique certes comptable mais aussi médicale et humaine. Les restructurations vont exiger des efforts d'économies sur plusieurs années, mais des investissements sont nécessaires pour préparer l'avenir : l'Etat apportera-t-il une aide à ce titre ? (Applaudissements sur plusieurs bancs socialistes)

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre.  - Je veux rétablir quelques vérités : tous les médecins de l'AP-HP sont persuadés que ce vaisseau amiral du système hospitalier français doit se restructurer, afin d'offrir une meilleure qualité de soins. Le projet ne saurait être que médical. Le conseil exécutif de l'AP-HP -et non le ministre, ni son cabinet, ni la direction de l'hospitalisation- fera des propositions. Ce sont les médecins qui vont faire des propositions, le projet ne sera pas technocratique. Je note que l'on accepte très bien les restructurations... si elles ne touchent que les voisins. Le conseil de surveillance qui sera constitué en avril prochain émettra un avis sur les propositions du conseil exécutif. Puis les autorités de tutelle décideront. Mais rien n'est décidé aujourd'hui.

Mme Marie-Thérèse Hermange.  - J'espère que sur le terrain il en sera ainsi. Il y a une grande interrogation des médecins.

M. Guy Fischer.  - De toutes les autres catégories de personnel aussi.

Mme Marie-Thérèse Hermange.  - On a déjà fermé quatre hôpitaux et ouvert Georges-Pompidou. J'espère que la logique médicale l'emportera.

M. René-Pierre Signé.  - La production de soins mais aussi de bien-être, dont la demande ne cesse de croître, voit chaque jour son offre, déjà disparate, se réduire. On envisage de supprimer les blocs chirurgicaux de petits hôpitaux et de maternités. Or une chirurgie simple n'en est pas moins salvatrice. Médecine et chirurgie étant complémentaires, comment pourrons-nous adjoindre aux hôpitaux privés de services chirurgicaux des services médicaux pourtant largement renforcés par le système de télé-transmission du Centre expert ?

Ces hôpitaux de notoriété trop modeste pratiquent des interventions urgentes dans lesquelles les minutes comptent -hernie étranglée, grossesse extra-utérine ou rupture de rate... Il faut au minimum un relais médicalisé pour les Samu. Supprimer les hôpitaux dits de proximité touche aussi au confort et à l'affect. Imaginez le désarroi d'un vieillard tiré de son lit chaud, transporté vers un centre hospitalier lointain pour une rétention d'urine ou une épistaxis, patientant des heures dans un couloir glacial, allongé sur un brancard. C'est un recul sur le plan médical ; c'est une cruauté sur le plan humain.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre.  - Jamais on n'a fait cela !

M. René-Pierre Signé.  - Mais si, des cas comme celui-ci existent ! Le projet de création de grands pôles hospitaliers régionaux déshumanise la médecine. Que devient la relation entre soignants et malades, dans l'anonymat des chambres multiples ? Nous n'avons jamais eu, en France, une politique à long terme de l'offre médicale ; le parcours des malades n'a jamais été organisé, depuis l'accès au généraliste -on détourne les étudiants de ce métier. Le spécialiste devrait rester un consultant. Tout le monde perd à ce manque d'organisation, y compris les organismes payeurs, dont le déficit est accentué par un activisme inutile et nocif. (Applaudissements à gauche)

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre.  - Je vous ai connu plus inspiré, monsieur Signé. (Protestations à gauche) Le pourcentage des étudiants s'orientant vers la spécialité de généraliste est passé de 37 à 49 % ces dernières années. Vérifiez donc vos chiffres avant de poser une question !

Je suis attachée à l'hôpital de proximité. (« Ah bon ? » à gauche) Ils ne peuvent pas tout faire...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Surtout quand on les ferme !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre.  - ...mais ils ont vocation à pratiquer les interventions d'urgence, les soins courants, la gériatrie, etc. Jamais un vieillard n'a été transféré dans un hôpital régional pour une épistaxis ! J'ai pris l'engagement de porter de 80 à 90 % le nombre de nos concitoyens vivant à vingt minutes au plus d'un établissement hospitalier. Et pourtant, les derniers points de pourcentage sont particulièrement difficiles à gagner !

