Débat de politique étrangère

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères.  - (Applaudissements sur les bancs socialistes) Je me réjouis de ce débat. Notre commission a souhaité entendre régulièrement le Gouvernement sur les priorités de sa politique étrangère et de défense, les deux outils indissociables de notre action extérieure. Vous avez, monsieur le ministre d'État, donné immédiatement suite à notre demande : soyez-en remercié.

L'année qui s'achève a été celle des bouleversements, des surprises aussi pour notre diplomatie. C'est la question de l'anticipation -et des moyens qui lui sont alloués- qui est ici posée. Notre cécité préoccupante, sur laquelle je n'insisterai pas, ne doit pas masquer une réflexion sur la mise en oeuvre, pour la première fois en 2011, du concept central de la « responsabilité de protéger » par la résolution 1973 de l'ONU sur la Libye, sous l'impulsion de notre diplomatie et de vous-même. Ce concept est de nature à structurer notre action internationale. Atteinte à la souveraineté des États, avatar d'un droit d'ingérence manipulé à leur profit par les anciennes puissances coloniales ? Certes non ! L'actualité éclaire le grand moment de rééquilibrage vers les pays émergents dont M. Védrine avait dessiné les contours. Hélas, les pays émergents, qui accèdent à la puissance, continuent à privilégier une lecture tiers-mondialiste des relations internationales. L'opposition de la Russie et de la Chine est d'une autre nature...

Le monde n'est plus centré sur l'Occident ou sur l'Europe. Perte d'influence ? Vous nous direz, monsieur le ministre d'État, comment la France peut répondre à ces bouleversements ; comment les pays émergents peuvent prendre la place qui est la leur. L'élargissement du Conseil de sécurité est un cas d'école... Vous nous direz aussi comment engager les puissances ré-émergentes que sont la Russie et la Chine, comment promouvoir le multi-libéralisme, faire des choix collectifs qui portent à la fois nos valeurs et nos intérêts, oeuvrer pour faire passer le système international d'une juxtaposition de souverainetés à l'exercice conjoint d'un intérêt mondial. La responsabilité de protéger est difficile à définir. Comment travailler à l'inclusion des organisations régionales dans la résolution des conflits ? Ainsi en est-il de la Ligue arabe en Syrie, ou de l'Union africaine.

L'emploi de la force n'est que l'aboutissement ultime de la responsabilité de protéger. N'y a-t-il pas là défaut d'anticipation, alors que le coût de l'action est bien supérieur à celui de la prévention ? Ce qui ne doit pas faire oublier qu'attendre, c'est prendre le risque du bain de sang.

Toute l'action de l'ONU participe de la responsabilité de protéger. Notre investissement dans le multilatéral, notre politique d'aide au développement nous permettent d'anticiper les crises. C'est plus efficace et moins coûteux. Dans la Corne de l'Afrique, ce n'est plus la terre qui nourrit mais la guerre, ai-je lu récemment. Un constat alarmant !

En Syrie l'action de notre diplomatie est exemplaire. Votre engagement personnel au Conseil de sécurité, monsieur le ministre d'État, témoigne de la défense de nos valeurs. Le président de la République avait donné à notre diplomatie, en début de mandat, deux objectifs : l'Europe et la défense des droits de l'homme ; il avait même créé un secrétariat d'État aux droits de l'homme. Cela s'est soldé par un échec, même si le principe reste d'actualité. C'est l'atteinte aux droits fondamentaux qui a justifié notre intervention en Libye. Contrairement à ce qu'ont dit certains pays, l'application de la responsabilité de protéger n'a pas été le cheval de Troie du droit d'ingérence.

J'en viens au printemps arabe, à leur onde de choc et à leurs répliques. Nous souhaitons tous la stabilisation du pourtour méditerranéen. Mais il ne faudrait pas que le processus démocratique se brisât sur l'effondrement économique. L'absence de liberté politique a longtemps été justifiée par la liberté économique -le « enrichissez-vous » de Guizot... Mais les régimes en place étaient prédateurs. Le partenariat de Deauville est salutaire, mais l'impression est qu'il tarde à produire ses effets. Il faut éviter l'effondrement économique et permettre aux générations montantes d'avoir accès à l'emploi et à la formation.

L'Union pour la Méditerranée doit être refondée, d'après le président de la République, mais elle se heurte au même obstacle que le processus de Lisbonne, c'est-à-dire au conflit israélo-palestinien, qui s'aggrave. Ne faut-il pas changer de méthode ? Que fait-on pour amener le gouvernement israélien à la table des négociations ? Faut-il attendre les élections américaines ? Que faire face à l'opinion arabe si le soutien à la politique de colonisation de l'État hébreu en sort renforcé ? Où est l'Europe ? Nulle part car elle est divisée ; elle ne peut se contenter du rôle de banquier...

Pour les pays du printemps arabe, nous nous sommes collectivement trompés en pensant que les régimes autoritaires en place étaient un rempart contre l'islamisme radical, en renonçant à défendre nos valeurs. Heureusement, tel n'a pas été le cas en Libye et en Syrie. Je vous en sais gré, monsieur le ministre d'État.

Les élections se sont déroulées dans de bonnes conditions, les populations ont voté contre l'ordre ancien et pour des partis persécutés qui incarnaient la rigueur et l'absence de corruption. Nous respectons cette volonté. En contrepartie, nous attendons de ces gouvernements qu'ils respectent les règles de la démocratie, le pluralisme et les droits des minorités. Nous devons -c'est aussi notre intérêt- accompagner ces sociétés vers la modernité politique et une croissance redistributrice des richesses. C'est le meilleur gage de paix. Évitons toutefois l'arrogance constatée en Irak ou en Afghanistan.

