Programmation et gouvernance des finances publiques (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen du projet de loi organique, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la programmation et à la gouvernance des finances publiques.

Discussion générale

M. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances .  - Je vous prie d'excuser mon retard ; j'étais, il y a encore quelques minutes, à l'OCDE avec le président de la République. Cela dit, cela n'excuse rien, surtout quand il s'agit d'un texte aussi important qui participe de la refondation des finances publiques, que nous avons engagée cet automne. Donner de la crédibilité à nos engagements, sans nuire en quoi que ce soit à la souveraineté du Parlement, tel est l'objet de ce texte qui modernise nos outils de pilotage des finances publiques, indépendamment de la ratification du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG).

Un mot du contexte. Après l'autorisation de la ratification du TSCG, le Parlement doit traduire en droit interne son article 3 et la mise en oeuvre du « six pack » et du « two-pack ». Au niveau communautaire, il y a une dynamique nouvelle, progressiste. Avec le mécanisme de solidarité et le fonds de secours aux pays en difficulté, le projet d'une union bancaire dessiné les 18 et 19 octobre derniers, avec un champ de supervision étendu comme le souhaitait la France, la mise en oeuvre du plan de relance progresse.

Ce texte, sur lequel le Gouvernement se dit volontiers ouvert à vos suggestions, constitue une boîte à outils commune, partagée par l'État, les collectivités locales et la sécurité sociale. Les innovations sont exclusivement -j'insiste sur ce mot- procédurales. Au reste, la Constitution l'y oblige : c'est le but d'une loi organique.

L'équilibre budgétaire n'est pas un absolu. Ce projet de loi n'impose aucun surajustement automatique en période de croissance faible, les modalités de réajustement seront, sur proposition du Gouvernement, discutées par le Parlement.

Premièrement, ce texte rénove l'élaboration des lois financières en retenant la notion de solde structurel. Pour faire court, il s'agit du solde corrigé des aléas économiques. Les lois financières définiront désormais un objectif de moyen terme (OMT). M. Cahuzac a rappelé son importance pour toutes les administrations publiques. Cette approche est absolument nécessaire. La trajectoire sera fixée dans la loi de programmation, pour au moins trois ans. L'Assemblée nationale a voulu y ajouter la trajectoire de l'effort structurel, soit la somme des mesures nouvelles et l'effort de dépense, dans le corps de la loi et non en annexe.

Cela rendra les choses plus lisibles, en faisant ressortir davantage la « composante discrétionnaire » de nos finances publiques. Les députés ont également insisté sur la notion de sincérité alors que votre commission des finances y a renoncé, faisant peut-être confiance au Gouvernement de la respecter déjà dans l'élaboration de la loi de finances, estimant surtout que cette exigence figure dans la jurisprudence constitutionnelle. Ils ont aussi renforcé la loi de règlement en y intégrant un tableau de synthèse. Résultat, vous pourrez constater l'écart entre la prévision et la réalisation et le Gouvernement devra s'en expliquer dès la loi de règlement.

Deuxième objet du texte, la création d'un Haut conseil des finances publiques (HCFP) qui vérifiera la solidité des prévisions qui fondent la loi de finances et évaluera ex ante le respect de la trajectoire. Ses avis ne s'imposeront pas au Gouvernement, ni au Parlement. Cela dit, il serait très difficile de s'en affranchir. Le Haut conseil ne pourra faire d'injonction à l'exécutif et au législatif pour ne pas empiéter sur leurs prérogatives. M. Cahuzac, je l'espère, vous a convaincu en commission. Le contenu des avis du Haut conseil est effectivement à préciser ; vos propositions sont les bienvenues à l'article 15.

À l'origine, le Gouvernement proposait que ce Haut conseil soit composé de quatre magistrats de la Cour des comptes et de quatre personnalités nommées par le Parlement, et présidé par le Premier président de la Cour des comptes. Cette composition a fait l'objet de longs débats à l'Assemblée nationale, qui a suggéré de l'élargir. Le directeur général de l'Insee, certes, est nommé en conseil des ministres mais l'indépendance de cette administration est reconnue. Voilà pourquoi nous nous sommes ralliés à cette proposition. Les députés voulaient également un membre supplémentaire nommé par le président du Cese. Là non plus, nous n'avons pas refusé cette proposition ni celle d'exclure explicitement la nomination d'élus par les présidents des chambres. L'important est de garantir l'indépendance du Haut conseil ; pour le reste, nous nous en remettons à la sagesse du Parlement.

Troisième objectif, le mécanisme dit de correction. Si l'écart se creuse entre prévision et réalisation, un mécanisme d'alerte se déclenchera : le Gouvernement devra s'expliquer. En revanche, le texte ne dit pas qu'une correction devra immédiatement s'ensuivre. En aucun cas, ce n'est un carcan. Je le répète : cette loi est de procédure, non de substance ni de contenu. Seul le législateur financier définira les voies et moyens de cette correction. Ces prérogatives ne sont en rien altérées.

Mme Éliane Assassi.  - Ce n'est pas vrai !

M. Pierre Moscovici, ministre.  - Le Conseil constitutionnel, en août 2012, en a jugé ainsi : sa décision s'impose à tous. Non, ce texte n'inscrit pas dans notre loi une règle d'or.

J'ai conscience de la complexité de la procédure budgétaire dans son articulation avec le calendrier européen et de l'attachement du Parlement à la maîtrise de l'exercice budgétaire. La création d'une conférence interparlementaire, aussi, est un apport de ce texte et constitue un progrès démocratique. Sans compter que l'Assemblée nationale a prévu la possibilité de se saisir de sujets européens au nom de la coordination budgétaire.

Ce texte, qui n'est pas le plus spectaculaire de la session, est décisif pour notre avenir car il est structurant. Alliant souplesse et robustesse, il constitue une étape dans le redressement des comptes publics. J'espère donc votre large soutien ! (Applaudissements sur les bancs socialistes et de la commission des finances)

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances .  - Depuis une dizaine d'années, les réformes de notre gouvernance publique se sont multipliées : Lolf en 2001, Lolfss en 2005, inscription du respect de l'équilibre dans la Constitution en 2008 et lois de programmation, au niveau national, enfin pacte de stabilité et sa récente réforme et TSCG. Ce mouvement s'explique par la crise de la zone euro. Sans elle, nous n'aurions pas transposé, avec un an d'avance, la règle européenne par ce projet de loi organique.