Les hôpitaux de proximité sont recentrés sur certaines missions. Telle maternité fermée faute de sécurité des soins et d'activité suffisante est remplacée par un service de périnatalité. Vous, sénateurs, préférez-vous être opérés dans un hôpital de proximité, où le risque est quatre fois plus élevé ? Ce sont les gens qui ont décidé, ils ont voté avec leurs pieds. Pourquoi voulez-vous les assigner à résidence en les condamnant à des soins de moindre qualité ? Les gens bien informés choisissent tel ou tel établissement et non tel autre, vous le savez comme moi. En outre, je n'ai jamais fermé d'hôpital de proximité, (exclamations à gauche) je les ai transformés, pour le bien de tous. (Applaudissements à droite ; protestations à gauche)

M. René-Pierre Signé.  - Il me semble pourtant que 185 hôpitaux qui réalisent moins de 1 500 actes par an seront fermés. (On renchérit à gauche)

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. - Des services, pas des hôpitaux ! Vous confondez les deux !

M. René-Pierre Signé.  - Je ne confonds pas, je vois ce qui se passe chez moi. J'ajoute que le concours d'études de médecine est devenu un concours de grande école. Et l'on encourage les jeunes à s'orienter vers les spécialités et la recherche. Les étudiants, notamment les jeunes femmes, ont peu d'attirance pour la médecine rurale.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre.  - Ne critiquez pas les femmes ! (Sourires)

M. René-Pierre Signé.  - Il en résulte une insécurité sanitaire en milieu rural.

Mme Colette Giudicelli.  - Le plan Hôpital 2012 est un levier d'action, il représente 10 milliards d'euros financés par l'État et l'assurance maladie. Il tend à accompagner la recomposition hospitalière par la mise en oeuvre des Sros de troisième génération. Il se traduit par la reconversion des sites chirurgicaux en perte d'activité et par le regroupement de plateaux techniques de médecine, de chirurgie et d'obstétrique.

On nous dit cependant que de nombreux dossiers, dont certains très innovants, sont encore en attente de financements ; qu'en est-il, madame la ministre ? En quoi, concrètement, le plan Hôpital 2012 peut-il accompagner la modernisation et la restructuration de l'offre de soins, dans l'objectif d'améliorer la prise en charge des patients en tout point du territoire ? (Applaudissements à droite)

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre.  - Le plan Hôpital 2012, qui mobilise en effet 10 milliards d'euros, dont la moitié prise en charge par l''État, permettra la rénovation et la restructuration d'un immobilier aujourd'hui peu adapté aux techniques modernes : le système pavillonnaire est source de désagréments multiples pour les personnels comme pour les patients ; l'amélioration des capacités d'accueil et hôtelières ; le développement des systèmes d'information ; la mise des établissements aux normes de sécurité.

Au terme de la première tranche, des opérations d'investissement ont été validées à hauteur de 4,575 milliards, dont 2,2 à la charge de l'État ; sur plus de 2 000 dossiers présentés par les établissements, 640 ont été retenus. La région Ile-de-France bénéficie de 430 millions de subventions, Rhône-Alpes de 233 et le Nord-Pas-de-Calais de 156 ; si certaines régions avancent plus rapidement que d'autres, je tiens beaucoup à ce qu'un équilibre soit atteint lorsque toutes les opérations seront achevées. En outre, 160 projets immobiliers ont été validés pour un montant d'aide de 1,8 milliard, et 480 projets de systèmes d'information pour 350 millions. Les financements bénéficient à 90 % à des établissements publics. Les opérations de recomposition peuvent concerner deux ou plusieurs établissements, les restructurations internes un ou plusieurs pôles d'activité.

Des contraintes particulières pèsent par ailleurs sur l'outre-mer ; on comprendra, après la catastrophe qui a touché Haïti, que je sois particulièrement attentive à la mise aux normes sismiques, très coûteuse, des établissements. Je m'attache enfin à ce que les opérations qui sont menées soient bien calibrées et financièrement supportables à terme pour les établissements.

Je remercie chacun des intervenants. (Applaudissements à droite)

Mme Colette Giudicelli.  - Je vous remercie de la précision de vos réponses.

La séance, suspendue à 17 h 50, reprend à 18 h 15.

Dépôt du rapport de la Cour des comptes

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle le dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes.

(M. le doyen de la Cour des comptes est introduit dans l'hémicycle selon le cérémonial d'usage)

Monsieur le doyen, au nom de M. le président du Sénat et de l'ensemble de mes collègues, je vous souhaite une très cordiale bienvenue dans notre hémicycle.