J'en viens à notre politique vis-à-vis de l'Asie et du Pacifique. En 2011, nous avons conduit une mission au Japon et nous irons en Australie cette année. Nous devons prendre nos responsabilités dans cette partie du monde. La France est une puissance du Pacifique, elle y dispose d'une immense zone économique exclusive. Nous ne pouvons nous désintéresser de sécurité maritime et de la lutte contre la piraterie. Quel bilan tirez-vous de notre action ? Notre intervention en Afghanistan ne peut, je crois, contribuer à la sécurité en Asie ; mais il nous faut réfléchir à une évolution de notre dispositif militaire. La préservation de nos intérêts économiques suppose en particulier une marine efficace assurant notamment une fonction de garde-côte.

Je veux vous exprimer notre soutien pour votre action, parce que vous portez la voix de la France, et aussi notre étonnement de vous voir faire autant avec si peu... Certes, le Quai est efficace, avec des moyens réduits, et son personnel est au-dessus de tout éloge. De la même manière que le professeur Stiglitz et Amartya Sen travaillent à une autre mesure de la richesse que le PIB, il faut, pour Bercy, considérer que votre budget n'est pas qu'une dépense, qu'il peut rapporter beaucoup en termes d'image et même de gains concrets pour nos entreprises et les particuliers.

Poursuivez dans le bon sens, monsieur le ministre d'État, cela nous change. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Christian Cambon.  - (Applaudissements sur les bancs UMP) Une politique étrangère : pour quoi faire ? Pour garantir un monde plus sûr à nos concitoyens, un monde plus ouvert à nos intérêts et à notre vision de l'avenir. C'est plus facile à dire qu'à faire alors que le monde bouge. La France doit continuer à tenir son rôle et ne pas subir les évolutions du monde. Or notre pays, comme tout l'Occident, subit un déclassement sans précédent ; nous avons perdu le monopole de la richesse et de la puissance.

Bien sûr, la France conserve de nombreux atouts. Notre influence est bien supérieure à ce que pèse notre PIB. Saurons-nous nous adapter à un XXIe siècle qui s'annonce imprévisible ? Chaque jour nous apporte son lot de changements. Il y a un an, le printemps arabe balayait 30 ans d'immobilisme ; notre regard a changé depuis... Nous avons besoin de définir nos priorités diplomatiques, de fixer un cap. C'est votre mission, monsieur le ministre d'État.

Nous vous remercions d'avoir accepté ce débat de politique étrangère. Le mérite en revient à notre président, Jean-Louis Carrère, qui, depuis le changement de majorité au Sénat, a su créer un climat de travail propice à l'expression de l'engagement de chacun ; qu'il en soit publiquement remercié.

Je tiens à vous rendre un hommage particulier, monsieur le ministre d'État. Alors que comme bien d'autres, vous auriez pu vous réfugier dans le commentaire ou les petites phrases, vous avez accepté à la demande du président de la République de vous engager à nouveau à la tête de ce ministère. Vous avez donné à cette haute responsabilité ministérielle le poids et la hauteur de vue qui convenaient. Vous vous êtes investi des trois domaines principaux, la gouvernance mondiale, l'avenir de l'Europe, les mutations du monde arabe.

La multiplication des crises qui secouent le monde depuis les années 1990 montre que l'ordre international qui prévalait depuis la fin de la deuxième Guerre mondiale ne permet plus de régler les déséquilibres mondiaux. Il est temps que la communauté internationale choisisse une gouvernance plus efficace et mieux coordonnée ; en d'autres termes, le monde doit tirer les leçons de la mondialisation. Tel était l'objectif de la présidence française du G 20. Avec le président de la République, vous avez mis votre énergie à conduire les dirigeants du G 20 à adopter nos points de vue, notamment l'implication nécessaire des puissances émergentes et l'aide au développement des pays les plus pauvres. Pour la première fois, une réserve de sécurité alimentaire a été mise en place et le principe d'une taxe sur les transactions financières accepté. Comment faire pour que les cinq milliards d'habitants des pays émergents continuent à s'enrichir et que le milliard d'habitants des pays pauvres sortent de la pauvreté, sans que nos propres modèles ni les équilibres écologiques en soient bouleversés ?

Vos propos très forts au Conseil de sécurité, monsieur le ministre d'État, pour mettre fin à l'effroyable bain de sang en Syrie sont dans tous les esprits. L'échec de la résolution montre qu'un accord, même a minima, n'est pas aisé à trouver, même lorsque l'on est confronté à l'horreur. Quels rôles jouent la Russie et la Chine, qui ne pourront protéger indéfiniment le régime sanguinaire de Bachar El-Assad ? Comment accompagner les peuples qui luttent pour leur liberté ? En Birmanie, votre voyage a porté ses fruits ; et quelle belle image que la remise à Mme Aung San Suu Kyi des insignes de commandeur de la légion d'honneur !

Tous ces efforts seraient vains si la France était seule. Elle a besoin d'une Europe forte et solidaire. Ceux qui croient à l'isolatotionnisme n'ont rien compris : la démondialisation ne viendra pas. Encore faut-il que l'Europe soit au rendez-vous. L'Union européenne a évité un effondrement de son système bancaire. Le président de la République a su nouer un partenariat intelligent avec l'Allemagne, qui a su depuis des années mettre en oeuvre les réformes nécessaires et en tirer une autorité politique indiscutable.

