Questions cribles thématiques (Trafic de médicaments)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur le trafic des médicaments.

M. Bernard Cazeau.  - Selon l'OMS, plus de la moitié des médicaments achetés sur internet sont des contrefaçons. Interpol estime à 75 milliards d'euros le chiffre d'affaires de ce trafic, qui est en pleine expansion.

En France, nous étions à l'abri du fait des remboursements par la sécurité sociale et du maillage serré des cabinets médicaux et des officines de pharmacie. Néanmoins, le phénomène progresse. L'enjeu est de santé publique.

Les Douanes ont créé un observatoire spécifique et le réseau Médifraude coordonne l'action des divers services de l'État. Quel bilan tirer des moyens employés pour combattre ce trafic ?

Mme Nora Berra, secrétaire d'État auprès du ministre du travail, de l'emploi et de la santé, chargée de la santé.  - Le commerce électronique se développe, notamment de médicaments. La France est relativement épargnée pour l'instant : la majorité des médicaments sont pris en charge par la sécurité sociale en France ; nous sommes le premier pays au monde pour la densité des officines et au deuxième rang pour les médecins.

L'Afssaps a mis en place un dispositif de veille depuis 2009 ; elle achète des produits sur internet sous contrôle d'huissier pour détecter les falsifications et les signaler à l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique. Tout signalement de site illicite est transmis aux services d'enquête et à la justice.

Les actions de contrôle et de sanction sont donc à l'oeuvre. Nous devons aussi sensibiliser les Français sur les risques encourus.

M. Bernard Cazeau.  - J'avais demandé un bilan : vous n'avez pas répondu. C'est la politique menée depuis 2007 avec les déremboursements, la hausse des forfaits, les franchises qui pousse nos concitoyens vers les sites internet. Or les pouvoirs publics poursuivent cette politique. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Robert Hue.  - La consommation de faux médicaments ou de contrefaçon s'accroît en France, mais elle est marginale par rapport à l'ampleur du trafic dans les pays en développement, et singulièrement en Afrique. Ce trafic est plus rentable que le trafic de drogue et présente des risques considérables pour les populations. Ces faux médicaments ne soignent pas les maladies ; ils peuvent même dégrader la santé. Comme l'a relevé lors d'un colloque le président de la mutualité française, la lutte contre les faux médicaments ne doit pas conduire à remettre en cause l'accès aux thérapeutiques financièrement plus accessibles que sont les médicaments génériques, notamment dans les pays du Sud.

Ces trafics prospèrent sur le terrain de la misère. Nous devons donc définir une nouvelle politique de coopération avec les pays émergents ou en voie de développement -le contraire de ce que met en oeuvre l'Union européenne, par exemple avec l'Inde.

Quelles mesures concrètes envisagez-vous de prendre aux niveaux national et surtout européen pour que les pays en développement puissent répondre aux besoins de leurs populations ? (Applaudissements sur les bancs CRC)

Mme Nora Berra, secrétaire d'État.  - La lutte contre le trafic repose sur la coopération et la mobilisation des différents acteurs. Les ministres de la santé et de l'intérieur sont pleinement mobilisés.

L'Afssaps a multiplié les partenariats pour lutter contre la contrefaçon. Un groupe de travail a été mis en place au niveau européen. Le Conseil de l'Europe n'est pas non plus inactif.

Mme Isabelle Pasquet.  - Cette lutte est essentielle. Or les politiques menées par votre majorité poussent certains de nos concitoyens à se tourner vers les marchés parallèles sur internet. Et nos services douaniers ont été affaiblis par la RGPP.

M. François Zocchetto.  - Trafics de drogue et de médicaments sont aussi odieux l'un que l'autre et aussi dangereux pour l'intégrité physique de leurs victimes, le plus souvent fragiles et appartenant aux populations défavorisées. L'OMS estime le « chiffre d'affaires » du trafic à 10 % du marché mondial et Interpol le juge plus rentable que celui de la drogue. Internet a permis de développer le marché. Il y a urgence à agir. La Commission européenne a appelé à une législation européenne spécifique et le Président Chirac a plaidé pour une convention internationale.