Cela dit, dès la Lolf de 2001, nous avions imaginé une programmation pour articuler nos engagements, nationaux et européens, et un débat d'orientation sur les finances publiques.

Ce texte institue une règle d'équilibre pour toutes les administrations publiques, inscrite dans la Constitution dès 2008, et un article liminaire présentant un tableau de synthèse de la situation des finances publiques dans la loi de finances initiale.

Le TSCG peut s'interpréter de deux façons : soit il démontre comment certains États présents ont court-circuité Bruxelles en préconisant l'intergouvernementalisme, soit il s'agit de « nationaliser » des règles qui auraient, sinon, été pilotées par la Commission. On renforce donc la légitimité de la règle, en la rapprochant des citoyens. Les deux interprétations ont sans doute du vrai. Quoi qu'il en soit, nous sommes saisis de ce projet de loi organique -et non d'un projet de loi constitutionnel.

Pourquoi ne fallait-il pas réviser la Constitution ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - On finit quand même par le faire !

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances.  - Le Conseil constitutionnel estime que ce n'était pas nécessaire et que la contrainte est suffisante.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - C'est vous qui le dites.

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances.  - Le Conseil constitutionnel estime néanmoins que les règles doivent être permanentes, c'est pourquoi la loi organique définit précisément le contenu des lois de programmation et de leurs rapports annexés. Il y a donc une grande continuité entre les lois de programmation et ce dispositif ; l'acquis de 2008 est préservé.

Je salue le rôle constructif de l'opposition, à commencer par les deux présidents des commissions des finances, qui se sont investis sans a priori dans cette discussion. J'en sais tout particulièrement gré au président Marini.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances.  - Merci, monsieur le rapporteur général.

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances.  - Notre première obligation est de définir un objectif de moyen terme et la trajectoire permettant d'y parvenir. Il faut d'autre part prévoir un mécanisme de correction automatique pour revenir dans les clous en cas de déviation par rapport à la trajectoire, de laquelle on ne pourra s'écarter plus de trois ans de suite. Enfin, le contrôle de ces règles devra être confié à une commission indépendante. A ces obligations, nous avons une contrainte : la Cour de justice de l'Union européenne pourra être saisie si nous ne transposons pas bien le TSCG.

Le groupe CRC s'oppose à l'objectif à moyen terme ; nous en débattrons.

Nous approuvons la création d'un Haut conseil des finances publiques. Nous ne modifions pas sa composition ; après le passage à l'Assemblée nationale, la Cour des comptes y perd sa majorité d'une voix. Le Haut conseil constatera au printemps si la trajectoire déterminée pour l'année précédente aura été respectée. Si tel n'est pas le cas, les corrections automatiques seront lancées.

Ce Haut conseil ne sera pas une deuxième Cour des comptes, un deuxième Conseil économique, social et environnemental ou un deuxième Conseil des prélèvements obligatoires, ce sera un organisme technique chargé de répondre à des questions précises. Ses avis ne pourront être écartés sans de très bonnes raisons. Il ne doit pas être marginalisé pour avoir pris des positions contraires à celles du Gouvernement. Inversement, la liberté de jugement du Gouvernement et du Parlement ne doit pas lui être déléguée. En matière de prévisions économiques, il n'est pas de vérité absolue. Il revient aux autorités politiques, notamment au Parlement, de faire la synthèse des avis et de prendre ses responsabilités en votant la loi.

La commission des finances a modifié le texte de l'Assemblée nationale pour affiner le positionnement institutionnel du Haut conseil : l'indépendance d'un organisme n'en garantit pas la compétence. Le texte peut encore évoluer, des amendements ont été déposés. La notion de solde structurel est floue, moins à cause de son mode de calcul -sur lequel on peut s'accorder- que du fait de la difficulté à analyser celle de PIB potentiel.

La commission des finances est arrivée à trois conclusions.

La trajectoire du PIB potentiel doit être définie de manière contradictoire, avec obligation faite au Gouvernement de justifier ses hypothèses et publicité donnée à l'avis du Haut conseil. Les hypothèses devront être consensuelles afin que les prévisions en recettes et en dépenses ne soient pas remises en cause chaque année. Enfin, le respect de la trajectoire doit être jugé à l'aune de la trajectoire elle-même, sans que l'on modifie les critères retenus.

Ne nous enfermons pas dans ce débat technique, privilégions le débat politique. Nous ne définissons pas la trajectoire par plaisir intellectuel mais pour améliorer nos comptes. Il faudra donc prendre des mesures pour améliorer les recettes et réduire les dépenses. Comment l'effort sera-t-il réparti dans le temps ? Sur quelles administrations faire porter l'effort ? Quel partage des efforts entre recettes et dépenses ? Voilà les vrais débats politiques que nous devons avoir. Le Gouvernement devra être jugé sur sa capacité à suivre la trajectoire ainsi définie.

Votre commission des finances vous propose donc d'adopter ce projet de loi organique. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales, rapporteur pour avis.   - Le Parlement a autorisé la ratification du TSCG le 11 octobre 2012. Le Gouvernement a choisi un projet de loi organique pour le transposer, comme l'a permis le Conseil constitutionnel. La commission des affaires sociales a voté ce projet de loi organique mais elle s'interroge sur sa portée pour le projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Ce projet de loi organique apporte-t-il de nouvelles garanties ? Oui, assurément. En avions-nous besoin ? L'annexe B de la loi de financement nous est soumis chaque année et concerne les projections de retour à l'équilibre pour les années ultérieures. En pratique, le retour à l'équilibre a glissé d'année en année.

Étions-nous suffisamment éclairés ? Non, d'où l'intérêt de la création du Haut conseil. Votre commission des affaires sociales a présenté des amendements afin d'examiner un objectif pluriannuel des dépenses des branches famille et vieillesse. Elle n'oublie pas qu'une grande part des dépenses afférentes aux administrations de sécurité sociale sont hors champ du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances.  - Très bien !

M. Yves Daudigny, rapporteur pour avis.  - Les membres du Haut conseil devront être compétents en matière de dépenses sociales. Or, en l'état actuel de texte, rien n'indique que tel sera le cas. Les commissions des affaires sociales de l'Assemblée nationale et du Sénat ne disposeraient d'aucun pouvoir de nomination alors que les administrations de sécurité sociale représentent 46,5 % des dépenses publiques et 54,4 % des prélèvements obligatoires ? Nos commissions doivent être associées à la désignation des membres du Haut conseil.