M. Robert Hue.  - On se croirait en meeting politique !

M. Christian Cambon.  - Reste que l'Europe ne va pas bien. Une intégration plus étroite des économies est nécessaire. Dans les domaines diplomatique et de la défense, la situation est particulièrement paradoxale ; l'Europe s'illustre davantage à fixer la hauteur des cages à poules qu'à la définition d'une stratégie de défense commune. Elle s'est dotée d'un service d'action extérieure ; il paraît même qu'existe un haut représentant... Kissinger, en 1970, disait : l'Europe, quel numéro de téléphone ? Elle en a un désormais, mais elle n'a toujours pas de politique étrangère. Il faudra mutualiser nos politiques étrangères ou renoncer à en avoir.

Renforçons l'efficacité de l'Europe. Ne croyez-vous pas que nous allons vers une Europe à géométrie variable ? Lorsque le président de la République a lancé l'Union pour la Méditerranée, que n'a-t-on entendu ! Pourtant, la concertation, et pourquoi pas l'entente, sont nécessaires. Bien sûr, les choses ne vont pas assez vite. Le conflit israélo-palestinien pèse sur les débats. Pourtant, nous pouvons être fiers d'avoir réussi à éviter le carnage promis aux habitants de Benghazi. Vous avez su peser sur les décisions internationales afin de protéger la population libyenne.

Quelles que soient nos interrogations sur les élections en Egypte ou en Tunisie, nous devons continuer à aider les populations, avec réalisme et vigilance.

Au Maroc, le roi a su mettre en oeuvre les réformes démocratiques nécessaires. Depuis le printemps arabe, tout le continent africain est entré en résonnance. L'Afrique ne sera pas longtemps cantonnée dans le seul domaine du développement. En Côte-d'Ivoire, la France a su imposer la démocratie. Elle devra en faire de même au Sénégal où un vieux lion s'accroche au pouvoir.

La France va vivre un moment de démocratie d'extrême importance. Espérons que la politique étrangère fasse l'objet d'un véritable débat national.

La France a su jouer son rôle en Europe et dans le monde. Le prochain quinquennat ne sera pas plus calme que celui qui s'achève. Mais avec vous et le président de la République, nous savons que la France tiendra le cap. (Applaudissements sur les bancs UMP)

Mme Leila Aïchi.  - Malgré nos divergences, je salue votre position sur la sur le génocide arménien ; l'histoire ne doit pas être instrumentalisée à des fins politiciennes. Républicaine, je crois plus à la confrontation des idées qu'au choc des civilisations.

Le bilan du quinquennat en matière d'affaires étrangères est insatisfaisant. L'Inde a annoncé son intention d'acheter 126 Rafale ; comme par enchantement, les Émirats arabes unis envisagent d'en acquérir 60. L'année 2011 aura été marquée par le triste record de notre balance commerciale. Mais l'Inde a seulement annoncé une phase finale de discussion ; il en est de même aux États arabes unis. Rappelons-nous du précédent brésilien et de la volonté du président de la République, en 2007, d'en vendre à la Libye... Combien d'appareils construits en France ? Quels transferts de technologie ? L'exigence démocratique impose plus de clarté. Mais nous sommes dans le flou le plus complet. Vous devriez avoir à coeur de dépasser les déclarations de marketing politique. La politique étrangère ne se mesure pas au nombre d'appareils militaires vendus...

La promotion du droit humanitaire et du multilatéralisme devrait être au centre de nos préoccupations.

Notre groupe s'inquiète de la situation au Sénégal, avec son cortège journalier de violences. La liberté d'expression est attaquée. Un président au pouvoir depuis douze ans manipule la constitution et trois candidats à la présidentielle sont empêchés de se présenter. Quelle est votre priorité face au drame qui se dessine ? Le Gouvernement ne devrait-il pas user de toute son influence et soutenir les forces démocratiques ? Cela nous changerait de la Tunisie et du tristement célèbre discours de Dakar.

La situation en Syrie est dramatique : 5 000 morts en moins d'un an selon l'ONU. Samedi 4 février, plus de 260 civils ont été tués à Homs. La présence de Bachar El-Assad le 14 juillet 2008 sur les Champs-Élysées nous fait rétrospectivement rougir. Quelle est la cohérence de notre politique en Afghanistan ? Les soldats ne savent pas pourquoi ils s'y font tuer.

Au total, cette présidence manque désespérément d'une vision géopolitique. Aucune publicité pour la conférence de l'ONU dite « Rio+20 »... La France s'y prépare-t-elle, et comment ? Y défendra-t-elle la promotion de l'économie verte ? ?uvrera-t-elle pour l'éradication de la pauvreté ?

Combien de temps encore paierons-nous les cuistreries diplomatiques de Nicolas Sarkozy, qui nuisent à l'image de la France ? (Exclamations à droite)

M. Christian Cambon.  - Un peu de tenue !

M. Yves Pozzo di Borgo.  - C'est Mme Joly qui a la réponse !

Mme Leila Aïchi.  - Le changement s'impose. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Yves Pozzo di Borgo.  - L'Europe est condamnée à exister. Elle doit parler d'une voix unique afin d'être écoutée et respectée. L'Europe de la défense est nécessaire, au même titre que l'Europe économique. On en est loin. Le Livre blanc de 2008 prévoyait plus de 300 milliards de dépenses à l'horizon 2020 ; mais la crise financière est là...