Avant de vous donner la parole, vous comprendrez que le Sénat salue la mémoire de Philippe Seguin. Comme l'a déclaré M. Gérard Larcher le 7 janvier dernier : Philippe Seguin « avait donné à la Cour des comptes une dimension inédite. Son exigence et son indépendance, qualités unanimement reconnues, faisaient de lui une personnalité respectée. Sa fougue et sa passion vont nous manquer. Avec lui, disparaît un grand serviteur de l'État, un républicain imprégné de valeurs de résistance et de respect. »

Vous pouvez en porter témoignage, le travail qu'il a accompli tout au long de sa première présidence a permis de renouveler profondément votre institution et de donner un rayonnement inédit à vos travaux, dont le Sénat sait apprécier la très grande qualité.

Nous sommes d'autant plus attentifs au rôle joué par la Cour des comptes que la révision constitutionnelle de juillet 2008 a consacré dans notre Constitution votre mission d'assistance au Parlement. Cette mission s'illustre notamment à travers les demandes que nous pouvons formuler dans le cadre de nos fonctions de contrôle de l'action du Gouvernement et d'évaluation des politiques publiques, qui forment, avec la fonction législative, notre « coeur de métier » comme aime à le dire le Président Larcher.

Par delà le rituel institutionnel, votre présence parmi nous aujourd'hui à l'occasion de la remise solennelle du rapport annuel de la Cour des comptes symbolise l'excellence de nos relations et le précieux concours que vous pouvez apporter au Sénat, notamment à nos commissions des finances et des affaires sociales. Tout à l'heure M. le président de la commission des finances et Mme la présidente de la commission des affaires sociales nous le confirmeront.

Mais pour l'heure, c'est avec grand intérêt que le Sénat va prendre connaissance du rapport annuel de la Cour des comptes.

M. Alain Pichon, doyen des présidents de chambre de la Cour des comptes, faisant fonction de Premier président.  - J'ai l'honneur en qualité de doyen des présidents de chambre, et conformément à l'article R. 112-5 du code des juridictions financières, de vous remettre en application de l'article L. 136-1 du même code, le rapport public annuel 2010 de la Cour des comptes.

Le dépôt du rapport public annuel est un moment toujours particulier dans les relations sans cesse plus étroites que le Sénat et la Cour ont nouées. Ce rapport est l'occasion pour les juridictions financières de sélectionner des sujets illustrant les errements, les insuffisances mais aussi les progrès qu'elles constatent dans la gestion publique.

Nos échanges ne se limitent pas au seul rapport public annuel. Cette année encore, la Cour a porté à votre connaissance de nombreux rapports, représentant plusieurs milliers de pages, pour vous assister dans l'exercice de vos missions constitutionnelles de contrôle du Gouvernement et d'évaluation des politiques publiques.

En 2009, nous vous avons adressé les cinq rapports, prévus par la loi organique relative aux lois de finances et la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale, et qui sont destinés à nourrir vos grands débats budgétaires et financiers. Conformément à ces deux lois organiques, nous avons effectué plusieurs enquêtes à la demande de vos commissions habilitées à nous saisir. Cinq communications ont ainsi été adressées à votre commission des finances, portant sur la gestion des centres de rétention administrative, sur celle du programme Copernic, sur l'Office national des forêts, l'articulation entre la politique de la ville et de l'éducation nationale dans les quartiers sensibles et enfin sur la présidence française de l'Union européenne. Votre commission des affaires sociales a reçu deux communications relatives à la lutte contre le Sida et à l'action sociale dans la branche famille. Et nous travaillons d'ores et déjà à satisfaire votre demande sur cinq nouvelles communications pour 2010.

En 2009, nos six rapports publics thématiques vous ont également été adressés. Ils ont porté sur la protection de l'enfance, France Télévisions, la décentralisation, les transports express régionaux, ou l'évolution des effectifs de l'État. Vous avez également reçu le rapport sur les concours publics accordés aux établissements de crédits affectés par la crise financière. Enfin, nous vous avons communiqué six rapports relatifs au contrôle des organismes faisant appel à la générosité publique, portant notamment sur les Restos du coeur et sur le Sidaction.

J'en viens maintenant au rapport public annuel dont le premier tome rassemble les résultats de 25 contrôles menés en 2009. Chacun connaît les maux dont nos finances publiques sont affectées. Le déficit public devrait s'élever à 7,9 % en 2009, soit plus qu'un doublement en un an, et il atteindrait 8,2 % en 2010. L'essentiel de cette dégradation résulte de la crise économique, qui a fait fondre les recettes fiscales et sociales et a entraîné un surcroît de dépenses imputables au plan de relance et de soutien de l'économie. La Cour considère toutefois, et elle a sur ce point une divergence avec le Gouvernement qui transparaît dans sa réponse publiée dans le rapport, que le déficit structurel a augmenté de 0,6 point par rapport à 2008 et qu'il représente la moitié du déficit pour 2009.