S'agissant du processus budgétaire annuel, ce projet de loi organique ne modifie qu'à la marge la loi de finances initiale et le projet de loi de financement de la sécurité sociale. L'architecture budgétaire ne devrait donc pas être bouleversée. Le projet de loi de finances est toujours le texte annuel qui retrace les ressources et les charges de l'État, tandis que le PLFSS s'applique à la sécurité sociale. L'un n'a pas de portée juridique sur l'autre. Or nous constatons certains glissements qui risquent de mener à l'atrophie des PLFSS.

L'article 6 prévoit de vérifier que les objectifs du Gouvernement sont respectés : la loi de finances initiale présentera un tableau de synthèse des comptes de l'État et de la sécurité sociale. On tend ainsi à faire de la loi de finances initiale un texte de finances consolidé, en oubliant le PLFSS, qui ne contient pas un tel tableau. Je proposerai de l'inclure par amendement afin que notre commission puisse se saisir des questions sociales. Même remarque pour les articles liminaires des projets de loi rectificatifs. Le Parlement devrait être informé sur leurs équilibres financiers et sociaux.

Enfin, le HCFP vérifiera la bonne trajectoire lors de la présentation des lois de règlement. Quid des comptes de la sécurité sociale ? Il existe un projet de règlement pour ces derniers, à l'automne. Il conviendra donc d'avoir ce débat spécifique.

Dès lors qu'il n'y a pas de texte unique retraçant les comptes de l'État et de la sécurité sociale, nous devons assumer cette distinction. Il y aura un texte financier pour les administrations centrales, un texte pour les administrations de la sécurité sociale et, pourquoi pas, un texte pour les collectivités territoriales.

Laissons donc aux commissions des affaires sociales le soin de se prononcer. Sous réserve de l'adoption de ses dix amendements, la commission des affaires sociales vous propose l'adoption de ce projet de loi organique. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Philippe Marini, président de la commission des finances .  - Ce projet de loi organique résulte de l'article 3 du TSCG. Il est l'aboutissement d'un processus quatriennal engagé par la précédente majorité. En 2008, la Constitution a été révisée, puis le groupe Camdessus a été constitué, à la demande du président Sarkozy. Le projet de loi de révision constitutionnelle de 2011 a repris ces notions ; enfin, le TSCG a été ratifié, sans modification.

Comme l'a dit M. le rapporteur général, nous avons eu des débats constructifs au sein de notre commission des finances. Je veux remercier M. Marc pour sa présentation claire, méthodique et conceptuelle.

Il est vital, pour le Parlement, qu'un consensus se dégage de cette charte des finances publiques, qui est le pendant de la Lolf de 2001. Ce texte est structurant : ce sera notre outil de travail commun.

La notion de solde structurel est centrale ; jusqu'à l'an passé, on s'était concentré sur celle d'effort structurel. Cette notion n'a pas été inventée et imposée par l'Allemagne, elle est née en Grande-Bretagne en 1997, à l'arrivée au pouvoir de Tony Blair. La règle d'or devait être appliquée sur un cycle économique. En période creuse, jeu des stabilisateurs économiques ; en période favorable, obligation de dégager des marges de manoeuvres. Les Britanniques en ont fait l'expérience...

M. Éric Bocquet.  - Amère !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances.  - Elle s'est heurtée à la complexité de la notion de cycle économique : on ne sait quand un cycle s'enclenche et quand il se termine. Après bien des controverses, les Britanniques ont abandonné cette règle en 2002. Les Allemands ont pris le relais en se fondant sur leur expérience ancienne. Dans les années 1960, le déficit public ne devait pas dépasser le montant des investissements bruts, mais cette règle ne s'est pas appliquée en bas de cycle et s'est révélée peu rigoureuse en haut de cycle, si bien que l'endettement de l'Allemagne s'est très fortement accru, passant de 17 points de PIB en 1970 à 68 points en 2006.

Le solde public structurel se définit comme ce que serait le solde public si le PIB était égal à son niveau potentiel, en supposant les recettes stables en points de PIB. Il se calcule donc mécaniquement à partir de l'estimation de l'écart de production, c'est-à-dire de l'écart du PIB par rapport à son potentiel. Dès lors que l'on s'appuie sur la notion de solde structurel, les enjeux de crédibilité se portent donc sur la définition de ce PIB potentiel.

Le rapporteur général a raison de souligner les deux difficultés que l'on rencontre : les écarts d'évaluation du solde structurel entre les résultats obtenus par les différentes institutions et le fait qu'une même institution puisse faire varier dans le temps son estimation au titre d'une année donnée, en fonction de l'analyse qu'elle fait du PIB potentiel. Les méthodologies devront être harmonisées. Nous ne pouvons définir de façon autonome notre solde structurel. Nous restons sous la surveillance de la Cour de Luxembourg, qui sera compétente pour juger de la mise en oeuvre de l'article 3 du TSCG.

Le recours à un thermomètre commun incontestable est une nécessité afin que le débat politique ne se concentre pas sur les supposées manipulations du Gouvernement. Le HCFP ne doit pas être un organe technique se substituant à la décision politique ; on devrait, grâce à lui, en finir avec les programmations trop optimistes et avoir les moyens de vérifier le respect de la trajectoire annoncée par le Gouvernement. Reste à expliciter la base sur laquelle il jugera les prévisions du Gouvernement.

Au cours du premier semestre, le programme de stabilité sera transmis à Bruxelles. Je partage le souci de nos collègues des affaires sociales d'assurer une vision complète des finances publiques. Peut-être faudrait-il fusionner les premières parties de nos lois financières...

Le HCFP devra être indépendant et ses choix transparents. Je défendrai des amendements pour remettre l'accent sur les points de fuite. Sa saisine doit être obligatoire pour les projets de loi de finances et de financement rectificatifs. Son indépendance serait renforcée en précisant qu'il peut s'appuyer sur des expertises extérieures. Enfin, le fonctionnement du Haut conseil devra être transparent. Tous ses membres devraient être auditionnés par le Parlement.