Un autre monde se met en place au sud de la Méditerranée avec la fin des régimes autoritaires. Au Maroc, la situation évolue favorablement, je peux en témoigner. Nous avons tout intérêt à entretenir des contacts avec l'islam politique, Ennhada, les Frères musulmans, l'AKP. Dans tout le monde arabe, les Chrétiens sont rejetés et massacrés. Les pays du Golfe vont connaître un affrontement entre l'islamisme larvé et l'autoritarisme sourd. On le voit au Koweït où les femmes ne sont déjà plus représentées au Parlement. Avec 20 % de Chrétiens, la Syrie était le seul pays arabe où Noël était fêté ; la crise actuelle remet tout en cause. Bachar El-Assad, indéfendable tyran, ne s'est pas comporté en chef d'État en attaquant son propre peuple. Mais on l'a vu en Lybie, il ne suffit pas de s'attaquer à un dictateur pour imposer la démocratie. Assad doit partir, mais par qui sera-t-il remplacé ? Il faut se poser la question. La position russe est-elle aussi tranchée qu'on le dit, sachant la situation qu'elle connaît dans le Caucase ? Nous avons une histoire commune avec la Russie, qui est notre allié naturel. Certes, il faut déplorer les manipulations électorales. Pour autant, ce pays connaît la démocratie depuis vingt ans et alignera cinq candidats à la prochaine présidentielle.

Nous avons besoin d'une Europe plus intégrée et d'une diplomatie plus efficace. La France a un rôle historique à jouer dans ce processus, face à la mondialisation qui façonne le monde actuel. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Robert Hue.  - À quelques semaines de la suspension de nos travaux, il est regrettable que notre débat de politique étrangère arrive ainsi in extremis. Car la politique extérieure de la France manque de principes et de lignes directrices claires, malgré votre talent, monsieur le ministre d'État ; cela est sans doute dû à l'alignement atlantiste voulu par le président de la République. En Afghanistan, notre politique manque de clarté ; le Parlement n'a aucun contrôle sur nos objectifs ni sur notre stratégie. Il aura fallu la mort de quatre soldats de plus pour que le président de la République évoque l'hypothèse d'un retrait anticipé de nos troupes -que seule la gauche jusque-là réclamait. Mais sa position est imprécise et ambigüe. Cette déclaration a néanmoins eu le mérite de provoquer une discussion avec les États-Unis. Il faut revoir la stratégie de l'Otan élaborée à Lisbonne en 2009. Le Gouvernement est-il prêt à engager ce débat avant le prochain sommet de Chicago ? Il faut exiger des États-Unis qu'ils clarifient leurs objectifs. Nous sommes dans une impasse. Remettons tout à plat, en réintégrant l'ONU dans la résolution de ce conflit. La France, membre permanent du Conseil de sécurité, doit prendre l'initiative d'une conférence régionale qui devrait définir les conditions d'une paix négociée et durable ; il faudrait y associer l'Iran et le Pakistan, bien sûr, mais aussi l'Inde, la Chine, la Russie, la Turquie -et les différentes composantes du peuple afghan.

Pour être efficace, la conférence devra être parrainée par les États-Unis et l'Europe.

L'actualité immédiate, c'est aussi la Syrie. Vous avez déployé tous vos efforts, monsieur le ministre, pour faire adopter une résolution condamnant le régime de Bachar al-Assad. La Chine et la Russie, par leur opposition, portent une lourde responsabilité dans la poursuite de la répression. Cela dit, ces deux puissances se souviennent que la résolution en Libye a été détournée de son but : nous étions passés de la protection de la population au renversement d'un régime. Que comptez-vous faire pour reprendre ce dossier après l'échec des négociations de samedi ?

Enfin, je considère personnellement, car ce n'est pas la position de tout mon groupe, que l'adoption de la loi sur le génocide arménien, pour des raisons purement politiciennes, fait obstacle à une résolution négociée de la crise avec l'Iran par la Turquie.

M. Jean-Michel Baylet.  - C'est vrai !

M. Didier Boulaud.  - Très bien !

M. Robert Hue.  - Il faut accompagner l'évolution démocratique du Maghreb après le Printemps arabe.

Enfin, un mot du nouveau traité « d'union budgétaire » : c'est une capitulation devant les exigences des marchés. Le moment venu, nous appellerons à voter contre ! (Applaudissements sur les bancs CRC et plusieurs bancs à gauche)

M. Jean-Michel Baylet.  - Le président syrien a choisi de ne pas écouter sa population. Pire, il a choisi la voie du crime contre l'humanité comme l'a dit le Conseil des droits de l'homme des Nations unies. Les massacres de Homs en sont une illustration tragique. La France, vous avez eu raison de le dire monsieur le ministre, ne doit pas baisser les bras après l'échec des négociations en raison des vetos russe et chinois. Il faut poursuivre les efforts et accentuer les pressions sur le régime syrien. Pus particulièrement, il faut appuyer le plan de la Ligue arabe. Les amendements de la Russie, qui visaient à désarmer les opposants qualifiés de bandes armées, étaient inacceptables. Cela étant, cette puissance a peut-être été échaudée par l'interprétation extensive de la résolution 1973 relative à la Libye qui a conduit à renverser Kadhafi.

Il y a urgence. La guerre civile gagne toute la Syrie tandis que l'Iran, en violation des règles internationales, continue d'y vendre des armes.

L'invitation en France de M. Bachar El-Assad, le 14 juillet 2008, comme celle de M. Mouammar Kadhafi, apparaissent comme de graves fautes politiques.

Puisse la Syrie bâtir bientôt un projet de liberté, de justice et de fraternité ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Josette Durrieu.  - Le nucléaire en Iran est un sujet grave, préoccupant. Aussi, monsieur le ministre, partageons-nous votre détermination à opposer la fermeté au régime du président Ahmadinejad. Celui-ci a le sentiment d'un encerclement, à juste titre. Il considère la dissuasion nucléaire comme une arme efficace. Parce qu'il faut être précis, rappelons que c'est le Shah qui avait lancé son développement. Au fait, quels sont les programmes illégaux en Iran ? Pourquoi fermer les yeux sur Israël et le Pakistan qui n'ont pas signé l'accord de non-prolifération ? Cette politique du « deux poids deux mesures » nuit à notre crédibilité.