La dérive structurelle des comptes publics s'est donc poursuivie en 2009, sous l'effet de la persistance du dynamisme de la dépense publique et des allègements pérennes d'impôts consentis pour 2009 et 2010. Nous assistons en conséquence à un emballement de la dette publique, passée entre 2003 et 2009 de 1 000 à près de 1 500 milliards d'euros, et cette tendance menace de s'accélérer encore. Le chef de l'État vient d'annoncer une série de mesures qui marque une volonté de rupture avec les pratiques antérieures. C'est lors de notre rendez-vous de juin prochain et dans les rapports ultérieurs consacrés à la situation des finances publiques que nous pourrons analyser les décisions qui seront prises en avril et leurs premiers effets. Elles devront conduire à un effort massif pour réduire les dépenses publiques et améliorer le rendement des impôts existants, en commençant par la réduction rigoureuse et volontaire des dépenses et des niches fiscales et sociales.

Ainsi le coût de certains allègements d'impôts prévus par la loi dite Girardin de 2003 apparaît particulièrement disproportionné. Nos contrôles en Nouvelle-Calédonie et à Wallis-et-Futuna ont montré que ces dispositifs d'incitation à l'investissement privé conduisent l'État non seulement à rembourser aux investisseurs leur mise de fonds, mais aussi à les rémunérer très généreusement : dans ces territoires le rendement net d'impôt est de 18 % pour l'immobilier, et le taux d'intérêt servi par l'État dans l'industrie peut atteindre 66 %.

Nous consacrons plusieurs insertions au contrôle et à la lutte contre la fraude dans plusieurs secteurs. Les contrôles fiscaux des entreprises et des particuliers ont été réorientés sur les erreurs et fraudes les plus faciles à détecter et à sanctionner pour offrir un plus grand rendement budgétaire. Mais en conséquence les contribuables ne sont pas égaux face aux contrôles, et les différents impôts ne font pas l'objet de la même vigilance...

La lutte contre la fraude à l'indemnisation du chômage a mobilisé l'Unedic et les Assedic au cours de la période récente, avec la création d'un corps d'auditeurs spécialisés et la modernisation des outils de contrôle. Cependant, Pôle Emploi reste largement démuni faute d'une coopération suffisante avec les autres services publics, et d'abord avec les préfets. Mais la Cour insiste surtout sur la nécessité de faire converger les assiettes et règles de recouvrement des cotisations d'assurance chômage avec celles de la sécurité sociale.

Nous examinons également la gestion du produit des amendes de circulation routière, qui ont rapporté plus de 1,5 milliard à l'État en 2008, notamment avec la mise en oeuvre des amendes-radars. Leur gestion reste marquée par une grande opacité, ce qui favorise la perpétuation de pratiques d'annulations d'amendes pourtant interdites par les textes, « indulgences »...

M. Roland du Luart.  - Pas très catholiques !

M. Alain Pichon, doyen de la Cour des comptes.  - ...qui concernent 8 %, des amendes forfaitaires à la préfecture de police de Paris en 2007, soit plus de 500 000 amendes.

Nous avons examiné le fonds d'épargne géré par la Caisse des dépôts et consignations, fonds dont la loi de modernisation de l'économie de 2008 avait pour objectif de restaurer la viabilité financière. Malgré ces avancées et une très bonne collecte en 2008 et début 2009, son équilibre n'est toujours pas assuré. Le niveau de ses ressources dépend désormais largement de la politique commerciale des banques, tandis que le fonds a été fortement mobilisé par l'État pour soutenir les établissements de crédit et financer une partie du plan de relance. L'État devra donc définir les conditions d'un nouvel équilibre entre les ressources et les dépenses du fonds pour assurer le financement du logement social.

Les programmes d'armement qui constituent, avec 12 milliards en 2009, la première dépense d'investissement de l'État, ont également retenu notre attention. Malgré quelques progrès permis par la loi de programmation militaire 2009-2014, la conduite de ces programmes révèle la persistance des insuffisances bien connues dont l'A400M nous donne une nouvelle illustration.

La Cour consacre ensuite de nombreuses insertions à la gestion des services de l'État et des organismes publics. Elles visent non seulement à corriger les dérives constatées, mais aussi à identifier des gisements d'économies ou des réformes pouvant accroître l'efficacité de l'action publique.

Avec le contrôle des systèmes de cartes d'assurance maladie, nous avons identifié des marges d'économies substantielles pour la branche, dont vous connaissez la situation structurellement déficitaire.