Nous devrons forger ensemble cet outil commun. Selon l'accueil réservé à nos amendements, nous déciderons de notre vote. (Applaudissements à droite)

M. Jean-Pierre Chevènement .  - Un bon point, d'abord : que ne figure pas dans la Constitution française la prétendue règle d'or allemande -baptisée, en Allemagne, « frein à l'endettement »- en vertu de laquelle le Bundestag a décidé, en 2010, que le déficit public ne pourrait dépasser 0,35 % à l'horizon 2016. En nous proposant ce projet de loi organique, vous avez choisi une autre façon d'appliquer le TSCG. J'aurais mauvaise grâce à critiquer cela, contrairement à nos collègues de l'UMP.

J'observe tout de même que l'Allemagne a donné le la, en imposant son modèle d'orthodoxie à la France et à la zone euro. Monsieur le ministre, vous distinguez habilement entre la substance et la forme. Vous estimez que ces règles valent pour elles-mêmes et qu'il eût fallu revenir à l'équilibre budgétaire, quoi qu'il en soit. La dette serait l'ennemi de la gauche, de la France. En habile dialecticien, vous répondez à un autre argument que celui que je vous oppose : ce n'est pas la dette qui plombe la zone euro : elle est plus élevée aux États-Unis, au Japon, en Grande-Bretagne. Ce sont les divergences de compétitivité entre les dix-sept pays de la zone euro. Elles proviennent pour l'essentiel de la production industrielle, dont les causes sont anciennes. Voyez ce qu'il en est en Allemagne : les causes en sont connues. Les écarts de compétitivité ont été creusés par le choc voulu par le chancelier Schroeder. Au total, la France a perdu quinze points de compétitivité par rapport à l'Allemagne. Le TSCG permettra-t-il de remédier à cette situation ? Certes non, il l'empirera même.

Vous nous présentez un projet de loi organique comme un outil de pilotage : nous devons respecter une trajectoire, sur laquelle veillera un chien de garde, le HCFP. Le Parlement et le Gouvernement seront liés, sous peine de subir la sanction des marchés. La souveraineté budgétaire du Parlement se limitera à l'épaisseur du trait de la trajectoire. Les procédures vont s'accumuler. L'organisation de simples débats ne saurait occulter la perte d'autonomie du Parlement, dont le rôle sera étouffé.

Ne serait-il pas temps que l'Eurogroupe s'avise de l'effet déstabilisateur du retour aux 3 % ? Comment compenser la perte de compétitivité ? A défaut d'une dévaluation ou d'une augmentation du temps de travail, ne reste qu'une dévaluation fiscale. En ce début de quinquennat du président de la République, je vous demande de faire un effort d'imagination pour rétablir notre compétitivité.

M. Jean Arthuis.  - TVA sociale !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances.  - Absolument !

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Pas plus que le TSCG, le MRC ne pourra voter cette loi organique mais nous voterons la loi de finances initiale, dont nous partageons les priorités.

Il faut faire vite, monsieur le ministre, dans l'intérêt de la France. (Applaudissements sur les bancs CRC)

M. André Gattolin .  - Après l'adoption du TSCG, ce projet de loi organique relève d'une obligation légale. Le législateur organique dispose d'une plus grande souplesse dans l'application des règles du TSCG que ce n'aurait été le cas s'il avait fallu modifier la Constitution.

Le groupe écologiste le votera mais plusieurs aménagements doivent être adaptés. Il convient en effet d'améliorer le fonctionnement du HCFP, d'autant que son intervention sera quasi permanente et pourrait, par la suite, être étendue.

Ce conseil ne devra pas être un nouveau comité Théodule, non plus qu'un comité de censure discrétionnaire. Il devra éclairer le Gouvernement et le Parlement, non les contraindre. D'où l'importance de la diversité de ses membres. Les opinions minoritaires en son sein devraient être publiées. La Cour suprême des États-Unis procède de la sorte, comme nos commissions d'enquête. Deuxième proposition : la nomination des membres du Haut conseil choisis par le Parlement doit obéir à une logique collégiale, avec un vote à la majorité qualifiée des commissions des finances. La parité devra enfin être respectée.

Mme Nathalie Goulet.  - Très bien !

M. André Gattolin.  - Troisième proposition : remplacer l'un des représentants des grands corps de l'État, en l'espèce le directeur général de l'Insee, par le président de l'Office français des conjonctures économiques, plus indépendant du pouvoir exécutif.

Difficile de faire plus technique et plus aride que le débat sur les finances publiques mais ses enjeux politiques et sociaux sont primordiaux. Il faut placer au juste niveau le curseur entre technicité et débat citoyen. (Applaudissements sur les bancs écologistes ; M. Richard Yung applaudit aussi)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx .  - Le groupe UMP a approuvé la ratification du TSCG, convaincu qu'il fallait respecter les engagements européens pris par le président Sarkozy en 2010, accepter des règles de politique économique conjointement avec nos partenaires pour rendre la zone euro plus cohérente et plus efficace, source de solidarité et de prospérité. En abordant aujourd'hui la traduction concrète du TSCG dans notre droit, nous devons nous assurer que vos choix économiques, monsieur le ministre, permettront à la France de tenir ses engagements vis-à-vis de ses partenaires. Je suis dubitative... mais nous y reviendrons.

Le projet de loi organique fixe un objectif à moyen terme en termes de solde structurel, instaure une règle d'or et crée le HCFP. Je me réjouis de ce retour à la raison d'une bonne partie de la gauche française, longtemps hostile à toute contrainte en matière de déficit. Ayant assumé tout le travail préparatoire, nous regrettons que vous n'ayez pas choisi la voie constitutionnelle : au-delà du symbole, c'était accepter le principe de réalité, quand aucun budget en équilibre n'a été voté depuis trente ans, même en période de croissance. Malgré la décision du Conseil constitutionnel, rien n'empêchait de réviser la Constitution ; cela aurait donné plus de force et de portée juridique à la règle d'or.

Nous aurons donc une loi organique. Mais comme ni la croissance ni l'inflation ne suffiront à rééquilibrer nos comptes, il faut réduire nos déficits dans la durée, en choisissant la dépense publique juste et efficace en fonction de nos ressources.

La notion de solde structurel demeure compliquée -son mode de calcul repose sur des hypothèses théoriques. La perfection mathématique est difficile à atteindre, mais pas hors de portée. L'Allemagne y parvient ! Le calcul devra en tout cas être harmonisé avec ce que font nos partenaires européens ; à la Commission européenne d'y veiller.