M. Didier Boulaud.  - Très bien !

Mme Josette Durrieu.  - Le nucléaire civil est autorisé. Le président Obama était parfaitement au courant de l'accord avec l'Iran proposé le 17 mai 2010 à l'ONU par la Turquie et le Brésil aux fins d'enrichissement de 1 200 kilos d'uranium iranien enrichi à 3,5 %, et il était d'accord, mais Mme Clinton n'y croyait pas, d'où la résolution votée le lendemain. Revers et humiliation pour les uns et les autres. Quelle est la réalité de la menace ? Y a-t-il un programme nucléaire militaire ?

M. Alain Juppé, ministre d'État.  - Oui !

Mme Josette Durrieu.  - N'exagérons pas la menace. Ne créons pas une spirale anxiogène qui légitime, voire nourrit une exaspération incontrôlable. On mesure les conséquences de frappes militaires, de la guerre dans la région. Quel est le fond de vos propositions, monsieur le ministre ?

Les sanctions économiques, nous le savons, produisent des résultats inégaux. C'est d'abord la population qui en pâtit. Le meilleur exemple en est la Syrie, sous embargo depuis 1978.

Les négociations sont-elles encore possibles ?

Quoi qu'il en soit, le peuple iranien est bientôt appelé aux urnes pour voter...

M. Alain Juppé, ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes.  - Librement ?

Mme Josette Durrieu.  - ... et prendre sa revanche sur les élections confisquées de 2009... J'espère, comme tous ici, qu'il élira un autre gouvernement.

M. Robert del Picchia.  - Les deux millions de Français à l'étranger sont particulièrement attentifs à la politique étrangère de la France. Le fondateur de la Ve République la définissait comme l'expression normale de la Nation sur la scène internationale. Indépendance nationale, souveraineté des États, liberté des peuples en étaient les principes

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères.  - Et refus de l'Otan !

M. Alain Juppé, ministre d'État.  - C'était dans un autre contexte...

M. Robert del Picchia.  - L'actualité est au dossier syrien. Quand l'ONU est paralysée, elle délègue aux acteurs régionaux. Comment faire avancer ce dossier ?

Aujourd'hui, c'est grâce à l'Europe que la France conserve son indépendance. Le couple franco-allemand a réussi à mettre à distance la finance, puisqu'il faut bien l'appeler par son nom. Le nouveau traité à 25 est à mettre à son crédit. Une Europe forte s'impose.

La mondialisation oblige notre pays à trouver un nouvel équilibre entre le Conseil de sécurité de l'ONU, l'Europe et les pays émergents. L'accord de coopération militaire avec la Grande-Bretagne ou l'Union pour la Méditerranée sont des exemples des coopérations renforcées dont nous avons tant besoin. Le général de Gaulle avait imaginé l'Europe des nations contre la guerre. L'Union pour la Méditerranée doit être aujourd'hui considérée de la même façon ! (Applaudissements à droite)

M. Aymeri de Montesquiou.  - Notre intervention en Afghanistan s'expliquait d'abord par notre solidarité avec l'Amérique touchée en plein coeur. Après onze ans de présence, nos troupes sont considérées par la population comme une force d'occupation, après les Anglais et les Russes. C'est un échec. J'ai souligné, à longueur de débats, que nous avions aussi pour mission d'électrifier les villages et d'y bâtir des écoles. Et maintenant, que faire ? Un retrait serait une victoire pour l'islam fondamentaliste. Pour bien comprendre l'Afghanistan, le commandant Massoud me le disait, il faut tenir compte du monde indo-persan et de la Russie, de la volonté de l'Iran de ne pas avoir une citadelle salafiste à ses frontières et de la politique de défiance de l'Inde envers le Pakistan. Pour apaiser ces inquiétudes, il faut renforcer les coopérations. L'Ouzbékistan, mis sous embargo il y a six ans, a des contrats avec des entreprises françaises en souffrance. Parlez-en lors de la prochaine réunion avec les responsables ouzbeks.

Nous étions allés en Afghanistan pour défendre les droits de l'homme ; nous allons en partir et les femmes afghanes retrouveront l'esclavage, les petites filles craindront d'être vitriolées en allant à l'école et l'on n'entendra plus de musique dans les montagnes.

M. Didier Boulaud.  - Nous fêtons un anniversaire : le 27 février 2011, c'en était fini de la diplomatie du bling-bling et du blabla. Notre politique extérieure n'est pas exempte de reproches puisque le premier donneur d'ordres n'a pas changé. Certains prétendus philosophes, diplomates d'un soir, ont brouillé le travail de nos diplomates et on les entend moins aujourd'hui sur la Syrie que sur la Lybie. Mais depuis votre retour aux affaires, monsieur le ministre, cela va mieux. Cela dit, vous aussi avez changé. Auparavant, vous parliez de marché de dupes à propos du retour de la France dans le commandement intégré de l'Otan...

M. Alain Juppé, ministre d'État.  - C'est une interrogation !

M. Didier Boulaud.  - ... vous vous interrogiez sur le bouclier antimissile américain et vous dénonciez le bourbier afghan. Je vous donne pourtant quitus de cette première année. Je vous poserai donc quelques questions.

La prévision est un art difficile, surtout quand il s'agit de l'avenir, disait Pierre Dac. (Sourires) Nous n'avons pas vu venir le printemps arabe. Ferons-nous mieux dans le Sahel et en Afghanistan ? La révolte touareg fait suite au non-respect des accords d'Alger de 2006. Difficile d'y revenir quand le Mali est en période électorale et que la Libye est en proie au désordre. Il faut séparer le bon grain de l'ivraie : la rébellion touareg ne se réduit pas au problème terroriste. Le tout militaire ne suffit pas.