Le 7 décembre 2010, le Conseil de l'Europe a adopté un premier outil, Médicrime, pour criminaliser ce trafic, ouverte à la signature de pays non membres. Une convention internationale n'est-elle pas nécessaire ?

Mme Nora Berra, secrétaire d'État.  - Le marché du médicament falsifié est un véritable fléau, dix fois plus lucratif que le trafic d'héroïne et cinq fois plus que celui du tabac. Or, paradoxalement, ce trafic est moins pénalisé que les autres. Vous avez évoqué l'appel de Cotonou. Médicrime sera ouverte à la signature en 2011.

M. François Zocchetto.  - Lutter contre le trafic de médicaments ne peut être le fait d'amateurs car ce trafic est aux mains de criminels mafieux. Il faut agir au niveau international mais la France doit montrer l'exemple, mettre en place des équipes pluridisciplinaires d'enquête et de répression. Les douanes doivent être épaulées par des policiers, des gendarmes et des magistrats spécialisés.

M. Gilbert Barbier.  - Si des médicaments contrefaits sont en vente dans les pays du tiers monde, ainsi qu'en Grande-Bretagne et aux États-Unis, la France est relativement épargnée grâce à son système de distribution très contrôlé.

Pourtant, la menace d'internet est réelle et les patients achètent de plus en plus sur internet. Faut-il rappeler les risques de mauvais usage ou de contre-indication, la provenance souvent douteuse des produits et leur composition aléatoire ? Certains compléments alimentaires contiennent des principes actifs, telle la sibutramine, inscrits sur la liste des substances vénéneuses ; et d'autres produits de la caféine à des concentrations beaucoup plus élevées que celles recommandées en France.

Mme Bachelot avait mis en place un groupe de travail pour étudier un projet de cyber pharmacie permettant une offre sécurisée et contrôlée, comme cela existe en Allemagne ou en Belgique. Où en est la réflexion ? Quels médicaments seraient concernés ? (Applaudissements à droite)

M. Jacques Blanc.  - Très bien !

Mme Nora Berra, secrétaire d'État.  - La DGS pilote en effet depuis le printemps 2010 un groupe de travail afin de définir le cadre juridique de la création de sites internet. Ces sites devront être le prolongement virtuel d'officines physiques ; seuls les médicaments de prescription facultative pourront être mis en vente ; ces sites devront être déclarés aux ARS et à l'Ordre des pharmaciens. Un portail pourrait être mis en place par le Conseil national de l'Ordre des pharmaciens, qui renverrait vers les sites des officines.

Des contrôles et des sanctions seraient déterminés et la protection des données personnelles et de santé des internautes serait assurée. Enfin, les règles de publicité et les bonnes pratiques devront être définies.

M. Gilbert Barbier.  - Certains médicaments prescrits en trop grandes quantités et remboursés par la sécurité sociale sont revendus sur des sites internet. Il faut se pencher également sur cette question.

Mme Marie-Thérèse Hermange.  - Je remercie la Conférence des Présidents d'avoir mis ce sujet à l'ordre du jour. Vendre un faux médicament, c'est empoisonner celui qui l'achète ; 200 000 décès par an pourraient être évités si des médicaments contre le paludisme n'étaient pas vendus hors de toute réglementation ; une centaine de nourrissons africains ont été tués par les faux sirops au paracétamol.

Notre pays n'est pas complètement à l'abri de pratiques frauduleuses.

La convention Médicrime doit être signée en 2011 par les pays membres du Conseil de l'Europe. Le Président de la République a-t-il l'intention de signer l'appel de Cotonou ? La France s'engagera-t-elle financièrement, par exemple en dotant l'AFD ? Le sujet sera-t-il porté au G8 ?

Mme Nora Berra, secrétaire d'État.  - Il est difficile d'avoir une idée du montant des budgets alloués à la lutte contre le trafic des médicaments.

La convention Médicrime doit déterminer les bonnes pratiques au niveau international pour protéger les populations, notamment dans les pays en voie de développement. Le Conseil de l'Europe a adopté cette convention le 9 décembre. Elle sera ouverte à signature en 2011. Nous sommes mobilisés, et d'autres pays non européens sont intéressés tels le Canada, le Japon ou Israël.

Mme Marie-Thérèse Hermange.  - J'aurais aimé entendre que le Président de la République allait signer l'appel de Cotonou et que le G8 aborderait la question.