MM. Marini et Arthuis ont proposé de créer une autorité européenne des comptes publics. C'est une piste à creuser.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances.  - Il faudra y revenir !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - Nous avions nous-mêmes envisagé, en 2010, de créer un comité consultatif des comptes publics. Avec le Haut conseil, la France se met en conformité avec ses engagements européens. C'est le premier pas. Reste à traduire ces engagements dans notre économie.

Or vos prévisions de croissance sont sans doute volontaristes ; s'il convient qu'un Gouvernement doit avoir une vision optimiste de l'avenir, le groupe UMP est très réservé sur les moyens que vous vous proposez de mettre en oeuvre, qui jettent le doute sur la capacité de la France à respecter ses engagements. Aucune réforme structurelle, retour sur la réforme des retraites, sur la RGPP, rien pour relancer la compétitivité -bien au contraire. Pourtant, sans compétitivité, les hausses d'impôt seront inefficaces : les recettes des entreprises vont chuter et avec elles, les recettes de l'État ; vous allez aggraver le déficit public.

La baisse des dépenses publiques est bien plus efficace, moins récessive. D'autant que nous battons déjà des records en termes de prélèvements obligatoires.

Que signifie votre engagement à respecter le solde structurel quand vous faites fi des recommandations des autorités européennes comme de la Cour des comptes ? M. Migaud préconise de faire porter l'effort équitablement sur les recettes et les dépenses. Les déclarations de M. Bartolone, de Mme Guigou, de M. Désir sur la pertinence de l'objectif des 3 % nous inquiètent. Que prépare le Gouvernement ? Après avoir oublié votre promesse de renégocier le traité, je crains que vous preniez des engagements sans y croire, pour la seule raison que vous y êtes contraints. Comment peut-on demander tant d'efforts aux Français quand on leur explique que ces efforts sont absurdes ?

Le groupe UMP partage les objectifs de ce texte. Nous l'adopterons à condition que le Gouvernement accepte les amendements de Philippe Marini. Ce qui compte, c'est la détermination et l'action, la crédibilité et l'efficacité. Le chemin est long, il va falloir nous convaincre. (Applaudissements à droite et au centre)

Mme Marie-France Beaufils .  - Le patronat s'invite dans nos débats en invoquant une nouvelle fois le coût du travail. « Il faut engager une réforme structurelle de la protection sociale », a dit le président de la République. Bref, faire basculer plusieurs dizaines de milliards d'euros de prélèvements sociaux vers l'impôt... Quel système fiscal, quel mode de financement de notre protection sociale voulons-nous ? Quel système répondra le mieux aux exigences de justice dans le prélèvement, d'efficacité dans la dépense, de qualité dans la réponse aux besoins ? Sur la foi du rapport Gallois, le Gouvernement semble vouloir réduire le « coût du travail ». C'est la question qui fâche.

Les prélèvements sociaux sur la valeur ajoutée créée par le travail s'élèvent, en 2012, à 145 milliards. Dans le même temps, 309 milliards ont été versés en intérêts et dividendes... Pour nous, c'est cette dernière somme qui devrait faire l'objet de toutes les attentions, plus que la première. Le « coût du travail » inclut la rémunération nette du salarié pour sa force de travail, rémunération qui est créatrice de plus-value -c'est Adam Smith qui le dit. Débattre du coût du travail au nom de la compétitivité, c'est se poser la question de l'utilisation de la plus-value.

Plaider pour la réduction du coût du travail, c'est revenir sur les acquis du CNR. La question est aussi ancienne que l'économie marchande. Adam Smith, évoquant les commerçants anglais qui se plaignaient de n'être pas assez compétitifs, soulignait que les bénéfices du capital pouvaient contribuer davantage que les salaires au prix des marchandises...

M. Philippe Marini, président de la commission des finances.  - Il faudrait lire tout Adam Smith, pas seulement des extraits !

Mme Marie-France Beaufils.  - Les cotisations sociales ouvrent des droits pour tous. Les dépenses de protection sociale sont des éléments constitutifs du revenu des ménages ; les réduire, c'est réduire le pouvoir d'achat de ceux-ci. Indexer les retraites sur les prix, c'est priver les salariés du juste prix de leur travail. La raison d'être de notre système de protection sociale, c'est son caractère mutualisateur. Or la protection sociale n'est plus considérée que comme un solde comptable. Ce fait marque une mutation profonde : on déconnecte de plus en plus le financement de la protection sociale de l'entreprise en faisant basculer les cotisations vers l'impôt.

On consacre des dizaines de milliards d'euros à alléger les charges des entreprises sans que ni l'emploi, ni les salaires, ni la formation ne se portent mieux. C'est oublier les 5 millions de chômeurs, les 3 millions de salariés à temps partiel imposé, les 7 millions de personnes qui perçoivent la prime pour l'emploi. Et notre droit du travail serait rigide, un frein à l'embauche ? C'est bien plutôt la mise en déclin des recettes publiques qui explique les déficits ; de 1982 à 2009, la part des recettes fiscales de l'Etat est passée de 22,5 % du PIB à seulement 15,9 %, soit une moins-value 130 milliards d'euros, valeur 2009.

La création du HCFP privera les citoyens et leurs représentants de leur capacité de contrôler l'action publique. Contre toute logique, alors que l'on connaît la situation économique et politique chez nos partenaires grecs, espagnols ou portugais, on demande aux Français de consentir des sacrifices pour atteindre des critères européens qui s'appuient sur des choix discutables. La réduction des dépenses publiques et les mécanismes de correction deviennent des obligations. Les collectivités territoriales devront contribuer au redressement des finances publiques, alors qu'elles assurent 70 % à 75 % des investissements publics.

Les pays les plus frappés par la crise sont aussi ceux où la part des dépenses publiques était la plus faible : l'Espagne, l'Irlande. La loi organique, toute entière tournée vers l'austérité et la préservation de la rentabilité du capital, fait une référence douteuse à la notion de solde structurel -dont les modalités de calcul ne sont pas arrêtées. Comment comptez-vous faire ? A moins que vous ayez l'intention de vous abstraire bien vite de ces principes ? Les finances publiques sont un sujet trop sérieux pour que nous puissions faire autrement que voter contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs CRC)

M. Jean Arthuis .  - Ce projet de loi peut apparaître comme un carcan, ou comme un exercice de rhétorique parlementaire. Il répond à deux impératifs : nous conformer aux engagements découlant du TSCG et nous permettre de sortir de notre addiction au déficit, à la dépense publique et au surendettement. Le traité ouvre la porte à des débats académiques, qui risquent de devenir ubuesques dès lors qu'il est fait référence au solde structurel, à l'effort structurel ou au PIB potentiel. Le Gouvernement aurait dû choisir une démarche plus rigoureuse ; or il a opté pour la commodité, la facilité, pour tout dire le minimum syndical. Les concepts du traité vont nous égarer.