Quant au retrait d'Afghanistan, il ne doit pas être précipité pour stabiliser le pays et protéger nos forces. Vous avez, monsieur le ministre, défini des priorités pour notre politique afghane. Qu'en est-il des négociations avec les Talibans ? La France y participe-t-elle ? Il n'y aura pas de solution afghane sans l'Inde et le Pakistan. Ces deux États sont-ils partie prenante de la discussion ? Quel est le calendrier du retrait que présentera le gouvernement français lors du sommet de Chicago en mars ? Je n'imagine pas que la France ne se soit pas entendue avec l'Allemagne... (Exclamations amusées à gauche) Nous devons des réponses à nos soldats dont je salue le courage et le professionnalisme.

J'approuve les propos de Mme Durrieu sur l'Iran. Quelle sera la position du Gouvernement si l'irrémédiable se produit avant le 6 mai ?

Enfin, les Balkans : la Constitution issue des accords de Dayton est, disait notre ancien collègue Badinter, un mouton à cinq pattes. Le risque de partition de la Bosnie par scission de la Republika Srpska. Ne faut-il pas entamer les négociations d'entrée de la Macédoine dans l'Union européenne, candidate reconnue depuis 2005 ? A-t-on tant attendu parce que son voisin hellène craint les risques d'irrédentisme de son petit voisin ? Enfin les rapports entre la Serbie et le Kosovo resteront-ils encore longtemps l'otage des échéances électorales en Serbie, avec des incidents frontaliers à la clé ?(Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Depuis la chute de Mouammar Kadhafi, la situation est passablement chaotique en Lybie : arrestations arbitraires, tortures, traitements racistes des travailleurs africains, développement des féodalités locales avec distribution d'armes dans la bande sahélienne, restauration de la polygamie et, enfin, adoption de la charia comme source principale du droit. Monsieur le ministre, était-ce là le résultat recherché ?

M. Alain Juppé, ministre d'État.  - Vouliez-vous garder Kadhafi ?

M. Jean-Pierre Chevènement.  - L'intervention en Libye est un moyen, non une fin, disiez-vous à la tribune du Sénat. L'ONU devra prendre le relais. Il eût été sage d'en rester là. Hélas, vous avez fait une interprétation extensive de la résolution 1973 : le principe de la responsabilité de protéger s'est transformé en un Regime change, contraire au principe de non -ngérence de l'ONU, reconnu par votre prédécesseur M. Kouchner lui-même.... Résultat, Russie et Chine refusent désormais la résolution condamnant la Syrie...

La France est à l'avant-garde des condamnations de l'Iran. La Chine occupera bientôt la place, laissée vide par les Occidentaux dans le monde persan. Et la désoccidentalisation du monde de se poursuivre.

Quant à la Turquie, était-il utile de se la mettre à dos par une loi sur le génocide arménien ?

M. Alain Juppé, ministre d'État.  - Je n'en suis pas responsable !

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Cet interventionnisme expéditif est plus proche de la vision des faucons américains que de la politique étrangère de la France, que vous disiez vôtre et qui l'est peut-être encore, en dépit des apparences. (Applaudissements sur les bancs RDSE)

Mme Catherine Tasca.  - Comme M. Cambon, mais avec moins de confiance, j'évoquerai la politique africaine de la France. Un continent jeune et en pleine expansion démographique dont la croissance de 5 % ne repose plus uniquement sur l'exploitation des matières premières. En revanche, la démocratie y progresse peu.

L'Élysée pose un regard paternaliste sur ce continent si divers. Comment le changer ? Une phrase du discours de Dakar pourrait bien nous revenir en boomerang : « Jamais l'homme africain ne s'élance vers l'avenir. Jamais il ne lui vient l'idée de sortir de la répétition pour s'inventer un destin ». La politique africaine de la France ne sort pas de la répétition. Ultra-présidentialisation, conseillers occultes, tout cela continue, malgré les déclarations de M. Sarkozy en début de mandat. Deux exemples l'illustrent : le Sénégal et la Côte-d'Ivoire.

M. Alain Juppé, ministre d'État.  - Mauvais exemples !

Mme Catherine Tasca.  - La France, qui a tant manqué de discernement lors des révolutions arabes, paraît une nouvelle fois en décalage s'agissant des troubles qui secouent le Sénégal depuis la validation de la nouvelle candidature d'Abdoulaye Wade. Heureusement, monsieur le ministre, vous avez critiqué la situation à Dakar...

M. Alain Juppé, ministre d'État.  - ... au nom du Gouvernement !

Mme Catherine Tasca.  - La France ne doit pas continuer à privilégier ses relations avec des régimes usés et sourds à la demande de démocratie. Elle n'arrive pas à porter un regard neuf sur ses anciennes colonies.

Autre théâtre des complaisances françaises en Afrique, la Côte-d'Ivoire. Si la France a contribué à régler une situation proche de la guerre civile, elle devrait en profiter pour rénover en profondeur ses relations avec ce pays. Au lieu de quoi, la visite d'État du président Ouattara, l'octroi rapide d'un prêt exceptionnel de l'Agence française de développement et la signature d'un accord de défense comme premier acte de la nouvelle relation franco-ivoirienne illustrent la poursuite de pratiques anciennes.

M. Alain Juppé, ministre d'État.  - Faux !

Mme Catherine Tasca.  - Qu'en est-il de la politique de Lionel Jospin, qui voulait réduire la présence militaire de la France dans ses anciennes colonies et transférer cette responsabilité à l'Union européenne et à l'Onu ?