M. Ronan Kerdraon.  - La contrefaçon de médicaments est criminelle. Elle est très lucrative. Il s'agit donc d'un fléau très grave. En Afrique, des centaines de milliers de femmes, d'enfants et d'hommes meurent chaque année à cause de faux médicaments. C'est sur le terreau de la pauvreté que ce fléau prospère le mieux. Et ce fléau prospère si bien qu'il est aujourd'hui qualifié par l'Organisation mondiale des douanes de « crime du 21e siècle ». Ces médicaments contrefaits peuvent réduire à néant la lutte contre les grandes épidémies.

Des solutions existent : il est primordial de lutter contre ce trafic car des gens meurent. L'appel de Cotonou va dans le bon sens. Qu'entend faire la France pour lutter efficacement contre ces activités criminelles ? (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Nora Berra, secrétaire d'État.  - La France est mobilisée contre les trafics. Créé en février 2006 à Rome sous l'impulsion de l'OMS, le Groupe spécial international anti-contrefaçon de produits médicaux, Impact (International Medical Products Anti-Counterfeiting Taskforce), rassemble les différents acteurs concernés pour déterminer des politiques nouvelles pour lutter contre les faux médicaments.

En France, un envoyé spécial coordonne l'action de notre pays pour lutter contre les médicaments contrefaits et tente de convaincre les pays concernés à prendre la pleine mesure de ce fléau.

M. Ronan Kerdraon.  - Mme la ministre n'apporte pas de vrais engagements, notamment sur la signature de l'appel de Cotonou.

Mme Catherine Procaccia.  - Une récente étude a démontré qu'un Européen sur deux a acheté des médicaments sur internet. Il y a donc un réel risque sanitaire.

En France existe depuis 2008 un plan d'action contre la cybercriminalité. Et en décembre 2009 le Gouvernement a annoncé la signature d'une charte de lutte contre la contrefaçon sur internet impliquant notamment les entreprises du médicament (Leem) et plusieurs laboratoires pharmaceutiques. Pouvez-vous, nous dire si ces deux actions ont déjà donné des résultats ?

Quid de la traçabilité des médicaments ? Le Gouvernement envisage-t-il de prendre des mesures en ce domaine ? J'ai découvert sur internet que l'organisation internationale Pangea avait permis de démanteler dix-sept sites illégaux en France. Pourquoi ne pas en avoir parlé ?

Mme Nora Berra, secrétaire d'État.  - J'ai parlé tout à l'heure de l'opération Pangea, menée au niveau international : 164 sites illégaux ont été identifiés, dont 19 rattachés à la France ; onze sites ont été fermés et huit autres font l'objet d'une instruction.

La charte internet de lutte contre la contrefaçon a été signée en 2009. Les signataires s'engagent à informer les vendeurs. Un bilan de l'application de cette charte sera réalisé en juin 2011.

Mme Catherine Procaccia.  - Je laisse à Alain Milon le temps de s'exprimer.

M. Alain Milon.  - La lutte contre ce trafic nécessite une coopération interministérielle, européenne et internationale.

Pouvez-vous préciser ce qui a été fait aux niveaux européen et international ? Quel sera le rôle des autorités françaises en matière de prévention ?

Mme Nora Berra, secrétaire d'État.  - Des dispositifs de sécurité obligatoire ont été définis. La distribution des médicaments est donc sécurisée. Chaque unité de conditionnement est vérifiée. Les fabricants, les distributeurs, les pharmaciens sont mobilisés, notamment pour les médicaments à prescription obligatoire. Les médicaments en libre accès pourraient également bénéficier de ces dispositions.

En France, la traçabilité est une exigence réglementaire qui s'applique à tous les médicaments à compter du 1er janvier 2011.

M. Alain Milon.  - Dans notre pays, la médecine curative a toujours pris le pas sur la médecine préventive ; ici, la prévention doit prendre le pas sur le curatif : il faut prévenir les malades sur les effets nocifs des médicaments contrefaits.

M. le président.  - Merci de vos interventions sur ce sujet important.

La séance est suspendue à 17 heures 45.

présidence de M. Guy Fischer,vice-président

La séance reprend à 18 heures.