M. Jean-Pierre Caffet.  - Il ne fallait pas le ratifier !

M. Jean Arthuis.  - La commission Camdessus avait écarté la référence au solde structurel pour des raisons de pédagogie. Avant de parler de solde structurel, il faut mettre en oeuvre des réformes structurelles : abrogation des 35 heures, allégement des charges sociales et TVA sociale...

M. Jean-Pierre Caffet.  - C'est reparti !

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances.  - La TVA anti-sociale !

M. Jean Arthuis.  - J'espère que l'Eurogroupe définira les concepts et modalités d'évaluation.

Le Gouvernement a choisi le clair-obscur. Première critique : alors que de nombreux pays de l'Union européenne -Pays-Bas, Grande-Bretagne- ont eu le courage de s'en remettre à des autorités indépendantes pour arrêter les prévisions macro-économiques, nous en restons à l'auto-prévision, au risque de céder à l'excès d'optimisme... Les gouvernements ont toujours voulu garder la main sur les hypothèses macro-économiques, avec les dérives que l'on sait. Nous espérions une rupture, il n'en sera rien. Il est vrai que l'on n'est jamais aussi bien servi que par soi-même...

Le Gouvernement crée un organisme indépendant placé auprès de la Cour des comptes, présidé par le Premier président de celle-ci. Ses membres sont si indépendants qu'ils ne sont pas rémunérés. Étrange arbitrage... Quatre hauts magistrats de la Cour des comptes sur dix membres ? Ils sont compétents en matière d'exécution budgétaire, mais quid en matière de prévision ? Il y a là une forme de conflit d'intérêt. Il faudra que la Cour aille jusqu'au bout et certifie les comptes des collectivités territoriales, consolide les comptes publics pour en tirer des enseignements dans la perspective du débat d'orientation budgétaire et de la présentation des lois de finances à venir. Je regrette que l'on n'ait pas confié la responsabilité d'établir ces prévisions à un organisme indépendant.

Le groupe UDI-UC estime que le projet de loi organique ignore l'obligation prévue à l'article 3 du TSCG en matière de mécanisme correctif automatique. C'est une omission majeure. Pour sortir de cette ambigüité, il est vital que le Parlement assume pleinement ses prérogatives et se dote de moyens d'expertise ad hoc. On ne peut se contenter de mesures au doigt mouillé.

Je vous présenterai plusieurs amendements pour donner plus de rigueur et de corps à cette loi organique, pour éviter que le Gouvernement ait la tentation de casser le thermomètre ou pour que le refus d'avaliser les prévisions vaille insincérité des textes financiers... Je proposerai aussi de revenir sur une facilité introduite en 2005, relative aux endettements implicites liés aux partenariats publics privés (PPP) et aux beaux emphytéotiques administratifs.

Nous souhaitons que ce texte contribue à la confiance et soit un instrument de pilotage de nos finances publiques. (Applaudissements à droite et sur les bancs UDI-UC ; M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances applaudit également)

M. Richard Yung .  - Le Gouvernement, conformément à l'engagement du président de la République, soumet à notre examen un projet de loi organique, solution validée a priori par le Conseil constitutionnel que le président de la République avait consulté. Elle a le mérite de la simplicité. La précédente majorité proposait rien moins qu'une révision constitutionnelle pour créer une nouvelle catégorie de lois, les « lois cadre d'équilibre des finances publiques » !

A l'inverse du gouvernement Fillon, qui instrumentalisait la Constitution, celui de Jean-Marc Ayrault fait preuve de responsabilité, de pragmatisme et d'efficacité.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances.  - C'est surtout que vous n'avez pas la majorité des trois cinquièmes au congrès.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - Et des problèmes avec vos amis politiques !

M. Richard Yung.  - La réforme constitutionnelle envisagée n'avait en réalité qu'un but : masquer la dégradation des comptes publics, le doublement de la dette publique, qui atteint 1 700 milliards en 2012, la croissance atone, la hausse du chômage, bref, la situation calamiteuse que l'on sait. Madame Des Esgaulx, que n'avez-vous appliqué vos recettes magiques quand vous étiez au pouvoir ? Vous avez baissé les dépenses publiques, augmenté les impôts et dégradé la situation !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - Et la crise, vous en faites quoi ?

M. Richard Yung.  - Nous nous trouverons d'autres maîtres en économie... Adam Smith...

M. Philippe Marini, président de la commission des finances.  - Un économiste très libéral !

M. Richard Yung.  - Et l'inspirateur de Marx pour la théorie de la valeur ! Il disait que les salaires étaient trop élevés ? Les patrons ne disent pas autre chose dans le Journal du dimanche, cent cinquante ans plus tard...

Avec vos propos, madame des Esgaulx, vous semez le trouble chez nos partenaires...

M. Philippe Marini, président de la commission des finances.  - Elle n'a pas inventé les propos de Claude Bartolone !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - Vous n'écoutez personne, même pas Louis Gallois !

M. Richard Yung.  - Le projet de loi organique a des effets positifs. Il est respectueux de la souveraineté du Parlement. Contrairement aux lois cadre d'équilibre, la loi de programmation n'aura pas d'autorité supérieure aux lois de finances et de financement ; le Parlement ne sera pas entravé par le carcan d'une quelconque règle d'or : c'est une avancée pour la démocratie parlementaire.

Le projet de loi organique accroît l'information du Parlement sur plusieurs points. Sur les méthodes d'évaluation, quel est l'état d'avancement des travaux au sein d'Écofin, monsieur le ministre ?

L'article liminaire du projet de loi de finances donnera au Parlement une vision d'ensemble des administrations publiques et une analyse des prévisions de solde. Le Parlement bénéficiera des avis du HCFP et auditionnera son président.