Vous connaissez son déficit structurel. L'envoi, grâce à la carte Vitale, d'un milliard de feuilles de soins électroniques permet d'économiser 1,5 milliard d'euros chaque année. La France peut s'enorgueillir de ce succès, mais les 200 millions d'euros dépensés par l'assurance maladie pour traiter 150 millions de feuilles de soins en papier devraient conduire à une approche plus contraignante envers les médecins récalcitrants.

J'en viens à l'efficacité de l'action publique, qui fait l'objet de plusieurs insertions relatives à la gestion des ressources humaines.

Dans le domaine de la navigation aérienne, le souci principal des autorités est d'éviter une grève aux effets immédiats sur le secteur et ses usagers. Or, l'organisation peu transparente du travail ne permet pas toujours de faire prévaloir la productivité et la sécurité. C'est pourquoi la Cour met en cause les protocoles périodiquement négociés avec les représentants syndicaux.

Malgré les efforts de SNCF, les rigidités dans la gestion du personnel pèsent sur les performances de l'entreprise. La réforme du régime de retraite des cheminots a apuré le bilan de l'entreprise, mais le surcoût de 380 millions d'euros induits entre 2010 et 2030 ne garantit pas le rééquilibrage d'un régime subventionné à plus de 60 % par l'État. Les relations sociales ont également évolué avec la loi du 21 août 2007, dont les résultats sont toutefois meilleurs pour les grèves nationales d'une journée que pour les mouvements locaux ou tournants comme à Saint-Lazare ou à Nice. En outre, la productivité n'a pas suffisamment progressé pour que la SNCF affronte bien la concurrence, notamment dans le fret.

L'ouverture à la concurrence met aussi en cause le modèle économique de la RATP. La loi du 8 décembre 2009 semble avoir mis fin à un imbroglio juridique et financier sur la propriété des infrastructures -désormais attribuées à la régie- et du matériel roulant, qui revient au Syndicat des transports d'Ile-de-France (Stif). Les nouvelles conditions d'exploitation auront des conséquences auxquelles la Cour sera attentive, tout en soulignant que la RATP ne semble pas en mesure de rembourser sa dette de 4,3 milliards d'euros.

Comme chaque année, la Cour examine l'efficacité de certaines politiques publiques. Je limiterai mon propos à quelques exemples significatifs.

La lutte contre le surendettement des particuliers, mise en place par la loi Neiertz de 1989, n'a pas empêché le doublement du nombre de dossiers. La réforme du crédit à la consommation, adoptée en première lecture au mois de juin devrait mieux protéger les consommateurs, mais la Cour estime que les commissions de surendettement pourraient être mieux gérées.

Alors qu'elle devait créer 300 000 emplois, l'impulsion nouvelle en faveur des services à la personne n'a permis de créer que 108 000 emplois équivalent temps plein pendant la période 2006-2008. De plus, les 6,6 milliards d'euros consacrés en 2009 à cette politique très coûteuse ont principalement profité aux ménages aisés, sans professionnaliser les salariés du secteur.

Mme Nicole Bricq.  - Nous le disons depuis longtemps !

M. Alain Pichon, doyen de la Cour des comptes.  - La formation professionnelle en alternance a été réformée par la loi du 4 mai 2004. Bien qu'ils semblent satisfaire les besoins des entreprises, les contrats de professionnalisation restent insuffisamment développés. En revanche, les périodes de professionnalisation sont un échec, car elles sont trop concentrées sur les grandes entreprises de certains secteurs. Ce dispositif devrait être supprimé s'il n'est pas recadré en direction des publics prioritaires.

Ces enquêtes sur les politiques publiques préfigurent la mission d'assistance que la Constitution confie à la Cour en matière d'évaluation des politiques publiques. Toutefois, l'adoption du projet de loi portant réforme des juridictions financières conditionne une meilleure réponse à vos demandes, en particulier à propos des politiques partagées entre l'État et les collectivités territoriales.

Soyez persuadés que, nous intéressant à l'efficacité des politiques publiques, nous avons le souci d'évaluer celle de nos interventions.

Les vingt enquêtes de suivi présentées dans le second tome illustrent l'écho fréquemment trouvé par nos recommandations dans les projets ou propositions de loi que vous déposez ou adoptez. Je pourrais citer la suppression du droit à l'image collective des sportifs professionnels.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances.  - En effet !

M. Alain Pichon, doyen de la Cour des comptes.  - Parmi les 688 recommandations formulées en 2006, 2007 et 2008, 502 ont donné lieu à des réformes au moins engagées. Ce ratio atteignant presque les trois quarts atteste notre contribution à une meilleure gestion publique, mais l'approche statistique ne suffit pas à décrire précisément les suites données à nos recommandations, qui font l'objet d'insertions dans le second tome.

