Accord avec les Émirats arabes unis

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement des Émirats arabes unis relatif à la coopération en matière de défense ainsi qu'un échange de lettres.

Discussion générale

M. Henri de Raincourt, ministre auprès du ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes, chargé de la coopération.  - Le Livre blanc sur la défense, publié en 2008, situe les Émirats arabes unis dans « l'arc de crise » de l'Atlantique à l'Océan indien.

Nous entretenons avec ces pays une coopération politique, économique et militaire satisfaisante. Notre coopération militaire est une des plus développées dans le Golfe persique.

La base française d'Abou Dhabi est la seule que nous ayons hors d'Afrique. Elle traduit notre engagement en matière de sécurité et de stabilité dans la région.

L'accord de coopération signé le 26 mai 2009 s'inscrit dans cette perspective. Il a une grande importance, tant pour la stabilité de la région que pour l'entretien de nos forces. L'accord prévoit une consultation bilatérale en cas de menace grave sur les Émirats arabes unis. L'échange de lettres interprétatives de décembre 2010 apporte des garanties supplémentaires pour les Français en mission, en particulier pour les questions pénales. Ces précisions avaient été demandées par le Conseil d'État le 18 mars 2010 ; désormais, le Conseil approuve cet accord.

Les Émirats ont à jouer un rôle de puissance globale dans cette région instable. Notre influence sera renforcée par cet accord, avec ce pays avec qui nous avons de fructueux échanges : notre balance commerciale est excédentaire, ce dont nous avons bien besoin ! (Applaudissements)

Mme Nathalie Goulet, rapporteur de la commission des affaires étrangères.  - Je salue notre collègue Bourdin, président du groupe d'amitié France - Émirats arabes unis.

Cet accord, préparé sous la présidence Chirac n'a été mené à bien que grâce à l'insistance du président Sarkozy, qui doit en être remercié.

Il se distingue par l'importance de l'engagement de la France auprès de cette fédération, dans une zone vitale pour nos approvisionnements. A travers cet accord, nous rejoignons le constat dressé depuis longtemps par nos alliés Anglo-Saxons dans le Golfe persique.

Les Émirats arabes unis sont un patrimoine incontournable pour notre économie. Notre part de marché a triplé depuis 1998 : EDF, GDF-Suez, Aréva, Thalès, Véolia y sont très présents.

Il y a vingt ans, nous étions le premier fournisseur d'armement de ce pays. Nos relations dépassent le domaine militaire, avec un Louvre et une Sorbonne à Abou Dhabi. Cet accord de défense donne un fondement juridique durable à notre implantation dans les Émirats. Notre présence militaire a surtout une composante navale, mais aussi une composante terrestre, avec un terrain d'entraînement en zone désertique et une composante aérienne.

Cette base nous donne une présence dans tout le nord de l'Océan indien. Les équipements des Émirats sont de très haute qualité technique, servis par des militaires très qualifiés.

Cet accord, de facture classique, contient une clause de sécurité avec une réponse graduée à tout type de menace. C'est assez exceptionnel, à un moment où la France supprime de telles dispositions avec les Africains. L'accord engage un État, non un régime, sur la nature juridique duquel nous ne nous prononçons pas. Les accords signés par les Anglo-Saxons ne sont pas publiés mais on peut supposer qu'ils contiennent aussi des clauses d'engagement. Les Américains disposent là de facilités de transit mais pas de base militaire comme à Bahreïn et au Qatar.

Il est prévu que les militaires français soient soumis au droit français en cas d'infractions commises dans le cadre du service. Aucune sanction contraire au droit français ne pourrait être prononcée : il faudrait une peine de substitution.

Cet accord présente un intérêt stratégique majeur. La commission des affaires étrangères vous propose de l'adopter. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Didier Boulaud.  - L'accord de 1995 était devenu inadapté. Celui-ci ne saurait être pris à la légère : il engage la parole de la France et pourrait engager nos troupes dans un conflit. Ce pays est ami, nous faisons des affaires avec lui, mais est-ce une raison pour nous engager ainsi militairement ? Les Émirats achètent 5 % des Airbus mais aucun Rafale.

Mme Nathalie Goulet rapporteur.  - Eh non...

M. Didier Boulaud.  - Les Émirats se sont plaints du manque de souplesse des négociations françaises, si bien que le Rafale reste un produit d'exportation vers... la France !

Nous avions noué notre alliance avec les Emirats lors de la guerre du Golfe, en 1991. Il était question, à l'époque, de démocratisation...