Nous nous inquiétons aussi de notre politique de développement. Les moyens affectés se réduisent et nous sommes loin des 0,7 % promis. La politique de co-développement n'est pensée que sous l'angle de la lutte contre l'immigration. La récente offensive de M. Guéant pour renvoyer au plus vite les étudiants étrangers va contre les intérêts de nos universités, de nos entreprises, des pays d'origine.

Quel partenariat comptez-vous offrir aux sociétés africaines que notre histoire commune et, pour certains, notre langue partagée autorisent à attendre mieux de la France ? (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Alain Juppé, ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes.  - Je salue l'initiative de M. Carrère. Merci de me donner l'occasion de faire un point sur nos grandes priorités. Le monde est entré depuis des mois dans une phase de mutation accélérée. Notre première priorité demeure le sauvetage de la zone euro et la consolidation de l'Union européenne. Nous sommes passés près du naufrage. Celui-ci a été évité grâce à la volonté, au courage, à l'entente avec les Allemands. Nous ne sommes pas encore tirés d'affaire mais nous sommes sur la bonne voie. La crise est peut-être la chance d'aller plus loin dans l'intégration. Ce n'est qu'ensemble que nous pourrons peser sur le monde.

Le 30 janvier, le Conseil européen a marqué un grand pas en avant qui s'est conclu par deux traités intergouvernementaux. D'abord celui sur le mécanisme de stabilité, qui sera soumis à ratification parlementaire avant la fin de ce mois. Il pose les bases d'un fonds européen doté de 500 milliards. Les décisions ne se prendront plus à l'unanimité mais à une majorité qualifiée de 85 %. Nous avons donc réussi à convaincre l'Allemagne.

Ensuite, le traité à 25 sur la gouvernance. Il a été négocié en deux mois et permet une véritable intégration économique, avec un véritable gouvernement économique de la zone euro, qui facilitera les prises de décision ; des règles de responsabilité budgétaire, avec la règle d'or et des sanctions ; une vraie politique de soutien à la croissance. Ce traité respecte la souveraineté budgétaire et le principe de subsidiarité. Il renforce aussi le contrôle démocratique, avec une conférence des présidents des commissions des finances des parlements nationaux et européens. Il n'y a eu de diktat de personne mais des compromis.

Certes, la situation de la Grèce n'est pas stabilisée. Tout devra être fait pour stimuler la croissance.

Il ne faudrait pas tout remettre en cause. Malgré la difficulté de la tâche, les opinions publiques européennes se sont rendu compte que seule l'Union européenne pouvait renforcer notre stabilité.

Pendant des années, au nom de la stabilité et de la lutte contre l'islamisme djihadiste, nous avons soutenu des gouvernements qui ne respectaient pas les droits de l'homme. Le printemps arabe a balayé ces politiques. Nous avons tous été surpris par l'ampleur du phénomène. En septembre 2010, le président Obama recevait encore le président Moubarak avec tous les honneurs. Le printemps nous a renvoyés à notre propre histoire : le chemin vers la démocratie est long et exigeant, à chacun d'y avancer à son propre rythme. Au nom de quoi refuserions-nous à ces peuples le droit d'exprimer leurs choix ?

Avec l'Union pour la Méditerranée et le partenariat de Deauville, près de 60 à 80 milliards vont être mobilisés pour les pays du monde arabe dont 4 milliards ont déjà été décaissés. La montée de l'islamisme radical est réelle, mais nous faisons le pari de la confiance. Nous nous engageons aux côtés des peuples qui se sont battus contre la tyrannie. Je ne regrette rien de ce que nous avons fait en Libye. Nous avons respecté l'esprit de la lettre de la résolution 1973 du Conseil de sécurité. C'est faire une mauvaise querelle que de prétendre le contraire. La peinture que M. Chevènement, que j'écoute toujours avec respect, a faite de la situation en Libye est une caricature. Fallait-il laisser M. Kadhafi réprimer sa population ? Il a refusé tous les compromis que nous lui avons proposés sans relâche. J'ai récemment été en Libye : certes, il y a des troubles, des fractures, mais les autorités libyennes veulent respecter la feuille de route qu'elles se sont fixée. Le chef du gouvernement se réclame d'un islam modéré. La charia ? Elle est à l'oeuvre dans énormément de pays arabes avec lesquels nous avons des relations suivies.

S'agissant de la Syrie, on ne peut renvoyer dos à dos le gouvernement en place et ceux que les Russes qualifient de terroristes ! D'un côté, il y a un régime qui se livre à une répression sauvage qui a tué 6 000 personnes dont 400 enfants, qui pratique la torture, qui enferme dans des oubliettes 15 000 prisonniers politiques. De l'autre, une population qui se bat à main nue avec des milices qui s'organisent et s'arment, il est vrai, pour protéger les populations. J'ai voulu convaincre, à New York, qu'il fallait mettre un terme au silence scandaleux du Conseil de sécurité. J'entretiens des contacts réguliers avec l'opposition pacifique et je salue les travaux du CNS. Nous avons tout fait pour obtenir une résolution et nous étions parvenus à un texte de compromis excluant toute option militaire. Ce n'était qu'une condamnation morale et un soutien à la Ligue arabe. Même à cela la Chine et la Russie ont opposé leur veto -contre les treize autres membres du Conseil de sécurité, dont l'Afrique du sud. Elles ont pris ce faisant une lourde responsabilité devant l'histoire. Nous ne baissons pas les bras, nous ne relâchons pas la pression sur le président syrien. Les jours de son régime sont comptés.