Le HCFP est la principale innovation de ce texte. Il garantit une appréciation aussi fondée que possible des hypothèses de croissance, d'évolution des dépenses et de déficit : c'est nouveau. Nous rompons ainsi avec la volonté qu'ont souvent les gouvernements de plier les chiffres au service de leur politique.

C'en sera fini de la fumée blanche de Bercy annonçant un taux de croissance de 3 ou 4 %.

Mme Nathalie Goulet.  - Si seulement !

M. Richard Yung.  - Habemus papam ? Je ne sais pas, mais la sincérité des comptes y gagnera.

Les conditions de nomination des membres sont encadrées ; je vous proposerai de l'améliorer encore.

Enfin, les mécanismes de correction respectent les prérogatives du Parlement puisqu'en cas d'écart, le Gouvernement gardera l'initiative de proposer des modifications au Parlement qui se prononcera alors.

Deux débats budgétaires vont être revalorisés : celui relatif à la loi de règlement et celui relatif à l'orientation des finances publiques. Le Parlement sera aussi associé au semestre européen. Les deux chambres pourront organiser des débats sur les programmes nationaux et sur les lignes directrices définies par la Commission européenne. C'est un réel progrès.

Bien que les avis du Haut conseil soient consultatifs, le Gouvernement devra en tenir compte. Il sera soumis à une obligation de moyen et non de résultat. La prise en compte du solde structurel permettra au Gouvernement de disposer de plus grandes marges. Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste votera ce projet de loi organique. (Applaudissements sur les bancs socialistes et écologistes)

M. Alain Bertrand .  - En 2001, le Parlement, majorité et opposition confondues, a adopté la Lolf, qui a permis d'améliorer les règles d'examen des lois de finances. Ce projet de loi organique en est le prolongement. Ainsi en est-il de la logique pluriannuelle de programmation des finances publiques qui, jusqu'à présent, n'a pas eu le succès attendu. L'absence d'évaluation indépendante explique sans doute ce relatif échec. Je salue donc la création du HCFP. Encore faudra-t-il qu'il soit réellement indépendant... et efficace !

Je félicite M. Marc pour son amendement qui précise les modalités de fonctionnement de ce Haut conseil. Disposer de prévisions macro-économiques fiables est une nécessité.

Comme mes collègues du RDSE, je considère que la notion de solde structurel constitue un réel progrès.

Cette loi organique est une boîte à outil qui permettra de mieux piloter les lois de finances. Réduire la dette publique pour préparer l'avenir : c'est le sous titre de la loi de programmation 2012/2017 : c'est un objectif que nous partageons, indépendamment de l'adoption du traité.

Une dette et un déficit trop élevés, ce sont des épées de Damoclès au dessus de nos têtes aussi bien pour le futur que pour le présent. Nous devons donc impérativement lutter contre les déficits, sans tomber dans la spirale de l'austérité.

La croissance est indispensable et François Hollande l'a érigée en principe au sein de l'Union. Mais point de croissance sans confiance. Il faut donc garantir les engagements de l'État. L'UMP exprime ses doutes mais, sous la majorité précédente, les déficits se sont multipliés et le chômage a explosé, c'est une certitude.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - C'est surtout une belle caricature !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances.  - Profitez de la jeunesse de votre pouvoir ! Vous ferez moins les fiers dans un an !

M. Alain Bertrand.  - Il ne s'agit pas de déléguer notre pouvoir à l'Allemagne mais de faire confiance à François Hollande pour faire bouger les lignes en Europe. Grâce à nous, la France sera plus efficace et plus juste (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Philippe Marini, président de la commission des finances.  - C'est beau, la foi !

Mme Nathalie Goulet .  - Membre de la commission des affaires étrangères et spécialiste du Golfe persique et du Caucase, je ne suis pas une spécialiste des finances publiques mais j'ai été à bonne école dans mon département de l'Orne, avec un président comme Alain Lambert, ancien rapporteur général de la commission des finances, ancien ministre du budget, actuel membre de la Cour des comptes !

Quand on parle des finances publiques, on parle des comptes de l'État, mais aussi de la sécurité sociale et des collectivités locales. A l'heure de l'interdépendance des comptes publics, leur fragmentation est dangereuse. Une vision d'ensemble est indispensable au sens des critères de Maastricht. L'article 34 de la Constitution nous en empêche et cette loi organique peut améliorer la transparence. Comptons sur les annexes mais décomposons les soldes en recettes et dépenses. Le manque de visibilité entre les diverses comptabilités empêche un suivi régulier, sans parler de l'opacité dans les relations financières entre l'État et les collectivités locales.

L'émergence d'une loi de finances des collectivités territoriales serait la bienvenue mais elle contreviendrait au principe si cher aux élus de l'autonomie des collectivités, pourtant illusoire vu leur dépendance financière. Nous doutons donc de l'efficacité de cette loi organique. Pour citer le titre d'une tribune cosignée par Alain Lambert, la transparence, c'est maintenant ! (Applaudissements sur les bancs UDI-UC)

M. Philippe Marini, président de la commission des finances.  - Très bien !

M. Joël Bourdin .  - Mme Des Esgaulx a été très claire : nous sommes favorables à l'objectif affiché, en conformité avec le traité, mais nous nourrissons des doutes sérieux sur les moyens utilisés par le Gouvernement pour y parvenir.

Je veux mettre l'accent sur les limites que nous atteignons en matière de dette publique. Certes, la charge a baissé cette année : 46,3 milliards en 2011, mais il ne s'agit que d'un effet de perspective du fait que les taux d'intérêt à court terme sont historiquement bas. Les titres français sont devenus des titres refuge. Mais la charge de la dette est le deuxième poste budgétaire. La structure de notre dette suscite des inquiétudes sur notre capacité de rembourser. Nous avons franchi le seuil de 90 % d'endettement par rapport au PIB. Il s'agit d'un seuil prudentiel au-delà duquel l'endettement affecte notre croissance. Avec ce niveau d'endettement, il y a un risque d'attrition de l'épargne privée qui pourrait servir au financement des entreprises. Celles-ci ne souffrent pas seulement de leurs charges mais aussi de leurs faibles capacités d'emprunt. Bâle III risque de faire décrocher l'épargne des investissements actifs, provoquant la maladie de langueur de notre économie. Réduire les déficits et l'endettement sont donc des impératifs. C'est pourquoi nous sommes favorables à la règle d'or.