Le bilan est globalement positif, notamment pour le suivi des dépenses de l'État et l'application des normes comptables. Sans citer l'ensemble des organismes contrôlés, je mentionnerai les plus emblématiques. Nombre d'entre eux ont mis en oeuvre l'essentiel de nos recommandations. Tel est le cas de la Française des jeux.

En matière de politique publique, les résultats sont plus contrastés.

Nous consacrons trois insertions de suivi à la politique du logement. Le Gouvernement et les acteurs du 1 % logement ont remédié aux graves dysfonctionnements identifiés, mais les progrès apportés par la loi du 25 mars 2009 pour la gestion du parc locatif social restent partiels. Enfin, nous n'avons pas été entendus pour le recentrage des aides personnelles au logement.

En revanche, les résultats sont très encourageants pour les ports français, grâce à la loi du 4 juillet 2008 faisant suite au rapport thématique publié en 2007.

Telles sont les principales observations sur lesquelles je souhaitais attirer plus particulièrement votre attention.

Mme la présidente.  - Acte est donné du dépôt de ce rapport.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances.  - La remise du rapport public de la Cour des comptes est un rendez-vous important. Nous venons d'écouter avec attention le doyen des présidents de chambre nous parler des finances publiques et formuler des observations dont nous devons nous saisir pour mettre un terme aux dysfonctionnements dans la sphère publique.

Comme toujours, la commission des finances analysera ce rapport public avec le plus grand soin.

Il est difficile de ne pas avoir à l'esprit la disparition du président Philippe Séguin. Nous gardons en mémoire la grande autorité dont il accompagnait les mises en garde de la Cour de comptes et ses recommandations en faveur d'une gestion lucide et responsable. Je rends hommage à son combat pour populariser le contrôle, je salue sa défense intransigeante de son indépendance, et son opiniâtreté en faveur de la sincérité des comptes publics. A n'en pas douter, l'institution, qui lui doit beaucoup, saura maintenir l'influence qu'elle a confortée en exploitant l'outil médiatique et les nouvelles procédures de collaboration avec le Parlement. Si nous devions dresser le bilan des six dernières années, chacun de nous soulignerait le considérable développement des relations entre le Parlement et la Cour de comptes, et leur extrême qualité.

Au premier rang de nos échanges figurent les enquêtes réalisées par la Cour à notre demande, en application de l'article 58 alinéa 2 de la loi organique sur la loi de finances (Lolf).

Au rythme de cinq enquêtes par an, les travaux de la Cour de comptes servent à organiser des auditions ouvertes à la presse et aux commissions intéressées, réunissant la commission des finances, les magistrats de la Cour des comptes ayant conduit l'enquête et les représentants des organismes contrôlés. Ces auditions, qui incitent l'administration à se réformer, sont de grands moments de pédagogie sur l'urgence des réformes à conduire. Ce fut le cas l'an dernier du rapport d'enquête relatif aux dépenses de la présidence française de l'Union européenne.

Pour 2010, nous avons sollicité la Cour des comptes pour cinq sujets : le coût des titres sécurisés ; l'Agence de l'environnement et de maîtrise de l'énergie (Ademe) ; le Centre des monuments nationaux ; le Centre français pour l'accueil et les échanges internationaux (Egide) ; les participations de la Caisse des dépôts dans l'économie mixte locale.

Les relations entre le Sénat et la Cour des comptes passent aussi par les missions d'assistance instituées à l'article 58, alinéa premier, de la Lolf, une forme de collaboration plus lente à se mettre en place, mais à la souplesse avantageuse. La commission des finances l'a utilisé en 2009 à propos des chambres des métiers et de l'artisanat.

Nous avons aussi établi des relations quotidiennes avec la Cour, car l'action déterminée du président Séguin a favorisé l'ouverture sur l'extérieur et l'assouplissement de certaines rigidités, ce qui a permis d'instaurer un climat de confiance et de collaboration dont le Sénat et la Cour ont profité.

Les rencontres régulières et informelles entre rapporteurs spéciaux et magistrats de la Cour se sont banalisées, en particulier à l'occasion de l'examen de la loi de règlement, car nous accordons une grande valeur aux notes d'exécution budgétaire élaborées par la Cour de comptes sur chaque mission.

Nous avons le plaisir, enfin, d'accueillir depuis deux ans, en stage pendant la période budgétaire, de jeunes auditeurs qui débutent dans la carrière et cette heureuse expérience doit permettre une meilleure compréhension des contraintes de chaque institution et de nos attentes respectives.