Les Émirats accompagnent d'autant plus volontiers la démarche française que nous nous alignons sur les États-Unis. Avec le Qatar, il est le pays arabe le plus présent pour bombarder la Libye.

Entre la situation particulière de l'Irak, l'incertitude iranienne et le lointain Afghanistan, les Émirats arabes unis sont un lieu stratégique : ils tiennent le détroit d'Ormuz ! On en est encore souvent au « grand jeu » cher à Kipling.

Les quatre cinquièmes des habitants des Émirats arabes unis sont des étrangers ; la police fait la chasse aux couples non mariés, mais pas aux employeurs indélicats... Faut-il, au nom de la sécurité d'une base française, se taire sur cette situation ? On invoque une menace iranienne. Mais quelles sont exactement les relations entre les deux pays ?

Quel est le sens de l'article 4 ? Est-il superfétatoire ou inquiétant ? Si un conflit intervenait, nous serions liés par d'autres accords, comme cela s'était passé en 1991...

Cette nouvelle base ne nous amène-t-elle pas à disperser nos forces ? Nous levons l'ancre ici et là, et ouvrons celle-ci. Comment abandonner Djibouti quand les Chinois y montrent le nez ? Avons-nous les moyens de nos engagements éparpillés ? RGPP aidant, les moyens s'amenuisent, les objectifs capacitaires ne sont pas atteints. Les déploiements à l'étranger doivent être revus en fonction des moyens.

Le coup est parti, l'installation de la base a commencé en 2009 ; le Parlement est donc interrogé après la bataille.

Nous nous abstiendrons sur ce texte pour ne pas hypothéquer le futur. Il sera temps, en 2012, de revenir sur le Livre blanc, les promesses inconsidérées et la politique de « déprogrammation militaire ». (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Michelle Demessine.  - Nos deux pays ont signé en août 2009 un accord se substituant à l'accord secret de 1995. L'étendue des coopérations contenues dans cet accord en prouve l'importance.

L'inauguration d'une base militaire importante hors d'Afrique était déjà une innovation. C'est aussi une dispersion de nos capacités et un alignement de nos forces sur celles des États-Unis. Je déplore que des décisions aussi lourdes de conséquences n'aient pas fait l'objet d'un débat parlementaire préalable.

Une des singularités de cet accord de défense figure dans les articles 3 et 4 : au cas où les Émirats seraient soumis à une attaque, nous serions mécaniquement amenés à un engagement militaire. Cette clause est contradictoire avec celles qui sont signées en Afrique quand on connaît la sensibilité de cette zone, entre monarchies pétrolières et menaces iraniennes.

Le Commandant suprême des gardiens de la révolution s'est dit prêt à fermer le détroit d'Ormuz.

L'accord crée une ambiguïté sur l'usage de l'arme nucléaire. La doctrine de dissuasion ne définit pas les intérêts vitaux : offrons-nous notre parapluie nucléaire aux Émirats arabes unis ?

Ce pays est régi par la charia ; je crains quelques difficultés d'application en cas de litige grave. On ne peut être rassuré par les pratiques de cette dictature peu regardante sur les droits de l'homme. Les Allemands se sont inquiétés d'une livraison de chars aux Saoudiens. Méditons leur exemple !

Il est contradictoire de prétendre soutenir le printemps arabe et d'entretenir de telles relations avec un tel pays.

Le groupe CRC-CRC-SPG votera contre cet accord.

M. André Trillard.  - (Applaudissements sur les bancs UMP) Je me réjouis que le Parlement ait, une fois de plus, à se prononcer sur un accord de défense. Celui-ci va bien au-delà d'un simple partenariat militaire. Le rapport de Mme Goulet témoigne de son excellente connaissance de la région.

Depuis 1995, la France n'a cessé de renforcer ses liens avec les Émirats arabes unis. Notre pays doit être présent dans une zone stratégique pour le monde entier. Un membre permanent du Conseil de sécurité ne peut plus briller par son absence dans le Golfe persique. Depuis les guerres Iran-Irak, la paix mondiale se joue dans cette zone.

Il s'agit d'être cohérents avec notre politique d'intervention à l'extérieur de nos frontières, en particulier dans la lutte contre la piraterie, sachant que 40 % du pétrole mondial passe par le détroit d'Ormuz.