Certes, le chemin est difficile. Les recours à l'inflation ou à la dévaluation sont devenus impossibles. Reste la maîtrise de taux d'intérêt bas, mais c'est du ressort de la BCE et ces taux ne resteront pas éternellement aussi bas. Quoi d'autre ? Le Gouvernement privilégie l'augmentation des impôts, mais le choc fiscal va provoquer une baisse des rentrées ! Le soutien à la croissance potentielle met du temps à se manifester. Nous sommes en panne : la population active est affectée par le chômage, le capital est peu dynamique et la capacité des facteurs de production s'est effondrée. Le potentiel de croissance n'est plus que de 1,2 %, contre 2 % il y a dix ans. Des chefs d'entreprise, vilipendés par le Gouvernement, dépendent seuls les investissements. Cessez donc de les considérer comme des ennemis de classe ! (Exclamations à gauche)

Faites passer le message dans votre majorité. A force de taper sur le pianiste, vous risquez de le tuer !

Il est indispensable de sortir du modèle actuel de croissance par l'endettement et de trouver de nouveaux chemins. La route sera longue et difficile. Nous ne pouvons plus financer la croissance par la dette ; les déficits doivent être réduits. Nous nous inquiétons d'entendre certains remettre en cause l'objectif de 3 %. Pouvez-vous nous rassurer sur ce point, monsieur le ministre ? (Applaudissements à droite)

M. Jean-Vincent Placé .  - Le TSCG, auquel j'étais opposé, est définitivement adopté, c'est la démocratie. Sa transposition est donc nécessaire.

Le Gouvernement a fait le bon choix : refuser une règle d'or constitutionnelle et privilégier une loi organique. Graver l'équilibre budgétaire dans la Constitution aurait été terrible en installant l'austérité et en censurant le Parlement. Les libéraux qui réclament aujourd'hui la règle d'or sont ceux qui ont creusé les déficits à des profondeurs abyssales et qui prétendent nous donner des leçons de bonne gestion.

Le choix de la loi organique respecte la représentation nationale, d'autant qu'aucune sanction automatique n'est prévue. Les prérogatives du Parlement ne seront pas altérées. Le législateur garde son autonomie. Ce que le Parlement a fait, le Parlement peut le défaire. C'est bien. J'ai entendu Claude Bartolone et Harlem Désir s'interroger à propos de la course vers les 3 % de déficit. Je suis partisan du désendettement mais il faut trouver un équilibre, être attentif aux souffrances sociales et environnementales. Les écologistes seront particulièrement vigilants au respect de certains engagements environnementaux, plutôt qu'aux 3 %. (M. Vincent Delahaye s'exclame)

Heureusement que l'on ne gère pas le budget de l'État comme celui d'un ménage. D'ailleurs, vous en savez quelque chose !

Le groupe écologiste présentera des amendements et poursuivra le combat, malgré l'adoption du traité. Je salue le choix du Gouvernement d'avoir enterré la règle d'or, qui n'aurait pas été acceptée par nos concitoyens. Il faut poursuivre le désendettement mais dans la justice, l'équilibre, l'investissement écologique et social. (Applaudissements sur les bancs écologistes et socialistes)

M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué .  - M. Marc a eu raison de rappeler que cette loi organique avait fait l'objet d'un travail approfondi. Le choix de la loi organique était plus consensuel qu'une règle d'or constitutionnelle. M. Daudigny souhaite améliorer l'information du Parlement sur les comptes sociaux, et il a raison, mais la loi de finances est votée après la loi de financement...

Je suis d'accord avec M. Marini sur plusieurs points : sa sérénité d'esprit fait plaisir à voir. Il comprend l'intérêt de la procédure. Le rôle du HCFP sera précisé, comme il le souhaite. M. Chevènement a décerné au Gouvernement un bon point pour avoir écarté la révision constitutionnelle. Sur la règle d'or, les interprétations sont multiples, en Allemagne, au Royaume-Uni. Le Gouvernement lui a préféré la loi organique qui respecte la souveraineté du Parlement. Ce n'est pas un choix médiocre.

M. Gattolin s'est dit attaché à l'indépendance du Haut conseil. La nomination du directeur de l'Insee ne la compromet pas, au contraire : elle donnera au Haut conseil les moyens de son indépendance.

Mme Des Esgaulx a une approche différente de celle du Gouvernement. Aucune règle constitutionnelle ne saurait supplanter la volonté du Gouvernement et de sa majorité. Il n'est pas besoin d'inscrire dans la Constitution une règle traduisant la méfiance envers le Parlement et la majorité. Je me souviens de travaux de la commission Camdessus. Monsieur Arthuis, vous regrettez que le Gouvernement ait abrogé la TVA sociale. Mais cette décision aurait eu de lourdes conséquences : il aurait fallu franchir d'autres pas, augmenter la TVA, car deux points ne suffisaient pas : pour une Clio, cela représentait 60 euros de moins à l'exportation. Il aurait aussi fallu geler les salaires et les pensions : les partisans de cette mesure ne l'ont pas dit, faute de temps sûrement et pas par manque d'honnêteté intellectuelle.

M. Jean Arthuis.  - Nous en débattrons !

M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué.  - M. Yung a indiqué que la définition du solde structurel n'était pas encore satisfaisante. Il faut effectivement s'assurer de la cohérence de cette définition avec celle des autres pays. Mme Beaufils a regretté que seul le solde comptable soit retenu par cette loi organique. Je ne le crois pas. Le Gouvernement et le Parlement ne sont nullement contraints. Le Gouvernement propose et le Parlement dispose : cela était et cela sera.

Je remercie M. Bertrand pour son soutien.

Mme Goulet s'inquiète de la fragmentation des comptes publics. Je comprends mal cette remarque alors que nous faisons tout pour l'éviter. Nous en reparlerons au cours des débats, j'espère lever ce malentendu.

M Bourdin a déploré la baisse de la croissance potentielle de notre pays ces dernières années. Mais la politique du précédent gouvernement en est la cause !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances.  - Cela ne vous ressemble pas, monsieur le ministre, d'être caricatural, c'est une facilité. Un peu de charité.

M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué.  - En cas d'insuccès de notre politique, vous saurez, avec votre suavité habituelle, nous le rappeler, monsieur le président. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Philippe Marini, président de la commission des finances.  - Je sollicite une brève suspension par examiner la question préalable.

La discussion générale est close.

La séance, suspendue à 18 h 20, reprend à 18 h 35.