Notre collaboration est également mise à profit dans l'exercice, par la Cour des comptes, de sa mission de certification des comptes de l'État et de contrôle de gestion. La commission des finances sait pouvoir trouver, dans la Cour des comptes, un allié de poids dans sa « croisade » pour le respect de l'exigence de sincérité des comptes publics. Nous devons unir nos efforts, alors que la question de la dette n'a jamais été aussi cruciale.

Je voudrais évoquer la réforme de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes, sujet qui tenait à coeur à Philippe Seguin.

Plusieurs pistes de réforme ont été mises en chantier, qu'il conviendra de mener à leur terme. La première est l'expérimentation de la certification des comptes des collectivités territoriales qui permettrait de renforcer la sincérité et la transparence des budgets locaux.

La deuxième, c'est le renforcement des mécanismes permettant de responsabiliser les gestionnaires publics, devant la Cour des comptes et les chambres régionales en premier ressort, la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF) devenant l'instance d'appel.

La troisième concerne les chambres régionales des comptes dont il convient à la fois de renforcer la mission en matière d'audit et d'évaluation des politiques publiques et de faire évoluer le maillage territorial en visant une plus forte mutualisation.

Nous avons éprouvé les limites de la séparation stricte entre Cour des comptes et chambres régionales des comptes, à l'occasion de plusieurs enquêtes, par exemple sur l'éducation nationale dans les quartiers de la politique de la ville ou encore sur les participations de la Caisse des dépôts et consignations dans l'économie mixte locale. Nous aurions souhaité pouvoir plus facilement appuyer les enquêtes sur des réalités de terrain, ce qui n'a pas été possible dans les délais stricts qui étaient les nôtres et en raison de la séparation fonctionnelle des deux niveaux de juridictions.

Cette réforme de la juridiction financière a été formalisée dans le projet de loi qui a été adopté en conseil des ministres le 28 octobre 2009 : nous en attendons l'inscription à l'ordre du jour du Parlement.

Elle va bien au-delà de la proposition de loi déposée par le président Accoyer et adoptée par l'Assemblée nationale concernant les modalités de la contribution de la Cour des comptes à l'évaluation des politiques publiques.

En conclusion, monsieur le doyen, je souhaite que l'année 2010 nous apporte les mêmes satisfactions dans les excellentes relations que nous entretenons avec la Cour des comptes et que nous continuions de progresser de concert, dans la défense de l'intérêt général ! (Applaudissements à droite et au centre)

Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales.  - A mon tour, je rendrai hommage à Philippe Séguin. Ce rapport porte clairement sa marque, parce qu'il a été préparé sous son autorité vigilante et nous y retrouvons son regard exigeant de républicain et d'homme d'expérience. En donnant une appréciation circonstanciée de la mise en oeuvre des politiques publiques, en mettant en lumière aussi bien les difficultés rencontrées que les succès obtenus, il traduit parfaitement le souci constant de Philippe Séguin de servir avant tout l'intérêt général, d'apporter une contribution utile au débat public et à la modernisation de notre État. En incarnant aussi bien les valeurs d'indépendance et de rigueur de la Cour, Philippe Séguin a donné une dimension inédite à ses travaux, ce dont les parlementaires n'ont pu que se féliciter.

Notre commission avait tissé des liens très étroits avec lui. Chacune de ses auditions était un moment attendu et toujours apprécié. Ces derniers temps, nous avions constaté une réelle convergence de vues entre ses prises de position et celles de notre commission, par exemple sur la nécessité de faire face aux déficits sociaux sans en reporter la charge sur les générations futures ou sur l'importance d'améliorer la gestion de l'hôpital.

C'est donc de façon très sincère que je veux une nouvelle fois saluer ici la qualité et l'utilité des travaux réalisés par la Cour.

La synthèse des travaux que vous venez de nous présenter est impressionnante. Elle confirme le rôle éminent de la Cour, déployé dans tous les domaines de l'action publique, au service d'une meilleure gestion des deniers publics.

Nous examinerons le contenu de ce nouveau rapport avec attention. Il comporte de nombreuses insertions sur les domaines sanitaires et sociaux. Je suis sûre que nos observations se rejoindront sur la formation professionnelle, l'indemnisation du chômage ou la gestion des cartes d'assurance maladie.

Soucieux comme vous d'améliorer la gestion des deniers publics nous voulons conforter les liens entre notre commission et les magistrats de la Cour.