Au Proche-Orient, il n'y a pas d'alternative à la logique du deux États. Nous soutenons les efforts du quartette, même si nous sommes sceptiques. Nous avons demandé à Israël de libérer les prisonniers palestiniens. L'intensification de la colonisation ne saurait faciliter la recherche d'une solution globale.

Non, madame Durrieu, on ne peut parler de deux poids deux mesures à propos de l'Iran. Ce pays a signé le traité de non-prolifération ; il n'y était pas contraint : l'Inde et Israël ne l'ont pas signé. En ne respectant pas le traité signé, l'Iran viole la légalité internationale, et c'est pour menacer d'extermination un autre État de la région !

Je n'ai aucun doute sur la volonté de l'Iran de se doter de l'arme atomique. Ce pays doit s'asseoir à la table des négociations, ce qu'il continue de refuser. Pour éviter une option militaire dont les conséquences seraient irréparables, nous avons choisi d'aller beaucoup plus loin dans les sanctions. Le président de la République a proposé à nos partenaires européens d'adopter ces mesures. Les envoyés américains ont voté ces sanctions et les Européens se sont mis d'accord. Certes, les sanctions sont douloureuses pour le peuple iranien, mais elles sont nécessaires. Enfin, ce régime est répressif. Quid des élections dans ces circonstances ?

J'en viens à l'Afghanistan. C'est avec émotion que nous avons appris la mort de quatre de nos soldats qui n'étaient pas en opération militaire. Le président de la République et le Gouvernement ont tiré les conséquences de cet assassinat perpétré sous uniforme afghan par un taliban infiltré. Nous avons obtenu du président Karzaï un engagement précis sur les conditions de recrutement des soldats. Notre retrait a déjà commencé et d'ici la fin de l'année, 1 000 soldats supplémentaires seront rentrés. L'ensemble de la région de la Kapisa sera aux mains des forces afghanes. Ce retrait est en parfaite cohérence avec nos annonces précédentes. L'Alliance atlantique a également été mobilisée pour se pencher sur les mesures de sécurité. Notre stratégie de transition repose sur la reconstruction du pays, avec des routes, des écoles, des infrastructures. Nous poursuivons notre action de formation des forces afghanes. Nous recherchons une solution politique avec les forces afghanes, notamment avec les talibans. La France a suggéré une dynamique régionale pour un système de sécurité collective. L'idée a été reprise à la conférence d'Istanbul du 25 novembre et inscrite à l'ordre du jour international. Nous voulons offrir aux Afghans un avenir et éviter le retour des menaces. Cette mission assignée à nos soldats est conforme aussi à nos intérêts et partir avec précipitation serait déshonorant pour l'armée française.

M. Carrère m'a interrogé sur l'Asie. Il s'agit d'une zone de tensions, avec quatre pays nucléaires qui ont des conflits frontaliers. L'Asie est le moteur de la croissance mondiale et elle joue un rôle politique mondial croissant. Elle est incontournable sur tous les dossiers internationaux. La France a conclu des partenariats stratégiques.

Loin par la géographie, l'Australie est par beaucoup d'aspects proche de nous. Je m'y suis rendu récemment ; c'était notre première visite depuis celle de Claude Cheysson. Quand j'étais Premier ministre, les Australiens voulaient nous exclure de la zone ; l'état d'esprit a bien changé : ils y souhaitent désormais notre présence. Nous faisons de même avec l'Indonésie.

Sur le plan politique, nous encourageons la démocratisation en Chine et en Birmanie où j'ai vécu des moments très forts. Le régime venait de libérer 650 prisonniers politiques. Mme Aung San Suu Kyi m'a dit être convaincue de la bonne volonté du nouveau régime.

J'en termine avec l'Afrique. J'ai été déçu de l'intervention de Mme Tasca qui en est encore au XXe siècle.

Mme Catherine Tasca.  - Pourquoi pas au XIXe ? Lisez ce qui est dit de M. Balkany dans Le Parisien aujourd'hui !

M. Alain Juppé, ministre d'État.  - L'Afrique sera le continent du XXIe siècle. C'est est un partenaire avec lequel nous entretenons des relations décomplexées. En Côte-d'Ivoire, notre politique n'a aucun rapport avec celle menée auparavant. L'accord que nous avons signé avec ce pays est public, ne comporte aucune clause secrète et porte sur la formation des forces de maintien de l'ordre. Je comprends la nostalgie de certains à l'égard du président Gbagbo mais nous faisons confiance au président Ouattara, qui travaille à la réconciliation nationale. (Applaudissements à droite)

Au Sénégal, nous n'avons pas de candidat ! Nous voulons que le peuple s'exprime et le renouvellement des générations doit avoir lieu. Je ne suis pas sûr que mon discours ait été apprécié comme un soutien sans nuance au président Wade et, par ma bouche, c'était le gouvernement français qui parlait.

L'horizon de notre politique africaine s'étend à tous le continent, à preuve la visite du président Zulma et mes voyages en Ethiopie, au Nigeria.

Au Mali, la rébellion touareg a remporté d'importants succès militaires. La question doit être traitée au fond, ce qui impose de respecter les accords de Bamako.

J'aurais pu parler aussi des Balkans ; je me contenterai de dire notre souhait que la Serbie ait bientôt le statut de candidat à l'Union européenne.

On a beaucoup glosé sur la tribune que j'ai signée avec M. Védrine. Je me suis efforcé de modifier la trajectoire. Si le Quai fait si bien avec si peu, c'est que notre outil diplomatique et très compétitif, très professionnel, de grande qualité. Nos diplomates ne se contentent pas de prendre le thé à 5 heures, ils sont très engagés. J'ai été heureux d'entendre dire que la voix de la France était attendue et entendue. (Applaudissements à droite)

La séance suspendue à 17 h 10, reprend à 17 h 15.