Trop spécifiques ces accords ? Il est vrai qu'ils engagent beaucoup la France. Mais ce pays participe aux opérations de l'Otan en Libye. De tels accords participent aussi de notre dissuasion face à la menace des 70 millions d'Iraniens. La concurrence avec les États-Unis et avec la Chine est rude. L'implantation de l'université Paris Sorbonne à Abu Dhabi et la prochaine ouverture du « Louvre Abu Dhabi », sont des occasions uniques pour notre pays de mettre en place une véritable politique de smart power dans une région traditionnellement d'influence anglo-saxonne. Ces accords de défense sont peut-être contraignants, mais ils sont véritablement cohérents. L'UMP votera cet accord. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Michel Boutant.  - Cet accord aurait presque pu passer inaperçu. Il serait pourtant gravissime de le négliger. Son article 4 nous engage beaucoup, dans une région menacée. « Mesure la profondeur de l'eau avant de t'y plonger » dit le proverbe arabe. L'a-t-on fait ? S'est-on souvenu de la guerre de 1991 ? Ces risques de conflit avec l'Iran, s'ils ne doivent pas être exagérés, n'en sont pas moins réels. Les deux pays ont un contentieux depuis que les armées du Chah ont envahi, en 1971, les trois îles Tomb dans le détroit d'Ormuz. Un conflit partant de ces îles serait improbable ? L'invasion du Koweït par l'Irak paraissait aussi improbable...

Un autre point me semble d'importance. En mai 2011, le fondateur de Blackwater a créé une société militaire privée, forte de 800 hommes, destinée à protéger les Émirats arabes unis... Il pourrait y avoir un accrochage dont l'Iran prendrait prétexte, et nous serions tenus d'intervenir.

Ne peut-on craindre une dispersion des forces françaises, qui nuirait à leur efficacité ? Ne déshabillons pas Pierre à Djibouti, pour habiller Paul à Abou Dhabi ! Notre implantation en Côte-d'Ivoire a récemment démontré son efficacité... La France ne doit pas sacrifier ses intérêts en Afrique pour remplir un peu plus sa « vitrine » émirati. Les Émirats prendront en charge les infrastructures ? Certes, mais je doute que le coût soit nul pour la France.

Il faudrait aussi évoquer avec notre partenaire la question des droits de l'homme : violences faites aux femmes, peine de mort, charia... À vous de nous prouver que nos craintes sont infondées. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Henri de Raincourt, ministre.  - Il ne s'agit pas de se disperser ou de s'implanter au gré des modes, mais de reconfigurer tout notre dispositif de défense. Nous avons des discussions avec certains États africains sur la nouvelle manière de prendre en compte nos accords de défense. Il n'est pas contradictoire de nous implanter dans les Émirats : les situations peuvent évoluer. Nos soldats ne sont pas allés en Côte-d'Ivoire pour y rester éternellement : la démocratie y a gagné et nous pouvons envisager un redéploiement. L'important, c'est la mobilité de nos forces. La France a trois bases : le Gabon, Djibouti, Abou Dhabi. Elles se complètent. Les Émirats ont assumé l'essentiel des investissements de notre base, la France pour 25 millions, avec un coût de fonctionnement annuel évalué à 75 millions, financés par redéploiement.

Les droits de l'homme ? On peut en débattre indéfiniment. La France défend toujours et partout la liberté et les droits de l'homme ! Cela ne doit pas l'empêcher de s'implanter là où elle le juge nécessaire. N'oublions pas que les Émirats sont avec nous pour défendre le peuple libyen contre les exactions de M. Kadhafi.

La France a condamné la répression qui a eu lieu à Bahreïn, où il y a un « usage disproportionné de la force », comme en Syrie. Le dialogue y est amorcé depuis le début du mois. Notre accord ne porte que sur des menaces extérieures, pas en cas de conflit interne.

Le parapluie nucléaire, madame Demessine ?

En ce qui concerne le parapluie nucléaire, la doctrine de la France est connue depuis longtemps : nous ne sommes liés par aucun traité, madame Demessine ; ainsi, notre force nucléaire n'est pas mise à la disposition de l'Otan.

Sur l'Iran, nous avons du mal à faire respecter les résolutions des Nations unies. Mais nous sommes loin de l'accord dont nous parlons ! La France continuera à faire pression sur l'Iran pour qu'il respecte les décisions de l'ONU et contribue ainsi à la paix, la sécurité et la stabilité, comme nous lui demandons.

Discussion de l'article unique

M. le président.  - Je mets aux voix l'article unique constituant l'ensemble du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement des Émirats arabes unis.

Le projet de loi est définitivement adopté.