Des rendez-vous réguliers permettent d'entretenir ces relations, en particulier la publication, au mois de septembre, du rapport sur l'application de la loi de financement de la sécurité sociale. Cette année encore, il proposait un éclairage sur des sujets d'importance, en particulier la réforme hospitalière. L'enquête de la Cour a relevé de très grandes disparités dans l'organisation des hôpitaux et de vraies défaillances dans la conduite du programme d'investissement « Hôpital 2007 » ainsi que dans la mise en oeuvre de la tarification à l'activité. Ces constats appellent, dans certains cas, des correctifs de l'action publique ; ils doivent aussi servir de leçon pour les prochaines réformes afin d'éviter erreurs et gaspillages. Notre commission est bien décidée à poursuivre son contrôle de l'hôpital, en s'appuyant sur les éclairages et les analyses très pertinents des travaux de la Cour.

De la même façon, ses conclusions sur l'évaluation de la réforme des retraites de 2003 nous ont permis, dès la discussion du PLFSS pour 2010, de faire adopter le principe du non-cumul de la majoration de durée d'assurance pour interruption d'activité, dont peuvent bénéficier les fonctionnaires, avec l'assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF). C'est une réelle satisfaction pour nous de constater le poids que peuvent avoir nos efforts respectifs lorsqu'ils sont orientés dans une même direction.

Un deuxième rendez-vous régulier est désormais institué au mois de juin, avec la publication du rapport de certification des comptes de la sécurité sociale. Le dernier rapport s'est avéré très constructif et notre commission a exercé un contrôle attentif et régulier sur les moyens mis en oeuvre par les caisses pour répondre aux observations de la Cour, je pense en particulier à la branche famille et à la Cnaf.

D'autres occasions de rencontres nous sont fournies par les travaux que nous vous commandons. Cette année, vous nous avez remis une enquête sur la politique de lutte contre le sida en France, qui fera l'objet d'une très prochaine audition devant la commission.

Nous sommes certains que les prochaines demandes d'enquête adressées à la Cour sur le financement de la pandémie grippale H1N1 et la tarification des établissements médico-sociaux, publics et privés, seront tout aussi riches d'enseignements.

Ce dernier thème fait écho aux travaux menés au Sénat sur la question de la prise en charge de la dépendance. Il nous est permis de vous en saisir grâce à l'extension du champ de compétences de la Cour, introduite au Sénat dans le cadre de la dernière loi de financement de la sécurité sociale.

Je formule le voeu que 2010 soit une année tout aussi fructueuse pour la Cour des comptes que les précédentes et que nous puissions continuer à développer nos travaux communs pour le meilleur profit de nos concitoyens ! (Applaudissements à droite et au centre)

(M. le doyen de la Cour des comptes quitte l'hémicycle selon le cérémonial d'usage)

Prochaine séance demain, mercredi 10 février 2010, à 14 h 30.

La séance est levée à 18 h 55.

Le Directeur du service du compte rendu analytique :

René-André Fabre

ORDRE DU JOUR

du mercredi 10 février 2010

Séance publique

A 14 HEURES 30,

Proposition de loi relative aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, présentée par MM. Roland Courteau, Yannick Bodin, Jean-Pierre Bel, Mmes Michèle André, Gisèle Printz, M. Bernard Frimat, Mmes Patricia Schillinger, Odette Herviaux, Maryvonne Blondin, Claudine Lepage, MM. Yves Chastan, Marcel Rainaud, Mme Françoise Cartron, MM. Paul Raoult, Marc Daunis, Michel Teston, Mme Renée Nicoux, M. Jean-Jacques Mirassou, Mmes Nicole Bonnefoy, Jacqueline Alquier, Bariza Khiari, M. Robert Navarro, Mme Nicole Bricq, M. Daniel Raoul, Mme Michèle San Vicente-Baudrin, MM. Philippe Madrelle, Jean Besson, Richard Yung, Mme Bernadette Bourzai, MM. Martial Bourquin, François Patriat, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Serge Lagauche, Simon Sutour, Bernard Piras, Mme Josette Durrieu, M. Jean-Pierre Sueur et les membres du groupe socialiste (n° 118, 2009-2010).

Rapport de M. François Pillet, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (n° 228, 2009-2010).

Proposition de résolution européenne portant sur la protection temporaire, présentée, en application de l'article 73 quinquies du Règlement, par M. Louis Mermaz et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés (n° 159, 2009-2010).

Rapport de M. Hubert Haenel, fait au nom de la commission des affaires européennes (n° 197, 2009-2010).

Rapport de M. Pierre Fauchon, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (n° 229, 2009-2010).